Le témoin du crime - Le Temps

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Les voisins du dessous de Sandu Patrascu (Teodor Corban) se sont disputés. Lui a tout vu, mais il ne dit rien. © look now 5 minutes de lecture Cinéma Norbert CREUTZ Publié mardi 3 mai 2016 à 21:22. Le témoin du crime Faux thriller à combustion lente, «L’Etage du dessous» du Roumain Radu Muntean sidère par le réalisme du cas de conscience qu’il expose. Une sorte de Hitchcock en temps réel. A la veille d’un Festival de Cannes où la «Nouvelle vague roumaine» tiendra le haut du pavé, avec Cristian Mungiu («Bacalaureat») et Cristi Puiu («Sieranevada») en compétition, on est heureux de voir enn sortir l’un des plus beaux lms de l’édition passée, dû à leur compatriote Radu Muntean. Cinquième opus de ce cadet plus discret, remarqué chez nous avec son drame de l’adultère «Mardi, après Noël», «L’Etage du dessous» conrme en eet avec éclat l’originalité de cee «école», qui émerveille ou exaspère, mais dont nul ne saurait nier l’originalité. Les recees de ce cinéma roumain qui triomphe dans les festivals depuis une dizaine d’années? Un réalisme sans faille lié à des questions d’ordre social et moral, un art de la litote cultivé avec une admirable économie de moyens, sans oublier une part d’ironie plus ou moins discrète. Le tout sûrement développé en réaction contre le mensonge et la corruption institutionnalisés sous la dictature communiste de Nicolae Ceausescu, durant laquelle tous ces cinéastes ont grandi. Dans la lignée du génial «Policier, adjectif.» de Corneliu Porumboiu, avec un scénario cosigné par l’écrivain Razvan Radulescu, autre gure-clé du mouvement, «L’Etage du dessous» en apparaît aujourd’hui comme une des plus admirables exemples. Pas vu pas dit On y découvre le héros quinquagénaire, Sandu Patrascu (un formidable Teodor Corban), en train de promener son chien dans un parc – ou plutôt l’entraîner en vue d’un concours. C’est l’été à Bucarest, qu’on a rarement vue aussi lumineuse, lmée avec autant de bienveillance. Lorsque Patrascu rentre chez lui, il s’aarde au deuxième étage de son immeuble en entendant une dispute de couple. Un jeune homme sort sur le palier, le surprend, et notre homme rentre chez lui sans rien raconter de l’incident à sa femme ou à son ls. Mais le lendemain, il apprend que l’étudiante Laura, la locataire de l’étage du dessous, a été retrouvée morte, le crâne fracassé. Lorsque la police vient enquêter, Patrascu s’obstine dans son mutisme. Doute quant à la culpabilité de l’inconnu, qui s’avère être un voisin du premier? Peur de s’airer des ennuis, ou bien réexe lié à son éducation, résidu d’un autre temps? Telles sont les questions qu’on se pose dès lors en suivant ce brave homme dans ses activités quotidiennes. Son occupation s’avère typiquement roumaine: facilitateur dans l’enregistrement et l’immatriculation de voitures, qui prend sur lui les démarches administratives complexes. Le jour où ledit voisin, Vali, fait appel à ses services et ore les siens d’expert en informatique à sa famille, comme pour narguer Patrascu, tout se complique. On le voit, la situation n’est pas banale et aurait pu inspirer aussi bien un Alfred Hitchcock qu’un Fritz Lang. Pourtant, la mise en scène la traite avec un tel sens du quotidien, une telle rigueur du point de vue, que le suspense n’a plus grand-chose d’un thriller ou d’un CINÉMA ! Le témoin du crime - Le Temps http://www.letemps.ch/culture/2016/05/03/temoin-crime 1 sur 3 12.05.16 19:09

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Les voisins du dessous de Sandu Patrascu (Teodor Corban) se sont disputés. Lui a toutvu, mais il ne dit rien.

© look now5 minutes de lecture

Cinéma

Norbert CREUTZ

Publié mardi 3 mai 2016 à

21:22.

Le témoin du crime

Faux thriller à combustion lente, «L’Etage du dessous»du Roumain Radu Muntean sidère par le réalisme du casde conscience qu’il expose. Une sorte de Hitchcock entemps réel.

A la veille d’un Festival de Cannes où la «Nouvelle vague

roumaine» tiendra le haut du pavé, avec Cristian Mungiu

(«Bacalaureat») et Cristi Puiu («Sieranevada») en

compétition, on est heureux de voir enfin sortir l’un des

plus beaux films de l’édition passée, dû à leur

compatriote Radu Muntean. Cinquième opus de ce cadet

plus discret, remarqué chez nous avec son drame de

l’adultère «Mardi, après Noël», «L’Etage du dessous»

confirme en effet avec éclat l’originalité de cette «école»,

qui émerveille ou exaspère, mais dont nul ne saurait nier

l’originalité.

Les recettes de ce cinéma roumain qui triomphe dans les

festivals depuis une dizaine d’années? Un réalisme sans

faille lié à des questions d’ordre social et moral, un art de

la litote cultivé avec une admirable économie de

moyens, sans oublier une part d’ironie plus ou moins

discrète. Le tout sûrement développé en réaction contre

le mensonge et la corruption institutionnalisés sous la

dictature communiste de Nicolae Ceausescu, durant

laquelle tous ces cinéastes ont grandi. Dans la lignée du

génial «Policier, adjectif.» de Corneliu Porumboiu, avec

un scénario cosigné par l’écrivain Razvan Radulescu,

autre figure-clé du mouvement, «L’Etage du dessous» en

apparaît aujourd’hui comme une des plus admirables

exemples.

Pas vu pas dit

On y découvre le héros quinquagénaire, Sandu Patrascu

(un formidable Teodor Corban), en train de promener

son chien dans un parc – ou plutôt l’entraîner en vue

d’un concours. C’est l’été à Bucarest, qu’on a rarement

vue aussi lumineuse, filmée avec autant de

bienveillance. Lorsque Patrascu rentre chez lui, il

s’attarde au deuxième étage de son immeuble en

entendant une dispute de couple. Un jeune homme sort

sur le palier, le surprend, et notre homme rentre chez lui

sans rien raconter de l’incident à sa femme ou à son fils.

Mais le lendemain, il apprend que l’étudiante Laura, la

locataire de l’étage du dessous, a été retrouvée morte, le

crâne fracassé. Lorsque la police vient enquêter, Patrascu

s’obstine dans son mutisme.

Doute quant à la culpabilité de l’inconnu, qui s’avère être

un voisin du premier? Peur de s’attirer des ennuis, ou

bien réflexe lié à son éducation, résidu d’un autre temps?

Telles sont les questions qu’on se pose dès lors en

suivant ce brave homme dans ses activités quotidiennes.

Son occupation s’avère typiquement roumaine:

facilitateur dans l’enregistrement et l’immatriculation de

voitures, qui prend sur lui les démarches administratives

complexes. Le jour où ledit voisin, Vali, fait appel à ses

services et offre les siens d’expert en informatique à sa

famille, comme pour narguer Patrascu, tout se

complique.

On le voit, la situation n’est pas banale et aurait pu

inspirer aussi bien un Alfred Hitchcock qu’un Fritz Lang.

Pourtant, la mise en scène la traite avec un tel sens du

quotidien, une telle rigueur du point de vue, que le

suspense n’a plus grand-chose d’un thriller ou d’un

CINÉMA

!

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À propos de l'auteur

Norbert CREUTZ@letemps

drame de la culpabilité. Il y en a qui, confrontés à un

temps aussi réaliste (le cinéaste parle d’un «temps

ressenti» à partager avec le protagoniste), à autant de

non-vu et de non-dit, s’ennuieront et lâcheront prise. Et

ceux qui, au contraire, auront là la révélation d’une autre

forme de cinéma, plus proche de nos vies et pourtant

aussi passionnante que nos plus habiles fictions

occidentales.

Crime, doute et châtiment

De fait, Radu Muntean nous invite à une drôle de

variation sur «Crime et châtiment», ou coupable et

témoin se partageraient le poids de la faute et de la

conscience torturée. Ou bien faut-il y lire une critique

sociale plus large? Le film se garde bien de donner la

réponse, laissant à chacun le soin de tirer ses

conclusions en observant les personnages en action. Il

ne s’agit pas tant de découvrir la vérité – accident ou

assassinat, lâcheté ou réserve prudente – que de se poser

des questions de morale. Avec Patrascu, on découvrira la

personnalité pour le moins désinvolte de Vali et on

expérimentera la frustration du silence. Mais aussi les

dédales d’un Etat bureaucratique qui n’inspire aucune

confiance et un vivre-ensemble bien mal en point.

Que disent de Vali ses retards sans excuses et autres

amendes non payées, sans parler de ses vomissements

en présence de son épouse? Le fait que Laura voulait

partir en Italie mérite-t-il qu’on la traite de pute, comme

s’empresse de conclure un comparse interprété par le

grand Vlad Ivanov? Pourquoi cette visite inopinée de

Patrascu à un vieil ami policier perdu de vue, cette

relation distendue avec un fils plongé dans ses mondes

virtuels au point de faire des crises de somnambulisme?

Chaque scène amène tranquillement sa pierre à l’édifice,

jusqu’à ce que la coupe déborde et que cet homme

placide craque enfin. Alors, on assiste à un éclat de

violence tel qu’on n’en avait peut-être jamais vu à l’écran.

Pas d’arme, ni bruitage ni gore inutiles – mais une

bagarre dans laquelle on est vraiment impliqué et qu’on

jurerait réelle!

Ce cinéma roumain dont le moindre acteur peut soudain

se retrouver protagoniste et livrer une performance d’un

naturel inouï est décidément une bénédiction. Loin de la

foire aux vanités hollywoodienne, parisienne ou même

helvétique, son néoréalisme vous lave le regard et

l’esprit. Avec, derrière Muntean, les talents encore à

découvrir de Constantin Popescu, Calin Peter Netzer,

Adrian Sitaru ou Radu Jude, on ne peut que s’émerveiller

de sa vitalité, en rêvant d’une distribution qui nous en

montrerait plus que de trop rares pépites.

L’Etage du dessous (Un etaj mai jos), de Radu Muntean

(Roumanie – France – Allemagne 2015), avec Teodor

Corban, Iulian Postelnicu, Oxana Moravec, Ionut Bora,

Tatiana Iekel, Ioana Flora, Maria Popistasu, Adrian

Vancica, Vlad Ivanov. 1h33

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