Le Système politique canadien

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Q U E S A I S - J E ?

Le système politique canadien

J U L I E N B A U E R Professeur à l'Université du Québec à Montréal

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DU MÊME AUTEUR

LIVRES

Les partis religieux en Israël. PUF, « Que sais-je ? », n" 2610, 1991. Les Juifs hassidiques, PUF, «Que sais-je?», n" 2830, 1994. Les minorités au Québec, Boréal, 1994. La nourriture cacher, PUF, « Que sais-je? », n" 3098, 1995.

CO-DIRECTION

Avec K. Cabatoff (eds), Bilan de la Loi 50 : dynamique du changement dans la fonction publique québécoise, Université du Québec à Montréal, Institut d'administration publique du Canada, 1981.

Avec L. Kaplan et I. Robinson (eds), The Thought of M oses Maimonides, Philosophical and Legal Studies ( La pensée de Maïmonide. Études philosophiques et halakhiques), Edwin Mellen Press, 1990.

CHAPITRES DANS LES LIVRES SUIVANTS

Les mouvements religieux aujourd'hui, théories et pratiques, Bellar- min, 1984.

The Impact of Gush Emunim : Politics and Seulement s in the West Bank, Croom Helm, 1985.

Orwell a-t-il vu juste ? Une analyse socio-psychologique de « 1984 », Presses de l'Université du Québec, 1986.

Un marché, deux sociétés ? Libre-échange et autonomie politique, ACFAS- Société québécoise de science politique, 1987.

L'administration publique québécoise : évolutions sectorielles, 1960-1985, Presses de l'Université du Québec, 1989.

La démocratie dans tous ses états : Argentine, Canada, France, Presses de l'Université Laval, 1993.

Le goût du Québec, l'après-référendum 1995, Hurtubise HMH, 1996. L'État administrateur : modes et émergences, Presses de l'Université du

Québec, 1997.

ISBN 2 13 048932 x

Dépôt légal — 1 édition : 1998, juin

© Presses Universitaires de France, 1998 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

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INTRODUCTION

Le Canada est un pays dont on entend rarement parler mais que l'on croit connaître. Depuis les arpents de neige chers à Voltaire jusqu'au membre de la Gen- darmerie royale canadienne, de préférence à cheval, sans oublier les bûcherons, le Canada projette l'image d'un pays immense, couvert de neige, près de la nature, à la vie calme, sans histoire. Beaucoup, dans le monde, prennent le Canada pour un appendice des États-Unis et sont surpris d'apprendre que les politiques étran- gères des deux pays sont souvent différentes. Le Canada apparemment rural fait partie du G7, ce qui témoigne d'un certain poids économique, ce pays paci- fique a des cimetières militaires en Europe occidentale et envoie ses soldats comme casques bleus là où le besoin se fait sentir, ce pays tolérant a une politique de multiculturalisme que les spécialistes viennent étudier mais n'arrive pas à s'entendre avec sa population amé- rindienne, bref ce pays ne correspond pas à l'image qu'il projette.

Le Canada est influencé par trois États qui ont joué et continuent à jouer un rôle important tant au niveau politique qu'à celui de la culture. Grande-Bretagne, France et Etats-Unis ont contribué à façonner l'iden- tité canadienne. Les deux premiers, les mères patries, sont à l'origine de l'entité politique canadienne. Les deux langues, le français et l'anglais, les deux religions dominantes, le catholicisme et le protestantisme, les deux systèmes de justice, la common law et le Code

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civil, viennent directement des colons d'origine fran- çaise et britannique. S'y sont ajoutées une influence institutionnelle - le système politique canadien est la branche nord-américaine de la monarchie libérale et de la démocratie parlementaire du Royaume-Uni - des influences culturelles et de civilisation. Le rôle des États-Unis est différent. Loin d'être une mère patrie, c'est un pays qui s'est rebellé contre la Couronne bri- tannique, qui a essayé, à plusieurs reprises, d'occuper des parties du territoire canadien, qui a servi de repoussoir pour créer une réalité différente, une réalité canadienne. L'hostilité a fait place à une relation asymétrique entre deux voisins, une superpuissance et une puissance intermédiaire. Les quelque 5 000 km de frontière américano-canadienne constituent la plus longue frontière pacifique depuis plus de cent cinquante ans et le plus important lieu mondial d'échanges commerciaux entre deux pays. La proxi- mité des États-Unis se fait sentir dans la vie de tous les jours : télévision, hebdomadaires, sports, etc.

A la conjonction de trois courants, britannique, français et américain, le Canada est un pays original qui a donné naissance à un système politique sui gene- ris, certes d'origine britannique mais qui s'est déve- loppé à son propre rythme. La nature fédérale du sys- tème, la combinaison d'une monarchie et d'un exécutif fort, la tentation de ne voir qu'une partie du système - que ce soit les indigènes, le Québec, l'Ouest... - en rai- son de l'immensité et de la complexité de ce système n'ont aidé ni les Canadiens ni les observateurs exté- rieurs à comprendre le système politique canadien. A contribué à cette méconnaissance une terminologie désuète à relent colonial. Le chef d'État est la Reine d'Angleterre représentée à Ottawa par le Gouverneur général. Ce dernier est un hybride entre le chef d'État canadien de facto et un représentant de la Couronne de

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jure. Le Conseil privé, comme son titre ne l'indique pas, est l'organisme décisionnel public primordial. Le Greffier du Conseil privé est, en fait, le secrétaire géné- ral du gouvernement, le Président du conseil du Trésor est un ministre, les conseillers de la Reine ne la conseil- lent pas mais ont obtenu ce titre honorifique équiva- lent d'une décoration en France. Dans quel autre pays le parti de droite s'appelle-t-il Parti progressiste- conservateur ?

Cette terminologie officielle est un obstacle majeur à une compréhension du fonctionnement du système politique canadien et ne rend pas compte de la modernisation de ce système. Le Canada s'est déve- loppé sous l'influence d'un quadruple déterminisme : une géographie immense, une histoire brève, un lent processus de décolonisation et une économie captive de la Grande-Bretagne, à l'origine, puis des États- Unis (chap. I). Le système fédéral canadien essaye de maintenir un équilibre entre le gouvernement cana- dien fédéral et dix gouvernements provinciaux sans oublier deux territoires dont la juridiction est en train de changer; le processus électoral réducteur a favo- risé le bipartisme mais connaît des soubresauts imprévus. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, loin de diluer le pouvoir, la démocratie fédé- rale parlementaire canadienne le concentre entre les mains des Premiers ministres. La tension inhérente au fédéralisme a conduit, pour éviter le blocage du système, à une cohabitation entre les gouvernements (chap. II). La société canadienne attend de ses gou- vernements qu'ils trouvent des réponses aux multiples questions qu'elle se pose. Quels sont les droits et les devoirs des diverses composantes de la population : Amérindiens, « peuples fondateurs », autres ? Com- ment résister à la force d'attraction des États-Unis ? Que faire des courants indépendantistes et régiona-

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listes (Québec, Ouest)? Comment combiner État et états d'âme, réalités et symboles, tendances centri- fuges et centripètes pour assurer une adéquation entre identité, société et régime politique (chap. III) ?

Le système politique canadien, avec toute sa com- plexité, nous interpelle. Une société peut-elle vivre une crise politique récurrente et néanmoins maintenir les règles du jeu d'une démocratie consensuelle ?

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Chapitre 1

LE POIDS DES DÉTERMINISMES

La vie en société impose que les hommes qui partici- pent à cette société se donnent des règles de conduite pour régir leurs relations. Ces relations sont interper- sonnelles puis se développent en relation avec une autorité supérieure super naturelle, les dieux qui tout à la fois nous effrayent et nous protègent, dieux dont les représentants sur terre sont les dirigeants de la société, les chefs, en termes modernes les leaders politiques. La hiérarchie politique n'est pas neutre, elle émane du sacré, du divin. Ce n'est que relativement récemment que la démocratisation de la vie politique a transféré la source du pouvoir de la divinité au peuple.

Un système politique, avec ses institutions, ses usages, son mode de fonctionnement n'apparaît pas ex nihilo. Il est la conjonction de deux courants : la volonté de la population, ou au moins des segments de la population qui ont voix au chapitre, et les condi- tions qui encadrent la vie de cette population. Cer- taines conditions sont inévitables, imposées par la nature : cadre géographique, climatique, etc. D'autres, issues des premières, laissent une marge de manoeuvre : histoire, économie, etc. La relation n'est pas univoque mais elle est contraignante. Ainsi la présence de richesses naturelles n'entraîne pas forcément un déve-

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Carte politique du Canada.

loppement économique mais, s'il y a développement, il tiendra compte de ces richesses ; l'absence de telles richesses n'empêchera pas le développement mais imposera une politique pour contourner le manque de richesses naturelles. Le système politique canadien est soumis aux pressions de la nature : l'immensité du ter- ritoire, son relief accidenté, ses conditions climatiques dures ne peuvent manquer de laisser des traces. Si la géographie est immense, l'histoire est très brève, quatre siècles si on remonte aux grands ancêtres, cent trente ans si on remonte à l'acte de naissance officiel du système en 1867. Cette brève histoire a vu une colo- nie changer de maître puis acquérir, petit à petit, son

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indépendance. Les circonstances géographiques, en particulier l'abondance de ressources naturelles et la proximité des États-Unis, ont contribué à l'appari- tion d'une économie avancée et captive de son voisin du Sud.

Le présent chapitre présente les principaux détermi- nismes qui permettent de mieux comprendre les condi- tions dans lesquelles s'est développé le système poli- tique canadien.

I. — Une géographie immense

L'expression qui convient le mieux au Canada est « immense ». Quelques chiffres en donneront une idée. Couvrant 10 millions de kilomètres carrés, le Canada s'étend sur plus de 5 500 km de l'est à l'ouest et plus de 4 600 km du nord au sud. Bordé par trois océans, l'Atlantique, le Pacifique et l'Arctique, son littoral a une longueur de 240 000 km. Le Canada est, en étendue, le deuxième pays au monde. Le caractère gigantesque de ces données ne doit pas faire oublier que la partie habi- tée du Canada est une bande de 100 km de profondeur le long de la frontière avec les États-Unis. La quasi-totalité des 25 agglomérations urbaines de plus de 100 000 habi- tants s'y trouve: Toronto, Montréal, Vancouver, Ottawa-Hull, Calgary, Winnipeg, Québec, etc.

Les principaux centres de population et d'activités économiques ont connu un glissement continu d'Est en Ouest. Les villes d'Halifax, Québec et Montréal ont été supplantées par Toronto - qui a rejoint et dépassé Montréal comme centre économique du pays dans les années 1960 et 1970 - et, de plus en plus, Vancouver et Calgary.

L'immensité des distances à couvrir explique le rôle crucial des transports dans la vie canadienne. Tour à tour les cours d'eau, la voie ferrée, la route et les airs

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ont joué un rôle majeur. La découverte même du Canada par les Européens s'est faite en remontant les rivières et les fleuves, en particulier le Saint-Laurent. Les principales localités construites aux débuts de la colonie sont au bord des rivières. Dans la seconde moitié du XIX siècle et pendant plus de cent ans, le chemin de fer a été la colonne vertébrale du Canada. L'importance historique du rail ne saurait être suresti- mée. L'entrée de la Colombie britannique dans la fédé- ration canadienne en 1871 a été conditionnée par la promesse du prolongement de la voie ferrée vers la côte Pacifique. Les deux grandes compagnies de che- min de fer, aux noms évocateurs, Canadien National et Canadien Pacifique, ont été, pendant plus d'un siècle, des symboles du Canada en expansion.

Routes impraticables pendant une partie de l'année, cours d'eau gelés pendant des mois ont fait du chemin de fer le moyen de transport privilégié. La première ligne de chemin de fer date de 1836. Dans les années qui suivent plusieurs lignes sont construites mais se heurtent à des difficultés de financement. Pour assurer le développement ferroviaire, un système combinant pouvoirs publics et intérêts privés est mis sur pied. L'État donne des terres non seulement pour la cons- truction des voies ferrées mais également d'énormes superficies de part et d'autre de la voie pour créer un besoin de transport, il donne des subventions, garantit les investissements. Les compagnies s'occupent de ramasser les fonds nécessaires, de bâtir une infrastruc- ture de communications, de créer des emplois, d'assu- rer la colonisation du pays. Pour relier le Canada à sa nouvelle province du Pacifique, tout en évitant le terri- toire des États-Unis, le gouvernement canadien donne à la compagnie Canadien Pacifique le monopole du transport ferroviaire avec l'ouest du pays. Ailleurs au Canada, les voies ferrées se multiplient ; elles rencon-

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trent des difficultés financières durant la Première Guerre mondiale. Les compagnies ferroviaires, à l'ex- ception du Canadien Pacifique, sont nationalisées en 1918 et prennent le nom de Chemins de fer natio- naux, puis de Canadien National.

Le chemin de fer était, et est encore, largement indispensable pour le transport du blé des plaines du centre vers les ports, pour l'exportation vers le marché mondial, pour le transport des matières premières - fer, charbon, pâtes et papiers, etc. - vers le centre industriel du pays (Ontario et Québec), vers les États- Unis, l'Atlantique pour les marchés européens et le Pacifique pour le marché japonais. Le chemin de fer était, et est toujours, le seul moyen de transport fonctionnant en tout temps, même pendant les pires moments de l'hiver. Ce n'est pas un hasard si l'implantation des villes et des villages s'est faite le long des voies ferrées. Aujourd'hui le rail a abandonné son rôle de transporteur de passagers: Via Rail, créé en 1977 en remplacement des ser- vices passagers de CN et CP, n'est qu'un faible reflet de la grande époque. Les trains transcontinentaux ne sont maintenus que comme curiosités touristiques. Les compagnies ferroviaires se concentrent de plus en plus sur le transport de marchandises.

CN et CP sont devenus des conglomérats qui assurent 90 % du transport ferroviaire canadien, ont des succur- sales aux États-Unis, sont impliqués dans le transport routier, maritime, aérien, dans les télécommunications, l'hôtellerie, l'exploitation de richesses naturelles, etc.

Le transport fluvial qui avait perdu de son impor- tance a retrouvé une partie de son lustre d'antan avec l'ouverture, en 1959, de la voie maritime du Saint- Laurent. Cette gigantesque entreprise canado-améri- caine permet de relier le centre de l'Amérique du Nord, autour des grands lacs, avec l'Océan atlantique. On parle ici d'un système de navigation intérieure qui dépasse 3 000 km. L'utilisation de brise-glace permet de garder ouverte la voie maritime pendant la majeure partie de l'hiver.

La route a été au début plus d'intérêt local et régio- nal que d'intérêt continental. Ce n'est qu'en 1962 qu'a

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Pour une société qui paraît sans histoire, le Canada, nous l'avons vu, n'en manque pas. Il doit assurer une cohabitation harmonieuse entre des groupes au passé et aux intérêts très différents : autochtones, peuples fonda- teurs, minorités. Il continue sa marche vers l'Ouest et le Nord mais doit confronter non seulement la pauvreté de l'Est et le nationalisme du Québec mais également l'at- traction des États-Unis. Sorti récemment de son passé semi-colonial, il n'a pas encore réglé les divisions léguées par le passé. Le Canada est-il gouvernable ?

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CONCLUSION

Le Canada est un défi à la logique. Il aurait pu se révolter avec les Américains, devenir une partie des États-Unis où une minorité de langue française aurait fini par disparaître. Il aurait pu également se constituer en plusieurs États séparés. Le fait est que malgré ou à cause des États-Unis, malgré la longueur et les difficul- tés de communication entre l'Est et l'Ouest, malgré la dualité franco-britannique, le Canada existe. Qu'il soit remis en question ne fait que prouver son existence. Politiquement, le Canada présente un paradoxe : État en crise perpétuelle, il garde un respect profond des valeurs démocratiques.

I. — Le paradoxe canadien : une société en crise perpétuelle...

Psychodrame et sociodrame sont des moyens utili- sés pour régler des problèmes d'ordre psychologique et social. Pour régler ses problèmes politiques, le Canada utilise le politicodrame. C'est un jeu permanent où les acteurs politiques, suivant des règles du jeu précises, s'évertuent à recréer le système politique canadien.

L'interminable saga constitutionnelle ne sera jamais pleinement résolue. Il est dans la nature du fédéralisme d'être conflictuel : remise en cause de la répartition des pouvoirs en fonction de l'évolution de la société, de ses demandes d'interventions gouvernementales dans de nouveaux domaines, des changements technologiques,

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des rapports de force, etc. Il n'y a aucune chance que le Canada ne devienne un système politique à l'identifica- tion univoque. Les adversaires du multiculturalisme lui reprochent de faire des Canadiens des êtres hybrides : Canadien et Chinois, Canadien et Italien, Canadien et Noir, Canadien et Latino-Américain, etc. Ils oublient qu'avant le multiculturalisme il y avait déjà des Canadiens anglais et des Canadiens français et que les autochtones avaient un statut particulier. Contrairement à la majorité des États, le Canada n'im- pose pas une définition unitaire ; il reconnaît la légiti- mité du maintien des cultures originelles non seule- ment dans la sphère privée mais également dans la sphère publique. C'est peut-être une faiblesse étatique, c'est une force démocratique.

Peut-on modifier la Constitution ? Plusieurs solu- tions ont été proposées, chacune présentant ses pro- pres difficultés. Deux groupes réclament des change- ments. Le Québec est différent de facto mais on n'a pas encore trouvé le moyen de traduire cette différence de jure. Les autochtones présentent un problème plus délicat et plus difficile car ils constituent des sociétés aux caractéristiques originales, ont des droits spécifi- ques reconnus par le système politique canadien et aussi, de plus en plus, par le droit international. On a parlé de fédéralisme asymétrique où toutes les pro- vinces n'auraient pas les mêmes juridictions, permet- tant ainsi au Québec d'avoir plus de pouvoir que les autres provinces. Une autre voie possible est de trans- former la pratique constitutionnelle sans amender for- mellement la constitution. Les tenants de cette option visent tous à réduire le rôle du gouvernement fédéral au profit des gouvernements provinciaux. Les juridic- tions partagées passeraient aux provinces comme les forêts, les mines, le tourisme... Le gouvernement cana- dien ne présenterait pas trop de réticence à un tel

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transfert étant donné qu'il cherche à régler le déficit chronique des finances publiques. Un cas typique a été le transfert récent de la formation de la main-d'œuvre de la sphère fédérale à la provinciale. Les politiques et les programmes de formation de la main-d'œuvre sont un mélange de grands principes, d'analyse de la for- mule la plus efficace pour obtenir de bons résultats, de concurrence entre les gouvernements pour le contrôle d'une source de fonds permettant d'établir de bonnes relations avec les entreprises. Après d'interminables discussions qui ont duré plus de trente ans, un accord a été atteint, le 21 avril 1997, entre le Canada et le Québec : la responsabilité de la formation de la main- d'œuvre sera dorénavant de juridiction provinciale et un transfert de fonds permettra au Québec d'en assurer le fonctionnement. Cet accord est typiquement cana- dien : chacun peut affirmer qu'il a gagné et que l'autre a tort. Faut-il insister sur la longueur des négociations, preuve de la lourdeur et de l'inefficacité du système politique canadien, ou sur le fait que deux gouverne- ments dont l'objectif est la défaite sinon la destruction de l'autre aient pu s'entendre sur une nouvelle réparti- tion des tâches et de l'utilisation des deniers publics, preuve de la souplesse et de l'ingéniosité du système politique canadien ? D'autres provinces, comme la Colombie britannique qui refuse que le Québec jouisse d'un traitement différent, sont en cours de négociation d'accords similaires.

Bref les propositions de modifications constitution- nelles semblent s'inspirer de la boutade de l'humoriste Yvon Deschamps, «un Québec fort dans un Canada uni », que l'on peut étendre à l'Ouest, aux autoch- tones, etc. Le système politique et la culture politique du Canada peuvent sans doute s'accommoder d'un transfert de pouvoirs aux régions à la condition de gar- der un rôle, surtout économique, au gouvernement

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fédéral pour éviter que le tout ne devienne une colonie américaine.

Toutes ces propositions s'inscrivent dans un cadre précis, celui d'un combat de chefs. Étant donné la concentration des pouvoirs entre les mains des Premiers ministres, leur volonté de garder et gagner le maximum de moyens d'action, la personnalisation du pouvoir, la complexité du système politique canadien, la saga cons- titutionnelle semble intéresser en permanence les diri- geants et de façon intermittente les dirigés. Quand les citoyens se mêlent d'avoir des initiatives, ils se font remettre au pas. Au Québec une nouvelle tradition veut que les multiples demandes des militants du Parti qué- bécois soient rejetées, au nom du grand jour où le réfé- rendum sera gagné, par les Premiers ministres péquistes. Au Canada, c'est à l'initiative d'un citoyen originaire de l'Inde qu'un défilé est organisé dans le centre de Montréal pour marquer le 1 juillet, fête nationale du Canada. Le gouvernement canadien n'avait pas réussi ou même essayé sérieusement de le faire. Devant le succès croissant de cette manifestation, le gouvernement a voulu, en 1996, la prendre en main sans même y inviter son initiateur. Devant les protestations, il a dû recon- naître le rôle du citoyen. La participation des citoyens à la vie politique canadienne est canalisée par tout un système au service des Premiers ministres.

Il n'est donc pas étonnant que pour maintenir un équilibre entre les différentes parties du pays, les divers groupes, les divers intérêts, le système politique cana- dien ait favorisé la participation collective plutôt qu'individuelle, ait conservé une grande importance aux droits collectifs. Les corps intermédiaires remplis- sent une double tâche : canaliser les demandes des citoyens, servir de courroies de transmission aux auto- rités. La crise est sans fin mais les risques du dérapage limités par un réseau étroit de collectivités.

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II. — ... et une démocratie consensuelle

Les dérapages sont effectivement très rares au point que dans un pays aussi fracturé que le Canada, les recours à la violence sont exceptionnels. La quasi-tota- lité de l'opinion publique, y compris ceux qui sympa- thisent avec les revendications des groupes qui ont recours à la violence, condamne toute violation des normes démocratiques. Ceci s'est manifesté lors de la crise d'octobre 1970 à Montréal. Le Front de Libéra- tion du Québec, groupuscule qui avait déjà utilisé la violence - attaques à main armée de banques, bombes -, avait, cette fois, enlevé un diplomate britan- nique, Richard Cross, et assassiné un ministre québé- cois, Pierre Laporte. A la demande du gouvernement provincial, Ottawa utilisa la Loi des mesures de guerre. Cette loi permet de suspendre certaines liber- tés, donne des pouvoirs exceptionnels à l'armée pour répondre à une attaque ennemie ou une insurrection appréhendée. La situation était tellement surprenante qu'aucune autre mesure légale n'était disponible. Le législateur n'avait pas prévu que la société canadienne puisse être confrontée au terrorisme. La réaction de l'opinion publique québécoise a été très canadienne. A l'exception d'une petite minorité pure et dure, l'im- mense majorité a accepté que l'État prenne les grands moyens pour lutter contre le terrorisme. Ce n'est pas tant l'objectif officiel du FLQ, l'indépendance du Qué- bec, qui rebutait les citoyens que l'utilisation de moyens violents. Ceci n'a pas empêché les Québécois d'élire six ans plus tard un gouvernement indépendan- tiste. Une option considérée comme inadmissible dans d'autres démocraties est considérée comme acceptable à la condition expresse qu'elle respecte le cadre démo- cratique. Dans le même ordre d'idées, la crise amérin- dienne de l'été 1990 avec blocus des voies de communi-

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cation, présence d'hommes masqués et armés, mort d'un soldat, a suscité une réprobation générale de la quasi-totalité des Canadiens, y compris un grand nombre d'autochtones qui revendiquent un nouveau statut au Canada. Ceci n'a pas empêché les Canadiens de reconnaître que les Amérindiens avaient des plaintes légitimes contre la place que leur accorde le système politique canadien. A nouveau, les Canadiens témoignaient de leur capacité à avoir un esprit ouvert lorsqu'il s'agit de revendications et à exprimer un refus total des moyens non démocratiques. Les condamna- tions des dérapages ne sont pas seulement rituelles. Elles reflètent une identification profonde de la société, malgré ses divisions, avec le processus démocratique.

Où, ailleurs qu'au Canada, un leader politique qui prône la sécession peut-il devenir Leader de l'Opposi- tion, poste officiel à la fois symbolique et qui donne des pouvoirs concrets à son titulaire ? Où, ailleurs qu'au Canada, un mouvement qui veut former un État nouveau, se sent-il obligé de prouver sa légitimité par un recours aux bulletins de vote? Où, ailleurs qu'au Canada, des leaders autochtones qui réclament des changements majeurs sont-ils prêts à négocier longue- ment et à faire ratifier par un vote des accords éven- tuels? Où peut-on avoir des distances telles et des antagonismes régionaux aussi aigus et vibrer unanime- ment lorsqu'un Canadien gagne une médaille olym- pique ? On a l'impression que le Canada et ses multi- ples composantes jouent à se faire peur en sachant que les risques sont faibles étant donné que les règles du jeu sont acceptées par tous, règles démocratiques.

Mackenzie King, Premier ministre de 1921 à 1930 et de 1935 à 1948, disait que certains pays ont trop d'his- toire et le Canada trop de territoire. On serait tenter d'ajouter que le Canada a trop de politique et pas assez d'administration. Les conférences fédérale-pro-

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vinciales des Premiers ministres et des ministres sont l'occasion de spectacles où les politiciens s'accusent mutuellement et où chacun cherche à marquer des points. Les rencontres entre fonctionnaires, sous- ministres et fonctionnaires responsables de dossiers, loin des feux de l'actualité, sont l'endroit où s'élabo- rent des solutions pratiques. Un citoyen canadien n'est couvert par sa carte d'assurance-maladie provinciale que grâce à des accords et à des ajustements per- manents entre les provinces et entre celles-ci et le gou- vernement canadien. Ces multiples ententes inter- provinciales et fédérales-provinciales sont du ressort de l'administration publique. Or c'est l'administra- tion publique, la gestion inévitablement consensuelle - malgré les apparences - des multiples politiques qui affectent le pays et l'ensemble de ses citoyens, qui constitue l'ossature qui permet au système politique canadien de fonctionner.

Le système politique canadien est peu banal. Par pudeur et par respect des traditions, il utilise une ter- minologie désuète et peu compréhensible. Par goût et pour s'adapter aux réalités nouvelles, il utilise le politi- codrame. Par choix et pour être fidèle à l'image qu'il a de lui-même, il utilise la démocratie.

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Le document de base du système politique canadien est la Loi constitu- tionnelle de 1982 qui comprend La Charte canadienne des droits et libertés et la version amendée de ce qui était jusqu'alors l ' de l'Amérique du Nord britannique. Ce texte se trouve dans l' Annuaire du Canada.

L'Annuaire du Canada, comme son nom l'indique, est publié annuelle- ment et fournit une masse de renseignements sur le Canada, sa popula- tion, sa géographie, son gouvernement, son économie, son com- merce, etc. Publié depuis 1886, avec une interruption de 1982 à 1985, il n'est plus publié que tous les deux ans depuis 1988. Il comprend une sec- tion sur l'organisation officielle des pouvoirs publics au Canada.

Les rapports des Commissions royales d'enquête exercent une influence plus ou moins marquée selon les cas. Connus sous le nom de leurs présidents, plusieurs de ces rapports débordent le cadre de leurs mandats. Ils sont une source de renseignements et de réflexions sur diffé- rents aspects du système politique canadien et fournissent une bonne indication de la vision que le Canada a de lui-même à diverses périodes. Particulièrement révélateurs sont les rapports suivants :

Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (Lau- rendeau-Dunton), 1967-1970.

Commission royale d'enquête sur les relations fédérales-provinciales (Ro- well-Sirois), 1940.

Commission royale sur l' union économique et les perspectives de développe- ment du Canada (Macdonald), 1985.

Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, 1991.

Commission royale sur les peuples autochtones (Dussault), 1996.

En 1985, Mel Hurtig a publié, avec l'appui du gouvernement de l'Al- berta, ce qui est devenu le meilleur ouvrage de référence pour tout ce qui concerne le Canada : The Canadian Encyclopedia, Hurtig Publishers Ltd, 1985, en trois volumes. Une seconde édition a paru en 1986. La version française, L'Encyclopédie du Canada, Éditions internationales A. Stanké, 1987, comprend de nombreux ajouts sur le Québec.

Les ouvrages portant spécifiquement sur le système politique canadien sont presque tous de langue anglaise. Ceux en français traitent du Canada et du Québec ; ils donnent autant d'importance sinon plus au Québec qu'au Canada et limitent les relations fédérales-provinciales au seul cas des relations Ottawa-Québec.

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Campbell C. et Szablowski G. J., The Superbureaucrats : Structure and Behaviour in Central Agencies, Macmillan, 1979.

Doerr A., The Machinery of Government in Canada, Methuen, 1980. Hockin T. A. (éd.), Apex o f Power, The Prime Minister and Political Lea-

dership in Canada, Scarborough, Prentice-Hall, 1971. Porter J., The Vertical Mosaic, Toronto, University of Toronto Press,

1965. Tremblay M. et Pelletier M. R. (éds), Le système parlementaire canadien,

Sainte-Foy, Les Presses de l'Université Laval, 1996.

Certains ouvrages portent sur des aspects particuliers du système poli- tique canadien. Nous avons retenu des parutions récentes.

Bakvis H. (éd.), Les partis politiques au Canada, représentativité et inté- gration, Toronto, Dundurn Press, 1991.

Bauer J., Les minorités au Québec, Montréal, Boréal, 1994 (malgré son ti- tre, le livre présente les politiques fédérales et provinciales s'appliquant aux minorités).

Brière M. (éd.), Le goût du Québec, l'après-référendum 1995, Hurtubise HMH, 1996 (17 contributions sur la situation une année après le référen- dum de 1995).

Dupuis R., La question indienne au Canada, Montréal, Boréal, 1991 (ce li- vre présente l'histoire et le statut juridique des Indiens, leurs revendica- tions et les réponses du Canada).

Hawkins F., Canada and Immigration, Public Policy and Public Concern, Kingston, McGill-Queens University Press, 1972 (nouvelle édition en 1992 avec une brève mise à jour portant sur la période 1972-1986).

Linteau P. A., Histoire du Canada, PUF, «Que sais-je? », 1994. Redonnet J.-C., Le Canada, PUF, « Que sais-je ?», 1996.

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B I B L I O G R A P H I E T H É M A T I Q U E « Q U E S A I S - J E ? »

Les régimes politiques, n° 289 Les partis politiques aux États-Unis, n° 2350 Les partis politiques en Europe, n° 1733 Le financement de la vie politique, n° 2550 L'alternance au pouvoir, n° 2459 Le Canada, n° 1098 Histoire du Canada, n° 232