Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

287
Université des sciences et technologies de Lille Faculté des sciences économiques et sociales Ecole doctorale des sciences économiques et sociales Laboratoire Trigone Thèse pour obtenir le grade de Doctorat de l’Université des sciences et technologies de Lille I Sciences de l’Education Option : Sociologie de l’Education Présentée et soutenue publiquement par Jean-Mermoz NAMYOUÏSSE le 14 Mai 2007 Le Système éducatif et les abandons scolaires en Centrafrique : Cas de la Région de l’Ouham Directeur de la thèse : M. Paul DEMUNTER, Professeur Emérite, université Lille 1 Membres du jury : M. Raymond BOURDONCLE, Professeur Emérite, Université de Lille III, Rapporteur M. Pierre-Philippe REY, Professeur des universités, Paris 8, Rapporteur Mme. Marie-Christine PRESSE, Maître de Conférence, Lille 1, M. Paul DEMUNTER, Professeur Emérite, Lille 1

Transcript of Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

Page 1: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

Université des sciences et technologies de Lille Faculté des sciences économiques et sociales

Ecole doctorale des sciences économiques et sociales

Laboratoire Trigone

Thèse

pour obtenir le grade de

Doctorat de l’Université des sciences et technologies de Lille I

Sciences de l’Education

Option : Sociologie de l’Education

Présentée et soutenue publiquement par

Jean-Mermoz NAMYOUÏSSE

le 14 Mai 2007

Le Système éducatif et les abandons scolaires en Centrafrique : Cas de

la Région de l’Ouham

Directeur de la thèse :

M. Paul DEMUNTER, Professeur Emérite, université Lille 1 Membres du jury :

M. Raymond BOURDONCLE, Professeur Emérite, Université de Lille III, Rapporteur

M. Pierre-Philippe REY, Professeur des universités, Paris 8, Rapporteur

Mme. Marie-Christine PRESSE, Maître de Conférence, Lille 1,

M. Paul DEMUNTER, Professeur Emérite, Lille 1

Page 2: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

2

" Savoir lire et écrire est la seconde conquête de l’humanité après le langage. Echouer dans

l'alphabétisme, baisser les bras devant l'ampleur des efforts à faire pour rendre l'Education

accessible à tous, serait denier aux individus leur qualité d'être humain."

Professeur BHOLA H.S., Expert à l'UNESCO

Page 3: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

3

A la mémoire de :

Mon père,

Mon grand-frère

A ma mère pour tout le courage et le sacrifice consentis pour notre Education,

A mon épouse pour toute la compréhension et le soutien indéfectibles.

Page 4: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

4

Remerciements À Monsieur Le Professeur Paul DEMUNTER, mon Directeur de thèse, Je vous exprime ma profonde reconnaissance pour l’intérêt et de la spontanéité avec lesquels

vous aviez accepté de diriger ce travail.

Votre rigueur scientifique, votre connaissance de la problématique de l’Education en Afrique et votre

disponibilité ont été déterminantes dans la qualité et l’aboutissement de cette thèse. Même si

j’assume l’entière responsabilité des erreurs évidentes liées à ce de type recherche.

Je vous prie de croire en l’expression de mon profond respect.

À Monsieur Le Professeur Raymond BOURDONCLE,

C’est grâce à vous que cette thèse a pu être engagée à un moment où le doute était là, et que je

m’apprêtais à rentrer en Centrafrique. Votre engagement pour cette thèse me marquera à jamais.

Veuillez croire, que cette thèse, comme vous me l’aviez écrit, «…est une suite plus normale de

notre DEA commun ».

Recevez ma profonde gratitude.

A

Tous mes professeurs de l’Université de Bangui, particulièrement, Messieurs Isaac BENGUEMALET, Jean-Paul DANAGORO et Nouri MOUKADAS… J’ai observé et appris en vous le sens du devoir, l’envie de former, encore former pour véhiculer

cette « perverse sociologie » méconnue et mal comprise alors en Centrafrique. Aujourd’hui, vos

efforts sont payants : tout le monde « parle sociologie » enfin.

Ce modeste travail est l’un des résultats de vos efforts.

Recevez ici ma sincère et profonde reconnaissance.

Je tiens également à remercier ici : - Monsieur Le Professeur Nicolas VANECLOO, Directeur de l’école doctorale des sciences

économiques et sociales de Lille1. Vos conseils et votre disponibilité pour nous recevoir étaient un gage d’assurance et de quiétude pour mener à terme cette recherche. Recevez ici ma profonde gratitude.

Page 5: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

5

- La Directrice du laboratoire Trigone, Lille1, Madame Le Professeur Véronique LECLERCQ, vos conseils à la fin de cette recherche nous sont d’une grande importance et nous situent sur la suite à donner quant à nos perspectives de recherches. Nous vous en sommes très reconnaissant.

- Le Secrétariat de l’UFR, Sciences de l’Education de Lille1. Je pense particulièrement à Madame Jocelyne PROVENSAL et Mademoiselle Mélanie CHARPENTIER. Votre disponibilité, votre accueil, vos encouragements m’ont été d’un grand réconfort. Recevez ici ma sincère reconnaissance.

- PUDL/CNRS de Lille pour l’ordinateur, le bureau et le logiciel de traitement de données. - La population de l’Ouham et particulièrement les personnes qui ont bien voulu répondre à mes

questionnaires. - L’inspection fondamentale 1 de l’Ouham (Bossangoa) pour avoir mis à ma disposition les

archives disponibles.

Page 6: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

6

Ce travail que je présente a bénéficié de la contribution de nombreuses personnes. Les citer toutes serait fastidieux et j’en oublierai. C’est donc à tous et sans omission que j’adresse mes sincères remerciements. Je ferai une exception dans ma décision de taire certains noms : Madame et Monsieur WALCH, merci pour tout ce que vous avez fait pour nous (nos six frères et une sœur) à une période difficile de notre scolarité. Votre aide nous a donné une base et nous a épargné des abandons scolaires que nous traitons aujourd’hui. Veuillez retrouver à travers cette thèse le fruit de ce que vous avez semé. Recevez notre sincère gratitude. Joël MOYNIEZ et Josette BRASSART. Cette thèse est le résultat de notre lutte commune. Recevez ici ma sincère reconnaissance. Madame Anne-Marie CATTELAIN LE DU, vos soutiens, Vos encouragements, votre admiration pour tout ce que j’entreprends pour mon pays la République Centrafricaine, me valorisent et ne m’autorisent pas à baisser les bras… Recevez ici ma profonde reconnaissance. La famille DE CRAECKE, je vous remercie de tous vos soutiens sans réserve. Veuillez trouver dans cette thèse l’expression de notre sincère reconnaissance. La famille BUNT, encore une fois de plus, je vous témoigne ma profonde reconnaissance. La famille Vantilcke (Beck-sur-Mer) et la famille Duban (d'Hellemmes, de Le Quesnoy). Votre aide, Vos soutiens et votre disponibilité m’ont porté jusqu’à l’aboutissement de cette thèse. Veuillez recevoir ma profonde reconnaissance. Enfin à tous mes amis, à mes frères et sœur qui m’ont écrit depuis Centrafrique pour me soutenir durant ces années d’études.

Page 7: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

7

Table des matières Tables des graphiques …………………………………………………………………………….12 Introduction générale …………………………......................................................................14 1-Objet d’étude…………………………………………………………………………………….….17 2-Contextualisation de cette recherche…………………………………………………………….17 2-1 Raisons scientifique et professionnelles………………………………………………………18 2-2 Raisons sociologiques…………………………………………………………………………..18 3- La question centrale et l’hypothèse centrale…………………………………………………..19 3-1 Question centrale………………………………………………………………………………...19 3.2 Hypothèse centrale………………………………………………………………………………20 3.2.1 Sous hypothèses……………………………………………………………………………….21 4- Plan de thèse………………………………………………………………………………………22 5- Choix de méthodes et de cadre de réforme théorique………………………………………...22 5.1 La méthode génétique…………………………………………………………………………...22 5.2 Théorie des représentations……………………………………………………………………23 5.3 La recherche participative………………………………………………………………………24 5.4 Technique d’Itération…………………………………………………………………………….24 6- Choix des techniques…………………………………………………………………………… 25 6.1 Les indices de vérification des hypothèses……………………………………………………25 6.2 Types de données à rassembler……………………………………………………………….25 Chapitre I : La situation de l’enseignement en République Centrafricaine ………………………………………………………………………………………………………….29 Introduction…………………………………………………………………………………………..29 1.1 Cadre Historique………………………………………………………………………………….29 I.2 La scolarisation et son évolution dans les premières années de l’indépendance ………………………………………………………………………………………………………….35 I.3 Cadre politique et les abandons scolaires……………………………………………………..45 I.4 Les troubles sociopolitiques et les abandons scolaires……………………………………..48 I.5 Situation géographique et les abandons scolaires……………………………………………56 1.5.1 Aspects physiques…………………………………………………………………................56 1.5.2 Aspects socioéconomiques et les abandons scolaires…………………………………….57 1.5.2.1 Aspect social et les abandons scolaires………………………………………………….57 1.5.2.2 Aspect économique et les abandons scolaires………………………………………….59

Page 8: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

8

Conclusion……………………………………………………………………………………………62 Chapitre II : La fréquentation et les abandons scolaires au niveau national ………………………………………………………………………………………………………….64 Introduction………………………………………………………………………………………….64 2.1 Le système éducatif et les abandons scolaires………………………………………………64 2.1.1 Les principaux actes de la réforme………………………………………………………….65 2.1.2 Les objectifs de la réforme……………………………………………………………………65 2.1.3 Programmes élaborés pour soutenir la réforme……………………………………………66 2.1.3.1 L’enseignement préscolaire………………………………………………………………..66 2.1.3.2 L’enseignement fondamental1…………………………………………………………….66 2.1.4 Organisation de l’enseignement……………………………………………………………...68 2.2 Enseignement préscolaire et les abandons scolaires………………………………………..69 2.3 L’Enseignement primaire et les abandons scolaires…………………………………………73 2.4 L’origine historique de la région de l’Ouham : Migration et peuplement…………………...80 2.4.1 Migration Gbaya………………………………………………………………………………..81 2.4.2 Gbaya, Gbeya ou Gbéa……………………………………………………………………….82 2.4.3 Migration Mandjia………………………………………………………………………………85 2.4.4 Migration Banda………………………………………………………………………………..85 2.4.5 Migration Sara………………………………………………………………………………….86 2.5 Evolution de la population de l’Ouham………………………………………………………...88 2.5.1 La conception de la mort dans la région de l’Ouham………………………………………89 2.6 Délimitation spatiale et les abandons scolaires……………………………………………….90 2.6.1 Le milieu physique……………………………………………………………………………..92 2.6.2 Le relief………………………………………………………………………………………….92 2.6.3 Les sols………………………………………………………………………………………….92 2.6.4 Les climats………………………………………………………………………………………92 2.6.5 L’hydrographie………………………………………………………………………………….93 2.6.6 La végétation…………………………………………………………………………………..94 2.6.7 Le calendrier agricole et les abandons scolaires…………………………………………...95 2.6.8 Les activités secondaires et les abandons scolaires………………………………………96 2.6.8.1 La chasse et les feux de brousse…………………………………………………………96 2.6.8.2 La pêche………………………………………………………………………………………97 2.6.8.3 La cueillette…………………………………………………………………………………..98

Page 9: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

9

2.6.8.4 L’élevage……………………………………………………………………………………...98 2.6.8.5 L’artisanat…………………………………………………………………………………….99 2.7 Education traditionnelle………………………………………………………………………..100 2.7.1 Le rite de passage : La socialisation……………………………………………………….100 2.7.2 Renforcement de l’initiation : Cas de la circoncision…………………………………….102 2.7.3 L’initiation dans le processus de socialisation…………………………………………….104 2.8 La situation scolaire et les abandons scolaires dans la région de l’Ouham ………………………………………………………………………………………………………...108 2.9 Délimitation au niveau sociologique…………………………………………………………..116 Conclusion………………………………………………...………………………………………..117 Chapitre III : Méthodologie de la recherche………………………………..…………………120 Introduction ………………………………………………………………………………………...120 3.1 Problématique…………………………………………………………………………………..121 3.2 Deux notions centrales à définir : « système éducatif » et « abandon scolaire » ………………………………………………………………………………………………………...134 3.2.1 La notion de «système éducatif »…………………………………………………………..134 3.2.2 La notion « abandon scolaire »……………………………………………………………..135 3.3 Les règles de méthode retenues et leur justification………………………………………..140 3.3.1 De l’origine aux différences terminologiques du phénomène……………………………141 3.3.2 Les typologies d’abandon scolaire………………………………………………………….150 3.4 Les techniques de collectes des données et leur justificatif……………………………….154 3.4.1 Champ de recherche…………………………………………………………………………154 3.4.2 Recherche documentaire……………………………………………………………………155 3.4.3 Les contacts…………………………………………………………………………………..156 3.4.4 L’observation………………………………………………………………………………….156 3.4.5 Le questionnaire………………………………………………………………………………156 3.4.6 Entretiens semi directifs……………………………………………………………………..158 3.4.7 Témoignages………………………………………………………………………………….159 3.4.8 L’Echantillonnage…………………………………………………………………………….159 3.4.9 Traitement de données………………………………………………………………………162 3.5 La démarche concrète de recherche…………………………………………………………162 3.6 Les difficultés……………………………………………………………………………………163 Conclusion………………………………………………………………………………………….163

Page 10: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

10

Chapitre IV : Les groupes cibles et les abandons scolaires : Analyse des données recueillies……………………………………………………………………………………………166 Introduction .........................................................................................................................166 4.1 Le premier groupe cible et les abandons scolaires…………………………………………166 4.1.1 Identification…………………………………………………………………………………..167 4.1.2 Les caractéristiques………………………………………………………………………….168 4.1.2.1 L’âge d’abandon scolaire………………………………………………………………….169 4.1.2.2 Le niveau scolaire et abandon scolaire…………………………………………………171 4.1.2.3 Le sexe et les abandons scolaires……………………………………………………….174 4.1.2.4 Catégorie socioprofessionnelle et le niveau scolaire………………………………….175 4.2 Le système éducatif comme une cause des abandons scolaires……………………….. 179 4.3 Les crises sociopolitiques et la religion comme causes des abandons scolaires……….184 4.4 Les paramètres socioéconomiques comme causes des abandons scolaires ………………………………………………………………………………………………………...192 Conclusion …………………………………………………………………………………………199 Chapitre V : Abandons scolaires et les effets de la scolarisation ……………………….202 Introduction ………………………………………………………………………………...………202 5.1 Les conséquences des abandons scolaires……………………………………………...….203 5.1.1 Au niveau individuel et sociologique………………………………………………………..204 5.1.2 Au niveau psychologique…………………………………………………………………….207 5.1.3 Au niveau de la collectivité…………………………………………………………………..208 5.2 Niveau scolaire et illettrisme…………………………………………………………………..210 5. 3 Niveau scolaire et santé……………………………………………………………………….215 5.3.1 Niveau scolaire et prévention……………………………………………………………….218 5.4 Niveau scolaire et culture………………………………………………………………………222 5.5 Niveau scolaire et engagement communautaire…………………………………………….224 5.6 Niveau scolaire et représentations de l’école………………………………………………..228 5.7 Frustrations quotidiennes et l’abandon scolaire……………………………………………..229 5.4.2 Niveau scolaire et alphabétisation………………………………………………………….232 Conclusion …………………………………………………………………………………………234

Page 11: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

11

Chapitre VI Les motivations scolaires …………………………….......................................236 Introduction…………………………………………………………………………………………236 6.1 Identification des scolarisés……………………………………………………………………236 6.1.1 Le sexe et scolarisation……………………………………………………………………...237 6.1.2 Age et scolarisation…………………………………………………………………………..238 6.1.3 Niveau scolaire………………………………………………………………………………..240 6.1.4 Religion et la scolarisation…………………………………………………………………..242 6.1.5 Nombre de frères et sœurs et la scolarisation…………………………………………….244 6.1.6 Niveau scolaire des frères et soeurs et la scolarisation………………………………….245 6.1.7 Niveau d'études des parents et la scolarisation…………………………………………..247 6.1.8 La profession des parents et la scolarisation……………………………………………...249 6.1.9 Cadre de vie et scolarisation………………………………………………………………250 6.1.10 Fin d'études………………………………………………………………………………….252 6.1.11 Causes d’une courte scolarité……………………………………………………………..253 6.1.12 Motivations d’une longue scolarité………………………………………………………..253 6.1.13 Les scolarisés et les représentations des abandons scolaires……………………….254 6.1.14 Les scolarisés et les causes des abandons scolaires…………………………………..255 6.2 Les parents d’élèves et les abandons scolaires…………………………………………….257 6.2.1 Identification…………………………………………………………………………………..258 6.2.2 Nombre d'enfants à charge et les abandons scolaires…………………………………...259 6.2.3 Surcharges familiales et les abandons scolaires………………………………………….260 6.2.4 Les parents d’élèves et les présentations des abandons scolaires…………………….263 6.2.5 Les parents d’élèves et les causes des abandons scolaires…………………………….265 6.2.6 Ecole actuelle…………………………………………………………………………………267 6.2.7 Les parents d’élèves et type d'école souhaité…………………………………………….269 6.2.8 Solutions aux abandons scolaires………………………………………………………….271 Conclusion………………………………………………………………………………………….273 Conclusion générale………………………………………………………………………………274 Bibliographie………………………………………………………………………………………..278 Listes des sigles Annexes

Table des graphiques

Page 12: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

12

I- Tableaux de la situation générale de l’éducation en Centrafrique Tableau1 : Evolution de la scolarisation de 1961-1971……………………………………………………...38 Tableau 2 : Les écarts de la progression scolaire……………………………………………………………40 Tableau 3 : Dépense de l’Education..............................................................................58 Tableau 4 : Répartition des effectifs entre les inspections………………………………………..71 Tableau 5 : Effectif des élèves, des enseignants et nombre d’écoles bâtiments de, de salles de classes par Inspection d’Académie………………………………………73 Tableau 6 : Ratio de livres de lecture, de calcul et places assises par Inspection d’Académie ……………………………………………………………………………………………………………………..76 Tableau 7 : Taux de scolarisation par Inspection d’Académie………………………………………………77 Tableau 8: Les taux d’abandons scolaires au niveau national……………………………………………...78 Tableau 9 : Moyenne annuelle des températures…………………………………………………………….93 Tableau 10 : Modification de la carte scolaire au moment de l’enquête………………………………….108 Tableau 11 : Les bâtiments scolaires………………………………………………………….....109 Tableau 12 : Les locaux du personnel enseignant et la nature du logement……………… 110 Tableau 13 : Les mobiliers scolaires……………………………………………………………111 Tableau 14 : La répartition de matériels didactiques……………………………………………112 Tableau 15 : Répartition des écoles selon le cycle……………………………………………...113 Tableau 16 : Répartition de salles de classes, classes pédagogiques et des enseignants ………………………………………………………………………………………………………...115 II- Tableaux du groupe cible 1 : Les enquêtés ayant abandonné l’école au moment de l’enquête Tableau 17 : Groupes d’enquêtés…………………………………………………………161 Tableau 18 : Age et abandons scolaires………………………………………………….169 Tableau 19 : Niveau scolaire et abandons scolaires…………………………………….171 Tableau 20: Le sexe et les abandons scolaires……………………………………………………………..174 Tableau 21 : Catégorie socioprofessionnelle et le niveau scolaire……………………………………….176 Tableau 22: Le système éducatif et les abandons scolaires……………………………………………181 Tableau 23: Les crises sociopolitiques, religion et les abandons scolaires………………………………185 Tableau 24 : Les paramètres socio économiques et les abandons scolaires……………………………193 Tableau 25: Niveau scolaire et illettrisme……………………………………………………......210 Tableau 26: Niveau scolaire et Santé………………………………………………………………...216 Tableau 27: Niveau scolaire et prévention………………………………………………………….219 Tableau 28: La culture………………………………………………………………………223 Tableau 29 : Niveau scolaire et engagement communautaire……………………………………..224 Tableau 30: Niveau scolaire et représentations de l’école……………………………...228 Tableau 31 : Frustrations quotidiennes et les abandons scolaires…………………….229 Tableau 32: Niveau scolaire et alphabétisation……………………………………………………………..233 III- Tableaux de groupe cible 2 : Les scolarisés au moment de l’enquête Tableau 33: Sexe et scolarisation…………………………………………………………………………….237 Tableau 34: Age et scolarisation………………………………………………………………………239 Tableau 35: Niveau de scolaire des enquêtés………………………………………………………………241 Tableau 36 : Religion et la scolarisation……………………………………………………………………..242 Tableau 37: Nombre de frères et sœurs et la scolarisation………………………………………………..244 Tableau 38 : Niveau scolaire des frères et soeurs et la scolarisation…………………………………….246 Tableau 39: Niveau d'études des parents et la scolarisation des enquêtés……………………………..247 Tableau 40: La profession des parents et la scolarisation…………………………………………………249 Tableau 41 : Cadre de vie et fréquentation scolaire………………………………………………………..251

Page 13: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

13

Tableau 42 : Scolarité et fin d'études…………………………………………………………………………252 Tableau 43: Les scolarisés et les abandons scolaires……………………………………………………..256 IV- Tableau du groupe cible 3 : Les parents d’élèves Tableau 44: Le sexe……………………………………………………………………………………………258 Tableau 45: Scolarité des enfants et les abandons scolaires…………………………………………......259 Tableau 46: Surcharges familiales et les abandons scolaires……………………………………………..261 Tableau 47: Représentations des abandons scolaires……………………………………………………..263 Tableau 48 : Les parents d’élèves et les causes des abandons scolaires………………………………265 Tableau 49: Les parents d’élèves et l’école actuelle………………………………………………………..268 Tableau 50 : Type d’école souhaité…………………………………………………………………………..270 Tableau 51: Solutions aux abandons scolaires……………………………………………………………..272

Page 14: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

14

Introduction générale L’humanité s’est résolument tournée vers une nouvelle civilisation : celle née de ce qu’il est convenu d’appeler la mondialisation…de l’économie. Mais face à cette nécessité, voire cette injonction, d’adopter des normes communes, notamment en matière d’éducation, tous les pays ne sont pas sur le même pied d’égalité, ils n’ont pas à parcourir le même chemin pour y parvenir. Chaque pays a un « gabarit » différent, c’est à dire qu’il doit faire face à des problèmes qui n’existent pas tels quels dans les autres pays. Ainsi en est-il des abandons scolaires qui caractérisent l’éducation dans les pays en voie de développement. Tandis que, pour les pays développés aux structures scolaires en place, le phénomène de défection sera appelé tantôt déscolarisation et plus récemment décrochage scolaire. Une fracture éducative semble alors, dans ce contexte de mondialisation, se dessiner entre pays développés et pays en voie de développement. L’UNESCO, comme d’autres organisations internationales sont le fer de lance du slogan « l’Education pour Tous ». Des avancées notables sont à mettre à leur crédit mais force est de constater qu’en matière d’éducation, l’homme est toujours perfectible, c’est-à-dire qu’on peut, présentement, toujours mieux faire. L’éducation transforme les conditions de vie de ceux qui en bénéficient. Nous pensons, de plus, qu’il s’agit là d’une condition indispensable à un développement durable. Cette conscience qu’il faut développer l’éducation pour développer durablement une région, voire un pays, les gouvernements l’ont acquise, sans doute, mais face à la mondialisation et à la pauvreté séculaire, la compréhension de l’urgence des problèmes et la perception de la situation en matière d’éducation sont différentes suivant les pays. Alors qu’en France C. Allègre, alors ministre de l’Education Nationale, précisait le projet à tenir pour faire entrer l’école française dans le XXIème siècle, le Centrafrique se trouve encore confronté à un taux de scolarisation bas et à un phénomène des abandons scolaires important. Il est à craindre que, face à la mondialisation et aux défis de ce nouveau siècle en matière de commerce international notamment, certaines nations (Bien éduquées en la matière) soient les bénéficiaires exclusifs du processus tandis que d’autres deviennent les perdants de la mondialisation : « A travers la mondialisation privée et publique, les

visées hégémoniques et géopolitiques demeurent dans un monde à la fois unifié et

multipolaire. A bien des égards, cette nouvelle problématique alourdit encore les

contraintes qui pèsent sur nos « pays nains » déjà coincés entre les servages

Page 15: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

15

économiques et les infirmités culturelles qui affectent le métabolisme de base de nos

sociétés. L’alphabétisation piétine… »1

Les « pays nains » en question sont les pays en voie de développement de façon générale. Il y en a beaucoup en Afrique sub-saharienne dont la République Centrafricaine. Au lendemain de l’indépendance les Etats africains au Sud du Sahara accordèrent non seulement une priorité à l’éducation mais placèrent en elle un espoir de développement durable, tant il est entendu qu’un peuple : « maintenu à un faible niveau d’instruction ne

peut contribuer de manière significative au développement économique et socioculturel

du pays »2.

Dès 1963, les pays de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine, actuelle Unité Africaine) ont adopté un plan dit « plan d’Addis-Abeba », visant la scolarisation à 100% sur l’ensemble du continent en 1980. Mais arrivé à cette échéance, la majorité des pays africains ayant pris cet engagement : « n’ont guère dépassé un taux de

scolarisation de 25% »3. Quelles en sont les causes ? Nous en évoquerons certaines au chapitre premier quand nous aborderons la situation de l’enseignement en République Centrafricaine. En 1990 se déroule la conférence mondiale sur l’Education. Celle-ci aboutit à la Déclaration Universelle de l’Education pour Tous en l’an 2000. Tous les pays africains y étaient représentés et ont souscrit à cette déclaration. Cependant, une fois encore arrivé à cette échéance, plusieurs pays africains situés au sud du Sahara, n’ont guère franchi le seuil des 50% de taux de scolarisation. Aujourd’hui l’échéance a été repoussée en 2015. « C’est comme un mirage dans le

désert : plus on avance, plus l’oasis s’éloigne »4.

2015, c’est aussi l’échéance de l’un des objectifs pris de la part de la communauté internationale en 2000 au Sommet du Millénaire sur la disparité entre filles et garçons en matière d’éducation : « Eliminer la disparité entre les sexes dans l’éducation

primaire et secondaire avant 2005 et à tous les niveaux d’ici à 2015 ». Nous sommes en 2007, et les indicateurs des avancées vers cet objectif 2015 ne sont pas probants.

1 KI-ZERBO J., Préface, In MOUMOUNI A., L’Education en Afrique, Paris, Présence Afrique, 1998, p.7. 2NOMAYE M., Les politiques éducatives au Tchad, Paris, L’Harmattan, 2001, p.9. 3 Opus Cit., NOMAYE M., p.9. 4 DE RAVIGNAN A., « Education, une priorité menacée », In Magazine Faim Développement, avril 2000, p.13.

Page 16: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

16

A cet horizon des 100% de taux de scolarisation qui s’éloigne, il faut ajouter que ces pays connaissent un autre problème : celui des abandons scolaires c’est à dire les élèves scolarisés ne restent pas longtemps à l’école, ils l’abandonnent : « Dans le

monde on estime à 150 millions par an le nombre de jeunes qui quittent l’école sans

savoir lire ni écrire. Une véritable bombe sociale à retardement »5.

Nos inquiétudes ou notre inquiétude est de savoir comment désamorcer cette bombe ? Comment éviter d’autres bombes sociales à retardement ? Comment en sommes- nous arrivés à créer et cohabiter sans s’inquiéter de ces bombes sociales ? Quelles en sont les conséquences sur le processus de développement de ces « pays-terreaux » de bombes sociales, pays pauvres, déviés ou habillés et appelés pudiquement, pays en voies de développement et maintenant pays émergeants par espérance inactive, timide et endormante. L’éducation comme un des éléments importants d’évitement et de désamorçage de ces bombes, se heurte aux différents problèmes dont les conséquences sont entre autres les abandons scolaires qui nous intéressent ici. De nombreux paramètres sont en cause. Outre les discours humanitaires, compatissants et parfois creux sur les problèmes de l’éducation, de nombreuses études et recherches ont été réalisées sur cette question selon que l’on se situe sur tel ou tel axe disciplinaire. En République Centrafricaine, des efforts ont été consentis au niveau national et international dans le but de limiter ou d’endiguer la propagation de l’abandon scolaire. Mais ces efforts semblent peu à même de venir à bout de ce problème : la situation des abandons scolaires dans la région de l’Ouham reste à ce titre préoccupante avec un taux avoisinant les 15%. Si certains facteurs entrent en jeu, dans le phénomène des abandons scolaires, tels la pauvreté, les crises économiques, les crises politiques, les guerres, les maladies qui sont d’ailleurs nos hypothèses, nous voudrions interroger ces facteurs sur une région donnée : La région de l’Ouham. Car « la position à avoir face à une situation de ce

genre n’est ni d’affirmer, ni porter un jugement mais de se poser des questions, ou

d’élargir le champ des questions que l’on se pose face à un refus ou un échec

scolaire »6

5 Opus Cit., DE RAVIGNAN A., p.3. 6 JOVENET, A, M, La référence à la notion de genre pour étudier « les cas cliniques » : Est-ce utile dans une perspective d’enseignement et d’apprentissage ? In Les cahiers THEODILE, numéro 6, Université Charles De Gaulle Lille3, Déc. 2005.

Page 17: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

17

Toutefois il était important du point de vue méthodologique de voir l’impact des ces facteurs sur la scolarité au niveau national. L’objectif de cette thèse est de travailler avec trois types de populations précises : Ceux qui ont quitté le dispositif scolaire dès le cycle primaire et ceux qui y sont encore au moment des recherches. Et les parents d’élèves qui ont des enfants ou quelques enfants scolarisés au moment de l’enquête. Toutefois, il y a eu des entretiens et témoignages recueillis auprès de ceux qui, a de degrés variés, ont aidé à la compréhension du phénomène des abandons scolaires en Centrafrique et la région de l’Ouham en particulier.

1-L’objet de la recherche L’obscurantisme est un phénomène contre lequel l’humanité se bat. Ce fléau se présente comme un spectre qui hante toutes les sociétés humaines en général, et celle de la République Centrafricaine (RCA) en particulier, constituant ainsi un des freins au développement sous tous ses aspects. Or, le développement ne peut se réaliser ou aboutir que par les femmes et les hommes à la fois acteurs et bénéficiaires de ce même processus.

Dans ce cas, ces derniers doivent être « outillés » ou éduqués afin de bien maîtriser et orienter les actions de développement. Dès lors, l’école apparaît comme un des instruments incontournables permettant d’atteindre cet objectif. Seulement, force est de constater que tout le monde n’accède pas à cette source de savoirs : Tel est le cas de la République Centrafricaine qui a un taux d’abandon scolaire de 22% au niveau national (Education Pour Tous 2000-Rapport RCA-UNESCO). De ce constat ; l’objet de cette thèse est donc d’analyser le système éducatif et certains facteurs qui sont à l’origine des abandons scolaires au niveau fondamental1 en Centrafrique et précisément dans la région de l’Ouham. Mais quel est le contexte qui a motivé cette recherche ? 2-Contextualisation de cette recherche Le choix du sujet de cette recherche n’est pas fortuit. Il répond à certains préalables. Lesquels préalables sont inspirés du constat d’un phénomène des abandons scolaires

Page 18: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

18

en République Centrafricaine et dans la région de l’Ouham en particulier. Au-delà du choix de ce sujet, cette recherche répond également à deux raisons fondamentales à savoir : Les raisons scientifiques et professionnelles et les raisons sociologiques. 2-1 Raisons scientifique et professionnelle Il est utile de rappeler que l’obtention d’un titre de doctorat en sciences de l’éducation nécessite obligatoirement une production scientifique notamment une thèse en rapport avec la discipline elle-même. C’est-à-dire qu’elle doit porter sur un sujet se situant dans ses axes disciplinaires. Ce sujet devait donc rencontrer certaines de nos préoccupations sans toutefois manquer d’intérêt pour des lecteurs extérieurs. Il devait ainsi comporter un intérêt scientifique qui puisse produire, le cas échéant, des savoirs

cumulables à ceux existants déjà. Au demeurant, une thèse reste un exercice pratique

dans le cadre de la formation doctorale permettant au doctorant de tester ses connaissances théoriques en les confrontant aux réalités de terrain et de prendre mesure des difficultés inhérentes aux fonctions de chercheurs ou d’enseignants.

2-2 Raisons sociologiques Le taux élevé des abandons scolaires dans le monde en général et en République Centrafricaine en particulier est devenu un phénomène qui inquiète plus d’une communauté (scientifique, politique, éducative...). A la suite de ceux qui ont abordé ce problème, nous ne voulons pas rester passif face au phénomène en question qui, de jour en jour prend davantage de proportion importante et inquiétante, impliquant des nouveaux paramètres non soupçonnés au départ. . Nous avions estimé qu’il serait utile de mettre à profit cette thèse à la recherche complémentaire de compréhension du phénomène des abandons scolaires, comme observait Boas : « Il ne suffit pas de

savoir comment sont les choses, mais comment elles sont venues à être ce qu’elles

sont »7. En procédant ainsi nous espérons apporter une modeste contribution en vue de la connaissance du phénomène dans son ensemble en République Centrafricaine et dans la région de l’Ouham en particulier. Enfin l’ambiance du monde contemporain où la globalisation de l’économie positionne l’éducation comme un des enjeux considérables pour le développement, une nécessité. Nous avions eu le pressentiment

7Boas in Sens et puissance, Balandier G. Paris, Puf 1971, pp 220

Page 19: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

19

que si cette assertion s’avère vraie, la réalisation de l’éducation est-elle valable pour tout le monde ? Si ce n’est pas le cas, quels en sont les facteurs en causes ? A ces interrogations nous avions voulu observer les problèmes qui empêchent ce schéma fatidique de la réalisation effective de l’éducation. Plusieurs champs de problèmes se posent à l’éducation parmi lesquels les abandons scolaires. Certes les abandons scolaires constituent un phénomène inquiétant. Mais cette inquiétude se justifie tout simplement parce que les abandons scolaires touchent des jeunes, porteurs dans l’avenir du processus du développement de leur pays ? Ce constat est valable pour la République Centrafricaine motivant cette recherche de causes sous-jacentes de la question. Mais à partir de quelle question centrale et quelle hypothèse centrale le sujet est-il abordé ? 3- La question centrale et l’hypothèse centrale 3-1 Question centrale « Si vous faites des plans sur un an, plantez du riz. Sur dix ans, plantez des arbres. Et

sur toute une vie, éduquez vos enfants » (Confucius, VIème siècle avant J.C)8. De l’apparence simple, cette phrase nous a apporté une aide précieuse pour la réflexion de ce travail. Car, il s’agit de relais à passer entre générations par l’éducation. La question qu’on se pose est celle de savoir si c’est un bon relais ou non qu’une génération veuille bien passer à l’autre. De constat général, il s’agit de la qualité de l’éducation à léguer ou à faire passer d’une génération à l’autre. L’idéal selon la Déclaration universelle des Droits de l’homme (1948) est que : « L’éducation doit viser

au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect

des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la

compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et les groupes raciaux

ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations unies pour le

maintien de la paix ». Près de soixante ans plus tard, l’éducation comme outil d’application, de valorisation et de promotion des objectifs de cette Déclaration se heurte à une résistance d’adhésion à ces valeurs ; la prise de conscience universelle de la question demeure timide. « L’éducation piétine » ! En observant le pourquoi de cette timidité quant à la promotion de l’éducation nous avions essayé de ressortir certaines causes notamment celle des abandons scolaires. La situation nous laisse entrevoir les inégalités en matière d’éducation d’où l’on peut

8 Altermondes, L’Education un enjeu pour le développement, Numéro 5, Mars-Mai 2006, pp. 16

Page 20: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

20

supposer la pauvreté comme cause principale dans certaines régions du monde. Cette même pauvreté abordée dans plusieurs disciplines (économie, sciences politiques, géopolitique) nous amène à nous poser certaines questions sur ses causes sous-jacentes qui relèveraient du contexte national ou international. La pauvreté au niveau nationale suppose l’absence de ressources nécessaires tant de l’Etat que de la famille pouvant financer de manière décente l’éducation. Elle est aussi source des remous sociaux ou troubles sociopolitiques pouvant affecter l’éducation dont l’une des conséquences mesurables est la défection scolaire. Au niveau internationale cette pauvreté suppose des mécanismes où la politique des institutions internationales (Banque mondiale, Fonds Monétaire International) est mise en place non pour aider les pays pauvres mais pour les appauvrir davantage à travers le lourd fardeau de dettes sous une conditionnalité intolérable : « La conditionnalité mine les institutions politiques

nationales. Les électeurs voient leur gouvernement s’incliner devant les étrangers,

céder à des institutions qu’ils pensent être à la solde des Etats-Unis »9 Et en matière d’éducation ces institutions « …n’analysaient son budget qu’en terme de recettes et de

dépenses » (Stiglitz J.E. 2003). Or en matière d’éducation ou de services publics, l’idée de bénéfice ne devrait apparaître que quand il s’agit des usagers bénéficiaires et non de profit en capitaux financiers à gagner. Ces mécanismes d’affaiblissement des institutions politiques nationales par cette cynique conditionnalité portent des coups fatals à tous les niveaux du fonctionnement de l’état. Les ressources de l’état sont consacrées en grande partie au remboursement des dettes plutôt qu’à l’amélioration ou la construction des infrastructures sociales. Par conséquence nous assistons à une pauvreté affectant tant bien l’état que les familles qui ne peuvent assurer entre autre la scolarisation des enfants qui nous intéresse ici. La République Centrafricaine faisant partie de ces pays en voie de développement n’est pas épargnée par la pauvreté. En voulant étudier les abandons scolaires dans la région de l’Ouham, nous nous sommes posé cette question centrale : Quelles sont les causes des abandons scolaires ? 3.2 Hypothèse centrale 1- Les abandons scolaires dans région de l’Ouham sont dus à la pauvreté généralisée de la société centrafricaine en général.

9 STIGLITZ J.E Un autre monde contre le fanatisme du marché, Editions Fayard, 2006, pp42.

Page 21: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

21

La pauvreté est l’une des tristes réalités multidimensionnelles à laquelle une bonne partie de la population mondiale est confrontée tant dans les pays développés que sous développés. Cependant l’approche de cette réalité serait différente. Tandis que dans les pays développés, où il est possible de maîtriser toutes les catégories sociales ou socioprofessionnelles, l’approche sera centrée sur l’individu en terme de revenu, de capital scolaire, culturel, de transferts sociaux etc. Dans les pays pauvres l’approche est globale et ce, à tous les niveaux (politique, administrative, économique, social, éducationnel…) : «…la pauvreté n’est pas seulement le défaut d’avoir (…). C’est

fondamentalement le défaut de pouvoir : l’absence de maîtrise sur les conditions

matérielles et institutionnelles de sa situation, la précarité (…), la dépendance

institutionnelle (…) qui en résulte la fragilité des réseaux de socialisation (…) souvent

limités à la famille, l’absence surtout de capacité politique – de capacité conflictuelle,

de capacité à transformer sa propre situation par la lutte collective et/ou les médiations

organisationnelles ou institutionnelles-10. L’évolution de la société centrafricaine se fait dans ce contexte de pauvreté globale dû au contexte national et dépendance internationale précédemment évoqué. Celle-ci a un impact négatif et effrayant sur les conditions sociales, économiques et politiques du pays. La région de l’Ouham, une entité intégrante de la société centrafricaine, est, elle-même touchée par cette pauvreté avec un certain degré très prononcé notamment son poids sur l’institution scolaire, les familles et finalement les enfants eux-mêmes quant à leur scolarisation. D’où les abandons scolaires. Au niveau individuel, si la pauvreté est une réalité multidimensionnelle, nous ajouterons aussi qu’elle est également une accumulation des handicaps. Cependant nous allons décrypter ces handicaps liés à la pauvreté à travers les sous hypothèses et certains paramètres transcrits sur les questionnaires. 3.2.1 Sous hypothèses 1-L’inadaptation des élèves au système éducatif centrafricain est l’une des causes des abandons scolaires dans la région de l’Ouham. 2- Le désengagement des adultes face aux élèves est l’une des causes des abandons scolaires dans la région de l’Ouham.

10 BIHR, A, PFEFFERKORN, R, Déchiffrer les inégalités, Paris, Syros Alternatives économiques, 1995, pp. 508

Page 22: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

22

4- Plan de la thèse L’hypothèse centrale telle qu’elle a été annoncée précédemment exige de présenter la thèse en six chapitres de manière suivante : Le premier chapitre traite de la situation de l’enseignement et des abandons scolaires en Centrafrique, le deuxième chapitre de la fréquentation et des abandons scolaires au niveau national, le troisième chapitre de la méthodologie de recherche et les trois derniers chapitres de l’analyse de données recueillies auprès des groupes cibles. 5-Choix des méthodes et de cadre de reforme théorique « Toute recherche scientifique consiste en une restructuration mentale de la réalité,

dans le but de découvrir l’ordre sous-jacent à la diversité et à l’incohérence

appartenantes des phénomènes observés »11. Nous adoptons cette démarche intellectuelle en nous appuyant sur deux méthodes théoriques et deux techniques pratiques notamment :

- a méthode génétique - la théorie des représentations. - la recherche participative - Itération

5.1 La méthode génétique « Comme son nom l’indique, la méthode génétique cherche la genèse des

évènements, c’est à dire les antécédents.

La génétique pose les questions :

-Quand ?

-Pourquoi ?

-Comment ?

Il s’agit donc d’un processus se déroulant dans le temps, c'est-à-dire d’une

explication diachronique »12

L’utilité et l’importance de cette méthode dans cette recherche nous a permis de :

11 ROCHER, G ; Introduction à la sociologie générale : 2-L’organisation sociale, Edition HMH, Collection Points, 1972, P.18 12 Grawitz M, Méthodes des sciences sociales, 9ème Editions Dalloz, 1993 p.367

Page 23: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

23

- Comprendre à partir de quel moment (de l’histoire de notre terrain d’études, de l’année, de la vie de l’enfant) le phénomène des abandons scolaires aurait pris de l’ampleur.

- Savoir :-pourquoi ce phénomène a pu gagner notre terrain d’études sans y être « invité ». - comment a-il progressé en Centrafrique et dans la région de l’Ouham en particulier ?

-Comment peut-on envisager des solutions pouvant réduire sa propagation et la ré-scolarisation de ceux qui quittent volontairement ou non l’école ? Cette méthode, quoi que importante, demeure incomplète quant aux axes de recherche définis. Ainsi nous avions fait recours à la théorie de représentations. 5.2 La théorie des représentations L’école est un élément culturel extérieur à la culture originelle de la région de l’Ouham. Son introduction, sa preuve dans une autre forme de processus de socialisation nous a amené à nous interroger sur les représentations que font la population de l’Ouham et les enquêtés en particulier sur l’école et finalement les abandons scolaires qui nous intéressent ici. Mais pourquoi la théorie de représentation pour cette démarche ? « C’est une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée

pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social.

Elle est également désignée comme « savoir de sens commun »ou encore « savoir

naïf », « naturel ». Cette forme de connaissance est distinguée entre autre de la

connaissance scientifique. Mais elle est tenue pour un objet d’étude aussi légitime que

cette dernière en raison de son importance dans la vie sociale, de l’éclairage qu’elle

apporte sur les processus cognitifs et les interactions sociales »13

Le recours à cette méthode nous a permis de comprendre les représentations que font nos groupes cibles et les différents acteurs de l’école du phénomène des abandons scolaires dans la région de l’Ouham où cohabitent désormais deux types d’éducation :

-Education traditionnelle, nous y reviendrons au chapitre deux, quand nous aborderons l’éducation traditionnelle dans le processus de socialisation.

-Education moderne Enfin cette méthode nous a aidé à mieux aborder le phénomène en cause avec des outils adéquats car : « Avec les représentations sociales, nous avons affaire à des

13 JODELET, D, 1991, Les représentations sociales, Vendôme, P.U.F, p.36

Page 24: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

24

phénomènes observables directement ou reconstruits par un travail scientifique. (…).

Autour d’eux se constitue un domaine de recherche doté de ses instruments

conceptuels et méthodologiques propres, intéressant plusieurs disciplines »14 Cet avis implique une attitude de recherche de connaissance qui tranche avec celle qu’est la représentation prise dans le sens commun, sans une distance intellectuelle. Étant donné que la : « « connaissance » peut donc être définie comme le reflet le plus

adéquat et le plus conforme de la réalité dans le cerveau. Cette conception de la

connaissance est matérialiste, puisqu’elle suppose l’existence de la matière

indépendamment de l’esprit et qu’elle affirme la primauté de cette matière sur

l’esprit »15. L’école est observable tout comme les abandons scolaires. Cela suppose que les acteurs concernés ne peuvent, au demeurant, rester indifférents face à cette réalité sociale, dès lors que cette réalité les touche ou les affecte à des échelles différentes. Donc, ils ont leur opinion, leur représentation de cette réalité. 5.3 La recherche participative Nous avions estimé que l’implication des enquêtés à des niveaux et degrés variés à l’aboutissement de cette thèse est une participation directe et effective car: « Dès

qu’une recherche scientifique fait intervenir une technique vivante, elle peut être

considérée comme « participante ». Le sociologue qui décide d’utiliser un

questionnaire ou de réaliser un entretien semi-directif aura immanquablement besoin

de la participation des personnes auxquelles il a décidé de s’adresser. Répondre à un

questionnaire, si élémentaire soit-il, est déjà une forme de participation à la recherche

scientifique »16 . Car, dans les techniques de collectes de données qui vont suivre, nous avions utilisé des questionnaires et des entretiens semi-directifs. 5.4 Itération Tout au long de ce travail, nous avions dû revoir, reformuler et redéfinir en permanence nos travaux au fur et à mesure des observations, des nouvelles connaissances acquises et des nouvelles informations qui surgissaient. Ce processus de re formulation et de « veille » permanente nous a permis d’améliorer sensiblement ce travail et de maîtriser son évolution.

14 JODELET, D, opus cit. p.36 15 DEMUNTER, P, Comprendre la société, Paris, L’Harmattan, 2002, pp.4 16 DEMUNTER, P, L’action collective de formation de Sallaumines, « Les Cahiers d’Etudes du CUEEP », N° 15, USTL, Flandres Artois Cueep, Février 1990, pp.7

Page 25: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

25

6. Choix des techniques 6.1 Les indices de vérification des hypothèses La complexité du phénomène des abandons scolaires sur notre terrain d’étude nous a amené à poser quelques hypothèses pouvant aider à la compréhension de son encrage. Nous avions ainsi procédé à l’identification de certains aspects de compréhension orientés sur : - l’évolution du système scolaire - la situation politique et son incidence sur le système éducatif, - les infrastructures scolaires - Le personnel enseignant - L’économie du pays - Etc.… Ce préalable nous a permis plus ou moins de connaître l’historique de la scolarisation, qui est récente, et de relever en même temps les facteurs qui enfreignent son encrage en Centrafrique et enfin de recueillir des éléments qui ont aidé à l’analyse de nos hypothèses. 6.2 Les types de données à rassembler La République Centrafricaine depuis son indépendance n’a pas subi une réforme profonde de son système éducatif, outre quelques pistes évoquées dans la problématique que nous allons aborder au chapitre trois de ce travail. Elle n’a pas totalement pris conscience de l’importance et du rôle que joue l’éducation dans une nation. Avec cet état d’esprit, plus de 40 ans après son accession à la souveraineté nationale, la République Centrafricaine demeure un des pays pauvres. Ce qui le met en éternelle dépendance négative des autres pays et des Institutions Internationales notamment de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International. Ces institutions internationales, en principe, devraient lui permettre d’amorcer des actions de développement parmi lesquelles l’Education. Mais la coopération ou le partenariat engagé avec ces Institutions Internationales nécessite une certaine conditionnalité, pernicieuse, qui malheureusement ne permet pas à la RCA d’en tirer les bénéfices escomptés ou tant clamés. Bien au contraire ! Les termes de cette coopération conditionnent plutôt le Centrafrique à une obligation d’endettement et de remboursement de dettes auprès de ces institutions, plongeant ainsi le pays dans une pauvreté extrême. Dès lors, les budgets alloués (déjà faibles) à la santé, à

Page 26: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

26

l’éducation …sont réduits plus ou moins régulièrement pour les remboursements de dettes extérieures. Cela n’est pas sans conséquences car ils aggravent non seulement la situation de pauvreté mais privent tout de même le gouvernement de faire face à ses priorités. D’où les différentes crises (sociales, économiques, politiques…), une population en santé précaire, sous scolarisée et mal nourrie, les enseignants en nombre insuffisant mal formés et mal payés, fermeture de nombreux établissements scolaires faute de personnels, infrastructures scolaires dégradées et en nombre insuffisant etc. Ces éléments rendent possible les abandons scolaires en Centrafrique et dans la région de l’Ouham en particulier. De ce fait et dans le cadre de nos hypothèses, nous avions rassemblé des données, qui par la situation de pauvreté généralisée, sont susceptibles d’être à l’origine des abandons scolaires notamment sur :

-Le système éducatif : Le système éducatif est-il inadapté ? Si c’est le cas, à quel niveau ? Est-il possible ou nécessaire d’envisager une réforme ? Et ce, pourquoi ? Qu’est ce qui empêcherait une réforme qui prendrait en compte les réalités sociologiques du pays ;c'est-à-dire s’appuyer sur les valeurs locales, les besoins réels et les richesses du pays afin de bâtir un système éducatif attractif efficace et consensuel ?

-Les conditions sociales : Quelles sont les conditions sociales des enfants ayant abandonné l’école et de ceux qui continuent à fréquenter l’école ? Quels sont les revenus de leurs parents respectifs ? Quelle profession les parents exercent-ils ? Les conditions sociales sont-elles un avantage ou un désavantage pour les uns et les autres ? La scolarité et les fournitures scolaires coûtent-elles chères ?

-Les besoins économiques : Les besoins économiques des ménages favorisés ou défavorisés seraient-ils à l’origine ou non des abandons scolaires ? Les parents préfèrent-ils les enfants pour les activités génératrices de revenus que l’école ?

-Les crises économiques : A quel niveau les crises économiques seraient l’une des causes des abandons scolaires ? Est-ce au niveau de la chute de prix ou de la mévente du coton (C’est la seule culture de rente de la région de l’Ouham) amenant les parents à ne plus supporter les frais scolaires ? Est-ce au niveau du fait que le gouvernement ne peut plus faire face à ses obligations de souveraineté notamment :

-Assurer la régularité des salaires aux fonctionnaires et enseignants en particulier ?

-Former davantage d’enseignants ?

Page 27: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

27

-Construire et entretenir davantage les infrastructures scolaires ? -Distribuer gracieusement les fournitures scolaires ? -Sensibiliser à la scolarisation des enfants … ?

Les crises sociopolitiques : Les grèves à répétition, les différentes transitions démocratiques, l’instabilité politique auraient-elles motivé les abandons scolaires dans la région de l’Ouham ?

-La démographie : La surpopulation scolaire favoriserait-elle les abandons scolaires ? Le nombre d’enfants par ménage serait-il à l’origine de la poursuite ou des abandons scolaires ?

-Les maladies : L’irrégularité des enseignants et des élèves dûe aux maladies serait-elle à l’origine des abandons scolaires ?

-Les représentations des adultes sur la scolarisation : Que pensent les adultes de la scolarisation ou des abandons scolaires des enfants ? Quel type d’éducation veulent-ils ? Que reprochent-ils au système éducatif en vigueur ? Qu’est-ce qui les engage ou les désengage quant à la scolarisation des enfants ? Nous venons de voir les différents indices supposés justifiés les abandons scolaires tout en repérant les types de données à collecter. Cette démarche nous a permis d’interpeller et mettre en évidence certaines variables que nous aurions pu ignorer.

Page 28: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

28

CHAPITRE PREMIER

ANALYSE DIACHRONIQUE DE LA SCOLARISATION ET LES ABANDONS SCOLAIRES EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE CENTRAFRIQUE

Page 29: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

29

Chapitre I : La situation de l’enseignement et les abandons scolaires en République Centrafricaine Introduction Le caractère multidimensionnel des causes des abandons scolaires en Centrafrique nous a amené à rechercher certains indices de vérification de nos hypothèses à travers la présentation du pays lui-même dans plusieurs de ses aspects susceptibles d’aider à la compréhension du phénomène en cause. L’ambition ici n’est pas de faire une compilation de différentes littératures sur l’histoire de l’éducation scolaire en Centrafrique, ce qui nous éloignerait des nouveaux enjeux générant en partie le phénomène étudié, mais de relever l’essentiel de ce qui aurait jeté les bases de la scolarisation et finalement des abandons scolaires et de sa propagation. Nous abordons ce chapitre selon les orientations suivantes : - Cadre Historique - la scolarisation et son évolution au lendemain des premières années de l’indépendance - Cadre politique, ses incidences négatives sur l’éducation - Cadre géographique - Organisation socioéconomique

1.1 Cadre Historique L’histoire de cette région qui sera appelée plus tard l’Oubangui-Chari puis République Centrafricaine est intimement liée à la France. En effet le 26 juin 1889, sur la rive du fleuve Oubangui, l’Officier français Michel Dolisie, fonde le ‘’Poste’’ de Bangui qui deviendra la capitale de l’Oubangui Chari lui-même créé par le décret du 29 décembre 190317. Les grandes étapes de cette première époque de l’histoire commune constituent autant de motivations sur le chemin de l’indépendance de la Nation qui s’appelle aujourd’hui la République Centrafricaine. Nous allons voir les grandes étapes importantes ayant marqué la vie politique de cette nation parmi laquelle la scolarisation. Cette région était jusque vers la fin du 19ème siècle une région très peu connue. Seuls quelques commerçants arabes (pénétrant par l’Est, le Nord-est et le Nord) et quelques auxiliaires du commerce portugais, arrivant par le Sud-ouest, avaient pu la visiter. Mais

17 www.ambafrance-cf.org , site consulté le 03 janvier 2003

Page 30: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

30

les uns et les autres s’éloignèrent très peu de leur port d’entrepôt et du cours du fleuve ; ils étaient également restés presque ignorants sur la réalité humaine de cette portion de l’Afrique. Celle-ci continua donc à garder ses secrets jusqu’aux premières explorations européennes18. Il faudra attendre la fin de la conférence de Berlin (15 novembre 1884-26 février 1885) pour que cette région oubanguienne fasse l’objet d’un enjeu politique et religieux et soit très disputée par les principales puissances européennes engagées dans l’entreprise coloniale. Entre 1887 et 1899, l’Allemagne, l’Angleterre, la France et la Belgique se partageaient l’Afrique Centrale19. La France réussissait ainsi à occuper le Gabon, le Congo, l’Oubangui-Chari et le Tchad qui constitueront l’Afrique Equatoriale Française (A.E.F). Même si dès 1870 quelques savants européens (Schwenfurth, de Junker de Potagos et de Barth) en suivant la route de caravanes du Nord-est, arrivaient jusque dans la région Est de l’Oubangui-Chari, cette exploration était d’ordre scientifique et non coloniale. Les premières expéditions coloniales ont amené la conclusion de traités de protectorat avec un certain nombre de chefferies de la région. Ces traités ont permis de déposséder les autorités locales indigènes de tout pouvoir au bénéfice de l’administration militaire puis civile des Français20. Ceux-ci durent faire face à la concurrence des puissances coloniales européennes ainsi qu’à de nombreuses révoltes (la guerre de Kongo-Wara de 1928-1931) et ils durent modifier constamment et les frontières de l’Oubangui-Chari jusqu’à la veille de la seconde Guerre Mondiale et les structures administratives dont les ressorts et les compétences ne seront fixés définitivement avant 1958.21 La dépossession des autorités locales de tout pouvoir permit à l’administration coloniale d’occuper tout le territoire c’est à dire de le coloniser. Par conséquent l’enseignement, qui était nouveau à ces peuples, relevait de l’administration coloniale. Ainsi en 1920, une congrégation catholique baptisée ‘’Mission de la Sainte Famille et du village de Saint Henri ‘’ quittait Brazzaville (capitale de l’Afrique Equatoriale Française) avec l’aval du Gouverneur Général pour s’installer en Oubangui Chari (Centrafrique). Son but était d’œuvrer pour l’action de la ‘’mission civilisatrice française’’. Pour cette noble tâche, la mission avait mis en place deux dispositifs :

18 AMAYE, M, Les Missions catholiques et la formation de l’Elite administrative et politique de l’Oubangui-Chari de 1920 à 1958, Doctorat 3ème cycle, Tome 1, 1984, pp.38 19 FEDANGAÏ, J, Genèse de Frontières contemporaines (A.E.F et ses Frontières), Mémoire de DEA, Histoire contemporaine des pays d’Outre-mer. 1982 20 www.universalis.éduc.centrafrique.com , site consulté le 12 décembre 2002 21 www.universalis-educ.com , site consulté le 12 décembre 2002

Page 31: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

31

- l’Eglise - l’Ecole22 Ces dispositifs fonctionnaient en parfaite collaboration car l’école était alors la chasse gardée de la congrégation catholique autorisée par la loi de 1801 qui relevait du concordat stipulant en son article 88 que : "L’enseignement primaire est entièrement aux frères des écoles chrétiennes qui sont

également chargés de la formation des instituteurs (article 109)"23. Cette disposition était alors applicable aux territoires colonisés.

Notons que l’enseignement à l’école coloniale était plus ou moins discriminatoire : l’instruction était prioritairement réservée aux fils et neveux des chefs traditionnels que l’église a alors christianisés même si dans quelques régions certains chefs étaient réticents d’y envoyer leurs enfants, potentiels successeurs aux trônes. L’intention était de se baser et se constituer sur une élite liée au rang social traditionnel existant. Au clair l’instruction de cette période procédait déjà à une « reproduction sociale » des élites pour renforcer la base autochtone tout en remplaçant mécaniquement les mœurs locales comme le souligne le gouverneur général de l’A.O.F :«…Considérant l’instruction comme une chose précieuse qu’on ne distribue

qu’à bon escient et limitons-en le bienfait à des bénéficiaires qualifiés. Choisissons nos

élèves tout d’abord parmi les fils de chefs et de notables, la société indigène est très

hiérarchisée. Les classes sont nettement déterminées par l’hérédité et la coutume.

C’est sur elles que s’appuie notre autorité dans l’administration de ce pays, c’est avec

elles surtout que nous avons un rapport de service. Le prestige qui s’attache à la

naissance doit se renforcer par le respect que confère le savoir »24. Cet état d’esprit « transférable » dans les colonies est le reflet du mécanisme de reproduction sociale mis en place en métropole avant la Révolution : « Avant 1789, le critère de naissance était fondamental pour le rôle que pouvait jouer

des individus dans leur société. On naissait donc avec des chances de devenir

marquis, de Comte ou alors roi parce qu’on était d’une lignée de marquis, de Comte ou

d’une lignée royale. Dans le cas contraire, on naissait paysan sans trop grand espoir

22 BEVARRAH, L, Ethnocide Bantou (Gbaya) et la politique de rééducation, Paris5, Doctorat 3ème cycle, Sciences de l’Education, 1985, pp.406-406 23 PLEVEN, R, Discours d’ouverture conférence Africaine Française de Brazzaville, 1944, pp.54 24 Gouverneur général Roume de l’Afrique Occidentale Française (A.O.F) :J.O /A.O.F N° 1024 du 10 mai 1924 in MAMOUNI Education en Afrique, Paris, Maspero, 2ème édition, 1967 pp. 119.

Page 32: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

32

d’évolution socioprofessionnelle parce que le destin l’avait décidé ainsi (…) l’avenir et

le rôle des individus dans leur société étaient prédestinés, parce que liés à leur

naissance »25

Cette pratique avait canalisé pendant longtemps le recrutement des élèves. De là on peut estimer que le phénomène de « non fréquentation scolaire », peut déjà être observable de manière involontaire durant cette période coloniale. Car, ne peut être scolarisé que l’enfant de chef coutumier, du catéchiste ou à la rigueur celui qui est converti au christianisme. Les enfants des animistes n’accédèrent pas à la scolarisation d’où un faible taux de scolarisation : « Le taux de scolarisation en 1939

n’atteignait que 1,5% et en 1950, il restait encore inférieur à 8 %»26 A ce facteur discriminatoire dans la scolarisation, il faut ajouter que l’enseignement dispensé aux élèves était essentiellement en français et fonctionnait pendant un temps limité dans la journée et de courtes périodes dans l’année. Ces élèves ayant quitté le milieu scolaire se retrouve naturellement dans leur communauté et vivent de façon purement africaine, différente de ce qu’ils ont appris à l’école27. Ce qui aurait démotivé les élèves à abandonner l’école malgré la rigueur de l’administration coloniale qui a sévi jusqu’en 1944 (date de la conférence de Brazzaville) et 1958, date à laquelle l’Oubangui Chari devint République Centrafricaine et accéda à une « autonomie » et à la laïcisation progressive de l’enseignement. Même à partir de cette date fatidique de la création de l’Etat de la République Centrafricaine, toute organisation administrative, politique, éducative… demeurait métropolitaine. Car l’Etat centrafricain n’étant que l’ombre de lui-même ; tout est « verrouillé » dans la constitution française de la Vème République en son titre XII relatif aux Etats ayant opté pour la Communauté française : Article 78 : -« La politique étrangère, la défense, la monnaie, la politique économique, financière, éducative ainsi que la politique des matières premières stratégiques relèvent de la compétence de la communauté. Article 80 : -« Le président de la République Française est le président de la communauté et le chef de l’Etat pour les Etats membres ».

25 AMAYE, M, Les missions catholiques et la formation de l’élite administrative et politique de l’Oubangui-Chari de 1920-1958, Doctorat 3ème cycle, Histoire, Aix-Marseille1, 1984, Tom1 pp16 26 KALCK, P, La République Centrafricaine, Editions Berger-Levrault, Paris pp. 1971, 15 27BEVARRAH, L, Ethnocide Bantou (Gbaya) et la politique de rééducation, Doctorat 3ème cycle, Sciences de l’Education, Paris5, 1985, pp.406

Page 33: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

33

Cette situation de Communauté optée par certains nouveaux Etats d’Afrique Noire surtout francophones, particulièrement la République Centrafricaine, a jeté la base d’un nouveau positionnement stratégique et politique des puissances occidentales sur ces pays dont ils ne se remettront peut être jamais pour une raison principale : La privation des instruments de souveraineté28. En effet, la situation internationale de l’époque notamment la guerre de 1939-1945 amena les puissances coloniales à reconsidérer leur politique dans les colonies surtout françaises comme nous le souligne De Gaulle : -«…cela est dans tous les domaines, en particulier dans celui qui va parcourir la

conférence de Brazzaville car sans vouloir exagérer l’urgence des raisons qui nous

pressent d’aborder l’étude d’ensemble des problèmes africains français, nous croyons

que les immenses évènements qui bouleversent le monde nous engagent à ne pas

tarder »29

Les évènements dont il fait allusion ici sont l’occupation de la métropole par les puissances de l’axe (dont les Africains Oubanguiens devraient participer à sa libération). Dès lors, il fallait trouver une autre politique que celle initialement pratiquée (caractérisée par les travaux forcés, la brutalité, viol, pillage, impôt de capitation...) qui ne fait pas l’objet de cette recherche. Il fallait associer les Africains Français à la tâche de reconstruction nationale, si jamais la métropole parvenait à être libérée car l’issue de la guerre n’était encore que moins sûre. Par conséquent il fallait une instruction de qualité aux Africains, reconsidérer l’homme Africain comme le précisait René Pléven dès l’ouverture de la conférence : « …c’est l’homme, c’est l’Africain, ce sont ses

aspirations, ses besoins et n’hésitons pas à le reconnaître, ses faiblesses, c’est

l’Africain pris comme individu aussi bien comme membre d’une cellule familiale ou

villageoise que comme élément d’une société appelée ainsi comme toutes les sociétés,

à évoluer profondément sous l’effet de la technique et des idéologies contemporaines

qui seront la préoccupation constante de cette conférence , c’est l’incorporation des

masses indigènes dans le monde français(...), c’est l’ascension des populations

africaines vers la personnalité politique qui retiendront une partie très importante et

peut être la plus longue du temps de la conférence ; en un mot, l’homme et la société

humaine auront la primauté »30.

28 ENGELBERT MVENG, In La revue Quart Monde « Pauvreté et paupérisation », décembre 2004 29DE GAULLE, C, Discours : Conférence de Brazzaville op.Cit p.37 30 PLEVEN, R Discours d’ouverture la conférence Africaine Française de Brazzaville op.cit p.28

Page 34: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

34

De ce discours, rappelons qu’il fallait revoir la politique coloniale de l’Education d’alors « élitiste » (fondée sur la chefferie) et prôner l’Education de masse : -« L’enseignement des indigènes Africains doit, d’une part atteindre et pénétrer les

masses et leur apprendre à mieux vivre, d’autre part, aboutir à une sélection sûre et

raide des élites »31

Malgré ce discours, tout le programme scolaire restait toujours inadapté : - sa conception ne prenait toujours pas en compte certains paramètres socio culturels, - nombre toujours insuffisant des infrastructures scolaires pour un vaste territoire, - la langue de l’enseignement demeurait toujours le français et ce, jusqu’à nos jours. D’ailleurs la métropole ne perd pas de vu la théorie de « l’incorporation des masses indigènes dans le monde français » évoqué précédemment, et qui sera appelé aujourd’hui la francophonie. A cela, il faut ajouter que la Grande Guerre (1939-1945) avait mobilisé toutes les énergies pour la libération de la métropole et que l’enseignement en fut sérieusement affecté. La conférence de Brazzaville a joué un rôle déterminant en Afrique Centrale Francophone en général et en Oubangui Chari en particulier. Elle a favorisé la prise de conscience des Oubanguiens au niveau du développement de l’enseignement, de la proclamation de la République Centrafricaine et de son accession à l’indépendance le 13 Août 1960, nous y reviendrons. Cette conférence ne s’est pas départagée de la mission civilisatrice de la colonisation quant à ce qui concerne l’enseignement : Tout le programme scolaire était conçu selon les mœurs, la vision, la réflexion de la société occidentale. Ceci rendait l’enseignement beaucoup plus abstrait et l’apprentissage difficile. D’où comme unique solution la terreur de l’enseignant sur l’apprenant. L’organisation et la rigueur de l’enseignement laissent entrevoir qu’il y a eu des cas d’abandon scolaire et de non fréquentation scolaire mais moins perceptibles durant cette période où, le travail manuel était encore valorisé, la demande sociale en bien être méconnue, où la pauvreté n’avait pas un sens renforcé dû aux inégalités comme c’est le cas de nos jours. Certains témoignages recueillis attestent que les parents, à cette période, subissaient des répressions physiques voire sanglantes de l’administration coloniale, lorsque leurs enfants s’absentaient sans raison valable ou abandonnaient l’école.

31 PLEVEN, R, Discours d’ouverture, op.cit p.54

Page 35: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

35

Mais qu’en est-il de l’évolution de l’éducation dans ce nouveau Etat indépendant ? I.2 La scolarisation et son évolution dans les premières années de l’indépendance : Ses avancées et ses écarts Les luttes politiques ayant conduit à l’indépendance eurent aussi comme argument la démocratisation de l’enseignement c’est à dire vulgariser la scolarisation à l’ensemble de la population. Les premiers dirigeants africains de cette période ont cru à l’importance de l’Education scolaire dans le processus de développement de leurs jeunes Nations. Dès 1961, les ministres de l’Education nationale des pays d’Afrique se réunirent à Addis-Abeba en Ethiopie pour re-définir l’orientation scolaire. L’ambition de la plupart des pays représentés était de revoir leur système éducatif respectif afin de l’adapter aux nouvelles orientations économiques, sociales et politiques dont ils voulaient doter leurs Nations. Ils voulaient, au clair, rompre avec le système scolaire dit « colonial » décrié par tous. Mais ces représentants ou cette « oligarchie32 » africaine (Demunter 1975) avaient-ils conscience qu’ils étaient eux-mêmes issus de cette école coloniale ? Etaient-ils prêts à revoir « à la baisse » leur propre statut social « gagné » grâce à cette école coloniale ? A cette question, comme nous l’avions vu précédemment au niveau du cadre historique, la qualité de l’enseignement, en tout cas en Oubangui-Chari, ne peut permettre à un Oubanguien nouvellement Centrafricain, de débattre des grands enjeux liés à la situation de l’éducation de son pays au sommet de cette importance. Pour revenir à la question, personne n’était prêt à revoir à la baisse ses privilèges (postes de responsabilité avec avantages connexes), pour cause de l’éducation comme nous souligne l’état d’esprit de l’époque (Rey 1971) : «…Maintenant tous ces postes sont

occupés par des gens qui n’ont aucune envie de laisser leur place à plus jeune et

instruit qu’eux (…), il en est sans doute de même dans toutes les néocolonies »33. Cet état d’esprit est loin d’être éradiqué, il se cristallise davantage.

32 Le sens donné par Demunter à ce mot cadre bien avec le contexte au lendemain des indépendances des pays africains. Demunter parlait de l’oligarchie zaïroise : « C’est le transfert de souveraineté et le départ précipité des fonctionnaires européens qui ont amené certains petits bourgeois à occuper des postes de direction et de commandement au sein de l’appareil de l’Etat. En occupant ces postes, ils ont pu non seulement bénéficier des avantages matériels et des privilèges qui y sont attachés, mais encore en créer de nouveaux ». In Masses rurales et luttes politiques au Zaïre, Editions Anthropos, pp 304, 1975 33 REY, PP, Colonialisme, néocolonialisme et transition au capitalisme. Exemple de la « Comilog » au Congo-Brazzaville « Economie et socialisme »15, Paris, Maspero, pp.509

Page 36: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

36

L’autre question est de savoir si les nouvelles propositions de Addis-Abeba ne sont-elles pas téléguidées ? Ou encore ces jeunes Etats avaient-ils les moyens de leur ambition ? L’intention du sommet de Addis-Abeba, bien que bonne sur la forme demeure lacunaire sur le fond. Nous avions souligné ci dessus le problème de compétences des cadres à tenir ce type de sommet. La privation des instruments de souveraineté notamment en moyens humain et économique a été l’un des obstacles importants non travaillés en amont avant l’accès à l’indépendance de Centrafrique. Les conséquences directes seront l’une des causes des échecs des différentes réformes du système éducatif centrafricain occasionnant des abandons scolaires, ce qui nous intéresse ici. Les cadres formés initialement par le système métropolitain avaient un but précis : - compenser le déficit numérique en administrateurs coloniaux comme nous l’écrit sans ambiguïté A. Sarraut alors ministre des colonies : - « Instruire les indigènes est assurément notre devoir (…) mais ce devoir fondamental

s’accorde par surcroît avec nos intérêts économiques, administratifs, militaires et

politiques les plus évidents34.»

Ceci étant, ces cadres indigènes subalternes se retrouvant au lendemain de l’indépendance, placés à de hautes fonctions de l’Etat, n’ont malheureusement pas assez de capacités et d’expériences requises pour assumer avec efficacité ces hautes fonctions qui leur sont confiées. Leur formation dans la plupart des cas, rappelons-le, n’était que sommaire. Car ils n’avaient pas accès à l’enseignement supérieur de qualité jugé trop coûteux comme c’était le cas en Oubangui-Chari:

- « nous avons besoin sur les différents chantiers de maçons, ouvriers, de

mécaniciens, de surveillants lettrés capables de seconder la main d’œuvre européenne

ou même d’y suppléer en quelque mesure, car l’administration comme le commerce et

l’industrie, a intérêt à en restreindre l’emploi strict minimum, en raison des prix élevés

qu’elle réclame »35.

34 SARRAUT, A, La mise en valeur des colonies françaises, Paris, Payot, 1923 pp.25 35 Historique et organisation générale de l’enseignement en A.E.F opcit pp.49

Page 37: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

37

Au lendemain de l’indépendance et étant dans le besoin en personnels, l’Etat recrutait même ceux qui n’ont effectué que trois ou quatre années de scolarité comme nous le résume cet officier de la police à la retraite :

- « …mon fils, va à la fonction publique aux archives, tu ne trouveras rien dans mon dossier comme diplôme, à part un certificat de scolarité de la classe de CE2 (Cours élémentaires 2ème année)…je pleins votre sort vous les jeunes qui connaissaient le chômage alors que vous valez mieux…) ».

A cela il faut ajouter que l’économie centrafricaine était déjà déficitaire dès 1960 :

- « Le budget de l’Etat en 1960 accuse un déficit apparent de 619 millions de francs CFA (pour 2,381 milliards de recette et 3 milliards de dépenses), et réel de 1,500 milliards si l’on inclut les personnes employées par l’Etat et rémunérées sur d’autres fonds »36.

Ce défit eut des incidences négatives sur les différents engagements de l’Etat quant à la massification de la scolarisation et la qualité de l’enseignement.

La loi du 16 mai 1962 portant l’unification du système éducatif, nationalise tous les établissements scolaires confiés au ministère de l’Education nationale, de la Jeunesse, des Sports, des Arts et de la Culture au détriment de la direction politique, administrative et pédagogique de l’enseignement.

Et l’organisation de l’enseignement se présentera désormais comme suit :

- un enseignement pré-scolaire

- un enseignement primaire

- un enseignement secondaire classique, moderne et technique.

Naturellement comme présenté, il n’y avait pas de cycle de l’enseignement supérieur dans cette nouvelle configuration du système éducatif qui n’est qu’une retouche de l’ancien système. De toute façon, ceux qui ont la charge de ces écoles, rappelons-le, ne sont autres que ceux qui ont suivi un système scolaire d’avant l’indépendance qu’ils vont devoir retransmettre à leur tour. D’ailleurs tous les colons ou « les têtes brûlées »37 ne sont pas partis au lendemain de l’indépendance : ils sont les directeurs ou responsables de ces établissements scolaires sous d’autres statuts : Les

36République Centrafricaine (1960) Plan triennal provisoire du développement économique et social 1960-1961-1962 37Têtes brûlées est un terme employé en métropole (Belgique) pour qualifier les colons belges de suicidaires d’avoir accepter d’aller travailler dans la jungle au milieu des indigènes qui sont de surcroît des cannibales.

Page 38: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

38

coopérants ou assistants techniques, avec une mission plus ou moins dissimulées comme mentionne P. Kalck : « L’assistance technique joue un rôle très important dans

l’enseignement. En 1967, on comptait, sur 158 professeurs du secondaire, 141

coopérants français »38

Au niveau de la forme, il y a eu massification de la scolarisation malgré les faibles moyens de l’Etat dans les dix premières années de l’indépendance comme nous le montre le tableau ci-dessous :

Tableau 1 : Evolution de la scolarisation de 1961-1971

Effectifs des élèves ANNEES Nombre d’écoles

Nombre de classes Masculin Féminin Total

Effectif des enseignants

1960-1961 1965-1966 1970-1971

297 700 754

849 2 397 2 891

50 475 95 573 118 631

10 953 32 863 57 669

61 428 128 436 176 300

849 2 397 2 784

Source : Direction des statistiques scolaires et universitaires, Ministère de l’Education Nationale Bangui 1971.

De ce tableau établi selon trois plans triennaux, on peut constater l’engagement effectif du gouvernement à vouloir scolariser en masse la population scolarisable. Le nombre des élèves est passé de 61 428 en 1961 à 176 300 élèves en 1971. Mais au niveau qualitatif on peut se rendre compte du manque de personnel enseignant au tout début de cette mission éducative. Pour la première rentrée scolaire d’un Etat indépendant de 1960-1961, le ratio enseignant/élèves était de 72,35 élèves par enseignant, posant déjà le problème de surcharges de classes compromettant un bon apprentissage. Les efforts vont néanmoins se poursuivre pour réduire le ratio à 53,60 élèves par enseignant à la rentrée 1965-1966 avant l’augmentation jusqu’à 63,32 élèves à la rentrée 1970-1971. Bien que la disparité entre les sexes soit lisible, on remarque néanmoins une augmentation plus forte de l’effectif des filles entre 1960 à 1971 que chez les garçons. Cela peut s’expliquer par une sensibilisation, car dès 1964 par décret n°64/064 en date du 21 février 1964, le gouvernement crée le Secrétariat d’Etat à la

38 KALCK, P, La République Centrafricaine, Paris, Editions Berger-Levrault, 1971, pp.16

Page 39: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

39

Promotion Féminine39. Ce service avait pour objectif non seulement de sensibiliser les filles à la scolarisation mais aussi de proposer des mesures pouvant améliorer la condition des femmes centrafricaines en organisant et suivant l’éducation des femmes adultes et les jeunes filles non scolarisées vivant en milieu urbain et rural. L’accent est également mis sur la formation des enseignants qui ont vu leur nombre augmenté de 849 en 1961 à 2 784 en 1971. Enfin les établissements scolaires ont connu une augmentation relativement sensible passant de 297 à 754 dix ans plus tard. Il est important de souligner la disparité des taux de la scolarisation40. Le taux de scolarisation est très variable sur tout le territoire ; les grandes villes telles que Bangui, Bambari, Bossangoa (…), ont des taux de scolarisation les plus élevés du pays en 1971 : - Bangui : 65%, - Bambari : 30%, - Bossangoa : 28%. Les petites villes de campagne et les villages encore très nombreux, regroupent pourtant des taux de scolarisation les plus faibles ; les taux de scolarisation régionale varient ainsi de 60,5% pour l’Ombella-M’Poko à 1,4% pour Vakaga située au Nord Est du pays. Notons que la scolarité à l’école primaire est élaborée sur une période de six (6) ans. Pour accéder au collège, l’écolier doit passer son C.E.P.E. (Certificat d’Etudes Primaires et Elémentaires) et un concours d’entrée en « sixième »ou collège. Nous estimons que la première génération d’écoliers de l’indépendance, de manière générale aurait atteint ce niveau d’admission au collège en 1968. Nous allons analyser les pourcentages de ceux qui ont satisfait à ces exigences (CEPE et concours) et voir les écarts de la progression scolaire.

39NAMYOUÏSSE, J.M, Causes et conséquences de la non-fréquentation scolaire des jeunes filles en milieu rural : Cas de la commune de l’Ouham-bac, Mémoire de maîtrise, Sociologie, Université de Bangui, 2000, pp.1 40 Ministère de l’Education, Direction des statistiques scolaires et universitaires (1971), Bangui, République Centrafricaine.

Page 40: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

40

Tableau 2*: Les écarts de la progression scolaire Années Effectifs

au CM2 Admis au CEPE

Refus au CEPE

% admis au CEPE

% refus au CEPE

Admis en 6ème

Refus en 6ème

% admis en 6ème

% Refus en 6ème

% Totaux

1968 1969 1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977

12 565 13 017 14 595 17 646 17 826 21 219 22 371 26 049 27 212 29 967

8 892 9 254 9 992 12 259 11 753 15 133 15 512 19 616 19 088 20 960

3673 3 763 4 603 5 387 6 073 6 086 6 859 6 433 8 124 9007

70,77% 71% 68,45% 69,45% 65,90% 71,30% 69,30% 75,30% 70,10% 69,90%

29,23% 29% 31,55% 30,55% 34,10% 28,70% 30,70% 24,70% 29,90% 30,10%

1 591 2 332 4 259 3 474 3 518 2 973 3 297 3 441 3 383 6 148

10 974 10 685 10 336 14 172 14 308 18 246 19 074 22 608 23 829 23 819

12,7% 17,90% 29,20% 19,70% 19,70% 14% 14,70% 13,20% 12,40% 20,50%

87,30% 82,10% 70,80% 81,10% 81,10% 86% 85,30% 86,80% 87,60% 79,50%

100% 100% 100% 100% 100% 100% 100% 100% 100% 100%

Source : Ministère de l’Education Nationale (Octobre 1979) : Données statistiques sur les activités économiques culturelles et sociales, Bangui. *Nous avions traité les pourcentages d’admis et refus au CEPE et refus au concours qui ne figuraient pas au tableau initial.

De ce tableau nous pouvons observer la progression massive de la population scolarisable qui est une suite logique du tableau précédent. Et si nous portons une observation sur l’année scolaire 1960-1961, on remarque que le nombre d’élèves était de 61 428 et seulement 12 565 élèves soit 20,45% qui sont présentés au CEPE et concours d’entrée au collège. Et 48 863 élèves soit 79,55 dont on ne sait précisément ce qu’ils sont devenus. De là nous posons comme hypothèses que : - Soit que l’indépendance a hérité des élèves de l’école privée catholique qui a interféré sur le nombre d’élèves réellement recrutés, en sus de ceux de l’école coloniale, au lendemain de l’indépendance, - Soit qu’il y a eu de redoublement massif, - Soit qu’il y a eu des abandons scolaires massifs. - Soit qu’il y a insertion professionnelle précoce. L’autre constat sur ce tableau est qu’on assiste à un faible pourcentage d’admis au collège. Cette situation peut s’expliquer par des hypothèses suivantes : - un encadrement insuffisant des élèves pouvant affronter ce concours très rigoureux et ce, jusqu’à nos jours, - Le manque de moyens comme nous le montrent les données financières de l’époque :

Page 41: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

41

- « en 1960 : le budget de l’enseignement (470 millions de francs CFA) représente 16% du budget total. En 1963 : Si la progression continue au rythme actuel, il faudra 800 millions pour faire face aux dépenses du service ».41 Signalons qu’un seul redoublement est possible et ensuite l’élève doit quitter tout simplement le système scolaire. Et si l’élève n’a pas eu son CEPE, son insertion s’avère difficile à cette période. Par contre, on remarque qu’il y a un pourcentage très élevé des élèves ayant obtenu leur CEPE. Cela s’explique par la situation du moment. Le pays a besoin de personnels à tous les niveaux de l’administration et du fonctionnement du jeune Etat. Des concours et des recrutements de masses sont organisés sur critère de ce diplôme fatidique : Le CEPE. Le privilège que confère le travail dans l’administration à cette période, encourage les jeunes scolarisés à opter précocement pour la vie active plutôt que de poursuivre leur scolarité, comme nous témoigne cet enseignant à la retraite : «…la manière à laquelle mon maître (Instituteur) s’habillait m’a séduit à devenir enseignant comme lui (…) après mon CEPE j’ai passé le concours des agents supérieurs de l’enseignement (…), j’ai passé plusieurs concours à chaque grade pour finalement finir instituteur (…) ». D’ailleurs l’enseignement ne se limitait qu’au secondaire général classique, moderne et technique dans ce pays, comme nous l’avions mentionné précédemment selon la loi de 1962 relative au système éducatif. Comme la plupart des pays francophones, l’enseignement supérieur était inexistant dans presque tous les pays africains francophones avant 1960 et plus longtemps après cette date. A part le Congo-Belge (devenu ZAÏRE puis Congo Démocratique) ayant un statut particulier42, avait au moins trois universités de formation supérieure avant 1960 : - Institut agronomique créé en 1933-1934, - Université de Lovanium en 1956 devenue l’Université de Kinshasa, - Université d’Elisabethville en 1956 devenue l’Université de Lubumbashi. A cela il faut tenir compte des séminaires qui donnaient une formation de type universitaire mais orientée exclusivement vers la théologie et la philosophie. Notons le séminaire de Kisantu qui a formé également certains oubanguiens notamment Barthélemy Boganda. Son séjour congolais où les luttes politiques étaient déjà

41 Plan triennal provisoire du développement économique et social 1960-1961-1962. 42 Le Congo dont on parle ici est celui du Congo-Belge différent de Congo-Brazziville. Au delà du développement et de l’intervention des langues locales dans l’enseignement, le français est la langue officielle dans ce pays.

Page 42: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

42

présentes marquera plus tard son engagement politique. Nous y reviendrons quand nous allons aborder le cadre politique et les abandons scolaires. Au Sénégal, il y avait l’Institut de Hautes Etudes de Dakar créé en 1950 sous l’égide du Recteur de Bordeaux, siège traditionnel des Chaires coloniales, qui deviendra par la suite université en 1957. C’est la plus ancienne des universités francophones d’Afrique. Elle restera jusqu’en 1960 française dans son administration, son personnel, ses programmes, son financement, ses diplômes etc. De cette université est ressorti l’Oubanguien, le professeur (Médecine) Abel Goumba, l’un des acteurs de la lutte politique en Oubangui-Chari, nous y reviendrons. De ces cas de figure, deux constats se dégagent : - La poursuite des études supérieures des élèves ayant terminé le secondaire -L’importance de l’enseignement supérieur dans les luttes politiques ou sociales Les élèves ayant terminé les études secondaires et voulant poursuivre leurs études supérieures selon le plan du gouvernement ou par ambition personnelle, doivent le réaliser à l’étranger. Et, cela nécessite d’énormes moyens, pour la prise en charge de ces étudiants, à travers les bourses, allocations etc. L’Etat ne disposant pas de moyens conséquents, ne suivra pas totalement jusqu’au bout ces étudiants dans leurs lieux d’études ou jusqu’à leur insertion professionnelle pour ceux qui auraient terminé leur formation. L’enseignement supérieur demeure un catalyseur dans le processus de développement ou de changement politique. Les deux exemples des oubanguiens (B.Boganda et A. Goumba) justifient à juste titre cette évidence. Ayant bénéficié d’une formation de niveau supérieur grâce aux universités précitées, ces deux « compagnons » apparaissent en avant-gardistes des luttes politiques ayant conduit la République Centrafricaine à l’indépendance même si l’un (B.Boganda) décédé tragiquement tôt et l’autre (A. Goumba) plus visionnaire n’était pas d’avis pour une indépendance précipitée car le territoire était : - privé des instruments de souveraineté évoqués ci-dessus. Notons que l’esprit de l’indépendance suivi de celui de la conférence d’Addis-Abeba en matière de scolarisation, rappelons-le, était celui de la massification et de la réorientation de l’éducation : « Etant donné que le contenu actuel de l’Education ne correspond ni à la réalité africaine, ni à l’hypothèse de l’indépendance politique, ni aux caractéristiques d’un siècle essentiellement technique, ni aux exigences d’un développement économique

Page 43: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

43

équilibré comportant une industrialisation rapide, mais qu’il fait appel à des références à un milieu non africain et ne permet pas à l’intelligence, à l’esprit d’observation et à l’imagination créatrice de l’enfant de s’exercer librement, et de l’aider à se situer dans le monde, - que les autorités chargées de l’éducation dans les pays africains révisent le contenu de l’enseignement en ce qui concerne les programmes, les manuels scolaires et les méthodes, en tenant compte du milieu africain, du développement de l’enfant, de son patrimoine culturel et des exigences du progrès technique et du développement économique, notamment de l’industrialisation » 43 Comme nous l’avions souligné, ces nouveaux états indépendants vont se rendre compte au cours de la conférence de Addis-Abeba qu’ils n’avaient pas les moyens de leur ambition : - « (…) Conscients du fait que les ressources sont insuffisantes à l’heure actuelle, et le resteront pendant une vingtaine d’années, les Etats africains se rendent compte qu’il leur est impossible de financer eux-mêmes entièrement la mise en œuvre de ces plans. Ils savent que pour atteindre leurs buts, ils auront besoin d’aide étrangère dont l’ampleur ira croissant pendant dix ans et diminuera ensuite pendant les dix années suivantes. Ils accueilleront donc volontiers l’assistance internationale qui leur sera nécessaire »44. Ainsi, ils vont demander des aides internationales c'est-à-dire s’endetter. La République Centrafricaine va devoir de l’aide européenne : - « (…) Il faut souligner l’aide apportée par la F.A.C. (Fonds d’Action et de

Coopération) et le F.E.D (Fonds Européens et de Développement) pendant les premières années de l’indépendance au pays. Cette aide a servi essentiellement à la construction des bâtiments scolaires, dont le nombre a plus que doublé en cinq (5) ans »45.

Au lendemain de l’indépendance, on a noté un effort de massification scolaire mais non maîtrisé par des moyens conséquents. La politique éducative était mal définie car orientée vers un travail dans l’administration et non vers un épanouissement personnel de l’individu à la transformation et l’implication personnelle ou collective dans les activités économiques du pays comme l’agriculture. L’arrogance des fonctionnaires de

43Rapport final, Conférence d’Etats Africains sur le Développement de l’Education en Afrique du 15-25 mai, Addis-Abéba, 1961 44 Rapport final (1961) Conférence d’Etats Africains sur le Développement de l’Education en Afrique du 15-25 mai, Addis-Abéba. 45DANAGORO, J.P, Education et développement en République Centrafricaine : La problématique éducative face aux aléas du développement communautaire en rural. Doctorat de 3ème cycle, Sociologie, Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, 1981.

Page 44: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

44

l’Etat est en cause. Ce qui amène les parents à espérer voir leurs enfants qu’ils envoient à l’école, être comme ces fonctionnaires comme nous le résume R. Dumont (1962) : « L’école représente d’abord le moyen d’accéder à la caste privilégiée de la

fonction publique ».46 Cet état d’esprit peut paraître une motivation à une scolarisation de masse mais pour quel but et quel objectif ? Des questions qui n’étaient pas ou mal posées pour une meilleure politique éducative au lendemain de l’indépendance. De l’analyse du tableau précédent il est apparu qu’il y a eu des abandons scolaires certains mais invisibles liés au chômage quasi inexistant car les entreprises tout comme l’Etat recrutaient encore. Qu’en est-il du cadre politique au lendemain de l’indépendance ?

46 DUMONT, R, L’Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil, 1962, pp.79

Page 45: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

45

I.3 Cadre politique et les abandons scolaires La République Centrafricaine est en crise politique et ce, dès 1958 avec la disparition tragique de son « père fondateur », Barthélemy Boganda. Nous allons cependant voir les différents régimes politiques qui l’ont succédé en commençant d’abord par : - l’ambition politique de B.Boganda - sa succession et l’accès à l’indépendance - les différentes prises de pouvoir de ses successeurs - l’implication de la France dans certains changements politiques. Notre but ici est de comprendre l’impact de ces différents changements politiques sur le fonctionnement du système scolaire et les abandons scolaires. Le 1er décembre 1958, après des luttes politiques des premières élites oubanguiennes, l’Oubangui-Chari devient la République Centrafricaine. Rappelons que initialement la République Centrafricaine ne se limitait pas au seul territoire de l’Oubangui-Chari. C’est un projet panafricain sous régional qui regroupait les pays de l’Afrique Equatoriale Française (Le Congo-Brazzaville, le Gabon, l’Oubangui-Chari et le Tchad) et devrait s’étendre au Congo-Belge et aux colonies portugaises. Ce projet n’a pu aboutir pour des raisons encore non élucidées liées également à la disparition tragique de son initiateur l’Oubanguien Barthélemy Boganda le 29 mars 1959 dans un accident d’avion. De cette disparition, va naître la lutte de succession au profit d’un jeune Instituteur David Dacko qui proclamera l’indépendance « nominale » de la République Centrafricaine aux côtés d’André Malraux représentant la France, le 13 août 1960. David Dacko en devient le premier président. Mais que signifie Etat indépendant avec la « privation des instruments de souveraineté » ? Cette situation de privation des instruments de souveraineté est caractérisée par l’absence de : - cadres nationaux compétents et en nombre suffisant - idéologie politique affirmée - armée nationale - monnaie - souveraineté économique - industries - infrastructures sociales… - technologie - etc.

Page 46: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

46

D’ailleurs au lendemain de l’indépendance,visionnaire à l’époque déjà, Abel Goumba s’était élevé, le 14 Août 1960 en ces termes, devant l’Assemblée nationale : "L’indépendance ne nous permettra pas de résoudre les problèmes complexes que

pose l’évolution des territoires africains, surtout lorsqu’il s’agit d’une indépendance

nominale, surtout lorsqu’il s’agit d’une indépendance qui ne repose sur aucun

développement économique viable, sur aucune structure administrative et technique

issue du pays."

Cette situation a maintenu la jeune République entre les mains des puissances étrangères notamment coloniales et les institutions internationales à travers les dettes au nom de la coopération à la place de colonisation et ce, jusqu’à nos jours. Cette même situation n’a fait qu’ouvrir des voies aux troubles socio politiques au niveau « interne »47 qui continue de jalonner la vie politique en Afrique et particulièrement en Centrafrique. Ainsi le 1er janvier 1966 un coup d’Etat militaire dirigé par un officier de l’armée française… le colonel Jean-Bedel Bokassa renverse le président David Dacko. Une fois au pouvoir, Jean-Bedel Bokassa, après avoir eu tous les grades de l’armée et de président à vie, se fait couronner empereur de Centrafrique le 4 décembre 1977, alors que la République Centrafricaine est devenue un an plus tôt l’Empire Centrafricain. Le 20 septembre 1979, David Dacko en séjour en France est ramené au pouvoir par la France sous les « Opération Caban » et «Opération Barracuda » renversant ainsi Jean-Bedel Bokassa, il abolit l’Empire et proclame la République. Il restaure en même temps le multipartisme qu’il avait alors lui-même interdit par les réformes constitutionnelles de 1962 et 1964 dans l’euphorie de la guerre de succession qui l’opposait au compagnon de lutte de Boganda, le Professeur Abel Goumba, président du MEDAC (Mouvement d’évolution démocratique de l’Afrique Centrale). David Dacko organise les élections législatives et présidentielles le 15 mars 1981et remporte les présidentielles. Les résultats seront contestés occasionnant des troubles sociopolitiques (attentats, grèves, manifestations). Profitant de cette période trouble le général André Kolingba va contraindre David Dacko à lui remettre le pouvoir en septembre 1981 où il mettra en place le Comité Militaire de Redressement National (CMRN) jusqu’en 1985, date à laquelle la société civile peut désormais faire son entrée dans le gouvernement. Le Général André Kolingba a du quitter le pouvoir en 1993 après avoir été contraint d’accepter la démocratie pour l’une des raisons suivantes : le constat des échecs des différents régimes dans les pays d’Afrique Noire, surtout

47 Les troubles politiques et les coups d’Etat en Afrique sont souvent commandités et dirigés de l’extérieur du pays.

Page 47: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

47

francophone, a amené les pays occidentaux notamment la France et certains organismes internationaux à conditionner toute aide au développement par l’instauration du multipartisme et de la démocratie dans ces pays. Cette « nouvelle forme » de gestion de la vie socio politique qu’est la démocratie a été initiée et soumis par la France aux représentants africains sous les vocables thématiques de « démocratie et développement » au XVIème Sommet France-Afrique du 19 au 21 juin 1990 à la Baule (France). Ce thème de « démocratie et développement » était abordé et discuté par l’ensemble des participants et le principe de démocratisation des pays concernés était acquis. Et ce, malgré la réticence de certains pays, habitués depuis leur indépendance soit : - au système de parti d’Etat (parti unique) sans démocratie - à l’autoritarisme - à une idéologie communiste qui vient de s’effondrer. Aussi c’est l’occasion de faire le mini bilan du modèle dit « des indépendances nationales »48qui s’était fixé comme objectifs : - l’éducation de masse - promotion des cadres nationaux - rompre avec l’économie de rente - transformation des matières premières et de substitution des importations - etc. Mais la déception est à la hauteur de l’espoir suscité par ces tentatives et ce, depuis les indépendances de ces Etats. Alors, il fallait essayer autre chose : la démocratie. De là, le général président André Kolingba ne peut que s’incliner devant la pression nationale et internationale en acceptant la démocratie et le retour des exilés politiques. Les premières élections de 1993 furent remportées par Ange Félix Patassé qui doublera son mandat en 1999 avant d être renversé par le général François Bozizé depuis le 15 mars 2003 et se faire élire en mai 2005. Ces différentes situations politiques ne sont pas linéaires. Elles ont eu des conséquences positives et négatives sur le fonctionnement des institutions de l’Etat. L’institution éducative a, pour sa part, été sévèrement affectée par ces situations. De manière spécifique quels en sont les incidences sur l’éducation ?

48 BLAMANGIN, O, Contestation altermondialiste In Manière de voir, Le monde diplomatique n° 79, 2005, pp.10-11

Page 48: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

48

I.4 Les troubles sociopolitiques et les abandons scolaires La République Centrafricaine depuis 1960 a connu six (6) présidents. L’accès à la magistrature suprême de ces présidents ne s’est pas fait de la même manière. Certains y sont parvenus par la voie du peuple, d’autres par des coups de force et enfin ceux qui y sont arrivés par le hasard des circonstances. Nous allons analyser les périodes de changement politique qui nous semblent utiles à la compréhension de notre travail. Enfin nous tenterons de mettre en évidence certaines causes et conséquences directes ou indirectes sur le fonctionnement du système éducatif. Les premiers troubles les plus retentissants commencèrent à la rentrée scolaire 1978-1979 avec l’instauration des tenues scolaires obligatoires même si l’on peut évoquer avant cette période les: « …grèves des lycéens en 1971 et 1972 pour protester contre les mauvaises

conditions de vie scolaire, 1974, 1975, 1975,1976 grèves à l’université de Bangui».49

Rappelons que le pays vient de vivre un grand évènement un an plus tôt : Le couronnement de l’empereur Bokassa 1er. Cet évènement n’est pas sans conséquences sur le trésor public qui commence à éprouver des difficultés pour faire face à ses dépenses de souveraineté. Les salaires, bourses et pensions ne sont pas versés à terme échu. Alors, évoquer le port de tenues obligatoires a rappelé aux fonctionnaires, élèves et étudiants qu’ils devaient se les acheter alors que les salaires et bourses ne sont pas payés. Des grèves furent déclenchées où des massacres, disparitions et arrestations des élèves et étudiants sont perpétrés en janvier et avril 1979. Ces journées sont encore commémorées de nos jours ! De cette période sombre, certains élèves et étudiants ont pris le chemin de l’exil et de clandestinité compromettant leur scolarité. D’ailleurs les écoles, collèges, lycées et l’université étaient fermés pendant plus de trois mois. A la reprise des cours certains élèves ont tout simplement abandonné l’école. Le renversement de l’empire en septembre 1979 a occasionné des actes négatifs au nom de « grâce à Dacko ». Deux significations s’imposent à ce groupe de mots : L’une positive et l’autre négative :

49 Zoctizoum, Y, Les mécanismes de l’ordre colonial, néocolonial et d’appauvrissement en Centrafrique : 1879-1979, Doctorat d’université, Sociologie, Paris 7, 1981, pp.794.

Page 49: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

49

- signification positive : « Grâce à Dacko » signifie la reconnaissance envers Dacko qui a débarrassé le pays d’un dictateur sanguinaire en la personne de Jean-Bedel Bokassa. - signification négative : « Grâce à Dacko » signifie la destruction systématique de tout ce qui a été bâti par Bokassa ou qui en portait son symbole. Ainsi des infrastructures scolaires, universitaires, sportives, hospitalières, les magasins, entreprises, usines… ont été pillés, vandalisés ou détruits. Et ce, tant dans la capitale qu’en provinces. Certains témoignages recueillis sur la question sont formels : - « Ces pillages étaient programmés, planifiés et exécutés par la France. L’armée française avait le plan de tout le pays et connaissant bien les points stratégiques avant de mener son « opération Barracuda », elle pouvait normalement protéger les biens surtout que sa présence était « admise » par la population ». Pour Mr Bada étudiant à l’époque : « … comme nous vivons dans la clandestinité, je n’étais pas au campus (résidence universitaire de Bangui), au lendemain de la chute de Bokassa je suis venu vers 7ou 8 heures au campus et l’Omnisport50 était encore « debout » « protégé » par les militaires français. Ce n’est qu’après qu’ils (les militaires français) ont incité la population à piller après qu’ils aient pris la précaution de piller eux-mêmes les objets de valeur». Pour Françoise alors élève au CM2 de l’école impériale de Bérengo51 : « Mon oncle qui me gardait (son tuteur) était le Chef d’Etat major impérial de Bérengo. Les « Barracudas » (les militaires français) sont venus nous réveiller tard la nuit et ils sont repartis avec mon oncle. Le lendemain ils nous ont demandé d’évacuer les lieux et après tout a disparu… ». De ces témoignages nous pouvons nous interroger de savoir : - si effectivement l’armée française avait bien quadrillé les points stratégiques du pays elle pouvait très bien protéger les biens et personnes. - Pourquoi et dans quel intérêt ne l’a-t-elle pas fait ? Et pourtant il n’y avait pas des résistance militaire ou populaire. L’armée française sur les faits, était bien accueillie par la population. - Pourquoi a-t-elle incité au pillage ?

50 L’omnisport est un grand complexe sportif construit dans le cadre de la coopération par les Yougoslaves. C’est dans ce complexe situé juste à côté de l’université qu’il y a eu le sacre de Bokassa en 1979. 51Bérengo c’est la résidence impériale de Bokassa où il y a presque une doublure du gouvernement central.

Page 50: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

50

Aujourd’hui les faits confirment cette incitation au pillage qui a dissimulé la responsabilité de la France dans la déstructuration et le pillage de la société centrafricaine à cette période de chute de l’empire. Car les objets de couronnement de Bokassa sont dans les musées français ou traînent entre les mains de commissaires priseurs ou huissiers occidentaux. Mais comment ces objets sont-ils arrivés en France ? La réponse se trouve dans cette incitation au pillage. Un seul slogan sur le couronnement de Bokassa a couru, court et courra toujours dans les médias occidentaux : «Bokassa s’est fait couronner au grand frais du trésor public appauvrissant davantage son peuple ». C’était tellement vrai ce qui s’est passé. Mais nous nous posons ces quelques questions qui nous hantent et nous reviennent à l’esprit lorsqu’ on évoque la chute de Bokassa : - Pourquoi ceux qui l’ont destitué, avec l’humanisme qui les caractérise, n’ont pas restitué les objets de couronnement confisqués à l’Etat centrafricain ? - Pourquoi ne les vendent-ils pas au profit du trésor public centrafricain qui ne s’est jamais remis de ces somptueuses dépenses du couronnement ? - Et qui a financé son couronnement ? A ces questions on reste tenté d’inclure la part de responsabilité de Bokassa et de ceux qui l’ont renversé, dans certaines causes de l’appauvrissement de la République Centrafricaine. Nous avions évoqué ci-dessus le pillage dans certaines provinces centrafricaines à la chute de Bokassa, et pourtant il n’y avait pas de militaires français dépêchés sur le terrain pouvant inciter au pillage sauf quelques avions militaires qui surveillaient le territoire sans atterrir. La réponse est invraisemblable selon nos enquêtés de la préfecture de l’Ouham précisément à Bossangoa : Pour Marcel Lycéen à l’époque : «…comme nous avions appris que Bokassa avait un plan de bombardement des quartiers nord de Bangui et de la région de l’Ouham où est originaire le Président de l’A.N.E.C.A52, quand les avions ont commencé à survoler la région vers minuit et une heure du matin, nous avions pensé que c’était fini pour nous ! Nous avions allumé la radio, bizarrement elle marcha à des heures pareilles53, mais ne diffusant que de la musique militaire. Automatiquement nous avions capté la radio « France Inter » où la nouvelle fût annoncée : Bokassa est renversé ! Dans certains

52ANECA : Association Nationale des Elèves et Etudiants Centrafricains. Le président de cette association avait une ascendance sur les élèves et étudiants. Les meetings qu’il organisait et les mots d’ordre de grèves qu’il lançait étaient très suivis qu’il inquiétait Bokassa. Bien qu’il vivait en clandestinité. Ainsi, Bokassa a procédé à l’arrestation des membres de sa famille. 53La radio nationale émet de 5h30 à Minuit.

Page 51: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

51

quartiers la nouvelle était déjà connue et des cris de joie, de battements de tambours et casseroles se font retentir et nous fûmes de même… Quant au pillage, cela a commencé un peu tard quand « France Inter » a annoncé et insisté qu’il y avait pillage à Bangui… ». Pour Boniface alors élève : « quand on a appris par France inter qu’il y avait pillage à Bangui, nous nous sommes organisés entre copains de quartiers pour aller casser l’entrepôt où sont stockés les produits PAM54. Ceci parce que l’intendant ne distribuait pas les produits comme il se doit. C’est en allant régler nos comptes à l’intendance qu’on a appris qu’il y avait pillage des magasins ; changement de cap vers le centre ville ; regarde cette cicatrice, c’est le seul souvenir qui me reste de cette période. Je me suis blessé en arrachant une dame-jeanne de Nabao55». Enfin pour Mr Oroye, ouvrier à la société d’égrainage de coton : « les enfants (c'est-à-dire les élèves) étaient exacerbés par les conditions de travail dans lesquelles Monsieur Débours (Le chef d’usine) nous avait soumis… quant ils sont arrivés (les élèves) au lieu de défendre notre usine, nous avions préféré les aider à la détruire car nous n’avions rien à perdre… De là, nous sommes tombés sur des documents compromettants : nous ne sommes payés qu’à la moitié de nos salaires réels…». Les médias français ont joué un rôle important dans la propagande et l’incitation au pillage dans les provinces centrafricaines. Quand tout fut rentré dans « l’ordre» après cette chute de l’empire, il a fallu faire le bilan, du moins en ce qui concernait l’Education : - manque crucial d’infrastructures scolaires, - les fournitures scolaires sont désormais achetées par les parents et non offertes gratuitement par l’Etat, - la carte d’abonnement sanitaire (équivalent de la Couverture Médicale Universelle en France) des élèves est supprimée, ils doivent supporter les frais médicaux, - les bus de transport des élèves et étudiants sont supprimés également, - les réquisitions de transport pour élèves et étudiants supprimées; ils doivent payer eux-mêmes leur voyage même si c’est un voyage pédagogique. Tous ces acquis sociaux en faveur de l’Education ne sont pas supprimés par la volonté manifeste du gouvernement mais tout simplement par l’incapacité financière de l’Etat,

54P.A.M : Programme Alimentaire Mondiale. Cet organisme subsidiaire des Nations Unies dote chaque établissement scolaire, qui en fait la demande, des produits alimentaires à l’intention des élèves nécessiteux. Ces élèves viennent au collège loin de leurs parents et vivent seuls. 55 Nabao est une marque de vin rouge vendu dans les magasin des concessionnaires portugais comme : Moura & Gouveia, Tavares etc.

Page 52: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

52

la mauvaise gestion des dépenses publiques et d’autres causes exogènes évoquées ci-dessus, d’en assurer la pérennité. Car le tissu économique étant détruit, l’Etat ne perçoit plus grand-chose au niveau des recettes fiscales et douanières. La population centrafricaine étant pauvre, la prise en charge de ces acquis sociaux désormais par les parents constituerait pour ces derniers le début d’un défi épouvantable non prévu à relever et ce, jusqu’à nos jours. Les multiples contestations des résultats des élections présidentielles de mars 1981 ont également porté un coup dûr à l’éducation. L’organisation des élections elles mêmes se déroulent souvent en pleine année scolaire. La plupart des enseignants ont des responsabilités politiques : - directeurs de campagne d’un tel candidat à l’élection présidentiel - présidents de section de tel parti politique - candidats aux élections législatives ou municipales - etc. Ces enseignants ont du abandonner les salles de classe pour plus de cinq mois. C’est dire que : - la date du vote étant fixé le 15 mars 1981, les campagnes électorales auraient démarré deux semaines plus tôt, - le dépôt de candidature aurait été enregistré au moins deux mois auparavant, - enfin il fallait deux ou trois semaines pour connaître les résultats du premier tour ! - deux ou trois semaines pour entreprendre la campagne pour le 2ème tour durant deux semaines environ - deux ou trois semaines pour enfin connaître le résultat final. Pendant toute cette période électorale la fréquentation scolaire subit un rythme quasi nul. Quand survinrent les contestations des résultats suivies de grèves à répétition, attentats… ce fut la fermeture pure et simple des établissements scolaires entraînant la démotivation et les abandons scolaires. La prise de pouvoir du général André Kolingba en septembre 1981 mettant fin à ces troubles n’a pas stabilisé la fréquentation scolaire de manière régulière, les problèmes sociaux n’étant pas résolus. La démocratisation du pays, comme évoquée ci-dessus, dans les années 1990 a entamé sévèrement la fréquentation scolaire de manière profonde et sans précédent jusqu’à avoir trois années scolaires et universitaires invalidées. Au-delà des revendications politiques et syndicales, les problèmes sociaux s’aggravent :

Page 53: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

53

- plus de douze mois que les salaires et bourses ne sont pas payés, -La chute du pouvoir d’achat des ménages - les hôpitaux et dispensaires ne fonctionnent quasi-plus, - les établissements scolaires sont fermés, - les grèves illimitées, - etc. En un mot le pays était en état de déconfiture avancée. La réussite des élections législatives et présidentielles de septembre 1993, a donné l’espoir au pays par : - un arrêt immédiat des mouvements de grèves illimitées, - une reprise sans condition du travail - une reprise des activités pouvant aider à la relance économique et à la cohésion sociale, - non réclamation de plus de douze (12) mois d’arriérés de salaires et bourses légués par l’ancien régime au nom de la continuité de l’Etat. Ce sacrifice de l’ensemble des classes politiques, syndicales, de la société civile et des partenaires au développement de la République Centrafricaine sera mal géré par le gouvernement qui vient d’être mis en place. Ce qui va instaurer un climat de frustration, de méfiance, de suspicion généralisée à toutes les échelles de l’administration de l’Etat et finalement de démotivation en ce qui concerne les enseignants. La dévaluation du franc CFA en janvier 1994 sans mesure d’accompagnement a aggravé la situation économique déjà en mal de se remettre, vu la gestion non orthodoxe du régime précédent et celui aux responsabilités. De là, le nouveau régime va commencer à être confronté à l’épineux problème des arriérés : - de salaire pour les fonctionnaires, - des primes, salaires, promotion des militaires, - bourses pour les élèves, étudiants et stagiaires, - pensions pour les retraités tant civiles que militaires - etc. Les syndicats ayant suspendu leurs revendications salariales dues à l’ancien régime vont se montrer opérationnels. Des négociations vont être engagées entre Gouvernement et Syndicat à la veille de la rentrée scolaire 1995-1996. Le point important de cette négociation était le payement de salaire à terme échu. Comme le gouvernement n’a pas pris un engagement ferme, les documents de cette négociation

Page 54: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

54

ne seront pas signés : comme conséquences, les grèves suspendues il y a trois (3) ans peuvent reprendre perturbant l’année scolaire qui vient de commencer à la veille des négociations. La marche des syndicats enseignants en avril 1996 sera suivie par trois mutineries militaires avec des conséquences néfastes d’abord sur le système scolaire ensuite sur l’économie et enfin sur la population. Les zones occupées par les mutins ont vu leurs écoles servir de « quartier général » des insurgés. Ce qui a duré pendant plus d’un an, le temps de trouver un accord et l’arbitrage d’une armée africaine MISAB56. Cet accord, sous l’arbitrage des Nations Unies, après la conférence de réconciliation nationale a permis une reprise quasi normale des institutions notamment scolaires. Il a permis également l’organisation des élections législatives et présidentielles de 1999. Ce nouveau mandat commença sous un climat de tension car un élu a fait basculer la majorité de l’opposition à la majorité présidentielle. Ce qui a fait perdre in extremis l’Assemblée Nationale tant souhaitée par la coalition de l’opposition. La répression après la tentative du coup d’état du général André Kolingba le 28 mai 2001 aura des conséquences directes sur le fonctionnement du système scolaire. Les enseignants soupçonnés d’être en intelligence avec l’auteur présumé du coup d’état ont dû quitter le pays ou vivre dans la clandestinité. Des familles entières parmi lesquels les écoliers, élèves et étudiants se retrouvent ainsi réfugiés au Congo Démocratique, au Congo Brazzaville, au Gabon etc. Dans une telle situation, la priorité est donnée à la santé et à l’alimentation et non à la scolarisation. Ainsi les élèves vont vivre une situation que nous qualifions d’abandon scolaire involontaire sans possibilité de ré scolarisation immédiate. Le 25 octobre 2002, le général François Bozizé alors en rébellion depuis plus d’un an, après avoir échoué à un autre coup d’état, va occuper le centre et le nord du pays, d’où la région de l’Ouham, au moment de son repli. Les zones occupées par les rebelles deviendront une zone de non droit : - Tous les établissements scolaires sont alors fermés ou transformés en état major des rebelles - Les archives et livres scolaires sont brûlés comme chauffage - Les élèves enrôlés dans la rébellion - Etc.

56 Mission Interafricaine de Surveillance des Accords de Bangui. MISAB deviendra MINURCA (Mission des Nations Unies en République Centrafricaine) en avril 1998.

Page 55: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

55

Là également, il y a eu une masse de la population de plus 40 000 personnes ont dû abandonner leur terre pour se réfugier au Tchad et au Cameroun ; et les enfants restent sans scolarisation. L’appel des organisations internationales notamment de « Médecins du monde » ou du HCR (Haut Commissariat au Réfugiés) n’a concerné que de l’aide alimentaire et médicale. De cette situation, des cas d’abandons scolaires involontaires sont à relever de manière évidente. L’appel du pouvoir central du Président Patassé aux forces non conventionnelles n’a pas arrangé la situation pour autant. Bien au contraire ! Les rebelles de Jean-Pierre Bemba du MLC (Mouvement de Libération du Congo) venus à la rescousse du président Patassé ont commis des actes ignobles et indescriptibles tant sur les biens que sur les personnes physiques. Des écoliers sont violés et torturés physiquement et psychologiquement. Les bâtiments scolaires sont vandalisés et assiégés. Cette situation dura jusqu’au 15 mars 2003 où le général Bozizé parvient à renverser le président Patassé, chasser les rebelles du MLC, contrôler tant bien que mal l’ensemble du territoire par l’armée régulière appuyée « naturellement » par l’armée française et les forces de la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale) avant d’organiser les élections législatives et présidentielles en mai 2005,qu’il remporta. L’accès à l’indépendance de la République Centrafricaine nous laisse entrevoir comment celle-ci était mal préparée voir précipitée. Cela se constate à travers des attitudes parfois immatures de ceux qui étaient et qui sont encore aux affaires de l’Etat même si on peut évoquer des causes extérieures. À chaque changement politique, que ce soit par la démocratie ou par coup de force, le système éducatif en ressort toujours sévèrement affecté occasionnant des abandons scolaires involontaires. Et les élèves en ressortent durement touchés par les effets collatéraux de ces luttes politiques ou militaires et trouvent en cela des motivations justifiées pour justifier leur démotivation quant à une éventuelle reprise de l’école. L’un des problèmes principaux se résume au niveau de la gestion et de la répartition de la richesse nationale. N’ayant ni le charisme ni la volonté politique à la hauteur de leur responsabilité d’hommes d’Etat, ils ne peuvent ni transcender, juguler, ni relativiser une situation pouvant aller dans l’intérêt suprême de la nation. D’où le mécontentement, la frustration ouvrant ainsi la voie ou des voies aux différents remous sociaux et politiques qui affectent et affecteront toujours le fonctionnement du système scolaire en Centrafrique tant que rien n’y sera fait en profondeur.

Page 56: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

56

Nous allons maintenant aborder la situation géographique et son lien avec les abandons scolaires.

I.5 Situation géographique et les abandons scolaires Une recherche ne peut que s’effectuer sur un espace géographique donné. Ce dernier est doté d’un aspect physique, économique, social… contribuant à son maintien et son fonctionnement. Ceci étant, nous avions essayé de voir comment ces aspects physiques peuvent ou non influencer la fréquentation ou les abandons scolaires qui nous intéressent ici. 1.5.1 Aspects physiques et les abandons scolaires Pays enclavé d’Afrique Centrale, avec un relief constitué de plateaux de 600 m à 900 m, la République Centrafricaine est limitée au Nord par le Tchad, au Sud par le Congo et la République Démocratique du Congo, à l’Est par le Soudan et à l’Ouest par le Cameroun. Le pays couvre une superficie de 623 000 km2 pour une population de 3 895 139 habitants57 repartie en trois zones climatiques : - un climat de type Sahélo soudanien au Nord-est. L’implication de ce type de climat dans le calendrier scolaire unique à l’ensemble du territoire, pose le problème de fréquentation ou des abandons scolaires. Cette région Nord-Est connaît trois mois de saison de pluies allant de juillet à octobre. Cependant elle est coupée des autres régions, vue l’état de route devenue impraticable à cette période. Alors il faut attendre décembre ou janvier pour une circulation routière. Ainsi les enseignants affectés pour prendre leur poste dès septembre doivent se soumettre à cette exigence climatique, donc les élèves en place sont tentés par les abandons scolaires. - un climat subtropical au centre connaissant six mois de saisons de pluies de juin à novembre. Les perturbations du calendrier scolaire liées aux grèves, crises politiques …occasionnent la fin de l’année scolaire vers août au lieu de juin. Cette période correspond aux activités champêtres intenses nécessitant la participation des enfants. Aussi c’est est la période de grandes averses qui empêchent les enfants d’aller à l’école de manière régulière pouvant déboucher sur les abandons scolaires.

57Perspectives démographique, Troisième recensement général de la population et de l’Habitation de 2003, Ministère de l’Economie, du Plan et de la Coopération Internationale, 2003, pp.6

Page 57: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

57

- un climat équatorial humide au Sud-Ouest, avec plus de neuf mois de saison de pluies de mars à novembre. L’une des conséquences de cette longue période pluvieuse sont les inondations qui rendent inaccessibles l’école où les bâtiments scolaires de fortune sont souvent détruits. Le pays est traversé de nombreux cours d’eau, abritant une forêt dense humide, doté d’un sous sol riche en diamant, or, uranium, fer, pétrole, et autres minéraux. Ces cours d’eau sont des sources d’activités intenses pendant la saison sèche, période scolaire. Il peut se traduire par la pêche organisée par les enfants eux-mêmes que d’aller à l’école ou par les adultes qui ont besoin d’aide de leurs enfants quand il s’agit de pêche par campement où les enfants ne peuvent rester seuls au village. L’autre aspect est celui d’approvisionnement en eau auprès de ces cours d’eau se situant généralement loin des habitations empiétant sur l’assiduité ou la ponctualité scolaire des enfants. L’exploitation forestière et minière ne peut se faire sans l’implication des enfants au détriment de leur scolarité.

1.5.2 Les aspects socioéconomiques et les abandons scolaires 1.5.2.1 Aspect social et les abandons scolaires Soumise à une grave crise économique et de déficits budgétaires importants depuis plus d’une décennie, la R.C.A. est tributaire de l’aide internationale. Les relations avec les organismes internationaux s’étaient détériorées en raison du retard accumulé dans le règlement de la dette. La lenteur du gouvernement à mettre en place des réformes convenues dans les plans d’ajustement structurel et des troubles qui avaient marqué la transition démocratique au début des années 1990 maintient le pays dans son ensemble, dans une impasse patente. Cet état de choses a des conséquences très graves au niveau social. Celui-ci est marqué par la pauvreté monétaire des ménages : 62% des familles vivent en dessous du seuil mondial de pauvreté de 1$(dollar américain) par jour et par personne. Les recettes budgétaires étant largement insuffisantes pour subvenir sans aide extérieure aux besoins du pays notamment l’accès de la population aux services sociaux : hôpital, école... Ces faibles recettes devraient continuer à faire face au problème d’arriérés « chroniques » de salaires, de bourses, pensions qui souvent provoquent des grèves à répétition. Ce qui amène le gouvernement à réduire considérablement la part des dépenses publiques allouées à chaque secteur public.

Page 58: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

58

Le budget de l’éducation nationale qui était de 22,0% du budget national en 1989-1990 s’était retrouvé à 9,0% au lendemain de la démocratisation du pays comme nous le montre le tableau suivant : Tableau 3 : Dépense de l’Education

Centrafrique Unité 1989-90 1990-91 1991-92 1992-93 1993-94 1994-95 1995-96

Part des dépenses publiques de l’Education

% 22,0 23,0 23,0 26,0 Non disponible

9,0 9,0

Source : Ministère délégué aux finances et au budget ,1997

Depuis 1990, chaque année scolaire est jalonnée ou perlée de grèves jusqu’à même aboutir à des années blanches, années scolaires invalidées: c’est le cas des années scolaires et universitaires suivantes : 1990-1991 1992-1993 1994-1995. Les programmes scolaires souffrent dans leur exécution totale au cours d’une année scolaire à l’autre. La couverture socio sanitaire reste quasi inopérante. Les conséquences tâtent toutes les couches sociales. Les enseignants ne pouvant pas supporter les frais médicaux meurent souvent par faute de soins même les plus élémentaires. Il est utile de rappeler que le S.I.D.A. touche avec acuité cette catégorie professionnelle. Et le nombre de décès des enseignants est plus élevé que celui en formation : « Ceux ci disparaissent ainsi des salles de classe en moyenne 10 ans avant la date normale de leur départ à la retraite »58. Quelques rares promotions d’enseignants formés attendent plusieurs années avant d’être intégrés dans la fonction publique. Certains de ces enseignants en attente d’intégration meurent sans avoir franchi le seuil d’une salle de classe. L’irrégularité de salaires ne touche pas essentiellement les enseignants, elle affecte aussi les autres fonctionnaires. Les cadres moyens ou fonctionnaires rejoignent progressivement le cortège de la pauvreté en l’absence de régularité de leur salaire.

58 The New York Times, Les systèmes éducatifs africains pénalisés par les ravages du SIDA chez les enseignants Washington, 7 mai 2002

Page 59: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

59

Et ceux qui n’ont pas de travail vivent une situation indescriptible dès lors qu’ils ont des enfants à charge. En fait, ceux qui ont de revenus supposés (les fonctionnaires) et ceux qui n’en ont pas vivent quasiment la même situation face aux structures scolaires et sanitaires, y compris les élèves. La quasi-totalité des couches sociales est touchées par la pauvreté. Cette situation est beaucoup plus accentuée en milieu rural où ces structures font cruellement défaut. Ces états de choses renforcent la situation de non fréquentation et des abandons scolaires. 1.5.2.2 Aspect économique et les abandons scolaires L’économie centrafricaine est entrée à la fin des années 1980 dans une phase de récession et demeure l’une des plus fragiles au monde. Malgré de nombreuses richesses naturelles, la République centrafricaine se trouve parmi les pays les plus pauvres de la planète : 171ème rang selon le classement dernier rapport du PNUD59 sur la base des indicateurs du développement humain. L’agriculture est l’activité essentielle qui occupe 66 % de la population. Avec 9% des terres cultivées, le manioc constitue la principale culture vivrière avec le mil et le riz. Les cultures d’exploitation sont le coton, le café et le tabac. Ces cultures demeurent extensives. L’élevage est pratiqué sur trois modes : pastoral, transhumant et sédentaire. Ce secteur représente 24% du PIB agricole. Ces différentes activités subsistent « grâce » à la participation active des enfants qui sont aussi élèves. Et ils y sont très impliqués surtout en milieu rural, compromettant souvent leur scolarité. La forêt centrafricaine est l’une des plus riches en essences rares. Elle couvre environ 8% du territoire nationale soit 34 millions d’hectares dont plus de 2,2% exploitables. Et seule la partie sud-Ouest scientifiquement connue est exploitée. Cette filière représente environ 16% du P.I.B60, deuxième source des recettes d’exportation et devient de plus en plus importante. Les mines de diamants constituent la grande richesse nationale mais devient victime de contrebande. La production officielle s’élève à 5,3% du P.N.B et la production

59 Programme des Nations Unies pour le développement) : Indicateurs du Développement Humain (IDH), 2005 60 www.izf.net , site consulté le 20 février 2003

Page 60: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

60

officieuse à 15%61 . L’exploitation du pétrole n’est qu’à l’état de projet. Des réserves d’uranium, de fer et d’autres minéraux existent et sont en état de prospection. Des autorisations d’exploitation à titre expérimental de l’uranium sont opérationnelles. Le secteur secondaire notamment l’industrie qui devrait être l’un des moteurs de développement manque d’investissements et son outil de travail reste moyenâgeux. Le secteur tertiaire n’a pas encore atteint un niveau de développement minimum. Le pays est lui-même enclavé au niveau intérieur. Certaines régions sont coupées des autres selon les saisons. Dépourvue de voies ferrées, la R.C.A. communique avec l’extérieur par un réseau routier de 23 500 Km (2% bitumés), le Chari (vers le Tchad) et surtout l’Oubangui qui relie la capitale Bangui au fleuve Congo et à l’Océan Atlantique. Les entreprises et capitaux étrangers dominent les secteurs précités et ne semblent pas contribuer à l’élévation du niveau de vie de la population même si les cahiers de charge leur recommandent la construction des infrastructures sociales notamment les dispensaires, les routes, les écoles. Ils ont plutôt la réputation de ne pas respecter ces cahiers de charge, la législation, la population etc. Et l’Etat n’a pas les ressources nécessaires (humaines, financières) pour contrôler ces cahiers de charge : tels sont les cas des secteurs de mines, bois… dans les régions où ils sont implantés et où les phénomènes de non fréquentation et des abandons scolaires sont importants. Ce manque de moyens de contrôle constitue un handicap majeur pour l’Etat de contrôler les sorties régulières de matières premières (or, diamant, bois…) et d’en percevoir les taxes conséquentes. D’où des fraudes massives constituant un important manque à gagner pouvant faciliter l’investissement public notamment dans la construction des infrastructures scolaires, sanitaires, routières etc. Notons que la situation économique de la R.C.A. est liée à divers facteurs structurels propres au pays et conjoncturels liés à l’évolution sociopolitique interne et à l’environnement international. L’enclavement, l’immensité du pays, la faiblesse numérique de la population, son inégale répartition, son faible niveau scolaire, sa mauvaise santé, la faible productivité, le poids de la dette, l’insécurité, l’insuffisance des infrastructures sociales, la mauvaise qualité de services sociaux… sont autant de facteurs ne contribuant pas à amorcer le développement socio économique du pays même le plus sommaire, notamment la scolarisation. D’ailleurs l’endettement du pays

61 www.fr-encyclopedia.yahoo.com

Page 61: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

61

s’est accru passant de 61 milliards de francs CFA en 1981 à 122 milliards en 1984 représentant 40% du PIB et s’est aggravé en 2000, atteignant 853 millions de Dollars US soit 591,1 milliards de francs CFA.. Les services annuels de la dette de l’Etat représentent au moins 27% des recettes d’exportation et plus de 80% du PIB62. Le remboursement de cette dette ne peut que contraindre les investissements de l’Etat dans les domaines sociaux.

Certes il y a eu des efforts notables en matière d’éducation, seulement, ceux-ci restent timides. On ne sent pas une perception réelle du gouvernement centrafricain à considérer l’éducation comme source de développement économique, même si elle seule ne suffit pas. Alors que beaucoup de pays sont nécessairement passés par cette logique pour atteindre des résultats probants en croissance économique : « quelle que soit leur chapelle, les économistes sont donc d’accord : l’éducation

contribue à la croissance économique même si elle n’est apparemment pas, en elle

même, génératrice de croissance : l’investissement éducatif se traduit par une

accumulation de capital humain, condition essentielle, bien que non suffisante, du

développement ; l’éducation, et surtout l’éducation de base (primaire et premier cycle

du secondaire), est ainsi supposée accroître la productivité, contribuer à la réduction

des taux de fécondité, améliorer l’état de santé de la population et permettre à cette

dernière de participer pleinement à la vie économique et sociale de son pays »63.

La non prise en compte réelle et efficace de cet aspect « éducation de la population » fait que les abandons scolaires ne gênent pratiquement ou n’interpellent personne. Tous les secteurs d’activité économique énumérés précédemment malgré quelques apparences modernes restent aratoires ou traditionnels dans leur mode d’exploitation et ce, du primaire au tertiaire. Les enfants y sont beaucoup plus impliqués que d’aller à l’école : ils doivent participer à la culture vivrière ainsi qu’aux cultures d’exportation (coton, café, tabac), conduire le cheptel en pastorale ou en transhumance s’il n’est pas sédentaire avec la bénédiction des parents en contradiction flagrante avec le calendrier scolaire. Ces enfants sont utilisés dans les chantiers miniers, de bois, des industries agroalimentaires… au détriment de leur scolarisation. Et pourtant le rendement de leur production ne peut que refléter leur niveau de scolarisation si l’on s’en tient à la citation précédente.

62 République Centrafricaine, Plan national d’Action de l’Education pour tous 2004-2015, Bangui, Education Nationale, 2004, pp11. 63RONAN, Introduction à l'économie de l'Education en Education en Afrique,-www.educaf.org, 2001

Page 62: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

62

En effet la R.C.A. est victime de sa politique d’éducation-formation car elle n’a pas su allier, depuis son indépendance, son programme d’éducation-formation et les richesses naturelles dont elle dispose. Comme conséquences il n’y a quasiment pas d’investisseurs centrafricains dans les secteurs économiques stratégiques de grande importance (mines, énergie, bois...). L’une de raison à ce cas est l’orientation depuis longtemps du système éducatif vers emploi dans l’administration et non vers l’esprit d’initiative et la culture d’entreprise.

Conclusion En somme nous venons de voir certains paramètres politiques, socioéconomiques et géographiques qui nous aident à la compréhension de leur implication directe ou indirecte aux causes des abandons scolaire en Centrafrique. Le constat est que l’indépendance politico nominale qui tomba sur l’Afrique cet été de 1960 était précipitée et mal préparée. Elle s’est passée sans effusion de sang ; ce qui ne fut pas le cas de certains pays notamment l’Angola, l’Algérie etc. L’engouement de ces Etats indépendants à être indépendants en matière de scolarisation s’est vu stopper par l’absence de moyens de leurs ambitions. D’où l’endettement auprès des anciennes puissances coloniales désorientant leur politique en matière d’éducation. La mauvaise gestion et l’absence de vision cohérente de la politique sociale ont donné libre cours aux troubles sociopolitiques et économiques qu’a connu et continue de connaître la République Centrafricaine. De là, c’est le fonctionnement du système scolaire qui en subit les conséquences. Quelle est la situation de fréquentation et des abandons scolaires en Centrafrique ?

Page 63: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

63

CHAPITRE DEUXIEME DE LA FREQUENTATION SCOLAIRE AUX ABANDONS

SCOLAIRES

Page 64: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

64

Chapitre II : La fréquentation et les abandons scolaires au niveau national Introduction Il est utile de signaler que la République Centrafricaine est décomposée en huit (8) inspections académiques. Nous avions procédé à une analyse statistique dans chaque inspection afin de relever le nombre d’élèves, d’enseignants, de bâtiments scolaires, des ratios livres par élèves ou ratio élèves par enseignants. Le but est de relever dans quelle condition travaillent ces inspections et en quoi cette condition peut-elle influencer la décision des élèves à faire défection au système scolaire tout comme l’impuissance des parents et des institutions adéquates en face du phénomène des abandons scolaires. Enfin nous avions présenté la région de l’Ouham, la situation scolaire, le type d’éducation traditionnelle et son rôle ou non dans la fréquentation et les abandons scolaires. Mais avant cela nous nous sommes penché sur le nouveau système éducatif dans le but de voir cette nouvelle orientation par rapport aux nouveaux enjeux de la politique nationale. 2.1 Le système éducatif et les abandons scolaires Le système éducatif centrafricain demeure un chantier. Depuis l’indépendance jusqu’à nos jours il a subi plusieurs réformes dans le but d’améliorer sa qualité et son efficacité. Ceci dérive du fait qu’après constat, rappelons-le, qu’il n’est pas adapté aux réalités du pays... L’autre problème est celui de sa gestion elle-même. En effet la gestion du système éducatif centrafricain souffre de nombreuses lacunes. Les structures éducatives se dégradent d’année en année sans aucune possibilité de régénération par l’absence d’une vision stratégique malgré la présence du P.N.D.E. (Plan National de Développement de l’Education) dans ce secteur. Les ressources humaines sont émoussées ou altérées par plusieurs facteurs dont nous avions déjà évoqués quelques uns. Dans le cadre de ce travail nous avions d’abord présenté la dernière réforme du système éducatif et ses objectifs. Nous avions abordé les programmes pédagogiques du niveau préscolaire et celui du primaire. Enfin, nous avions voulu mettre en parallèle la réalité de la fréquentation et des abandons scolaires au niveau national. L’objectif pour nous était de comprendre si la fréquentation scolaire

Page 65: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

65

suit les ambitions et les objectifs des dernières réformes. Si ce n’est pas le cas, quelles en sont les causes ? 2.1.1 Les principaux actes de réforme Pour mener à terme la réforme du système éducatif national, le pays doit : - aborder avec assurance et sérénité les défis du troisième millénaire ; - réconcilier l’école avec le développement, les acteurs doivent connaître leur rôle, tout en étant assurés des bénéfices qu’ils tireraient de l’action commune ; - consentir des sacrifices nécessaires pour rendre le système plus efficace et efficient ; - entreprendre une action vigoureuse en vue de promouvoir le système d’éducation et de formation par l’entremise du Plan National de Développement de l’Education (P.N.D.E) ; - s’engager dans la voie d’une réforme en profondeur du système éducatif pour qu’il soit apte à assurer pleinement ses missions.

2.1.2 Les objectifs de la réforme Les objectifs de cette réforme sont les suivants : - La promotion de l’enseignement technique et professionnel ;

- Le développement de l’enseignement scientifique en insistant sur l’enseignement scientifique des filles ; - La promotion de l’enseignement supérieur en vue de disposer des ressources seul agent de développement durable et véritable ; - L’expansion rapide de l’enseignement de base pour accélérer et fortifier le processus de développement. Cette expansion doit être liée à l’amélioration de la production scolaire. Il importe que l’enseignement de base trouve à partir des contenus renouvelés, d’autres finalités que le seul accès aux ordres d’enseignement supérieur, tout en conservant néanmoins cette vocation ; - L’éducation doit diffuser les idéaux de paix, de tolérance et de solidarité et contribuer à l’enracinement des valeurs démocratiques. Elle doit combattre, par son implantation et son action, l’ignorance et la pauvreté. Elle doit donner à chaque individu ou groupe d’individus la possibilité d’une promotion personnelle ou collective ; - La promotion d’un développement humain durable, la protection de l’environnement, l’affermissement de l’unité nationale, ainsi que la cohésion sociale grâce à un système éducatif performant.

Page 66: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

66

2.1.3 Programmes élaborés pour soutenir la réforme

Les instructions officielles définissent pour chaque ordre d’enseignement les méthodes d’enseignement et les connaissances essentielles qui doivent être acquises et ce, du préscolaire au supérieur. Mais selon l’ambition donnée à cette recherche nous présentons essentiellement les programmes du préscolaire et du fondamental 1. 2.1.3.1 L’enseignement préscolaire Le programme a pour base :

l’exercice physique ; les activités ludiques ; l’esprit de créativité ; l’initiative artistique ; les activités d’éveil ;

La finalité est de préparer l’enfant à vivre en harmonie avec son environnement. Car l’enseignement pré scolaire est le fondement de toute éducation devant conduire l’enfant à son plein épanouissement. Il permet de :

assurer la transition de la famille à l’école fondamentale assurer la scolarité de l’enfant et stimuler chez lui les aptitudes à

l’apprentissage. L’enseignement pré scolaire est donné dans les écoles maternelles. Celles-ci accueillent les enfants de 4 à 6 ans et la scolarité y est de deux ans : 1ère année : enfants de 4 à 5 ans 2ème année : enfants de 5 à 6 ans. 2.1.3.2 L’enseignement fondamental 1 L’école nouvelle doit s’inspirer de la philosophie des anciennes écoles de promotion collective (E.P.C.), afin de rendre les produits du système plus opérationnels et aptes à s’intégrer dans leur milieu. Le programme comprend :

l’éveil scientifique et technique ; les activités productives ; l’éducation à la santé et à l’environnement ; l’éducation morale et l’éducation civique ; l’éducation culturelle et artistique ;

Page 67: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

67

la participation des coopératives scolaires en vue d’apprendre à l’enfant à se prendre en charge et à s’intéresser à son environnement par le travail communautaire et manuel. Ceci développera en l’enfant le sens des responsabilités ; l’introduction de Sango (langue nationale de Centrafrique) dans l’enseignement ; la création des centres spécialisés pour les enfants de la rue en vue d’une meilleur

insertion sociale : ainsi que la création et la maintenance des structures d'accueil pour les élèves ayant échoué leur passage en sixième ; le recyclage et la formation permanente des enseignants fonctionnaires et agents

communaux (maîtres-parents) ; formation à distance ; la création des classes pilotes ; l’obligation pour chaque élève d’avoir un livre scolaire qui permettra de le suivre tout au

long de scolarité ; la réinsertion des primes d’engagement aux meilleurs élèves pour susciter l’émulation.

L’enseignement fondamental a pour but la maîtrise par l’enfant et l’adolescent des mécanismes de la lecture, de l’écriture, des bases du calcul et des mathématiques. Il vise également l’initiation à la technologie, aux sciences, à l’étude de la nature, au développement de l’esprit d’entreprise, à l’éducation physique, au travail productif et au devoir de citoyen. L’enseignement fondamental se place immédiatement après l’enseignement pré scolaire. Il assure une éducation de base à la fois général et pratique intégrée au milieu. Il comprend cinq années de formation (ou d’études) ainsi décomposés : 1ère année fondamentale : enfant de 6 à 7 ans 2ème année fondamentale : enfant de 7 à 8 ans 3ème année fondamentale : enfant de 8 à 9 ans 4ème année fondamentale : enfant de 9 à 10 ans 5ème année fondamentale : enfant de 10 à 11 ans Dans les centres où il n’existe pas une école maternelle, l’enseignement fondamental débute par une classe d’initiation et sa durée totale est de six ans : - Cours d’Initiation (C.I.) : un an - Cours Préparatoire (C.P.) : un an - Cours Elémentaires (C.E.1 ; C.E.2) deux ans - Cours Moyens (C.M.1 ; C.M.2) deux ans

Page 68: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

68

Le passage d’une année à une autre est soumis à un contrôle continu et à l’obtention d’une moyenne annuelle à l’issue d’un examen de passage. Le principe de deux redoublements non consécutifs est admis. La fin de l’enseignement fondamental est sanctionnée par le certificat de fin d’études fondamental. Selon leurs aptitudes les élèves seront orientés soit vers le fondamental niveau 2, soit dans les centres de formation pratique. 2.1.4 Organisation de l’enseignement La République Centrafricaine comme tout autre pays organise la scolarité à partir d’une législation scolaire dont nous présenterons un extrait exclusivement en ce qui concerne l’enseignement préscolaire et fondamental 1. Principes généraux : Par ordonnance numéro 084/031 portant organisation de l’enseignement en R.C.A. signée en date du 14 mai 1984, les principes généraux sont définis ainsi: Article 1er : Tout enfant vivant sur le territoire de la R.C.A. a droit d’accéder aux sources du savoir sans distinction de sexe, de race, de croyance et de condition sociale. Article 2 : L’éducation nationale a pour but d’assurer à l’enfant le plein développement de ses aptitudes intellectuelles, physiques et morales ainsi que sa formation civique, artistique et professionnelle. Article 3 : L’enseignement doit dispenser à chaque enfant une formation adaptée à la vie et aux tâches sociales modernes et contribuer à élever le niveau de culture de la population. Article 4 : L’Etat et les collectivités publiques ont le droit et le devoir de créer des institutions publiques qui garantissent l’éducation des enfants. Article 5 : L’Etat veille aux normes de création des établissements privés et contrôle leur condition d’existence et de fonctionnement. Article 6 : L’Etat pourvoit à l’enseignement préscolaire, fondamental, secondaire, technique et supérieur. Article 7 : L’enseignement dispensé est gratuit à tous les degrés pour les enfants centrafricains. Article 8 : L’inscription dans une école rend obligatoire la fréquentation du cycle de cet établissement. Article 9 : Lorsque les conditions de l’école le permettent sa fréquentation en est déclarée obligatoire pour les enfants domiciliés dans son voisinage.

Page 69: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

69

Article 10 : L’Etat assure un enseignement spécifique aux enfants souffrants de déficiences physiques et mentales. Article 11 : L’éducation et la formation dans toutes leurs composantes sauf dérogation expresse sont placées sous l’autorité du ministre des enseignements. Article 12 : L’enseignement en R.C.A. est organisé ainsi qu’il suit : 1-L’enseignement pré scolaire 2-L’enseignement fondamental 3-L’enseignement secondaire général 4-L’enseignement technique et professionnel 5-L’enseignement supérieur L’enseignement repose sur les grands principes suivants : -l’unité de l’enseignement : l’Etat a le monopole de l’enseignement. Il recrute et agrée le personnel d’enseignement de même il crée et entretient des établissements scolaires. Les programmes scolaires sont arrêtés par le gouvernement conformément au plan du développement économique et social de la Nation. - Scolarité obligatoire pour tous les enfants régulièrement inscrits : La scolarité n’est obligatoire que pour les enfants domiciliés à proximité d’une école et pour ceux qui ont été régulièrement dans un établissement d’enseignement. Cette restriction s’explique par l’impossibilité matérielle d’assurer l’éducation de tous les enfants actuellement en âge scolaire. -La gratuité de l’enseignement : Elle a été instituée pour donner les chances égales de promotion sociale à tous les jeunes centrafricains (…). Notons que pour renforcer son système éducatif, la République Centrafricaine a souscrit à tous les engagements des organismes internationaux (UNESCO, UNICEF, P.N.U.D...) œuvrant pour l’éducation. Elle a également noué des accords de coopération en matière d’éducation avec de nombreux pays.

Nous allons analyser l’impact de ces efforts sur la fréquentation et les abandons scolaires au niveau national.

2.2 Enseignement préscolaire et les abandons scolaires Les efforts réalisés depuis plus de quatre (4) décennies afin de faire prendre conscience de ce secteur qui constitue l’une des premières étapes de socialisation de l’enfant n’a pas abouti à l’objectif visé. Et cela persiste jusqu’à nos jours bien que la

Page 70: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

70

scolarisation ait touché tous les grands centres urbains du pays, contrairement aux années 1960 où elle se limitait à quelques villes. Signalons qu’il existe deux (2) types d’éducation préscolaire : Les « jardins d’enfants » placés sous la tutelle du Ministère des Affaires Sociales qui participe à l’éveil de l’enfant mais n’est pas indiqué pour son instruction. Les enseignants ne sont souvent pas qualifiés et sont formés sur le tas. Ces « jardins d’enfants » existent dans tous les grands centres urbains. Les écoles maternelles qui relèvent du Ministère de l’Education Nationale et n’existent que dans quelques inspections académiques notamment à Bangui avec 23 établissements publics et privés confondus. Le personnel enseignant est qualifié. Les écoles maternelles des autres villes sont gérées par les initiatives des confessions religieuses reconnues par le Ministère de l’Education Nationale. Le nombre d’enfants inscrits dans ce secteur n’atteint pas 6 000 enfants au niveau national64. Le taux brut d’inscription au préscolaire qui est le rapport de l’effectif inscrit au préscolaire sur la population de 3 à 5 ans, donne une moyenne nationale de 1,9%. En considérant la tranche d’âge de 3-4 ans retenu au niveau mondial, ce taux atteint 2,7%65. Les enfants résidant en milieu urbain sont plus concernés (4,3%) que ceux en milieu rural (0.5%). Les filles sont un peu plus inscrites (2%) que les garçons (1,7%).66 Malgré ce faible taux d’inscription, il y a tout de même une disparité entre les

inspections d’académie comme nous le montre le tableau suivant :

64Annuaire statistique de l’Education Nationale RCA 2001-2002 65République Centrafricaine : Enquête à indicateurs multiples – MICS 2000 66 République Centrafricaine, 2000 opcit.

Page 71: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

71

Tableau 4: Répartition des effectifs entre les inspections

Enseignants Ecoles Inspections

académiques

Elèves

recensés Qualifiés

ou non

Administration Jardins

d’enfants

Ecoles

maternelles

Bâtiments

Salles de classe

Bangui 2 457 109 57 8 23 52 71

Nord-Est 195 6 5 5 0 6 5

Centre 467 14 12 6 0 14 12

Centre-Est 507 0 0 16 3 7 9

Centre-Sud 550 22 14 23 3 14 19

Nord* 0 0 0 13 0 0 0

0uest 830 38 23 23 5 22 24

Sud-Est 1165 21 20 38 2 19 20

R C A 5 976 204 126 132 36 128 155

Source : Enquête de terrain 2004

* La rébellion de 2002-2003 a touché cette Inspection où tout a été détruit. Nous n’avions pas pu avoir toutes les données disponibles.

Nous constatons d’après ce tableau, qu’au-delà des deux ministères qui s’occupent de ce secteur, le nombre des élèves ne progresse pas. Et que la méconnaissance des objectifs poursuivis, décrits précédemment, demeure. L’effectif des élèves inscrits au moment de l’enquête se concentre dans les grands centres urbains notamment à Bangui avec 2457 élèves, soit plus de 41% et plus de 53% d’enseignants de l’effectif national. De l’avis des parents : « … nous ne pouvons pas envoyer les enfants à l’école à cet âge, d’ailleurs le centre ne se trouve pas à côté de l’école de leurs frères, il est à 3 ou 4 Km d’ici, qui va donc les accompagner ?... ». De là le problème des distances se pose et aussi du manque crucial des infrastructures de proximité pouvant accueillir les enfants, même si on a remarqué l’attachement des parents pour envoyer leurs jeunes enfants tôt à l’école. Pour certains parents « …j’ai bien inscrit mon enfant à l’école « Mapa » qui signifie « école de pain allusion faite au goûter donné aux enfants, constitué essentiellement de pain) mais quelque temps après la monitrice s’est mise en

Page 72: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

72

grève illimitée alors j’ai retiré mon enfant…». Le retrait des enfants des dispositifs scolaires par les parents est l’un des problèmes cruciaux de la scolarisation en Centrafrique surtout pour les plus jeunes. Outre cette cause de retrait, il y en a d’autres comme celles de déplacement ou voyage des parents qui ne trouvent pas normal de laisser leur jeune enfant pour raison scolaire. Pour justification, ils estiment qu’il est encore jeune et pourrait reprendre sa scolarité à leur retour ou l’année suivante. Laquelle année est souvent hypothétique soumise aux aléas socio politiques ou économiques. Pour certains parents, ils jugent cette scolarisation précoce et ont acquis certaines habitudes : « …je n’ai jamais envoyé mes enfants à l’école « Mapa » et pourtant ils ne sont pas si mauvais à l’école classique». Cette attitude laisse le libre choix aux parents d’envoyer ou non leurs enfants dans ce dispositif dans le cas où il existe. D’autres estiment que ce dispositif pose le problème de rapport avec leurs enfants : « Nous avions eu des rapports difficiles avec nos enfants car ils nous réclamaient du « Mapa » ou pain quand ils n’étaient pas à l’école, ce qu’on ne pouvait pas leur offrir ». Ce cas pose indirectement le problème de revenus dont disposent ces parents et les besoins que créent tout de même les institutions scolaires que les parents ne peuvent pas résoudre. Enfin pour les enseignants : « nous avons la volonté de travailler mais les moyens à disposition font défaut, à cela il faut souligner que depuis plus d’un an, nous ne sommes pas payés. Alors la situation devient de plus en plus difficile pour nous et également pour les enfants…». Notons que les enseignants non qualifiés sont pris en charge souvent par la collectivité qui a un budget restrictif. Ces enseignants vont devoir travailler au début comme bénévoles pendant au moins un an, avant un probable statut de salarié. Souvent l’attente étant longue, ils finissent par démissionner ou regagner une structure privée où ils sont sûrs d’être payés régulièrement. D’autres évoquent le désengagement de la collectivité quant à la cantine des enfants : « …les autorité ne pensent pas qu’on travaillent avec les plus jeunes (…). Ils ont acquis une habitude alimentaire à laquelle on ne doit pas s’y déroger, sinon ils ne suivent plus les activités. Et c’est nous qui devront faire face à cela » nous expliquent désabusée cette enseignante. Le problème de cantines scolaires est réel et souvent à l’origine de fermeture de ces écoles. Mais qu’en est-il de l’enseignement primaire en Centrafrique ?

Page 73: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

73

2.3 L’Enseignement primaire et les abandons scolaires

Il commence à l’âge de six ans. Les enseignants sont recrutés et formés par l’Etat. Ce sont des fonctionnaires de l’Etat. Considéré également comme éducation de base par le gouvernement tout comme les organismes internationaux, l’enseignement primaire en Centrafrique connaît depuis des décennies des maux presque incurables. Des progrès notables ont été réalisés mais restent au demeurant insuffisants vu l’ampleur du problème. La population scolarisable accroît d’année en année sans une politique cohérente de planification éducative. Le nombre d’enseignants en constante régression ne peut pallier surtout au problème de surcharge de classes. Le métier d’instituteurs de plus en plus dévalorisé n’encourage plus la vocation à ce métier. La tendance actuelle est que ceux qui sont enseignants se reconvertissent progressivement dans d’autres secteurs beaucoup plus valorisants. De même, les bâtiments scolaires ne sont plus renouvelés aggravant ainsi les conditions de travail déjà précaires. Les écoles se ferment au lieu d’en ouvrir vu l’augmentation de la population scolarisable. Autant de problèmes dont nous présentons l’essentiel de l’analyse de données, à travers les tableaux qui vont suivre. Tableau 5: Effectif des élèves, des enseignants et nombre d’écoles, de bâtiments, de salles de classes par Inspection d’Académie.

Elèves recensés Enseignants recensés Infrastructures Inspections

Académiques Filles Garçons Total Femmes Hommes Total Ecoles Bâtiments Salles

Bangui 49 067 51 788 100 855 592 729 1 322 119 490 1 288

Centre 9 166 14 619 23 785 27 305 332 120 163 377

Centre-Est 9 812 17 665 27 477 26 365 391 155 215 491

Centre-Sud 25 773 35 380 61 153 97 632 730 213 332 774

Nord 21 338 40 171 61 509 29 773 806 322 453 966

Nord-Est 2 365 5 347 7 712 5 79 84 68 89 130

Ouest 20 010 33 476 53 486 43 610 653 272 351 766

Sud-Est 11 185 20 865 32 050 30 473 503 224 305 629

R C A 148 716 219 311 368 027 849 3 966 4 821 1 493 2 398 5 421

Sources : Enquête de terrain 2004

Page 74: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

74

De ce tableau, il s’avère que 368 027 élèves fréquentent 1 493 établissements scolaires en République Centrafricaine au moment de l’enquête. Le nombre des élèves est multiplié par six (6) par rapport à celui de 1961 qui était de 61 428. Et la moyenne du nombre d’élèves par inspection académique est de plus de 46 003 élèves, celui des enseignants est de 602. On note néanmoins une disparité au niveau de la répartition des enseignants par inspection académique. Il y a une forte concentration au niveau des grands centres urbains notamment à l’inspection de Bangui qui représente plus de 27% de l’effectif total des enseignants du pays. Cette situation s’explique par le nombre élevé des enseignantes. Celles-ci pour des raisons matrimoniales restent auprès de leurs maris qui travailleraient dans cette inspection qui n’est autre que la capitale du pays, comme le souligne cette enseignante : « …j’ai une famille à Bangui, je ne peux pas m’en séparer par vocation à ma profession…». Ces cas constituent un déséquilibre ou une disparité au niveau de la répartition des enseignants. A cela, il faut aussi compter les enseignants qui n’ont pas regagné leur poste initial pour une raison ou une autre et que les autorités scolaires ont affectés dans des écoles de la capitale. L’autre disparité visible est celle entre les élèves de deux sexes. Outre l’inspection de Bangui où le taux d’inscription des filles avoisine 47% et 33% de l’effectif national, on remarque que ce n’est pas le cas des autres inspections comme celle du Nord-Est avec un peu plus de 30% et un peu plus d’un pourcent au niveau national. Cette situation prouve que l’engagement en matière de la scolarisation des filles se heurte à certains facteurs socioculturels spécifiques aux filles tout comme les autres facteurs qui affectent aussi bien les garçons que les filles : Le manque des infrastructures scolaires. Ce manque d’infrastructures scolaires est observable sur le tableau. En effet, les bâtiments scolaires sont également concentrés dans les grands centres urbains notamment ceux qui sont plus ou moins proches de la capitale. Ainsi l’inspection de Bangui a plus de 20 % et celui du Nord plus de 19%. En revanche les inspections du Centre environ 7% et celle du Nord-Est 4%. Les salles de classes, en principe devraient être proportionnelles au nombre d’enseignants, mais on remarque à travers le tableau qu’il y a 5 421salles de classes pour 4 821 enseignants. Soit 600 enseignants en moins pour tenir toutes les salles de classe recensées. L’autre malaise au-delà des sous effectifs des enseignants est celui de l’abandon de poste. Il est estimé au moins à 10 ou 15% de cas d’abandon de poste selon les rapports des différentes inspections que nous avions exploitées. Ces enseignants affectés ne regagnent pas leur poste et juge l’affectation d’arbitraire. D’autres se trouvent pendant

Page 75: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

75

de longs mois voir des années à Bangui où ils estiment attendre leur salaire. Pour pallier à ce manque, ces absences prolongées ou ces abandons de poste, les inspections développent une stratégie de classe à roulement, des classes « multigrades » ou des classes à roulement multigrade : Les classes à roulement consistent pour un enseignant à travailler avec deux classes pédagogiques différentes à des heures différentes. Exemple : il travaille de : 7h30 min à 9h30 min avec la classe de CE2 et de 9h 30 min à 12h avec la classe de CM1. Ou encore pour gérer un problème de salles, une seule classe pédagogique utilise la salle de 7h30min à 12h et une autre de 12h 30min à 17h. Et ce, avec des enseignants différents : Exemple : Groupe A : de 7h 30 min à 12H00 min; CE1 B ou C qui appartient à l’Ecole « Bégoua » A Groupe B : de 12h 30 min. à 17h 00 min; CE1 A ou B qui appartient à l’Ecole « Bégoua »B. Ces différents groupes (A, B, C) s’expliquent par le simple fait que sur une Ecole géographique donnée, il en existe réellement deux avec des directions et personnels différents qui fonctionnent à roulement. Les Classes multigrades est le fait qu’un enseignant prend en charge plusieurs niveaux en même temps et dans une même classe, référence aux écoles rurales en France et en Belgique. Les Classes à roulement multigrade est le fait que les deux cas précédents sont réunis. Ce système n’est employé qu’en cas extrêmes. L’autre palliatif est celui des services des « maîtres-parents ». Ce sont des enseignants de niveau secondaire et originaires de l’inspection qui sont recrutés par la collectivité ou une association des parents d’élèves. Ils suivent une formation sommaire de l’inspection avant d’exercer le métier. A ces problèmes de salles de classes et des sous effectifs des enseignants, il

faut retenir également ceux de livres d’apprentissage et de places assises. Le tableau ci-dessous nous donne un aperçu du ratio du manuel par élève et élève par place assise.

Page 76: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

76

Tableau 6: Ratio livre de lecture, de calcul et place assise par Inspection d’Académie.

Inspection d’Académie Elève/Livre de Lecture Elève/Livre de

Calcul

Elève/Place

assise

Bangui 13/1 9/1 2/1

Centre 7/1 2/1 2/1

Centre-Est 6/1 3/1 1/1

Sud 4/1 3/1 2/1

Nord 5/1 3/1 2/1

Nord-Est 4/1 2/1 2/1

Ouest 6/1 4/1 2/1

Sud-Est 6/1 2/1 2/1

R .C. A 6/1 3/1 2/1

Source : Annuaire des statistiques de l’Education 2003-2004.

De ce tableau, on peut constater que l’engagement d’un livre par élève reste un vœu pieux tout de même pour le problème de places assises. Le manuel scolaire reste un support pédagogique facilitant un bon apprentissage. Ce tableau nous révèle que la moyenne d’un livre de lecture est d’un seul pour plus de six élèves, et celle du calcul d’un livre pour trois élèves. Il s’avère qu’il y a également une disparité au niveau de la répartition des livres par Inspection. Certaines inspections se retrouvent avec plus de manuels que d’autres cause d’un handicap supplémentaire pour le bon apprentissage de des élèves. L’alternative que proposent certains enseignants est de faire abstraction des rares manuels existants et d’écrire les textes de lecture, ou des leçons au tableau. Ce qui a comme conséquence une perte de temps énorme influant sur le programme scolaire que les enseignants ne terminent pas, et ce depuis plusieurs années. Le problème de place met l’apprenant dans une situation inconfortable pour un bon apprentissage. Le tableau nous démontre qu’il n’y a qu’une place assise pour deux élèves. Ces facteurs structurels partiels ne peuvent que dissuader les parents d’envoyer leurs enfants à l’école ou amènent ces derniers à quitter tout simplement cette institution. Ce qui démontre le faible taux de scolarisation comme nous l’éclaire le tableau suivant :

Page 77: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

77

Tableau 7: Taux de scolarisation par Inspection d’Académie

Taux brut de scolarisation Taux net de scolarisation Inspection d’Académie Filles Garçons Total Filles Garçons Total

Bangui 93% 95% 94% 67% 68% 67%

Centre 58% 90% 74% 43% 64% 54%

Centre-Est 24% 42% 33% 18% 30% 24%

Sud 70% 93% 81% 50% 63% 57%

Nord 45% 83% 64% 36% 60% 48%

Nord-Est 40% 88% 64% 29% 57% 43%

Ouest 48% 78% 63% 38% 57% 48%

Sud-Est 41% 75% 58% 31% 54% 43%

R.C.A 52% 80% 67% 39% 56% 48%

Source : Annuaire des statistiques de l’Education Nationale 2003-2004

Les différents paramètres évoqués précédemment ont des répercussions directes sur la fréquentation scolaire. On peut remarquer aisément que le taux brut de fréquentation est de 67% et celui net est de moins de 50%. Ces taux dissimulent tout de même une disparité entre les Inspections d’Académie tout comme entre les sexes. Ainsi on a un taux brut de 33% à l’Inspection du Centre-Est contre 94% de celle de Bangui. Cela démontre que beaucoup d’enfants en âge scolaire demeure sans scolarisation. A cela il faut compter ceux qui abandonnent sans avoir terminé tout le cycle primaire ou fondamental1 que nous verrons au tableau suivant.

Page 78: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

78

Tableau 8: Les taux d’abandons scolaires au niveau national

Sexes R. C. A

Féminin Masculin Totaux

Inspection

d’Académie % Nombre

d’élèves

% Nombre

d’élèves

% Nombre

d’élèves

Bangui 17% 2 328 17% 2 374 17% 4 702

Centre 23% 528 18% 768 21% 1 296

Centre-Est 32% 623 29% 955 31% 1 578

Centre-Sud 22% 1 514 18% 1886 20% 3 400

Nord 24% 1 296 25% 1821 25% 3 117

Nord-Est 17% 2 367 17% 2 470 17% 4 837

Ouest 24% 1 180 23% 1 640 24% 2 820

Sud-Est 37% 872 33% 1 307 35% 2 179

R. C. A 24% 10 708 23% 13 221 24% 23 929

Source : Enquête de terrain 2004.

Avant d’interpréter ce tableau il s’avère important de souligner que les données sur les abandons scolaires que nous avions exploitées concernent les élèves ayant quitté l’école, l’année précédant l’enquête c'est-à-dire en 2003. Ce qui n’est pas ce que nous avions prévu pour notre champ d’études (Région de l’Ouham) où nous devront également enquêter auprès de ceux qui ont quitté l’école il y a plusieurs années. Ce tableau donne un aperçu, plus ou moins, du nombre des élèves qui quittent l’école chaque année. Il s’avère que 23 929 élèves ont quitté l’école l’année précédant l’enquête soit 24% le taux d’abandon scolaire au niveau national. L’une des questions qui demeure et guide cette recherche est de savoir si ces élèves ont maîtrisé ce « socle de connaissances » notamment la lecture et le calcul avant leur défection du système scolaire ? La réponse est peu probable vu les difficultés et les conditions d’apprentissage évoquées aux tableaux précédents. Au niveau de la disparité on remarque que les garçons ont tendance à quitter l’école plus que les filles soit 24% contre 23% au niveau national. Les abandons scolaires sont beaucoup plus élevés

Page 79: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

79

dans certaines inspections notamment rurales comme celle du Sud-Est avec plus de 35% et 31% au Centre-Est contre 17% à Bangui et 17% également au Nord-Est. Le pari du slogan « l’éducation pour tous » est loin d’être gagné en République Centrafricaine. L’inquiétude demeure au vu des différents facteurs évoqués à travers les tableaux ci-dessus; même si on a remarqué des avancées notables. La disparité ou le déséquilibre régulier constaté entre les inspections n’est pas la seule cause des abandons scolaires. Car il y a un problème réel auquel aucune inspection ne peut y échapper c’est celui de la surcharge de classes : la moyenne nationale est de près de 40 élèves par classe au préscolaire et près de 70 élèves par classe au primaire. Réunir dans une classe un nombre aussi important d’une population de cet âge ne peut faciliter ni le travail pour l’enseignant ni un bon apprentissage pour l’enfant. A cet âge l’enfant renferme un « trop plein d’énergie » qui nécessite une attention soutenue et particulière. Un relâchement peut facilement faire dévier l’enfant vers la porte de l’abandon scolaire. D’où la persistance de ce dernier avec un taux élevé au niveau national. De manière spécifique, nous allons aborder les abandons scolaires sur notre champ d’étude, la région de l’Ouham. Mais il est important de présenter l’histoire de cette région.

Page 80: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

80

2.4-Origine historique de la région de l’Ouham : Migration et peuplement Il nous a paru nécessaire, pour mieux cerner notre champ d’étude, de poser le cadre historique de la population de la région de l’Ouham, afin de déterminer les groupes ethniques qui se réclament originaires ou non de cette région et leur provenance. Ainsi dans notre étude du flux migratoire, nous avons abordé successivement l’histoire des Gbaya, des Banda, des Mandjia et des Sarah. Ensuite, nous avions traité de l’évolution de la population pour établir sa progression tout comme son ralentissement et d’en rechercher les causes. Nous reviendrons sur ces groupes ethniques dans l’analyse des données afin de déterminer en quoi, l’ethnie peut-elle être ou non l’une des causes des abandons scolaires. La détermination spatiale a permis de mettre en exergue son relief géographique, ses sols, son climat, son hydrographie et sa végétation. Le calendrier agricole est abordé conjointement avec le calendrier scolaire pour déterminer l’impact des travaux champêtres sur la scolarité des enfants. Le groupe Gbaya est majoritaire dans la région de l’Ouham. Nous nous sommes focalisé sur ce dernier pour comprendre certains cas en rapport avec notre recherche, en l’occurrence l’éducation traditionnelle. Notre but est de savoir s’il n’y pas eu défection de l’éducation traditionnelle comme c’est le cas de l’éducation moderne liée à l’école. L’objectif de l’analyse statistique des données de la carte scolaire est de mettre en évidence les moyens matériels et humains en fonction du nombre d’élèves par classe pédagogique fixé par le ministère de l’éducation nationale et de comparer également les écarts par rapport aux objectifs du nouveau système éducatif vu précédemment. Enfin, nous avons déterminé les caractéristiques des populations auprès desquelles nous avons enquêté.

Page 81: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

81

2.4.1 Migration Gbaya Avant le 16ème siècle, la région Nord Est de l’actuelle République Centrafricaine faisait partie du royaume de Gaoga qui fut longtemps en étroite relation avec les pays du Nil67. Vers 1504, à partir des troubles qui suivirent la destruction du royaume chrétien d’Aloa sur le Haut Nil, un exode très important des populations parmi lesquelles les Gbaya, est entamé en direction de la République Centrafricaine. Ils auraient émigré en Centrafrique avant les Banda à cause des incessants combats contre les Dinka et les Chilouk, et s’installèrent entre le Darfour, le Ouaddai et le Bornou; ils seront délogés par les commerçants et les mercenaires arabes qui pratiquaient alors le commerce des esclaves avec le Khédive d’Egypte. D’autres sources relèvent que « les Gbaya venaient de l’Adamaoua (Cameroun) lorsqu’ils pénétrèrent au début du 19ème siècle dans l’espace centrafricain68. C’est la conséquence directe de la grande Djihad lancée vers 1830 par Ousman Dan Fodio dans la confédération Haoussa, notamment dans les royaumes de Bornou et Baguirmi. Dan Fodio avait pour objectif la conquête de tout le Sud de Fombina. Après une défaite contre le royaume de Bornou, Dan Fodio confit les opérations à l’un de ses lieutenants le Modibo Adama qui, entre autre, a fait ses études au Bornou. Adama réussit enfin la conquête de Fombina, la fit baptiser Adamaoua et l’érigea en royaume divisé en quatre émirats : Banya, Garoua, Ngaoundéré, et Tibati. La capitale devint Yola dont l’économie sera basée essentiellement sur le commerce d’esclaves. La pression du Modibo Adama sur ses émirs, amena Zodi, l’émir de Ngaoundéré qui doit payer un tribut annuel de 5000 esclaves, à se lancer dans la chasse aux Gbaya et aux Mboum concentrés au Nord de Batouri. Défaits, ils ont du émigrer de force en Haute Sangha et en Lobaye dans la forêt. Persécuté et lassé par ces affrontements récurrents, un deuxième groupe (celui qui intéresse ce travail) quitta le Sud du lac Tchad et s’orienta vers le Sud sous la direction de son chef Gassa-Ngamo. Il remonta la rivière Ouham après avoir traversé la plaine du Logone et du Chari et arriva vers 1840 dans la zone située à l’Ouest de Batangafo. Un autre groupe va s’installer entre Kouki et Kambakota où il créa un petit village nommé Gbadé. Par manque de terre cultivable et de problème d’eau, le groupe va descendre plus au Sud où il découvrit la rivière Ouham et fonda son village. Les premiers habitants étaient ceux du clan Gboro ou Boro et les seconds du clan Sassara

67 Bissaoué E, La vie rurale et son développement planifié dans l’Ouham (Province centrafricaine), Doctorat de l’université, Bordeaux III, 1993, pp.13 68 Kalck P, Histoire de la République Centrafricaine : Des origines à 1966, Paris, L’Harmattan Collection Racines du présent, 1992, pp.97-98

Page 82: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

82

qui seraient venus de Batangafo entre 1900 et 1910. Le chef-lieu de la région de l’Ouham, Bossangoa, créé en 1936 doit son nom au clan Gboro dont le chef s’appelait Zangoa. C’est alors que le village prit le nom de Gborozangoa ou Borozango et finalement Bossangoa selon l’administration. 2.4.2 GBAYA, GBEYA OU GBEA Nombreuses, sont les sources qui ont essayé de donner des significations spécifiques à ce groupe ethnique qu’on peut appeler Gbaya ? Gbeya ou Gbéa. Nous avons retenu celles qui nous paraissent importantes pour ce travail. D’après Faure69, le nom Gbaya serait un surnom donné par les Haoussa et signifierait « ceux qui sont restés en arrière. Pour d’autres il signifierait les « rouges » par allusion à la coutume répandue chez eux de se peindre le corps en rouge. Pour P. Kalck « dans la langue Gbaya, le terme signifierait simplement les « frères ». Cette dernière étymologie semblerait conforme à l’esprit de solidarité, particulièrement développé au sein de ce peuple »70 Pour Bissaoué « Le mot Gbaya désigne l’ensemble des populations qui parlent cette langue, mais celles qui habitent la préfecture de l’Ouham sont connues sous le nom de Gbéa, car à l’époque des guerres ethniques, ils envenimaient leur haine de l’ennemi en scandant ce slogan : Gbéa, Gbéa, ce qui signifie tuons-le, tuons-le71. A partir de ces différentes significations données de part et d’autre au nom Gbaya, Gbeya ou Gbéa nous avons choisi celui qui s’adapte le mieux à notre champ d’études pour en déduire ce qui suit. En effet, les études de Faure tout comme celles de P. Kalck, concernaient davantage l’autre migration des Gbaya c'est-à-dire ceux qui se sont installés dans la forêt au Sud de Centrafrique. Ils sont effectivement du groupe ethnique Gbaya mais ne seront pas compris totalement dans cette langue par ceux qui sont dans la région de l’Ouham et inversement. P. Kalck dans ses écrits n’a pas donné de précision sur la localisation d’un autre groupe Gbaya dans la région de l’Ouham, il le situait plutôt dans l’Ouham-Pendé : « Tandis que les Banda se répandaient progressivement dans les savanes du centre (…), la haute Sangha, la Haute Lobaye, et les hauts bassins du Logone et du Barh

69 Kalck P. (1992), opcit pp. 98 70 Kalck P. (1992), opcit pp. 98 71 Bissaoué E, (1993) opcit. pp.15

Page 83: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

83

Sara (Ouham-Pendé) étaient occupés par un peuple, appartenant lui aussi à la grande famille soudanaise, les Baya»72 Même s’il lui arrive d’évoquer ce groupe dans l’Ouham, il y a toujours un doute à savoir s’il parle d’un sous groupe ou d’un groupe ethnique : « les Baya-kara ou baya de la montagne qui vinrent occuper la région de l’Ouham…». Or il s’avère que, les Baya-kara sont un sous groupe ethnique Gbaya mais localisés dans la région de la Nana-Mambéré, une région montagneuse à l’Ouest de Centrafrique d’où leur nom « Gbaya-Kara », car effectivement Kara signifie montagne. Donc la présence du sous-groupe « Gbaya-Kara » dans la région de l’Ouham pendant le flux migratoire nous paraît difficilement justiciable. A moins que, arrivé dans la région de l’Ouham, ce groupe n’ait pu s’adapter au nouvel environnement et ait préféré rebrousser chemin pour s’installer définitivement dans la région de la Nana-Mambéré au relief montagneux. L’autre écart de la part de P. Kalck, qui marque une différence entre Gbaya de la forêt et ceux de la savane, est d’ordre linguistique comme mentionné précédemment. Pour P. Kalck : « L’existence d’une tradition relative à un chef unique (appelé Konga) relevée chez les Baya de haute Sangha pourrait être l’indice d’un ancien royaume». Cet avis marque une fois de plus l’intérêt de sa recherche sur l’histoire de ce groupe ethnique de cette région et non celui de l’Ouham. En demandant aux Gbaya de l’Ouham la signification de « chef », ceux-ci nous ont donné une autre définition du chef, qui signifie « Wan » et non « Konga ». En revanche, il y a une similitude de la définition de Gbaya comme « frères » selon la signification donnée par P. Kalck et celle que nous avons eue dans la région de l’Ouham. De notre point de vue Gbaya serait la forme contractée de «M’ Gban yan kon mè »

M’Gban signifie : C’est Yan signifie : Frère ou frères, sœur ou sœurs Kon signifie : De, ton, son Mè signifie : Toi

Donc ce groupe de mots « M’Gban yan Kon mè » signifie « c’est ton frère » ou « ta sœur ». Cette phrase est utilisée dans des cas exceptionnels. Soit pour présenter un membre du clan à un autre, s’ils ne se connaissaient pas, soit comme un Véto pour empêcher un mariage où le lignage consanguin est bien établi, attestant d’un ancêtre commun, soit pour éviter des bavures en cas de conflits etc. Cette réduction ou

72 72 Kalck P. (1992), opcit pp.97

Page 84: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

84

contraction de cette phrase en « Gbaya » serait sans doute liée aux transcriptions administratives. Ensuite le nom Gbaya Gbéa ou Gbeya comme « rouge ». Se rapprochant de notre champ d’étude, les Gbaya appelle rouge « Gbeinyan ou Gbein ». Et, il y a un sous-groupe ethnique Gbaya, les «Gbitiguiri » qui ont une inclination pour le « rouge » pour l’esthétique et les costumes traditionnels. Ils sont localisés dans l’Ouham. Enfin « Gbéa » comme « tue-le ». De notre champ d’étude, il s’avère que c’est cette dénomination qui les caractérise le plus dès lors où ils se situent en milieu rural. Et le mot Gbaya serait un terme générique englobant le grand ensemble ou le grand groupe ethnique ou tout simplement une erreur de transcription administrative. Car Gbéa selon la région de l’Ouham, est également la forme contractée de « Gbè »signifie « tuer » et « an » qui signifie « lui ». Donc « tue-le ». Au-delà de ces cas spécifiques, nous avions remarqué qu’en Centrafrique l’évocation du mot « Gbaya » de manière générale présente deux explications : géographique et ethnologique.

Elle renvoie à un espace géographique précis c'est-à-dire à la région de l’Ouham et précisément à Bossangoa alors qu’il existe ce groupe ethnique, comme mentionné précédemment, dans certaines régions forestières (Lobaye, Sangha Mambéré, Membéré-Kadéi …) de Centrafrique. Toutefois, de manière spécifique, nous avions également remarqué une incompréhension entre les Gbaya de l’Ouham (savane) et ceux des régions forestières. En fait ceux de la forêt se considèrent comme des Gbaya et nomment ceux de la savane (Ouham) des « Bossangoa ». Ces derniers, de leur côté considèrent ceux de la forêt comme les sous groupes ethniques auxquels ils appartiennent. Nous avons constaté que pour différencier les Gbaya, il faudrait recourir à la préposition de. Ainsi on parlera Gbaya de Bossangoa, de Berbérati, de Bouar, de Bozoum, Boda…

Enfin elle renvoie à un grand groupe ethnique composé de sous-groupes

dont nous retiendrons les Mandjia se situant dans la région de l’Ouham.

Page 85: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

85

2.4.3 Migration Mandjia Le groupe des Mandjia considérés comme le sous-groupe ethnique Gbaya s’est détaché de celui-ci à travers leur marche vers le Sud en descendant les vallées de la Lobaye et la MPoko, traversa le fleuve Oubangui pour s’installer sur la rive gauche au Congo-Belge (Congo démocratique). Mais l’hostilité des populations autochtones les contraignit à revenir en territoire centrafricain où ils s’établirent entre 1840-1850 dans la région de Gribingui (Maintenant Nana-Gribizi) notamment à Bandoro à l’Est de la région de l’Ouham. Une partie ira s’installer à Bouca, premier district, dans la région de l’Ouham. 2.4.4 Migration Banda Ce groupe ethnique est venu de la région du Darfour précisément de Kafiakidji pour s’installer au Nord-Est de Centrafrique dans la région de Dar Fertit. Le campement du sultan Rabah déjà installé près de cette région à Ouadda Djallé le contraignit à se déplacer vers l’intérieur du pays où il fondit le Dar Banda (Pays des Banda). Un autre groupe trouva refuge dans les collines de Kpénguewe, non loin de la rivière Bamingui. Rabah ramena de Baguirmi un de ses lieutenants, Sinoussi qui installa un autre campement au Nord de Ndélé baptisé Dar El Kouti (Mon pays de savane) et fit alliance avec les chefs de clans locaux, qu’il utilisa dans son armée pour lutter contre ceux qui ne lui obéissaient pas. Sinoussi va jouer un rôle important dans la migration des Banda. L’intensification de ses raids au cours desquels il captura la population valide qu’il vendit à la Lybie, à l’Egypte, au Soudan et une partie au Sultan Rabah, amena les Yanguéré (Banda séparés du groupe originel), à entamer une grande marche, traversant les savanes pour s’enfoncer dans la forêt centrafricaine (Haute Sangha et Lobaye). Le groupe qui intéresse ce travail est celui qui s’est installé à l’Est de la région de l’Ouham dans les collines de Kaga Ngba (c'est-à-dire collines des esclaves) entre Dékoa, Bouca et Kaga-Bandoro. Vers 1897, ce groupe sortit de son refuge car Emile Gentil (Explorateur français) mit en place une politique pacifiste qui amena ce groupe à quitter Kaga Ngba pour s’installer près des rivières Fafa et la Koumi dans la région de l’Ouham. Ce groupe est composé de plusieurs clans notamment : Gbagou, Ndogo, Bokpassi, Bowéré, Mbi, Bohozo, Ouangué, Gbambia et Togbo. Avec la création du district de Bouca (Ouham) en 1906, administré par Georges Tocké, et la création de la route Bouca-Batangafo, l’administration coloniale déplaça ces populations vers les

Page 86: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

86

villages desservis par les routes qui venaient d’être tracées. Actuellement, on retrouve ces population dans la commune de Koro-Mpoko et dans la sous préfecture de Bouca dans la région de l’Ouham.

2.4.5 Migration Sarah Pourchassés, comme le cas des Gbaya évoqué précédemment, par les Baguirmiens qui pratiquaient alors le commerce des esclaves, les Sarah ne pouvaient pas aller loin dans leur descente vers le sud déjà occupé par les Gbaya et les Banda. Ils s’établirent, dans la région frontalière du Tchad, à Markounda et Kouki dans l’Ouham. Le groupe ethnique Sarah est composé de Kaba (Markounda, Kouki dans l’Ouham et Paoua dans l’Ouham-Péndé), de Dagba, localisés dans les communes de Bakassa, Bèdè, Kama Kota (Batangafo), et les Ngama dans la commune de Sido (Kabo) dans la région de l’Ouham. Nous venons de voir l’ensemble des groupes ethniques « originaires » de la région de l’Ouham. Nous aborderons les autres groupes ethniques que nous avions qualifiés d’« autres » sur nos questionnaires, au moment de l’interprétation des données recueillies lors de nos enquêtes. Mais avant cela, nous aborderons l’étude de l’évolution de la population de l’Ouham.

Page 87: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

87

[1 il il [111 li i l

\\\\~\\\\I

Mun

ri i_______ f_____ 1 ____ i ______ il

Page 88: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

88

2.5 L’évolution de la population de l’Ouham La première tentative de dénombrement de la population remonte à l’année 1954. Elle était de 141 000 habitants. En 1963 elle était de 194 000 pour passer à 240 000 habitants en 1972 et atteindre un maximum de 246 000 habitants en 1973. Cependant, elle connaîtra une baisse brutale l’année suivante avec 213 169 habitants. Deux causes expliquent cette baisse : « le retour des réfugiés tchadiens et le retrait des éleveurs peuls pendant la saison des pluies à cause des mouches tsé tsé qui nuisent à la santé des animaux »73 Une augmentation constante sera constatée aux derniers recensements généraux de population (RGP) en terme d’effectif absolu. Ainsi en:

-1988 : 225 679 habitants - 1975 : 262 950 habitants - 2003 : 369 220 habitants

Cette augmentation constante s’explique par des considérations socio économiques traditionnelles. Même si nous pouvons évoquer le développement des programmes sanitaires qui a contenue certaines épidémies qui ont décimé une bonne partie de la population, notamment la trypanosomiase humaine africaine (THA), connue sous le nom de maladie du sommeil. Cette maladie est due aux protozoaires transmis à l’homme par une piqûre de Glossine ou mouche tsé-tsé. En effet dès 1900, il y avait déjà des foyers de cette épidémie en Oubangui-Chari d’alors et dans la région de l’Ouham en particulier : « En 1913, Eugène Jamot, directeur de l’Institut Pasteur à Brazzaville (…) commença ses prospections à Bouca. Sur dix villages recensés dans cette localité, il y avait 6401 habitants. En 1917, soit quatre ans plus tard, on ne comptait plus que 2 274 habitants. D’après les témoignages recueillis par Jamot, cette décroissance démographique serait due à la maladie du sommeil »74 Cette épidémie est encore présente dans la région de l’Ouham avec des différents foyers de recrudescence ponctuelle et ce, jusqu’à nos jours. A cela il faut ajouter d’autres maladies non éradiquées comme le paludisme qui est la première cause de mortalité infantile de la région. De nos jours, le SIDA affiche un taux élevé avoisinant les 8% dans la région et un taux de mortalité de 18%. Ces facteurs épidémiologiques affectent de manière importante l’espérance de vie fixée à 49ans, et amène la communauté à rajouter un élément supplémentaire dans la vision globale de la démographie.

73 Bissaoué E, (1993) opcit. pp21 74 Vantilcke, V, La réémergence de la maladie du sommeil en Afrique Centrale : Cas du foyer centrafricain de l’Ouham, Lille II, 2005, pp.53

Page 89: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

89

Initialement, fonder une grande famille est une garantie de puissance, de sécurité et de facteurs économiques, sources de revenus. Même si ces derniers facteurs demeurent d’actualité (nous y reviendrons) et prennent le pas sur les précédents, le taux de mortalité infantile laisse entrevoir dans la région de l’Ouham, l’envie de faire beaucoup plus d’enfants en prévision d’avoir des survivants au cas où certains trépasseraient aux épidémies, même en donnant d’autres significations à la mort. 2.5.1 La conception de la mort dans la région de l’Ouham La mort a une signification particulière dans la région de l’Ouham, comme nous allons le voir un peu plus loin. Nous avons voulu comprendre ce qu’est que la mort dans le mode de pensée traditionnel de Gbaya de l’Ouham et établir le lien de causalité sur l’impact de la scolarisation, à partir du choix entre la médecine traditionnelle et la médecine moderne. Pour les habitants de la région de l’Ouham notamment les Gbaya, la mort est un passage, un dernier seuil à franchir au cours de son existence terrestre. Elle n’est pas une fin en soi mais le commencement d’une autre vie par l’incarnation de son totem. Chaque clan a son totem qui peut être un animal (lion, panthère, caïman, hippopotame…) ou une force de la nature (Tonnerre).Ils croient aussi à la réincarnation d’un patriarche à travers la naissance et n’hésitent pas à « confirmer » ou reconnaître en leur descendance une ressemblance physique soit à l’animal totem, soit au patriarche défunt : La vie est une période transitoire d’un cycle mystérieux et non la mort qui a une fin. Face à cette croyance forte, la mort elle-même est considérée comme sacrée vu les rituels funéraires qui l’accompagnent. De fait, peu de gens osent déclarer les cas de décès à l’administration car c’est quasiment une « intimité », un secret qui ne concerne que la famille, le clan. Les conséquences sont qu’on ne peut pas établir une statistique fiable du taux de mortalité en milieu rural dû à ce raisonnement transcendantal que les habitants sont tenus à le respecter. Enfin, de toute maladie et finalement toute mort, les Gbaya pensent connaître ou supposent connaître la ou les causes de telle ou telle maladie dont souffre la personne ou a souffert la personne. Seulement, ils établiront un diagnostic en rapport avec leurs connaissances et croyances ancestrales au grand dam de la médecine moderne. Le cas du paludisme est le plus répandu. Ils expliqueront par exemple que le paludisme est une maladie de singe, parce que l’enfant souffre des convulsions et s’agite. Allusion

Page 90: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

90

faite à l’instabilité du singe qui est juste sa nature. S’agissant d’un nourrisson qui meurt, ils diront que ce n’est qu’un retour. Retour, parce qu’ils sont convaincus qu’il reviendra. Si c’est le cas d’un vieillard ils diront qu’il rentre car son séjour sur terre est fini, il rentre pour recommencer une autre vie sous une autre forme. L’importance de cette analyse de la conception de la mort nous a permis de comprendre l’importance de la scolarisation de la masse surtout en milieu rural. Dans le programme scolaire, notamment celui des sciences d’observation, on enseigne dès la classe de CE1 certaines maladies, leur mode de transmission et de prévention. Parmi ces maladies, il y a le paludisme qui nous a servi d’exemple. L’individu qui a suivi ce cours, a une forte probabilité d’agir autrement : celle d’aller vers la voie de la médecine moderne plutôt que de s’obstiner dans des diagnostics ancestraux, sans issue ou aux issues fatales. De ce qui précède, nous allons présenter l’espace géographique. 2.6 Délimitation spatiale et les abandons scolaires Couvrant une superficie de 53 450 km2 pour une population de 369 220 habitants, la Région de l’Ouham est limitée au Nord par le Tchad, au Nord-Ouest par la préfecture de l’Ouham-Pendé, à l’Est par la Nana Gribizi et au Sud par l’Ombella M’poko Sa partie septentrionale est frontalière avec la République du Tchad. C’est une région de savane présentant deux saisons : La saison sèche qui s’étend de novembre à avril et la saison des pluies de mai à octobre. Ce qui donne la possibilité à deux types de cultures agricoles : La culture de coton destinée à l’exportation et la culture vivrière destinée à la consommation locale. La faible production de cette dernière culture ne peut pas nous permettre d’envisager son exportation à l’extérieur du pays sachant que cette région se situe à :

1 000 km maximum de la mer par Douala (Cameroun) 1 800 km maximum jusqu’à Pointe-Noire (Congo-Brazzaville)

Le coton étant la seule culture procurant des revenus mais pratiquée selon le système traditionnel avec les outils aratoires, elle ne peut procurer des revenus substantiels suffisants pour supporter les charges scolaires. Mais quelles sont les données physiques de cette région ?

Page 91: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

91

LOCALISATION DE LA REGION DE L’OUHAM

Page 92: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

92

2.6.1 Le milieu physique Nous avons voulu présenter ici certaines données physiques qui pourraient générer des activités pouvant influencer la scolarité des enfants. Car ces éléments physiques sont considérés comme des facteurs fondamentaux de l’économie rurale. Ces données sont le relief, les sols, le climat, l’hydrologie et la végétation. Dans un premier temps nous avons restitué les données telles qu’elles sont. Et c’est au niveau des différentes activités que nous avons mis en relation ces données physiques et les activités pour définir leur impact sur la scolarisation et sur l’origine des abandons scolaires. 2.6.2 Le relief La région de l’Ouham se caractérise par un relief peu accusé, marqué intensément par l’usure due à l’érosion. L’aspect général qui se dégage est celui d’une pénéplaine vallonnée, découpée par un réseau hydrographique dense. La monotonie n’est rompue de temps en temps que par quelques voûtes granitiques ayant résisté à l’érosion. L’ensemble forme un vaste plan incliné vers le Nord-Est, avec une altitude de 800 à 600 mètres vers l’Ouest et de 600 à 400 mètres vers l’Est, à l’exclusion d’une petite partie méridionale. Au Nord, les formations tchadiennes s’étendent sur de grandes surfaces très plates et peu découpées par les cours d’eau. 2.6.3 Les sols Dans la région de l’Ouham, on peut distinguer environ sept catégories de sols en fonction des roches mères. Ces sols s’apparentent aux types ferrugineux dont les traits essentiels se caractérisent par une profondeur souvent médiocre dûe à la présence fréquente de larges étendues concrétionnés ou d’une cuirasse, d’une texture légère à base de sable, d’une structure fragile. Les meilleurs sols dans certaines parties se trouvent sur des pentes. 2.6.4 Le climat La région de l’Ouham est caractérisée par un climat de type tropical, soudano-guinéen, avec une saison de pluies de l’ordre de 7 à 8 mois et une saison sèche d’environ 4-5 mois. Une moyenne de précipitation de 1400 mm, une amplitude de variations de température thermiques et hydrométriques assez forte en saison sèche, mais plus faible en saison des pluies. La hauteur des précipitations baisse du Sud au Nord et le nombre de jours de

Page 93: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

93

pluies par an est de 130 à 100 d’Ouest en Est75 La saison des pluies s’étend d’avril à la fin octobre, avec un maximum d’intensité de juillet à septembre . La saison sèche s’étend de novembre à mars, marquée en décembre et janvier. Le nombre moyen de jours de pluie est de 110. Les pluies violentes dépassent exceptionnellement 100mm. Les températures moyennes varient de 25°c (parallèle Bossangoa-Bouca) à 27°c (Batangafo-Kabo). Les variations sont de 10°c et 40°c. La température minimale mensuelle varie à Bossangoa (station de Soumbé) de 11,6°c au milieu de la saison sèche et de 22,5°c au début de la saison des pluies. La température maximale varie de 30°c (pendant la saison des pluies) à 37°c (fin de la saison sèche). L’humidité relative maximale et l’humidité minimale augmentent du Sud au Nord de la région sans que les différences soient particulièrement marquées. La première est de 90% autour de Bossangoa, descend à 85% à la frontière tchadienne, la deuxième varie dans les mêmes secteurs de 45% à 40%.

Tableau 9:Moyennes mensuelles des températures

Température en °C '

Janv. Fév Mars._ Avr Mai Juin: ,Juil. Août ' Sept: ! Oct Nov Déc.

.'Taxi. Moy. 35.1 36.8 36.5 38.9 32.8 30.0 29.8 30.3 31.5 31.5 33.5 34.7 Moyenne 25.0 26.7 28.3 27.9 27.2 25.5 25.2 25.1 25.3 25.8 26.0 24.9 Mini Moyen. 14.9 16.6 21.0 21.9 21.5 20.8 20.5 20.4 20.2 20.1 18.5 15.0 Source: Station métérologique/Bossangoa/1987

2.6.5 Hydrologie La région fait partie dans sa quasi-totalité du bassin du Tchad. La ligne de partage des eaux entre ce bassin et celui de l’Oubangui se situe à l’extrême Sud, vers les sources des rivières Bobo et Boubou. La rivière l’Ouham draine ainsi vers le Chari la majeure partie des eaux de la région. Jusqu’à Bossangoa, son lit est fréquemment coupé de rapides séparés des biefs très calmes. Dans cette première partie, la pente moyenne est de l’ordre de 1%. La vallée, généralement très ouverte peut parfois se resserrer au passage des formations géologiques plus résistantes, en particulier des quartzites. A Bossangoa, l’Ouham mesure plus de 100 mètres de large et poursuit sa course en direction de l’Est-Nord-Est. Son débit augmente sensiblement par l’apport des eaux des rivières Soumbé, Boubou et Bobo. Les seuils rocheux se font de plus en plus rares et n’encombrent plus complètement le lit de la rivière. A Bongossi à 60 km en aval de Bossangoa, le cours fléchit brusquement vers le Nord-Est et devient régulier. Sur ce deuxième tronçon, la pente moyenne s’abaisse à 0,7%. Le cours se caractérise par de

75 Bissaoué E (1993) opcit pp.54

Page 94: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

94

grandes boucles très amples, et s’écoule dans une plaine alluviale souvent bordée de hautes terrasses. A 60 km en aval du confluent avec la rivière Zambé, l’Ouham traverse les formations gréseuses du continental terminal. Son profil régularisé ne présente plus qu’une faible pente de l’ordre de 0,1%. L’Ouham s’enrichit successivement des eaux de la Nana-Bakassa et de Nana-Barya qui prennent leur source à la bordure orientale du massif Yadé et se dirigent tous deux vers le Nord-Ouest de la région. Ces deux gros affluents présentent des caractères généraux très analogues à ceux de l’Ouham : permanence de leurs eaux, cours supérieur assez vif, coupé de nombreux seuils rocheux, pente moyenne de 1,75% à 2%, cours moyen plus calme, seuils rocheux plus rares, tendance à la régulation du profil, cours inférieur complètement régularisé s’étendant dans la plaine alluviale continue en décrivant de nombreux méandres. Le débit de tous ces cours d’eau varie énormément au cours de l’année. Durant la saison des pluies, ils sont pleins et drainent des eaux chargées de matériaux divers, provenant du démantèlement des formations superficielles. Au début de la saison sèche, les eaux baissent peu à peu. La période d’étiage coïncide avec la fin de la saison sèche, vers mars-avril. En raison des seuils rocheux importants qui coupent fréquemment leur cours supérieur et dans une moindre mesure leur cours moyen, ces cours d’eau ne constituent jamais de véritables voies de communication. Seul l’Ouham, en aval du septième parallèle soit approximativement à mi distance entre Bossangoa et Batangafo est utilisé comme voie d’eau par les villages riverains. 2.6.6 La végétation La préfecture de l’Ouham est couverte de savane boisée qui a succédé à la forêt dont il subsiste encore quelques galeries légumineuses notamment dans la région de Bouca. Les espèces dominantes de cette savane boisée se trouvent particulièrement dans le Sud. Au Nord de la rivière Ouham apparaît le karité qui dans certains endroits donne une apparence de verger. A Kabo, la végétation caractéristique est le rônier. La végétation est d’une grande utilité pour les paysans. Elle protège les sols et les habitats contre les vents, sert de dépôt pharmaceutique, améliore la qualité des sols en engrais chimiques naturels pour les cultures.

Page 95: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

95

2.6.7 Le calendrier agricole et les abandons scolaires De manière sommaire les activités agricoles commencent avec les premières pluies qui marquent réellement le calendrier agricole ce, à partir de fin mars début avril. Les sols, comme nous l’avons décrit ci-dessus, sont riches pour les raisons suivantes. Les premières pluies permettent aux sols d’emmagasiner d’appréciables quantités d’eau et facilitent la pénétration des cendres dans l’humus, seuls engrais naturels pour les cultures vivrières. C’est un véritable moment d’affolement pour le paysan. C’est le moment de mettre simultanément à exécution les trois systèmes de culture: labourage, semis, bouturages si le paysan n’a pas, au préalable, pris la précaution d’exécuter à temps le premier système c'est-à-dire faire le labourage. Et ces premières pluies sont souvent uniques. Si non il faut attendre assez longtemps (environ un mois) pour les prochaines pluies. C’est donc une occasion à ne pas manquer pour un paysan. Le temps compte, car il y a la hantise à ne pas manquer sa culture principale. Il ne faut pas rater cette échéance. Dès lors la contribution de chaque membre de la famille, à cette activité devient précieuse car c’est une : « production directe (…) et n’emploie que tout occasionnellement du travail salarié »76. Le travail salarié s’organise sous forme d’échange et d’entraide qu’ils appellent « Ndéfi » ou invitation. Il s’agit d’attirer les travailleurs, constitués des membres de son clan, sur son champ en préparant de la boisson et de la nourriture. Le but de ces travailleurs est d’aider le paysan à se débarrasser des grands travaux tels que le défrichage, le brûlis et surtout l’abattage des arbres. L’organisation de ce « Ndéfi » se fait de sorte qu’il n’y ait pas plusieurs invitations le même jour. La caractéristique du « Ndéfi » est le fait que tous les travailleurs peuvent l’organiser mais n’ont pas l’obligation de participer à celle-ci à chaque fois. Il est fait pour alléger les charges de travail d’un individu. En revanche, il y a une sorte d’entraide réciproque qui est le « Gbessi ». Celui-ci consiste à réunir un groupe restreint d’au moins dix personnes qui travaillent à tour de rôle dans les champs de chaque membre du groupe. Après cette phase de grands travaux (défrichage, labour), il y a les « secondes œuvres » : semis, bouturage, désherbage. Cette phase est la plus importante pour déterminer l’impact sur la scolarité des enfants. Car ce sont les femmes et les enfants qui exécutent cette phase. Les enfants scolarisés vont alors multiplier les absences sous coup de chantage de certains parents: « si tu ne m’aides pas, tu n’auras pas tes

76 Demunter P, Masses rurales et luttes politiques au Zaïre : Le processus de politisation des masses rurales au bas- zaïre, Paris, Editions Anthropos, 1975, pp.215

Page 96: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

96

fournitures scolaires ». Ces absences vont devenir chroniques amenant les enseignants à les renvoyer de l’école. Parfois, à bout de souffle, les enfants abandonnent d’eux-mêmes. A ce moment précis, et vu l’aide précieuse de l’enfant dans les travaux champêtres, les parents ne se prononcent pas sur sa situation scolaire. Ce n’est que plus tard souvent vers la fin de l’année scolaire en cours ou le début de l’année scolaire suivante qu’ils se manifestent. Leur présence à la fin de l’année se justifie, si l’enfant est renvoyé pour cumul d’absences non justifiées. Là c’est pour obtenir une possibilité pour que l’enfant reprenne les cours afin de se présenter à l’examen. Et l’année suivante, quand l’enfant a abandonné l’école de « lui-même », les parents reviendront pour une réinscription sachant que la même scène se reproduira dès les premières pluies. Les premières pluies sont une période délicate et perturbatrice de la vie scolaire surtout en milieu rural. Le mois d’avril est la phase du dernier trimestre de l’année scolaire. C’est une période pour achever le programme s’il n’y a pas eu d’autres perturbations (grèves, coup d’état, élections, rébellion…) et entamer les révisions pour préparer les élèves à l’examen de passage. Les absences et les abandons scolaires sont très importants pendant cette période de l’année. Mais qu’en est-il des autres activités ? 2.6.8 Les activités secondaires et les abandons scolaires La région de l’Ouham étant rurale, l’agriculture demeure sa principale activité. Nous venons de souligner son impact sur la scolarité des enfants. Toutefois, il existe d’autres activités dont l’impact n’est pas négligeable sur la scolarité des enfants. Il s’agit de la chasse et des feux de brousse, de la pêche, de la cueillette, du petit élevage et de l’artisanat. 2.6.8.1 La chasse et les feux de brousse La végétation de l’Ouham n’est pas seulement un dépôt pharmaceutique. Elle est aussi une réserve faunique. L’accès à cette réserve pour le gibier se fait par la chasse. Les habitants vivent aussi de la chasse qui se pratique de manière individuelle ou collective. La chasse individuelle se fait généralement pendant la saison des pluies. Il s’agit de poser des pièges sur le passage des animaux. Cette activité a moins de répercussions sur la scolarité des enfants parce qu’ils sont moins sollicités ; et surtout celle s’effectue pendant les grandes vacances scolaires. La chasse collective se

Page 97: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

97

pratique pendant la saison sèche, période scolaire. Le feu est utilisé comme une arme de chasse à cette période. Il sert à cerner les gibiers permettant de les abattre facilement. L’organisation de la chasse collective se passe loin du village entre cinq et quinze kilomètres environ. Cela dure une ou plusieurs journées s’il s’agit d’un campement de chasse. Qu’il s’agisse d’une journée, on ne tient absolument pas compte du calendrier scolaire de l’enfant, celui-ci devant participer au transport du matériel. Il en est de même pour le campement de chasse, on ne tient compte que rarement des dates de vacances scolaires (souvent vacances de noël ou de mi trimestre). Et souvent les parents feignent d’oublier que les vacances scolaires ont une fin et prolongent le séjour au détriment de la scolarité de l’enfant qui finit par être radié ou abandonné involontairement. 2.6.8.2 La pêche L’hydrologie dans la région de l’Ouham, déjà mentionnée précédemment, est poissonneuse. La pêche y devient une activité d’appoint pendant la saison sèche. Tout comme la chasse, elle se pratique de manière individuelle et collective et selon les saisons on peut retrouver les deux types de pêche. La pêche individuelle se pratiquant pendant la saison des pluies. Elle présente un risque pour les enfants et les parents les en épargnent. Elle se pratique par la pose des nasses dans un cours d’eau qui piège les poissons. La pêche collective consiste en un grand barrage « Refah » ou « Bassah ». Construit pendant la saison sèche à un endroit de haut débit d’eau en saison des pluies, ce barrage sert à récupérer les poissons projetés par le débit d’eau. Les enfants sont impliqués dans la construction de ce barrage pendant la saison sèche par le transport des bûches, lianes, brindilles, pierres…même s’ils ne font pas partie de la famille initiée à ce type de pêche. Le « Refah » ou « Bassah » tient du sacré et du secret relevant d’une famille et non d’un clan. Sa pratique est transmise de génération en génération suivant des rituels éprouvés et reconnus comme tels par l’ensemble de la communauté. Qu’il s’agisse la pêche individuelle ou collective pendant la saison des pluies, l’impact sur la scolarisation est quasi nul car c’est pendant la période des vacances scolaires, si on respecte le calendrier scolaire. La pêche individuelle durant la saison sèche, en ce qui concerne les enfants, est une entreprise personnelle de ceux-ci. Car les parents n’attendent rien de manière précise

Page 98: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

98

de cette activité. Les enfants trouvent en cette activité une marge de liberté rétrocédée tacitement par les parents et en aiment le caractère ludique: Ils allient pêche et baignade. Ils démontrent par eux-mêmes ce qu’ils peuvent apporter comme contribution à la maison aux dépens des parents par tout en suscitant l’admiration de ceux-ci : la recherche de reconnaissance, la valorisation de leur capacité et de leur identité etc. Seulement cela ne se fait pas sans conséquence sur leur scolarité. C’est pendant cette période qu’il y a trop d’école buissonnière débouchant sur la radiation ou les abandons scolaires. La pêche collective pendant la saison sèche est une organisation des adultes. Le campement de pêche a un impact très important sur la scolarisation des enfants. Celui-ci se déroule à des kilomètres du village, si les habitants ne sont pas situés près d’un cours d’eau ou d’une rivière. Souvent les parents emmènent leurs enfants soit parce que tout le village fait partie du campement soit parce qu’il n’y a personne pour s’en occuper. D’où abandons scolaires souvent involontaires. 2.6.8.3 La cueillette La végétation et les sols offrent des ressources en nourriture de manière cyclique. Nous avons relevé celles qui sont en rapport avec le calendrier scolaire et qui peuvent perturber la scolarité des enfants. Ce sont : Le ramassage de coton de novembre à février La collecte de miel de février à mai Le ramassage des ignames sauvages quasiment toute l’année. Le ramassage des noix de Karité et des champignons qui débute avec les premières pluies (avril –mai). 2.6.8.4 L’élevage C’est une activité de moindre importance dans la plupart des cas dans la région de l’Ouham. L’élevage est de type familial et non professionnel comme l’agriculture. Les animaux (volailles, caprins, porcins) sont dans des abris sommaires. D’autres à l’exception des porcins partagent le même habitat que leurs propriétaires. Ceux-ci ne portent aucune attention particulière au niveau des soins et de leur croissance. Ce qui fait, qu’en cas d’épidémies, ils meurent. Les enfants interviennent de manière ponctuelle, juste pour la construction des abris ou des recherches si un animal s’égare. Seuls les peuhls qui pratiquent l’élevage de bœufs comme activité principale impliquent

Page 99: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

99

davantage les enfants. Ces peulhs ont un mode de vie particulier car nomades ils ne sont pas beaucoup portés pour la scolarisation de leurs enfants destinés à reprendre le troupeau familial. 2.6.8.5 L’artisanat L’artisanat est l’une des activités pratiquée par l’ensemble des ménages de la région de l’Ouham. Rares sont ceux qui en font une spécialisation en caste comme en Afrique de l’Ouest., même si le travail du fer en est une. La pratique de l’artisanat sert à l’usage personnel ou pour la vente. Outre le travail de fer où le forgeron fabrique pour la vente, la vannerie reste exclusivement à usage personnel. Le vannier fabrique des paniers pour la collecte du coton, la nasse pour la pêche, la natte pour se coucher, les carquois à flèches, les corbeilles et les greniers…Il le fait pour ceux qui sont dans le besoin sans rémunération, à condition que les demandeurs lui fournissent les matières premières, c’est une forme d’entraide. Ces matières premières varient selon les localités. Il y a également le tannage de peaux d’animaux qui servent de parures de cérémonies ou de danses, de tambours, fourreaux de couteau. La sparterie obtenue des écorces sert à fabriquer des filets de chasse et des pièges ou encore pour la confection des toitures. Le travail de bois pour la fabrication des tabourets, les mortiers et les pilons, les manches d’outils et les tambours. Enfin la poterie, exclusivement féminin, consiste à fabriquer des marmites et des jarres. Toutes ces activités impliquent, a des degrés variés, les enfants et ce, selon les périodes. Qu’en est-il de l’éducation traditionnelle de ces enfants?

Page 100: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

100

2.7 Education traditionnelle La région de l’Ouham est constituée de plusieurs ethnies. Chaque ethnie a sa manière spécifique de socialisation et d’éducation de ses membres. Cela se fait par la transmission de certaines valeurs spécifiques, conservées à travers l’héritage culturel ethnique. La conservation de cet héritage se fait par un savoir faire pratique et par l’oralité, et ce, de génération en génération. Aujourd’hui par le contact d’autres peuples et l’introduction de l’école dans la région, on peut remarquer un fonctionnement différent des deux institutions : l’Education traditionnelle et l’Education moderne. Loin de faire une étude comparative entre les deux institutions, nous avons observé un cas d’éducation traditionnelle dans la région de l’Ouham : l’initiation dans le groupe ethnique Gbaya. C’est une étape importante dans la vie de l’individu car : « Pour accéder à la classe supérieure, l’individu doit subir une initiation qui l’éduquera et le préparera à sa fonction future. Sa vie passée ne compte plus, son rôle est terminé. Le temps de la mue si l’on peut ainsi dire est arrivé. Il doit se renouveler physiquement, socialement. Il va mourir symboliquement pour renaître et progresser »77. Il y a deux types d’initiation : L’initiation obligatoire qui est lié à la socialisation et l’initiation volontaire qui est une dernière étape dans une confrérie ou société secrète comme le Ngaragué ou Soumalé qui s’effectue à partir de 25 et 30 ans.. Nous avions retenu l’initiation obligatoire en raison de l’âge requis qui correspond à celui de fréquentation scolaire. Nous avons choisi ce groupe ethnique en, raison de la majorité de son existence dans la région et nous allons étudier comment ce type d’éducation est perçu dans la communauté et déterminer s’il y a défection des jeunes dans ce type d’éducation. 2.7.1 Le rite de passage : La socialisation Dans ce groupe ethnique encré dans la tradition ancestrale, nous avons constaté qu’il se concentre beaucoup plus autour du clan tout en conservant l’identité d’appartenance au groupe ethnique. L’éducation ou la socialisation de l’enfant est un problème des membres du clan en commençant par les parents : « l’enfant venu dans ce monde doit être éduqué, c'est-à-dire, lui faire acquérir des principes, des habitudes sociales, lui former l’esprit en vue de lui permettre de connaître les bons usages du clan »78 Au-delà, l’enfant est un lien entre les morts et les vivants. Cette philosophie,

77 VERGIAT A.M () Les rites secrets des primitifs de l’Oubangui, Editons Payot, Paris, 1951, pp. 65-66 78 BEVARRAH L. (1985) opcit pp.94

Page 101: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

101

rappelons-le, amène à considérer que les parents ne meurent pas mais rentrent dans un autre monde d’où ils sont venus. Ils reviennent parmi les vivants par la naissance. Dans ce cas, un lien logique d’éducation doit être établi entre ceux qui sont morts et ceux qui viennent de naître. Ce processus se fait par l’intermédiaire, rappelons-le, des vivants : les adultes, membres du clan. Comme dans toutes les sociétés, les parents se situent au premier plan de l’éducation de l’enfant. Ils lui inculquent les préceptes basiques et les maximes du clan qui prévalent de l’autorité parentale. Cette étape permet à l’enfant de se déterminer des autres clans tout étant favorable à la communauté. Tout geste, toute parole, tout acte qu’il aura posé sera suivi, évalué et interprété par les adultes. Ceci dans le but de déterminer d’abord, s’il a assimilé les préceptes de bases, ensuite de voir les traits de ressemblances de ce qu’il fait avec ceux d’un ancêtre qu’il incarne et enfin de déterminer ses centres d’intérêt afin de déduire quel type d’enfant il sera. La détermination des centres d’intérêt de l’enfant se fait à travers les jeux. On observe s’il est porté sur les jeux de chasseur, de pêcheur, de guerrier, de cultivateur… Cette observation permet l’orientation précoce de l’enfant et l’intervention tous azimuts des membres du clan pour son orientation. Il est important de souligner que dans le groupe ethnique Gbaya, l’éducation est sexiste. Dès lors, si l’enfant est de sexe masculin, la tâche de son initiation revient aux parents du père : père, oncle, grand-père, grand frère… Ce dernier membre du clan nécessite une précision. En effet en milieu Gbaya en général, le grand frère désigne à la fois son aîné utérin ou l’enfant d’un oncle paternel plus âgé que lui. Il en est de même pour la grande sœur. Et toujours du côté paternel. Il est aussi de coutume d’appeler père ou mère ceux qui ont l’âge de ses parents même s’ils ne font pas partie du clan, du groupe ethnique… Le terme de cousin et cousine a une autre interprétation dans ce groupe ethnique. Le cousin désigne l’enfant de la tante paternelle c'est-à-dire l’enfant de la sœur du père. Ceci pour la simple raison qu’il est né d’un père appartenant à un autre clan car le mariage est exogamique du clan. Par contre le mariage peut être endogamique dans le groupe ethnique Gbaya. Confié tacitement à l’ensemble du patriarcat très fort dans cette communauté, le garçon va commencer son apprentissage auprès de son père, ses oncles, ses grand frères, son grand père etc. Ils vont devoir lui apprendre à fabriquer des pièges pour la chasse, à chasser, à pêcher, à dresser les chiens de chasse, à compter, à s’orienter, cultiver la terre, à semer, à récolter, à conserver les produits agricoles et les produits

Page 102: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

102

de chasse et pêche, à construire une maison…bref tout ce qui est utile pour sa vie dans la communauté. Si l’enfant est une fille, il revient à la mère, tantes, grand-mère de prendre en charge son éducation : il s’agit de lui apprendre à faire la cuisine, à s’occuper des enfants, tenir un foyer, à cueillir les fruits et déterminer les champignons non venimeux, récolter les produits agricoles, fabriquer de l’huile, battre le tambour d’eau. Battre le tambour d’eau est une technique de pêche qui consiste à bloquer un cours d’eau par un barrage et vider l’eau à l’aide de calebasses afin de récupérer les poissons, une fois l’eau évacuée de l’autre côté du barrage. Ces deux types d’éducation sexistes ne permettent pas encore à l’enfant fille ou garçon de prétendre faire partie des initiés proprement dits mais de se socialiser. Il fallait renforcer cette étape. 2.7.2 Renforcement de la socialisation : Cas de la circoncision Le programme de cette étape est conçu dans le but de faciliter l’intégration sociale de l’enfant de manière solennelle afin qu’il soit reconnu par les membres de la communauté. La voie choisie pour l’exécution de ce programme est la circoncision. Mais comment procèdent-ils ? Un clan d’un village qui se sent prêt à organiser un camp d’initiation lance un appel à tous les clans d’autres villages d’un rayon de vingt kilomètres environ. De là ils décident ensemble de l’organisation de l’évènement : Fixer une date, localiser et construire le camp, réunir les vivres, arrêter le nombre d’instructeurs et de candidats. Le nombre de candidats à la circoncision n’est pas définitif, il y a des retardataires dûs aux décisions tardives ou des enfants venus d’autres contrées mais qui ont en partage ethnique commun : le gbaya . Le critère d’âge joue un rôle déterminant ; il s’agit d’une tranche d’âge de dix à quinze ans maximum. Dans le camp, le programme d’initiation est confié à un adulte instructeur pour son application sur une durée de trois mois environ. Il est assisté par d’autres adultes retenus selon leur spécialité. Une fois dans le camp, la première étape est de procéder à la circoncision qui est une opération consistant à sectionner la peau du prépuce. Cet acte chirurgical banal et sans importance chez d’autres peuples, est un rituel incontournable chez les Gbaya. Il traduit une volonté stoïque, préalable à l’initiation qui va commencer ; car l’enfant, au moment de la circoncision doit s’abstenir de manifester

Page 103: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

103

une douleur quelconque, il doit démontrer une preuve de bravoure. De là, il recevra un traitement de faveur contrairement à celui qui aurait manifesté la peur, la douleur…Les blessures sont soignées à base de feuilles, d’écorces et de racines de plantes ; et ce, au bord d’un cours d’eau où s’est passé la circoncision. Après la cicatrisation des blessures par les soignants traditionnels, l’autre volet du cursus va commencer. Il s’agit de leur initier en :

Connaissance du corps humain notamment les parties sensibles comme la tête et l’abdomen. Il s’agit de localiser des endroits susceptibles d’être atteints en cas de blessures par des armes ou fauves pendant une partie de chasse et comment les soigner. Ce chapitre est complété par l’étude de la sexualité et de la vie conjugale.

Philosophie où ils apprennent l’ensemble de systèmes de réflexions, considérations, connaissances et doctrines ancestrales du peuple Gbaya.

Histoire définissant la lignée ancestrale avec d’autres clans, l’origine du village, les évènements

Géographie localisant les réalités physiques et stratégiques pour les activités et la circulation des membres de la communauté.

Droit coutumier, non écrit, mais à intérioriser et à reconnaître comme tel à travers les actes. Son application est garantie par un chef reconnu, supposé maîtriser l’histoire du clan et des problèmes fonciers, et ce, selon les maximes éthiques du lignage.

La technologie qui consiste à la maîtrise de la construction des fourneaux, de la forge, des outils, du tissage, de la vannerie, du grenier…

Médecine traditionnelle, qui consiste à l’étude et la localisation de telle ou telle plante pour la guérison de telle ou telle maladie….

Mode de communication où ils apprennent les techniques de transmission de messages à distance par les différents sons de tam-tam : chaque son peut indiquer la naissance, la présence ennemie, le malheur… L’utilisation de cors est également apprise ainsi que le sifflement et l’interprétation de cris des animaux pendant la chasse. Ils apprennent aussi comment dresser les chiens de chasse…

Relations inter claniques qui déterminent les liens de parenté pouvant aboutir à l’exogamie ou endogamie. Le respect des terres, sanctuaires, la connaissance des totems d’autres clans sont abordés.

Beaux arts permet l’initiation à la composition des chants selon les évènements, la fabrication des instruments de musique, la danse…

Page 104: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

104

Une fois tout le programme terminé et assimilé par les initiés, on peut organiser la cérémonie du retour au village. Chaque clan ou chaque village participant s’organise pour honorer le retour des initiés désormais majeurs quelque soit leur âge. Car ils ont tout appris de leur groupe ethnique et ont fait acte de bravoure face aux rudes épreuves auxquelles ils étaient soumis. Le départ pour le village est prévu souvent au coucher du soleil où tout est prêt pour les accueillir. Les initiés bien habillés dans de costumes traditionnels, armés de sabres, couteaux de jet, d’un arc avec besaces en bandoulière remplies de fléchettes, à la file indienne entonnent une chanson et une danse guerrière et font leur entrée au village. Là, ils sont accueillis par des cris de joie et la fête peut commencer et dure pendant trois jours. Enfin, ils peuvent regagner leur clan ou village respectif où l’intégration peut se faire sans difficulté. Ils sont alors socialisés et peuvent faire partie des adultes. Mais qu’est-ce qu’une socialisation ? 2.7.3 L’initiation dans le processus de socialisation Nous venons de voir le cas d’une initiation facilitant la socialisation sans « heurts » dans une communauté donnée. Cependant nous estimons nous pencher sur la théorie de socialisation afin de relever, si cette théorie est universelle et applicable à toute société. Plusieurs auteurs ont abordé cette théorie : nous en avons retenu quelques unes suivant l’intérêt qu’elles présentent à l’orientation de ce travail. En effet Durkheim, considéré comme bon organisateur de l’Education, a donné un rôle central à l’histoire de la socialisation de l’individu et y a établi un rôle explicite. Dans ses écrits notamment « Education et sociologie », il emploie peu la notion de socialisation même si sa définition de l’Education laisse supposer qu’il s’agit de la socialisation. Car selon lui, l’Education consiste en une socialisation méthodique de la jeune génération. Il fait une assimilation de la socialisation à l’humanisation car par Education l’enfant devient membre de la société, c’est-à-dire humain. En précisant tout de même qu’en cet humain, il existe deux êtres qui, pour être inséparables autrement que par abstraction, ne laissent pas d’être distincts. Et ces deux êtres faisant de l’individu l’être social, est le fait que l’un est biologique fait de tous les états mentaux qui ne se rapportent qu’à nous-mêmes et aux évènements de notre vie personnelle… . L’autre est un système d’idées, de sentiments et d’habitudes qui expriment en nous, non pas notre personnalité, mais le groupe ou les groupes différents dont nous faisons partie… . Et c’est leur ensemble qui forme l’être social.

Page 105: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

105

Se rapportant au cas d’initiation dans la communauté « Gbaya », nous pouvons confirmer cette théorie car l’individu, en tant quel tel, dans cette communauté ne compte pas pour autant. Il représente le groupe et doit nécessairement être le reflet de l’Education reçue du groupe auquel il appartient, sans avoir la possibilité d’en faire défection. Pour Weber, il utilise les concepts de « communalisation » et de « sociation »79 pour aborder la socialisation. La communalisation d’après Weber se fonde sur le sentiment subjectif des participants d’appartenir à une même communauté et la « sociation » se fonde sur un compromis d’intérêts motivé rationnellement ou sur une coordination d’intérêts motivée de la même manière. Il insiste sur le fait que l’activité sociale se rapporte au comportement d’autrui : c’est alors que l’activité sociétisée s’oriente dans le cas rationnel :- soit de façon rationnelle en valeur (…) d’après la croyance en son propre caractère obligatoire ; soit de façon rationnelle en finalité, par anticipation ou par loyauté du partenaire. De là il distingue ce qui est social et ce qui ne l’est pas suivant les réactions d’autrui. D’où deux modes qui peuvent orienter son comportement par rapport à autrui : Le mode communautaire lié aux attentes de comportement de la communauté et le mode sociétaire qui est une manière contractuelle établie. Weber renforce ses théories (communalisation et sociation) en s’appuyant sur les institutions comme la famille, la langue, le groupe… qui constituent des éléments indispensables de relations sociales pour aborder la socialisation. En s’appuyant sur notre étude de cas, on remarque que les institutions dont fait allusion Weber est une suite logique de la socialisation en milieu « Gbaya ». Car l’enfant commence son premier apprentissage dans sa famille qui lui apprend, rappelons-le, les préceptes de base de la communauté et ce, à travers la langue, avant de le parachever dans un groupe, comme nous l’avions souligné ci-dessus, pour enfin être socialisé. Le comportement d’autrui joue un rôle important dans l’interaction dans la communauté « Gbaya » même si l’individu est en lui-même « isolé ». Chaque individu dans cette communauté, surtout très hiérarchisée, joue un rôle en fonction de l’autre, suivant les attributions dûes à son rang et à sa place dans la communauté globale. Cette différenciation de rôle tout en représentant la communauté elle-même est un apport supplémentaire de la théorie de Weber. Ce qui le distingue de Durkheim, (même s’ils s’appuient chacun à leur manière sur la théorie d’interactionnisme) qui confère un pouvoir constant et unique à la socialisation de l’individu ; tandis que Weber

79 Weber, M, Economie et société : Les catégories de la sociologie, Paris, éditions Pocket, Agora, tome 1, 1995, pp78

Page 106: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

106

préconise l’activité sociale (rôle de chaque individu dans le procès de sa socialisation) et l’autrui qui oriente la socialisation. Weber se montre attentif à la différenciation infinie des motifs et des situations. La théorie de Weber partage certains aspects avec celle de Berger et Luckman. Ces deux auteurs considèrent la socialisation comme le monde de la vie quotidienne projeté dans la conscience individuelle. Et pour y aboutir, il faut deux modes de socialisation : - la socialisation primaire qui est la première socialisation que l’individu reçoit dans son enfance, et grâce à laquelle il devient un membre de la société. Cette socialisation n’est pas seulement cognitive mais aussi affective et l’enfant procède à une identification par rapport aux autres (père, mère, frère, copain…) et fait abstraction progressive des rôles et des attitudes. Cette identification généralisée donne une stabilité à l’enfant qui finit par posséder une identité personnelle par rapport aux autres et à en devenir conscient. La socialisation secondaire consiste en tout processus postérieur qui permet d’incorporer un individu déjà socialisé dans des nouveaux secteurs du monde objectif de sa société. L’enfant ressortissant d’un camp d’initiation (socialisation secondaire) n’est plus pareil. Il a une autre attitude que celle d’avant (socialisation primaire) son entrée au camp, bien qu’il soit déjà socialisé. Cette nouvelle attitude lui permet d’être accepté parmi les anciens initiés, de s’installer à son propre compte pour telle ou telle activité, de se marier… Tous ces éléments nouveaux dans la vie du jeune initié peuvent être considérés comme de « nouveaux secteurs du monde

objectif de sa société » selon Berger et Luckman, et rend progressivement complexe la socialisation qui peut apparaître à la fois homogène et hétérogène. De là, qu’il s’agisse de Durkheim, Weber, Berger et Luckman, ils s’appuient sur une démarche d’interactionnisme pour aborder la socialisation avec sa nouvelle configuration contemporaine : Les nouveaux secteurs du monde objectif. Cette nouvelle approche de la socialisation est développée plus explicitement par Bernard Lahire (1999). Bernard Lahire est le seul parmi ses prédécesseurs à avoir pris en compte la complexité de la société dans laquelle l’individu est sujet à socialiser pour aborder la socialisation. Il s’est rendu compte que « les sciences sociales ont longtemps vécu une vision homogénéisatrice de l’homme en société »80: Cas du groupe ethnique « Gbaya » évoqué précédemment. Ce qui amène les chercheurs ou spécialistes à observer dans un contexte unique ou une seule sphère d’activité. Il précise qu’il ne peut y avoir de « théorie » qui expliquerait le réel dans sa totalité :

80 Lahire, B, L’homme pluriel : La sociologie à l’épreuve de l’individu, In Revue des Sciences Humaines, N°91, Février1999

Page 107: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

107

l’acteur est pluriel, on ne peut comprendre l’immense diversité de ses comportements à partir d’un seul éclairage (…). Les expériences sociales sont hétérogènes et l’unicité de l’individu une illusion (Lahire 1999). Il pose la question suivante : Quelle sont les conditions socio-historiques qui rendent possible la production d’un acteur pluriel ou au contraire celle d’un acteur caractérisé par une profonde unicité ? La réponse à cette question se résume de manière suivante : C’est la saisie du singulier qui force à voir la pluralité : le singulier est nécessairement pluriel. Il met également en exergue les modes de socialisation dans les sociétés traditionnelles et les sociétés contemporaines. Dans les sociétés traditionnelles les conditions de socialisation sont stables et transmises de génération en génération sans modification ni adaptation à l’évolution de la société. L’individu y est « contrôlé » renié ou sanctionné en cas de « déviance ». Par contre dans les sociétés contemporaines les conditions de socialisation sont moins stables dûes à la complexité des réseaux ou institutions qui diffusent des valeurs et des modèles en opposition radicale les uns aux autres. En reprenant la question de B. Lahire sur les conditions socio historiques de l’acteur pluriel ou non, nous nous sommes interrogé sur comment les acteurs de la région de l’Ouham et la communauté Gbaya en particulier ayant un mode d’Education « stable » (Durkheim, Lahire) sont parvenus à devenir pluriel à travers l’introduction de l’école dans leur communauté ? L’école dans la région de l’Ouham est un fait, un élément nouveau dans la configuration culturelle et sociale de la communauté. A travers le cas de la communauté « Gbaya », nous avons remarqué que le processus de socialisation mis en place est conçu de sorte qu’aucune tranche d’âge n’y échappe ou fasse défection. Le paradoxe est qu’à l’école, les enfants s’y rendent volontairement ou non puis abandonnent tout de même volontairement ou non. Est-ce parce qu’on passe moins de temps dans le camp d’initiation qu’à l’école ? Est-ce parce que l’insertion sociale est mieux garantie au sortir du camp d’initiation qu’à école ? Enfin comment l’école connaît-elle un tel « échec » à travers les abandons scolaires qui nous intéressent ici ? L’importance de cette analyse croisée de l’éducation traditionnelle est d’avoir une vue cohérente de la manière dont elle se réalise et éventuellement, de relever ses écarts quant à une défection. Son organisation ne laisse aucune possibilité aux jeunes d’arrêter à mi parcours sauf pour des cas exceptionnels de maladies, accidents ou décès, qui de toute façon trouvent leur explication dans la pensée cosmogonique et

Page 108: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

108

ésotérique. Enfin, cette analyse nous prépare à aborder l’éducation moderne, notamment la situation scolaire et les abandons scolaires sur notre champ d’étude.

2.8 La situation scolaire et les abandons scolaires dans la région de l’Ouham La circonscription scolaire de l’Ouham est située dans l’inspection d’académie du Nord de Centrafrique regroupant deux circonscriptions scolaires : Celle de l’Ouham-Pendé et la circonscription de l’Ouham qui constitue notre champ d’étude. Celle-ci compte 132 établissements scolaires pour 23 994 élèves recensés au moment de l’enquête et 184 enseignants soit la moyenne de 130 élèves par enseignant.81 Or la moyenne nationale atteint presque 80 élèves par enseignant. Le taux des abandons scolaires est de 25%, un peu plus de la moyenne nationale, qui est de 24%. Environ 3O% de ces établissements scolaires n’ont pas le cycle complet selon les autorités scolaires. A travers les tableaux suivants, nous avons relevé certains paramètres qui expliquent le fonctionnement de la circonscription scolaire et justifient en partie les abandons scolaires notamment la modification permanente de la carte scolaire, les bâtiments scolaires, les locaux du personnel les mobiliers scolaires, la répartition de matériels didactiques, la répartition des écoles selon les cycles et enfin la répartition des salles de classes, classes pédagogiques et enseignants.

Tableau 10: Modification de la carte scolaire au moment de l’enquête Circonscription scolaire Communes Ecoles ouvertes Ecoles ré ouvertes Ecoles fermées

Bossangoa Nana-Bakassa Boguila Markounda Bouca Batangafo Kabo

1 0 1 0 0 1 0

5 0 2 0 0 1 0

16 4 0 0 2 3 0

Ouham

Total 3 8 25 Source : Enquête de terrain 2004

Il ressort de ce tableau que le nombre d’écoles fermées est nettement supérieur à celles ouvertes ou ré ouvertes. Ces fermetures d’écoles selon les autorités scolaires s’expliquent par l’insuffisance notoire du personnel enseignant : « Ces classes sont opérationnelles même s’il manque quelques mobiliers mais ne sont pas utilisées par manque d’enseignants » nous confie une autorité scolaire. Cet avis nous laisse

81 Enquête de terrain 2004

Page 109: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

109

percevoir ce qui est opérationnel ou pas. Les classes opérationnelles comme nous avons pu le constater sont des classes qui tiennent debout entre quatre murs avec une toiture plus ou moins acceptable et du mobilier sommaire ou pas. Pour le mobilier, cela ne constitue pas vraiment un problème pour les autorités scolaires. Les écoliers peuvent amener eux-mêmes de quoi s’asseoir. Celles qui sont en activités fonctionnent dans la plupart des cas en cycle incomplet ou en classes multigrades non pas par manque de classes mais par manque d’enseignants. Cette situation est plus qu’inquiétante pour les autorités scolaires qui, chaque année, doivent gérer les fermetures, ouvertures ou ré ouvertures d’école. Ces fermetures provisoires au départ finissent par rester définitives. Car, d’après les autorités scolaires, il n’y a pas de bonne planification au niveau central pouvant anticiper sur les problèmes auxquels elles sont confrontées à chaque rentrée scolaire. A leur niveau, elles tentent des initiatives de transformation de ces écoles fermées en écoles communautaires à la charge des parents mais ces derniers finissent par être dépassés par l’ampleur du problème.

Tableau 11: Les bâtiments scolaires Circonscription scolaire

Commune Durs Semi durs

Préfabriqués

Bossangoa Nana-Bak. Boguila Markounda Bouca Batangafo Kabo

45 11 3 5 12 18 6

1 3 1 1 2 4 1

25 5 6 2 15 5 4

Ouham

Total 100 13 62 Source : Enquête de terrain 2004

L’analyse de ce tableau laisse apparaître 175 bâtiments scolaires sous trois types de construction à savoir : Les bâtiments en dur construits en aggloméré ; les bâtiments en semi dur construits en mélange d’aggloméré et de matériaux locaux. Enfin les bâtiments préfabriqués construits essentiellement à base de matériaux locaux périssables. Ce dernier cas a droit de cité en milieu rural et est à la charge des parents d’élèves. Selon les autorités scolaires ces bâtiments causent une entorse supplémentaire au fonctionnement des écoles, déjà aléatoire. Car à chaque rentrée

Page 110: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

110

scolaire, il y a toujours nécessité de remise en état des locaux accusant ainsi des retards considérables quant à la reprise des activités pédagogiques. Tous les rapports annuels d’activités à l’intention de la hiérarchie sur la question demeurent sans suite.

Tableau 12: Les locaux du personnel enseignant et la nature du logement Circonscription scolaire

Communes Durs Semi durs

Préfabriqués

Bossangoa Nana-Bakassa Boguila Markounda Bouca Batangafo Kabo

15 9 3 1 3 2 2

2 2 1 1 1 2 3

19 10 2 4 10 4 5

Ouham

Total 35 12 54 Source : Enquête de terrain 2004

De ce tableau, on note une insuffisance notoire de logements par rapport au nombre des enseignants rappelons-le, qui est de 184. En se reportant au nombre de logements disponibles, on s’aperçoit qu’il faut près de deux enseignants par logement ; ce qui n’est pas réalisable de réunir deux familles dans un même logement. Certaines écoles n’ont pratiquement pas de logement de fonction. Le statut de fonctionnaire confère aux enseignants de travailler sur toute l’étendue du territoire. De sorte qu’ils n’ont pas d’attache particulière à leur lieu d’affectation pour pouvoir acheter ou construire une maison, car ils sont soumis aux aléas des affectations. Le déficit en logements de fonction amène les enseignants à louer un logement sur leur budget. Et souvent ils ne peuvent plus supporter le poids du loyer et se font expulser. Pour les autorités scolaires cette triste réalité est dûe aux arriérés chroniques de salaires dont sont victimes les enseignants les contraignant à cette humiliation. Cela explique aussi le refus des enseignants de regagner leur poste d’affectation tant que le logement n’est pas garanti. Et l’absence d’un seul enseignant entraîne plusieurs conséquences que la haute hiérarchie de l’éducation nationale ne mesure pas, ajoutent les autorités scolaires. Un enseignant absent signifie plus de cent trente élèves abandonnés, une école fermée (certaines écoles sont dirigées par un seul enseignant), des classes surchargées. Les notables tentent, tant bien que mal, à installer les enseignants mais cet élan s’émousse avec la complexité du problème.

Page 111: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

111

Tableau 13: Les mobiliers scolaires

Circonscription scolaire

Communes Tables bancs

Tables bureaux

Armoires

Bossangoa Nana-Bak Boguila Markounda Bouca Batangafo Kabo

2092 358 72 68 354 625 438

105 43 2 2 20 25 19

63 25 7 3 2 2 2

Ouham

Total 4007 216 104 Source : Enquête de terrain 2004

Les mobiliers scolaires sont en partie l’un des problèmes auxquels la circonscription scolaire de l’Ouham est confrontée. Comme le démontre ce tableau, il y a 4007 tables- bancs pour 23994 élèves. La moyenne est de six élèves par table banc. Le nombre réel varie de quatre à huit par table banc et selon les écoles. Les autorités scolaires déplorent les inégalités dans la répartition du matériel. D’après elles, certains enfants sont amenés à apporter leurs sièges de la maison et ont pour tables leurs genoux pour pouvoir écrire ; ce que nous avons nous-même observé. Quant aux bureaux et armoires, seules les communes de Bossangoa et de Nana-Bakassa sont pourvues en matériel de manière suffisante à l’ensemble des enseignants. Pour les autres communes, le matériel est à la charge des enseignants qui, dans la plupart des cas ne peuvent le fournir. En conséquent les quelques livres disponibles sont éparpillés, disparaissent faute d’armoires pour pouvoir les conserver. Les habitations tout comme la plupart des écoles rurales sont construites avec les matériaux locaux surtout les bois et pailles. Pendant la saison sèche les habitants vivent dans la hantise des incendies récurrents ; qui souvent détruisent tout, surtout les manuels scolaires qui intéressent cette partie. Nous avons fait l’état des manuels scolaires existant sur la carte scolaire à travers le tableau ci-dessous.

Page 112: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

112

Tableau 14 : La répartition de matériels didactiques

Circonscription scolaire

Communes Manuels de français

Manuels de maths

Manuels d’éveil

Bossangoa Nana-Bak Boguila Markounda Bouca Batangafo Kabo

2372 1275 286 196 1052 1554 314

4372 513 312 203 1888 2201 974

862 86 61 63 975 889 259

Ouham

Total 7049 10463 3195 Source : Enquête de terrain 2004

A travers ce tableau, on peut remarquer le déséquilibre qui existe dans la répartition des manuels scolaires même si le nombre d’élèves varie d’une école à l’autre. Les écoles de grands centres urbains sont beaucoup plus favorisées que celles des milieux ruraux. En se tenant à la moyenne générale de l’ensemble de la population scolaire (23 994 élèves) de la région, on parvient à avoir un livre de français pour plus de trois élèves ce qui est un avantage par rapport à la moyenne nationale qui est d’un livre pour six élèves. Et un livre de mathématiques pour plus de deux élèves par rapport à la moyenne nationale d’un livre pour trois élèves. Enfin un livre d’éveil pour plus de sept élèves. Selon les autorités, certaines écoles se contentent de travailler qu’avec le livre du maître. Le livre du maître est un support pédagogique dans lequel tout le déroulement des leçons est établi ; il est complémentaire à celui de l’élève. Pour un apprentissage efficace, il faut que l’enseignant et l’élève aient chacun leur livre. Ces difficultés se situent beaucoup plus en livres d’éveil qui se font de plus en rares. Les livres d’éveil sont constitués de livres d’histoire, de géographie, des sciences d’observation, atlas… L’absence de ces documents rend le travail abstrait et difficile tant pour les enseignants que pour les élèves.

Page 113: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

113

Tableau 15 : Répartition des écoles selon le cycle

Circonscription scolaire Communes Ecoles à cycle complet

Ecole à cycle incomplet

Bossangoa Nana-Bakassa Boguila Markounda Bouca Batangafo Kabo

32 16 3 6 14 15 7

16 1 4 4 6 3 5

Ouham

Total 93 39 Source : Enquête de terrain 2004

Selon les autorités scolaires, le nombre d’écoles à cycle complet a légèrement augmenté par rapport à l’année précédente. Cela est dû à l’insuffisance du nombre d’enseignant qui les a amenés à opter pour les classes multigrades et à augmenter le cycle complet. Le cycle incomplet touche beaucoup plus les zones rurales où les enseignants ne veulent pas y travailler pour une raison ou une autre. Et ce cycle s’arrête aux trois premières années c'est-à-dire CI, CP et CE1 dans la plupart des cas. Les élèves ayant terminé ce cycle doivent attendre une éventuelle ouverture d’un cycle supérieur, et cela peut durer des années. Et là, ils seront plus âgés pour le cycle pour lequel ils seront inscrits. Par contre, ceux qui habitent à quelques kilomètres (la moyenne varie entre 10 et 15 Kms) d’une école à cycle complet, vont y s’inscrire et devront faire des aller/retour tous les jours pour leur scolarisation. Ceux qui ont des parents dans certaines villes, vont les rejoindre pour pouvoir continuer leur scolarité et être ainsi épargnés de problèmes de distance.

Page 114: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

114

Etablissement scolaire en milieu rural (Ouham)/Unicef.

Page 115: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

115

Tableau 16: Répartition de salles de classes, classes pédagogiques et enseignants Circonscription scolaire

communes Salles de classes

Classes pédagogiques

Enseignants

Bossangoa Nana-Bak. Boguila Markounda Bouca Batangafo Kabo

150 50 23 21 58 76 43

151 48 20 38 60 51 47

47 27 11 8 33 26 32

Ouham

Total 424 415 184 Source : Enquête de terrain 2004

Au vu de ce tableau, on remarque qu’il y a 424 salles de classes effectives dont 415 salles pédagogiques. Cela suppose qu’il y a 19 salles de classes disponibles. Selon les autorités scolaires ce surplus de salles est dû aux enseignants qui ne regagnent pas leur poste et impliquent la surcharge de classes à laquelle elles sont confrontées. Et les enseignants ont en moyenne deux classes pédagogiques. Elles font appel aux agents communaux à qui elles confient les trois premières années scolaires (CI, CP, CE1) et déplacent les enseignants titulaires aux niveaux supérieurs. Et ce surplus ne touche pas toutes les écoles de la circonscription. Certaines écoles ont une capacité d’accueil réduite d’où les classes à mi temps ou à roulement. La classe à roulement, rappelons-le, est le fait qu’une même école partage les salles disponibles à des heures différées. Ou encore c’est le fait que deux écoles se partagent les mêmes locaux sur une seule aire géographique à des heures différées ; exemple : Ecole préfectorale A et Ecole préfectorale B. D’autres écoles ont des salles de classes non pourvues en mobiliers, les rendant inutilisables. Ces différents facteurs témoignent de l’urgence de la situation des abandons scolaires dans la région de l’Ouham. D’où l’importance de déterminer les caractéristiques possibles de ceux qui ont du quitter l’école en raison de l’un de ces facteurs liés à la situation scolaire de la région de l’Ouham.

Page 116: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

116

2.9 Délimitation au niveau sociologique : Notre démarche consistait à observer le phénomène des abandons scolaires auprès d’une « population spécifique » parmi laquelle : - Ceux qui ont abandonné l’école sans avoir terminé le cycle primaire pour lequel ils se sont inscrits. Cette catégorie concerne la tranche d’âge des dix huit (18) ans et plus. Ce, pour plusieurs raisons. D’abord nous voulons aborder ce problème si sensible avec des adultes qui sont à même de comprendre l’impact du phénomène dans leur vie quotidienne et pourquoi ils ont quitté tôt l’école. Ensuite, déterminer l’illettrisme qui est remédiable et enfin recueillir leurs propositions quant aux solutions au problème en cause. - Ceux qui continuent leur scolarité au moment de l’enquête. Il s’agit des élèves de onze à treize ans de la classe de CE2 à CM1. Ceci pour deux raisons suivantes : Un élève de onze ans en classe de CE2 et de quinze ans en CM1 peut sembler excessif sur d’autres terrains de recherche ; mais cela est possible en Centrafrique. En effet les causes de cette population scolaire âgée en Centrafrique sont dûes à l’organisation éducative et aux crises sociopolitiques récurrentes. Les fermetures d’école par manque d’enseignants, contraignent l’enfant à demeurer sans scolarité jusqu’à la réouverture de celle-ci et cela peut durer plusieurs années. Les enseignants qui tardent ou refusent de regagner leur poste d’affectation amènent les élèves à demeurer sans scolarisation. Même s’il y a une solution alternative comme la classe multigrade évoquée ci-dessus, elle demeure insuffisante car tout le programme n’est pas pour autant exécuté. Et comme le passage en classe supérieure est conditionné par un examen, il y a plusieurs élèves qui vont redoubler leur classe. A cela, il faut signaler les grèves répétées des enseignants qui ont un impact important sur le redoublement de classes des élèves et des années scolaires invalidées. Les mutineries militaires, la rébellion, les coups d’état… provoquent le déplacement de la population compromettant ainsi la scolarité des enfants et ce, pendant des années. Nous avions choisi ces deux niveaux (CE2 et CM1) pour notre enquête et omis volontairement le CM2 pour les raisons suivantes : Ceux de CM2 au moment de l’enquête ont eu plus ou moins la chance de terminer leur scolarité et précisément le cycle primaire qui intéresse ce travail, même si nous sommes tenté de tester leur niveau pour savoir s’ils ont maîtriser les rudiments de bases : Lecture, l’écriture et le calcul.

Page 117: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

117

Ensuite nous avons orienté notre recherche sur les parents d’élèves, ce type de population n’est pas de la moindre importance dans le processus de scolarisation effectué ou non de l’enfant et des abandons scolaires. Ce sont eux qui, une fois convaincus de l’importance de la scolarisation, peuvent « libérer » ou inciter leurs enfants à aller à l’école. Donc, ils peuvent aussi les aider à avancer dans les études. Mais pourquoi une fois les enfants inscrits à l’école, ils les voient l’abandonner ensuite. Quels sont les éléments qui justifient leur impuissance face aux abandons scolaires ? Enfin il y a eu des guides d’entretien adressés aux personnalités, choisies selon leur influence et leur responsabilité dans la région. Quelle représentation se font-ils de l’école ou des abandons scolaires ? Quel type d’éducation souhaitent-ils ? Font-ils un lien entre l’éducation traditionnelle et l’organisation de l’éducation moderne notamment l’école ? Conclusion En somme, nous venons de déterminer certaines caractéristiques non exhaustives qui pourraient influencer la fréquentation et les abandons scolaires dans la région de l’Ouham. Nous avons estimé que celles relevées s’inscrivent dans les paramètres possibles à l’analyse des problèmes qui sous tendent les abandons scolaires. L’aspect historique nous a permis de comprendre le flux migratoire et démographique tout comme les différents groupes ethniques de la région de l’Ouham. Le champ spatial a permis de situer les lieux de recherche où vivent les enquêtés tout en subissant son influence. L’étude de cas d’éducation traditionnelle nous a donné un aperçu justifié du sort tant de l’ initié que de l’écolier quant à leur socialisation après un cursus et le pourquoi des abandons scolaires. La carte scolaire, son fonctionnement et son analyse statistique sont autant de paramètres déterminants à prendre en compte dans le processus explicatif du phénomène des abandons scolaires. Nous y avons relevé certains facteurs qui peuvent justifier en partie la cristallisation et la progression des abandons scolaires dans la région de l’Ouham. La délimitation sociologique a cerné les types de populations concernés directement ou indirectement au phénomène des abandons scolaires. De ce constat, la situation des abandons scolaires est préoccupante dans la région de l’Ouham et nous nous sommes interrogé sur les causes. Pour cela nous avons procédé à des entretiens et administré des questionnaires auprès de nos groupes cibles, déterminés précédemment afin qu’ils évoquent eux-mêmes les causes réelles

Page 118: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

118

de leur défection scolaire. Avant de présenter nos résultats, il est important de présenter notre méthodologie.

Page 119: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

119

CHAPITRE TROISIEME APPROCHE METHODOLOGIQUE

Page 120: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

120

Chapitre III : Méthodologie de la recherche Introduction La complexité de notre objet d’études, les abandons scolaires, nous ont amené à nous poser des questions sur les types de méthodes d’approche adaptée à utiliser. L’autre problème est celui du double caractère objectif et subjectif de notre objet d’études qui nous inscrit dans l’esprit d’une démarche que peuvent adopter certains spécialistes de la question des abandons scolaires. De cette logique méthodologique, la méthode structuro-fonctionnaliste est utilisée pour les raisons suivantes :

- Elle considère la société comme une entité globale et introduit la notion de structure, ce qui veut dire que chaque ensemble ou sous-ensemble est composé de différents éléments socioculturels fortement structurés dont la combinaison des diverses fonctions qu’ils assument concourt au maintien du groupe social et à son dynamisme,

- Elle propose un modèle conceptuel général de la société car elle identifie non seulement les besoins nécessaires à sa réalisation mais aussi les systèmes qui remplissent les fonctions correspondantes à ces besoins.

- La région de l’Ouham est considérée comme une entité globale qui fonctionne par rapport à ses repères et valeurs spécifiques qui assurent son équilibre, son maintien et son dynamisme,

- Enfin l’introduction de l’école dans cette entité globale (Région de l’Ouham) a entraîné plus ou moins des dysfonctionnements ou changements socioculturels, socio-économiques et psychosociologiques dans sa configuration sociale initiale.

Cette attitude a permis de présenter ce chapitre comme suit : la problématique qui fait les contours de l’Education de manière générale et des abandons scolaires tout en les spécifiant sur notre terrain d’étude. Nous avons également procédé aux définitions des concepts qui constituent le thème de recherche. Cette démarche a permis des discussions sur les différentes définitions existantes et de faire le lien entre celles qui correspondent au mieux au terrain de recherche ainsi qu’à ses objectifs. Les règles de méthode sont retenues ainsi que leur justification. Elles consistent à apporter des précisions historiques sur l’apparition du phénomène des abandons scolaires dans le domaine de recherche en sciences sociales et humaines. Plusieurs techniques ont été utilisées pour la collecte de données. Il s’agit des entretiens semi directifs, des témoignages oraux, des questionnaires, de la recherche documentaire et de

Page 121: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

121

l’observation. Ensuite, nous avons évoqué les démarches concrètes effectuées pour parvenir à cette recherche. Enfin nous avons dépeint les difficultés rencontrées pour mener à terme cette recherche. 3.1 Problématique La RCA, à l’instar d’autres pays, considère l’Education comme l’une de ses priorités. Ainsi, elle pose des actes, tant au niveau international que national quand il s’agit de la promotion de l’Education. Depuis son indépendance, en 1960, la RCA est membre permanent de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et coopère avec les organes subsidiaires spécifiques de cette dernière, notamment l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture), l’UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l’Enfance), PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), la Banque Mondiale… dans le cadre de la promotion de l’Education et du développement économique et sociale. Elle a souscrit à presque tous les documents de portée internationale relatifs à l’éducation. Il y a, entre autres sa souscription : A la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. A la charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Au consensus de Dakar, dont l’objectif est « l’enseignement primaire universel en 2015 ». La convention des droits de l’enfant en 1989. La déclaration de la conférence des ministres africains de l’éducation en 1999. La RCA a également participé aux différents sommets et conférences au cours desquels les questions de l’éducation étaient à l’ordre du jour et débattues : Le sommet mondial pour les enfants, tenu à New York (USA), en 1990. Le sommet social de Copenhague (Danemark), en 1995. La conférence internationale sur la population et le développement au Caire (Egypte), en 1994. La conférence sur « Les Objectifs de développement pour le Millénaire» à New-York en 2002 Nous pouvons retenir certains de ces objectifs qui cadrent avec cette recherche :

- Réduire de moitié le nombre de personnes pauvres.

- S'assurer que tous les garçons et toutes les filles terminent l'école primaire.

Page 122: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

122

- S'assurer que les filles ont un accès égal à l'éducation primaire et secondaire

- Réduire de trois quarts le nombre de décès de femmes pendant l'accouchement.

- Commencer à réduire la progression du VIH/SIDA, du paludisme et d'autres maladies graves.

- Créer un partenariat mondial en faveur du développement qui favorise des échanges commerciaux équitables entre les nations, l'octroi d'une aide spéciale aux pays pauvres, des conditions de travail décentes pour les jeunes, des médicaments bon marché et l'accès aux nouvelles technologies.

Au niveau national, le gouvernement centrafricain a organisé un Séminaire National sur l’Education et la Formation en 1982. Ce séminaire avait pour but de faire le bilan critique du système éducatif centrafricain et de proposer de nouvelles orientations. Car on s’est rendu compte que l’école centrafricaine ne préparait pas réellement les citoyens à s’assumer individuellement et collectivement malgré le fait que dans les années 70, la RCA avait déjà tenté d’expérimenter ces principes dans les « Ecoles de Promotion Collective » (EPC). Aussi, le gouvernement par ordonnance n° 084-031 du 14 mai 1984, portant l’organisation de l’enseignement, stipule en son article 1er que : « Tout enfant vivant sur le territoire de la RCA a le droit d’accéder aux sources du savoir, sans distinction de sexe, de race, de croyance et de condition sociale. Et en son article 7 : « L’enseignement dispensé est gratuit, à tous les degrés pour les enfants centrafricains ». Cette ordonnance est reprise partiellement par la Loi n°97.014 du 10 décembre 1997, portant l’orientation de l’Education. Elle stipule en son article 1er : « L’accès à l’instruction, à la culture et à la formation professionnelle est de garantir à l’enfant et l’adulte sans considération de sexe, de rang social, d’ethnie, de religion ou d’appartenance politique ». Et en son article 4 : « L’éducation préscolaire, les écoles fondamentales (…) contribuent par la transmission du savoir, du savoir faire et du savoir être à favoriser l’égalité entre l’homme et la femme, l’égalité des chances et la promotion de la paix ».

Page 123: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

123

Ensuite en 1994, il y a eu l’organisation des Etats Généraux de l’Education, qui ont livré un diagnostic assez sévère du système éducatif. Celui-ci découlait du constat suivant : Depuis le Séminaire National sur l’Education en 1982, et l’adoption de l’Ordonnance portant l’organisation de l’Enseignement (1984), rien n’a vraiment changé. Bien au contraire. Aux dysfonctionnements internes des systèmes déjà anciens, exogènes car étrangers à leur environnement sociologique, se sont ajoutés les effets de la crise sociopolitique que le pays traverse depuis 1990. Alors, il fallait arrêter la dérive à l’occasion de ces assises en relançant un système éducatif entièrement rénové, en professionnalisant l’enseignement depuis le fondamental 1 jusqu’au supérieur…82 Enfin, en 1995, le gouvernement centrafricain a organisé les Etats Généraux de l’Enfance et de la Jeunesse qui ont mis l’accent sur la promotion de la scolarisation par la création des écoles formelles et fonctionnelles afin de lutter contre l’analphabétisme. D’une manière concrète, le gouvernement centrafricain, par le biais du Plan National de l’Education (PNE), initie des projets éducatifs qui sont soumis à la communauté des bailleurs de fonds et des partenaires de l’Education. Ainsi, la Banque Mondiale a financé dans les années 90 la formation de plusieurs promotions d’Instituteurs afin de compenser le déficit en enseignants, dû au Départ Volontaire Assisté (DVA), au départ à la retraite méritée, aux décès, etc. Il y a également l’Ecole Normale des Instituteurs (ENI) qui forme en permanence des enseignants du premier degré. En dépit des efforts du gouvernement centrafricain, au niveau national comme international, pour adapter le système éducatif à une société en mutation, celui-ci reste en crise permanente, ce, depuis des décennies ! Chaque année, des enfants en âge scolaire ne sont pas scolarisés. Un nombre important d’élèves abandonne l’école sans avoir acquis les rudiments scolaires de base. Et le taux d’analphabétisme est supérieur à 60%. Celui des abandons scolaires est de 24% au niveau national. La population centrafricaine est relativement jeune. Mais elle cumule des handicaps liés à la sous scolarisation. Les initiatives et les différentes réformes du système éducatif n’ont toujours pas eu les effets escomptés en Centrafrique. Les disparités en matière d’éducation restent

82 MALINCHAUD G, Les Etats généraux de l’Education In Afrique Education vol 50, 1995 pp 29

Page 124: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

124

patentes entre les régions de ce même pays parmi lesquelles la région de l’Ouham. Or, l’éducation apparaît comme un processus d’organisation et de développement car elle assure l’épanouissement et la socialisation des membres d’une société donnée. Ce qui n’est pas totalement le cas de la société centrafricaine qui régresse en matière de politique éducative efficace, mais par contre progresse en cumul de problèmes de : -Analphabétisme -Echecs scolaires. -Non fréquentation scolaire. -Abandons scolaires -Illettrisme -Etc. Dès lors, il y a lieu de s’interroger sur ce système éducatif. Est-ce le système éducatif qui serait à l’origine de tous ces maux sociaux, liés à l’éducation, parmi lesquels les abandons scolaires ? En effet, le système éducatif centrafricain reste en crise. Malgré les efforts notables constatés, il reste proche de celui de l’époque coloniale, qui, pensé de l’extérieur (métropole) était tout de même adapté au contexte et besoins de l’époque. L’objectif de l’enseignement à l’époque coloniale était de former des cadres indigènes subalternes, fonctionnaires, pouvant seconder et finalement remplacer le personnel métropolitain qui devrait partir progressivement dès 1960. Ainsi : « Dans l’Oubangui Chari (actuelle

Centrafrique), l’enseignement était essentiellement primaire, inconnus étaient

l’enseignement secondaire et supérieur » (MAÏTART 1982). La démocratisation du système éducatif au lendemain de l’indépendance a abouti à une scolarisation de masse, comme souligné précédemment, de l’ensemble de la population. Ce, contrairement à l’époque coloniale où la scolarisation était réservée aux enfants des chefs coutumiers, des commis de bureau, des cuisiniers, des catéchistes ou domestiques des missionnaires et administrateurs coloniaux etc. : « L’instruction était réservée à une élite de naissance c’est à dire que le

colonisateur voulait prioritairement instruire les fils et les neveux des chefs et

dignitaires africains »83 Cette priorité « discriminatoire » dans le recrutement des élèves n’était pas, tout de même, l’avis pour la plupart de ceux sur lesquels l’œuvre de « civilisation » voulait

83 MAÏTART, D.A (1982) opcit. pp.201

Page 125: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

125

s’appuyer : « …les indigènes ne savaient pas ce que c’était que l’école. On imaginait

mal le rôle que pouvait jouer ce dispositif ; les parents préfèrent garder leurs enfants

(…) D’autres confiaient de préférence des petits orphelins qui étaient sous leur tutelle.

Quant aux enfants des chefs considérés comme de « princes », pas question de les

assimiler aux « sujets » (…).(…) : « Les premiers enfants que nous avions envoyés à

l’école étaient des orphelins ou des esclaves qui étaient sous notre tutelle. Quant à nos

propres enfants, ils furent inscrits à l’école un peu plus tard après quelques résultats de

l’action éducative (…) »… »84 Ces différentes situations liées à la scolarisation à l’époque coloniale peuvent se justifier par l’esprit et le contexte du moment, nous l’avons souligné ci-dessus. Malgré la vicissitude de ce système éducatif de l’époque coloniale, son objectif était tout de même atteint ; même s’il y avait des lacunes au niveau du contenu pédagogique de la formation qui était alors métropolitain. Ce système a formé des cadres subalternes dont il avait besoin et qui était défini préalablement de par sa mission. Les abandons scolaires étaient quasi inexistants. Cette « réussite » de ce système éducatif est-elle dûe : - à la faiblesse démographique de la population scolarisable ? - Aux sélections liées à l’origine sociale des futurs élèves ? - à l’importance des moyens mis en œuvre pour sa réalisation ? - à la politique de formation-insertion ? - à la sensibilisation sur le bien fondé de la scolarisation ? Ce qui est important de souligner est que l’école a fait ses preuves au niveau de la formation des « cadres », qui effectivement, ont pris le relais dans l’administration au lendemain de l’indépendance de leur pays. Mais ces cadres ont-ils su pérenniser et transmettre la « réussite » de ce système éducatif aux générations qui les ont succédés même si ce système éducatif demeurait lacunaire dans son contenu pédagogique ? Plus de 40 ans après l’indépendance, on aurait pu estimer que les choses allaient évoluer positivement, que l’école serait « prise d’assaut » par les jeunes scolarisables pour leur formation. On constate pourtant que ces jeunes ne la fréquentent pas,et ceux qui y sont inscrits l’abandonnent au vu et au su de toute la société. Mais pourquoi abandonnent-ils l’école ?

84 - BEVARRAH, L (1985), opcit, pp.319-320

Page 126: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

126

- Est-ce le système éducatif qui ne correspond pas aux attentes des élèves ?

- Est-ce le contenu pédagogique des enseignements qui ne correspond pas à l’environnement socioculturel de l’enfant ?

- Est-ce l’insuffisance des moyens mis en œuvre qui rend inefficace les objectifs du système éducatif ?

- Les effets positifs de la scolarisation n’ont-ils pas convaincu les parents à s’investir davantage dans la scolarisation de leurs enfants ?

Surtout que nous vivons dans un contexte où la RCA, comme tout autre pays en voie de développement, devrait s’engager dans la lutte contre la pauvreté et les maladies qui touchent une grande partie de sa population.

Alors, quelles sont les causes de ces abandons scolaires massifs en Centrafrique, dans la région de l’Ouham en particulier ? En effet l’augmentation de la population scolaire a rendu le nombre des enseignants et des infrastructures scolaires existants insuffisants. Ces enseignants parfois mal formés et mal payés, souvent absents, malades ou décédés… ne sont pas régulièrement remplacés. Les bâtiments scolaires en état de délabrement continu et mal équipés en fournitures scolaires ne peuvent motiver l’enfant à une longue scolarité.

Est-ce un manque de vision cohérente de la politique éducative ? L’épineux problème du système éducatif et des abandons scolaires a fait l’objet de nombreux débats et recherches afin de déterminer les causes et éventuellement les conséquences de ces phénomènes. Certains travaux, menés sur d’autres terrains, ont relevé certains facteurs qui sont à l’origine des abandons scolaires. Ainsi en abordant les causes particulières, le Ministère de l’Education du Québec (M.E.Q. 1991) révèle que : « Les causes sont multiples. Certaines sont inhérentes au système scolaire, comme : - La hausse des exigences scolaires, - Un encadrement insuffisant, - L’ennui scolaire - Une succession d’échecs »85.

6 -LEGENDRE, R, Dictionnaire actuel de l’Education, Montréal, 2ème édition, Guérin, 1993, pp.2

Page 127: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

127

Les exigences scolaires sont une réalité et pèsent de tout leur poids sur la poursuite ou l’abandon du cursus scolaire de l’enfant. Elles sont sélectives et élitistes et du coup rendent l’éducation coûteuse voire comme un luxe : « … le payement des études -la

monétarisation de l’instruction- constitue sans doute le plus grand bouleversement

introduit dans le domaine de l’éducation »86.

Dès lors, les familles pauvres, à faibles revenus ne peuvent supporter le coût que revêt la scolarité de leur enfant et souvent optent pour son retrait ce dernier ce dernier qui quitte de lui-même le dispositif scolaire ; car, cet enfant se trouve dans une situation inconfortable puisqu’il ne peut participer à certaines activités pédagogiques nécessitant du matériel coûteux et peut conclure que l’école devient un lieu où les inégalités sociales s’enseignent. Pour Bastos Horta, elle considère que : « L’abandon scolaire est une composante de

l’échec scolaire »87

En effet, l’élève qui se trouve régulièrement en face de plusieurs échecs scolaires se démotive pour finalement tout abandonner : « L’examen de certains cas recèle une

accumulation de « catastrophes » qui affecte de façon tellement récurrente le même

sujet qu’on songe à l’interprétation superstitieuse régnant dans certains groupes ou

certaines cultures (…) et comme on partage la croyance que le malheur est

contagieux, on s’éloigne de ceux qui semblent en porter la marque, au lieu de les

aider »88.

De là, il s’avère nécessaire de remettre aussi en question le système éducatif lui-même. L’inadéquation entre les attentes de l’élève et le contenu pédagogique des cours est l’une des dimensions importantes à considérer dans la recherche des causes des abandons scolaires. Il arrive que l’élève ne puisse percevoir ou comprendre réellement la nécessité de ce qui lui est enseigné. Surtout, en Afrique francophone, l’enseignement est généralement dispensé jusqu’aujourd’hui en langue que l’enfant ne maîtrise pas directement et ce, depuis une politique séculaire : « l’enseignement doit

être donné en langue française, l’emploi pédagogique des dialectes locaux parlés étant

absolument interdit aussi bien dans les écoles privées que publiques »89. Et pour

86 GERARD, E, La tentation du savoir en Afrique : Politiques, Mythes et stratégies d’éducation au Mali, Paris, Karthala, 1997 87 BASTOS Horta L.C. L’abandon scolaire au Brésil. L’enquête sur les représentations des parents d’élèves face à l’école. Thèse, Paris 5, 1991, pp184. 88 MANNONI, P, La malchance sociale, Paris, Editions Odile Jacob, 2000, pp122 89DE GAULLE C, Discours, Conférence Africaine de Brazzaville, 1944, pp.55

Page 128: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

128

justifier cette politique idéologique et plus tard francophone : « Toutefois

l’enseignement du français y tiendra une place importante. La multiplicité et

l’insuffisance des dialectes indigènes nous obligent, dans l’intérêt même du progrès

économique et social, à répandre autant que possible notre langue, instrument

indispensable à l’évolution ultérieure de ces pays »90.

Mais n’ y a t-il pas de possibilité de promotion de l’enseignement par les langues locales de ces pays, surtout qu’en Centrafrique, il existe une langue nationale ? Ce facteur linguistique amène l’enfant à un double effort dans son apprentissage. L’enfant doit d’abord traduire ce qu’il apprend dans sa langue maternelle et /ou la langue de l’enseignement pour enfin mieux comprendre. Ce qui peut amener à l’abandon scolaire. Malgré cette barrière linguistique, le paradoxe ou le constat en Centrafrique et dans la région de l’Ouham en particulier, est que les parents continuent à envoyer leurs enfants à l’école, sachant pertinemment que la langue de l’enseignement est étrangère. Dès lors, l’enfant abandonne-il l’école en raison de la langue de l’enseignement ? Ou bien est-il hostile ainsi que ses parents à l’école ? Et pourquoi certains élèves continuent-ils leur cursus scolaire ? Quelles en sont leurs motivations premières ? L’enfant qui est inscrit à l’école n’est pas lui-même plus hostile à cette institution ainsi que ses parents. Le fait que ces derniers inscrivent leurs enfants à l’école témoigne presque à suffisance qu’ils perçoivent l’importance que revêt cet acte, et pour l’enfant lui-même, et pour la communauté globale. Pourquoi ces mêmes parents « acceptent »-ils que leurs enfants abandonnent l’école sans réagir, comme le constat qui motive cette recherche dans la région de l’Ouham ? Est-ce la pauvreté détériorant les conditions sociales qui détermine la poursuite ou les abandons scolaires ? Les conditions sociales jouent un rôle important dans la réussite ou l’abandon scolaire. L’enfant qui évolue dans des conditions favorables aura la possibilité d’une longue scolarité, les conditions essentielles étant garanties. Par contre l’enfant qui vit dans un milieu défavorisé a moins de possibilité pour pouvoir terminer le cycle du premier degré afin d’envisager les cycles suivants. L’absence de ces minima, implique l’enfant

90 Historique et organisation générale de l’enseignement en Afrique Equatoriale Française (A.E.F) In MAÏTARD, La scolarisation en Centrafrique sous la colonisation : Contribution à l’histoire de l’enseignement colonial en Centrafrique, opcit. pp.209

Page 129: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

129

directement ou indirectement dans les activités économiques de la famille, et ne peut avoir de temps nécessaire pour les études. Les causes des abandons scolaires sont multiples. Elles peuvent être liées à la crise économique, à la crise socio politique, à l’éclatement de la cellule familiale, à la démographie, à la maladie... Les besoins économiques sont permanents sur le continent africain notamment en Afrique subsaharienne. Les coûts élevés de la dette extérieure empêchent plusieurs gouvernements africains d’augmenter le budget alloué à l’éducation. Au fardeau de cette dette, s’ajoutent les mesures draconiennes de certaines institutions internationales notamment la banque mondiale et le F.M.I (Fonds Monétaire Internationale) à contraindre les gouvernements à admettre des programmes comme le programme d’ajustement structurel (P.A.S). Ces programmes introduits dans plusieurs pays africains dans les années 1980-1990 ont obligé les gouvernements d’un bon nombre de pays africains à réduire par tous les moyens les dépenses publiques jugées non essentielles. Comme conséquences, les systèmes éducatifs en sont sévèrement touchés. Les ministères de l’éducation n’ont désormais plus de ressources suffisantes pour maintenir en place les systèmes éducatifs ou les promouvoir. Ainsi en Centrafrique, ce programme (PAS) mal négocié, a mis l’accent sur le dégraissage de la fonction publique, limitant ou du moins suspendant les recrutements tout en privilégiant le redéploiement des cadres dont l’effectif est jugé pléthorique, d’où le départ volontaire assisté (D.V.A). Vu la dévalorisation du métier d’enseignant en Centrafrique, beaucoup d’instituteurs ont profité de ce programme (départ volontaire assisté) pour quitter l’enseignement et bénéficier d’une retraite anticipée. De ce fait, le programme a permis d’éjecter plus d’un millier de fonctionnaires enseignants entre 1986-1990. A cet effectif, il faut ajouter les départs naturels notamment les retraites méritées et les décès. Ainsi la surcharge des classes déjà séculaire s’accentuera, car il fallait prendre en charge celles sans enseignants. Du coup les conditions d’apprentissage deviennent de plus en plus difficiles favorisant en partie les abandons scolaires. L’Afrique subsaharienne traverse les crise socio politiques les plus aigues de la planète. Et ce, avant et après les indépendances et selon les pays. Les marches vers

Page 130: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

130

l’indépendance, la démocratie… ne se font pas de manière linéaire sur cette partie du monde. Cela a entraîné ce qu’on qualifie de guerres d’indépendance, de guerres civiles, de guerres tribales et ethniques, la lutte pour la démocratie… C’est le cas de l’Algérie, le Soudan, l’Angola, du Tchad, de la Somalie, du Libéria, de la Sierra Léone, du Rwanda, du Burundi, du Congo Démocratique, du Congo Brazzaville, de la Côte d’Ivoire, de la République Centrafricaine… Minés par ces différents conflits, ces pays ont assisté à des destructions des infrastructures scolaires -déjà précaires- et à l’enrôlement des enfants dans les conflits et combats. Ce qui amène ces enfants à des abandons scolaires obligatoires et involontaires. Même si tous les enfants ne sont pas enrôlés dans les combats ; ces conflits provoquent tout de même l’éclatement de la cellule familiale mettant les enfants en situation d’errance pour se retrouver dans un camp de réfugiés, s’ils ont survécu. Dans ce camp, s’il y a l’aide internationale, qui souvent tarde à arriver, la priorité est d’abord donnée à l’alimentation ensuite la santé avant de penser, si possible, enfin à la scolarisation ou ré scolarisation des enfants. Tel est le cas spécifique de la République Centrafricaine et de la région de l’Ouham en particulier, ces dernières années. Souvent ces « enfants-réfugiés » n’ont plus envie de poursuivre leur scolarité car ils sont affectés psychologiquement soit par : - la séparation ou la disparition tragique des membres de leur famille, - le fait que le conflit se serait déclenché alors qu’ils se trouvaient dans une salle de classe et ne veulent plus se retrouver dans une même situation scolaire. - le fait qu’ils aient attendu plusieurs mois voire années -selon l’ampleur et la durée du conflit- avant d’avoir un dispositif scolaire. Ainsi, ils perdent toute motivation et optent tout simplement pour les abandons scolaires car avec le temps, ces enfants grandissent et deviennent trop âgés pour reprendre le même niveau qu’avant le conflit, s’il n’y a pas de mesures exceptionnelles. De ces conflits, pendant ou après, c’est généralement le budget de l’éducation qui est révisé à la baisse. Il faut supporter les efforts de guerre en augmentant le budget de certains ministères au détriment d’autres secteurs qui ne sont pas considérés comme la priorité du moment.

Page 131: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

131

Dans la plupart de ces pays où le système de formation continue est quasi inexistant, ces enfants seront confrontés aux problèmes de l’illettrisme ou « l’analphabétisme de retour ». La tentative d’instauration du multipartisme au début des années 1990 en République Centrafrique a touché sévèrement le système éducatif. L’aspiration générale de l’Afrique francophone pendant cette période était la démocratie. Ce, après le sommet de Baule (France) en 1990 où la France a conditionné toute aide au développement à l’Afrique francophone par l’instauration du multipartisme. Les différents régimes en place en étaient encore réticents. En Centrafrique, des différents mouvements sociaux notamment les revendications politiques, syndicales, sociales...ont troublé le fonctionnement du système éducatif allant jusqu’aux trois années blanches (invalidation d’une année scolaire). Ceci parce que les enseignants étaient régulièrement en grèves, ne pouvant exécuter tout le programme scolaire d’une année à l’autre. Cette situation a favorisé les abandons scolaires massifs. L’organisation et la réussite des premières élections démocratiques en 1993 ne furent pas sans conséquences positives et négatives sur le système éducatif centrafricain. Outre les réformes du système éducatif de 1994 suivies de la formation accélérée de plus de 750 instituteurs sur trois ans pour compenser le déficit enseignant, le budget de l’éducation n’a cessé de baisser, il est passé de 22% en 1989 à 8% en 1994. Ce, parce qu’il fallait investir dans l’armement pour faire face aux différentes mutineries, tentatives de coup d’état militaires et ensuite ce fut la rébellion qui a immobilisé une grande partie du pays, parmi laquelle la région de l’Ouham. Ces différentes actions militaro politiques ont engendré des arrêts systématiques des cours et des déplacements des populations comme réfugiés dans les pays limitrophes notamment le Congo démocratique et le Congo Brazzaville, depuis mai 2001, le Soudan, le Cameroun et le Tchad depuis octobre 2002. Ces situations d’instabilité politique ne peuvent favoriser une scolarité normale mais plutôt des abandons scolaires. La non maîtrise de la démographie est considérée comme l’une des causes des abandons scolaires en Afrique car elle a une incidence remarquable sur la population scolarisable : « …la population africaine entretien un rythme de croissance de 3,2 %

par an, la population d’âge scolaire croît de 3,3% dans le même laps de temps.

Page 132: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

132

Cette explosion démographique a une fâcheuse incidence sur la qualité de

l’enseignement parce qu’il faut chaque année toujours plus d’écoles, de maîtres, de

livres et autres matériaux pédagogiques »91. Et selon l’UNESCO : « …tous pays confondus, la moyenne est de 40 élèves par

enseignant (…) mais (…) la situation varie considérablement d’un pays à l’autre. Au

Mozambique, en Ouganda, au Tchad, au Mali et au Congo, elle est de plus de 60

élèves. Il faut souligner (...) que des moyennes nationales de 60 élèves ou plus par

enseignant signifie en fait qu’il peut y avoir dans les pays des enseignants ayant en

charge cent élèves ou plus »92.

Et enfin pour l’UNICEF :« … on compte aujourd’hui 140 millions d’enfants de 6 à 11

ans non scolarisés, 23% en âge d’aller à l’école primaire dans les pays en voie de

développement et un nombre sans doute égal qui quittent l’école »93 . Ces problèmes de sur-effectif de classes ne peuvent que nous éclairer sur les difficultés présumées pour les enfants des pays en voie de développement de mener à bien une longue scolarité ou du moins terminer le cycle indispensable à l’amélioration de leurs conditions sociales : « …en Asie du sud ou en Afrique, le simple fait d’avoir

achevé le cycle primaire permet aux paysans d’accroître de 7à 10 % leurs

rendements »94.

Or la plupart des enfants de ces pays et de la République Centrafricaine en particulier quittent le cycle primaire sans savoir lire et écrire, probablement, à cause du sur-effectif. Enfin la dernière hypothèse relative aux abandons serait les maladies notamment le SIDA (Syndrome d’Immuno Déficient Acquis). Signalons que l’une des causes de décès en Centrafrique est le SIDA. Le taux de prévalence de ce fléau est de 12%, ce qui place la R.C.A au 10ème rang des pays les plus touchés en Afrique subsaharienne mais au 1er rang au niveau de la sous région d’Afrique Centrale « ONUSIDA Juin 2000 ». Et les enseignants sont les plus touchés : « …au moins 200 enseignants meurent

chaque année dont 92% à cause du SIDA »95.

91 Le monde diplomatique: Au sud, les enjeux de l’éducation pour tous : entre décentralisation et mondialisation, décembre2000 pp .33 92 UNESCO : Communiqué de presse, 2002, n°2O 93 UNICEF : Situation des enfants dans le monde, Rapport1997 94 DE RAVIGNAN, R, Education : une priorité menacée, In Faim-Développement, 2000, pp.13 n°158. 95 AFP, Centrafrique SIDA, 11mai 2002

Page 133: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

133

Ce qui constitue un véritable handicap pour le système éducatif car ceux qui meurent sont en pleine activité professionnelle. C’est au niveau de la famille que, visiblement, le fléau pèse le plus et ce, de par l’installation progressive de la maladie jusqu’au décès. Une famille qui a un malade de SIDA voit une réduction progressive de ses revenus surtout que c’est souvent le chef de famille qui est malade. Et fait un transfert d’une bonne part de ses revenus pour les frais médicaux au détriment d’autres besoins notamment les besoins éducatifs des enfants. Ces derniers finiront par devenir orphelins, leur scolarité sera alors compromise et ils finiront probablement par abandonner l’école s’ils ne sont pas aidés par un proche parent ou les institution appropriées. Si le système éducatif relève de la politique d’une nation qui en décide l’orientation selon les besoins du pays ; le gouvernement centrafricain assure-t-il réellement ce rôle ? Est-il conscient de ces générations qui quittent l’école sans savoir lire ni écrire ? Pourquoi quittent-elles l’école ? Avec quelle qualité de population peut-il orienter son action de développement s’il en a une ? Aujourd’hui, avec les concepts de développement durable, développement à la base où les systèmes scolaires devraient s’appuyer sur les valeurs locales et les transmissions de savoirs visant à libérer les enfants et même les adultes de toute domination mentale et psychologique et les rendre aptes en même temps de les doter en connaissances et compétences nécessaires au développement, nous constatons un relâchement du gouvernement centrafricain et les abandons scolaires vont grandissant

Pourquoi en sommes-nous arrivés à cette situation ?

Nous savons que l’enfant qui vit dans une société ne fait que recevoir l’Education donnée par les adultes pour sa socialisation. Du coup, ce sont ces adultes qui définissent les types d’Education à inculquer à l’enfant ainsi que les moyens à mettre en œuvre.

De ce qui précède, nous estimons que les abandons scolaires en Centrafrique sont dûs en partie aux facteurs développés ci-dessus et caractérisés par la pauvreté généralisée que nous récapitulons. Ce sont : - l’inadaptation du système éducatif - les conditions sociales - les besoins économiques

Page 134: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

134

- les crises économiques - les crises socio politiques - l’instabilité politique - la démographie - les maladies… L’impact de ces facteurs sur le fonctionnement du système éducatif centrafricain varie d’une région à une autre. Dans le cadre de cette recherche, nous sommes parti de ces facteurs pour observer les abandons scolaires dans la région de l’Ouham. Nous venons d’esquisser quelques pistes, non suffisantes, autour desquelles le phénomène des abandons scolaires trouve son encrage de manière générale. Elles nous ont permis l’élaboration des hypothèses qui ont guidé cette recherche tout en tenant compte des recherches antérieures. De ce qui précède, nous allons maintenant définir les concepts qui constituent le sujet de cette thèse.

3.2 Deux notions centrales à définir : « système éducatif » et « abandon scolaire » La définition de concepts a pour ambition première de clarifier les termes clés qui sont utilisés du point de vue théorique dans les analyses et démonstrations, afin de rendre accessible et compréhensible notre travail comme nous le réclame Durkheim : « Le

savant doit définir les choses dont il traite afin que l’on sache et qu’il sache bien de

quoi il est question ».96

Le thème de notre recherche s’intitule «Le système éducatif et les abandons scolaires en Centrafrique : Cas de la région de l’Ouham ». Les concepts à définir sont les suivants ; « système éducatif» et « abandon scolaire ». Notons que ces concepts ont plusieurs définitions car utilisés dans divers domaines du savoir. Nous avons retenu celles généralement utilisées en sciences humaines et sociales. 3.2.1 La notion de «système éducatif » Le système éducatif étant constitué de deux concepts, ceux-ci doivent être définis distinctement.

96 DURKHEIM, E, Les règles de la méthode sociologique, Paris, Quadrige PUF, 6ème éd.1986, pp.34

Page 135: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

135

Le système est un « ensemble d’éléments matériels ou non, qui dépendent réciproquement les uns des autres de manière à former un tout organisé »97 Cette définition bien qu’importante demeure générale quant à l’objectif de cette recherche. Selon le vocabulaire de l’éducation, le système« est un ensemble de pratiques, de

méthodes et d’institutions formant à la fois une construction théorique et une méthode

pratique.»98 Cette définition rentre dans les objectifs assignés à la pratique éducative ou pédagogique ; dès lors elle se situe dans le cadre de cette recherche mais mérite d’être complétée par une définition suivante : « Système désigne un ensemble de

moyens matériels (hardware), de procédures et de programmes (software) organisés

en vue de remplir un ensemble de fonctions »99

Ces deux définitions réunies nous amènent à voir qu’il s’agit d’une organisation visant à atteindre un objectif. Mais qu’en est il de l’adjectif éducatif ? Selon le Petit Robert, l’éducatif signifie « qui a l’éducation pour but ; qui éduque, forme

efficacement…»100. Cette définition ne peut être comprise sans certains mécanismes de l’éducation. Car celle-ci implique en soi un éducateur et un sujet à éduquer. Nous y reviendrons. Cependant le système éducatif « est à la fois l’ensemble des institutions qui participent

à la fonction éducative et l’organisation d’ensemble de l’architecture scolaire c'est-à-

dire du déroulement général des études (cycles, orientations, filières etc.)»101. Il s’agit d’une organisation scolaire avec tous les moyens mis en œuvre pour atteindre un but c'est-à-dire amener les enfants en âge scolaire à être scolarisés. Mais pourquoi ceux-ci abandonnent-ils l’école ? Et qu’est-ce qu’un abandon scolaire ?

3.2.2 La notion « abandon scolaire » Avant de définir ce groupe de mots dans son ensemble, il est nécessaire de définir les mots qui le composent. D’abord le concept abandon est une « action de renoncer (à

une chose), de laisser (quelque chose), acte par lequel on renonce (à un bien, à un

droit, à une prétention juridique) ; action de quitter (un lieu dans lequel on est tenu de

séjourner »102. En effet, on peut abandonner son travail, son foyer conjugal, son projet 97LAFON, R, Vocabulaire de psychopédagogie et de psychiatrie de l’enfant, Paris, Quadrige PUF, 2001, pp.998 98 Vocabulaire de l’Education, Paris, PUF, 1979, pp.419 99 Vocabulaire de l’Education opcit. pp.419 100 Le Petit Robert, 2001, pp.807 101 Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation, Paris, 1998, Nathan université pp.1013 102 Le Petit Robert opcit.pp.2

Page 136: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

136

etc. pour une raison ou pour une autre. Mais ici, il s ‘agit de l’abandon scolaire dont il est question. Ensuite l’adjectif « scolaire » « dérive du latin « schola » qui veut dire

école ; relatif ou propre aux écoles, à l’enseignement qu’on y reçoit et aux élèves qui

les fréquentent »103.

De là l’école apparaît comme une institution formelle et secondaire dans laquelle l’individu apprend ou acquiert des connaissances selon les attentes de la société. Et cela vient compléter, modifier ou réorienter l’éducation primaire reçue de sa famille, comme nous l’avons souligné précédemment quand nous avons abordé l’éducation traditionnelle et la socialisation. Et ce n’est que dans cette optique que selon Durkheim « l’éducation est l’action

exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie

sociale Elle a pour objet de susciter et de développer chez l’enfant un certain nombre

d’états physiques, intellectuels, et moraux que réclament de lui la société politique

dans son ensemble et le milieu auquel il est particulièrement destiné »104.Cette définition met l'accent sur la socialisation totale de l'individu. Elle met en évidence deux acteurs en présence : l’éducateur qui est un adulte qui conçoit et oriente l’éducation, et l’enfant qui reçoit cette éducation : « L’éducation est l’ensemble des actions et des

influences exercées volontairement par un être humain sur un autre être humain, en

principe par un adulte sur un jeune, et orientée vers un but qui consiste en la formation

dans l’être jeune des dispositions de toute espèce correspondant aux fins auxquelles,

parvenu à maturité, il est destiné »105

Dans le cadre de ce travail et particulièrement par rapport à notre champ d’études, il est important de rappeler les deux formes d'éducation que continuent de connaître certaines sociétés à savoir l'éducation traditionnelle et l'éducation moderne. En effet l'éducation traditionnelle mentionnée ci-dessus, est celle qui se fonde sur la transmission des valeurs culturelles spécifiques (rites initiatiques, rites de passage, circoncision, excision…) à un peuple, une société donnée. L’oralité prime dans ce mode d’éducation d’où selon Amadou Hampâté Bâ : « En Afrique quand un vieillard

meurt c’est une bibliothèque qui brûle »106. Elle vise la pérennisation de ces valeurs, us et coutumes dans l'espace et dans le temps. Le contrôle social s'exerce en permanence et d'une manière directe sur l'individu car l'univers social dans lequel se

103 Le Petit Robert opcit pp.2300 104 DURKHEIM, E, Education et sociologie Paris, PUF 1973, pp.51 105 HUBERT, R. In Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation, opcit pp.342 106 AMADOU HAMPATE BA, Unesco, 1960

Page 137: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

137

transmet cette éducation est non seulement restreint mais aussi poreux. Ceci, aide à repérer un éventuel déviant afin qu'il soit renié ou sanctionné comme tel. Le déviant ici, c'est celui qui refuserait cette éducation ou qui se comporterait en dehors de l'éducation reçue ou à recevoir. Ce contrôle ou cette action sui generis ne donne guère la possibilité à l'individu de s’échapper ou d’« abandonner » totalement l’éducation de son terroir ni de s'ouvrir à d'autres formes d'éducation telle que l'éducation moderne liée à la scolarisation. L'éducation moderne est liée à l’instruction, l’enseignement et transmise essentiellement à l'école, elle est secondaire. Elle est une institution formelle vu les programmes scolaires, les objectifs, les valeurs socioculturelles à transmettre et les moyens mis en œuvre pour sa réalisation, son développement, son expansion…d’où le système éducatif. Elle est cependant universelle : « l'école est à la fois démocratique et

méritocratique. De la démocratie elle retient l'égalité de toutes les personnes dont on

postule qu’elles possèdent la même valeur humaine…»107. La démocratisation de cette institution est dûe au fait qu’elle se veut accessible à tous sans distinction de sexe, de race, de religion, d’origine sociale…Et ce, selon les idéaux de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme. Introduite dans les sociétés traditionnelles par contact ou par phénomène d'interpénétration culturelle, elle entre en contradiction, conflit ou lutte dynamique avec l'éducation traditionnelle en place. Elle a connu la résistance, l'adhésion, la déception, le découragement liés à la mentalité, au mode de vie, à la culture aux conditions sociales, économiques, politiques etc. de chaque société en cause et selon les différentes périodes de son histoire. C'est de là, qu'il y a non fréquentation scolaire, fréquentation scolaire, déperdition scolaire et enfin abandons scolaires ce qui nous intéresse ici. Rappelons qu’au fil du temps, certaines des causes profondes ont été trouvées dans la pauvreté et l’absence de développement économique. Le problème qui nous interpelle est que, contrairement à l’éducation traditionnelle où l’enfant ne peut que difficilement en faire défection ,c’est possible dans l’éducation moderne même si celle-ci est généralement régie par des textes juridiques. Quelles en sont les motivations dans la région de l’Ouham ? Enfin le groupe de mots "abandon scolaire" a fait l'objet de plusieurs définitions selon qu’il concerne l’enseignement fondamental, secondaire, technique, professionnel, supérieur…

107 DUBET, F. MARTUCCELLI D. Dans quelle société vivons nous ? Paris, Seuil, 1998, pp.180

Page 138: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

138

Mais dans le cadre de cette recherche, nous nous sommes intéressé aux définitions concernant le phénomène au niveau de l’enseignement primaire. Toutefois nous avons abordé les définitions concernant les autres cycles de l’enseignement dans le but d’aider à la compréhension globale des abandons scolaires et plus spécifiquement de notre sujet de thèse. On peut distinguer trois familles de définitions selon le critère retenu : Le diplôme, le non achèvement d’un cursus et l’obligation scolaire. - l’abandon scolaire défini par rapport au diplôme est « le fait pour un élève de quitter

l’école avant l’obtention du diplôme secondaire »108.

- l’abandon scolaire par rapport au cycle d’études supérieures ou le non achèvement est le « fait pour un étudiant, de quitter définitivement un cours ou un programme

d’études collégiales et universitaires » et de préciser que : « au sens large et

notamment dans l’enseignement collégiale et universitaire, il y a abandon lorsqu’un ou

une élève ne termine pas son programme d’études et n’obtient pas le diplôme ou le

certificat prévu par son programme »109

Ici l’accent est mis sur le cycle secondaire et supérieur ainsi que sur le diplôme sanctionnant ou validant un cycle donné. De ces définitions et vu le contexte qui a inspiré cette recherche les cycles supérieurs et le diplôme ne sont pas considérés comme des variables prioritaires et déterminantes dans l’observation du phénomène dans notre champ de recherche. Car la dernière variable notamment le diplôme étant toujours considéré comme un parchemin en vue d’un emploi dans l’administration, a canalisé jusque là le système éducatif centrafricain. L’administration publique ne pouvant plus recruter tous les diplômés, il y a déception et découragement qui pourraient être à l’origine des abandons scolaires des jeunes scolarisés. Car la finalité d’être scolarisé est d’obtenir un diplôme et de travailler dans l’administration. Ce qui nous amène à nous intéresser au système éducatif en vigueur. - l’abandon scolaire par rapport à l’obligation scolaire. En Centrafrique l’obligation scolaire est de six à quinze ans et fixée par la loi n° 62/360 du 4 janvier 1963 et de l’ordonnance n°84/031 du 14 mai 1984. Cette loi souffre dans son application car aucune sanction n’est prévue pour réprouver ou dissuader tout abandon scolaire avant l’âge prévu comme dans les pays développés, notamment en France même si les contextes ne sont pas les mêmes :

108 LEGENDRE R, Dictionnaire actuel de l’Education, Montréal, 2ème édition, Guérin éditeur, limitée, 1993, pp.2 109 LEGENDRE, R, Dictionnaire de l’éducation opcit.pp.2

Page 139: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

139

L’ordonnance n°59-45 du 6janvier 1959 relative à la scolarité obligatoire en France stipule en son article premier : « l’instruction est obligatoire jusqu’à l’âge de seize ans révolu pour les enfants des deux sexes français et étrangers qui atteindront l’âge de six ans à partir du 1er janvier 1959(...). Article 5 : «les manquements à cette obligation constituent des contraventions. Ils peuvent entraîner la suspension ou la suppression du versement aux parents des prestations familiales dans des conditions fixées par décret ». Cet article n’est plus valable depuis 2004. La loi française n° 98-1165 du 18 décembre 1998 relative au renforcement du contrôle obligatoire précise en son article 2 : « …les personnes responsables d’un enfant soumis à l’obligation scolaire définie à l’article premier de l’ordonnance n°59-45 du 6 janvier1959 portant prolongation de la scolarité obligatoire, doivent le faire inscrire dans un établissement public ou privé, ou bien déclarer au maire et à l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’éducation nationale, qu’elles lui feront donner l’instruction dans la famille. Dans ce cas, une déclaration annuelle est exigée. Les mêmes formalités doivent être accomplies dans les huit jours qui suivent tout changement de résidence ou choix d’instruction (…)110 Enfin, rappelons-le, le code pénale français stipule en son article 227-17-1 que : « le fait, que les parents d’un enfant ou toute personne exerçant à son égard l’autorité parentale ou une autorité de fait, de façon continue, de ne pas l’inscrire dans un établissement d’enseignement, sans excuse valable, en dépit d’une mise en demeure de l’inspecteur d’académie est punie de six mois d’emprisonnement et de 50 000 francs français d’amende ».111 L’absence de tout moyen de dissuasion à prolonger la scolarité jusqu’à l’âge prévu par la loi relative à l’organisation de l’enseignement en Centrafrique serait l’une des causes des abandons scolaires dans ce pays. D’où l’importance d’une remise en question, même partielle, du système éducatif en vigueur dans la recherche des causes des abandons scolaires. Pour Sanches Mirilda l'abandon scolaire est «le fait de quitter l'école, sans avoir

entrepris de démarches en vue d'un transfert dans un autre établissement»112. Il s’agit d’un abandon scolaire définitif qui n’ouvre pas l’éventualité d’une ré-scolarisation, d’une

110LANGLOIS, G, Vade Mecum de la réglementation pour l’école primaire, édition CRDP de l’Académie de Grenoble, 1999 pp.2.1-2 111 LANGLOIS G Vade Mecum de la réglementation pour l’école primaire, opcit 2.1-3 112SANCHES M, L’abandon scolaire : Représentations et réalité ; enquête ethnographique réalisée dans une Favela de Sao Paulo au Brésil, Paris 7,Thèse de doctorat d’université, 1997, pp.4

Page 140: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

140

alphabétisation…. Ce qui est le cas de notre champ d’études où, rappelons-le, il n’existe pas de structures de formation continue et d’alphabétisation. Enfin pour Mialaret « il s’agit des effectifs qui sortent du système scolaire avant d’avoir

achevé avec succès le cycle d’études qu’ils ont commencé »113. Cette définition, en l’associant à la précédente semble orienter notre travail, car il s’agit effectivement d’étudier ces « effectifs qui sortent » du système scolaire que l’on qualifie d’abandon scolaire, sans aucune possibilité de ré scolarisation précisément au niveau du cycle primaire. De ce qui précède, nous pouvons définir provisoirement le système éducatif comme ensemble des moyens, jugés nécessaires voire efficaces, mis en œuvre par les adultes à travers les institutions formelles ( Loi, organigramme, personnel, établissements scolaires…) pour assurer l’éducation des jeunes selon les objectifs assignés à cet effet. L’abandon scolaire peut se définir comme le fait qu’un élève régulièrement inscrit dans un établissement scolaire donné, l’abandonne soit au départ, soit en cours, soit en fin d’année scolaire donnée, sans aucune possibilité de ré scolarisation, pour une raison ou une autre et ce, malgré l’existence des textes réglementaires en vigueur. Et ceci se distingue nettement de la non-fréquentation scolaire que nous définissons comme le fait qu’un enfant en âge scolaire ne fréquente pas un établissement scolaire, même si celui-ci existe ou non, pour une raison ou une autre. A titre récapitulatif, cette recherche sur le système éducatif et les abandons scolaires peut globalement se définir, comme la mise en évidence des facteurs endogènes et exogènes qui engendrent ce phénomène en République Centrafricaine et particulièrement dans la région de l’Ouham. Mais quelle règle de méthode peut-on poser comme préalable pour cette recherche ? 3.3 Les règles de méthode retenues et leur justification Loin de faire une étude comparative entre les pays du Nord et les pays du Sud, loin de faire une compilation de résultats des recherches existant sur la question pouvant dénaturer cette thèse, nous nous sommes appuyé sur quelques données empiriques déjà soulevées dans la problématique et qui s’inscrivent dans le contexte ayant motivé cette recherche. L’ambition ici est de cerner : - A partir de quand, comment et dans quel contexte on peut parler de ce phénomène vu les différentes terminologies utilisées pour le déterminer.

113 MIALARET G. Vocabulaire de l’éducation, Paris, PUF, 1979, pp.1

Page 141: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

141

- Comment ces différentes recherches ont-elles abordé le problème des abandons scolaires. - quelles sont les variables qui reviennent souvent pour qualifier le phénomène : ces variables ont-elles les mêmes valeurs d’un milieu à l’autre ? 3.3.1 De l’origine aux différences terminologiques du phénomène Il est important de souligner que l’histoire des abandons scolaires est aussi vieille que l’histoire de l’école elle-même. Seulement, le phénomène n’avait pas acquis un statut cristallisé comme celui de nos jours. L’attention portée par les différentes recherches sur la cristallisation du statut du phénomène « décrochage scolaire », « déscolarisation » ou encore « abandon scolaire » est dûe en partie au bouleversement de la société moderne dans toutes ses composantes : le travail salarié, la complexité des tâches, la précarité, le chômage, la pauvreté et autres sollicitations auxquelles est soumis l’homme moderne. Ce préalable était abordé dans un contexte occidental avant de s’étendre de plus en plus aux pays en voie de développement qui ont comme seul référent l’occident développé. En abordant cette même problématique des abandons scolaires dans les pays en voie de développement, elle est orientée vers le concept de développement ; c’est à dire comment ces pays peuvent-ils se développer à partir d’une population scolarisée ou sous scolarisée de nos jours, vu la globalisation de l’économie ? Ces inquiétudes, soulevées de part et d’autre, ont amené à se poser des questions sur le devenir de l’homme du 21ème siècle sans culture scolaire minimale face au marché de l’emploi de plus en plus exigeant et à la complexité grandissante de la société. Or, soulignons que : « …jusqu’aux réformes des années 1950, les enfants qui échouent à l’examen du

certificat d’études ou qui abandonnent l’école avant d’obtenir ce diplôme pouvaient

entrer dans la vie active, même s’ils ne sont que peu fort alphabétisés… »114. Cette Cette observation était valable en France ainsi que dans ses anciennes colonies, notamment la République Centrafricaine car le travail manuel était encore valorisé et l’insertion professionnelle même dans l’administration ne nécessitait pas pour autant un diplôme. Et ce, jusqu’à un passé récent comme nous le montre B. Charlot et D. Glasman : « A partir des années 60, l’adolescent, au sortir de l’école, dut s’insérer,

c'est-à-dire trouver une place sur le marché de travail. Depuis la « crise », et plus

encore depuis la fin des années 80, il est devenu difficile de repérer un moment 114 VASCONCELLOS, M, Le système éducatif, Paris, Découvertes, Collection Les Repères, 2000 pp.92

Page 142: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

142

nommé insertion : le jeune s’engage dans un processus d’insertion, plus ou moins

long, complexe et difficultueux »115. De nos jours, l’avenir professionnel voir social d’un enfant ayant arrêté sa scolarité à l’école primaire est presque compromis s’il n’a pas acquis, d’une manière durable, les rudiments de base scolaire que l’on qualifie pour le moment de « socle commun de connaissances ».Cette situation est de plus en plus difficile et complexe dans les pays pauvres où se pose le problème de dispositifs sociaux d’insertion sociale et professionnelle comme les Centres Sociaux, les Missions Locales, l’AFPA (Association Nationale pour la Formation Professionnelle des Adultes) et tout autre dispositif d’éducation des adultes comme l’ILEP (Institut Lillois d’Education Permanente), CUEEP (Centre Université Economie d’Education Permanente) en France et FUNOC (Formation pour l’Université Ouverte de Charleroi) en Belgique … Il s’avère que c’est précisément au début des années 1970 que le problème des abandons scolaires se trouva au centre des préoccupations éducatives ; et des études sur la question commencèrent à être menées afin de cerner au mieux les causes qui l’engendrent ainsi que les conséquences qui en découlent. L’une des premières recherches sur la question est celle de Mcluhan sur les causes globales du phénomène qui démontre que : « L’abandon scolaire n’est pas attribuable à une

carence de talents ou de capacités. Il relève plutôt du phénomène de l’aliénation : une

personne éprouve la sensation de ne plus appartenir à un milieu, de ne plus s’identifier

à ces gens et à ces préoccupations, elle quitte donc un milieu scolaire qui lui est

devenu étranger et où elle se sent inconfortable »116. Cette thèse soulève le problème de la « place » de l’élève dans les institutions éducatives et ce que la société à travers ces institutions attend de l’élève. Nous ne développerons pas cette notion de « place » comme l’a abordée, de manière psychologisante dans la recherche des causes de la déscolarisation, F. Flahaut ou récemment D. Glasman et F. Oeuvrard (2004)117 mais plutôt en la complétant de manière physique, visible et infrastructurelle selon notre terrain de recherche. En effet l’une des causes de la sous scolarisation ou des abandons scolaires dans les pays en voie de développement est le manque cruel d’infrastructures scolaires ; là où

115 CHARLOT, B, GLASMAN D., Les jeunes, l’insertion, l’emploi, Education et Formation. Biennales de l’Education Paris, 1998, pp. 12 116 LEGENDRE, R. Dictionnaire actuel de l’Education opcit pp.2 117 Ces auteurs abordent le problème de « place » en tant que « …l’imbrication croissante du cognitif et de l’affectif dans la relation pédagogique, ou mieux (…) la prise en compte systématique de la personne de l’élève et de ses singularités pour rendre possible l’apprentissage (…) ».

Page 143: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

143

naturellement, l’enfant d’un certain âge, devrait avoir sa « place ». L’enfant du Sud en évoquant le problème de « place » peut signifier son « rejet » par les institutions éducatives, par conséquent on abonde dans le même sens que les auteurs précités. Par contre, il peut évoquer le problème de « place » dans la signification de la place assise. La surcharge des effectifs dans des classes déjà désaffectées et sous équipées pose toujours le problème de places assises pour l’élève ; compromettant ainsi en partie sa scolarité. Enfin, l’enfant à la base est doté de toutes les capacités potentielles d’apprentissage à condition qu’il soit mieux conditionné et motivé y compris par des places assises en nombre suffisant. Ne s’attendant pas à ce qu’il va devoir apprendre à l’école, n’ayant pas de place pour s’asseoir, l’enfant peut s’y se sentir inconfortable et décider d’abandonner le cursus scolaire pour lequel il est inscrit. D’où l’importance pour le système éducatif de réussir une transition entre le milieu environnant de l’enfant et l’école en prenant en compte différents facteurs pouvant susciter l’intérêt, la motivation et l’apprentissage de l’enfant comme nous l’explique Berbaum J. :« Le conditionnement désigne donc d’abord une forme de mobilisation de

la réponse et il est alors question de réponse conditionnée par une situation donnée.

Mais le conditionnement désigne aussi un mode de construction de la réponse qui est

basé sur l’existence d’une liaison entre situation et mode de comportement attendu,

indépendamment de la volonté du sujet en apprentissage »118.

Cette explication met en lumière ce qui est important de faire en amont pour un meilleur apprentissage. Elle met également en évidence les failles et la responsabilité de « générations adultes » face aux problèmes des systèmes éducatifs et du phénomène des abandons scolaires en particulier. D’autres recherches, en nuançant, complètent :« Nous n’abordons pas le décrochage

ou l’abandon scolaire comme un acte ponctuel qui ferait qu’un jeune présent

aujourd’hui, assidu et en situation de réussite ne sera plus scolarisé le lendemain,

même si ces cas ne sont pas à exclure »119.

Cette suggestion bien qu’abordant le problème des abandons scolaires de manière générale tant au Nord qu’au Sud, reste hésitante voire voilée, témoignant ainsi de la complexité à situer le cycle d’apprentissage où s’installe le phénomène. Ce qui fait dire Glasman : « le décrochage scolaire est un objet aux contours flous. On ne peut en

118BERBAUM, J, Apprentissage et formation, Paris, PUF, 1994, pp.19

Page 144: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

144

l’état se contenter d’hypothèses quant à l’identité des décrocheurs et aux processus à

l’oeuvre »120.

En abordant les causes particulières, déjà évoquées dans la problématique, le Ministère de l’Education du Québec (M.E.Q 1991) révèle que : « Les causes sont multiples. Certaines sont inhérentes au système scolaire comme : La hausse des exigences scolaires Un encadrement insuffisant, L’ennui scolaire Une succession d’échecs D’autres sont liées au milieu social comme : - Une situation familiale conflictuelle, - L’attrait du premier salaire, - Un travail à temps partiel trop accaparant. Des facteurs personnels jouent également un grand rôle : - La faible estime de soi, - Le désir d’affranchissement»

A la différence de certains travaux, ceux-ci soulèvent des points essentiels, dont nous en développerons quelques uns, et qui peuvent se retrouver dans les pays développés aussi bien que dans les pays en voie de développement même s’ils sont menés dans un contexte occidental. La hausse des exigences scolaires est visible et la plupart des systèmes éducatifs ont tendance à être un perpétuel chantier évitant ainsi le risque de ne pas être à la hauteur des nouveaux enjeux comme nous le résume V. Ordonez121 : « Les systèmes éducatifs ayant été lents à s’adapter aux crises

économiques et autres facteurs d’érosion qualitative, il est temps de se demander si on

enseigne bien ce qu’il faut. Les programmes scolaires cessent d’être en rapport avec le

marché de l’emploi ou avec les besoins culturels qu’ils se coupent de la réalité

environnante, tôt ou tard ils perdent leurs « clients » ».

Les « clients » ici ne sont autres que les usagers des institutions éducatives, notamment les élèves sur qui, la société applique et ajoute d’autres éléments de socialisation à ceux déjà existants, et qui tendent à être inadaptés comme nous le souligne le Pr. E. Miller : « Aujourd’hui les élèves doivent non seulement apprendre à

119 Approche de la question du décrochage. www.ac-versailles.fr , site consulté le 21 mai 2003 120GLASMAN, D, Le décrochage scolaire : une question sociale et institutionnelle, In V.E.I-Enjeux : Le décrochage scolaire, une fatalité ? , 2000, pp.10 121ORDONEZ, V, In Rapport du forum de Dakar : Cadre d’action pour l’Afrique subsaharienne renaissante, UNESCO, 31 janv. 2002

Page 145: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

145

lire, à écrire et à compter mais aussi à penser, à faire preuve d’un esprit critique et

créatif, à travailler ensemble, à se former sur différents sujets, à être capables d’utiliser

les nouvelles technologies et de se conduire en citoyens des sociétés civilisées »122. Car il faut s’adapter, aux exigences du monde moderne : ainsi en France selon la réforme Fillon (2004), un enfant de l’école primaire va devoir apprendre une deuxième langue sans compter qu’il doit développer également des compétences en informatique et autres activités péri scolaires. Même si ces intentions sont nobles, elles demeurent assez exigeantes pour l’enfant qui est devenu un élève « pluriel » et non l’élève « homogène », de même pour les enseignants : il faut que ceux-ci possèdent ou acquièrent ces différentes compétences pour pouvoir les transmettre, ou bien l’institution va devoir former d’autres personnels compétents avec le problème de moyens que cela peut soulever. Ici, on est dans un contexte occidental où il y a des alternatives et où les abandons ou décrochage scolaires peuvent être minimisés ou contenus. Dans les pays pauvres, il est déjà difficile de réunir certains paramètres pouvant aider à la scolarisation de masse ; rendant inaccessible, bon nombre d’enfants en âge scolaire, à l’éducation : « En Afrique subsaharienne, quatre enfants en âge d’aller à l’école primaire sur dix n’y vont pas (…). Seule une portion de ceux qui y vont obtiennent un niveau de compétence de base… ».123 Ceux qui ont la possibilité d’accéder à l’éducation doivent subir les effets d’« un encadrement insuffisant » à long terme sur la qualité de leurs activités économiques, leur vie quotidienne ou le développement de leur pays. Dans les pays en voie de développement la « hausse des exigences scolaires » peut se traduire par plusieurs facteurs notamment : -La distance qui sépare l’établissement scolaire au lieu de résidence de l’enfant -L’organisation de l’enseignement à mi-temps -Le coût des fournitures scolaires et autres matériels didactiques souvent obligatoires : « …les jeunes vivent un sentiment d’humiliation lorsqu’ils ne peuvent se procurer tout

le matériel scolaire à leurs études, et que faute de ressources financières, ils ne

peuvent participer à certaines activités pédagogiques (…). Les attentes et les

122 MILLER E. Professeur, Institut d’Education, Université Régionale des Antilles Occidentales, Jamaïque 123 UNESCO, L’éducation reste inaccessible pour des millions d’enfants africains www.unesco.org/statistics , site consulté le 12 décembre 2002

Page 146: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

146

aspirations de ces jeunes diminuent car l’école devient là où les inégalités sont

apparentes »124.

Etc. En évoquant l’attrait au premier salaire, la recherche se situe dans un contexte occidental et au niveau secondaire et plus. C'est-à-dire à l’enfant qui a l’âge de travailler, lequel âge est autorisé par la législation ou le droit de travail. Certes dans les pays en voie de développement, les élèves peuvent quitter l’école dès le cycle primaire pour un travail. Mais ce n’est pas le même type de travail formalisé que dans les pays développés, même si l’on peut évoquer ici l’ « économie souterraine ou parallèle ». Dans les pays pauvres, il ne s’agit pas d’un travail mais d’une stratégie de survie. La contribution de l’enfant aux activités génératrices de revenus, dans un contexte de pauvreté, reste capitale en Afrique et ce dès le bas âge. Comme nous le précise la communication du B.I.T : « ...l’aggravation de la pauvreté et les inégalités des revenus

ont-elles aussi eu des répercutions défavorables sur l’Education car les catégories à

faibles revenus ont de plus été amenés à retirer leurs enfants de l’école (…). La

tendance est particulièrement accentuée en Afrique où l’aggravation de la pauvreté

semble s’être traduite par une montée en flèche de l’abandon scolaire »125 Cet état de chose amène toujours à aborder la problématique de scolarisation, abandons scolaires dans les pays du Sud, rappelons-le, en terme de développement comme nous l’insiste le rapport de l’UNESCO (2002) :« Les gouvernements doivent connaître le rôle crucial de l’Education en matière de développement, améliorer les capacités des établissements et du personnel enseignant, élargir l’accès et accroître l’équité tout en améliorant la qualité et l’utilité de l’éducation dispensée.»126 Et selon la Banque Mondiale le fait de : «…faire progresser le niveau d’alphabétisation d’un pays de 20 à 30% fait croître son PIB (Produit Intérieur Brut) de 8 à 16 %. »127. La tendance dans les pays du Sud est toujours à l’évaluation des projets de développement en corrélation avec les taux de scolarisation et le niveau d’instruction de la population : -quelles sont les incidences positives ou négatives sur tel rendement si tel groupe-cible est scolarisé ou non ?

124Décrochage scolaire. www.sympatico.ca, site consulté le 20 janvier 2003 125B.I.T (Bureau International du Travail) (1996) Communication, www.ilo.org, site consulté le 13 mars 2003 126UNESCO PRESSE (2002) L’Education reste inaccessible pour des millions d’enfants africains, www.unesco.org/statistic , 12 déc.02 pp.3 127De Ravignan In Faim et développement, opcit, pp13

Page 147: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

147

- quel est l’impact, quant à la sensibilisation, à l’introduction d’une telle innovation ou campagne de vaccination, de prévention sur la population… ? Ainsi l’accent est mis sur les quatre à sept premières années de scolarité qui se déroulent généralement au cycle primaire comme nous le présente l’UNESCO à travers des exemples chiffrés pour les abandons scolaires avant la 4ème année de scolarisation : -« Brésil 50% - Bangladesh 49 % - Pakistan 48 % - Inde 32 % - Nigeria 22 % - etc. Et, se reportant à une étude qualitative de ces taux, ils sont beaucoup plus élevés chez les filles que chez les garçons »128. Selon le département de l’information de l’ONU, au Mali, une étude récente a montré que 80 % des filles n’avaient jamais été scolarisées et que 60 % de la tranche restante avaient quitté l’école en cours d’enseignement primaire. Au Brésil, 63 % seulement des enfants qui abordent l’enseignement primaire parviennent en seconde année, et 47 % seulement en 4ème année. Par ailleurs, il est utile de considérer que les taux d’abandon scolaire dans les pays en voie de développement et en Afrique subsaharienne en particulier varient considérablement d’un pays à l’autre. Nombreux sont ceux qui abandonnent l’école avant d’avoir terminé les quatre premières années de scolarité considérées comme minimum nécessaire à l’acquisition de l’alphabétisation de base indispensable. Les enfants vivant dans les pays calmes et prospères font partie de ceux qui sont le plus susceptibles d’atteindre la cinquième année d’études ; ce qui est un avantage considérable pour le développement de leur société.129 C’est au niveau de ce cycle que l’on évoque ou traite le phénomène des abandons scolaires. En effet dans les pays en voie de développement, certains « partenaires traditionnels » à la promotion de l’Education notamment la Banque Mondiale et FMI s’appuyant sur le « consensus de Washington »130 estiment mieux de financer la

128 UNESCO (2002) Communiqué de presse numéro 20. 129Rapport de la XXVIème Session ordinaire de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie) : « Pour une école de réussite, la lutte contre l’échec scolaire », Yaoundé, Cameroun, Juillet 2000 130La notion de « consensus de Washington », créée en 1999 par l’économiste John Williamson, résume tout ce qu’il considérait comme consensus actuel entre le Congrès des Etats-Unis, le FMI, la Banque Mondiale et d’autres organismes néo libéraux. Dix recommandations

Page 148: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

148

scolarisation au cycle primaire, tout en exigeant de rendre ce cycle encore fragile payant. Ce qui n’est pas l’avis de certains pays africains comme nous le fait remarquer J.E.Stiglitz : « On peut faire à la perspective du consensus de Washington et du FMI

une critique plus fondamentale. Elle ne comprend pas que le développement passe par

une transformation de la société. L’Ouganda l’a bien vu quand il a rendu l’école

absolument gratuite, à la grande perplexité des comptables qui n’analysaient son

budget qu’en termes de recettes et de dépenses. L’une des idées-forces de l’économie

du développement aujourd’hui, c’est qu’il faut étendre l’enseignement primaire à tous,

filles comprises. »131

Signalons au passage que ces partenaires ne financent pas, dans le cadre d’aide au développement, les cycles secondaire et universitaire qui ne font pas l’objet de cette recherche : « Bien que les politiques d’ajustement structurel préconisent un transfert

des dépenses de l’enseignement supérieur vers l’enseignement primaire, l’obligation

faite aux gouvernements de réduire l’ensemble des dépenses s’est le plus souvent

traduite par une compression pure et simple du budget de l’éducation»132. Ce qui peut paraître contradictoire, c’est quand en abordant le problème des abandons scolaires dans ces pays pauvres en terme de développement, on ignore le rôle que peuvent jouer les autres cycles dans ce même processus. Y-a-t-il une stratégie mise en place par ces « partenaires traditionnels » pou mieux dominer ces pays pauvres en ne portant pas une attention soutenue aux autres cycles ? Et pourtant dans les pays développés, il y a une visibilité affichée à travers d’importantes mobilisations de moyens de tous ordres pour les autres cycles notamment secondaire et supérieur. Et on ne parlera pas de développement mais plutôt de compétitivité alliant chercheurs, universitaires et entreprises. Certaines recherches affirment que : « L’abandon scolaire n’est qu’une des causes de

la déperdition des effectifs (…) et qu’il n’est pas définitif :

- Certains élèves réintégreront l’école pendant la période de l’obligation scolaire ;

- D’autres s’inscriront plus tard en formation continue»133

Si cette thèse peut paraître spécifique aux pays développés, il s’avère qu’on peut y retrouver des cas d’abandon scolaire définitif liés à d’autres facteurs notamment la

politiques formaient ce consensus dont deux nous intéressent notamment : la discipline budgétaire ; et l’acheminement des dépenses publiques dans des directions qui promettent aussi bien une croissance économique qu’une répartition égale des revenus. Ce consensus était un échec. 131 STIGLITZ, J. E La grande désillusion, Paris, Fayard, 2003 pp.134 132Organisation International du Travail (1996) L’ajustement structurel risque d’hypothéquer les traitements des enseignants et les effectifs des classes. www.ilo.org/public/french/bureau/inf/pr, mars 03 133 Dictionnaire de l’Education opcit. pp.2

Page 149: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

149

maladie, recherche d’une autre identité à travers le travail que celle de l’élève à travers l’école : « L’attirance pour le travail, de préférence à l’école, est d’autant plus vive que

celui-ci est susceptible d’apporter des réparations identitaires. Pour certains élèves,

c’est parce qu’il donne le moyen d’apporter une contribution à l’économie familiale,

contribution moins réclamée par les parents, (…) qu’avancée comme argument pour

justifier et légitimer sa déscolarisation »134 .

Or dans les pays pauvres, les conditions de pauvreté extrême sollicitant les nécessités économiques permanentes réclament indirectement ou directement cette contribution à l’enfant-élève qui est une ressource non négligeable pour la famille ; force de travail incontournable à sa survie. Dans les pays développés notamment en France, on emploiera le terme de décrochage scolaire pour désigner le fait pour un enfant de ne plus aller à l’école avant l’âge de seize (16) ans ; et cela ne concerne que l’enseignement secondaire : « Quand

on pense au « décrocheur », on pense à ceux qui abandonnent le lycée (voir le

collège, il y en a ! »135 .

Cette description du décrochage scolaire est limitée aux textes de l’obligation scolaire jusqu’à un certain âge où les lois en la matière sont appliquées. En Angleterre (Mai 2002), une femme a été condamnée et emprisonnée parce que sa fille faisait l’école buissonnière ce qui pouvait l’entraîner au décrochage scolaire. Ce cas pénal s’est révélé progressivement opérationnel en France depuis la loi de 2004 sur le contrôle de fréquence et d’assiduité scolaire et des sanctions pénales. Ainsi dès 2005 dans le Loir-et-Cher à Blois, une femme a été condamnée en correctionnel à quatre mois de prison avec sursis pour absentéisme de son fils. En 2006 à Cambrai dans le Nord, une autre femme est également condamnée à 400 euros d’amende. Là également, on peut soulever la problématique de l’absence répétée pouvant basculer en décrochage ou abandon scolaire selon le cas. Paradoxalement, en dépit des textes réglementaires dans les pays développés on peut retrouver dans certains travaux, des problématiques construites autour des abandons scolaires dans les pays développés comme nous le résume J. PAIN : « …avant onze ans, on prétend ne pas rencontrer la question, mais j’ai au hasard de

mes interventions en appréhender la relativité. Une enfant de cinq ans est resté sans

134GLASMAN, D ; OEUVRARD, F La Déscolarisation, La Dispute, 2004, pp.58 135 V.E.I Enjeux : Le décrochage scolaire : une fatalité ?

Page 150: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

150

scolarisation plus de un an (Ainières, 1996) ; deux autres de sept ans (Les Muraux,

1990) et huit ans (Nanterre, 1993), plus de deux ans ».136

De même, l’auteur (PAIN J.) nous fait observer qu’en Belgique : « …pour la région de

Bruxelles Capitale, les Belges comptent un peu moins de 1000 dossiers de

déscolarisation par an, mais 14% de ces dossiers concernent les primaires (plus de

200 les moins de 13 ans ; les 7-9 sont 95 »137.

Certes ces situations peuvent interpeller car elles se situent dans les pays développés où les textes relatifs à l’obligation scolaire sont quasi-appliqués. Mais si l’on recherche les causes profondes, l’origine sociale et ethnique de ces enfants peut justifier en partie cette situation. L’une des causes peut être celle des « primo arrivants » : « …question

des délais dans la prise en charge est singulièrement décisive quand il s’agit des

« primo-arrivants ». (…). Il faut parfois de longs mois à l’administration scolaire pour

affecter à un établissement un enfant ou un jeune, soit par ouverture insuffisante de

classes d’accueil, soit par réticence à l’intégrer dans les classes ordinaires, et à

l’approche des 16 ans n’accélère pas, paradoxalement, sa prise en charge ».138 Cette situation pose l’autre aspect de « place » déjà évoqué : On n’a pas trouvé de « place » disponible dans une école, dans une institution d’accueil… A cela il faut ajouter les effets du phénomène de regroupement communautariste qui occasionne le transfert de certains modes de vie et de pratiques de son milieu d’origine : - d’où le manque de préoccupation quant à la scolarisation d’un enfant en âge scolaire Ce, malgré l’existence des lois qui interdisent formellement cette attitude. En revenant sur l’abandon scolaire définitif caractérisant le contexte de cette recherche, la situation est plus qu’alarmante en Centrafrique et dans la Région de l’Ouham, rappelons-le, où il n’y a aucune possibilité d’une infrastructure d’alphabétisation, de lutte contre l’illettrisme ou d’insertion sociale et professionnelle. Quelles sont les typologies de ceux qui abandonnent l’école ? 3.3.2 Les typologies d’abandon scolaire Les difficultés et la complexité à trouver un terme « commode » pour qualifier les enfants qui abandonnent l’école au niveau du cycle primaire -qui concerne cette recherche- nous ont amené à emprunter le terme « décrocheur » pour le cycle

136 PAIN, J, Pour problématiser la déscolarisation In V.E.I opcit, pp 28-29 137 PAIN, J. opcit 138GLASMAN, D, OEUVRAD, F, La déscolarisation, opcit pp.47

Page 151: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

151

primaire. Le terme de « décrocheur », rappelons-le, concerne généralement le cycle secondaire et/ou supérieur où beaucoup d’études et recherches y sont consacrées, dans la plupart du temps, dans les pays développés où il y a une forte probabilité et plusieurs possibilités à la fois de « raccrocher » ceux qui décrochent. L’ambition ici est de faire le tour de quelques travaux ayant mis en évidence les typologies caractérisant les décrocheurs scolaires. Enfin le deuxième but est de repérer celles qui ont aidé ou sont susceptibles d’aider à la compréhension du phénomène. Afin d’éviter des redites pouvant perturber l’analyse de nos résultats au chapitre suivant, nous avons trouvé utile de ne pas trop commenter ou discuter les différentes typologies ci-dessous. Des recherches récentes ont essayé de dresser des typologies des décrocheurs dont nous allons retenir celles qui cadrent plus ou moins avec les objectifs de cette recherche. Janosz (2000)139 en abordant le problème de typologie, part des questions suivantes tout en apportant des tentatives de réponses : D’abord, à partir de quel niveau de désistement devons-nous parler du décrochage scolaire ? Seront considérés comme décrocheurs ceux qui délaissent l’école pendant quelques semaines, quelques mois ou pour toujours ? Certains chercheurs proposent de retenir le nombre de trois semaines d’absences continues non motivées pour identifier un décrocheur (Morrow, 1986). Une telle description implique qu’un jeune peut, à l’intérieur d’une année, être identifié comme un élève régulier, un décrocheur et un raccrocheur. Cette stratégie pose des problèmes de spécificités pour établir la prévalence du phénomène, puisqu’il est à peu près impossible de se doter d’un système d’identification aussi précis, à large échelle. Un second problème réside dans la nature du passage à l’acte : Le statut de décrocheur convient-il aussi bien à celui qui quitte « délibérément » l’école qu’à celui qui en est expulsé ? Cette question pose le problème de savoir dans quelle condition le décrocheur quitte délibérément l’école ou en est expulsé. Pour nous, et selon les objectifs de cette recherche, quitter l’école ou en être expulsé ne nous pose pas de problème pour autant. Mais nous cherchons à connaître les causes profondes et à savoir également si l’enfant qui quitte délibérément l’école a maîtrisé le « socle commun de connaissances » pouvant l’aider dans sa vie quotidienne ? De même s’il en est expulsé ? Mais comment et à partir de quel critère peut- on identifier un enfant qui abandonne l’école, s’il maîtrise ou non le socle commun de connaissance ?

139JANOSZ, M, Qui est décrocheur et combien y en a-t-il ? In V.E.I opcit pp.109

Page 152: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

152

Des problèmes d’identification apparaissent encore là évidents, compte tenu du caractère plutôt délicat d’une telle distinction pour les administrations scolaires. La solution habituellement retenue sur le plan épidémiologique pour contourner les problèmes précédents consiste à utiliser le fait d’être ou pas titulaire d’un diplôme comme critère de classification (Janosz 2000). En abordant plus ou moins dans le même sens, les démographes du M.E.Q (1990) à partir d’une méthode longitudinale probabiliste, estiment le diplôme comme critère de sélection. Comme nous le rappelons toujours, le diplôme concerne moins ce travail et ne peut être retenu comme critère de classification de décrocheur dans notre champ de recherche. Toutefois nous ne pouvons nous empêcher de revenir sur les questions de Janosz (2000) qui peuvent aider davantage à la compréhension du phénomène sur notre champ de recherche : - à partir de quel niveau devons-nous parler du décrochage scolaire ? - seront considérés comme décrocheurs ceux qui délaissent l’école pendant quelques semaines, quelques mois ou pour toujours ? La première question, même si elle demeure standard, donne la possibilité au chercheur de se situer selon le niveau d’études (primaire, secondaire, technique, supérieur…) ou d’autres variables comme le diplôme, qu’il veut observer. La deuxième question donne une grille de réflexion sur le pourquoi d’une absence ou d’abandon scolaire et ce que fait un enfant pendant son absence de l’école. Cette question nous a permis de comprendre plus ou moins le phénomène sur notre champ d’études. En effet, les enfants ont un rythme scolaire et un rythme de vie liés aux activités saisonnières telles que : la cueillette de coton, de champignons, les feux de brousse, la chasse, la pêche, les rites initiatiques déjà évoqués-. Et cela peut effectivement aller d’une simple absence à un abandon scolaire définitif comme nous précisent les deux typologies des décrocheurs selon M.E.Q (1990) : - Ceux qui se valorisent hors des lieux scolaires… - Ceux qui n’ont pas vraiment d’objectifs précis et quittent les bancs de l’école en raison de leurs échecs scolaires. D’autres chercheurs comme Brossier, Emin et Ludot (2000)140 dressent la typologie des décrocheurs en ces termes : - élèves poly-exclus par décisions du conseil de discipline, qui sont affectés dans un établissement jugé loin du domicile.

140 BROSSIER, D ; EMIN, J.C ; LUDOT, B., Des jeunes qui échappent à la scolarité obligatoire, In V.E.I, 2000, pp 94

Page 153: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

153

- élèves qui se sentent en danger en raison de la présence de bandes ou d’élèves de communautés rivales. - jeunes délinquants, en grande rupture sociale, fortement engagés dans des réseaux d’économie parallèles et lucratifs. - enfants aux histoires familiales et sociales complexes qui peuvent subir des déplacements successifs, responsables d’une « instabilité scolaire » et d’un profond désinvestissement pour les études. - jeunes qui, sans être atteints de pathologies psychiatriques avérées, présentent des troubles de la socialisation rendant problématique leur insertion dans une classe. - enfants et adolescents que leurs familles ou leurs responsables n’inscrivent pas à l’école sans pour autant faire une déclaration d’instruction dans la famille (travail familial, comportement sectaire etc.). Dans une étude longitudinale sur les liens entre délinquance et abandon scolaire, Elliot et Voss (1974) en dressant quelques typologies, font la distinction entre les décrocheurs handicapés intellectuellement (lenteur et déficience intellectuelle), les décrocheurs involontaires et les décrocheurs intellectuellement « capables ». En précisant qu’il y a deux groupes de décrocheurs involontaires : - ceux qui ont tout le potentiel intellectuel pour terminer les études (comme des « capables ») mais qui ont abandonné l’école pour des raisons indépendantes de leur volonté (maladie, mortalité), - les expulsés « pushout » ; ces derniers se distinguent des premiers par le fait qu’ils désiraient rester à l’école qui ne les admettait plus (suspensions à répétition, expulsion). En complétant les typologies précédemment énumérées, Erpicum et Murray (1975) proposent six types de décrocheurs : - les « drop out » accidentels, qui ont toutes les capacités voulues pour terminer leurs études mais qui préfèrent, aux études abstraites, la réalité concrète du marché du travail ; - les inadaptés, qui éprouvent trop de difficultés intellectuelles, motrices ou comportementales pour s’adapter à l’école ; - les défavorisés, qui évoluent dans un milieu socioéconomique et familial défavorisé, qui assombrit tellement les perspectives d’avenir que l’école en perd son sens ; - les délinquants, qui ressemblent aux défavorisés mais qui, en plus, ont développé des conduites sociales inadaptées ;

Page 154: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

154

- les « drop out » féminins, qui abandonnent l’école à cause du mariage ou d’une grossesse précoce ; - les marginaux, des adolescents qui ont tout pour eux (intelligence, famille aisée, habilité créatrice etc.) mais qui n’arrivent pas à s’épanouir à l’école vécue comme un milieu aliénant. Ces typologies non exhaustives aident à l’appréhension des différentes caractéristiques du décrocheur et des différents mécanismes qui génèrent les abandons scolaires. Mais quelles sont les techniques utilisées ? 3.4 Les techniques de collectes des données et leur justification La complexité de notre objet d’étude a exigé de nombreuses techniques de collectes de données, jugées adaptées selon que : « toute recherche ou application de caractère

scientifique en sciences sociales comme dans les autres sciences en général, doit

comporter l’utilisation de procédés opératoires rigoureux, bien définis transmissibles,

susceptibles d’être appliqués à nouveau dans les mêmes conditions, adaptés au genre

de problème et phénomène en cause. Ce sont là les techniques ».141

Pour ce faire nous avons utilisé les techniques suivantes : Le champ de recherche La recherche documentaire Les contacts L’observation Le questionnaire Les entretiens L’échantillonnage Le traitement de données Les difficultés. 3.4.1 Champ de recherche Le champ d’étude est un milieu restreint dans le terrain d’étude. De ce fait, il doit être plus ou moins représentatif à l’ensemble du terrain d’étude qu’est la République Centrafricaine. Plusieurs raisons ont motivé le choix de cette région comme champ d’étude. Nous avons eu à travailler sur les causes et conséquences de la non-fréquentation scolaire

141GRAWITZ, M, Méthodes des sciences sociales. Opcit. pp 302

Page 155: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

155

des jeunes filles dans cette région, dans le cadre d’un mémoire de maîtrise de sociologie. De cette recherche nous avons pu observer que, outre les pesanteurs sociologiques notamment les facteurs socio culturels qui empêchent la fréquentation scolaire des jeunes filles, il y avait un autre phénomène qui touche ceux qui sont scolarisés : les abandons scolaires qui affectent aussi bien les filles que les garçons. Mais quelles en sont les causes ? Cette question principale fut à l’origine du choix de cette thèse et du champ d’étude.

3.4.2 Recherche documentaire L’abandon scolaire est l’un des problèmes faisant partie des préoccupations des chercheurs, des politiques, des organisations internationales etc. Ceux-ci produisent plus ou moins régulièrement des travaux, des rapports sur l’abandon scolaire selon leur approche et selon le contexte qui l’exigent. Même si notre terrain d’étude manifestait un vide documentaire, la rigueur scientifique a exigé de s’inspirer des travaux antérieurs sur le sujet, même s’ils sont menés sur des terrains différents que la République Centrafricaine. Ainsi nous avons consulté : - Les dictionnaires classiques et les dictionnaires spécifiques (sciences sociales et humaines). L’objectif à travers ces dictionnaires était de savoir comment les concepts constituant notre sujet étaient définis. Ce qui nous a permis de donner une définition globale de notre thème de recherche en accord avec les définitions actuelles ayant cours dans le champ des sciences sociales. - Les livres spécifiques, qui traitent des problèmes de l’éducation et des abandons scolaires. Ils nous ont aidé à avoir une vue globale sur la question de notre préoccupation. Ils sont complétés par des ouvrages généraux. - Les travaux de recherches (thèses, articles). Le recours à ces sources nous a permis de savoir comment le sujet de l’abandon scolaire était abordé et ce, dans le cadre académique spécifique des sciences sociales et humaines dans lequel s’inscrit cette recherche. Ces sources, pensons–nous, ont apporté la rigueur nécessaire à ce travail. - Les rapports, les périodiques, les journaux etc. Ils ont fourni des informations variées actuelles et passées sur le sujet. Ils ont permis également et surtout de mesurer l’actualité de la question scolaire ayant rapport avec l’abandon scolaire. Tous ces ouvrages ont été consultés partiellement ou intégralement selon l’importance que chacun revêt par rapport à notre objet d’étude.

Page 156: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

156

La recherche documentaire a joué un rôle déterminant dans la construction théorique de ce travail. 3.4.3 Les contacts. Nous avons voulu observer le phénomène des abandons scolaires sur un terrain qui n’est autre qu’un pays qui a ses règles. Ainsi après la validation de notre projet de recherche, la direction de l’école doctorale nous a délivré une autorisation de recherche. Ce document, combien capital, nous a permis d’entrer en contact avec les autorités politiques et éducatives facilitant l’accès au terrain d’études.

3.4.4 L’observation.

Notre parcours personnel nous a permis de constater le phénomène des abandons scolaires. D’abord en tant qu’élève ayant vécu plus ou moins les conditions d’études similaires de ceux que nous étudions aujourd’hui. Ensuite, étant étudiant en maîtrise de sociologie, rappelons-le, nous avions réalisé un mémoire de manière qualitative sur le phénomène de non fréquentation scolaire concernant les filles. De là nous avons pu observer que le phénomène touchait aussi bien les filles que les garçons. Enfin en D.E.A de sciences de l’Education nous avions réalisé un travail propédeutique sur le phénomène des abandons scolaires en général. Ce travail préliminaire nous a permis de mettre en évidence l’existence réelle des abandons scolaires et les causes sous-jacentes qui ont aidé à l’élaboration des hypothèses de cette thèse.

Dans le cadre de la collecte des données, nous avons retenu l’observation désengagée mais avouée. Ceci dans le but de faire comprendre aux enquêtés les enjeux de notre présence parmi eux, tout en gardant notre neutralité.

3.4.5 Le questionnaire. L’objectif de cette recherche ne peut-être atteint sans la traduction des hypothèses en questionnaire. Surtout que celui-ci demeure la meilleure possibilité d’amener le groupe-cible à se prononcer sur un sujet sur lequel il est enquêté : « Cette méthode présente, il est vrai, de nombreux avantages et elle est pratiquement

la seule qui soit adaptée aux enquêtes quantitatives. Les observations y sont

Page 157: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

157

systématiques, standardisées, et les opérations de passation de questionnaire et de

dépouillement de réponses simples, rapides et peu coûteuses… »142

De ce fait nous avons élaboré trois questionnaires, constitués de questions fermées et de questions ouvertes, qui sont respectivement adressés aux « populations » suivantes : 1. Celle ayant abandonné l’école sans avoir terminé le cycle primaire. 2. Celle qui fréquente encore le cycle primaire au moment de l’enquête 3. Les parents d’élèves L’objectif est de recueillir leurs avis sur les différents facteurs qui auraient motivé la décision à continuer ou à abandonner l’école. Ceci à travers les paramètres suivants pour la première catégorie : 1- Ceux qui ont abandonné l’école sans avoir terminé le cycle primaire :

Est-ce en raison de l’inadaptation du système éducatif liée : - au programme scolaire ? - à la langue de l’enseignement ? - insuffisance du personnel enseignant ? - regrettent-ils d’avoir abandonné ? - souhaitent-ils reprendre des cours d’alphabétisation ? - Etc.

Est-ce en raison des crises sociopolitiques notamment : - Les grèves des enseignants ? - Crises politiques ? - L’instabilité politique ? - Etc.

Est-ce à cause des conditions socio économiques notamment : - Le cadre de vie ? - Les conditions d’études (manque de table bancs et fournitures scolaires,

manque ou irrégularité des enseignants, effectif pléthorique, distance…) ? - Nombre d’enfants par ménage ? - Coût de fournitures scolaires ? - L’environnement familial (niveau d’études des parents, des frères, des

sœurs …) ? - Les besoins économiques ?

142CHAUCHAT H, Opus Cit., 1985, pp.179.

Page 158: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

158

- La sous alimentation ou la famine ? - etc.

2- Les élèves encore scolarisés au moment de l’enquête. L’objectif auprès de ce type de population est de recueillir auprès d’elle les

facteurs qui conditionnent la poursuite scolaire et non l’abandon comme dans le premier groupe :

Est-ce les conditions sociales favorables ? Est-ce le niveau d’études des parents ? Est-ce par l’habitation à proximité de l’école ? Etc.

3 - Les parents d’élèves. Ils sont construits afin de déterminer : Quelles représentations se font-ils de l’école ? Qu’en attendent-ils ? Quelles représentations ont-ils des abandons scolaires ? Pourquoi leurs enfants abandonnent-ils ou non l’école ? Quel type d’école souhaitent-ils ? Quelles solutions proposent-ils ? Etc.

3.4.6 Entretiens semi directifs Parmi plusieurs types d’entretien, nous avons retenu l’entretien semi directif pour la collecte des données. Ainsi des entretiens sont menés auprès des : Directeurs d’écoles Autorités locales (maire, chefs de quartiers, chefs traditionnels…) Directeur de la maison des jeunes Personnels de santé de l’hôpital régional et du dispensaire Présidents des associations et des Groupements d’Intérêts Ruraux (G.I.R.) Prêtres, Pasteurs, Imam. L’objectif recherché en se focalisant sur ces personnes « ressources » est d’abord de recueillir leur avis sur le phénomène des abandons scolaires et les conséquences dans

Page 159: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

159

la région de l’Ouham ainsi que des propositions de solutions. Il a permis également de recueillir des données sur l’histoire et l’éducation traditionnelle de la Région.

Nous avons voulu ici pouvoir accéder aux représentations des différents acteurs sociaux sur le problème des abandons scolaires. D’une façon générale, pour eux, est-ce que l’abandon scolaire est considéré comme un problème social ?

Si oui, est-il considéré comme un problème majeur pour la région de l’Ouham ? Les acteurs font-ils un lien entre le niveau d’instruction et le développement de la Région de l’Ouham et de Centrafrique en général ? De ce qui précède, nous avions remis les guides d’entretien quelques jours avant afin que les enquêtés puissent en prendre connaissance au préalable. Ensuite nous sommes passé pour l’administration du guide. Bien que le guide d’entretien soit canalisé, les enquêtés ne s’empêchaient pas de s’écarter du thème en racontant des anecdotes, des proverbes, des histoires, des exemples de vie courante liés plus ou moins au thème. 3.4.7 Témoignages Dans la recherche de certaines causes historiques relatives aux facteurs déstructurants de l’éducation en Centrafrique, nous avions jugé nécessaire de nous rapprocher de certaines sources orales. Ces sources repérées sont constituées de personnalités ou de personnes qui, au cours de leur activité, ont côtoyé de près ou de loin le monde éducatif. Certaines ont vécu les différents changements politiques ayant affecté le tissu socioéconomique du pays et l’éducation en particulier; d’autres ont vécu leur scolarité sous l’époque coloniale et enfin certaines sont des « victimes » d’un mal être scolaire en général. Ces témoignages sont utilisés dans le cadre de l’évolution de la scolarisation tout comme les incidences négatives des différents changements politiques opérés en Centrafrique depuis son indépendance sur l’éducation.

3.4.8 L’échantillonnage Toute enquête vise à établir : « des conclusions ayant une portée générale »143 De cette recherche, nous avions voulu déterminer un échantillon représentatif sur lequel est porté notre enquête. Nous ne pouvions, en effet, mener l’enquête auprès de

143 CHAUCHAT H., Opus Cit., p.27.

Page 160: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

160

toute la population de la région de l’Ouham. C’est pourquoi la détermination d’une fraction de population apte à représenter l’ensemble de la population de l’Ouham était nécessaire. Nous avions choisi d’utiliser la méthode d’échantillonnage par quotas. Cette méthode bien qu’indispensable, nous a paru incomplète. Ceci est dû particulièrement aux caractéristiques de la population observée. En effet, cette population a connu la rébellion pendant plus de deux ans, occasionnant des déplacements hors des lieux des résidences primaires. Outre ceux qui se sont réfugiés au Tchad, les résidences secondaires de circonstance se trouvaient dans des endroits isolés (en brousse) où l’accès n’était pas autorisé, car constituant un refuge. Cette situation concerne beaucoup plus la première catégorie de notre groupe-cible c’est à dire ceux qui ont abandonné l’école sans avoir terminé le cycle primaire et qui n’ont pas d’activités salariales dans l’administration. Il fallait repérer les jours de la semaine où ce groupe- cible était sensé revenir aux résidences primaires prévues pour l’enquête. Pour contourner cette situation, nous avons complété la méthode d’échantillonnage par quota avec une méthode aléatoire. Deux jours de la semaine correspondaient à cette situation. Il s’agit de samedi et dimanche où il est probablement certain que les enquêtés reviennent à la résidence primaire. Nous avions divisé le champ d’étude en trois zones géographiques distinctes dénommées : Zone A ; correspondant à l’ensemble de la population située à: Bouca, Batangafo, Kabo Zone B ; correspondant à l’ensemble de la population de Bossangoa, Koro M’poko, Nana-Bakassa.

Zone C ; correspondant à l’ensemble de la population de Boguila, Kouki, Markounda.

Au sein de chaque zone nous avions tiré un échantillon de quarante personnes réparties de la manière suivante : - Vingt hommes - Vingt femmes Ceci afin de neutraliser la variable « sexe » et privilégier la parité. Ce procédé nous a permis d’observer également si les abandons scolaires sont liés à la variable « sexe » ou encore si les préoccupations éducatives des élèves ne concernent que les hommes.

Page 161: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

161

Dès lors la taille de notre échantillon est constituée de cent vingt (120) personnes choisies selon les objectifs de cette recherche. Au sein de chaque Zone nous avions reparti deux groupes : - Un groupe de vingt (20) enquêtés repartis entre les deux sexes et ayant abandonné les études sans avoir terminé le cycle primaire. Ce qui donne dix (10) hommes et dix (10) femmes. La caractéristique de ce groupe d’enquêtés résulte du fait que ce sont des jeunes et des adultes qui ont quitté l’école sans avoir terminé le cycle primaire. D’où la nécessite pour ce groupe d’être majoritaire dans l'échantillon. Ces enquêtés en majorité chefs de famille, artisans, cultivateurs, ouvriers, pêcheurs, chasseurs…sont des acteurs socioéconomiques de la région de l’Ouham. Surtout, c’est cette catégorie d'enquêtés qui a déterminé cette recherche vu le taux des abandons scolaires dans la région. Un groupe de dix élèves (10) par Zone composés de : -cinq (5) filles et cinq (5) garçons fréquentant encore le cycle primaire au moment de l’enquête. Nous avons voulu observer ce groupe pour vérifier leur motivation à rester à l’école alors que les autres l’abandonnent. Enfin, un groupe de dix (10) parents d’élèves par Zone reparti de cinq femmes et cinq (5) hommes ayant des enfants dont certains sont encore à l’école. Le but ici est de comprendre les représentations qu’ils se font de l’école en y envoyant leurs enfants tout comme des abandons scolaires.

Tableau 17: Groupes d’enquêtés Groupe A Groupe B Groupe C Total %

20 Hommes

20 Hommes

20 Hommes 60 h 50%

20 Femmes 20 Femmes 20 Femmes 60 f 50%

40 40 40 120 100%

Source : Enquête de terrain 2004

De ce qui précède on peut comprendre aisément que la détermination de l’échantillon n’était pas aisée pour la raison suivante : Il y avait le risque réel d’enquêter plusieurs

Page 162: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

162

fois le même enquêté dont le risque était de présenter les différentes caractéristiques. C’est-à-dire qu’un enquêté peut être à la fois celui qui n’a pas terminé le cycle primaire et être parents d’élèves. Pour contourner ce cas, nous avions procédé a un travail préliminaire de repérage de tous nos enquêtés, pour déterminer leur caractéristique et enfin les classer en groupes avant l’administration des questionnaires. 3.4.9 Traitement de données Le traitement de données est la phase où les données collectées sont analysées, ordonnées et classées selon les hypothèses de recherche. Dans le cadre de ce travail, nous avons procédé au dépouillement de nos questionnaires à l’aide des tabulations. Ce qui nous a permis de croiser et regrouper certains items et variables aidant à l’analyse des résultats et tirer une conclusion représentative. 3.5 La démarche concrète de recherche L’objectif de ce travail, rappelons-le, est de mettre en évidence certains facteurs ayant généré les abandons scolaires dans la région de l’Ouham. Ces facteurs supposés sont émis comme hypothèses et traduits dans les questionnaires. Notre démarche s’est située à deux niveaux principaux : niveau administratif et niveau technique. Au niveau administratif, il fallait être en règle avec l’administration universitaire c'est-à-dire s’inscrire régulièrement à chaque rentrée selon la durée de la thèse et participer à certains séminaires (jugés importants pour cette recherche) de l’école doctorale. Aussi à chaque déplacement, il fallait avoir une autorisation expresse du directeur de l’école doctorale. Nous avons satisfait à ces conditions sans difficultés aucune. Au niveau technique, nous avons procédé à la conception préalable des questionnaires en fonction de nos hypothèses et effectué trois voyages sur notre terrain de recherche. Le premier voyage a consisté à la recherche documentaire, l’administration des questionnaires, des guides d’entretien et recueil de sources orales. L’administration de questionnaires s’est faite de manière directe. Ce qui nous a permis d’expliquer de manière précise certains items qui paraissaient ambigus pour les enquêtés. Le deuxième voyage a consisté en une vérification ponctuelle des questionnaires pour déceler s’il n’ y a pas eu de modification d’appréciation car ils étaient administrés juste quelques mois après que la région ne soit libérée de la rébellion. Le troisième et dernier voyage était de revoir certaines sources documentaires récemment mises à

Page 163: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

163

jour (rapports) et études historiques de la région de l’Ouham. Cette disposition ou démarche concrète nous a permis d’éviter et de contourner des difficultés éventuelles sans pouvoir les en exclure totalement. 3.6 Les difficultés Le champ d’étude a connu une situation difficile, liée à la rébellion largement évoquée précédemment. La situation demeure précaire jusqu’à nos jours : C’est qui a rendu le travail difficile, car c’est une zone à risque. La réticence des enquêtés au lendemain de la rébellion à accepter les questionnaires et les entretiens fut un des obstacles importants. Même si nous avions pris le soin d’expliquer le but de cette recherche, les enquêtés pensaient au premier abord à une investigation policière liée aux évènements qu’ils venaient de vivre. Le vide documentaire sur le sujet dans la région est également l’une des difficultés majeures à laquelle nous fûmes confronté. Les rares thèses et les écrits sur la question en République Centrafricaine sont désuets car ne comportant pas les nouveaux enjeux comme le SIDA, les grèves, la rébellion, la guerre, le rôle des institutions internationales…qui affectent le système scolaire centrafricain. La non maîtrise efficace des outils informatiques nous a pénalisé quant au traitement efficace de données avec certains logiciels adaptés aux recherches en sciences humaines et sociales. L’absence de financement pour cette recherche nous a fortement handicapé et nous a impossible la participation aux différents séminaires, conférences, rencontres… organisés dans certaines universités françaises et étrangères sur la question. En plus les frais des prêts interuniversitaires étaient à notre charge. Enfin la maladie notamment les maux de tête dont nous souffrons a failli avoir raison de nous en ce qui concerne ce modeste travail.

Conclusion Le cadre méthodologique a constitué une balise. Il a permis d’aborder le problème des abandons scolaires au niveau international et national ; et de mesurer au passage l’importance que revêt le phénomène. En restant dans le cadre de la recherche, il a aidé à confronter quelques recherches existant sur la question qui finalement a orienté et renforcé de manière significative la qualité scientifique de ce travail. Cette rigueur méthodologique a influencé les choix judicieux des techniques adéquates de collecte

Page 164: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

164

de données qui ont permis de concevoir en amont les différents outils avant d'aborder le terrain d'études, même si on a eu à modifier quelques paramètres pour contourner certaines difficultés de terrain. Nous allons maintenant présenter les données recueillies auprès de nos enquêtés.

Page 165: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

165

CHAPITRE QUATRIEME

Les groupes cibles et les abandons scolaires : Analyse des données recueillies

Page 166: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

166

Chapitre IV : Groupes cibles et les abandons scolaires : Analyse des données recueillies Introduction Nous sommes parti, rappelons-le, d’une hypothèse principale : la pauvreté et ses implications supposées sur les conditions sociales, économiques et politiques sont à l’origine des abandons scolaires en République Centrafricaine. Cette hypothèse centrale est complétée par les sous-hypothèses suivantes : Le système éducatif et le désengagement des adultes sont à l’origine des abandons scolaires. A travers ces hypothèses et selon notre démarche, nous avions relevé certains paramètres et variables explicatifs des abandons scolaires qui ont aidé à l’élaboration des questionnaires. Ces variables sont choisies et interprétées selon le champ d’études. Exemple la rigueur est interprétée par nos enquêtés comme contraintes liées aux heures de cours tout comme la rigueur de l’enseignant lui-même. De là nous avions pris le soin d’expliquer, à chaque fois que cela s’avère nécessaire, les variables utilisées dans le but de rendre beaucoup plus accessibles les interprétations des données recueillies auprès de groupes-cibles ci-dessous : - Ceux ayant abandonné l’école sans avoir terminé le cycle primaire - Ceux, encore à l’école au moment de l’enquête - Les parents d’élèves. 4.1 Le premier groupe-cible et les abandons scolaires Il est important de souligner que ce chapitre concerne le groupe-cible principal de cette recherche. Nous avions retenu plusieurs variables représentées à travers le questionnaire qui permit de recueillir les données. Chaque variable n’est pas formelle quant à son implication directe dans la décision d’un enquêté à vouloir abandonner l’école. Car à l’administration du questionnaire, nous avions remarqué que les enquêtés ont retenu une cause dans chacune de nos hypothèses. Pendant le dépouillement, nous avions constaté que certaines variables retenues n’avaient pas d’influence sur la décision des enquêtés à abandonner l’école. Alors elles ne sont pas interprétées ni croisées avec d’autres. Ces paramètres sont : La langue de l’enseignement, le programme scolaire, les grèves des élèves et étudiants, la famine... Nous avions également constaté qu’aborder les problèmes socioéconomiques et politiques était très délicat au premier abord pour les enquêtés. De ce constat et contrairement à l’ordre d’importance de nos hypothèses, nous avons abordé le

Page 167: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

167

problème des abandons scolaires auprès de nos enquêtés en commençant par le système éducatif, ensuite les crises socio politiques et la religion et enfin les problèmes socio économiques. Nous l’avons complété par certaines modalités pouvant aider à jauger le niveau scolaire des enquêtés avant et après avoir quitté l’école et leur motivation quant à une éventuelle alphabétisation adaptée. Mais avant cela nous avions procédé à l’identification des enquêtés. Cette identification permit de : Connaître leur sexe, âge, ethnie, religion, résidence, la situation matrimoniale, le niveau scolaire des parents, le nombre de frère et sœurs et frère ainsi que leur niveau scolaire. Et, enfin à partir de quel âge et avec quel niveau scolaire avaient-ils quitté l’école.

4.1.1 Identification Nous avions retenu plusieurs variables aidant à l’identification de ce groupe cible. Celui-ci est constitué de 50% de femmes et de 50% d’hommes ; ceci, rappelons-le, afin de neutraliser la variable sexe, pour que les deux sexes soient représentés et afin d’observer en même temps si les abandons scolaires sont liés à la variable « sexe ». Leur âge varie de 9 et plus de 21 ans. Nous avions également observé à partir de quel âge il y a plus d’abandons scolaire et pourquoi ? Plus de 48% appartiennent à l’ethnie « Gbaya » et 23 % sont « Sara ». Ces deux groupes ethniques sont originaires et majoritaires de la région de l’Ouham. Nous avons classé les 28% dans la catégorie « autres ». « Autres » sont constitués des enquêtés des groupes ethniques minoritaires et ceux ont des origines diverses et partagent en commun le fait qu’ils appartiennent à d’autres ethnies localisées dans d’autres régions que celle de l’Ouham. Ils sont dans la région de l’Ouham par le fait qu’ils ont suivi leurs parents en fonction ou leur mari comme c’est le cas de la plupart des femmes enquêtées. Au niveau de la résidence des enquêtés, plus de 68% se déclarent autochtones contre un peu plus de 27% d’ « étrangers ». Ces derniers résident dans la région de manière provisoire et sont convaincus de la quitter d’un jour à l’autre ; ils n’ont pas d’attache particulière à la région. Leur présence s’explique en raison des activités professionnelles qu’ils mènent notamment l’artisanat (commerce). Les 5% représentent « autres ». Ce sont des enquêtés qui ne sont pas originaires de la région mais qui y sont nés ou y résident de manière permanente et partagent la culture de la région. Par conséquent, ils se considèrent plus ou moins comme des autochtones. Au niveau de la situation

Page 168: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

168

matrimoniale, nous avons noté que plus de 63% des enquêtés sont célibataires contre près de 32% de mariés et 5% de veufs. Nous avions également cherché à connaître le niveau scolaire des parents des enquêtés tout comme le nombre de frères et sœurs au moment de leur scolarité. Ainsi 57% des enquêtés déclarent que leurs parents n’ont jamais été scolarisés contre 43% de scolarisés. Cette question du niveau scolaire des parents a permis d’établir une relation causale entre le niveau de scolarisation et les abandons scolaires des enquêtés. Enfin près de 47% des enquêtés affirment avoir entre 1 et 3 frères et sœurs, 40% entre 4 et 7 et 13% entre 8-11. Le nombre d’enfants par ménage est déterminant dans la poursuite ou non de la scolarisation, surtout quand il s’agit de leur prise en charge dans un contexte où les fournitures scolaires ne sont pas gratuites. Il nous a permis de voir, selon le nombre de frère et sœurs, à quel niveau nos enquêtés ont abandonné l’école. L’autre modalité était celle d’observer le niveau scolaire des frères et sœurs et son incidence possible sur le niveau scolaire où les enquêtés ont quitté l’école. Ainsi près de 77% des enquêtés affirment que leurs frères et sœurs sont scolarisés contre 23% dont leurs frères et sœurs n’ont jamais été scolarisés. Le niveau scolaire des frères et sœurs va du primaire au supérieur : 57% ont un niveau primaire, 36% niveau secondaire et technique et enfin 6% un niveau supérieur. Ces données nous ont permis d’avoir une vue synoptique sur chaque enquêté et de déterminer plus ou moins son origine sociale et sa trajectoire scolaire. Qu’en est-il des caractéristiques scolaires des enquêtés ?

4.1.2 Les caractéristiques Nous avons relevé certaines caractéristiques dites scolaires des enquêtés. Ce sont : l’âge, le niveau scolaire, le sexe et les activités professionnelles. Ce procédé nous a aidé à comprendre à partir de quel âge les enquêtés ont abandonné l’école et avec quel niveau scolaire. Au niveau qualitatif nous avons observé ces caractéristiques selon la variable sexe dans le but, comme nous l’avions souligné ci-dessus de savoir, si les abandons scolaires sont liés au sexe et si les filles et garçons partagent les mêmes causes. Enfin nous avons observé les relations entre le niveau scolaire et les activités professionnelles des enquêtés afin de déterminer quels types d’activités ils mènent en fonction de leur niveau scolaire. Enfin l’objectif ici est de mettre en évidence ces caractéristiques non pas en soulignant les causes réelles des abandons scolaires,(nous allons y revenir un peu plus loin),

Page 169: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

169

mais de donner une interprétation de ce qu’elles représentent ou présentent dans le processus des abandons scolaires.

4.1.2.1 L’âge d’abandon scolaire Nous avions mentionné précédemment l’abandon scolaire par rapport à l’obligation scolaire. La République Centrafricaine dispose de lois et mesures quant à la politique générale de l’éducation. De ce fait nous avons voulu observer à partir de quel âge nos enquêtés ont quitté l’école.

Tableau 18: L’âge d’abandon scolaire Réponses à la question suivante : À partir de quel âge aviez-vous abandonné l’école ? :

Age d'abandon scolaire

Nb. cit. Fréq.

7 3 5,0% 8-10 34 56,7% 10-15 23 38,3% TOTAL OBS. 60 100%

Source : Enquête de terrain 2004

Age d'abandon scolaire

7 3

8-10 34

10-15 23

De ce tableau, il apparaît que 5% des enquêtés ont abandonné l’école dès l’âge de sept ans. Ce qui représente les deux premières années scolaires. Ce faible taux témoigne plus ou moins de l’engouement et de la motivation des parents et de l’écolier en particulier, à être scolarisé et supposé y demeurer aussi longtemps possible, alors pourquoi quittent-ils assez tôt le dispositif scolaire ? Nous y reviendrons. Ensuite 56% des enquêtés affirment avoir quitté l’école entre 8-10 ans. Cette tranche d’âge apparaît beaucoup plus touchée par le phénomène des abandons scolaires suivie enfin de celle des 10-15 ans qui représentent 38%. Les abandons scolaires touchent toutes les tranches d’âge retenues pour cette recherche et ce, à des degrés variés. L’ambiguïté est que dès les deux premières années de scolarité, le phénomène n’est pas prégnant. Selon certains enquêtés de cette tranche d’âge, ils ont dû quitter l’école à cause de sa fermeture. L’école la plus proche se trouvait à plus de dix kilomètres. Vu leur jeune âge, ils ne pouvaient pas y aller tout seuls. Cela pose le problème des abandons

Page 170: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

170

scolaires involontaires qui affecte la majorité de nos enquêtés. La deuxième tranche d’âge (8-10) est la plus touchée par les abandons scolaires volontaires ou involontaires. Selon cette tranche d’âge en général, le basculement commence par une prise de conscience réelle des conditions d’études, surtout les fournitures scolaires coûteuses et la finalité des études. Finalement quand elle a compris qu’il n’y avait pas d’issue elle a quitté l’école. Elle est aussi tributaire de sollicitations extérieures au monde scolaire lui-même notamment aide à la famille. Cette aide prend plusieurs formes dans ce contexte de famille élargie. Outre l’aide à la famille nucléaire, qui leur parait naturelle, elle peut aller jusqu’à quitter le domicile familial pour venir en aide aux grand- parents trop âgés, oncles ou tantes sans enfants ou aveugles etc. Cette aide est capitalisée par une reconnaissance de l’ensemble du réseau familial ou clan qui en juge la portée. Ceci est valable pour la dernière tranche d’âge. Quant à cette dernière, les 10-15 ans, à cet âge ils vivent sous influence culturelle pour la plupart de cas. Au moment où ils est déjà « initiés», se considèrent désormais comme adultes malgré leur âge. Cette tranche d’âge doit de se déterminer non pas en fonction de l’âge et son cursus scolaire mais en fonction du cursus initiatique ou de l’initiation qu’elle vient de recevoir. C'est-à-dire qu’il faut entreprendre quelque chose, notamment une plantation, un statut matrimonial comme c’est le cas de certaines enquêtées, ce qui finalement cristallisera leur identité dans le processus de socialisation elle-même dans leur milieu. Cette situation permet la reconnaissance et la valorisation de leur travail, de leur culture et tradition, qui fait « pardonner » le fait de quitter l’école. Retenue par cette demande sociale identitaire, sui generis, en négociation permanente et ajoutées à cela les conditions d’études déplorables, cette tranche d’âge quitte l’école « légitimement ». Cette situation confirme la thèse de D. Glasman et F. Oeuvrard selon laquelle « l’attrait

au travail, de préférence à l’école, est d’autant plus vive que celui-ci est susceptible

d’apporter des réparations identitaires. Pour certains jeunes, c’est parce qu’il donne le

moyen d’apporter une contribution à l’économie familiale (…) qu’avancée comme

argument par le jeune pour justifier et légitimer sa déscolarisation »144. En somme toutes les tranches d’âge sont concernées par le phénomène des abandons scolaires en contradiction avec les lois en vigueur. D’où cette liberté négative en matière de scolarisation qui caractérise les pays pauvres : Les parents sont libres de scolariser ou non leurs enfants. Les enfants sont libres de quitter l’école en âge d’obligation scolaire.

144 GLASMAN, D, OEUVRARD, La déscolarisation, opt cit. pp 58

Page 171: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

171

Mais à quel niveau scolaire nos enquêté ont-ils abandonné l’école?

4.1.2.2 Le niveau scolaire et abandon scolaire Nous avions eu comme ambition première, rappelons-le, d’enquêter exclusivement auprès d’une population qui n’a pas terminé le cycle primaire. Ce qui nous a amené à retenir les enquêtés du niveau scolaire compris entre le CI (Cours d’Initiation 1ère année) et le CM1 (Cours Moyens 1ère année). Ceci se justifie par le fait que ceux qui terminent tout le cycle primaire c'est-à-dire du CI au CM2 sont censés être autonomes dans leur vie quotidienne. Nous sommes parti à contre-pieds de cette hypothèse pour nous intéresser à ceux qui n’ont pas pu terminer tout le cycle primaire. Dès lors sont-ils autonomes ou non ? Et autonomes par rapport à quoi ? Nous reviendrons sur ces questions afin de jauger en quoi nos enquêtés sont autonomes ou non et que reste-t-il de cet apprentissage scolaire après qu’ils aient quitté l’école ? Mais avant cela, qu’en est-il du niveau scolaire réel de nos enquêtés au moment de leur « décision » à quitter le dispositif scolaire ?

Tableau 19: Niveau scolaire et les abandons scolaires Réponses à la question : Aviez-vous quitté l'école à quel niveau scolaire ? :

Niveau scolaire

Nb. cit. Fréq.

CI-CP 4 6,7% CP-CE1 34 56,7% CE2-CM1 22 36,7% TOTAL OBS. 60 100% Source : Enquête de terrain 2004

Niveau scolaire

CI-CP 4

CP-CE1 34

CE2-CM1 22

Ce tableau nous laisse apparaître qu’un peu plus de 6% des enquêtés ont un niveau scolaire compris entre CI et CP (Cours Préparatoire). Ce qui se rapproche du tableau précédent concernant l’âge d’abandon scolaire (7ans) et plus ou moins des deux premières années de scolarité révolues. Plus de 56% des enquêtés ont un niveau scolaire entre CP et CE1 (Cours Elémentaire 1ère année). Ce niveau scolaire correspond également à une tranche d’âge de 8 et 10 ans au moment d’abandon

Page 172: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

172

scolaire. Enfin plus de 36% ont un niveau scolaire entre CE2- CM1 (Cours Moyens 1ère année). S’il y a un faible taux d’abandon scolaire entre CI et CP, un facteur entre en jeu : Le coût de scolarité. En effet, les fournitures scolaires exigées pour l’apprentissage au CI sont encore dérisoires : une ardoise, un morceau de craie et rarement le carnet scolaire, suffisent. Les parents, même les plus démunis qui veulent scolariser leur enfant, peuvent se le permettre. Parfois, les aînés peuvent léguer leurs ardoises aux cadets, une fois admis au collège. Car l’outil indispensable aux deux premières années c’est l’ardoise et sa durée de vie varie entre deux à trois ans selon le matériau utilisé pour sa conception. Ce qui suppose un seul achat au cours de l’année pour les parents. Ceux-ci, souvent peu ou pas scolarisés parviennent tant bien que mal à contrôler la progression de l’enfant à ce niveau scolaire et ce, même au niveau de la régularité scolaire de l’enfant. Son jeune âge aide également les parents à lui porter une attention particulière surtout s’ils veulent vraiment sa réussite scolaire. Ainsi des sacrifices, même « provisoires », peuvent être consentis pour sa réussite scolaire. Le fort taux d’abandon scolaire entre CP-CE1 est une transition souvent difficile pour les parents. D’un achat dérisoire entre CI-CP, ils vont devoir débourser des sommes importantes pour les fournitures scolaires. À ce niveau scolaire, l’apprentissage se peaufine par l’utilisation des cahiers, stylos, crayons, gommes, ardoise etc. Ce sont des fournitures qui coûtent excessivement chères que les parents pauvres ne peuvent pas toutes offrir à leur enfant encore moins s’ils en ont plusieurs à charge. Dès lors l’enfant vacille à l’école. Le fait que l’enseignant le renvoie désespérément du cours par faute de fournitures, dans le but d’amener les parents à lui fournir le minimum, le perturbe et il le vit comme une humiliation. Les parents limités dans leur possibilité, surtout financière, ne peuvent réagir. Malgré leur bonne volonté, ils finissent par se désengager de cette situation scolaire qui se complexifie et qui finalement les dépasse. Pris dans cette tourmente scolaire, n’ayant pas l’âge de se « débrouiller » pour s’offrir les fournitures scolaires, l’écolier finit tout simplement par abandonner l’école. La dernière tranche d’âge du niveau CE2-CM1 a une volonté réelle de poursuivre sa scolarité pour peu que le minimum soit garanti. Rares sont les parents, surtout pas scolarisés et pauvres, qui continuent à la prise en charge de cette tranche d’âge. La sous scolarisation des parents ne leur permet pas de contrôler le travail de leur enfant de ce niveau scolaire. A ce niveau, certains enfants constituent une aide précieuse pour leurs parents quand il s’agit de leur lire ou écrire un courrier et autres services liés aux documents l’administratifs. Ce qui est une motivation première des parents à

Page 173: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

173

soutenir leurs enfants comme ils le peuvent. Etant pauvres, ils sont limités car ne pouvant prendre en charge le coût exorbitant des fournitures scolaires nécessaires à ce niveau scolaire. Le relais existe mais incombe à l’enfant lui-même. C'est-à-dire qu’il doit se « débrouiller » pour s’offrir les fournitures scolaires. Il alterne entre école et vente à la sauvette s’il se trouve dans une agglomération importante ou agriculture s’il est en milieu rural. Le choix d’abandonner l’école se fait le plus souvent au moment où le poids des activités parallèles à l’école est complété par la fermeture d’école, les grèves illimitées des enseignants ou encore les crises politiques. Dans le cas de fermeture d’école, même si les parents ou si l’enfant a la volonté de continuer ailleurs, cela ne peut se faire en l’absence d’un proche parent dans une autre ville pouvant l’accueillir pour sa scolarité. Ce cas touche également ceux qui ont valablement réussi leur concours d’entrée au collège. Cette situation témoigne de l’inexistence d’internats pouvant aider à une longue scolarité qui contraint plutôt aux abandons scolaires involontaires. Ce phénomène d’abandon scolaire touche-t-il plus précocement les garçons que les filles ?

Page 174: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

174

4.1.2.3 Le sexe et les abandons scolaires Nous avons retenu trois tranches d’âge correspondant au niveau scolaire retenu pour cette recherche. Au sein de ces tranches d’âge nous avons voulu observer également le phénomène des abandons scolaires selon le sexe. L’objectif est de déterminer si le phénomène des abandons scolaires est lié nécessairement au sexe. Est-ce que les filles quittent plus rapidement l’école que les garçons ou non ? Si c’est le cas, les causes sont-elles les mêmes ?

Tableau 20: Le sexe et les abandons scolaires

Sexe/Age d'abandon scolaire

0-7 8-9 10-15 TOTAL

masculin 3,3% (1) 63,3% (19) 33,3% (10) 100% (30) féminin 10,0% (3) 46,7% (14) 43,3% (13) 100% (30) TOTAL 6,7% (4) 55,0% (33) 38,3% (23) 100% (60)

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 60 observations.

Sexe x Age d'abandon scolaire

30 masculin

30 féminin

7 8-10 10-15

De ce tableau, on peut noter que 10% de nos enquêtées femmes ont abandonné l’école à l’âge de sept ans contre 3% chez les hommes. Concernant la tranche d’âge comprise entre 8 et 10 ans, on note qu’un peu plus de 63% d’hommes contre près de 47% de femmes ont abandonné l’école à cette tranche d’âge. Enfin la dernière tranche d’âge laisse apparaître que plus de 43% de femmes contre un plus de 33% d’hommes ont quitté l’école entre 10 et 15 ans. La différence de sexe dans la problématique des abandons scolaires est liée à certains préjugés gravitant autours du sexe féminin. L’investissement pour la scolarisation des filles est encore hésitant et timide dans certaines familles malgré les différentes mesures et sensibilisation visant la scolarisation des filles. Et ce, pour plusieurs raisons. L’un des statuts de fille sur notre terrain de recherche suppose une appartenance « provisoire » à sa famille et à son clan. Elle est prédestinée à se marier et regagnera le clan de son époux. De là, il y a sous investissement et moins de rigueur quant à sa scolarisation car il s’avère que, investir pour une fille est un investissement pour une autre famille voire une perte. La demande de main en

Page 175: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

175

mariage demeure précoce et présente dans la région de l’Ouham. Car le mariage est très régulé en milieu rural (dans les villages) et qu’il n’y a quasiment pas de filles célibataires à l’exception de celles qui sont handicapées ou souffrent d’une certaine pathologie lourde. Une fille peut être demandée en mariage dès sa naissance ou même avant sa naissance si l’on suppose le sexe de l’enfant à naître. Là, elle est destinée à l’acquisition précoce du statut d’épouse qui se fait par l’éducation liée au dit statut. Même si elle est scolarisée et travaille bien à l’école, le poids de l’éducation lié à son statut futur pèsera beaucoup plus sur sa scolarité et pourra déboucher sur l’abandon scolaire. Rappelons que l’éducation et la répartition des tâches demeurent sexistes et ce, même dans les grands centres urbains. Les corvées domestiques reviennent toujours à la charge de la fille. Cela va de la recherche d’eau, se trouvant souvent à des kilomètres du domicile, au ménage et la cuisine etc. Ces corvées ne créent pas de conditions favorables à une longue scolarité. Il y a d’autres facteurs qui affectent aussi bien les filles que les garçons : Les grèves des enseignants et la fermeture d’école. Pour ce dernier facteur, les parents ont plus de facilité d’envoyer le garçon chez un parent pour sa scolarité que pour la fille. L’autre alternative est si l’école se trouvant dans un autre village, là également les filles sont plus rarement autorisées à s’y rendre que les garçons. Ces facteurs stéréotypés justifient en partie le déséquilibre du taux des abandons scolaires entre nos enquêtés de deux sexes et confirment la thèse de C. Baudelot et R. Establet : « Le concept de « stéréotype de

sexe » indique seulement que chaque garçon et chaque fille est contraint de construire

son identité personnelle en prenant position par rapport à des attentes sociales

traditionnellement propres à son sexe ».145 Ces attentes sociales sont permanentes dans un contexte où les valeurs traditionnelles ont encore de l’emprise sur l’école qui, elle, ne crée pas de conditions efficaces pour son encrage. Nous allons présenter les activités professionnelles que mènent les enquêtés. Ces activités sont-elles en fonction du niveau scolaire des enquêtés ?

4.1.2.4 Catégorie socioprofessionnelle et le niveau scolaire Nous avions souligné ci-dessus que nos enquêtés sont des acteurs économiques du champ d’études. Dans ce cas, nous avons cherché à comprendre le lien qui existe entre leur niveau scolaire et les activités professionnelles qu’ils pratiquent. Nous avons ciblé ces activités en fonction de leur existence sur le champ d’études. Ce sont les

145 BAUDELOT C., ESTABLET, R, Allez les filles, Paris, Editions du Seuil, Collections Points, pp. 72

Page 176: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

176

métiers de cultivateur, éleveur, ouvrier, artisan et autres. Il y a également des enquêtés sans activité. Enfin nous avons voulu également comprendre si ces activités n’avaient pas été l’un des mobiles ayant conduit aux abandons scolaires de certains enquêtés.

Tableau 21: Catégorie socioprofessionnelle et le niveau scolaires Réponses aux questions* : -Aviez-vous quitté l'école à quel niveau scolaire ? : - Quelles sont vos activités professionnelles ? :

Niveau scolaire/Catégorie socioprofessionnelle

Cultivateur Eleveur Ouvrier Artisan sans activité

Autres TOTAL

CI-CP 75,0% (3) 25,0% (1) 0,0% (0) 0,0% (0) 0,0% (0) 0,0% (0) 100% (4) CP-CE1 35,3% (12) 17,6% (6) 5,9% (2) 26,5% (9) 14,7% (5) 0,0% (0) 100% (34) CE2-CM1 27,3% (6) 4,5% (1) 0,0% (0) 40,9% (9) 13,6% (3) 13,6% (3) 100% (22) TOTAL 35,0% (21) 13,3% (8) 3,3% (2) 30,0% (18) 13,3% (8) 5,0% (3) 100% (60)

Source : Enquête de terrain 2004 *Les réponses à ces questions sont croisées.

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 60 observations

Catégorie socioprofessionnelle x Niveau scolaire

21 Cultivateur

8 Eleveur

2 Ouvrier

18 Artisan

8 sans activité

3 Autres

CI-CP CP-CE1 CE2-CM1

L’observation de ce tableau laisse apparaître que 35% des enquêtés sont cultivateurs, suivi de 30% d’artisans, 13% d’éleveur, 5% « autres ». La catégorie professionnelle « Autres » est constituée de chasseurs et pêcheurs. Ce sont des activités principales de cette catégorie d’enquêtés. Ceci, par le fait qu’ils mènent d’autres activités secondaires comme l’agriculture et l’élevage. Ce qui est valable pour les autres catégories professionnelles. En effet, nous avons observé que tous les enquêtés ont une certaine polyvalence quand il s’agit des activités économiques. Un cultivateur peut pratiquer le petit élevage, la chasse, la pêche, l’artisanat etc. La définition de ces activités en tant que profession ou métier se fait en fonction du temps mis pour l’exercer. Enfin 13% des enquêtés demeurent sans activité. Leur niveau scolaire varie de CP au CM1.

Page 177: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

177

Au niveau scolaire, les enquêtés ayant quitté l’école entre le CI-CP n’occupent que deux catégories professionnelles dont 75% de cultivateurs et 25% d’éleveurs. Mais pourquoi pas les autres catégories professionnelles ? La difficulté pour les enquêtés de ce niveau scolaire (CI-CP) est le fait qu’être ouvrier nécessite une certaine capacité en lecture et écriture même sommaire, ne fut-ce que pour écrire son nom, lire sa fiche de paie ou tout simplement apposer régulièrement la même signature pour sa solde comme le témoigne cet enquêté : « j’ai essayé de trouver un emploi dans l’usine d’égrainage de coton (…) ; on nous a demandé d’écrire nos noms sur un bout de papier (…). Je n’ai pu le faire et avais honte de demander une aide (…) je suis revenu au village et je suis cultivateur ». Cette situation confirme la thèse de V. Leclercq : « L’illettrisme contribue à l’exclusion professionnelle de certains individus et

peut être un frein pour le développement des entreprises»146.

Aussi être artisan, que ce soit du domaine du petit commerce ou de la menuiserie comme c’est le cas de certains enquêtés, nécessite également une connaissance minimum en lecture, écriture et surtout en calcul qui intervient en permanence dans l’exercice de ces activités. Dépourvus de ces connaissances sommaires en rudiments scolaires, ils s’orientent plutôt vers les professions où ils ne sont pas interpellés ou rappelés directement à l’usage de lecture, d’écriture ou de calcul. Ceux qui ont quitté l’école entre le CP et CE1 occupent presque tous les professions retenues. Un peu plus de 35% sont agriculteurs ; près de 27% des artisans ; près de 17% d’éleveurs ; près de 15% sans activité et près de 6% sont ouvriers. Enfin ceux qui ont abandonné l’école entre le CE2 et CM1 représentent près de 41% comme artisans ; un peu plus de 27% comme cultivateurs ; près de 14% comme « autres » ; près de 14% sans activité et plus de 4% sont éleveurs. Nous avions constaté que plus le niveau scolaire est « élevé » plus les enquêtés s’orientent vers d’autres activités professionnelles que le secteur traditionnel qu’est l’agriculture. Cette observation confirme la thèse de R. Boudon « De façon général, le

niveau d’instruction moyen augmente au fur et à mesure qu’on s’élève dans la

catégorie des hiérarchies socio-professionnelles »147 L’artisanat attire beaucoup plus ces enquêtés que l’agriculture. Rappelons qu’il y a deux types de culture sur notre champ d’études : la culture vivrière et la culture de rente. La culture vivrière est pratiquée par presque tous les enquêtés. Elle est une agriculture de subsistance et

146 LECLERCQ, V, Face à l’illettrisme. Enseigner l’écrit à des adultes, Paris, ESF éditeurs, 1999, pp.30 147 BOUDON, R, L’inégalité des chances, Paris, Hachettes Littératures, Collection Pluriel, 2006, pp. 50

Page 178: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

178

rarement destinée à la vente et ne rapporte pas assez d’argent. La culture de rente précisément le coton est commercialisée, source de revenu. La culture du coton exige entre huit et neuf mois de travail. La crise économique ayant entraîné la chute du prix du coton et la crise socio politique récurrente ont découragé les producteurs. Ils se retrouvent souvent avec leur production non achetée par la société agréée. De cette situation, les producteurs ont tendance à abandonner cette culture pour se reconvertir dans d’autres domaines notamment l’artisanat. Ceux qui ont un niveau scolaire « élevé » comprennent plus ou moins la situation tout en la contournant par l’orientation vers l’artisanat comme on peut le remarquer à travers le tableau. La motivation pour l’artisanat est le fait de son pragmatisme. Les artisans estiment qu’ils ont le résultat de leurs activités à court terme et peuvent changer d’activités ou de marchandises en cas de perte, quand il s’agit de petit commerce. Et ce, contrairement au coton autour duquel gravitent l’incertitude et l’angoisse permanentes d’une éventuelle mévente. L’autre caractère de l’activité artisanale est celui de l’indépendance ou de l’autonomie. Les artisans se sentent plus indépendants dans leurs activités et ont le pouvoir de changer de localité par rapport au marché ou aux potentielles activités économiques qui se présentent : Tel est le cas de certains de nos enquêtés qui ne sont pas autochtones mais sont sur le champ d’études en fonction de leurs activités. Or, l’achat du coton dépend d’une seule société multinationale qui fixe le prix et qui peut ou ne pas l’acheter. La situation devient complexe quand le coton n’est pas acheté. Car pour les aider dans la culture du coton, certains producteurs s’endettent pour financer les « Ndéfi » ou « Gbessi » qu’ils organisent. Ces dettes sont remboursées en général après le marché du coton. Mais en cas de mévente, les producteurs débiteurs doivent trouver d’autres sources financières pour le remboursement des dettes. Sinon c’est une source de conflit. Les enquêtés « sans activité » sont ceux qui ont un niveau scolaire compris entre le CP et le CM1. Ils sont localisés davantage dans les centres urbains en quête d’un emploi ou d’un hypothétique apprentissage ou d’une formation professionnelle. Certains sont originaires de ces centres urbains, d’autres par contre viennent des villages environnants. Cette catégorie est très mobile, prise dans un engrenage de recherche de bien-être, espère toujours un avenir radieux en ville, qu’elle ne veut surtout pas s’engager pour le travail de la « terre », qu’elle sous estime d’ailleurs. L’attente étant toujours longue, elle est soumise aux aléas politiques. Certains, dans un passé récent, ont été enrôlés dans la rébellion, pour finalement être relâchés pour niveau scolaire

Page 179: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

179

insuffisant permettant d’incorporer l’armée nationale. Ce dernier cas confirme l’hypothèse selon laquelle : « …les déscolarisés ont à la fois plus de probabilités de

s’engager dans un comportement antisocial au moment de leur sortie de l’école et de

persister tout au long de leur vie adulte»148 Enfin les ouvriers, rappelons-le, ont un niveau de CP-CE1 et travaillent essentiellement dans les centres urbains, soit dans l’unique usine d’égrenage de coton soit chez les particuliers en tant que domestiques et à l’hôpital régional comme brancardier. Les caractéristiques des enquêtés étant précisées, nous allons présenter les causes qui, selon les enquêtés, ont été déterminantes dans leur décision à abandonner l’école. Nous reviendrons également sur le faible niveau scolaire quand nous aborderons les conséquences des abandons scolaires. 4.2 Le système éducatif comme une cause des abandons scolaires Nous avons retenu plusieurs variables pour aborder cette hypothèse. Certaines de ces variables n’ont pas été retenues, compte tenu de leur non implication dans les abandons scolaires selon nos enquêtés. Ce sont, rappelons-le, la langue de l’enseignement, le programme scolaire et les grèves des élèves et étudiants. En effet, le français demeure la langue de l’enseignement en République Centrafricaine. Cette langue est la seule qui distingue celui qui a été à l’école de celui qui n’a jamais fréquenté l’école. C’est un symbole de distinction sociale et de privilège. Les parents tout comme les élèves eux-mêmes sont conscients de cette réalité sociologique conditionnée par le contexte centrafricain. La négation de la langue ou des langues locales dans l’enseignement est un phénomène qui a pris son encrage depuis la période de colonisation dont nous avions évoqué les tenants et les aboutissants ci-dessus. La République Centrafricaine est l’un des rares pays africains à avoir une langue nationale le Sango, parlée par tout centrafricain. Mais la réticence ou même la résistance est de taille quand il s’agit de l’introduction de cette langue dans l’enseignement. Les différentes réformes du système éducatif en ont fait allusion. Seulement les enseignants ne sont pas prêts à s’engager dans une langue dont ils estiment avoir des difficultés de traduction de leurs matières. Néanmoins cette langue est étudiée en tant que matière à l’université en lettres modernes et dans les centres d’alphabétisation en milieu rural.

148 GLASMAN, D, OEUVRARD, La déscolarisation, opcit. pp.61

Page 180: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

180

Nous avions constaté que cette tradition linguistique a marqué fortement nos enquêtés qui ne peuvent laisser entrevoir que les abandons scolaires peuvent aussi résulter de la langue de l’enseignement. Le programme scolaire relève des instructions officielles de l’éducation nationale qui définit le contenu pédagogique en fonction du niveau scolaire et éventuellement des besoins du pays. Dès lors, rares sont les enseignants qui contestent ce programme. Encore moins les élèves qui eux « subissent » pour finalement trouver « normal » le programme. En parcourant les différents manuels utilisés jusqu’ici, on se rend compte de son incompatibilité par rapport à l’environnement sociologique de l’élève. Il n’est pas rare de retrouver des mots « incongrus » comme le train alors qu’il n’y a jamais eu de train en Centrafrique, neige, alors qu’il n’y a jamais eu de neige, pomme alors qu’il n’y a jamais eu de plantation de pommiers etc. On peut noter également des personnages dans les manuels de lecture comme Mamadou et Bineta qui sont des noms de l’ouest africain à dominance musulmane alors que Centrafrique est à dominance chrétienne et animiste. Certes, ces mots et personnages peuvent aider à l’ouverture d’esprit de l’écolier, mais nous estimons tout de même que cela paraît trop tôt à cet âge qui nécessite un apprentissage par des choses concrètes. D’où l’abstraction dans l’enseignement de certaines matières qui se résume à une représentation vague de la chose car la majorité des enseignants eux-mêmes n’ont jamais vu le train, la neige et ne s’appellent ni Mamadou ni Bineta etc. Il y a eu des « corrections » des manuels scolaires mais celles-ci demeurent insuffisantes et disparates vu la diversité géographique du pays. Il y trois zones climatiques avec des cultures différentes. Alors un écolier du nord ne connaîtra pas nécessairement le caféier, la banane plantain, l’avocat etc., par rapport à celui du sud qui ne connaîtra pas forcément le coton, le mil… L’ambiguïté de ces manuels abstraits, est que les élèves sont résignés à apprendre dans l’abstraction qui, finalement est une habitude feutrée s’installant dans l’enseignement en Centrafrique. Comme conséquence, nos enquêtés ne peuvent pas remarquer que le programme scolaire peut être l’une des causes des abandons scolaires. Mais quels sont les facteurs déterminants issus du système éducatif qui font partie des causes des abandons scolaires de nos enquêtés ?

Page 181: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

181

Tableau 22: Système éducatif et les abandons scolaires Réponses à la question : Aviez-vous quitté l'école à cause, aussi, du système éducatif notamment :

Système éducatif

Nb. cit. Fréq.

Rigueur de l'école 8 13,3% Rigueur des enseignants 4 6,7% Coût de la scolarité 14 23,3% Distance 4 6,7% Irrégularité des enseignants 2 3,3% Manque de places assises 3 5,0% Fermeture de classes 15 25,0% Fermeture d'école 7 11,7% Autres 3 5,0% TOTAL OBS. 60 100%

Source : Enquête de terrain 2004 Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 60 observations.

Système éducatif

Rigueur de l'école 8

Rigueur des enseignants 4

Coût de la scolarité 14

Distance 4

Irrégularité des enseignants 2

Manque de places assises 3

Fermeture de classes 15

Fermeture d'école 7

Autres 3

De ce tableau on peut constater que 25% des enquêtés jugent que la fermeture de classes est beaucoup plus à l’origine de leur abandon scolaire. La fermeture de classes est le fait qu’un élève en situation scolaire normale, admis en classe supérieure ou non, sans intention d’abandonner l’école, du moins pour l’instant, se retrouve en cours de l’année ou en début d’année scolaire sans scolarité. Ce, par le fait qu’un enseignant n’a pas regagné son poste et qu’il n’a pas eu d’autres alternatives. 23% des enquêtés estiment que le coût de la scolarité est l’une des causes principales de leur défection scolaire. Rappelons que les fournitures scolaires ne sont pas gratuites et les parents ne reçoivent pas d’aide de l’Etat à cet effet. Même si l’école reste gratuite, elle demeure coûteuse quant il s’agit de la prise en charge de fournitures scolaires et vêtements par les parents qui généralement vivent dans une précarité. Plus de 13% trouvent que la rigueur de l’école a influencé aussi leur décision à arrêter leur scolarité. Nos enquêtés vivant dans la plupart des cas en milieu rural. Les activités économiques sont diversifiées selon les saisons. C’est pendant la saison sèche, qui est une période scolaire, qu’il y a le plus d’activités mobilisant les adultes comme les

Page 182: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

182

enfants qui sont également des écoliers comme en témoigne cet enquêté : « c’était la période de cueillette du coton, notre plantation se trouvait à 10 Km environ, il n’y avait personne chez qui rester, alors nos parents nous ont tous amenés avec eux. Nous avions passé près de deux mois sur la plantation. A mon retour à l’école j’ai été radié tout comme mon frère… ». Pour un autre enquêté «…on était parti avec mes parents pour un campement de chasse pendant plus de trois semaines et de là-bas j’ai appris par mes camarades de classe, qui arrivaient pour les vacances de noël dans le camp d’à côté avec leurs parents, que si je ne me présente pas au mois de janvier, je serai exclu… ». Ces cas sont des problèmes auxquels l’administration scolaire est souvent confrontée à la même période. C’est une période comprise entre novembre et mars où il y a un fort taux d’absentéisme comme le souligne cet enquêté «…à la maison, nous nous sommes organisés avec mon frère pour amener le bétail au pâturage. Donc on doit s’absenter de l’école à tour de rôle ; il y a un nombre d’absences qu’on ne doit pas dépasser par mois à l’école. Alors nous avons épuisé toutes nos « cartouches », nous sommes tous exclus ; on n’était que deux, ma sœur ne pouvait pas travailler avec nous, alors elle a continué sa scolarité jusqu’aujourd’hui ». Près de 12% des enquêtés soulignent la fermeture d’école comme l’une des causes de leur abandon scolaire. La fermeture d’école est le fait qu’une école à cycle complet ou incomplet ayant fonctionné l’année ou les années scolaires précédentes, ferme ses portes en cours d’une année scolaire ou à la rentrée scolaire suivante avec une possibilité de réouverture. Ce, par le fait du manque de personnel enseignant, dégradation avancée des infrastructures scolaires, nombre insuffisant d’élèves etc.,laissant ainsi les écoliers en cours de scolarisation sans scolarité. La fermeture d’école est un phénomène présent, dans la région de l’Ouham, qui a affecté la plupart de nos enquêtés comme en témoigne cette enquêtée «…j’aimais l’école, mes parents aussi. J’avais tout ce qu’il fallait, et à la rentrée, on a attendu jusqu’au mois de décembre. Et après on nous apprend que notre école est fermée parce que tous les enseignants sont restés à Bangui pour leur salaire. Après je n’avais plus envie de continuer quand elle fut ré ouverte deux ans plus tard ». Près de 8% déplorent la rigueur des enseignants qu’ils jugent non flexible. Selon les enquêtés la rigueur des enseignants se confond avec l’abus d’autorité comme le souligne cet enquêté : « mon maître ne supportait pas que je ne récitais pas bien certaines leçons, alors il me battait à chaque erreur, d’ailleurs, je n’étais pas le seul, toute la classe subissait le même sort ! Je voulais fuir l’école mais ma mère me

Page 183: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

183

ramenait à chaque fois. Quand mon maître m’a blessé à la tête j’ai abandonné et finalement ma mère a compris... Je n’étais pas si mauvais que ça à l’école ! ». Pour une autre enquêtée : « J’arrivais souvent en retard de 5 à 10 minutes et j’étais toujours refusée de rentrer en classe. Et un jour mon maître m’a dit : inutile de venir m’embêter si tu arrives en retard. Comme je savais que je ne serai jamais à l’heure, vu que tous les matins je dois faire 8 Km pour chercher de l’eau pour la famille, car ma mère est aveugle, avant d’aller à l’école, j’ai pris ma décision d’arrêter de moi-même. » Près de 8% estiment que la distance comptait à l’origine de leur abandon scolaire. La moyenne de distance d’une école à l’autre avoisine les 15 Km149. L’âge de certains enquêtés comme nous l’avions déjà souligné, ne leur permet pas de parcourir des distances importantes pour leur scolarité. Surtout s’ils n’ont pas un aîné encore écolier qui pouvait les protéger comme en témoigne cet enquêté : « …j’allais à l’école avec mon grand frère qui était au CM2. L’école était à onze (11) km. Quand mon grand-frère a obtenu son concours d’entrée en 6ème (Collège), il est parti à Bossangoa. Alors j’y allais avec les autres enfants du village voisin, jusqu’au jour où je me suis bagarré avec un du groupe, là ses frères ont juré d’avoir ma peau sur la route de l’école, j’ai pris peur et j’ai abandonné… ». Un autre problème relatif à la distance que nous n’avions pas prévu sur le questionnaire est celui de l’insécurité. Rappelons que la région de l’Ouham était le théâtre des affrontements militaires liés à une rébellion déclenchée en 2002. Certains rebelles délaissés se sont transformés en « coupeurs de route » communément appelé « Zaraguina » et de rançonneurs faisant régner la terreur sur la région et ce, jusqu’aujourd’hui. Selon cet enquêté : «… j’étais au CM1 quand la rébellion a commencé (…), nous étions envahis et notre école était devenue le logement des rebelles. Quand ils étaient délogés, il n’y avait plus d’enseignants, tous ont fuit. L’école qui fonctionnait était dans un autre village à 12 Km de là. Mes parents souhaitaient que j’y aille, moi-même aussi d’ailleurs, mais sur la route les rebelles ne laissaient personne passer. Ils les emprisonnaient ou les tuaient. Alors j’ai arrêté, je fais autre chose…». 5% des enquêtés ont pour leur part déclaré que le manque de places assises a aidé leur décision à quitter l’école : «…nous étions six (6) pour un table banc dont quatre peuvent s’asseoir s’ils arrivent à l’heure, et les deux autres doivent rester debout ou se bagarrer pour ôter la place à celui qui était là avant. Je ne pouvais pas suivre ce

149 Carte scolaire : Circonscription scolaire de l’Ouham, Rapport d’inspection, 2000 pp.12

Page 184: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

184

rythme jusqu’au bout. Surtout qu’il nous arrive de continuer la bagarre pendant la récréation ou sur la route de retour… » Les « autres » représentent les 5%. Ils estiment qu’ils n’aimaient pas l’école. Enfin les plus de 3% déplorent l’irrégularité des enseignants. L’irrégularité se distingue des grèves des enseignants du fait que l’enseignant peut s’absenter sans raison valable. Au vu de ce qui précède notre hypothèse concernant le système éducatif comme l’une des causes des abandons scolaires dans la région de l’Ouham peut être confirmée. Ceci va de l’organisation scolaire aux moyens mis en œuvre pour sa réalisation. Cette situation confirme la thèse avancée par R. Bourdoncle ; L. Demailly : « Les différentes

institutions de transmission de savoirs connaissent une forte déstabilisation. Celle-ci

n’affecte peut être pas leurs fonctions sociales fondamentales et notamment leur rôle

éminent dans le processus de reproduction sociale, mais elle touche à coup sûr leurs

missions, leur fonctionnement en tant qu’organisations, la division du travail

d’éducation et sa régulation, les mythes mobilisateurs, les pratiques professionnelles et

les métiers eux-mêmes »150. Mais le système éducatif est-il la cause suffisante des abandons scolaires ? 4.3 Les crises sociopolitiques, la religion et les abandons scolaires La République Centrafricaine a connu presque toutes les formes de conquête de pouvoir politique : Indépendance, démocratie, coups d’Etat, Empire comme souligné précédemment. Ces différents changements de régime ne se sont pas sans conséquences sur le système scolaire, nous l’avions déjà souligné. Nous avions utilisé certaines variables qui nous ont aidé à approcher cette problématique de crise politique dans le processus des abandons scolaires ce qui nous intéresse ici. Certaines variables notamment la grève des élèves et étudiants initialement prévues n’ont pas été considérées par les enquêtés pour des raisons suivantes : les grèves des élèves et étudiants sont des phénomènes qui touchent exclusivement la capitale et rarement les provinces et ce, depuis 1979 où les mouvements étudiants étaient encore actifs sur tout le pays. Dans le cas présent, il peut y avoir des grèves des élèves et étudiants dans la capitale mais tant que les enseignants ne sont pas en grève, les cours se déroulent normalement en province. Nos enquêtés n’estiment pas mettre à l’actif des grèves des élèves et étudiants comme une des causes des abandons scolaires.

150 BOURDONCLE, R., DEMAILLY, L, Les professions de l’Education et de la formation, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1998, (Métiers de la formation) pp.7

Page 185: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

185

Pourquoi avions-nous choisi les grèves aussi bien des élèves et étudiants que des enseignants ? En effet, le contexte centrafricain nous a aidé à comprendre que la grève peut présenter deux aspects : - Un aspect syndical se résumant aux revendications des droits, - Un aspect politique qui peut partir du premier aspect aux revendications politiques pouvant déboucher sur un changement de gouvernement ou de régime. Ce préalable nous a permis de retenir comme paramètre important, les grèves des enseignants dans la recherche des causes des abandons. Enfin nous avions également constaté l’émergence du syncrétisme religieux en Centrafrique et nous avons essayé de vérifier si ce phénomène a des implications directes sur les abandons scolaires.

Tableau 23: Les crises sociopolitiques, religion et les abandons scolaires Réponses à la question : Aviez-vous quitté l'école à cause, aussi, des crises sociopolitiques et votre religion notamment :

Politique et Religion

Nb. cit. Fréq.

Les crises ou changements politiques 35 58,3% Grèves des enseignants 19 31,7% Grèves des élèves et étudiants 0 0,0% le mouvement religieux 3 5,0% Autres 3 5,0% TOTAL OBS. 60 100%

Source : Enquête de terrain 2004 Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 60 observations.

Politique et Religion

Les crises ou changements politiques 35

Grèves des enseignants 19

Grèves des élèves et étudiants 0

le mouvement réligieux 3

Autres 3

De ce tableau, il s’avère que plus de 58% des enquêtés estiment que les crises politiques avaient eu des implications sur leur décision à quitter l’école. Les crises politiques récurrentes en Centrafrique contraignent souvent à l’arrêt systématique du fonctionnement scolaire ; et ce, quelque soit la forme de prise de pouvoir. Le lendemain des coups d’état manqués ou réussis en Centrafrique est une période de traumatisme, de confusion et d’immobilisme de l’Etat. Cela peut déboucher de la « chasse aux sorcières » qui est un règlement de compte politique ou tragique, aux bavures incommensurables touchant de près ou de loin les innocents qui peuvent être

Page 186: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

186

des enseignants, parents d’élèves et élèves. Parmi les coups de d’Etat manqués celui d’octobre 2002 a eu des conséquences néfastes dans la région de l’Ouham. Le retrait des rebelles en cause, a débouché sur le choix de la région de l’Ouham comme base arrière pour se réorganiser. Le mois d’octobre, mois du coup d’Etat manqué coïncidait avec la rentrée scolaire, celle-ci s’est vue reportée à plusieurs mois selon que les écoles étaient assiégées, libérées ou non. D’ailleurs cette partie du pays n’était plus sous contrôle du pouvoir central. Nos enquêtés, surtout les plus jeunes encore scolarisés à cette période, sont touchés par cette rébellion : « …nous ne savions où aller, d’ailleurs nous ne sommes pas autorisés à sortir du village au risque de trahir leur position. Ils nous comptaient trois ou quatre fois par jour ! Nous sommes soumis à travailler pour eux dans notre propre école… et puis je n’avais plus envie de reprendre l’école…». Cette situation témoigne à suffisance dans quelle condition psychologique la population et les écoliers en particulier ont vécu. Travailler dans leur propre école était le quotidien des écoliers des villes et villages assiégés, surtout ceux qui n’ont pas pu déguerpir avant l’arrivée des rebelles. Certains enquêtés sont passés de petites corvées au maniement d’arme et finalement à l’enrôlement intégral dans la rébellion : « Même si je n’avais que 1 3 ans à l’époque, c’était la seule solution d’être en sécurité et de protéger ma famille. Tout le monde nous suspectait (...). Le gouvernement pensait qu’on hébergeait les rebelles et ceux-ci pensaient qu’on trahissait leur position au gouvernement (…) ; alors je me suis engagé pour avoir une arme à moi. Après tout le chef de la rébellion était de la région et quoi qu’on fasse le gouvernement ne nous comprendra jamais… ». Ce témoignage traduit la confusion réelle d’incrimination des innocents au conflit dont peinent à comprendre les mobiles sous-jacents, et par conséquent ne savent comment justifier leur position par rapport à la situation, et optent pour une solution stratégique désespérée, ne fusse que pour se protéger. Cet enquêté même s’il reprenait l’école, ne sera pas comme les autres élèves. Il a connu la violence, son adolescence affectée dès lors il développera des comportements perturbateurs probables au sein de l’institution scolaire dans un contexte où l’aide psychologique est méconnue. L’utilisation des locaux scolaires par les rebelles a fortement marqué les esprits des écoliers comme nous lâche cet enquêté : « …on a tellement vu et vécu ce qui s’est passé dans notre école qu’on avait plus envie d’y retourner pour une raison quelconque. Si ça ne tenait qu’à moi, on devrait brûler l’école. ». Cet avis est unanimement partagé par certains enquêtés, marqués par l’éducation traditionnelle, qui considèrent un lieu d’apprentissage comme un sanctuaire

Page 187: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

187

et par conséquent ne doit pas faire l’objet de souillures ou d’acte de vandalisme. Nous n’avons pas eu d’enquêté qui était victime de violences sexuelles de la part des rebelles ayant motivé sa décision de quitter l’école. Néanmoins certains affirment avoir été témoins de violences physiques et d’assassinats : « …Un Monsieur passait par là à bicyclette, il ne savait pas qu’ils étaient là (…). Ils l’ont arrêté, il a refusé d’obtempérer, ils ont fait un tir de sommation (…). Ils l’ont retenu et battu…et leur chef leur a dit d’en finir, ils l’ont abattu de trois tirs. Après, ils nous ont demandé de l’enterrer (…). ». Ce cas était fréquent, jusqu’ici on n’a pas pu établir avec exactitude le nombre de victimes à imputer à cette rébellion. Ce qu’on a pu constater est que ces victimes sont dans la plupart des cas des parents d’élèves. Leur disparition tragique imputée aux crises politiques peut compromettre l’avenir scolaire, déjà incertain, de leur progéniture. La rébellion a contraint une partie de la population à s’enfuir en « brousse » dans la région elle-même ou à se réfugier au Sud du Tchad. A la fin des hostilités en mars 2003, certains déplacés sont revenus, d’autres par contre sont restés en « brousse » ou au Tchad. Certains de nos enquêtés font partie de ceux qui se sont enfuis en « brousse ». Ceux-ci ont vécu dans une inquiétude permanente d’être localisés soit par les rebelles soit d’être confondus à ces derniers par l’armée gouvernementale comme nous le souligne cette enquêtée : «…la situation était si inquiétante et incertaine que je ne pensais même pas à l’école… ma démotivation est partie de là… ». Ne plus penser à l’école était le leitmotiv de la plupart des enquêtés à cette période. La gestion quotidienne de cette peur et l’immobilisme de l’Etat dans la gestion de la situation, a ôté aux enquêtés toute possibilité d’entrevoir un avenir scolaire déjà aléatoire par le passé. L’organisation des élections, comme nous l’avons déjà évoqué, mobilise tout le pays et affecte toutes les institutions notamment éducatives comme en témoigne cette enquêtée : « j’ai été démotivée dès 1993. A l’annonce des élections en pleine année scolaire, mon maître s’est déclaré candidat à la législative. Alors il ne venait plus à l’école. Le directeur venait de temps en temps nous enseigner et après il a arrêté (...). Mon maître est revenu à un mois seulement des examens de passage. J’ai échoué à l’examen et l’année suivante je n’avais plus envie de continuer… ». La dépréciation du métier enseignant en Centrafrique canalise les enseignants à chercher d’autres possibilités valorisantes et reconnues. Par manque de plan de carrière professionnelle probant dans ce corps de métier, les enseignants se lancent généralement dans la carrière politique. Le déficit en enseignants, déjà évoqué, n’est plus à rappeler, et ce

Page 188: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

188

sont les élèves qui subissent les conséquences en étant orientés vers la porte de sortie du système scolaire dû à ce mécanisme institutionnalisé. En revanche nous dégageons quelques pistes causales de ce déficit en enseignants, lesquelles causes sont caractérisées par la situation politique. Nous avions constaté que chaque élection en Centrafrique affecte le système scolaire de trois manières :

- La mobilisation des enseignants en tant que lettrés pour son organisation. Certains feront partie du bureau central de la commission électorale. D’autres seront présidents des bureaux de vote, assesseurs etc.

- Les enseignants candidats - Les enseignants directeurs de campagnes des candidats en lice ou présidents de

fédération des partis politiques en compétition. Nous ne reviendrons pas sur la période électorale où le fonctionnement du système scolaire est quasi nul mais plutôt sur la période post électorale. La période post-électorale est une période de partage du « gâteau » ou tout simplement de récompense. Ceux qui sont élus quitteront avec soulagement la « cynique » salle de classe et l’ingrat métier d’enseignant comme témoigne cet enquêté : « …en 1997, j’étais encore à l’école ; quand mon maître fut élu député, il était venu nous dire au revoir. A la fin il nous a souhaité bon courage, mais lui, il a juré devant ses collègues enseignants, qu’il ne reviendra plus jamais ici…». Dans la plupart des cas, effectivement ils n’y reviendront jamais même s’ils perdent leur mandat électif. Ils auront profité de leur mandat pour renforcer leur réseau de relations et assurer une fonction honorable dans l’administration et non repartir « tenir la craie » qui désormais n’est qu’un mauvais souvenir et une erreur d’orientation dans leur trajectoire professionnelle à ne plus refaire comme nous le confirme la thèse de R. Bourdoncle ; L. Demailly : « …l’ébranlement de l’identité professionnelle des transmetteurs, alimentée à la fois

par ce flou des missions, le sentiment d’impuissance et de culpabilité devant les

aspects inefficaces du travail, le sentiment que la société vous demande de devoir

changer de métier, d’exercer un métier qui n’est plus exactement celui que l’on avait

choisi et dont on pouvait en être fier »151. Les enseignants qui ont été représentants des partis politiques ou directeurs de campagne vont brandir leur « travail de terrain » qui a porté ses fruits en remportant la

151 BOURDONCLE, R., DEMAILLY, L, Les professions de l’Education et de la formation, opcit. pp.12

Page 189: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

189

présidentielle ou la législative152au nom de leur parti. Dès lors il faut les « nommer ». Les nominations vont enfin tomber ; certains seront ministres, chefs de cabinet, directeurs de cabinet, conseillers à la présidence ou à la primature, chefs de service etc., vidant ainsi l’effectif des enseignants déjà insuffisant. Signalons que la période post-électorale ne fait pas que des heureux. Ceux qui ont perdu les élections et ceux qui n’ont pas été récompensés vont se plonger dans une frustration inouïe. L’indigestion de la défaite pour les uns et l’ « ingratitude » pour les autres deviennent insurmontables. L’espoir, de voir leur quotidien s’améliorer par la piste politique, est réprimé sévèrement. De là, naissent des revanches politiques indirectes à travers les abandons de postes, grèves illimitées etc., comme conséquences, ce sont les élèves dont ils ont la charge qu’ils conditionnent à quitter le système scolaire. Cependant 31% considèrent la grève des enseignants comme l’une des causes des abandons scolaires. La grève des enseignants est le quotidien des élèves centrafricains. Et ce, depuis plus de deux décennies. Son impact est plus important sur le fonctionnement du système scolaire déjà précaire occasionnant des années blanches et finalement des abandons scolaires dans certains cas, comme le souligne cette enquêtée : «C’était en 1991, on avait terminé presque l’année quand les enseignants ont déclenché leur grève. Donc on n’a pas pu passer l’examen et on a déclaré l’année blanche. L’attente de la rentrée suivante était longue ; jusqu’en janvier. Entre temps je me suis occupée à faire du commerce, j’y ai pris goût, ce qui m’a démotivé (..). ». Ce qui est important de souligner de ce témoignage est le facteur examen. En effet, rappelons-le, la validation d’une année scolaire est conditionnée par un examen de passage. L’obtention de cet examen permet à l’écolier de passer en classe supérieure et ce, du CI au CM2. L’échec à cet examen nécessite un redoublement. Cet examen fait office de reconnaissance symbolique de la part de l’écolier lui-même, de ses parents et de la communauté globale. De la même manière que la cérémonie de sortie du camp d’initiation, déjà évoquée, la proclamation de l’examen de passage est public. Tout le monde y est invité. C’est un grand jour ; c’est le seul jour de l’année où l’école peut parvenir à réunir presque tous les parents. La proclamation se fait nommément et chaque admis se présente sur l’estrade aménagée à cet effet pour être vu et reconnu de tous, preuve qu’il est réellement admis en classe supérieure. Les parents, même analphabètes, savent exactement à quel niveau scolaire est ou sera leur enfant l’année prochaine. Ils ont une technique à eux pour

152 Depuis le15 mars 1981, il n’y pas eu d’élection municipale.

Page 190: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

190

déterminer la classe de leur enfant; qu’il qualifie selon leur technique, de maison: Maison1 signifie CI, maison2 signifie CP ; maison3 signifie CE1 etc. L’autre aspect évoqué par cette enquêtée est celui de « je me suis occupée à faire du commerce ». Que ce soit les grèves illimitées ou les années blanches, c’est toujours une occasion aux abandons scolaires. Les écoliers étant scolairement démobilisés se valorisent dans d’autres activités surtout génératrices de revenus. Certains intégreront les activités des parents et créeront des habitudes à ces derniers qui finalement, en cas de reprise de cours, auront du mal à accepter le départ de leur enfant qui créera un déséquilibre ou un manque à gagner dans leurs prévisions. Certains vont se valoriser, à leur propre compte, dans le secteur informel notamment le commerce. De là, ils vont se professionnaliser dans un domaine et avoir un métier. Enfin, le goût de ce métier aidant, ils n’auront pas envie de retourner à une école incertaine. Même si certains parviennent à reprendre l’école, ils vont « zapper » entre celle-ci et le poids de leurs activités parallèles et informelles qui finit parfois de le remporter sur l’école. Et 5% estiment que la religion est l’une des causes de leur déscolarisation. La recrudescence des sectes religieuses a trouvé un terreau favorable en Centrafrique. Ce terreau n’est autre que la pauvreté dans laquelle se trouve la population centrafricaine et la région de l’Ouham en particulier. Vivant dans un désespoir du lendemain meilleur, elle est soumise et s’accroche à tout ce qui peut donner l’espoir ne fut-ce que dans « l’au-delà » lui-même incertain. Présentes dans les grands centres urbains, ces sectes commencent à s’installer progressivement en milieu rural, dominant ainsi les religions « traditionnelles ». Les religions traditionnelles, ce sont l’animisme, l’islam et le christianisme. La dernière religion, dans ses principes, prône la scolarisation qui lui fournit des fidèles aptes à lire la bible. Cependant, au niveau organisationnel, il y l’église catholique et l’église protestante. Elles ont en leur sein des mouvements de la jeunesse comme le « flambeau » et « Lumière » pour les protestants, le « Scoutisme » et le «Guidisme » pour les catholiques. Ces mouvements connaissent parfois des dérives imputables aux causes des abandons scolaires. Les activités de ces mouvements sont intensives en périodes scolaires. Elles peuvent aller du nettoyage de l’église à la préparation de crèches et autres fêtes ou cérémonies religieuses, aux activités génératrices de revenus pour renflouer leur « caisse » ou trésorerie comme nous l’affirme cet enquêté : « Quand j’étais louveteau, j’allais encore régulièrement à l’école jusqu’au moment où je suis devenu scout ; et j’ai commencé à m’absenter pour des réunions et le travail temporaire rémunéré pour la caisse de notre

Page 191: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

191

mouvement… ». Tout ce temps consacré aux activités de leur mouvement ne permet pas une scolarité suivie. En revenant sur les sectes, celles-ci tiennent un autre discours, celui de la négation de la vie concrète ou matérielle parmi laquelle la scolarisation. Car pour ces sectes tout est « vanité », en s’attaquant ou accusant les autres religions de ne pas vivre l’évangile comme il est écrit. Elles s’appuient sur la population locale parmi laquelle les jeunes, par la déstructuration des mœurs locales et la scolarisation et n’hésitent pas à honorer les adeptes par des titres des personnages bibliques comme apôtres, prophètes, pasteurs itinérants, évangélistes etc. Pris dans cette « reconnaissance sociale » flatteuse, que la population n’aura pas dans l’organisation sociale classique, certains enquêtés ont dû multiplier des absences pour se consacrer à « plein temps », comme ils le disent eux-mêmes, aux sectes : « …J’étais au CE2 quand l’église apostolique s’est installée. Mes parents commençaient à y aller et finalement ils nous ont tous amenés avec eux. Après, le pasteur a eu une révélation comme quoi, je serai un bon serviteur. Après ils m’ont proposé de suivre la formation des pasteurs et maintenant c’est moi qui dirige l’église. ». Ce cas de figure touche même les diplômés désoeuvrés qui s’y engagent soit dans le but de rencontrer une personnalité influente pouvant les aider à obtenir un emploi, soit qu’ils y vont pour devenir le responsable local de la secte et ainsi peuvent vivre des aumônes des adeptes. C’est une situation complexe qui s’apparente avec la recherche d’une autre identité et reconnaissance sociales. L’impuissance de l’Etat à faire face aux problèmes de chômage, de santé, d’éducation... oriente la population centrafricaine à trouver la solution dans ces sectes qui font figures de services publics. Puisqu’elles sont censées produire des miracles : la guérison des malades que l’hôpital classique ne peut assumer : « … la plupart des

systèmes thérapeutiques se revendiquant chrétiens prétendent que la conversion est

à la fois la cause et l’aboutissement de la guérison »153 L’engouement à ces sectes traduit le besoin de protection sociale que l’Etat, encore une fois de plus, n’assume pas efficacement. Le besoin d’écoute et de partage de difficultés personnelles soumis à la communauté sectaire qui trouve des solutions tant spirituelles que matérielles de fois, justifie en partie ce cortège de désespérés précarisés qui y afflue. Enfin 5% attribuent leur situation à d’autres causes non prévues dans le questionnaire comme le découragement et le manque de motivation pour l’école.

153 TOBIE, N, Nous ne sommes pas seuls au monde : Les enjeux de l’ethnopsychiatrie, Paris, Seuil, 2007, pp. 148

Page 192: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

192

En somme les crises sociopolitiques et la religion ont une influence notable sur la décision de continuer ou d’abandonner l’école. Certains de nos enquêtés ont été influencés par cette hypothèse qui s’avère être vérifiée à travers les données recueillies. Quels sont les autres paramètres pouvant influencer également la décision d’abandonner l’école ?

4.4 Les paramètres socioéconomiques comme causes des abandons scolaires La crise socioéconomique est l’un facteur déterminant dans la poursuite scolaire ou non en Centrafrique. Elle a généré et accentué la pauvreté et ce, depuis plus de deux décennies. L’absence d’investissement en infrastructures sociales notamment éducative et sanitaire a contraint la population centrafricaine dans une précarité sans précédent. Comme conséquences, une population sous scolarisée avec une santé aléatoire. Pour contourner cette situation, des stratégies de survie se créent au détriment de la scolarisation, qui de toute façon, s’avère coûteuse. Nous avions relevé certaines variables, déjà évoquées dans la problématique, qui nous ont aidé à comprendre en quoi cette hypothèse serait déterminante dans la recherche des causes des abandons scolaires. Aussi nos enquêtés nous ont laissé entrevoir en quoi cette hypothèse était beaucoup plus pesante sur leur décision à abandonner l’école.

Page 193: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

193

Tableau 24: Paramètres socioéconomiques et les abandons scolaires Réponses à la question : Aviez-vous quitté l'école à cause, aussi, de problèmes socio économiques notamment :

Economie et Social

Nb. cit. Fréq.

Santé 2 3,3% Activités génératrices de revenus 10 16,7% Mariage 4 6,7% Difficultés scolaires 3 5,0% Héritage traditionnel 3 5,0% Manque de fournitures scolaires 23 38,3% Aide à la famille 6 10,0% Décès des parents 9 15,0% TOTAL OBS. 60 100%

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 60 observations.

Economie et Social

Santé 2

Activités génératrices de revenus 10

Mariage 4

Difficultés scolaires 3

Héritage traditionnel 3

Manque de fournitures scolaires 23

Aide à la famille 6

Décès des parents 9

L’ampleur de la situation des abandons scolaires en Centrafrique se mesure par la pauvreté de la population qui ne peut assurer le minimum de fournitures scolaires. Ainsi plus 38% des enquêtés estiment que le manque de fournitures scolaires était l’une des causes de leur défection scolaire. Les fournitures scolaires, comme nous l’avions déjà évoqué, coûtent excessivement chères en Centrafrique, pour une population déjà accablée par la pauvreté. Ce coût excessif est dû à l’absence d’entreprises de production et de transformation au niveau national, alors que le pays est exportateur de bois. L’enclavement du pays génère de surcoût à l’importation notamment des fournitures ou manuels scolaires. Les consignes scolaires liées aux renvois fréquents des écoliers pour cause de fournitures scolaires, contraint ces derniers à prendre conscience de la ségrégation scolaire et de leur origine sociale. Dès lors, ils ne se considèrent pas comme responsables de leur acte à abandonner l’école comme nous le témoigne cet enquêté : « …je ne pouvais pas continuer si longtemps dans cette situation. Même si la rébellion m’a obligé plus tard à quitter l’école, j’étais régulièrement mis dehors pour telle ou telle fourniture scolaire... » On note la volonté

Page 194: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

194

réelle à être scolarisés de certains enquêtés. Mais cette volonté s’estompe par différents facteurs notamment la pauvreté. L’école a fait ses preuves et a donné l’espoir à bon nombre de centrafricains, parents et élèves. Cet espoir s’effrite de jour au jour car la pauvreté est là et s’aggrave au quotidien, dépouillant l’école de sa substance de promotion sociale car elle n’a plus les moyens de ses ambitions notamment celles des infrastructures et des fournitures scolaires. Certains enquêtés représentant près de 17% estiment que les activités génératrices de revenus seraient l’une des causes de leur défection scolaire. La crise économique a déstructuré le tissu socioéconomique. L’un de son corollaire, la baisse continue du pouvoir d’achat, dépossède les parents de leur pouvoir et devoir quant à l’éducation de leurs enfants. Ainsi directement ou non, ces enfants sont sollicités à ramener des revenus dans la famille. De là, ce sont des activités parallèles à l’école, qui de toute façon est coûteuse, qui prennent le dessus. Le choix pour certains élèves est toujours difficile à faire entre aider sa famille qui manque de tout et rester à l’école qu’ils aiment, où ils ne sont pas si mauvais, mais qui reste incertaine. Pour cet enquêté : « De CI au CE2, dernière classe que j’avais quittée, j’étais toujours premier de ma classe, j’étais encouragé par les enseignants et même le directeur. Après c’était difficile à vivre car mon père n’avait plus d’argent à cause des arriérés de salaires, on avait rien à manger. Alors j’ai commencé à m’absenter pour vendre des sachets au marché. Ca nous a aidés à survivre. La grève illimitée des enseignants et la rébellion m’ont poussé à rester au marché pour aider ma famille. Mon père n’était pas d’accord mais, il ne pouvait pas faire autrement vu la situation dans laquelle nous vivions. Peut être je reprendrai un jour le chemin de l’école… ». Ce cas explique le désarroi et le regret de certains enquêtés qui ont cru en l’école mais ont dû la quitter involontairement pour des raisons évoquées. Ces activités parallèles à l’école que sont généralement la vente à la sauvette que les enquêtés qualifient de « Boubanguéré » qui signifie « casser les prix », est l’ultime recours des déscolarisés pour se valoriser et justifier en même temps leur défection scolaire et éviter toute reproche. Aussi ces activités permettent aux déscolarisés d’ « acheter » le pouvoir d’éducation aux parents déjà démunis rendant leurs enfants des « adultes précoces » de leur vivant, par cet inversement de rôle. Cependant nous avons constaté deux cas des enfants qui sont « adultes précoces » : Ceux qui ont perdu tous les parents et qui se sont vus devenir responsables de leurs frères et sœurs en leur assurant le quotidien : c’est le cas des orphelins du SIDA que nous allons développer ci-dessous. Enfin ceux qui, en plus de

Page 195: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

195

leurs frères et sœurs, ont encore leurs ou l’un des parents en vie mais qui n’ont pas de moyens pour subvenir aux besoin de leur progéniture. 15% des enquêtés considèrent que le décès de leurs parents serait l’une des causes de leurs abandons scolaires. Le rôle des parents dans l’éducation et la scolarisation des enfants en particulier demeure important même s’ils sont pauvres. Le fait que ces enquêtés mettent en cause le décès de leurs parents comme l’une des causes de leur défection scolaire prouve que de leur vivant ils ont assumé l’éducation et la scolarisation de leurs enfants comme l’affirme cette enquêtée : « Nous ne manquions de rien. Chaque rentrée scolaire on avait nos fournitures et de nouveaux vêtements. Nous recevions des cadeaux quand on avait eu nos examens de passage en classe supérieure. Nous étions encouragés ; après leur décès, les choses se sont compliquées… ». La situation des orphelins demeure une situation dramatique. De l’orphelinat classique on assiste aujourd’hui à l’orphelinat dû au SIDA. Certains de nos enquêtés ont perdu leurs parents décédés du SIDA. L’orphelinat classique était encore réparable car les deux parents en général ne peuvent pas mourir simultanément. Le survivant peut, tant bien que mal, s’occuper des enfants et ce, avec l’aide des membres du clan qui, peuvent récupérer certains enfants. Aujourd’hui, les donnes ont changé, il peut arriver que les adultes d’un même clan soient décimés par ce fléau laissant ainsi des enfants qu’on qualifie en des termes génériques stigmatisants d’« orphelins du SIDA ». Même si tout le monde s’émeut et compatit avec ces orphelins, leur prise en charge demeure timide, tant par le pouvoir public que par la communauté elle-même au demeurant pauvre. Comme conséquences, ces orphelins sont les plus touchés par le problème de scolarisation et des abandons scolaires en particulier. Certaines de leurs difficultés s’établissent au moment où les parents commencent à manifester les symptômes de la maladie car ils auront plus besoin de leurs enfants au détriment de leur scolarité. Ce sont les enfants qui désormais vont s’occuper de la famille tant bien que mal. C’est une situation traumatisante pour ces enfants, d’être ainsi confrontés à la gestion des difficultés quotidiennes et de projeter en même temps l’ « après parents» déjà agonisants. 10% des enquêtés justifient leurs abandons scolaires par l’aide à la famille qui serait l’une des causes. L’aide à la famille s’explique exclusivement par des corvées domestiques dûes à un handicap d’un pilier de la famille ou à une maladie comme nous l’avions déjà évoqué, qui nécessite une aide parfois personnalisée. Sa particularité est qu’elle n’est pas souvent prévisible, elle surgit dans la trajectoire de la

Page 196: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

196

vie de l’individu. Dès lors le recours aux enfants demeure la seule solution pour l’aide à la famille dans une société où les structures socio-éducatives sont méconnues comme nous l’atteste cette enquêtée : « …je fréquentais normalement l’école jusqu’au jour où ma mère était devenue aveugle. De là, les choses n’étaient plus comme avant car je devrais l’accompagner partout…». Pour un autre enquêté : « quand mes parents sont tombés malades au même moment, il n’y avait personne pour s’occuper de la maison, j’étais l’aîné. Alors je me suis occupé de tout même après leur décès. Ma scolarité était chaotique car je cumulais trop d’absences…». Ces cas illustrent en partie le problème d’infrastructures sociales évoqué ci-dessus. Dans la région de l’Ouham, il existe un seul centre d’handicapés visuels situé dans un seul centre urbain à Bossangoa. Il aide les aveugles à être autonomes dans leur vie quotidienne sans nécessairement avoir besoin d’un enfant pour les accompagner. Vu le nombre des aveugles, ce centre demeure insuffisant, car c’est la région la plus touchée par ce problème de vue lié à la présence de l’onchocercose qui est un ver qu’on attrape dans la rivière « Ouham » en s’y baignant ou pêchant. L’absence de ce type de centre dans les autres localités rend dépendant les aveugles vis-à-vis de leurs enfants voire de leurs neveux ou nièces qui doivent les accompagner dans les tâches quotidiennes destituant ainsi leur scolarité si jamais ils étaient scolarisés. L’hôpital ou le dispensaire n’est autre qu’un mouroir où les patients ne veulent pas y aller préférant rester chez eux. Comme conséquences ce sont les enfants qui sont mobilisés pour s’en occuper au lieu d’aller à l’école. Près de 7% des enquêtés estiment que le mariage était l’une des causes de leur abandon scolaire. Nous avions observé que le phénomène du mariage précoce affecte aussi bien les filles que les garçons dans la région de l’Ouham et le milieu rural en particulier. En milieu rural, le choix du conjoint demeure, dans la plupart des cas, le devoir des parents qui choisissent la future épouse en fonction du passé des parents de cette dernière. Ce choix s’appuie sur la réputation de la famille donneuse d’épouse, à savoir si elle est une famille travailleuse, de bonnes mœurs etc. De l’autre côté, la famille donneuse d’épouse mènera la même investigation sur la famille du prétendant. Rappelons que le choix de l’épouse se fait à l’état de nourrisson ou au pire des cas à l’état embryonnaire. C'est-à-dire une fois qu’une femme est enceinte, une famille se présente et suggère que si à la naissance c’est une fille, elle sera l’épouse pour son fils ou son neveu etc. Si l’autre famille accepte la suggestion, à ce moment commencent les fiançailles exclusivement entre les adultes des deux familles. Les prétendants interviendront après leur majorité c'est-à-dire après les rites de passage. Dans cette

Page 197: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

197

situation deux cas de figure se présentent surtout pour la fille : Soit, les parents un peu ouvert d’esprit, l’envoient à l’école, sachant qu’elle arrêtera plus tard à sa majorité pour regagner son époux. Soit, les parents réticents, ne l’envoient pas à l’école au risque qu’elle soit détournée par un tiers. De là, tout sera concentré pour son éducation de future épouse. Le garçon a plus de chance pour une longue scolarité car la fiancée peut l’attendre et ce, selon la pression qu’il peut y avoir. Cette pression se traduit par l’inquiétude de la famille de la fiancée quant à une longue absence pour des raisons scolaires dans un autre village ou ville. L’autre pression est la corvée obligatoire que les fiancés doivent exécuter dans leur belle famille respective : C’est le moment très attendu par les belles familles pour tester la capacité, le comportement et l’attitude des fiancés. C’est généralement pendant la saison sèche que s’opère cette corvée. Or cette saison est une période scolaire comme nous témoigne cet enquêté : « j’ai profité des vacances de noël pour aider ma belle famille. Arrivé là-bas, le travail était énorme, il s’agissait de refaire la toiture de leur maison. Les deux semaines de vacances n’étant pas suffisantes alors je suis resté pour tout terminer deux mois de plus. Quand je suis revenu à l’école, mon maître m’a admis mais le retard était considérable à rattraper et j’ai échoué à l’examen… ». A la question, pourquoi n’a-t-il pas suspendu les travaux au terme de ses vacances, la réponse est inattendue : « la belle famille est sacrée, on ne doit pas montrer sa défaillance vis-à-vis d’elle, on peut tout sacrifier pour elle, on peut lui réaliser des choses qu’on ne réalisera jamais pour sa propre famille. C’est son honneur qui est en jeu. L’honneur du clan ». Nous avions constaté qu’il y a une autre pratique liée au mariage : le sororat. C’est une pratique qui consiste pour un veuf d’épouser la sœur cadette de son épouse défunte. Une de nos enquêtés explique : « j’étais à l’école quand ma grande sœur est décédée. Six mois après, ils (adultes) se sont concertés pour me livrer à mon beau-frère comme épouse. Mes frères s’y sont opposés, mais en vain. Je ne savais où aller. Finalement je m’y suis résignée… ». La pratique du sororat dégage deux ordres : Un ordre économique et un ordre protecteur. Le mariage, au-delà de son aspect symbolique ou institutionnel, présente en même temps un enjeu économique important dans la région de l’Ouham. Il présente deux périodes importantes et décisives dans la conclusion du mariage. La période des fiançailles est une période d’épreuve où le futur gendre doit couvrir sa belle famille de cadeaux, de services divers comme nous l’avions souligné précédemment…, démontrer par ces actes qu’il sera capable de s’occuper de leur fille si jamais il l’épousait. La dernière phase est celle de la dot. Il s’agit pour le gendre de

Page 198: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

198

satisfaire aux exigences financières et matérielles de la belle-famille. C’est de là que les deux familles réunies, discutent de « prix » à payer avant de conclure le mariage y compris de tout le cérémonial qui gravite autour de cette institution. Ce coût ou la dot, selon le cas, peut être remboursable ou transférable en cas de désistement, de stérilité, de rapt, ou de décès. C’est de ce dernier cas que découle le sororat. Deux explications justifient la pratique du sororat. Le comportement du gendre veuf est déterminant quant à la belle famille de faire le transfert de la dot sur une sœur cadette de la défunte même si cette dernière n’a pas eu d’enfants. Dans le cas contraire, le remboursement de la dot peut s’effectuer selon la durée de la vie commune. Dans le cas où la défunte a eu des enfants, la dot n’est pas remboursable mais le sororat est toujours possible. Enfin l’aspect protecteur du sororat est le souci d’éviter une maltraitance des enfants nés de l’épouse défunte. C’est un consensus souvent suggéré par la famille de l’épouse défunte qui ne souhaite pas que leur gendre épouse une autre femme susceptible de maltraiter leurs petits enfants. Le mariage sous toutes ses formes dans la région de l’Ouham est un facteur de non fréquentation scolaire et d’abandons scolaires. 5% des enquêtés évoquent l’héritage traditionnel. C’est une pratique de savoir-faire qui se transmet de génération en génération. C’est un ensemble de métiers comme guérisseur, voyant, forgeron, tisserand, « matrone »154, cultivateur spécialisé, pêcheur spécialisé, chasseur spécialisé etc. La différence avec les autres métiers est que leur pratique fait appel aux esprits des ancêtres et aux dieux. Chaque acte est précédé et terminé par des rituels ou sacrifices. Le poids de l’héritage traditionnel est beaucoup plus prégnant malgré la présence de la religion et l’école dans la région de l’Ouham. Même si on note un faible pourcentage d’enquêtés liés par cet héritage, cela se justifie par le critère de désignation de l’héritier. En effet, on désigne un seul héritier traditionnel par famille. Ce qui donne la possibilité aux autres enfants de la même famille de ne pas être initiés aux pratiques de ces métiers traditionnels et d’avoir, selon le cas, une longue scolarité. L’exercice de ces métiers leur est reconnu à la vieillesse ou au décès de leur initiateur qui peut être leurs parents ou un membre du clan. Les héritiers, par crainte de malédictions ou de trahir la confiance de tout un clan, placée en eux, optent pour ces métiers plutôt que d’aller à l’école, souvent, en mémoire de leur initiateur. Pour cette enquêtée : « …de toute façon, je savais que j’allais être matrone car toute petite, j’accompagnais toujours ma mère à l’accouchement, l’attente

154 C’est une infirmière accoucheuse traditionnelle.

Page 199: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

199

du nouveau-né peut durer tout une nuit ou des jours (…). Ma mère me renvoyait régulièrement à la maison ramener telle poudre, telle feuille etc. Ensuite j’allais moi-même chercher les plantes dans la brousse. De là, j’ai tout appris et souvent, elle m’envoyait faire accoucher ; parfois les gens s’adressaient directement à moi (…). J’ai même accouché la femme du directeur de notre école alors que ma mère était retenue pour une place mortuaire dans un autre village. Quand ma mère fut décédée, je ne pouvais pas faire autrement tellement que j’étais sollicitée (…) ». L’implication des héritiers dans le processus d’initiation rend efficace la vocation, même si l’héritier n’a pas le choix, il est choisi. Il peut être brillant à l’école mais cela ne peut, en aucun cas, être une faveur d’être exempt de l’héritage traditionnel, s’il est désigné. La prolongation scolaire de l’héritier se joue avec l’espérance de vie de ses initiateurs comme nous le résume cet enquêté : « … je pense que si mon père était encore en vie, je serais encore à l’école (…) ». La tradition prévue à disparaître avec l’influence extérieure notamment de l’école, est loin d’être le cas. La pauvreté, le manque d’infrastructures socio éducatives et d’insertion ne permettent pas une autre alternative à ce type d’enquêtés que de s’accrocher, au nom de la tradition, à ces métiers qui ne sont qu’une répétition et non une évolution. Nous avions retenu les difficultés scolaires comme l’une des causes des abandons scolaires. L’orientation de cette variable concerne la compréhension des leçons enseignées. Ainsi 5% estiment que les difficultés scolaires seraient l’une des causes de leurs abandons scolaires. Seulement ils n’étaient pas en mesure d’expliquer à quel niveau se situaient leurs difficultés scolaires. Et ils se contentaient des affirmations culpabilisantes : «…c’est moi qui ne comprenais pas les leçons… » ou encore « …les leçons étaient difficiles pour moi… ». A aucun moment, ils n’ont fait mention de la langue de l’enseignement ou encore de l’abstraction des leçons enseignées comme mentionné précédemment. Enfin un peu plus de 3% déplore le problème de santé qui serait l’une des causes de leur défection scolaire. Conclusion La trajectoire scolaire de l’écolier centrafricain de la région de l’Ouham est tributaire d’obstacles quasi insurmontables. En menant cette recherche, on s’est rendu compte progressivement de l’ampleur de la situation. Le constat est que tout concourt à mettre en échec la scolarisation en Centrafrique et dans la région de l’Ouham en particulier. De nos enquêtés, chacune des hypothèses à contribué à leur décision à abandonner

Page 200: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

200

l’école. Leur décision est le reflet d’un cumul de plusieurs facteurs (système éducatif, situation politique, sociale et économique…) résultant de la pauvreté ambiante, qui les a soumis à une situation d’inégalité devant l’Education. De ce fait, nos hypothèses infirment le slogan « Education pour tous « » ; par contre, elle confirme la définition de R. Boudon sur : « les inégalités de chance devant l’enseignement, c'est-à-dire la

différence, en fonction des origines sociales, dans les probabilités d’accès aux

différents niveaux de l’enseignement et particulièrement aux niveaux les plus

élevés ».155

Certes, ces enquêtés ont-ils abandonné l’école sans avoir terminé le cycle primaire ? Savaient-ils lire, écrire et calculer avant d’avoir quitté l’école ? Si c’est le cas, en sont-ils encore capables au moment de l’enquête ?

155 BOUDON, R, L’inégalité des chances, opcit. pp.27

Page 201: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

201

CHAPITRE CINQUIEME Abandons scolaires et les effets de la scolarisation

Page 202: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

202

Chapitre V : Abandons scolaires et les effets de la scolarisation Introduction : Les effets de l’éducation en général sont des enjeux inéluctables qui ont révolutionné l’existence humaine. Ce, dans le domaine de la santé, de la science, de la technologie…Cependant il y a des perversions de ces mêmes effets notamment dans les inégalités sociales réduisant les chances de certains tout augmentant celles des autres, à travers des mécanismes quasi nourris, mis en place pour pouvoir entretenir les écarts. Nous voulons évoquer par là les enjeux stratégiques planétaires au nom de la mondialisation, véhiculés par des arguments commerciaux et l’harmonisation de l’économie planétaire détenue par les multinationales, réduisant en fait le pouvoir des institutions traditionnelles notamment politiques quand il s’agit d’investir dans l’éducation. Nous avions évoqué les effets négatifs des programmes d’ajustement structurel (PAS) dans certains pays africains : « La logique du FMI pose un problème

évident : elle implique que, s’il obtient de l’aide pour une réalisation quelconque, un

pays pauvre ne pourra jamais dépenser cet argent. Si la Suède, par exemple, octroie

une aide financière à l’Ethiopie pour qu’elle construise des écoles, la logique du FMI

impose à cette dernière de conserver ces aides dans ses réserves (…). Mais ce n’est

pas pour cela que les donateurs internationaux accordent leur aide ».156 L’une des solutions alternatives pour la réduction de ces écarts entre les peuples est la scolarisation de masse et de nos jours « l’éducation pour tous ». Ceci dans le but d’espérer un effet réellement positif de la scolarisation impliquant une « autonomie » sur laquelle on pourrait compter réduire la pauvreté et améliorer le quotidien des populations en cause. La République Centrafricaine a connu la scolarisation, elle a connu également ses effets tant positifs que négatifs. Positifs car elle a pu bâtir son organisation et son administration en fonction de ses ressortissants même si des efforts importants restent à consentir. Négatifs car ces mêmes ressortissants n’ont pas su appliquer les effets positifs de l’éducation à l’ensemble de leurs concitoyens. Cette application devrait s’orienter dans des domaines pouvant déboucher sur le développement réel du pays en faisant preuve d’un engagement indéfectible en matière de scolarisation de masse et de qualité. Avec l’aspiration évidente au bien être, à l’égalité ou tout simplement au développement durable de tous les peuples tant du Nord que du Sud sur le fond des

156 STIGLITZ, J. E., La grande désillusion, opcit. pp. 64-65

Page 203: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

203

mouvements alternatifs et alter mondialistes qu’un autre monde est possible, il est curieux de s’interroger en même temps sur les nouvelles donnes consistant à supposer que le développement des pays pauvres ne peut s’opérer qu’au fait de terminer un seul cycle scolaire supposé doter l’individu d’une autonomie. De ce postulat à tendance universelle désormais, cette autonomie supposée acquise par l’éducation de base ou scolarisation satisfait à certains critères : terminer le cycle primaire. Nous sommes parti de cette logique en rapport avec nos enquêtés pour nous intéresser à ceux qui ne satisfont pas ces critères. Nous voulons par là déterminer les effets de la scolarisation dans leur vie quotidienne. Que reste-t-il de l’apprentissage scolaire après plusieurs années de déscolarisation ? Quelle est leur motivation quant à une possibilité de reprise de cours d’alphabétisation ou « formation de base »? Pour répondre à ces questions, nous nous somme intéressé à leur capacité en lecture et écriture afin de déterminer l’illettrisme. Nous avons pris en compte leurs activités professionnelles dans le but de savoir, en fonction de leur niveau scolaire, s’ils étaient favorables ou non à l’innovation quant à l’amélioration de la qualité de leur activité. La région de l’Ouham est confrontée à plusieurs pathologies dont nous avions évoqué quelques unes plus haut. De ce constat, nous avions essayé de voir la préférence des enquêtés, entre l’hôpital, le guérisseur traditionnel et l’automédication quand ils sont malades ; aussi leur sensibilité quant aux luttes contre les maladies endémiques et épidémiques en fonction de leur niveau scolaire. Ensuite nous avons pris en compte la participation des enquêtés aux mouvements associatifs ou confessionnels trop présents dans la région. L’objectif ici était de voir si en participant à ces mouvements, les enquêtés renouent avec les actes scolaires (lire, écrire, calculer) ou s’en éloignent davantage. Enfin, après des années de déscolarisation, quelles représentations se font-ils de l’école ? Regrettent-ils ou non d’avoir quitté l’école ? Souhaitent-ils reprendre une scolarité adaptée ? Mais avant l’analyse de ces paramètres il était nécessaire de voir les conséquences des abandons scolaires de manière générale.

5.1 Les conséquences des abandons scolaires Le phénomène des abandons scolaires ne peut sévir et s’institutionnaliser sans avoir des conséquences avérées sur le quotidien de l’individu en question, de son entourage ainsi que de sa communauté globale.

Page 204: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

204

Des recherches sur la question ont tenté d’aborder cette problématique autour de nombreuses variables et ce, à plusieurs niveaux, dont nous retiendrons quelques unes, selon que nous orientons cette recherche : - au niveau individuel et sociologique - au niveau psychologique - au niveau de la collectivité 5.1.1 Au niveau individuel et sociologique Une enquête du M.E.Q (1990) révèle que: « sur le plan individuel, les conséquences du décrochage scolaire fluctuent énormément d’un jeune à l’autre. Pour certains, quitter le milieu scolaire est une libération. Certains se sentent enfin autonomes et croient faire partie du « monde des adultes » ». En effet être « autonome », nécessite des dispositions et précautions particulières. Celles-ci allant d’abord d’un niveau scolaire acceptable à l’indépendance financière et économique et enfin à la capacité de produire ou entreprendre une activité salariale, artisanale ou agricole. Et ce, selon que l’on soit dans un pays développé ou pays pauvre. Dans un cas ou dans l’autre, l’individu sous scolarisé ou non scolarisé est limité quant à ce qu’il veut entreprendre pour acquérir son autonomie. Même s’il veut reprendre l’épicerie familiale, la ferme ou une activité familiale -comme c’est souvent le cas dans plusieurs sociétés-…il aura toujours des limites quant à sa capacité à innover ou restructurer ; car il a reçu une éducation sommaire ne lui permettant pas d’opérer des réflexions pertinentes sur son quotidien et ses activités. Tels sont les cas des petits exploitants agricoles qui disparaissent progressivement soit en raison des normes de production (Normes européennes), soit sous l’influence des grands groupes multinationaux avec l’introduction progressive des organismes génétiquement modifiés (OGM), détruisant ainsi les cultures et ses savoir-faire traditionnels. Aujourd’hui avec la complexité de la société, être sous scolarisé ou analphabète est un handicap à part entière. La complexité de la société selon laquelle on assiste à un développement grandissant des technologies où tout doit être lu car le contact humain tend à être évité : les structures ou des postes jadis occupés par des humains sont remplacés par des automates ou distributeurs. Ceci, nécessitant une certaine attitude minimum, notamment celle d’être outillé de certains codes ou savoirs pour pouvoir les utiliser. En un mot le quotidien d’un sous scolarisé ou analphabète n’est pas si simple de nos jours ; dès lors on ne peut parler d’autonomie mais de dépendance indirecte.

Page 205: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

205

Même si ce cas de figure touche avec acuité les sociétés industrialisées avec comme conséquence immédiate le chômage ; il commence à atteindre discrètement les pays pauvres sous le label néo libéral de mondialisation de l’économie. Celle-ci s’inscrit dans la logique du flux continu de délocalisation vers les pays pauvres où la main d’œuvre est censée être bon marché car sous scolarisée par conséquent sous payée. Aussi faire partie « du monde des adultes » n’est pas forcément lié à la défection scolaire ; c’est un fait qui se construit selon que la société l’exige. Un adulte suppose une certaine responsabilité, quelqu’un ayant fait ses preuves et reconnu comme tel au travers de ce qu’il aura appris auprès des « générations adultes », capable de transmettre à son tour certaines valeurs intériorisées : valeur du travail, valeur du respect d’autrui, de biens publics et privés, valeur de l’école, valeur de la Nation. Ceci se fait à partir de son vécu personnel et de son expérience éprouvée. Dès lors l’individu ayant quitté l’école avant la maîtrise et l’intériorisation de certaines de ces valeurs que lui « réclame la société globale » ne peut prétendre, d’une manière virtuelle, pouvoir intégrer le monde des adultes en quittant précocement l’école. Sinon, il sera probablement un adulte avec des comportements peu ou pas acceptables par la société, rappelons-le : « …les déscolarisés ont à la fois plus de probabilité de

s’engager dans un comportement antisocial au moment de leur sortie de l’école et de

persister tout au long de leur vie adulte »157.

Dans les pays pauvres nous pouvons observer comment les déscolarisés se font enrôler facilement dans des mouvements sociaux ou dans des guerres ethniques, tribales, politiques… Mais retenons tout de même que l’acte délinquant n’est pas nécessairement lié à l’abandon scolaire ou à la déscolarisation : « Si les délinquants

ont souvent été des jeunes qui on quitté précocement l’école, en revanche les

déscolarisés sont loin d’être tous et de devenir fatalement délinquants »158. Il y a ceux qui préfèrent s’épanouir dans des « activités positives » parce que l’école les ennuie ou qui ne leur offre pas un avenir prometteur : « … les commerçants

marocains transfrontaliers seraient-ils si pressés d’enrôler leurs fils (…) dans

l’entreprise familiale si les conditions de scolarisation qui leur sont objectivement

réservées étaient meilleures, et si les espoirs d’insertion professionnelle qui leur sont

157Glasman D, Oeuvrard F (2004) La déscolarisation opcit pp.61 158 Glasman D, Oeuvrard F. opcit pp.64

Page 206: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

206

permis dans un marché du travail dégradé et marqué par les discriminations ethniques

étaient plus prometteurs ? »159.

Rappelons que dans les pays pauvres, d’autres facteurs notamment la maladie ou l’absentéisme des enseignants, les grèves quasi permanentes, les troubles politiques… greffés à la pauvreté permanente constituent des variables construites, conditionnant les élèves à quitter l’école pour des activités génératrices de revenus dans des secteurs informels aux alentours des grands centres urbains comme « vendeurs à la sauvette », domestiques exploités et sous payés comme nous le montre Janosz : « …les adolescents qui ont interrompu leurs études ont plus de risque

d’éprouver une panoplie de problèmes sociaux, économiques et sanitaires.

L’intégration professionnelle des décrocheurs est plus difficile :(…) leurs emplois sont

moins stables, moins prestigieux et moins biens rémunérés »160.

Les phénomènes urbains liés au chômage dans les pays pauvres conditionnent les scolarisés ou diplômés à développer des stratégies de survie dans les activités formelles et/ou informelles ensemble, avec ceux qui n’ont jamais été à l’école ou ceux qui sont sous scolarisés : « Les systèmes éducatifs africains délivrent avec beaucoup

de complaisance des passeports pour le chômage, liant ainsi, dans un même destin,

diplômés et ceux qui ne connurent jamais l’atmosphère d’une salle de classe»161. Ce phénomène touche également la communauté africaine notamment en France où des diplômés sont astreints d’être des vigiles, agents de sécurité et autres activités auxquelles leurs cursus scolaires ne leur ont pas prédestinés. Ces faits amènent à renforcer les détracteurs de la scolarisation à soutenir leur thèse selon laquelle l’école ne sert absolument à rien -contre l’avis de ceux qui pensent qu’elle est la seule voie de réussite et que nous aborderons sous son aspect psychologique-. Car s’il s’agit de devenir « vendeur à la sauvette », agent de sécurité… pourquoi avoir perdu tant de temps sur les bancs de l’école ? Cette problématique amène à repenser le rôle de l’école de nos jours et particulièrement en République Centrafricaine.

159 Glasman D, Oeuvrard F. opcit pp 68 160 Janosz M, L’abandon scolaire chez les adolescents : Perspectives Nord américain, In V.E.I Enjeux : Décrochage scolaire : une fatalité ? opcit pp 106-107 161 Le monde diplomatique, déc.2000, pp.33

Page 207: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

207

5.1.2 Au niveau psychologique La faible estime de soi (M.E.Q 1991) constitue l’un des traumatismes psychologiques que peut vivre un enfant ayant abandonné l’école. Cette situation le « ronge » de l’intérieur anéantissant d’éventuels atouts et potentialités dont il dispose, à s’épanouir dans d’autres domaines ou même à reprendre les études. Restant sur l’idée selon laquelle l’école serait la seule voie de réussite et de promotion sociale, l’enfant ne peut opérer une révolution mentale quant à une remise en question de cette idée reçue pour pouvoir adopter une attitude valorisante. Dès lors il se sent incapable et que son échec serait personnel car il n’a pas su faire face aux « exigences scolaires ». Toutefois, il sera toujours en quête d’une autre identité que celle d’élève. Ce « refoulement » du statut d’élève peut s’affirmer : - soit par le développement d’une attitude négative vis-à-vis de l’école ou de ceux qui continuent à la fréquenter. De là, il choisira un discours « destructeur » de l’école et de ceux qui y fréquentent et qui hantent son existence. Il trouvera parfois avec « cohérence » les effets négatifs de l’école sur la tradition locale si l’on se trouve dans un pays pauvre : « …on n’a même pas eu un franc de dot de telle fille scolarisée »162

ou bien telle personne est diplômée mais est au chômage ou encore « je laisse tomber l’école qui me laisse tomber, je n’ai rien à faire de l’école qui n’a rien à faire de moi »… - soit par un complexe vis-à-vis de ceux qui ont réussi dans les études ou qui fréquentent encore l’école. Ce complexe prend parfois de l’importance quant le sujet devient majeur et commence à comprendre progressivement les enjeux et l’importance de l’école dans son entourage, son quotidien. Car il commence à vivre sa sous scolarisation, son illettrisme comme un traumatisme et panique quand il s’agit de remplir un document administratif ou tout simplement de poser un acte lié à un savoir scriptural. Du coup, il s’avère qu’il peut présenter un sentiment de regret, de culpabilité ou de fatalisme s’il n’est pas aidé ou sensibilisé à reprendre des cours d’alphabétisation. La situation est plus complexe dans les pays pauvres où les rapports sont déjà dichotomiques au niveau linguistique et certaines attitudes symboliques selon que l’on soit scolarisé, sous scolarisé ou non. Rappelons que la langue de l’enseignement dans la plupart des pays d’Afrique noire francophones demeure le français. Cette langue a probablement été l’un des outils symboliques ayant prôné la négation de la culture locale par la stratification de la population selon que l’on soit

162 NAMYOUÏSSE J.M (2000) Les causes et conséquences de la non fréquentation scolaire des jeunes filles en milieu rural : Cas de la commune de l’Ouham-Bac, Mémoire de Maîtrise, Sociologie, Université de Bangui.

Page 208: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

208

lettré ou non. Cette nouvelle configuration culturelle de la population de l’époque coloniale jusqu’à nos jours a entretenu une nouvelle psychologie positive ou négative dans les rapports humains. Cette stratification s’est transformée progressivement en classes. C'est-à-dire les scolarisés finissent toujours par intégrer la classe des « privilégiés » car non seulement ils maîtrisent le code symbolique de la langue française mais aussi ils auront un emploi et une assise économique solide renforçant leur pouvoir sur la classe des sous scolarisés, rappelant de manière ostentatoire à celle-ci (classe des sous scolarisés) sa situation de dominée au lieu de l’aider. Quel est l’impact de la population sous scolarisée sur la collectivité ? 5.1.3 Au niveau de la collectivité Si dans la plupart des pays du monde, l’Education occupe une place de choix dans les Constitutions ou lois fondamentales, c’est qu’il y a une ou plusieurs raisons plus ou moins motivées. A cela, il faut ajouter les différents engagements et textes relatifs à l’Education pris par les Nations et organismes internationaux. Les raisons sous-jacentes de ces différents engagements, situe la problématique de scolarisation dans le processus de développement : «…l’école est le lieu privilégié où

s’expriment clairement les idéaux politiques dans tous les domaines du

développement»163.

Si aujourd’hui tous les pays s’alignent dans cette logique, cela témoigne en partie, les actions positives dont l’école a fait preuve tant au niveau économique, politique, social, culturel… Et ces actions sont réalisées par les acteurs supposés suffisamment scolarisés. En revenant sur la problématique des conséquences des abandons scolaires, celle-ci pose le problème de la contribution ou participation efficace de ces jeunes générations qui abandonnent l’école dans le processus de développement au niveau de leur communauté. Ou encore cette même problématique aborde le problème de leur prise en charge par la communauté, ou des risques auxquels ils sont soumis. Pour Janosz : «…ils sont plus nombreux à recevoir de l’aide sociale et de l’assurance

chômage…»164.

Ce cas de figure situe le terrain de recherche dans une société assez organisée au niveau de la protection sociale où la richesse produite est redistribuée sous plusieurs formes de transferts sociaux. Dans les pays pauvres tout est apparemment conçu de

163 LANGE M.F Systèmes scolaires et développement : discours et pratiques In Politique africaine n° 43, 1990, pp105 164 JANOSZ M. (2000) opcit pp106

Page 209: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

209

sorte qu’il y ait abandon scolaire mais rien n’est réellement fait pour la prise en charge de ceux qui abandonnent l’école même involontairement. Au clair il n’y a pas de dispositifs de prise en charge sociale (assurance chômage, aides sociales…) d’insertion et de réinsertion sociale et professionnelle… Et déjà, il n’y a pas assez d’établissements scolaires pour ceux qui veulent bien aller à l’école ou continuer leur scolarité. Dès lors ceux qui abandonnent l’école sont eux aussi abandonnés à eux-mêmes et exposés à plusieurs niveaux de problèmes socio économique, culturel, politique etc. Au niveau de la production économique, ceux qui abandonnent l’école, rappelons-le, n’auront pas la capacité nécessaire pour une production économique assez conséquente pouvant contribuer au développement de leur communauté. Car méconnaissant les préceptes de l’innovation et de capacité de production à grande échelle, ils développeront plutôt une production de subsistance pour soi-même et souvent déficitaire. Et ils ne peuvent prendre d’initiative positive efficace car guidés par la mauvaise perception des actions innovantes. Nous avions souligné ci-dessus, l’impact de la scolarisation sur le rendement agricole dans les pays pauvres. Au niveau social, ils auront une faible espérance de vie liée aux problèmes de drogues, alcool, santé. De là, et souvent, ils ne peuvent comprendre avec pertinence les effets négatifs de l’alcool, de la drogue sur leur santé et indirectement sur leur entourage. Ils ne sauront pas se protéger efficacement contre les maladies endémiques et épidémiques d’où leur vulnérabilité. Ils sont susceptibles d’entrer en conflit avec leur communauté (police, justice…). Ainsi certaines recherches ont établi que : «…Plus de

la moitié des adultes ayant fait l’objet d’une arrestation avaient interrompu précocement

leur scolarisation ; parmi les jeunes arrêtés pour usages de stupéfiants, les

déscolarisés sont plus représentés que les jeunes encore à l’école… »165. Là encore, la quasi inexistence de leur capital culturel lié à la connaissance scolaire, voire symbolique jouera en leur défaveur. Et ils ne sauront pas se défendre car ne sachant pas s’exprimer avec une certaine aisance conventionnelle ou ne connaissant pas leurs droits dans certains cas. Ces situations sont très délicates et complexes dans les pays pauvres où tout se joue sur l’ignorance et l’analphabétisme qui profitent aux hommes politiques, aux institutions internationales, aux puissances étrangères et maintenant aux multinationales qu’il faut désormais prendre en compte. Etant sous ou pas scolarisés ils sont exposés à devenir des itinérants négatifs c'est-à-dire susceptibles

165Glasman D, et Oeuvrard (2004) opcit pp.61

Page 210: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

210

d’être enrôlés dans des pratiques et comportements destructeurs dans la cohorte des rébellions… Ceci en défaveur du développement d’une collectivité ou d’un pays donné : Tel est le cas plus ou moins de notre terrain d’études et de nos enquêtés. En revenant sur le cas de nos enquêtés, nous avons déterminé ce qui peut rester des acquis scolaire à travers la variable suivante : l’illettrisme.

5.2 Niveau scolaire et l’illettrisme Nous avions estimé que le fait de quitter le système scolaire dès le cycle primaire peut conduire les enquêtés à l’illettrisme même si près de 92% affirment savoir lire et écrire avant d’avoir quitté l’école contre 65% au moment de l’enquête. Cette baisse sensible est due en partie à l’absence de dispositifs d’alphabétisation pour ceux qui voudraient bien rester en contact avec le monde scolaire. Mais au-delà du manque de structures éducatives, les enquêtés sont-ils confrontés au problème d’écriture, de lecture et calcul ou en sont-ils autonomes dans leur vie quotidienne ? A cette question le tableau ci-dessous présente les difficultés selon le niveau scolaire des enquêtés.

Tableau 25: Niveau scolaire et illettrisme. Réponses aux questions : Aviez-vous quitté l'école à quel niveau scolaire : Dans votre vie quotidienne, êtes-vous confronté aux problèmes liés à la lecture et l'écriture

Niveau scolaire/Illétrisme2

Oui Non TOTAL

CI-CP 100% (4) 0,0% (0) 100% (4) CP-CE1 91,2% (31) 8,8% (3) 100% (34) CE2-CM1 40,9% (9) 59,1% (13) 100% (22) TOTAL 73,3% (44) 26,7% (16) 100% (60)

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 60 observations.

Niveau scolaire x Illétrisme2

4 CI-CP

34 CP-CE1

22 CE2-CM1

Oui Non

De ce tableau, il apparaît que plus de 73% des enquêtés sont confrontés aux problèmes de lecture et de l’écriture contre près de 27%. Ce problème d’illettrisme touche davantage ceux qui ont quitté le système scolaire entre CI-CP représentant 100% : « … je savais que ce que j’avais appris à l’école ne pouvait me rester pour longtemps ». Dans ce cas, est-ce le problème de l’apprenant ou de l’enseignant ? Cette question nous amène à revenir sur la petite enfance et certaines causes d’un

Page 211: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

211

mauvais apprentissage. Comme nous l’avions déjà relevé, la petite enfance demeure fragile et mérite au moins une attitude particulière pour un meilleur apprentissage. Au-delà de ce côté fragile lié à son âge, on est tout de même face à’un être humain en devenir, doté de capacités intellectuelles, que l’on ne soupçonne pas, qui permettent de canaliser les enseignements : C’est le cas de la capacité de rétention et de compréhension dont fait preuve la petite enfance. L’échec scolaire ou les abandons scolaires précoces à ce stade de développement de l’enfance trouvent aussi leur origine dans la manière dont l’enseignement est transmis et l’attitude de l’enseignant lui-même. Nous avions également évoqué les conditions de travail des enseignants et des élèves eux-mêmes qui ne laissent pas présager les meilleures conditions d’apprentissage. Les crises socio politiques (grèves, mutineries, coups d’état) sont autant d’éléments nuisant au bon apprentissage à cet âge. Surtout, qu’il faut compter avec les arrêts fréquents des cours. Les enquêtés du niveau scolaire compris entre le CP-CE1 représentent plus de 91% et près de 41% ceux qui ont quitté le système scolaire entre le CE2-CM1 sont confrontés au problème d’illettrisme. Ces deux dernières tranches de niveau scolaire, cumulent aussi certains facteurs, celui du précédent (CI CP), notamment les conditions de travail des enseignants et les crises socio politiques. La différence est de savoir pourquoi sont-ils restés un peu plus longtemps à l’école que les précédents ? De l’avis des enquêtés nous osons dire que les causes se situent dans les bases plus ou moins solides acquises durant les premières années scolaires avant que cela ne se dégrade par les facteurs déjà évoqués conduisant aux abandons scolaires comme nous souligne cet enquêté : «…j’étais bien à l’école mais les grèves à répétition m’ont démotivé à rester longtemps à l’école ». La démotivation relève d’un faisceau de facteurs non favorables à une scolarisation en tant que telle, conduisant aux abandons scolaires qui confrontent les enquêtés aux problèmes quotidiens liés finalement aux savoirs scolaires. Les principaux problèmes auxquels se confrontent les enquêtés se situent au niveau des actes administratifs. L’administration est beaucoup plus complexe et compliquée en Centrafrique. Le système administratif en place est fait en sorte qu’il faut nécessairement parler le français pour y accéder malgré l’introduction de la langue nationale dans l’administration depuis près de deux décennies. Dès lors ceux qui ne maîtrisent pas le français sont presque « disqualifiés » du système allant jusqu’à abandonner leurs droits comme le précise cet enquêté : « J’étais l’héritier de mon père retraité militaire. Après son décès, il fallait refaire tous les papiers de pension

Page 212: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

212

en mon nom car ma mère étant décédée. On m’a demandé toute une liste de documents. Comme je n’y connais pas grand-chose, j’ai tout simplement abandonné… ». Les plus « téméraires » dans de pareils cas vont devoir solliciter le service des uns et des autres au prix fort, pour un hypothétique aboutissement comme le résume un autre enquêté : «… j’ai dû passer près d’un an à Bangui où j’ai des parents pouvant m’aider. Mes démarches n’ont pas aboutit ; j’ai tout perdu ». Ce cas nous amène à relever que l’administration est centralisée dans la capitale en ce qui concerne les dossiers de réversion de pension. Les ayants droits sont obligés de faire le déplacement dans la capitale pour les démarches administratives. La difficulté se situe au niveau où ils n’ont pas un proche parent pour les accueillir à Bangui. Là encore il arrive qu’ils soient mal accueillis. En faisant le tour de ces paramètres, certains se résignent à abandonner leurs droits. Et pour certains : « J’ai tout dépensé, tout vendu et je n’ai rien obtenu de l’accident de mon frère, auprès de l’agence des assurances». Outre ces cas liés à bénéficier d’un héritage, il y a ceux pour l’obtention d’un papier administratif comme le casier judiciaire, l’acte de naissance etc. La difficulté se révèle au fait que les enquêtés oublient leur date de naissance, ce qui ne leur facilite pas l’établissement du document demandé. Ces cas situent le problème de l’illettrisme dans l’administration en milieu urbain. En milieu rural le problème se situe au niveau des abus dont sont victimes les villageois vis-à-vis des agents de l’Etat et des sociétés multinationales impliquées dans la culture de coton. Rappelons que la culture du coton est la seule culture de rente, semi industrielle qui permet aux paysans d’avoir un revenu annuel. Mais le processus demeure complexe. Complexe car les agents censés aider les paysans pour un meilleur rendement, mettent plutôt en place un mécanisme d’exploitation sans vergogne, des paysans car analphabètes ou illettrés comme le témoigne cet enquêté : « les produits que j’ai utilisés pour le traitement du coton coûtent tellement chers que la campagne de cette année n’est qu’un travail pour eux ». Les produits en questions sont des intrants qui sont distribués à crédit aux paysans par les multinationales. Ces multinationales fixent elles-mêmes les prix de ces intrants tout comme les prix au kilogramme du coton. L’abus est de deux ordres : Les prix sont imposés aux paysans et le poids du coton est tronqué comme le souligne cet enquêté : « Cette année, j’ai fait quatre grands paniers, mais je ne sais pas ce que le « peseur » à mis pour que je me retrouve endetté pour payer les intrants ». Le peseur ici est un agent qui pèse le coton et donne le poids à l’acheteur agréé pour enfin payer les paysans. Etant illettrés ou

Page 213: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

213

analphabètes les paysans ignorent tout du poids réel de leur coton afin d’avoir le prix à sa « juste » valeur. Cette situation relève de la volonté manifeste et obscure entre peseurs et acheteurs qui récupèrent la différence financière de leur macabre mécanisme. Les moyens de communication demeurent dérisoires en Centrafrique. Le courrier demeure le seul moyen de prendre des nouvelles des parents éloignés. Là encore depuis plus d’une décennie, la poste ne fonctionne plus normalement. Si jamais un courrier arrive, mais qui doit le lire ou écrire la réponse ? Certains de nos enquêtés sont confrontés régulièrement à ce type de désagrément comme cet enquêté déscolarisé au CE2 le relève : « Avant, je lisais et rédigeais sans grande difficulté mon courrier et celui de mon entourage. Maintenant c’est chose impossible, je dois courir derrière les gens ou parcourir des kilomètres pour ça (…) ». L’autre aspect est celui lié à la pratique professionnelle des enquêtés. L’activité principale comme nous l’avons déjà évoqué demeure l’agriculture suivie de l’artisanat et l’élevage. En abordant le problème de l’innovation dans le système de production agricole, on s’est rendu compte que 57% y manquent d’intérêt contre 33% qui y sont favorables. Pour le premier cas, les enquêtés évoquent l’absence de techniciens agricoles dans leur secteur ou bien il atteste que leur type de culture ne nécessite pas un apport extérieur : « Les techniciens agricoles ne sont là que pour la culture de coton. Or moi j’ai tellement été abusé par cette culture que je ne fais que de la culture vivrière ». La politique agricole initiale n’a mis l’accent que sur la culture de rente notamment le café et le coton. La culture vivrière ne bénéficie d’aucun appui technique et se pratique sur un mode traditionnel. En effet l’absence de sensibilisation et de moyens est en cause. La présence, toujours irrégulière, des techniciens agricoles n’est pas établie pour aider tous les cultivateurs. Ceux qui cultivent exclusivement le coton ont droit au service du technicien avec l’engrenage que cela implique comme mentionné précédemment. Les autres types de cultures sont organisés par les cultivateurs eux-mêmes et selon les techniques culturales traditionnelles. Ce qui ne leur permet pas d’entrevoir une possibilité d’amélioration de plantation. Ce sont des enquêtés ayant quitté l’école entre le CI-CE1 qui sont concernés par cette situation. Le dernier cas concerne ceux qui ont quitté le système scolaire entre le CE2-CM1. Ils souhaitent une amélioration de leur plantation non exclusive. Ils témoignent de l’importance du respect du calendrier agricole sur le rendement et la qualité de leurs produits agricoles. Pourquoi ces enquêtés sont-ils réceptifs à l’amélioration de leurs

Page 214: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

214

cultures ? En parcourant les manuels scolaires notamment ceux des sciences, on s’est rendu compte que les leçons sur l’agriculture se font à partir du CE2. Et ces manuels sont plus explicites : ils enseignent, schémas à l’appui, les techniques culturales accessibles. Nous estimons que ceux qui ont suivi ces cours ont tendance à accepter l’innovation que ceux qui ne les ont pas suivis. L’artisanat est une activité de grande importance vu le statut ou la notoriété qu’il peut conférer à celui qui l’exerce. Nous avions déjà évoqué comment la vente à la sauvette peut déposséder les adultes de leur pouvoir et devoir vis-à-vis de leurs enfants. L’engouement des jeunes pour ce secteur présente tout de même des limites. Seuls 44% des enquêtés sont favorables à l’innovation contre 56%. Ceux qui sont favorables à l’innovation évoquent souvent une innovation adaptée comme le témoigne ce menuisier : « Je veux bien améliorer mon atelier mais avec des outils mécaniques, faciles à utiliser et faciles à réparer ». Certains attendent de l’innovation, la possibilité de varier leur activité, d’augmenter ou d’accroître leur capacité de production. D’autres souhaitent par l’innovation renforcer leur capacité ou performance en calcul. Au niveau scolaire, cette catégorie d’enquêtés a quitté le système scolaire entre le CE2-CM1. Ils ont tous en commun une disponibilité d’esprit au changement même s’ils sont conscients qu’ils ne peuvent maîtriser tous les mécanismes de l’innovation. Par contre les 56% qui ont un niveau scolaire compris entre le CP-CE1, sont réfractaires au changement. Ils jugent qu’une innovation n’est pas nécessaire dans la pratique de leurs activités ou la trouve très complexe et compliquée comme le souligne cet enquêté, forgeron : « je préfère mon petit atelier de forge que je maîtrise très bien à autre chose de compliqué… ». Certains jugent l’innovation en fonction de la taille de leurs activités en des termes suivants : « Je ne vends que de petites choses » ou bien « Je tiens juste un petit commerce ». Ces enquêtés ont peur d’étendre ou d’accroître leurs activités au risque de ne plus savoir les maîtriser. Nous avons abordé ce problème des effets de scolarisation avec les éleveurs. Ce secteur demeure traditionnel dans sa pratique. Au-delà du petit élevage pratiqué par l’ensemble des enquêtés dans le cadre de la polyvalence des activités professionnelles déjà évoquées, l’élevage « professionnel » est davantage pratiqué par un peuple de nomades, conservateurs dans leur mode de production. Seuls 36% sont favorables à une possible innovation dont 55% attendent de celle-ci la possibilité de savoir éradiquer les épidémies, qui déciment leur bétail et 45% des soins de bétail. Leur niveau scolaire est compris entre le CI et CE1. Enfin 64% sont réticents à l’innovation,

Page 215: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

215

estimant qu’il n’est pas nécessaire de faire appel à d’autres modes de production qui peuvent être désastreux ou coûteux. Leur niveau scolaire est semblable à ceux qui sont pour l’innovation. En somme plus de 73% des enquêtés sont confrontés au problème de l’illettrisme; son impact influence la vie quotidienne tout comme le choix des activités professionnelles et les soumet à « une appartenance aux catégories socioprofessionnelles les plus

basses : ouvriers, manœuvres, parfois employés »166 Pour toutes ces activités, on peut supposer qu’elles ne peuvent se pratiquer que si les enquêtés restent en bonne santé. Comment font ces enquêtés pour rester en bonne santé ou se soigner s’ils sont malades ?

5.3 Niveau scolaire et santé Le nombre insuffisant des structures sanitaires, le poids de la tradition et la pauvreté affectant le pouvoir d’achat, amènent l’ensemble de la population à opérer des choix quand il s’agit de se soigner. Nous avons observé auprès de nos enquêtés en fonction de leur niveau scolaire, à quels dispositifs sanitaires ils font appel en cas de maladies. Nous avons utilisé certaines modalités qui nécessitent quelques précisons selon le contexte de notre terrain de recherche. Nous avons employé « hôpital » qui signifie en même temps l’hôpital lui-même tout comme un dispensaire ou un poste de secours sanitaire. L’essentiel pour nous, était de déterminer la motivation des enquêtés à recourir à ces dispositifs, démunis pour un acte médical quelconque. Le « guérisseur traditionnel » est celui qui utilise sa connaissance spirituelle, rituelle, maléfique, botanique… pour soigner les patients. Le recours à ce mode de guérison est lié généralement à la croyance du patient en cette pratique. D’autres raisons sont soulevées par les enquêtés et nous allons y revenir. Enfin l’automédication que nous avions définie par « vous-même » sur le tableau ci-dessous nécessite un peu plus de précisions. En effet l’automédication peut se définir comme le fait de se soigner par soi-même. Cette définition présente plusieurs aspects. Se soigner par soi-même peut supposer qu’on a une connaissance adéquate de remèdes susceptibles de guérir ou de soulager les maux dont on souffre. Cette connaissance peut prendre en compte aussi bien celle de la médecine traditionnelle (plantes) que moderne (produits pharmaceutiques). L’autre aspect est celui, caractérisé par le tâtonnement ou les supposition. Ce dernier aspect est beaucoup plus dangereux quand il s’agit de la

166 LECLERCQ, V., Face à l’illettrisme. Enseigner l’écrit à des adultes, opcit. , pp. 41

Page 216: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

216

médecine moderne où le patient est beaucoup plus tenté de prendre certains médicaments sans consultation médicale préalable ou sans prise de connaissance de la notice. La prise de connaissance de notice nécessite tout de même un niveau scolaire conséquent. Mais le niveau scolaire, en soit, n’est pas suffisant surtout qu’il s’agit d’un domaine spécifique. Le niveau scolaire ici peut servir à adopter une attitude de précaution afin d’éviter des erreurs médicales. Le tableau ci-dessous nous présente les types de dispositifs sanitaires auxquels nos enquêtés ont recours pour besoins de soins.

Tableau 26: Niveau scolaire et santé1 Réponses à la question : Où soignez-vous en cas de maladie ?

Niveau scolaire/Santé

A l'hôpital Chez le guérisseur traditionnel Par vous-même TOTAL

CI-CP 25,0% (1) 75,0% (3) 0,0% (0) 100% (4) CP-CE1 41,2% (14) 50,0% (17) 8,8% (3) 100% (34) CE2-CM1 54,5% (12) 40,9% (9) 4,5% (1) 100% (22) TOTAL 45,0% (27) 48,3% (29) 6,7% (4) 100% (60)

Source : Enquête de terrain 2004 Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 60 observations.

Niveau scolaire x Santé

4 CI-CP

34 CP-CE1

22 CE2-CM1

A l'hôpital Chez le guérisseur traditionnel Par vous-même

Le contact de ce tableau démontre que 45 % des enquêtés ont recours à l’hôpital, un peu plus de 48 % au guérisseur traditionnel et près de 7 % pratiquent l’automédication. Ceux qui vont à « l’hôpital » estiment avoir confiance en ce dispositif même s’ils déplorent en même temps qu’ils y sont mal soignés comme cette enquêtée le souligne : « …On peut arriver en vie à l’hôpital et y mourir juste parce qu’ils (le personnel soignant) ont attendu longtemps avant de s’occuper de vous (…) ». Cette situation est régulièrement relevée par la plupart des enquêtés. Cela pose le problème de l’organisation des dispositifs sanitaires en Centrafrique. Les « hôpitaux » sont dépourvus de moyens matériels et humains. Ceux qui existent sont vétustes et insuffisants pour couvrir les besoins en soins. Les interventions chirurgicales souvent sans anesthésie relèvent du miracle car les patients risquent de trépasser. D’où le refus de certains patients à accepter ces interventions médicales dans de telles

Page 217: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

217

conditions. Le personnel soignant en nombre insuffisant et la qualité des prestations demeurent alarmants. Les grèves à répétition touchent cette institution déjà précaire, laissant les usagés à leur triste sort. Cette situation motive l’option du choix des guérisseurs traditionnels quelque soit le niveau scolaire ou la croyance en ce type de guérison. Ceux qui consultent les guérisseurs traditionnels justifient leur motivation non seulement par rapport à la seule croyance mais plutôt par rapport à l’absence de dispositifs sanitaires de proximité et la qualité des soins qu’on y trouve. Certains vont même cherchez la guérison dans les sectes religieuses déjà évoquées. Ces sectes conscientes du désespoir de la population, les enrôlent facilement en leur faisant miroitant une vie meilleure après leur conversion en adeptes et la guérison par la foi et la prière qu’elles proposent. Les prédispositions psychologiques pour aller chez le guérisseur ne sont pas les mêmes que celles pour aller à l’ « hôpital». Les patients ne pardonneront pas à l’ « hôpital » ce qu’ils toléreront du guérisseur. Ils accepteront facilement le verdict du guérisseur quant à ses limites à guérir une pathologie mais pas celui du médecin. Car le guérisseur a un encrage séculaire dans leur communauté. Sa notoriété est reconnue et validée par l’ensemble de la communauté. Ce qui l’exempte de toute critique d’où qu’elle vienne, au cas où il commet des erreurs médicales ou démontre de manière patente son incapacité et ses limites face à une pathologie. Ce mutisme résigné face au guérisseur est teinté aussi de la peur d’être maudit ou poursuivi par les esprits maléfiques dont le guérisseur est doté. Il y a toujours une légende qui entoure le guérisseur : On ne devient pas guérisseur par hasard ; c’est par initiation ou par transmission des dons de guérison par des esprits, donc sacré et le critiquer est un sacrilège avec des conséquences irréversibles. Même si l’on peut noter des abus et des charlatans s’autoproclamant guérisseurs. Cependant, il y a deux types d’enquêtés qui pratiquent l’automédication : - ceux qui estiment le faire en fonction de leur connaissance des plantes médicinales ou pharmacopée. La pratique de la pharmacopée se fait en fonction de la connaissance de certaines plantes curatives. Certains enquêtés connaissent en moyenne entre cinq et dix plantes de ce genre qui soignent tels ou tels maux. Ces plantes sont accessibles à tous et ils y font recours de manière précise pour se soigner sans passer par le guérisseur qui connaît d’autres plantes, en sus de ses pouvoirs divinatoires, pour certaines maladies que les enquêtés ignorent.

Page 218: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

218

- ceux qui utilisent les produits pharmaceutiques à partir d’une connaissance sommaire. L’une des causes est la prolifération de ces produits pharmaceutiques en Centrafrique. Ces produits ont des origines douteuses et sont souvent fabriqués par des laboratoires non agréés et méconnus. La filière d’écoulement relève de la confusion généralisée de l’organisation administrative des pays en voie de développement notamment la République Centrafricaine. Leur traçabilité n’est pas identifiable tout comme le mode de distribution qui se confond avec celui des marchandises ordinaires. Leur conservation demeure un problème important car ils se vendent aux abords des rues, sans protection par rapport à la chaleur ou à l’humidité. Les consommateurs de ces produits se fient aux conseils du vendeur qui n’est pas un professionnel de santé. Ces faits révèlent en partie le caractère dangereux de l’automédication qui cause souvent des erreurs tragiques et irréversibles touchant beaucoup plus la population sous scolarisée. La différence du choix de ces dispositifs sanitaires se fait en fonction du niveau scolaire des enquêtés. Ainsi, on peut constater que plus le niveau scolaire est « élevé » plus les enquêtés ont tendance à opter pour l’hôpital plutôt que d’aller chez le guérisseur ou pratiquer l’automédication. Ceux qui ont un niveau scolaire compris entre le CI-CP représentant 25% et se soignent à l’hôpital contre 75% chez le guérisseur traditionnel. L’automédication surtout en produits pharmaceutiques n’est pas pratiquée par ce type d’enquêtés. Ils justifient cette attitude par la peur de se tromper. Et aussi de leur lieu de résidence (villages) quasi épargné de la prolifération de ces produits pharmaceutiques vendus à la sauvette. Ceux qui ont un niveau scolaire compris entre le CP-CE1 optent à hauteur d’un peu plus de 41% pour l’hôpital, 50% pour les guérisseurs et près de 9% pour l’automédication. Enfin les enquêtés du niveau scolaire entre le CE2-CM1, choisissent pour plus de 54% d’entre eux, l’hôpital, près de 41%, les guérisseurs et plus de 4 % pratiquent l’automédication. Toutefois on peut évoquer le fait que pauvreté la amène les enquêtés, de tout niveau scolaire, à recourir aux soins des guérisseurs dès lors qu’ils ne peuvent pas payer les consultations et les médicaments prescrits par les dispositifs sanitaires. Comment les enquêtés perçoivent-ils les préventions pouvant les aider à éviter certaines maladies ?

5.3.1 Niveau scolaire et prévention sanitaire Les inégalités en structures sanitaires nécessitent tout de même des préventions pouvant éviter des maladies épidémiques et endémiques. Nous avons essayé de voir

Page 219: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

219

en fonction du niveau scolaire des enquêtés, à travers le tableau ci-dessous, comment et pourquoi sont-ils sensibles ou non à certaines maladies récurrentes dans la région comme le paludisme, l’onchocercose qui est une maladie dûe à une filaire caractérisée par des lésions cutanées et de graves atteintes oculaires et enfin les maladies sexuellement transmissibles (MST /SIDA). Les ravages que font ces maladies amènent le pouvoir public et certains organismes à mener des campagnes de sensibilisation, de manière ponctuelle. Nos enquêtés en sont ils sensibles ? Perçoivent-ils l’importance de la sensibilisation relative à la prévention qui demeure la seule solution efficace pour certaines maladies?

Tableau 27: Niveau scolaire et prévention Réponses aux questions : - Aviez-vous quitté l'école à quel niveau scolaire : - Etes-vous sensibilisés aux campagnes de :

Niveau scolaire/ Santé2

Lutte contre le paludisme

Lutte contre l'onchocercose

Lutte contre le SIDA/MST

TOTAL

CI-CP 75,0% (3) 25,0% (1) 0,0% (0) 100% (4) CP-CE1 35,3% (12) 26,5% (9) 38,2% (13) 100% (34) CE2-CM1 18,2% (4) 22,7% (5) 59,1% (13) 100% (22) TOTAL 31,7% (19) 25,0% (15) 43,3% (26) 100% (60)

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 60 observations.

Niveau scolaire x Santé2

4 CI-CP

34 CP-CE1

22 CE2-CM1

Lutte contre le paludisme Lutte contre l'onchocercose Lutte contre le SIDA/MST

Ce tableau laisse apparaître que près de 32% sont sensibles à la lutte contre le paludisme, 25% à la lutte contre l’onchocercose et un peu plus de 43% à la lutte contre les MST/SIDA. Le paludisme est l’une des causes de la mortalité infantile en Centrafrique. L’absence de vaccins pour cette maladie rend celle-ci beaucoup plus agressive vis-à-vis de la population vulnérable notamment les enfants. La seule possibilité d’éviter cette maladie reste la prévention. Celle-ci se fait à partir des actes pouvant éviter les eaux stagnantes aux alentours des habitations ; se coucher sous des moustiquaires ordinaires ou celles imprégnées. Ces moustiquaires sont vendues au prix fort, les rendant inaccessibles à l’ensemble de la population. Seulement, ce n’est pas

Page 220: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

220

l’ensemble de la population qui perçoit cette maladie et sa prévention de la même manière. Certains trouvent d’autres explications à la cause de cette maladie dans la croyance traditionnelle déjà évoquée. Ils lient la crise du paludisme à une maladie venant du singe donc curable par la pharmacopée. Ils se rendent compte de la gravité de la situation lorsqu’il est trop tard. Comme nous l’avions souligné précédemment, la région de l’Ouham demeure celle où il y a beaucoup d’aveugles et de malvoyants. L’onchocercose en est l’une des causes principales. Là encore, les avis sont variés quant aux explications des causes réelles. En réalité cette maladie touche une population de pêcheurs. C'est parce que ces derniers passent la plupart de leur temps auprès des rivières et cours d’eau où pullulent ces vers. Une fois atteintes, les victimes ne s’en rendent pas compte dans l’immédiat car la manifestation pathologique est latente. La phase visible et avancée est celle de la malvoyance. A ce stade, il y a la possibilité d’une intervention chirurgicale si la lésion oculaire n’est pas importante. Mais les patients sont-ils prêts pour cette intervention ou en ont-ils les moyens ? En effet, dans un cas comme dans l’autre, il y a une justification. D’ailleurs nous sommes dans un contexte rural où il n’y a pas de dispositif sanitaire équipé ni d’ophtalmologue. En revanche, une équipe médicale sillonnait la région (avant la rébellion de 2002) pour des éventuelles interventions. Mais elle se heurtait tout de même aux résistances de certains patients : « je n’ai pas voulu me faire opérer au risque de ne plus voir car mon cas est « la main d’autrui », l’hôpital ne peut rien faire » nous confie cet enquêté. « La main d’autrui » est l’explication la plus récurrente de certaines causes des maladies par les enquêtés. Pour certains enquêtés, leur problème de vue est lié au fait qu’ils soient bons pêcheurs d’où la jalousie ayant entraîné les mauvais sorts, l’envoûtement et autres incantations maléfiques à leur encontre. Dès lors, ils ne font pas de liens entre la présence de l’onchocercose et leur pathologie oculaire. Donc cette dernière ne peut être traitée que par des guérisseurs traditionnels. Seulement, en croyant en des guérisseurs, ils perdent progressivement la vue jusqu’à devenir aveugles. Enfin les maladies sexuellement transmissibles et le SIDA touchent avec une gravité extrême la population centrafricaine et la région de l’Ouham en particulier. Cette région, rappelons-le a connu durant des années la rébellion avec des conséquences désastreuses sur les personnes physiques notamment les viols aggravés ayant entraîné des infections et contaminations. Jusque là peu de personnes dans cette

Page 221: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

221

région acceptent de témoigner sur des cas de viols dont elles étaient victimes : C’est encore un problème tabou. La méconnaissance ou l’absence des psychologues ne permettent pas aux victimes de s’exprimer sur ce traumatisme qu’elles considèrent comme une honte et par conséquent ne peut être connu de tous. Nous avons retenu ces trois maladies parce qu’elles partagent plus ou moins en commun un problème, l’absence de vaccins ; et une seule solution, la prévention. Mais nous sommes dans un contexte où il y a trop de préjugés autour de la maladie. Certaines maladies sont tabous et trouvent leur explication dans d’autres dimensions (métaphysique, spirituelle, maléfique, magique, sorcellerie etc.) que la cause clinique de la maladie elle-même. Surtout pour des cas de maladies précitées, qui n’ont pas de remèdes adéquats. Dès lors la sensibilisation et la prévention demeurent la seule solution. Mais là encore elle se heurte aux mœurs traditionnelles toujours prégnantes. L’impact de la sensibilisation se mesure selon que la population soit scolarisée ou non. Même si elle est scolarisée, à quel niveau a-t-elle quitté le système scolaire ? La différence relative se fait en fonction du niveau scolaire et selon l’importance ou la gravité dont on juge de la maladie. Au niveau spécifique on constate que les enquêtés du niveau scolaire CI-CP représentant 75% sont sensibles au paludisme. Si ces enquêtés sont beaucoup plus sensibles au paludisme, ils justifient leur motivation par le nombre de décès lié à cette maladie dont ils étaient témoins et, à sa présence séculaire dans leur localité : « C’est difficile d’en parler mais mon neveu est décédé de cette maladie parce qu’on ne l’a pas amené à l’hôpital assez tôt». Ils notent également que la distance qui les sépare de l’hôpital leur cause du tort pour sauver des vies. D’autres évoquent le coût du traitement et les matériels de prévention qui demeurent insurmontables : « C’est chose impossible pour nous de payer à la fois le carnet, la consultation, les médicaments, le séjour à l’hôpital (…) pour finalement perdre le patient (…) et en plus leur moustiquaire imbibée coûte très chère». Même si les patients veulent bien se soigner à l’hôpital, ils se heurtent au coût élevé des prestations souvent médiocres ; surtout qu’on est face à une situation d’inexistence de prestations sociales et sanitaires gratuites pour les démunis et ce, depuis 1979 avec la suppression de la carte d’abonnement sanitaire. Ensuite 25% sont également sensibles à l’onchocercose dont ils connaissent au moins un proche malvoyant ou aveugle de cette maladie.

Page 222: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

222

Enfin les MST/SIDA ne semblent pas les inquiéter. Ce, parce que ces enquêtés sont domiciliés dans les villages dont les campagnes de sensibilisation sont loin de les toucher. Ils peinent à connaître la maladie et la nommer même dans leur langue locale, car elle est d’origine récente. Les différentes brochures schématiques de la maladie leur sont inaccessibles vu leur faible niveau scolaire. Ce qui présente un risque important au niveau de la protection et prévention. Les enquêtés du niveau scolaire entre le CP-CE1 sont sensibles en moyenne à toutes les maladies. Ces enquêtés que nous pouvons classer d’intermédiaires, habitent aussi bien les villages que les grands centres urbains. Ceux qui ont un niveau scolaire compris entre le CE2-CM1 sont beaucoup plus sensibles au MST/SIDA (59%). Ils résident beaucoup plus dans les grands centres urbains où il y a un fort taux de prévalence des MST/SIDA et la concentration des structures de prévention et de sensibilisation. Quant à l’onchocercose, la présence d’une seule structure pour « handicapés visuels » pour l’ensemble de la région demeure insuffisante et les enquêtés en sont conscients, même s’ils vivent dans la plupart des cas en milieu urbain qui semble les épargner, d’où leur mobilisation contre cette maladie irréversible. S’ils sont moins sensibles au paludisme, ils justifient cette attitude par la possibilité de soins dont ils peuvent bénéficier en cas d’urgence à cause de leur proximité à l’hôpital. Nous avons estimé que la scolarisation de masse peut aider à départager la population des préjugés portés sur tel ou tel phénomène pourvu qu’elle connaisse et comprenne les mécanismes. Le constat est que les dispositifs scolaires ont une posture de déconfiture progressive occasionnant les départs massifs de chaque promotion scolaire, ce qui nous intéresse ici. Cette promotion scolaire qui quitte les dispositifs scolaires est-elle tentée de fréquenter d’autres dispositifs alternatifs comme les centre culturels ?

5.4 Niveau scolaire et culture Les centres culturels ou centres sociaux constituent des dispositifs alternatifs pouvant donner la possibilité aux usagés de s’ouvrir dans plusieurs domaines notamment culturels. La quasi inexistence de ces dispositifs dans la région ne prédispose pas les enquêtés à projeter cette possibilité. Les rares dispositifs tenus généralement par les confessions religieuses, manquent de moyens et de programmes attractifs n’encourageant pas leur fréquentation comme le montre le tableau ci-dessous. Ceux qui en fréquentent le font-ils en fonction de leur niveau scolaire ?

Page 223: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

223

Tableau 28: La culture

Réponses à la question : Fréquentez-vous un centre culturel ?

Culture Nb.

cit. Fréq.

Oui 8 13,3% Non 52 86,7% TOTAL OBS. 60 100%

Source : Enquête de terrain 2004 Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 60 observations.

Culture

Oui 8

Non 52

De ce tableau, il apparaît qu’un peu plus de 13% d’enquêtés fréquentent les dispositifs culturels qui se situent principalement dans le grand centre urbain de la zone A (Bossangoa). La motivation de cette fréquentation se situe au niveau des projections des films et des jeux de société comme le souligne cet enquêté : « C’est presque la seule distraction de la localité ; on y vient surtout pour des films ». Des livres peuvent être empruntés mais ne semblent pas intéresser les enquêtés. Est-ce à cause de leur faible niveau scolaire ? Le fait qu’ils fréquentent ces centres culturels peut être considéré comme les effets de la scolarisation pouvant induire une possibilité d’insérer d’autres programmes comme celui d’alphabétisation plutôt que de réduire aux films. Près de 87% affirment n’avoir jamais fréquenté les centres culturels. Les raisons invoquées concernent en majorité l’absence de ces dispositifs suivies du manque de temps et le problème de distance. D’autres estiment que le centre culturel ne concerne que les enfants ou que le fonctionnement ne les intéresse pas. Est-ce un désengagement ? Un manque de motivation ? Ou encore l’absence de sensibilisation aux objectifs de ces centres ? Ou tout simplement l’absence du centre lui-même ? Cette dernière hypothèse nous paraît intéressante. De toutes les raisons relatives à la fréquentation ou non de ces centres, nous ne pouvons pas justifier leur non fréquentation par le niveau scolaire des enquêtés. Surtout que ces derniers évoquent eux-mêmes l’absence de ces structures. La massification des dispositifs socio culturels avec un programme varié et attractif permettrait à tout un chacun, quelque soit son niveau scolaire, de se retrouver en situation d’ouverture à la culture ou au monde dans son ensemble. Mais qu’en est-il des autres sources de culture possible ?

Page 224: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

224

5.5 Niveau scolaire et engagement communautaire L’autre possibilité de compréhension de cette situation d’ouverture à d’autres sources de connaissances en l’absence des centres socio culturels, est l’ensemble des groupes ou organisations que nous avons identifiés en fonction de ce qu’ils revêtent pour les enquêtés. Ce sont les associations, les mouvements de jeunesse, les groupes de danse traditionnelle. Ils demeurent dans la plupart des cas la seule source d’accès à la culture des enquêtés. C’est le seul lieu où ils peuvent apprendre autre chose que ce qu’ils connaissent au quotidien. Nous avons observé ce paramètre en fonction du niveau scolaire des enquêtés à travers le tableau ci-dessous :

Tableau 29: Niveau scolaire et engagement communautaire Réponses aux questions : - Aviez-vous quitté l'école à quel niveau scolaire ? - Etes-vous engagé dans un mouvement comme ?

Niveau scolaire/Culture4

Scoutisme Flambeau Groupe de danses traditionnelles

Associations TOTAL

CI-CP 0,0% (0) 50,0% (2) 0,0% (0) 50,0% (2) 100% (4) CP-CE1 32,4% (11) 26,5% (9) 14,7% (5) 26,5% (9) 100% (34) CE2-CM1 4,5% (1) 31,8% (7) 22,7% (5) 40,9% (9) 100% (22) TOTAL 20,0% (12) 30,0% (18) 16,7% (10) 33,3% (20) 100% (60)

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 60 observations.

Niveau scolaire x Culture4

4 CI-CP

34 CP-CE1

22 CE2-CM1

Scoutisme Flambeau Groupe de danses traditionnellesAssociations

Le scoutisme est un mouvement éducatif de jeunesse soutenu par l’église catholique tout comme le « flambeau » qui est au sein de l’église protestante. Ces deux mouvements jouent un rôle important dans la survie et la vie de ces églises. C’est également au sein de ces mouvements de jeunesse que les églises peuvent parfois avoir les nouveaux prêtres, les nouveaux pasteurs, les lecteurs, les choristes, enfants de coeurs … selon leur niveau scolaire. Le groupe de danse traditionnelle présente un caractère ésotérique selon le cas, car faisant partie des pratiques rituelles acquises en camp d’initiation ou dans la vie ordinaire. Les associations identifiées portent sur les intérêts communautaires dans le processus d’organisation paysanne de production. Ces différentes structures

Page 225: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

225

permettent-elles à nos enquêtés d’y être impliqués ou actifs et pourquoi ? En intégrant ces mouvements restent-ils ou s’éloignent-ils des actes scolaires comme nous l’avions souligné précédemment? De ce tableau, on peut noter que 20% d’enquêtés font partie du scoutisme, 30% du flambeau, près de 17% de groupe de danses traditionnelles et 33% des associations. Au niveau scolaire, ceux du CI-CP sont 50% à être membres du mouvement « flambeau » et 50% membres d’une association. La motivation des enquêtés à ces deux structures se situe au niveau de leur proximité dans les villages. La région de l’Ouham représente une forte communauté protestante. La « souplesse » de l’église protestante à choisir ses pasteurs a eu comme conséquence plusieurs églises dans les recoins des villages. Ce, contrairement à l’église catholique qui exige plusieurs années d’études supérieures avant de devenir prêtre. Ce dernier n’exercera que dans les grands centres urbains et célébrera les messes dans les villages de manière ponctuelle. L’encrage des associations ou groupements communautaires et ses objectifs en milieu rural ont aidé à la décision de nos enquêtés à s’y impliquer. Ceux qui ont un niveau scolaire de CP-CE1,sont plus de 32% membres du scoutisme, près de 27% faisant partie du « Flambeau », près de 15% appartenant à un groupe de danses traditionnelles et 26% sont membres d’une association. Enfin les enquêtés du niveau scolaire CE2-CM1 présentent près de 5% qui sont membres du scoutisme, près de 32% faisant partie du « Flambeau », près de 23% appartenant au groupe de danses traditionnelles et près de 41% membres d’une association. Ces structures constituent un autre mode de socialisation avec une variante : la solidarité. Pour les enquêtés, la solidarité qui règne dans ces structures constitue la première raison d’y faire partie, au risque d’être isolé. La complexité progressive de la société réduit la prédominance du clan sur ses membres dès lors qu’ils se trouvent dans les grandes villes. Ces derniers se retrouvant loin du village d’origine s’appuient sur les réseaux culturel, corporatif, confessionnel…que peuvent leur assurer la sécurité et solidarité. Leur principe de fonctionnement est établi de sorte que l’assistance à un membre soit équitable, quelque soit son degré de participation aux activités de l’organisation dont il est membre. Ce qui nous intéresse, c’est beaucoup plus l’impact de ces structures sur le niveau scolaire des enquêtés. Ces structures maintiennent-elles un lien faisant appel à la connaissance scolaire dans leur fonctionnement ? A cette question, peu de structures ne font pas appel à l’écriture et à la lecture. Il s’agit

Page 226: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

226

des groupes de danses traditionnelles car tout est oral et gestuel comme le fait remarquer cet enquêté : « …même moi qui suis le chef depuis deux ans je n’ai aucun souvenir d’avoir écrit quelque chose sur la danse encore moins lu. De toute façon qu’est-ce qu’on peut lire sur quelque chose qui est gestuel… ». En revanche, que ce soit le scoutisme, le « Flambeau » ou les associations, leur fonctionnement nécessite la lecture et l’écriture tout comme le calcul. Le scoutisme n’est pas d’origine centrafricaine. C’est un produit culturel venu d’ailleurs. Il présente des lois et maximes qui sont écrites ; et ne peuvent être apprises et comprises que par la connaissance de la langue dans laquelle elles ont été écrites. Le problème ne se situe pas au niveau de la langue dans laquelle ces lois et maximes sont écrites. Même si elles sont écrites dans les langues locales, l’essentiel pour nous est qu’elles soient écrites en utilisant l’alphabet français. Pour certains de nos enquêtés, leur faible niveau scolaire ne leur permet pas de lire un manuel complet du scoutisme, ils se contentent de la traduction orale faite par leur chef. Ce qui est intéressant, c’est la possibilité de maintien de contact avec l’écriture et la lecture qu’offre le scoutisme. Seulement, rien n’est prévu pour rehausser le niveau scolaire de ses membres d’où la désignation d’un chef scout pose régulièrement ce préalable de niveau scolaire : « nous sommes restés un an sans chef car celui qui nous dirigeait a quitté le village pour poursuivre ses études à Bossangoa ». Le mouvement « Flambeau » a une particularité qui le distingue nettement du scoutisme : Les manuels de ce mouvement sont en langue nationale (le Sango) et il y a un programme d’alphabétisation pour ceux qui n’ont jamais été à l’école. C’est une tradition protestante, déjà évoquée précédemment, elle consiste à s’appuyer sur la langue locale comme outil d’évangélisation et ce, dans tous les endroits possibles du pays. L’ambiguïté de cette alphabétisation est que les alphabétisés en Sango ne soient pas capables de lire des écrits en d’autres langues même s’il s’agit d’un même alphabet utilisé. Certains enquêtés scolarisés en langue française connaissent l’illettrisme en français et non en Sango. Enfin les mouvements associatifs qui fonctionnent à base de statut et règlement intérieur n’exigent pas des membres un niveau scolaire minimum. En revanche les responsables doivent tout de même savoir lire et écrire. Car ils sont tenus à suivre des formations diverses proposées par des partenaires au développement en milieu rural. Ils peuvent participer aux conférences et séminaires-ateliers spécifiques pouvant renforcer leur capacité dans l’organisation et la gestion de leur association. Nous

Page 227: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

227

avions constaté que l’organisation associative représente un creuset social et culturel indispensable qui peut rehausser le niveau scolaire et doter ses membres d’un savoir faire et d’une compétence qu’ils n’auraient pu avoir ailleurs comme le souligne cet enquêté : « Avec notre association, j’ai retrouvé l’envie d’apprendre de nouvelles choses. Ce qui était impossible avant. Aujourd’hui je peux élaborer un budget, remplir des bordereaux de livraison d’intrants, tenir la comptabilité de l’association (...). Tout ceci parce que l’association m’a permis de me former dans ces domaines utiles à son fonctionnement… et pourtant j’ai quitté l’école en classe de CE2…». Cette envie d’apprendre est partagée par la plupart des enquêtés engagés dans le monde associatif. L’organisation associative peut-elle être comparable au système éducatif ? La flexibilité de l’organisation associative suscite l’adhésion de ses membres au-delà de ses objectifs sociaux qui ne sont pas négligeables. Le groupement d’intérêts ruraux (GIR) auquel nous avions participé à l’une des réunions témoigne cet état de fait. La prise de parole de chaque membre démontre à quel point il se sent acteur à part entière et non négligeable dans le fonctionnement du groupement. La latitude accordée à chaque membre pour donner son point de vue sur un sujet engageant le groupement est très motivant et crée une disponibilité d’esprit à apprendre de l’autre membre etc. Ce qui n’est pas souvent le cas dans le système scolaire où la surcharge des classes ne permet pas à l’enseignant de prendre en compte la particularité de chaque écolier. Outre les groupes de danses traditionnelles, les autres structures culturelles et associatives font effectivement appel au savoir scolaire à des degrés variés. Ce qui est un signe compensatoire à la déscolarisation, même si le nombre de ceux qui renouent indirectement aux savoirs scolaires demeure minoritaire : chefs scout, responsables associatifs… Cette « nouvelle vie » après leurs abandons scolaires nous amène à revoir avec les enquêtés les représentations qu’ils se font de l’école.

Page 228: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

228

5.6 Niveau scolaire et représentations de l’école A priori, l’école est positive pour les parents qui y envoient leurs enfants. Cependant il y a un écart considérable entre ce que les parents attendent de l’école pour leurs enfants et ce que celle-ci réserve à ces enfants. Nous n’allons pas revenir sur l’historique de l’école en Centrafrique mais soulignions tout de même que le contexte dans lequel elle s’était introduite en Centrafrique était particulier. Malheureusement bon nombre de parents continuent à croire, faute d’une nouvelle orientation de l’école, à ce contexte qui n’était qu’un passage historique de l’éducation en Centrafrique. Maintenant les donnes ont changé et ce, à tous les niveaux. On ne peut rien espérer de mieux même avec une bonne scolarité, d’où la nécessité d’une réorientation du système scolaire beaucoup plus opérationnelle et non illusoire, tournée vers beaucoup plus de créativité et d’initiatives à petite échelle, pouvant contenir toutes les tranches d’âges de tout niveau scolaire. Cette attente de l’école traduit plus ou moins les réponses données quant à la représentation que se font les enquêtés de l’école à travers le tableau ci-dessous : Tableau 30: Niveau scolaire et représentations de l’école

Réponses aux questions : - Aviez-vous quitté l’école à quel niveau scolaire ?

- Quelles représentations faites-vous de l’école actuelle ?

Niveau scolaire/Culture5

Positive Négative TOTAL

CI-CP 25,0% (1) 75,0% (3) 100% (4) CP-CE1 41,2% (14) 58,8% (20) 100% (34) CE2-CM1 50,0% (11) 50,0% (11) 100% (22) TOTAL 43,3% (26) 56,7% (34) 100% (60)

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 60 observations.

Niveau scolaire x Culture5

4 CI-CP

34 CP-CE1

22 CE2-CM1

Positive Négative

De ce tableau, il apparaît que 43% des enquêtés ont une représentation positive contre près de 57% une représentation négative de l’école. Nous avions constaté chez les enquêtés que cette question de représentation de l’école renvoie à deux situations :

Page 229: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

229

- Elle rappelle aux enquêtés les différents facteurs ayant motivé leur défection scolaire et y trouvent des justificatifs. - La déception par rapport à l’école elle-même qui fait naître un dégoût vis-à-vis d’elle. L’ambition de la plupart des enquêtés était de travailler dans l’administration après un bon parcours scolaire : C’est le cheminement classique d’un scolarisé en République Centrafricaine. Le fait de n’avoir pas tenu jusqu’au bout et pu réaliser cette ambition est vécu comme un échec personnel et une déception, même si beaucoup de facteurs y ont contribué. Nous avons constaté que les enquêtés ne font pas nécessairement de liens entre leur niveau scolaire et les autres activités professionnelles (artisanat, agriculture…) qu’ils mènent, quant il s’agit de donner une opinion sur l’école. Et pourtant, nous avions remarqué précédemment que plus le niveau est élevé plus ils s’orientent vers l’artisanat. En donnant une opinion positive sur l’école c’est comme s’ils valorisaient cette institution qui les a rejetés, en rendant leur « incapacité scolaire » visible. Ce, à tous les niveaux scolaires à l’exception des enquêtés du niveau scolaire CE2-CM1 qui ont 50 % d’opinion positive et 50% d’opinion négative. Cette exception peut s’expliquer par l’hypothèse du niveau scolaire élevé aidant à faire la distinction entre les bons et mauvais côtés de l’école. Les mauvais côtés de l’école se situent au niveau de son organisation qui hésite à prendre en compte certains paramètres essentiels (établissements et enseignants en nombre suffisant) à sa réussite dans l’accompagnement de la masse scolarisable. La question sur la représentation de l’école était expressément tendancieuse ayant permis de voir comment les enquêtés pouvaient s’exprimer ou donner leur opinion générale voire confuse sur l’école. Mais en posant une question spécifique les touchant directement, auront-ils un avis général ou confus ?

5.7 Frustrations quotidiennes et les abandons scolaires Nous sommes parti sur le principe que nos enquêtés vivant en milieu rural ou urbain sont plus ou moins confrontés dans l’une de leurs activités ou leur vie quotidienne aux problèmes liés à la lecture ou l’écriture. Comment vivent-ils cette situation ? Leur vie quotidienne peut-elle les interpeller à regretter le fait d’avoir quitté le dispositif scolaire?

Tableau 31 : Niveau scolaire x Regret/abandon scolaire

Page 230: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

230

Réponses aux questions : - Aviez-vous quitté l'école à quel niveau scolaire :

- Regrettez-vous d'avoir abandonné assez tôt votre scolarité ?

Niveau scolaire/Regret/abandon scolaire

Oui Non TOTAL

CI-CP 75,0% (3) 25,0% (1) 100% (4) CP-CE1 73,5% (25) 26,5% (9) 100% (34) CE2-CM1 72,7% (16) 27,3% (6) 100% (22) TOTAL 73,3% (44) 26,7% (16) 100% (60)

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 60 observations.

Niveau scolaire x Regret/abandon scolaire

4 CI-CP

34 CP-CE1

22 CE2-CM1

Oui Non

Contrairement à la question sur la représentation de l’école, on remarque que plus de 73% des enquêtés regrettent d’avoir quitté tôt l’école contre près de 27% qui ne regrettent pas. Pourquoi peut-il y avoir un tel décalage entre la représentation qu’ils font de l’école et le regret de l’avoir quitté assez tôt ? Deux hypothèses nous ont permis de comprendre les mécanismes d’un tel décalage : La profession des enquêtés et la frustration. Les activités professionnelles des enquêtés ont beaucoup plus déterminé le regret ou non d’avoir abandonné tôt leur scolarité. Ceux qui ne regrettent pas d’avoir abandonné l’école sont ceux qui sont plus ou moins satisfaits de leur situation professionnelle actuelle. Laquelle situation ne nécessitant pas directement des savoirs scolaires très avancés comme le cas de cette enquêtée : « De toute façon, je devais reprendre le travail de ma mère matrone » ou encore pour un autre enquêté : « De toute façon je devais reprendre le troupeau de mon père » et enfin « je suis mieux avec le commerce familial ». Pour cette catégorie d’enquêtés tout semble joué d’avance même s’ils aimaient ou pas l’école, s’ils étaient bons ou pas à l’école. Car il est question d’héritage de la profession familiale. D’autres considèrent que l’école ne sert à rien pour regretter de l’avoir quittée ; ils se réclament le statut de ceux qui l’ont « volontairement » quittée comme le fait remarquer cette enquêtée : « J’ai mon frère qui a été à l’université mais, il n’a pas de travail et je dois m’en occuper de temps en temps ». Nous avions déjà souligné que le travail « obligatoire » après les études était classique en Centrafrique. Ce, parce que c’était le

Page 231: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

231

devoir de l’Etat à une période de son histoire de donner de l’emploi à tous, quelque soit leur niveau d’études. Cette logique n’est plus d’actualité et, il n’y pas de mesures alternatives tant au niveau de l’orientation des formations qu’au niveau de la politique d’insertion de masse. L’insertion professionnelle en Centrafrique est une trajectoire personnelle de l’individu qui est acteur, comme on a pu observer comment certains de nos enquêtés se sont « professionnalisés » en devenant artisans, sans aides institutionnelles visibles. Nous avons remarqué que ceux qui sont peu scolarisés sont beaucoup plus entreprenants car ils attendent moins de l’Etat que ceux qui sont diplômés. Une barrière psychologique reste à franchir pour ces diplômés qui n’ont pas assez d’esprit d’initiative et de reconversion professionnelle. L’exemple de cette enquêtée quant à la prise en charge de son frère diplômé n’est pas généralisable mais reste tout de même dans une proportion très importante et inquiétante en Centrafrique. Cette situation des diplômés sans emploi ne peut encourager leur entourage à une scolarisation mais plutôt à une vision négative de l’école à produire des chômeurs diplômés. Enfin, il y a ceux qui ne se reprochent rien de leur déscolarisation : « Je n’avais pas les moyens pour pouvoir continuer» ou encore « c’était une perte de temps car elle passait son temps à fermer ses portes ». Ces enquêtés évoquent en partie les causes de leur déscolarisation tout en étant satisfaits de leur situation quelque soit les difficultés liées aux savoirs scolaires qu’ils peuvent rencontrer car ils n’y sont pour rien. Ceux qui regrettent d’avoir quitté tôt l’école sont ceux qui vivent une frustration quotidienne dans leurs activités professionnelles ou dans leur vie courante. Ils avaient tous une ambition : avoir un bon parcours scolaire et obtenir un bon travail dans l’administration. Cette ambition s’était estompée par les abandons scolaires précoces qui ne leur avaient pas donné la possibilité d’un emploi meilleur qu’ils souhaitaient. Ce regret est quasi permanent ; car il est toujours lié à une profession : «… je ne peux plus travailler dans l’administration comme mes amis d’enfance… » ou encore « …je ne peux pas devenir gendarme. Je suis entré dans la rébellion en 2002, à la fin, ils m’ont lâché parce que je n’avais pas le CEF1 ». Pour cet type d’enquêtés, ce qu’ils vivent n’est autre que les conséquences de leur abandon scolaire précoce et ils ne sont pas satisfaits de leur situation professionnelle du moment et peuvent changer de profession si jamais une occasion se présentait : « Avec un CEF1, je pourrais être contremaître au lieu de demeurer ouvrier depuis des années… » ou encore « …je ne peux rien faire de plus valorisant que d’être cultivatrice ».

Page 232: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

232

Il y a ceux dont le regret et la frustration naissent de leur difficulté à poser des actes quotidiens liés aux savoirs scolaires : « …je ne peux pas lire ou écrire mon courrier » ou encore : « …il y a certaines choses que je ne peux plus comprendre comme les informations radio en français. ». Ceux-là font toujours appel à ceux qui sont plus scolarisés pour les aider dans certaines circonstances. Mais là encore, tous ne s’engagent pas à solliciter une aide d’une personne qui découvrira finalement leur handicap. Enfin, il y a ceux qui sont convaincus de leur capacité à poursuivre leur scolarité aussi longtemps que possible mais que certains facteurs (fermetures de classes, d’école, grèves…) les ont contraints à abandonner : « …je pouvais continuer jusqu’au lycée et devenir sage-femme » ou encore « je pouvais mieux faire ». Ceux-ci trouvent leur situation provisoire et sont capables de reprendre une scolarisation adaptée, changer de profession ou de lieu de résidence. Que ce soit dans le domaine professionnel ou dans la vie courante, le regret d’avoir abandonné l’école est visible chez la plupart de nos enquêtés. Ils reconnaissent leur faible niveau scolaire qui leur pose de sérieux problèmes dans la vie quotidienne. Ce qui est une motivation d’un éventuel retour à l’apprentissage scolaire ou tout simplement une alphabétisation adaptée. Mais que diront les enquêtés de cette perspective ? 5.8 Niveau scolaire et alphabétisation La gestion des frustrations quotidiennes liées à la sous scolarisation peut être un facteur sans complexe de reprise d’un cours d’alphabétisation. L’autre problème est celui de l’âge avancé de certains enquêtés qui peuvent estimer que l’école, en même temps, ne peut plus faire partie de leur monde d’adultes. Nous avons essayé tout de même de recueillir leur avis sur l’éventualité de reprise d’un cours adapté. S’ils le font pourquoi le font-ils ? Que peut leur apporter ce type d’école ? S’ils ne veulent pas, quelles en sont les motivations ?

Page 233: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

233

Tableau 32: Niveau scolaire et alphabétisation Réponses aux questions : - Aviez-vous quitté l'école à quel niveau scolaire ? - A votre âge, s'il y a une école adaptée, la fréquenteriez-vous ?

Niveau scolaire/Alphabétisation

Oui Non TOTAL

CI-CP 75,0% (3) 25,0% (1) 100% (4) CP-CE1 58,8% (20) 41,2% (14) 100% (34) CE2-CM1 72,7% (16) 27,3% (6) 100% (22) TOTAL 65,0% (39) 35,0% (21) 100% (60)

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 60 observations.

Niveau scolaire x Alphabétisation

4 CI-CP

34 CP-CE1

22 CE2-CM1

Oui Non

De ce tableau, on peut constater que 65% des enquêtés ont un avis favorable pour une scolarité adaptée contre 35%. L’idée de reprise d’une école adaptée présente deux groupes d’enquêtés. Il y a : - ceux qui ont une ambition professionnelle, - ceux qui veulent résoudre seuls les problèmes quotidiens liés aux savoirs scolaires auxquels ils sont confrontés. L’ambition professionnelle et même le plan de carrière sont presque une obsession pour ce premier type d’enquêtés qui veulent revenir à l’école un jour ou l’autre si jamais l’occasion se présentait : «…pour me permettre de devenir aide-soignante» ou « savoir bien soigner mes bétails ». Il y a un autre facteur, celui du diplôme que certains enquêtés n’admettent pas d’avoir quitté l’école sans l’avoir obtenu : «…passer le CEF1 en candidat libre ». Les difficultés quotidiennes liées à la lecture, l’écriture ou le calcul ont beaucoup plus motivé certains enquêtés à une éventuelle reprise de scolarité : «…pour me perfectionner en lecture et écriture » ou « savoir lire correctement » Que ce soit ceux qui ont une ambition professionnelle ou ceux qui souhaitent une autonomie dans la résolution des problèmes quotidiens liés à la lecture et l’écriture, ils sont tous confrontés au problème d’infrastructures alternatives.

Page 234: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

234

Pour les 35% d’enquêtés qui ne souhaitent pas reprendre une scolarité alternative ; certains justifient leur réponse, de manière pessimiste, par l’absence d’une structure éducative adaptée déjà évoquée : « ...il y en aura jamais. » ou « je ne pense pas qu’il y en aura chez nous …». D’autres évoquent leurs occupations et le temps à dégager pour cette alphabétisation : « J’ai trop d’activités et des enfants à charge », « je n’ai personne pour s’occuper de mes enfants » ou tout simplement : « Je n’aurai pas le temps nécessaire ». Enfin il y a ceux qui estiment qu’il est trop tard pour eux de réapprendre : « Je me vois mal d’être parmi les enfants ». Conclusion Les effets de la scolarisation sur les enquêtés demeurent insuffisants et tendent à s’éroder progressivement avec le temps. Ces acquis scolaires nécessitent un renforcement accru pour son éventuelle pérennisation au risque de disparaître, faisant place à l’illettrisme déjà présent parmi certains enquêtés; source de dépossession de l’individu d’autonomie en matière de lecture, écriture et calcul. De nombreux paramètres sont en cause de cette situation dont la principale est l’absence avérée des structures d’alphabétisation. Mais au-delà des abandons scolaires, il y a encore des élèves qui continuent à aller à l’école ou encore des parents qui continuent à les y envoyer. Quelles en sont les motivations ?

Page 235: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

235

CHAPITRE SIXIEME

Les scolarisés, les parents d’élèves et les abandons scolaires

Page 236: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

236

Chapitre VI : Les scolarisés et les parents d’élèves au moment de l’enquête Introduction A priori en tenant compte des paramètres à l’origine des abandons scolaires évoqués ci-dessus, il est fort de parier que tout est joué ou planifié d’avance : l’école ou la société centrafricaine ne crée pas de conditions favorables à une scolarité suivie et réussie de jeunes générations. Au-delà de ces considérations, nous avions essayé de nous rapprocher d’autres types de population notamment les élèves qui continuent à fréquenter l’école et les parents d’élèves d’y envoyer leurs enfants. L’objectif est de relever les motivations de ces deux types d’enquêtés à croire encore en l’école alors que certains l’abandonnent. 6.1 Identification des scolarisés C’est un échantillon de 30 élèves composés de 50% de garçons et 50% de filles. Leur âge varie de 9 à 16 ans dont 40% ont entre 9 et 12 ans et 60% ont entre 13 et 16 ans. Au niveau scolaire, nous avions choisi nos enquêtés parmi les élèves de CE2 représentant un peu plus de 43% et du CM1 près de 47%. Le choix de cette tranche d’âge et du niveau scolaire est dû à la possibilité d’expression et de compréhension de nos enquêtés du sujet pour lequel ils sont enquêtés. Cependant plus de 63% appartiennent à l’ethnie Gbaya, 20% à l’ethnie Sara et près de 17% constitués des « autres ». Au niveau religieux 90% sont chrétiens et 10% sont musulmans. Ils sont plus de 83% à se reconnaître autochtones, plus de 13% « étrangers » et un peu plus de 3% sont des « autres ». Leurs parents sont du niveau scolaire primaire représentant 50%, un peu plus de 43% du secondaire/technique et près de 7% du supérieur. La catégorie socioprofessionnelle des parents représente 30% de fonctionnaires, 40% de cultivateurs, 20% d’artisans et 10% d’ouvriers. Tous les enquêtés ont au moins un frère ou sœur. Ils sont 70% à avoir entre 1 et 3 frères et sœurs et 30% ont entre 4 et 8 frères. Un peu plus de 33% de frères et sœurs ont un niveau scolaire du primaire, près de 57% du secondaire/technique et 10% du supérieur. De ces variables, nous en avons retenu quelques-unes qui sont analysées après l’identification de ce groupe d’enquêtés.

Page 237: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

237

6.1.1 Sexe et scolarisation La scolarisation en République Centrafricaine et dans la région de l’Ouham en particulier a une particularité sociologique qui mérite d’être prise en compte. Cette particularité se situe au niveau de la population scolarisable c'est-à-dire selon que l’on soit garçon ou fille. Cela est dû à la position ou au statut que la fille ou le garçon occupe dans le clan ou dans la famille. La sensibilisation à la scolarisation sans distinction de sexe suit son chemin et a motivé le choix de ces enquêtés auprès desquels nous avions mené cette recherche.

Tableau 33: Sexe et scolarisation

Sexe Nb. Cit.

Fréq.

Masculin 15 50,0% Féminin 15 50,0% TOTAL OBS. 30 100%

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations.

Sexe

Masculin 15

Féminin 15

La parité et le concept genre font partie des discours ambiants du système des Nations Unies et en République Centrafricaine en particulier. Tout projet de développement ou toute institution politique ou sociale quelque soit sa nature veille à ce que les femmes y soient représentées. Ce constat a motivé en partie le choix des enquêtés encore scolarisés, constitués de 50% de garçons et 50% de filles. Ces dernières ont un problème particulier dans les relations sociales tout comme dans l’éducation en général. Le fait d’être scolarisée est une « grâce » et en même temps une résistance des parents aux mœurs locales comme l’affirme cette enquêtée de la classe de CE2 : « mon père a refusé que je sois excisée car cela jouera beaucoup sur ma scolarité ; ce qui n’était pas l’avis des autres (…). Alors on a quitté le village pour Bossangoa ». Cette situation est la plus fréquente mettant les parents en situation de « désobéissance » aux valeurs traditionnelles jugées inviolables. D’où la méchanceté

Page 238: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

238

gratuite occasionnant l’exode rural vers les grands centres urbains où le poids de la tradition serait négligeable. Pour certaines enquêtées l’école leur a permis d’éviter le mariage précoce et elles ne vivent pas le complexe de sexes, dès lors qu’elles travaillent aussi bien que les garçons à l’école. Ce cas soulève le problème de base scolaire acquise qui permet évidemment aux filles de mieux comprendre leur situation quasi particulière et de s’affranchir progressivement de celle-ci. Le fait d’avoir une bonne base scolaire constitue un levier important pouvant contenir les préjugés qui entourent et bloquent l’émancipation des femmes, équilibre d’une nation. Il est fort d’affirmer que le déséquilibre scolaire, en matière de sexe, a constitué et constitue encore un tort et un manque à gagner dans les pays en voie de développement et la République Centrafricaine en particulier. Le problème de sexe touche aussi bien les garçons surtout que le descendant garçon a une situation tout aussi particulière que celle des filles. Ce, au niveau des corps de métiers acquis par l’héritage culturel évoqué ci-dessus. Toutefois l’engagement des parents quant à la scolarisation de leurs enfants (filles comme garçons) évite à ces derniers d’être maintenus dans une tradition souvent trop fermée. L’essentiel est qu’on soit parvenu peu à peu à scolariser en masse les filles au-delà de ces considérations liées aux mœurs traditionnelles persistantes, seulement les conditions d’études ne facilitent pas souvent une longue scolarité. Nous allons présenter l’âge des enquêtés. 6.1.2 Age et scolarisation Dans le contexte de cette recherche, l’âge de ce groupe-cible pose le problème de revoir la trajectoire des jeunes de ces tranches d’âge retenues ; même si la capacité d’expression de ces enquêtés en était la principale cause. Nous avions voulu également savoir ce qui se passe à partir de ces tranches d’âge dans le processus de scolarisation et faire le lien avec ceux qui ont abandonné l’école.

Page 239: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

239

Tableau 34: Age et scolarisation

Age Nb. Cit.

Fréq.

9-12 12 40,0% 13-16 18 60,0%

TOTAL OBS. 30 100% Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations.

Age

9-12 12

13-16 18

Comme le montre ce tableau, 40% ont entre 9 et 12 ans. A cette tranche d’âge l’enfant est partagé entre l’ « emprise » des parents et l’autonomie. L’emprise ici se situe au niveau de la prise en charge totale ou partielle de l’enfant si jamais les parents sont en vie ou ont les moyens de le faire comme nous souligne cet enquêté «…si je continue à aller à l’école c’est parce que mes parents contrôlent mes résultats scolaires et mes activités… ». Ce type de prise en charge éducationnelle en laisse entrevoir l’ambition et la prise en compte des valeurs que véhicule l’école. Cela dépend également des capacités et de la motivation des parents. Cette capacité peut être économique et culturelle évitant à l’enfant la tentation de travailler pour assurer sa scolarité ou tout simplement de quitter l’école comme le cas du groupe-cible précédent. Nous avions constaté que cette tranche d’âge (9-12 ans) demeure « vulnérable ». Vulnérable au niveau de leur constitution physique, intellectuelle voire physiologique, tout comme face au niveau des besoins économiques auxquels ils peuvent être confrontés. A ce stade, les parents soucieux de l’avenir scolaire maintiennent une attention, rappelons-le, particulière pouvant déboucher au mieux à la réussite scolaire. Ici leur long séjour scolaire dépend aussi de la confiance en leur capacité d’apprendre : « j’aime bien la lecture, cela m’aide à mieux comprendre mes leçons». Cette capacité ne peut être acquise que par un bon apprentissage et dans de bonnes conditions. Enfin la dernière tranche d’âge montre que 60% des enquêtés ont entre 13 et 16 ans. La plupart de ces enquêtés sont souvent autonomes dans leurs activités scolaires même si les parents peuvent intervenir. Et cela peut s’étendre à leur propre prise en charge comme l’affirme cet enquêté : «…comme je comprends bien les leçons, je les apprends tout seul ».

Page 240: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

240

Apprendre tout seul en toute autonomie implique un faisceau d’efforts soutenus mais aussi la prise de conscience de la réussite scolaire dans l’avenir. Cela soulève le problème d’aide aux devoirs méconnue sur notre terrain de recherches. L’aide aux devoirs n’est pas institutionnelle ; elle est l’apanage des parents ou des « grand frères » selon leur niveau scolaire : « je suis aidé par mon grand frère pour apprendre mes leçons ». Ce cas n’est pas celui de tous qui, par exemple sont des aînés de la famille sur qui tout repose et qui n’ont pas des parents scolarisés comme affirme cet enquêté : « je suis le premier dans la famille à être scolarisé, ma poursuite scolaire dépend de ce que j’apprends à l’école ». D’où l’importance de la qualité des enseignements reçus peut créer une base, un goût et une motivation nécessaires à une longue scolarité pouvant faire de l’élève un pionnier dans sa famille ou dans son clan… Enfin pour cette enquêtée « … mes parents n’ont rien, je dois faire le petit commerce pour m’acheter les fournitures scolaires et les vêtements…je sais que je peux réussir à l’école malgré tout ». La persévérance de cette enquêtée trouve sa source en sa capacité d’apprentissage qui la maintient à l’école et qui lui permet de se prendre en charge car elle est convaincue de sa réussite. Ce cas renvoie en partie à l’autonomie et à la capacité de l’élève à supporter ses charges scolaires dès lors qu’il se fixe des objectifs et que les conditions le permettent. Le tableau suivant présentera le niveau scolaire des enquêtés.

6.1.3 Niveau scolaire Rappelons que le fait de faire abstraction des trois premières années scolaires (CI, CP, CE1) se justifie par la capacité des enquêtés des niveaux scolaires retenus dans la compréhension du questionnaire qui leur est adressé. L’autre motivation d’avoir privilégié les niveaux scolaires CE2 et CM1 est celle de leurs nombreuses années de scolarité qui leur permettraient de donner des appréciations sur leur trajectoire scolaire. Et quelles sont les conditions d’études et les motivations qui les aident à poursuivre leur scolarité jusqu’à ces deux niveaux scolaires retenus.

Page 241: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

241

Tableau 35: Niveau de scolaire des enquêtés

Niveau scolaire

Nb. Cit. Fréq.

CE2 13 43,3% CM1 17 56,7% TOTAL OBS. 30 100%

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations.

Niveau scolaire

CE2 13

CM1 17

De ce tableau, on note que, un peu plus de 43% des enquêtés sont au CE2 et près de 57% sont au CM1. Le niveau scolaire CE2 correspond à la tranche d’âge 9-12 ans par conséquent, rappelons-le « vulnérable ». Certains de ces enquêtés estiment leur maintient à l’école par l’engagement des parents ou proches parents à leurs côtés : «…mon oncle soutient ma scolarité, il me laisse le temps d’apprendre mes leçons… ». L’enfant dans notre terrain de recherches demeure un facteur important de production économique. Cela peut s’expliquer par des travaux champêtres, des corvées domestiques ou de petits services liés à son âge. L’excès ou l’abus de ces exigences économiques ou familiales peut nuire à la scolarité de l’enfant si les parents n’y veillent pas ou ne perçoivent pas au mieux l’importance de la scolarisation. Pour certains, « …arriver à ce niveau scolaire n’existe pas sans la prise en charge des parents ». Enfin le dernier niveau scolaire (CM1) correspond à la tranche d’âge d’entre 13 et 16 ans. En considérant la trajectoire de l’enfant dans le contexte de cette recherche, ces enquêtés sont soient « dépendants » des parents soient ils tendent vers une autonomie scolaire avérée. Pour ces derniers « …je suis l’artisan de ma scolarité vu que je suis orphelin de père et que ma mère n’est pas scolarisée ». Ce cas soulève le problème des orphelins qui continuent à fréquenter l’école et ceux qui l’abandonnent (...). Et être l’artisan de sa scolarité témoigne de l’ambiance qui peut régner à l’école. L’attitude de l’enseignant, la qualité de ses enseignements et les rapports entre camarades de classes, sont en partie, des motivations pour une longue scolarité. Pour d’autres, leur longue scolarité s’explique par leur foi en l’école « …je sais que l’école me donnera du travail raison pour laquelle je suis encore là…». Mais qu’en est-il de la religion dans le processus d’une longue scolarité ?

Page 242: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

242

6.1.4 Religion et la scolarisation La religion surtout révélée tout comme la scolarisation sont introduites en République Centrafricaine presque au même moment. Seulement leur encrage dans la société centrafricaine les diffère même si elles ont le même matériau : l’être humain. En ce qui concerne cette recherche, et particulièrement ce type d’enquêtés, nous avions voulu voir au-delà de la scolarisation, s’ils étaient croyants ou non au moment de l’enquête. Et en quoi la religion peut-elle influencer la poursuite scolaire ou non à travers le tableau suivant.

Tableau 36: Religion et la scolarisation

Religion Nb. cit.

Fréq.

Chrétien 27 90,0% Musulman 3 10,0% TOTAL OBS. 30 100%

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations.

Religion

Chrétien 27

Musulman 3

De ce tableau, on peut relever que 90% des enquêtés sont chrétiens et 10% sont musulmans. De leurs avis, ils sont pratiquants et impliqués dans les différents mouvements de jeunesse liés à leur religion. L’engagement comme membre ou responsable dans une communauté religieuse donne la possibilité aux enquêtés d’être confrontés à la lecture ou l’écriture de la Sainte écriture. Surtout qu’ils sont tenus de copier ou d’apprendre des lois ou maximes de leur mouvement : « …je suis scout, alors je dois apprendre les lois et les réciter à chaque fois que mon chef me le demande… ». Ce cas de figure concerne les chrétiens qui utilisent l’alphabet français par rapport aux musulmans utilisant l’alphabet arabe non employé dans l’enseignement en Centrafrique. Même si l’alphabet arabe n’est pas utilisé dans l’enseignement en Centrafrique, l’important pour nous est que l’enfant soit scolarisé, quelque soit la langue de l’enseignement, surtout que l’enseignement du coran utilise l’alphabet arabe ; source d’ouverture à d’autres modes d’apprentissage.

Page 243: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

243

Pour certains enquêtés notamment chrétiens, leur poursuite scolaire résulte aussi en partie de l’organisation des sacrements au sein de l’église elle-même : «…nous sommes aidés en lecture pendant les classes de baptême, de première communion ou de confirmation… ». Pendant ces différentes périodes le catéchiste ou le moniteur, en ce qui concerne l’église protestante, enseigne des passages bibliques soumis à la lecture soit en français soit en Sango (Langue nationale) selon le cas. Enfin certains enquêtés souhaitent faire carrière religieuse : « Je souhaite passer le concours d’entrer au petit séminaire ». Le séminaire est l’une des institutions religieuses qui joue un rôle important dans l’éducation et la formation des jeunes en Centrafrique et dans la région de l’Ouham en particulier. Le petit séminaire de Bossangoa (Ouham) en est un exemple avec un nombre plus important de prêtres que la moyenne nationale. Ce qui est important pour ces enquêtés qui veulent rentrer au séminaire témoigne de la volonté d’une longue scolarité. Ils ont une forte probabilité de terminer le cycle primaire car l’entrée au séminaire se fait par voie de concours et au niveau CM2. Nous allons aborder au tableau suivant le nombre des frères et sœurs de ces enquêtés.

Page 244: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

244

6.1.5 Nombre de frères et sœurs et la scolarisation Le nombre d’enfants par ménage est l’une des conditions d’une longue scolarité. Surtout que l’on se situe dans un contexte où la scolarité et sa prise en charge dépendent des parents selon leurs disponibilités financières. Au-delà de cet aspect, il peut arriver que des parents favorables à la scolarisation, mettent tout en œuvre pour la scolarisation de leurs enfants quelque soit leur nombre, même s’ils sont limités financièrement.

Tableau 37: Nombre de frères et sœurs et la scolarisation Réponses la question : - Avez-vous des frères et sœurs ? - Si oui, combien ?

Nombre de frères et soeurs

Nb. cit. Fréq.

1-3 21 70,0% 4-8 9 30,0% TOTAL OBS. 30 100%

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations.

Nombre de frères et soeurs

1-3 21

4-8 9

De ce tableau, il apparaît que 70 % des enquêtés ont un nombre de frères et sœurs compris entre 1et 3 et 30 % représentant un nombre compris entre 4 et 8. Le nombre d’enfants par ménage est un facteur important dans la réussite scolaire ou non de l’enfant, pour plusieurs raisons. Le constat est que la population de notre terrain d’études vit dans une déconfiture sociale très avancée et ce, à tous les niveaux. Il n’existe pas de prise en charge sociale des enfants. Les allocations familiales ne sont versées qu’à ceux qui sont fonctionnaires de l’Etat ou ceux qui travaillent dans certains secteurs privés de grande importance. Nous verrons un peu plus loin le faible nombre de parents qui sont fonctionnaires bénéficiant de ces allocations quand nous aborderons les parents d’élèves. Là encore, il faut rappeler que ces allocations ne sont pas versées régulièrement. D’où la prise en charge scolaire qui relève des parents, dans la plupart des cas, nous l’avions relevé à plusieurs occasions. Les parents avec peu de revenus et moins d’enfants à charge peuvent supporter les frais scolaires jusqu’à un certain niveau, avant que cela ne revienne à l’enfant lui-même, comme dans

Page 245: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

245

la plupart des cas. Le contraire amène les parents à opérer un choix entre les enfants à scolariser ; et les filles sont lésées au détriment des garçons. Certains parents préfèrent se débarrasser de certains de leurs enfants (garçon) qui ne les aident pas efficacement dans leurs activités quotidiennes en les envoyant à l’école comme punition. Ils renoueront avec leurs parents s’ils réussissent bien à l’école. L’autre aspect d’avoir plusieurs enfants est la réussite scolaire des aînés qui encouragera ceux qui suivent comme le souligne ces enquêtés « …je veux poursuivre ma scolarité jusqu’au lycée comme mon grand frère… » ou encore «…je veux être infirmier comme mon frère ». Dans un cas ou dans l’autre, nous avons constaté que ces enquêtés ne sont pas conscients des conditions d’études qui les séparent de leurs aînés. En y observant de près on relève que leurs aînés ont étudié dans des conditions tout au moins acceptables : salaires régulièrement payés, moins de grèves des enseignants, pas d’abandon de poste, pas de fermeture de classes ou d’écoles, pas de rébellion ayant entraîné la destruction de plusieurs bâtiments scolaires, et la fuite des enseignants vers d’autres régions sécurisées etc. Ces nouveaux bouleversements dans la configuration socio politique ne sont pas pris en compte dans le processus de réussite scolaire ou non par ces enquêtés. Néanmoins ils ont un « repère » qui n’est pas négligeable, celui des aînés qui réussissent et dont on peut voir le niveau scolaire à travers le tableau suivant. 6.1.6 Niveau scolaire des frères et soeurs et la scolarisation Le niveau scolaire des frères et sœurs est l’une des motivations pour une longue scolarité de ces enquêtés. Dès lors où ces frères et sœurs mettent au profit de leurs cadets, les connaissances scolaires acquises. Le tableau ci-après nous a permis de voir les différents niveaux scolaires des frères et sœurs et leur impact sur la scolarisation de nos enquêtés.

Page 246: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

246

Tableau 38: Niveau scolaire des frères et soeurs et la scolarisation Réponses aux questions : Vos frères et sœurs sont-ils scolarisés ? Si oui, ont-ils quel niveau scolaire ?

Niveau scolaire des frères et soeurs

Nb. cit. Fréq.

Primaire 10 33,3% secondaire/technique 17 56,7% Supérieur 3 10,0% TOTAL OBS. 30 100%

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations.

Niveau scolaire des frères et soeurs

Primaire 10

secondaire/technique 17

Supérieur 3

Ce tableau démontre que près de 57% des enquêtés ont des frères et sœurs d’un niveau scolaire secondaire et technique, un peu plus de 33% ont des frères et sœurs du niveau primaire et enfin 10% ont des frères et sœurs d’un niveau d’études de l’enseignement supérieur. A l’exception des 33% avec qui les enquêtés partagent le même niveau scolaire et les mêmes conditions d’études, les deux autres groupes de niveau scolaire que nous qualifions de « repère » jouent un rôle important, sans nécessairement le savoir, dans la motivation scolaire de nos enquêtés qui s’en identifient. Cette identification au « repère » place l’élève dans une situation ambivalente selon que le « repère » ait marqué de son passage l’école que fréquente désormais son cadet. C’est un processus qui prend son ancrage dans l’environnement scolaire, familial et personnel de l’enfant. D’abord, les enseignants font comprendre à l’écolier comment était alors son grand frère au cas où ce dernier avait les mêmes enseignants que son cadet. Dans ce cas, deux situations apparaissent selon que le « repère » soit brillant à l’école ou pas : Si le « repère » était brillant, les appréciations des enseignants vont aller du genre : « ton grand frère était un bon élève, un travailleur… et toi pourquoi es-tu paresseux ? De qui tiens-tu cela… ? ». Si le « repère » n’était pas brillant et que l’élève l’est, les appréciations sont du type « …Tu travailles mieux que ton grand frère que j’ai eu auparavant, il faut continuer ainsi… ».

Page 247: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

247

Ensuite au niveau familial, le traitement de « faveur » dont bénéficie le « repère » aide au goût de l’effort récompensé et encouragé. En plus l’apport aux cadets par aide au devoir, protection, discussions sur les orientations scolaires voire professionnelles place celui-ci dans un état de confiance et de disponibilité pour aimer aller à l’école et tenir à réussir. Enfin ces cas de figure renforcent la détermination personnelle de l’élève, qui, encore une fois, s’identifie à son environnement et particulièrement à son aîné ou « repère ». Le « repère » qu’il soit brillant ou non permet tout de même à l’élève de le suivre ou de s’en démarquer selon le cas. De là il construit au passage sa propre identité scolaire et sa motivation pour une réussite scolaire. Le niveau scolaire des frères et sœurs, en tant que seul paramètre demeure insuffisant dans le processus de motivation scolaire. Nous avions pris en compte celui des parents, qui peut avoir influencé celui des « repères » c'est-à-dire leur premier enfant, à travers l’analyse suivante. 6.1.7 Niveau d'études des parents et la scolarisation La perception de l’importance de la scolarisation de nos enquêtés ne peut être comprise dans sa globalité sans prendre en compte le niveau scolaire des parents. Même si à la base de la scolarisation en Centrafrique, l’école a touché d’abord les enfants des analphabètes. Aujourd’hui, on peut remarquer que deux personnes sur cinq ont au moins passé une année à l’école. Le niveau scolaire des parents serait-il l’une des causes ?

Tableau 39: Niveau d'études des parents et la scolarisation Réponses à la question : Vos parents ont-ils quel niveau d’études ?

Niveau d'études

Nb. cit. Fréq.

Primaire 15 50,0% Secondaire/Technique 13 43,3% Supérieur 2 6,7% TOTAL OBS. 30 100%

Enquête de terrain 2004 Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations.

Niveau d'études

Primaire 15

Secondaire/Technique 13

Supérieur 2

Page 248: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

248

Il apparaît de ce tableau que 50% des enquêtés ont des parents d’un niveau scolaire du primaire, un peu plus de 43% du secondaire/technique et enfin près de 7% du supérieur. Nous avons pris en compte le niveau scolaire d’un ou de deux parents selon que l’un soit scolarisé ou non. Exemple, si un des parents n’est pas scolarisé on prend en compte celui qui est scolarisé. Nous n’avons pas rencontré de cas où tous les deux parents ne soient pas scolarisés. Cela peut s’expliquer en partie parce que la scolarisation a touché la plupart de cette génération de parents (…). Pour comprendre cette partie, soulignons que tous les enquêtés n’ont pas un frère ou une sœur qui a fait de défection scolaire. Est- ce le niveau scolaire des parents qui justifie cet état de fait ou y aurait-il d’autres motivations ? Nous estimons que le niveau scolaire ne justifie pas totalement cette situation car 50% des parents ont un niveau primaire alors que certains de leurs enfants ont un niveau supérieur au leur comme témoigne cet enquêté : «…c’est mon grand frère qui est au lycée qui rédige et lit le courrier pour mes parents car je ne sais pas encore le faire normalement ». Ce qui est important à relever, c’est l’importance que ces parents portent à cette institution qu’est l’école bien que cette dernière ait déçu plus d’une personne ces dernières années de part son organisation et les moyens de ses ambitions. Ces parents y croient encore en y envoyant leurs enfants tout en les soutenant pour une réussite scolaire qui est l’une des composantes traditionnelles de la réussite sociale. La réussite sociale en République Centrafricaine présente plusieurs formes qu’on hésite à expliquer selon l’origine sociale de l’individu. L’origine sociale pendant longtemps n’avait pas beaucoup influencé la réussite ou l’ascension sociale en Centrafrique. Cette période se situe entre avant l’indépendance et les deux décennies qui l’ont suivie. L’Etat assumait encore plus ou moins ses responsabilités en matière d’éducation selon les objectifs qu’il s’était fixé. Les résultats étaient visibles, c'est-à-dire que les enfants de toute origine sociale qui allaient à l’école avaient plus de chance de réussir et d’obtenir un bon travail. Cette période continue de marquer les esprits et explique en partie l’engouement des parents à vouloir envoyer leurs enfants à l’école et non par le seul fait de leur niveau scolaire : « … l’école représente d’abord

le moyen d’accéder à la caste privilégiée de la fonction publique. Dans la brousse la

Page 249: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

249

plus reculée, chacun a compris que le fonctionnaire aux mains lisses gagne beaucoup,

sans grand travail »167.

L’engagement à scolariser les enfants nécessite un investissement important de la part des parents dans un contexte où l’état ne peut plus assumer une partie des charges éducatives, à l’exception du personnel de l’éducation nationale. Nous avons essayé de voir quelles activités professionnelles mènent les parents de ces enquêtés. L’objectif ici est de savoir si la scolarisation de l’enfant est liée à la profession des parents ?

6.1.8 La profession des parents et la scolarisation La profession des parents peut apparaître comme la cause fondamentale d’une longue scolarité. Qu’ils soient salariés, artisans, cultivateurs…L’essentiel est la capacité de ces parents à comprendre l’importance de l’école et à y consacrer des moyens quant à la prise en charge scolaire de leurs enfants.

Tableau 40: La profession des parents et la scolarisation Réponse à la question :- Quelles activités professionnelles mènent-ils ?

CSP Nb.

Cit. Fréq.

Fonctionnaire 9 30,0% Cultivateur 12 40,0% Artisan 6 20,0% Ouvrier 3 10,0% TOTAL OBS. 30 100%

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations.

CSP

Fonctionnaire 9

Cultivateur 12

Artisan 6

Ouvrier 3

Ce tableau montre que 40% des enquêtés ont des parents cultivateurs, 30% fonctionnaires, 20% artisans et enfin 10% ont des parents ouvriers. Ce qui est essentiel et qui nous intéresse dans cette analyse, c’est que les enquêtés ont en commun le fait de fréquenter l’école sans se soucier de leur origine sociale mentionnée ci-dessus, ni du niveau de revenus des parents. Ces parents non plus n’envoient pas ou ne laissent pas leurs enfants à l’école en fonction de leurs revenus comme le souligne cette

167 DUMONT, R, L’Afrique noire est mal partie, opcit. pp.78

Page 250: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

250

enquêtée : «… apparemment mes parents n’ont rien, mais ils ont toujours quelque chose quand il s’agit de notre scolarité. ». Nous avons retenu de ce témoignage l’acte de sacrifice dont fait montre les parents d’élèves quand ils croient encore en l’école. Sacrifice, quand on constate dans quelles conditions vivent toutes les catégories socioprofessionnelles en Centrafrique et dans la région de l’Ouham en particulier. Cette condition de vie fait que l’on ne peut probablement pas faire la différence de niveau de vie entre ceux qui sont supposés être des privilégiés (fonctionnaires) et ceux qui ne le sont pas (cultivateurs, ouvriers…) et non plus pour leurs enfants. Quelque soit le type d’activité professionnelle menée, les crises sociopolitiques récurrentes y interfèrent comme le souligne cette enquêtée : « …pour cette année scolaire, j’ai failli ne pas avoir de cahiers car mon père n’a pu vendre son coton l’année dernière, à cause de la rébellion… ». De la mévente de produits agricoles aux arriérés de salaires ce sont autant de symboles cyniques que partagent en commun les parents d’élèves. Au-delà de ces cynismes symboliques quasi structurés d’où peuvent surgir d’autres motivations liées à la fréquentation scolaire ? A cette question nous avons relevé certains paramètres, que nous qualifions de paramètres directs, à travers le tableau ci-dessous. Paramètres directs parce que nous estimons qu’ils touchent directement le quotidien des enquêtés et qu’ils peuvent s’en souvenir spontanément.

6.1.9 Cadre de vie et scolarisation Les motivations scolaires se trouvent dans la mobilisation des moyens, si dérisoires soient-ils du regard extérieur, mais qui nécessitent aussi des efforts soutenus pour les protagonistes. Ces moyens peuvent être la maîtrise du minimum vital (le logement, la nourriture), la proximité de l’école, les lieux d’habitation et le soutien moral des parents. Ces minima que nous qualifions de paramètres directs seraient-ils l’une des motivations de fréquentation scolaire de nos enquêtés ?

Page 251: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

251

Tableau 41: Cadre de vie et fréquentation scolaire Réponses à la question : - Pourquoi continuez-vous à fréquenter l’école ?

Motivations Nb.

cit. Fréq.

Vous mangez bien 7 23,3% Vous dormez bien 5 16,7% Vous êtes soutenu par vos parents 11 36,7% L'école n'est pas loin de votre habitation 7 23,3% TOTAL OBS. 30 100%

Source : Enquête de terrain 2004 Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations.

Motivations

Vous mangez bien 7

Vous dormez bien 5

Vous êtes soutenu par vos parents 11

L'école n'est pas loin de votre habitation 7

De ce tableau, on peut noter que près de 37% des enquêtés justifient leur maintient à l’école par le soutien des parents. Le soutien des parents ici selon les enquêtés ne se résume pas au soutien matériel. Il s’agit aussi de soutien moral lié aux encouragements et surtout à la reconnaissance des acquis scolaires des enquêtés comme le témoigne celui-ci «…à chaque fois que j’ai eu mon examen de passage, mon père organisait une partie de chasse en mon honneur. Et il ne rentrait jamais bredouille en cette circonstance… ». Le côté symbolique de cet acte compte beaucoup plus pour la plupart des enquêtés qui se voient être au centre d’une situation. D’ailleurs nous avions évoqué ci haut la proclamation de l’examen de passage. La manière dont l’examen de passage en classe supérieure est proclamé symbolise la validation de ces acquis scolaires par l’ensemble de la communauté, facteur déterminant et d’encouragement pour une longue scolarité possible. L’autre aspect est le traitement de faveur déjà évoqué qui est un aspect non négligeable dans le processus d’une longue scolarité. Ce traitement de faveur peut se traduire par la non implication des « enfants-élèves » dans les corvées domestiques, champêtres, pastorales et les activités génératrices de revenus comme le souligne cette enquêtée de manière nuancée : « …ma mère ne voulait pas que j’arrive en retard à l’école donc le matin, je ne vais pas à la source chercher de l’eau mais je peux faire autre chose de plus simple… ». L’enfant dont les parents sont persuadés de sa capacité scolaire est généralement traité avec un certain égard, surtout, s’ils croient eux mêmes en l’école.

Page 252: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

252

Ainsi, la scolarité de l’enfant devient leur préoccupation, ils veillent à l’assiduité, aux résultats scolaires, aux fournitures scolaires et au cadre de vie de l’enfant. Un peu plus de 23% expliquent leur fréquentation scolaire par le fait qu’ils mangent bien et que l’école n’est pas loin de leur habitation. La prise en charge de l’enfant ne peut être effective s’’il ne mange pas à sa faim. L’école en Centrafrique n’est pas pourvue de cantine. Les parents doivent assumer de l’énergie à leur enfant pendant sa journée à l’école. L’école à proximité du village favorise sa fréquentation évitant de longues distances, l’une des causes des abandons scolaires déjà évoquée. Enfin près de 17% affirment qu’ils dorment bien. L’habitation demeure une source de bien être, d’épanouissement et d’équilibre pour l’enfant. Les surcharges numériques dans une famille posent en même temps le problème de surcharge de chambres à coucher. D’où plusieurs enfants partagent le même lit ou la même chambre. L’enfant qui dort mal ne peut être tenu en éveil pendant la longue journée de cours. De ce minimum de conditions réunies aidant nos enquêtés à une longue scolarité, nous allons maintenant voir jusqu’à quel niveau scolaire ces enquêtés souhaitent parvenir. 6.1.10 Scolarité et fin d'études Les conditions d’études presque aléatoires de nos enquêtés nous ont amené à vérifier l’ambition de ces derniers quant à une longue poursuite scolaire ou non. Et pourquoi veulent-ils rester plus longtemps à l’école ou non.

Tableau 42: Réponses à la question : Souhaiteriez-vous continuer jusqu'à quel niveau?

Fin d'études

Nb. cit. Fréq.

Fin du cycle primaire 3 10,0% Secondaire/Technique 10 33,3% Supérieur 17 56,7% Autres 0 0,0% TOTAL OBS. 30 100%

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations.

Fin d'études

Fin du cycle primaire 3

Secondaire/Technique 10

Supérieur 17

Autres 0

Page 253: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

253

Il apparaît sur ce tableau que près de 57% des enquêtés souhaitent atteindre l’enseignement supérieur, un peu plus de 33% le secondaire/technique et 10% la fin du cycle primaire. En observant de près les enquêtés du secondaire/technique et du supérieur, on constate chez eux une forte ambition professionnelle observée aussi chez ceux qui ont abandonné l’école. A la question pourquoi souhaitez-vous continuer jusqu’au secondaire ou supérieur, les réponses sont orientées vers les professions : « devenir médecin, devenir policier, avoir mon BEPC, devenir agronome, devenir instituteur… » ou encore « pour pouvoir travailler ». Pour d’autres, marqués par leurs conditions familiales affirment « …pour pouvoir aider ma famille… ». Cette forte ambition professionnelle s’entend par le travail dans l’administration et surtout dans les grands centres urbains. Cela traduit l’image positive de l’école à une période, rappelons-le, où l’Etat assumait son rôle et garantissait l’emploi à tous, après une scolarité, même sommaire. Nous avons également constaté parmi cette catégorie d’enquêtés, aucune ambition quant à l’esprit d’entreprise ou l’initiative privée. Cet aspect nous paraît important quand on est dans une situation où l’état ne peut plus recruter, quand il y a des chômeurs diplômés et quand les entreprises sont tenues par des capitaux étrangers… Les 10% des enquêtés qui souhaitent arrêter en fin de cycle primaire suggèrent le problème d’infrastructures scolaires à proximité : « le collège est loin ou je ne peux pas quitter le village ». Les listes suivantes laissent apercevoir les réponses de tous les enquêtés.

6.1.11 Causes d’une courte scolarité Si vous souhaitez arrêter vos études au cycle primaire, dites pourquoi

5 : Je ne peux pas quitter le village. 7 : Le collège est loin. 28 : Je ne peux pas quitter le village.

Ces cas laissent entrevoir le problème d’infrastructures éducatives de proximité déjà évoqué et celui d’un proche parent se trouvant dans une localité où il y a la possibilité de poursuite scolaire. 6.1.12 Motivations d’une longue scolarité Si vous souhaitez continuer jusqu’au secondaire ou technique, supérieur et autres dites pourquoi…

Page 254: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

254

1 : Devenir policier. 2 : Devenir médecin. 3 : Pour pouvoir travailler. 4 : Aider ma famille. 6 : Devenir pilote. 8 : Avoir mon BEPC. 9 : Devenir infirmière. 10 : Pour pouvoir travailler. 11 : Comme mes frères. 12 : Devenir pilote. 13 : Je veux avoir un bon niveau. 14 : Devenir pasteur. 15 : Devenir professeur d’histoire. 16 : Devenir enseignante. 17 : Pour avoir un bon travail. 18 : Devenir secrétaire. 19 : Devenir infirmière. 20 : Devenir institutrice. 21 : Devenir infirmier. 22 : Avoir mon BEPC et je verrai ensuite. 23 : Devenir juge. 24 : Devenir enseignant. 25 : Devenir technicien d’élevage. 26 : Avoir un bon travail. 27 : Devenir agronome. 29 : Infirmière. 30 : Avoir mon BEPC. L’ambition de ces enquêtés à ces différents métiers nous amène à faire le lien entre leur niveau scolaire et leur capacité à cibler ces métiers. Cette capacité trouve sa cause principale dans les rapports et discussions avec les « repères », les parents et surtout l’environnement sociétal des enquêtés. Les filles ont tendance à choisir les métiers féminisés comme infirmière, institutrice, secrétaire, ou par compassion « aider ma famille ». Nous avons observé que la croyance en la réussite scolaire pour une profession canalise les enquêtés à ne pas prendre en compte certains facteurs sociopolitiques, déjà évoqués, (grèves, coup d’Etat, l’insécurité…) pouvant surgir et émousser cette ambition. Mais quelles représentations se font-ils des abandons scolaires ?

6.1.13 Les scolarisés et les représentations des abandons scolaires En abordant le problème des abandons scolaires avec les enquêtés scolarisés, les réponses données ci-dessous ne semblent pas les concerner directement.

Page 255: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

255

Il est important de préciser que de l’avis de ces enquêtés, l’abandon scolaire a une définition littérale qui veut dire « refuser l’école ». De ce registre nous avions voulu connaître les représentations qu’ils se font de ce « refus d’école ».

Que pensez- vous des abandons scolaires ?

1 : C'est un problème du maître. 2 : Ce n'est pas normal. 3 : C'est un manque de moyens. 4 : Manque de moyens. 5 : C'est un manque d'école 6 : Manque de moyens. 7 : Manque d'école. 8 : Manque de moyens. 9 : Manque de moyens. 10 : Manque de moyens. 11 : Manque de moyens. 12 : Manque de moyens. 13 : Manque d'école 14 : C'est un problème d'inégalité. 15 : Manque de moyens. 16 : C'est la pauvreté. 17 : Manque d'école. 18 : Manque de moyens. 19 : Manque de moyens. 20 : C'est la pauvreté. 21 : Manque de moyens. 22 : Ce n'est pas bien. 23 : Manque de moyens. 24 : Manque de moyens. 25 : Fermeture d'école. 26 : Manque de moyens. 27 : Manque d'école 28 : Manque d'école. 29 : Manque d'école 30 : Manque d'école. Ces réponses nous semblent détachées et laissent entrevoir que les enquêtés ne vivent pas cette réalité. D’où l’importance d’avoir posé la question directement à leurs anciens camarades de classe ayant déjà quitté l’école. Quelles sont les raisons données ? 6.1.14 Les scolarisés et les causes d’abandons scolaires Pour ce type d’enquêtés encore en situation scolaire, nous avons été direct sur les causes des abandons scolaires à travers une question ouverte, touchant plus ou moins

Page 256: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

256

directement des cas d’abandons scolaires qu’ils ont vécus. Ce qui a permis d’obtenir des réponses variées, selon chaque cas vécu, comme le montre le tableau suivant.

Tableau 43: Les scolarisés et les abandons scolaires Réponses à la question : Pourquoi certains de vos camarades quittent-ils l’école ?

VARIABLE_25 Nb. cit.

Fréq.

Ils n'ont pas de moyens. 6 20,0% Ils n'ont pas d'argent. 2 6,7% Ils n'ont pas de cahiers. 2 6,7% Ils n'ont rien pour écrire. 2 6,7% C'est une perte pour eux. 1 3,3% Ils habitent loin de l'école. 1 3,3% Ils n'aiment pas l'école. 1 3,3% Ils n'ont pas d'autres possibilités 1 3,3% Ils n'ont pas de fournitures scolaires. 1 3,3% Ils n'ont pas de parents ailleurs. 1 3,3% Ils n'ont pas de parents. 1 3,3% Ils n'ont personne ailleurs. 1 3,3% Ils n'ont rien. 1 3,3% Ils ne mangent pas bien. 1 3,3% Ils ne peuvent pas aller dans d'autres villes. 1 3,3% Ils ne sont pas aidés par leurs parents. 1 3,3% Ils ne sont pas encouragés à rester longtemps à l'école. 1 3,3% Ils ne veulent pas aller étudier ailleurs. 1 3,3% Ils sont orphelins. 1 3,3% Ils sont pauvres. 1 3,3% Je ne sais pas. 1 3,3% L'école est dure. 1 3,3% TOTAL OBS. 30 100%

.Source : Enquête de terrain 2004

De cette liste, il ressort que certaines réponses données laissent supposer qu’elles sont confrontées à celles qui touchent plus ou moins directement les enquêtés. Quand un enquêté évoque : « c’est une perte pour eux » soulève le changement que connaît cette institution qu’est l’école. A une certaine époque en Centrafrique, on ne quittait pas cette institution comme on le voulait sans conséquences répressives sur les parents et sur l’élève lui-même. Cette période est celle déjà évoquée, où l’Etat était dans le besoin de « cadres » et que l’école jouissait d’une attention toute particulière. La dépréciation des diplômes liée à la qualité de l’enseignement et le chômage généré par de multitudes de facteurs déjà évoqués, conditionnent les élèves à une adaptation et culpabilise ceux qui quittent l’école : « ils n’aiment pas l’école » ou « l’école est dure ». Le mot « perte » sous entend qu’il y a bénéfice à tirer en allant à l’école. Certes, ce bénéfice poursuivi est celui d’avoir un emploi à la fin, selon les enquêtés. L’autre réponse qui semble les toucher directement est celle-ci « ils n’ont pas de cahiers » ou encore « ils n’ont rien pour écrire ». Ces situations affectent la plupart des élèves qui,

Page 257: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

257

impuissants, assistent aux renvois ou à l’abandon scolaire de leurs camarades avec qui, ils ont eu de la complicité ou sympathisé. Au-delà de ces considérations affectives et compatissantes entre élèves, le problème réel est celui de l’incapacité avérée des parents ou de l’élève lui-même à ne pouvoir obtenir ces fournitures apparemment dérisoires mais coûteuses pour eux. Pour certains enquêtés ceux qui abandonnent l’école « n’ont personne ailleurs » ou « ne veulent pas aller dans d’autres villes ». Dans un cas comme dans l’autre, c’est le problème d’hébergement ou d’internat qui se pose à la communauté globale. L’hébergement par une tierce personne ou un proche parent soulève souvent le problème de maltraitance qui contraint l’enfant à l’abandon scolaire. L’absence d’internat amène aux solutions alternatives que sont l’hébergement ou la location. Quant à la location, il faut que les parents aient les moyens pour supporter les charges pour longtemps. Pour d’autres, ils évoquent le fait que « ils ne sont pas encouragés par les parents ». L’encouragement des parents relève en partie de l’importance qu’ils accordent eux-mêmes à l’école par conséquent à l’avenir de leurs enfants. Certains partent du constat des méfaits de l’école sur leur noyau culturel tout comme la prise en charge de l’élève, jugée trop lourde. En définitif, nous venons de voir certains facteurs qui aident à la scolarisation de ces enquêtés. Ceux-ci perçoivent plus ou moins les causes réelles d’une longue scolarité tout en évoquant à priori ce qu’ils attendent de l’école : une profession, un travail. Enfin nous avions abordé le problème des abandons scolaires avec les enquêtés dont les réponses mettent en cause certains paramètres les affectant directement ou non. Nous allons maintenant présenter les avis des parents d’élèves sur les questions de scolarisation et des abandons scolaires. 6.2 Les parents d’élèves et les abandons scolaires L’éducation rappelons-le, relève de deux acteurs en présence : un sujet à éduquer et un éducateur. Ce dernier a de toute évidence lui aussi, reçu une éducation d’une autre génération qu’il est censé transmettre à la génération descendante. Il s’avère que l’éducation relève de la famille et l’instruction, de l’école. Cette dernière a tendance à perturber ou à ajouter une tâche supplémentaire aux éducateurs c'est-à-dire les parents en ce qui concerne notre terrain d’études où l’école est un « produit » extérieur à la configuration culturelle et éducative initiale. Cette tâche consiste en un suivi et la prise en charge de l’enfant à scolariser. En dehors de ces cas, il y a une autre situation, celle de ces parents qui ont compris plus ou moins le rôle et le bien fondé de

Page 258: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

258

l’école en y envoyant leurs enfants. Auprès de ces parents, nous avons cherché à recueillir leur avis sur la scolarisation en général et les abandons scolaires en particulier. Nous avons également relevé certaines caractéristiques et paramètres pouvant influencer ou non leur appui à la scolarisation ou aux abandons scolaires de leurs enfants. 6.2.1 Identification des parents d’élèves Nous sommes parti du fait que l’éducation des enfants revient aux deux parents. Dans notre champ d’études, le constat est qu’il est possible de rencontrer des parents seuls qui s’occupent des enfants et généralement ce sont des femmes. Nous avons dû identifier ces parents seuls (hommes ou femmes) qui font partie de ces enquêtés. Il y a également les deux parents en charge des enfants et nous avons retenu soit le père ou la mère selon l’influence qu’ils ont quant à la scolarité de leurs enfants. Cette opération s’est faite à partir de leur participation aux activités de l’association des parents d’élèves tout en respectant la parité. Nous avons également déterminé leur âge, leur origine géographique, leurs activités professionnelles tout comme leur niveau scolaire.

Tableau 44: Sexe

Sexe Nb.

cit. Fréq.

Masculin 15 50,0% Féminin 15 50,0% TOTAL OBS. 30 100%

Source : Enquête de terrain 2004 Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations.

Sexe

Masculin 15

Féminin 15

Nous avons retenu 30 enquêtés dont 50% de femmes et 50% d’hommes. Ce sont des parents d’élèves. Parmi ces enquêtés nous avons noté que certains parents vivaient seuls avec plusieurs enfants à charge. Leur âge est compris entre 25 et 50 ans. 40% ont entre 36 et 40 ans, près de 27% entre 25 et 30 ans, 20% entre 41et 45 ans et un peu plus de 13% ont entre 46-50 ans. Ce sont de jeunes parents dans la plupart des

Page 259: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

259

cas. Ils sont près de 87% autochtones contre un peu plus de 13 % d’ « étrangers». Au niveau professionnel, on note qu’il y a près de 67% qui sont cultivateurs, 20% d’ouvriers, près de 17% d’artisans, un peu plus de 13% de fonctionnaires et enfin un peu plus de 3% d’éleveurs. Leur niveau scolaire va du primaire au supérieur. Ainsi près de 47% ont un niveau scolaire du secondaire/technique, un peu plus de 43% relèvent du primaire et enfin 10% du supérieur. De ces préalables caractéristiques, nous avons essayé d’aborder les problèmes des abandons scolaires à partir de leurs enfants à charge.

6.2.2 Nombre d'enfants à charge et les abandons scolaires Rappelons que l’une des causes des poursuites ou abandons scolaires se trouve être le nombre d’enfants scolarisés ou à scolariser par ménage. Le suivi et la prise en charge scolaire, dans la plupart de cas, rappelons-le, s’avèrent trop lourde pour certains parents même s’ils n’ont pas beaucoup d’enfants. Nous avions essayé de voir si ces enquêtés ont beaucoup d’enfants à charge et s’ils sont tous scolarisés. Ces enfants sont-ils en général les leurs ou sont-ils aussi ceux de leurs frères et sœurs ou d’un proche parent comme c’est généralement le cas.

Tableau 45: Scolarité des enfants et les abandons scolaires Réponses à la question : Sont-ils scolarisés

Scolarisation des enfants

Nb. cit. Fréq.

Oui 30 100% Non 0 0,0% TOTAL OBS. 30 100%

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations.

Scolarisation des enfants

Oui 30

Non 0

De ce tableau, il apparaît que tous les enquêtés ont des enfants à charge et sont scolarisés. La moyenne est de quatre (4) enfants par ménage. Certains ont jusqu’à sept (7) enfants. Ces cas sont souvent des nièces, neveux qui ont des parents vivants mais qui sont là provisoirement à cause de la proximité du tuteur supposé à l’école :

Page 260: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

260

« … j’ai ramené de mon initiative mes deux neveux pour qu’ils soient scolarisés car il n’y avait pas d’école là où se trouvait mon frère ». Ce cas est plus ou moins régulier dès lors qu’un parent habitant une ville, et se retrouvant en vacances au village, peut ramener un neveu ou une nièce scolarisable pour les « mettre à l’école » et à sa charge. Mettre l’enfant à l’école, c’est la définition que donne les enquêtés de la scolarisation ou de l’inscription d’un enfant à l’école. L’autre cas est celui de désengagement de certains parents : « … mon frère m’a confié son enfant parce que je suis censé être sévère pour son éducation… ». Ce dernier cas est le plus fréquent. Il est dû au désengagement notoire de certains parents géniteurs, dépassés par certains troubles de comportements (dont ils ignorent d’ailleurs les mécanismes) de leurs enfants et comme solution, les confient à un proche parent censé bien faire le « travail » qui est d’abord le leur. D’autres sont des orphelins des frères, sœurs, tantes, oncles…décédés et qui ont pour « cellule familiale définitive », le tuteur qui les a accueillis, sauf si ce dernier décède à son tour (…). Certains de ces enfants ont commencé leur scolarité dans cette « cellule familiale définitive » : « … de toute façon, je ne sais pas où ils iraient (…) après tout ce sont aussi mes enfants ». La non prise en charge des orphelins d’un parent défunt par les membres de la famille ou du clan est encore mal perçu dans la société centrafricaine et dans la région de l’Ouham en particulier. Ces surcharges familiales posent toujours le problème de désistement quant aux soutiens éventuels à apporter à tel ou tel enfant, au cas où l’on se trouve dans une situation de moyens insuffisants. Le choix s’opère à ce moment précis où les enfants sont à scolariser ou à aider dans leur poursuite scolaire. Souvent, rappelons-le, ce sont les filles ou les garçons en difficultés scolaires (redoublement, échecs répété…) qui en font les frais. Nous allons maintenant voir si effectivement, il y a des cas d’abandons scolaires parmi les enfants dont ces parents ont la charge.

6.2.3 Surcharges familiales et les abandons scolaires Nous venons de voir que tous les parents d’élèves ont des enfants en charge dont la moyenne est de quatre (4) enfants par ménage. Le problème qui se pose est de savoir si tous ces enfants sont scolarisés et si précisément certains scolarisés au départ ont abandonné l’école. Et, est-ce le nombre important d’enfants par ménage qui serait la cause principale ?

Page 261: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

261

Tableau 46: Surcharges familiales et les abandons scolaires Réponses à la question :- Certains de vos enfants scolarisés au départ, ont-ils abandonné l’école ?

Abandons scolaires

Nb. Cit.

Fréq.

Oui 19 63,3% Non 11 36,7% TOTAL OBS. 30 100%

Source : Enquête de terrain 2004 Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations.

Abandons scolaires

Oui 19

Non 11

Nous avons retenu à travers ce tableau que plus de 63% des enquêtés ont certains de leurs enfants qui ont abandonné l’école. Ils évoquent le manque de moyens, la fermeture d’école ou encore le coût des fournitures scolaires : « J’avais pas les moyens de les suivre tous », « je ne pouvais pas supporter le coût des fournitures scolaires pour cinq (5) enfants » ou encore « ils ont fermé l’école pendant trois ans et après ma fille n’avait plus l’âge de reprendre… » Enfin, près de 37% des enquêtés ont des enfants qui n’ont jamais quitté le dispositif scolaire. Pour certains de cette catégorie d’enquêtés, leurs enfants continuent à aller à l’école en raison des possibilités dont ils disposent. Plusieurs niveaux situent ces possibilités. Il s’agit des possibilités intellectuelles, culturelles, stratégiques (proximité de l’école, nombre limité d’enfants) et économiques. Le rapport au savoir scolaire des parents constitue un support ou facteur important pour leur promotion sociale et professionnelle et peut avoir des incidents positifs sur leurs enfants comme nous confie cet enquêté enseignant : « En préparant mes cours, tout petits, mes enfants m’imitaient, finalement ils ont pris le goût à un travail régulier à l’école (…). Cela a suscité des vocations professionnelles en eux ». Disposer de ressources financières et économiques garantissent un meilleur suivi scolaire à l’enfant, si l’on en fait bon usage « …je veux qu’ils réussissent à l’école dès lors où j’en ai les moyens » nous confie cet enquêté artisan. Cet enquêté insiste sur son engagement quant à la réussite scolaire de ses enfants. Car, contrairement au fait que la réussite scolaire dépendrait des origines sociales favorisées, les faits démontrent en Centrafrique que ce n’en est pas souvent le cas. Certains enfants ont tout pour réussir et, ce sont ceux là qui quittent facilement l’école et se retrouvent dans la grande délinquance. Nous avons deux

Page 262: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

262

possibilités d’hypothèses explicatives de cette situation : soit la non transmission par les parents de certaines valeurs inhérentes à l’épanouissement réussi de l’enfant ; soit que l’enfant est défavorisé en capacité scolaire. Dans un cas ou dans, l’enfant vivra des perturbations ou frustrations l’amenant à se valoriser dans la délinquance. Le nombre limité d’enfants par ménage est un gage de prise en charge soutenue en matière de scolarisation comme nous le souligne cette enquêtée, cultivatrice : «… avec mes deux enfants, je m’en sors sans difficulté notable quant à leur prise en charge (…) même si j’ai des moyens réduits ». Ce cas souligne en partie l’ambivalence du problème de scolarisation et « les paradoxes de la réussite scolaire » (Cherkaoui, M, 1979) en Centrafrique qui n’est dû ni à la pauvreté des familles ni à l’origine sociale favorisée ou non, mais de bon sens dans la politique globale du système éducatif. Bon sens en terme de massification des infrastructures scolaires, d’enseignants, de mobiliers, de transmission des valeurs éducatives, de gratuité des fournitures scolaires etc. Le poids de ces paramètres non négligeables contiendrait les inégalités et mettrait les enfants devant l’égalité des chances scolaires : « On pouvait en effet définir l’égalité

des chances scolaires soit en termes d’égalité des ressources mises à la disposition

des types d’école fréquentés par les différents groupes, telles les dépenses par élève,

la qualité pédagogique du corps enseignant, la composition ethnique du milieu

scolaire ; soit en terme d’égalité des résultats entre élèves issus du même milieu ou

des milieux sociaux différents »168 Enfin pour certains enquêtés, la proximité de l’école est un atout à sa fréquentation «…ça serait dommage si mes enfants ne vont pas l’école surtout qu’on l’aperçoit de la maison (…). D’ailleurs tous leurs copains y vont » comme nous le témoigne cette enquêtée mère de trois enfants. Mais les questions que l’on doit se poser sur ce cas; est-ce que les enfants y vont parce que leurs copains y sont ? Ou parce que l’école est à proximité de la maison ? Dans un cas ou dans l’autre, s’ils continuent à y aller c'est que les parents le veulent bien, et qu’ils comprennent cette forme de socialisation. Car l’école n’est pas seulement un lieu d’acquisitions abstraites de savoir mais aussi un lieu d’acquisitions des relations sociales régulant les rapports et comportements sociaux entre les élèves eux-mêmes: «…tous les copains y vont... ». Mais quelles représentations ces parents d’élèves se font-ils des abandons scolaires ?

168 CHERKAOUI, M, Les paradoxes de la réussite scolaire, Paris, PUF, 1979, pp.47

Page 263: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

263

6.2.4 Les parents d’élèves et les représentations des abandons scolaires Les abandons scolaires constituent un phénomène réel certes, mais interpellent-ils pour autant les parents d’élèves ? A cette question nous avons retenu certaines modalités qui ont aidé à déterminer les représentations que se font les parents d’élèves des abandons scolaires.

Tableau 47: Représentations des abandons scolaires Réponses aux questions : Les abandons scolaires représentent-ils pour vous :

Représentations des abandons scolaires

Nb. cit. Fréq.

Un phénomène réel 6 20,0% Un danger pour la communauté 9 30,0% L'avenir de l'enfant compromis 15 50,0% Autres 0 0,0% TOTAL OBS. 30 100%

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations.

Représensations des abandons scolaires

Un phénomène réel 6

Un danger pour la communauté 9

L'avenir de l'enfant compromis 15

Autres 0

La question des représentations des abandons scolaires a donné trois avis différents. Ainsi 50% des parents d’élèves estiment que les abandons scolaires pourraient compromettre l’avenir de l’enfant. Mais de quel avenir s’agit-il ? Ici et dans l’état d’esprit des enquêtés, il s’agit de l’avenir scolaire qui, par extension peut déboucher sur une profession conférant un statut social plus ou moins confortable à l’enfant : « j’ai eu mon emploi grâce aux études et mes enfants en profitent si bien malgré tout…s’ils ne vont pas à l’école, qu’est-ce qu’ils vont devenir ? » s’interroge cette enquêtée. Ceux-là perçoivent les bienfaits de l’école tout en faisant abstraction des moyens mis en œuvre pour son organisation. D’autres abordent ce problème sous un autre registre et sont 30% à considérer que les abandons scolaires constitueraient un danger pour la communauté : « avez-vous vécu ce que nous avons vécu pendant la rébellion ? Quelques élèves seulement ont intégré la rébellion utile pour se protéger (…) la plupart était des déscolarisés » nous confie cet enquêté. Dans ce cas nous pouvons considérer que l’école a son rôle « protecteur ». Protecteur, car l’enfant qui s’y trouve peut avoir des ambitions professionnelles l’amenant à évoluer dans cette logique plutôt

Page 264: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

264

que d’être tenté par une rébellion, la délinquance ou autres actes « sans lendemain ». Et aussi, l’école peut lui permettre de faire la part des choses « … mon fils en terminale nous expliquait la seconde guerre mondiale et a conclu que la guerre est une mauvaise chose (…)» nous affirme cet enquêté. La mise à profit des savoirs scolaires (lire ou écrire un courrier, expliquer l’histoire, la géographie, l’agriculture, les sciences naturelles…) à ses parents est source de reconnaissance et de satisfaction, vu le sacrifice consenti pour atteindre un niveau scolaire satisfaisant et opérationnel. Cette opérationnalité du niveau scolaire, nous l’avions souligné, peut avoir son efficience sur les soins et préventions sanitaires, les actions de développement communautaire et enfin la compréhension des mécanismes et les inconvénients des troubles sociopolitiques comme la rébellion et que la région de l’Ouham est loin de s’en sortir. Enfin 20% constatent que les abandons scolaires constituent un phénomène réel. Phénomène réel car il touche leurs enfants tout comme leur entourage immédiat : « trois des enfants de mes voisins ont quitté l’école sans raisons valables (…) et pourtant leurs parents tenaient à leur scolarité » nous fait remarquer cette enquêtée. Si les parents tenaient à la scolarité de leurs enfants cela sous entend qu’ils mettaient tout en œuvre pour un bon suivi. Mais pourquoi ces enfants ont-ils abandonné ? Les causes des abandons scolaires seraient-elles dans l’organisation scolaire elle-même ou ailleurs ? Pour certains parents le phénomène des abandons scolaires prend son ancrage dans le « suivisme » dû à la mauvaise compagnie de leurs enfants comme nous atteste cet enquêté : « …il allait à l’école normalement jusqu’en classe de CE2. Après, c’était fini quand il a commencé à tenir compagnie à l’enfant du voisin qui, lui a quitté l’école … ». L’embrigadement ou la descente dans ce processus d’abandon scolaire commence par l’école buissonnière et les absences répétées et non justifiées. Le tout se coordonne par un leader du groupe qui a acquis cette habitude, ayant une ascendance sur les membres du groupe qui, souvent, sont fragiles. Plusieurs activités, selon la période de l’année, sont à l’origine de l’école buissonnière : « Pendant la saison sèche, on s’inquiète pour nos enfants (…), ils donnent l’impression d’aller à l’école alors qu’ils vont se baigner ou vont à la pêche » s’inquiète cette enquêtée. D’autres justifient ces turbulences scolaires par des petits larcins commis par leurs enfants : « ils partent souvent voler dans les vergers au lieu d’aller à l’école ». Tous ses actes malveillants au détriment de l’école se font souvent à l’insu des parents qui sont généralement surpris quand leurs enfants sont appréhendés. Le cumul de ces actes non seulement multiplie les absences à l’école mais développe une certaine envie de

Page 265: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

265

liberté, de choix des activités préférentielles à l’école, occasionnant les abandons scolaires parfois définitifs. Ces facteurs sont-ils suffisants pour déterminer les causes des abandons scolaires ? Que peuvent faire ressortir les parents d’élèves comme certaines causes profondes des abandons scolaires ?

6.2.5 Les parents d’élèves et les causes des abandons scolaires Les parents d’élèves apparaissent comme des partenaires privilégiés de la scolarisation des enfants. Et ce, pour plusieurs raisons dont certaines ont déjà été évoquées. D’abord ce sont leurs enfants envers qui ils ont l’obligation d’assurer l’éducation ; ensuite, étant adultes, ils perçoivent au mieux, à partir de leur vécu, les problèmes auxquels ils sont confrontés quant à la scolarisation de leurs enfants et enfin ils peuvent également déceler les causes principales des abandons scolaires. De ces différentes causes précédemment analysées que nous qualifions certaines de périphériques, nous nous sommes focalisé sur nos hypothèses principales afin de vérifier si les parents d’élèves considèrent les différents facteurs soumis à leur intention comme causes principales des abandons scolaires.

Tableau 48 : Les parents d’élèves et les causes abandons scolaires Selon vous, les causes profondes des abandons scolaires sont-elles:

Abandons scolaires3

Nb. cit. Fréq.

Le système éducatif 7 23,3% Les crises sociopolitiques 13 43,3% La pauvreté 10 33,3% Autres 0 0,0% TOTAL OBS. 30 100%

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations

Abandons scolaires3

Le système éducatif 7

Les crises sociopolitiques 13

La pauvreté 10

Autres 0

L’essentiel de ce tableau est que plus de 43% des parents d’élèves attribuent la cause des abandons scolaires aux crises sociopolitiques. Ils estiment que s’il n’y avait pas les

Page 266: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

266

rébellions, les coups d’état, les grèves, les arriérés de salaire… leurs enfants n’en seraient pas là. De ces paramètres, notamment les rébellions et les coups d’état, les esprits sont encore marqués et les enquêtés ont du mal à s’exprimer ouvertement sur la question comme cet enquêté : « que voulez-vous, peut-être avaient-ils leurs raisons. Mais ont-ils pensé à l’avenir des nos enfants ? Ont-ils des enfants ? ». Pour cette enquêtée « (…) mon enfant allait régulièrement à l’école jusqu’au dernier « évènement ». Après, il n’avait plus de courage pour reprendre. Je le comprends ». Le dernier « évènement » dont parle pudiquement cette enquêtée est la dernière rébellion suivie d’un coup d’état. Certains évoquent les grèves illimitées comme la cause principale des abandons scolaires et considèrent la rébellion comme une parenthèse : « La rébellion est un autre prétexte (…) les grèves illimitées durent depuis plus d’une décennie. Elles ont occasionné des redoublements ou des démotivations débouchant sur les abandons scolaires de la plupart des jeunes ». Ensuite un peu plus de 33% considèrent que la pauvreté est la cause principale des abandons scolaires. La baisse sensible des revenus, la chute des cours des matières premières, les arriérés de salaire sont autant de facteurs conditionnant les parents d’élèves à l’extrême pauvreté dont ils parlent. Conscients de cette situation tout en se battant à assurer, comme ils le peuvent, la scolarisation de leurs enfants : « …si le salaire était régulièrement payé, il n’y aurait pas trop de cas d’abandons scolaires » nous fait observer ce fonctionnaire. Le retard de salaire a déstructuré l’harmonie familiale créant des angoisses du lendemain, reconnu d’avance, comme incertain. Incertain en ce sens que les parents sont conscients de leur situation précaire et se demandent ce qu’ils feront en cas de situations graves (maladie, accident, décès…). En dehors de cette sombre projection, le présent ou le quotidien demeure accablant. Dans ce cas, il fallait privilégier certains choix jugés essentiels au détriment d’autres : « …je n’avais plus d’argent pour supporter les frais de scolarité de tous mes cinq enfants, alors les plus jeunes peuvent attendre…). Mais attendront-ils jusqu’à quel moment, dès lors où rien ne présage un lendemain meilleur. Pour certains, la non vente de leur coton était leur pire cauchemar : «…nous ne pouvons rien avoir encore moins assurer efficacement la scolarité de nos enfants ; car le coton n’était pas « enlevé » ». Rappelons que le coton demeure la seule culture qui non seulement procure des revenus mais sa plantation permet un meilleur rendement de cultures vivrières l’année suivante. Le fait que le coton d’une année n’est pas « enlevé » c'est-à-

Page 267: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

267

dire acheté par les multinationales, implique qu’il aura la disette les prochaines années qui suivent. Enfin un peu plus de 23% des parents d’élèves trouvent les causes des abandons scolaires dans le système éducatif. Sans pour autant s’attaquer au contenu pédagogique ni au programme scolaire, ils orientent cependant leur constat sur la disparité des infrastructures scolaires, l’insuffisance des moyens (humain, matériel…) en un mot l’organisation de l’école elle-même. Pour cet enquêté : « si mes enfants continuent à aller à l’école, c’est parce que à chaque année scolaire, il y a un « grand» pour les accompagner (…) ; l’école est à 12 km du village ». Un « grand » ici c’est celui qui est en classe de CE2 à CM2. Ce « grand » a été encadré et protégé, quand il était encore trop jeune, par ceux qui sont déjà au collège… ou qui ont tout simplement abandonné l’école. Il est important de relever que ces enquêtés n’envisagent pas que la pauvreté pourrait être à l’origine des crises sociopolitiques et la mauvaise organisation de l’école avec son corollaire, l’insuffisance de moyens matériels et humains. Au-delà de ces difficultés pour une scolarité convenable, certains parents continuent à envoyer leurs enfants à l’école. Nous allons voir quelle idée ils se font encore de cette institution.

6.2.6 Les parents d’élèves et l’école actuelle La radiotélévision scolaire de Centrafrique a un slogan pour ses émissions : « l’école actuelle, notre avenir ». Que nous révèle ce slogan ? Etant conçu par des adultes qui y perçoivent quelque chose de positif pour le devenir du pays à travers les enfants par l’école. Est-ce l’avis de tous les adultes notamment des parents d’élèves de la région de l’Ouham qui concernent cette recherche ? Nous avons recueilli leurs avis sur la question, à travers le tableau ci-après.

Page 268: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

268

Tableau 49: Les parents d’élèves et l’école actuelle Réponses à la question : Quelle idée faites-vous de l'école actuelle :

Ecole actuelle

Nb. cit.

Fréq.

Positive 20 66,7% Négative 10 33,3% TOTAL OBS. 30 100%

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations

Ecole actuelle

Positive 20

Négative 10

Il relève de ce tableau que près de 67% des parents d’élèves considèrent que l’école est une institution positive. Cette position fait appel à la compréhension et à la réflexion sur l’école comme étant facteur de transformation socioéconomique : « l’école permet le développement de la communauté » nous signifie cet enquêté. Le vécu scolaire des enquêtés demeure nécessaire dans l’appréciation positive ou non de l’école, même s’ils n’ignorent pas les difficultés liées à son bon fonctionnement. L’environnement socioéconomique, culturel ou politique apporte des éléments importants à l’interprétation des effets positifs de l’école. Pour certains parents d’élèves : « l’école permet d’assurer l’avenir de l’enfant ». Le fait d’être convaincus que l’avenir de leurs enfants passera nécessairement par l’école leur permet de pousser ces derniers à y aller sans tenir compte de leur capacité réelle ou tout simplement de leur avis. D’où les conflits internes familiaux liés en cas de redoublement, renvoi ou abandon scolaire : « je te nourris pour rien, tu ne vaux rien à l’école » peut être lancé, à tout moment à l’enfant ; le déstabilisant davantage au lieu de chercher à comprendre les mécanismes de ses difficultés scolaires et y pallier. D’autres estiment que l’école « permet l’ouverture d’esprit ». L’ouverture d’esprit dans le sens de la compréhension de certaines situations notamment la mise en brèche éclairée de certaines mœurs locales : excision, interdits alimentaires, mariage précoce...L’ouverture d’esprit dans le sens du partage des savoirs acquis à l’école : « mes enfants m’expliquent comment vivaient les premiers hommes ; ce que moi j’ignorais en grande partie» nous témoigne cet enquêté. Les leçons apprises donnent l’occasion aux enfants d’en parler avec leurs

Page 269: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

269

parents, surtout, avec ceux qui sont ouverts. Ces leçons peuvent aller des cours d’agriculture à l’instruction civique en passant par la géographie. L’autre facteur est celui d’adhésion à certaines situations innovantes : « …quand on a installé la pompe à eau dans le village, personne ne voulait boire à part les élèves qui savaient ce qu’était une eau potable » nous témoigne cette enquêtée. Enfin, un peu plus de 33% des parents d’élèves ont une idée négative de l’école. La déception, le rejet, la vie après l’école, la mauvaise organisation de l’école sont mis en relief pour justifier cet avis. Certains affirment que « l’école ne peut garantir un avenir exactement comme par le passé (…), mes enfants y vont juste pour savoir lire et écrire leur nom et après on verra… ». Là, on peut essayer de comprendre que ces enquêtés ne déterminent pas avec exactitude le devenir ou l’avenir scolaire total de leurs enfants. Admettons qu’au-delà de toutes les difficultés, les enfants présentent les capacités scolaires avérées, ces mêmes parents ne vont tout de même pas les enlever de l’école pour la seule raison que l’école ne leur garantira pas un avenir prometteur. Ou encore parce qu’ils savent déjà lire et écrire leur nom, le principal objectif. L’avenir selon ces parents, est synonyme de l’emploi stable et de bien être. Aujourd’hui avec le chômage des diplômés, ces parents deviennent assez pessimistes. En conséquence, ils seront tentés de ne pas se consacrer suffisamment à la scolarité de leurs enfants, même s’ils en ont les possibilités. A cela, il faut souligner la trajectoire scolaire personnelle des parents qu’ils considèrent comme héréditaire par conséquent poursuit leurs enfants : « …C’était encore mieux à mon époque (…) mes enfants connaissent tous les problèmes du monde à leur scolarité. Pourvu qu’ils atteignent mon niveau ». Pour ces parents, ils ne se doutent pas que le problème est plus complexe. Et ils peuvent admettre volontiers, sans s’inquiéter, que leurs enfants font quittent. Que les enfants ne puissent atteindre ou dépasser leur niveau scolaire c’est normal car tout est décidé par leur propre cursus scolaire. Cette attitude ne peut aider à encourager les enfants vers une longue scolarité. Mais quel type d’école ces parents souhaitent-ils pour une meilleure scolarisation de leurs enfants ? 6.2.7 Les parents d’élèves et type d'école souhaité Que les parents d’élèves soient favorables ou non à l’école, nous avions constaté qu’ils partagent en commun les problèmes auxquels cette institution est confrontée, jouant sur leurs avis parfois nuancés ou extrêmes. Ayant fait plus ou moins le tour de

Page 270: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

270

quelques uns de ces problèmes, nous avons soulevé quel type d’école ils souhaiteraient à travers le tableau ci-après.

Tableau 50: Type d’école souhaité Réponses aux questions : Quel type d'organisation scolaire souhaitez-vous :

Type d'école

Nb. cit. Fréq.

Ecole de proximité 1 3,3% Nombre suffisant de bâtiments et salles de classes 13 43,3% Nombre suffisant d'enseignants 8 26,7% Fournitures scolaires gratuites 8 26,7% Chaque élève son livre 0 0,0% Autres 0 0,0% TOTAL OBS. 30 100%

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations

Type d'école

Ecole de proximité 1

Nombre suffisant de bâtiments et salles de classes 13

Nombre suffisant d'enseignants 8

Fournitures scolaires gratuites 8

Chaque élève son livre 0

Autres 0

Ce tableau fait apparaître qu’un peu plus de 43% des parents d’élèves souhaitent un type d’école où il y aurait un nombre suffisant de bâtiments et de salles de classes : « comment voulez-vous que les enfants réussissent en travaillant deux (2) heures par jour.» nous lance cet enquêté. Le problème de gestion des salles de classes, insuffisantes par rapport au nombre des élèves, amène les enseignants à opter pour les classes à roulement déjà évoquées. L’autre problème est celui de l’exécution totale des programmes scolaires qui, par manque de salles ou enseignants et des grèves à répétition, souffrent dans leur application. L’année scolaire est de neuf mois avec une demi-journée de quatre heures et demi par jour. Mais la réalité est que ces différents facteurs déjà énumérés amènent à réduire les mois et les heures effectifs de cours. Près de 27% des parents d’élèves estiment un type d’école où il y a un nombre suffisant d’enseignants. Le nombre insuffisant d’enseignants est un facteur auquel les parents d’élèves sont conscients et compatissent souvent avec ceux en activité : « …avec les surcharges de classe, l’enseignant ne peut pas faire grand-chose d’où la baisse sensible de niveau (…) nous souhaitons plus d’enseignants et moins d’effectif

Page 271: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

271

par classe » nous souligne cet enquêté. Pour les parents d’élèves, avec plus d’enseignants, ils auront la motivation suffisante pour construire eux-mêmes les bâtiments scolaires, si nécessaire : « …à chaque passage de l’inspecteur nous lui témoignons de notre disponibilité à construire des bâtiments pourvu qu’il nous en accorde l’autorisation et un engagement formel de nous y affecter des enseignants ; mais rien n’est fait (…) ». L’engagement des parents d’élèves dans le processus de scolarisation de leurs enfants est visible car des réalisations communautaires à cet effet en témoignent. Dans la région de l’Ouham, au moins 10% des bâtiments scolaires sont construits par des parents d’élèves. Ensuite près de 27% des parents d’élèves souhaitent un type d’école où les fournitures scolaires sont gratuites. Ce sont des parents de familles nombreuses confrontés au coût des fournitures scolaires : «…avec mes revenus, je ne peux pas prendre en charge les fournitures scolaires de six enfants avec des niveaux différents ; alors on se débrouille comme on peut… ». Se débrouiller demeure le leitmotiv des parents d’élèves face à cette situation où ils aperçoivent difficilement l’issue de sortie. Enfin un peu plus de 3% des parents souhaitent une école de proximité. En essayant de comprendre ce faible pourcentage, on s’est rendu compte de la priorité que les parents donnent à chaque problème de la scolarisation. C'est-à-dire celui auquel ils sont confrontés et qu’ils ont déjà du mal à résoudre. Notamment les bâtiments, salles de classes et enseignants en nombre suffisant tout comme les fournitures gratuites. Alors, il n’est pas prioritaire d’envisager une école de proximité qui ne sera pas réalisable. Ils admettent que leurs enfants puissent faire quelques kilomètres pour une école où le minimum de conditions d’apprentissage est réuni. Mais quelles solutions peuvent-ils proposer pour endiguer le phénomène des abandons scolaires ? 6.2.8 Solutions aux abandons scolaires Le problème des abandons scolaires ne peut demeurer éternel dès lors, où il y a tentative de solutions, même théoriques soient-elles. Ce sont des idées qui peuvent être traduites en actes concrets dès lors où il y a une volonté affirmée. Là également il faudrait qu’il y ait des moyens à mettre en œuvre pour concrétiser ces idées, cette volonté…

Page 272: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

272

Les parents d’élèves conscients ou non des abandons scolaires ont-ils des idées à soumettre quant aux solutions pouvant réduire les abandons scolaires ? Que proposent-ils ?

Tableau 51: Solutions aux abandons scolaires Réponses aux questions : Quelles solutions proposez- vous aux abandons scolaires:

Solutions aux abandons scolaires

Nb. cit. Fréq.

Création de structures de ré scolarisation sans critère d'âge 16 53,3% Pensionnat 14 46,7% Autres 0 0,0% TOTAL OBS. 30 100%

Source : Enquête de terrain 2004

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 30 observations

Solutions aux abandons scolaires

Création de structures de ré scolarisation sans critère d'âge 16

Pensionnat 14

Autres 0

De l’avis des enquêtés sur la question, un peu plus de 53% considèrent que la création de structures de ré scolarisation sans critère d’âge permettrait de restreindre les abandons scolaires. Nous avions déjà évoqué le problème récurrent de l’absence de dispositifs de réinsertion ou de ré scolarisation en République Centrafricaine et dans la région de l’Ouham en particulier. Le souci des parents est celui d’être conscients de la situation tout en étant impuissants pour y trouver des solutions : «…qui peut voir son enfant, que lui-même a envoyé à l’école l’abandonner sous ses yeux… », nous lance amer cet enquêté. Les évènements qui enfreignent le fonctionnement normal de l’école ont pour conséquences le report d’une année scolaire à l’autre. Cependant l’enfant grandit, son âge augmentant, il perd toute motivation pour reprendre les cours parmi les plus jeunes, si jamais il a déjà connu des retards liés au redoublement de certaines classes auparavant. Le complexe lié à l’âge avancé de l’enfant pour une classe donnée est présent et vécu comme un traumatisme si en plus de ce facteur, l’enfant a des difficultés scolaires. Nous avions constaté que ceux qui sont âgés et travaillent bien à l’école ne vivent pas ce complexe d’âge, imputé généralement au mauvais fonctionnement de l’école comme les années blanches ou la scolarisation tardive. Les délégués de classes sont souvent choisis ou élus dans cette catégorie, et ils ont une portée indispensable au fonctionnement de la classe. Cette catégorie (plus âgée et studieuse) est une aide précieuse pour l’instituteur et l’assiste dans certaines tâches :

Page 273: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

273

discipline, surveillance en cas d’absence ou d’activités péri scolaires, l’entretien de la salle de classe… Enfin près de 47% des parents d’élèves estiment que le pensionnat serait la solution adéquate aux abandons scolaires comme nous le fait remarquer cet enquêté : « …si on les met ensemble en pensionnat, ils ne penseront qu’aux études (…), ils réussiront mieux comme au séminaire (…) ». La demande ou l’idée d’un pensionnant est forte, seulement, elle n’est pas réalisable même à moyen terme vu le contexte centrafricain caractérisé par la pauvreté. Le souci de réussite scolaire des enfants est présent à l’esprit des parents de manière général, du moins pour ceux qui font encore confiance à l’école. L’ambiguïté est qu’on constate en même temps leur démotivation face à leur responsabilité supposée, dépassée par les problèmes inhérents à l’éducation, que nous avons relevés tout au long de ce travail. Conclusion En définitive nous venons de voir les avis des deux groupes-cibles qui nous ont aidé à la compréhension partielle du phénomène des abandons scolaires. Ce sont les enfants qui fréquentent encore l’école au moment de l’enquête et les parents d’élèves qui croient encore à l’école en y envoyant leurs enfants. Le constat est que les mêmes problèmes reviennent à chaque fois que l’on a essayé de les soulever autrement à travers nos questionnaires. Ce sont les problèmes d’insuffisance de moyens matériel, financier et humain qui sont les causes des entorses à une scolarisation normale. L’autre problème est celui des troubles sociopolitiques récurrents ces dernières années. Ces problèmes complexes dépassent finalement le cadre restreint de la famille et se situent dans une politique globale de l’éducation au niveau national et international.

Page 274: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

274

Conclusion générale Il est important de rappeler d’emblée qu’en dehors de nos hypothèses, il y avait déjà d’autres facteurs antérieurs qui ont amorcé les difficultés inhérentes au fonctionnement de l’éducation en Afrique et la République Centrafricaine en particulier. Nous avions évoqué ces facteurs dans le chapitre concernant la situation de l’enseignement en République Centrafrique. Cette situation a amené la prise de conscience des jeunes états africains à prendre leur responsabilité à travers le sommet de Addis-Abeba (Ethiopie) en 1963 en matière d’éducation car : « être responsable dans un pays sous développé, c’est savoir que

tout repose sur l’éducation des masses, sur l’élévation de la pensée, sur ce qu’on

appelle trop rapidement la politisation […] Or politiser, c’est ouvrir l’esprit, c’est éveiller

l’esprit, mettre au monde l’esprit, c’est comme le dirait Césaire "‘inventer les âmes ".

Politiser les masses, ce n’est pas, ce ne peut pas être faire un discours politique. C’est

s’acharner avec rage à faire comprendre aux masses que tout dépend d’elles […] qu’il

n’y a pas de démiurge, et que les mains magiciennes ce sont en définitive les mains du

peuple »169. Ces masses en question, il y en a en Centrafrique sans scolarisation, peu scolarisées ou en bas niveau de qualification. Le constat que l’on a fait plusieurs décennies plus tard, après le sommet de Addis-Abeba, est que d’autres paramètres s’y sont ajoutés rendant encore plus complexe la problématique de l’éducation avec les conséquences, les abandons scolaires qui nous intéressent ici. Ces nouveaux paramètres sont la pauvreté accentuée, les maladies comme le SIDA, les coups d’état, les rébellions, les arriérés de salaire, les grèves…qui n’étaient pas affirmés en Centrafrique. Nous avions posé comme hypothèse principale la pauvreté comme cause explicative des abandons scolaires. De nos analyses, nous avons observé que son impact est important tant sur les institutions de l’état que sur la population elle-même. L’état centrafricain depuis plus de deux décennies croule sous des dettes importantes. L’instabilité politique oriente l’investissement vers la sécurité jugée à tort ou à raison prioritaire. De ce fait, il n’investit quasiment plus dans les infrastructures scolaires ni dans le recrutement des enseignants en fonction de la population scolarisable en augmentation continue. Les bâtiments scolaires en présences sont en état de dégradation avancée et ne laissent présager à court terme une possibilité de

169 FANON F., 1960, Les damnés de la terre, Paris, Maspero, p.133.

Page 275: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

275

réhabilitation si ce n’est que leur fermeture pure et simple, livrant au passage les élèves à eux-mêmes. D’où les abandons scolaires involontaires déjà évoqués. Le non versement de salaires à terme échu ou tout simplement l’accumulation des arriérés de salaires plongent le pays dans des grèves illimitées débouchant sur les années blanches (années scolaires invalidées) contraignant les élèves aux abandons scolaires. Les enseignants trouvent en ces arriérés de salaires des prétextes justifiés pour ne pas regagner leur poste d’affection notamment en milieu rural abandonnant ainsi les élèves à leur triste sort. La complexité de ces grèves ou remous sociaux prépare entre autre à l’instabilité politique. D’où les coups d’état, les rébellions, les transitions démocratiques, les élections… immobilisant certaines régions du pays, comme le cas de la région de l’Ouham, notre champ d’études. Avec des conséquences désastreuses sur les infrastructures scolaires déjà précaires et sur la scolarité des élèves. Au niveau de la population, nous avons constaté que la pauvreté affecte sensiblement le pouvoir d’achat des familles. Dans la région de l’Ouham, outre les fonctionnaires qui peuvent espérer un mois de salaire sur cinq en moyenne, la majorité de la population vit de l’agriculture avec de piètres revenus. La culture générant ce revenu est le coton, qui parfois, n’est pas acheté. Dès lors la prise en charge des fournitures scolaires, non fournies, demeure un poids pour les parents d’élèves et pour les élèves eux-mêmes. D’où le désintérêt des élèves ou des parents d’élèves pour le problème de scolarisation, d’une longue scolarité ou des abandons scolaires. Les aspects physiques de la région de l’Ouham et le calendrier agricole, influencent la scolarité des enfants. Nous avons relevé tout de même les effets de la scolarisation sur le quotidien du groupe-cible principal, c'est-à-dire les enquêtés ayant quitté l’école sans avoir terminé le cycle primaire. Ces effets, même s’ils sont satisfaisants dans une société de solidarité à petite échelle (entraide en rédaction ou lecture de courrier, tâches administratives), ils demeurent insuffisants pour le grand défit que la République Centrafricaine doit relever : Celui de développement. Car les écarts, les contradictions et l’injustice des discours sur le développement sont patents. Dans les pays développés les discours mettent l’accent sur les recherches technologiques de pointe c'est-à-dire l’enseignement supérieur tandis que dans les pays pauvres, le maximum pour un développement serait de terminer les six premières années de scolarité c'est-

Page 276: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

276

à-dire l’école primaire. Donc le fait de ne pas avoir terminé le cycle primaire ne peut favoriser le développement de ces pays. Certes le développement tout comme l'éducation sont des processus nécessitant le temps, la volonté et les moyens pour leur aboutissement. Mais ces critères ne sont pas remplis ou ne s'étendent pas à la plupart des pays en développement et la à République Centrafricaine en particulier, car accablée par la pauvreté. Si le sous-développement apparaît comme une « prison », l’Education apparaît comme l’une des clés de sortie. Et, on ne peut parler de développement sans parler de la qualité du capital humain susceptible de déclencher durablement ce processus. La globalisation de l’économie contraint à une compétition effrénée, liquidant mécaniquement au passage ceux qui n’ont pas une base économique et technologique solide ou qui n’ont pas de « gabarit » imposant comme la République Centrafricaine, dû au sous investissement dans l’éducation. Ce nouveau bouleversement du monde lié à la mondialisation rend, la définition de l’éducation formulée par Durkheim, brûlante d’actualité. Nous rappelons que, pour Durkheim : « l’éducation est l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné ». Nous entendons aussi par « générations adultes », les décideurs. Ce sont les Etats, les Institutions internationales… En rapportant cette définition au cas centrafricain et au contexte du moment de l’enquête, on ne peut s’empêcher de se demander, quels mécanismes opérationnels, les adultes centrafricains ou les institutions internationales, chantres de « L’Education pour tous » ont défini pour une meilleure éducation d’abord de la génération actuelle afin qu’elle puisse répondre aux exigences du monde moderne ou à la demande de « la société politique » à laquelle elle appartient ? Sachant que nous avons également enquêté auprès de ceux qui fréquentaient encore l’école au moment de l’enquête. Mais dans quelles conditions fréquentent-ils l’école et pourquoi vont-ils à l’école ? La majorité de ces enquêtés ont évoqué qu’ils vont à l’école dans le but d’obtenir un diplôme et d’accéder à un emploi. Seulement, ils ne mesurent pas les obstacles et les nouveaux enjeux du monde actuel. Si les parents d’élèves ont des ambitions pour leurs enfants, cette recherche a relevé leur limite quant aux moyens à mettre en œuvre afin

Page 277: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

277

de faire réaliser ces ambitions scolaires à leur progéniture, car pauvres dans la plupart de cas. En définitive notre hypothèse semble être vérifiée car la pauvreté demeure la cause principale des abandons scolaires en République Centrafricaine et dans la région de l’Ouham en particulier. La démarche méthodologique pour ce travail nous a permis de nous rapprocher des concepts constituant le thème de cette recherche, nous aidant à savoir de quoi nous parlons. Si la méthode d’approche et les techniques de collectes de données nous ont permis d’avoir plusieurs informations aidant à la validation de notre hypothèse, elles présentent tout de même des limites : ils nous a été difficile de comprendre avec précision pourquoi, avec les conditions sociales identiques, il y a ceux qui continuent à aller à l’école et ceux qui l’abandonnent. L’autre aspect est celui de l’incapacité à une compréhension profonde du mode de pensée réelle ou de la représentation que se font les enquêtés de l’éducation moderne. Enfin les indicateurs économiques et l’instabilité politique de la République Centrafricaine nous dissuadent à dégager quelques pistes de propositions, en matière d’éducation, au risque qu’elles deviennent désuètes au fil du temps. Toutefois, à l’issue de cette recherche nous pouvons annoncer d’ors et déjà que la situation de l’éducation nécessite une organisation et une structuration d’une conscience collective, d’une nouvelle idéologie en une véritable lutte pour une éducation de masse et de qualité pour tous : « un village une école ». Telles sont nos nouvelles perspectives de recherche.

Page 278: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

278

BIBLIOGRAPHIE I- DICTIONNAIRES

CHAMPY, P, ETEVE, C, Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la

formation, Paris, 2ème édition Nathan, 1998, 1167p.

Le Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, Paris, Malesherbes, 2001,

2846p.

LEGENDRE, R, Dictionnaire actuel de l’Education, Montréal, 2è édition,

Guérin, 1993, 1500p.

MIALARET, G, Vocabulaire de l’Education : Education et sciences de

l’éducation, Vendôme, PUF (Presses Universitaires de France), 1979, 457p.

II- OUVRAGES SPÉCIFIQUES ET GÉNÉRAUX

ABRIC, J.C, Pratiques sociales et représentations, Paris, PUF, 1994, 239p

AEF, Gouvernement général, Historique et organisation générale de

l’Enseignement en AEF, Paris, Edition Agence économique de l’AEF, 1931,

96p

BALANDIER, G, Sens et puissance, Vendôme PUF, quadrige, 1981, 336p.

BALLET, C, Sociologie des organisations, Vendôme, PUF, « Que sais-je »,

1998,127p

BAUDELOT C., ESTABLET, R, Allez les filles, Paris, Editions du Seuil,

Collections Points, 256p.

BERBAUM, J, Apprentissage et formation, Paris, PUF, collection « Que sais-

je », 1994, 125p.

BIHR, A, PFEFFERKORN, R, Déchiffrer les inégalités, Paris, Syros

Alternatives économiques, 1995, 576p.

BOUDON, R, L’inégalité des chances, Paris, Hachettes Littératures,

Collection Pluriel, 2006, 350p.

BOURDIEU, P, Questions de sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 2002,

277p.

BOURDONCLE, R., DEMAILLY, L, Les professions de l’Education et de la

formation, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1998,

(Métiers de la formation) 480p.

Page 279: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

279

CHARLOT, B, GLASMAN D., Les jeunes, l’insertion, l’emploi, Education et

Formation. Biennales de l’Education Paris, 1998, 350p.

CHAUCHAT, H, L’enquête en psycho sociologie, Paris, Dunod, 1996, 200p.

CHERKAOUI, M, Les paradoxes de la réussite scolaire, Paris, PUF, 1979,

224p.

CROZIER, M, FRIEDBERG, E, L’acteur et le système, Paris, Editions Seuil,

1977, 415p.

CROZIER, M, TILLIETTE, B, La crise de l’intelligence, Essai sur

l’impuissance des élites à se reformer, Paris, Seuil, 1998, 200p.

DEMUNTER, P, Comprendre la Société, Paris, L’Harmattan, 2002, 408p.

DEMUNTER, P, L’action collective de formation de Sallaumines, Cahiers

d’Etudes du CUEEP, N° 15, USTL Flandres Artois CUEEP, Février 1990,

128p.

DEMUNTER, P, Masses rurales et luttes politiques au Zaïre : Le processus de

politisation des masses rurales au bas-zaire, Paris, Editions Anthropos, 336p

DUBET, F, MARTUCCELLI, D, Dans quelle société vivons-nous ? Paris,

Seuil, 1998, 322p.

DUPAGNE, Y, Coopérant de l’Education en Afrique, Paris, L’Harmattan,

1993, 255p.

DURKHEIM, E, Education et Sociologie, Vendôme, PUF, 1973, 136p.

DURKHEIM, E, Les règles de la méthode sociologique, Vendôme, 6è Édition,

quadrige, PUF, 1995, 149p.

ERNY, P, L’enfant dans la pensée traditionnelle de l’Afrique Noire, Paris,

L’Harmattan, 1990, 197p

ERNY, P, L’enfant et son milieu en Afrique Noire : Essai sur l’Education

traditionnelle, Paris, Payot, 1972, 310p.

ERNY, P, Essai sur l’Education en Afrique Noire, Paris, L’Harmattan, 2001,

351p.

FANON, F, Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1968, 238p.

GERARD, E, La tentation du savoir en Afrique : Politiques, Mythes et

Stratégies d’Education au Mali, Paris, Karthala, Orstom, 1997,283p.

GHIGLIONE, R, MALALON, B, Les enquêtes sociologiques. Théories et

pratique, Paris, Armand Colin, 1985, 301p.

Page 280: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

280

GLASMAN, D, OEUVRARD, F, La déscolarisation, Paris, La Dispute,2004,

380p.

GRAWITZ, M, Méthodes des sciences sociales, Paris, 11ème édition, Dalloz,

2001, 1019p.

JODELET, D, Les représentations sociales, Paris, PUF, Collection sociologie

d’aujourd’hui, 1991, 424p.

JONES RUSSEL, A, Méthodes de recherche en sciences humaines, Bruxelles,

De Boeck Université, 2000, 332p.

KALCK, P, Histoire de la République Centrafricaine, L’Harmattan, Collection

Racines du présent, Paris, 354p

KALCK, P, La République Centrafricaine, Paris, Editions Berger-Levrault,

1971, 52 p

KOM, A, L’Education et démocratie ; Le temps des illusions, Paris,

L’Harmattan, 1996, 287p.

LAHIRE, B, L’homme pluriel : Les ressorts de l’action, Paris, Edition Nathan,

Collection Essais et Recherche. Série Sciences sociales, 1998, 271p.

LANGLOIS, G, Vade Mecum de la réglementation pour l’école primaire,

Grenoble, CRDP Grenoble- Université, 1999

LECLERCQ, V, Face à l’illettrisme. Enseigner l’écrit à des adultes, Paris, ESF

éditeurs, 1999, 200p.

MACÉ, G, Guide d’élaboration d’un projet de recherche, Bruxelles, 2è

Édition, De Boeck Université, 1997, 119p.

MANNONI, P, La malchance sociale, Paris, Odile Jacob, 2000, 240p.

MOUMOUNI, A, L’Education en Afrique, Paris, Présence Africaine, 1998,

328p.

WEBER Max, Economie et Société dans l’antiquité, Paris, Editions la

Découvertes, 1998, 408p.

NOMAYE, M, Les politiques éducatives au Tchad, Paris, L’Harmattan, 2001,

168 p.

ROCHER, G, Introduction à la sociologie générale : 2- L’organisation sociale,

Paris, Seuil, 1972, 258p

SIKOUNMO, H, L’école du sous développement : Gros plan sur

l’enseignement secondaire en Afrique, Paris, L’Harmattan, 1992, 287p

Page 281: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

281

SIKOUNMO, H, Jeunesse et Education en Afrique Noire, Paris, L’Harmattan,

1995, 192p.

STIGLITZ, J.E, La grande désillusion, Paris, Librairie Arthème Fayard, Poche,

2003, 412p.

STIGLITZ, J.E, Un autre monde contre le fanatisme du marché, Paris,

Librairie Arthème Fayard, 456p.

TOBIE, N, Nous ne sommes pas seuls au monde : Les enjeux de

l’ethnopsychiatrie, Paris, Seuil, 2007, 380p

VASCONCELLOS, M, Le Système éducatif, Paris 3è Éditions La

Découverte& syros, 2001, 123p.

WEBER M, Economie et société : Les catégories de la sociologie, Tome 1,

Paris, Pocket, Agora, 1995, 416p.

III- RAPPORTS, REVUES, PÉRIODIQUES

APRIEF- INRP, 6è Biennale de l’Education et de la Formation, Paris,

APRIEF- INRP, 2002, 370p

Discours de la Conférence Africaine de Brazzaville, 1944, 3p.

FAIM- DÉVELOPPEMENT, L’Education : une priorité menacée, 2000,

numéro 158.

Inspection de l’enseignement fondamental1 de l’Ouham, Rapport de rentrée

scolaire 1998-1999, 62p

Inspection de l’enseignement fondamental1 de l’Ouham, Rapport de rentrée

scolaire 1999-2000, 53p.

LOUNGOULAH P. Contraintes et potentiels de l’économie centrafricaine à

l’aube du 21è siècle, Centre de recherche sur les Institutions Publiques et

Privées (CRIPP/CNRS) Paris, 11p.

REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, Annuaire des statistiques de l’Education

2003-2004, Bangui Avril 2005, 68p.

REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, Enquêtes à indicateurs multiples-MICS

2000, Bangui, Avril 2001, 254p.

REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, Troisième recensement général de la

population et de l’habitation : Perspectives démographiques 2003-2028,

Bangui, Novembre 2005, 69p.

Page 282: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

282

REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, Plan National, d’Action de

« l’Education pour tous » : 2004-2015, Avril 2004, 77p. Les cahiers THEODILE, numéro 6, Université Charles De Gaulle Lille3, Déc.

2005, 129p.

UNICEF, Tableau de bord de la préfecture de l’Ouham, Centrafrique UNICEF,

1998, N°00, pp 26

V.E.I Enjeux L e décrochage scolaire : une fatalité ? C.N.D.P, 2000, numéro

122,

XXVIè Session ordinaire de l’Assemblée parlementaire de la francophonie,

Pour une école de la réussite, la lutte contre échec scolaire, Yaoundé-

Cameroun, 2000, 2p.

IV- THÈSES

1- AMAYE M. Les missions catholiques et la formation de l’élite

administrative et politique de l’Oubangui-Chari de 1920 à 1958, Université de

Provence, Marseille1, Doctorat de 3ème cycle en Histoire, 2 tomes, 1984, 867p.

2- BASTOS HORTA, L. C L’abandon scolaire au Brésil. Enquête sur les

représentations de parents face à l’école, Paris 5, Doctorat (Nouveau), Sciences

de l’Education, 1991, 512p

3- BEVARRAH L Ethnocide Bantou (Gbaya) et la politique de rééducation :

Essai d’analyse de la mission civilisatrice française et son effet post-colonial

en ex AEF Paris 8, Doctorat 3è cycle, Sciences de l’Education, 1985, 409p.

4- BISSAOUE E, La vie rural et son développement dans l’Ouham, Bordeaux

III, Centre d’Etudes de Géographie tropicale, Thèse de doctorat de

l’Université, 1993, 225p

5- DANAGORO, J.P, Education et développement en République

Centrafricaine. La problématique éducative face aux aléas du développement

communautaire en milieu rural, Paris, EHESS, Doctorat de 3èeme cycle,

Sociologie, 1981, 415p

6- MAITART D La scolarisation en Centrafrique sous la colonisation.

Contribution à l’histoire de l’enseignement colonial en Centrafrique, Paris 5,

Sciences de l’Education, Doctorat 3è cycle, 1982, 269p

Page 283: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

283

7- SANCHES, M, L’abandon scolaire : Représentations et réalité enquête

ethnographique réalisée dans une Favela de Sao Paulo, au Brésil, Paris 5,

Sociologie, Doctorat, 1997, 438p

8- ZOCTIZOUM, Y Les mécanismes de l’ordre colonial, néo colonial et

d’appauvrissement en Centrafrique. 1879-1979, Paris 7, Sociologie, Doctorat

d’Université, 2 tomes, 1981, 860p

V- MÉMOIRE

NAMYOUÏSSE J. M Les causes et conséquences de la non fréquentation

scolaire des jeunes filles en milieu rural : Cas de la commune de l’Ouham-Bac,

Université de Bangui, Maîtrise de sociologie, 2000, 75p.

NAMYOUÏSSE J.M Les représentations des causes et conséquences de

l’abandon scolaire en Centrafrique : Cas de la commune de Bossangoa,

Université Charles De Gaulle-Lille3, Mémoire de DEA Sciences de

l’Education, 2002, 105p.

VI- PRESSE

Agence France Presse Centrafrique SIDA, 11 mai 2002

The New York Times Les systèmes éducatifs africains pénalisés par les

ravages du SIDA chez les enseignants, 7 mai 2002

El Magazine SIDA : Briser le silence, Décembre 2000

VII- SOURCES ÉLECTRONIQUES

Actes des rencontres-Ottawa, www.csfef.org

Ambassade de France, Historique des relations Franco-centrafricaines

www.ambafrance-cf.org

Bureau des Affaires Africaines République Centrafricaine, www.stat-

usa.gov, 2002

Bureau international du Travail L’Ajustement structurel risque d’hypothéquer,

1996

Les traitements des enseignants et les effectifs des classes, www.ilo.org

Centrafrique statistiques www.afristat.org

Page 284: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

284

Centrafrique- Economie www.izf.net

Centrafrique www.universalis-educ.centrafrique.com

Centrafrique www.fr-encyclopedia.yahoo.com

Centrafrique www.francophone.net

Décrochage scolaire www.simpatico.ca

Education en Afrique : Centrafrique, www.educaf.org

UNESCO –Dakar Actualités EPT Afrique- Centrafrique-

www.dakar.unesco.org

UNICEF La situation des enfants dans le monde www.unicef.org/french, 1997

Page 285: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

285

Acronymes AEF : Afrique Equatoriale Française AFPA : Association Nationale pour la Formation Professionnelle des Adultes ANECA : Association Nationale des Elèves et Etudiants Centrafricains CEF1 : Certificat d’études Fondamental 1 CEMAC : Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale CMRN : Comité Militaire de Redressement National CI : Cours d’Initiation CP : Cours Préparatoire CE1 : Cours Elémentaires première année C.E.2 : Cours Elémentaires deuxième année CM : Cours Moyens CUEEP : Centre Université Economie d’Education Permanente EPC : Ecoles de Promotion Collective DVA : Départ Volontaire Assisté ENI : Ecole Normale des Instituteurs FAC : Fonds d’Action et de Coopération FED : Fonds Européens et de Développement FUNOC : Formation pour l’Université Ouverte de Charleroi ILEP : Institut Lillois d’Education Permanente MEDAC : Mouvement d’évolution démocratique de l’Afrique Centrale MEQ : Ministère de l’Education du Québec MINURCA : Mission des Nations Unies en République Centrafricaine MISAB : Mission Interafricaine de Surveillance des Accords de Bangui. MLC : Mouvement de Libération du Congo MST : Maladies Sexuellement Transmissibles OGM : Organisme Génétiquement Modifié ONU : Organisation des Nations Unies PAM : Programme Alimentaire Mondiale PAS : Programme d’ajustement structurel PIB : Produit Intérieur Brut PNB : Produit National Brut PNE : Plan National de l’Education PNUD : Programme des Nations Unies pour le développement RCA : République Centrafricaine RGP : Recensement Général de Population SIDA : Syndrome Immuno Déficient Acquis THA : Trypanosomiase Humaine Africaine UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture UNICEF : Fonds des Nations Unies pour l’Enfance

Page 286: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

286

ANNEXE

Page 287: Le Système éducatif et les abandons scolaires en ...

287

Titre de la thèse : Le système éducatif et les abandons scolaires en Centrafrique : Cas de la Région de l’Ouham. Résumé L'Education est une priorité pour l'ensemble des Nations au monde. Cela se traduit par la place de choix qu'elle occupe dans la Constitution de presque chaque Etat. Les Institutions Internationales (UNESCO, UNICEF, BIT, BANQUE MONDIALE, PNUD, Déclaration universelle des Droits de l'Homme…) et les différents forums, séminaires, rencontres… sensibilisent l'opinion à l'importance de l'Education dans l'épanouissement et la promotion sociale de l'être humain....Dans les pays pauvres, l’Education est aussi un enjeu pour le développement. Et se situe au cœur d’un processus de réduction de la pauvreté et ce, à tous les niveaux. De ce fait, l’urgence serait de terminer les six (6) premières années scolaires c'est-à-dire terminer le cycle primaire. Mais le constat est que malgré les dispositions supranationales, juridiques en matière d’obligation scolaire et les différents mouvements et slogans pour l'accès à l'Education pour tout être humain, la réalité du terrain à travers le monde reste celle-ci: -Taux important de non fréquentation scolaire des enfants en âge scolaire, -Taux important d'échecs scolaires, -Taux important des abandons scolaires qui fait l’objet de cette recherche. Cette thèse restreint le problème au niveau de la République Centrafricaine et la Région de l’Ouham en particulier ; et pose comme hypothèse la pauvreté comme cause principale des abandons scolaires. L’analyse des données révèle que le système éducatif, les crises sociopolitiques et socioéconomiques sont déterminantes dans la décision des enfants à abandonner l’école. Mots clés: Système éducatif- Abandons scolaires- Centrafrique-Ouham

Titrate thesis: The education system and school abandonments in Central Africa: Case of the Area of Ouham. Summary Education is a priority for the whole of the Nations in the world. That results in the place of choice which it occupies in the Constitution of almost each State. International Institutions (UNESCO, UNICEF, the ILO, the World Bank, UNDP, universal Declaration of the Human rights…) and the various forums, seminars, meetings… sensitize the opinion with the importance of Education in blooming and the social advancement human being….In the poor countries, Education is also a stake for the development. And is located in the middle of a process of reduction of poverty and this, on all the levels. So the urgency would be to finish the six (6) first school years i.e. to finish the primary education cycle. But the report is that in spite of the supranational, legal provisions as regards compulsory education and the various movements and slogans for the access to Education for any human being, the field reality throughout the world remains this one: - Important Rate of nonschool attendance of the children of school age, - Important Rate of school failures, - Important Rate of the school abandonments which is the subject of this research. This thesis restricts the problem on the level of the Central African Republic and the Area of Ouham in particular; and as assumption poverty poses as causes principal school abandonments. The analysis of the data reveals that the education system, the sociopolitic and socio-economic crises are determining in the decision of the children to give up the school. Key words: Education system school Abandonments Central Africa-Ouham