Le symbolisme politique du Pas dans le royaume de France (Bourgogne et Anjou) à la fin du Moyen-Age

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Le symbolisme politique du Pas dans le royaume de France (Bourgogne et Anjou) 5 la fin du Moyen-Age Jean-Pierre Jourdan 17 Queensberry Place, London SW7 201, UK For a long time the Pas was regarded as a mere part of the chivalric combat, as a ritual of parade and as a dramatisation having the chibiish fantasy ofa fairy tale; the Emprise being the expression of the mentali~ of a former age which could or+ survive in Burgundy supported by heroic literature. i’his historiographic conception, influenced by the work ofJ. Huizinga and 3. Rychner, seems to underestimate the symbolical stgmjcance of these combat rituals whose dramatisation is meaningfitl. lhis paper tries to show how the care& choice of place and setting determines the meaning of the combat as part of a ritual of alliance and stresses its political srgnjficance. Adding or substituting new links of a contractual nature to thefeudal links which became less binding and more uncertain as a result of wars, the Pas paves the way to subjection and to make it more acceptable, transforming it into a bound of Love. Le lcr juillct 1443, considCrant que les tcmps Ctaicnt alors ‘oiseulx, plain de plaisancc et de honncstcs passctcmps’, Pierre de Bauffrcmont, seigneur de Charny, accompagnc de douzc chevaliers et tkuycrs du duchc de Bourgogne, ouvrit le Pas dc l’arbre Charlemagne.’ Sur le grand chemin allant de Nuits a Dijon, en une place appek ‘la charme Marsannay’, le scigncur de Charny fit dresser un bas palis portant un drap de hautc lice au blason de scs armes et dcux tcus signifiant les armes et conditions du combat. P&s dc l’arbrc, une fontaine portait cn manikre de couronnement Its ‘ymaiges de Dieu, de Nostre Dame et de madame saincte Anne’, ainsi que les trek blasons des armes de Charny. Plus avantHur le chemin, une haute Croix de Pierre figurait un crucifix et la pr&entation du garde du Pas. Non loin de Corre~~ondencc lo: J.-P. Jourdan, 38, Rut dc Massy, 92160 Antony, France. JEAN-FIERRF. JOURIMN is Secretary-General of the Institut frangais du Royaume Uni. Voir la relation de cc Pas dans Olivier de d’Arbaumont, (SHF,Paris, 1883) 1.1, 290-334. Ia publ. H. et J. Journal of Medieval History I8 (1992) 161-181 03044181/92/805.00 0 1992 - Elsevier Science Publishers B.V. All rights reserved 161

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Le symbolisme politique du Pas dans le royaume de France (Bourgogne et Anjou) 5 la fin du Moyen-Age Jean-Pierre Jourdan

17 Queensberry Place, London SW7 201, UK

For a long time the Pas was regarded as a mere part of the chivalric combat, as a ritual of parade and as a dramatisation having the chibiish fantasy of a fairy tale; the Emprise being the expression of the mentali~ of a former age which could or+ survive in Burgundy supported by heroic literature. i’his historiographic conception, influenced by the work ofJ. Huizinga and 3. Rychner, seems to underestimate the symbolical stgmjcance of these combat rituals whose dramatisation is meaningfitl. lhis paper tries to show how the care& choice of place and setting determines the meaning of the combat as part of a ritual of alliance and stresses its political srgnjficance. Adding or substituting new links of a contractual nature to thefeudal links which became less binding and more uncertain as a result of wars, the Pas paves the way to subjection and to make it more acceptable, transforming it into a bound of Love.

Le lcr juillct 1443, considCrant que les tcmps Ctaicnt alors ‘oiseulx, plain de plaisancc et de honncstcs passctcmps’, Pierre de Bauffrcmont, seigneur de Charny, accompagnc de douzc chevaliers et tkuycrs du duchc de Bourgogne, ouvrit le Pas dc l’arbre Charlemagne.’

Sur le grand chemin allant de Nuits a Dijon, en une place appek ‘la charme Marsannay’, le scigncur de Charny fit dresser un bas palis portant un drap de hautc lice au blason de scs armes et dcux tcus signifiant les armes et conditions du combat. P&s dc l’arbrc, une fontaine portait cn manikre de couronnement Its ‘ymaiges de Dieu, de Nostre Dame et de madame saincte Anne’, ainsi que les trek blasons des armes de Charny. Plus avantHur le chemin, une haute Croix de Pierre figurait un crucifix et la pr&entation du garde du Pas. Non loin de

Corre~~ondencc lo: J.-P. Jourdan, 38, Rut dc Massy, 92160 Antony, France. JEAN-FIERRF. JOURIMN is Secretary-General of the Institut frangais du Royaume Uni.

’ Voir la relation de cc Pas dans Olivier de d’Arbaumont, (SHF, Paris, 1883) 1.1, 290-334.

Ia publ. H. et J.

Journal of Medieval History I8 (1992) 161-181 03044181/92/805.00 0 1992 - Elsevier Science Publishers B.V. All rights reserved 161

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la, des lices avaient Ctt construites pour fournir les armes, les portes en etaient orientees: l’entree de l’assaillant cn la lice etait du c&t de Dijon et celle du

defendant et garde du Pas, du c8te dc Nuits. Pierre de Bauffremont et les douze gentilshommes tenant le Pas portaient au gcnou gauche, pour ‘Emprise’, une garde ‘a la maniere de la garde d’un harnois de jambe, et la portoient.. . les chevaliers, doree et semte de larmes d’argcnt, et lcs escuyers, d’argent, semte de larmes dorees’.:! Trois places avaient cte ordonnt5es pour accueillir les seigneurs Venus

combattrc; sit&es a Cgale distance l’une de l’autre, elles formaient un triangle

‘qui estoit moult bien scant au mistcre’.3 Le 11 juillet, les Dues de Bourgogne

et de Savoie qui venaient de rcnouveler leur alliance arriverent, ‘au soleil levant’, a l’arbre Charlemagne. Le combat pouvait commencer.

Quel ttait le sens de cc rituel dc combat dont la forme, encore nouvelle au duche de Bourgogne, etait cclle d’un mysterc et dont lc chithe enchainait lc

combat a l’alliance? En se tenant au carrcfour d’un chemin, ayant signifie son desir de combattrc,

Pierre de Bauffremont et ses douze compagnons affirmaient qu’ils ttaicnt en qut3c d’aventure. C’etait l’usage reconnu des chevaliers errants de SC placer au detroit des chemins ou en tout autre lieu oblige du passage, pour y d&x en combat

singulier quiconque s’approcherait. 4 Rep&es symboliques attest& de la Q&e,

l’arbre, lcs ecus appendus, la fontaine annoncaient le seuil p@rilleux du combat. L’Emprise que portait le seigneur de Charny n’etait pas sans rappeler celle de Jean due de Bourbon et de seize chevaliers et Ccuyers qui avaicnt fait vocu de porter A la jambc gauche, un fer de prisonnier pendant a unc chaine, d’or pour les chevaliers, et d’argent pour lcs tcuycrs. 5 Le champ ordonne pour fournir les

armes entre appelant et defendant au Pas apparcntait le combat au gage dc bataille, ou plus justement au champ clos ‘sans querellc diffamatoire’.6

Ainsi, chaque element de ce rituel de combat dtait aistmcnt identifiable et de

2 3 De La Marche, Mhires, t. I, 29 i .

De La Marche, Mhoircs, t. I, 295, voir fig. I. cartographic du Pas. 4 La coutume du combat en limite (gu~,‘rarrcfour,-pdnt...) est dcs plus ancicnnes. Anne Comncne, dans lil&tie, rapportc cette tradition aux Francs: Alexiude, Cd. E. Dawcs (Londres, 1928) 263-64. (Nous remercions le Dr. M.H. Keen qui nous a communique cette reference.) On peut Cgajement consider6 le topique romanesque de la ‘Garde’ comme une forme premiere et apparcntee du Pas, ainsi dam le roman de Perceforcst, la Garde du ‘gentil c&or’ et la ‘franchc garde’; Lc romun de fcrc&sf, ed. J.H.M. Taylor (Droz, 1979) (I ere partie); ed. G. Roussineau (Droz, l987- 1988) (36 et 415 partie). Sur les origines du Pas, J.P. Jourdan, ‘Lc theme du Pas dans le royaume de France (Bourgognc, Anjou) B la fin du Moycn-Age, l’emergcnce d’un symbole, Annales de Eourgogrtc, LXII, p-3) (1990)

Le texte de cette Emprise est donne par C. DuCange, dans: Dissertations ou reJ7exions SW I’Hktoire fe Saint Luui.r, Sd. M. Petitot (Paris) 1.3, 139-140.

Car Ic ‘jugemcnt’ opt& ICI par le combat, sans matfrialitE est fond6 en Cquitk sur le respect de l’honneur; il est I’cxpression du ‘droit du Pas’, cf. De La Marche, Mimoitcs, t. I, 32 I ; Minloircs, 1.3, 124-25.

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MARSANNAY LA COTE

8 commune l lieu dil

-.- limile de ~cmmwne

LE&

Fig. I. Canographir du pas dc I’Arbrc Charlcmngne.

sens connu; le mot mCme dc ‘Pas’ dtsignait pour I’ordinairc, tout lieu rcsserre ou obli@ du passage, dtfik, dhroit, pont ou guC.’

Si la mathe de ce Pas semblait familitre, la forme cependant en Ctait nouvelle

7 Mathieu Paris donne cc nom aux chcmins ktroits que les auteurs latins appellent ‘clusae, clausac, clausurae, dum per quoddam iter arctissimum quod vulgariter Passus dicitur forent transituri.’ CitS par DuCange, flimrkzlions, 149.

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Fig. 2 L’Arbrc dcs Ermites (Plan Bredin, 1575, Auxonne) (*).

dans le royaume de France.8 La dramatisation du lieu et du rituel de combat

composait un sens nouveau du mot. Associk a celui de ‘mysttke’ par une m&me reprkentation symbolique de I’espace et des kltments du d&or, le Pas allait dcvenir dam sa ritualisation, I’expression la plus originale d’un ‘thCltre de chcvaleric’ dont I’Emprise Ctait tout a la fois Ic sujet et 1’objet.s

Pour comprendre le chiffre du mysttrc, il nous faut rechercher dans sa

” Now n’avons pas WOUVI?, pour le royaumc de France, de Pas ant&r&r g cclui de I’arbrc ~harlcmagnc.

Sur le rituel de I’Emprisc, voir notrc itude: Lc ~kme rkr Pas dam le royoume de France (Bourgogtc, Anjou) i h/in du Mpn-Age, a.@.!~ d’un lhicirre de cheualoi~, C.T.H.S. Avignon, 1156 Congrks, avril 1990 (ruin 1991) et ‘Espaccs symboliques et ritucls d’alliancr dans Ir royaume de France B la fin du Moyen-Age’, ElhnologicJinn~ni (i paraitrc).

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reprksentation, la constante des et ieurs relations historiques.

rapports symboiiques, i’enchainement des

Constance des rapports ymboliques

Nous savons quc ie Pas de I’arbrc Charlemagne devait B i’origine ttre tenu g l’arbre des Ermitcs ‘sur ie grant chemin venant de Digon (sic) B Auxonne, au bout dc ia chaucik pat-rant de iadicte viiie d’Auxonne.“O L’itude comparative

des iicux met cn Cvidcnce, l’identiti: de configuration: choix d’un arbre remarqua- bie situ6 cn un lieu carrefour, g i’intcrscction d’une voie iimitc, g equidistance de dcux piaccs; configuration gkomttrique des places formant triangle et sit&es g Cgaie distance l’une de l’autre. ‘I L’kquipoicnce des espaces circonscrits ne saurait irtre simpiement gratuite ou fortuite. La rkpttition d’un mCme ensemble

conjuguk de relations temoigne d’une conscience vivante du sign%& L’arbre Charlemagne et i’arbre dcs Et-mites ont une fonction analogue: tout B la fois arbrc-seuii et arbre dc justice, iis indiquent une iimite naturelie et de juridiction.‘* Cette reprksentation dc i’cspace obkit g des lois d’enchainement symbolique rkpetkes de Pas en Pas.

Lois d’enchainement ymbolique: le passage, le combat et l’alliance

Situ6 en un lieu iimitc, le Pas dkfinit par sa gkographie, un seuii (reel ou symboiique) qui distingue et oppose deux espaccs, deux ttats ou modes d’Ctre. La ‘barri&e’ (qui est aussi une image de la iignc) matkialise le seuil.13 L’arbre

indique le lieu axial et paradoxal oti ces espaces communiquent.14 La Porte rtv&le

10 In Enguerran de Monstrclet, Chronique, publ. L. Douet D’Arcq (SHF, Paris, 1857) t.6, 69. L’arbrc des Ermites +tait situ6 prb de la chap& Notre-Dame de la Icvk et figure encore sur le plan Brcdin, dressi en 1575 (Mairie d’Auxonne, notC N sur le plan); fig. 2 cf. minute originale du I& de Cassini, 1756 (partic du carrt? Sud-Oucst) lieu dit ‘I’hermitage’. L’arbre des Ermites :;t encore dkignb comme l’orme de Tillenay.

12 Cf. fig. 3. L’ambivalence fonctionellc arbre-scuil, arbrc de justice rapproche lc symbolisme de l’arbre,

dans le Pas, de celui de la colonne et du perron. La limite naturclle entre plaine et plateau est encore renforcke par l’opposition entrc espace boisC (bois de Mondragon, du Boutran) (Montagne, bois des Francs) et cspacc cultivb @laines d’Auxonne et de Dijon). La limite de juridiction est confirmce, pour I’arbrc des Ermites, par la lev&e qui faisait stparation des territoires de Tillenay et de Villers-les-Pots; Auxonne y exercait sa juridiction. Cette IevCe fut demolie lors de l’annexion d’Auxonne B la France ct reconstruite sous Charles VIII. cf. Hisloire d’Au.wnne uu Moyn-Age, publ. P. Camp (Dijon. 1960) I 18-123. En ce qui concerne I’arbrc Charlcmagnc, les paroisses de Marsannay et de Couchey ktaient sikgcs de juridiction. CourtCpk rapporte qu’un malle public SC tcnait au Xlt s. sous I’orme de Couchey, AbbC Cl. CourtkpCe, Descripion ginirafe et parrictrltie $ duchi de Bourgo~gnc, (Avallon, 1967-68) 3ti kd:, 178 et 217.

II En sortc que lc mot ‘barriere’ est parfots synonyme de Pas cf. BM MS Harley, f. l06b. L’immense morphologic de ce symbole est susceptible bien Cvidemment d’autres dimcn-

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Fig. 3 Etude comparative des cspaccs symboliques; (a) Pas de I’Arbre Charlemagne (d’aptis la CBIW I.G.N. 1: 25 000, Dijon 3123/U);(b) PC,S dc I’Arbw dca Hermitcs (d’aprks la cork 1.G.N. I : 25 Ooo, Auxonnc 31234.

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et permet le passage. Le lieu dramatique, ainsi dCfmi par des repkes symboliques, se situe soit dans un espace ouvert (au croisement de chemins, sur une rivikre,

entre ville et for& A l’extkrieur de l’enceinte de la ville, entre bois et rivi&e) soit dans un espace clos (A l’inkieur de l’enceinte de la ville ou du chlteau). Le franchissement du seuil optre un changement d’espace et d’ttat; ce changement ne saurait s’effectuer sans tension. Ritualist, codifii en ‘chapitres’, le combat initie

et consacre le passage.

D’essence contractuelle, le combat fait partie du protocole d’alliance; son objet n’est pas de dttruire, mais de rkvkler, d’exalter la valeur, de prouver la noblesse du sang et, par le sang verse, de lier en un fraternid d’armes.15

L’alliance fondCe par cette sorte de consanguinitk est l’objet vk-itable de l’entreprise d’armes dans le Pas. S’agissant d’une alliance noble, l’accord ne peut Etre fondt que sur I’Honneur et sur la Foi. Nkessairement sublimte et comme

embkmatique, la Dame est le dkpositaire de ces valeurs. Noble, belle, souveraine,

elle est un Ctre de mysttre; son ‘Amour’ captive et capture, son ‘Service’ kltve

et assujettit.16 Cette servitude d’armes engageant l’Honneur et la Foi revCt la forme d’un tjugement’. l 7 La lettre d’armes fournit le plus souvent la fiction juridique du combat reposant sur la defense du Droit de la Dame.‘* Contrairement au

duel judiciaire avec lequel il prksente certaines identitks de proctdure,‘g le jugement du Pas est un jugement d’Honneur (non de l’homme ou de sa cause). Sans ma&alit& le combat oppose avant d’unir. Le garde (ou defendant le Pas) et ‘l’appelant’ au combat vident l’alliance de toute querelle passCe ou la purge de tout difkend A venir. Les liens ainsi cr&s par la Foi, la lettre et le sang tissent un rkseau puissant de relations contractuelles qui se surajoutent aux liens juridiques

15 Ia preuvc de noblesse est une condition nkessaire du Pas puisque les sangs peuvent s’y m5ler. L’alliance ainsi c&e rcvSt un caractere public et solennel quasi-irriwersible; voir notre Ctude I~sJtes de In chalerkdans les EtaIs bourguignons ci lajin du Myn-Agc (aspecl~ sociaux et iconomiques) C.T.H.S. EhambPry,. 1166 Coygrk, mai 199) (a paraitre).

Amsl Ic chcvaher de la ‘Fontame de plows se dit ‘serfd’armes et serviteur pour B 1ou$ours’, $hronique dcJ. de hlain, kd. J.A. Buchon (toll. des chron. nat. ffanc., Paris, 1825) t.41, 280.

17 Afin de nc pas fausser le jugement, les chevaliers devalent pr&er serment de combawe ‘sans crochet et sans quelque mal engin, sans porter chose qui soit dkfendue de porter de par la saim Eglisc’ (J. de Lalain, 1.41, 93). L’attention portee au choix du lieu, de la date, des armes, l’importance des chilies (lettres et nombres) appelaient-elles une nomancie? La valeur nomantiquc de la lettre et du chinie pcrmcttant entrc autre de dizterminer le nom du vainqueur d’un combat CC le traitk de Gkomancic astronomique de Gtrard de Crkmone, wad. par le sieur de Salerne, p, 1691, Nomancic, p. 225.

La fiction romanesque est ordonnCe selon un schtma excmplaire en sorte qu’il serait vain clly rcchcrcher une r&kence littkraire prkcise.

Ainsi la procfdure d’appel et de defense, l’accord pr&lable du suzerain pour lever le gage, lc serment des parties, la cCtimonie de Pent&e en lice. La procbdure et lc Droit des parties pouvaient dill&r selon ies ‘usages’. (L’usage de France comprenit le Hainaut, le Braban;, les Flindres, la Hollande, la Zeelande, la Savoie, le Dauphin&, le Languedoc et la Provence, CT. BN MS fr. 387 f. 52a.)

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ou de dkpendance personnelle devenus et divisions du royaume.

plus llches ou incertains du fait des gwrres

Ainsi, Zoin dPtr~ une fantaisic hkroique, le Pas introduit au coeur de l’actualitk sociale et politique du temps. Les cercles d’or et d’argent port& par les chevaliers et kuyers gardant le Pas cle l’arbre Charlemagne matkialisent 1’Emprise d’armes en une captiviti vouCe, symbolique, qui transcende la rCaliti: du lien tout B la fois offert et librement accept&

Par sa gkographie, le Pas inscrit le ‘passage’ dans une reprksentation ordonnte

et symboliquement attestke du monde; par sa fonction mbdiatrice, il rCsoud les oppositions et leur substitue l’accord. L’alliance scellke par le combat sous jugement de Prince engage tout ensemble le nom et le sang, 1’Honneur et la Foi devant le souverain justicier dont le jugement retient la vie et la mort. Ainsi

compris, le ‘Service d’Amour’ est une forme renouvelke de l’hommage dd au

Prince.

L.e contexte historique des Pm

Signe offert de l’alliance, le symbole du Pas s’accordait aux plus vastes projets.

LVvknementiel diplomatique du temps met en lumitre l’utilisation politique du

sens par les tours de Bourgogne, d’Anjou et de France dans la seconde moitit du XVkme sikcle.

Pour symbolique qu’il fiit, le choix du lieu du Pas de l’arbre Charlemagne n’ttait pas Ctranger en effet, aux considkrations d’ordre politiquc. Le projet Ctabli dks 1440 et publit? g la tour du roi Jean II de Castillc annoncait lc retour du due

en Bourgogne.20 Ce retour Ctait rendu ntkessaire notamment par la prksence des Ecorcheurs sur les frontikres du Charolais ct du Maconnais.2’ Jean de Fribourg, Markhal de Bourgogne, Guillaume de Vienne, reigneur de Saint Georges, Thibault de Neufchkel y multipliaient les montres d’armes.22 Situt i peu de distance des terres d’Empire et du duchC de Savoie, le Pas de l’arbre Charlemagne

permettait au due de Bourgogne de poursuivre ses projets diplomatiqucs. Peu B prks l’entrevue de Nevers, 23 il accueillait g Chalon-sur-SaBne, les dues de Bourbon et de Savoie.24 En mai, il depkhait ses reprtsentants B Aix-la-Chapelle

Lcs lcttres de cc Pas furcnt apporttes par le hkraut Chateaubelain B la tour du roi de Castille; $ Crdnicci de Juun II, Cd. C. Rosell (Madrid) 1. L?CVIII, cap. 17, 567.

DCs 1439, Philippe le bon avait manifest6 son intention de se rendre de Flandre en Bourgognc pour lutter contre les Ecorcheurs, cf. M. Canat, Dacumenl~ inidib pour stir 6 l’Histoirt de Bourgogne (Chalon-sur-SaBne, 1863) 1.1, 393. Les villes d’Auxonne, de Nuits, de Bcaune et plusieurs places refuskrent d’ouvrir leua portcs aux troupes ducales venues lcs dbfendre, cf. A. Tuetey, Les Ecorcheurs ;;us Charles VII (Monrl+Eard, 1873) vol. I, 25 sq. et Canat, Documenh, 1.1, 434.

Ces seigneurs pnrcnt part au Pas de I’arbre Charlemagne; Jean de Fribourg en Tut un des juges. On sait que Pierre de Baulfremont, garde du Pas, avait lui-m5me combattu les Ecorcheurs dvec lesquels il wait conclu traitk au nom du due, cf. Tuetey, Les Ecorchturr, 1.1, 36.

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en vue d’obtenir l’assentiment de Frederic III a I’annexion des comtes de Hainaut, de Hollande et de ZCelande.25 A la mCme tpoque, il obtenait d’Elisabeth de Gorlitz la mainbournie du duche de Luxembourg et du comte de Chiny?‘j Durant cette periode d’intense activitt diplomatique, Philippe le bon &ant a Chalon, recut une ambassade dCpCchte par 1’Empereur Jean VIII Paleologue. L’ambassade, conduite par Theodore Carystos, venait demander le secours du due de Bour- gogne contre le sultan Murad II dont la puissance reconstitute menacait Con- stantinople .*’ En novembre 1442, le due de Bourgogne rencontra 1’Empereur Frederic III a Besanqon. Le 1 er janvier 1443, le Pape Eugene IV lancait un nouvel appel en faveur de la Croisade contre les Turcs.28 Le temps du Pas approchait. Dans le courant du mois d’avril 1443, Elisabeth de Gorlitz, chasste de ses Etats par une tmeute, vint chercher refuge et soutien a la tour de Bourgogne. Au mois de juillet, le due de Savoie vint trouver Philippe le bon a Chalon-sur-Sake; au terme de leur entrevue, les deux dues renouvelerent leur alliance par trait6 signe le 10 juillet. 2g Le lendemain, les deux Princes ouvrirent le Pas de l’arbre Char- lemagne. Le premier appelant au combat etait un chevalier de I’Hotel de Castille, nommt Pedro Vasquez de Saavedra.30

La complexite de la trame diplomatique et la nature,le plus souvent secrete,

2 I L’assemblk de Newts eut lieu lc 30 janvier 1442. SW cette celebre entrevue voir notamment lcs documents reunis dans les preuves de la Chronique dc Ma/hieu d’&ouchy, ed. G. du Fresne de f3eaucourt (SHF, Paris, 1864) 1.3, l-92.

CT. Canat, DoctrmenIs, I. I, 418. Les dues de Bourgogne, de Bourbon et de Savoie firent deux sejours a Chalon, l’un cn avril 1442, l’autre en juillet 1443, cf. De La Marehe, Mimoires, 1.1, 279

$ sq. _ Cet ‘heritage que Philippe le bon avail recueilli du chef de Jacqueline de BaviPre, comtesse de Hainaut. fur un des ooints de debat dc I’entrevuc de Besancon. en novembre 1442. CF. De La A$trche, A4t%wires, 1.1, 279.

. , -, Par trait& conclu a Hesdin. le 4 octobre 1441, PhiliDDe le bon avait obtenu d’Elisabeth de

Giirlitz, Ic bail et transport de ces deux territoires; in mai’ 1442, le due en prit la mainbournie a la demande de la duchesse de Luxembourg; cf. Publications de I’InAtitut royalgrand-ducal de Luxembourg if873) 1.28 (VI), 76-81.

Le Pape Eugene IV, la Republique de Venisc et le roi Alfonse V d’Aragon Laurent Sgalement sollicit&. Le due dc Bourgogne promit pour sa part d’envoycr dix bltiments de guerre, cf. N. Iorga, ‘Lcs aventures sarrazincs des Frangais dc Bourgognc au XVe s.‘, A4tYanges d’Histoire gKrale publiis par C. Marinescu (Cluj, 1927) t. I, 9-10, H. Taparel, ‘GeofFroy de ‘I’hoisy, une figure de la Croisade ~rguignonne au XVC s.‘, I& A4?ven-&e, revue de philologic et d’Htitoire 3-4, (1988), 387.

Sur la Croisadc dc Varna, outrc lcs articles cites ci-dessus, voir notamment C. Marinescu, ‘Philippe Ic bon, due dc Bourgognc ct la Croisadc,’ &es du 8 Cor<.Zs d’Etudes bzantines (Paris, 1948) I, I47 168; N. Iorga, ‘La campagne dcs CroisCs sur lc Danubr (I 445),’ extrait des Anciennes Chroniques d’Ang/eterre, nllc cd. (Paris, 1927) 40 sq.; Sctton M. Kenneth, 77te Papa9 and the L.evant, (1204-1571) ~Philadclphie) 1.2, 75-82. Iti Voir Ic tcxte dc cc trait& dans Dom Planchcr, Hisloire gkramle et particulike de Bourgogne (Dijon, 1739-8 I) vol. 4, preuvcs, CLXXII, et De La Marche, h4&rtoires, t. I, 265. Cinq des treize chevaliers $tpclant au Pas de I’arbrc Charlemagne ktaient de I’HBtcl de Savoic.

Sur Pedro Vasquez de Saavedra, voir M. de Riquer, Cavalleria JS realth e Lettiratura nel Quattrocento (Bari, 1970) 197-212 ct Anchiennes cronicques d’Et&eterrP, par Jehan de Wavrin, seigncur du Forrstel, ed. E. DuPont (SHF, Paris, 1858-63) 1.2, 51, n.1.

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des nigociations ne nous pennettent pas de conclure de fagon decisive sur I’objet

de ce premier Pas annonce trois ans plut t6t B la tour de Castille, dont le lieu et le nom mCme avaient Cte par dew fois changks.3* Ce projet si longtemps mfri, ktait-il 1% 5 I’expkdition de Terre sainte, & celle de Luxembourg ou n’avait-il d’autre objet que l’alliance de Savoie? Les Pas qui se tinrent dans la suite B Nancy et g Chaons-sur-Mane semblent faire moins de my&e de leur raison diploma- tique. Symboles d’alliancc, ils rassemblent autour du roi de France, la force vivc

de ses vassaux en vue de rktablir la paix et i’unitk du royaume.

Le Pas de Nancy tenu g la fin de I’expkdition de 1444 contre les Messins, ckkbrc ia paix restaurke dans le duchP de Lorraine. Par le mariagc dc Fcrty de Lorraine, fils d’Antoinc de Vaudbmont, ct de la princcssc Yolande, fillr aink de Rcn6

d’Anjou, Charles VII mcttait un tcrmc aux luttcs qui opposaicnt la Maison d’Anjou aux comtcs de Vaudkmont. :U Lc Pas consacrait aussi Ic mariagc dc

Marguerite d’Anjou et d’Hemy VI d’Angletcrrc dent Its fiancaillcs avaient &6 cklfbrks en mai 1444, g I’issuc du trait6 de Tours. En rkaffirmant Its trkves signkes entre les royaumzs de France ct d’Angletcrrc, Charles VII SC donnait les moycns de rktablir la paix entre les grand vassaux dc la couronnc. Tel Ctait encore l’objct du Pas de Chilons-sur-Marne qui mcttair un tcrmc aux diffknds qui s’ktaicnt

Clevks entre les Maisons d’Anjou et dc Eourgognc du fait de I’inexCcution de ccrtains des articles du trait6 d’Arras.“” Inspire peut-&tre par la nhcessit6 d’unc ‘renovatio’, Charles VII parut au Pas dc Nancy, vetu dc vcrt ainsi que scs pages, ses chevaux houssCs dc mCme, portant ‘ung escu armoyc ct timbrk dcs droittcs armes et du tymbre des I.czignan’.3” Cc nom dcs Lusignan rappelait tout g la

fois, le pass6 gloricux dc i’illustre Maison poitevine en Terre sainte, sa kgende

tutelaire, le dbhkitemcnt du roi Jean sans Terre, la conquete du duchC de Normandic. Hors de toute fantaisie hkroyquc, le nom semblait Clu pour accomplir l’oeuvre dc libkration du royaume. Les Pas dc Nancy et de Chllons comme ccux tenus I’annke suivantc B Saumur (Pas de ‘la joycusc garde’), ct P Razilly (Pas dc

If Won E. dc IMonstrclet, qui les rcproduit in cxtcnso, les lettrrs du Pas de l’arbrc des Ermitcs furent signks par Picrrc de Baulkcmont, lc 8 mars 1442, (Qroai~w, t&72.) La traduction cataianc de ces lettres porte I’annk 1441 PI. dc Riqucr, llc~rrs de Batalla (Barcrlonnc, 1963 GR) t.3, 5 181, ce que conlirmc Ic AMS fr. 1983 I: l09r, qui situc Ic Pas ‘sur le grand chcmin venant dc Dijon B Bcaunc, B unc lieuc de Dijon, cntrc Parigny ct IMcrccnay.’ On se souvient que cc Pas annoncb T; 1440 cut lieu finalemcnt en juillct 1443.

Charles VII cut aussi A Zaire accordcr Antoine de VaudCmont avvoc Ir due de Bourgognc; $. Lecoy de La Marchc, Lc roi Rcni (Paris, 1873) t.1, 241.

Sur lcs confkrcnces de Nancy et de Chllons-sur-Mamc ct lcur contcxte diplomatiquc: Guillaumc Lcscur, dans: Histoirc de Gston II< comfc de f+ix, cd. H. Courtcault (SHF, Paris, 1893) 1.1, 128 so. ct 172 so: voir kalcmcnt De La Marchc. Mhoires. 1.2, 56-59 ainsi sue Mathicu r$Escouch; (1863) t.1; 41 51.‘-

irscur, H&ire, 1.1, 150. Aux ri,tk du roi dc Franrr. Charlrs d’Anjou portait Its armcs d’r\ragon. Faut-il y voir unr allusion aus droits dr !a Maison cl’Anjou sur Ic royaumc de Naples?

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’ ‘la gueule du dragon ), 35 allaient permettre, par la Concorde et la paix retrouvees, la reconqui3e des provinces occupees. Certains signes precurseurs de ‘croisade’

laissaient presager I’imminence de la reconqu&te. Mathieu d’Escouchy rapporte dans ses Chroniques, peu apres le prise de Fougeres, en mars 1449:

qu’au mois d’avril, environ quatrc heures apres minuit, trcmbla la terre bien ung quart d’eure mouh fort, par touttes les parties du royalme de France et es pays voisins, tant en Allemaingne comme ailleurs; dont pluseurs notables clew et gens de grant auctorite Furent moult esmerveillez, principallement pour Ir dnub!e qw Diru... ne monstrast son irre d !‘cncontrc de son peuple.“‘

Malgri: les liens qui l’unissaient au roi d’angleterre et le traite qu’il avait conclu avec lui pour vingt ans, Rent? d’Anjou SC rangea aux c6tCs de Charles VII dans ccttc ‘croisadc’ dc l’interieur contrc l’occupant anglais. Lcs Pas de la ‘joyeuse garde’ ct de la ‘gueule du dragon’ avaient Ct6 I’occasion pour le due d’Anjou,

de s’assurer dcs fidtlitb, de reaffirmcr des liens de depcndance devenus parfois

trop Ilches ou incertains du fait de la dispersion mCme des Etats du duchi..37 En rasscmblant autour dc lui, sous la bannitre du roi de France, ses principaux vassaux et lcurs all&, Rend: d’Anjou rappelait la puissance de son lignage et

proclamait son soutien a la cause du roi. 38 Mathieu d’Escouchy rapporte qu’au Pas dc ‘la joycuse garde’, les deux souverains et leurs chevaliers semblaient:

ensievyr et tenir Ies termcs.. . des chevaliers de la ‘Table ronde, que mist sus en son temps.. . Ie roy ArtusSL

La legendc arthuricnne et le thehre du Pas exaltaient l’union des deux rois et preparaient la guerre de reconquk Loin de tout projet en Terre sainte, le Pas de la tjoyeuse garde’ rappelait par ses ‘turquerics’, l’intCr&t de RenC d’Anjou

pour la destinec des royaumes chretiens d’orient. La curiosite pour I’exotique vcnait, scmble-t-il, adoucir la nostalgie de son impossible royaute.40 Les Pas de la tour d’Anjou servaient assurement les desseins du roi de France; aussi Charles VII ne s’opposa pas, en juin 1449, au Pas ‘de la Bergere’ que le roi RenC fit tenir a Tarascon, alors qu’il defendit aux chevaliers de son Hotel de fournir 1’Emprise

de ‘la Bcllc Pelerine’ qui devait debuter un mois plus tard a la tour de Bourgogne.

En cffet, si Rene d’Anjou unissait ses forces a celles du roi de France qu’il venait

Ix Pas dr ‘la joyeuse garde’ fut tenu entre Launay et Saumur, en avril 1446, celui de ‘la gucule du dragon’ (ou ‘rocher perilleux’) fit tenu en juin de la meme annec, entre Raeilly et Chinon. Voir la relation de cc‘s Pas dans les 0errz~~es mnlplt?~s L roi Rend, publ. comte de Quatrebarbes, (Angers, 1845) vol. I, 1.1, IXIX-IXXVII; Lcseur, If&&, 1.1, 128 sq., 172 sq.; M. d’Escourhy, t.1, 41-51. ‘II, (7

M. d’kkrouchy, 1.1, 171. La creation de I’ordre du Croissant en 1448 participe assurement de cette meme volonti.

@itique. Charles VII avail-il promis, en &change de I’aide apportee par Rene d’Anjou, son souticn

e;nw Ir recouvrement du royaume de Sicile? cf. lacoy de La Marche, la roi f&w& 1.2, 259 et n.1.

IO Xl. d’lkcourhy, 1.1, 107. On sait qtw Rene d’Anjou, roi de Sicile et de Jerusalem entretenait a sa tour des Maures

et des ‘I’urcs, cl: Leroy dc La Marche, k roi kw& t-1, 150.

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joindre a Louviers, Ic due dc Bourgognc, dc son c&i’, SC tcnait a I’karr de la guerre de rcconqdte. Lorsqu’cn avril 1449, Charles VII cntrcprit de rcconqukrir

la Normandie, Philippe Ic bon rcfusa Ic souticn dc scs armcs, pr&cxtant que les trevcs signtks par lc roi d’Anglctcrrc n’avaicnt pas 6tC cnfrcintcs.4t Le due conscntait ccpcndant a cc quc ccux de scs vassaux qui Ic souhaitcraicnt, se rangcnt sous la bannikre du roi dc France.

La rupture des tr&cs dc 1444 faisait ~chcc aux projcts bourguignons et cc fut

en vain que Ic Bltard de Saint Pol garda Ic Pas dc la ‘Bcllc PtGinc’. Lcs ambassades dt?pi?chks par Ic due dc Bourgogne auprks dcs souvcrains d’An- glctcrre, d’Ecosse, d’hllcmagnc, d’Espagnc nc trot&rcnt qur dcux chevaliers pour fournir I’Emprisc. z Lc roi d’armrs d’Artois chargk dc porter Its chapitrcs

d’armcs a la tour de France nc fut g&t-c plus hcurcux. Lc comtc dc Tancarvillc

et un chevalier cspagnol dc I’Hotcl du roi, Don Iliigo d’Arcco ayant touch6 I’Ccu

du Bkard de Saint Pal,

La dkcption de Philippe Ic bon fut d’autant plus vivc qu’il ‘s’attcndoit d’avoir

beaucoup dc gens dc bicn et principallcmcnt du royaulmc dc France.“’ La ‘Bcllc P&inc’ irait done sculc ‘au saint voiagc dcs pardons dc Rommc’. Charles VII rcndait au due dc Bourgognc, la contrcpartic dc son rkcnt rcfus, dans I’intkr5t mSmc du royaume. IX roi nc‘ pouvait quc s’opposcr cn clhct a toutc cntrcprisc

guerri~rc ou diplomatiquc dc nature ri affaiblir ou a compromcttrc scs proprcs

forces alors cngagks dans la rcconqu6tc dcs provinces orcuptk~.‘~ A p&c lc Pas dc la ‘Bcllc pL:lcrinc’ &it-i1 achcv6, quc Jacques dc Lahing,

rcnouvclant I’Emprisc du Bftard dc Saint Pal, fit publicr Its chapitrcs du Pas de ‘la fontainc dc Plours’. Accompagk dc Pedro Vasquw dc Saavcdra, Ic chcvalicr bourguignon avait choisi dc tcnir son Pas sur la rivi6rc dc Saonc, cn

Bourgognc:

II

4: CL .\I. d’l:srouclly. I. I, 189. II s'agi~ dc Bernard de Bhrn, Bdwd clc his VI Bernard dr Vivant ‘rlwwllirr Allrm;mt

dll p”ys de Suilvc... CI powi weir cinqwnw MS d’wigr’ pri-risr Dr Ia .\larclw, .\khtoir~+~. 1.2, 12.5: 11. tl'lkcouri~~, I.!. 261. Ilrnrandon dr la Broquiiw (it un drsjugcs du Pas. cl: DC la .\larclw, Alhoirrs. 1.2. IN. 44 Xl. d’lkourl1y, 1.1, 260. ,, I i DC La Marchr, Mnfoirt-5, 1.2. I I!).

Al. d’ikot~rlly parlc ‘dhridcnrc’. 1. I ( 244; d. Dr la MiWdlr, AhoirrJ, 1.2, 120.

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srmbloient que, par ccs dcux raisons, plus de nobles bommes scroient advertiz de son emprise c’: pourroient plus de nobles hommes wnir g son pas.“’

Apt-&s avoir combattu Pierre dc Chandio et, quatrc mois plus tard, Jean de Bonifacc, chevalier de I’Hotel d’Alfonse V d’Aragon, Jacques dc Lalaing dut encore attcndrc cinq mois avant quc nc SC prkscntc un troisi6me combattant: GCrard de Roussillon. Cc dcrnicr encore jcune ct incxpkiment6 au fait des armcs, ktait vcnu sans Ic conscntcmcnt dc son ptkc, ‘et n’cstoit ne prcst, nc fourny dc

harnois, nc d’habillcmcns ou de cc qui luy cstoit ncccssairc’,‘t7 dc sortc quc lc combat dut etrc rcpord.

Vcrs Ic mois d’octobrc, alors que Ic Pas approchait dc son tcrmc et quc cinq chcvalicrs sculcment avaicnt fourni I’Emprisc, Jean dc Crcquy, dc rctour d’unc mission cn Tcrrc saintc, s’arrSta au Pas de ‘la fontainc dc Plours’. Pour honorer

sa vmuc, Jacques dc Lalaing, ‘chaudoya Its armcs cmptises cn icclluy mois, et

tcllcmcnt qu’il fit ncuf fois armcs cn quatorzc jours, ct tcllc fois dcux fois armcs cn ung jour.‘4H

Cinq autrcs chcvalicrs fircnt toucher 1’Emprisc ct livrrkmt combat, puis Ic sci,gncur dc Crcquy quitta Chalon pour se rcndrc aux saints Pardons dc Rome. En un an, dix chcvalicrs s’ktaicnt prkscntts pour fournir I’Emprisc du chevalier

dc ‘la Fontaine de Plours’. A I’cxccption dc Jacques d’Avanchic, kuycr du pays dc Savoic ct dc Jean dc Bonifacc, Its huit autrcs combattants 6taient du duchC dc Bourgognc. On nc saurait toutcfois jugcr dc l’influcncc du Pas dc ‘la fontaine dc Plours’ au scul nombrc dcs chcvalicrs ayant touch6 1’Emprise du scigncur de Lalaing. Lcs combattants nc sont quc Its actcurs du Pas. Lc public fut assurkment

plus nombrcux. Pierre dc Chandios Ctait accompagtk dcs scigncurs dc Mirebcau,

dc Charny ct dc Sccy, scs on&s, ‘ct dun grand nombrc de noblcssc du pays dc Bourgognc, bicn jusqucs au nombrc dc six cents chcvalicrs ct kuycrs, cntrc lcsqucls cstoicnt dc moui grands scigncurs’.4~’

En mai 1450, Ic due d’OrKans, dc rctour du Milanais, s’arrzta au Pas dc ‘la

fontainr dc Plours’, accompagnk dc ‘grand foison dc dames et damoiscllcs, dc

chcvalcric ct dc noblcssc . . . . . aulcungs d’icculx cstrangicrs, Francois, Ytalicns, Provcnraux ou aultrcs ‘,‘)[’ mais, ainsi quc I’observc Olivicr dc La Mar&c, ricn : nc fut cntrcpris. Malgrk Ic nombrc ct Ic nom dcs survcnants cn cffct, il nc scmblc

pas quc lc due dc Bourgognc ait rctirC Ic profit politiquc qu’il cscomptait de cc Pas csscnticllcmcnt bourguignon. La gucrrc pour Ic rccouvrcmcnt de la Norman-

die y bisait obstacle. Sculc, la prkncc dc Pedro Vasqucz, dc Jean dc Boniface

ct dc Jean dc Crcquy ouvrait Ic Pas sur la Croisadc. Apt-k l’ach&vcmcnt dc scs

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armes, Jacques de Lalaing s’en alla $ Rome et de Ii & Naples, ‘moult notabiement

accompaignt, et porta par les Ytalies et en Naples son emprinse qu’il avoit

emprinse g porter par la plus part des royaumes chrestiens, mais nul ne toucha ti son emprinse’.5’

A la tour du roi Alfonse d’Aragon, Jacques de Lalaing trouva le due Jean de Cltves qui revenait de Jerusalem. Les deux chevaliers retourntrent ensemble vers le due de Bourgogne. Philippe le bon qui se voulait le protecteur des lieux saints

mu!tiplia les ambassades, mais cn vain. Jacques de Lalaing repartit en Italie, accompagnt! de Jean de Croy, ‘pour adviser aucung bon moyen pour la deffcnsc de la foy chrestienne, car I’on cstoit averti que le Grant Turc se preparoit 5 grant

puissance pour entreprendre contre les seignories de 1’Empercur de Constantin-

ople...’ Mais, ainsi que le dkplorc Oliver dc La hlarchc, ‘tous Its autrcs princes

furent si negligens, ou par voulonte divine ou par lcur mesme coulpc, que riens

ne fut en ce pourveu, dont il advint que ladicte citk fut prinsc et destruictc’.“’ La nouvelle de la prise dc Constantinople ct l’appcl adrcssk par le Pape Nicolas

V pour la defense des Chritiens d’oricnt, d&id&rent le due dc Bourgogne ri prendre I’initiativc d’une Croisade contrc lcs Turcs.

Le banquet dit du ‘Faisan’ et fcs &es de Lille, en f6vricr 1454, don&rent au

projet bourguignon I’klat et le retentissemcnt indispensables B ce recommence- ment dc l’oeuvre de Croisade. Parmi Ies ‘entremets’ qui ilIustr&rent le banquet, le due fit rep&enter 1’Histoirc de Jason. Les trois tableaux dc la conquete de la Toison d’or proclamaient la victoirc du Heros sur cc ‘Pas de la mart’ oh par trois fois il avait triomphk. Par le rite communicl du banquet, le due conviait ses chevaliers g entrcprendre cette q&e d’unc nouvclle Colchide vcrs laquelle,

tous ensemble, ils faisaient voeu de marcher. 53 Lc religieux &ant aussi politiquc, le voeu de Croisade permettait, tout en rcnouant avec I’klection des Francs pour l’oeuvrc de Terre sainte (ou plusjustcment, avec celle de la Maison de Bourgogne) de renouveler la fidklitk au due, restaurateur et garant de la Foi.“” Des difficult&, sans cesse renaissantes, devaient empicher I’exkcution immidiate de ce projct

de Croisade. Tour g tour, les Papes Calixte III et Pie II s’efforckrent dc rappeler au due de Bourgogne sa promesse. Lc symbolismc du Pas allait fournir B Philippe le bon le moyen de r&assurer la papaut6 tout cn servant scs propres projets politiques. En effet, le symbolisme du Pas etait en rksonancc avec la Croisade;

son langage universe1 introduisait en m&w tcmps au coeur du spirituel et du

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politique. I1 n’etait que d’utiliser la puissance evocatrice du symbole pour reactiver, intensifier et amplifier l’idee m&me de Croisade. L’appareil incomparable des &es de la tour de Bourgogne devait permettre de donner tout le retentissement necessaire aux projets de reconquCte. Avec l’tcho de la Croisade, le nom du due de Bourgogne parvenait dans toute la Chretientt, et la promesse qu’en lui et par la Croix, ttaient le triomphe de la Foi, la puissance de IUnite, la realitt de la Paix.

Les Pas de ‘la Dame inconnue’ et de ‘la Dame du Perron fae’ mettent en lumike cette utilisation du svmbole.

De 3 fevrier 1463, le due etant a Bruxelles, ‘un gentil homme soy disant cstrangier’ se prtsenta a la tour de Bourgogne, porteur des lettres de creance d’unc ‘Dame inconnue’.55 Celle-ci, redoutant l’usurpation de son heritage par

‘un sien tres puissant voisin, fier et de hault courage et grant seigneur de terre’,

demandait au due de Bourgogne que trois chevaliers de son Hotel s’offrent a gardcr un Pas; chacun des royaumes chretiens depkhcrait trois chevaliers pour fournir l’Emprisc. Le combattant lc plus valeureux serait dbigne pour dtfendre,

en champ clos, lc Droit de la Dame inconnue. Le champ dcvait avoir lieu au premier jour de mai 1464, huit mois apres le Pas dont la date Ctait fixee au premier

jour d’octobre ! 463. Les chapitres d’armes prevoyaient notamment que ‘se aucuns en y avoit si loingtains qui a ce dit jour ne peussent venir ne comparoir audit pas’, les trois chevaliers seraient tenus de recommencer les armes au premier jour du mois d’avril 1464. Antoine Bltard de Bourgogne, Philippe de Crevecoeur et Pedro Vasquez de Saavedra s’offkirent de soutenir la cause de la Dame inconnue. Cettc requ&te apparemment singulitre comcidait avec le Pas que Philippe de

Lalaing devait tenir trois jours plus tard a Bruxelles.5’j Nous savons que le chevalier au Perron fae avait fait voeu lors du banquet

du Faisan, avcc Pierre de Henin, seigneur de BOSSU, de porter une Emprise contre les infideles.57 Au printemps 1457, alors que le Pape Calixte III multipliait les legations en VW d’inciter les princes a partir en Croisade, Philippe de Lalaing

avait touch6 l’Emprise du seigneur de Moullon, ainsi que onze autres chevaliers

‘La ioute de la Dame inconnue,’ Corn@ rendu des siances de la conrmission pyale d’His.bire de Bekque,

I I, 96

(3) (lti70), 473-482. Voir IA relation du Pas du Perron fae, td. F. Brassart (Douai, 1874) 94 p,; voir Sgalement BM

FS Iansdowne 285, I’. 58b-78b. De La Marchc, Mintoires, t.2, 392.

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de 1’HBtel du due de Bourgogne. 58 Cinq d’entre eux figuraient parmi les cc-mbat- tants du Pas du ‘Perron fae’: Adolf de Cl&es, Philippe Bkard de Brabant, Loys de Contay seigneur de Mourcourt, Antoine BItard de Brabant, Philippe de Bourbon seigneur de Duisant. L’Emprise d’armes de Philippe de Lalaing avait OtC 6xee au 6 f&tier 1463, ‘mais, pour les affaires qui sourvindrent a mon seigneur le due, c’est assavoir dune grande ambassade qu’il envoya devers le roy’,5g la date ainsi que le lieu durent &tre report& au 28 avril 1463 a Bruges. Durant vingt

jours, Philippe de Lalaing tint le Pas et fournit soixante quatre courses de lance. Nombre des chevaliers qui toucherent 1’Emprise du Perron fae devaient participer a l’expidition contre les Turcs conduite par Antoine Bdtard de Bourgogne. Parmi

ceux-ci, Walerand de Soissons seigneur de Moreul, Loys de Contay, Drieu de Humieres, Jean de Walhain seigneur de Berghes, (dont les noms etaient cites pour

mener I’ost en Turquie), so Frederic de Witthem, qui s’etait deja illustre lors des joutes donnees le 13 septembre 1461 en 1’HBtel d’Artois et devait recevoir commandement d’entreprendre une guerrc de course contrc les infideles, aux &is de Pedro Vasquez de Saavedra. G1 Philippe de Lalaing devait lui-mGme prendre part au projet de Croisade contre les Turcs, cn tant que capitaine dune

des compagnies he-gens d’armes d’Antoine de Bourgogne.si Le i7 mai 1463,

apres que tous les appelants curent fourni leur Emprise, Adolf de Cltves vint clore le Pas suivi de cinq pages &us ‘d’ytalicnnes’ de drap blcu ct blanc. Pour sa part, le chevalier au Perron fae portait sur son hcaumc un atour dc damoiselle, son cheval Ctait couvert de drap d’or gaullre dc ‘Icttrcs romaincs’.s:5 Apt-es Ic joutc de ces deux chevaliers, trois Mores ‘abilles a la fachon du pais’ apportercnt Its

&us du Pas de ‘la Dame du Perron fae’; une damoiscllc scrvitcur de la Dame

is Cf. G. Chaslel/ain, &we~, td. Kcnyn dr I~ttcnhove (SHF, Bnrxrlles. 1863) 1.3, 462 6. Ce Pas fit term au Qucsnoy, Ic Icr octobrc 14.57 ‘ct y fist la fcste moult grande et moult richc’; malhcureuscmcnt. le chroniqurur nc dir rien drs Icttrcs, ni du contmu des chapitrcs du Pas ‘pour cc quc ne linwtt qw joustcs et que tcllcs joycuset~s nc rrquicrrnt point tfllr glorification. (Chastrllain, 466). Irs lc~trcs du Pas litrcnt pr~scntks ZIII due par un Mattre. Faut-il voir dans l’argttmcnt de cc Pas (la protrction demand& par un kuycr du Dauphin au dttc dr Bourgognr) unc allusion A la rctraitc du Dauphin Louis ;i la cow dc Rourw~ltr? On sait ctur la rcncontw F deux ptinccs cut lieu A Brttx~llcs, Ir I.5 octobrc 14.57. ~’ .’

BM MS Iansdowtr 2ll5 f. 6311. 4.0 Voir ‘L’Advis qui se doit mrttrc A rxkution pour Ie voya~c dt* monscigneur Ic dttc (en Tttrquic)‘, pttbl. J. Fin& Rujel d’r.t/wif~/ion ran/n /r~ Tws’(l.illc, lll!)d) 5.1 p. rt C. Sl&ittcsct~, ‘Philippr f: btm et la Croisadr’, WM~I dts f9udr.t portrgaL~.r dt I’fns/ilu/ $aqai.s du Arfrgnl, ( 1949) 19. ’ Sur ccs joules: Chitalciiain. t.4, I34 G ct Dr La Xlarchr . .\lf+wirr.c, 1.2. t23. Crs joutcs itvaitW Ab cntrcptiscs par ‘cinq compaignons advcnturwx’ (Ir comtr dr Chat&is, Adoll‘dc Cl~vcs, Antoinr Bltard dc Bottrgogtte, Philippe dr CXwcorur, I.oys dr Chtay). Ix rni qui ;tv;tit Ctc invite n’y vint pas, mais, ajoutc Chastellain ‘s’il rust plu au ray d’y cstw vcnu, 1’011 mr dtst pour vr;ty qttc lors It- due cust rcnouvrl~ droit 18 lcs VOCIIX autrtfois Ctits i Iillc now tam nlus IOSI sccourir $ $ chrcstientb’. (1.4, 139).

Cf. DC La Marchc, Alimoires, 1.3. 40 et n. I; voir +dc~nwt Arch. d+art. du Nerd, sic B 3.537, inucn~nire ~on~nrnire drs Arrh. di/mr/. nnkStur~.~ 6 /7!/0, pubI. J. Knot (I.illc, 1895) 1.8, 293. I,% Ir PILS dtd Pmon far, bd. I:. Brassart, 77.

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vint dtlivrer le chevalier de Lalaing, lequel avait revCtu une ‘italienne huquee

de drap d’or vert’. Au tours du banquet qui suivit, le due de Bourgogne fit representer 1’Entremet d’une gal&e ‘armee et frettee’ de ses armes ‘en laquelle avoit une dame vestue de drap d’or bleu, qui representoit le patron de ladite galee’.64 Entre les deux itineraires retenus pour se diriger vers Constantinople, l’un par 1’Italie et la G&e, l’autre par l’Allemagne, le Conseil de Bourgogne avait choisi le premier. Lost bourguignon devait joindre a Ancone les troupes que le

Pape Pie II y avait rtunies. Le Pape pouvait se rassurer, les chevaliers du Pas portaient deja a la mode d’Italie.

Tandis que 1’Emprise du Pas du Perron fae s’achevait par la remise dc ‘targettes’ en forme de rebus, Antoine Bttard de Bourgogne, Philippe de Crevecoeur et Pedro Vasquez de Saavedra se preparaient a fournir I’Emprise de l’enigmatique

‘Dame inconnur’. En septembre 1463, ils se trouvaient a Saint-Andre de Bruges,

‘en attente de faire armes au mois d’octobre prochain encontre tous chevaliers

de tous royaumes chrestiens, semons et advertis de ce pour ledit mois’.65 Deji les messagers faisaient retour des royaumes chretiens. Christiern I, roi

de Danemark, de Norvege et de Suede, inform6 par le htraut Charolais, avait

d&p&hi: un ecuycr de son Hotel, a Hesdin, oh se trouvait la tour de Bourgogne, pour faire savoir au due qu’il se tenait pret a fournir 1’Emprise de la Dame inconnuc ainsi quc sa triple royaute lui commandait, et promettait d’envoyer trois chcvalicrs de chacun de scs trois royaumes.“”

Pcnsant cn luy mcsme et conjecturant quc cestc cmprisc mouvoit d’aucun grand

ct noble surgeon ct dont la fin tcndoit a grand cffet commc de vouloir emprendre voyage contrc lcs infidclcs’,

Christicrn de Dancmark demandait au due,

qu’il luy voulsist cncorc dcscouvrir plus avant du secret de cestuy pas, de la nature

et condition de la dame ct dc sa qucrcllc et de la manicrc et condition de la bataille qui SC devoit faire pour cllc ct cn qucl lieu’.“’

Le 28 scptembrc 1463, lc roi de France arrivait P Hcsdin; dcux jours plus tard,

unc ambassadc anglaisc conduitc par George de Ncvill, Cvequc d’Excter,

IP /‘RF L Prrn~rt Jk, 80. Faut-il y voir unc allusion $ la Croisadc projctk? Cliastcllain, 1.4, 31 I. Cliastellain, 1.4, 370. Chstcllain, 1.4, 37 I. En 6th I’l<mprisc cachait dcs motifs plus pcrsonncls et moins louablcs;

s&m notrr clwoniqueur, Antoine dr Bourgognc ‘par Tautr qw nulle part nc trouvoit occasion de soy rmployer, quist cestr voic dc liirc, pcnsant par iccllr surpasscr tnus autrcs chevaliers dc devant luy, par plus amplement cmprcndrc quc nul onqws, KI oil mcssirc jarqucs de Main jusqu’ii cc jour avoit et tcnoit la gloirc sur IOUS It-s drvant l>asGs’.

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chancelier d’Angleterre, ttait recue par le due de Bourgogne. Le roi de Frznce

s’entretint a son tour avec les envoy& d’Edouard IV. Le 26 octobre 1463, Philippe le bon signait la prorogation des t&es conclues avec le roi d’Angleterre. Le due souhaitait garantir la surett de ses Etats pendant qu’il serait a la Croisade. Avant de repartir pour I’Angleterre, l’Cvi?que d’Exeter, ‘manda et fist signifier au due que, s’il luy plaisoit luy faire test honneur, en cas qu’il allast en Turquie, de le recevoir en sa compaignie, il le serviroit a ses propres cousts et despens’.‘j8

Les projets de Croisade, si longtemps ajournts, semblaient enfin pres d’aboutir.

Afin d’honorer la ‘creance’ de la Dame inconnue, le due manda a tous les chevaliers qui avaient fait voeu avec lui, d’Ctre presents le 15 decembre a Bruges; tous y vinrent. Le due leur declara son intention de s’embarquer a Aigues Mortes,

au mois de mai de l’annte suivante.

Les chevaliers ‘qui avoient vod autrefois reconfirmerent leurs voeux par une

nouvelk promesse a l’cntretenir toutes les fois que besoin seroit, avec leur prince, lequel vouloitent acompagner, et ne luy faudroient sinon par mort’.‘jg

De son c83, le roi de France restait hostile a ce projet de Croisade. IX 23 fevrier 1464, Louis XI k-kit au due de Bourgogne lui faisant ‘requeste et commandement exprcs’ d’avoir a retarder d’un an son depart pour I’Orient a

cause des affaircs d’Angleterre. 7o Philippe le bon qui ne voulait pas manquer aux engagements pris envers le Pape, se resolut a n’envoyer q’un corps expeditionnaire sous la conduite d’Antoine B;tard de Bourgogne.7’ Le 2 1 mai 1464, la flotille d’Antoine de Bourgogne quittait le port de I’Ecluse a destination d’Anc&re oh Pie II s’etait transport& La mot-t du Pape, le 14 aout 1464, vint mettre un terme

a l’Emptisc de la Dame inconnue, sans que le gage de bataille n’ait jamais pu Ctre leve.

Avec la mot-t du due Philippe, s’eteignait le r&e d’une Croisade bourguignonne. Charles le Tern&ire dtait trop absorbe par la lutte contre la M&on de France pour songer vraiment 1 reconqutrir Constantinople. En dtpit des sollicitations pressantes de la papautt et des villes italiennes, le nouveau due de Bourgogne

conserva une attitude prudente.‘* Si certains tableaux du ‘Pas de l’arbre d’or’ tvoquaient l’orient et la Croisade (combat contre les Amazonnes, discorde des ‘chevaliers de mer’, entremet d’un dromadaire ‘harnacht a la maniere sarrasi-

,111

,I’# Chastcllain, 1.4, 390. Chastcllain, t.4, 442. SW Itxpedition de 1464, j’. I)(( Clerrq, Mmoires, cd. F. de ReilTcnbcrg

(1823) 1.4, 18 sq.; Dc La Marchc, AGmoirls, 1.3. 36 sq.; voir Marinescu, ‘Philippe lc bon’, I I sq. E\ Taparcl, ‘Gcolkoy de Thoisy’, 391 sq.

CF. C. de la Ronci&, Histoire de la marinrjtanpbc, 1.2, 308; Chastcllain, 1.4, 461 et n.:Je/m de IVawih, Recutil dcs chroniqucs cl anrhicnnes isloires de la Grant Brhgne a presrat nommtc Englekrrt, Cd. !y. Hardy (London, 18&l-91) t.4, 430 sq.

72 Cf. De La Marchc, Ma&s, 1.3, 36 sq. RJ. Walsh, ‘Charles the bold and the Crusades’, me Jouraal of medieval Hisky 3 (I 977)

53 -86.

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* , noise . ..). le Pas ctltbrait avant tout l’alliance des Maisons d’York et de Bour- gogne. La lecon morale et politique des douze travaux d’Hercule s’adressait a tous les princes chretiens. Le roi de France notamment ne pouvait Ctre insensible a l’avertissement contenu dans certains tableaux, tel celui du combat contre le ‘grant larron nomme Cacus’ qui portait:

Destruisez les tyrans dont il ne vicnt que mal Et vous souvienne bien de ce vets principal, Justice fait aimer et doubter lc vassal’.73

Les deux Princes se disposant a la guerre refoncerent leurs alliances. Charles le TCmCraire fortifia notamment ses alliances avec le roi d’Aragon, le due de Milan, la Republique de Venise, et les princes de la Maison de Savoie: Jacques, comte

de Romont et Philippe II, comte de Bresse; c’est a ce dernier qu’est adresse la

relation du Pas ‘de la Dame sauvage’ tenu a Gand, du 14 au 21 janvier 1470.7” L’alliance de la Maison de Savoie fut encore renforcte par le trait6 de Moncalieri signe le 30 janvier 1475, aux termes duquel la duchesse de Savoie, Yolande de France, accordait le libre passage dans ses Etats, aux troupes que le due de Milan, Galeas Sforza, mettait au service de Charles le Temeraire. Ambassades et

receptions se multiplitrent a la tour de Savoie oti se tint le Pas ‘du Chaste1 d’Amour’ du 25 janvier au 3 fevrier 1475.75 C’est en aidant la duchesse de Savoie a reconquerir ses domaines du pays de Vaud que les Bernois avaient envahis, que Charles le Temtraire fut defait a Grandson. Le 5 janvier 1477, sous les murs de Nancy, la mort venait clore le demier Pas dcs dues de Bourgogne. Avec la fin tragique de Charles le Temtraire et l’occasion perdue de la Croisade, commence le declin des Pas dans la tradition de Bourgogne.76

L’organisation politico-diplomatique de la Croisade appelait une politique d’unite mtditerraneenne. Le thtltre du Pas avait fourni a Philippe le bon, la mise en images de 1’Epique pour le service ae la Chretiente, mais aussi pour celui du duche de Bourgogne. Charles le Temeraire avait it6 detourne de l’aventure

De La Marche, Mhoires, 1.3, 184. La morale du second tableau (combat d’Hercule contre Phil&s) fait une allusion possible a la Ligue du Bicn public: ‘La monstra il aux princes... qu’ils doibvcnt cmploier le temps par travail, sans lassurc, Pour le publicque bien, lequel ilz ont en cure. &I. 145).

‘Le Pas de la Dame sauvage, ‘Praicte dun tournoy tenu P Gand par Claude de Vauldray, Pan 1469, dam: Tmkti de la famre et devis comnre on faicl les loumol, cd. B. Prost (Paris, 1878) 55. Claude de Vaudray scigncur de I’Aigle devait s’illustrer en soutcnant contre I’Empereur Maximilien, I’Emmise du ‘chevalier esclave et servitcur a la belle aeande, a la blonde nerruaue, la plus grande $u monde’. CF. .j’Fnn Afo/itre/, Qronipes, ed. J.A. Buclkn (Paris, 1828) t.5,. I7 sq. . -

Voir la C~rori~rtc de l’&~~de de France, ed. L. Menebrea (Paris, 1859) I 19-30. Nous ne possedons, tour nous renseigner sur ce Pas, clue le compte d’Alcxandrc Richardon (juillet l474-octobre 1475).

Un Pas fut rncorc tenu Pan 1484, ‘par quatrcjouts, a jouste contre tous vcnans... le tnardi premier juing, tnondit seihmeur I’Archiduc (Maximilicn) ctant tout Ic jour en sa ville dc Brousclles ou cstoirnt Ies ambassadcurs de Prance, de Brctaigne, de Vcnizc et autrcs’. Arch. depart. du Nord. 8. 2 I3 I. fks/rna /mar I’oJice de Afaisfrc L la chambre au dekers.

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lointainc par lcs intercts immcdiats du duche. En recueillant I’heritage bourguig-

non, les rois de France reprircnt la tradition du Pas dont Ic symbolisme unitaire participait de la fonction royale. Lcs gucrrcs d’baiie fureut l’occasion d’une nouvelle utilisation du symbolc.

L’empreinte de la Croisade SC rcconnait cncorc dans les premier Pas tenus par le roi Charles VIII a la veille des gucrrcs d’italie. En relevant les droits des princes de la Maison d’Aniou sur lc royaumc de Naples, Charles VIII songeait a

reconcnkrir Constantinople et Its lieux Saints. Dans Ic dispositif diplomatique . ttabli par le roi de France, Ic duche dc Savoic tcnait unc place importante en ce qu’il commandait le passage dcs Alpcs. Des dkcmbrc 1490, le roi de France s’cntretint avec Philippe dc Bressc, due de Savoic, ancicn allie de la Maison de Bourgogne, et en recut I’assurancc qu’il souhaitait d’un librc passage. Lcs places

de Lyon et de Grenoble devinrent Its lieux de rassemblcmcnt des arm&s partant pour I’Italie. En mai 1492, Charles VIII donna ‘conge et liccnce’ a Claude de Vaudray de tenir un Pas a Lyon. ” Confor.mPmcnt a l’usagc, l’kuyer bourguignon ‘fist pendre ses escuz & tous gent& hommcs qui avoient desir d’eulx monstrer venoient toucher... Plusieurs bons ct gaillars gent& hommes de la maison du

bon roy Charles’ s’essayercnt contre lui: Jacques dc Gcnouillac, Jacques de Coligny, le seigneur de Bonneval, Pierre Bayard scigneur de Tcrrail,78 Louis de Hedouville. Ce dernier, conseiller du due d’orleans, puis Ccuyer d’ecurie de Charles VIII, devint a son tour le promoteur dcs armcs du Pas de Sandricourt.‘” Cc Pas tenu du 16 au 20 septembrc 1493, au chgtcau dc Sandricourt prb Pontoise, fut par conge du roi, publit ‘par toutcs les villes, citcz et places du royaume de

France et ailleurs’.80 Le ban du Pas, elargi aux frontiercs du royaumc, donnait

B l’cntrcprise l’ampleur ct la solcnnite des plus vastes projets. Quatrc places avaicnt CtC preparees aux abords du chltcau de Sandricourt: ‘la barriere perilleuse’, ‘Ic carrefour tcnebrcux’, ‘le champ de l’espine’, ‘la forest desvoyablc’. Un pin vert etait dress& devant la Porte du chfitcau ‘la air autrcfois a estC trouve nobles hommes

cherchant leurs adventures, et veult on dire que les

y venoient cercher les leurs’.s’

chcvalicrs dc la Table rondc

77 Cf. Lu jycuse, /daisante et rinialive Hisloire du bon chevalier, seigneur de Byart, Cd. Michaud,

Kwjoulat, nlle toll. des MCmoires, (Paris, 1837) 1.4, 493..8. Ptcrre de Bayard devait s’illustrcr au toumoi d’Ayre-sur-Lys, tcnu problablcment durant

I’S 1493, alors qtte la compagnic du comte de I&y, sous les ordrcs du hlar~chal d’Esqucrdrrs tenait gamison B Airc; voir supra, Lerjyeteee, plairante et ricriniive Hhtotre, 498-59’2. On sait que pendant ce toumoi (quc la chronique qualilic Sgalcment de ‘Pas’, p. 501) Pierre dc Bayard se rcndit sur k licux du Pas de la belle Pclerine, cf. M. d’Escouchy, 1.1, 248 note.

Ix vkitablc initiateur de cc Pas Ctait lc due d’Orlt?ans lui-mCme. En novcmbrc 1493, Louis de Hcdouvillc rcgut du due d’orkans, cent Scus pour soutcnir son Stat au Pas de Sandricourt; cf. A. Vayssikc id. Le Pas d’amtes de Sandrikourl, relation d’un toumoi donui en 1493, au chdteau de ce

nonI (Paris, 1874) VIII. ,,I) “I

Ir Pas d’amfes de Sondricourt. La publication dcs armcs fur faite ti Paris le 24 aotit 1493. L Pas d’atmes de Sandricourt, p. 68.

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Nombre des gentilshommes qui s’illustrerent a cc Pas prirent part a l’exptklition d’Italie** et rallierent au debut de 1494 l’armee royale qui se concentrait P Lyon. En juin, le due d’OrlCans se dirigcait vers C&es a la tete dun premier corps d’expedition; le 27 juillet enfin, Charles VIII quittait Lyon. Quelques jours plus tard, les troupes du roi de France franchissaient les Alpes et faisaient route vers le Milanais.

Bicn vite le Croisade fut oubliee; d’autres valeurs manifestement plus fortes que l’heroicite de la geste ancienne dttournerent le roi de ses projets sur Constantinople. Ccpendant l’empreinte de la Croisade subsista dans le Pas comme le signe triple de l’alliancc, de l’unite et de la paix promise.83 Par le rituel du Pas, le Prince donnait A l’alliance unc valeur solennelle et une portee universelle;

par le jeu de l’Emprise, il creait de nouveaux liens de dtpendance se substituant oh se surajoutant a des liens vassaliques plus lkhes, souvent pluriels et parfois

opposes. Tissant la trame dune ‘captivite amoureuse’, le Prince assujetissait a son seul service par un ‘amour’ ligc, dont la Croisade ttait en fait l’expression la plus pure.

112 Louis de H~douville combattit lui-m5me au Gagliano, aux cBtOs de Bayard. (On rcconnaitra $ms la defcme du pont du Garigliano, la forme d’un combat a la barriLw).

L’espnt de Croisade rcsta en latencc au travers des temps modcrncs pret a une vie neuve, CT. H. Hantsch, ‘Lc probleme de la luttc contre I’invasion turque dans l’idee politique getterale dc Charles Quint,’ Collogues inkrnalionaux du CN.R.S., Charles Qdnl et SOII temps (Paris, 1958) 51-60; voir egalemcnt J. Delumeau, Lo peur en Occident, XIV-XVIII2 sitWe (Paris, 1973) 262-272.

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