Le rire de Jésus…(La Mandragore) ISBN 978-2-923715-04-9 I. Titre. PS8519.A85R57 2009 C843'.54...
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roman
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Le rire de Jésus (un ami d’enfance)
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Claude Jasmin
Le rire de Jésus (un ami d’enfance)
roman
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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Jasmin, Claude, 1930-
Le rire de Jésus
(La Mandragore)
ISBN 978-2-923715-04-9
I. Titre.
PS8519.A85R57 2009 C843'.54 C2008-942624-X
PS9519.A85R57 2009
Marcel Broquet Éditeur
55 A, rue de l’Église, Saint-Sauveur (Québec) Canada J0R 1R0
Téléphone : 450 744-1236
Révision : Andrée Laprise
Conception de la couverture et mise en pages : Christian Campana
Illustrations : Claude Jasmin
Distribution :
1650, boulevard Lionel-Bertrand
Boisbriand (Québec) Canada J7H 1N7
Service à la clientèle : [email protected]
Diffusion – Promotion :
Dépôt légal : 1er trimestre 2009
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
© Marcel Broquet Éditeur, [email protected] 2009
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Quand irons-nous, par de là les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle,
la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer — les premiers ! — Noël sur la terre !
« Le chant des cieux, la marche des peuples ! »Arthur Rimbaud
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Prologue
Il y a quelque temps, une équipe d’amateurs d’archéologie qui
travaillait aux «arènes romaines de Poitiers», un des plus
grands amphithéâtres antiques de la Gaule, a fait une étrange
découverte.
Cette équipe, piochant, creusant et tamisant les sols, là où la
municipalité veut agrandir le «Parking Carnot», aurait trouvé
des amphores antiques. Dans l’une d’elles, des rouleaux sur
papyrus contenant une série de textes en grec ancien.
Bientôt, on entendra sans doute parler davantage du contenu
de ces écrits qui dateraient du temps de Jésus de Nazareth. Il
s’agirait d’une série de témoignages sur le célèbre Galiléen.
Le lot contient une vingtaine de rouleaux qui sont numérotés,
mais sans aucune chronologie normale. Il s’agirait de souvenirs,
de «Mémoires» spontanés, rédigés par un exilé de Jérusalem,
un négociant important, converti et monté en Gaule.
Ce Aran, élevé à Nazareth, s’y déclare le grand ami d’enfance
de Jésus.
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Premier rouleau
le suivre?
Ça ne s’arrangeait pas pour mon ancien ami, les autorités,
civiles comme militaires, le faisaient suivre. Partout. On le
guettait, on surveillait ce drôle de type, prédicateur, au début
hébergé à Capharnaüm, qui attirait des foules de plus en plus
grandes et comme subjuguées par ce tribun étonnant, ce fabu-
leux orateur.
Mon ami d’enfance était en danger.
Nous étions séparés depuis longtemps. J’étais encore assez jeune
lorsque ma famille avait déménagé à Jérusalem. De loin, il m’est
arrivé de le suivre deux ou trois fois, en cachette. Ma situation
de marchand important me permettait d’apprendre des choses.
Ainsi, j’avais su que ceux qui l’espionnaient faisaient souvent du
zèle, tentant d’infiltrer les rangs de ses fidèles disciples.
Parmi ses partisans, je reconnaissais des camarades de jeu-
nesse. La popularité de mon ami le mettait en danger. Je crai-
gnais même un attentat et je voulus prévenir certains de ses
apôtres des périls qui le menaçaient. Mais ils n’aimaient pas mes
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réticences, mes craintes et on ne m’écouta pas. Ils ne compre-
naient pas, je le voyais bien ; ils ne percevaient pas cette haine
farouche des conservateurs, des traditionalistes.
Je l’avais aimé moi aussi ce chef qu’ils entouraient d’affection
totale, d’un amour véritable, et à qui ils vouaient une admira-
tion sans borne. Mon grand ami était devenu un homme épié,
cerné, étroitement surveillé.
Certains des suiveurs, qui n’écoutaient ses prédications que
d’une oreille, profitaient de lui. Ces hypocrites espéraient tirer un
jour des avantages de cette popularité grandissante. Des jeunes
fous jouaient les brigadiers zélés, miliciens désarmés d’un service
d’ordre inexistant. Pour certains vauriens, fainéants intéressés,
sans métier, désœuvrés, incapables de gagner leur vie, protéger
le jeune maître était un refuge pratique. Au fond, tous ces para-
sites étaient des voyous.
J’ai vite abandonné ce rôle d’«alerteur». J’étais un homme
réaliste, lucide, les deux pieds sur terre, comme on dit. J’étais
Aran, simple marchand, fils de marchand. Un ambitieux ordi-
naire qui brassait des affaires un peu partout dans la région, très
loin parfois.
Bref, j’avais réussi.
Mes aptitudes avaient surpris mon père, Éliézer, le vieux patron
de notre affaire d’exportation, lorsque je m’étais joint à lui. Fils
négligent, longtemps absent du foyer, curieux de connaître le
monde qui m’entourait et plutôt fainéant, j’avais tardé à me
ranger. Mon père, plutôt sceptique, réticent et froid, avait fini
par m’initier à son métier et je fis mes débuts en petit négociant
en fruits, pistaches et épices variées à ses côtés.
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Enfant, à Nazareth, je m’étais lié au jeune voisin du même
âge que moi et qui deviendrait ce populaire et si impétueux
prêcheur.
Nous étions comme les deux doigts d’une même main, malgré
nos caractères différents. Comme si nous avions besoin l’un de
l’autre.
Qui a dit : «Les contraires s’attirent»? Les voisins lançaient
en nous apercevant : «Les deux inséparables». Ou encore :
«Quand on voit l’un, on voit aussitôt l’autre.»
Mes parents aimaient bien mon ami, le fils du charpentier.
Nous avons tant joué ensemble, que d’excursions vers le mont
Thabor et vers le lac de Génésareth ou le fleuve Jourdain, là où
des Israélites moins pieux se procuraient les poissons à écailles
qui nous étaient pourtant interdits.
Puis, à l’adolescence, nous avons offert nos services un peu par-
tout sur des petits chantiers divers dans les alentours de Nazareth.
Son père, ouvrier fort habile, nous confiait également des petits
travaux, plus souvent à moi qu’à son propre fils qu’il imaginait
de santé fragile. Vrai qu’il était bien maigre et qu’il était souvent
malade. Malgré cette allure gracile, il faisait montre d’une sacrée
force, d’une résistance physique étonnante. Je me débrouillais
pas mal du tout en menuiserie, mieux que Jésus.
Et puis, un bon jour, mon ami décida de quitter Nazareth.
Il avait fait son bagage. L’air très grave, le visage d’un sérieux
pesant, il se tenait devant la grille de notre logis. Il était venu
m’embrasser. Une dernière fois.
J’étais étonné. On disait qu’il se rendait très loin, dans un
lieu d’étude au sud de Nazareth et de Jérusalem, du côté de la
mer Morte.
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Ses parents, Joseph et Marie, au bord du chemin, semblaient
tristes mais fiers. Aminadab, le maraîcher ambulant, ami de son
père, attendait avec deux ânes couverts de bagages. Ils firent leurs
dernières recommandations. Monté sur son âne, Jésus me jeta un
dernier regard, me fit ses derniers saluts. Je n’y répondis pas.
Je l’aimais. Il s’en allait.
Comme tout le monde, je croyais qu’il deviendrait rabbin. Il
était si travailleur, si brillant. Je ne lui en voulais pas vraiment
puisque nous allions partir bientôt, nous aussi. Notre famille
s’installait à Jérusalem, «ville phare», selon mon père dont
l’entreprise se développait à toute vitesse. Il disait : «C’est joli
Nazareth, mais c’est un trou. Un trou de province.»
Mon enfance prit fin ce jour-là. Perdu de vue, l’ami insépa-
rable. La vie. La vie réelle et rêvée.
Évidemment, un jour ou l’autre, la plupart des gens perdent
les amis d’enfance. Pas vrai?
Malade, mon père avait fini par m’accorder pleine confiance.
Bientôt, j’héritai du gouvernail de cette «grosse barque» qu’était
devenue notre entreprise.
Le bonheur pour moi, l’ambitieux. Rapidement, je brassai de
grosses affaires, établissant des comptoirs dans d’autres contrées
et signant des ententes compliquées. J’installai peu à peu des
comptoirs jusqu’en Égypte. Puis en Grèce, pays dont j’avais
appris la langue. Je n’avais pas vraiment le choix, le grec étant
la langue des gens instruits et cultivés. Et je rêvais de Rome. Eh
oui, Rome, pourquoi pas?
J’ai toujours beaucoup rêvé.
Bien établi à Jérusalem, j’ai d’excellents contacts avec les
occupants romains et surtout avec de hauts gradés romains qui
sont devenus des intimes. Ce qui m’oblige à me protéger de ces
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organisations de résistance armée et clandestines établies dans
toute la Judée. Certains patriotards me considèrent comme «le
traître des traîtres». Un homme à abattre. Des gens armés pro-
tègent ma famille.
Rome est partout, son empereur est tout-puissant. Les Romains
sont les plus riches, donc les plus forts. Que faire face à cette
puissance universelle?
Rien.
Alors, j’entretiens de bonnes relations avec eux et ils me font
confiance. Un jour l’un d’eux, jeune capitaine ambitieux et sympa-
thique, s’est rendu chez moi, au nord-ouest de Jérusalem, du côté
de la colline du Gareb. Sa famille s’intéressait à mes affaires.
Brutus, officier trop gras, déjà chauve, aimait m’entendre lui
raconter mes aventures de jeunesse. Mes frasques. Nos tours
pendables à Nazareth. Il aimait rire. Nous nous entendions
bien. Évidemment, je ne parlais pas de Jésus devenu ce célèbre
prédicateur.
Je lui fis visiter nos officines, mes quartiers d’affaires, les entre-
pôts, toutes nos installations et puis nous avons bu du vin de
qualité, importé il va sans dire, sur la grande terrasse.
Soudain, à ma grande surprise, Brutus me lança : «On m’a
dit que vous aviez été amis ; il paraît que tu aurais de l’influence
sur ce petit magicien de Nazareth. Ce semeur de rêves? Est-ce
vrai?»
«Nous avons été, c’est la vérité, de grands amis.»
Il a enchaîné aussitôt : «Tu dois lui parler, l’avertir qu’il
cesse, qu’il prêche ailleurs, n’importe où, le monde est grand!
Compris? Notre procurateur s’énerve beaucoup.»
Je restai muet. Je n’en revenais pas. J’ajoutai que je m’inquiétais
moi aussi et que je lui parlerais.
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Comme l’heure du repas vespéral approchait, Brutus devint
bizarre, caressant nerveusement son crâne luisant. Il devait se
rendre au marché acheter du poisson. Il se leva brusquement,
me cracha de sa voix de fausset :
«Pour le prédicateur fou, ton ami, explique-lui qu’en pro-
mettant le changement, la liberté et tout le reste, il joue à un
jeu dangereux.»
Il descendit l’escalier et marcha vers la cour. Je le suivis.
«Ton drôle de rabbin menace la pax romana, l’ordre établi.»
Pressé, il n’arrivait pas à ouvrir la grille, je l’aidai. Il disparut
en me criant : «N’oublie pas de lui parler. C’est urgent!»
Je savais qu’il existait des organisations, des groupes de révoltés
clandestins, formés d’une jeunesse qui détestait les soldats romains.
Mais lui, Jésus? Brutus, revenu sur ses pas, insista : «S’il ne quitte
pas le pays, mes supérieurs vont se fâcher. Nous nous compre-
nons? Qu’il sache que Rome alertée n’aime pas, mais pas du
tout, ni ces rassemblements gigantesques, ni ses propos, ni ses
enseignements.»
Je n’arrivais pas à obtenir une rencontre. Depuis qu’il avait
sa garde de dévoués disciples, il était devenu très difficile de
l’approcher.
Je venais de rentrer au pays. J’avais été absent assez longtemps,
allant d’Athènes jusqu’à Syracuse en passant par Byzance, afin
d’ouvrir de nouveaux comptoirs. Dans cette dernière ville, des
associés avaient voulu fêter mon anniversaire.
33 ans déjà!
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Des parents de Nazareth me rapportaient sans cesse les succès
du grand prédicateur des «temps nouveaux». On me recom-
mandait d’être fier d’avoir été son ami. «Votre ami d’antan
fait des tours de magie incroyables, il multiplie les poissons et
le pain nourrissant des Multitudes. Il a guéri un aveugle et puis
un sourd et aussi un paralysé. Même qu’il parvient à ressusciter
des morts.»
Une certaine faction d’insurgés le percevait comme une
sorte de chef de guerre, le libérateur, le grand sauveur de la
nation juive.
«Ce guérisseur nous délivrera de ces pillards de Romains»,
murmurait-on de plus en plus. D’autres disaient qu’à cause de lui,
de l’espoir qu’il faisait naître, des gens s’armaient secrè tement,
formant des milices qui s’entraînaient à combattre dans la plaine
de Zabulon. Des militants pressés parlaient de mettre ce Jésus
de Nazareth en avant, d’en faire le chef absolu, «tout le peuple
le protégera», affirmaient-ils du fond de leurs repaires.
Je pensais «danger», car ces rumeurs devaient énerver les
autorités impériales.
Je voyais Jésus vieillir en paix. Je l’imaginais toujours calme,
prudent, pacifique, prêchant ses fameux «aimez-vous les uns, les
autres» dans tout le pays et les alentours, vieillissant sagement,
augmentant lentement au fil des décennies sa bonne influence.
Tôt ou tard, j’en étais certain, nous allions renouer, nous ren-
contrer, nous rappeler en souriant notre enfance commune à
Nazareth. Et puis, Jésus prendrait épouse un jour, il aurait de beaux
enfants. Il mourrait très très vieux, entouré des siens, reconnu de
tous comme un important philosophe sage et tranquille.
Dans ce pays, nous n’avions jamais manqué de sorciers en
tous genres et de magiciens de tout acabit. Sans parler de ces
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prophètes à la petite semaine, des prétendus astrologues, des
faussaires, rarement doués, vieux barbus ou jeunes et jolies
femmes de racement diverses, baragouinant l’araméen. Tous se
pro clamaient extralucides, sachant deviner l’avenir dans… dans
tout. Marmites de vinaigre, bave de crapaud, jus de certaines
treilles, lie de vin. Et quoi encore?
Pour bien des nôtres, Jésus n’était qu’un charlatan de plus. Plus
doué et plus habile, meilleur orateur et plus bel homme, certes.
Deux jours après mon retour s’amenaient un quidam bizarre
et son compagnon, louche loustic, bossu, aux yeux hagards. Le
meneur du duo, un certain Adad, affirmait traîner avec lui «son
mort»! Nachor, ce bossu, il avait pu le ressusciter. Le menteur
jouant l’envoyé illuminé, affirmait-il, par les trois vénérables
«pères de la nation», Abraham, Jacob et Isaac, col lectait des
oboles. Un cirque. Des vagabonds fumistes. Adad, sébile tendue,
m’affirma avec culot avoir été un ami d’enfance de Jésus, ajou-
tant effrontément que «le fameux Nazaréen», qu’il avait initié,
lui devait une grande part de ses pouvoirs.
Je le chassai de mon domaine à coups de pied au derrière. Un
adjoint riait, parla de «suppôts de satan» et ajouta : «J’ai su
que le Galiléen aurait questionné le Belzébuth d’un possédé,
lui demandant son nom et la bouche du démoniaque aurait
répondu : “Légions. Mon nom est légions.”»
On reprit le travail. Des olives nous arrivaient de partout, du
raisin aussi, des dattes à pleins chargements des quatre horizons.
L’entrepôt de Jérusalem débordait. Je devenais de plus en plus
riche et je songeais davantage aux plans d’une nouvelle piscine
qu’aux sorciers, aux astrologues ou aux… légions du grand satan.
Je nageais dans les profits.
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De nouvelles menaces se précisaient et j’ai encore essayé de
le prévenir. Je l’aimais encore. Oui, je l’aimais toujours. Nous
nous étions tant aimés.
Se méfiait-il de moi ou quoi? J’avais contacté ses fidèles et on
me fit dire qu’il refusait cette rencontre. Je questionnai Jacques
un jour, un autre, Thomas: «Se sauvait-il de moi?» On me
répondit : «Mais non. Il a tant à faire. Il doit préparer un séjour
au Golan du nord. Il doit aussi se rendre à l’ouest, à Gaza.»
Et quoi encore? Des excuses, des prétextes qui ne tenaient
pas debout.
Un bon jour, je prévins carrément ses gens :
«J’arriverai dans son camp, telle place, tel jour et à telle heure.
Veut, veut pas!»
Quand je me suis amené au-delà de la porte de Sterquiline,
pour me rendre dans la vallée de la Géhenne, il n’y était plus. Il
n’y avait personne. Tout au plus, quelques petites tentes vides!
Il me fuyait?
Pourquoi?
Un autre jour, je l’aperçus d’une berge du lac de Génésareth,
à Coronaïn. Il était dans une barque, sur l’eau. Il aimait, on me
l’avait dit, parler aux gens rassemblés sur une grève, lui au large,
dans la barque.
Sermon terminé, je voyais bien qu’il s’en allait. Une grande
foule de badauds bienheureux se dispersait peu à peu. Je me
cachai. Quelques jeunes gens enthousiastes, vraiment très
énervés, tentaient de capter son attention, mais des disciples les
contenaient, les repoussaient. Jésus fit signe qu’il allait s’adresser à
eux. Je m’approchai un peu. J’observai, j’écoutai et je fus soufflé.
Mon ami jadis timide, réservé et solitaire, mon ami semblait
habité d’une énergie, d’une force terrible. Sa voix aimée, assez
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faible jadis, était devenue forte, grave, chaude, solide et convain-
cante. Elle s’envolait au-dessus de tout ce jeune monde.
Il parla longtemps. Pendant une pause, cette belle jeunesse
chantait et riait. Tous buvaient une citronnade fraîche. Au loin,
d’autres jeunes gens dansaient de folles farandoles. Cette allé-
gresse si simple, bon enfant, me frappa.
J’étais bien tout à coup. J’éprouvais l’envie de sortir de ma
cachette et de me joindre à eux. Avec Jésus. Comme quand nous
avions cinq ans, dix ans. Fou non? Un tel rassemblement tourné
en fête populaire, j’en fus troublé. La foule s’étant éloignée, je
me suis rapproché, j’ai questionné un des fidèles, vieillard épa-
noui au sourire édenté.
«Que se passe-t-il ici, tant de liesse, vous fêtiez quoi?»
«C’est qu’il a ressuscité un mort, un certain Lazare. On l’a
bien vu, tous, qui sortait de son tombeau.» Il regarda au loin et
me fit des gestes : «Regardez là-bas, près du bouquet de joncs,
le voyez-vous? C’est lui, il marche. Il vit de nouveau.»
J’ai voulu m’approcher de ce Lazare, mais c’était impossible
tant ses parents et ses amis étaient nombreux. L’édenté m’a sorti
cette phrase qui m’a jeté à terre :
«Vous savez monsieur, cet homme n’est pas n’importe qui, il
est le fils de Dieu, il nous l’a dit, il parle de Yahvé comme étant
son père là-haut.»
Son père. Je songeais au vieux charpentier Joseph, sans doute
mort aujourd’hui.
Le vieux tirait sur ma robe : «Il affirme aussi que c’est mon
père à moi, Jésus le répète : “ll est votre père à tous et il vous
aime.” Cela nous change d’un Yahvé plutôt terrifiant.»
J’ai marché un peu sur la rive. Comment aborder un ami perdu
de vue depuis si longtemps? Dans de hauts herbiers, s’arrosant
Extrait de la publication
Extrait de la publication
Le héros de ce nouveau Jasmin fut le meilleur ami de Jésus. Aran
désire narrer sa jeunesse avec son drôle d’ami, le crucifi é célèbre.
Le romancier québécois illustre des lieux, des gens, des loisirs,
des jeux sur un ton léger, moderne et vivant. Claude Jasmin s’est
amusé ici à jouer une sorte de rôle grave, celui, d’apôtre apocryphe
d’un cinquième évangéliste.
Agnostique, tout de même fervent croyant, le romancier s’est
rapproché de Jésus de Nazareth, qu’il admire énormément. Le rire de Jésus est aussi un conte oriental qui fait rêver. Ce roman
néo-christianiste joue de fi ction et d’histoire. Les lecteurs vivront
là-bas aujourd’hui en des temps anciens. Le rire de Jésus est une
légende vraisemblable qui fait du fameux crucifi é un jeune être
humain tout à fait ordinaire. Voici donc une fable, mais voici aussi
toute une série de péripéties quoti diennes au temps d’Hérode et
de Pilate.
Après avoir lu ce livre, on verra Jésus autrement, plus vrai, moins
«céleste», plus vivant, moins grandiose, mais plus attachant. Un
document étonnant et un récit captivant à propos d’un pêcheur
de Nazareth qui va à sa croix.
Extrait de la publication