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Le quotidien sublime À la recherche d’un langage pictographique Mémoire Lamia Laalaj Maîtrise en arts visuels Maîtres ès arts (M.A.) Québec, Canada © Lamia Laalaj, 2017

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Le quotidien sublime À la recherche d’un langage pictographique

Mémoire

Lamia Laalaj

Maîtrise en arts visuels Maîtres ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Lamia Laalaj, 2017

Le quotidien sublime À la recherche d’un langage pictographique

Mémoire

Lamia Laalaj

Sous la direction de :

Suzanne Leblanc, directrice de recherche

III

Résumé

Ce mémoire accompagne l’œuvre Picto-Moi, qui est le fruit de mon cursus universitaire au

sein de la maitrise en arts visuels. L’œuvre Picto-Moi dont il est question dans ce mémoire

se présentera sous forme d’une série de pictogrammes, autrement dit, un langage visuel

graphique et symbolique.

Celui-ci reflète une étape figée de l’enfance d’une Canadienne d’origine marocaine,

« Moi », partagée entre son pays natal et son pays d’origine pour ainsi dévoiler par ce

langage symbolique un ensemble d’évènements, de mœurs et de particularités en toute

subtilité.

Il s’agira d’abord de percevoir tous ces éléments bruts, responsables de l’émergence de

cette œuvre, viennent en priorité les archives de mon enfance. Dans ce mémoire, je tenterai

de révéler au grand jour mon ordinaire et mon extraordinaire, dans une approche singulière

et très symbolique.

D’autre part, il s’agira d’appuyer mon œuvre par la notion de monde et plus précisément, la

version de Nelson Goodman dans Manières de faire des mondes. Ceci concerne le cadre

théorique. Sur le plan pratique, il s’agira d’introduire le système international d’éducation

par les images sous le nom d’isotype, et ce en mettant en avant les créations d’Otto Neurath

et son alliance avec l’artiste graphiste Gerd Arntz. De là, mon inspiration pour la création

de mon langage visuel.

IV

Table des matières

Résumé ........................................................................................................................ iii

Table des matières ........................................................................................................ iv

Liste des Figures ............................................................................................................ v

Remerciements ............................................................................................................ vi

Avant-propos............................................................................................................... vii

Introduction .................................................................................................................. 1

Chapitre I : L’interrogation du banal ............................................................................... 2

1. Retour dans un quotidien ordinaire ................................................................................... 2

2. Entre deux versions ........................................................................................................... 3

Chapitre II : À la recherche d'un langage symbolique ...................................................... 9

1. Signes et pictogrammes .................................................................................................... 9

2. Langage symbolique et isotype ........................................................................................ 14

Chapitre III : Méthode ................................................................................................. 22

1. Archives et livres d'artistes .............................................................................................. 22

2. La construction d’une œuvre intime ................................................................................ 28

3. « Picto-moi » dans une boite ........................................................................................... 30

Conclusion................................................................................................................... 34

Annexe ........................................................................................................................ 35

Histoire et description des pictogrammes .................................................................... 35

Bibliographie ............................................................................................................... 48

V

Liste des Figures

Figure 1: Modern Man in the Making (AA Knopf, 1939). ............................................... 16

Figure 2: Gerd Arntz, 1928-1965. .................................................................................. 16

Figure 3: Otto neurath, image extraite de Gesellschaft und Wirtschaft publié en 1930. . 17

Figure 4: Isotypes Gerd Arntz, image extraite de Gesellschaft und Wirtschaft publié en 1930. ........................................................................................................................... 17

Figure 5: La merveille du monde de la nature: Trop petit pour voir; par Marie Neurath (Max Parrish, 1956) l'Isotype Collection Otto & Marie Neurath. ................................... 18

Figure 6: « Le transformateur »principes de création des diagrammes isotype. ............. 18

Figure 7: Série chronologique du déficit du commerce extérieur, publiée par Playfair dans son Commercial and Political Atlas de 1786. ................................................................ 20

Figure 8: Sabon, caractère remplis de Jan Tschichold. ................................................... 21

Figure 9: Twentysix Gasoline Stations,Edward Ruscha 1963. ......................................... 24

Figure 10: Livre-objet « Sur les traces du non-poème et de Gaston Miron ». ................. 27

Figure 11: Photo de marqueterie artisanale. http://www.artisanat-du-sud.com/fr/28-marqueterie-essaouira ................................................................................................ 29

Figure 12: Livre-objet « Picto-moi » Lamia Laalaj 2017. ................................................ 32

Figure 13: Livre-objet « Picto-moi » Lamia Laalaj 2017. ................................................ 33

VI

Remerciements

Je remercie et tiens à dédier ce présent mémoire à :

Dieu tout puissant, pour son amour infini et son soutien sans faille. Mon père et ma mère,

pour m’avoir donné la vie, pour avoir cru en mes rêves, pour avoir été toujours attentifs à

mes besoins et à mes ambitions et surtout pour leur grand soutien tout le long de ma

maitrise, malgré la grande distance qui nous sépare. Ma grand-mère à qui aucun mot ne

pourrait exprimer mon respect, et ma reconnaissance pour tout l’encouragement et l’aide

matérielle et morale consentie pour ma réussite.

Ma chère petite sœur que j’ai peut-être involontairement négligée et que j’aime tant, à

Suzanne Leblanc, pour sa compréhension et son fort soutien durant les bons comme les

mauvais moments et enfin, un grand merci à mon mari pour m’avoir longuement supportée

dans mon cursus de formation universitaire.

VII

Avant-propos

Tout a commencé, le jour où j’ai découvert le fameux « porte document accordéon», de

mon père, qui a la forme d’une malle, vieillotte, de couleur verte de chrome, et qui est

constitué de dix-neuf compartiments, dont papa se servait pour ranger, transporter et

archiver ses documents et en grande partie toutes les archives de mon enfance au Québec.

Cette trouvaille, a suscité en moi la curiosité et le désir de connaître ce que cette malle

pourrait bien me dévoiler comme secrets de mon enfance.

À vue d’œil, on y trouvait les documents personnels de mon père, à savoir ses diplômes, ses

documents administratifs, les certificats de naissance, les passeports canadiens périmés

gardés en guise de souvenirs, des bulletins de notes de l’Université Laval, etc. J’ai eu

l’heureuse surprise de découvrir dedans, mes premiers dessins au crayon, mes peintures,

mes collages, mes premiers exercices d’écriture d’alphabets et de chiffres, mes premiers

coloriages, mon diplôme de première section délivré par la garderie Bout en train où j’étais

accueillie étant enfant de bas âge.

Encore, le plus extraordinaire à mes yeux dans cette chasse au trésor, c’est que pour moi,

cette malle représentait bel et bien plus qu’un simple objet, ce fut une merveilleuse

trouvaille qui pour moi n’a pas de prix qui n’est autre que la mémoire de mon enfance au

Québec, incarnée par des photos, des vidéos et des enregistrements que papa conservait si

soigneusement. Quant aux photos, elles m’ont remémoré un tas de souvenirs, parmi tant

d’autres, celui de la petite dame chez Laura Secord, qui m’offrait un chocolat

supplémentaire dans mon cornet à chaque fois que papa m’emmenait en promenade.

Ce souvenir est porteur de beaucoup d’émotions, au point de m’effondrer en larmes, lors de

mon retour, enfin devant la boutique en question au centre commercial Laurier, après dix-

sept ans de cela à mon arrivée à Québec en août 2013, suite à mon inscription au

programme de maitrise en arts visuels, dont ce mémoire fait l’objet.

En ce qui concerne les vidéos et les enregistrements, j’en ai eu beaucoup depuis ma

naissance car mon père était inscrit au programme certificat en communication à la faculté

des arts de l’université de Sherbrooke, et il avait la possibilité de louer le caméscope, pour

VIII

ses travaux et il en profitait pour me filmer à la maison et à l’extérieur, histoire de garder

des souvenirs des meilleurs moments de mon enfance.

Entre autres, je dénichai aussi une pille de cassettes vidéo dont une d’entre elles qui

contenait l’émission pour enfants québécoise « MES PTIS’AMOURS », animée par

« MICHEL LOUVAIN » durant laquelle il a invité des enfants de ma garderie et dont je

faisais partie. Ce fut très drôle de la visionner après toutes ces années, car d’une part, voir

que j’ai failli me faire casser une dent avec le micro puisque je gesticulais et d’autre part, je

n’étais aucunement gênée, spontanéité des enfants oblige, en pointant du doigt le

cameraman en train de filmer et en disant avec émerveillement « C’est la télévision ! ».

Bref, cette découverte ne passe pas inaperçue, bien au contraire, celle-ci devient pour moi

une muse, une source d’inspiration et je dirai même l’élément déclencheur qui m’a menée à

la voie vers laquelle se dirigera ma pratique artistique et donc mon projet de maitrise.

1

Introduction

Les actes monotones, les scènes aléatoires et banales de notre quotidien, dans les rues et

dans l’ensemble des autres endroits dans lesquels je déambule, sont constamment

d'importantes sources d'inspiration pour moi, car malgré leurs caractéristiques insignifiantes

aux yeux des autres, elles peuvent porter contrairement à nos attentes, des codes et des

messages très significatifs et symboliques à la fois qui viennent éveiller mes sens et ma

curiosité à exploiter ces aspects banals et redondants de mon enfance au quotidien, pour

ainsi en faire usage dans l'élaboration d'un langage pictographique singulier et en faire donc

la voie vers laquelle je souhaite orienter mon art. En d’autres termes, considérer les faits

enfouis de quotidien pour en dévoiler une symbolique singulière et propre.

La recherche d'un langage pictographique, et de symboles graphiques significatifs

personnels inspirés de souvenirs, traces de mon enfance et de mon quotidien occupent une

place importante dans mon approche artistique ce qui suscite plusieurs questionnements

que j'aborderai en plus de détails au fur et à mesure de mon mémoire :

De quel ordinaire s'agit-il ?

À qui appartient ce quotidien?

Comment le langage pictographique peut-il représenter ce banal?

Comment ce banal peut-il devenir un langage significatif?

Comment singulariser un langage universel ?

2

Chapitre I : L’interrogation du banal

1. Retour dans un quotidien ordinaire

Vivre dans notre quotidien, subir et s'infliger une routine fait partie du train-train de la vie

quotidienne qui est riche en pratiques répétitives, monotones, insignifiantes, mais uniques

et propres à leur agent porteur. Ceci génère donc cette tendance d'imprimer à notre vie un

rythme cyclique qui fonde une redondance proche du banal. Celui- ci et l'ordinaire font

partie de la vie sociale, non seulement dans le quotidien, aussi, ils jouent un rôle de

médiateur entre les cultures et les sociétés.

Afin de mieux dresser le cheminement de mes idées, voici la signification des mots clefs

auxquels j’ai été confrontée le long de mon cursus dans mes deux corpus, et ma perception

de ceux-ci. Selon le dictionnaire et en second, ce que ces mots représentent pour moi.

Banal1: D’après le dictionnaire Larousse, banal est « tout ce qui manque d’originalité,

courant, ordinaire ». Dans le contexte de mon projet, et d'un point de vue personnel, c’est

tout ce qui se passe dans ma vie de tous les jours, et qui rentre dans un système de

répétition et de monotonie. Il s'agit donc des scènes et des moments de mon quotidien, et

puisqu'il est question ici de mon expérience personnelle, il s’agira de mon ordinaire au

quotidien lors de mon enfance donc au passé.

Sublimer2 : Par définition, sublimer signifie « transposer en quelque chose de pur, d’idéal ».

En ce qui concerne le contexte de mon sujet de recherche, sublimé ici, vient valoriser,

embellir et même redonner seconde vie à ces éléments banals et ordinaires de mon

quotidien. Le fait de choisir des moments archivés et délaissés de mon quotidien passé, de

mon enfance afin de les révéler sous un autre jour et sous un aspect graphique, représente

en soi pour moi, l'action de sublimer et valoriser mon ordinaire.

1 Banal. Dans le dictionnaire Larousse en ligne. Repéré à http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/banal_banale_banals/7767 (Page consultée le 21 Avril 2016) 2 Sublimer. Dans le dictionnaire Larousse en ligne. Repéré à http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sublimer/75056?q=sublimer#74203

(Page consultée le 21 Avril 2016)

3

Extraordinaire3 : Par définition extraordinaire, signifie « ce qui sort de la règle, de l’usage

ordinaire, de l’usage de l’ordinaire, qui n’est pas courant ; exceptionnel, inhabituel, qui

étonne par sa bizarrerie, son étrangeté, son originalité, qui s’écarte énormément du niveau

moyen, ordinaire ». Dans mon œuvre, l’extraordinaire n’est pas forcement traduit par du

bizarre ou de l’étrange, il est ici, cette action de privilégier les moments forts, mémorables

et que je suis sure de ne plus avoir la chance de revivre, et ce en immortalisant ceci dans

mon œuvre.

Pictogramme4 : Par définition, le pictogramme est « un dessin figuratif ou symbolique

reproduisant le contenu d’un message sans se référer à sa forme linguistique (cette forme de

réécriture se rencontre chez les Indiens d’Amérique, chez les Esquimaux) ». C’est aussi un

signe schématique normalisé et destiné à renseigner les voyageurs dans les réseaux

ferroviaires, les aéroports et à figer des objets sur une carte.

Dans mon œuvre, le pictogramme est d’évidence la forme graphique première de laquelle je

m’inspire pour la réalisation de mon langage visuel.

Celui-ci m’interpelle par sa forme, sa subtilité et sa force de transmission concentrée

uniquement sur son image, car contrairement aux autres formes graphiques et artistiques le

pictogramme est capable de diffuser un message, d’orienter sans superflus, ce qui justifie

en partie mon choix de cette forme graphique simple et ordinaire.

2. Entre deux versions

Je me penche vers ce qui est ordinaire, extraordinaire en même temps, avec un fort intérêt

pour tout ce qui peut avoir une signification secrète, symbolique et singulière de mon

enfance (objets, fétiches, souvenirs, évènements, lieux, symboles). Chacun de ces éléments

constitue une sorte d'empreinte naturelle spontanée, porteuse de signification et de sens à

découvrir.

3 Extraordinaire. Dans le dictionnaire Larousse en ligne. Repéré à http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/extraordinaire/32466?q=extraordinaire#32384 (Page consultée le 21 Avril 2016) 4 Pictogramme. Dans Dictionnaire Larousse en ligne. Repéré à http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/pictogramme/60760?q=pictogramme#60374

(Page consultée le 21 Avril 2016)

4

Le banal à mes yeux, se trouve principalement dans ces éléments-là, continus et communs

qui ont le privilège de rendre possible une appréhension d'un monde à condition de

percevoir, de ressentir ce qu'ils énoncent et de surtout comprendre le message qu'ils portent,

car c’est cette accumulation d’expériences communes et uniques à la fois qui constituent un

monde qui m'est propre, ce qui correspond au concept de versions de mondes de Nelson

Goodman. Dans son ouvrage intitulé Manières de faire des mondes, l'auteur aborde la

notion et les procédés de fabrication des mondes ou plus précisément, des versions de ces

mondes. Cette notion de monde est l'une des plus communes et des plus abordées par de

nombreux philosophes, entre eux: Nelson Goodman5 qui suggère que le monde

s’appréhende comme un groupe de symboles et de mots parmi plusieurs autres versions

possibles. D’après l’auteur, le monde n'est pas une donnée, il constitue plutôt une

construction qui change à travers les époques et les cultures de l'histoire humaine. Selon

Goodman, les philosophes, les scientifiques et les artistes sont partis prenante dans sa

conception. «Les mondes de la fiction, la poésie, la peinture, la musique, la danse, et tous

les autres arts, sont largement construits par des procédés non littéraux...comme partie

intégrante de la métaphysique et de l’épistémologie».6

Ces éléments-là doivent être considérés comme étant des mondes de découverte, de

création et d’élargissement de la connaissance au sens large d'avancement.

À travers mes lectures des extraits du texte, j'ai réussi à différencier les versions des

mondes et assimiler la théorie des symboles de Goodman, j’ai pu trouver une porte de sortie

qui m'a permis de simplifier ma compréhension. Selon Goodman, les mondes sont un

ensemble d'activités complexes qui peuvent prendre des formes scientifiques et artistiques.

Ces mondes existent en plusieurs versions qui ont des procédés de création différents. Mais

pour ce qui est de la version de l’auteur qui n'est qu'une version parmi tant d'autres, elle dit

que les mondes sont faits de symboles qui en quelque sorte éclairent la réalité.

5 GOODMAN, Nelson. (2002). Manières de faire des mondes. Nîmes, Jacqueline Chambon, pp.9-35 et 121-133-141. GOODMAN, Nelson. (2002). Manières de faire des mondes . Nîmes, Jacqueline Chambon, p133.

5

D’après Goodman, faire un monde n'a de sens de sens que si l'on améliore les versions du

monde qui se reconstruisent à partir des versions et des matériaux des mondes précédents :

«Pour faire un monde à partir d'un autre, il faut souvent procéder à des coupes sévères et à

des opérations de comblement à l'extraction véritable de vieux matériaux et à leur

remplacement par de nouveaux». Il est vrai que le texte de Goodman affirme qu'il existe

plusieurs versions des mondes, mais ces versions, sont-elles correctes ou incorrectes ?

J'ai choisi d'introduire cette citation pour la simple raison qu'elle illustre de façon simplifiée

la notion de la vérité chez l’auteur. «Dans la mesure ou une version est verbale et consiste

en des énoncés, la question de la vérité est pertinente. Mais la vérité ne peut être définie ou

testée par son accord avec le monde»7. Parmi les diverses manières dont sont faits les

mondes selon Goodman, on retrouve en partie dominante, le système de symboles.

Ces symboles peuvent être des mots, donc ce qui est dit, et ce qui est exemplifié et exprimé

de façon littérale dans le langage et aussi d'une façon métaphorique.

Ce qui m'a menée à comprendre, qu’une version de monde peut être en partie vraie quand

elle peut représenter ou dénoter certaines choses à l’exception des autres, Montrer et

exemplifier est en quelque sorte, les preuves de cette vérité. Mais existe-t-il vraiment un

seul monde qui soit vrai ? Comment peut-on en générer deux qui seraient en même temps

contradictoires et vrais tous les deux ?

J'ai tout de même retrouvé une petite contradiction qui m'a semblé intéressante en ce qui

concerne la diversité des mondes, car si l’on devait se conformer au fait qu’il n’existe en ce

moment qu’un seul monde, un monde dans lequel nous vivons, il faudrait forcément en

accepter d’autres, chose que l’on déduit de la notion de pluralité des mondes de Goodman.

C’est assurément la raison pour laquelle il choisit le mot «versions», car il me semble que

c’est une perspective qui permet d’observer quelque chose d’unique et pour laquelle aucune

perception des faits n’est jamais préférable à aucune autre. Le plus intéressant pour moi à

retenir en conclusion de cet ouvrage, c’est qu'il n’y a pas de vérité absolue sur les versions

des mondes, et que nous pouvons tous créer notre propre monde parmi toutes ces versions

existantes, ce que Goodman a fait, et que nous pouvons percevoir le monde de multiples

façons, à des moments différents et pour des buts différents. 7 GOODMAN, Nelson. (2002). Manières de faire des mondes. Nîmes, Jacqueline Chambon, p.26-30.

6

« Curieusement, notre passion pour un monde est alors satisfaite de multiples manières

différentes, à des différents moments et pour des buts différents ». Goodman ajoute «Tout

s'affecte et s’interprète pour faire un monde». Pour moi, c'est la phrase qui simplifie l'état

de ces deux mondes auxquels je suis confrontée. Dans ma version, le quotidien ne se dit

pas, ne se remarque pas puisqu'il se vit sans théorie sans calcul à distance.

Dans mon approche du quotidien8, les termes «quotidien» et «routine» sont considérés

comme synonymes de façon provisoire, car il m'importe par-dessus tout de les maintenir

éventuellement bien séparés. On tente de se représenter la vie quotidienne comme noyée

dans une succession de gestes usuels, d’évènements insignifiants dans un entassement

démuni de sens. Ce que l’on voit est une explosion de ces faits et actes du quotidien qui

nous entraine contre notre gré dans son cercle vicieux.

La définition du mot routine9 va comme suit: « L’habitude mécanique et irréfléchie qui

résulte d’une succession répétitive sans cesse ». Bien entendu le terme routine se compose

du mot route et peut être de roue, chose qui m'a interpelée et donc par definition: « C'est le

moyen qui rend possible la circulation en général, et dans ce cas, la circulation du temps

dans le quotidien ».

Si l'on se fie à la logique des choses et à la définition que l'on connait tous du quotidien, ce

phénomène aléatoire, c’est ce qui se passe quand rien ne se passe. Une description

ambigüe, mais qui je pense s’éloigne de l'aspect extraordinaire et dissimulé du quotidien,

car cette routine peut être bouleversée par un imprévu qui fait d'elle un évènement

exceptionnel. Aussi parmi les aspects que je cherche à représenter dans ma méthode c'est

que ce quotidien comme on le vit, sans imprévu peut être ordinaire et sublime à la fois.

8 GIANNINI Humberto. (1992). La réflexion quotidienne : vers une archéologie de l'expérience. Aix-en-Provence, Alinéa. 9 Routine. Dans Dictionnaire Larousse en ligne. Repéré à http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/routine/70117 (Page consultée le 21 Avril 2016)

7

«Le sublime du quotidien, c’est le quotidien accentué dans sa quotidienneté par

l’expérience esthétique. Pas de sublime, pas d'extraordinaire, sans passion esthétique

surtout sans enthousiasme.».10

Pour conclure, l’extraordinaire dans le contexte de mon sujet de recherche, est de

reconsidérer cet ordinaire et de le restituer sous une forme artistique et plus précisément un

langage graphique. En d'autres mots, il s'agirait aussi de le sublimer.

La vie dans notre quotidien est un échange constant de mouvements, d’expressions et de

faits qui constituent l’expérience monotone et aléatoire d'une communauté et la

transformation de ce qui est négligé et mis de côté, en le transformant en ce qui est

extraordinaire et donc lui donne un sens.

Ma focalisation sur ce quotidien consiste à montrer que celui-ci peut prendre un aspect

sublime et éminent dans la vie, lorsqu’il qu’il vient céder la place occasionnellement à

l'exceptionnel et à l'extraordinaire. Cette rupture et ce bouleversement du quotidien se font

par l'intrusion d'un fait sublime qui vient redonner de la couleur à ce qui demeurait aux

oubliettes.

La quotidienneté n’est pertinente dans la vie que parce qu’elle enchâsse le sublime. La

fracture du quotidien, la rupture de l’isotopie de la quotidienneté par l’éruption du sublime,

c’est ce qui constituera le quotidien et le sublime comme pôles d’une délimitation

réciproque. La saisie esthétique est constituée précisément par ce sentiment d’une rupture

dans le quotidien, celle qui engendre le plaisir du sublime. Le sublime du quotidien, c’est le

quotidien accentué dans sa quotidienneté par l’expérience esthétique.11

On en déduit donc que la sublimation du banal est l'action d'ennoblir, de transcender ce qui

est anodin, insignifiant en lui donnant une seconde vie. Ce qui m’intéresse dans cette

seconde vie, c’est de libérer cet ordinaire, ce commun voué à la disparition, de son inutilité 10 PARRET Herman. (1988). Le sublime du quotidien. Paris : Hadès ; Amsterdam ; Philadelphia : Benjamins, p. 17, 24. 11 PARRET Herman. (2007) «Phénoménologie et critique du quotidien et du sublime», ACTES SÉMIOTIQUES [En ligne] n° 110. Disponible sur : http://epublications.unilim.fr/revues/as/1534 (Page consultée le 18 Mai 2016)

8

et de le représenter dans un langage artistique et visuel, ce que j'expliquerai en plus de

détails dans ma méthode.

Pour moi, le sublime dans le quotidien est donc l’initiation d'un fait inhabituel, marquant de

son vécu, qui vient prendre place dans notre quotidien pour en faire partie. Celui-ci peut

évidemment l’être à nos yeux, mais pas obligatoirement aux yeux des autres. Cependant, je

me contenterai de décrire ma version modeste de ce qu’est mon monde, et que je souhaite

partager et transcrire en langage symbolique significatif, porteur de souvenirs d'enfance, de

traces et d’évènements marquants de cet ancien quotidien, une version d'un monde auquel

j’appartenais des années en arrière, mais qui reprend forme à travers mon langage dans ma

démarche artistique.

Dans tous les domaines, l'homme est porteur d'une expérience personnelle, mais il est aussi

sans le savoir, porteur d'une expérience collective et historique à laquelle participent sa

culture, ses racines, ses mœurs et ses traditions. Dans ma méthode, il s'agit en fait d'une

fusion entre deux mondes, deux versions, qui ont plusieurs éléments en commun qui

interagissent entre eux, pour finalement se combiner dans un monde homogène. Le facteur

dominant dans ma version du monde, et duquel je compte me servir dans ma pratique, est

l'accumulation de deux cultures complètement opposées, je parle ici de la culture marocaine

à laquelle j'appartiens et de la culture québécoise que je ne cesse de connaître et de

découvrir aujourd’hui en figeant le tout dans des archives : photographies, films qui

retracent des moments de mon quotidien dans les endroits dans lesquels j'ai vécu dans la

ville de Québec.

Chaque lieu ayant porté les traces de mon passage viendra ainsi revivre dans un quotidien

présent, qui à son tour vient donner naissance à mon propre langage visuel graphique.

Toutefois, rendre visibles ces faits semblant ordinaires, qui me sont significatifs et

symboliques, sont selon moi l'élément indispensable pour aboutir à ce langage. Ceux-ci

peuvent nous mener vers une connexion de sens, de codes et d'émotions objectives, dans la

structure des faits de mon enfance dans un quotidien antérieur.

C'est en fait la division de deux mondes. Si l'on utilise le mot «monde» dans son vrai sens,

en guise de repère géographique, on y trouve effectivement deux mondes. Le premier

9

duquel je viens et dans lequel j'ai grandi avec tous ses richesses, souvenirs, coutumes et

évènements. Le second, dans lequel je demeure actuellement, qui à son tour me permet de

me servir des éléments de mon monde antérieur afin de les combiner à mon monde pour en

faire usage pour la création de codes et de symboles propres.

Chapitre II : À la recherche d'un langage symbolique

1. Signes et pictogrammes

Dans notre environnement quotidien, nous percevons un grand nombre de signes de toute

nature. Ceux-ci s’entremêlent dans des compositions verbales et non verbales symboliques

et iconiques, où l'on voit se côtoyer le publicitaire, l'informatif, l'injonctif et le ludique. Le

langage pictographique en fait partie.

S’intéresser aux pictogrammes, c’est s’intéresser à ce qui dans ces mondes multiples, relève

du graphique, de l'intentionnel et non du publicitaire ou du ludique. Ce qui m'interpelle

vraiment dans le langage pictographique, c’est le fait qu'il soit fondé sur la nature de la

réception : si en face d'un dessin, on peut s'attarder à regarder, on peut tenter d'interpréter la

forme, les couleurs, deviner le message, les intentions de celui qui l’a créé et surtout de le

décoder.

Selon moi, le pictogramme est le vecteur d'un message bien précis et étudié, mais avant de

jouer son rôle informatif et indicateur, celui-ci est avant tout dans sa nature un signe

iconique. Ce signe est adressé à une personne, c’est-à-dire qu'il peut créer dans l'esprit de

celle-ci, un signe équivalent ou peut être un signe plus développé. Celui-ci est tracé, dessiné

spécifiquement et intentionnellement dans le but de transmettre à celui qui le perçoit un

message défini à l'avance. Aussi, le fait qu'il combine les caractéristiques du dessin et de

l'écriture en même temps, répond pleinement à mes attentes envers mon œuvre.

Le lecteur fait intervenir son imagination lorsqu'il interprète un pictogramme, celui-ci

verbalise ou non, un énoncé qui correspond au message que veut véhiculer ce pictogramme.

Avant d’approfondir ce type de langage graphique, il me parait important de survoler

l'histoire du pictogramme.

10

Généralement, la description standard que nous connaissons du pictogramme, est qu'il sert

globalement à la signalétique et à orienter dans l'espace réel ou communicatif comme à titre

d'exemple, l'internet. Habituellement, le pictogramme combine un ensemble d'informations

à lui seul. En un seul symbole visuel, le message est acquis, ce qui permet de diminuer la

quantité d'informations transcrit sur un panneau. Les textes accompagnant devront varier

selon les langues et les zones d'affichage.

En ce qui me concerne, et vu mon fort intérêt pour les pictogrammes, je m'y vois confronté

tous les jours, dans n'importe quel contexte, durant mes journées à l'atelier, pendant mes

pauses café, dans le bus et la liste peut être bien longue. D’après la définition que j’ai

introduite, le pictogramme est un symbole, une icône qui englobe plusieurs codes et

significations dans le but d'orienter et de situer la personne s'y référant, il s'agit ici de son

usage normal et habituel.

Dans mon œuvre Picto-moi , le pictogramme garde toujours son aspect informatif, en plus

de représenter l'histoire de mon enfance et de mon quotidien ordinaire et de prendre une

tournure plus symbolique et narratrice. Celui-ci constitue la base de mon langage personnel

stylisé, portant des significations et émotions en liaison avec une variété d'évènements qui

se sont déroulés durant mon enfance.

Le pictogramme, quelle que soit sa forme, sa nature graphique et symbolique, est

finalement interprété et décodé de la même manière par des personnes ayant une culture, un

âge ou même une langue différente dans les quatre coins du monde :il est donc un langage

universel. Ces dernières décennies, on est de plus en plus témoins du rôle que prend le

pictogramme dans les échanges internationaux, et de leur utilisation croissante dans la

communication. Nous sommes confrontés à une langue universelle spontanée, une langue

basée sur l’icône, le geste et l’image, indépendantes de langues orales. C’est bien pour cette

raison que l’essor actuel des pictogrammes qu’on peut remarquer dans les aéroports, les

gares, ou sur les autoroutes, se récompense par la compréhension universelle du lecteur dés

qu’il est en contact avec le pictogramme, même s’il est « tout seul », celui-ci est souvent

présenté dans un contexte déterminé, ce qui joue un rôle important dans son interprétation.

« L'importance des symboles dans le contexte n'a jamais été plus clairement montrée que

11

lorsque nous avons couru un test spécialement conçu à une école maternelle. Un dessin du

crâne et des os croisés a été affiché à un groupe de trois ans. "PIRATES!" ils ont crié. Mais

quand je dessinais le contour d'une bouteille autour du symbole, ils ont immédiatement crié

‘POISON’! ».12 Dans ces environnements, il est important que la lecture et la traduction de

ces pictogrammes dans l’esprit du lecteur se fassent avec le moins d’ambigüité possible et

plus d’intuition, car ils ciblent l’universalité. Leur interprétation doit donc se faire de façon

directe, fluide et sans une longue réflexion.

Mon immersion dans ce monde de langages singuliers et universels me conduit vers des

questionnements sur la différence entre ces deux langages: Dans quelle mesure ce qui est

individuel peut être universel? Quel est le rapport entre l'universel et l'individuel dans mon

langage ?

Picto-moi lui aussi semble figuratif, mais contrairement au pictogramme de signalisation il

se veut ambigu, intime, narratif et poétique. Picto-moi est un langage individuel sous

l’aspect d’un langage universel qui raconte une histoire, expose un ressenti, des émotions et

des souvenirs condensés dans un ensemble d’illustrations dont seule l’auteure (moi)

possède la légende de lecture. Ici, je n’ai posé ni normes ni restrictions pour la réalisation

de ce langage, seule ma mémoire et mon cœur guidaient ma main dans le dessin. Les

archives que j’avais en ma possession représentaient l’aspect tangible de mon langage

durant sa réalisation certes, mais tout était guidé par mes émotions et par le bonheur que je

ressentais à enrichir mes illustrations de ce cumul de sentiments et de souvenirs, pour

ensuite les partager avec le public et que celui-ci puisse à son tour se mettre dans le bain de

mon langage.

« Dans les langages universels, il est souvent très difficile de savoir à l’intérieur de quelle

dimension un signe fonctionne principalement ; de plus, les différents niveaux de référence

symbolique ne sont pas clairement indiqués. Par conséquent, de tels langages sont ambigus

et donnent lieu à des contradictions explicites ».13Je qualifie d'individuel, ce que je révèle

dans mon langage: ma personne, ma famille, ma culture et tout ce qui me concerne de près

12 DREYFUSS, Henry. (1972). Symbol sourcebook. New York: McGraw-Hill.

13 MORRIS, Charles. (1974). Fondements de la théorie des signes. France: Didier Larousse, p.33.

12

ou de loin, ce qui donne à mon langage une fonction singulière ou en d'autres termes:

« intimiste ». Selon le dictionnaire de langue française Larousse, « intimiste se dit d’un

écrivain, d’un poète, qui exprime les émotions les plus discrètes, d’un peintre qui peint des

scènes d’intérieur de caractère profond, ou qui exprime une vision intime ».

Pour ma part, dans le contexte de l’œuvre intimiste, Sophie Calle est l’incarnation de cet art

par excellence. Cette artiste française connue pour avoir fait des moments les plus intimes

de sa vie, une œuvre à travers des photographies, des lettres, des livres et des performances,

représente pour moi une grande influence qui rejoint la fonction de mon langage

visuel Picto-Moi. « Prenez soin de vous14 », est l’une des œuvres de Sophie Calle qui m’a

le plus marquée et accompagnée dans ma démarche. Au cœur de cette œuvre, on retrouve

un échange constant entre l’art et la vie, soi et le public, ce qui en fait un vrai dialogue et

non pas une exposition narcissique et égoïste de l’artiste. Elle raconte ses expériences

intimes personnelles, certes, mais ce, en interaction avec l’autre pour le mettre dans le

contexte de l’œuvre par l’interprétation des secrets qu’elle révèle.

Son œuvre se présente sous l’aspect d’une vraie lettre, une lettre de rupture amoureuse

écrite par un certain G, qui semble apparemment l’initiale du nom de son amant, et des

interprétations de ces 107 femmes qui à leur tour commentent, expliquent et décortiquent

cette lettre pour Sophie. Le concept de cette œuvre consiste à faire lire cette lettre par 107

femmes célèbres et inconnues du public, en se glissant dans la peau de l’artiste pour ensuite

réagir, comprendre, commenter et interpréter de toutes les façons possibles. Toutefois, j’ai

eu un grand plaisir à découvrir ce livre qui pour moi semblait plus un livre-objet qu’un

simple livre d’auteur autant par ses propos touchant et troublant que par son côté drôle par

moment.

J’ai reçu un mail de rupture. Je n’ai pas su répondre. C’était comme s’il ne m’était pas

destiné. Il se terminait par les mots : “Prenez soin de vous”. J’ai pris cette recommandation

au pied de la lettre. J’ai demandé à 107 femmes, choisies pour leur métier, d’interpréter la

14 CALLE, Sophie. (2007). Prenez soin de vous. Arles (Bouches-du-Rhône), Actes du sud.

13

lettre sous un angle professionnel. L’analyser, la commenter, la jouer, la danser, la chanter.

La disséquer. L’épuiser. Comprendre pour moi. Répondre à ma place. Une façon de

prendre le temps de rompre. À mon rythme. Prendre soin de moi. 2007 – Calle, Sophie.

Dans ce contexte, ma volonté de dévoiler à mon tour et de partager de manière nuancée tout

en étant discrète, mes pensées, les actes et les mémoires les plus secrets de mon enfance

avec le public, lui attribuent systématiquement le statut de l'universel.

Ce langage universel est lu et perçu d'une même manière quelle que soit la personne et quel

que soit le lieu ainsi que je l’ai mentionné. Ce langage incarne, tous les détails, les dates, les

lieux, même les noms et les objets ayant joué un rôle capital dans la création de ce petit

monde qui m’appartient. Ce langage pictographique prend le rôle du narrateur dans une

histoire. Narrer l'histoire de mon quotidien codé à travers des symboles figuratifs portant

mon identité, ayant pour but de sublimer l'ordinaire. Sa stylisation et sa représentation dans

un langage individuel en font un acte de sublimation de l'ordinaire selon moi, car celui-ci

peut l’être à mes yeux, mais pas aux yeux du public comme ça peut être tout à fait le

contraire.

Il est vrai qu'il peut être contradictoire de dire que l'ordinaire peut être sublimé, mais pour

moi, le geste de dévoiler un ordinaire aux yeux d'un public dans un contexte ordinaire

diminue cette caractéristique et peut même en faire une œuvre d'art, ce qui est ma vocation.

Comme toute œuvre, il est important pour moi, d’afficher mon œuvre aux yeux du public,

pour susciter leurs interprétations et leur interaction avec celle-ci.

Picto-moi étant un langage singulier, donc portant la trace de ma double culture, le

spectateur sera confronté à des symboles qui seront nouveaux, inconnus et peut être bien

étranges dans ce langage. Puisque dans ce langage il s'agit de moi et de mon quotidien, le

lecteur aura besoin d’un descriptif, ou ce que je préfère nommer : légende de lecture. Celle-

ci aura pour fonction de mieux cerner la lecture de ce langage visuel, tout en gardant

l’ambigüité et le mystère de ces symboles. Ceci peut créer un jeu d'interaction entre le

lecteur et le langage lui-même, car celui-ci, éveillera sa curiosité et le poussera à une forte

réflexion, et aussitôt, le fera s’imprégner dans mon histoire.

14

2. Langage symbolique et isotype

Avant toute œuvre ou même une pratique artistique, nous nous trouvons souvent confrontés

à un ensemble d'influences, d'artistes, de documents de tous genres utiles à notre réflexion,

et très bénéfiques pour l'enrichissement de notre corpus artistique. Ici, je ferai connaître les

artistes, les designers et les théoriciens qui par leurs recherches et œuvres, participent au

bon développement de ma recherche et de mon approche artistique.

Otto Neurath, philosophe et sociologue autrichien, est l’une des figures importantes du

cercle de Vienne. Il s’intéresse à l’économie, à la politique et à l’histoire. Il est l’un des

rédacteurs du texte « La conception scientifique du monde », célèbre sous le nom de

Manifeste du cercle de Vienne15. On lui attribue également l’invention de l’isotype

(International System of Typography), principalement appelé « méthode viennoise », qui

fut une tentative de combiner des images succinctes et une sélection de mots. L’isotype est

le pionnier des pictogrammes, les symboles que j’ai mentionnés dans les chapitres

précédents de mon texte. Dans ce système, on retrouve des milliers de pictogrammes créés

en majorité par le graphiste Gerd Arntz qui symbolisent des informations de nature

politique, démographique, industrielle ou économique. L’objectif premier du langage

isotype, était de surmonter les barrières de la langue et de la culture, aussi, d’être interprété

sur le plan universel.

Otto Neurath et Gerd Arntz16 dans leur collaboration ont conçu des pictogrammes en

combinaison avec des cartes et des diagrammes stylisés. Neurath, à travers ces illustrations,

a tenté toutes sortes de variations et de compositions qu’il rajoutait à ses symboles pour

adapter leur contenu spécifique à la situation sociale dans laquelle il vivait à ce moment.

Gerd Arntz, sous les commandes d’Otto Neurath créa le dictionnaire visuel d’isotype

composé de plus de 4000 symboles, ayant pour but de combler les différences, de la langue

et surtout de transmettre le message à travers leur contenu.

15 Le Manifeste du Cercle de Vienne est un texte historique et programmatique de Rudolf Carnap, Hans Hahn et Otto Neurath, publié en 1929, qui décrit les missions philosophiques, scientifiques et politiques de la conception scientifique du monde adoptée par les membres du Cercle de Vienne. 16 ARNTZ, G. (2016). Gerd Arntz | Gerd Arntz Web Archive. [en ligne] Gerdarntz.org. Repéré à:

http://www.gerdarntz.org/content/gerd-arntz#isotype [consulté le 21 Aug. 2016].

15

À partir des années trente, Neurath cherche à exploiter l'isotype en vue d'en faire un

médium de communication universel ayant comme devise: « Les mots divisent, les images

unissent ». Alors directeur de l'International Foundation for Visual Education, il applique

les principes de ce langage dans Modern Man in the Making17, un volume illustré de

graphiques montrant l'évolution des modes de vie entre divers moments du passé et la

modernité: espérance de vie, chômage, flux migratoires, densité urbaine, consommation,

etc .

17 BURKE, Christophe., KINDEL, E. and WALKER, S. (2013). Isotype. London: Hyphen Press.

16

Figure 1: Modern Man in the Making (AA Knopf, 1939).

Figure 2: Gerd Arntz, 1928-1965.

17

Figure 3: Otto neurath, image extraite de Gesellschaft und Wirtschaft publié en 1930.

Figure 4: Isotypes Gerd Arntz, image extraite de Gesellschaft und Wirtschaft publié en 1930.

18

Dans le groupe d’artistes qui ont participé à l’évolution du langage isotype, Marie

Reidmester, épouse d’Otto Neurath née en 1898 ,collabore à son tour avec Neurath à

l’évolution d’isotype,et ce dans l’essai Le transformateur. Marie Neurath fut la principale

transformatrice de ce système avec son époux dans les équipes qui ont réalisé des

affichages graphiques de l’information sociale.

Figure 5: La merveille du monde de la nature: Trop petit pour voir; par Marie Neurath (Max Parrish, 1956) l'Isotype Collection Otto & Marie Neurath.

Figure 6: « Le transformateur »principes de création des diagrammes isotype.

19

Robin Kinross, auteur et éditeur de livres de graphisme et de typographie, contribue à

plusieurs livres et écrits, notamment Le transformateur 18 avec Marie Neurath dont il est

question ici. Leur ouvrage est une présentation condensée des notions fondamentales du

travail de création et de transformation des diagrammes isotype.

Aussi, dans l’ampleur du langage isotype on retrouve William Playfair, ingénieur et

économiste écossais, l'un des pionniers de la représentation graphique de données

statistiques. Connu pour son invention de l'histogramme qui est une représentation

graphique, dans laquelle des barres superposées de différentes longueurs permettent de

comparer les époques dans lesquelles vivaient des personnes variées, qui est considéré

comme étant le pionnier de la présentation graphique de données statistiques, en affichant

au 18e siècle, les tableaux d’arithmétique linéaire. Dans l’ouvrage, Kinross nous explique

que deux éléments sont alors importants à l’époque : « l’affichage des images rendu concret

et possible grâce aux nouvelles techniques d’impression, ainsi que l’évolution de la

statistique en tant que moyen de recherche et de connaissance »19.

De ce fait, si l’attachement pour les statistiques graphiques d’Otto Neurath et de ses

principaux collaborateurs, son épouse Marie Neurath et le graphiste Gerd Arntz, n’est pas

complètement récent dans les années 1920, leurs travaux cependant sont très créatifs et

originaux. Ces trois artistes se rejoignent donc autour d’un seul et même objectif : « les

diagrammes ne doivent exclure personne et offrir plusieurs niveaux d’interprétation,

inscrits dans une perspective de communication visuelle humaine »20.

18 NEURATH, Marie., KINROSS, Robin. and SUBOTICKI, Damien. (2013). Le transformateur. Paris: B42. 19NEURATH, Marie., KINROSS, Robin. and SUBOTICKI, Damien. (2013). Le transformateur. Paris: B42. 20 NEURATH, M. (2016). strabic.fr. [en ligne] Strabic. Repéré à: http://strabic.fr/ [Accessed 21 Jan.2015].

20

Figure 7: Série chronologique du déficit du commerce extérieur, publiée par Playfair dans son Commercial and Political Atlas de 1786.

Enfin, sur la même voie de Neurath, Jan Tschichold21: typographe allemand et auteur qui a

tenu un rôle majeur dans l’évolution de la conception graphique et la typographie au 20e

siècle, aussi connu pour son article fondateur Elementare Typographic, se consacre de 1927

à 1929 à la création de polices de caractères. « Il créa de nouveaux symboles pour

simplifier la notation allemande qui contient de nombreux multi graphes, des indications

sur la prononciation sont intégrées par exemple le marquage des voyelles longues,

composées en une seule graisse, sans capitales et sans empattements. Tschichold fait partie

des artistes qui ont réalisé des projets similaires sur plusieurs points des problématiques que

débattait Isotype. »22

21 TSCHICHOLD, Jan (2016). Jan Tshichold Biography - Infos - Art Market. [en ligne] Jan-tschichold.com. Repéré à: http://www.jan-tschichold.com/ [Accessed 12 Nov. 2015]. 21 TSCHICHOLD, Jan. (2016). La typographie asymétrique de Jan Tschichold - Typographisme. [en ligne] Typographisme.net. Repéré à: http://typographisme.net/post/La-typographie asymétrique-de-Jan-Tschichold [Accessed 14 Nov. 2015].Tshichold, J. (2016). Jan Tschichold Biography - Infos - Art Market. [en ligne]

21

Voici ci-dessous quelques exemples des typographies de Tschichold.

Figure 8: Sabon, caractère remplis de Jan Tschichold.

22

Chapitre III : Méthode

1. Archives et livres d'artistes

Dans ce volet, je mets le doigt sur mon intérêt pour les archives afin de montrer comment

cela se traduit dans ma pratique artistique, ainsi que quelques artistes qui ont axé leur

recherche et leurs œuvres vers ce créneau que l'on nomme l'archivistique. L'archive dans

ma pratique joue un rôle primordial, car c'est à partir de celle-ci que je procède à la création

de mes pictogrammes et surtout, car elle fige un ensemble de mémoires et d’évènements

qui ont marqué ma vie, que je souhaite convertir en symboles visuels.

Avant toutes choses, je cite ci-dessous les définitions des mots archives et archivistiques.

Par définition « l'archive23 est l'ensemble de documents hors d'usage courant, mais classés

et conservés pour une consultation éventuelle, dans une entreprise ou chez un particulier ».

Quant à l'archive en art, celle-ci prend de plus en plus place dans les pratiques d'artistes

contemporains et d'artistes en général. Ceci se fait par le biais de la présentation de traces

de la part de l'artiste tels que des photos, des vidéos et des textes, traduits sous forme de

sites internet et de livres d'artistes.

C’est une forme à laquelle je m’intéresse personnellement et de laquelle je ferai usage dans

la présentation finale de ma pratique artistique. Durant mon cursus artistique, il m'est arrivé

d’être confrontée aux livres d'artistes, mais sans pour autant avoir l'occasion d'approfondir

ce concept, de connaître les artistes ayant pris cette forme comme image de leurs œuvres ou

même l’exploiter. Dans mon oeuvre, le livre d'artiste fait maintenant partie prenante de ma

pratique artistique, et en particulier de la présentation finale de ma maitrise. Le choix de

cette forme de présentation est à la fois spontané et étudié. Selon moi le livre d'artiste ou

dirais-je "mon livre d'artiste" est un mariage harmonieux de mon art, mon œuvre, mes

pictogrammes et les souvenirs qui me portent et se traduisent en mots et en textes. Une

forme qui pour moi, conserve le lien au livre par sa forme, ses illustrations et son texte sans

en aucun cas perdre sa fonction initiale et sa forme authentique. Aussi ce qui fait mon

attrait à celui-ci est que c'est l'artiste en personne qui se charge de la mise en page des 23 Archive. Dans le dictionnaire Larousse en ligne. Repéré à http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/archive/5088?q=archive#5063

23

illustrations, de la composition du texte s'il y a lieu et même du choix du papier donc, de la

réalisation complète du livre dépendant de ses moyens. Cet acte de simplicité à mes yeux,

rapproche le livre d'artiste ou plus amplement l'art, des domaines de la vie. Il est pour moi

le moyen d'exprimer et de refléter notre amour pour l'image et le mot et briser ces barrières

que j'ai toujours installées entre le livre et moi. Lorsque je parle de barrières, je renvoie à ce

sentiment de fardeau que j’éprouvais étant jeune pour le livre. Le simple geste de l'ouvrir et

de faire défiler les pages me semblait cru et fade. Le livre d'artiste aujourd’hui, me libère de

ce fardeau et laisse libre cours à mon instinct artistique. En puisant dans le monde du livre

d'artiste, j’ai pu constater une forme plus distinguée et plus rapprochée de l'image que je me

fais de ma présentation finale : le livre objet.

Selon Anne Moeglin Delcroix24, professeur de photographie d'art à l'université de Paris qui

fut l'auteur de plusieurs écrits autour du livre d'artiste, celui-ci est apparu plus précisément

aux États-Unis en 1963 sous la forme de Twentysix Gasoline Stations d'Edward Ruscha25,

qui est un livre essentiellement composé d'une série de vingt-six photographies en noir et

blanc, sans aucun texte excepté quelques brèves légendes qui se contentent d’identifier les

photographies. Le tout constitue un ensemble significatif de ce que l'on viendra nommer un

peu plus tard «le livre d'artiste». En France, l'un des premiers livres d'artistes a été imprimé

en offset en 1969 par Claude Givaudin qui métamorphose le livre en un moyen

d'expression artistique à part entière.

24 MOEGLIN-DELCROIX, Anne. (1997). Esthétique du livre d'artiste. Paris: J.-M. Place, p.135. 25 RUSCHA, Ed. (2014). Twentysix gasoline stations. New York : Aperture Foundation.

24

Figure 9: Twentysix Gasoline Stations,Edward Ruscha 1963.

Parmi les pionniers du livre d'artiste que j'ai choisi de citer dans mon mémoire se trouve

Edward Ruscha26. Selon l’encyclopédie Universalis, Ruscha est un artiste et réalisateur

américain né en 1937, qui mène une carrière dans les arts appliqués, qu’il délaisse

progressivement, pour devenir l’un des éléments majeurs de la jeune scène californienne.

En 1962, à la suite de plusieurs voyages en Europe et à New York, Ruscha décide de

reprendre sa carrière d’artiste en participant à une exposition collective au musée de

Pasadena. Il est connu pour ses peintures et dessins incluant des mots ou des phrases,

principalement pour ses livres d'artistes qui ont marqué l'histoire de l'art des années 1960 à

la fois dans le pop art et l'art conceptuel.

Revenons ici à une autre caractéristique du livre d'artiste qui me captive : l’ordinaire. Il

dégage un aspect ordinaire, proche en apparence de la fabrication industrielle du livre qui a

toujours fait partie de notre quotidien.

Réalisé à l'aide de techniques en l’occurrence moderne telle que l'offset, le tampon et les

photocopies, des techniques très communes employées dans l’édition courante qui

26 VERHAGEN, Edward. (2016). Encyclopédie Universalis. [en ligne] Universalis edu.com.acces.bibl.ulaval.ca.Repéré.http://www.universalisedu.com.acces.bibl.ulaval.ca/encyclopedie/ed-ruscha [Consulté le 4 Jul 2015].

25

s'assemblent dans un format modeste, le tout est confectionné par l'artiste lui-même. Ceci

nous amène à placer cette production ou en d'autres termes, cet objet de création dans la

catégorie de l’autoédition. L'autoédition est caractérisée par le fait de produire et de diffuser

soi-même ses ouvrages sans passer par l’intermédiaire d'une maison d’édition, une raison

supplémentaire qui justifie de plus en plus mon intérêt pour le livre d'artiste et de choisir

cette forme pour présenter mon langage.

Dans les lignes précédentes, j'ai mentionné l'intervention de l'artiste dans la création du

livre d'artiste dans tous ses détails, on parle donc de l'apparition du phénomène de

l'autoédition dans l'art. De mon point de vue, ce phénomène qui caractérise le livre d'artiste

fait de son auteur ou de son artiste le seul maître d’œuvre, car celui-ci est aux petits soins et

décide de l'intervention de chaque élément dans son œuvre.

L’élément de distinction que l’on peut remarquer dans le livre d'artiste est que celui-ci étant

complètement une œuvre d'art, il est révélateur de la place prise par le langage dans les arts

plastiques contemporains et de la fusion entre ces deux moyens d'expression. En prenant du

recul tout en bannissant les règles du texte et de l'image, le livre d'artiste prend un rôle ne

serait-ce que minime, dans la révélation et l'émergence d'un nouvel art à la portée de tous,

et surtout sans n'être réservé qu'aux spécialistes tels que les poètes et les peintres, attirant

photographes, musiciens et biens d'autres créateurs issus de différentes cultures, et dotés de

visions différentes, chose qui justifie pleinement mon attachement au livre d’artiste.

Dans la lignée des artistes qui ont choisi ce médium comme moyen de présentation de leurs

œuvres, Pierre Leblanc27 vient attirer ma curiosité par son livre-objet Sur les traces du non-

poème et de Gaston Miron. Pierre Leblanc est un sculpteur canadien né en 1949, a participé

à plus de 400 expositions.

Trois livres d’artistes et plusieurs gravures font partie des collections de la bibliothèque

nationale du Québec et la bibliothèque nationale du Canada. Leblanc est surtout célèbre

pour ses œuvres monumentales et pour sa contribution à l’art public.

27 LEBLANC, Pierre. (2013). Pierre Leblanc Sculpteur. [en ligne] Pierre Leblanc Sculpteur. Repéré à:

http://pierreleblancsculpteur.com [consulté le 25 Août 2015].

26

Venons-en à ce livre d’objet dont il est question ici, Sur les traces du non-poème et de

Gaston Miron, une œuvre qu’il a créée dans le but de rendre hommage au poète et de

témoigner de l’influence de cette rencontre sur sa vie. Celui-ci se présente sous forme d’un

coffret portant quatre tiroirs dans lesquels l’artiste superpose divers portraits de Miron, des

photographies en noir et blanc avec ses amis, des dessins, des photomontages, des textes et

des objets regroupés dans le coffret en fonction de différentes thématiques : le foyer du

poète, sa jeunesse, les membres de sa famille et son art. L’artiste a établi un lien volontaire

entre chacune des parties de son livre-objet afin de favoriser sa compréhension par le

lecteur dans le contexte de l’œuvre.

L’examen des conditions d’utilisation des archives ne serait pas complet si nous omettions

de considérer le rôle du lecteur – spectateur, auditeur, internaute, etc. – selon les

circonstances. Nul ne doute que celui-ci contribue autant qu’il reçoit. Le lecteur joue un

rôle actif. Il établit des liens. Il construit sa réception et, ce faisant, il complète la

proposition de l’artiste, et lui donne sens. À ce propos, la configuration même du livre-

objet de Leblanc oblige le lecteur à manipuler des différentes parties et à les relier

intellectuellement entre elles afin de découvrir et d’en apprécier le contenu. L’objectif de

l’artiste n’est pas simplement d’illustrer la vie de Miron, mais aussi de donner les moyens

au lecteur d’aller, tout comme lui, à la rencontre du poète. Dans ce contexte, les images

font plus qu’informer ou témoigner : elles suscitent une émotion chez le récepteur. C’est là

une dimension des archives qui, malgré son rôle indéniable, demeure méconnue.

27

Figure 10: Livre-objet « Sur les traces du non-poème et de Gaston Miron ».

Val-David, Québec, éditions du Discours, 1995. Tirage limité à 16 exemplaires. 53 X 43 X 28 cm.

28

2. La construction d’une œuvre intime

Revenons à la fameuse découverte de mon enfance, que j’ai abordée au tout début de mon

mémoire qui n’est autre que le porte-document accordéon de mon père. Ce fut à l’époque et

encore aujourd’hui, une infinie source d’inspiration autant imprévisible par son contenu

comme par sa forme extérieure.

Dans le passé, celui-ci servait de classeur pour ranger de la paperasse et tous les documents

qui pouvaient trainer ici et là. Aujourd’hui elle révèle toute une saison de ma vie chargée

d’émotions et de rêves qui viendra finalement donner naissance à Picto-moi dont il est

question dans ce mémoire. Ce porte-document intervient une seconde fois car il m’inspire

la forme et l’aspect que prendra peu à peu mon livre-objet. Celui-ci est une forme du livre

d’artiste et aussi le médium que j’ai choisi afin de présenter et contenir mon langage. Ce

livre-objet se rapproche fortement de l’aspect merveilleux et poétique de la boite à

merveille, car c’est lors de son ouverture que nait la surprise. De par sa forme et sa

composition, ce livre est à la fois une œuvre d’art et à la fois vecteur de cultures et de

symboles. Il se présente sous forme d’une boite dont les dimensions sont de six centimètres

de hauteur et de dix-neuf centimètres de largeur et fabriquée en bois de thuya (Figure 11).

Le Thuya est un bois célèbre du Maroc et plus précisément typique de la ville d’Essaouira,

nommé plus communément dans la langue arabe «À,rar»,c’est un bois qui s’adapte

parfaitement à l’artisanat. Il est cependant, le plus souvent utilisé dans la confection

d’objets décoratifs plutôt qu’utilitaires. En effet, on le connaît le plus souvent sous forme de

caisses, de boites à bijoux, de plateaux décoratifs, et même aussi sous forme de tables

ornementales que l’on nonne «tayfour» utilisées dans les cérémonies traditionnelles

marocaines en l’occurrence, les fêtes de mariages et de henné.

La raison pour laquelle ce bois n’est exploité qu’en artisanat est que la taille de ses racines

ne permet pas de le manier dans les grandes structures et donc ne permet qu’aux artisans de

l’utiliser et non les ébénistes. Certaines sources du milieu artisanal et décoratif marocain

que j’ai eu la chance de connaître dans l’un des marchés de marqueterie artisanale «le

houbous», situé dans la ville de Casablanca m’ont offert l’opportunité d’entrer en contact

avec la matière et par l’occasion de m’expliquer ce qui fait la rareté de ce bois et pourquoi

celui-ci est indispensable dans toutes les maisons marocaines. Dans l’artisanat, cette

29

spécialité de créer des objets décoratifs est connue sous le nom de marqueterie artisanale et

se décline sous diverses formes : boites à bijoux, tables d’échecs, vases, pots etc.…

La table est la forme de marqueterie la plus répandue et fréquente dans toutes les maisons

du Maroc. La table en bois de thuya est l’objet le plus répandu et indispensable dans le

foyer de chaque marocain, qu’il soit dans son pays ou à l’étranger, c’est l’objet artisanal

parmi tant d’autres qui rappelle nos origines et notre culture. Aussi, il existe un de ces

objets célèbres que l’on aperçoit depuis notre plus jeune âge, toujours au même endroit

dans un coin de notre salon, précieusement gardée sur une de nos belles tables : la boite à

bijoux en bois de thuya. Cet objet est pour moi, un héritage du patrimoine et de la famille

qui aujourd’hui dévoile ses trésors. Selon son appellation, la boite à bijoux vient contenir

logiquement des bijoux, des objets précieux, mais aussi des archives qui elles, valent de l’or

à mes yeux; la raison pour laquelle je l’ai choisie pour contenir mon langage visuel et donc

prendre la forme de mon livre d’artiste.

Figure 11: Photo de marqueterie artisanale. http://www.artisanat-du-sud.com/fr/28-marqueterie-

essaouira

30

3. « Picto-moi » dans une boite

Bien entendu, dès le tout début de sa création, mon projet porte une forte attention sur mon

personnage, mon entourage, mon langage et bien évidement ma double culture. Rien de

plus précieux et de plus valorisant que le bois de thuya pour habiller mon œuvre, et plus

particulièrement la boite à bijoux. Mis à part la valeur symbolique et morale qu’a cet objet

à mes yeux, je l’ai choisi pour sa beauté, son aspect simple et sobre à l’extérieur, mais,

magique à l’intérieur, aussi, car pour moi son bois symbolise le luxe et le caractère.

C’est un bois attirant de par sa couleur d’un brun foncé moucheté de petits points marron et

parfois même de veines dorées, aussi par les diverses textures qu’il présente. Son beau fini

poli lui donne une brillance remarquable au naturel et enfin, sans oublier une caractéristique

qui fait de moi une grande passionnée de ce bois : Son parfum exotique et très distingué

qu’il dégage, un parfum qui lui est propre et unique qui est de nos jours très recherché et

utilisé par de grands maitres parfumeurs, et parfois même mélangé aux parfums d’autres

bois nobles et rares.

Venons-en à l’œuvre qui est l’alliance de mon langage visuel et de cet objet artisanal et

traditionnel. Le but premier de cette combinaison est de faire ressentir mon appartenance à

deux mondes partiellement opposés de par leur culture, leur tradition et leur langue et ce,

par le geste de contenir mon langage visuel qui est issu de mon expérience de vie dans la

ville de Québec, en tant que jeune petite marocaine d’origine qui n’a comme repère de cette

origine que ses chers parents, les photos de familles et les visites répétées au Maroc durant

les vacances.

L’un des points d’opposition les plus remarquables envers mes interlocuteurs, en d’autres

termes, les personnes connaissant mes origines et donc l’existence de moyens de

communications différents : la langue. Etant donné que mon pays d’origine est le Maroc,

qui est un pays situé au nord-ouest de l’Afrique, considéré comme étant un pays arabe et

aussi l’un des pays du grand Maghreb qui a pour langue maternelle et officielle la langue

arabe, qui est aussi la langue de l’islam et du Saint Coran. Cependant, comme dans toutes

les langues on retrouve un dialecte, ce qui est aussi le cas pour la langue arabe au Maroc et

dans tous les autres pays arabes. Ici, l’arabe officiel n’est utilisé que dans les

31

administrations, quant à l’arabe dialectal « la darija », il est parlée par plus d’un tiers de

marocains et devient de plus en plus utilisée aujourd’hui à la télévision. Contrairement aux

autres langues utilisant l’alphabet latin, l’arabe s’écrit et se lit de droite à gauche. On utilise

l’alphabet arabe qui comporte vingt-huit lettres, ou communément en langue arabe « un

abjad » signifiant un système d’écriture ne mettant en évidence que les consonnes de la

langue. Si l’on établit une comparaison entre la langue française et la langue arabe dans leur

spécifiés, dans la langue arabe il n’existe pas de différence entre les lettres imprimées et les

lettres manuscrites. Aussi, les notions de majuscule et minuscule n’existent pas, ce qui est

tout à fait le cas contraire en langue française, une chose que tous les marocains bilingues

maitrisent et connaissent parfaitement.

Toujours est-il que mon projet se présente en langue française y compris les appellations de

mes pictogrammes. En revanche, comme pour la langue arabe, leur lecture se fera de droite

à gauche et ce, par ordre temporel. C’est à dire que leur disposition dans la boite se fera par

ordre de succession d’évènements.

Finalement, ce geste intentionnel est d’une grande importance à mes yeux car il me

représente sans protocole et sans clichés tout en étant direct et subtil.

32

Figure 12: Livre-objet « Picto-moi » Lamia Laalaj 2017.

33

Figure 13: Livre-objet « Picto-moi » Lamia Laalaj 2017.

34

Conclusion

Dans une expérience qui se veut riche et généreuse ; rêveuse et intime ; subtile et libre,

celle-ci au final, cible l’universalité d’un langage singulier qui représente la ligne d’arrivée

de ce travail. Bien que tous les éléments graphiques qui constituent mon langage soient

tirés de mon enfance, de ma double culture, de mes coutumes, chacun d’entre eux annonce

un chapitre différent du recueil de mon enfance : Picto-moi. Tous ces symboles partagent

une même expérience dans leur aspect extérieur, celui d’être réalisés sous forme d’un

symbole inspiré du pictogramme et venant traduire différents moments de mon enfance.

Ce travail propose donc au public, une lecture assez ambigüe, pleine de sentiments, de

codes et d’expériences vécues, celles-ci alimentées par mes archives, certes, mais aussi

enrichie par un concentré de mouvements, d’influences, d’artistes et d’ouvrages. Il propose

aussi la série de mon langage Picto-moi en images, et ce, dans ses détails les plus

pertinents : la composition de chaque pictogramme accompagnée de sa description

complète et des éléments qui le composent, l’explication de la singularité de chaque geste

et de chaque moment.

Cet ensemble a pour finalité l’éventuelle universalisation de mon langage singulier, à

travers l’interprétation du lecteur. Toutefois, l’évolution de ce travail n’a pas de limite, ce

n’est que le début de la promesse d’une continuité sans fin.

35

Annexe

Histoire et description des pictogrammes

Picto-moi est le langage visuel graphique que j’ai créé à partir de la conception d’une série

de vingt-trois pictogrammes. Chacun de ces pictogrammes retrace une phase de mon

enfance entre ma ville natale Sherbrooke, la ville de Québec où j’ai passé cinq ans de mon

enfance et de la ville de Casablanca, vers laquelle je me dirigeais pour passer mes vacances

auprès des miens.

Je dresserai ci-dessous, la liste des éléments qui constituent Picto-moi.

En premier lieu les pictogrammes, et en second lieu les titres de chacun d’eux sous formes

de calligraphie dans ma langue maternelle l’arabe et mon dialecte la darija.

Ces titres en calligraphie sont la traduction des titres en langue française, il représentent

donc tous les deux la même et unique histoire.

Picto Lamia

Ce pictogramme représente la stylisation de mon

personnage étant enfant. Avec celui-ci j’ai voulu me

présenter au public, dévoiler mon identité à travers

les facettes les plus révélatrices à mes yeux de mon

aspect physique. Une petite boule de cheveux frises,

attachés à un ruban en guise de serre-tête et une

robe à col en dentelle est l’image avec laquelle je

me fais connaître dans mon langage.

36

Jour de naissance

Ce pictogramme relate la première nuit à la maison,

après que maman et moi avions quitté l’hôpital Saint-

Vincent de Paul à Sherbrooke ou je suis né le vendredi

30 août 1991 à 14h 30, ce fut pour moi une nuit pleine

de tendresse d’affection et d’assurance, dans les bras

de ma mère qui tentait de m’endormir. En effet,

comme le démontre le pictogramme, j’ai été dans un

profond sommeil, après un bon bain, suivi du

changement des couches et vêtements, de mon

allaitement et grâce au bercement de ma mère, qui

malgré son épuisement ne quitte pas des yeux son bébé.

Bienvenue à la maison

Dans ce pictogramme je fais référence au 4e jour de ma

naissance, qui symbolise pour moi la bienvenue dans la

famille, et qui se traduit par des Bercements de ma

grand-mère paternelle, me tenant dans ses bras ; des

moments très précieux, que j’ai tenu à immortaliser.

Via ce pictogramme, j’ai tenté de rendre hommage à ma

grand-mère, qui est venue spécialement du Maroc pour

venir assister à mon baptême. Ce qui fait la

particularité de ce pictogramme, c’est l’habit

traditionnel de ma grand-mère, qui se porte à

l’intérieur de la demeure, « caftan », qui est l’habit

traditionnel du Maroc par excellence, porté

37

d’abord par les hommes et adopté par les femmes marocaines un peu plus tard, avec un

foulard couvrant le contour de sa tête et laissant apparaitre quelques cheveux.

Grand Basidi

Dans ce pictogramme, c’est mon grand-père paternel

qui réitère ma bienvenue dans la famille, en me tenant

dans ses bras, avec prudence et vigilance, tout en

jouissant de ce moment très précieux, qu’on ne peut

négliger sous aucun prétexte. Via ce pictogramme,

j’ai tenté de rendre hommage à mon grand-père, qui

en compagnie de ma grand-mère est venu à son tour

pour assister à mon baptême. En outre, ce qui fait la

particularité de ce pictogramme, c’est le « tarbouche »

porté sur la tête qui est un accessoire emblématique de

la tenue officielle des hommes marocains et est

habituellement porté avec une djellaba de couleur

blanche. On le reconnait principalement de par sa

couleur rouge et sa hauteur, il est aussi porté par les groupes de musique arabo-andalouse

marocaine, et par les hommes de la région de Fès.

Premier bonhomme de neige

À l’occasion de ma première sortie à l’extérieur,

à l’âge de six mois, un jour de tempête de neige,

auquel je fais allusion dans ce pictogramme,

mon père tenait à mémoriser ce moment de

détente et de plaisir, à travers une photographie

de la petite famille, tous habillés chaudement,

accompagnés d’un pseudo bonhomme de neige,

que mon père a confectionné pour moi. Via ce

38

pictogramme, j’ai tenté de rendre hommage à mes

parents, pour avoir épuisé de tous les moyens en leur

possession, afin de garder la trace des meilleurs moments

inoubliables, qu’ils ont vécu en ma compagnie, étant

bébé et enfant.

Milalla et moi

Cette fois-ci, c’est un pictogramme qui relate, la complicité

entre ma grand-mère et moi, lors de ma première

promenade, tout en étant habillé chaudement, avec un Beret

sur la tête, bien attachée et confortablement installée au

fond de ma poussette, et surtout bien surveillée par ma

grand-mère, qui était au petit soin. Ce qui fait la

particularité de ce pictogramme, c’est l’habit traditionnel de

ma grand-mère, réservé pour les sorties à l’extérieur, appelé

« djellaba », qui est une sorte de robe artisanale ample, ornée

de passementerie et munie d’un capuchon, portée tant par les

hommes que par les femmes.

39

Premiers pas

Mes premiers pas étaient l’événement par excellence, pour

mes parents et moi-même , que j’ai tenu fermement à tracer

par le biais de ce pictogramme, tiré d’une photographie,

prise pendant que mon père m’apprenait à marcher pour la

première fois dans ma vie.

À travers ce pictogramme, j’ai tenté de décrire la complicité

et l’entière disponibilité de mon père et surtout son

tempérament calme et sa grande disposition, à m’aider pour

réussir à faire les premiers pas, tout en s’amusant et en

prenant plaisir à ce jeu et au merveilleux instant vécu, étant.

Bébé.

Jeux d’enfants

Être capable de marcher seule sans l’aide de personne, ce qui

inquiétait mon père, mais pour moi c’était devenu un jeu, auquel

je prenais plaisir, à l’aide d’un jouet multi fonction, qui était

d’une grande utilité pour mon initiation à la marche, c’est ce que

je tente de décrire à travers ce pictogramme. En effet, un support

assez solide et haut, semblable à une poussette, permettant de se

tenir debout et d’apprendre à marcher, était, selon mon père,

nécessaire pour me laisser livrer à moi-même, afin de prendre

confiance et d’arriver à cette finalité, étant une petite fille,

dynamique et pleine d’énergie.

40

Journée à la garderie

Être enfin prête pour aller à la garderie, était le souci de ma

mère chaque jour, mais pour moi c’était surtout le plaisir et

la joie de rencontrer la mamie québécoise, qui n’est autre

que l’éducatrice, chez qui, je passais toute la journée de

lundi à vendredi, en compagnie de mes petits amis, et c’est

ce que je me prête à décrire à travers ce pictogramme.

En effet, être très propre, bien parfumée, vêtue d’un beau

manteau d’hiver, les cheveux bien coiffés, mon sac à la

main contenant des couches, des vêtements de rechange et

une collation, c’est ce qui avait le plus

d’importance pour ma mère face à une petite fille

vivante, dynamique et exigeante, qui n’est plus un

bébé.

Première nage

Ce pictogramme symbolise ma première baignade en

piscine en compagnie de ma maman. Un moment

mémorable, riche en pleurs et frayeur face à cet

évènement qui était pour moi une nouvelle

expérience. Certes, ce n’était pas chose facile pour

moi, encore moins pour ma mère, mais les gestes de

douceur et d’affection de ma maman agissent en sorte

que je me calme et savoure finalement ce moment.

41

Main à la guitare

Le message que je souhaite livrer à travers ce

pictogramme, consiste à dire que la présence d’un

oncle maternel, parmi nous, était importante pour mon

équilibre personnel, étant enfant, malgré qu’il était ma

seule famille au Canada, mis à part mes parents

.Cependant, son amour inconditionnel pour la guitare et

la musique éveillait ma curiosité en vers cet objet qui

pour moi était étrange et nouveau, duquel résonnaient

des mélodies qui m’attiraient vers lui. Suite à ceci,

c’était le début d’une forte complicité.

Visite des proches

La visite de mon cousin maternelle chez moi à la

maison à Sherbrooke, venant spécialement de

France rendre visite à son père, était pour moi un

événement, sans pareil, que j’ai eu le grand plaisir

de révéler sous forme de pictogramme. Via ce

dernier, j’ai tenté de visualiser cet attachement

spontané de ma famille à moi, en tenant à garder la

trace de cette posture particulière des cousins

enlacés par l’oncle, symbole d’affection et de plaisir

partagés durant ces moments inoubliables, que j’ai

vécus en compagnie de mon cousin.

42

Premier voyage au Maroc

Mon premier voyage au Maroc, que je me prête à décrire

via ce pictogramme, fut un événement important pour ma

mère, qui était très excitée à l’idée de présenter pour la

première fois la nouvelle venue dans la famille : « moi ».

En effet, assise sur un banc à l’aéroport Mirabel, en juin

1993, me tenant dans ses bras, toutes les deux vêtues de

nos plus beaux vêtements. Ma mère attendait

impatiemment l’avis d’embarquement, et ne se doutait

point que je pouvais lui rendre le voyage

difficile, ce qui était d’ailleurs le cas, car

apparemment, j’ai eu le mal de l’air.

Les retrouvailles

Ce pictogramme relate, le moment des retrouvailles,

avec mon cousin venant de France, que je connaissais

déjà, et ma grand-mère maternelle, qui ne m’avait pas

revue depuis mon baptême auquel elle avait assisté, et

ce, à l’occasion de mon premier voyage au Maroc,

accompagnée de mes parents. C’est ainsi que j’ai tenté

de visualiser cet attachement sincère de ma grande

famille à moi, en gardant en mémoire la trace de cette

image émouvante des cousins bien sérés par les bras de

leur mamie, symbole d’amour, d’affection et de plaisir

partagés durant les moments que j’ai vécus au milieu de

ma grande famille paternelle et maternelle durant mon

séjour.

43

Première rencontre

Par le biais de ce pictogramme, je tente de

révéler la première rencontre tant attendue de

mes cousines paternelles, toutes ayant le même

âge, que je ne connaissais que par leur prénom.

Cette rencontre a eu lieu à l’occasion de mon

premier voyage au Maroc accompagnée de mes

parents c’est ainsi que j’ai pu visualiser cette

complicité entre cousines au sein de la grande

famille, en gardant la trace de cette image, qui

symbolise pour moi de manière spontanée,

l’acceptation inconditionnelle et la bienvenue

dans la famille ainsi que les moments de plaisir

partagé et que j’ai vécu auprès d’elle, durant

mon séjour au Maroc.

La future lauréate

À travers ce pictogramme, j’ai tenté

d’immortaliser les moments, que papa,

maman et moi avons vécus à l’occasion de la

cérémonie de remise des diplômes à

Sherbrooke en 1994, à laquelle mon père

était convié en tant que lauréats pour

recevoir son diplôme. Le fait de porter cette

tuque de lauréats sur la tête, aux côtés de mon

père, mon modèle dans la vie, symbolise pour

moi la réussite et le succès pour l’avenir,

chemin vers lequel je me dirige, qui a

commencé par un rêve qui se concrétise.

44

Le cornet de glace

Ce pictogramme retrace le souvenir de la petite

madame chez LAURA SECORD, qui me mettait

un chocolat sur mon cornet à toutes les fois que je

m’y rendais en compagnie de mon père pour

prendre une crème glacée. Ce souvenir, de la

petite fille coquette aux cheveux bouclés avec un

bandeau et un cornet à la main, est porteur de

beaucoup d’émotions, que j’ai ressenties à mon

arrivée à Québec en août 2013, lorsque je me

suis retrouvé devant la boutique « LAURA

SECORD » au centre commercial Laurier.

Jour de Noel

Le moment traduit par ce pictogramme est ma

rencontre avec le père Noël pour la première fois,

à l’occasion du jour de l’an. Aussi il fige le

moment le plus cher aux yeux d’un enfant : la

réception des cadeaux. Une longue file d’attente à

laquelle je faisais partie, finie par aboutir à ma

rencontre tant attendue avec le père Noel. Assise

sur ses genoux, j’eus le droit à un bisou et à plein

de petits cadeaux et d’une photo pour immortaliser

ce moment féerique.

45

« Les petits amours »

À l’occasion de l’une des émissions,

organisée dans le centre commercial

Laurier, animé par Michel Louvain, sous le

nom de « Les petits amours » ,que je tente

de représenter dans ce pictogramme, les

enfants de la garderie dans laquelle j’étais

élève et moi étions invités pour y participer

. Ce fut un drôle de souvenir, puisque j’ai

failli me faire casser une dent avec le micro,

et que ma spontanéité m’a amené à dévoiler,

avec émerveillement, ce que j’ai vu, qui

n’était autre que le cameraman en train de

filmer, en criant : « c’est la télévision ! »

46

Photo de famille

Le moment que je tiens à représenter à

travers ce pictogramme est la photo

familiale.

Hormis les photos amatrices que

prenait mon père quotidiennement

l’initiative de ce rendre chez un

photographe était inhabituelle au

niveau de son contexte et aussi de la

qualité de la photographie. Mais le

plus important à mes yeux dans cette

image, est le fait que mon père puisse

se défaire provisoirement sa position

derrière la caméra et puisse à son tour

profiter du moment présent avec ma

mère et moi.

Mon anniversaire

Dans ce pictogramme, je livre mon image, celle de

la petite fille coquette, vêtue de ses plus beaux

vêtements et qui s’apprête à souffler ses bougies. En

effet, via ce pictogramme, j’ai voulu partager cet

instant de joie et de fête en famille, que j’ai vécu à

l’occasion de mon 3e anniversaire et qui restera

toujours à jamais gravé dans ma mémoire, à l’instar

des autres moments particuliers et précieux de ma

vie d’enfant.

47

À cheval

Ce pictogramme tente de décrire un moment de loisir que

j’ai eu la chance de vivre, après notre retour au Maroc, suite

à une décision importante prise par mes parents, me

permettant ainsi de m’intégrer dans la société marocaine,

pays d’origine de mes parents.

Ce moment d’amusement se déroula dans un club

d’équitation de Casablanca, où j’ai pu découvrir le monde

des chevaux, de délaisser mes peurs et ce avec l’aide d’un

moniteur qui m’a mise en confiance pour monter à cheval,

pour la première fois dans ma vie.

La future mariée

Dans ce pictogramme, je tente de partager l’une des

principales coutumes du Maroc, que mes parents tenaient

à me faire vivre à l’âge de huit ans. Il s’agit d’un rituel

religieux et traditionnel qui consiste à rassembler toutes

les petites filles de la famille pour ensuite les vêtir de

caftans et de bijoux et de les maquiller pour faire en sorte

qu’elle ressemble à la mariée traditionnelle marocaine. Ce

rituel a pour but de féliciter les jeunes filles pour avoir

jeuné le 27e jour de Ramadan, qui est un jour sacré dans

la religion musulmane. Pour moi ce fut un moment

magique dans lequel je me suis sentie princesse.

48

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