Le protestantisme

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LE PROTESTANTISME

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Collection dirigée par Janine Alaux. Couverture : Cat Design.

S i v o u s d é s i r e z ê t r e t e n u ( e ) a u c o u r a n t d e n o s a c t i v i -

t é s d ' é d i t e u r , v e u i l l e z n o u s e n v o y e r v o t r e n o m e t v o t r e

a d r e s s e , s u r c a r t e p o s t a l e o u c a r t e d e v i s i t e , a u x

E d i t i o n s S e g h e r s , B . P . 5 0 3 , 7 5 7 2 5 P a r i s C e d e x 1 5 : n o t r e

b u l l e t i n « I n f o r m a t i o n s S e g h e r s » e t n o s c a t a l o g u e s v o u s

s e r o n t a d r e s s é s , g r a t u i t e m e n t e t s a n s e n g a g e m e n t .

La Loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'Article 41. d'une part, que les copies ou reproductions strictement réser- vées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation col- lective, et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'Illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1 de l'Article 40). Cette représen- tation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.

TOUS DROITS DE REPRODUCTION, D'ADAPTATION ET DE TRADUCTION RÉSERVÉS POUR TOUS PAYS.

© EDITIONS SEGHERS, PARIS. 1977.

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CLAUDETTE MARQUET

L e P r o t e s t a n t i s m e

Comprendre aujourd'hui SEGHERS

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Je voudrais remercier tous ceux et celles qui ont permis la rédaction de ce livre : le Centre Huit de Versailles, et tout particulièrement Viviane Homburger, Magali Petitmengin et Anne Rey-Orgeolet ; la Communauté des Diaconesses de Versailles et Sœur Anne-Etienne ; mes collègues et la Commu- nauté protestante de Versailles.

Cl. M.

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Ouverture

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Le protestantisme est un état d'esprit.

Mais là où l'on croit trouver protestation et rigidité, on découvre depuis l 'année 1517 que le protestant dit « oui... mais ».

• Oui à Dieu... mais non au pape et à l'Église. • Oui à la foi... mais non aux « œuvres ».

• Oui à l'Écriture... mais non à la tradition ecclésiale.

• Oui à la grâce... mais non à l 'autorité doctrinale absolue.

• Oui à l'Église mais toujours appelée à se réformer.

• Oui à la liberté d'expression... mais non à la distor- sion des textes...

Chrétien? Oui, vraiment, répondrait Luther : « Le chré- tien est un libre seigneur de toutes choses et n'est soumis à personne... Le chrétien est en toutes choses un serviteur et il est soumis à tout le monde. »

— Mais la protestation contre le catholicisme ayant été soulevée en 1517, Luther est donc le père du protestan- tisme?

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— Oui mais d'abord Jésus, répond le protestant.

— C'est tout de même une religion?

— Oui, mais plutôt une confession.

— Mais il n'y a pas de confession chez les protestants...

— Comprenez confession au sens de confesser la foi. la déclarer et la professer.

Et c'est au milieu des « oui-mais » dont beaucoup d'étrangers à ce culte ne retiennent que les « oui » ou les « mais » que le protestantisme perd son vrai visage.

Multipliez cela par le grand nombre des modulations issues du thème d'origine : baptiste, calviniste, congréga- tionnaliste, évangélique. évangéliste, luthérien, méthodiste, pentecôtiste, piétiste, presbytérien, puritain, quaker.

Diversifiez le tout en l'implantant de par le monde.

Ajoutez les idées fausses et quelques relents historiques déformants et vous comprendrez que les « parpaillots sont souvent mal compris.

Oui... mais ils sont « 300 millions » dans le monde. Soit le tiers de la chrétienté.

Comment et que pratiquent-ils vraiment? C'est ce que ce livre se propose d'éclairer.

Il a été écrit par Claudette Marquet. Elle est pasteur et journaliste.

Elle sait, elle pratique et communique sa foi et son savoir avec une luminosité qui dissipe les obscurités les plus glauques.

Après avoir lu ce livre, il est impossible de ne pas comprendre cette doctrine qui, sans dogmatisme, enseigne que le salut de l'homme vient de Dieu. Dieu situé à l'in- térieur d'un triangle vital dont les sommets ont nom : Bible, Saint-Esprit et Histoire.

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— Mais... « personne n'a jamais vu Dieu », dit l'Évan- géliste.

— Oui, mais l'aventure spirituelle de la Réforme part de « Sa » rencontre en Jésus-Christ. La démarche com- mence par la « marche avec » et c'est ensuite la « marche vers »...

Ce livre a été voulu clair, simple comme un guide... mais il y a aussi, dans ces pages, le souffle de l'esprit qui souffle où il veut. C'est peut-être aussi cela le véritable état dans l'état d'esprit protestant.

JANINE ALAUX.

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L ' É V A N G I L E E S T B E A U . . .

L'Évangile est beau... Il parle de ma vie comme je voudrais que l'on en parle, s ans aucun mépris. Il en parle avec un sérieux qui ne permet pas de minimiser un seul jour de ma vie, avec une e s p é r a n c e qui ne permet pas d 'exclure même un seul homme. Il en parle avec une souffrance qui ne s e laisse pas aveugler, avec une joie contagieuse. L'Évangile parle s ans aucun mépris de la vie de tous : chaque heure compte, chaque faim doit pouvoir être rassas iée , toutes larmes, toutes craintes sont prises au sérieux, personne n 'est exclu.

L'Évangile est beau, parce qu'il supprime tout cynisme, tout mépris de soi-même, tout mépris d e s autres. Il n 'admet pas que l'on n 'accepte de la vie la seule san té ou la seule j eunes se et Il fait honte à ceux qui n'aiment la vie que partiellement ou sous conditions. L'Évangile exprime un « oui » total.

Il parle d'un homme qui a vécu ce « oui » total. Il était ouvrier et parcourait le pays avec une bande d'amis. Ils par tageaient ce qu'ils avaient, soignaient les malades. Lui, racontait d e s histoires qui parlaient de libération. La concur rence et la peur étalent exclues, l 'argent et la puissance ne jouaient aucun rôle. « Vous savez, dit-il, que les chefs des nations les tyrannisent, et que les grands les asservissent , Il n 'en sera pas de même au au milieu de vous. » (Matt. 20/25.) Il est entré en conflit avec ceux qui détenaient le pouvoir. Les milieux cléricaux et la police politique se sont unis contre lui, on lui a fait un procès. Il a é té condamné à mort.

Mais les gens se sont rappelé les raisons de ses paroles et de ses actes. Lui-même, qui avait été mis à mort, est res té auprès d'eux; on a continué à raconter ses histoires. « Pourquoi être chrétien aujourd 'hui? » se demanden t beaucoup de gens. J e vais essayer de donner une réponse simple à cette question : pa rce que nous avons toujours besoin de libération.

Dorothée SOLLE, théologienne a l lemande contemporaine.

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Au départ... qui ?

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Si l'on demande à un protestant : « Quel est l'homme qui se trouve au départ de votre religion? », il ne man- quera pas de répondre, comme son frère catholique ou orthodoxe : Jésus, le charpentier de Nazareth, né et mort en Palestine, il y a deux mille ans, qui s'est présenté comme le Messie d'Israël et le Fils de Dieu.

Ce qui fonde la foi du protestant, c'est Jésus-Christ et son Évangile, et non Luther ou Calvin.

Cela ne l'empêche nullement de considérer que les grands Réformateurs — Luther, Zwingli, Calvin — ont permis aux chrétiens du XVI siècle de retrouver le nerf et la vérité du message évangélique, prisonnier, à leurs yeux, d'une Église infidèle, et dénaturé par des interpré- tations trop humaines...

Le huguenot se souvient donc avec reconnaissance du passé mais n'oublie jamais que le désir profond et perma- nent des Réformateurs n'a pas été de créer une nouvelle Église ou de fonder une nouvelle religion, mais avant tout d'amener toute l'Église chrétienne à se « réformer », à se transformer radicalement, pour la seule gloire de Dieu, au nom de la fidélité à l'Évangile.

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Il n'en demeure pas moins que le protestant se réfère constamment, non à la lettre des œuvres des Réformateurs, mais à leur esprit, et il aime, face à son ami catholique, par exemple, rappeler les grandes affirmations de ses ancê- tres du XVI siècle : la foi seule (et non les œuvres); la grâce seule (et non le bon vouloir du « magistère » de l'Église); l'Écriture seule (et non la tradition ecclésiale); à Dieu seul la gloire (et non au pape ou à l'Église); l'Église toujours appelée à se réformer (et non installée dans ses dogmes). Ou. comme cela a été longtemps énoncé en latin : sola fide; sola gratia; sola Scriptura; soli Deo gloria; Ecclesia semper reformanda...

En découvrant Luther et Calvin, le lecteur ne se trouvera pas devant deux fondateurs de religion. Il percevra, au contraire, les efforts menés inlassablement par ces deux hommes pour que leurs personnes s'effacent au profit d'un texte : la Bible, ce témoignage unique qui parle du grand œuvre de Dieu dans l'histoire du peuple hébreu et dans la personne de son fils, Jésus de Nazareth.

C'est ce texte que les Réformateurs ont sans cesse repris, étudié, traduit, actualisé. C'est l'étude de ce texte qui a poussé Luther à s'opposer au pape lui-même. C'est lui qui a fait vivre Calvin. C'est lui la référence par excel- lence pour tous les protestants.

Idolâtres de la Bible, a-t-on dit d'eux. Peut-être. Mais surtout, étonnés, passionnés, encouragés, provoqués par Celui qui en est le centre : Jésus de Nazareth, le Christ.

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Poésie 77 Seghers Collection nouvelle de poésie dirigée par Bernard Delvaille

Déjà parus :

Matthieu Messagier LES LAINES PENCHEES

Bernard Vargaftig DESCRIPTION D'UNE ELEGIE

Pierre Tilman HOPITAL SILENCE

Eugène Savitzkaya MONGOLIE PLAINE SALE

Lucien Francoeur DRIVE-IN

Bernard Delvaille FAITS DIVERS

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Franck Venaille CONSTRUCTION D'UNE IMAGE

Quatre recueils par an seulement, un choix rigoureux,

un seul but : la poésie

Chaque recueil numéroté entre 18 et 30 F

s e g h e r s

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COLLECTION «P.S.» Recuei ls

A l p h a b e t du solei l , par Guido Ballo (bilingue)

C o m b a t s a v e c t e s d é f e n s e u r s , suivi d e La l ibe r t é g u i d e n o s pas , pa r Pierre E m m a n u e l

D e r n i e r s p o è m e s d ' a m o u r , par Paul Eluard

La Diane f r a n ç a i s e , par Aragon H a u t e u r s d e M a c c h u - P i c c h u ,

par Pablo N e r u d a Il ne m ' e s t Par i s q u e d 'E l sa , pa r

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A. Breton et P. Eluard

L é g e n d e s et p o è m e s par B. Da- dié

Œ u v r e s p o é t i q u e s c o m p l è t e s , de R e n é - G u y C a d o u (2 vol.)

P o è m e s d e J a c k K e r o u a c La S o n a t e au clair d e lune, par

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T o m b e a u d ' O r p h é e , pa r Pierre E m m a n u e l

Les Yeux d 'Elsa , par Aragon

Anthologies

An tho log ie t h é m a t i q u e d e la p o é s i e f r a n ç a i s e , par Max-Pol Fouche t

Les C o m p t i n e s d e l a n g u e fran- ç a i s e (collectif)

Découvr i r la l i t t é ra tu re d ' a u - j ou rd ' hu i p o u r les j e u n e s , par Bernard Epin

Découvr i r la p o é s i e f r a n ç a i s e , par Michel C o s e m

Découvr i r le r o m a n popu la i r e , par Rober t Marty

Découvr i r la s c i e n c e - f i c t i o n , par Michel C o s e m

His to i res m e r v e i l l e u s e s d e s 5 c o n t i n e n t s , par Philippe et Ré Soupau l t

La Nouvelle Poésie français par B. Delvaille (2 vol.)

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Poèmes élisabéthains, par PI lippe de Rothschild

La Poésie arabe, par R.R. Kh) wam

La Poésie concentrationnais (1940-1945), par Henri Pouz,

La Poésie érotique, par Marc Béalu

La Poésie espagnole conter poraine par Jacinto-Luis Gu. rena

La Poésie fantastique, par Alal Vircondelet

La Poésie latine, par R e Gouast (bilingue)

La Poésie lettriste, par Jea Paul Curtay

La Poésie mystique, par Jea Mambrino

La Poésie négro-africaine d ' e pression française, par M a Rombaut

La Poésie occitane, par R e Nelli (bilingue)

La Poésie populaire, par Claud Roy

La Poésie romantique français par Luc Decaunes

La Poésie surréaliste, par Jea Louis Bédouin

La Poésie symboliste, par Be nard Delvaille

Hors collection

América libre !, anthologie la poésie hispano-américain par Gérard de Cortanze

Huit siècles de poésie féminin par Jeanine Moulin (anthol gie)

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Martin Luther 1483-1546

Luther est à la fois plus médiéval et plus moderne que d'autres grands parmi ses contemporains, qu'il s'agisse d'Erasme, de Paracelse, de Thomas Müntzer, de Thérèse d'Avila et de Calvin. Il est alors difficile de le situer à

son juste lieu et de l'interpréter correctement. Nietzsche voit en lui le grand obstacle à la victoire de la Renais- sance, constatant à quel point il est marqué par la spiri- tualité des temps révolus et combien il est méfiant à l'égard de la moindre trace d'humanisme. Cependant, plus qu'au- cun des hommes de son temps, il a une stupéfiante liberté à l'égard de toutes les autorités instituées, comme vis-à-vis des philosophies et des idées reçues : lorsqu'il en a la conviction intérieure il n'hésite pas à prendre des risques et à frayer des voies nouvelles. Il est avant tout convaincu que rien ne saurait s'opposer durablement à l'Évangile. Il est difficile de le cerner entièrement, de le situer vraiment, de le quitter lorsqu'on a commencé à le fréquenter.

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Le moine : devenir vraiment chrétien

Né dans une famille de la petite bourgeoisie paysanne, Martin Luther passe ses premières années à Eisleben, puis à Mansfeld en Saxe, entre un père rude et intéressé et une mère sensible et superstitieuse. Sa foi d'enfant est très fortement marquée par les colères et les châtiments paternels. A 14 ans, il part pour Magdebourg et passe un an chez les Frères de la vie commune qui lui font découvrir la Bible. A 15 ans, il poursuit ses études à Eisenach où sa culture s'épanouit, en particulier dans le domaine musical. A 17 ans. en 1501, il entre à l'université d'Erfurt pour y devenir juriste; là il fréquente un cercle d'humanistes. A 20 ans, il est bachelier, à 22, « maître ès arts ». Ses condisciples le décrivent comme « un jeune compagnon de bonne et joyeuse nature adonné aux études et à la musique ». Cependant, derrière cette façade pai- sible, la question du sens de l'existence le hante; elle seule peut être l'axe solide de l'édification du monde en devenir. Luther se tient incessamment face à Celui qu'il reconnaît comme son créateur et son juge. Il vit plus dans la crainte que dans la joie et la simplicité évangé- liques : « Nous pâlissions au seul nom de Christ, car on ne nous le présentait jamais que comme un juge sévère, irrité contre nous. On nous disait qu'au Jugement Dernier il nous demanderait compte de nos péchés, de nos péni- tences, de nos œuvres. Et comme nous ne pouvions nous repentir assez et faire des œuvres suffisantes, il ne nous demeurait, hélas, que la terreur et l'épouvante de sa colère... »

En 1505 Luther vient d'être fait « maître en philo- sophie » et il aborde la carrière juridique. Soudain, il entre au couvent, surprenant tous ses amis et remplissant son père de fureur. Il s'inscrit ainsi dans la ligne de toute son époque en cherchant par l'idéal monastique « à devenir vraiment chrétien ». Des événements ont précipité sa déci- sion : accident et blessure au cours d'un voyage, mort d'un

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ami, coup de foudre déracinant un chêne à côté de lui... Mais ce qui pousse Luther vers la vie monacale, c'est avant tout son inquiétude existentielle qui le fait choisir une communauté réputée pour la sévérité de sa règle. Il pense ainsi pouvoir faire son salut.

Luther a été un bon moine. Tous les témoignages concordent sur ce point : il s'applique à suivre la règle avec une scrupuleuse rigueur, en rajoutant constamment sur le minimum prescrit. Mais plus il s'efforce à la per- fection, plus il s'en découvre irrémédiablement éloigné; plus il vise haut, vers l'absolu de son idéal spirituel, plus la conscience de son péché le tourmente et le terrorise. Admis à prononcer ses vœux à 23 ans, il est ordonné prêtre l'année suivante, mais lors de la célébration de sa première messe, une angoisse profonde l'envahit.

Ses supérieurs l'observent et l'accompagnent avec solli- citude. Deux ans après, en 1510, il fait un voyage à Rome qui crée en lui une aversion définitive à l'égard de la capitale du monde catholique et de l'entourage pontifical. Il sera, à son retour, nommé sous-prieur du couvent de Wittenberg où il acquerra le titre de docteur en théologie. Là, il est chargé de donner à ses frères un cours d'expli- cation biblique. Dès lors, ses gestes et ses écrits ont un retentissement considérable.

Luther n'a pas pour autant acquis la paix intérieure qu'il recherche. Rien ne peut lui donner la certitude de la grâce de Dieu. L'enfer est là, dans sa vie actuelle comme une intolérable présence : « Je ne savais plus si j'étais vivant ou mort, Satan m'avait jeté dans un désespoir tel, que je me demandais s'il existait un Dieu. J'avais cessé de le connaître. » Il résume sa souffrance dans un cri : « Satan est réellement homicide! »

C'est en scrutant la Bible qu'il va peu à peu voir se préciser une réponse qu'il n'attend plus.

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Sauvé par la foi : « J'avais brûlé du désir de bien comprendre un terme. »

Jean Staupitz, vicaire général de l'Ordre, veille sur lui et l'accompagne pas à pas. Alors que Luther désespère de ne pouvoir offrir une confession et une pénitence dignes des exigences de la justice divine, il lui dira : « La vraie repentance commence par l'amour de la justice et de Dieu! » Mais puisqu'il est professeur d'Écriture Sainte, Luther se met à confronter chaque texte des Pères de l'Église, chaque parole de ses frères, au texte de l'Ancien et du Nouveau Testament. Tout ce qui n'est pas conforme à l'Écriture est disqualifié. Petit à petit, il découvre que l'Écriture, témoignage rendu au Christ, doit être pour l'Église la seule règle de foi. Il faut donc laisser la « Parole » qui jaillit toujours à nouveau de l'Écriture, tout remettre en cause dans l'enseignement et les structures de l'Église, comme dans la vie du chrétien et l'histoire du monde. Ce que Luther commence à dégager n'est pas un principe d'anarchie mais bien un principe de soumission à la Parole : tous sont invités à scruter les textes pour se laisser éclairer et réformer par la Parole qu'ils véhi- culent.

Au cours de ce long examen, auquel il soumet tout ce qu'il lit et entend, Luther comprend peu à peu que le fait de désespérer en doutant de sa propre justice — c'est-à-dire de sa propre capacité à mériter le salut — ne peut venir que de Dieu. Comment se croire damné, si ce n'est pour avoir été confronté avec la sainteté de Dieu, si ce n'est pour s'être reconnu en vérité au miroir de l'Évangile? Être juste, c'est se soumettre au verdict de la justice de Dieu, seule susceptible de délivrer l'homme des illusions optimistes comme pessimistes qu'il se forge toujours sur soi-même. Encore faut-il être certain qu'elle est aussi la justice qui pardonne et délivre : « J'avais brûlé du désir de bien comprendre un terme employé dans l'Épître aux Romains, au premier chapitre, là où il est dit : " La jus-

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tice de Dieu est révélée dans l'Évangile " ; car jusqu'alors, j'y songeais en frémissant. Ce mot " Justice de Dieu je le haïssais. J'entendais par là la justice par laquelle Dieu est juste et qui le pousse à punir les pécheurs et les coupables. Pendant que je méditais jour et nuit, et que j'examinais l'enchaînement de ces mots : " La justice de Dieu est révélée dans l'Évangile comme il est écrit :

Le juste vivra par la foi ' je commençais à comprendre que la justice de Dieu signifie ici la justice que Dieu donne et par laquelle le juste vit, s'il a la foi. Le sens de la phrase est donc celui-ci : l'Évangile nous révèle la justice de Dieu par laquelle Dieu, dans sa miséricorde, nous justifie au moyen de la foi... Aussitôt je me sentis renaître et il me sembla être entré, par des portes large- ment ouvertes, au paradis même. »

Du Dieu juge, condamnant sans rémission ni pitié, Luther en est arrivé au Dieu Père de Jésus-Christ, commu- niquant « à tous ceux qui se repentent et qui croient » la parfaite justice de son Fils, celui qui, « de son baptême à la croix, a accompli toute justice ». Alors nous pouvons louer, glorifier et aimer la justice de Dieu. La vie chré- tienne est celle d'un homme qui se sait « toujours pécheur » car c'est bien ainsi qu'il apparaît au miroir même de l'amour offert, « toujours juste » lorsqu'il accepte, par la foi, le don de Dieu, et « toujours repentant » car c'est quotidiennement qu'il lui faut renoncer à lui-même et repartir sur la voie de la reconnaissance et de la vie donnée à l'imitation du Christ. Telle est la spiritualité nouvelle de l'homme libéré qu'est devenu Luther. C'est le point de départ d'une activité incessante, joyeuse et intrépide.

« Sola gratia, sola fide » la grâce seule, la foi seule, telles sont les deux colonnes de la vie d'un homme libéré pour servir : « Le chrétien — écrit Luther — est un libre seigneur de toutes choses et n'est soumis à personne. Le chrétien est en toutes choses un serviteur et il est soumis à tout le monde. » A l'image de sa prière, toute sa vie est action de grâces et souci des autres.

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L'indigné : « Sitôt que dans le tronc l 'argent résonne... »

Luther se sait redevable à ses pères et à ses frères de la bonne nouvelle qu'il a découverte; il est convaincu qu'il va susciter leur joie unanime : hélas! il ne rencontre le plus souvent que surdité et incompréhension. Ce n'est que le jour où il se décide à admettre que la soumission fondamentale à l'Écriture et la foi au Christ peuvent le mettre en conflit radical avec l'Église — parce que le Pape et les conciles sont faillibles — qu'il entre dans l'attitude caractéristique du protestantisme. Mais il s'écoule avant cela de nombreuses années. A l'âge de 32 ans, il assiste, indigné, à la vente d'indulgences en vue d'obtenir le ciel. Cette campagne autorisée par Rome permet de recueillir des fonds pour finir de payer la construction de la basilique Saint-Pierre. Un dominicain, Jean Tetzel rassemble les foules au son d'une petite ritournelle :

« Sitôt que dans le tronc l'argent résonne, Du Purgatoire brûlant l'âme s'envole. »

Scandalisé, Luther commence par alerter l'autorité ecclé- siastique et les théologiens. Mais personne ne veut se risquer à intervenir.

D'abord comme prédicateur, du haut de la chaire, il dénonce la trahison de l'Évangile que représente l'activité de Tetzel; puis, un an après, en 1517, les 95 thèses rédi- gées par lui. sont répandues en latin d'abord, puis tra- duites et imprimées contre le gré de leur auteur. Les étu- diants les diffusent avec enthousiasme. De quoi s'agit-il? Luther, usant de son privilège de docteur en théologie veut rappeler une doctrine traditionnelle de l'Église : les indulgences ne servent de rien, seul Dieu a le pouvoir de pardonner à ceux qui se repentent. Le retentissement est énorme : les dominicains le dénoncent à Rome et la polé- mique s'engage. Un chapitre de son ordre, tenu à Heidel-