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Copie de conservation et de diffusion, disponible en format électronique sur le serveur WEB du CDC : URL = http://www.cdc.qc.ca/prospectives/l4/gingras-audet-audet-l4-1 et2-1978. pdf Article revue Prospectives, Volume 14, Numéro 1 et 2. * * * SVP partager I'URL du document plutôt que de transmettre le PDF * * * 1' humanisation de l'école le problème des relations humaines par Jeanne-Marie Gingras-Audet et Jean-Paul Audet Le Livre vert sur l'enseignement primaire et secondaire publié par le ministère de l'Éducation du Québec à l'automne 1977 aborde de nombreux pro- blèmes: la qualité douteuse de la formation donnée aux jeunes qui fréquentent nos écoles, une absence assez généralisée de rigueur intellectuelle, un man- que de respect pour une acquisition cohérente et ordonnée des connaissances, l'imprécision et les pié- tinements de certains programmes, un milieu sco- laire dépersonnalisant et déshumanisant. Tous et cha- cun de ces problèmes sont importants, complexes et souvent interreliés . Parmi toutes ces questions et bien d'autres abor- dées par le Livre vert, il en est une qui semble constituer en quelque sorte une priorité à la fois pour le ministère de l'Éducation, et pour les auteurs du Livre vert. L'humanisation de l'école: une priorité du Livre vert En effet, au moment de mettre un terme à sa présen- tation du Livre vert, Monsieur Jacques-Yvan Morin se demande s'il se dégage du Livre vert quelque <~phi- losophie de l'éducation ». Voici ce qu'il répond: Relisant une derniére fois ces pages, aprés en avoir soupesé chaque proposition, je me dis que si le souci de lutter contre la dépersonnalisa- tion et pour la revalorisation de l'école publique peut constituer une philosophie, la réponse doit être affirmative. (Nous soulignons.) D'autre part, vers la fin du Livre vert, les au- teurs indiquent au lecteur que la première décennie de la réforme a été essentiellement consacrée à un réaménagement administratif du système scolaire, tandis qu'à leur avis, la présente décennie doit être consacrée à l'humanisation du système scolaire B. (4.89. Nous soulignons.) PROSPECTIVES FEVRIER-AVRIL 1978 41

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Copie de conservation et de diffusion, disponible en format électronique sur le serveur WEB du CDC : URL = http://www.cdc.qc.ca/prospectives/l4/gingras-audet-audet-l4-1 et2-1978. pdf Article revue Prospectives, Volume 14, Numéro 1 et 2.

* * * SVP partager I'URL du document plutôt que de transmettre le PDF * * *

1 ' humanisation de l'école

le problème des

relations humaines

par Jeanne-Marie Gingras-Audet et Jean-Paul Audet

Le Livre vert sur l'enseignement primaire et secondaire publié par le ministère de l'Éducation du Québec à l'automne 1977 aborde de nombreux pro- blèmes: la qualité douteuse de la formation donnée aux jeunes qui fréquentent nos écoles, une absence assez généralisée de rigueur intellectuelle, un man- que de respect pour une acquisition cohérente et ordonnée des connaissances, l'imprécision et les pié- tinements de certains programmes, un milieu sco- laire dépersonnalisant et déshumanisant. Tous et cha- cun de ces problèmes sont importants, complexes et souvent interreliés .

Parmi toutes ces questions et bien d'autres abor- dées par le Livre vert, il en est une qui semble constituer en quelque sorte une priorité à la fois pour le ministère de l'Éducation, et pour les auteurs du Livre vert.

L'humanisation de l'école: une priorité du Livre vert

En effet, au moment de mettre un terme à sa présen- tation du Livre vert, Monsieur Jacques-Yvan Morin se demande s'il se dégage du Livre vert quelque <~phi- losophie de l'éducation ». Voici ce qu'il répond: Relisant une derniére fois ces pages, aprés en avoir soupesé chaque proposition, je me dis que si le souci de lutter contre la dépersonnalisa- tion et pour la revalorisation de l'école publique peut constituer une philosophie, la réponse doit être affirmative. (Nous soulignons.)

D'autre part, vers la fin du Livre vert, les au- teurs indiquent au lecteur que la première décennie de la réforme a été essentiellement consacrée à un réaménagement administratif du système scolaire, tandis qu'à leur avis, la présente décennie doit être consacrée à l'humanisation du système scolaire B .

(4.89. Nous soulignons.)

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La relation pédagogique en danger

Nous nous proposons d'aborder ici l'étude de ce problème aussi fondamental que difficile à saisir: la déshumanisation de l'école. A défaut d'un climat humain ouvert, sain et accueillant, toutes les activi- tés d'apprentissage qui se déroulent à l'école peu- vent être mises en danger. La relation pédagogique joue à ce propos un rôle décisif. Les relations entre éducateurs et élèves constituent en effet le principal moyen dont l'école dispose pour accomplir sa tâche. La raison d'être de l'école n'est-elle pas l'éducation de nos enfants? C'est cette relation pédagogique qui doit éclairer, soutenir, guider l'acquisition des connaissances, l'apprentissage d'un métier ou tout autre progrès éducatif. Or, la relation pédagogique n'est qu'un cas particulier de relation humaine.

Dans une école caractérisée par la dépersonnali- sation et la déshumanisation, la relation pédagogi- que est la première à en souffrir et partant, l'éduca- tion dans ce qu'elle a de plus vital.

La place centrale de la relation pédagogique nous a donc amenés à lui accorder dans cet article le premier plan. Nous nous sommes d'abord et avant tout intéressés à la déshumanisation dans ses mani- festations concrètes dans la vie de tous les jours de l'école. C'est dire, par le fait même, que nous avons dû pour l'instant laisser de côté certains au- tres aspects, qui ne sont pas sans lien avec notre problème: l'organisation administrative, les rela- tions de travail, le régime pédagogique, etc.

En outre, comme, de l'avis général, l'école se- condaire est celle qui est la plus touchée par le phénomène de la déshumanisation, nous avons avant tout porté notre attention de son côté.

Nous nous sommes donc en premier lieu inté- ressés à examiner de près l'étude que le Livre vert fait du phénomène de la déshumanisation de l'école. Aussi présentons-nous d'abord au lecteur une vue d'ensemble des manifestations et causes de la déshu- manisation de l'école, en même temps que des remè- des auxquels paraît songer le Livre vert. Après cela, dans un second temps, nous tentons, à notre tour, de proposer des éléments susceptibles, croyons- nous, d'éclairer ce phénomène et de nous permettre d'en approfondir la compréhension. Ces éléments nous aideront à mieux mesurer les espoirs qu'on peut fonder sur les orientations et les remèdes propo- sés par le Livre vert.

Soulignons enfin au lecteur, que là où cela Sem- blait utile, nous avons indiqué, entre parenthèses, à la suite du passage résumé ou cité, le paragraphe du Livre vert auquel nous nous référons.

PREMIÈRE PARTIE: LE LIVRE VERT ET L'HUMANISATION DE L'ÉCOLE

Dans son analyse et son évaluation de la situa- tion actuelle, le Livre vert signale la déshumanisa- tion de l'école publique, et particulièrement de l'école secondaire, comme un des phénomènes les plus graves et les plus répandus de notre système scolaire. Dans un premier temps, nous mettrons en lumière ce que dit le Livre vert à ce sujet. Nous nous arrêterons d'abord aux manifestations de cette déshumanisation telles qu'évoquées dans le Livre vert. Nous relèverons ensuite les éléments présentés pour expliquer cette situation. Enfin, nous dégage- rons les solutions envisagées pour y remédier.

1. Manifestations de la déshumanisation

L'examen des passages qui décrivent la signifi- cation des reproches faits à l'école d'être <<un milieu déshumanisant » (3.2 1 ) , nous permet de regrouper trois aspects de ce phénomène: d'abord des symptô- mes généraux divers qui indiquent une atmosphère détériorée, puis, deux aspects plus précis auxquels le Livre vert accorde une plus grande importance: la difficulté, particulièrement pour les élèves et les édu- cateurs, d'établir des liens personnels et la faiblesse générale de a l'encadrement >> des élèves.

A. Atmosphère générale dépersonnalisante

De façon générale, nous dit le Livre vert, on reproche à plusieurs écoles secondaires d'être deve- nues des ausines à enseignement» (Prés.), des

boîte(s) à cours » (3.2 1). L'école secondaire publi- que est souvent perçue par ceux qui y vivent, en particulier les élèves et les enseignants, comme un milieu assez peu accueillant. Le ministre de l'Éduca- tion ne craint pas de parler de la <<dépersonnalisa- tion . qui caractérise plusieurs écoles pub1 iques. Le livre vert rapporte, en outre, des comportements qui traduisent des sentiments nettement négatifs à l'en- droit de l'école: citons, entre autres, un taux élevé d'absentéisme tant chez les élèves (3.28) que chez les enseignants (3.29), la K désertion des activités

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étudiantes et parascolaires » (3.29), le nombre impor- tant d'abandons (3.18). Enfin, on signale, au sur- plus, une absence de motivation chez les élèves (3.22), la démobilisation (3.29), voire la démission pure et simple (3.22) de nombreux éducateurs, des sentiments de méfiance (3.29), de anon- appartenance, voire d' anonymat w (3.28).

B. Relations personnelles inexistantes

Dans ce contexte, le lecteur ne sera pas surpris d'apprendre que le Livre vert s'arrête justement avec plus d'insistance à l'anonymat et à la difficulté qui s'ensuit d'établir des relations personnelles dans l'école secondaire publique (Prés., 3.18, 3.28, 3.77, 3.86). On signale, en particulier, que les édu- catqurs ne connaissent pas réellement leurs élèves (3.77, voir aussi 3.27) et que, la plupart du temps, aucun d'entre eux ne possède le portrait pédagogi- que suffisamment complet d'un élève pour pouvoir évaluer l'ensemble de son cheminement. Les liens entre la famille et l'école s'en ressentent (3.78) et les parents s'en plaignent (1.54, 3.28).

C. Encadrement insuffisant

Enfin, le troisième aspect qui illustre la déshu- manisation de l'école secondaire et qui est étroite- ment lié au second, c'est la faiblesse et l'insuffi- sance géniale de «l'encadrement» des élèves ( 1.54). Ce mot semble être utilisé dans le Livre vert selon deux sens différents. Dans un premier sens, il apparaît dans le voisinage de la <<disciplineu, dont il semble être presque un synonyme: .qu'il s'agisse, peut-on lire, du relâchement général de la discipline ou de la faiblesse de l'encadrement des élèves - en particu- lier au secondaire - cette difficulté est générale- ment évoquée comme l'une des plus graves de notre système scolaire. >> (1.55. Nous soulignons .) Dans un second sens, qui, affirme le Livre vert, constitue le sens premier qu'il faut accorder à ce terme, d'en- cadrement des élèves » désigne une - pédagogie sou- cieuse du cheminement de chaque élève. (3.75). Dans cette acception du terme, on comprend que la faiblesse de l'encadrement signifie pour l'élève, une absence d'accompagnement et d'appui de la part de éducateurs qui I'entourent dans ce qui de- vrait être son cheminement et ses progrès éducatifs.

2. Les causes de la deshumanisation

Quand, d'autre part, le Livre vert, cherche à analyser ce phénomène complexe et à lui trouver des éléments satisfaisants d'explication, il est beau- coup plus difficile d'y voir clair. On peut noter

d'abord un certain étonnement devant des éléments spécifiques de cette pénible situation. Il nous sem- ble que dans un premier mouvement cet étonnement marque l'incompréhension des auteurs du Livre vert. On constate, on déplore, mais on n'arrive pas à comprendre ce qui se passe. Devant la pauvreté de l'encadrement des élèves, par exemple, le Livre vert réagit de la façon suivante: «Pourtant, de nombreux efforts ont été consentis, pour doter les institutions locales du personnel d'encadrement pédagogique et administratif requis, sans qu'on en arrive à une situa- tion généralement satisfaisante. » ( 1.55. Nous souli- gnons. )

Autre exemple: dans une énumération de plu- sieurs reproches faits à l'école secondaire, parmi lesquels certains touchent à la déshumanisation, on signale << l'absence de motivation des élèves dans des écoles pourtant bien aménagées et offiant des commodités qu'on aurait eu peine à imaginer il y a quinze ans ». (3.22. Nous soulignons.)

A. Sp6cialisation des enseignants, dispersion des élèves

Ensuite, un peu plus loin, s'amorce un second mouvement où l'on offre en passant, comme si cela allait de soi, un élément d'explication au reproche si souvent formulé à l'endroit de l'école secondaire, que personne «ne possède le portrait pédagogique complet de chaque élève. B Une des causes en serait, affirme-t-on, la spécialisation des enseignants dans une seule discipline»; une autre tiendrait «à la dis- persion des élèves dans plusieurs groupes» (3.27).

B. L'avis des parents

Puis, dans le paragraphe suivant, les auteurs du Livre vert rapportent les causes attribuées par les parents à la difficulté qui existe à l'école secondaire d'.entretenir des contacts personnels et d'engager un véritable dialogue (3.20). Ces causes sont: lo la taille de l'école secondaire, 2" le nombre d'élèves, 3' la spécialisation des professeurs, 4" le système d'options et 5* le changement fréquent de groupe ou de salle de classe.

C. Le défaut d'organisation

Tout de suite après cette énumération, les au- teurs du Livre vert prennent leur distance par rap- port aux critiques fondées sur la taille de l'école secondaire publique et sur le nombre d'élèves qui la fréquentent. Ils semblent à tout le moins mettre en

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doute ces deux causes, comme motifs valables sus- ceptibles d'expliquer les difficultés éprouvées à créer des liens personnels. Aussi introduisent-ils, par la même occasion, ce qu'eux-mêmes semblent considérer comme une autre cause plus vraisembla- ble: le défaut d'organisation: Observons toutefois, écrivent-ils, que ces difficultés existent également dans des écoles secondaires moins populeuses. En effet, lorsque I'orga- nisation de I'école montre des faiblesses, quelle qu'en soit la taille, les conséquences se font sentir dans les attitudes du personnel (3.28).

Cette déclaration est d'autant plus surprenante, qu'après un examen attentif du texte du Livre vert, on se rend compte qu'aucune analyse sérieuse ne soutient ces propos. Au surplus, on avait présenté, peu auparavant, ces aspects de I'école secondaire comme des ' .améliorations D (3.18) qui caractéri- saient le nouveau modèle d'école secondaire que la réforme des années soixante avait entraîné (3.7 à 3.12).

On semble, en outre, par la suite, voir l'absen- Voilà tout ce qui, dans le Livre vert, touche

téisme des élèves comme une conséquence de dé- l'analyse et l'explication des causes des différents

fauts d'organisation dans la vérification des présen- éléments qui contribuent à la déshumanisation de

ces en classe. l'école.

Conclusion 3. Hypothèses de solution

Mais là s'arrête l'analyse et les commentaires sur les causes évoquées par les parents pour expli- quer certains aspects de la déshumanisation de I'école secondaire. En résumé donc, à ce point, l0 les auteurs du Livre vert signalent d'abord qu'ils tiennent la spécialisation des enseignants dans une seule discipline et la dispersion des élèves dans des grobpes divers responsables du morcellement et de l'absence de relations pédagogiques satisfaisantes entre les élèves et leurs éducateurs. 2" Les auteurs du Livre vert rejettent la taille de I'école et le nom- bre des élèves qui la fréquentent comme motifs vala- bles d'explication. 3O On ne commente pas les au- tres causes évoquées par les parents et qui, ni plus ni moins, rejoignent celles que les auteurs avaient eux-mêmes formulées: la spécialisation des profes- seurs, le systhme à option et les changements fré- quents de groupes et de lieux, 4O on signale en quelque sorte, par la bande, qu'on croit en outre que, l'organisation de l'école serait en grande partie responsable de sa déshumanisation.

On peut lire un peu plus loin dans le Livre. vert, au moment où l'on s'apprête à présenter les solutions envisagées pour remédier à l'anonymat et à l'absence généralisée de discipline, que tout à coup les causes de ces problèmes sont «bien connuesu. (Nous soulignons). Les auteurs du Livre vert reprennent ici la spécialisation des enseignants et la dispersion des élèves dans plusieurs groupes comme causes de la déshumanisation de l'école. Ils le font en des termes à peine différents de ceux qu'ils avaient eux-mêmes utilisés ou prêtés aux pa- rents. Ces causes bien connues » sont: la «proliféra- tion des voies et des options, la spécialisation des enseignants, la distribution des élèves en groupes- matihres plutôt qu'en groupes-classes (...) (3.77).

Passons maintenant aux solutions envisagées. Il faut commencer par dire qu'après toutes les criti- ques énumérées, cela fait pour le moins curieux de lire en introduction aux orientations suggérées pour l'avenir, qu'on souhaite d'abord que «l'école secon- daire continue d'adapter son organisation aux carac- téristiques individuelles de ses élèves, (3.46. Nous soulignons.)

A. Création de deux cycles distincts

Mais arrivons-en aux solutions envisagées pour remédier à l'aspect dont nous nous occupons ici, à savoir la déshumanisation. En général, ces mesures visent à instaurer une plus grande stabilité dans les programmes, les groupes et les lieux (3.88). En par- ticulier, on suggère la création de deux cycles dis- tincts au secondaire. Le premier cycle surtout connaîtrait un programme commun aux étudiants du secondaire 1, II et III. En outre, on souhaite regrou- per les jeunes *de façon que les mêmes élèves se trouvent ensemble en des lieux qui leur soient pro- pres>> (3.80). Voilà qui supprimerait du coup, du moins pour ce cycle, à la fois la prolifération des voies et des options et partant, la multiplication des groupes dont l'élève fait partie.

B. cquipes multidisciplinaires stables

Quant aux enseignants à qui on reprochait une trop grande spécialisation, on suggère de les regrou- per en équipes stables et multidisciplinaires de for- mation, plutôt que selon leur discipline (3.81). Au surplus, pour tempérer la spécialisation jugée exces- sive des enseignants, on propose de limiter les do- maines faisant appel à des spécialistes à quelques champs particuliers.

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C. Titulariat et tutorat Questions sans r6ponse

Enfin, on suggère, pour les deux cycles du se- condaire, cette fois, deux autres possibilités d'orga- nisation susceptibles, croit-on , elles aussi, de regrou- per les élèves et les éducateurs et de créer de meil- leures relations entre eux, de même qu'entre la fa- mille et l'école (3.86). Il s'agit en premier lieu du .titulariat. où un éducateur est responsable d'une même classe d'élèves (3.84). Notons au passage que cette pratique était d'ailleurs courante dans les écoles avant la réforme qui elle, avait jugé bon de la faire généralement disparaître. En second lieu, on propose le «tutorab> où un éducateur est cette fois responsable d'un petit groupe d'élèves provenant de classes différentes (3 35).

Conclusion

En conclusion à cette première partie, on pour- rait signaler trois choses: l0 La description faite par les auteurs du Livre vert de la situation actuelle en ce qui a trait à la déshumanisation de l'école secon- daire publique, semble franche, ouverte et relative- ment complète. 2 O En revanche, l'analyse des cau- ses' de ce phénomène nous semble faible, superjï- cielle pour ne pas dire inexistante. A ce sujet, on peut signaler que s'il paraît légitime que le lecteur soit mis au courant des problèmes qui entravent I'ac- tion éducative de l'école, il semble pour le moins tout aussi justifié qu'on lui mette sous les yeux une analyse solide des causes de ces problèmes. Autre- ment, comment espérer que le lecteur donne son appui à des solutions qui découlent de causes à peine identifiées, et le plus souvent sans liens visi- bles les unes avec les autres?

Hélas, à notre avis, le Livre vert soulève à ce propos plus de questions qu'il n'apporte de réponses précises, claires, fondées. En effet, les auteurs du Livre vert identifient grosso modo, trois causes qui, selon eux, seraient en grande partie responsables du phénomène de la déshumanisation de l'école.

l0 la spécialisation des enseignants

2 O la dispersion des élèves dans de nombreux grou- pes qui découle

a) de la prolifération des voies et des options b) de la substitution de la classe-matière à la

classe-degré

Or, à ce sujet, de nombreuses questions surgis- sent dans l'esprit du lecteur un tant soit peu critique. Les auteurs du Livre vert restent muets devant ces questions tout en se comportant comme si les ré- ponses allaient de soi. Tout semble alors se passer comme si l'on pouvait raisonnablement s'appuyer sur quelques affimations rapides, plus ou moins péremptoires, parfois même gratuites, pour détermi- ner les orientations à prendre dans l'avenir.

Voici, à titre d'exemples, quelques questions pour lesquelles il serait nécessaire d'offrir au lecteur des réponses fondées avant de lui demander d'accor- der son adhésion aux solutions proposées.

l0 En quoi la spécialisation des enseignants est-elle spécifiquement liée à la déshumanisation de l'école, ou peut-elle en être tenue responsable?

2" Comment la dispersion des élèves dans plusieurs groupes contribue-t-elle à la détérioration des re- lations humaines à l'école?

3O Quelles sont les raisons qui permettent de croire que le manque d'organisation peut être tenu res- ponsable de phénomènes aussi généralement ré- pandus que la démotivation des élèves, le désin- térêt et la démobilisation des éducateurs, l'absen- téisme courant des élèves et des enseignants?

4 O D'autre part, quand on remet en cause sans trop le dire, il est vrai, quelques-uns des principes mêmes de la réforme scolaire, s'agit-il encore, comme le répètent les auteurs du Livre vert, de simples correctifs et de redressements?

Déshumanisation, dépersonnalisation: deux immenses phénomènes, extrêmement diffus, dont les rapports réciproques sont d'ailleurs à peine tou- chés. D'où viennent-ils? Des grands espaces? Des grands nombres? Du découpage atomisant de la du- rée possible des rencontres? De l'excessive fluidité des .groupes-matières.? De l'espèce d'anonymat .urbain >> que la .cité-école fi a finalement implanté dans ses murs? De quoi encore? Poumons-nous plus longtemps éviter de répondre à de telles questions par une analyse plus serrée de la situation qui pré- vaut notamment dans nos écoles secondaires?

DEUXIÈME PARTIE: UN ESSAI D'EXPLICATION

On n'en sort pas. Sous l'effet peut-être d'une méfiance compréhensible à l'endroit des .grandes 3 O le défaut d'organisation.

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théories éducatives, le Livre vert est demeuré nette- ment en deçà d'une analyse pourtant nécessaire de la situation dont il s'occupe. De ce point de vue, suggérer avec Goethe que «toute théorie est grise» constituait sans doute à première vue un beau départ (en exergue à la présentation du document). Oppo- ser du même souffle à cette grisaille le abel arbre verdoyant de la vie», c'était au surplus indiquer un choix et annoncer une orientation. Le Livre vert se prendrait-il lui-même par hasard pour une branche de ce <(bel arbre», dont nous n'aurions en somme qu'à cueillir les fruits? Les choses sont malheureuse- ment beaucoup moins simples, surtout dans la

vie » .

Ne soyons pas mesquins. Nous hésiterions à pousser hop loin l'utilisation de l'aphorisme. Car enfin, dans la conduite des affaires humaines, il arrive toujours un moment où le choix s'impose, à moins de prétendre en secret qu'il peut être fécond de partir dans toutes les directions à la fois. Or, le choix ne devient possible en réalité que s'il est guidé par des priorités ou des préférences, elles- mêmes appuyées sur des jugements de valeur. Mais, dans le gouvernement des hommes, les jugements de valeur à leur tour renvoient inévitablement à une analyse de situation, ouverte ou cachée.

La question est alors de savoir s'il existe un véritable substitut à une telle analyse. Fiairant la difficulté, le Livre vert se rabat sur la simple consta- tation, accompagnée d'un alignement plutôt som- maire de ce qui est perçu comme «cause» et de ce qui est perçu comme %effet>>.

D'autre part, en matière de solutions, le Livre vert est modeste m. Plutôt qu'à un « bouleverse- ments de ce qui existe, il songe à des «change- ments.. . scrutés par les principaux intéressés avant d'être mis en oeuvre», à un «renouveau» et, ça et là, à un firedressement D, à divers «correctifs» appli- qués à des «points concrets B. Avouons sans amba- ges que cette «modestie» nous paraît plutôt rafraî- chissante après les grands éclats que la réforme sco- laire a connus dans ses commencements.

N'est-elle pas cependant un peu tardive? Au point où nous en sommes, pourra-t-elle donner tous ses effets? Il importe de se rappeler qu'il est parfois difficile de devenir «modeste» du jour au lende- main. La raison en est que ce n'est pas d'abord ici une question d'intention, même politique. C'est avant tout, à notre avis, une question de situation. Avec ses multiples boursouflures, celle-ci, précisé-

ment, permettra-t-elle aux modestes «correctifs» et *redressements» proposés par le Livre vert de nous tirer, entre autres, de cette déshumanisation et de cette dépersonnalisation dont à peu près tout le monde se plaint? On le voudrait bien: ce serait telle- ment plus simple, et aussi plus économique à tous égards. Mais, en même temps, on ne peut s'empê cher d'entretenir certains doutes.

Le problème des relations humaines

Une chose nous retient, qui nous semble fonda- mentale. Le Livre vert, fidèle reflet de la pensée éducative de notre milieu, n'accorde que fort peu d'attention explicite au problème plus général des relations humaines. C'est peut-être là que se dissi- mule en réalité sa plus grande faiblesse. Car les relations humaines en général, et la relation pédago- gique en particulier, obéissent à des conditions spéci- fiques d'établissement, de nombre, d'espace et de durée. Changer l'un ou l'autre de ces facteurs, c'est tôt ou tard, mais inévitablement, changer la relation elle-même. En conséquence, si l'on modifie par exemple le seul facteur durée, la relation obtenue pourra être en fait fort différente de celle qu'on avait espéré obtenir au départ. A son insu, il arrive ainsi qu'on aboutisse à des résultats exactement contraires à ceux qu'on avait recherchés.

Dans le cas présent, la dépersonnalisation géné- ralisée de la relation pédagogique, à la place de ce respect de la personne et de cette noble attention aux besoins individuels, qu'on avait pourtant inscrits en premier lieu dans les objectifs; une profonde déshumanisation du milieu scolaire, à la place de cet accueillant «milieu de vie» qu'on s'était pour- tant proposé de créer; un anonymat extrêmement délétère à la place de ces rencontres, de ces échan- ges et de cette croissance de la responsabilité so- ciale, qu'on avait pourtant voulu favoriser au mo- ment euphorique de l'établissement du système. Comment expliquer de tels écarts, et il y en a d'au- tres, entre les objectifs déclarés et les résultats obte- nus en matière de relations humaines?

Il ne sera sans doute pas inutile que nous nous arrêtions un instant à cette tenace contradiction, qui est au coeur du problème dont nous nous occu- pons ici. On nous permettra à ce propos de prendre un peu de recul. Paix aux .grandes théories., et paix au Livre vert!

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Une longue expérience historique

Au cours de sa longue histoire, l'homme n'a créé que deux espaces d'habitation fondamentaux: l'espace domestique et l'espace urbain. Le premier a occupé à lui seul la presque totalité de la préhis- toire. Le second a fait sa première apparition sur la scène des affaires humaines à l'époque néolithique dans le Proche et le Moyen Orient anciens, il y a sept ou huit mille ans. La ville la plus ancienne aujourd'hui connue est nulle autre que Jéricho, dont le site originel occupait, autour d'une source, une petite oasis de la vallée du Jourdain. On notera d'ail- leurs au passage, que la formation des premiers espa- ces urbains a coïncidé avec une double spécialisa- tion, extrêmement importante, de la relation de l'homme à son milieu: la domestication des plantes et des animaux. Ce n'est pas un hasard. La spéciali- sation des métiers, elle aussi très active autour de l'option urbaine initiale, est venue un peu plus tard. Ainsi, Jéricho avait déjà derrière elle une histoire relativement longue, lorsque la première céramique a vu le jour. On sait mieux aujourd'hui à quel énorme développement cette spécialisation des mé- tiers, suivie à son tour d'une spécialisation compara- ble des tâches et des rôles, était promise dans la formation du nouveau tissu relationnel de l'espace urbain.

En fait, les conditions de base du premier déve- loppement de la civilisation urbaine n'ont pas changé substantiellement au long des millénaires, et l'observation attentive du phénomène urbain n'a pas trop de peine à les retrouver jusque dans notre expé- rience la plus quotidienne. Ajou terons-nous tout de suite, pour guider la curiosité de notre lecteur, que nos grandes écoles secondaires polyvalentes sont des produits typiques de nos espaces urbains, et de notre rationnalité urbaine, même à la campagne?

Or, l'analyse comparative du tissu relationnel qui se déploie respectivement dans l'espace domesti- que et dans l'espace urbain, révèle que les relations humaines connaissent, dans l'ensemble, deux struc- tures, ou deux morphologies principales: une mor- phologie en réseaux dans l'espace domestique et une morphologie en chaînes dans l'espace urbain. Au surplus, chacune de ces grandes morphologies offre des caractères propres, qui permettent de la distinguer assez nettement.

Relations personnelles en réseaux

En premier lieu, les structures relationnelles en réseaux, invariablement établies sur des durées plus

ou moins longues, parfois même très longues, ten- dent en conséquence vers la durée, et leur rationa- lité spécifique est celle qui prévoit la continuité et la stabilité dans des espaces d'habitation relativement réduits et dans des limites de nombre relativement restreintes. En second lieu, il importe de noter que les structures relationnelles en réseaux, formées de relations personnelles, ne s'étendent que par voie d'intégration, et jamais sur le mode de la simple addition, comme il arrive généralement dans les struc- tures relationnelles en chaînes.

La parenté

L'exemple le plus typique de la structure rela- tionnelle en réseaux est évidemment celui de la pa- renté. Certes, par la naissance, on est fils ou fille d'un tel ou d'une telle. Mais on sait aussi que la relation filiale, comme d'ailleurs la relation de ma- ternité, de paternité ou de fraternité, ne s'établit que sur une durée relativement longue. Il n'y a pas de afilialité* instantanée, pas plus que de paternité ou de maternité instantanées. On peut en dire autant, il va sans dire, de l'établissement de la relation frère- soeur, petits-enfants-grands-parents , oncles-tantes , cousins-cousines , etc.

Il est non moins clair, au surplus, que l'entrée dans le réseau relationnel de la parenté, typique de l'espace domestique comme espace d'habitation, ne se fait pas par simple addition, mais par intégration. La naissance d'un enfant, dans l'espace domestique, suppose un nouvel ajustement de la totalité du ré- seau existant, quelle que soit son étendue, depuis le père et la mère, les frères et les soeurs, jusqu'aux grands-parents, aux oncles et aux tantes, aux cou- sins et aux cousines à tout le moins les plus rappro- chés.

Les relations fonctionnelles en chaînes

Les choses se présentent fort différeniment du côté des structures relationnelles en chaînes. Celles- ci sont formées de relations fonctionnelles, dont les deux conditions préalables et nécessaires sont, d'une part, un large anonymat, au moins théorique, et d'autre part, une spécialisation avancée des mé- tiers, des tâches et des rôles. Or, les relations fonc- tionnelles, comparées aux relations personnelles qui diminuent dans les structures en réseaux, offient deux caractéristiques principales: elles peuvent, d'une part, s'instaurer dans de courtes durées, et à la limite, dans l'instant, et en conséquence, elles tendent vers la non-durée; elles peuvent, d'autre part, s'accommoder d'une multitude de découpages

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relativement fins, et ainsi s'additionner indéfiniment les unes aux autres, tels les maillons d'une chaîne, sans modifier pour autant le statut ni les conditions de possibilité des relations préexistantes. Corrélative- ment, la rationalité distinctive des s truc tures rela- tionnelles en chaînes obéit pour l'essentiel aux lois de l'utilité et de l'efficacité des fonctions aménagées dans chaque chaîne.

La caissière du supermarché offre un bon exem- ple de ce phénomène. La caissière n'est pas là pour identifier le client: elle est là pour reconnaître l'arti- cle, et surtout le prix. Si elle identifie le client et lui dit seulement .Bonjour», c'est à la lettre, «par- dessus le marché», et au-delà de la chaîne fonction- nelle dans laquelle tous deux sont engagés. La tran- saction tend vers l'instant, c'est-à-dire, en termes relationnels, vers la non-durée. Si la durée s'y intro- duit, ne serait-ce que par le .Bonjour?> initial, qui à son tour amènera peut-être un bout de conversation anodine, la relation fonctionnelle prévue dans le sys- tème (l'institution commerciale du supermarché) ris- quera de passer à plus ou moins long terme de la structure en chaînes à la structure en réseaux (carna- raderie, amitié, amour), et toute la rationalité fonc- tionnelle qui préside aux échanges sera, en consé- quence, troublée, ou menacée de l'être*.

Discordance des tissus relationnels

Sans nous étendre davantage sur la formulation de cette G théorie » , qui demanderait une élaboration beaucoup plus soutenue que celle que nous pouvons offrir ici, nous faisons l'hypothèse que la plupart des contradictions qui travaillent en ce moment no- tre système d'éducation, et notamment au secon- daire, relèveraient en définitive des structures rela- tionnelles discordantes auxquelles appartiennent, d'une part, quelques-uns des objectifs majeurs que nous continuons à nous proposer depuis la réforme, telle l'attention pédagogique aux besoins individuels de chaque élève, et d'autre part, les aménagements concrets de l'activité éducative globale, qui obéis- sent tout bonnement aux règles les plus strictes de la rationnalité fonctionnelle, avec son découpage vir- tuellement illimité des durées et des espaces, des options et des intérêts, des groupes et des sous-

* Pour plus de détails, on pourra voir -La waie nature du phénoméne urbain M, dans Maintenant. no 135, avril 1974, pp. 7- 1 1 . Jean-Paul Audet prépare en ce moment un ouvrage sur le phénomène institution- nel. Les notions utilisées ici seront explicitées dans cet ouvrage.

groupes, des compétences et des responsabilités, des cheminements et des évaluations, des méthodes et des programmes.

L'obstacle des aménagements

Si notre hypothèse s'avérait exacte devant une analyse plus détaillée des faits, il faudrait peut-être reconnaître honnêtement, dès le départ, qu'il est illu- soire d'espérer que des tissus relationnels en réseaux s'établissent dans nos grandes polyvalentes, alors que l'essentiel des aménagements scolaires qui s'y déploient concrktement , penche du côté des rela- tions fonctionnelles en chaînes. Ce n'est pas d'abord une question de bon ou de mauvais vouloir, de bonne ou de mauvaise gestion, de bonne ou de mauvaise politique: c'est forzdamentalement une question de structures relationnelles, qu'il faut commencer par reconnaître et par respecter dans leurs conditions propres d'existence. Bref, il faut savoir, dès le début de l'entreprise, qu'on ne bâtira pas de relations personnelles en réseaux, avec la sorte de rencontres, d'échanges, d'attentions et de responsabilités que de telles relations seraient sus- ceptibles de produire, dans des conditions générales qui, de fait, pèsent de tout leur poids du côté de la constitution de relations fonctionnelles en chaînes. Dans aucun ordre, pédagogique ou autre, il n'est possible de faire des relations personnelles promises à une certaine durée avec des-micro-relations fonc- tionnelles vouées d'avance à autant de micro- ruptures.

En regard de certains reproches fréquemment adressés à nos écoles secondaires, et que reproduit du reste le Livre vert, nous ajouterions volontiers, d'autre part, que ce ne sont pas les grandes espaces, ni même les grands nombres, pris en soi, qu'il y a lieu d'incriminer autour du double phénomène large- ment constaté de la dépersonnalisation et de la déshumanisation de notre milieu scolaire. Certes, ni les nombres ni les espaces ne sont indifférents aux relations qui peuvent s'y instaurer. Mais, en défini- tive, c'est bien plutôt le type de relations personnel- les ou fonctionnelles qu'on choisit d'y promouvoir par-dessus tout qui est décisif. Les aménagements concrets des espaces et des nombres doivent srtivre ce premier choix, non le précéder. Autrement, on peut être sûr qu'ils entraîneront tout dans leur sil- lage, relations comprises. Il va sans dire d'ailleurs que plus on gonfle les espaces et les nombres, moins on se rend la tâche facile, si l'on se donne comme objectif d'établir et de développer des rela- tions personnelles en réseaux.

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La cité-école

Enfin, il faut savoir que les relations fonction- nelles en chaînes non seulement s'accommodent ai- sément de l'anonymat, qui est une de leurs premiè- res conditions d'existence, mais le favorisent et le créent. L'observation du phénomène urbain est à cet égard extrêmement instructive, surtout quand on passe de l'urbanisation simple à la grande urbanisa- tion. La ville a fini par donner naissance à «la fou- le solitaire.. Conçues pour une large part sur le modèle de la rationalité urbaine, faut-il vraiment s'étonner que nos grandes <<cités-écoles)> (.cité des jeunes., .cité étudiante») produisent à la limite un phénomène semblable, avec tous les problèmes ap- parentés que nous connaissons de part et d'autre? On serait plutôt surpris du contraire.

Conclusion

Nos villes sont implantées dans le sol du terri- toire. Nos écoles sont pareillement inscrites dans l'espace physique et humain de notre pays. Il y a évidemment là, dans les faits, un certain nombre de situations irréversibles. Suspendre des pots de fleurs aux lampadaires de la rue Ste-Catherine ne ferait pas pour autant des espaces verts. Géraniums saison- niers de l'évasion et de l'oubli. Apprivoisement tran- sitoire d'une sévère réalité de macadam et de béton. Guère plus. L'humanisation de nos écoles sera-t-elle plus aisée que celle de nos villes? En un sens qui nous paraît aller au fond des choses, problèmes ana- logues de la cité-école et de la cité tout court. Comment personnaliser d'aussi vastes ensembles re- lationnels dans des espaces conçus et construits se- lon les règles d'une rationalité fonctionnelle qui, de soi, ne peut inviter qu'à une personnalisation minimale enfermée dans les très courtes durées? Il faut nous dire tout de suite que la difficulté est de taille, et que nous devons sans doute trouver quoti- diennement le courage de vivre pour une bonne part avec les conséquences de nos choix antérieurs.

Les corridors de nos grandes écoles prennent ici une valeur symbolique. A leur échelle, voies rapides d'une tranche d'enseignement à une autre pour des groupes qui se font et se défont au gré des options-matières. C'est la rationalité fonctionnelle dans tout son éclat, impeccable dans l'abstrait, déshumanisante dans les faits. On songe aux trot- tous de nos villes, lieux fonctionnels privilégiés de l'anti-rencontre et du renforcement de l'anonymat.

Plus généralement, l'architecture des écoles de la réforme n'est pas moins révélatrice de la sorte de rationalité qui a prévalu de bout en bout dans l'aménagement concret du système. Architecture pour relations fonctionnelles, analogue à celle de l'édifice à bureaux et de l'usine, plutôt qu'architec- ture pour relations d'habitation. Comment, dans ces conditions, continuer à mettre en avant, sans contra- diction ou sans paradoxe, le grand objectif de l'école-amilieu de vie»? L'expérience de nos dix dernières années a montré que la relation d'habita- tion, comme la relation d'appartenance qui l'accom- pagne normalement, sont choses très sélectives, qui ne fleurissent pas dans n'importe quel espace ni sur n'importe quel terrain. 1

Dans tout cela, le Livre vert propose ce qu'il appelle des «correctifs >> et des «redressements >> . Ceux-ci ne nous sont connus qu'en partie. Il convient d'attendre pour en juger. Certains, qui pourront conduire à une relative stabilisation des itinéraires pédagogiques et des groupes-matières, de même qu'à une plus grande continuité dans la rela- tion maîtres-élèves, nous paraissent aller dans la bonne direction, du moins en ce qui concerne le secondaire 1, II et III. Mais que se passera-t-il après cet intermède? Peu sûrs d'eux-mêmes et trop res- treints, les «correctifs » et les «redressements >> ne risquent-ils pas de devenir de simples palliatifs?

Nous souhaitons bien que les choses tournent autrement. De toute façon, l'essentiel, de notre point de vue, est que nous nous donnions enfin une vision un peu plus claire des conditions d'établisse- ment et d'existence des relations humaines, person- nelles ou fonctionnelles. Nous nous permettrons de répéter à ce propos que la distinction de la morpholo- gie en réseaux et de la morphologie en chaînes nous paraît ici capitale. On ne fera jamais un réseau de relations personnelles continues avec une multitude de bouts de relations fonctionnelles en chaînes en- traînées de leur nature vers les durées minimales.

Aussi bien demeurons-nous quelque peu in- quiets lorsque nous voyons le Livre vert continuer à proclamer le grand objectif de l'attention privilégiée aux intérêts, aux besoins et aux cheminements indi- viduels des élèves. En soi, c'est noble, généreux et tout beau. Dans l'abstrait, on ne peut qu'être d'ac- cord. Mais, dans les conditions présentes, même améliorées sur quelques points précis, ne nsquons- nous pas de faire renaître là de grands espoirs que la réalité décevra une fois de plus? Dans les circonstan- ces, il nous paraîtrait beaucoup plus sage de

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commencer par réexaminer la réalité en regard des objectifs. De ce point de vue, il ne suffit pas d'ali- gner, ni même de classer les doléances. Il faut au moins tenter de comprendre un peu plus en profon- deur ce qui s'est passé depuis dix ans, et qui vrai- semblablement se reproduira dans l'avenir, si nous continuons à entretenir une vision nettement discor- dante des grands objectifs et de leur traduction dans les aménagements offerts par la réalité.

Faut-il dire, en terminant, que nous ne désespé- rons de rien? Nous sommes persuadés, au contraire, que beaucoup de choses demeurent possibles, même si nous ne pouvons guère changer la brique et le

béton. Tout dépendra en définitive de la vision que nous nous donnerons de la réalité elle-même. La vision la plus noire ne sera pas nécessairement la plus réaliste, mais, en revanche, nous croyons qu'une analyse réaliste n'évitera pas certaines sévéri- tés.

Jeanne-Marie Gingras-Audet est professeur agrégé à la Faculté des sciences de l'éducation, section de l'enseignement secondaire et collégial, Université de Montréal. Jean-Paul Audet est professeur titulaire au Dé- partement de philosophie d e l 'université de Montréal.

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