Le parcours d’une famiLLe GB Tran · Sûrement aucun des deux. Il était médecin, son but était...

13
Tu sais ce qu’a fait ton père à ton âge ? Il... NOUS avons fui le Vietnam. LE PARCOURS D’UNE FAMILLE GB Tran TEXTES ET DESSINS : GB TRAN TRADUCTION DE L’ANGLAIS (USA) : FANNY SOUBIRAN

Transcript of Le parcours d’une famiLLe GB Tran · Sûrement aucun des deux. Il était médecin, son but était...

Page 1: Le parcours d’une famiLLe GB Tran · Sûrement aucun des deux. Il était médecin, son but était de SAUVER des vies. À la fin de la guerre en 75, Huu Nghiep a commencé à écrire.

Tu sais ce qu’a fait ton père à ton âge ?

Il... NOUS avons fui le Vietnam.

Le parcours d’une famiLLe

GB Tran

TexTes eT dessins : GB Tran

TraducTion de L’anGLais (usa) : fanny souBiran

Page 2: Le parcours d’une famiLLe GB Tran · Sûrement aucun des deux. Il était médecin, son but était de SAUVER des vies. À la fin de la guerre en 75, Huu Nghiep a commencé à écrire.

Le soir du 25 avril 1975,on s’est tous entassés dansun avion-cargo américain

à destination des États-Unis.

L’un des derniers à décoller de l’aéroport de Saigon avant qu’il ne soit détruit par les bombes du Vietcong un peu plus tard dans la nuit.

C’était il y a 30 ans.

Ton père avait le même âge que toi

aujourd’hui.

Merci auxagents de bord

de préparer la cabine

pour l’atterrissage.

Les passagerssont priés de

regagner leur siège et

d’attacher leur ceinture

jusqu’à l’atterrissage !

Merci d’avoir choisi

notre compagnie et

bienvenue au Vietnam...

Drôlede coïncidence, tune trouves pas ?

1110

Page 3: Le parcours d’une famiLLe GB Tran · Sûrement aucun des deux. Il était médecin, son but était de SAUVER des vies. À la fin de la guerre en 75, Huu Nghiep a commencé à écrire.
Page 4: Le parcours d’une famiLLe GB Tran · Sûrement aucun des deux. Il était médecin, son but était de SAUVER des vies. À la fin de la guerre en 75, Huu Nghiep a commencé à écrire.

Pour mon fils,Gia-Bao Tran

« Un homme sanshistoire est Un arbre

sans racines. » - confUciUs

Cet arbre a une légende.

Les Vietnamiensd’ici prétendent qu’il

descend de l’arbre sous lequel Bouddha

a médité.

Ce sontdes moines qui auraient

rapporté d’Inde une racine et qui l’auraient replantée ici, avant de bâtir ce temple tout

autour.

Et 2500 ansplus tard,

leurs disciples continuent d’en

prendre soin.

Des générationsse sont succédé à

son pied et sous son ombre en quête de

spiritualité.

Voilàta mère.

Ne t’affale passur cet éléphant, un peu de respect.

Fascinant, Papa.

15

Page 5: Le parcours d’une famiLLe GB Tran · Sûrement aucun des deux. Il était médecin, son but était de SAUVER des vies. À la fin de la guerre en 75, Huu Nghiep a commencé à écrire.

I l y a trois mois de cela, à l’automne 2006, maman a perdu sa mère.

Difficile de considérer Thi Mot comme ma« mamie ». Je ne suis a llé au Vietnam pour

la rencontrer qu’une seule fois avant ce voyage.

Elle était a lors au crépuscule de sa vie et, physiquementcomme mentalement, elle était déjà presque partie.

Ses funérailles ont rassemblé beaucoupde famille, venue de tout le Vietnam et même de la lointaine Amérique, dans la

petite communauté littorale de Vungtau.

Pour être honnête, je n’ai pas traversé le monde pour Thi Mot. Je l’ai fait pour Maman.

Et pour Papa.

16 17

Page 6: Le parcours d’une famiLLe GB Tran · Sûrement aucun des deux. Il était médecin, son but était de SAUVER des vies. À la fin de la guerre en 75, Huu Nghiep a commencé à écrire.

Étrange coïncidence :la mère de maman et le père

de papa, derniers de mes aïeux encore en vie, sont décédésà quelques mois d’intervalle.

Pourquoi tu nem’as pas dit que les

Vietnamiens portaient le deuil en blanc et

pas en noir ?

Je n’aurais pas mis ça, je crève de

chaud.

Ta présence ici est déjà bien plus qu’il ne

mérite.

Ta mère n’est pas

venue.

Et tu n’étais pas

obligé.

On se croiraitdans un Arlington*

vietnamien. Saufque les lots sont

plus petits et plus colorés.

Tu en sais beaucoupsur un père avec lequel

tu n’as eu aucun contact pendant 50 ans.

Grand-père a dû faire des choses

intéressantes pour finir ici.

* Important c imetière mi l itaire américain .

C’est le moment de rencontrer la famille.

Tu vois cette pierre tombale en

marbre ?

Ces hommesappartiennent à

leur pays, que cela plaise ou non à leurs familles.

... Tu ne peux pasjuger notre famille hors contexte et lui appliquer ton filtre

occidental etcontemporain

réducteur.

Sa famillevoulait qu’il repose

auprès de sesparents à Mytho,

là où il est né, maisle gouvernement

n’était pas decet avis.

Voilàcomment

fonctionnent lescommunistes.

Tu croisqu’il les a eues

en tenant un stylo ?

C’est iciqu’on enterre les héros de

guerre.

Ce n’est pas parce que je ne parlais plus à

Huu Nghiep que...

Lavoilà.

Pastrop tõt.

...Et cette plaque

sculptée àla main ?

18 19

Page 7: Le parcours d’une famiLLe GB Tran · Sûrement aucun des deux. Il était médecin, son but était de SAUVER des vies. À la fin de la guerre en 75, Huu Nghiep a commencé à écrire.

GB,viens !

Voici GB, mon plus jeune fils.

C’est ton oncle de Langson...

Gia-Bao,tu te caches ?

Je fais une petite pause,

oncle Vinh.

C’est fatigant de rencontrer tant de

famille à la fois.

Surtoutdans ces tristes

circonstances.

Tristes ?

Qu’est-ceque tu

racontes ?

C’est l’occasionde se réjouir !

GB a30 ans...

C’est le second mari de ta

tante du delta du Mekong...

GB vit àNew York.

GB est« artiste ».

C’est la dernière fille du fils cadet qui vit ici à Vingtau avec ta troisième tan...

C’estl’aîné de

mes neveux

J’aimeraiste présenter

certainsmembres dela famille. Ouais,

maman.

Malgré la guerre et trois décennies de séparation, nous formons à nouveau une famille !

Famille et proches ont traversé tout le Vietnam – et même le MONDE –pour venir célébrer la vie de ta grand-mère.

J’ai enfin retrouvé ma grande sœur, ta mère ! La plupart des gensici ne l’avaient pas revue depuis son départ il y a 30 ans !

Tu trouves ça triste ? Gia-Bao, tu as passé trop de temps en Amérique. Regarde autour de toi, il n’y a que de la joie ! Tous les enfants de Thi Mot sont réunis !

20 21

Page 8: Le parcours d’une famiLLe GB Tran · Sûrement aucun des deux. Il était médecin, son but était de SAUVER des vies. À la fin de la guerre en 75, Huu Nghiep a commencé à écrire.

Tu ressembles beaucoup à ton père

Huu Nghiep...

Je suis content d’être en noir finalement.

Parce qu’on a trouvéla maison la plus

froide de tout Saigon.

J’ai l’impression de voir mon époux assis

en face de moi.

Quand Grand-père a abandonné sa première famille, Papa n’avait que trois ans.

Rien d’étonnant à ce que Papa n’ait entretenu aucun contact avec la seconde épouse de Huu Nghiep.

Pour lui, elle n’est qu’un vestige d’une vie sans père.

Des plaques et des médaillesrappellent les bons et loyaux

services rendus par Huu Nghiepau fil de sa vie. D’abord contre les Japonais, puis

contre les Français et enfin contre l’envahisseur américain.

A-t-il tué un légionnaire pour celle-ci ? ou peut-être un Marine ?

Sûrement aucun des deux. I l était médecin, son but était de SAUVER des vies. À la fin de la guerre en 75, Huu Nghiep a commencé à écrire.

Amère ironie.

* De l ’art d’é lever des enfants par Huu Nghiep

Un simple élément du décor, dans la maison chic et stérile de mon grand-père.

L’immeuble en question est une récompense offerte parle parti après la victoire sur les Américains en 1975.

22 23

Page 9: Le parcours d’une famiLLe GB Tran · Sûrement aucun des deux. Il était médecin, son but était de SAUVER des vies. À la fin de la guerre en 75, Huu Nghiep a commencé à écrire.

Vous ne voulez pas rester un

peu plus ?Et

dîner avecmoi ?

Aussigrand que ton

père...

Sonportrait craché...

Ilse faittard.

Ilnous faut

partir.

Nous devons retrouver

mon ami Do au restaurant.

Non,je vous en

prie.Ne

vous levezpas.

Noustrouverons

la sortie.

. . .

C’étaitbizarre. Gênant.

Glauque. Je ne sais pas si c’est à moi qu’elle parlait ou à son défunt époux...

C’estétrange !

Même posture, même chevelure,

même nez !

Même fonctionnement aussi :à chaque fois que je rendais visite

à Huu Nghiep après ton départ aux États-Unis, il ne décrochait

pas un mot.

À la fin,il ne rendait même plus

visite aux huiles du parti parce qu’il se disait trop fatigué.

Alors comme Ca, le révéré héros de

la révolution a préféré s’auto-exiler plutõt que

de faire face au nouveau gouvernement corrompu

auquel il avait donné sa vie.

,

Je ne sais pas.

Non.

Non.

Pasvraiment.

Les idéauxpour lesquels Huu Nghiep s’est battu toute sa vie sont partis en fumée.

Vu comment les chosesont tourné ici, je pense

qu’il est mort parce qu’il avait le cœur brisé.

Hmph.

C’était un peu comme ne PAS

te parler !

Comment il est mort ?

T’as pas demandé ?

Pourquoi ? Tu n’es pas curieux ?

Mais c’estton père !

. . .

Mais elle a raison.Tu es son sosie.

2524

Page 10: Le parcours d’une famiLLe GB Tran · Sûrement aucun des deux. Il était médecin, son but était de SAUVER des vies. À la fin de la guerre en 75, Huu Nghiep a commencé à écrire.

Allez !

OUIVa

Assure-toi qu’il y a assez de baguettes et de cuillères.

Comments’est passée cette virée à

Saigon ?

« Bien »,c’est tout ?

Bien.

C’esttout.

*BUUUUUUT

NON ! Vinh veut louer une voiturepour nous

raccompagnerà Saigon le jour

de notredépart. Mais il en

a envie.

Et la veuvede Huu Nghiep ?

Tu ne crois pasque tu devrais

repasser la saluer ?

Il veut être làpour nous dire au

revoir à l’aéroport.

Ce serapeut-être

la dernièrefois.

À table !

Gia-Bao,goûte ça !

C’est le meilleur morceau dans

le cochon !

Après mangeron ira faire un tour !

Et toi,Gia-Bao,à pied ! I l faut

que tu éliminestout ce gras !

Traduction : « Le meilleur morceau pour vous boucher les artères. »

Il n’a pas besoin de se donner tant

de mal.

Quoi ?

2726

Page 11: Le parcours d’une famiLLe GB Tran · Sûrement aucun des deux. Il était médecin, son but était de SAUVER des vies. À la fin de la guerre en 75, Huu Nghiep a commencé à écrire.

Mercid’être revenus me voir avant

votre départ pour l’Amérique.

Il n’y a pas de quoi.

?!

Dis, Papa...C’est

exact.

Où veux-tu en venir ?

Ettu ne l’as jamais

contacté pendantles 50 ans...

Comment ce tableau a-t-il atterri ici ?!

...

On a tout laissé derrière

nous.

Et Huu Nghiep est bien parti quand tu étais

tout petit ?

Maman et toi, vous êtes partis en 75 sans rien d’autre que ce que vous aviez sur le dos,

non ?

Père est-ce

que besoin

de s

Oui.

Mais...

J’ai oublié de dire quePapa était peintre. I l n’en parle jamais.

I l n’a jamais fait d’études d’arts plastiques, mais il consacrait tout

son temps libre à cela.

Après avoir tenté de percer pendant plus d'une décennie , il a finalement

obtenu sa chance en 1975.

On s’en va.

Allez.

28 29

Page 12: Le parcours d’une famiLLe GB Tran · Sûrement aucun des deux. Il était médecin, son but était de SAUVER des vies. À la fin de la guerre en 75, Huu Nghiep a commencé à écrire.

Grâce à une grande exposition de paysages vietnamiens romantiques dans le style

impressionniste français.

Parfois faire les bons choix exige de laisser certaines choses derrière soi.

I l y a un vieux dicton vietnamien qui dit : « Nos parents s’occupent de nous tantque nos dents s’aiguisent...

Bien accueillie par le public et des acheteurs étrangers enthousiastes.

Mais quelques mois plus tard, toutes ses toiles furent perdues et détruites.

Papa les avait abandonnées en fuyantle Vietnam avec Maman.

… et nous nous occupons d’eux quandles leurs s’émoussent. »

I l devint une star montantede la scène artistique vietnamienne.

Ni Maman ni Papan’ont eu cette chance

avec leurs parents.

Qu’ils l’aientvoulu ou non...

et que leurs parentsl’aient mérité ou non...

est une autre histoire.

30 31

Page 13: Le parcours d’une famiLLe GB Tran · Sûrement aucun des deux. Il était médecin, son but était de SAUVER des vies. À la fin de la guerre en 75, Huu Nghiep a commencé à écrire.