Le parcours d’une famiLLe GB Tran · Sûrement aucun des deux. Il était médecin, son but était...
Transcript of Le parcours d’une famiLLe GB Tran · Sûrement aucun des deux. Il était médecin, son but était...
Tu sais ce qu’a fait ton père à ton âge ?
Il... NOUS avons fui le Vietnam.
Le parcours d’une famiLLe
GB Tran
TexTes eT dessins : GB Tran
TraducTion de L’anGLais (usa) : fanny souBiran
Le soir du 25 avril 1975,on s’est tous entassés dansun avion-cargo américain
à destination des États-Unis.
L’un des derniers à décoller de l’aéroport de Saigon avant qu’il ne soit détruit par les bombes du Vietcong un peu plus tard dans la nuit.
C’était il y a 30 ans.
Ton père avait le même âge que toi
aujourd’hui.
Merci auxagents de bord
de préparer la cabine
pour l’atterrissage.
Les passagerssont priés de
regagner leur siège et
d’attacher leur ceinture
jusqu’à l’atterrissage !
Merci d’avoir choisi
notre compagnie et
bienvenue au Vietnam...
Drôlede coïncidence, tune trouves pas ?
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Pour mon fils,Gia-Bao Tran
« Un homme sanshistoire est Un arbre
sans racines. » - confUciUs
Cet arbre a une légende.
Les Vietnamiensd’ici prétendent qu’il
descend de l’arbre sous lequel Bouddha
a médité.
Ce sontdes moines qui auraient
rapporté d’Inde une racine et qui l’auraient replantée ici, avant de bâtir ce temple tout
autour.
Et 2500 ansplus tard,
leurs disciples continuent d’en
prendre soin.
Des générationsse sont succédé à
son pied et sous son ombre en quête de
spiritualité.
Voilàta mère.
Ne t’affale passur cet éléphant, un peu de respect.
Fascinant, Papa.
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I l y a trois mois de cela, à l’automne 2006, maman a perdu sa mère.
Difficile de considérer Thi Mot comme ma« mamie ». Je ne suis a llé au Vietnam pour
la rencontrer qu’une seule fois avant ce voyage.
Elle était a lors au crépuscule de sa vie et, physiquementcomme mentalement, elle était déjà presque partie.
Ses funérailles ont rassemblé beaucoupde famille, venue de tout le Vietnam et même de la lointaine Amérique, dans la
petite communauté littorale de Vungtau.
Pour être honnête, je n’ai pas traversé le monde pour Thi Mot. Je l’ai fait pour Maman.
Et pour Papa.
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Étrange coïncidence :la mère de maman et le père
de papa, derniers de mes aïeux encore en vie, sont décédésà quelques mois d’intervalle.
Pourquoi tu nem’as pas dit que les
Vietnamiens portaient le deuil en blanc et
pas en noir ?
Je n’aurais pas mis ça, je crève de
chaud.
Ta présence ici est déjà bien plus qu’il ne
mérite.
Ta mère n’est pas
venue.
Et tu n’étais pas
obligé.
On se croiraitdans un Arlington*
vietnamien. Saufque les lots sont
plus petits et plus colorés.
Tu en sais beaucoupsur un père avec lequel
tu n’as eu aucun contact pendant 50 ans.
Grand-père a dû faire des choses
intéressantes pour finir ici.
* Important c imetière mi l itaire américain .
C’est le moment de rencontrer la famille.
Tu vois cette pierre tombale en
marbre ?
Ces hommesappartiennent à
leur pays, que cela plaise ou non à leurs familles.
... Tu ne peux pasjuger notre famille hors contexte et lui appliquer ton filtre
occidental etcontemporain
réducteur.
Sa famillevoulait qu’il repose
auprès de sesparents à Mytho,
là où il est né, maisle gouvernement
n’était pas decet avis.
Voilàcomment
fonctionnent lescommunistes.
Tu croisqu’il les a eues
en tenant un stylo ?
C’est iciqu’on enterre les héros de
guerre.
Ce n’est pas parce que je ne parlais plus à
Huu Nghiep que...
Lavoilà.
Pastrop tõt.
...Et cette plaque
sculptée àla main ?
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GB,viens !
Voici GB, mon plus jeune fils.
C’est ton oncle de Langson...
Gia-Bao,tu te caches ?
Je fais une petite pause,
oncle Vinh.
C’est fatigant de rencontrer tant de
famille à la fois.
Surtoutdans ces tristes
circonstances.
Tristes ?
Qu’est-ceque tu
racontes ?
C’est l’occasionde se réjouir !
GB a30 ans...
C’est le second mari de ta
tante du delta du Mekong...
GB vit àNew York.
GB est« artiste ».
C’est la dernière fille du fils cadet qui vit ici à Vingtau avec ta troisième tan...
C’estl’aîné de
mes neveux
J’aimeraiste présenter
certainsmembres dela famille. Ouais,
maman.
Malgré la guerre et trois décennies de séparation, nous formons à nouveau une famille !
Famille et proches ont traversé tout le Vietnam – et même le MONDE –pour venir célébrer la vie de ta grand-mère.
J’ai enfin retrouvé ma grande sœur, ta mère ! La plupart des gensici ne l’avaient pas revue depuis son départ il y a 30 ans !
Tu trouves ça triste ? Gia-Bao, tu as passé trop de temps en Amérique. Regarde autour de toi, il n’y a que de la joie ! Tous les enfants de Thi Mot sont réunis !
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Tu ressembles beaucoup à ton père
Huu Nghiep...
Je suis content d’être en noir finalement.
Parce qu’on a trouvéla maison la plus
froide de tout Saigon.
J’ai l’impression de voir mon époux assis
en face de moi.
Quand Grand-père a abandonné sa première famille, Papa n’avait que trois ans.
Rien d’étonnant à ce que Papa n’ait entretenu aucun contact avec la seconde épouse de Huu Nghiep.
Pour lui, elle n’est qu’un vestige d’une vie sans père.
Des plaques et des médaillesrappellent les bons et loyaux
services rendus par Huu Nghiepau fil de sa vie. D’abord contre les Japonais, puis
contre les Français et enfin contre l’envahisseur américain.
A-t-il tué un légionnaire pour celle-ci ? ou peut-être un Marine ?
Sûrement aucun des deux. I l était médecin, son but était de SAUVER des vies. À la fin de la guerre en 75, Huu Nghiep a commencé à écrire.
Amère ironie.
* De l ’art d’é lever des enfants par Huu Nghiep
Un simple élément du décor, dans la maison chic et stérile de mon grand-père.
L’immeuble en question est une récompense offerte parle parti après la victoire sur les Américains en 1975.
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Vous ne voulez pas rester un
peu plus ?Et
dîner avecmoi ?
Aussigrand que ton
père...
Sonportrait craché...
Ilse faittard.
Ilnous faut
partir.
Nous devons retrouver
mon ami Do au restaurant.
Non,je vous en
prie.Ne
vous levezpas.
Noustrouverons
la sortie.
. . .
C’étaitbizarre. Gênant.
Glauque. Je ne sais pas si c’est à moi qu’elle parlait ou à son défunt époux...
C’estétrange !
Même posture, même chevelure,
même nez !
Même fonctionnement aussi :à chaque fois que je rendais visite
à Huu Nghiep après ton départ aux États-Unis, il ne décrochait
pas un mot.
À la fin,il ne rendait même plus
visite aux huiles du parti parce qu’il se disait trop fatigué.
Alors comme Ca, le révéré héros de
la révolution a préféré s’auto-exiler plutõt que
de faire face au nouveau gouvernement corrompu
auquel il avait donné sa vie.
,
Je ne sais pas.
Non.
Non.
Pasvraiment.
Les idéauxpour lesquels Huu Nghiep s’est battu toute sa vie sont partis en fumée.
Vu comment les chosesont tourné ici, je pense
qu’il est mort parce qu’il avait le cœur brisé.
Hmph.
C’était un peu comme ne PAS
te parler !
Comment il est mort ?
T’as pas demandé ?
Pourquoi ? Tu n’es pas curieux ?
Mais c’estton père !
. . .
Mais elle a raison.Tu es son sosie.
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Allez !
OUIVa
Assure-toi qu’il y a assez de baguettes et de cuillères.
Comments’est passée cette virée à
Saigon ?
« Bien »,c’est tout ?
Bien.
C’esttout.
*BUUUUUUT
NON ! Vinh veut louer une voiturepour nous
raccompagnerà Saigon le jour
de notredépart. Mais il en
a envie.
Et la veuvede Huu Nghiep ?
Tu ne crois pasque tu devrais
repasser la saluer ?
Il veut être làpour nous dire au
revoir à l’aéroport.
Ce serapeut-être
la dernièrefois.
À table !
Gia-Bao,goûte ça !
C’est le meilleur morceau dans
le cochon !
Après mangeron ira faire un tour !
Et toi,Gia-Bao,à pied ! I l faut
que tu éliminestout ce gras !
Traduction : « Le meilleur morceau pour vous boucher les artères. »
Il n’a pas besoin de se donner tant
de mal.
Quoi ?
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Mercid’être revenus me voir avant
votre départ pour l’Amérique.
Il n’y a pas de quoi.
?!
Dis, Papa...C’est
exact.
Où veux-tu en venir ?
Ettu ne l’as jamais
contacté pendantles 50 ans...
Comment ce tableau a-t-il atterri ici ?!
...
On a tout laissé derrière
nous.
Et Huu Nghiep est bien parti quand tu étais
tout petit ?
Maman et toi, vous êtes partis en 75 sans rien d’autre que ce que vous aviez sur le dos,
non ?
Père est-ce
que besoin
de s
Oui.
Mais...
J’ai oublié de dire quePapa était peintre. I l n’en parle jamais.
I l n’a jamais fait d’études d’arts plastiques, mais il consacrait tout
son temps libre à cela.
Après avoir tenté de percer pendant plus d'une décennie , il a finalement
obtenu sa chance en 1975.
On s’en va.
Allez.
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Grâce à une grande exposition de paysages vietnamiens romantiques dans le style
impressionniste français.
Parfois faire les bons choix exige de laisser certaines choses derrière soi.
I l y a un vieux dicton vietnamien qui dit : « Nos parents s’occupent de nous tantque nos dents s’aiguisent...
Bien accueillie par le public et des acheteurs étrangers enthousiastes.
Mais quelques mois plus tard, toutes ses toiles furent perdues et détruites.
Papa les avait abandonnées en fuyantle Vietnam avec Maman.
… et nous nous occupons d’eux quandles leurs s’émoussent. »
I l devint une star montantede la scène artistique vietnamienne.
Ni Maman ni Papan’ont eu cette chance
avec leurs parents.
Qu’ils l’aientvoulu ou non...
et que leurs parentsl’aient mérité ou non...
est une autre histoire.
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