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LE MUTISME SÉLECTIF CHEZ L'ENFANT : UN CONCEPT TRANS- NOSOGRAPHIQUE. REVUE DE LA LITTÉRATURE ET DISCUSSION PSYCHOPATHOLOGIQUE Ève Gellman-Garçon Presses Universitaires de France | « La psychiatrie de l'enfant » 2007/1 Vol. 50 | pages 259 à 318 ISSN 0079-726X ISBN 9782130562900 DOI 10.3917/psye.501.0259 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-la-psychiatrie-de-l-enfant-2007-1-page-259.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 29/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 29/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

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LE MUTISME SÉLECTIF CHEZ L'ENFANT : UN CONCEPT TRANS-NOSOGRAPHIQUE. REVUE DE LA LITTÉRATURE ET DISCUSSIONPSYCHOPATHOLOGIQUE

Ève Gellman-Garçon

Presses Universitaires de France | « La psychiatrie de l'enfant »

2007/1 Vol. 50 | pages 259 à 318 ISSN 0079-726XISBN 9782130562900DOI 10.3917/psye.501.0259

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REVUE CRITIQUEDES PROBLÈMES

D’ACTUALITÉ

Mutisme sélectifEnfantTraumatismeImmigrationAnxiétéTraitement multimodal

LE MUTISME SÉLECTIF CHEZ L’ENFANT :UN CONCEPT TRANS-NOSOGRAPHIQUE.

REVUE DE LA LITTÉRATUREET DISCUSSION PSYCHOPATHOLOGIQUE1

Ève GELLMAN-GARÇON2

LE MUTISME SÉLECTIF CHEZ L’ENFANT :UN CONCEPT TRANS-NOSOGRAPHIQUE.REVUE DE LA LITTÉRATURE ET DISCUSSION PSYCHOPATHOLOGIQUE

Le mutisme sélectif est un trouble de la communication chezl’enfant, défini comme une incapacité persistante à parler dans une ouplusieurs situations sociales, alors même que l’enfant est capable decomprendre le langage et de le parler dans d’autres situations. Généra-lement extra-familial et touchant majoritairement les filles, ce troubleconsidéré comme rare est en réalité très probablement sous-diagnostiqué. Il débute souvent avant l’âge de 5 ans, et plusieursannées peuvent s’écouler avant qu’il ne soit identifié et pris en charge.

1. Cet article a été rédigé à partir de la thèse écrite par l’auteur, Le mutismesélectif chez l’enfant, à propos de trois observations cliniques, Université Paris VII,dirigée par le Pr Bernard Golse et soutenue le 19 octobre 2004.

2. Pédopsychiatre, assistante spécialiste au CCASA (Centre communautaired’accueil et de soins pour adolescents), Service du Dr Bourcier (secteur 94102), Mon-treuil-sous-Bois (93).

Psychiatrie de l’enfant, L, 1, 2007, p. 259 à 318

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Il peut être symptomatique d’organisations très diverses de la personna-lité qui doivent être recherchées, avant de pouvoir se prononcer sur lepronostic et le traitement approprié. Les hypothèses psychopathologi-ques à l’origine de ce trouble complexe sont multiples. Plusieurs fac-teurs y ont été associés, tels qu’un trouble de la relation mère/enfant, uneanxiété de séparation, l’immigration, un traumatisme psychologique,la notion de secret familial, et plus récemment la phobie sociale (ouplus généralement les troubles anxieux). Le pronostic de ce trouble estréservé, dépendant essentiellement de la structure psychopathologiquesous-jacente, de la précocité du diagnostic et du traitement, de la psy-chopathologie familiale et de troubles éventuellement associés telsqu’une déficience intellectuelle, un retard du développement psychomo-teur ou du langage. La prise en charge, pour obtenir les plus grandeschances de guérison, doit être globale (incluant l’enfant, sa famille etles enseignants) et « multimodale », pouvant associer thérapie indivi-duelle (analytique et/ou cognitivo-comportementale), thérapie fami-liale et traitement pharmacologique (si la composante anxieuse appa-raît au premier plan).

SELECTIVE MUTISM IN THE CHILD :A TRANS-NOSOGRAPHIC CONCEPT.REVIEW OF THE LITERATURE AND DISCUSSION OF THEPSYCHOPATHOLOGY INVOLVED

Selective mutism is a communication disorder of the child, definedas the persistant inability to speak in one or more social situations whe-reas the child is capable of understanding language and of speaking inother situations. This trouble is generally extra-familial and mainlyconcerns girls. Until recently, it was considered to be rare but is, in fact,quite probably under-diagnosed. It often begins before the age of fiveand several years may elapse before it is identified and treatment isbegun. It can be symptomatic of quite a number of diverse personalityorganizations which must be considered before it is possible to offer aprognosis and the appropriate treatment. Many psychopathologicalhypotheses exist to explain the origin of this complex disorder. Severalfactors have been associated with it such as difficulties in themother/child relationship, separation anxiety, immigration, a psycho-logical traumatism, the notion of a family secret, and more recently,social phobia (or, more generally, anxiety troubles). The prognosis ofthis disorder is reserved, depending essentially on the underlying psy-chopathological structure, the precocity of the diagnosis and treatment,the family psychopathology and possible associated troubles such asintellectual deficiency, psychomotor or language developmental delays.To obtain the best chances of success, treatment must be global (inclu-ding the child, his family and teachers) and « multi-modal », associa-ting individual therapy (analytic and/or cognitive-behavioral type),family therapy and pharmacological treatment (if the component ofanxiety seems to be massively present).

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EL MUTISMO SELECTIVO DEL NIÑO : UN CONCEPTO TRANS-NOSOLÓGICO.REVISTA DE LA LITERATURA Y DISCUSIÓN PSICOPATOLÓGICA

El mutismo selectivo es un trastorno de la comunicación del niño yse define como la imposibilidad persistente de hablar en ciertas situacio-nes sociales, aunque se sabe que el niño es capaz de entender y de utilizarel lenguaje en otras ocasiones. En general se encuentra en situacionesextra-familiares y afecta en mayor medida a las niñas ; este trastorno espoco frecuente pero en realidad, lo más probable es que no se diagnos-tique. Suele empezar antes de los 5 años y pueden pasar varios añosantes de que se identifique y se trate. Puede ser sintomático de organiza-ciones de la personalidad muy distintas que es necesario identificarantes de pronunciarse sobre el pronóstico y el tratamiento apropiado.Las hipótesis psicopatológicas de los orígenes de este trastorno complejoson múltiples. Se le asocian otros factores, como por ejemplo el trastornode la relación madre/niño, la angustia de separación, la emigración, untraumatismo psicológico, la noción de secreto familiar y, recientemente,la fobia social (y en general cualquier trastorno ligado a la ansiedad).El pronóstico es reservado y depende esencialmente de la estructura psi-cológica subyacente, de la precocidad del diagnóstico y del tratamiento,de la psicopatología familiar y de los trastornos asociados : deficienciaintelectual, retraso del desarrollo psico-motor o del lenguaje. Para obte-ner la mayor probabilidad de curación posible, es necesario que todo elentorno se haga cargo globalmente (incluyendo al niño, a su familia y asus profesores) y que exista también una colaboración pluridisciplina-ria : terapia individual (analítica y/o cognitivo-conductual) terapiafamiliar y, si la ansiedad predomina, tratamiento farmacológico.

Le mutisme chez l’enfant, selon la Classification françaisedes troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent [58], estune « suspension ou une disparition brutale de la parole chezun enfant qui l’avait acquise antérieurement ».

Le mutisme sélectif est un trouble de la communicationdéfini comme une incapacité persistante à parler dans une ouplusieurs situations sociales (incluant souvent l’école), alorsmême que l’enfant est capable de comprendre le langage et dele parler dans d’autres situations (comme à la maison).

Généralement extra-familial, le mutisme sélectif est unsymptôme complexe et mystérieux : pourquoi l’enfantatteint de ce trouble, alors qu’il sait parler, choisit-il de ne pasle faire face à certaines personnes ou dans certaines situa-tions ? Pourquoi un symptôme ayant autant de répercussionsnégatives est-il choisi par l’enfant comme solution de com-promis à ses conflits intrapsychiques ?

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Depuis les premières descriptions cliniques à la fin dusiècle dernier, jusqu’au regain d’intérêt pour ce conceptdepuis une vingtaine d’années (suscité par l’avènement deshypothèses biologiques dans l’étiologie des troubles psychia-triques), le mutisme sélectif n’a cessé d’interroger les auteurs.Les points de vue théoriques s’affrontent quant à l’étiopatho-génie du trouble, conduisant à une prise en charge très diver-sifiée en fonction des orientations.

Considéré comme rare, le mutisme sélectif est en réalitéprobablement sous-diagnostiqué, certaines formes transitoi-res passant inaperçues, d’autres étant banalisées, voiredéniées par l’entourage ou les enseignants. L’enfant mutiqueà l’école passe pour un enfant timide, et s’il ne présente pasd’autre trouble du comportement, son symptôme sera« toléré » sans que soient mesurées les conséquences néfastesd’un tel trouble, tant du point de vue des interactions socialesque de l’investissement scolaire.

Mais avec le temps, si le mutisme perdure, les réactionsseront tout autres : parents, enseignants et psychiatres peu-vent ressentir une certaine frustration, voire une colère et unrejet à l’égard de l’enfant, qui reste mutique malgré leurs sol-licitations et leurs encouragements. Le silence est interprété àtort comme une opposition, une provocation, une insulte, etnon plus comme une attitude timide et anxieuse. Nul n’est àl’abri des réactions et contre-attitudes agressives et rejetantesque suscite ce symptôme déconcertant. Le risque d’unmutisme persistant à l’école (en dehors des problèmes pure-ment académiques) est donc que l’enfant soit rejeté par lesenseignants et par ses pairs, ce qui augmente d’autant plusson isolement social. Les interventions dans le milieu scolaireet la coopération des enseignants à la prise en charge despatients n’en paraissent que plus importantes.

HISTORIQUE DU CONCEPT DE MUTISME SÉLECTIF

Le mutisme sélectif a été décrit pour la première foisen 1877 par Kussmaul [47] à propos de trois cas cliniques. Il anommé ce trouble où les enfants savent parler mais choisis-

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sent d’être silencieux (souvent en réaction à une situationtraumatique) « aphasia voluntaria ».

En 1927, Sophie Morgenstern [59] préféra l’expression« mutisme psychogène ». Comme beaucoup d’auteurs del’époque, elle pensait que le mutisme était surtout l’expres-sion d’une opposition et d’une provocation. « Chez les hysté-riques, le mutisme représenterait l’expression physique d’unconflit psychologique (contrairement au mutisme des schi-zophrènes qui serait plutôt une manifestation du négati-visme). » Dans son article historique, elle décrit la cure (par ledessin) d’un enfant de 9 ans et demi, devenu mutique un anauparavant à l’occasion d’un changement de domicile. Sonmutisme était essentiellement dirigé envers son père les huitpremiers mois, puis était devenu total les quatre mois sui-vants. Ses dessins exprimaient des scènes d’angoisse crois-sante, essentiellement des scènes répétitives de castration. Cesont les deux noyaux principaux, le complexe d’Œdipe etcelui de l’angoisse de castration, qui ont poussé l’enfant dansle mutisme et dans une attitude d’hostilité silencieuse vis-à-vis de son père.

La nomination « elektiver mutismus » a été donnée pour lapremière fois en 1934 par Moritz Tramer [81], pionnier de lapsychiatrie suisse, pour décrire un syndrome témoignantd’une perturbation grave de la personnalité. Il a identifié plu-sieurs facteurs associés, dont la fragilité particulière du lan-gage, l’isolement de la famille par rapport à l’environnementextérieur... À cette époque, les enfants souffrant de psychosegrave n’étaient pas exclus du diagnostic, et, comme l’a faitremarquer à plusieurs reprises Louise Despert en 1958 [21], lemutisme électif peut être le signe de début d’une psychose schi-zophrénique chez un enfant en pleine période d’évolution œdi-pienne. Si l’on tient compte de ses travaux ainsi que de ceuxde Tramer et d’autres auteurs de l’époque dont ConradStein [76], on peut admettre que le mutisme est un signeimportant de schizophrénie infantile : il se rencontrerait dansun tiers des cas, et dans plus de la moitié de ceux apparais-sant à l’âge préscolaire.

Les années 1960 ont témoigné d’un plus grand effort pouressayer de comprendre les aspects psychodynamiques de cetrouble. En 1962, George Spencer de Vault et Éric Scho-

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pler [82] essaient de donner le tableau de la constellationfamiliale qui serait, selon eux, relativement spécifique :dépendance excessive à la mère, importance des fixations ora-les, tendances dépressives, importance de l’ambivalence et durejet maternel, caractère passif des pères qui seraient souventalcooliques. Dans cette perspective, le mutisme servirait àcontrôler les pulsions sadiques orales considérées comme into-lérables. En 1963, dans leur article sur le mutisme et les silen-ces de l’enfant, Serge Lebovici et René Diatkine [49] formu-lent l’hypothèse que beaucoup de mutismes sélectifs sontvraisemblablement sous-tendus par la prévalence d’un lan-gage familial synpraxique.

Depuis les années 1980, nous avons pu constater un inté-rêt grandissant pour le mutisme électif, avec la création d’uneFondation pour le mutisme sélectif aux États-Unis, ainsi quedes demandes par des associations de parents pour un chan-gement de nom dans le DSM. C’est ainsi que le mutisme « élec-tif », apparu en 1980 dans le DSM III [4] dans la rubrique« Autres troubles de la première et de la deuxième enfance oude l’adolescence », est devenu progressivement le mutisme« sélectif » dans le DSM IV [5], pour mieux souligner son aspectinvolontaire et dépendant du contexte social.

Dans les années 1990, le nombre de publications concer-nant ce trouble a augmenté de manière importante, dans lesjournaux anglophones plus spécifiquement. Non seulementdes études à plus grande échelle ont été publiées, mais égale-ment des articles sur les différentes modalités de traitement.Il est important de noter néanmoins que c’est au cours decette dernière décennie que s’est amorcé un tournant majeurdans les conceptions étiologiques de ce trouble (dans les paysanglo-saxons essentiellement) : les aspects psychodynami-ques ont en effet laissé place à des hypothèses biologiques etgénétiques du trouble, suivant le courant général de la psy-chiatrie. C’est ainsi qu’aux États-Unis, il est de plus en plusadmis à l’heure actuelle que le mutisme sélectif n’est pas untrouble isolé, mais l’équivalent dans l’enfance de la phobiesociale à l’âge adulte. Repensé comme faisant partie duspectre des troubles anxieux, ce trouble fait même l’objet depropositions par certains auteurs d’une reclassification dansle DSM IV (Anstendig [7]). Les traitements médicamenteux ont

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aussi, dans cette même perspective biologique, fait leur appa-rition depuis une dizaine d’années, avec des résultats plus oumoins concluants. En 1999 enfin, le mutisme sélectif apparaîtpour la première fois dans un journal américain de pédiatrie(Joseph [36]).

ÉPIDÉMIOLOGIE

PrévalenceLe mutisme sélectif est un trouble considéré comme rare,

estimé à moins de 1 % des sujets reçus dans les structures desanté mentale (DSM IV TR [6]). Les chiffres concernant la pré-valence du trouble varient entre 0,18 % et 1,9 % en fonctiondes études, des différences dans les échantillons d’enfants étu-diés et dans les critères diagnostiques utilisés [11], [16], [40],[45], [46].

Il est fort probable que ce trouble est sous-diagnostiqué(c’est ce sur quoi insistent Aubry et Palacio-Espasa [9] dansleur étude de 30 cas parue récemment dans La Psychiatrie del’enfant), car un certain nombre de cas de mutisme sélectifapparaissent juste après, voire pendant l’acquisition du lan-gage. Parfois, le problème disparaît avant le début de la scola-risation. Habituellement, les parents consultent pour d’autresmotifs et le mutisme n’est découvert qu’au moment des entre-tiens d’évaluation. Le retard diagnostique est alors vraisem-blablement important : si l’enfant ne présente pas d’autressymptômes inquiétants, plusieurs années peuvent passeravant que le diagnostic ne soit posé et un traitement instauré.Tout cela est également valable pour les enfants d’âge scolaire,mais chez l’enfant encore petit, chez qui l’apprentissage dulangage vient de commencer, la tendance à plutôt attendreavant de chercher de l’aide est encore plus marquée.

Sexe RatioLa plupart des études [12], [14], [32], [39], [40], [45], [54],

[75], [78], [84], [88] ainsi que le DSM IV TR [6] s’accordent surla légère prédominance du trouble chez les filles, bien que les

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chiffres diffèrent d’une étude à l’autre, retrouvant un ratiofilles/garçons de 1,2/1 à 2,2/1.

Cette constatation est intéressante lorsqu’on considèreque la plupart des autres troubles psychiatriques chezl’enfant touche majoritairement les garçons, notamment lesautres troubles/retards de la parole et du langage (deux foisplus fréquents chez le garçon [10], [39], [84], [88]). Certainsauteurs [78] s’interrogent sur cette différence peu compréhen-sible compte tenu du développement du langage habituelle-ment plus précoce chez les filles et de leur habileté verbalesouvent notée ; d’autres [32] supposent qu’un certain degréd’apprentissage social doit être impliqué dans ces différencesentre sexes ; d’autres [39] suggèrent que cette légère prédomi-nance féminine du trouble est due à la composante émotion-nelle du mutisme sélectif (divers troubles émotionnels parmiles enfants d’âge préscolaire étant en effet plus fréquents chezles filles) ; d’autres encore [54], mettant en avant dans leurarticle la relation entre mutisme sélectif et abus sexuel, esti-ment que la prédominance du trouble chez les filles va dans lesens de cette hypothèse étiologique ; d’autres enfin [12] met-tent ce chiffre (1,9/1) en comparaison avec les chiffres retrou-vés pour les troubles anxieux de l’enfance (et notamment letrouble évitant qui serait l’analogue chez l’enfant de laphobie sociale de l’adulte) : cette similitude dans les sexe ratiosemble les conforter dans leur hypothèse que le mutismesélectif ne serait qu’un symptôme ou une variante de laphobie sociale.

Certains auteurs néanmoins contestent cette prédomi-nance féminine du trouble, retrouvant une distribution égaledans les deux sexes [9], [11], [16], [33].

Âge d’apparition

Le début du mutisme sélectif a généralement lieu avantl’âge de 5 ans (DSM IV [5]). Il existe deux pics de fréquence pourl’apparition des symptômes : 3 et 6 ans. Ces deux âges corres-pondent à l’entrée à l’école maternelle et à l’école primaire etreprésentent plus le moment où le mutisme devient patentque sa date d’apparition réelle. Parfois, le mutisme survientbrutalement au moment de l’entrée à l’école, avec des symp-

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tômes alors similaires à ceux d’une anxiété de séparation (12à 20 % des cas [39]).

Mais le plus souvent, il préexiste au début de la scolarisa-tion et n’est découvert qu’à cette occasion par les enseignantset les autres élèves. Il se développe progressivement durantles premières années de la vie, débutant par une angoisse del’étranger et un refus de parler aux étrangers. Il est habituel-lement difficile pour les parents de distinguer clairement unephase prémorbide, c’est-à-dire asymptomatique. Les problè-mes de communication orale de leur enfant ont débuté dès leplus jeune âge, de manière insidieuse, à une période de la vieoù les rapports sociaux tendent habituellement à se répandreet où le noyau familial n’est plus le seul lieu d’échange social.

Dummit et al. [25] retrouvent un âge de début du troubletrès précoce dans leur étude de 50 cas, vers 2,5 ans enmoyenne. Les cas de mutisme sélectif débutant à l’adolescence(après l’âge de 12 ans) sont extrêmement rares [84].

Dans leur revue de la littérature datant de 1985, Wright etal. [87] soulignent que sur 81 cas de mutisme sélectif rappor-tés dans 47 publications, l’âge moyen du début du trouble étaitde 4,9 ans, tandis que l’âge à la première consultation était de8,3 ans (le motif de consultation résultant souvent de difficul-tés scolaires). Ce délai de deux à quatre ans en moyenne (maisparfois beaucoup plus long) entre la survenue du trouble etson diagnostic a aussi été rapporté par d’autres auteurs [9],[32], [39], [43], [44], [45], [62]. L’espoir de l’entourage d’uneévolution spontanément positive chez le plus jeune enfant estsûrement un facteur explicatif. La première consultation aété presque toujours motivée par l’entrée à l’école qui « offi-cialise » les troubles et les rend évidents, en particulier pourles enfants vivant dans une famille plus isolée socialement.

Niveau intellectuel

Retard mental et mutisme sélectif peuvent exister demanière comorbide. Plusieurs auteurs dont Klin et Volk-mar [38] soulignent l’importance d’une évaluation du fonc-tionnement intellectuel des jeunes patients atteints demutisme sélectif (épreuves de performance à défaut desépreuves verbales), afin de s’assurer de la bonne compréhen-

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sion de ces enfants ainsi que de leurs capacités non verbales.Cette évaluation permettra :— d’une part d’orienter les priorités d’intervention théra-

peutique et éducative : en effet, la méconnaissance de dif-ficultés cognitives chez certains enfants peut être sourced’attentes excessives et irréalistes de la part des parentsou du corps enseignant, engendrant détresse, sentimentd’échec et de frustration, inhibition, retrait, anxiété, voireeffondrement dépressif chez le jeune patient ;

— d’autre part d’établir un pronostic, le niveau intellectueljouant un rôle prédictif majeur en termes de sévérité et depermanence du mutisme sélectif.

Les résultats de QI varient suivant les études : certainesretrouvent des résultats dans la moyenne ou avec une distri-bution uniforme [9], [32], [62], [67], [88], d’autres [38], [39],[42], [45] trouvent en revanche des résultats de QI en dessousde la moyenne, aux alentours de 84/100.

Par ailleurs, certaines études prennent le parti de n’in-clure aucun sujet ayant une déficience intellectuelle, commesi cette caractéristique était incompatible avec le diagnosticde mutisme sélectif. Le DSM IV TR [6], quant à lui, évoque dansles diagnostics différentiels du mutisme sélectif les sujetsatteints de retard mental grave (pouvant présenter des diffi-cultés de communication sociale).

Milieu familial. Dynamique relationnelle familiale

Le mutisme sélectif concerne tous les niveaux socio-économiques, même si les résultats se contredisent d’une étudeà l’autre [9], [43], [67], [75], [78]. Le rang dans la fratrie et laposition d’enfant unique ne semblent pas jouer un rôle déter-minant dans la survenue du trouble [42], [78]. La langueparlée à la maison a souvent été imputée comme un facteurpouvant jouer un rôle dans l’éclosion du trouble.

Plusieurs études évoquent la présence d’une psychopatho-logie familiale importante, en faveur d’une participation defacteurs héréditaires ou constitutionnels dans l’étiologie dutrouble. Une timidité familiale, un excès de personnes tacitur-nes parmi les relations du premier, deuxième et troisième

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degrés, sont souvent mentionnés comme facteurs dans l’envi-ronnement de l’enfant mutique sélectif [16], [32], [75], [81].Cette constatation est intéressante car elle suggère un traithéréditaire d’évitement de la parole (facteur combiné avecd’autres facteurs dans l’hypothèse d’un mode de transmissionpolygénique). Les facteurs environnementaux sont aussiimpliqués : discours monosyllabique, timidité et réserve étantprésents chez au moins un des deux parents, voire dans lesgénérations précédentes, l’enfant a devant lui un exemple desilence et de timidité, et une absence de stimulation à la com-munication verbale [33]. Un isolement social important de cesfamilles est également noté, avec une attitude de retrait et deméfiance, et des conflits avec le voisinage. Dans les famillesde ces enfants, on retrouve fréquemment d’autres membresayant présenté dans leur enfance un mutisme (environ20 % [42]) ou un autre trouble du langage.

La présence d’une autre maladie mentale dans la famille estpar ailleurs très fréquente : dépression, trouble psychotique,trouble de la personnalité, trouble addictif [9], [39], [75].Remschmidt et al. [67] trouvent dans leur étude de suivi surdouze ans de 45 patients atteints de mutisme sélectif desrésultats saisissants : 60 % des mères présentent un troublepsychiatrique avéré, 40 % un trouble mineur (irritabilité, fré-quents changements d’humeur, troubles du contact social...)et 20 % un trouble psychiatrique sévère (dépression chro-nique, alcoolisme chronique, trouble de la personnalité,trouble névrotique chronique...) ; 62 % des pères présententun trouble psychiatrique (26 % un trouble mineur et 36 % untrouble sévère). Les mêmes auteurs constatent un tauximportant de familles dysharmonieuses avec des conflits intra-familiaux importants (62 %).

Plus récemment, Black et Uhde [14] retrouvent dans leurpopulation de 30 enfants mutiques sélectifs un taux éton-namment élevé de phobie sociale (70 %) ainsi que de mutismesélectif (37 %) dans l’histoire familiale. La plupart de cessujets devenus adultes rapportent une disparition progressivede leur mutisme en période de latence ou à l’adolescence, maisla persistance d’une anxiété et d’un évitement sociaux. Danscertains cas, cette anxiété sociale diminuait, voire disparais-sait, à la fin de l’adolescence ; mais nombre d’entre eux ont

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continué à présenter des symptômes de phobie sociale plusdurables.

La relation mère/enfant serait caractérisée par la dépen-dance et l’ambivalence, ainsi que par un besoin excessif decontrôle (H. L. Wright [88]). Plusieurs auteurs évoquentcette relation fusionnelle, l’ambivalence de la mère entraî-nant une hyperprotection réactionnelle à l’hostilité éprouvée.Hayden [32] a employé l’expression de « mutisme symbio-tique » pour décrire cette relation d’interdépendance ; lamère apparaît même jalouse des interactions de l’enfant avecles autres personnes. De plus, l’isolement social, le manqued’entourage amical ou familial et l’insatisfaction de couplecontribuent de façon importante à la dépression fréquem-ment retrouvée chez ces mères : ces facteurs jouent un rôledans l’hyperinvestissement émotionnel ou dans la relationsymbiotique qu’elles entretiennent avec leur enfant, le pri-vant d’un développement indépendant. Le père aurait quantà lui un rôle souvent passif au sein de la famille, une relationdistante (maintenant un aspect froid ou indifférent, ou biendominateur avec une sévérité excessive et un recours auxpunitions corporelles). Son absence par démission joueraitégalement un rôle dans la formation d’un couple exclusifmère/enfant. Hayden [32] et d’autres auteurs constatent unmanque général de communication intrafamiliale. Ces inte-ractions mère/enfant et père/enfant sont toutefois peu spécifi-ques, ayant déjà été décrites dans d’autres troubles tels quel’anorexie mentale ou la phobie scolaire.

Au vu de ces constatations, le mutisme sélectif n’apparaîtpas uniquement comme une pathologie individuelle, maiscomme un trouble inclus dans ce que certains auteurs appel-lent une névrose familiale (Hesselman [33]).

Immigration

Le mutisme sélectif est plus fréquent chez les enfants defamilles immigrées (où il est alors en lien avec l’acquisitiond’un second langage), comme s’accorde à le penser la plupartdes auteurs [15], [16], [51], [75], [78]. Certains enfants prédis-posés, lorsqu’ils sont confrontés à un nouveau contexte cultu-rel (incluant la tension relative à la nécessité d’apprendre un

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nouveau langage), échouent en développant des symptômesmutiques.

Le DSM IV [5] précise bien dans les diagnostics différentielsque les enfants de familles immigrées dans un pays où l’onparle une langue différente de la leur peuvent refuser de par-ler par défaut de connaissance de la nouvelle langue ; c’estalors seulement si la compréhension de cette langue est cor-recte, mais que le refus de parler persiste, qu’un diagnostic demutisme sélectif peut se justifier.

Les facteurs culturels en cause dans le développement dece type de troubles psychologiques chez l’enfant sont définisde manière assez vague dans la littérature. En 1975, Bradleyet Sloman [15] ont publié une étude à grande échelle portantsur 6 865 enfants scolarisés au Canada, dont 26 présentaientun mutisme sélectif (23 issus de familles immigrées et 3 defamilles non immigrées). Les auteurs se sont intéressés de plusprès à la dynamique familiale de 4 de ces enfants à la sympto-matologie sévère (tous issus de familles immigrées), quiétaient suivis dans leur service de pédopsychiatrie : chez tous,une relation de dépendance hostile entre la mère et l’enfantétait invariablement présente, exacerbée par la dépressionmaternelle et la tendance de la mère à rester isolée, indiffé-rente à l’importance d’apprendre un nouveau langage. Lapeur de l’inconnu, le sentiment d’étrangeté de la mère et sonattitude négative à l’égard de ces nouveaux pays et langagerenforçaient ce lien pathologique mère/enfant, en interférantavec le développement de capacités d’autonomisation del’enfant. Ces enfants mutiques restaient centrés sur les lieuxqui nourrissaient les rêves de leur mère, puisque les parentsmenaçaient souvent l’enfant mutique de le renvoyer dans sonpays d’origine, où parler ne serait soi-disant plus un problèmepour lui.

Événements de vie

Certains événements ayant pu jouer un rôle dans l’appa-rition du mutisme apparaissent fréquemment dans la littéra-ture (notamment la survenue d’une expérience traumatiqueau moment de l’acquisition du langage). Parmi eux, la notioncouramment admise (mais parfois aussi controversée [14]) de

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traumatisme physique ou psychique précoce, et plus particuliè-rement de maltraitance physique ou d’abus sexuel chez l’enfantprésentant le symptôme [32], [54]. D’autres événements devie traumatisants ont été rapportés avant la survenue dumutisme sélectif [33], [45], [78], bien qu’un lien de causalitédirecte soit difficile à établir (sauf lorsque le mutisme sur-vient de façon brutale après l’événement traumatique). Maisde nombreux symptômes psychiatriques autres qu’unmutisme pourraient survenir après un événement trauma-tique, qui n’est pas un facteur étiologique commun demutisme sélectif. Il paraît dangereux d’affirmer (comme c’estsouvent le cas de la part des psychiatres) qu’un enfant pré-sentant un mutisme sélectif a probablement subi un trauma-tisme, à moins qu’il y ait une évidence nette de ce fait [14].

CLINIQUE

Description clinique du mutisme sélectif

Le mutisme sélectif apparaît dans les classifications inter-nationales des troubles mentaux (descriptives et athéori-ques), où il représente une entité encore bien distincte. Dansle DSM IV TR [6], il est retrouvé dans la catégorie F94-0 des« Autres troubles de la première enfance, de la deuxièmeenfance ou de l’adolescence », reflétant l’incertitude encoreactuelle quant à la place de ce trouble dans la nomenclature.Le terme « sélectif » (DSM IV) a été préféré à « électif »(DSM III R [4], 312-323) pour mieux souligner l’aspect involon-taire et dépendant du contexte social du trouble, plutôtqu’un choix volontaire de ne pas parler en général. Un critèrede durée du trouble a aussi été ajouté dans le DSM IV (un mois,mais pas seulement le premier mois d’école), pour éviter queles cas souvent transitoires et réactionnels ne soient inclus.Nous allons en détailler les critères diagnostiques principaux :

— La caractéristique essentielle du mutisme sélectif estl’incapacité régulière (liée à des facteurs émotionnels) à

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parler dans des situations sociales spécifiques dans les-quelles l’enfant est supposé parler (école, camarades),alors que l’enfant parle dans d’autres situations.

— La perturbation interfère avec la réussite scolaire ou pro-fessionnelle, ou avec la communication sociale.

— La perturbation doit durer au moins un mois et ne selimite pas au premier mois d’école.

— On ne doit pas faire le diagnostic de mutisme sélectif sil’incapacité du sujet à parler est seulement due à undéfaut de connaissance ou de maniement de la langueparlée nécessaire dans la situation sociale où le trouble semanifeste.

— On ne porte pas non plus ce diagnostic si la perturbationest mieux expliquée par l’embarras suscité par un troublede la communication (par exemple bégaiement), ou si ellesurvient exclusivement au cours d’un trouble envahissantdu développement, d’une schizophrénie ou d’un autretrouble psychotique.

Au lieu de communiquer par une verbalisation normale,les enfants atteints de mutisme sélectif peuvent communi-quer par des gestes ou, dans certains cas, en émettant des pro-pos par monosyllabes, courts et monotones, ou avec une voixaltérée. Les caractéristiques et troubles associés au mutismesélectif peuvent comprendre une timidité excessive, la crainted’être gêné en société, l’isolement et le retrait social, un atta-chement excessif, des traits compulsifs, un négativisme, descrises de colère et des conduites de domination ou d’oppo-sition, surtout à la maison. Il peut exister une altérationsévère du fonctionnement social et scolaire. Il est courant quele sujet soit l’objet de taquineries, ou le bouc émissaire de sescamarades.

La CIM-10 [63] (F94-0) a gardé le terme « électif » et neprécise pas une durée minimum des symptômes. Elle stipuleque le mutisme électif est une condition où les facteurs émo-tionnels forment une base étiologique importante : le troubley est défini comme une absence de langage marquée et émo-tionnellement déterminée dans certaines situations, chez unenfant ayant par ailleurs un langage normal ou proche de lanormale. Le mutisme électif est classé dans un ensemble de

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troubles relativement hétérogènes : « Les troubles du fonc-tionnement social débutant spécifiquement dans l’enfance oul’adolescence. »

Différentes formes cliniques

Le mutisme sélectif dans sa forme typique concerne essen-tiellement des enfants d’âge préscolaire, surtout des filles,ayant un tempérament timide, réservé, introverti. Il estdans 90 % des cas extra-familial (entourage amical, familleéloignée, voisinage, enseignants, camarades de classe...). Clas-siquement, il se développe de manière insidieuse et n’estdécouvert qu’au moment de la scolarisation par les ensei-gnants ou les camarades de classe.

D’autres formes cliniques peuvent exister. Ainsi nous dis-tinguerons :

— Mutisme extra-familial versus mutisme intrafamilial (plusrare, où l’enfant n’accepte de parler, parfois en chu-chotant, qu’à certains membres du groupe familial)(CFTMEA [58]).

— Mutisme sélectif transitoire versus persistant. Le mutismesélectif transitoire n’est pas rare et concerne des enfantsde 5 à 7 ans au moment de l’entrée à l’école. Selon plu-sieurs auteurs ([16], [39]), c’est probablement une réac-tion d’adaptation (ou un signe d’anxiété de séparation)qui disparaît spontanément au cours de la première annéechez 90 % des enfants concernés. Il y aurait une sur-représentation d’enfants immigrants dans ce groupe. Lemutisme sélectif persistant est plus rare et ses conséquen-ces sont plus sévères. Mais même une courte période demutisme peut avoir un impact négatif sur le fonctionne-ment de l’enfant, des symptômes d’anxiété pouvant per-sister même après la normalisation de la communicationverbale [11]. Diagnostic différentiel du mutisme sélectifou forme a minima ? La question du mutisme transitoirereste à l’heure actuelle encore débattue.

— Mutisme extra-familial total (où la fragilité particulière dulangage se retrouve aussi dans le milieu familial : lesenfants parlent mal et s’expriment peu par le langage ver-

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bal) versus mutisme extra-familial partiel [62] (où la situa-tion en famille est diamétralement opposée, l’enfant par-lant beaucoup et utilisant souvent des « gros mots », cequi montre l’importance de la dimension sadique anale ;ces enfants sont aussi quelquefois ceux que les parentsdécrivent comme tyranniques à la maison, et trop sages àl’école).

Plusieurs auteurs se sont par ailleurs attachés à classifierle trouble en fonction des caractéristiques tempéramentalesou des structures psychopathologiques sous-jacentes. Cesclassifications nous ont semblé intéressantes dans une pers-pective diagnostique et de prise en charge thérapeutique, letraitement proposé différant suivant la structure de person-nalité sous-tendant le mutisme.

Hayden [32], dans son étude de 1980 portant sur68 enfants, a distingué quatre types différents de mutismesélectif :— Le mutisme symbiotique (31 enfants), caractérisé par une

forte relation fusionnelle de l’enfant avec une personne deson entourage (sa mère dans 84 % des cas) est un mutismesemblant servir à des fins de manipulation : le mutismen’est pas un instrument de retrait, mais plutôt à l’opposéune tentative de contrôle sur son environnement.

— Le mutisme avec phobie de la parole (7 enfants), caractérisépar une peur active pour l’enfant mutique d’entendre sapropre voix, la présence de comportements ritualisés(mouvements utilisés comme des « formules magiques »,dans le but de s’obliger à parler ou de se protéger, lui etses proches, des effets de sa parole), une large variété detroubles obsessionnels compulsifs non reliés directement àla parole, et une motivation en général importante de cesenfants à retrouver la parole, avec une participationactive en thérapie.

— Le mutisme réactionnel ou traumatique (14 enfants), où unou une série d’événements traumatiques durant la petiteenfance (parfois passés inaperçus auprès de l’entourage)précipitent la survenue du mutisme. Des manifestationsde retrait important, et même des symptômes de dépres-sion modérée à sévère sont présents chez tous les enfants

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de ce groupe, indiquant des séries d’interactions plus com-plexes en cause dans la dynamique de ce mutisme.

— Le mutisme passif-agressif (16 enfants), où l’enfantexprime clairement (même si silencieusement) son hosti-lité par un refus défiant de parler, a des comportementsantisociaux fréquents et parfois d’une violence surpre-nante, un manque d’expressions faciales et un contrôledes affects important. D’un point de vue dynamique, ilest apparu que ces enfants étaient élevés dans un environ-nement souvent extrêmement pathogène, où ils étaientdevenus les boucs émissaires de la famille ; l’utilisation dumutisme pour ces enfants apparaît comme un moyenchoisi pour contrôler et manipuler un monde moins con-trôlable autour d’eux.

L’auteur retrouve par ailleurs des caractéristiques généra-les communes à ces quatre types de mutismes : une rigiditéposturale ; des peurs ou phobies ; des stéréotypies motrices ;une timidité excessive en dehors de la maison (sauf pour legroupe « passif-agressif »), alors qu’à la maison l’enfant estdécrit comme entêté, dominant ; une immaturité importante,particulièrement dans les trois premiers groupes ; une pau-vreté des affects dans les groupes « réactionnels » et « phobi-ques du langage ».

D’un point de vue structurel, l’auteur semble pencherpour une évolution névrotique dans le groupe « symbio-tique », et une évolution prépsychotique ou psychotique dansles trois autres groupes.

Aubry et Palacio-Espasa [9], enfin, proposent deux typesde mutisme sélectif :— Le mutisme sélectif « primaire », trouble souvent précoce

et insidieux où l’enfant n’a jamais parlé à tous les mem-bres de son entourage et qui concerne la majorité desenfants de leur étude. Ce type de mutisme représente unsymptôme important car il est très souvent associé à untrouble de la personnalité de la petite enfance. En effet, ilsignale un échec de la socialisation que l’on pourrait défi-nir comme étant la préparation à la vie de groupe. Selonles auteurs, il ne peut pas être considéré comme untrouble névrotique de type anxieux ou phobique, même si

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l’angoisse est toujours présente sous une forme ou uneautre chez ces enfants. Il serait l’expression d’une angoissede séparation importante, signalant des problèmes narcissi-ques importants tels qu’il en existe dans les névroses sévè-res, les troubles de la personnalité de type narcissique etborderline, les dysharmonies et les psychoses (où d’autrescaractéristiques du développement sont également tou-chées).

— Le mutisme sélectif « secondaire », trouble faisant sonapparition plus tardivement chez des enfants qui ont puparler normalement en toute situation pendant un certaintemps. Selon les auteurs, cette forme de mutisme ne seraitpas nécessairement l’expression d’un échec de la sépara-tion, mais pourrait être vue plutôt comme un trouble réac-tionnel ou l’expression d’une phobie sociale.

Faire la distinction entre ces deux formes de mutismesemble être une démarche très importante afin de poser lesbonnes indications de traitement et de se prononcer par rap-port au pronostic. La durée du symptôme informe sur laténacité de celui-ci ; cependant, même si la durée n’est pastrès longue, la signification du symptôme reste importantepour le tout petit enfant chez qui le mutisme s’installe insi-dieusement, avec, pour corollaire, un trouble sous-jacent dela personnalité qui doit être recherché. Une évaluation appro-fondie de la structure psychopathologique de l’enfant estdonc indiquée.

Histoire développementale précoce,antécédents personnels, symptômes associés

D’autres troubles peuvent exister de manière comorbideou préalable au mutisme sélectif. Parmi eux, les plus fré-quemment retrouvés dans la littérature sont :— Les troubles de l’apprentissage de la propreté : énurésie (25 à

42 % suivant les résultats des études), encoprésie (7 à17 %), ou apprentissage problématique ou conflictuel dela propreté [9], [39], [42], [78]. En effet, l’acquisition de lapropreté a lieu parallèlement au développement du lan-gage et est un apprentissage également important en vue

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de la socialisation, si bien que des conflits peuvent sedéplacer d’un domaine à l’autre.

— Les troubles des conduites alimentaires (21 à 100 % suivantles études) [62], [78]. L’anorexie est en général trèsancienne : elle a quelquefois précédé le mutisme pour luicéder la place, mais le plus souvent anorexie et mutismesont concomitants.

— Les troubles de la parole et retards du langage (40 % envi-ron) [9], [39], [78], [84], [88] avec une majorité de difficul-tés d’articulation et de troubles expressifs, ainsi qu’undébut de langage retardé.

— Les troubles du comportement divers (opposition, stéréoty-pies...) [32].

Également très souvent associés mais manquant de spéci-ficité car présents au cours de nombreux autres troubles psy-chiatriques de l’enfance, citons :

— Les complications très précoces : complications aumoment de la grossesse ou de l’accouchement, troublessomatiques importants dans la première année de vie(45 % environ) [9], [67], [78].

— Les troubles du sommeil (30 % environ) [9], [78].— Les troubles et retards du développement psychomoteur

(18 à 68,5 %) [42], [78].— Les troubles anxieux, très fréquents : majoritairement des

phobies sociales et des anxiétés de séparation (75 à90 %) [9], [12], [14], [29], [43], [51], [78], [84]. D’autresauteurs [87] rapportent une phobie scolaire associée aumutisme sélectif.

— Les troubles obsessionnels compulsifs (9 % environ) [32],[39], [78].

— Les syndromes dépressifs (36 % environ) [32], [78], [84].

Tempérament

De nombreuses caractéristiques tempéramentales, parfoismême contradictoires, ont été associées aux enfants mutiquessélectifs. Ils ont été décrits selon les auteurs comme :

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— excessivement timides, inhibés, soumis, anxieux endehors de la maison ;

— mais souvent obstinés, opiniâtres, dominants à lamaison ;

— régressifs, immatures sur un plan affectif ;— passifs seulement apparemment, mais se contrôlant en

fait activement, avec une difficulté à exprimer leurs émo-tions ;

— susceptibles, sensibles aux moqueries et à l’ironie ;— isolés sur le plan social, avec des difficultés de séparation

d’avec leur mère ;— peu motivés sur le plan scolaire, manquant de confiance

en eux ;— ayant parfois une attitude négativiste, opposante, de con-

trôle ou manipulatrice, voire agressive et sauvage ;— prêtant néanmoins attention à leur entourage et aux évé-

nements autour d’eux.

L’image donnée de l’enfant mutique sélectif varie doncconsidérablement suivant les descriptions cliniques des diffé-rents auteurs, et inclut presque toutes les caractéristiquespossibles de personnalité et de comportement. Cette constata-tion va dans le sens d’une entité clinique (le mutisme sélectif)qui, malgré son aspect symptomatique assez univoque, peutapparaître sur des structures très différentes.

Certains auteurs néanmoins [32], [43], [51] se sont atta-chés à classifier les enfants mutiques en deux groupes dis-tincts en fonction de ces comportements opposés. Ils distin-guent en effet les caractéristiques internalisées (timidité,anxiété, dépression, dépendance, cramponnement, sensibi-lité...) des caractéristiques externalisées (entêtement, désobéis-sance, domination, négativisme, opposition, agressivité...).De manière schématique, le groupe « internalisé », beaucoupplus fréquent [43], est supposé retenir le langage à caused’une anxiété importante face à la demande ; le groupe« externalisé » en revanche, resterait mutique dans le but demanipuler son environnement.

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Diagnostics différentiels

Le DSM-IV TR [6] précise que le mutisme sélectif doit êtredistingué :

— des perturbations de la parole et du langage (retardsd’apparition du langage, notamment au cours de la dys-phasie et de l’audimutité [1], [49], troubles phonologi-ques, troubles du langage de type expressif, troubles dulangage de type mixte réceptif-expressif, bégaiement), quine sont pas limitées à une situation sociale spécifique ;

— d’un défaut de connaissance de la langue (enfants de famil-les immigrées) ;

— des sujets atteints d’un trouble envahissant du développe-ment (autisme infantile précoce décrit par Kanner [37]),d’une schizophrénie, d’autres troubles psychotiques, ou deretard mental grave, qui peuvent présenter des difficultésde communication sociale. En revanche, le mutisme sélec-tif doit être diagnostiqué uniquement si l’enfant est effec-tivement capable de parler dans certaines situationssociales (en général, à la maison).

Le mutisme sélectif doit également être différencié :

— du mutisme total acquis, généralement secondaire à unévénement traumatique anxiogène comme une émotionou une frayeur vive : « mutisme thymogénique » desauteurs allemands [83] (mutisme hystérique accompagnéde paralysies mal systématisées) ; « mutisme réactionnelbénin » [48], survenant chez des enfants atteints de retarddu langage à la suite d’une frayeur, d’évolution générale-ment bénigne ou laissant place à un bégaiement ;

— du « mutisme progressif » [64] (où l’enfant, présentantprobablement un trouble autistique, arrête progressi-vement de communiquer avec ses proches et avec lesétrangers) ;

— du « reluctant speech » que l’on pourrait traduire par« langage réticent » : ces enfants parlent habituellementdans tous les environnements et à des personnes étrangè-res à la famille (comme par exemple les enseignants), mais

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la fréquence de parole est extrêmement faible (les enfantsrépondant à une question sur douze par exemple). Cetrouble est considéré comme une forme moins sévère demutisme sélectif. Leur distinction empirique pourraitd’après certains auteurs avoir un intérêt dans l’utilisationde stratégies thérapeutiques différentes [52], [60] ;

— de la phobie du langage [31].

Néanmoins, les diagnostics différentiels du mutisme sélec-tif sont complexes : d’une part un mutisme peut être unsymptôme secondaire à un autre trouble psychiatrique(trouble envahissant du développement, schizophrénie,retard mental sévère, troubles affectifs uni- ou bipolaires,réactions conversives hystériques, états dissociatifs) ; d’autrepart, lorsqu’un trouble de la communication est présent, dis-tinguer entre des symptômes qui seraient secondaires auxproblèmes de parole et de langage et des symptômes suggé-rant un mutisme sélectif paraît encore plus difficile. Même sides déficits de la parole ou du langage peuvent causer unmutisme, les deux troubles peuvent exister de manièrecomorbide [23], [39].

Le DSM-IV TR précise par ailleurs que l’anxiété sociale etl’évitement social de la phobie sociale peuvent être associés àun mutisme sélectif. Dans ce cas, les deux diagnostics doiventêtre portés. Les deux entités cliniques ne s’excluent pluscomme c’était le cas dans le DSM-III [38], mais sont encoredistinctes.

Pour finir enfin, un examen clinique (neurologique et ORL)et paraclinique (EEG, imagerie cérébrale, audiogramme, PEA)est indispensable afin d’éliminer les causes organiques demutisme [3], [23], surtout lorsqu’il survient à l’approche del’adolescence :— les troubles neurologiques produisant un mutisme peuvent

concerner une atteinte des noyaux gris centraux, des lobesfrontaux ou du système limbique (infarctus, tumeur,traumatisme crânien, hémorragie du troisième ventri-cule), une maladie dégénérative. Dans l’enfance, on pen-sera essentiellement à l’épilepsie, notamment au petit malabsence. Il peut exister également des aphasies transitoi-res post-épileptiques ou migraineuses ;

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— la surdité est un diagnostic différentiel également impor-tant dans l’enfance ;

— d’autres causes organiques plus rares : toxiques ou médica-menteuses (neuroleptiques, corticostéroïdes, morphine,aspirine, alcool, anti-hypertenseurs) ; métaboliques(hypoparathyroïdie, maladie d’Addison, myxœdème,hypercalcémie, acidocétose diabétique, porphyrie aiguëintermittente, encéphalopathie diabétique) ; anomalieslocales laryngées (inflammation ou tumeur). Le mutisme,qui n’est alors généralement pas isolé mais accompagnéd’un cortège de symptômes et de signes cliniques, ne poseen général pas de difficulté diagnostique.

HYPOTHÈSES ÉTIOLOGIQUES.ÉLÉMENTS PSYCHOPATHOLOGIQUES

Plusieurs hypothèses ont été avancées dans la littératuredepuis les premières descriptions cliniques quant à l’origine età la signification du mutisme : traumatisme psychique ouphysique, hérédité, symptôme exprimant une difficulté deséparation, un conflit de loyauté vis-à-vis des parents ou dupays d’origine et, plus récemment, symptôme faisant partied’autres troubles tels que l’anxiété ou la phobie sociale. Selonles points de vue, les aspects psychodynamiques du troubleou les aspects plus biologiques sont mis au premier plan. Ilnous paraît justifié de considérer qu’il n’existe pas une seuleétiologie au mutisme sélectif, mais que ce trouble a probable-ment une origine multifactorielle.

Théories psychodynamiques

Pour Freud [26], le mutisme, notamment en rêve, est unereprésentation usuelle de la mort (de même que le fait d’êtrecaché ou introuvable). Mutisme et mort sont liés car, pour lesvivants, les morts représentent « des personnes chères qui sesont tues ». Dans son texte, il étudie plusieurs sources litté-raires, mythes et contes, où l’on retrouve un élément com-

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mun : la jeune fille que doit choisir un prétendant parmi plu-sieurs candidats est préférée du fait qu’elle est muette.

Z. Dahoun [20] soulève l’hypothèse que lorsqu’un enfantmort précède l’enfant mutique, tout se passe comme si lesparents prolongeaient la vie de l’aîné à travers l’enfant quiporte le symptôme, en évitant un deuil trop douloureux. Àl’indicible traumatisme que constitue une mort d’enfant, faitécho le mutisme.

Concernant plus particulièrement le mutisme sélectif, cesymptôme complexe et fascinant continue de questionner lesauteurs quant à son étiologie multifactorielle. Ainsi peut-onretrouver toute une série de significations au mutisme :dépression précoce [70], secret familial, altération du Moi quine peut devenir autonome, persistance d’une angoisse deséparation non maîtrisée, perte du plaisir de parler qui peutdevenir déplaisir s’il est cause de la perte de la mère [17],érotisation du refus de parler dans une dimension orale ouanale, auto-érotisme, etc. Tout peut exister bien sûr, maisceci est fonction de l’organisation de chaque enfant et de sonéconomie psychique. Lebovici, Diatkine et al. [49] insistentsur la gravité du symptôme. Chez les enfants mutiques eneffet, « que la provocation soit consciente ou pas, volontaireou non, elle n’en dénote pas moins une perturbation grave duprincipe de réalité. Ne pouvoir entrer en relation avec autruiqu’en se privant de ce mode de relation par excellence qu’estle langage, dénote une altération toujours importante duMoi ».

— Étiologie « relationnelle » et langage synpraxique [49]Pour la mère, l’apprentissage du langage par l’enfant peut

être une source de satisfaction si elle est capable d’amourobjectal envers ce dernier, sans que les projections de sapropre culpabilité œdipienne ne viennent la troubler. Mais ilpeut se faire qu’elle ne supporte pas l’autonomie quel’apprentissage du langage confère à l’enfant, s’il est investinarcissiquement. Elle devient alors complice d’une organisa-tion particulière de la relation verbale qui correspond à ce queLuria et Youdovitch [53] ont décrit sous le nom de « langagesynpraxique » (par opposition aux langages planificateur etinformateur), un langage qui se différencie du langage réel

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par le fait qu’il ne se dégage pas de la réalité et de l’action : ilest confondu dans l’activité immédiate, il n’est qu’une façonde souligner le geste, la mimique ou l’action. Les mots n’ontpas de valeur sémantique universelle et ne prennent leur sensque dans un contexte concret précis.

Le langage synpraxique permet une relation étroite quasifusionnelle avec la mère. Beaucoup de mères ne s’inquiètentpas du retard dans l’évolution du langage que ce type de com-munication implique. Elles sont en effet trop satisfaites de ladépendance totale de l’enfant qui, pouvant exprimer tous sesbesoins, n’est lui-même gêné en rien. Il est certain cependantque les enfants qui se comportent ainsi s’adaptent très mal aupassage du milieu familial au milieu scolaire. Beaucoup demutismes électifs à l’école maternelle ou en première annéed’école primaire sont, d’après les auteurs, vraisemblablementsous-tendus par la prévalence d’un langage familial syn-praxique. D’autres formes pathologiques peuvent apparaîtreà ce moment (bégaiement ou incapacité d’acquérir unelangue écrite).

L’enfant peut avoir un investissement négatif très intensedes fonctions linguistiques, celles-ci représentant en effet laperte d’une relation privilégiée avec la mère, alors que norma-lement elles devraient n’être qu’un moyen de dépasserl’angoisse de perte d’objet. Ainsi le mutisme peut apparaîtreau cours d’une régression dans laquelle le sujet proteste à lafois contre l’autonomie de son Moi et contre la férocité de sonsurmoi : parler devient alors renoncer au plaisir, et l’enfantpréfère renoncer à l’autonomie de son Moi et rester en situa-tion de dépendance par rapport à l’objet.

Chappellière et Manela [17] essaient d’apporter une hypo-thèse sur le choix du mutisme chez ces enfants, comme solu-tion de compromis à leurs conflits intrapsychiques : « Si lelangage se construit sur l’absence chez le jeune enfant etdonne à représenter en l’absence des êtres les plus proches, lelangage ne peut-il pas perdre ses potentialités de jeu etprendre une valeur si meurtrière dans son expression qu’illaisserait l’enfant dans une angoisse d’effondrement devantsa destructivité en quelque sorte réalisée ? »

Pour communiquer avec l’extérieur, l’enfant aura besoinde sa mère ou d’un membre de sa famille. Cela est tout à fait

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renforcé par l’attitude de la mère qui éprouve une certainefierté et une réassurance narcissique à être la seule à quil’enfant parle. Cette dyade mère/enfant intime et exclusivedépasse les mots : « Ils se comprennent l’un l’autre presquesans mots, utilisant un langage non verbal, fait de regards etde mouvements... » [62].

Une étiologie « relationnelle » a en effet souvent étéévoquée pour le mutisme sélectif. Le rôle majeur de la fantas-matique inconsciente de la mère dans l’interaction précoceavec son enfant et son importance pour la formation du psy-chisme de l’enfant sont bien connus [18], [79].

— Étiologie « traumatique » et secret familialLes secrets familiaux, sous-tendus par un interdit de

divulgation, peuvent être une cause de silence en dehors de lafamille. Bouche fermée, lèvres closes comme un trait, « motuset bouche cousue », c’est aussi l’attitude de celui qui veutconserver un secret. Secret qui, comme le rappelle Roso-lato [68] dans son article sur le « non-dit », touche à la sexua-lité ou à ce qui fait souffrir : la douleur, la mort, la folie, lesorigines et la filiation. (Cela peut concerner des secrets de cri-minalité, d’alcoolisme, de maladie mentale, de relation extra-conjugale, voire de relations parentales conflictuelles [33].)Ces secrets jouent parfois un rôle très important dans les fan-tasmes de la famille et de l’enfant mutique. Les thérapeutesont eux-mêmes souvent le fantasme que ce secret existe lors-qu’ils sont en face d’enfants mutiques tant ce trouble appa-raît mystérieux, et ce même lorsque aucun secret n’est révélépar la famille.

Évoquons une pensée de Z. Dahoun [20], à la confluencedes trois concepts que sont le secret, le traumatisme etl’immigration. Elle soulève l’hypothèse que dans un certainnombre de cas, le mutisme d’enfants de familles immigréesreprésenterait la mémoire silencieuse du refoulement familial.Chaque fois que les parents taisent un fait concernant l’his-toire familiale, l’enfant remplit ce non-dit avec un contenufantasmatique. Les parents ne restituent pas à l’enfant sonhistoire. Ils ne peuvent pas parler de la leur et rompent le fildes générations. L’évocation du passé, de la séparation d’avecle pays d’origine et ce qu’on y a laissé de cher, est impossible

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à dire pour les parents dans la mesure où cela augmente leursangoisses dépressives. Ces familles vivent une perte, et unétat de non-mentalisation de cette perte. Le non-représentableest maintenu à distance, éloigné du conscient parce queinsupportable à penser.

Ce traumatisme non dit et non pensé par les parents ren-contre le monde fantasmatique de l’enfant. Les phénomènesrefoulés par le groupe familial prennent forme dans l’incons-cient de l’enfant et sont contenus, gardés sous silence. Lemutisme de l’enfant est donc révélateur, à l’insu de ce quidevrait être tenu caché, de l’impensé de son groupe familial.

L’enfant porteur du refoulement familial est souventl’ « enfant du voyage », soit le dernier-né au pays d’origine,soit le premier-né au pays d’accueil après l’immigration de samère.

— L’immigrationAvec les données ethno-psychiatriques et ethno-

psychanalytiques, il est désormais admis que les famillesimmigrantes sont sujettes à un stress considérable aumoment de leur arrivée dans le pays d’accueil. La perte desrepères familiers engendre un véritable « choc culturel »,caractérisé par une anxiété, une dépression et une hostilitéenvers les habitants. Les femmes et les enfants, parce qu’ilssont la plupart du temps des immigrants involontaires, sontplus touchés par cette attitude négative à l’égard du paysd’accueil [15].

De nombreux facteurs influencent l’ajustement émotion-nel de ces familles : l’acceptation de la mobilité par la mère, laqualité du système relationnel intrafamilial, et l’existenced’un réseau de soutien dans le nouvel environnement. Maisl’attitude des familles par rapport aux valeurs du paysd’accueil pèse lourdement sur le destin de l’enfant demigrants : auront-ils une volonté d’adaptation aux valeursque véhicule le pays d’accueil ou y seront-ils hostiles, se met-tant dans une position défensive de rejet identitaire ? Tantque les parents restent ambivalents, l’enfant aura des diffi-cultés à se construire une image de soi et une identité sans sesentir coupable d’aller plus loin qu’eux, de trahir, de sortir durang. L’enfant peut en effet se trouver confronté à un conflit

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de loyauté vis-à-vis de sa famille : pris entre deux mondes, lafamille et l’école, qui n’ont pas de parler commun, l’enfant nesait plus quel langage adopter.

Z. Dahoun [20] expose plusieurs cas d’enfants choisissantd’imiter leur mère, de se taire par fidélité au milieu d’origineet par identification à son comportement linguistique. Lesmères utilisant le silence comme une manière d’affronter lestress, de manière passive, l’enfant apprend ainsi que lesilence peut être un mode de comportement, une manièred’entrer en relation avec les autres ou une forme de retraitface à des conflits trop aigus.

Régulièrement, l’un des deux parents (ou les deux) sem-blait ne pas avoir acquis la langue française malgré unnombre d’années de séjour en France élevé, « se comportantcomme s’il souffrait d’un mutisme électif par rapport à lalangue française, mettant en évidence son malaise à habiter lefrançais et ses résistances au processus d’acculturation ». Parson mutisme, l’enfant ne fait-il pas que refuser cette identifi-cation à l’autre (l’enseignant), par fidélité à sa mère silen-cieuse et à la langue de ses proches ? En effet, la plupart des« mères de ces enfants sont analphabètes, elles n’ont aucunereprésentation précise de l’école. L’enseignante est souventvécue comme une rivale qui, elle, sait ». Le mutisme pourraitêtre interprété comme un compromis pour être accepté dansune culture (l’école) sans trahir l’autre (la maison), puisqueleurs injonctions sont contradictoires.

Z. Dahoun illustre ses hypothèses psychopathologiquespar la présentation de six observations cliniques d’enfantsmutiques (mutisme total ou sélectif), tous issus de famillesimmigrées, y étudiant avec soin l’ « entre-deux-langues »,l’ « entre-deux-cultures », ainsi que les significations quepeut prendre le mutisme comme « silence-abri », « silence-mémoire », « silence-révolte », « silence-provocation »,« silence-fusion » et « silence-repli » enfin. Elle analyse les dif-férents sens que prend la migration pour chacun et les modali-tés particulières des investissements des enfants en fonctiondes traumatismes vécus et de l’investissement de la culture dupays d’accueil. Elle souligne les troubles profonds de la person-nalité que cache presque toujours le mutisme, laissant néan-moins une place à la conversion hystérique.

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— Le rôle du syndrome de cramponnement

En 1977, Z. Gero [27] rapporte deux cas de mutisme électifliés à une perturbation de l’instinct de cramponnement selonla théorie de I. Hermann de l’École hongroise. Au moment oùse relâche la symbiose avec la mère, l’enfant retrouve la sécu-rité par le cramponnement, puis le langage prendra en quelquesorte le relais de ce cramponnement. Dans les deux cas citésdans cet article, les mères étaient elles-mêmes maintenues ensituation infantile par leur propre mère, l’enfant ne pouvait setourner vers elle pour retrouver un sentiment de sécuriténécessaire et cela se traduisait par un mutisme.

— Régression à un stade précoce du développement

L’opinion la plus couramment admise au vu de la littéra-ture psychanalytique serait celle d’une fixation ou d’unerégression de l’enfant au stade anal avec des pulsions agres-sives et destructrices, particulièrement à l’égard de la mère.L’ambivalence de l’enfant vis-à-vis de sa mère apparaît dansson souhait de se cramponner à elle, de la contrôler et de latourmenter. Mais comme les pulsions négatives sont inter-dites, elles sont alors projetées sur des personnes moins inves-ties émotionnellement [33].

Mais des fixations à un stade oral ont également été décri-tes par d’autres auteurs dans certaines observations clini-ques : « Le symptôme mutisme peut être interprété commeun refus de l’agressivité orale projetée sur la mère ; il estcontre-investi par une série de mécanismes qui favorisentl’intimité avec elle, à l’abri de toute expression agres-sive... » [49] ; « L’enfant mutique dessinait des gens avec desbouches ouvertes pleines de dents... Des jeux d’animaux semordant ou se dévorant se multipliaient... » [62].

En 1986, Miriam Lesser-Katz [51] avance quant à elle uneautre hypothèse : le mutisme sélectif pourrait être compriscomme étant une fixation ou une régression vers le stade dudéveloppement où typiquement les enfants montrent des réac-tions d’angoisse aux personnes étrangères. Un milieu familialdéfavorable socialement, avec souvent un isolement impor-tant et une dépression maternelle, contribuent à un hyperin-vestissement de l’enfant et à la relation symbiotique si sou-

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vent observée. Les premières rencontres sociales de l’enfantcoïncident souvent avec l’entrée à l’école et représentent unchoc auquel l’enfant ne sait pas faire face. Il réagit à sa peurde l’étranger et à la peur de perdre sa mère en retournant àune freeze-defense (comparable à la réponse réflexe d’un ani-mal face à un danger). Le mutisme est une façon pourl’enfant d’éviter l’interaction qui est tellement effrayante.

Hypothèses « biologiques » et « génétiques ».Modèles comportementaux

Un tournant majeur s’est opéré dans la littérature anglo-saxonne depuis une dizaine d’années. En effet, plusieursauteurs ont suggéré un rôle important de composants anxieuxet tempéramentaux, biologiquement médiés, dans la survenuedu trouble. Le mutisme sélectif connaît donc un regain d’in-térêt dans les revues américaines, avec de plus en plus depublications d’études à grande échelle. Les auteurs remettenten question les hypothèses étio-pathogéniques du troublejusque-là admises (en particulier la notion de traumatismepsychologique), et certains [7], [12] préconisent même unereclassification du trouble dans le DSM-IV, considérant qu’ildevrait désormais faire partie du spectre des troubles anxieuxet plus particulièrement de la phobie sociale, étant donné qu’ilen serait une des expressions symptomatiques (ou un sous-type). Les enfants mutiques sélectifs exprimeraient en effet lapeur d’être jugés dans des situations sociales (comme à l’école)et manifesteraient des symptômes physiques d’anxiété [7].

Ces auteurs mettent en avant plusieurs arguments pourjustifier leurs hypothèses :

— D’une part, les caractéristiques tempéramentales principa-les du mutisme sélectif (timidité extrême, inhibition, réti-cence à l’égard des étrangers, et surtout la peur de parleren public...) sont également des symptômes fréquemmentrencontrés dans la phobie sociale [41]. Plusieurs études ontretrouvé une association importante du mutisme sélectifavec une phobie sociale ([14], [25] : 97 %) ou avec destroubles anxieux ([25], [42] : 74 %). De plus, à l’instar dela phobie sociale chez l’enfant (et à l’opposé de la plupart

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des autres troubles émotionnels de l’enfance), le mutismesélectif est plus fréquent chez les filles que chez les gar-çons [11], [12].

— D’autre part, une histoire familiale communémentretrouvée de mutisme sélectif (27 à 37 %), de timiditéextrême (ou de traits taciturnes, 40 à 50 %) ou de troublesanxieux (phobie sociale (70 %), trouble panique...), sug-gère la participation de facteurs génétiques (transmissionpolygénique) dans la survenue du trouble : le mutismesélectif serait une expression symptomatique familiale-ment transmise d’une anxiété sociale [14], [67], [75].

— Enfin, l’efficacité constatée de traitements pharmacologi-ques tels que les antidépresseurs ISRS dans certains cas demutismes sélectifs, traitements également efficaces dansla phobie sociale à l’âge adulte.

Soulignons néanmoins que les traits anxieux ne sont pasuniquement indicatifs d’une phobie sociale, comme d’autresauteurs ont pu le formuler auparavant [12], mais représen-tent des traits de caractère beaucoup plus généralisés qu’onpeut retrouver même en dehors de toute situation de commu-nication sociale [78].

De plus, Kristensen [43] a montré dans son étude que lemutisme sélectif était presque aussi souvent associé à untrouble/retard du développement (68,5 %) qu’à un troubleanxieux (74,1 %). Cela a des implications en ce qui concernela classification du DSM-IV, mais plutôt dans le sens de la pru-dence concernant l’inclusion du trouble dans les troublesanxieux.

Malgré des similitudes constatées par certains auteursentre les deux troubles, il faut néanmoins noter l’asynchro-nisme entre les âges de début habituels du mutisme sélectif(avant 5 ans) et de la phobie sociale (après 10 ans) [11].L’auteur soulève alors l’hypothèse suivante : le mutismesélectif serait un sous-type développemental de la phobiesociale, avec un début plus précoce que les autres symptômesdu trouble. Ces deux états peuvent alors représenter des éta-pes dans la progression développementale d’une « inhibitioncomportementale » [56], style de tempérament caractérisé parun évitement extrême de toute nouveauté, un manque de

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sourire spontané, et surtout le manque de discours spontanéen présence d’une personne non familière.

Des informations rétrospectives anecdotiques de la partd’adultes ayant présenté un mutisme sélectif dans l’enfancesuggèrent en effet que ces individus ont continué à souffrir deleur anxiété sociale même une fois le mutisme sélectifrésolu [14].

Plusieurs auteurs se sont ensuite attachés à comparer lesdeux troubles (mutisme sélectif et phobie sociale) afind’essayer d’en relever les caractéristiques communes et lesdifférences principales [56], [89], mais ces études nécessitentune confirmation par des études à plus grande échelle.

Parallèlement à toutes ces études focalisant sur la phobiesociale et les troubles anxieux, l’hypothèse d’une associationpossible du mutisme sélectif avec des anomalies génétiques aaussi été soulevée : syndrome de l’X-fragile [30], anomaliedu chromosome 18 (délétion du bras court du chromo-some 18 [72]).

— Modèles comportementaux

Les thérapies cognitivo-comportementales ont pu mon-trer leur efficacité dans la prise en charge du mutisme sélectif,avec parfois une disparition du symptôme. Paradoxalement,les développements explicatifs concernant l’étiologie dutrouble sont assez peu développés. Les théories proposéesreposent sur celles qui sont développées pour l’anxiété chezl’enfant [35], selon deux grands modèles comportementaux :

— Le modèle du conditionnement classique, où le comporte-ment serait acquis suite à des événements traumatiques etmaintenu par l’action d’agents renforçateurs. On faitl’hypothèse que lors d’une expérience traumatique, unstimulus neutre est associé, par hasard, à un stimulusaversif. Le stimulus neutre serait stocké en mémoirecomme annonçant la survenue du stimulus aversif mêmesi celui-ci a disparu ou est inopérant ; il devient donc unsignal d’angoisse. Lors de la survenue du stimulus neutre(le contact avec des étrangers dans le cas du mutismesélectif), il y aurait déclenchement de la réponse émotion-nelle même en l’absence de stimulus aversif. L’attitude

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des parents peut agir comme renforcement positif dutrouble. Mais nous pouvons objecter à ce modèle que dansle cas du mutisme sélectif, on ne retrouve pas toujoursd’expérience traumatique comme événement déclenchantà l’origine du trouble. De plus, de nombreux enfants peu-vent être exposés à des expériences traumatiques sanspour autant développer un mutisme sélectif.

— Le modèle du conditionnement opérant [73] (reposant surl’interaction stimulus-organisme-réponse-conséquence ourenforcement). Tout comportement serait la conséquencede l’action d’un organisme et serait contrôlé par des ren-forcements (qui augmentent la probabilité d’émissiond’une réponse). Dans le cas du mutisme sélectif, les renfor-cements positifs peuvent venir des parents (dont l’enfantobtient plus d’attention), mais aussi parfois des ensei-gnants, voire des autres élèves ; les renforcements négatifssont par exemple l’attitude démissionnaire de certainsenseignants, qui laissent l’enfant tranquille, sans le sollici-ter. Les renforcements, positifs et négatifs, font perdurerl’attitude mutique de l’enfant. Le conditionnement opé-rant est donc l’apprentissage d’un comportement en fonc-tion de ses conséquences sur l’environnement.

En pratique, malgré les différences théoriques, les techni-ques qui découlent de ces deux modèles (désensibilisation etimmersion pour le conditionnement classique ; thérapie parimitation du modèle pour le conditionnement opérant) sontsouvent utilisées successivement, voire conjointement sui-vant l’évolution du comportement de l’enfant.

La tendance actuelle des comportementalistes consistedonc à considérer le mutisme sélectif comme un symptôme plu-tôt névrotique ou réactionnel et donc à promouvoir des traite-ments de type cognitivo-comportemental, des interventionssur l’entourage et des traitements pharmacologiques, sans trops’interroger sur la personnalité sous-jacente de l’enfant.

Structures de personnalité sous-jacentesC’est à partir de l’âge de latence qu’une définition plus

précise de la personnalité devient possible, mais déjà chez letout petit enfant des tendances vers une certaine structura-

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tion peuvent être observées et décrites. Si le mutisme sélectifreprésente un tableau bien spécifique et univoque, plusieursauteurs se sont efforcés d’y opposer la variété des organisa-tions psychopathologiques sous-jacentes, faisant de cetteentité clinique un concept trans-nosographique. Cette concep-tion va à l’encontre du courant actuel anglo-saxon qui tented’uniformiser le trouble en voulant l’inclure dans la catégoriedes troubles anxieux.

Lebovici et al. [49] considèrent, comme nous l’avons vuplus haut, que le mutisme électif dénote une perturbationgrave du principe de réalité et une altération toujours impor-tante du Moi. Cependant, ils pensent que le problème ne sau-rait être résolu en postulant, comme beaucoup d’autresauteurs, que le mutisme sélectif est un signe de psychoseinfantile : la psychiatrie infantile se prête en effet encoremoins que celle des adultes à devenir une histoire naturelle.Les structures sont chez l’enfant en perpétuel remaniement.

René Diatkine [22], même s’il évoque l’hystérie commepouvant sous-tendre un mutisme psychogène, insiste sur lesfacteurs qui rendent le pronostic préoccupant (comme la per-sistance d’une inhibition invalidante). « Le concept de pré-psychose – avec l’incertitude évolutive et l’éventualité d’uneévolution heureuse qu’il comporte – répond assez bien à cetype de situation. » Si l’absence de communication verbalefait partie d’un ensemble d’attitudes d’opposition, de replifarouche et d’hostilité manifeste tant à l’égard de la familleque des autres adultes, alors l’organisation psychotique doitêtre discutée avec soin.

Le mutisme sélectif peut être une expression symptoma-tique d’autres troubles psychiatriques très variés. Une revuede la littérature [3], [9], [17], [32], [34], [40], [45], [51], [62]retrouve ainsi des organisations de personnalité sous-jacentesau trouble très diverses, avec plusieurs exemples de névroses(hystériques, phobiques ou d’angoisse), de dysharmonies évo-lutives, de psychoses (schizophrénie infantile, autisme, syn-drome d’Asperger...), de troubles oppositionnels, de troublesde la personnalité plus ou moins graves : troubles narcissi-ques « légers » (sans rupture avec le réel mais avec des diffi-cultés d’individuation et un sentiment d’insécurité interne),troubles borderline ou dysharmoniques plus importants

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(angoisses plus archaïques et parfois menace de rupture avecle réel). Un cas de malformation de la bouche a également étédécrit, ainsi qu’un trouble dissociatif de l’identité (ancienne-ment personnalité multiple). Ce trouble est supposé se déve-lopper lorsqu’un enfant ne peut échapper à une violence ouun traumatisme écrasants. Dans ces situations, l’enfant déve-loppe des identités alternatives qui lui permettent des’adapter aux circonstances traumatiques. Le délai diagnos-tique est généralement très long (plusieurs années), du fait dela nature cachée et polysymptomatique de la maladie.

Conclusion

Certains auteurs (essentiellement anglo-saxons) pensentque le mutisme sélectif devrait actuellement faire partie desphobies sociales [12], [19] ou des troubles anxieux [25].D’autres considèrent que le mutisme sélectif mérite toujourssa classification distincte, étant donné qu’il s’agit d’ungroupe très hétérogène.

Le mutisme sélectif ne serait pas un syndrome, mais plu-tôt un symptôme qui s’inscrit dans des tableaux cliniques trèsdivers. Il importe alors de savoir quels types de structurespsychopathologiques sous-jacentes à ce trouble (identifiées defaçon variable selon les références nosologiques des auteurs)sont présentes chez ces enfants, même si on retrouve chez laplupart des auteurs la notion de perturbation du lienmère/enfant, l’isolement familial, la fixation à des stades pré-coces du développement de l’enfant... C’est dans cetteoptique que nous avons tenté de mettre en exergue à la foisl’uniformité du symptôme et la diversité de la structure et dela psychogenèse. Il faut essayer de comprendre ce qui peutamener l’enfant à refuser de parler, et ce surtout en dehors dela maison et en présence d’étrangers. C’est ce que nous avonstenté de faire, même si le mutisme sélectif demeure un troublemystérieux par bien des aspects.

Nous pouvons conclure en exposant le modèle proposé parDow et al. [23] sur l’étio-pathogénie multifactorielle dutrouble. Le mutisme sélectif serait :

— une manifestation d’un enfant au tempérament anxieux,timide et inhibé ;

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— modulé par des facteurs psychodynamiques (réponse à une« névrose familiale », manifestation d’un conflit intra-psychique non résolu...) et psychosociaux (isolementsocial, immigration, autres événements de vie : déména-gement, changement d’école, divorce parental...) ;

— dans certains cas sous-tendu par des troubles neuropsycho-logiques (retards du développement psychomoteur, trou-bles et retards du langage, difficultés dans le traitementd’informations sociales).

PRISE EN CHARGE ET TRAITEMENT

Interventions « multimodales »

À l’image du mutisme sélectif qui nous apparaît commeun concept très varié, la prise en charge de ce trouble seraégalement diversifiée. Le type de thérapeutique proposéedépendra essentiellement de la structure psychopathologiquesous-tendant le mutisme sélectif, et de l’orientation duthérapeute.

Mais insistons sur la nécessité, d’une part, d’une prise encharge globale de l’enfant et de sa famille, et d’autre part,d’un traitement « multimodal » pouvant combiner plusieurstypes d’interventions (en ambulatoire et parfois à l’école). Cesinterventions « multimodales » ou très individualisées sem-blent en effet avoir les plus grandes chances de succès [9].Le traitement pourra associer, selon les cas et selon lesauteurs, une psychothérapie psychodynamique ou cognitivo-comportementale, une thérapie familiale, voire un traitementmédicamenteux.

Même si la démutisation est le but premier de la prise encharge, elle n’est pas une fin en soi. La levée du symptôme nesignifie en effet pas toujours une guérison, et il fauts’intéresser à l’organisation psychopathologique sous-jacenteau mutisme, ainsi qu’au sens du symptôme dans l’histoireindividuelle et familiale.

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Psychothérapies d’inspiration analytique

Les objectifs des traitements psychanalytiques (incluantaussi les parents, avec un autre membre de l’équipe que lethérapeute de l’enfant) consistent à identifier les conflitsintrapsychiques et l’économie psychique sous-jacents autrouble, la psychopathologie de l’interaction du couplemère/enfant (en réfléchissant sur l’existence d’une dépen-dance mutuelle excessive et en interprétant des fantasmesagressifs) et des interactions familiales, et à mettre en évi-dence un éventuel traumatisme psychique déclenchant.

La prise en charge est longue, généralement de plusieursannées. Les modalités de la cure seront différentes des moda-lités habituelles puisque l’enfant ne parle pas : le contactdevra être établi par des moyens extra-verbaux. Une média-tion par le dessin ou par le jeu ou le modelage prend alors toutson intérêt.

Dans leur article « Le mutisme et les silences de l’en-fant », Lebovici et Diatkine [49] analysent avec soin lescontre-attitudes agressives et rejetantes que peuvent susciterle mutisme de l’enfant. L’agressivité est d’autant plus grandeque l’adulte croyait être celui qui arriverait à faire parlerl’enfant.

Nombreux sont les enfants mutiques à l’école, qui disentdes « gros mots » à la maison, et ce sont souvent aussi les pre-miers mots dits en psychothérapie lors de la démutisation, cequi montre l’importance de la dimension sadique-anale.

Plusieurs études monographiques de cures psychanaly-tiques d’enfants mutiques ont été publiées dans la littéra-ture [17], [49], [59], [62].

Aubry et Palacio-Espasa [9] préconisent des types de trai-tements psychothérapeutiques différents selon l’organisationpsychopathologique sous-jacente au trouble de l’enfant :

— traitements brefs pour les structures névrotiques : consul-tations thérapeutiques, guidance interactive, psychothé-rapie brève ;

— traitements à long terme pour les structures psychotiquesavec une dysharmonie importante ou des troubles graves

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de la personnalité impliquant une rupture avec la réalité :traitement institutionnel, le plus souvent accompagné parun traitement psychothérapeutique intensif et à longterme ;

— traitement à moyen terme pour les autres troubles de lapersonnalité : psychothérapie individuelle ou en groupe.

Thérapies cognitivo-comportementales

Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), de plusen plus utilisées aux États-Unis dans la prise en charged’enfants présentant un mutisme sélectif, ont montré une cer-taine efficacité dans la disparition progressive du symp-tôme [44], [69].

Les techniques sont celles utilisées pour les phobies : tech-niques d’exposition au stimulus anxiogène (la désensibi-lisation systématique, l’immersion, le modeling de participa-tion, l’implosion), thérapies d’affirmation de soi, thérapiesd’autocontrôle.

Le mutisme sélectif étant assimilé à la phobie sociale, lebut des TCC est la confrontation avec la situation sociale pho-bogène, dans laquelle le sujet est exposé à l’éventuelle obser-vation attentive d’autrui et dans laquelle il craint de parler.

Les TCC peuvent être utiles pour obtenir une améliorationsymptomatique lorsque le mutisme semble avoir une compo-sante anxieuse importante, mais elles doivent toujours êtreaccompagnées ou suivies d’autres types de prises en chargetelles que les thérapies individuelles d’inspiration analytiqueou les thérapies familiales.

À notre connaissance, aucune étude randomisée n’a étéeffectuée à ce jour pour étudier l’efficacité des TCC (à court,moyen et long terme) dans le cadre du mutisme sélectif. Laplupart des articles publiés à ce sujet concernent des cas cli-niques isolés ou des petites séries d’enfants, pour lesquelsles TCC ont montré une amélioration symptomatique indé-niable. Des études à grande échelle comparant les TCC àd’autres types de thérapies dans ce type de psychopathologies’avèrent nécessaires afin de formuler des conclusions quantà leur efficacité.

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Thérapies familiales

La thérapie familiale focalise sur les aspects interperson-nels du mutisme, selon une perspective théorique systémiqueou psychanalytique. En pratique, la thérapie familiale estrarement utilisée seule ou en première intention, mais plutôtproposée comme une aide supplémentaire dans la prise encharge de l’enfant mutique sélectif. Les indications lesplus évidentes peuvent être : un dysfonctionnement familialmajeur, une psychopathologie familiale importante, un échecde la thérapie individuelle.

Traitements médicamenteux

Les études réalisées dans les années 1990 à la suite deshypothèses concernant une étiologie « biologique » dumutisme sélectif [12], [13], [24], [25], [85] ont inclus des essaisthérapeutiques avec les antidépresseurs ISRS (inhibiteurs spé-cifiques de la recapture de la sérotonine) et IMAO (inhibiteursde la mono-amine oxydase), molécules ayant déjà prouvé leurefficacité dans le traitement de la phobie sociale de l’adulte.Des études avec la Fluoxétine (Prozac) [13], [24], [85], laParoxétine (Deroxat) [50] et la Phenelzine (IMAO non sélec-tif) [29], ont apporté des résultats prometteurs avec une levéedu symptôme et la diminution de l’anxiété. Mais les effetssecondaires ne sont pas négligeables, même avec les ISRS(morts subites d’origine cardiaque [85], contusions et épis-taxis), imposant une surveillance tensionnelle et électrocar-diographique.

Conclusion

Nous pouvons difficilement modéliser l’abord thérapeu-tique du mutisme sélectif qui est un concept hétérogène.

La place des TCC et des traitements pharmacologiques estprépondérante dans les études nord-américaines malgré denombreux points restant à éclaircir quant à l’efficacité, à ladurée optimale de ces traitements, à leurs indications etcontre-indications. De plus, les choix de ces thérapeutiques

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n’est à envisager que dans une perspective biologique et com-portementale, avec pour but de « lever » le symptômemutique. Toutefois, la structure psychopathologique reste àdéterminer, ainsi que la dynamique personnelle relationnelleet familiale, par le biais d’autres types de thérapiesd’orientation psychanalytique (individuelle ou familiale) ousystémique.

Les traitements médicamenteux sont à utiliser avec laplus grande prudence chez l’enfant mutique, et certainementpas en première intention. Ils pourront se discuter en casd’échec des thérapies préalables, et lorsque la composanteanxieuse (ou de phobie sociale) s’avère déterminante dans lapsychogenèse de ce trouble (mais alors toujours en associa-tion avec un autre type d’approche thérapeutique).

Enfin, insistons à nouveau sur la nécessité d’une prise encharge globale, portant sur l’enfant, sa famille (entretiens,voire thérapie familiale) mais également l’équipe pédago-gique. La coopération avec les enseignants pourra ainsi dimi-nuer les renforcements négatifs involontaires du mutisme, etles renforcements positifs pourront être augmentés à l’école sil’enfant parle.

Une approche thérapeutique « multimodale », associantplusieurs modalités thérapeutiques entre elles, est désormaisconseillée par la plupart des auteurs, cela afin de maximaliserles chances de guérison.

La plupart des auteurs prônent également la précocité del’intervention thérapeutique, cela afin d’éviter la pérennisationdu trouble et ses conséquences psychosociales et scolairesnéfastes.

Des études randomisées contrôlées avec des suivis à longterme sont néanmoins nécessaires afin d’évaluer l’efficacitécomparative des différentes approches suscitées.

PRONOSTIC

Il est important de préciser que la disparition dusymptôme, c’est-à-dire la démutisation, n’est en rien prédic-tive de l’évolution ultérieure [62], [74]. Elle n’est qu’une

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étape du traitement [49] et peut être faussement rassurante.En effet, elle peut n’être que transitoire ; mais surtout, lemutisme sélectif est un trouble symptomatique de struc-tures de personnalités très variées, qu’il convient d’identifieret de traiter. Le pronostic de ces enfants dépend essentielle-ment de l’organisation psychopathologique sous-jacente autrouble [9].

Nous insisterons à nouveau sur la nécessité d’un diagnos-tic et d’une prise en charge précoces, permettant parfoisd’éviter la pérennisation du trouble et les répercussions néfas-tes qu’il peut avoir sur le fonctionnement familial, social etscolaire de l’enfant. La durée du symptôme est à considérercomme un critère éclairant le diagnostic car elle informe surla ténacité de celui-ci, les cas de mutismes sélectifs durantdepuis plusieurs années étant particulièrement résistants auchangement [32], [46].

D’après deux revues de la littérature [33], [67], lemutisme sélectif diminuerait après la puberté et n’existe-rait plus à l’âge adulte. Il dure en moyenne de 2 à 12 ans.En revanche, d’autres difficultés peuvent persister à l’ado-lescence, telles que des troubles du contact social, une impul-sivité, des troubles attentionnels, une dépression ou unehumeur dysphorique, des réactions mutiques intermit-tentes, des troubles obsessionnels compulsifs, voire untrouble de la personnalité ou une psychose. Les auteursessayent d’authentifier des facteurs prédictifs de mauvaispronostic :— un mutisme intrafamilial, reflétant en fait l’importance

de la psychopathologie familiale ;— un diagnostic et une prise en charge tardifs ;— des conditions sociales familiales précaires ;— une mauvaise coopération des parents ou une psychopa-

thologie parentale importante ;— une dépression ou une humeur dysphorique chez l’enfant ;— une déficience intellectuelle de l’enfant ;— d’autres troubles neuropsychologiques associés : retards

du développement psychomoteur, troubles et retards dulangage.

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UN CAS CLINIQUE

Nous avons clos notre travail de thèse en l’illustrant detrois observations cliniques (une seule sera exposée dans cetarticle), celles de deux enfants et d’un adolescent qui ont étéadressés à l’Unité de jour de pédopsychiatrie de l’hôpitalNecker-Enfants malades à Paris. C’est une unité d’observa-tion où six enfants en moyenne sont admis pour une durée detrois semaines à un mois en vue d’une évaluation diagnos-tique et d’orientation thérapeutique ou scolaire.

Les enfants évoluent dans le cadre de l’unité, où uneéquipe (constituée de pédopsychiatres, de psychologues,d’une psychomotricienne, d’une infirmière, d’une éducatriceet d’une ergothérapeute) les accompagne dans les activités,les jeux, les repas, observant leurs comportements et leursinteractions avec les adultes et avec les autres enfants. Paral-lèlement à cette évaluation quotidienne, les enfants sontreçus très régulièrement en entretien avec leurs parents etplusieurs bilans sont effectués en fonction des indications :bilans psychologique, psychomoteur, orthophonique, exa-mens neurologique ou génétique, plus ou moins étayésd’explorations paracliniques, et d’une évaluation scolairepour les enfants scolarisés.

Les enfants y sont adressés par des consultants du service(pédopsychiatres ou psychologues) ou extérieurs à celui-ci,lorsque des difficultés apparaissent au cours de la prise encharge, difficultés d’orientation thérapeutique ou difficultésdiagnostiques ne pouvant être appréhendées dans l’uniquecadre de la consultation.

Observation clinique

Lucia a presque 9 ans lorsqu’elle est admise à l’Unité dejour de pédopsychiatrie. Cette enfant présente un mutismeextra-familial sévère évoluant depuis la petite enfance, ainsique des difficultés scolaires importantes. Elle nous estadressée par une pédopsychiatre qui l’avait reçue lors d’uneconsultation hospitalière.

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— Histoire de l’enfant

Lucia, benjamine d’une fratrie de deux, a un frère de16 ans. Cette deuxième grossesse n’était pas attendue, mais afinalement été bien acceptée par sa mère. La grossesse etl’accouchement se sont déroulés sans problème particulier.Lucia a été allaitée par sa mère durant deux mois, et n’a pasprésenté de problème médical durant la petite enfance. Sesparents sont d’origine portugaise.

Le développement psychomoteur était normal la premièreannée. Lucia était gardée par sa mère jusqu’à l’entrée enmaternelle à l’âge de 3 ans, où elle a manifesté une angoissede séparation importante en intensité, mais transitoire.

Le langage est apparu tardivement : Lucia disait « papa »et « maman » vers l’âge de 2 ans. Sa mère lui parlait en portu-gais lorsqu’elle était bébé, mais lui parle désormais en fran-çais. Son père, en revanche, lui parle toujours en portugais.Lucia parle normalement et en français à la maison, d’aprèssa mère (qui nous donne peu de renseignements sur le déve-loppement et la structuration du langage). Vraisemblable-ment, l’attention conjointe était présente, Lucia répondait àson prénom et aux consignes verbales.

Les difficultés, interprétées au départ comme une « timi-dité » importante, sont apparues évidentes à l’âge de 4 ans,en deuxième année de maternelle : Lucia avait une absencetotale de langage à l’école. Elle s’exprimait néanmoins pardes mouvements de tête lorsqu’elle connaissait un peu mieuxla personne.

Actuellement, elle ne parle qu’à ses parents, son frère etses deux cousines germaines (de 13 et 18 ans). Elle refuse deparler aux autres membres de la famille (oncles et tantes) etaux étrangers. Elle ne parle pas non plus à l’école ni auCentre médico-psychologique où elle est suivie. Elle est sco-larisée en CE1, où elle présente des difficultés scolaires impor-tantes. Elle a redoublé son CP, suite au déménagement de lafamille deux ans auparavant (de province vers la région pari-sienne) pour le travail de son père. À l’école, elle joue facile-ment avec ses camarades, mais sans jamais prononcer unmot. Étonnamment, elle ne semble pas susciter le rejet de sespairs.

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Lucia n’a pas présenté de troubles du sommeil. Enrevanche, l’alimentation est difficile depuis l’âge de 2 ans :son appétit est léger, son alimentation sélective et restric-tive. À l’âge de 7 ans (six mois après le déménagement), aumoment de la rentrée scolaire, elle a présenté un épisode ano-rexique durant quarante-huit heures, verbalisant sa « peurde grossir » par rapport à une obésité intrafamiliale impor-tante. Elle s’est finalement « raisonnée après un entretienavec la psychologue ». Les repas restent néanmoins desmoments très pénibles, son alimentation étant toujours trèssélective.

Lucia est décrite par sa mère comme une enfant toujourstrès (trop) sage, effacée à l’extérieur de la maison : « Onaurait tendance à l’oublier. » Pourtant, elle peut exprimerson désaccord à la maison, manifester de l’opposition, surtoutdans les domaines vestimentaire et alimentaire où elle appa-raît même têtue, obstinée.

Il y a quelques années, la relation mère/fille était fusion-nelle : Lucia ne s’éloignait jamais de sa mère pour aller joueravec d’autres enfants ; elle restait collée à elle (« au moins, jene la perdrai pas », dit sa mère). Sa mère la décrit égalementcomme très persévérante, perfectionniste, avec un souci del’ordre et de la propreté (traits de caractère qu’elles ont encommun).

Les suivis ont débuté à l’âge de 5 ans (dernière annéede maternelle) : en province pendant un an (suivi psycho-logique et psychomoteur) puis dans un centre médico-psychopédagogique en région parisienne depuis un an etdemi :

— Suivi hebdomadaire avec une orthophoniste (avec un tra-vail via les gestes et l’écriture) qui constate une transfor-mation progressive : le visage de Lucia est moins grave,moins tendu qu’au début de la prise en charge. Même sielle n’a jamais parlé à voix haute durant les séances, elle achuchoté à deux reprises (en faisant une addition). Elleest très intéressée par le travail entrepris (exercices duniveau CP) et s’exerce à la maison grâce à la méthode deBorel-Maisonny (à l’aide d’enregistrements et de docu-ments photocopiés). Elle travaille seule, refusant l’aide de

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sa mère. Les acquisitions restent très limitées et les pro-grès sont lents, l’évaluation du niveau intellectuel demeu-rant très difficile. Une prise en charge deux fois parsemaine est programmée.

— Suivi psychologique depuis neuf mois, où un suivi indivi-duel (avec une médiation par le dessin) et des consulta-tions mère/enfant ont été proposés, le père de Lucias’impliquant peu dans la prise en charge. Le symptôme deLucia intervient dans un contexte relationnel très parti-culier avec sa mère qui se positionne en tant que porte-parole. Le symptôme semble avoir une fonction trèsimportante dans l’économie psychique de Lucia. Letableau très inquiétant du début (visage fermé, doute surdes éléments persécutifs) s’est progressivement assoupli,Lucia s’étant « quasi métamorphosée ». Il persiste néan-moins un doute sur des éléments histrioniques ou sur unfonctionnement plus proche de la psychose.

Lucia est âgée de 8 ans et demi lorsque sa mère prendl’initiative d’une consultation à l’hôpital Necker, devant lapersistance de la symptomatologie mutique malgré le suivientrepris. La pédopsychiatre qui la reçoit décide d’une obser-vation plus longue dans l’unité de jour de pédopsychiatrie, etc’est dans ce contexte que l’enfant nous est adressée.

— Histoire de la famille

Le frère de Lucia, Pierre, a 16 ans. Il est actuellement enbonne santé, mais a présenté à l’âge de 7 ans (sa mère étantalors enceinte de Lucia) une encoprésie diurne durant unmois, résolutive après une consultation avec un psychologue.Après la naissance de Lucia, il s’est beaucoup occupé de sasœur. Ils entretiennent actuellement une relation très proche,très complice.

Une cousine germaine de Lucia (du côté paternel) sembleavoir présenté des difficultés similaires à celles de Lucia (bienque moins intenses) et aurait bénéficié d’un suivi psycholo-gique jusqu’à l’entrée en 6e.

La mère de Lucia a 41 ans ; elle est employée de maison.Née au Portugal, elle est arrivée en France à l’âge de 9 ans.Ses parents sont rentrés au Portugal après un séjour de vingt-

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six ans en France. Son père est maçon, sa mère est employéedans une école. Elle est la seconde d’une fratrie de quatre. Sestrois frères et sœurs vivent en province. Elle décrit une rela-tion de grande proximité avec l’ensemble de sa famille. Elledit s’attacher aux gens (famille et amis) d’une manière exces-sive, supportant très mal les séparations (départs, décès)qu’elle vit sur un mode abandonnique. Avec ses enfants, elleest très fusionnelle, très protectrice. La relation avec sapropre mère était très fusionnelle ; elle a également présentéd’importantes difficultés de séparation à l’entrée à l’école auPortugal. Son arrivée en France, à l’âge de 9 ans, s’estdéroulée sans problème, mais elle reste très attachée au Por-tugal, où elle se rend une fois par an en été. Elle décrit uneadolescence difficile, teintée d’une éducation rigide, pleined’ « interdits ». Elle a rencontré son mari à l’âge de 24 ansdans un groupe folklorique portugais où elle dansait. Ils sesont mariés un an plus tard ; Pierre, leur fils aîné, est né un anaprès. Elle était très impliquée dans un groupe de la commu-nauté portugaise dont ses parents étaient présidents. Elle aarrêté de danser le folklore portugais car son mari trouvaitcette activité « démodée ». Son arrivée en région parisienne ily a deux ans (pour des motifs professionnels de son mari) aété vécue de manière très douloureuse. Séparée de sa famille,elle s’est sentie très seule (malgré le soutien apprécié de sabelle-famille), jusqu’à la reprise de son travail un an plustard. Elle pense que le déménagement a été mieux vécu parLucia et son frère, qui sont devenus très proches de leurs cou-sins (du côté paternel). Elle décrit une relation de couple peusatisfaisante, avec un mari souvent absent de la maison(nombreux déplacements professionnels en province) et aucaractère radicalement opposé au sien : elle est « trop »bavarde ; lui est introverti, très réservé, profondément mar-qué par le décès de ses deux parents il y a sept ans (à un and’intervalle). Depuis, il ne veut plus retourner au Portugal ;elle y va donc seule avec les enfants tous les étés pendant queson mari reste en France pour travailler.

Le père de Lucia a 40 ans ; il travaille dans le bâtiment.Né lui aussi au Portugal, il est arrivé en France à l’âge de17 ans. Nous avons peu d’éléments sur son histoire person-nelle, car il a refusé tous les entretiens proposés durant

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l’observation de sa fille, prétextant des déplacements profes-sionnels en province. Il délègue en effet l’éducation de sesenfants à sa femme, étant lui-même très peu présent à la mai-son (déplacements de trois ou quatre jours en province toutesles semaines). Sa femme nous dit par ailleurs qu’il étaitopposé à l’observation en unité de jour, par découragement etpar méfiance à l’égard des psychiatres. Elle a donc pris seulel’initiative de la consultation à Necker (et du suivi au CMPP).Nous le convoquons donc en septembre avec sa femme etLucia pour faire le point sur l’observation de juillet. Ilaccepte ce rendez-vous, sensibilisé d’après sa femme par uneémission télévisée abordant des difficultés proches de celles deLucia. Durant cet entretien de septembre, il nous livre troiséléments importants de son histoire personnelle : la notion dedeux méningites dans l’enfance avec deux longues hospitali-sations (de deux et neuf mois respectivement) ayant entravésa scolarité ; la notion également d’un épisode paralytiquedes quatre membres, peu de temps avant le mariage et spon-tanément résolutif, évoquant une somatisation ou un épisodeconversif ; enfin, le deuil non fait de ses deux parents, décédéslorsque Lucia avait 2 ans, sans doute à l’origine d’un effon-drement dépressif chez le père.

À ce propos, sa femme nous rapportait lors d’un entretienprécédent des difficultés conjugales apparues peu après lanaissance de Lucia, ayant duré un an approximativement : lecouple était proche de la rupture. Monsieur est finalementrevenu vers sa famille, mais en surinvestissant néanmoins sontravail. Lorsqu’il est à la maison, il joue peu avec les enfants,passant l’essentiel de son temps devant la télévision.

— Entretien d’admission et observation à l’unité de jourLors du premier entretien, Lucia se présente comme une

fillette pâle, maigre et de petite taille. Son visage est grave,peu expressif. Elle n’émet aucun son ni aucun mot, son inhi-bition est majeure. Elle baisse la tête et les yeux durant toutl’entretien (semblant éviter le regard), elle ne répond pas àmes sollicitations ou à celles de sa mère, ni par la voix ni pardes signes de tête. Elle sourit à deux reprises lorsque sa mèreévoque la relation de grande complicité qu’elle entretientavec son frère aîné. Madame est prolixe, présentant une

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logorrhée anxieuse durant tout l’entretien, mettant en avantleur relation fusionnelle. L’anxiété apparaît chez Lucia dèsqu’on évoque l’observation dans l’unité, et l’angoisse devientmajeure au moment de la séparation : Lucia pleure au départde sa mère, s’agrippe à elle, à la porte, cherche à s’enfuir... Samère pleure en miroir et laisse transparaître toute son ambi-valence par rapport à l’hospitalisation. Lucia finit pars’apaiser quinze minutes après le départ de sa mère. Elle resteen retrait, observant les autres enfants et les adultes del’unité.

Rapidement, Lucia s’adapte au nouveau cadre de l’unité,participant avec plaisir ou docilité aux activités proposées,mais toujours avec des éléments phobiques et de contrôle, derétention, sans jamais prononcer un son ni une parole.

Nous sommes d’emblée frappés par l’absence d’inves-tissement de l’oralité : le langage bien sûr, mais aussi la nour-riture, Lucia présentant des difficultés alimentaires majeures,ne prenant aucun plaisir à manger au moment des repas. Parailleurs, chaque début de semaine (au retour des week-ends),sur le trajet du domicile à l’hôpital, elle présente des vomisse-ments dans les transports en commun, probables somatisa-tions de son anxiété de séparation.

Sa présentation détonne parfois avec son attitudeinhibée : elle est apprêtée (coiffée, maquillée, habillée en« Lolita ») et semble sensible dans ces moments-là à l’atten-tion portée sur elle et aux compliments qu’on peut lui adres-ser. Elle présente parfois également des rires inadaptés auxsituations, presque discordants, et des moments d’excitationdécalée (avec des jeux de course-poursuite), contrastant avecson inhibition habituelle, son opposition majeure, son atti-tude passive-agressive. À deux reprises, elle laisse échapperun mot mais se ressaisit instantanément.

Il n’existe pas d’élément dépressif patent, mais essentiel-lement des éléments d’inhibition anxieuse, notamment lorsde la passation des tests et bilans. Lucia présente un décalaged’au moins deux ans par rapport à son âge, une immaturitétant dans sa présentation que dans son comportement. Lesproductions sont pauvres, donnant une impression de vide,de relative déficience intellectuelle. Elle investit peu les jeuxde société ; elle prend plaisir à l’exécution des puzzles, mais

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nécessite de l’aide ; le dessin figuratif est un moment très dif-ficile à supporter pour Lucia, qui réagit avec angoisse et vio-lence lorsqu’on lui propose de représenter des personnages desa famille (masculins ou féminins) : elle interrompt alors bru-talement l’activité et sort le plus souvent de la pièce. Mais sion ne lui donne pas de consigne particulière, elle prend plaisirlors des dessins libres, ses personnages sont gais et colorés.

Les derniers jours de l’observation, elle adopte une atti-tude inadaptée et inquiétante, plus que régressive, semblant« plonger » dans l’archaïque : elle est dans le mimétisme parrapport aux autres enfants plus jeunes qu’elle (dont certainspsychotiques), semblant prendre la place de ceux qui s’envont de l’unité (imitant leurs jeux, leurs attitudes).

En entretien, Lucia reste mutique, mais semble toujourstrès attentive au discours de sa mère, qui au cours d’un entre-tien met en avant sa fatigue « physique et psychique »(disant « craquer » tous les ans en fin d’année scolaire car neparvenant plus à tout gérer à la maison : son travail, le suivide Lucia, les démarches administratives...). Elle s’inquiètepour l’avenir de Lucia, sa scolarité. Elle trouve peu de soutienauprès de son mari, et souhaiterait donc faire partie d’uneassociation de parents d’enfants présentant des difficultésidentiques à celles de sa fille. Elle nous montre sa détresse demanière touchante au cours de cet entretien (contrairementaux précédents entretiens où le contenu était assez plaqué,factuel) mais Lucia manifeste peu d’empathie, souriant demanière discordante lorsque sa mère évoque ses difficultés.

La mère de Lucia est à la recherche d’une « cause » auxdifficultés de sa fille, sans réelle capacité d’élaboration. Uneétiologie traumatique avait été évoquée lors du suivi en pro-vince, sans qu’elle puisse comprendre de quel ordre. Elle dit àce propos : « C’est une maladie qui lui est tombée dessus ».Elle a consulté plusieurs guérisseurs au Portugal, sans succès.

Une seule fois en entretien, Lucia acquiesce par un signede tête : lorsque je lui propose qu’on rencontre son père. Unentretien parental est donc programmé après l’observation, àla rentrée scolaire. Son père apparaît triste et inhibé, mettanten avant ses difficultés linguistiques. Il ne parle pas des diffi-cultés de sa fille et ne fait pas le lien avec les éléments de sapropre histoire.

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La mère de Lucia nous rapporte une évolution plutôtfavorable de sa fille après un séjour d’un mois au Portugal :elle la trouve plus gaie, avec moins de troubles des conduitesalimentaires. Elle est en revanche toujours mutique en dehorsde la maison.

— Bilans spécifiquesLe bilan psychologique met en avant une inhibition

anxieuse importante ainsi qu’une attitude d’oppositiondurant la passation des tests, où elle reste obstinémentmutique. Elle se montre néanmoins coopérante durant lesépreuves, acceptant de répondre par des gestes, des sourireset des regards, paraissant attentive et appliquée. L’inhibitionanxieuse la ralentit dans ses réalisations, elle tremble discrè-tement et présente une rigidité posturale ainsi qu’une anxiétéde performance. Elle est sensible à la réassurance, aux encou-ragements. Le WISC III met en évidence une efficience intellec-tuelle en performance limite (QIP = 75), avec une répartitionintersubtests très hétérogène de ses résultats. Elle a pu êtrepénalisée par son manque d’assurance puisque ces épreuvessont chronométrées. Lors de l’épreuve projective (Scéno-Test), Lucia explore le matériel avec plaisir, privilégiantspontanément les personnages autour de brèves mises en scè-nes un peu figées, mais adaptées, aconflictuelles, sur unregistre de relation affective chaleureuse (elle figure un bébédans les bras de son père, une fillette main tendue vers lechien, comme pour le caresser). Lorsque la psychologue luisuggère de mettre en scène sa propre famille, elle manifesteune attitude de violente opposition, signifiant son refus parun froncement de sourcil et un détournement du regard, sem-blant anxieuse, voire en souffrance, les larmes aux yeux. Elleest alors peu sensible aux tentatives de réassurance etd’apaisement prodiguées. L’opposition se renforçant, ellefinit même par sortir de la pièce. La même réaction estobtenue lorsqu’à plusieurs reprises au cours de l’observation,on propose à Lucia de dessiner sa famille.

Le bilan psychomoteur met en évidence un niveau moyende 6 ans à l’échelle de développement de Brunet-Lézine, carelle est pénalisée par sa lenteur. Seule la coordination dyna-mique générale est épargnée, mais le retard psychomoteur

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touche les activités manuelles fines et moins fines, la grapho-motricité, l’équilibre... Elle présente par ailleurs de nombreu-ses syncinésies axiales et d’imitation, ainsi que des raideurs etruptures de rythme.

Discussion

Lucia est une enfant présentant un mutisme sélectifextra-familial évoluant depuis plusieurs années : elle ne parlequ’à la famille « nucléaire », et jamais en dehors de la maison.Nous retrouvons dans cette observation les caractéristiquesépidémiologiques évoquées dans la littérature : trouble tou-chant le plus souvent les filles, débutant précocement (avantl’âge de 5 ans), mais pour lequel un diagnostic et une prise encharge ont été retardés de quelques années.

Elle n’a pas présenté de difficultés particulières sur le plande son histoire médicale et développementale précoce. Enrevanche, on peut noter une importante anxiété de sépara-tion, depuis la toute petite enfance, et qui perdure encoreactuellement (angoisse intense le premier jour d’observationau moment du départ de sa mère, somatisations à chaqueretour de week-end). Cette anxiété de séparation est sous-tendue par une relation d’étroite dépendance mère/fille, rela-tion symbiotique dont le père est exclu. Cet hyperinvestisse-ment émotionnel de la mère, en lien avec l’absence (réelle ousymbolique) du père, lui donne une place tout à fait particu-lière par rapport au symptôme mutique : elle se positionnevolontiers en tant que porte-parole de sa fille, sur un mode deréassurance narcissique.

Son père présente un tempérament taciturne, timide etinhibé. Il est le plus souvent « absent » de la maison. Le bilin-guisme familial semble également un élément important del’éclosion de la symptomatologie, avec pour Lucia l’hypo-thèse d’un conflit de loyauté vis-à-vis du pays d’origine desparents : son père, après vingt-trois ans en France, n’a pasinvesti la langue française, ce qui témoigne peut-être d’unehostilité vis-à-vis du pays d’accueil.

Le mode de fonctionnement de Lucia, caractérisé parl’opposition, la maîtrise et la rétention, touche plusieursdomaines : celui de la relation, de la communication mais

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également celui de l’alimentation. Elle ne prend aucun plai-sir à manger à table, son alimentation est sélective et res-trictive. Elle a par ailleurs présenté un véritable épisodeanorexique à l’âge de 7 ans, peu de temps après le déména-gement de la famille. Cette absence d’investissement del’oralité nous renvoie aux liens précoces entre langage etalimentation.

La dimension obsessionnelle est très présente chez Lucia,par les traits directs de l’érotisme anal dont elle fait preuve,comme la rétention (des paroles, des émotions), l’obstinationet l’entêtement souvent rapportés par la mère à la maison,mais également par les formations réactionnelles, comme lesouci de l’ordre, le perfectionnisme et la méticulosité.

À l’extérieur de la maison en revanche, son tempéramentest caractérisé par la timidité, l’anxiété et l’inhibition.Durant l’observation, elle présente une inhibition anxieuseimportante avec une anxiété de performance, seulement enpartie sensible à l’étayage et à la réassurance. L’hypothèsed’un trouble anxieux ne semble pourtant pas plausible pourcette patiente à la structure psychopathologique complexe.Les traits anxieux ne sont en effet pas uniquement indicatifsd’une phobie sociale, pouvant correspondre à des traits decaractère beaucoup plus généralisés.

Les capacités intellectuelles de Lucia sont limitées avecdes résultats très hétérogènes, pouvant expliquer ses difficul-tés scolaires. Par ailleurs, son redoublement est intervenutrois mois après le déménagement de la famille, événement devie banalisé mais ayant pu constituer une rupture dans lefonctionnement de Lucia et de sa famille.

Quant à la place du symptôme dans l’entourage immédiatde l’enfant : le mutisme ne semble pas susciter de contre-attitudes négatives dans la famille, mais au contraire une cer-taine complaisance. Cela contribue sans doute à la pérennisa-tion du trouble en le « renforçant » négativement, à l’instardes comportements des maîtres et des camarades de classe quisemblent tolérer le mutisme sans manifester de réaction derejet.

Ses difficultés sont à appréhender dans un contexte fami-lial marqué par une probable dépression parentale depuis ledécès des grands-parents lorsqu’elle avait 2 ans : dépression

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paternelle non élaborée, où Lucia « porterait » peut-être ledeuil de ses grands-parents, et où la mésentente conjugale estévidente (la mère est manifestement insatisfaite, elle décritdes difficultés conjugales depuis six ans environ) ; absence de« bain de langage » dont on sait l’importance pour que larelation langagière s’établisse, absence rendant vite le lan-gage inutile comme moyen de communication. L’évocationdes relations intrafamiliales déclenche d’ailleurs chez Luciaun blocage affectif majeur, assorti d’une anxiété, voire d’unecertaine souffrance.

À plusieurs reprises au cours de l’observation, elle pré-sente un tableau inquiétant, contrastant avec son comporte-ment habituellement maîtrisé et retenu : moments régressifsavec une excitation et des rires discordants, semblant dans lemimétisme avec d’autres enfants de l’unité plus jeunes etpsychotiques (identification adhésive ?). Ces éléments peu-vent nous interroger sur l’organisation de la personnalitésous-jacente au mutisme, évoquant une pathologie limitechez cette enfant, avec des menaces de rupture avec laréalité.

L’évolution nous paraît incertaine : le symptômemutique semble en effet tenir une place importante au seinde la famille et dans l’économie psychique de Lucia, les diffi-cultés perdurent depuis de nombreuses années, sans amélio-ration malgré les prises en charge proposées. Nous considé-rons que Lucia a besoin de poursuivre une prise en chargepsychothérapique intensive, la pérennisation du troubleayant des répercussions sociales et scolaires majeures. Il estessentiel, pour l’aider, de mobiliser son père en proposant desentretiens familiaux réguliers, car Lucia présente des réac-tions émotionnelles majeures à chaque fois qu’il lui estdemandé d’évoquer sa famille. Une prise en charge en thé-rapie familiale permettrait d’identifier la signification dusymptôme au sein d’une dynamique relationnelle familialetout à fait particulière. Une aide individualisée orthopho-nique et en psychomotricité doit être associée. Nous avonsproposé un maintien de la scolarité actuelle dans la mesuredu possible, sachant qu’une orientation serait sans doute àenvisager dans les mois ou années à venir, en fonction desrésultats scolaires.

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CONCLUSION

Le mutisme sélectif apparaît donc comme un symptômerelativement uniforme, mais qui n’est pas pathognomoniqued’une structure psychopathologique précise : il s’inscrit eneffet dans des tableaux cliniques très divers, ce qui en fait dèslors un concept trans-nosographique.

Il s’installe quand la dimension ludique du langage estinsuffisante, dans une dynamique relationnelle familiale toutà fait particulière. Il est parfois pris dans une attituded’opposition globale dans laquelle la dimension dépressive nedoit pas être sous-estimée. Il peut également être une expres-sion symptomatique d’une anxiété sociale (les auteurs anglo-saxons plébiscitent d’ailleurs son inclusion dans la catégoriedes troubles anxieux). Quoi qu’il en soit, cette expressiondirecte du malaise doit faire discuter l’éventualité d’un fonc-tionnement psychotique chez l’enfant qui se retranche ainsides autres, qu’il soit ou non sorti de son mutisme.

Généralement extra-familial et touchant majoritairementles filles, le mutisme sélectif est un trouble sous-diagnostiqué,mais beaucoup plus fréquent qu’on ne l’imagine. Il débutesouvent avant l’âge de 5 ans, et plusieurs années peuvents’écouler avant qu’il ne soit identifié et pris en charge. Sesrépercussions, tant sur le plan du fonctionnement social quesur celui de la scolarité, sont pourtant potentiellement inquié-tantes.

Même si son pronostic à long terme est encore loin d’êtreclair, la persistance du mutisme sélectif après une année sco-laire chez la majorité des enfants suggère que les efforts pouridentifier et traiter le trouble devraient être amplifiés.

Les hypothèses psychopathologiques à l’origine de cetrouble complexe sont multiples. Plusieurs facteurs étiologi-ques y ont été associés, tels qu’un trouble de la relationmère/enfant, une anxiété de séparation, l’immigration, untraumatisme psychologique, la notion de secret familial, etplus récemment la phobie sociale (ou plus généralement lestroubles anxieux).

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Les directives actuelles concernant la prise en charge dumutisme sélectif préconisent :

— une évaluation du trouble à tous ses niveaux (clinique dutrouble et organisation psychopathologique sous-jacente,efficience intellectuelle et résultats scolaires, fonctionne-ment social, troubles comorbides, notamment retards dulangage et du développement) ;

— un traitement « multimodal », associant une thérapie(psychanalytique ou cognitivo-comportementale), uneprise en charge familiale (entretiens familiaux ou thérapiefamiliale), une intervention dans le milieu scolaire del’enfant, voire éventuellement un traitement pharmacolo-gique par inhibiteurs spécifiques de la recapture de lasérotonine, si la composante anxieuse apparaît au premierplan.

Le courant actuel anglo-saxon tendant à inclure lemutisme sélectif dans la catégorie des troubles anxieux noussemble réducteur. Nous constatons que de moins en moins detraitements psychothérapiques psychodynamiques sont indi-qués, au profit de traitements symptomatiques (pharmacolo-gique ou cognitivo-comportemental) qui peuvent permettreune amélioration, voire une disparition du mutisme, mais quilaissent de côté la signification du symptôme et les difficultés(personnelles et familiales) ayant permis l’organisation d’untel trouble. La disparition du mutisme n’est pourtant en rienprédictive d’une guérison, et les traitements psychothérapi-ques individuels ou familiaux ont encore toute leur place dansla compréhension globale de ce symptôme (en référence àl’histoire individuelle et familiale de l’enfant), symptômecertes univoque dans sa présentation, mais sous-tendu par demultiples structures psychopathologiques au pronostic plusou moins inquiétant.

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Dr Ève Gellman-GarçonCCASAService du Dr Bourcier(secteur 94102)112, rue de Lagny93100 Montreuil-sous-Boise-mail : [email protected]

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