Le musée du Quai Branly, construction et représentation...

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LAUNAY Stéphanie Section « Politique et Communication » Mémoire de fin d’études Année universitaire 2006/2007 Le musée du Quai Branly, construction et représentation des identités par la médiation muséale. Université Lumière Lyon 2 Institut d’Etudes Politiques Sous la direction de Monsieur Bernard Lamizet Soutenance : le 4 septembre 2007 Jury : Monsieur Bernard Lamizet, Maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon Madame Joëlle Le Marec, Professeure des universités, ENS Lyon-LSH

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LAUNAY StéphanieSection « Politique et Communication »

Mémoire de fin d’étudesAnnée universitaire 2006/2007

Le musée du Quai Branly, constructionet représentation des identités par lamédiation muséale.

Université Lumière Lyon 2Institut d’Etudes Politiques

Sous la direction de Monsieur Bernard LamizetSoutenance : le 4 septembre 2007

Jury : Monsieur Bernard Lamizet, Maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de LyonMadame Joëlle Le Marec, Professeure des universités, ENS Lyon-LSH

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6I- le Musée du Quai Branly comme réprésentation symbolique d’une identite politique . . 10

A. La voix présidentielle . . 111. Un musée né de la volonté présidentielle . . 112. Un contexte politique qui aurait pu permettre aux opposants de bloquer leprojet . . 133. Le « musée Jacques Chirac », laisser sa trace civilisatrice . . 13

B-L’affirmation du rôle de la France dans l’espace public international . . 151. Le « soft power » à la française, un rôle de magistrature morale . . 152. La voix des laissés pour compte, le penchant tiers-mondiste de ladiplomatie française . . 17

C. La France, défenseur de la diversité culturelle . . 181. La menace de la mondialisation . . 182. La France, championne de la diversité culturelle . . 193. Le développement du droit à la différence . . 204. Une nouvelle définition de l’universalisme porté par la France . . 21

II- UN nouveau « Musée des autres » pour paris . . 24A- Le musée du Quai Branly, héritier d’une longue histoire du musée de l’Autre . . 25

1. Des cabinets de curiosités au musée du Trocadero, la naissance del’ethnographie en France . . 252. La redéfinition du paysage muséal français . . 273. Un projet politique de recomposition des identités et des cultures . . 28

B. Qui est cet Autre ? . . 291. Le problème de dénomination du musée . . 292. L’absence de l’Europe, nouvelle illustration de la séparation Nous/Eux . . 303. « L’Autre-colonisé » . . 31

C- Un nouveau statut de l’Autre par son entrée au Musée d’art . . 321. La fin du monopole des musées d’ethnographie sur la mise en expositionde « l’Autre » . . 332. Vers une nouvelle conception du musée de l’Autre . . 343. L’objet devient œuvre d’art, le choix de l’esthétisme . . 37

III- La représentation des identités au Musee du Quai Branly, traduction matérielle dudialogue des cultures ou modernisation d’une vision archaique de l’autre ? . . 40

A- Le bâtiment, traduction matérielle de l’identité du projet . . 411. Le lieu d’implantation, reflet de l’attention portée au projet . . 412- Le choix du projet architectural pour le musée du Quai Branly . . 44

B. S’émanciper des références occidentales »52 . . 471. Une architecture qui rejette les conceptions architecturales coloniales . . 482. Une réactualisation des clichés ? . . 51

C. Favoriser le dialogue des cultures et leur rencontre avec le public . . 541. Une architecture qui aménage un passage vers un autre monde. . . 54

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2. L’absence de cloisons, comme unité du monde . . 563. Des espaces transversaux pour favoriser le dialogue des cultures . . 58

conclusion . . 61Bibliographie . . 63

Ouvrages: . . 63Articles de revues : . . 64Compte rendu de colloque: . . 64Autres sources . . 65

ANNEXES : . . 66Annexe 1: Manifeste « Pour que les Chefs d’œuvre du monde entier naissent Libres etEgaux… », publié dans l’édition du jeudi 15 mars 1990 du journal Libération . . 66Annexe 2 : Allocution de M. Jacques Chirac, Président de la République, à l’occasion del’inauguration du Musée du Quai Branly . . 67Annexe 3 : Note d’attention de l’architecte Jean Nouvel, pour le concours architectural dumusée du Quai Branly . . 70Annexe 4 : Extraits du dossier de presse du Musée du Quai Branly . . 71

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Remerciements

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RemerciementsA tous les stades de ma scolarité, un enseignant a profondément marqué ma mémoire : MonsieurRaulo, mon professeur d’histoire au collège,

Madame Zimmerman, mon professeur d’histoire de l’art et enfin

Monsieur Phalippou, professeur en classe préparatoire.

Il ont nourrit mon goût pour les études, ma curiosité et ont contribué à l’éveil de mon esprit

A tous, je leur dis un grand merci.

J’ai également trouvé à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon un enseignant qui a marquéces quatre années. Cela a été un honneur de faire partie « de ses petits lapins », comme ilnomme affectueusement ses élèves. Je lui suis reconnaissante pour sa gentillesse et son incroyabledisponibilité. Mr Lamizet, Merci.

Je ne peux refermer ce mémoire sans une pensée pleine de tendresse à tous les Australiens quej’ai rencontrés, qui m’ont chaleureusement accueillie et fait découvrir leur pays. Un grand mercià Christine Colton, mon maître de stage au Museum and Art Gallery of the Northern Territory, àDarwin, Australie, pour son amitié et sa confiance.

Il me faut bien sûr remercier ma famille, qui a apporté sa pierre à cet écrit et à tous les autres,ainsi que mes amis qui m’ont soutenue dans la rédaction de ce mémoire.

Merci à tous

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Introduction

Le 23 juin 2006, un nouveau musée ouvre ses portes à Paris, le Musée du Quai Branly.Celui-ci est consacré aux cultures d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques.

La décision de construire cette nouvelle institution est prise par le Président de laRépublique Chirac en 1996. Un budget de 167, 69 millions d’euros lui est alloué en 1998et celui-ci atteindra finalement la somme totale de 232 millions d’euros. Après un chantierde près de 6 ans et un retard de 4 ans sur la date d’ouverture initiale, le nouveau muséeaccueille ces premiers visiteurs.

Le musée du Quai Branly fait partie des quinze départements nationaux désignés parle Direction des musées de France. Le musée assure une mission d’expertise en tant quegrand département pour les arts extra-européens.

Le plateau des collections permanentes du musée présente 3500 objets, sur unesurface de 4750 m². Plusieurs expositions temporaires sont organisées tout au long del’année. Le théâtre Lévi Strauss propose un programme varié d’activités culturelles : théâtre,danse, concerts, débats, cinéma. La médiathèque dispose d’un catalogue de 25 000ouvrages référencés.

L’ouverture de cette nouvelle institution muséale est un évènement de taille, comme lesouligne le Président Jacques Chirac lors de l’inauguration le 20 juin : «C’est, je le crois, unévènement d’une grande portée culturelle, politique et morale »1. Son impact internationalest marqué par la présence lors de l’inauguration, du Secrétaire général de l’Organisationdes Nations Unies, Mr Kofi Annan, du Secrétaire général de l’Organisation internationalede la francophonie, Abdou Diouf et de personnalités politiques internationales : RigobertaMenchu Tum, femme politique guatémaltèque et activiste du mouvement des droits despeuples indigènes, Eliane Tolédo, femme du président péruvien ou encore Paul Olalik,président du Nunavut.

L’enjeu est de cette nouvelle institution est important. Il s’agit d’intégrer, au paysagemuséal français, un musée entièrement consacré à ce que le Président appelle lui-même« les cultures Autres » et de le faire adopter par le public,

Le succès auprès du public est immédiat. A la fin de l’année 2006, ce sont près de unmillion de visiteurs qui auront découvert les collections du musée du Quai Branly.

En quoi la création d’un nouveau musée présente un défi particulier ? Quelle est laportée symbolique de cette institution culturelle publique?

Il convient ainsi tout d’abord de s’interroger sur la signification de l’ouverture d’unnouveau musée dans le paysage culturel français, sur le rôle que celui-ci opère dans lasociété.

La définition officielle du musée donnée par l’ICOM (le Conseil international desmusées) est : « une institution permanente, sans but lucratif, au service de la sociétéet de son développement, ouverte au public et qui fait des recherches concernant lestémoins matériels de l’homme et de son environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les

1 Cf Annexes

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Introduction

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communique et notamment les expose à des fins d’études, d’éducation et de délectation. »2

On retrouve ainsi exposées les trois fonctions principales du musée : la conservation,l’exposition et la transmission.

Le musée est un bâtiment public et il est à ce titre un signe matériel du pouvoir dansl’espace public. Le musée est également un élément d’une politique culturelle. Ce sont lesreprésentants du pouvoir qui créent et gèrent les musées publics pour en faire des porteursde sens politique.

Christiane Naffah, conservateur général du patrimoine net responsable du chantierdes collections du musée du Quai Branly, reprend cette idée « la décision de reconnaîtreimplique la responsabilité de préserver. Le choix d’exposer est politique, au sensétymologique du terme, c'est-à-dire relatif à la cité, au gouvernement, à l’Etat…Sous letruchement de la matière, c’est l’accès au sens que l’on conserve. »3

Les musées sont donc des lieux de conservation des objets qui traduisentsymboliquement notre passé, notre vision du monde, notre idéal politique. Les musées sontles gardiens de la mémoire officielle de la société. Ils conservent les trésors du patrimoinenational. Ils matérialisent alors la richesse culturelle d’un Etat. Ils participent à la fois à laconstruction de la mémoire collective et à sa transmission par la mise en scène de celle-ci.Le musée expose aux individus des témoins matériels de leur appartenance à la collectivité.La culture dont le musée est un élément de représentation, joue une médiation symboliquede l’identité.

Ces objets sont sélectionnés pour leurs pouvoirs symboliques. Ces éléments de lamédiation sont porteurs de sens. Ils sont des signes qui constituent un langage. Ce langagedoit être compréhensible par l’ensemble de la société et par les générations futures. Lemusée fige les objets dans l’éternité de la mémoire de la sociabilité pour en assurer lacontinuité. Le musée propose ainsi aux individus, aux travers de pratiques culturelles, defaire l’expérience de leur appartenance. Il est une traduction matérielle, une représentationd’un imaginaire politique qui constitue la mémoire collective. Le musée donne à voir, il meten scène l’identité collective.

Le musée est un lieu clos dans lequel est exposée une mise en ordre d’une vision dumonde Cette vision du monde est orchestrée parle musée sera un cadre, à travers lequel lesmembres de cette collectivité interpréteront le monde. Les musées coloniaux par exempleont relayé à leurs visiteurs l’idée de supériorité de l’Occident et nourri un sentiment deracisme envers les populations extra-européennes. L’exposition est ainsi porteuse d’unecosmologie, d’une mise en ordre du monde.

Le musée du Quai Branly est ainsi le théâtre de la construction des identités. Il contribuedonc à construire et à matérialiser une identité collective. Cette identité collective estorientée par un pouvoir, qui utilise la culture et les lieux de la culture comme traductionsymbolique de leur politique. L’engagement personnel de Jacques Chirac dans la réussitede ce projet marque l’importance symbolique de la création d’un musée. Il participe àdéterminer l’identité de la France, l’image qu’elle se donne à elle-même et aux autres.

Toutefois le musée du Quai Branly n’a pas pour objet la mise en scène des objets desa propre culture. Il opère une représentation, une traduction qui se veut la plus proche duréel possible, d’une culture qui n’est pas celle de la communauté à laquelle il appartient.

2 cf www.icom-france.com3 VIATTE, Germain Tu fais peur, tu émerveilles : le musée du Quai Branly, acquisitions 1998/2005- Musée du Quai Branly,

Réunion des musées nationaux, Paris, 2006, p.34

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Le musée est ainsi une traduction symbolique de l’identité collective de la Franceet une représentation de l’altérité, de ce qu’il détermine comme « les cultures Autres ».Il se donne une double mission de construction identitaire. Ces deux mouvements sontinterdépendants. L’identité et l’altérité sont souvent considérées comme deux notionsdistinctes. Pourtant l’une ne se construit pas sans l’autre. L’une et l’autre s’interpénètrent.

Ce musée est une nouvelle traduction de la dialectique Eux/ Nous, de l’Identité etde l’Altérité. Ces deux concepts renvoient à une même notion d’essence qui rendraitidentifiables et différenciables les identités. L’identité est considérée comme un ensemble dedonnées fondamentales et immuables. L’identité de l’Autre, altérité, se définit alors commeun ensemble de traits caractéristiques différents de la mienne. Il est alors possible dereprésenter cette altérité, en présentant ce qui caractérise sa différence.

L’identité et l’altérité sont posées comme des vérités, des réalités représentables,notamment dans les musées. Cette représentation prétend pouvoir traduire par un systèmede signes : mots, formes, gestes… l’essence de ces identités.

Le musée du Quai Branly a pour objet la représentation des « cultures autres »,expression employée par le Président Chirac dans son discours d’inauguration. Commentest construite et représentée cette démarcation entre les culture « Autres » et une cultureconsidérée comme la « notre » ?

Quels sont ces « Autres », auxquels on dédie une institution culturelle de cetteampleur ? Quel est le regard porté sur l’ «Autre » que traduit cette représentation.

Comment cette représentation de « l’Autre » permet de reconstruire ou plutôt dedéconstruire l’identité d’un « Moi » , d’un « Nous » construite par opposition ? Quelles sontles identités qui se jouent au musée du Quai Branly ? Comment ce musée traduit-il cesidentités par une esthétique architecturale et muséographique ?

Le musée du Quai Branly, par la mise en scène des cultures « autres » participe àla formation de l’identité de ses visiteurs aussi bien par traduction d’inspirations politiquesque par confrontation à une altérité. Une représentation de l’altérité qui a pour ambition desymboliser la part d’autre qui est en nous et vice et versa.

Pour tenter de répondre à ces questions, nous nous appuierons sur un corpus dedocuments de différentes natures.

Le premier document sur lequel nous nous appuierons est le manifeste publié parJacques Kerchache dans l’édition du journal Libération du 15 mars 1990. Ce manifesteintitulé, « Pour que les Chefs-d’œuvre naissent Libres et Egaux… », est signé par denombreuses personnalités du monde artistique, politique, universitaire et scientifique. Il yexpose la réclamation de l’ouverture au musée du Louvre d’une huitième section, consacréeaux œuvres des cultures africaines, asiatiques, océaniennes et américaines.

Ce texte est à l’origine du projet du musée du Quai Branly, qui marquera la finalisationd’un mouvement enclenché avec l’inauguration, en 2000 de la huitième section du Louvre.On peut y déceler les principes fondamentaux qui ont inspiré et légitimé le musée du QuaiBranly.

Le second texte que nous étudierons est un discours politique du Président de laRépublique, Jacques Chirac. Ce discours a été prononcé lors de l’inauguration du musée duQuai Branly le 20 juin 2006. Il traduit la consécration d’un engagement politique personneldu Président. Il résume également les principales lignes du message que le musée présenteet souhaite transmettre aux générations futures et qui constitue son identité politique. Cemessage que le pouvoir politique médiatise grâce au musée, a pour but de mettre en scène

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l’identité collective. Le discours politique nous permet alors de déceler à travers les mots etimages employés, cette identité collective.

La lettre d’intention de l’architecte Jean Nouvel, pour le concours architectural dumusée du Quai Branly, sera le troisième document de notre corpus. Ce document, quiaccompagne des maquettes et des plans, permet au concepteur d’expliquer son projet aujury du concours. Le choix de l’architecture du nouveau musée s’est ainsi dirigé vers le projetconçu par Jean Nouvel. On peut comprendre, à travers ce document, les inspirations qui ontorienté l’architecte et qui ont séduit les commanditaires du musée. Ces inspirations, traduitesici par des mots, sont également traduites par l’esthétique mise en place par l’architecturedu bâtiment et qui se veut une représentation de l’identité du musée.

Le dernier document qui étayera notre réflexion est un extrait du dossier de pressediffusé par le musée. Cet outil de communication présente un discours du musée sur lui-même. Il sert de base à l’information diffusée au public notamment par les média et contribueainsi à son contrôle. Il fait ainsi partie d’un discours officiel qui transcrit l’image que le muséeveut donner de lui même.

Notre développement suivra un cheminement en trois points.Le premier s’attachera à dégager l’identité que le pouvoir politique veut traduire par la

médiation de cette nouvelle institution.Nous analyserons ensuite ce nouveau « regard » sur l’Autre que revendique le musée

du Quai Branly.La troisième partie sera enfin consacrée à l’observation et à l’interprétation de la mise

en scène des identités, opérée par le musée du Quai Branly.

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I- le Musée du Quai Branly commeréprésentation symbolique d’uneidentite politique

La création d’un musée s’inscrit dans une politique culturelle entreprise par un pouvoirpolitique. Ces politiques culturelles traduisent par un système de représentations, demédiations, un idéal politique qui est la base de l’appartenance à une communauté. Cetteappartenance collective qu’on appelle aussi identité collective est construite, formulée etdiffusée par le politique. La culture inscrit ainsi l’idéal politique dans des représentations quiconstituent un langage compréhensible pour l’ensemble de la communauté. Ce langage faitde formes, de signes, de mots donne une dimension symbolique à l’appartenance sociale,qui est la condition de son appropriation par les individus.

En effet, la prise de conscience de son appartenance par chaque membre de lacommunauté, nécessite que celle-ci soit représentée, prenne forme, afin qu’elle puissese manifester, être diffusée et transmise. Le lien social doit se manifester sous forme dereprésentations reconnaissables et appropriables par tous. Cette représentation assure lepassage du stade de réalité du lien social au stade de conscience de ce lien. C’est cetteconscience de l’appartenance sociale par chacun des sujets qui assure la force du liensocial. Par l’intermédiaire de la culture et de ses manifestations, l’individu reconnaît ets’approprie les valeurs qui sont à la base de la communauté auquel il appartient et quiconstitue son identité. Le rôle de la culture est alors d’assurer cette représentation du liensocial. Elle est indispensable au politique comme médiation symbolique de l’identité.

La culture est ainsi une forme de manifestation du politique dans l’espace public.Cet espace est le lieu de représentation symbolique de l’appartenance sociale au traversdes manifestations culturelles. Dans cet espace, le sujet fait l’expérience individuellede pratiques culturelles collectives (concerts, pièces de théâtres, expositions…) et faitainsi l’expérience de son appartenance à cette culture, qui représente l’identité de lacommunauté.

Le pouvoir politique se doit ainsi de produire des formes de représentations del’appartenance. Le musée est ainsi une de ces manifestations du pouvoir dans l’espacepublic. Le bâtiment public, signe matériel du pouvoir dans l’environnement urbain, estune forme de diffusion de l’idéal politique. Le musée du Quai Branly est ainsi porteur dereprésentations, que l’on peut déceler au travers de son architecture, des objets présentésou des discours produits à son propos.

Nous reviendrons dans cette première partie sur la genèse de ce projet et nous nousattacherons, à travers l’analyse du discours de Jacques Chirac, Président de la RépubliqueFrançaise, lors de l’inauguration du Musée du Quai Branly le 20 juin 20064, à dégagerl’identité politique qui se dégage de ce nouvel indicateur du pouvoir dans l’espace urbain.

4 Cf annexe 2

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A. La voix présidentielleLa création d’une nouvelle institution muséale implique un énorme investissement de l’Etat.Elle met en jeu de nombreux acteurs pour sa conception, sa réalisation et sa gestion.L’acceptation d’une décision politique de cet ordre nécessite concertation et compréhension.C’est un enjeu politique important et bien sur l’objet de conflits.

La réalisation du Quai Branly en est une illustration. Ce musée a été perçu pour certainscomme l’imposition d’une volonté présidentielle, sans prise en compte des points de vueet oppositions. L’enjeu était en effet de taille pour le Président Jacques Chirac, qui a toutmis en place pour assurer la réalisation de ce nouveau musée français. Nous allons toutd’abord revenir sur l’engagement de Jacques Chirac dans ce projet et sur la signification dela construction de bâtiments publics par hommes de pouvoir.

1. Un musée né de la volonté présidentielleLe musée du Quai Branly est en effet, en grande partie, le fruit de la volonté présidentielle.La création d’une institution et plus particulièrement d’un musée est pour le chef de l’Etat,un moyen d’exprimer sa vision de la France. C’est le Président qui a initié la réalisation dece projet sous l’inspiration, nous le verrons, de Jacques Kerchache. Considéré comme unexpert des arts premiers, Jacques Kerchache a en effet eu une grande importance dansla création de ce musée.

Je vais en premier lieu établir la chronologie de ce projet qui montre la détermination deJacques Chirac afin que le musée voie le jour. Tout a été mis en œuvre pour s’en assurer :un budget conséquent, des postes de direction occupés par des amis de Jacques Chirac,l’omniprésence de Jacques Kerchache tout au long du projet et l’ignorance des réserves ouoppositions envers cette opposition.

15 mars 1990 : Jacques Kerchache fait publier dans le journal Libération le manifesteintitulé « Pour que les chefs-d’œuvre naissent libres et égaux » 5 dans lequel il demandel’entrée au Louvre des œuvres des « trois quarts de l’humanité ». Il les identifie comme leschefs d’œuvre non européens, provenant d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et d’Amérique. Cetteapostrophe en direction du président de l’époque, François Mitterrand restera lettre mortejusqu'à la rencontre de l’expert avec le maire de Paris, Jacques Chirac.

Mai 1992 : rencontre entre Jacques Chirac et Jacques Kerchache sur une plage de l’îleMaurice. Les deux hommes se retrouvent autour de leur passion pour les arts dits exotiqueset deviennent amis. Chirac est un grand amateur et connaisseur d’art asiatique et égalementafricain. Jacques Kerchache a une grande influence sur le Président de la République quisoutient et reprend ainsi à son compte le projet de Kerchache exprimé dans le manifesteparu dans Libération, deux ans auparavant. Cette rencontre décisive est à l’origine du projetdu musée du Quai Branly.

14 novembre 1995 : A la suite de son élection en tant que Président de la RépubliqueFrançaise, Jacques Chirac confie à Philippe Douste Blazy, alors ministre de la culture, lacréation d’une commission d’études sur les modalités de présentation d’arts primitifs auLouvre et sur la future vocation du Musée de l’Homme et du Musée des Arts Africains etOcéaniens (MAAO)

5 Cf annexe 1

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23 janvier 1996 : Le premier ministre, Alain Juppé, crée une commission de 12personnes dont Jacques Kerchache, chargée de proposer un projet de réorganisation,d’enrichissement et de mise en valeur des collections nationales dans le domaine des artsprimitifs au Louvre et au Musée de l’Homme.

Jacques Friedmann, un ami de Chirac en devient le président.4 juin 1996 : Sans attendre les conclusions de la commission, Jacques Chirac

annonce sa décision d’ouvrir une 8eme section au musée du Louvre consacrée aux artsdes civilisations d’Afrique, des Amériques, d’Océanie, des terres arctiques, et d’Insulinde.Cette décision rencontre une vive opposition au sein du Louvre notamment de la partde Rosenberg, son directeur. Jacques Chirac ne prendra pas en compte ces critiques etleur impose cette nouvelle section, qui n’est que la première étape du projet, élaboré encollaboration avec Jacques Kerchache qui prévoit l’ouverture d’un nouveau musée dédiéentièrement aux arts premiers.

13 septembre 1996 : Le rapport de la commission des Arts Premiers est rendu : sanssurprise, elle préconise le rassemblement des collections ethnographiques du musée del’Homme et celles d’art du MAAO dans un seul et même lieu.

7 octobre 1996 : Jacques Chirac annonce à l’Elysée la création du « musée descivilisations et des arts » au Palais de Chaillot, au Trocadero dont l’ouverture est prévueen 2002. 1 300 000 francs, soit 198 180 euros, doivent être inscris au budget pour saréalisation et une « Association pour la préfiguration du musée de l’Homme, des arts et descivilisations » est créée. Jacques Friedmann en est président.

Fin mai 1997 : Entre les deux tours de l’élection législative, le président décide d’affecter5 millions de francs de subvention (762 245 euros à part égale entre le ministère del’éducation et celui de la culture sur le budget de 1997) à l’Association de préfigurationdu futur musée sur ordre de l’Elysée. Le doute sur l’issue du vote pousse Jacques Chiracà assurer l’avenir du projet. Les législatives sont remportées par la gauche, marquant ledébut d’une période de cohabitation. Pourtant le projet de musée des civilisations et desarts continue.

4 février 1998 : Chirac annonce que c’est le site du quai Branly qui est retenu pouraccueillir le nouveau musée. Le terrain est attribué à titre gracieux au projet alors quele ministère des finances voulait le revendre 2 milliards de francs (305 millions d’euros).L’ouverture du musée est toujours prévue fin 2002. Le projet est estimé à 1.1 milliard defrancs sur 6 ans (soit 168 million d’euros) : 150 million de francs (22 800 000 euros) debudget de fonctionnement par an, 150 million d’achat de collection dont 30 million (4 500 000euros) accordés tout de suite pour l’année 1998 (à titre de comparaison, c’est le budget totaldes acquisitions pour l’ensemble des musées nationaux en 2001)

23 décembre 1998 : L’Etablissement public du quai Branly est créé. Stéphane Martinen devient le président. Les achats de collections dépendent de lui et de son conseiller,Jacques Kerchache, sur proposition d’un comité de présélection.

8 décembre 1999 : Le projet architectural de Jean Nouvel est annoncé gagnant. Lecoût prévu est de 524 millions de francs soit 80 millions d’euros.

Avril 2000 : Ouverture de la section consacrée aux arts premiers, au Pavillon desSessions du musée du Louvre.

2001 : Les travaux de construction débutent.2004 : Un décret crée l’Etablisssement public national à caractère administratif.

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I- le Musée du Quai Branly comme réprésentation symbolique d’une identite politique

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23-26 juin 2005 : Les sous-sols du quai Branly sont inondés. Les égouts ont reflué lorsdes orages. Une partie des réserves est touchée et abîmée.

20 juin 2006 : Le musée du quai Branly est inauguré en grande pompe.Le coût total du projet est estimé à 400 million d’euros pour 4000 objets exposés soit

100 000 euros par objet, ce qui est le montant de la subvention la plus élevée reçue parle musée de l’Homme6. L’attribution de ce budget pharamineux, l’installation des réservesdans des sous sols inondables, l’installation de proches de Jacques Chirac aux postes deresponsabilité ou le passage en force de certaines décisions ont engendré de nombreusesoppositions au projet de création du musée.

2. Un contexte politique qui aurait pu permettre aux opposants debloquer le projet

La création de cette institution muséale a ainsi été clairement engagée et portée par lePrésident lui-même. C’est ce soutien au plus haut rang du pouvoir politique qui a permis saréalisation. Pourtant, la réussite de ce projet n’était pas assurée surtout dans le contextede la cohabitation de 1998 à 2002, au cours de laquelle la gauche est au pouvoir. Pourtant,aucune décision ne sera prise pour entraver le projet présidentiel. Le musée du Quai Branlyest le projet personnel du président qui affiche une grande détermination pour le voir réaliser.Afin qu’il ne perturbe pas les projets du premier ministre et de sa majorité, il est nécessairede ménager les relations avec le président.

Jacques Chirac a ainsi protégé son projet d’un changement de majorité, avant ledeuxième tour de l’élection législative, par l’attribution d’une subvention conséquente.Après la victoire de la gauche aux législatives, Catherine Trautman est nommée ministrede la culture. Elle juge le budget de 1997 catastrophique. Elle annonce des annulationsbudgétaires qui atteignent 10% des 15 milliards de francs du budget global du ministèrede la Culture. Les réductions de budget ne concernent pourtant pas le futur musée quiconserve son enveloppe. En 1999, certains députés emmenés par Montebourg, proposentau groupe socialiste le vote d’un amendement à la partie dépenses du budget de l’Etat,et notamment de réduire les crédits accordés au musée des arts premiers de 50%. Cetteproposition restera sans suite.

Le bien-fondé de cet ambitieux projet n’est pas évident pour toute la classe dirigeante etdes oppositions aux projets se font entendre. Beaucoup de critiques sont émises concernantle coût colossal d’un tel projet dans une période de restrictions budgétaires et sur l’attributiond’un terrain de grande valeur immobilière à ce genre de réalisation. La nécessité réelled’ouvrir un nouveau musée au cœur de Paris est également remise en cause, dans uneville qui compte déjà beaucoup d’attraits touristiques. Les controverses ne seront pas assezfortes face au jeu des forces politiques. Ce projet avait pris une importance particulière pourle Président de la République qui rendait dangereuse politiquement toute tentative de miseen échec. Le musée du Quai Branly parfois appelé dans les médias, le musée JacquesChirac, devait être la trace laissée dans le paysage parisien, de son passage au pouvoir etde son rôle joué pour la France.

3. Le « musée Jacques Chirac », laisser sa trace civilisatrice

6 cf Bernard Dupaigne , Le scandale des arts premiers, la véritable histoire du musée du Quai Branly

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Des moyens énormes et une volonté exprimée au plus haut du pouvoir politique : lePrésident a tout mis en œuvre pour que le musée ouvre avant la fin de son mandat. JacquesChirac, passionné pour les arts premiers et véritable érudit7, a très certainement été séduit etconvaincu par le projet nourri par Jacques Kerchache. Mais c’est également un moyen pourle président de laisser sa trace dans le paysage urbain français, de marquer sa présencedans l’histoire du pays mais bien plus encore de prendre une place pérenne dans l’identiténationale. Si les plus hauts représentants du pouvoir politique montrent une prédilectionparticulière pour la construction de musées cela n’est pas un hasard. Le musée est unlieu de représentation de l’identité française qui, en exposant des objets symboliques denotre histoire, de notre héritage commun, matérialise ce qui lie les membres d’un mêmegroupe. Le président en tant que commanditaire de ces nouveaux lieux de représentationde l’identité collective, reste associé à ces repères matériels de l’espace public.

La construction d’architectures publiques est un moyen de s’offrir une part d’immortalité,sorte de prolongation du mandat présidentiel. Le nom du commanditaire reste à jamaisassocié à ces structures, marque visuelle dans le paysage urbain, de son passage auxcommandes du pouvoir. A la manière des pharaons et de leurs pyramides, qui ont survécuà leurs civilisations, le chef de l’Etat devenu bâtisseur, espère marquer de sa signaturel’histoire du pays. D’autant plus que l’institution construite prend bien souvent, une foisl’homme décédé, le nom de son inspirateur. La bibliothèque d’études qui se trouve sur le siteFrançois Mitterrand et qui compose l’un des quatre bâtiments de la Bibliothèque Nationalede France, est connue également comme la Bibliothèque François Mitterrand. On peut citeraussi comme exemple le Centre Beaubourg dorénavant appelé Centre Pompidou.

Les hommes de pouvoir ont, de tout temps voulu, laisser leur trace, signaler leurpassage et leur puissance L’un des exemples les plus illustres est le château de Versailles.Dans l’histoire plus récente, les présidents de la République ont également montré leur désirde voir leur rôle dans l’histoire de France, prendre une forme symbolique dans l’architectureurbaine de Paris, lieu symbolique du pouvoir et de la culture Française. Ainsi en 1971, leprésident Pompidou, amateur d’art moderne, décide la construction du centre Beaubourg,dédiés aux créations modernes et contemporaines. En 1977, la gare d’Orsay dont ladémolition fut envisagée, est transformée en musée d’Orsay, sous l’impulsion du présidentValérie Giscard d’Estaing. Les deux septennats de François Mitterrand restent marqués parune politique ambitieuse de Grands Travaux.: Grande Arche de la Défense, Opéra Bastille,Bibliothèque Nationale, Pyramide du Louvre, œuvre de verre de 21 mètres de haut dansla Cour du musée du Louvre.

Ces bâtiments publics seront à jamais les signes matériels de leurs rôles politiques etoffrent à ces hommes une part d’immortalité.

Jacques Chirac ne déroge pas à la règle. Grand connaisseur de l’art japonais, grâceà ses visites de jeunesse au musée Guimet, à Paris. Il découvre également la cultureDogons du Mali en fréquentant l’atelier du peintre Fernand Léger dans les années 40.Il s’intéresse également aux civilisations précolombiennes, indiennes, chinoises…Il estd’ailleurs lui-même collectionneur d’art premier. Sa rencontre avec Jacques Kerchache aété déterminante dans son impulsion en faveur de la construction d’un nouveau musée maiselle fait écho à une réelle passion personnelle.

Toutefois, des raisons plus politiques ont poussé Jacques Chirac à peser de toutson poids pour assurer la réalisation de ce projet. En 1986, François Mitterrand veutconstruire sur l’emplacement libre du Quai Branly, un Centre de Conférences International.

7 PEAN, Pierre L’inconnu de l’Elysée–Fayard, Paris, 2007

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Les riverains déposent un recours au tribunal administratif de Paris et à la ville de Paris, dontJacques Chirac est alors maire et attaquent l’Etat qui ne respecte pas le plan d’occupationdes sols. Le projet est abandonné. C’est une occasion pour Jacques Chirac de réussir làou François Mitterrand a échoué et de laisser lui aussi sa trace civilisatrice en plein cœurde Paris.

De plus, ce nouveau musée des « arts premiers » est une manière de laisser sontestament politique. C’est un moyen de traduire sa vision du monde et de la pérenniser dansl’espace et dans le temps, pour en laisser l’accès aux générations futures. L’architecturepublique est en effet le moyen d’exprimer une identité politique décelables notamment dansles discours politiques produits à son propos.

On peut ainsi comprendre dans le discours du Président Chirac le désir de rester dansl’Histoire comme celui qui a rendu sa dignité aux arts premiers.

Je m’appuierai dans mon analyse sur le discours prononcé par le Président lors del’inauguration du musée du Quai Branly, le 20 juin 20068.

B-L’affirmation du rôle de la France dans l’espacepublic international

L’ouverture du musée du Quai Branly fut un évènement culturel d’une portée internationale.Elle a été traduite comme la reconnaissance, enfin accordée à des productions artistiqueslongtemps dévalorisées. Ce geste, d’une grande portée symbolique, se veut la traductiond’un rôle assumé par la France sur la scène internationale.

1. Le « soft power » à la française, un rôle de magistrature moraleLa France a toujours eu une place particulière sur la scène internationale. Considéréecomme le pays des droits de l’homme, elle jouit d’un crédit sur la scène internationale,malgré une baisse de puissance notoire aussi bien au niveau diplomatique, économiqueque militaire. Les Etats-Unis sont devenus depuis la fin de la guerre froide la seule superpuissance mondiale.

Toutefois, sans avoir un poids déterminant dans la conduite des affaires internationales,la voix de la France compte, notamment dans le domaine des droits de l’homme et deslibertés fondamentales. La France exerce en quelque sorte un rôle de magistrature morale.C’est là que s’affirme le « soft power » de la France, concept développé par Joseph Nye9 .

Il existe ainsi plusieurs types de pouvoir. Les deux principaux sont le pouvoir affirmépar la force et le pouvoir économique. Pourtant il existe une troisième source de pouvoirqu’il ne faut pas négliger et qui assure encore à la France une place importante surla scène internationale : le « soft power ». Le soft power est la capacité d’influencerindirectement le comportement d’un acteur, sans pour cela utiliser la coercition. C’estpar la séduction et la persuasion que l’on obtient ce que l’on veut de l’autre ou plutôtque ce dernier veuille la même chose que vous. Cette capacité de séduction d’un pays

8 cf annexe 29 NYE, Joseph Soft Power : the means to sucess in world politics – N.Y. Public Affairs , 2002

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repose sur des principes intangibles : l’image, la réputation, le prestige, les valeurs qu’ilpromeut, son degré d’ouverture, son innovation scientifique et technique, son attractivitéculturelle…. Ce soft power qui ne remplace pas les formes traditionnelles du pouvoir maisles complète, est devenu un aspect essentiel de la diplomatie internationale. L’entrée dansl’ère de l’information mondialisée avec l’ouverture des frontières, la baisse du coût de lacommunication ou la multiplication des problèmes transnationaux donne une importancemajeure au soft power. C’est pourquoi, la capacité d’un Etat à faire accepter commeuniverselle et légitime sa vision du monde, est essentielle. Par la diffusion de ses produitsculturels porteurs de sens, de messages, comme le cinéma, le coca cola ou Fox TV, c’estsa vision du monde que les Etats-Unis ont diffusé très efficacement dans le monde. Lesoft power permet d’obtenir ce que l’on veut non par la contrainte ou l’argent mais parl’influence que l’on exerce sur l’autre qui n’en n’a pas conscience.

Le rayonnement culturel est l’élément essentiel de ce « soft power ».Si la Francebénéficie toujours d’un prestige international, c’est essentiellement du fait de sonrayonnement culturel. La culture française est toujours associée à l’étranger à une imagede luxe et de raffinement notamment par la réputation de la gastronomie, l’industrie de lamode ou ses produits de luxe. Si la langue française a perdu de son importance dans lemonde, le réseau étendu des Alliances Françaises poursuit sa mission d’apprentissage dela langue et de promotion de la culture française. Par ailleurs, en ce qui concerne son rôledans le règlement des conflits internationaux, c’est son statut de défenseur des droits del’homme qui reste toujours très présent.

La perte de puissance économique et militaire a poussé la France à réaffirmer sa placede magistrature morale et de médiateur sur la scène internationale, dont elle est créditéedu fait de son goût pour l’universel composante principale du « soft power » français. Laréférence à la Révolution Française et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyenreste essentielle en terme de politique étrangère française. C’est le caractère universel desvaleurs dont la France se veut porteuse qui lui assigne ce rôle de référence internationale.La France garde cette image de pays défenseur des droits fondamentaux : liberté, égalité,dignité de la personne humaine. Elle est le gardien de ces droits fondamentaux qui sontgarantis à tout homme. Cette dimension universelle des valeurs défendues par la Francelui donne une stature internationale en tant que référence morale.

Cette définition des valeurs de la France, qu’elle veut promouvoir et protéger audelà de ses frontières est la source d’inspiration de la politique étrangère de la France.Médiatrice sur la scène internationale, notamment entre les pays du Tiers-monde et lesgrandes puissances, la France revendique « une magistrature morale ». Ainsi la diplomatiedéveloppée par tous les présidents de la Ve République s’inscrit dans le prolongement desengagements du Général de Gaulle, qui dans son allocution du 13 février 1963 assimilaitla France à la « lumière du monde » : « Notre pays se distingue en ce que sa vocationest plus désintéressée et plus universelle que celle d’aucun autre. La France, chaque fois,qu’elle est elle-même est humaine et universelle. Alors que les autres pays, quand ils sedéveloppent essaient de soumettre les autres à leurs intérêts, la France quand elle arriveà développer son influence, le fait pour l’intérêt de tous. Il y a un rôle de toujours de laFrance, C’est pour cela qu’elle jouit d’un immense crédit(…). Parcequ’elle a été la pionnièrepour l’indépendance américaine pour l’abolition de l’esclavage, pour le droit des peuples àdisposer d’eux-mêmes (…), tous les sentent obscurément dans le monde : la France est lalumière du monde, son génie est d’éclairer l’Univers. »

La France a cette capacité d’apporter ses bienfaits au monde. Selon Charles DeGaulle, la France est de tout temps une sorte de guide spirituel pour le monde, qui se doit

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pour son bien même suivre ses lumières. On ressent cette inspiration gaullienne dans lediscours du président Chirac, qui actualise cette conception du rôle de la France : « Cettenouvelle institution dédiée aux cultures autres sera (…) une leçon d’humanité indispensableà notre temps. »10 La France tient aujourd’hui encore son rôle d’éclaireur de la conscienceinternationale, en accordant enfin la reconnaissance longtemps refusée à ces peuples et àleurs cultures. On reconnaît la vocation affirmée de la France à être la lumière des nations.

2. La voix des laissés pour compte, le penchant tiers-mondiste de ladiplomatie française

Cette prétention à être le guide des nations trouve une autre tendance dans la diplomatiefrançaise. Elle prête sa voix à ceux qui ne peuvent se faire entendre. La France, par sacapacité de médiation l’amène à se placer à la tête des revendications des plus faibles.

Cette ligne de conduite de la politique étrangère française s’inscrit dans une traditiontiers mondiste développée notamment par le Général De Gaulle. Le sentiment anti-américain du dirigeant français a poussé la France vers une politique de soutien auxpopulations du Tiers monde. Le contexte de guerre froide a été un terreau pour développerune troisième voie dont la France s’est faite le porte-parole, dans une volonté de rassemblerautour d’elle des pays qui n’acceptent pas de s’intégrer dans l’un des deux blocs. Apartir de 1962, après le règlement de la question algérienne, le Général de Gaulle fait dusoutien au développement du Tiers monde l’un des axes majeurs de sa politique étrangère.L’organisation politique du Tiers monde à partir de la création du Mouvement des non alignésà la conférence de Bandoeng en 1955, a nourri le discours gaullien de dénonciation del’impérialisme américain et de lutte contre la bipolarisation du monde.

Il mène ainsi une politique de distanciation par rapport aux Etats-Unis dont les signes semultiplient particulièrement en 1966 avec le retrait de la France du commandement de l’ONU

et sa visite en URSS. Il prononce le 1er septembre de la même année un discours restécélèbre, le discours de Phnom Penh. Celui-ci constitue la meilleure illustration, symbole dusoutien de la France à la lutte des peuples asservis. Le général De Gaulle y affirme sadésapprobation de la politique américaine au Vietnam et prend un peu plus ses distancesvis-à-vis des USA. Un discours qui n’est pas sans rappeler celui prononcé par Dominique DeVillepinen 2003 affirmant publiquement l’opposition de la France contre toute interventionen Irak.

La doctrine tiers-mondiste attribue ainsi la responsabilité de la pauvreté du Tiers mondeaux interventions, considérés néfastes du capitalisme étranger. Elle rejette la dépendanceéconomique que le capitalisme américain notamment établirait avec les pays du Tiersmonde, considéré comme un néo colonialisme sans contrôle politique direct. Il serait ainsila cause du sous développement par des échanges inégaux, l’exploitation abusive desressources humaines et naturelles du Tiers monde. D’ailleurs l’économiste français AlfredSauvy, à l’origine du concept de Tiers monde, mettait déjà en avant en 1952, l’exploitationde ces pays et le mépris affiché par les grandes puissances mondiales à leur encontre : « ce

tiers monde ignoré, exploité, méprisé… veut lui aussi être quelque chose » 11 . Cette citation

fait écho aux paroles prononcées par Jacques Chirac lors de l’inauguration du Musée duQuai Branly en 2006 : « Peuples humiliés et méprisés (…) Peuples qui veulent néanmoins

10 cf annexe 211 cf article paru dans l’Observateur le 14 août 1952

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voir leur dignité restaurée et reconnue. »12. Le président Chirac affiche effectivement dansnombre de ses discours une position tiers-mondiste et anti- américaine dénonçant parexemple le scandale de la pauvreté ou l’impasse de l’unilatéralisme. Son engagement pourle développement du Tiers monde en est également une illustration, avec par exemple sonaction pour l’annulation de la dette publique des pays les moins endettés.

L’établissement d’un musée des cultures autres qui fait l’apologie de la richesse dela diversité est une concrétisation de cette revendication des plus faibles d’exister et devoir leur existence reconnue au même titre que celle des plus puissants. La France en leurdédiant une institution de cette envergure s’inscrit dans cette tradition diplomatique prisede position en faveur des pays rejetant la ligne dominante. Cette position de porte paroledes revendications des plus faibles face à l’imposition de la volonté des plus forts se traduitégalement par un engagement de la France dans la protection des droits des peuples etde la diversité culturelle.

C. La France, défenseur de la diversité culturelle« Dresser face à l’emprise terne et menaçante de l’uniformité, la diversité infinie des peupleset des arts »13. Ce sont les mots prononcés par le président Chirac lors de l’inaugurationdu musée du Quai Branly le 20 juin 2006. Jacques Chirac évoque ici une menace globalepour la diversité culturelle, qu’il identifie explicitement comme le produit de la mondialisation.Cette préoccupation affichée par le président français d’offrir un sanctuaire protecteur dela diversité des cultures s’inscrit dans un débat plus général sur la mondialisation et sesméfaits. Ce phénomène serait synonyme d’uniformisation culturelle et de disparition desparticularités.

1. La menace de la mondialisationLa mondialisation marque une étape supplémentaire du capitalisme où l’économie demarché se généralise. Cela se traduit par l’accélération des échanges de biens, deservices, de capitaux, d’information, d’hommes, la généralisation de l’information et de lacommunication, une interconnections des lieux et des personnes et une dématérialisationde l’économie. Tout est accessible partout et tout de suite. Les relations et les échangesinterculturels sont réduits à leur dimension commerciale. C’est un élément majeur de lamodernité et du progrès : développement du confort, de l’information, de la consommation.Un progrès qui se généralise même s’il laisse encore de côté toute une part de l’humanité.De plus, cette réduction du temps et de l’espace est porteuse d’uniformisation des modesde vie et des pratiques culturelles, effaçant les particularismes locaux. La modernisationcréatrice de progrès et de richesse est pourtant une menace pour une partie de la populationde l’humanité, comme le souligne Jacques Chirac, à l’ouverture du musée du Quai Branly :« Peuples aujourd’hui encore souvent marginalisés, fragilisés, menacés par l’avancéeinexorable de la modernité. »14.

12 cf annexe 213 cf Annexe 214 Cf annexe 2

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Cette crainte est déjà évoquée par Levi Strauss dans « Race et Histoire »15 publié pourle compte de l’UNESCO en 1951. Il y parle des menaces pour la diversité des culturesdevant les processus d’homogénéisation et le devoir de protéger « ces fleurs fragiles dela différence ». Jacques Chirac reprend ce souci et en fait son cheval de bataille : « Cettediversité est un trésor que nous devons plus que jamais préserver »16. C’est pourquoi laFrance se devait d’offrir, aux cultures menacées de ces peuples d’Afrique, d’Asie, d’Océanieet d’Afrique et d’Amérique, un lieu de protection et de reconnaissance.

La protection de la diversité culturelle serait ainsi la réponse à une mondialisation dontla conséquence directe serait la destruction progressive des cultures et ainsi de l’identitédes peuples qui en sont porteurs. Cette perte progressive des identités particulières par ladilution des cultures différentes dans une culture mondiale uniformisée serait une menacepour la paix et la stabilité mondiale , selon le Président Jacques Chirac : « la standardisationgagne du terrain, avec le développement planétaire de la loi du marché. Pourtant, qui nevoit pas qu’une mondialisation qui serait aussi une uniformisation, ne ferait qu’exacerberles tensions identitaires au risque d’allumer des incendies meurtriers. »17 La dissolution descultures est aussi celle des identités qui s’exprime justement au travers des manifestationsculturelles. La perte d’identité est porteuse de réactions qui peuvent être violente. En effetchacun a besoin de connaître son identité, d’affirmer son appartenance à une communautéen produisant des représentations de cette appartenance. La perte de repères culturelset donc de repères identitaires peut ainsi mener à des attitudes de rejets face à cetteuniformisation. Le retrait communautariste synonyme de fermeture à l’autre en est unexemple.

La préoccupation concernant la diversité culturelle est ainsi une affaire de premièreimportance pour les affaires du monde. Le musée du Quai Branly est une manifestationde cette reconnaissance internationale des cultures qui résistent aux attaques de lamondialisation. La France signifie ainsi qu’elle encourage et participe à ce mouvement dedéfense de la diversité culturelle.

2. La France, championne de la diversité culturelleL’uniformisation culturelle est souvent assimilée à une américanisation du mondeconséquence de l’impérialisme culturel, « soft power » très efficace de la diplomatieaméricaine. En effet, par la diffusion de produits culturels porteurs de représentations, c’estle mode de vie américain qui s’étend et par là même une vision du monde. Ce phénomène afait naître des mouvements contestataires et des revendications identitaires. La France s’estainsi dressée face à cette diffusion de la culture capitaliste et américaine dans son combatpour la défense de ce que l’on appelle « l’exception culturelle ». L’enjeu est la défense d’uneidentité française particulière face à une culture homogénéisée aux accents américains.Ce concept est apparu en 1994 lors des négociations du Cycle Uruguay de l’OMC. LaFrance s’est opposée à la libéralisation du secteur audiovisuel pour laquelle les Etats-Unisfaisait pression. A la base de ce principe, le refus de considérer les produits culturels entant que marchandises comme les autres. Les œuvres culturelles sont en effet devenuesdes produits marchands. Cependant ce sont également des objets symboliques, porteurs

15 Idem16 Idem17 Idem

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d’identité. Selon les propos de Jean Tardif18, « ce ne sont pas d’abord des marchandises, cesont des images, des concepts, des valeurs, une vision du monde qui circulent sur les ondeset les écrans à l’échelle mondiale. ». On ne peut donc pas les abandonner totalement à unelogique marchande. En effet, le rôle de l’identité dans la gouvernance mondiale n’est pas ànégliger. La généralisation d’une seule culture et ainsi d’une seule identité serait synonymede l’assise d’un seul pouvoir sur le monde. Un peuple privé d’identité propre est une proiefacile de la domination. D’où l’importance primordiale que prend la défense des identités etainsi des vecteurs de la culture dans le jeu des luttes d’influence

Le concept d’exception culturelle, associée à la France est devenu plus général. S’estalors développé le principe de défense de la diversité culturelle. Il est invoqué par les Etatspour développer des politiques de protection et de soutien à leurs industries culturelles,que ce soit en terme de financement ou de quotas par exemple. La France s’oppose ainsiaux Etats-Unis dans sa volonté d’inclure les produits culturels dans une logique libérale.La tentation hégémonique affiché essentiellement par les Etats-Unis devient inacceptablelors ce qu’elle touche ce que Patrice Flichy appelle les « industries de l’imaginaire »19. Iltraduit le refus d’une tentative de conquête du monde par une lutte d’influence qui passeraitpar l’instrumentalisation des cultures. Le rejet de l’hégémonie culturelle passe donc parla défense des spécificités culturelles. Ce combat, la France l’a fait sien. Jacques Chiracest particulièrement attaché à ce thème et défend cette position à l’étranger, comme enatteste sa déclaration en Hongrie le 16 janvier 1997 : « il nous faut être des militants dumulticulturalisme dans le monde… pour lutter contre l’étouffement d’une langue unique desdiverses cultures, qui font la richesse et la dignité de l’humanité »20. Cette prise de positionfrançaise, notamment pour la défense de sa spécificité culturelle et des intérets de son« industrie de l’imaginaire », permet d’inscrire sa lutte dans une revendication plus généralequi touche toutes les cultures.

Le musée du Quai Branly est la concrétisation d’un souci toujours réaffirmé de défendrela diversité culturelle. Il est l’abri qui protègera à jamais ces formes d’expression culturelledes attaques de la mondialisation. La France, au-delà de ses propres intérêts, se fait ainsil’avocate des défenseurs de la diversité culturel au travers le monde et ainsi bien souventdes plus faibles face à l’appétit de pouvoir des puissances.

3. Le développement du droit à la différenceLa France est parti prenante dans cette revendication de reconnaissance dont témoignela création du Musée du quai Branly. Cette institution au-delà de l’évènement nationalserait ainsi partie d’un processus de reconnaissance politique international. Ce qui donned’autant plus de crédit et de légitimité à ce musée et à la France qui associe ainsi son nomà toutes les figures de la lutte pour la protection de la diversité et la reconnaissance dudroit à la différence. Ainsi, Jacques Chirac cite le nom de certaines de ses personnalités,présentes lors de l’inauguration. Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’Organisationdes Nations Unies et prix Nobel de la Paix en 2001 et Rigoberta Menchu Tum, femmepolitique guatémaltèque participent également à l’élaboration de cette déclaration. Lauréate

18 Jean Tardif, Mondialisation et cultures : enjeux marginaux ou enjeux géoculturels ? Pour une approche stratégique, ColloquePanaméricain, 22-24 avril 2002

19 cf Patrice Flichy, Les industries de l’imaginaire, Grenoble, PUG, 1980.20 in, La Politique Etrangère de la France-Textes et Documents, Paris, La Documentation française, janvier/février 1996 p.41

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du Prix Nobel de la Paix, Rigoberta Menchú Tum a consacré sa vie à la défense des droitsdes populations indigènes. Elle a activement participé à la campagne pour la défense etle respect des droits humains et est devenue la figure emblématique et le porte-parole despeuples autochtones. Elle travaille en étroite collaboration avec l’UNESCO à la promotionde la culture de la paix et à la préservation des cultures indigènes. Jacques Chirac salueégalement la présence de la femme du président du Pérou : madame Toledo et dupremier ministre du Nuvanut, Paul Okalik, qui a participé aux négociations ayant abouti àla création de ce territoire inuit du Canada. Cette association avec des personnalités aucrédit international important donne une légitimité à la France dans sa prétention à être unélément moteur du mouvement de reconnaissance juridique de la diversité culturelle. Cettereconnaissance se base sur la revendication du droit à la différence.

Cette revendication peut être classée dans ce qu’on appelle la troisième génération desdroits de l’homme, après les droits civils et politiques et les droits économiques et sociaux.Ces droits ont un caractère collectif, ils sont difficiles à individualiser. Ils sont sauvegardésdans le cadre de conventions internationales, comme celle établie en 2005 sur la protectionet la promotion de la diversité des expressions culturelles. L’être humain en raison mêmede son humanité dispose d’un certain nombre de droits inaliénables et sacrés et qui sontles éléments fondamentaux de sa dignité d’être humain. Cette conception est à la base dudéveloppement de la juridiction en matière de droits fondamentaux.

La France s’inscrit dans ce mouvement, comme ne manque pas de la souligner JacquesChirac : « c’est d’ailleurs dans cet esprit que nous élaborons, à Genève, une déclarationsur les droits des peuples autochtones ».

Ce projet de Déclaration sur les Droites des Peuples Autochtones proclame ainsi dansson article premier:

« Affirmant que les peuples autochtones sont égaux à tous les autres peuplesen dignité et en droits, tout en reconnaissant le droit de tous les peuples à êtredifférents, à s’estimer différents et à être respectés en tant que tels »

Ce texte affirme que la différence devient un droit qui doit être assuré à chaque peuplepar un cadre juridique international. Cette différence, base de la richesse de l’humanitédoit être protégée et doit être un souci de la communauté internationale. La revendicationdu droit à la différence trouve ses origines dans le principe même d’égalité. Ce droit àla différence s’affirme par opposition à l’indifférenciation des êtres qui est à la base de lasociété démocratique moderne. L’affirmation de l’égalité de tous les individus est un principefondamental énoncé dans la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen. Au moment duvote la voix de l’un vaut celle de l’autre, quelque soit son sexe, sa religion…La démocratieest fondée sur le principe de la communauté de citoyens abstraits et universels. Tous lesindividus sont ainsi semblables et égaux. La dérive de cette conception de l’individu estla négation de l’identité comme différenciation de l’Autre. L’individu peut ainsi de sentirmenacer par cette indifférenciation qui veut dissoudre son identité propre dans une égalitéabstraite. C’est ainsi que s’est développé, en réaction à cette conception de l’individu et dela communauté, une volonté de différenciation et de protection de cette différence.

Cette conception de droit à la différence vient remettre en cause une universalité fondéesur une égalité assimilatrice.

4. Une nouvelle définition de l’universalisme porté par la France

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La France se veut promoteur de l’universel qui rassemble tous les êtres humains. Toutefoisla définition de cet universalisme a évolué. L’évocation de cette France de l’universel restetrès présente dans les discours politique : « Rassembler toutes celles et tous ceux qui, àtravers le monde s’emploient à faire progresser le dialogue des cultures et des civilisations.Cette ambition la France l’a pleinement faite sienne. Elle la porte inlassablement dansles enceintes internationales et au cœur des grands problèmes du monde. Elle la porteavec ardeur et conviction car elle est conforme à sa vocation, celle d’une nation de touttemps éprise d’universel, mais qui au fil d’une histoire tumultueuse a appris la valeur del’altérité »21. Jacques Chirac met ici en lumière l’évolution de l’universalisme défendu par laFrance : d’un universalisme assimilateur à un universalisme pluraliste22, comme le nommel’anthropologue Benoît de l’Estoile. Au temps de la déclaration universelle des droits del’homme et du citoyen, les particularités devaient s’effacer devant l’universalité de l’humanitéet de la dignité qui en découle. Chaque être en tant qu’individu jouit des mêmes droits sansdistinction de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion. C’est la similitudeentre les êtres humains, refusant la supériorité de certains ou le refus de la dignité à d’autres,qui est à la base de la portée universelle des droits proclamés. C’est le statut même d’êtrehumain et la dignité qui en découle qui nous rassemble. Passant outre les différenceset particularismes, chaque être humain est égal et ne peut être dépossédé de certainsdroits fondamentaux. L’humanité transcende les identités singulières. La France s’estd’ailleurs efforcée de gommer les différences pour assimiler l’altérité à l’égalité républicaine :confinement des signes d’appartenance religieuse dans la sphère privée par l’affirmationde la laïcité, diffusion du français et tentative de limiter la pratique des langues régionales,pratique de la parité...

L’angle adopté par Jacques Chirac concernant l’universalité du génie humain estquelque peu différent. « Il proclame qu’aucun peuple, aucune nation, aucune civilisationn’épuise ni ne résume le génie humain. Chaque culture l’enrichit de sa part de beauté etde vérité et c’est seulement dans leurs expressions toujours renouvelées que s’enrichitl’universel qui nous rassemble »23. C’est finalement l’universalité de la différence qui nousrassemble et qui enrichit cet universel. La nouvelle direction prise par l’universalisme portépar la France ne consiste plus à gommer les différences mais plutôt de les affirmer commesigne du génie humain. L’universalisme est pluraliste et revendique la valeur des différences.Benoît de L’estoile définit ainsi l’universalisme pluraliste : « Chaque culture a son proprepatrimoine mais ce qui constitue le patrimoine commun c’est la valeur de la différence,l’universalité réside dans la somme des identités particulières 24 ».

La France se proclame patrie de la diversité culturelle, dont la création d’une institutionmuséale de grande ampleur serait le témoin. Le musée du Quai Branly symbolise ainsil’engagement de la France pour la protection de la diversité culturelle.

La création de ce musée est une étape importante sur le plan international dans cettemarche vers la reconnaissance de l’égalité des peuples. Plus que la simple entrée d’œuvresau Louvre, c’est tout une partie des habitants de la planète qui sont symboliquement misà l’honneur. Par cet engagement politique, la France réaffirme une place sur la scèneinternationale et fait de la diversité culturelle son cheval de bataille. Elle traduit ici une identitéfrançaise qui revendique, sur le plan national et international, son exception culturelle. Le

21 cf annexe 222 cf Benoît de L’Estoile, Le goût des autres, de l’exposition coloniale aux arts premiers,2007, p. 24

23 cf annexe 224 cf Benoît de L’Estoile, Le goût des autres, de l’exposition coloniale aux arts premier p. 24

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I- le Musée du Quai Branly comme réprésentation symbolique d’une identite politique

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trait principal de l’identité politique, portée par le musée du Quai Branly, est alors sa diversitéharmonieuse. Chacun

Toutefois, la reconnaissance faite à ses peuples l’est sans égard à leurs spécificitéshistoriques ou culturelles. On parle de peuples autochtones pour englober des peuples trèsdifférents. Tous les peuples dits « autochtones » ou « premiers » sont mis ensemble dans lestextes aussi bien qu’au sein du Musée du Quai Branly. Il rassemble en effet en son sein descollections de provenance diverses pour les regrouper sous l’appellation « d’art premiers ».C’est en effet l’un des défi que s’est donné la nouvelle institution : offrir un nouveau regardsur l’autre et ainsi affirmer une nouvelle vision du monde.

Nous allons ainsi nous pencher, dans une deuxième partie, sur ce label de nouveauMusée de l’Autre et sur la définition même de l’Autre que traduit le Musée du Quai Branly.

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II- UN nouveau « Musée des autres »pour paris

L’expression «musée des Autres »25 se place en contradiction au « musée de Soi ». Il faitainsi la distinction entre deux catégories de musée, qui renvoient dans leur contenu à ladéfinition d’une identité collective. « Le musée de Soi » prendrait part dans un projet de miseen évidence et d’affirmation d’une identité collective qui serait enracinée dans un passécommun. Cette identité collective renverrait ainsi à un « Nous » exclusif, marquant uneligne de démarcation entre ce qui appartient ou non à cette culture, incarnée dans le muséepar divers objets, témoins du passé de la communauté. Par opposition à cette définition, le« Musée de l’Autre » implique une délimitation négative du domaine mis en exposition parle musée. Ces Autres ne sont pas inclus dans le Nous. Ils sont ainsi définis par contrasteavec ces derniers et on peut de ce fait les définir comme différents de Nous. Ces Autres,hors de notre culture, viennent de l’extérieur, de l’étranger. Les « musées des autres »ont ainsi pour mission de montrer cet autre inconnu. Le contenu d’un musée des Autresexpose par conséquent, selon les termes de Benoît de l’Estoile « des objets « exotiques »au sens propre, c'est-à-dire originaires d’un lieu lointain et qui ont été rapportés chez Nouspar ceux qui sont allés chez les Autres. » Ces objets qui sont exclus de ce que l’on considèrecomme notre culture sont alors clairement identifiés comme appartenant à une altérité etque l’on expose pour en montrer les différences avec notre propre culture. La définitiondu « Musée des Autres » renvoie à une opposition avec un Nous institué en point deréférence. L’occidentalocentrisme est ainsi la base du concept du musée des Autres.

La différence entre le Nous et l’Autre semble ainsi aisément repérable : il existe uneculture homogène et facilement identifiable, comme étant celle à laquelle on appartientet par conséquent, l’Autre est celui qu’on ne reconnaît pas comme faisant partie de cetensemble. Cette essentialisation d’un Nous distinct des Autres, fait références aux notionsd’identité et de représentation que combat François Laplantine dans son livre Je, nous etles autres26. Ces deux concepts figés dans une illusion de vérité, de réalité nourrissent unecrainte de l’altérité et empêchent de penser la relation, l’inconnu, la diversité. L’altérité n’estpas un donné, elle est le produit d’un processus de construction au cours duquel un certainnombre de traits sont identifié et perçus comme différents, qu’ils soient d’ordre physique,linguistique, religieux…Le concept d’Autre conçu comme ensemble de caractéristiquesstables et repérables, comme non, conforme à un Nous, n’est en aucun cas le reflet de laréalité. L’altérité est une façon de qualifier une relation avec ce qui ne répond pas à nosconcepts. C’est une façon d’aborder, d’affronter l’inconnu en le rendant reconnaissable, enlui attribuant des traits familiers. L’altérité n’est pas une réalité mais une construction, uneclassification qui rend intelligible la relation avec l’inconnu.

Les « musées des autres » ont été constitués dans un contexte de domination del’Europe, la construction de l’Autre s’est alors opérée dans la croyance de la supériorité del’Occident sur le reste de l’humanité. Le Musée du Quai Branly revendique le renouveaude la conception développée par les « musées des Autres » antérieurs. Il s’affirme comme

25 DE L’ESTOILE, Benoît Le goût des autres : de l’exposition coloniale aux arts premiers – Flammarion, Paris, 2007, p.1126 LAPLANTINE, François Je, nous et les autres -Etre humain au-delà des appartenances – Edition Le Pommier, Paris, 1999

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un musée post colonial. Quels changements peut-on alors observer dans la conception del’Autre et comment ce nouveau musée a-t-il fait évoluer le concept de musée de l’Autre ?Quels choix ont été faits pour renouveler la mise en scène de l’Autre ? Comment se placet-il dans la continuité de l’histoire muséale française, qui a une longue tradition de mise enexposition des cultures autres et comment intègre-t’il cet héritage ? Voilà les interrogationsauxquelles nous allons tenter de répondre dans cette seconde partie.

Ainsi le Musée du Quai Branly s’inscrit dans une histoire du musée de l’Autre quia vu évoluer les mises en scènes des objets sensés représenter symboliquement cescultures Autres, qui a vu la sélection de ces objets évoluer et le statut qui leur était accordéprofondément changer.

A- Le musée du Quai Branly, héritier d’une longuehistoire du musée de l’Autre

On peut repérer trois grands modèles27 de mise en scène des objets de l’Autre qui font échoà l’histoire et à l’évolution des musées des autres.

-Les musées coloniaux dont la mission est la valorisation de l’action de la France entant que puissance dominante, vecteur de progrès, par la mise en scène de trophées dela conquête.

-Les cabinets de curiosités qui s’appuient sur l’émerveillement, la curiosité pourl’étrange et l’inconnu, qui évoluera par l’apport de la science vers l’apparition des muséesd’histoire naturelle et d’ethnographie

-les musées d’art qui jouent sur l’émotion esthétique comme moyen d’approche et delecture des œuvres.

Nous allons ainsi revenir sur cette évolution pour mettre en évidence les différentesformes de la mise en exposition des cultures Autres et de leurs traits principaux. C’est danscette filiation que s’inscrit le musée du Quai Branly, tout en affirmant explicitement sa volontéde s’en détacher.

1. Des cabinets de curiosités au musée du Trocadero, la naissance del’ethnographie en France

Dès le début des expéditions vers les terres inconnues, les explorateurs, nagivateurs,envoyés par les puissances royales se sont lancés dans la collecte des objets qu’ilspouvaient trouver au cours de leur périple. Ces collectionneurs avaient pour but de rameneravec eux des témoignages de leurs découvertes. Ces objets étaient des preuves desétrangetés qu’ils y avaient vues. C’est bien la surprise de trouver dans ces ailleurs del’inconnu, des réalités complètement différentes et la volonté de le faire voir à ceux qui sontrestés dans le connu, qui a été à la base de la volonté de rapporter des objets qui puissentmontrer et symboliser la singularité qui avait pu être observer ailleurs. C’est l’impossibilitéde dire ou de décrire cet inconnu, qui nourri la nécessité de montrer, de donner à voir des

27 DE L’ESTOILE, Benoît Le goût des autres : de l’exposition coloniale aux arts premiers – Flammarion, Paris, 2007, p.213

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objets symbolisant cet inconnu, portant en eux l’étranger, le différent et qui contribuent à luidonner du sens pour ceux qui n’y sont pas familiers.

C’est à la fin du XVème siècle, que naissent les cabinets de curiosité aussi appelés enallemand Wunderkammer ou chambre des merveilles. Celles-ci ont été développées, par lespuissances royales européennes, pour réunir les objets rapportés au cours des expéditionset de les présenter à un public restreint de privilégiés conviés à admirer les bizarreriestrouvées au loin. Les cabinets de curiosités s’inscrivent dans une entreprise encyclopédiquequi consiste à vouloir réunir et montrer l’ensemble de l’univers, d’en faire un résumé de ladiversité du monde et d’en permettre l’étude détaillée. Henri IV installe ainsi aux Tuileries uncabinet des singularités qui réunit également l’ensemble des curiosités rassemblées sousles règnes de François Ier et d’Henri II. Louis XVI poursuit la tradition dans son « cabinetdu Roi » où sont regroupés sans classification spécifique tous les objets considérés commesymbolisant ces autres mondes étranges.

On assiste fin XVIIIème siècle à la transformation progressive du cabinet de curiositéen musée d’histoire naturelle, lorsque que la curiosité se voit remplacer par la science. LeMuséum d’Histoire Naturelle voit ainsi le jour à Paris en 1793 dont le musée d’ethnographieest un dérivé. Ces premières collections royales, après avoir été dispersées à la Révolutiondans différents dépôts, sont ensuite regroupées au musée d’ethnographie du Trocaderoqui ouvre en 1882, quatre ans après la troisième exposition universelle de Paris. Cettecréation est inspirée par la considération que le musée du Louvre doit se consacrerau domaine de l’art et le Musée du Trocadéro à celui de l’histoire des mœurs et descoutumes, sans distinction d époque. Durant la seconde moitié du 20eme siècle, on voit eneffet se développer les musées d’ethnographie. Leur mission est de présenter la diversitédes espèces naturelles selon une classification évolutionniste qui définit des stades dedéveloppement par lesquels toutes les espèces passent. Les « sauvages » en seraient alorsencore au stade le moins évolué, et considérés comme des témoins du stade premier del’humanité. Les objets produits sont alors étudiés comme sources de renseignements surles origines de l’humanité. Ils sont mis en scène pour donner au visiteur l’impression d’être« là bas », dans cet ailleurs inconnu et servent à justifier une théorie scientifique. Ce cadreinterprétatif de la supériorité occidentale est avéré et illustré par ces objets. Ce musée serapar la suite remplacé par le musée de l’homme qui est créée en 1934.

En parallèle, se développent les musées de la colonisation qui exposent les trophéesdes empires coloniaux. Ces musées mettent en scène un récit de légitimisation de laconquête coloniale par l’Occident par la mise en exposition d’objets rapportés des colonies.On met en évidence les étapes de la progression des sociétés indigènes sous l’effet de ladomination coloniale. Dans cette construction de l’histoire par les puissances coloniales, lesobjets illustrent le rôle positif de la France sur le développement social, économique maisaussi artistique des colonies. Dans cette perspective, il existe toujours un stade antérieuret donc inférieur de l’humanité mais celui-ci peut évoluer grâce à l’action civilisatrice de lacolonisation. Les objets sont alors considérés comme des témoins de la puissance des payscolonisateurs et de la réussite de leur entreprise de civilisation des sauvages. C’est ainsiqu’est créé en France le musée des colonies et de la France extérieure en 1932.

C’est cet héritage dont est porteur la tradition muséale française consacrée à l’Autreà la fin du XXème siècle. Le choix de la création d’une nouvelle institution, le musée duQuai Branly, va provoquer un changement du paysage muséal de Paris mais aussi uneredéfinition des orientations de la politique muséale française.

Le « musée des Autres » a d’abord été un espace privé associé au pouvoir royal,réservé à la vue de privilégiés. Progressivement, son public s’est étendu aux scientifiques

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pour devenir à proprement parler un des musées destinés au grand public. L’inspiration etle contenu de ces musées ont évolué pour être accessible au plus grand nombre, commeen témoigne l’affluence de visiteurs qui ont déjà été au musée du Quai Branly depuis sonouverture en juin 2006.

2. La redéfinition du paysage muséal françaisLa naissance du musée du Quai Branly a profondément modifié le paysage muséal deParis. Elle s’est ainsi accompagnée d’une reconversion profonde des musées existants. Lesdeux principales institutions chargées de mettre en exposition les collections réunissant desobjets de l’Autre ont connu des transformations majeures : le Musée des Arts Africains etd’Océaniens (MAAO) a fermé ses portes, ses locaux du Palais de la Porte Dorée vont bientôtaccueillir la cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration. Quant au musée de l’homme, savocation se voit réorientée vers un musée consacré aux origines de l’homme, lui amputantses collections du secteur ethnographique.

Les collections du musée du Quai Branly proviennent ainsi du MAAO et du muséede l’Homme. Pourquoi ce choix de créer une nouvelle institution plutôt que de développeret faire évoluer les musée existants ? Pourquoi autant d’argent a-t-il été débloqué pourle Musée du Quai Branly alors que le Musée de l’Homme n’a jamais obtenu les créditsnécessaires à son entretien et à sa rénovation.

2.1 Réinvestir le Palais de Chaillot ?L’idée première était d’installer le nouveau musée consacré aux arts et civilisations auPalais de Chaillot qui abrite le Musée de l’Homme. Celui-ci aurait alors été rénové et vules bâtiments voisins du musée de la Marine attribués au nouveau musée. Toutefois leMinistère de la Marine a refusé de déménager le musée de la Marine dont il a la chargedans les bâtiments du MAAO. La possibilité d’installer le nouveau musée dans le bâtimentdu MAAO a également été envisagée. Cette idée a été abandonnée. Il n’est en effet pasaisé de réinvestir ce bâtiment à cause de sa dimension hautement symbolique.

En 1931, Paris accueille l’exposition coloniale internationale. A cette occasion estconstruit le Palais de la Porte Dorée qui abrite le pavillon d’accueil de l’exposition. Le butde cette exposition était de montrer aux visiteurs la grandeur de l’empire colonial et lasupériorité de la civilisation occidentale, au moyen de mises en scène de « primitifs ».La France est porteuse d’une mission civilisatrice envers ces populations auxquelles onapporte le progrès. L’exposition s’attache ainsi également à exposer les bienfaits de laprésence française sur les populations colonisés. Il devient le Musée des colonies et de laFrance extérieure en 1932, représentant l’histoire de la conquête coloniale et des territoirescolonisés. Il change de nom en 1935, dorénavant appelé Musée de la France d’Outre-mermais garde la fonction de vanter la France d’outre mer. A partir de 1960, dans le contextede la décolonisation, André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, décide d’en faireun musée en charge de promouvoir les arts et les cultures africaines et océaniennes.

L’édifice affiche un passé colonial qui déplait. Celui-ci présente sur sa façade desfresques à la gloire de la France d’outre mer qui reflète sur ces façades le passé colonialde la France. Il rappelle explicitement par son architecture, le temps de la colonisationfrançaise, une période de notre histoire encore mal digérée et dont l’évocation provoquetoujours un malaise. Le musée du Quai Branly et son nouveau bâtiment doivent alors êtreune nouvelle réponse à la question de la gestion de notre passé et de la construction de la

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mémoire collective. Il cultiverait non plus l’image d’une France glorieuse et supérieure maiscelle d’une France respectueuse envers ces peuples anciennement colonisés. En somme,le musée du Quai Branly serait un musée post-colonial, reflet d’une gestion nouvelle denotre passé On ne veut pas l’installer dans des bâtiments à l’architecture trop connotée. Uneautre affection sera donc décidée pour ce bâtiment. En 2003, le musée ferme ses portes.Le 8 juillet 2004, Jean Pierre Raffarin alors Premier ministre annonce la création de la Citénationale de l’histoire de l’immigration et son ouverture est prévue pour l’été 2007.

La mission de ce nouveau musée28 sera de décrire à travers un parcours l’histoirede l’immigration avec des séquences thématiques présentant par exemple l’expériencemigratoire ou l’apport des cultures d’origine à la civilisation et à l’histoire de France.Ce nouveau musée s’attachera à comparer les vagues migratoires, leur intégration, leurapport à la nation française et ainsi de combattre les représentations dont sont victimesles populations émigrées et tout particulièrement celles issues des anciennes possessioncoloniales européennes. L’implantation dans un lieu où le poids de l’histoire est toujoursprésent et chargé de connotation coloniale nécessite de détourner le bâtiment de sasymbolique initiale. L’objectif est de déconstruire l’imagerie héritée de la colonisation etde montrer que cette page est définitivement tournée. Il mettra dorénavant en évidence larichesse humaine et la diversité culturelle.

2.2 La reconversion du Musée de l’Homme

2.3 Le nouveau musée des cultures d’Europe et de Méditerranée à Marseille

3. Un projet politique de recomposition des identités et des culturesQuant au Musée des cultures d’Europe et de Méditerranée, c’est un musée de société quitraitent des relations et de la proximité entre les cultures européennes et méditerranéennes.On peut s’interroger sur ce choix d’associer les cultures européennes et méditerranéennes.Ses instigateurs justifient la nécessité d’une telle institution par le fait que « l’un desproblèmes majeur de notre temps réside dans l’incompréhension réciproque des groupessociaux d’origine diverses ». Ce nouveau musée sera donc « un moyen d’intelligence desoi même, de tolérance, d’ouverture aux autres »29 . Ce dispositif doit permettre à la foisde mieux connaître sa propre culture, en prenant compte de la part d’altérité qui nousconstitue mais également de relativiser les différentiations et divisions d’avec les autrescultures. Révéler les appartenances, en exposer les symboles et les expliquer pour éviterqu’elles ne deviennent hermétiques. Un des défis de ce musée sera de réduire les préjugésdont souffre une partie de la population française qui est issue du bassin Méditerranéen.Ce musée « espère apporter une contribution essentielle dans les débats qui agitent unesociété contemporaine en grande incertitude devant la chute des idéologies et la forcedes préjugés »30. Ce musée prend également une seconde dimension dans le contexteeuropéen. Il devra donner à voir les similitudes entre ce que l’on appelle la culture françaiseet les autres cultures européennes, dans un contexte difficile de définition et de constructiond’une identité européenne qui pourrait être la base d’une reprise du développement politiquede l’Union Européenne. La construction de l’Union Européenne au lieu de dissoudre les

28 site Internet du Musée de l’histoire de l’immigration, www.histoire-immigration.fr29 Cf site Internet www.musee-europemediterranee.org30 idem

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identités nationales et les attachements nationaux, a participé à leur réactivation et audéveloppement du protectionnisme par rapport aux particularismes. Ce musée pourraégalement donné un autre éclairage sur la question de l’extension géographique de l’Europeéconomique et politique vers la Méditerranée. On a récemment beaucoup parlé de lademande de la Turquie d’intégrer l’Union Européenne. Les similitudes culturelles avec lazone méditerranéenne seront mises en évidence par le musée. Cela participa peut-être àdiminuer les appréhensions et faire évoluer les contours de l’identité européenne. Le Muséedes civilisations de l’Europe et de la Méditerranée est ainsi une tentative d’affirmer un Nouseuroméditerranéen.

La Cité Nationale de l’Histoire de l’Emigration retracera les origines, les causes desmouvements migratoires en France pour les donner à comprendre aux descendants desémigrés et leur permettre de se réinscrire dans une histoire nationale en légitimant leurappartenance à l’identité nationale et ainsi leur présence sur le territoire français. Il s’agiraen effet également de faire accepter à ceux qui la refusent la présence de la populationémigrée ou issu de l’immigration, de leur présenter leurs apports culturels et son assimilationà la culture française. On assiste ici à la mise en avant d’un autre éclairage sur notre proprehistoire nationale. Pendant longtemps, on a voulu consacrer un musée à la gloire de l’actionfrançaise sur les colonies. Il est dorénavant plus concevable de justifier ce type d’institution,empreint d’occidentalocentrisme et de racisme. Le nouveau musée du Palais de la PorteDorée choisit un autre point de vue. Sans occulter la période coloniale, elle l’aborderacomme une des causes de mouvements d’immigration. On choisit en effet ici de mettre enavant l’apport de ce phénomène sur la société et sur notre propre culture. Le choix politiqueest clair ici : il n’est plus question de vanter la France à l’extérieur de ses frontières mais depromouvoir la compréhension à l’intérieur.

B. Qui est cet Autre ?Le musée du Quai Branly fait partie de la catégorie que Benoît de l’Estoile appelle « muséedes Autres ». Toutefois on peut légitimement se demander quels sont ces Autres qui noussont présentés et pour quelles raisons a-t-on fait ce choix ?

Le nom du musée ne peut être une aide dans cette recherche. Les dossiers de presse,brochures, publicités nous apprennent que ce musée est dédié aux cultures d’Afrique,d’Asie, d’Océanie et des Amériques. Est-ce alors ce que l’on appelle communément les artspremiers ? Et comment justifier l’association de quatre continents à l’exception d’un seul ?

1. Le problème de dénomination du muséeDonner un nom à une institution c’est déjà lui attribuer une certaine identité. Le muséedu Quai Branly a connu plusieurs dénominations successives : musée des civilisations etdes arts, musée de l’Homme, des arts et des civilisations, musée des arts premiers avantqu’on ne lui attribue son nom définitif de Musée du Quai Branly. Cela ne renseigne en riensur le contenu du musée. Pourquoi ne pas avoir conservé l’appellation « arts premiers »,expression popularisée par Jacques Kerchache et reprise par Jacques Chirac et qui auraitpu aider à déterminer le champ d’intérêt du musée?

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Nous allons ici opérer un retour sur l’expression « arts premiers »qui inspire toujoursde nombreuses critiques.

-Le terme « premier » signifie étymologiquement ce qui vient avant les autres31. D’unpoint de vue chronologique l’utilisation de ce mot ne veut rien dire, les œuvres présentéesau musée du Quai Branly ne sont pas « premières » : la majorité des pièces datent du19 ou 20ème siècle. De plus, pour établir un avant dans la chronologie des formes d’art,il faut prendre un point de comparaison. Celui-ci est subjectif et établit l’art occidentalcomme référence. Pourtant les plupart des œuvres exposées au Louvre, dont le champ decompétence s’arrête à 1848, sont antérieurs aux œuvres du Quai Branly.

-« Premier » désigne également ce qui est dans son état d’origine. Les œuvres alorsclassées sous l’appellation « arts premiers » illustrent ce qu’est l’art dans son état d’origine,ce qu’étaient les prémices des formes artistiques avant d’évoluer, de se complexifier avecl’avancée de l’Histoire. Ce terme renvoie alors aux thèses évolutionnistes qui impliquentun jugement dévalorisant sur des peuples supposés sans histoire, qui seraient donc moinsdéveloppés que les sociétés occidentales. Les objets non occidentaux incarnent alorsles prémices de l’expression artistique de l’humanité. Cela renvoie à une notion d’artélémentaire, qui entretiendrait un lien fondamental avec l’humain et serait doté d’une chargeaffective et émotionnelle.

Cette expression « arts premiers » n’a aucun sens et ne peut être légitime pour qualifierles œuvres classées sous ce terme. Elle est d’ailleurs vivement critiquée sans pour autantqu’elle ne disparaisse ou qu’un nouveau terme ne prenne sa place. Elle n’est ainsi que lereflet de la vision occidentale de ses peuples qui persiste. L’image de ceux-ci est toujourscelle de peuples intacts, vierge de tout contact avec ce qui caractérise notre modernité.L’homme primitif producteur des objets qu’on peut voir au Musée du Quai Branly, vivraittoujours dans une sorte d’état naturel, en harmonie avec son environnement et qui exprimeà travers son art les préoccupations simples de son quotidien et les sentiments primairesqu’il peut éprouver. La popularité du terme « arts premiers » exprime la persistance de cesconceptions dans notre imaginaire, conceptions forgées dans un contexte de dominationde l’Europe et la croyance en la domination intellectuelle occidentale.

On comprend alors que pour un musée qui se veut post colonial, portant un regardnouveau sur les cultures autres, l’utilisation de ce terme d’art premier trop proche de primitif,est délicate.

On a ainsi préféré une appellation neutre qui ne nous renseigne pas sur ce que renfermece musée. On sait uniquement qu’il est dédié aux cultures autres : celle de l’Afrique, del’Asie, de l’Amérique, de l’Océanie à l’exception de l’Europe. Que signifie cette exclusion del’art Européen ? Quelle indication cela nous donne t-il sur l’identité du musée du Quai Branly.

2. L’absence de l’Europe, nouvelle illustration de la séparation Nous/Eux

Le premier rôle d’un musée est de donner à voir. Le musée du Quai Branly a limitéson champ d’action aux aires géographiques océaniennes, africaines, américaines etasiatiques, à l’exception du continent européen. Quelle est la justification et la légitimationde cette exclusion ?

31 cf le dictionnaire Trésors de la Langue Française

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Pour un musée qui prône le dialogue des cultures, de toutes les cultures, commentjustifier l’absence d’un pan entier de l’humanité ? C’est un dialogue forcement biaisé quis’opère. Pour symboliser cette égalité revendiquée de toutes les œuvres de l’humanité, ona beaucoup reproché au musée du Quai Branly de ne pas avoir créer cette rencontre entretoutes les cultures qui aurait permis de mettre en avant ce qui les différencie mais aussice qui les rapproche.

Cependant l’absence de l’Europe a bien une signification par rapport àl’identité européenne. J’en reviens aux fonctions du musée. C’est le lieu dans lequel leschoses à voir sont distanciée de leur propre contexte. Le musée opère une mise à distancepar la mise en scène des objets. Cela fait référence au « regard éloigné » de Levi Strauss32.C’est le regard que notre culture porte de loin sur les cultures qui ne sont pas siennes. Endéfinissant l’objet distancié, cela permet de se situer et de situer sa propre culture. Le muséedu Quai Branly nous présente les œuvres de toutes les cultures de l’humanité, sauf celle del’Europe. On peut alors en déduire ce que n’est pas l’Europe et sa culture et révéler ce qu’estpar opposition l’identité de l’Europe. La construction de l’identité passe par la confrontationavec l’identité de l’Autre. Je ne me rends compte de l’identité dont je suis porteur, qu’en laconfrontant à celle de l’autre, en prenant conscience de ce qu’elle n’est pas. Voilà ce quetraduit le choix des collections du Quai Branly. Il nous permet, en identifiant ce que peuventêtre les cultures des quatre aires géographiques présentes au Quai Branly, de nous rendrecompte de ce que peut être la culture, l’identité européenne par comparaison à celles-ci. Lemusée du Quai Branly effectue ainsi une nouvelle démarcation entre un « Nous européen »et les Autres.

C’est également une manière de définir l’identité Européenne non pas en tant quereprésentation de ce qu’elle est mais de ce qu’elle n’est pas. La difficulté actuelle dela construction de l’Union Européenne repose notamment sur l’épineux problème de laculture européenne. Quelle est t-elle et qui y appartient ? L’identité collective naît de lareconnaissance de traits communs, d’héritages qui lient les membres de la collectivitéentre eux. Le partage d’une culture commune, qui définit les principaux traits de ce qui estappelé identité, est le vecteur essentiel de ce ciment entre les membres d’un groupe qui sereconnaissent dans cette culture.

Il semble bien difficile de définir les caractéristiques de ce qu’est l’identité européenne.Celle –ci s’est alors très souvent construite par opposition à d’autres identités. Le musée duQuai Branly s’inscrit dans ce mouvement par l’identification de la culture européenne parla négative en exposant ce qu’elle n’est pas. Cela permet finalement d’en savoir un peutplus sur ce qu’elle est.

3. « L’Autre-colonisé »Les œuvres exposées au musée du Quai Branly ont été rapportées, pour la plupart,au cours des expéditions scientifiques et coloniales de la France. La majorité de cesobjets proviennent ainsi d’anciennes colonies françaises ou européennes. Jacques Chiracrevient dans son discours sur cette période et dénonce les conceptions qui en découlent.Cependant, il ne fait aucune mention explicite au rôle joué par la France, notamment dansl’arrivée de objets des « Autres-colonisés » en Europe.

32 LEVI-STRAUSS, Claude Le regard éloigné – Plon, Paris, 1993

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Le musée du Quai Branly, construction et représentation des identités par la médiation muséale.

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Dans le manifeste33 publié par le journal Libération en 1990, réclamant la présencedes arts premiers au Louvre, Jacques Kerchache fait explicitement référence à l’épisodecolonial de l’histoire de France. Si l’entrée au Louvre est refusée à ces œuvres, c’est selonJacques Kerchache « par un aveuglement qui n’est pas sans rappeler celui qui a justifié lanuit coloniale. ». La France doit assumer son passé et prouver par l’entrée de ces œuvres aumusée du Louvre que les choses ont changé, que notre regard de colonisateur sur « l’Autre-colonisé »et leurs productions artistiques n’a plus cours.

Le discours de Jacques Chirac lors de l’inauguration du musée du Quai Branly,il ne fait pourtant aucune référence explicite au passé colonial de la France. Il neprononcera d’ailleurs jamais le mot colonisation ou colonisés, même si la référence estsous-jacente : « rendre l’hommage qui leur est du à des peuples auxquels, au fil des âges,l’histoire a trop souvent fait violence. Peuples brutalisés, exterminés par des conquérantsavides et brutaux. Peuples humiliés et méprisés, auxquels on allait dénier qu’ils eussent unehistoire. » . Il reconnaît les violences effectuées et les dommages infligés à ces populationsmais il n’identifie pas clairement les auteurs de ces actes. Il n’inclue pas directementla France à ces « conquérants avides et brutaux »34. L’Autre dont les productions sontaccueillies au musée du Quai Branly est ainsi un être meurtri par une colonisation abstraite.

C’est la réparation de cette injustice envers ces peuples que le Musée du QuaiBranly voudrait symboliser. La création d’une institution de grande ampleur, consacréeaux productions artistiques des anciens peuples colonisés, veut signifier l’affirmation d’unereconnaissance. Une reconnaissance de la richesse culturelle de ces peuples mais aussiune reconnaissance de la dignité de peuples dont sont originaires les œuvres exposées aumusée du Quai Branly. L’existence du musée se trouve ainsi légitimée par la nécessité detémoigner à ces peuples le respect et la reconnaissance qui leur sont dus, « en dissipant lesbrumes de l’ignorance, de la condescendance ou de l’arrogance qui ont nourri la méfiance,le mépris, et le rejet »35. C’est un devoir pour la France, de réparer l’injustice coloniale etde rendre enfin hommage aux « Autres-colonisés", populations atteintes par les méfaits dela présence coloniale.

La mise en mot du concept « d’Autre » n’est pas une tâche facile. Les mots ne peuventrefléter parfaitement le signifié. D’autant que cet Autre ne décrit pas une réalité, cet Autreest multiple et mouvant. Les Autres désignés comme l’objet d’exposition du musée du QuaiBranly, proviennent d’Afrique, d’Asie, des Amériques ou d’Océanie. Mais la désignation deces Autres et leur représentation nous permettent d’apprendre beaucoup du Nous. Un Nousdessiné par opposition à ce que l’on voit, à ce que l’on sait des Autres. La distinction Muséede l’Autre versus Musée de Soi (ou de Nous) est donc absurde puisque le Soi se construitpar rapport à l’Autre et vis et versa. Il y a autant de nous dans le musée du Quai Branlyque de l’Autre. C’est notre regard sur cet Autre, notre histoire, notre vision du monde quiest conservé dans ces vitrines.

C- Un nouveau statut de l’Autre par son entrée auMusée d’art

33 Cf Annexe 134 Cf Annexe 235 cf annexe 2

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II- UN nouveau « Musée des autres » pour paris

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1. La fin du monopole des musées d’ethnographie sur la mise enexposition de « l’Autre »

1.1 La désaffection pour les musées d’ethnographieLe Musée de l’Homme s’affichait comme la principale institution ethnographique française.La muséographie développée au musée de l’Homme innovait par rapport aux conceptionsantérieures. Il rompt ainsi avec la vision de races hiérarchisées pour adopter une mise enscène qui valorise la variété des cultures. Une mise en ordre rationnelle des collectionsest effectuée en accord avec la vérité scientifique. En effet, La présentation des œuvresproposée par le musée de l’homme est basée sur la découverte de l’Autre par le discoursscientifique. L’Autre est symbolisé par des objets représentatifs de sa culture. L’objectif estde montrer le monde tel qu’il est. On opère ainsi un classement scientifique des œuvresqui sont considérés en tant que partie prenant d’une série représentative. Les objets sontainsi présentés dans de grandes vitrines thématiques explicitant le mode de vie indigène.Elles se présentent comme des encyclopédies matérialisées par des objets représentantsles différentes cultures du monde. Chaque pièce est accompagnée de l’explicitation de safonction et de son contexte. C’est leur qualité représentative et explicative qui est mis enavant.

Le musée d’ethnologie s’attache à recréer une société à partir d’objets représentatifs,le plus proche de la réalité possible, suivant une logique de vérité scientifique. La croyanceen la possibilité de présentation la réalité d’un mode de vie au travers d’objets sortie de leurcontexte est devenue obsolète. La présentation ethnographique n’est qu’une reconstitutionselon des principes forcement autres que ceux qui ordonne la réalité des ces objets. Cesobjets, porteurs de sens, même dans un contexte reconstitué minutieusement, perdent deleur sens d’origine pour en prendre un autre. Une transformation du sens de l’objet s’opèrequand il sort de son contexte d’origine. On attribue alors un autre sens à ces objets, prenantpart à une interprétation particulière.

La légitimité même de l’anthropologie à tenir un discours sur l’art primitif est contestée.Le discours anthropologique est vu comme la traduction du regard du regard supérieurdu colon sur le mode de vie primitif de l’indigène. La rigueur scientifique produirait unregard froid et distant sur l’Autre, sujet d’étude, dont le but est de confirmer une théorieoccidentalocentriste de supériorité.

Les ethnologues ont conservé pendant longtemps le monopole du discours et de laproduction de savoirs sur les objets des Autres. Leur statut de spécialiste des sociétésd’origine de ces objets ainsi que le crédit accordé au discours scientifique leur garantissaitle domaine réservé sur les arts premiers.

Mais progressivement ces objets ont commencé à intéresser les artistes commePicasso ou Apollinaire qui s’en ont inspirés, ce qui a marqué le début de l’intérêt pour cesobjets, tout au mieux considérés jusqu'à alors par le grand public comme des bizarreriesexotiques. C’est ensuite le marché de l’art qui s’en emparé de l’art premier pour en faireun marché lucratif et encouragé engouement, un mouvement de mode pour le primitif. Ondécouvre alors qu’il est possible d’aborder ces œuvres sans pour autant être un scientifiqueou avoir un insert spécifique pour l’ethnologie. Le musée d’ethnologie perd ainsi égalementson monopole de présentation de ces objets au public. De plus la société du divertissements’intensifiant, le modèle de la consommation culturelle devait également s’appliquer aux artspremiers et la lecture des nombreuses informations proposées par le Musée de l’Hommedevient alors rédhibitoire.

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De plus la connaissance du monde devient plus aisément abordable pour une partie dela population de plus en plus importante grâce au développement du tourisme de masse,à l’accès mondialisé à l’information, et du fait d’un exacerbation de l’engouement pour ledivertissement, les musées d’anthropologie connaissent un mouvement de désaffection.

La chute de la fréquentation des musées d’ethnologies observées à travers toutel’Europe a eu pour conséquence d’en diminuer les attributions budgétaires. Ce manque demoyens patents que tous les scientifiques du Musée de l’Homme ont déplorés ont précipitéles musées d’ethnologie vers la vétusté et n’a fait qu’entretenir la désaffection du public.

Cette diminution du succès et du crédit apporté aux musées d’ethnologies pour effet dechercher d’autres solutions pour la présentation de ces objets. Cela passe par la mise enplace d’expositions temporaires plus spécialisées, de supports multimédias ou la révisiondes modes de présentation des œuvres. Le musée du Quai Branly en est une tentative.Musée de l’Autre par excellence, il affiche sa filiation avec les musées d’ethnographies,proposant un pole recherche et enseignement. Toutefois, le Musée du Quai Branly se veutune solution novatrice à la mise en exposition de l’Autre et privilégie une autre conceptionde leur présentation. Celle-ci se situe dans la lignée de la conception de son principalinspirateur Jacques Kerchache et dans une évolution générale du musée de l’Autre. Lacréation du MAAO, sous l’impulsion de Malraux, est ainsi vue comme la première brèchedans le monopole des ethnologues. Cette institution qui réunit les collections d’arts africainset océaniens se détache d’une présentation de type ethnographique pour se diriger vers lemodèle de musée d’art. Une orientation prise également par le Musée du Quai Branly.

1.2 La double vocation du Musée du Quai Branly Les musées de sciences s’attachent à décrire, étudier, informer des objets porteurs d’unimaginaire, et qui se rattachent à un réel différent. Le musée d’art va mettre l’accent surcet esthétique, sur la manière dont l’imaginaire est symbolisé. Il accorde plus d’importanceau signifiant qu’au signifié, à la manière d’exprimer plutôt qu’au contenu du message.C’est ce choix d’approche de l’œuvre qui détermine le type de musée. Le musée duQuai Branly affiche l’ambition d’être un centre culturel novateur associant recherche etexpositions. L’activité principale du musée est, comme nous l’avons vu une expositionpermanente ainsi que d’autres expositions temporaires. Mais sont également développéesdes activités d’enseignement et de recherche. Le musée veut promouvoir la diversité desregards sur les œuvres Il se veut point de rencontre de domaine de l’art et du domaineuniversitaire. La médiathèque d’étude et de recherche du musée met également à disposerd’importantes ressources documentaires, plus de 250 000 ouvrages sont répertoriés. Lemusée s’associe également à des nombreuses institutions universitaires pour mettre enplace un enseignement spécialisé. Le musée met ainsi à disposition des salles de cours etdes bureaux et participe à la définition du savoir dispensé sur les œuvres. La direction dumusée affiche ainsi la volonté de doter les collections d’un instrument scientifique efficace.

Il semble portant au regard de l’étude de la sélection des œuvres, et de leur mise enscène que l’accent soit mis sur la mise en exposition d’une esthétique considérée commeuniversellement reconnaissable et appréciable..

2. Vers une nouvelle conception du musée de l’Autre. Le principe de hiérarchisation des œuvres est la valeur esthétique alors qu’un muséede science classe selon une démarche explicative. La reconnaissance que ce musée à

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II- UN nouveau « Musée des autres » pour paris

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la volonté de témoigner aux peuples producteurs de ces œuvres passe ici moins par lareconnaissance de la richesse culturelle et des qualités artistiques des œuvres. Cetteconception du musée de l’Autre a ainsi suscité beaucoup de débats et de critiques, qui sesont cristallisés au moment de l’ouverture de la huitième section au Louvre, consacrée auxarts premiers. L’installation de ces œuvres dans le musée d’art le plus prestigieux de Franceétait le premier grand coup porté aux musées d’ethnographie et une première étape versce qui sera le Musée du Quai Branly.

2.1 « Pour que les chefs d’œuvres naissent libres et égaux » 36 (J.Kerchache)L’ouverture de la huitième section en avril 2000 au Louvre est l’illustration la plus poussée dece parti pris de l’esthétisme et le prélude au musée du Quai Branly. Cette installation répondà la demande faite par Jacques Kerchache en 1990, à travers la parution dans Libérationle 15 mars 1990, de son manifeste intitulé : « Pour que les chefs d’œuvres naissent libreset égaux » (J.Kerchache)37. On trouve dans ce manifeste les principales orientations prisesaussi bien au Louvre qu’au Musée du Quai Branly en matière de mise en exposition desœuvres.

Nous ferons tout d’abord un retour sur le parcours de Jacques Kerchache, qui a acquisau fil du temps la réputation d’expert des arts premiers et qui prendra une importance touteparticulière dans le développement du Musée du Quai Branly. Jacques Kerchache est le 6août 1942, est fils d’un riche commerçant rouannais. Il a fait de nombreux voyages d’étudesentre 1959 et 1980 en Afrique, en Asie, en Amérique et en Océanie. En 1960, il ouvredeux galeries à Paris qui ferment en 1981. En 1978, il faut nommé conseiller techniqueauprès du Président Senghor pour le projet du Musée des Civilisations noires de Dakar. Il aparticipé en tant qu’expert à diverses expositions importantes. Il est notamment consultantde l’exposition Le Primitivisme dans l’Art du XXe siècle, au Museum of Modern Art, NewYork, 1984; il est également le commissaire de l’exposition Sculpture africaine, hommageà André Malraux, Académie de France à la Villa Médicis, Rome en 1986 et de l’expositionPicasso/Afrique : Etat d’Esprit, au centre Georges Pompidou en 1995. Il est fait Chevalierde l’Ordre National du Mérite et Chevalier de la Légion d’honneur.

Le manifeste initié par Jacques Kerchache fait explicitement référence à la DéclarationUniverselle des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Celle-ci affirme dansson article premier que « les hommes naissent libres et égaux en droits ». JacquesKerchache fait ici un parallèle entre les droits inhérents à chaque homme et ceux dontdevraient bénéficier les chefs d’œuvres du monde entier. Il opère une extrapolation desdroits universels au domaine des arts. Il s’inscrit ici dans la tradition française issue dela philosophie des Lumières qui pose les valeurs d’égalité et de liberté comme universelset inaliénables. La référence à ces valeurs suprêmes justifie le fait qu’on ne peut refuserl’entrée des œuvres « produites par les trois quarts de l’humanité » au musée du Louvre.Cette revendication d’égalité pour toutes les œuvres d’art de l’humanité sera ainsi à labase de la justification de la création du musée du Quai Branly. L’universalité de la notiond’égalité implique l’entrée des œuvres classées dans la catégorie d’arts premiers au seinde la plus prestigieux des institutions muséales françaises. Leur entrée au Louvre seraitainsi le symbole du respect légitime accordé à ces œuvres, longtemps déclassées dans lahiérarchie des formes artistiques. Une reconnaissance de statut accordée aux œuvres depeuples qui eux aussi ont longtemps subi un déclassement sur l’échelle de l’humanité.

36 cf annexe 137 cf idem

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L’invocation du principe d’égalité donne un poids supplémentaire à la requête deJacques Kerchache. L’ouverture de la huitième section au Louvre prend une dimensionsymbolique forte. Sa revendication dépasse le domaine de l’art pour devenir unerevendication politique de premier ordre. C’est le statut d’égalité qui est en jeu, égalitédes œuvres de l’humanité et ainsi des hommes. Leur refus serait l’expression d’un acted’exclusion inacceptable. Si l’on ne peut refuser l’égalité aux hommes, comment pourrait-on justifier la dévalorisation de leur œuvre et considérer que ces expressions artistiques neméritent pas, au même titre que les autres, leur entrée au Louvre.

Cette conception de l’Autre en tant qu’égal justifierait la modification de la mise enexposition de ses productions. La reconnaissance de la richesse des cultures autres ne peutainsi se faire, dans la conception de Jacques Kerchache que par leur exposition dans unmusée d’art. Plus qu’un choix de mise en scène, c’est une reconnaissance qui est accordéepar leur acceptation dans les musées d’art. « Partout dans le monde les arts premiers sontreprésentés par des œuvres majeures dans les musées des beaux-arts, sauf en France, oùils sont marginalisés dans les ghettos du Museum national d’histoire naturelle, au musée del’Homme ou au musée des Colonies. » 38 Cette citation de Jacques Kerchache exprime ladévaluation du travail effectué par ces institutions. Les œuvres seraient comme séquestréspar les scientifiques, qui ne reconnaissent pas leur valeur artistique exceptionelle, qu’ilsappellent objets mais qui sont des chefs d’œuvres. Le musée d’art est la seule formemuséale, selon la conception de Jacques Kerchache, qui accorde la reconnaissance quiest due à l’Autre. Cette conception inspirera le nouveau regard porté sur les œuvres Autreset qui se traduit notamment par l’orientation du Musée du Quai Branly vers une mise enexposition mettant l’esthétique à l’honneur.

2.2 L’ouverture de la huitième section au musée du Louvre marque unepremière étapeL’ouverture de la huitième section au musée du Louvre est la consécration de la conceptionde Jacques Kerchache. Les arts premiers méritent leur acceptation dans les musées d’artoccidentaux et ne doivent plus seulement être considérés comme des objets d’études pourparfaire le savoir scientifique.

Elle nous renseigne également sur la traduction de cette conception en termemuséographique. La reconnaissance d’un statut égal des œuvres de l’humanité et ainsil’acceptation que toutes sociétés peut produire des chefs d’œuvres se traduit par un choixde mise en valeur esthétiques. La scénographie des œuvres du Louvre est ainsi une avantpremière des principes muséographiques qui seront appliqués au musée du Quai Branly.C’est Jacques Kerchache, qui a assuré la sélection et la muséographie de près de centvingt sculptures d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques au pavillon des Sessions dumusée du Louvre. La sélection des œuvres pour le musée du Louvre s’est dirigée selon lespropres de Jacques Kerchache39 vers « des chefs d’œuvres mis à nu, sans hutte, sansexplication. De l’art à voir et non des pièces à étudier. Des pièges à séduction et non despièces à conviction. ».

Cette section présente une sélection réduite d’œuvre, cent vingt sur une surface de1000 m2 qui ont été préférées sur leurs qualités esthétiques. Chaque pièce est exposéeséparément pour mettre en valeur ses qualités propres. On leur donne de ce fait un statutunique, exceptionnel. Les pièces présentées, à la différence des musées d’ethnographie, ne

38 in Libération du 16 mars 199039 Le Louvre, la bataille de la 8 ème section, Libération, vendredi 16 mars 1990

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sont pas exposées comme un élément d’une série. Elles sont mises valorisées par l’espacelaissé autour d’elles et par leur disposition sur un socle. Cette présentation incite le visiteur àexaminer chaque pièce en détail. Leur présentation dans des vitrines est mise en valeur parun éclairage zénithal qui souligne les formes, les couleurs, les expressions…Les œuvressont révélées par un halo de lumière, dont la clarté est renforcée par la blancheur desmurs. Tout est fait pour souligner l’esthétique de chaque œuvre. Leur capacité à suggérerla beauté est favorisée par la mise en valeur qui reprend les caractéristiques d’un muséed’art. Les informations disponibles à propos des œuvres ne sont que très limitées. Leurcontextualisation n’est pas la priorité puisque c’est la reconnaissance artistique qui est visée.

Le musée du Quai Branly reprend les mêmes principes muséographiques développésà la huitième section du Louvre et privilégie clairement la valeur esthétique.

3. L’objet devient œuvre d’art, le choix de l’esthétisme

3.1 « L’art par métamorphose »Ce concept de l’art par métamorphose, dont l’un des théoriciens principaux fut AndréMalraux40, évoque la modification de statut et de sens que subit l’art par rapport à sonpropos et à sa destination initiale. Les « indigènes » produisent des objets auxquels ilsdonnent un sens, une fonctionnalité dans son contexte d’origine. Cet objet, en quittant soncontexte initial va alors acquérir son statut d’œuvre d’art par sa reconnaissance en tant quetelle par les artistes, les conservateurs, les galeristes occidentaux. Ils dégagent ce qu’ilsconsidèrent comme leur valeur artistique. Cette valeur correspond à des normes artificiellesqui ordonnent et hiérarchisent les pratiques culturelles. Ce sont ces normes qui vontdéterminent l’intégration de ces objets, par métamorphose de leur symbolique, à la catégoried’œuvre d’art. La notion d’œuvre d’art n’a de sens que pour ceux qui la construisent. Lesobjets vont ainsi subir une transformation de leur valeur cultuelle ou existentielle en valeuresthétique et culturelle. Tout objet est ainsi éligible au registre des œuvres d’art, quelle quesoit son origine, quelle que soit son époque. Le « musée imaginaire » de Malraux dontl’ambition était de réunir en un seul lieu tous les chefs d’œuvre de l’humanité

L’objet exposé n’est alors plus sélectionné pour sa fonctionnalité, mais pour cesqualités artistiques déterminées en accord avec les conceptions occidentales de beau, d’art,d’esthétique. Cette traduction de la symbolique de l’œuvre aux critères occidentaux permetde passer ces artefacts dans la catégorie des chefs d’œuvres universels de l’humanité. Lesobjets deviennent œuvre d’art quand on les déleste de considérations anthropologiquespour ne plus voir que leurs qualités esthétiques. C’est ce que souligne Sally Price dans

son livre Arts primitifs, regards civilisés 41 . Les collections du musée du Quai Branly sont

en grande partie les mêmes que celles déjà exposées au musée de l’Homme pourtant« les visiteurs sont invités à comprendre grâce à l’éclairage, à la disposition et plusdirectement par le libellé de la légende qu’un groupe d’objet représente les artefacts demodes de vie exotiques ou sauvages et que l’autre représente des œuvres d’art, voiredes chefs d’œuvres. » On est clairement au Quai Branly dans le second cas de figure.La confirmation nous est donnée, quand on se penche sur la muséographie : pas dereconstitution, les œuvres sont dans des vitrines, mis en lumière par de beaux éclairage.On s’éloigne totalement d’une présentation de musée d’ethnologie pour se conformer aux

40 MALRAUX, André Le musée imaginaire de la sculpture mondiale– Gallimard, Paris, 196541 PRICE, Sally Arts Primitifs, regards civilisés – Ecole nationale supérieure des beaux arts, 1995

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caractéristiques du musée d’art. Ces objets ne deviennent œuvre d’art que parce qu’ils sontconsidérés comme tel dans leur contexte de présentation. C’est un mouvement volontairequi attribue à ces objets leur nouveau statut d’œuvre d’art.

3.2 L’entrée au musée d’art confère un statut supérieur à l’objetLe musée d’art est le plus haut dans la hiérarchie des musées. L’installation d’œuvresdans un musée d’art est synonyme d’un changement de statut des collections elles-mêmes. Cela est perçu comme une signe de reconnaissance de la qualité de l’œuvre. Lalégitimisation du musée du Quai Branly s’appuie justement sur cette reconnaissance faiteaux œuvres exposées. Le musée est le lieu d’élection des œuvres d’art qui accèderontau statut supérieur de chef d’œuvre. La sélection opérée dans l’exposition des œuvresconfère une plus value à l’objet élu. Son caractère remarquable implique sa conservationet son exposition. Son entrée au musée marque son institutionnalisation. Le musée exerceun pouvoir spécifique. Il intègre l’œuvre dans le patrimoine de l’humanité. L’œuvre prendalors une place particulière dans l’espace et dans le temps. Par sa seule présence dans unmusée, l’objet accède au monde universel et intemporel de la création.

La sélection va avoir pour objectif de déceler les œuvres qui méritent le statut de chefd’œuvre, traduite par leur entrée au musée d’art. Celle-ci va se faire selon des critères quimettent en exergue les valeurs esthétiques de l’œuvre. La sélection des œuvres faites dansces deux institutions est clairement guidée par la recherche des chefs d’œuvres de chaqueculture. Selon les termes de Germain Viatte42 , ancien directeur du projet muséologique,cette sélection n’a été « fonction de critères de rareté, de mode, de dimension, de matière oude date, mais à partir de la qualité esthétique exceptionnelle des pièces rassemblées. Elleintroduira le public à un répertoire de formes dont la qualité d’invention plastique équivautà celle des plus grands chefs d’œuvre de l’humanité. » Cette recherche du génie quiémerge dans chaque culture fait écho aux considérations de Kerchache qui parle d’objet« d’un niveau universel »43. L’art de chaque culture atteint la perfection, il faut en repérerles caractéristiques. La sélection va ainsi s’opérer en fonction de l’esthétique, de l’aspectextérieur de l’œuvre et non de sa dimension symbolique ou explicative. On attache ici plusd’importance au signifiant qu’au message lui-même. C’est alors les formes, les couleurs, lamaîtrise techniques, l’originalité, la créativité, les matériaux utilisés, l’état de conservation…vont déterminer sa valeur esthétique et déterminer ou non l’accession à un statut supérieur.

La conception de mise en exposition défendue par Jacques Kerchache refuse lacontextualisation de l’œuvre. La perception de la beauté ne nécessiterait pas de médiationdu savoir. La notion de beauté et d’art aurait un caractère universel. C’est pourquoi le muséed’art devient la porte d’entrée du musée des cultures. Le public reconnaît naturellement unchef d’œuvre.

Mais notre regard est le produit de toute l’histoire des rapports complexes entre

l’occident et les sociétés qu’il a conquises depuis le 15ème siècle. Notre regard n’est pasvierge, notre perception est médiatisée par un ensemble de schèmes perceptifs hérités dupassé. La notion de chef d’œuvre est une notion occidentale qui correspond à des critèresde beauté construits selon nos propres perceptions et considérations.

42 VIATTE, Germain Tu fais peur, tu émerveilles : le musée du Quai Branly, acquisitions 1998/2005- Musée du QuaiBranly,Réunion des musées nationaux, Paris, 2006, p.32

43 Libération du 16 mars 1990

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II- UN nouveau « Musée des autres » pour paris

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La nouvelle forme de représentation que s’emploie à illustrer le musée du Quai Branlypasse par la médiation de l’esthétique. Celle-ci ne s’appuie pas sur le savoir mais surl’émotion que suscite la perception de la beauté. Cette notion correspond à des normesoccidentales. Elle permet d’opérer une traduction de ce qui ne correspond pas à notresystème de signes, pour le rendre compréhensible. On tente ici de gommer l’altérité,de le rendre moins différent pour qu’il inspire moins la crainte. L’esthétisation opère unesimplification de l’approche de l’altérité. La représentation permet de reproduire ce que nousconnaissons déjà, de résorber l’inconnu

L’évolution des formes de « musées de l’Autre » montre l’intérêt politique porté àla symbolique de l’altérité. Le mouvement amorcé par les créations de trois nouvellesinstitutions muséales met l’accent sur une altérité mieux intégrée et moins différente.

L’identité politique porté par le musée ainsi que le nouveau regard sur l’Autrequ’il revendique se trouvent concrétisés dans le réel par la construction d’un bâtimentpublic. Cette forme de représentation est matérialisée grâce à une architecture et unemuséographie minutieusement choisies.

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III- La représentation des identitésau Musee du Quai Branly, traductionmatérielle du dialogue des cultures oumodernisation d’une vision archaique del’autre ?

Un bâtiment public permet d’imposer matériellement un pouvoir dans l’espace public etpar son intermédiaire, d’exposer un imaginaire politique. Il est d’une part une constructionphysique, visible et accessible par tous et un producteur de sens, un moyen decommunication pour le pouvoir qui en décide la construction. Le musée est un bâtimentpublic de la représentation par l’exposition d’objets symboliques des identités. Cette miseen représentation opérée par le musée, s’exprime tout d’abord à travers une architecture.L’architecture est un signe matériel qui donne une visibilité au pouvoir commanditaire sansl’espace public. Elle permet, dans l’espace urbain, une traduction d’un idéal, d’une identitéque le bâtiment public diffuse dans l’espace public.

La représentation de cette identité passe également au travers de la muséographie, quisont les aspects opératoires de la mise en scène des œuvres : organisation des galeries,installations, éclairages…

Dans la cas du Musée du Quai Branly, ce sont les Ateliers Jean Nouvel44qui ontété choisis pour réaliser l’architecture du musée mais ils ont été également chargés deconcevoir les espaces intérieurs, en collaboration avec Germain Viatte, ancien directeurdu projet muséologique. La muséographie et l’architecture, conçus ensemble, sont ainsiintimement liées. Nous considérerons également le jardin, partie intégrante de la conceptionarchitecturale, comme un des éléments de le mise en représentation.

Le musée du Quai Branly doit ainsi exprimer par son architecture la mise en expositiondes œuvres. Un nouveau regard sur l’Autre, un regard « plus respectueux » et offrir auxœuvres un lieu favorisant leur médiation avec le public. Nous allons voir que dans le casdu musée du Quai Branly, la représentation orchestrée par Jean Nouvel, affiche la volontéd’exprimer cette notion de reconnaissance par la mise en évidence de la qualité artistiquedes oeuvres. Cette scénographie aussi bien architecturale que muséographique répondà l’évolution de la conception du musée de l’Autre. Il répond également à des exigencespolitiques, qui s’expriment au travers du travers du concours d’architecture. Le choix quien découle, s’orient vers le projet qui traduit le mieux l’identité donnée au projet. Le projetdéveloppé par Jean Nouvel veut traduire le nouveau statut accordé à ces œuvres par unearchitecture moderne mais modeste. Toutefois, le langage architectural utilisé par JeanNouvel semble réactualiser des visions archaïques de l’Autre. Nous nous attacherons ici àdécrire et décrypter les formes et l’organisation que présente l’architecture du musée et à

44 www.jeannouvel.com

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analyser les discours émis à son sujet. La note d’intention de Jean Nouvel45 pour le concoursarchitectural nous éclairera sur le sens donné au bâtiment par son concepteur lui-même.Le dossier de presse communiqué par le musée du Quai Branly46traduit la vision que lesdirigeants du musée veulent voir diffusée

A- Le bâtiment, traduction matérielle de l’identité duprojet

Le choix de l’architecture n’est, ainsi, pas anodin. L’architecture traduit matériellementun message politique envoyé aux citoyens par le pouvoir. Ce message doit êtrecompréhensible pour les habitants. Un bâtiment public est ainsi un univers de signes quidonne une dimension symbolique à l’espace public et qui permet de matérialiser dans le réelun imaginaire politique. Il participe à la construction d’un espace symbolique commun engénérant une mémoire collective et en l’inscrivant dans l’environnement urbain. L’utilisationde l’environnement urbain comme support et manifestation de cette mémoire collectivepermet de l’enraciner dans l’espace public et afin que ses membres se l’approprient.Il énonce les valeurs de notre communauté et de notre appartenance à celle-ci. Dansson livre, Architecture qui nous parle47 Harry Mayerovitch présente l’architecture commeunemanière « d’affirmer qui nous sommes, ce que nous avons été et ce que nous espéronsêtre ». L’architecture publique est utilisée pour diffuser un espace référentiel commun quiconstruit l’identité. L’architecture serait le signifiant d’un projet politique, qui en serait lesignifié. En cela, l’architecture est un langage esthétique du pouvoir. Elle donne forme auxidentités dans l’espace et dans le temps. Les choix architecturaux, les lignes, les matériaux,les agencements, traduisent matériellement, formellement les inspirations du projet. C’estpourquoi un intérêt tout particulier est porté au choix de l’architecture et de son emplacementdont le prestige donne une indication de l’importance donnée au projet.

1. Le lieu d’implantation, reflet de l’attention portée au projetLe 4 février 1998, 12 sites ont été examinés :

En banlieue :- l’île Monsieur à Sèvres-les anciennes usines Renault de l’île Seguin à Boulogne Billancourt-l’île Saint Germain à Issy-les-MoulineauxA Paris :-le quai de Javel-les anciens bâtiments Moulins de Paris dans le 13ème arrondissement-la grande salle en béton de la SERNAM

45 cf annexe 346 cf annexe 4

47 MAYEROVITCH, Harry Architecture qui nous parle– L’Etincelle, Paris, 1998

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-les anciens bâtiments du Port de Paris, berges de Seine

-la 4ème travée de la Cité des Sciences à la Villette-les Magasins généraux sur les bords du Canal de l’Ourcq à la Villette-quai d’Austerlitz-au Grand PalaisJacques Chirac annonce que c’est le site du quai Branly qui est retenu. Le terrain est

attribué à titre gracieux au projet.Le terrain sur lequel le futur musée sera bâti s’étend sur 400 mètres de long et sa largeur

atteint 120 mètres. Son contour nord suit la forme de la Seine dont il est séparé par lesinfrastructures du port autonome de Paris. Sur son flanc ouest, avenue de la Bourdonnais, lesite est encadré par des immeubles d’habitation d’architecture Haussmannienne. A l’opposése trouve le Conseil Supérieur de la Magistrature ainsi que les dépendances du secrétariatgénéral de la présidence de la République.

1.1 L’histoire du lieuLe site du musée du quai Branly est au Moyen Age une île formée dans un méandre dela seine. L’île Maquerelle prend le nom d’île aux Cygnes par ordonnance de Colbert, quila destine à l’acclimatation des cygnes qu’il fait venir pour agrémenter ses jardins. Un brasde Seine la sépare de la rive gauche, à hauteur de la rue de l’université. L’île prendra saconfiguration actuelle, entre le pont de Bir-Hakeim et le pont de Grenelle, à la suite dudragage effectué en 1825 pour aménager le port de Grenelle.

Les berges de Seine deviennent au XIXème siècle un espace de prestige. Un projetmonumental de palais des Archives, est envisagé sur le terrain qu’occupe actuellementle musée. Les travaux débutent mais la construction est stoppée après les fondations. Leterrain sert, à partir de 1825, de dépôt des marbres du roi. Sous la troisième République,des ateliers d’artistes y sont installés le long de la rue de l’université et de l’avenue de laBourdonnais, tandis que la partie sur les quais est affectée au Mobilier national. Rodin yinstallera son atelier pendant 40 ans. La partie Est du terrain accueillera successivementles écuries royales qui deviendront celles de la présidence de la République, le ConseilSupérieur de la magistrature puis divers services de l’Elysée. A partir de la moitié du 19èmesiècle, le champ de mars accueille les Expositions Universelles qui s’étirent jusqu’aux bordsde Seine. En 1937, le garde meuble est détruit pour laisser place aux aménagementsde l’Exposition internationale. Le terrain du musée y accueille le centre des métiers.Apres la seconde guerre mondiale, le terrain est affecté à la construction d’une citéadministrative provisoire par le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme. Elle n’estfinalement détruite qu’en 1990, afin de pouvoir y construire le Centre de Conférencesinternationales, projet qui faisait partie des Grands Travaux du Président Mitterrand. Celui-ci sera abandonné pour des raisons d’arbitrage financier. Laissé vide, le terrain appelé« Espace Eiffel-Branly » accueille diverses manifestations et foires internationales, telle laFIAC (Foire Internationale d’Art Contemporain). Diverses options concernant son utilisationsont avancées avant que Jacques Chirac ne décide son attribution en 1998, au « muséedes Arts premiers »

1.2 Une localisation prestigieuse

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Le musée du Quai Branly se trouve dans le 7 ème arrondissement, sur les bords de Seine.Il est au pied de la Tour Eiffel. Le site occupé par le musée était un des seuls emplacementsrestés inoccupés en plein cœur de Paris.

C’est un emplacement de prestige avec un voisinage de choix. Le musée du QuaiBranly est en effet voisin du Louvre, du musée d’Orsay, à quelques minutes du Petit et duGrand Palais, du Palais de Tokyo et du musée d’Art moderne, non loin du Centre GeorgesPompidou. Le musée du Quai Branly joue dans la cour des grands musées parisiens. Sonimplantation même, dans l’un des quartiers les plus touristiques de Paris et qui réunit lesmusées les plus prestigieux, fait de cette nouvelle institution un musée d’importance.

La localisation du musée du Quai Branly lui donne une grande visibilité et une placesymbolique dans le Paris culturel et décisionnel et le placer dans le groupe de tête desinstitutions qui façonnent l’image culturelle de paris. Cette dimension symbolique s’exprimedans le choix d’édifier une œuvre architecturale forte sur un site de premier rang.

Le choix du site est révélateur de l’importance accordée au projet. Le prestige du sited’implantation d’un établissement public traduit l’intérêt que lui porte le pouvoir. Plus le site

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est remarquable, plus on attache une importance particulière à l’institution qui va y êtreaccueillie. Ici le musée réunit tous les paramètres d’un site de prestige : implantation dansla capitale nationale, centralité urbaine, proximité de lieux symboliques de la ville, proximitédu lieu de pouvoir...

2- Le choix du projet architectural pour le musée du Quai Branly

2.1 Le programme architecturalLe programme du concours d’architecture exprime à l’architecte le cahier des charges qu’ilaura à remplir et explicite le message que le pouvoir veut faire passer à travers l’architecture.Valérie Colomb souligne, dans sa thèse de doctorat consacré au Musée des Confluencesde Lyon, l’importance de l’orientation donnée à ce programme : « Le concours constitueune représentation de la société dans le sens où les critères de choix et les justificationsqui en découlent mettent en lumière les valeurs jugées dignes d’être privilégiées à cemoment précis. »48 La pouvoir politique veut traduire grâce au langage architectural sonidéal politique.

L’architecte a ainsi la tâche de traduire ce message, de lui donner forme dans le réel.Le programme du concours nous renseigne ainsi sur les valeurs que le pouvoir veut voirexprimer par le bâtiment public.

C’est l’architecte Hélène Dano-Vanneyre, qui élabore le programme du concours dumusée du Quai Branly. Celui-ci présente trois axes majeurs :

-un lieu de présentation des collections et un lieu de préservation-un centre de ressources, de recherche et de formation-un lieu d’expression des cultures vivantes.Les projets doivent, selon les termes du programme « articuler, voire éventuellement

imbriquer, en une muséographie intégrée, présentation esthétique et ethnographique », lascénographie doit « traduire l’état des lieux de la réflexion et non imposer un point de vuedogmatique et pétrifié » 49.

La présentation des collections par aires géographiques, Afrique, Asie, Océanie,Amériques, était une des bases de réflexion pour les concurrents, complétées par desespaces transversaux. Le parcours de la visite n’est pas défini. C’est une surface de 9000m2 qui est proposée à la créativité des architectes.

Le projet architectural du Quai Branly a été retenu après un concours internationald’architecture. L’architecture est le produit de la rencontre d’un programme, d’un site etd’une forme50. L’architecture publique est un effet une forme esthétique donné à la présencedu pouvoir dans l’espace public. Cet forme esthétique doit refléter, d’une façon la plus

48 COLOMB, Valérie Le bâtiment public comme médiation politique : généalogie et communication d’un bâtiment public, le musée desConfluences, Lyon- Thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication, Université Lumière Lyon 2, 2005, p.183

49 LAVALOU, Armelle / ROBERT Jean-Paul Le musée du Quai Branly– Edition Le Moniteur , Musée du Quai Branly, Paris,2006

50 COLOMB, Valérie Le bâtiment public comme médiation politique : généalogie et communication d’un bâtiment public, lemusée des Confluences, Lyon- Thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication, Université Lumière Lyon 2,2005, p16

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compréhensible, l’identité de ce pouvoir. Les bâtiments publics sont ainsi des signifiantsd’un langage architectural contrôlé par le politique. Le choix de cette architecture prend alorsun enjeu symbolique. C’est la compréhension d’un message politique qui doit être assuréegrâce à la lecture du langage architectural. Ce langage est construit par les architectes,propose leur vision, leur traduction du programme du concours.

Le jury s’est réunit le 5 juillet 1999, afin de sélectionner les 15 candidats admis àconcourir de façon anonyme. Il se réunit une seconde fois les 4 et 5 décembre 1999, pourexaminer les 14 projets rendus.

∙ Renzo Piano∙ Peter Eisenman et Felice Fanuele∙ Francis Soler∙ MVRDV, Periphériques∙ Maa Schmidt, Hammer § Lassen∙ L’Atelier d’architecture Chaix § Morel et associés∙ Patrick Berger et Jacques Anziutti∙ Tadao Ando, Jean-Michel Wilmotte, Masakazu Bokura∙ Rudy Ricciotti et Pierre Lombard∙ Dominique Jacob, Brendan Farlane∙ Foster § Partners∙ Futures systems∙ Christian de Portzamparc∙ Ainsi que celui de Jean Nouvel∙

Le jury classe par ordre d’élection les projets de Jean Nouvel, de Renzo Piano et de PeterEisenman, une mention spéciale est décernée au projet de Francis Soler. Stéphane Martin,président du jury et président de l’établissement public, soumet à la décision de JacquesChirac, qui l’approuve, le choix de Jean Nouvel. Le projet a séduit en raison de la part faite aujardin, le décollement du bâtiment sur pilotis, sa faible hauteur, le parcours muséographiquedans une galerie unique et le respect strict du règlement d’urbanisme.

2.2 Les quatre bâtiments du musée conçus par Jean NouvelNous commencerons ici par une brève biographie de l’architecte Jean Nouvel.

Jean Nouvel est né en 1945. Après l’obtention du diplôme de l’Ecole NationaleSupérieure des Beaux Arts de Paris, il obtient en 1970 son diplôme d’architecte. C’est laréalisation de l’architecture qui accueille d’Institut du Monde Arabe, à Paris, entre 1981 et1987, qui lui apporte une renommée internationale. Il réalise également la rénovation del’Opéra de Lyon entre 1986 et 1993 et conçoit l’architecture de la Fondation Cartier à Parisen 1994. Il remporte de multiples prix d’architecture. C’est son agence, Les Ateliers JeanNouvel qui gagne le concours d’architecture du prochain musée du Quai Branly

Le musée du Quai Branly, imaginé par Nouvel, n’est pas formé par un seul bâtiment.Il se compose de quatre bâtiments distincts : le bâtiment Musée, le bâtiment Branly , lebâtiment Auvent et le bâtiment Université51.

51 Cf Annexe 4

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Le bâtiment Musée est le lieu qui accueille les collections. C’est une structure quis’étend sur 220 mètres de long mais qui affiche une hauteur peu élevée de 21 mètres. Sacharpente métallique du bâtiment est surélevée du sol par vingt six poteaux, aléatoirementdisposés. La façade, qui donne sur les quais de la Seine est une paroi de verre imprimée demotifs végétaux. De cette paroi se détachent des « boites » métalliques multicolores et detailles différentes. La structure est composée de cinq étages. Outre le plateau des collectionspermanentes, des espaces d’expositions temporaires et de réserves, le bâtiment Muséeaccueille également un auditorium, un théâtre, une salle de cinéma et des salles de cour.

Le bâtiment Branly est un bâtiment administratif. C’est le seul bâtiment qui donnedirectement sur la rue et qui est donc visible de l’extérieur. Sa façade Est dans leprolongement de l’immeuble de type haussmannien voisin et se trouve dans la continuitéde la palissade de verre qui sépare le jardin du quai. La particularité de ce bâtiment est sonmur végétal conçu par le botaniste et chercheur au CNRS Patrick Blanc. Ce décor végétalde 800 m2 composé par 15 000 sortes de plantes est le résultat d’un procédé breveté parle chercheur qui lui permet de végétaliser les surfaces inclinées.

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Façade Est du bâtiment Branly et son mur végétalLe bâtiment Auvent abrite les magasins de la médiathèque, le salon de lecture Jacques

Kerchache et la salle de consultation des fonds spéciaux ainsi qu’un atelier de découvertepour les enfants. Cet édifice se trouve entre les bâtiments Musée et Branly et leur est reliéà ceux-ci par des passerelles transparentes.

Enfin, le bâtiment Université qui se trouve coté sud est composé de verre et de pierre.Il propose une boutique au rez-de-chaussée. Les étages sont réservés aux bureaux et auxateliers de restauration. Les plafonds de ces étages ont été investis par les œuvres d’artistesaborigènes contemporains et sont visibles depuis la rue de l’Université.

B. S’émanciper des références occidentales »52

52 cf annexe 4

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L’architecture de Jean Nouvel présente à la fois toutes les techniques d’une hypermodernité, tout en se faisant hommage aux mondes de la tradition. C’est par un quasitransparence technique que l’architecture de Jean Nouvel s’émancipe des « référencesoccidentales » et manifeste son respect pour les objets qu’elle accueille.

1. Une architecture qui rejette les conceptions architecturalescoloniales

1.1 Un site au passé neutre : une page blanche, sans mémoire collectiveMalgré les différentes déclarations de Jacques Chirac : « Je n’investirais pas dans le béton »53 ou encore « Je ne veux pas ajouter aux grands travaux », le choix de construire est adopté.

Un bâtiment porte une symbolique qui donne un sens au lieu. Investir un lieu préexistantimplique d’hériter de son passé, de la symbolique initiale. Il n’est pas toujours aisé deréinvestir un lieu. C’est pourquoi la solution idéale est de pouvoir créer le lieu en adéquationavec le projet. C’est ce qui s’est produit avec le musée du quai Branly. Un projet politiquepeut d’autant plus s’exprimer quand il n’a pas de contrainte. Le site vierge du Quai Branlyétait comme une page blanche, une zone peu investie par la mémoire collective. En effet,les anciens bâtiments du MAAO et ceux du musée de l’Homme, dans lesquels il avait étéquestion d’installer le musée des « arts premiers », portent sur eux le poids du passé.

Le Palais de la Porte Dorée devait ainsi traduire dans son architecture cette vision dumonde et d’une France supérieure mais porteuse des vertus de la civilisation. Sur la façadeOuest, on peut lire l’inscription « A ses fils, qui ont étendu l’empire de son génie et faitainsi aimer son nom au delà des mers, la France reconnaissante. » Sa façade est ornée depéristyles et de bas reliefs qui représentent des voiliers naviguant vers des pays lointains,une faune exotique et des populations indigènes accomplissant leurs tâches quotidiennes.A l’intérieur, des fresques illustrent les apports de la France à ses colonies.

Quant au Palais de Chaillot, est construit au Trocadéro pour l’Exposition Universellede 1878 et sera reconstruit pour l’exposition Universelle de 1937. Le bâtiment est composéde deux ailes distinctes de forme courbe, qui entourent une esplanade. La monumentalitédu bâtiment est renforcée par ses éléments architecturaux : pilastres, hautes baies vitrées,corniches massives.

53 cf le Point du 30 novembre 1996

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Façade du Palais de Chaillot et du Palais de la porte DoréeLe choix d’une construction nouvelle, entièrement conçue par rapport à son objet,

permet au musée du Quai Branly de s’éloigner de toutes références coloniales. Il se construitsur une page blanche de toutes connotations et peut construire sa propre mémoire.

1.2 Une architecture aux dimensions modestes, qui rejette les éléments del’architecture colonialeAinsi les précurseurs en terme d’architecture abritant des expositions de cultures Autres,sont les expositions universelles et coloniales composées de pavillons imitant le stylearchitectural de pays exotiques, le Palais de Chaillot ou encore le Palais de la Porte Dorée.

L’Architecture du musée du Quai Branly devait fuir le spectre du passé et marquerune coupure nette avec ces architectures coloniales. Ces architectures monumentales, cesbâtiments triomphants avaient pour but de traduire la grandeur et la puissance de la Franceet reflétait un sentiment explicite de supériorité sur les autres peuples et notamment sur lespeuples colonisés. Ils affichaient des dimensions importantes et une architecture massive,utilisant des matériaux lourds, le béton, le marbre…

Jean Nouvel se place en opposition au langage architectural de ces bâtiments,caractérisé par l’orthogonalité et la rationalité. Le bâtiment dessiné par Jean Nouvelest un bâtiment d’une hauteur modeste de 21 mètres. Il ne dépasse pas les bâtimentshaussmanniens adjacents. Il se présente comme une longue passerelle de 220 mètresposées sur des poteaux. Le bâtiment semble léger. L’entrée dans l’architecture se fait unerampe en pente douce, vers une porte sans façade. Rien à voir avec les imposants escaliersdes Palais de Chaillot et de la Porte Dorée. Cette ascension rajoute une solennité à l’entréedans ces institutions, aux entrées imposantes. Jean Nouvel s’attache plutôt à créer uneambiance chaude, utilisant plusieurs couleurs vives. Le rouge, le jaune et le orange sontainsi privilégiés, comme on peut le voir avec les « boites », ces structures cubiques sedétachant de la façade du bâtiment Musée. Il emploie des matériaux simples et naturels,comme le bois et le cuir ou le verre.

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L’esthétique développée ici traduit une modestie de l’architecture. Celle-ci marqueune prise de distance avec l’image imposante des bâtiments publics. Pendant longtemps,l’important a été que ces derniers soient bien visibles et reconnaissables par tous. Lesdimensions grandioses, la profusion de détails ou de décors, l’austérité, devaient traduire lapuissance et le pouvoir du politique. Jean Nouvel se place dans une autre perspective. Il aconstruit son architecture autour de la collection qu’elle devait accueillir, faisant son possiblepour s’effacer devant elle. C’est ce qu’il appelle la dématérialisation sélective.

2. Une réactualisation des clichés ?

2.1 « La dématérialisation sélective »54

L’architecture de Jean Nouvel s’affirme dans une modernité qui a les moyens techniques des’effacer derrière son objet. La technique est mise à contribution pour dissimuler la matière.C’est ce que souligne Jean Nouvel dans sa note d’intention pour le concours architectural :« Les techniques les plus pointues sont convoquées : les verres sont grands, très grands,très clairs, souvent imprimés d’immenses photographies, les poteaux, aléatoires dans leurpositionnement et leur taille, se prennent pour des arbres ou des totems »55

C’est là, que s’opère la « dématérialisation » dont parle Jean Nouvel. La mise enreprésentation des cultures doit se faire dans un cadre qui favorise leur dialogue. Un cadrequi s’efface et laisse toute l’attention se porter sur les œuvres. L’ostentation technique estconsidérée comme une manifestation de prétention moderniste occidentale. L’étalage dusavoir, de la maîtrise, est signe de vanité qui va à l’encontre du projet du Quai Branly. Celuid’être un écrin pour mettre en valeur les cultures Autres. Le contact avec celles-ci doit êtrele plus direct possible, sans une médiation architecturale aux traits occidentaux : «Exit lesstructures, les fluides, les « menuiseries » de façade, les escaliers de secours, les garde-corps, les faux plafonds, les projecteurs, les socles, les vitrines, les cartels… »56

Toutes références occidentales doivent s’effacer pour laisser éclater la diversité et larichesse des œuvres. Le bâtiment doit se fondre dans son environnement, pour en fairepresque oublier l’existence. La technicité est ainsi utilisée pour faire disparaître la matièreou la camoufler. Les poteaux se transforment en arbres ou en totems après application surle béton d’un enduit traditionnel. Le meuble central de la galerie qui cache les équipementsmultimédias mis à disposition des visiteurs est appelé « le Serpent ». Recouvert de cuir clair,il s’intègre harmonieusement à l’espace et en fait oublier la complexité des installations.La dématérialisation est « sélective ». Tout le superficiel est dissimulé pour privilégierl’objet du musée. Cette dématérialisation sélectionne les éléments esthétiques qui sontindispensables au message. La visibilité n’est pas une condition indispensable pour prouverune présence. L’absence en dit parfois plus. L’architecture de Jean Nouvel est à la pointede la modernité mais sa présence s’exprime en gommant ses aspects les plus saillants.

Le principe de « dématérialisation » se traduit comme une mise en retrait del’architecture visible pour garder l’essentiel : la délivrance d’un message. Il y a un refus del’auto- congratulation, d’une vanité qui empêcherait le sens d’être perçu.

54 cf, annexe 355 idem

56 annexe 3

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2.2 Un vocable qui fait toujours référence à l’imaginaire du « sauvage » L’ambition affichée par les concepteurs de ce musée aussi bien que par l’architecteJean Nouvel était de s’affranchir de toutes références occidentales. Le pari était deporter un regard non occidental plus en harmonie avec les critères de jugement desociétés de provenance des œuvres. « Cette architecture repose sur des vocabulairesnon occidentaux, jouant de l’émotion et du dépaysement, en rupture avec les codestraditionnels des musées » 57, nous dit l’architecte. Comment cela se traduit ? Quelles sontles traductions matérielles de ces vocables non occidentaux ? Et qu’est ce que cela traduitde la représentation de l’Autre ?

Nous nous appuierons, pour répondre à ces questions, sur les extraits du dossierde presse du musée du Quai Branly, qui reflètent cette utilisation d’un « vocabulaire nonoccidental ».

2.2 Le visiteur-explorateurLe visiteur opère un cheminement qui l’emmène vers d’autres mondes, au cours duquel

il se transforme en explorateur. « Devenu explorateur, le visiteur traverse ce jardin vallonné,conçu à l’image des végétations indisciplinées »58, pour enfin arriver au bâtiment. Il y acinq entrées sur le site mais aucun accès direct à l’entrée du musée. Le visiteur doitobligatoirement emprunter un des chemins sinueux, à travers la végétation, censée évoquerla végétation des pays d’origine des œuvres. Le visiteur est placé dans la position d’unaventurier qui doit se frayer un chemin au travers la végétation du jardin du musée, devenue« savane arborée»59. On reprend ici l’image de l’homme blanc qui part à la conquête d’unenature hostile.

2.3« L’homme naturel »On retrouve dans toute la communication autour du bâtiment et de son jardin, les thèmes dela nature, de la forêt vierge : « Les poteaux habillés d’un enduit traditionnel, prennent racinedans le sol en pente douce. Ca et là des vibrations lumineuses pourraient évoquer le soleilà travers la canopée. »60 . Ce cadre, qui donne une place importante à la nature est censéreprésenter le cadre de vie « naturel » des peuples producteurs des œuvres du musée. Les« boites » de la façade du musée sont décrites comme « une rangée de cabanes »61, termequi traduit symboliquement la forme d’habitation de l’indigène. Le musée devient alors uneseconde maison pour l’ « homme-naturel ». On reproduit son environnement pour qu’il sesente chez lui.

Cet environnement sauvage, « aux végétations indisciplinées » s’oppose aux jardinsordonnés modernes comme celui que l’on trouve à deux pas, au pied de la Tour Eiffel. Cetaccent mis sur le vocabulaire de la nature reprend le mythe du primitif censé être proche deson environnement. L’opposition Nature/Culture, Soi /Autres est sous-jacente. Les peuplesla foret qui vivent en harmonie avec leur environnement. Tandis que l’homme moderne a

57 Cf Annexe 458 Idem59 Idem

60 Cf Annexe 461 Idem

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perdu ce lien essentiel avec la nature. Cette visite chez l’ « homme-naturel » exprime unequête de ses racines, un retour à la nature.

2.4Le temple sacré« Le jardin parisien devient un bois sacré et le musée se dissout dans ses profondeurs » Lesréférences au caractère « sacré » des objets suggèrent également que le musée est en effetconçu comme un monde empli de divinités et de dieux. Un sorte de voyage mystique dansun monde où l’on peut sentir la présence des esprits où « dialoguent les esprits ancestrauxdes hommes »62. Ici encore on trouve la distinction Eux/ Nous. Cela se traduit ici par lamise en évidence de la richesse spirituelle de ces peuples, en opposition à la notre société« désenchantée ».

En utilisant un vocabulaire à tonalité ethnographique qui fait appel aux clichés quel’occidental peut avoir sur l’Autre : la proximité avec la nature, le coté « sauvage »,la sacralité…il réactualise une vision ancienne de l’univers de l’Autre. Cette approchequi se veut porteuse de dépaysement fait explicitement comprendre au visiteur qu’ilest en train d’entrer dans le monde de l’Autre, au travers d’un imaginaire rapidementidentifiable dans l’architecture: la savane, les cabanes, les totems... Réinterprétant, dansune architecture moderne, les principes du mythe primitiviste, le bâtiment en dit plussur une conception occidentale de l’environnement de l’Autre. L’architecture du muséedu Quai Branly donne ainsi une forme à une esthétique primitiviste associant modernitéarchitecturale et réutilisation des clichés. On traduit l’altérité dans des termes qui nous sontfamiliers et qui le cantonne dans un imaginaire maîtrisée. Il n’y aura pas de surprise. Levocable utilisé confirme le visiteur dans ce qu’il s’attend à voir : la culture Autre, faitesd’esprits, de totems, cabanes. Cela l’Autre moins inconnu, moins effrayant et finalementmoins dépaysant.

62 Idem

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Les « cabanes » de la façade du muséeCe musée est une illustration des images que le concept d’Autre évoque à l’Occidental.

Le musée du Quai Branly trouve notamment sa source dans la considération que laprésentation des musées ethnographiques était toujours empreinte de représentationscolonialistes, avec ses reconstitutions des modes de vie indigènes. On cherche là encorevisiblement à recréer un environnement censé représenter le « cadre de vie naturel » deces œuvres. N’est ce pas là avec le Quai Branly une interprétation moderne d’un imaginairequi reste toujours le même ?

.

C. Favoriser le dialogue des cultures et leur rencontreavec le public

1. Une architecture qui aménage un passage vers un autre monde.Le vocable employé pour décrire le musée joue sur le dépaysement du visiteur a pour butde lui signifier son entrée dans un autre monde, celui des cultures « Autres ». Ce dernier vasuivre un parcours sensible qui lui permettra d’opérer ce passage en douceur. L’intérieur dumusée est ainsi organisé pour favoriser l’émotion du visiteur devant le dialogue des cultures

1.1 Le jardin, un espace intermédiaire protecteur

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Le discours sur le nouveau bâtiment du Quai Branly fait écho au discours de Jacques Chiraclors de l’inauguration du musée. Le musée se veut un refuge pour des œuvres longtempsdéclassées. Jean Nouvel définit son architecture comme « l’asile où sont accueillis lestravaux censurés ou méprisés »63. Il a conçu son bâtiment comme un « abri », afin derecueillir la richesse parfois malmenée du monde. Le jardin « écrin » protège « sans coupermonde »64. L’enceinte du musée est protégée de la pollution et des bruits de la ville par unelongue palissade de verre. Elle ménage la tranquillité du jardin. La coupure avec la frénésiede la ville est sensible. L’environnement du Quai Branly propose espace, nature et silence.L’endroit est propice à la sérénité. Le visiteur entre physiquement sans un espace différent.

Le bâtiment est en effet niché dans un jardin de 18 000 m2 composé de « sentiers,petites collines, chemins dallés de pierres de torrent, bassins propices à la méditation et àla rêverie ».65C’est un cadre très romantique qui est offert au visiteur et qui est le refugedes œuvres. Le jardin a été conçu pour être un premier stade dans un voyage dans lemonde de l’altérité. L’environnement participerait dans ce passage vers l’ailleurs, dans cetteprogression vers la découverte de l’Autre. « Je voulais que ces objets soient accueillies parle végétal qui comme un pont, découvre à une certaine distance, au travers des arbres, unetransition entre notre civilisation et celles qui sont ici représentées. »66

Le grand jardin qui entoure le musée opère la première étape de transition entre lemonde extérieur et le monde intérieur qui abrite les collections. Ce cheminement qui marqueun passage se poursuit dans le bâtiment avec l’ascension de la rampe pour accéder àl’espace d’exposition.

1.2 La rampe, une ascension qui met les sens en éveilPour accéder aux collections, les visiteurs gravissent une rampe, appelée « l’AutreMarche », œuvre contemporaine de l’artiste Trinh T. Minh-ha. Des messages sont projetéssur le sol et les parois de cette rampe. On y projette des textes en différentes langues,des photographies de paysages ou de portraits, de courtes vidéos. Cette entrée dans unmonde sensible est accentuée par la diffusion de sons divers qui évoque l’ailleurs : des bruitsvégétaux, des paroles, des chants. La lumière blanche de la rampe contraste alors avecl’obscurité qui règne dans le tunnel à tenant, qui amène enfin au plateau des collections.

Le tunnel matérialise l’entrée dans un espace différent. Le visiteur quittesymboliquement un monde qu’il connaît pour prendre pied dans un autre espace dans lequelses sens seront sans cesse sollicités.

Le cartel que le visiteur peut lire au cours de son cheminement le long de cette rampeéclaire sur la symbolique de l’artiste lui confère.

« Il est souvent dit en Asie que le miracle n’est pas de marcher sur l’eau mais de marchersur terre. La marche est une expérience de l’indéfini et de l’infini. En allant au devant pas àpas, c’est l’entrée en soi des dons de l’univers que l’on reçoit.

Le passage de l’autre en soi, le parcours entre images, sons et aphorismes, ouentre le dit et le vu au long de la rampe est une marche initiatique qui travers plusieurs

63 cf Annexe 364 idem

65 cf Annexe 466 Propos recueilli par Bertrand Fabre, Dominique Errard et Jacques Franck Degiovanni, publié dans Le Moniteur des

travaux publics et du bâtiment, 9 juin 2006

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cultures d’Asie, d’Afrique, d’Océanie et d’Amériques. Chaque pas contribuerait à engendrerdes relations agissantes entre passant, passage et passager. Les questions que posel’expérience sensorielle peuvent inciter le visiteur à la réflexion sur son activité du momentprésent et dans sa position de visteur-spectateur-chercheur.

Le sens bouge avec la marche et selon l’apparition et la disparition, lumineuses, desaphorismes. Parcourir la rampe devient comme un « rite de passage » dont le mouvementfluide en trois phases « transition », « transformation » et « ouverture » se trouve suggérépar des sons et rythmes correspondants. »

Cette rampe est conçue comme un accompagnement du visiteur dans son contactavec les œuvres. Il va faire l’expérience sensible de l’Autre. Elle l’amène vers le plateaupar un cheminement en pente douce qui stimule son attention et termine son parcoursen l’accompagnant vers la sortie. C’est un temps consacré à l’ouverture aux autres et àla réflexion sur la découverte. Cet espace ludique fait éprouver au visiteur l’expériencesensorielle du dépaysement. Il ne va pas que voir, tous ses sens seront sollicités. L’émotionsuscitée par cette découverte contribue ainsi à faire accepter et comprendre l’altérité.

Le visiteur, après son parcours initiatique de l’ « Autre Marche », accède au plateau descollections. Il arrivé par le centre de la galerie, à partir duquel il peut accéder aux quatre airesgéographiques. Il se trouve au centre du monde réduit que le musée lui propose de parcourir.Cette cartographie proposée par le musée du Quai Branly traduit l’égalité revendiquer descultures du monde et favorise ainsi leur dialogue.

2. L’absence de cloisons, comme unité du mondeLe musée du Quai Branly définit son contenu géographiquement : il présente des objetsd’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques. Le choix de la mise en ordre des collectionstraduit le point de vue qui veut être exprimé. Cette organisation peut être définie selondes différents principes : historiques, chronologiques, thématiques …et répond ainsi audéroulement d’un récit interprétatif. La volonté affichée ici est de mettre en évidence l’égalitéde statut de chaque aire géographique mais aussi des pièces entre elles.

Le plateau des collections est une grande galerie sans cloisons, où sont présentées3500 œuvres réparties sur 4 zones géographiques : Afrique, Asie, Océanie et Amériques.Cette absence de séparation physique est des un choix majeurs effectués dans laprésentation des œuvres. Le décloisonnement de la galerie symboliserait une certaineunité du monde, un décloisonnement des cultures qui se retrouvent unies dans un seulet même espace d’exposition. L’absence de classification veut signifier le refus de toutediscrimination. Chaque section de la collection, chaque aire géographique est mise sur unpied d’égalité. L’effet homogénéisation est relayé par une mise en exposition qui est partoutla même : socles, vitrines, matériaux utilisés, éclairages, formes et typologies des cartels….

Les collections sont ordonnancées selon un principe géographique. Ce choix est ainsisignalé par un code couleur qui délimite chacune des quatre aires géographiques. L’espaceocéanien est rouge, l’Asie est orange, L’Afrique jaune et enfin les Amériques sont en bleu.Les documents d’informations, les panneaux d’indications dans le musée reprennent cecode couleur pour faciliter l’orientation des visiteurs et la lisibilité de l’organisation descollections. Cela permet au visiteur de s’apercevoir qu’il une aire géographique pour enintégrer une autre. Quatre ensemble de cohérence sont ainsi créés. Le choix d’organisationpar aires géographiques n’est pas symbolisé physiquement dans l’espace par une cloison,il l’est symboliquement par les couleurs.

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La démarcation au sol entre l’aire del’Afrique, en jaune et l’aire des Amériques en bleu.

De plus, on constate une mise en ordre de ces zones. L’unicité de la galerie etl’absence de déroulement d’un récit interprétatif particulier laisse supposer que la lecturedes collections est libre. Toutefois, le visiteur est invité à suivre un parcours fléché dans lagalerie : on entre par le centre de la salle, la visite débute par l’Océanie puis se poursuitpar l’Asie, l’Afrique et pour finir l’Amérique. Un ordre, qui n’est certes pas hiérarchique estindiqué et implique une certaine lecture du monde. Cette notion de parcours est de plusrelayée par un sol en pente ascendante au départ qui nous ramène doucement en pentevers la sortie, tout au long de la zone Amérique.

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Plan du plateau des collections et couleurs associées à chaque aire géographiqueCes zones culturelles sont effectivement réunies dans un même espace, sorte

de reproduction simplifiée du monde réel, au détail près que l’Europe est absente.Cette organisation met en ordre une cartographie des civilisations non européennes.La cartographie symbolique du plateau des collections ne favorise pas le dialogue tantannoncé entre les cultures. La mise en scène des collections et leur organisation paraires géographiques recréent au sein du musée une représentation du monde dans unespace clos. C’est une carte du monde qui est symboliquement exposée. Celle-ci met enévidence la délimitation qui est géographiquement établis entre les cinq continents. Onlui donne ici une dimension culturelle. Ces aires géographiques sont également des airesde cohérence culturelle qui peuvent être symbolisées dans un musée. Si l’absence decloisons voulait signifier l’unité d’un monde réuni par des liens culturels, il existe bien uneséparation reconnaissable et la coupure par continent ne permet pas de refléter et de repérerdes similitudes, des croisements, des influences entre ces différentes cultures. Toutefoisle musée prévoit des espaces transversaux permettant la mise en évidence les échangesentres les cultures.

3. Des espaces transversaux pour favoriser le dialogue des culturesIl existe ainsi différents niveaux d’organisation des collections. Le premier niveau de lectureest la séparation en quatre aires géographiques. Ces zones sont organisées selon leursprincipes propres et proposent des transversales à l’intérieur même de chacune des airesgéographiques.

-L’Océanie : L’aire océanienne s’organise selon un parcours uniquement géographiquequi se divise en quatre secteurs : la Mélanésie, la Polynésie, l’Australie et enfin l’Insulinde.Cette région qui se trouve au confluent de l’Océanie et de l’Asie du Sud-Est opère un traitd’union avec l’espace Asie.

-L’Asie : Cet espace s’articule selon un parcours géographique qui va d’est en ouestdu continent. Une présentation plus thématique y est développée par des ensembles quimettent l’accent sur les thèmes forts de la vie culturelle et religieuse. On y aborde ainsi lesproblématiques liées à la culture dominante du riz, du bouddhisme et des cultes populaires.Cette aire géographique s’organise autour d’une transversale interne des textiles.

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-L’Afrique : La zone Afrique est organisée selon deux principes. Un parcoursgéographique promène le visiteur du Nord au Sud du continent, en commençant par l’Afriquedu Nord, puis l’Afrique subsaharienne pour finir avec l’Afrique équatoriale, centrale, australeainsi que madagascar. Un parcours plus thématique est ainsi développé, en investissantles « boites » saillantes de la façade nord, qui est autant d’espaces d’expositionssupplémentaires. Ces espaces plus réduits sont ainsi propices au développement d’unefamille d’objets ou d’un thème comme par exemple la divination.

-Les Amériques : Ce quatrième département propose deux séquences historiques,l’une consacrée à l’Amérique avant les conquêtes et l’autre à la période qui s’étend du

17ème siècle à nos jours, et une séquence transversale. Celle-ci présente la singularité del’objet amérindien

Ces quatre espaces de cohérence sont ensuite reliés par des transversales créant ainsides lieux d’échanges entre les civilisations. Les pièces d’Insulinde et de Polynésie font le lienentre l’Océanie et l’Asie. Un secteur Moyen Orient opère quant à lui un passage entre l’Asieet l’Afrique. La proximité géographique de ces continents permet une sorte de continuitéentre les différentes aires.

Le dialogue des cultures reste ici cantonné à une proximité géographique. La proximitédes œuvres du Moyen Orient et du Maghreb est ainsi cohérente culturellement de partleur proximité géographique. Toutefois des cohérences culturelles existent au-delà d’uneproximité physique.

Des espaces thématiques sont prévus pour souligner les similitudes et constancesqu’évoquent ces objets d’origines variées.

Un espace central appelé la « rivière », longe chacune des zones géographiques.C’est un lieu de circulation et un espace muséographique à part entière. Il propose decomparer les différents types d’organisation de l’habitation dans le monde. Cet espacethématique est délimité par de longs meubles de cuir sinueux, appelé le « serpent ». Il estainsi le support de plusieurs installations multimédias qui proposent au visiteur d’approfondirsa découverte des collections et sa connaissance du monde. Il aménage également desespaces de repos pour le visiteur. Cet espace crée, dans la galerie, un lieu physique quirelie les aires entre elles et symbolise leur unité notamment par rapport à la thématiquede l’organisation des populations. Cette volonté de montrer ce qui lie les peuples de toutel’humanité, les croisements, les problématiques communes est prolongée par la mise enévidence d’espaces thématiques transversaux au travers de la musique et du textile.

- la Tour des instruments de musique, Celle-ci se présente comme une colonne de verrequi laisse apparaître au visiteur la réserve des instruments de musique. L’universalité desformes d’expressions musicales est ainsi mise en avant.

-La transversale des textiles présente des pièces provenant de toutes les parties dumonde. Elle met à l’honneur le riche travail du tissu que l’on retrouve aux quatre coins dumonde.

Les espaces transversaux tentent d’opérer un rapprochement culturel que le choixd’une séparation par aires géographiques ne permet pas forcément. Toutefois ces espacesrestent limités par leur nombre et dans leur portée.

L’esthétique d’un projet culturel, sa mise en forme, a une importance de tout premierordre. C’est par cette traduction matérielle dans le réel qu’est traduite l’identité dont ce projetest porteur. Le musée du Quai Branly veut traduire, par son architecture et sa muséographie,son respect pour la diversité des cultures. Il se veut écrin de cette richesse. Cette volonté se

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traduit par une architecture moderne mais modeste et une mise en scène des expositionsqui favorise l’éclosion du dialogue. Cependant cette représentation de l’ « Autre » reprend,dans son vocable, des conceptions archaïques et les modernise.

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conclusion

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conclusion

La création du musée du Quai Branly, met en œuvre une nouvelle vision du Nous et desAutres.

L’idéal politique traduit par cette nouvelle institution est celui d’une France, soucieusedes Autres et notamment des plus faibles et qui attache une importance particulière à lareconnaissance de la diversité culturelle. Celle-ci est une richesse pour le monde et pourla France. Ce musée constitue ainsi un nouveau signe en provenance de Jacques Chiracen direction des pays en développement avec lesquels il a toujours entretenu des rapportsprivilégiés. L’égalité de statut des cultures du monde doit être symbolisée par cette nouvelleinstitution et nécessite de repenser la manière de les mettre en exposition. La réflexionmenée par Jacques Kerchache, Germain Viatte ou d’autres amène à la conclusion que cettereconnaissance passe par un musée d’art. Un musée qui mette en évidence la présencedu génie humain dans toutes les cultures. L’art serait ainsi un langage universel comprispar les seules émotions.

La traduction de cette reconnaissance devait être proportionnelle à l’attention portéeau projet. Une architecture nouvelle, moderne mais adaptée à l’accueil des œuvres descultures du monde entier a été spécialement conçus pour le nouveau musée. Malgrésa volonté d’afficher un nouveau regard plus respectueux et plus proche des culturesobservées, cette représentation de l’Autre actualise des conceptions archaïques de l’altérité.

La création du musée du Quai Branly se place dans une dynamique culturelle dela France à une période où les identités se brouillent à différents niveaux. Cela estla conséquence de plusieurs phénomènes : mondialisation, construction européenne,montée du régionalisme, retour du communautarisme, émigration…Ce travail culturel surles identités, sous la forme de musées, reflète la prise en compte par le pouvoir politique deces problématiques. Il marque la volonté d’intégrer ces multiples influences dans la mémoirecollective française, afin d’éviter les crispations identitaires.

La philosophie identitaire, comme assignation de caractéristiques figées, empêchede mettre en lumière la part d’autre qui est en nous. L’identité tout comme l’altérité nesont pas des vérités. « La spécificité d’une culture ou d’un individu vient des combinaisoninfinies qui peuvent être produites, des agencements de termes hétérogènes ». Ces motsde Serge Laplantine mettent en évidence la part de diversité des identités, en tant queréalités mouvantes. Il faut ainsi promouvoir un regard moins méfiant envers une altéritéenrichissante et une définition de l’identité moins hermétique. Le musée du Quai Branly,même si l’on peut critiquer la forme de médiation qu’il emploie, s’inscrit dans une volontécompte rendre compte de la diversité des cultures. Il redessine ainsi les contours du Nous,laissant les traits flous et perméables. Il met de l’ « Autre » dans le « Nous ». Un « Nous »qui s’étend vers l’Europe, vers la Méditerranée, vers les anciennes colonies et vers lesnouveaux liens que crée la modernité. La dialectique musée de Soi et musée de l’Autredevient obsolète.

Le musée nous permet de prendre conscience de la part collective de notre identité.Mais le musée du Quai Branly s’inscrit également dans une politique dont le but est demontrer la part d’altérité qui compose notre identité.

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.On peut repérer plusieurs étapes dans la création du musée du Quai Branly. Tout

d’abord vient le temps de conception au cours duquel on mûrie les inspirations qui modèlentle projet. Suit la prise de décision politique qui pérennise la vision qui sera traduite par lemusée. Enfin, vient la troisième étape , celle de la mise en forme de l’identité du projet,passant par le choix d’une esthétique architecturale et muséale. La phase finale dans lecheminement de toute politique culturelle est sa phase d’évaluation. Cette évaluation se faitpar les acteurs eux-mêmes qui jugent de l’impact de leur travail et de la bonne réception dumessage transmis. Elle se traduit aussi par les différents commentaires ou critiques émispar les médias ou les professionnels. Mais cette évaluation se fera surtout par le public.La fréquentation importante du lieu (plus d’un million de visiteurs depuis son ouverture)montre son succès. Cependant l’effet de nouveauté et de curiosité doit être pris en compte.L’adoption de cette nouvelle institution par les français et des conceptions qu’elle traduitdevra s’observer sur le long terme.

Le musée du Quai Branly témoigne aussi de la volonté de réduire l’exclusion qui signifiel’échec d’une politique. Il a l’ambition de mettre en place une politique de médiation endirection de tous. L’objectif est de faire venir au musée un public plus étendu et notammentd’attirer une partie de la population qui ne fréquente pas cette institution. Les thèmesabordés par le musée : la différence, la persistance des traditions, leur adaptation aucontexte moderne, l’échange culturel, et les multiples activités de découvertes proposéessont autant d’incitateurs à l’entrée dans le musée.

La reconnaissance du musée comme lieu d’intégration à la vie collective est unemission importante. L’exclusion d’une certaine partie de la population des politiquesculturelles se traduit par leur isolement. L’incompréhension et le rejet qui l’accompagnentsont les conséquences directes d’un sentiment d’exclusion.

Les problématiques soulevées par la création du musée du Quai Branly illustrentl’importance politique de la formation et de la transmission des identités. Leursreprésentations par la médiation muséale représentent un enjeu majeur des politiquesculturelles.

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Bibliographie

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MAURIES, Patrick : Cabinets de curiosités – Gallimard, Paris, 2002

MAYEROVITCH : Architecture qui nous parle– L’Etincelle, Paris, 1998

NYE, Joseph : Soft Power : the means to sucess in world politics – N.Y. Public Affairs ,2002

PEAN, Pierre : L’inconnu de l’Elysée–Fayard, Paris, 2007

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Manifeste « Les chefs d’œuvres naissent Libres et Egaux », in Libération, 15 mars 1990

« Louvre, la bataille de la 8ème section », in Libération, 15 mars 1990Interview deJacques Chirac, in Le Point, 30 novembre 1996

Articles de revues :

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Propos de Jean Nouvel recueilli par Bertrand Fabre, Dominique Errard et JacquesFranck Degiovanni, in Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment, 9 juin 2006

The (Jean) Nouvel Other Primitivism and the musée du Quai Branly , Natasha RuizGomez,in Modern and Contemporary France, 2007

Compte rendu de colloque:

Jean Tardif, Mondialisation et cultures : enjeux marginaux ou enjeux géoculturels ?Pour une approche stratégique, Colloque Panaméricain, 22-24 avril 2002

Sites Internet :

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Bibliographie

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www.mnhn.fr

www.histoire-immigration.fr

www.musee-europemediterranee.org

www.icom-france.com

Autres sources

Rapport d’activités 2006 du musée du Quai Branly

Programme 2006/2007 et 2007/2008

Dossier de Presse

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ANNEXES :

Annexe 1: Manifeste « Pour que les Chefs d’œuvredu monde entier naissent Libres et Egaux… », publiédans l’édition du jeudi 15 mars 1990 du journalLibération

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ANNEXES :

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Annexe 2 : Allocution de M. Jacques Chirac, Présidentde la République, à l’occasion de l’inauguration duMusée du Quai Branly

Paris - mardi 20 juin 2006Monsieur le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, Mon cher Kofi

ANNAN, merci de votre présence, de ce voyage et de votre volonté d'apporter un hommagedes Nations Unies à notre œuvre, Monsieur le Secrétaire général de l'Organisationinternationale de la francophonie, Cher Abdou DIOUF, Messieurs les Premier ministres, Mesdames et Messieurs les ministres, Mesdames, Messieurs, chers amis,

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Le musée du Quai Branly, construction et représentation des identités par la médiation muséale.

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Et spécialement, vous me permettrez de saluer avec joie et respect la présence deClaude LEVI-STRAUSS. Il est incontestablement l'un des témoignages les plus accomplisde l'intelligence contemporaine, il a apporté beaucoup d'essentiel dans la réflexion qui nousa conduit, notamment, à cette réalisation. Je suis particulièrement heureux que ce théâtreoù nous sommes réunis aujourd'hui porte son nom.

C'est pour moi une grande joie et aussi une grande émotion que d'inaugurer aujourd'hui,avec vous, venus du monde entier, le musée du quai Branly. Je vous remercie trèscordialement d'avoir répondu à mon invitation car c'est, je le crois, un évènement d'unegrande portée culturelle, politique et morale.

Cette nouvelle institution dédiée aux cultures autres sera, pour celles et ceux quila visiteront, une incomparable expérience esthétique en même temps qu'une leçond'humanité indispensable à notre temps.

Alors que le monde voit se mêler les nations, comme jamais dans l'histoire, il étaitnécessaire d'imaginer un lieu original qui rende justice à l'infinie diversité des cultures, unlieu qui manifeste un autre regard sur le génie des peuples et des civilisations d'Afrique,d'Asie, d'Océanie et des Amériques.

Au nom de ce sentiment de respect et de reconnaissance, j'ai décidé en 1998, en pleinaccord avec le Premier ministre, M. Lionel JOSPIN, la création de ce musée. Il s'agissaitpour la France de rendre l'hommage qui leur est dû à des peuples auxquels, au fil des âges,l'histoire a trop souvent fait violence. Peuples brutalisés, exterminés par des conquérantsavides et brutaux. Peuples humiliés et méprisés, auxquels on allait jusqu'à dénier qu'ilseussent une histoire. Peuples aujourd'hui encore souvent marginalisés, fragilisés, menacéspar l'avancée inexorable de la modernité. Peuples qui veulent néanmoins voir leur dignitérestaurée et reconnue.

C'est d'ailleurs dans cet esprit que nous élaborons, à Genève, une déclaration sur lesdroits des peuples autochtones, déclaration à laquelle je sais que le Secrétaire général desNations Unies, M. Kofi ANNAN est particulièrement attaché, de même que mon amie, MmeRigoberta MENCHU TUM, qui participe beaucoup à l'élaboration de cette déclaration. Etc'est dans cet esprit, également que j'avais salué, chère Eliane TOLEDO, l'élection de votremari à la présidence du Pérou, et je vous demande de lui transmettre mes cordiales amitiés.C'est la raison qui m'avait conduit, Monsieur le Premier ministre, cher Paul OKALIK, à merendre en 1999 au Nunavut, avec notre ami Jean CHRETIEN.

Au cœur de notre démarche, il y a le refus de l'ethnocentrisme, de cette prétentiondéraisonnable et inacceptable de l'Occident à porter, en lui seul, le destin de l'humanité.Il y a le rejet de ce faux évolutionnisme qui prétend que certains peuples seraient commefigés à un stade antérieur de l'évolution humaine, que leurs cultures dites "primitives" nevaudraient que comme objets d'étude pour l'ethnologue ou, au mieux, sources d'inspirationpour l'artiste occidental.

Ce sont là des préjugés absurdes et choquants. Ils doivent être combattus. Car iln'existe pas plus de hiérarchie entre les arts et les cultures qu'il n'existe de hiérarchie entreles peuples. C'est d'abord cette conviction, celle de l'égale dignité des cultures du monde,qui fonde le musée du quai Branly.

Je tiens aujourd'hui à rendre hommage à ses inspirateurs, au premier rang desquelsle regretté Jacques KERCHACHE, qui a conçu et voulu ce projet. Avec lui, en 1992, alorsqu'on célébrait de toutes parts le cinquième centenaire de la découverte de l'Amérique,nous avions décidé d'organiser à Paris une grande exposition dédiée aux civilisations desGrandes Antilles, et plus particulièrement aux Indiens tainos d'origine arawak, ce peuple

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qui accueillit Christophe COLOMB sur les rives des Amériques avant d'être anéanti. C'est àJacques KERCHACHE également que nous devons les salles admirables du pavillon desSessions au sein même du musée du Louvre.

Je tiens à remercier très chaleureusement toutes celles et tous ceux qui ont contribuéà la réalisation de ce musée du quai Branly et qui se sont surpassés pour que tout soit prêten temps et en heure.

Jean NOUVEL, Gilles CLEMENT et leurs équipes, qui nous offrent un bâtimentà l'architecture pleinement maîtrisée, empreinte de respect pour le visiteur, pourl'environnement, pour les œuvres et pour les cultures dont elles sont issues.

Germain VIATTE et les conservateurs, dont la superbe présentation muséographiquecroise les parcours et dépasse l'opposition factice entre approche esthétique et approcheethnographique, invitant le visiteur au plaisir de la découverte et de la sensibilité, pour qu'ilouvre son regard et qu'il élargisse son horizon.

Stéphane MARTIN et ses collaborateurs, qui animent cette institution originale etsauront faire d'elle un pôle incontestable d'enseignement, de recherche et de dialogue,un lieu de création contemporaine attestant la vitalité des cultures auxquelles il est dédié.Une vitalité dont témoignent les superbes plafonds aborigènes australiens, et je féliciteencore les artistes. Je remercie aussi chaleureusement les représentants du gouvernementaustralien, qui s'est montré extrêmement dynamique et généreux pour la France.

J'exprime aussi ma profonde gratitude à tous les mécènes qui ont entouré le projet etqui l'ont soutenu avec tant de générosité.

Le musée du quai Branly sera, bien sûr, l'un des plus importants musées dédiés auxarts et civilisations d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et des Amériques, avec une collection deprès de 300 000 objets, parmi lesquels des œuvres exceptionnelles qui peuvent figurer aupremier rang des créations mondiales, comme ce mât héraldique de Colombie britanniqueou la splendide, la superbe sculpture monumentale Djennenke provenant du plateau deBandiagara au Mali.

Mais il est beaucoup plus qu'un musée. En multipliant les points de vue, il ambitionnede restituer, dans toute leur profondeur et leur complexité, les arts et les civilisations de tousces continents. Par là, il veut promouvoir, auprès du public le plus large, un autre regard, plusouvert et plus respectueux, en dissipant les brumes de l'ignorance, de la condescendanceou de l'arrogance qui, dans le passé, ont été si souvent présentes et ont nourri la méfiance,le mépris, le rejet.

Loin des stéréotypes du sauvage ou du primitif, il veut faire comprendre la valeuréminente de ces cultures différentes, parfois englouties, souvent menacées, ces "fleursfragiles de la différence" qu'évoque Claude LEVI STRAUSS et qu'il faut à tout prix préserver.

Car ces peuples, dits "premiers", sont riches d'intelligence, de culture, d'histoire. Ilssont dépositaires de sagesses ancestrales, d'un imaginaire raffiné, peuplé de mythesmerveilleux, de hautes expressions artistiques dont les chefs-d'œuvre n'ont rien à envieraux plus belles productions de l'art occidental.

En montrant qu'il existe d'autres manières d'agir et de penser, d'autres relations entreles êtres, d'autres rapports au monde, le musée du quai Branly célèbre la luxuriante,fascinante et magnifique variété des œuvres de l'homme. Il proclame qu'aucun peuple,aucune nation, aucune civilisation n'épuise ni ne résume le génie humain. Chaque culturel'enrichit de sa part de beauté et de vérité, et c'est seulement dans leurs expressions toujoursrenouvelées que s'entrevoit l'universel qui nous rassemble.

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Cette diversité est un trésor que nous devons plus que jamais préserver. A la faveurde la mondialisation, l'humanité entrevoit, d'un côté, la possibilité de son unité, rêveséculaire des utopistes, devenu aujourd'hui la promesse de notre destin. Mais, dansle même temps, la standardisation gagne du terrain, avec le développement planétairede la loi du marché. Pourtant, qui ne voit qu'une mondialisation qui serait aussi uneuniformisation, ne ferait qu'exacerber les tensions identitaires, au risque d'allumer desincendies meurtriers ? Qui ne sent une nouvelle exigence éthique, face aux questionssi déroutantes que porte le développement rapide des connaissances scientifiques et denos réalisations technologiques ? Alors que nous tâtonnons, à la recherche d'un modèlede développement qui préserve notre environnement, qui ne cherche un autre regard surl'homme et sur la nature ?

Tel est aussi l'enjeu de ce musée. Dresser, face à l'emprise terne et menaçante del'uniformité, la diversité infinie des peuples et des arts. Offrir l'imaginaire, l'inspiration,le rêve contre les tentations du désenchantement. Donner à voir ces interactions, cettecollaboration des cultures, décrite, là encore, par Claude LEVI-STRAUSS, qui ne cessed'entrelacer les fils de l'aventure humaine. Promouvoir, contre l'affrontement des identités etles logiques de l'enfermement et du ghetto, l'exigence du décloisonnement, de l'ouvertureet de la compréhension mutuelle. Rassembler toutes celles et tous ceux qui, à travers lemonde, s'emploient à faire progresser le dialogue des cultures et des civilisations.

Cette ambition, la France l'a pleinement faite sienne. Elle la porte inlassablement dansles enceintes internationales et au cœur des grands problèmes du monde. Elle la porte avecardeur et conviction, car elle est conforme à sa vocation, celle d'une nation de tout tempséprise d'universel mais qui, au fil d'une histoire tumultueuse, a appris la valeur de l'altérité.

Mesdames, Messieurs,Plus que jamais, le destin du monde est là : dans la capacité des peuples à porter les

uns sur les autres un regard instruit, à faire dialoguer leurs différences et leurs cultures pourque, dans son infinie diversité, l'humanité se rassemble autour des valeurs qui l'unissentréellement.

Puisse le visiteur qui franchira les portes du musée de ce quai Branly être saisi parl'émotion et l'émerveillement. Puisse-t-il naître à la conscience de ce savoir irremplaçableet devenir à son tour le porteur de ce message, un message de paix, de tolérance et derespect des autres.

Je vous remercie.|

Annexe 3 : Note d’attention de l’architecte JeanNouvel, pour le concours architectural du musée duQuai Branly

Ces documents sont à consulter sur place au Centre de DocumentationContemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

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Annexe 4 : Extraits du dossier de presse du Musée duQuai Branly

Ces documents sont à consulter sur place au Centre de DocumentationContemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon