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Vendredi 14 juin 2013 - 69 e année - N˚21275 - 1,80 ¤ - France métropolitaine - www.lemonde.fr --- Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directrice : Natalie Nougayrède L a protection du secret des sources n’est pas un privilège des journalistes. C’est la garantie minimale – mais essentielle – d’une presse libre et indé- pendante. Et, pour chaque citoyen, la possibi- lité de faire connaître confidentiellement une situation insupportable, sans subir d’im- médiates mesures de représailles. En cela, la Cour européenne des droits de l’homme est parfaitement fondée à voir dans la protec- tion des sources « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse ». Christiane Taubira, la ministre de la jus- tice, était consciente des limites de la timide loi du 4 janvier 2010 qui posait le principe de la protection des sources des journalistes, mais ne prévoyait aucune peine en cas de vio- lation. Le Monde, parmi d’autres, en a payé le prix : les téléphones de ses journalistes ont été espionnés par le directeur du renseigne- ment intérieur, les procureurs de Nanterre et de Marseille ; et deux juges d’instruction de Lille envisageaient encore, au mois de mai, de requérir les fadettes des journalistes dans l’affaire DSK. M me Taubira a longuement consulté. Elle a requis l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, et a élabo- ré un projet de loi qui assurait un élégant com- promis entre la protection des sources et les exigences de l’ordre public. Ce projet était très proche de la loi belge, un pays qui, en matière de libertés fondamentales, pourrait aisément donner des leçons à la France. Les journalistes, et c’est normal, restent soumis à tous les délits de presse, qu’il s’agis- se de la diffamation, de l’injure, des atteintes à la vie privée ou à la présomption d’innocen- ce. Hélas, sous les pressions conjuguées des ministères de l’intérieur et de la défense, le projet de loi a été essoré par le Conseil d’Etat, en principe défenseur ultime des libertés. Dans sa rédaction actuelle, et si le Parlement n’y met pas bon ordre, l’atteinte au secret des sources sera soumise « aux intérêts fonda- mentaux de la Nation ». Les intérêts de la Nation, c’est naturel, sont vastes, qu’il s’agis- se de la défense, de la diplomatie, « de la for- me républicaine des institutions », mais aussi « de l’équilibre de son milieu naturel », de « son potentiel scientifique » et même de « son patrimoine culturel ». S’inquiéter d’une décision cachée du ministre des affaires étrangères ou de la rouille éventuelle de la tour Eiffel légitime- ra-t-il d’espionner les porteurs de mauvaises nouvelles ? Heureusement, un juge en déci- dera, c’est un acquis qui reste dans la loi. L’ar- bitrage a cependant été une nouvelle fois défavorable à la garde des sceaux, et Christia- ne Taubira a dû s’incliner. François Hollande a salué, mercredi 12 juin, le projet de loi et a considéré qu’il s’agissait « d’un bon équilibre » et « d’un enga- gement tenu qui vient renforcer l’exemplarité de la République ». Mais la France semble déci- dément incapable d’accepter les contre-pou- voirs, qu’il s’agisse de la justice ou de la pres- se. Robert Badinter a dit, fort justement, que « la France n’est pas la patrie des droits de l’homme ; c’est la patrie de la Déclaration des droits de l’homme ». Il est regrettable qu’un gouvernement socialiste le confirme. p LIRE NOS INFORMATIONS PAGE 9 LE PLAN DE JEAN-PIERRE JOUYET POUR LES PME EN FRANCE ÉCO & ENTREPRISE – LIRE PAGE 5 Penone plante ses sculptures à Versailles CULTURE – LIRE PAGE 12 IRAN : LA CHUTE DE MAHMOUD AHMADINEJAD ENQUÊTE – LIRE PAGE 18 Pesticides : les preuves du danger s’accumulent Une grande enquête scientifique internationale, pilotée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, affirme que les pesticides sont impliqués dans le développement de nombre de pathologies lourdes : cancers, maladies du sang, troubles neurologiques et malformations. Ces résultats ont été présentés à l’Assemblée. LIRE PAGE 6 « Je n’aurais manqué un Séminaire pour rien au monde » Philippe Sollers « Lacan annonçait l’éclatement des conformismes, nous y sommes. » Jacques-Alain Miller LE CHAMP FREUDIEN C F Syrie : des armes pour les rebelles ? Alors que la Russie et l’Iran sont militai- rement engagés auprès du régime syrien, la France se dit prête à livrer des armes à l’oppo- sition, qui a subi plusieurs revers. INTERNATIONAL – P. 2 Tunisie : la prison pour les Femen Deux Françaises et une Allemande ont été condamnées à quatre mois de pri- son pour « atteinte aux bonnes mœurs ». La France a déploré « la sévéri- té » de la peine. INTERNATIONAL – P. 4 Retraites : la réforme divise la gauche De plus en plus d’élus socialistes s’inquiètent des retombées dans l’opinion des propo- sitions du rapport Moreau. Le Front de gauche mobilise contre la réforme. POLITIQUE –P. 7 ÉDITORIAL L’onde de choc de l’affaire Tapie AUJOURD’HUI PLANÈTE LE MONDE DES LIVRES Le dialogue ambigu entre le journaliste et l’assassin Secret des sources des journalistes : la reculade a Emmanuel Carrère s’enthousiasme pour le livre de Janet Malcolm sur une affaire criminelle aux Etats-Unis. Lire aussi le témoignage de Florence Aubenas LE REGARD DE PLANTU LA FRANCE PRÊTE AU VETO AU NOM DE L’EXCEPTION CULTURELLE t M.Hollande veut exclure l’audiovisuel des négociations de libre-échange avec Washington. Faute d’accord, la Commission n’aura pas de mandat vendredi pour discuter avec les Américains CAHIER ÉCO L’actrice Bérénice Bejo et le réalisateur Costa-Gavras au Parlement européen, mardi 11 juin, à Strasbourg. FREDERICK FLORIN/AFP t L’Elysée a pris la décision de contester en justice l’arbitrage favorable à Bernard Tapie t Après les mises en examen de Stéphane Richard et de Jean-François Rocchi, les juges se rapprochent de l’entourage de Nicolas Sarkozy t L’Etat s’interroge sur le maintien de M. Richard à la tête d’Orange, tandis que syndicats et salariés défendent leur PDG LIRE PAGE 8

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Vendredi 14 juin 2013 - 69e année - N˚21275 - 1,80 ¤ - Francemétropolitaine - www.lemonde.fr --- Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directrice: Natalie Nougayrède

La protection du secret des sourcesn’estpasunprivilègedes journalistes.C’est la garantie minimale – maisessentielle–d’unepresse libre et indé-

pendante.Et,pourchaquecitoyen, lapossibi-lité de faire connaître confidentiellementunesituationinsupportable,sanssubird’im-médiatesmesures de représailles. En cela, laCour européenne des droits de l’homme estparfaitement fondée à voir dans la protec-tiondes sources« l’unedespierres angulairesde la liberté de la presse».

Christiane Taubira, la ministre de la jus-tice, était consciente des limites de la timideloidu4janvier 2010quiposait leprincipedela protection des sources des journalistes,maisneprévoyaitaucunepeineencasdevio-lation.LeMonde, parmid’autres, enapayé leprix : les téléphones de ses journalistes ontété espionnés par le directeur du renseigne-ment intérieur, les procureurs de Nanterreet de Marseille ; et deux juges d’instruction

de Lille envisageaient encore, au mois demai, de requérir les fadettes des journalistesdans l’affaire DSK.

Mme Taubira a longuement consulté. Elle arequis l’avis de la Commission nationaleconsultativedesdroitsdel’homme,etaélabo-réunprojetdeloiquiassuraitunélégantcom-promis entre la protection des sources et lesexigences de l’ordre public. Ce projet étaittrès proche de la loi belge, un pays qui, enmatière de libertés fondamentales, pourraitaisémentdonnerdes leçons à la France.

Les journalistes, et c’est normal, restentsoumis à tous les délits de presse, qu’il s’agis-se de la diffamation, de l’injure, des atteintesà lavieprivéeouà laprésomptiond’innocen-ce. Hélas, sous les pressions conjuguées desministères de l’intérieur et de la défense, leprojetde loi a été essorépar le Conseil d’Etat,en principe défenseur ultime des libertés.Dans sa rédactionactuelle, et si le Parlementn’ymetpasbonordre, l’atteinteausecretdessources sera soumise «aux intérêts fonda-mentaux de la Nation». Les intérêts de laNation, c’est naturel, sont vastes, qu’il s’agis-se de la défense, de la diplomatie, «de la for-

merépublicainedes institutions»,maisaussi«de l’équilibre de son milieu naturel », de« son potentiel scientifique» et même de«son patrimoine culturel».

S’inquiéter d’une décision cachée duministre des affaires étrangères ou de larouille éventuelle de la tour Eiffel légitime-ra-t-il d’espionner lesporteursdemauvaisesnouvelles? Heureusement, un juge en déci-dera, c’estunacquisqui restedans la loi. L’ar-bitrage a cependant été une nouvelle foisdéfavorableà lagardedessceaux,etChristia-ne Taubira a dû s’incliner.

François Hollande a salué, mercredi12 juin, le projet de loi et a considéré qu’ils’agissait«d’unbonéquilibre»et«d’unenga-gement tenuqui vient renforcer l’exemplaritédelaRépublique».MaislaFrancesembledéci-dément incapable d’accepter les contre-pou-voirs, qu’il s’agisse de la justice ou de la pres-se. Robert Badinter a dit, fort justement, que« la France n’est pas la patrie des droits del’homme; c’est la patrie de la Déclaration desdroits de l’homme». Il est regrettable qu’ungouvernement socialiste le confirme.p

LIRENOS INFORMATIONS PAGE9

LE PLAN DE JEAN-PIERRE JOUYETPOUR LES PME EN FRANCEÉCO& ENTREPRISE – LIRE PAGE 5

PenoneplantesessculpturesàVersaillesCULTURE –LIRE PAGE 12

IRAN : LA CHUTE DEMAHMOUD AHMADINEJADENQUÊTE – LIRE PAGE 18

Pesticides: lespreuvesdudanger s’accumulentUnegrandeenquête scientifiqueinternationale,pilotéeparl’Institutnationalde la santéetde la recherchemédicale, affirmeque lespesticides sont impliquésdans ledéveloppementdenombredepathologies lourdes:cancers,maladiesdu sang,troublesneurologiquesetmalformations.Ces résultatsontétéprésentésà l’Assemblée.LIREPAGE6

« Je n’aurais manqué un Séminairepour rien au monde »

Philippe Sollers

« Lacan annonçait l’éclatementdes conformismes, nous y sommes. »

Jacques-Alain Miller

LE CHAMP FREUDIEN

CF

Syrie : desarmespourles rebelles ?Alorsque laRussieet l’Iransontmilitai-rementengagésauprèsdurégimesyrien, la Franceseditprêteà livrerdesarmesà l’oppo-sition,quiasubiplusieursrevers.INTERNATIONAL–P. 2

Tunisie:la prison pourles FemenDeuxFrançaisesetuneAllemandeontétécondamnéesàquatremoisdepri-sonpour «atteinteauxbonnesmœurs». LaFranceadéploré«la sévéri-té»de lapeine.INTERNATIONAL–P. 4

Retraites: laréformedivisela gaucheDeplusenplusd’élussocialistess’inquiètentdesretombéesdansl’opiniondespropo-sitionsdurapportMoreau.LeFrontdegauchemobilisecontre la réforme.POLITIQUE–P. 7

ÉDITORIAL

L’ondedechocdel’affaireTapie

AUJOURD’HUI

PLANÈTE

LE MONDE DES LIVRESLedialogueambiguentrele journalisteet l’assassin

Secretdes sourcesdes journalistes: la reculade

a Emmanuel Carrère s’enthousiasme pour le livre deJanetMalcolm sur une affaire criminelle aux Etats-Unis.Lire aussi le témoignage de Florence Aubenas

LE REGARD DE PLANTU

LAFRANCEPRÊTEAUVETOAUNOMDEL’EXCEPTIONCULTURELLEtM.Hollandeveutexclurel’audiovisueldesnégociationsdelibre-échangeavecWashington.Fauted’accord,laCommissionn’aurapasdemandatvendredipourdiscuteraveclesAméricainsCAHIERÉCO

L’actrice Bérénice Bejoet le réalisateurCosta-Gavras auParlement européen,mardi 11 juin,à Strasbourg.FREDERICK FLORIN/AFP

tL’Elysée apris ladécisionde contester en justicel’arbitrage favorable àBernardTapie

tAprès lesmises enexamendeStéphaneRichardetde Jean-François Rocchi, les juges se rapprochentde l’entouragedeNicolas Sarkozy

tL’Etat s’interroge sur lemaintiendeM.Richardà la têted’Orange, tandisque syndicats et salariésdéfendent leurPDGLIRE PAGE8

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Des combattants rebelles en embuscade dans le quartier de Jobar àDamas, non loin de la place des Abbassides, le 7avril. LAURENT VAN DER STOCK POUR «LE MONDE»

La France envisage de livrerdes armes à la rébellionsyriennepour éviter un écra-

sementmilitaire des forces hosti-les au régime de Bachar Al-Assadqui ruinerait définitivement leschancesd’amener lesdeuxpartiesautour de la table des négocia-tions, lors d’une conférence inter-nationale que les pays occiden-tauxtententd’organiseràGenève,en juillet.

Jusque-làhésitantàs’impliquerdavantage auprès de la résistancesyrienne en raison, notamment,desesnombreusesdivisions,Parisa décidé d’infléchir sa position auvude ladégradationdurapportdeforces sur le terrain. La prise de laville de Qoussair, une place fortede la rébellion, le 5 juin, par l’ar-méerégulière, fortementappuyéepar le Hezbollah libanais pro-ira-nien, amarquéun tournant.

«Il y a des conséquences à tirerdecequis’estpasséàQoussairetdece qui se profile à Alep», a déclaré,mardi 11 juin, Philippe Lalliot, por-te-paroleduQuai d’Orsay, en réfé-renceàlavilledunorddupays,bas-tion de l’opposition, vers laquelleferait route l’armée syrienne. «Lapremière conséquence, a-t-il pour-suivi,c’estque laFrancedoit resser-rer ses liens déjà très étroits avec laCoalition [principale composantede l’opposition] et avec sa structu-re militaire. » Il a précisé que lesautorités françaises auront des«contacts», samedi, avec le géné-ral Salim Idriss, qui dirige l’Arméesyrienne libre (ASL). Selon un pro-che du dossier, des «opération-nels» français, britanniques etaméricains participeront à cetterencontre. «La discussion porterasur la façonde rééquilibrer, dans ledur, le rapport de forces», précisecette source.

Cette inflexion de la positionfrançaise est dictéepar les circons-tances,asoulignéM.Lalliot.«Nousavons toujours rappeléqu’il yavaitunlienentrelesévolutionssurleter-rainet la tenuede la conférence [deGenève]. Pour que les parties puis-sent négocier, il ne faut pas qu’il yen ait une qui soit en position detrop grande faiblesse ou l’autre enposition de trop grande force.» Etde préciser: «La question qui nousest posée est celle d’aller un cranplus loin et de livrer desarmes.»

La question a été évoquée cesjours-ci, selon plusieurs sources

diplomatiques françaises concor-dantes, qui confirment que Parisenvisagede livrerdes armesà l’op-position syrienne. Le sujet a été aucœur d’intenses consultationsdiplomatiques depuis le début dela semaine. Le ministre françaisdes affaires étrangères, LaurentFabius, l’a évoqué, mardi au télé-phone, avec ses homologues amé-ricain, britannique et turc. Laveille, il avait reçu, à Paris, le chefde la diplomatie saoudienne ainsiquelepatrondesservicesderensei-gnementsduroyaumewahhabite,particulièrement inquiet de l’in-fluencegrandissantedel’Irandansla région à la faveur de la crise

syrienne. Le sensdeces entretiens,rapporteundiplomate,«aétéd’en-courager les pays qui livrent déjàdes armes aux opposants, à savoirl’Arabiesaoudite, leQataret laTur-quie, de continuer à le faire pourrépondreà l’appel au secours lancépar le général Idriss».

Cette urgence diplomatique estaussi dictéepar la crainte de l’Iran.«Derrièrelaquestionsyrienne,ilyala question iranienne», a déclaréM.Fabius, mercredi sur France 2.«Si l’on n’est pas capable d’empê-cher l’Irandeprendre lamainsur laSyrie, a-t-il affirmé,quelle crédibili-té aura-t-on en exigeant qu’ellen’ait pas l’armeatomique?»

LabatailledeQoussairadémon-tré que « le régime de Bachar nepeutsemaintenirsansl’appuimas-sifdesIraniens», souligneundiplo-mate.UntelenracinementdeTéhé-ran fait redouter un bouleverse-mentde l’équilibredes forcesdansla régionqui inquiète auplushautpoint lesvoisins turcset israéliens.Il risqueaussidedéstabiliserenco-re davantage le Liban et ne pourralaisser indifférent les Saoudiens,ni leurprincipal allié américain.

A Washington, les conseillersdu président pour la sécurité sesontréunis,mercredi,pourexami-ner la crise syrienne. Le secrétaired’Etat, John Kerry, a annulé undéplacement au Proche-Orientpoury assister et a également ren-contré son homologue britanni-que, William Hague. Sur la ques-tion des livraisons d’armes, « lesEtats-Unis sont en réflexion, plusqu’ilyahuitjours», relèveundiplo-mate français.

Cette accélération du débat surles livraisonsd’armesmarqueuneévolution par rapport aux posi-tions prudentes défendues jus-qu’à présent par les pays occiden-taux. Alors que la Russie et l’Iransontouvertementengagésmilitai-rement auprès du régime syrien,Washington,LondresetParishési-tent sur lamarche à suivre depuisdeux ans, redoutant de s’impli-quer dans un autre conflit aprèsles interventions en Afghanistan,en Irak et enLibye.

Toutefois, l’urgence sur le ter-rainpousseàunerévisiondesposi-tions. «Aujourd’hui, l’alternativeest claire, souligne un diplomate

dehaut rang: soiton laisse tomber,soit on aide l’opposition sur le ter-rain pour ne pas avoir à intervenirdans une situation de plus en pluscomplexe.»

Même si la Francemultiplie lessignauxoffensifsdepuisquelquesjours, ellen’a toutefoispas franchile pas en annonçant ouvertementdes livraisons d’armes à la rébel-lion syrienne. M.Fabius a répété,

mercredi, lapositiondéfendueparParis depuis la levée de l’embargoeuropéensurlesexportationsd’ar-mesvers laSyrie, le27maiàBruxel-les :«Ilnousfautrespecter larégle-mentationeuropéennequi dit quec’est à partir du 1er août que desarmes puissantes peuvent êtredonnées. Pour le moment,nousn’avonspas encore décidé.»

Orl’interprétationdeladéclara-tionduConseileuropéenestsujet-te à caution. Les Britanniques, quiont poussé avec la France pour lalevéedel’embargo,ontclairementfait comprendre que ce texte lesautorise, s’ils le souhaitent, à pro-céder à des livraisonsd’armes.«Letexte est limpide: si on veut livrer,on peut», insiste un acteur fran-çais dudossier.

Ces hésitations de langage – onlève l’embargo, on dit qu’il esturgent d’aider l’opposition, maison ne fait rien avant le 1er août –visent, à en croire une source bieninformée, à démontrer au régimesyrienque«toutes les options sontsur la table», selon l’expressiondeLaurent Fabius.

Quoi qu’il en soit, «seule unelivraison massive d’armes pour-rait, à ce stade, faire pencher labalance en faveur de l’opposi-tion», insisteundiplomate.«Maispour cela, dit-il, il faudrait le feuvert des Etats-Unis, seuls capablesd’orchestrer une telle opération.Or, pour le moment, c’est loind’être acquis.»p

Yves-MichelRiols

L’inexorablemilitarisationde l’insurrection syrienne

international

«Ilyadesconséquencesàtirerdecequis’estpasséàQoussairetdecequiseprofileàAlep»

Philippe Lalliotporte-parole duQuai d’Orsay

30avril 2011Assaut contreDeraa, berceaudu soulèvementpacifique syrien.

30juillet 2011Création del’Armée syrienne libre (ASL).

29février 2012AHoms, premiè-re bataille d’importance entrel’ASL et l’armée régulière.

12avril Entrée en vigueur etéchecdu cessez-le-feu de l’ONU.

21juilletOffensive rebelle à Alep.

27mai 2013 Levée de l’embargode l’UE sur les armes àdestina-tions de l’opposition.

5juinChute deQoussair.

UNEMBONPOINTmarqué, depetites lunettes cerclées, une finemoustacheet un chapelet qui nequittepas sesmains: le généralSalim Idriss, commandantde l’Ar-mée syrienne libre (ASL), n’a pasexactement l’allure d’un chef deguerre. Il est pourtant la chevilleouvrière, côté syrien, des plans àl’étudedansplusieurs capitalesoccidentales, visant à livrer desarmesà l’insurrectionanti-Assad.Dans l’hypothèseoù les autoritésfrançaises, enpointe dans cetteréflexion, iraient aubout de leursintentions, c’est dans lesmains dece sunnite de 54 ans, natifd’Homs,que les premières cargai-sons arriveraient.

Affablemais sans grandcharis-me, l’hommea sugagner laconfianceduQuai d’Orsaypar sonsérieux, samodérationpolitique,sonallégeanceà laCoalitionnatio-nale syrienne, la principale com-

posantede l’oppositionet sonréseaude relations au seinde larébellion.«Cen’est pas du tout legenreRiyadAl-Assad [le fondateurde l’ASL]qui ne quittait pas sa ten-te enTurquie,dit-ondans l’entou-ragede Laurent Fabius, leminis-tre français des affaires étrangè-res. Il a de vrais contacts sur le ter-rain et il s’y rend régulièrement.»

Elu endécembre2012 à la têtedu conseilmilitaire suprêmedel’ASL, Idriss, ancienprofesseurd’électroniqueà l’académiemili-taired’Alep, qui a fait défectionsixmoisplus tôt, n’est pas dupede son titre. Il reconnaît le pre-mier qu’il n’a pas lesmoyensdecommander réellement à cettearméede fortune, composéedecivils à plus de 80%, quimanqued’àpeuprès tout, à commencerpardes armes depointe, desmunitionset desmoyensde com-munication.«Je parle avecmes

hommespar Skypeoupar porta-ble car les talkies-walkies que l’onnous a livrés ne fonctionnentpassur les longues distances, racon-tait-il en février, sur un ton amer,lors d’une rencontredans unhôtel d’Istanbul.Mon rôle consisteà coordonner, davantagequ’àdon-ner des ordres.»

Encontact très étroit avec EricChevallier, l’ancienambassadeurde France àDamas et sonhomolo-gue américain, Robert Ford, SalimIdriss tente de les convaincredepuisdesmois de sa capacité àréduire auminimumles risquesliés à unafflux sur le territoiresyriend’armesplus sophistiquéesque les kalachnikovset les lance-roquettesRPG, lemaigre arsenaldes troupiers de la révolution.

Il a élaboré en leur compagnieune cartographiedes groupesrebelles, censée éviter une répéti-tiondu scénario afghan, à savoir

la livraisondemissiles sol-air àdes groupesdjihadistes, suscepti-bles de les retourner, une fois laguerre finie, contre les intérêtsoccidentauxdans la région,notamment Israël. La traçabilitéd’un tel armement a été testée àblanc, lors de l’acheminementdematériel non létal, commedeskitsmédicauxet des rationshalal,jusqu’àdes combattantsde l’ASL.

Le précédent deDeraa«Ne recevrontdesarmesque les

katibas [brigades]biengérées, diri-géespard’anciensofficiersde l’ar-mée syrienneet sansmarquagepolitique,de façonà simplifier ledésarmementd’après-guerre»,jureFahadAl-Masri,porte-paroleàParisde l’ASL. Ceplan s’inspiredel’expériencemenéedepuisplu-sieursmois sur le frontsud, autourdeDeraa,oùplusieursunités, cha-peautéespardesdéserteursbien

connuspour leursopinions libéra-les, ont reçudes armescroates,financéespar l’Arabie saoudite.

«Alors qu’il ne s’agissaitpasd’unarsenal sophistiqué, ces livrai-sonsonteuuneffet spectaculaire,fait remarquer l’universitaireTho-masPierret, spécialistede la Syrie.Enquelquesmois, les insurgésontgagnéduterrain, alorsque larégiondeDeraa,du faitde sonrelief trèsplat etde saproximitéavec lacapitale, ne leurestpas favo-rable.»Endépitde la contre-offen-sivedes forcesgouvernementales,quiontpurouvrir la routeDamas-Deraa,momentanémentcoupée,les insurgéscontinuentà avancer,commel’aprouvé la récenteprisededeux localités, Inkhil etBosra,passée inaperçuedans la chutedeQoussair, laplace fortede la rébel-lion, conquisepar leHezbollah.

Selonune source bien infor-mée, Riyad, qui s’impose comme

lenouveaupatronarabede l’oppo-sition syrienne, audétrimentduQatar, entend répéter cette expé-riencedans lenord dupays, avecou sans le soutiende ses partenai-res occidentaux. La perspectived’uneentrée desmiliciens chiitesduHezbollahàAlep, dans l’hypo-thèsed’unassaut des forces pro-régimecontre la deuxièmevilledupays, fait frémir le royaumesaoudien, chef de file du campsunnite.

Parallèlement,Riyadréfléchit àune refonteduconseilmilitairesuprême,de façonàyattirerunplusgrandnombrededéserteurs,notammentdesalaouites, la com-munautédontest issu le clanAssad.Pour faciliter leurbascule-ment, le général Idrisspourraitcédersaplaceàunautreofficier,jouissantd’uneplusgrandeauraauprèsdesespairs.p

BenjaminBarthe

LaFranceenvisaged’armerlesrebellessyriensLesOccidentauxs’inquiètentdupoidscroissantde l’IranetduHezbollahaucôtédurégimedeBacharAl-Assad

SalimIdriss, legénéraldel’ASLquipourraitréceptionnerlesarmesoccidentales

2 0123Vendredi 14 juin 2013

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international& europe

Unpartisan dumaire de Téhéran,Mohammad Bagher Ghalibaf, candidat conservateur à l’électiondu 14juin, brandit une affiche de son favori, le 11 juin, dans une rue de Téhéran. EBRAHIM NOROOZI/AP

Aquelquesheuresde l’ouver-ture des bureaux de votepourl’électionprésidentiel-

le du 14 juin, l’inquiétude avaitchangédecamp.AprèsleretraitdeMohammedRezaAref, seulvérita-ble candidat réformateur, enfaveurdeHassanRohani, leschan-ces de ce religieux modéré, quimilite pour une détente avec l’Oc-cident, d’accéder à un éventuelsecond tour ont nettement crû.

Lecampconservateur, lui, restedivisé entre trois principales per-sonnalités, dont aucunen’a vouluse désister. Il s’agit d’Ali-AkbarVelayati,ancienministredesaffai-res étrangères et conseiller diplo-matique du Guide suprême AliKhamenei, du maire de Téhéran,Mohammad Bagher Ghalibaf, etdu négociateur en chef sur le déli-cat dossier nucléaire, Saïd Jalili. Lecinquième candidat, MohsenRezaie, un ancien chef d’état-major des pasdarans (gardiens dela révolution), l’armée d’élite durégime, est considéré comme unoutsider. Tandis que le sixième,Mohammed Gharazi, inconnu dugrand public, n’a aucune chancede figurer à un second tour.

«On attend désormais des can-didats conservateurs qu’ils s’as-soient ensemble, sans perdre detemps, et choisissent l’un d’entreeux comme le candidat du campconservateur», avait écrit HosseinShariatmadari,directeurduquoti-dien ultraconservateur Kayhan,après le retrait, mardi, de M.Aref.Un autre religieux conservateur,l’hodjatoleslam Hossein Ebrahi-mi, a prévenu qu’en «cas de désu-nion, il y aura un second tour dontl’issue n’est pas certaine (…), alorsque si les conservateurs s’unissent,ils peuvent l’emporter dès le pre-mier tour».

Mais aucun des trois candidatsconservateurs restant n’a vouluentendre raison. Ils ont tenu toustroismeetingmercredisoiràTéhé-ran, alors que la campagne doits’arrêter jeudimatin,vingt-quatreheures avant le scrutin. Chacundes trois estime avoir de bonneschances de l’emporter. «Malgrétoutes les rumeurs, je resterai dansla course jusqu’à la fin», a assuréM.Velayati, principale cible desappels au désistement. «Il resterajusqu’auboutetnefaitespasatten-tion aux sondages», a renchéri AliBagheri, directeur de campagnede M. Jalili, longtemps présenté

comme le favori mais en perte devitessedepuis leweek-end.

L’une des rares études d’opi-nion, réaliséepar l’agenceMehr etdont la fiabilité reste très sujette àcaution, donne M.Ghalibaf entête,devantM.RohanipuisM. Jali-li. La participation est estimée parle sondage à 77%.

VoilàquidevraitrassurerleGui-desuprême,quiaprisunenouvel-lefois laparolemercredipourinci-ter les Iraniensàvoter :«Si j’insistepouruneprésencemassivedes Ira-niens à l’élection, c’est parce quecelavadécouragerlesennemis,quivont réduire la pression [dessanctions] et choisir une autrevoie», a déclaré Ali Khamenei, quiest le véritable chef de l’Etat ira-nien et concentre la majeure par-tie despouvoirs entre sesmains.

Le Guide veut faire de ces élec-tionsuneopérationderelégitima-tion du régime, largement discré-dité par les fraudesmassives pré-sumées de 2009 et par la répres-sion des manifestations quiavaient suivi. Dans cette optique,unsecondtourne ferait quecrédi-biliserunscrutindontontétéécar-tés les deux candidats les plusincontrôlables pour le pouvoir :Akbar Hachémi Rafsandjani etEsfandiar RahimMashaie.

Si « l’ingénierie électorale »

veillera à obtenir la participationet même le résultat souhaité parM.Khamenei, cette campagneélectorale illustre aussi combienle numéro un iranien a du mal àdominer les appétits et les ego desonproprecamp.Chacundestrois

candidatsconservateurs–ou«pin-cipalistes» – est considéré commeprocheduGuide,mais celan’apasempêchédeviolentsdifférendsdesemanifester. LeprincipalopposeMM. Velayati et Jalili. Le premierpromet le «développement desrelations» avec les pays étrangers,notamment une diplomatie plussouple avec les grandes puissan-ces sur le dossier nucléaire afin deréduire les sanctions économi-ques imposées à l’Iran. Des docu-ments issus de la Banque centrale,rendus publics mercredi à Parispar l’opposant en exil Amir Hos-sein Jahanshahi, le fondateur dumouvement d’opposition la

Vagueverte, révèlentunpays «aubord de la faillite», où le chômagesemonte à 25% (près de 39% chezlesmoins de 30 ans).

Aucontraire,M.Jaliliprôneuneligne de « résistance» face aux«ennemis»de l’Iran. «Mort à ceuxqui prônent le compromis», a criéla foule lors de ses meetings.M.Ghalibaf s’est prudemmenttenu à l’écart de ce débat, préfé-rant se concentrer sur le redresse-ment à venir de l’économie.

Grâce à cette campagne électo-rale, le but des Occidentaux estatteint : le programme nucléaire,ou tout au moins la stratégie denégociation, est devenu un sujetde débat national. Reste à savoirsi le résultatdesélectionschange-ra quoi que ce soit. Non, a répon-du récemment le ministre desaffairesétrangèresAli-AkbarSale-hi, qui sait pertinemment que leseul décideur en lamatière est AliKhamenei. Même appréciationdu premier ministre israélien,BenyaminNétanyahou,quiaesti-mé, mercredi à Varsovie, que lesélections n’apporteraient«aucun changement» car « il yaura toujours un seul homme aupouvoir, cherchant la puissancenucléaire ». Pour une fois, ilsétaient d’accord.p

ChristopheAyad

Lesderniersfeuxdelacampagnesontnumériques

Unjour, lorsqu’elleseragran-de, si la médecine la sauve,Belmina Ibrisevic appren-

dra qu’elle fut une étincelle. On luidira qu’en cemois de juin son sortavait poussé des milliers de Bos-niens dans la rue. Des Bosniensmusulmans,serbesetcroates,dansune unanimité ethnique sans pré-cédent, en colère contre leurs élusqui se révèlent incapables derégler, depuis quatremois, unpro-blème élémentaire: l’enregistre-ment administratif des nouveau-nés. Belmina, 3 mois, est malade.Elledevaitêtre transportéeenAlle-magne pour y bénéficier d’unetransplantation vitale. Mais com-ment faire sanspasseport?

Depuisle12février,lesnouveau-nés ne peuvent plus obtenir denuméro d’immatriculation admi-nistratif. Sans cela, pas de sécuritésociale ni de passeport. La Courconstitutionnelleaeneffetsuspen-du la loi sur cet enregistrement.Depuis, les députésont été incapa-bles de s’entendre sur un textealternatif, le conseil des ministressecontentantd’adopterunemesu-re temporaire pour cent quatre-vingts jours, mercredi 5 juin. Lesmanifestants réclamant une solu-tiondurabled’ici au 30juin.

LadécisiondelaCourétaitmoti-véeparun litigesur ledoublenomdescommunessituéesenRepubli-ka Srpska. La République serbe estl’unedesdeuxentitésde laBosnie,avec la Fédération croato-musul-mane, depuis les accords de Day-tonen1995.Cettearchitecturepoli-tique a assuré la paix, mais sonprix est une paralysie politiquequasi permanente. La RepublikaSrpska, dirigée parMiloradDodik,cherche à se soustraire à l’autoritédeSarajevo, alors que le centre lui-mêmeestaffaibliparunearchitec-ture institutionnelle incohérente.

Enquelquesjours,l’affaireBelmi-naaprovoquéuneéruptionderagecivique inattendue via les réseauxsociaux, nullement organisée pardes partis, avec unmimétismeévi-dentdesévénementsd’Istanbul.

Le6juin, à Sarajevo, le bâtimentdu Parlement a été bloqué par la

foule. Les députés, ainsi que 350investisseurs étrangers partici-pant à une conférence organiséeparlaBanquecentrale,ontétérete-nus sans violences, jusqu’à 4heu-res du matin. Les élus serbes ontprétenduqu’ilsétaientvisés, cequiest faux, et qu’ils n’étaient plus ensécuritéà Sarajevo.

«Sans coups de feu ni alcool»Lehautreprésentantinternatio-

nal,Valentin Inzko, adû interveniren médiateur. «C’est ridicule dedirequ’uneethnieétait ciblée, dit-ilauMonde. Il y avait des banquiersvenus d’Autriche, d’Allemagne, deTurquie, mais le groupe le plusimportant était les Bosniens. Cemouvement très pacifique, sanscoups de feu ni alcool, est une trèsbonnechosepour l’imagede laBos-nie.Ça faitquatreansque je suis ici,et le niveau de frustration dans lapopulationetlacommunautéinter-nationale n’a jamais été aussifort.La Serbie et la Croatie avan-cent, alors qu’ici ils n’arrivent pas àrésoudredesquestionsaussiéviden-tesque l’enregistrement.»

Ils étaient de nouveau près de10000, mardi 11 juin à Sarajevo, àprotester contre l’incurie des élus,leur demandant de baisser leursalaire de 30%et de créer un fondsspécial pour soigner les enfants àl’étranger. Ils ont appelé leurmou-vement Bebolucija, mélange debeba («bébé») et de revolucija. Lesrevendications sociales ont émer-gé dans un pays en manque crueld’investissements, dont le taux dechômage atteint 46%. Enmars, leshabitants de Drvar, dans l’Ouest,ontorganisélesfunéraillessymbo-liquesdeleurvilleaprèslafermetu-re de la dernière entreprise, quiemployait 300 salariés. Le chôma-gey estde80%.

Ces derniers jours, des rassem-blements ont aussi eu lieu en pro-vince.ABanja Luka, enRépubliqueserbe, près de 2000 étudiants ontmanifestémercredipour réclamerla construction d’une résidenceuniversitaire et la baisse du coûtdesétudes.p

Piotr Smolar

MouvementdecolèreinéditenBosnieLecasd’unbébégravementmaladeetprivédepasseportaenflammél’opinionpublique

L’unedesraresétudesd’opinion,réaliséeparl’agenceMehr,donneM.Ghalibafentête,devantM.Rohani

puisM.Jalili

EnIran, laprésidentielleexposelesdivisionsdanslecampconservateurLastratégiedenégociationsur leprogrammenucléairede laRépublique islamiqueestaucentredesdésaccordsentre lescandidats supposésprochesduGuidesuprême

LESÉBOUEURS iraniens sontentrés en action jeudi 13 juin, à8heures dumatin, pour arracherdans tout le pays les affiches élec-torales et balayer les tracts. Lacampagneprésidentielle a atteintle délai légal de sa clôture. Les der-niersmeetingsont eu lieu la veilledans la capitale et la ville saintedeMachhad (nord-est). Ces tra-vailleursde rue, souventd’origineafghane,pourraientbienavoir ter-miné avantmidi, tant cette cam-pagne fut amorpheet discrètedans l’espace public, en comparai-sonde celle qui a vu la réélectiondouteuseduprésidentMahmoudAhmadinejad, en juin2009, dès lepremier tour.

Les éboueursduNet, eux,auraientdavantagede travail. Carles Iraniensont été nombreuxàréussir à contourner la censure età s’accommoderdu ralentisse-ment intentionnelde laconnexionà Internet par le gou-vernementpour faire tout demêmecampagneen ligne.Onesti-meque45millionsd’Iraniens (sur77millions) ont unaccès à Inter-net – c’est le pays le plus connectéauProche-Orient.

«Nonau régimedes généraux!Nonà l’implicationde l’armée

dans les affaires économiques etpolitiques! J’utiliserai lamoindrefenêtre quime sera offerte», écritFarzad sur sa page Facebook. Il ditvoterpourHassanRohani, le can-didat soutenupar les réforma-teurs. Ali va fairedemême, pourune raisondifférente: «Je voteraiRohani, car notre abstentionnepeut rien changer, alors quenotreprésence, si. Votonspour le candi-dat le plus éloigné des politiquesdésastreuses et antipatriotiques,c’est un acte de contestation.»

Certains sont plushésitants,commeFatemeh, qui soupèsedepuisdes semaines les avanta-ges duboycottageoude la partici-pation. Finalement,mercredi,deux jours avant le vote, elle s’estdécidée.«Je voterai pour accompa-gnermes amis, pour cette volonté,ce consensusnés dans le but dechanger la situationdupays, expli-que-t-elle sur sa page Facebook. Jevotepour ceuxqui,malgré la pri-son et les souffrances, se sont déci-dés à participer [à laprésidentielle].»Elle amêmeenle-vé la photode sonprofil, rempla-céeparun fondvert sur lequel estécrit enpersan: «Je vote». Le vert,couleurdumouvementde contes-tationde 2009violemment répri-

mé. Fatemeh s’interroge tout demêmesurunpoint: «Notreparti-cipation sera-t-elle efficace?», fai-sant allusion à la fraudeélectoraleprésumée lors de la dernière élec-tionprésidentielle.

«Je ne voterai pas»Parmi les électeurs en2009de

MirHosseinMoussavi etMehdiKaroubi, les deux candidats réfor-mateurs aujourd’huimalades etassignésà résidencedepuis plusdedeuxans, nombreux sont ceuxqui se posent lamêmequestion.Les plus sceptiquesprônentunboycottage.«Monvote ne feraitquedonner de la légitimité à cerégime. Je ne voterai pas», expli-que Satar, sur sa page Facebook.

Les partisansdes candidatsconservateurs sont égalementnombreuxà semobiliser sur laToile.«Je voterai pour[MohammadBagher]Ghalibaf,parce qu’il est parti au front à19ans [lors de la guerre Iran-Irakdes années 1980],alors qu’il auraitpu très bien rester chez lui et conti-nuer ses études. Il est l’hommedel’action», écrit Amin sur soncomptedeGoogle +. ActuelmairedeTéhéran,M.Ghalibaf sembleavoirune chancede se qualifier

au second tour, selonunsondagerelayé, le 3 juin, par l’agence semi-officielle Fars, prochedes gar-diensde la révolution, le corpsd’élite dont il a étémembre.

A en croire cettemêmesource,le représentantduGuide suprê-mepour les négociationsnucléai-res avec les puissancesoccidenta-les, Saïd Jalili, sera son rival.«Jaliliest lemeilleur candidat. Je leconseillerai à tous ceuxque je croi-serai d’ici au jour du vote», expli-que Javad sur sa page Facebook.«La clé denotre succès passepar larésistance», soutientSiyamak, éga-lement sympathisantdeM.Jalilisur l’unedes nombreusespagescréées sur Facebooken faveurdece candidat conservateur.

Dernièrenouveauté en ligne:pour les Iraniensde l’étranger quin’ont pas accès àunbureaudevote dansune ambassadeouunconsulat, unepage Facebooka vule jour, intitulée «Votez, s’il vousplaît, àmaplace». Elle lesmettraen contact avec de «sympathiquesboycotteurs» en Iran ouà l’étran-ger qui iront glisser à leur placeunbulletindans l’urne.Quel bulle-tin? Le réseau social n’offre làaucunegarantie…p

GhazalGolshiri

30123Vendredi 14 juin 2013

Page 4: Le Monde newspaper

international

Manifestation contre les Femen, devant le tribunal de Tunis,mercredi 12 juin. NICOLAS FAUQUÉ POUR «LE MONDE»

- CESSATIONS DE GARANTIE

COMMUNIQUE - 102242En application de l’article R.211-33du livre II du code du tourisme,

L’ASSOCIATIONPROFESSIONNELLEDE SOLIDARITE DUTOURISME (A.P.S.T.)

dont le siège est situé : 15, avenueCarnot - 75017 PARIS, annoncequ’elle cesse d’accorder sa garantieà :

E.I. AUXERREImmatriculation :

IM 089 11 0001SARL au capital de 20 000 €

Siège social : 14 rue d’Egleny89000 AUXERRE

L’association précise que la cessationde sa garantie prend effet 3 jours sui-vant la publication de cet avis et qu’undélai de 3 mois est ouvert aux clientspour produire les créances.

- CESSATIONS DE GARANTIE

LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678 DU 20

JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE FRANCE, sis Etoile Saint-Honoré– 21 Rue Balzac – 75406 Paris Cedex 08(RCS Paris 414 108 708), succursale de QBEInsurance (Europe) Limited, Plantation Placedont le siège social est à 30 Fenchurch Street,London EC3M 3BD, fait savoir que, la garan-tie financière dont bénéficiait la :GROUPE DEZON IMMOBILIER SARL

12 Chemin du Prat Long31000 TOULOUSE

SIREN : 422 262 931depuis le 1er janvier 2004 pour ses activitésde : TRANSACTIONS SUR IMMEUBLESET FONDS DE COMMERCE cessera deporter effet trois jours francs après publica-tion du présent avis. Les créances éventuellesse rapportant à ces opérations devront êtreproduites dans les trois mois de cette inser-tion à l’adresse de l’Etablissement garant sisEtoile Saint-Honoré – 21 Rue Balzac – 75406Paris Cedex 08. Il est précisé qu’il s’agit decréances éventuelles et que le présent avis nepréjuge en rien du paiement ou du non-paie-ment des sommes dues et ne peut en aucunefaçon mettre en cause la solvabilité ou l’ho-norabilité de la SARL GROUPE DEZONIMMOBILIER.

AuVietnam,uneamorcedecontestationdupartiuniqueémergedelacriseéconomiqueAuseinmêmeduParti communiste, desvoixautoriséescritiquent lemodèlededéveloppementdirigistequin’apaspermis ledécollagedupays

HongkongCorrespondance

Onnesait toujourspas où setrouve précisémentEdward Snowden, mais du

moins sait-on qu’il est encore àHongkong. L’homme de 29 ans,que les Etats-Unis veulent récupé-rer à tout prix, a accordé,mercredi12 juin, une interview d’environune heure au South China Mor-ningPost, legrandquotidienanglo-phone de Hongkong. Le journal apublié le scoopsur cinqcolonnesàla «une», jeudi matin, en inscri-vant en énormes caractères : «Leréseau d’espionnage américainviseHongkong.»

Danslebut,sansdoute,desensi-biliser la populationdeHongkongau vaste système de surveillancequ’il a dénoncé il y a une semaine,Edward Snowden a montré desdocuments au South China Mor-ning Post selon lesquels l’Agenceaméricaine de sécurité nationale(NSA) piratait des ordinateurs àHongkong et en Chine depuis2009. Il a précisé qu’aucun de cesdocuments ne contenait d’infor-mationmilitaire.

Apparemment,àHongkong, lesuniversités, lespersonnalitéspoli-tiques et certains étudiantsétaient visés. «Nous piratons lesstructures de l’Internet qui nousdonnentensuiteaccèsàdes centai-nes de milliers d’ordinateurs sansavoir besoin de les pirater indivi-duellement», explique-t-il. Il a jus-tifié son geste par la volonté dedénoncer «l’hypocrisie du gouver-nement américain quand il affir-me qu’il ne vise pas des infrastruc-tures civiles, à la différence de sesadversaires. Non seulement ils lefont, mais ils ont tellement peurque cela se sache qu’ils sont prêts àtout, y compris à l’intimidationdiplomatique, pour empêcher cet-te informationd’être divulguée».

Il a également commenté sonchoix de Hongkong en indiquantqu’il avait eudenombreusesocca-sions d’aller ailleurs. «Les gens quipensent que j’ai fait une erreur envenant à Hongkong ne compren-nent pas mes intentions. Je ne suis

pas ici pour fuir la justice, je suis icipour révéler des crimes.»

Edward Snowden a fait part desonintentiondecombattre legou-vernement américain par voie dejustice. «Car j’ai confiance dans lajustice de Hongkong, a-t-il déclaré.Monintentionestdem’enremettreà la justice et aux gens de Hon-gkong.» Il souhaite donc rester là«jusqu’àce qu’on [lui]demandedepartir». Mais il a aussi affirmé aujournal que les Etats-unis met-taient «énormément de pression»sur le gouvernement de Hon-gkongà son sujet.

«Ni traître ni héros»Sur le plan personnel, il affirme

craindre pour sa famille, aveclaquelle il n’a pas été en contact, etpour sa propre sécurité : «Le faitest que j’ai pris de gros risques per-sonnels pour aider le public dans lemonde entier, qu’il soit américain,européenouasiatique.»«Nitraîtreni héros, juste un Américain [qui]croitenla libertéd’expression,aagidebonnefoi et trouvecorrectque lepublic se fasse sa propreopinion.»

Edward Snowden a cependantdemandé qu’aucun détail ne filtresurlescirconstancesdel’interview.Lejournaln’apaspubliédenouvel-lesphotos.Coïncidencequ’EdwardSnowden n’a sans doute pas cher-chée, il a choisi, pour faire sonappelausoutiendesHongkongais,le jour du festival TuenNg, ou fêtedes bateaux-dragons, une tradi-tion chinoise qui célèbre la droitu-re d’un ministre, Qu Yuan, quis’était noyé pour protester contrela corruptiondugouvernement.

A Hongkong, vingt-cinq sièclesplus tard, desgroupes sepréparentàdéfilersamedi.Letrajetdoitseter-miner devant le consulat améri-cain.«Nousdemandonsauxautori-tés de Hongkong de respecter lesrègles et les procédures internatio-nales pour protéger M.Snowden.Nous condamnons le gouverne-mentaméricain,quiviolenosdroitset notre vie privée, et demandonsauxEtats-UnisdenepaspoursuivreM.Snowden», ont déclaré les orga-nisateursde lamarche.p

Florencede Changy

EdwardSnowdens’enremetàlajusticehongkongaiseL’ex-agentde laCIAa justifié songestedansunentretienau«SouthChinaMorningPost»

TunisEnvoyée spéciale

Lesgrilles du tribunal de Tunisétaientdéjà ferméesquand leverdictesttombé: lesFrançai-

ses Pauline Hillier, MargueriteStern et l’Allemande JosephineMarkmann ont été condamnées àquatremois de prison ferme,mer-credi 12 juin, pour «atteinte auxbonnes mœurs». Les trois jeunesfemmes,membresdumouvementdes Femen qui se présente lui-même comme « sextrémiste»,s’étaient exposées les seins nus, le29mai, devant le même tribunalpour soutenir leur camarade, Ami-na Sboui. La seule Femen tunisien-ne revendiquée à ce jour, est, elle,poursuiviepour«atteinteauxbon-nes mœurs», «profanation» et«associationdemalfaiteurs»aprèsavoir tagué le mot Femen sur lemurducimetièreaccoléàunemos-quéedeKairouan.

«Soutien à Amina», c’est ce quen’ontpas cessé d’invoquer les troisjeunes femmes, qui encouraientjusqu’à six mois de prison, lors del’audience publique ouverte mer-credimatin,enprésenced’unefou-le d’avocats-spectateurs venusassister au premier procès de cegenreenTunisie.«C’estquoilasym-bolique de montrer ses seins ?»,interroge le juge. «Les Femen utili-sent cette technique comme unmoyen d’expression, ce n’est pasune exhibition sexuelle», répondl’unedes deux Françaises, tête nuemaislecorpsenrouléd’unlongvoi-le crème, le sasfari, imposéà toutesles justiciables femmes en Tunisie.Le juge: «Vous ne saviez pas que laTunisie est un pays musulman etque votre geste pouvait heurter lesmusulmans?»LaFrançaise:«Voussavez,montrersesseins surunepla-ge en Tunisie, c’est permis… Notrebutétait justede soutenirAmina.»

Le juge s’adressant cette fois à laFemen allemande: «Vous allezpoursuivre cette pratique?» «C’estnotre stratégie de résistance, passeulement en Tunisie, répond lajeune femme, àqui il est demandé,poliment, de réajuster son sasfari.

Jemeréjouisdechaqueopportunitépour exprimer ma position politi-que.» Question: «Avez-vous déjàété arrêtées dans un autre pays?»Réponse des Femen, dont les pro-pos sont traduits: «Oui, en France,maisàchaquefois,celan’aduréquequelques minutes…» «D’où vientvotre financement?» «Nous avonsdes boutiques [sur Internet] oùnous vendons des T-shirts et nousrecevons des dons… Nous sommesdesvolontaires.»

A droite derrière les accusées,unebrochette d’avocatshabitués àdéfendredessalafistes,quitentent,cette fois, de se porter partie civileau nomde 14 associations islamis-tes, n’en peuvent plus. «Une fem-melibrepréfèreêtreaffaméequedemanger par ses seins», s’exclamel’un. «60%des femmes deKiev [enUkraine,d’oùestorigineInnaShev-chenko, présidente des Femen]sont des filles de joie !», tonne unautre. La défense approuve mais,précise l’avocate Leïla Ben Debba,«le corps a ses expressions qui peu-ventêtrecontrairesà lasociététuni-sienne». Le camp adverse ne lâche

pasprise:«EnAllemagne,selonl’ar-ticle103, lesaccusées risquentunande prison, en France, selon l’arti-cle222, paragraphe32 [qui punitl’exhibition sexuelle imposée à lavue d’autrui dans un lieu public],c’estunandeprisonet 15000eurosd’amende!», brandit Me AnouarOuledAli.

«Peine disproportionnée»A l’extérieur, hormis quelques

femmeshostilesauxFemen,aucu-nemanifestationn’est venue trou-bler les débats, qui laissent unemajorité de Tunisiens gênés ouindifférents. Le juge a sanctionnédurement les Femen, jetant laconsternation dans les rangs de ladéfense, qui a annoncé son inten-tion de faire appel. «C’est large-ment disproportionné au regarddes faits reprochés, le tribunal acédé à la pression des associationsislamistesetcrééundélitdeblasphè-me, proteste Me Souhaib Bahri, lepremier avocat des Femen. C’est lesigne que la liberté d’expression estgravementendangerenTunisie.»

Ce jugement ne pouvait pas

tomberplusmalavantlavisiteoffi-cielle,débutjuillet,deFrançoisHol-lande en Tunisie. «Nous espérionsune mesure de clémence, nous nepouvons que regretter la sévéritéde cette peine», a réagi dans la soi-rée leministère des affaires étran-gères. Les Femen se disent furieu-ses.L’organisationapromisdesoncôtéderenvoyer«des soldatesauxseinsnus» enTunisie.

Pour la famille d’Amina, l’an-goisse est à son maximum. «J’at-tendais une bonne nouvelle… Ceseraplus dur pourma fille», s’alar-me son père,Mounir Sboui. Aucu-ne nouvelle audience n’a encoreété fixéepour la jeuneTunisienne.Aminaencourtdeuxansdeprisonpour « association de malfai-teurs». «Uneaccusation tombée lejour où les Femen se sont dénu-dées», soupire son avocate, HayetJazzar. Elle espère ramener le dos-sier d’Amina à Tunis pour éviterquesaclientesoit jugéedans lavil-le jugée plus conservatrice de Kai-rouan, «sous la pressionpopulairemanipuléepar le pouvoir».p

IsabelleMandraud

LajusticetunisiennepunitlourdementlestroismilitantesFemenDeuxFrançaisesetuneAllemandeontétécondamnées, àTunis, àquatremoisdeprisonferme

HanoïEnvoyé spécial

Une situation économiquepeu reluisante, un Particommuniste clivé par des

dissensions internes, un premierministre de plus en plus isolé… LeVietnam traverse une sérieusepériode de turbulences. Alors quelamontéeduchômageet lamulti-

plicationdes faillites fait redouterune crise sociale.

Au milieu des années 1990, leVietnam était perçu comme unfutur«tigre»de l’Asie. Il yaencorecinqans,beaucouppariaientsurlaréussite d’un pays qui, depuis1986,s’était lancésur lavoiedudoïmoï (« le renouveau»). Un sloganqui augurait de vastes bouleverse-ments dans l’économie et l’ouver-

tureaumarchéd’unsystèmehéri-té d’unevision soviétique.

La réalité n’est pas à la hauteurdes attentes de ceux qui avaientmisé sur une réelle émergence duVietnam. Les succès enregistrésdans le passé sont indéniables,mais tous les signauxd’alerte sontdésormais allumés: croissance laplus faible depuis treize ans (5,3%en2012),difficultésàmaîtriserl’in-flation (6,5%), système bancairepourri, dont le taux de créancesdouteuses–prêtsnonremboursésaux banques – s’élève officielle-ment à 8,8% mais pourrait bienêtre de 15%à 20%…

Le climat général est déprimé.Quelque 100000 entreprises pri-vées ont fait faillite en2011 et 2012et déjà une quinzaine de milliersontmis la clef sous la porte depuisle début de l’année. Exportateurmajeurdeprêt-à-porteretdechaus-sures aux Etats-Unis et en Europe,le Vietnam conserve des atoutsdanscessecteurs.Maissesexporta-tionsn’ontpasétéépargnéespar labaissede la demandemondiale.

Les raisons des difficultés sontsystémiques. Elles sont notam-ment la résultante d’une politiquedecroissanceetdedéveloppementdu premier ministre Nguyen TanDung reposant sur l’expansion degrands conglomérats d’Etat. Inspi-ré des chaebols sud-coréens, cemodèleaéchoué.Lafailliteen2010dugéantdes chantiersnavals, l’en-treprise Vinashin, en a été la preu-

ve laplus éclatante. Elle avait accu-mulé une dette de 3,3milliardsd’euros, soit 4,5% du produit inté-rieurbrut (PIB).

«On a injecté un courant formi-dable de capitauxdans ces conglo-mérats sans prendre la précautionde jeter les bases d’un système decontrôle, sans mettre en place lesindispensables contre-pouvoirs»,analyse le célèbre économiste LeDang Doanh. Membre du Particommuniste vietnamien (PCV),ancien responsable d’un cercle deréflexion officiel, ce septuagénai-re dresse un tableau inquiétant.

«Onaessayédevendre lesactifsdesentreprisespubliques.Onappel-leça, ici, “actionnariser”–maiscelan’atotaliséque19%desentreprisesd’Etat, les principales restant sousle contrôlede l’Etat», relèveencorel’économiste.«Je redouteune crisesociale, prévient-il. Entre2000 et2010, les prix de l’immobilier ontdécupléalorsque lePIBpar têten’aaugmenté que de 2,9%. Le coût du

logement est maintenant 25 foissupérieur aux revenusmoyens desVietnamiens!»

Conséquence,lepremierminis-tre estdeplus enplus contestéparsespairs.Mardi 11 juin,un tiersdes500députésde l’Assembléenatio-nale, qui jouit d’un pouvoir limitédans ce système à parti unique,ont déclaré avoir «peu de confian-ce » dans le chef du gouverne-ment.Undésaveu.

Lesrelationsdupremierminis-treavec leprésidentde laRépubli-que, Truong Tan Sang, et le secré-taire général du PCV,NguyenPhuTrong, sont des plus mauvaises.Ce qui affaiblit la position deNguyenTanDung,quigardenéan-moins le soutien de l’armée, de lapolice et d’une grande partie ducomité central.

Dernièrement, une pétitionsignée par 72 intellectuels, anciensministresetofficierssupérieursdel’armée a illustré la nature desdébatsdanscertainscerclesdel’ap-pareil,où l’onestimequedesréfor-mes économiques pour tirer lepays de l’ornière doivent nécessai-rement s’accompagner de réfor-mes politiques.Même si les signa-taires du texte sont à la retraite, cenesontpasdesdissidents, ils jouis-sentd’unelégitimitéincontestablequileurapermisd’appeleràlasup-pressiondel’article4delaConstitu-tion qui définit le caractère domi-nantduParti communisteet justi-fielesystèmedupartiunique.Leur

but est de faire évoluer le Vietnamvers la démocratie et les électionsau suffrage universel. Rien demoins. On imagine l’onde de chocau sein du politburo, l’instancesuprêmedupouvoirvietnamien.

Comme l’explique au Mondel’un des rédacteurs de la pétition,Chu Hao, ancien ministre dessciences et technologies, «nousvoulonspréparerleterrainàl’émer-genced’unsystèmedemultipartis-me, même si nous sommesconscients que l’on ne peut pasespérer ce changement tout de sui-te, bien sûr». «Pour que les chosesbougent, continue-t-il, il faut qu’ily ait dans le parti des gens assezcourageux pour faire changer leschoses. Il y a en déjà peut-être,mais, pour l’instant, on ne les voitpas. Nous, les rédacteurs de cettepétition,nesommespasdesutopis-tes. On sait bien que nos proposi-tionsnepeuventpasêtreacceptéescomme telles. Mais on fait celapour contribuer à un processusd’évolution vers la démocratiedans lebutdecréerunesociétécivi-le vivante et saine.»

Pour l’heure, le Vietnam neprendpaslechemindeladémocra-tie et de la liberté d’expression.L’arrestation, depuis le début del’année,de46activistes,blogueurset critiques du régime témoignede la crispation des responsablesd’un système de plus en pluscontestédans la population.p

BrunoPhilip

Le11juin,untiersdesdéputés

ontdéclaréavoir«peudeconfiance»

danslechefdugouvernement.

Undésavœu

4 0123Vendredi 14 juin 2013

Page 5: Le Monde newspaper

international& europe

LETTREOUVERTEAUPRÉSIDENTDE LARÉPUBLIQUESUR L’ENGAGEMENTDE L’ETAT EN FAVEURDE LACRÉATION,DE L’ART ETDE LACULTUREMonsieur le Président de la République,

Vous avez affirmé, tout au long de votrecampagne, vouloir remettre la Culture au cœurde notre projet de société : votre présence àAvignon, et plus particulièrement vos discoursà Nantes en faveur du spectacle vivant ou auCirque d’Hiver, ont été autant de témoignagesappréciés par les professionnels. Lors del’audience du 28 janvier que vous avez accordéeà une délégation de représentants d’employeursdu spectacle vivant et des arts plastiques, cesorganisations vous ont rappelé la nécessitéde mesures d’urgence après dix années dedésengagement : dégel des crédits 2013 duministère de la Culture, annulation des mandatsde révision, vote d’une loi d’orientation et d’uneloi de programmation pour la création, prise encompte positive de la Culture dans la nouvelleloi de décentralisation (compétence générale etpartagée, coresponsabilité de l’Etat et de toutesles Collectivités Territoriales en matière d’artet de culture, autorisation des financementscroisés pour le fonctionnement comme pourl’investissement), aides à l’emploi adaptéesau secteur culturel, maintien du régimespécifique d’assurance chômage des artisteset des techniciens, défense d’une exceptionculturelle au niveau européen, sécurisation despolitiques fiscales à l’égard de notre secteur...

Parmi ces mesures, figure, bien entendu, lalevée du gel de 6 % sur tous les crédits de lacréation en particulier, et ceux de la culture engénéral, dont le calendrier ne nous a toujours pas

été communiqué. Le programme 224, intitulé«transmissions des savoirs et démocratisationculturelle» doit être également préservé detoute attaque. Et la simple sauvegarde de notresecteur exige que le budget du ministère de laCulture pour 2014 soit, au minimum, conforté.

Nous souhaitions vous alerter sur lesconséquences destructrices d’un éventuelnon-respect de vos engagements publics. C’esttout d’abord la valeur et la sincérité de la parolepolitique qui seraient de nouveau mises àmal, compromettant immédiatement le soclede confiance que vous-même et Mme AurélieFilippetti vouliez instaurer avec les acteurs dela vie culturelle.

Faut-il rappeler une fois de plus que notresecteur n’a cessé, depuis plus de dix ans, defaire l’objet de restrictions continues et deremises en causes incessantes ...?

Les répercussions artistiques, économiqueset sociales d’une absence de mesures enfaveur de la création et de l’emploi seraientconsidérables. Sur le plan artistique, il seraitinévitable de procéder, à partir de cet étéet pour l’automne prochain, à l’annulationde nombreuses productions et sur le planculturel, de renoncer à de nombreusesactions fondamentales, comme certainesayant trait à l’éducation artistique quidésormais les accompagnent. Sur le planéconomique, les lieux de festivals seraienttouchés de plein fouet. Enfin, sur le plan

social, nous estimons que des centainesd’emplois permanents seraient détruitsdans le secteur du spectacle vivant et desarts plastiques. La précarité ou le chômagedes artistes et techniciens s’en trouveraientencore aggravés.

Notre secteur attend, Monsieur le Président,des signes clairs d’améliorations et deconfirmations des engagements. Si cesmesures ne sont pas annoncées dans lecourant du mois de juin, ce refus remettrait encause l’harmonie et la sérénité nécessaires àla préparation des manifestations festivalièresde l’été.

« La crise ne rend pas la Culture moinsnécessaire, elle la rend plus indispensable. (…)C’est la raison pour laquelle je réaffirme quela Culture doit être une priorité majeure, uneambition commune. Cela doit se retrouver biensûr dans le budget de la Culture ». Nous nepouvons que souscrire à cette déclaration quevous avez faite à Nantes. Nous attendons avecimpatience que vous la traduisiez en actes.

Dans l’attente de la confirmation de vosengagements et du soutien que nous voulonsencore espérer de votre politique, nous vousprions d’agréer, Monsieur le Président de laRépublique, l’expression de notre très hauteconsidération.

CFE-CGC Spectacle – Pôle fédéral CGCspectacle et action culturelleCGT Spectacle – Fédération nationale dessyndicats du spectacle, de l’audiovisuel et del’action culturelle CGT et ses syndicats (SFA,SNAM, SYNPTAC)CIPAC – Fédération des professionnels de l’artcontemporainF3C CFDT – Fédération communicationconseil culture CFDTFASAP-FO – Fédération des arts, du spectacle,de l’audiovisuel et de la presse Force OuvrièreSCC – Syndicat du cirque de créationSN2A – Syndicat national des activitésartistiques FOSNACOPVA CFE-CGC – Syndicat national desartistes chefs d’orchestre professionnels devariétés et arrangeursSNAPS CFE-CGC – Syndicat national desartistes et des professions du spectacleSNLA-FO – Syndicat national libre des artistesForce OuvrièreSNM-FO – Syndicat national des musiciensForce OuvrièreSNSP – Syndicat National des ScènesPubliquesSNSV-FO – Syndicat national du spectaclevivant Force OuvrièreSYNAVI – Syndicat national des arts vivantsSYNDEAC – Syndicat national des entreprisesartistiques et culturelles

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TURQUIE

RecepTayyipErdoganévoquel’idéed’unréférendumpourdésamorcerlafrondeANKARA. Le premierministre turc, RecepTayyip Erdogan, a ten-té,mercredi 12 juin, de désamorcer la frondequi dure depuisdeuxsemaines enévoquant l’idée d’un référendumsur le projetd’aménagementde la place Taksimd’Istanbul, à l’originedesmanifestations.Cette propositiona été avancée lors de la rencon-tre du chef dugouvernementavec onze «représentants» de lacontestationchoisis par le pouvoir.«Je crois qu’après ce geste de bonne volonté, les jeunes vont déci-der de quitter le parcGezi», a espéré le vice-premierministreHuseyinCelik. «Le parcGezi doit être évacué le plus vite possible,nousne pouvons bien sûr pas accepter que cesmanifestations sepoursuivent éternellement», a-t-il ajouté. «Nous leur avons dit[au gouvernement]quenous n’avions aucuneautorité pour direquoi que ce soit sur les projets dugouvernement», a déclaré à lapresseune desonze personnes reçues, IpekAkpinar.La coordinationdesmanifestantsduparcGezi, plate-formede116 associations, n’avait pas été conviée àAnkara. Et d’autres invi-tés, commeGreenpeace, ont préférédéclarer forfait pour dénon-cer l’intransigeancedupremierministre. – (AFP.)p

ÉTATS-UNIS

Desincendies«horsdecontrôle»ravagentleColoradoLOSANGELES.Un incendie «hors de contrôle» ravage, depuismardi 11juin, l’Etat duColorado, entraînantdesmilliers d’évacua-tions et la destructiondedizainesdemaisons, ont annoncé,mer-credi, les autorités.Alimentéspar des températures élevées, plu-sieurs incendies frappent actuellement cet Etat de l’Ouest améri-cain. BaptiséBlack Forest Fire, le plus violent d’entre euxa déjàdétruit près de 3500hectaresprèsdeColoradoSprings, deuxiè-meville de l’Etat. Quelque 150pompiers combattent les flammesavec l’aidede 48hélicoptères et le renfort de laGardenationale.«Le potentiel de progressionde cet incendie est énorme», a affir-mé le shérif du comtéd’El Paso. – (AFP.)p

AllemagneUnprojet d’attentat révélé au procèsdes néonazisNSUBERLIN.Auprocès deBeate Zschäpe, la seule survivantedu trionéonazi de laNSUaccusé de dixmeurtres, un coinculpé, Cars-tenS., a révélé,mercredi 12 juin, que le trio avait égalementplacéunpetit engin explosif dansun café turcdeNuremberg (Bavière)dès 1999, et qu’un client du café avait été légèrementblessé. Cet-te révélationmontreque les enquêteurs sont loinde tout savoirsur les actionspassées du trio. – (Corresp.)

S i j’avais un fils, il resssemble-rait à TrayvonMartin», avaitdéclaré Barack Obama, le

23mars 2012, après le meurtre dece lycéennoirde17ansparunvigi-le autoproclamé et armé qui tra-quait les cambrioleurs dans unlotissement clos de Sanford (Flori-de). Leprocèsdecedernier,GeorgeZimmerman, 29ans, s’est ouvertlundi 10juin devant le tribunal deSanford.

Mais les débats, qui doiventdurerplusieurs semaines, ne com-menceront qu’après que les avo-cats des deux parties se serontaccordéssur le choixdesdixmem-bresdu jury, toujoursencours jeu-di. Ces jurés doivent décider si lemeurtrier, d’origine hispanique,peutounonbénéficierde l’excusede légitime défense qu’il revendi-que et qu’interprète de manièreextensiveune loi contestéede Flo-ride dénommée Stay your ground(«Défendez votre territoire»). Cetexte exonère de poursuites qui-conque fait feu pour défendre ledroit de demeurer en tout lieu oùil se trouve légalement.

Si le président américain, alorsen campagne, avait, avec desmotssoigneusement choisis, insistéimplicitement sur le caractèreracial du drame, c’est que la mortviolentedeTrayvonMartin,adoles-centdésarmé,avaitrappeléàl’Amé-rique que l’élection d’un Noir à laMaisonBlanchen’apassuffià fairedisparaître les préjugés. Au pointque certains commentateurs n’hé-

sitent pas à parler aujourd’hui de«procès du siècle sur les droits civi-ques». Car ce procès-là a failli nejamais avoir lieu : les policiersappeléssur les lieuxdumeurtre, le26février 2012, avaient tout sim-plement remis en liberté l’auteurdu coup de feu mortel. Ilsn’avaientni appelé demédecin, nimême interrogé le témoin-cléqu’est l’amie de Trayvon Martin,avec laquelle il conversait au télé-phoneportablependant le drame.

Il avait fallu trois semaines depression sur la police locale pourque les enregistrements des

conversations téléphoniquesentreGeorgeZimmermanetleper-manencierdu«911»(numérod’ap-pel d’urgence), ce soir-là, soientrenduspublicspar lemaire–blanc– de Sanford, et que l’affaire pren-ne une dimension nationale. Aupoint que les tensions raciales ontmenacéalorsde seprolongerdansla rue en plusieurspoints dupays.A commencer par Sanford, petitevilledu sudà lagéographieencoremarquée par l’histoire de la ségré-gation. Un peu partout, desmani-

festants avaient revêtu des sweat-shirtsàcapuche–latenuequepor-taitlavictime–pourréclamer«jus-tice pour TrayvonMartin».

Le soir du meurtre, le jeunehomme, lycéenàMiami, rentraitàpied vers le pavillon où vivait sonpère, après avoir été acheté desconfiseries et une cannette de théglacé à l’épicerie toute proche. Ilpleuvait et il avait relevé sa capu-che. «S’il n’avait pas mis sa capu-che [considéré comme le signe dereconnaissance des voyous noirs],le vigile n’aurait pas répondu defaçon si violente», avait commen-té la chaîne conservatrice FoxNews,aussitôt accuséede racisme.

Le même soir, George Zimmer-man, lui, patrouillait, obsédé parde récents cambriolages. Il avaitsignalé ce comportement « sus-pect» au numéro d’urgence. L’en-registrement de la conversationatteste de ce que le policier de per-manence a tenté de dissuader levigile autoproclaméde se lancer àlapoursuitedugarçon. Il fait aussientendre un appel au secours sui-vi d’un coupde feu. Les parents dela victime assurent reconnaître lavoix de leur fils. Les experts sontpartagés. George Zimmermanreconnaît avoir tiré, mais il affir-me avoir été attaqué à coup depoingpar le jeunehommeets’êtredéfendu. Son avocat assure quec’est lui qui a appelé au secours.

Inculpé pour «meurtre» qua-rante-cinq jours après les faits, levigile risque la prison à vie, mais

plaidera non coupable. Remis enliberté contre le versement d’unecaution d’un million de dollars(748000 euros), il vit dans un lieutenu secret, ne sort que déguisé etdit recevoir continuellement desmenaces de mort. Il a grossi de59kg enunan, précise sa défense.

Avant le procès, son avocat abataillé pour pouvoir produire àl’audience des documents attes-tant, selonlui,queTrayvonMartinn’était pas le sage lycéen que safamille a décrit, mais un adoconsommateur de haschisch etamateurde bagarre. La jugeDebraNelson le lui a interdit.

Mais pour que les débats puis-sentcommencer, il fautencorequesix jurés et quatre suppléantssoient sélectionnés parmi 200citoyens retenus. Le processus estralenti par le feu des questionsdesavocats, qui traquent les person-nes influencées par les médias ousensibles aux préjugés raciaux.Mardi, pour tenter d’être choisie,une femme a assuré qu’elle neregardait à la télévision que lesémissions de divertissement, etn’utilisait les journaux que pourtapisser la cagede sonperroquet.

Les juges doivent encore déci-der si les jurés seront interdits decontactavecl’extérieurpendant leprocès. En attendant, ils les dési-gnentparune lettreetunnuméro.Certains ont dit craindre que leurvie ne devienne difficile si leurnomvenait à être rendupublic.p

PhilippeBernard

Certainscommentateurs

n’hésitentpasàparleraujourd’huide

«procèsdusièclesurlesdroitsciviques»

Leprocèsdumeurtrierd’unlycéennoirrouvrelesplaiesracialesdel’AmériqueGeorgeZimmerman,quiavait tuéTrayvonMartinenfévrier2012, est jugépour«meurtre». Ilplaidenoncoupable, invoquantune loideFloride trèsextensive sur la«légitimedéfense»

50123Vendredi 14 juin 2013

Page 6: Le Monde newspaper

La France, empêtrée dans lesproblèmes de pollution agri-cole qui contamine ses cours

d’eau, vient d’être condamnée parla Cour de justice de l’Union euro-péenne(CJUE).Cettedernièrearen-du,jeudi13juin,unarrêtquiconsta-te les«manquements» chroniquesdeParis.Cettedécisionestunprélu-de à unepossible amendede dizai-nes demillionsd’euros, voire à desastreintes journalièresqui alourdi-raient considérablement le mon-tant réclamé.

Il s’agit de la vieille affaire desnitrates et de l’incapacité de Parisde se mettre en conformité avecune directive européenne de 1991.Ce contentieux porte précisémentsur la sous-estimation des «zonesvulnérables»qu’il faudrait impéra-tivement protéger, autrement ditsur le manque d’autorité de l’Etatpourfaire respecter lesbassinsver-sants dont les teneurs en nitratedépassentles50milligrammesparlitre. La CJUE prépare en outre undeuxième rappel à l’ordre, quidevrait dénoncer d’ici à fin 2013 lafrilosité des programmes pourredresser la situation dans cesmêmeszones.

L’excèsd’azoteminéral et orga-nique – essentiellement d’origineagricole – entraîne, une fois trans-formé en nitrates, l’eutrophisa-tion des rivières et nourrit le phé-nomène des marées d’algues ver-tes. Le problèmeest plus large cet-te fois : les zones vulnérables

concernent 55% des surfaces agri-coles selon l’état des lieux réviséfin 2012. La liste actuelle englobe19000communes.Lesporte-paro-le de l’agriculture intensive sesont récriés contre ce classementsoi-disant excessif, et la FNSEA adéposé plusieurs recours devantles tribunaux. A Bruxelles, c’est lacartographie précédente, celle– peu réaliste – de 2007, qui estdénoncée comme insuffisante.

«Faiblesse de longue date»Laministrede l’écologieDelphi-

ne Batho estime que l’arrêt de laCJUE «sanctionne une faiblesse delongue date». Une délimitationplus réaliste des zones vulnérablesauraitdûêtrefaitefin2011.«J’ail’in-tention de rencontrer rapidementBruxelles pour présenter notre pro-grammed’action, annonce-t-elle. Ilva falloir davantage que de la bon-nevolontépourlaconvaincreetévi-ter une lourde condamnationpourmanquement sur manquement.»Cette procédure est redoutablepuisqu’elle risque d’entraîner desamendespar jourd’astreinte.

Si la Commission, qui a fini partraduire la France devant la CJUEen février2012, ne constate pas deprogrès de la qualité de l’eau danslesprochainsmois, ellepourrasai-sirànouveaulesmagistratset leursuggérer des pénalités journaliè-res. L’unique suspenserésidedansla sévéritéde leurmontant.p

MartineValo

planète

LeParlement européena approu-vé,mercredi 12 juin, le projet derèglement prévoyant d’étendrede trente jours à sixmois la pos-sibilité pour un pays de rétablirles contrôles aux frontières à l’in-térieur de l’espace Schengen.Cette dérogation à la liberté decirculation sera possible sousréserve de l’approbation del’Union européenne, qui devrajuger à partir de critères «objec-tifs» si le pays demandeur fait

l’objet«d’une menace gravepour l’ordre public et la sécuritéintérieure». Un Etat pourra tou-tefois rétablir les contrôles demanière unilatérale pour unedurée de dix jours en cas d’évé-nement imprévisible.Par ailleurs, les demandeursd’asile devront voir leur deman-de examinée dans les sixmois etobtenir un permis de travail aubout de neuf. Des normesd’ac-cueil devront être garanties.

Une fermière ougandaise pulvérise un insecticide sur un caféier dans une plantation non loin deKampala, enOuganda. HEREWARD HOLLAND/REUTERS

L’immigration ne représentepas une charge pour lesdépenses publiques, expli-

que l’Organisation de coopérationet de développement économi-ques (OCDE), dans son rapportannuel sur les Perspectives desmigrations internationales, pré-senté jeudi 13 juin. Elle pourraitmêmereprésenteruneopportuni-té budgétaire pour les économiesoccidentalesmises àmalpar la cri-se économique. En plein débat surla place de l’immigration en Fran-ce, illustrépar la discussion jeudi àl’Assembléenationale, l’analysedel’OCDE est importante. D’autantque les flux migratoires vers lespays de l’OCDE, en recul depuis ledébutde lacrise, fin2007,auraientlégèrement reprisdepuis 2011.

Alors que nombre de pays occi-dentaux préconisent de centrerleurs politiques d’accueil sur unemain-d’œuvre«choisie»ethaute-ment qualifiée, alors aussi que levieillissement démographiquenécessite le recours à une main-d’œuvre étrangère, l’organisationinternationale critique les dis-courstendantàstigmatiser le coûtde l’immigration.

«Certains pays redoutent quel’immigration fasse peser un poidssupplémentaire sur les financespubliques, alors que l’assainisse-ment budgétaire figure au premierrang des préoccupations gouverne-mentales, écrivent les auteurs durapport. Ces craintes ne sont paslimitées aux partis anti-immigra-tionetrisquentdemettreenpéril lesefforts déployés pour adapter lespolitiques migratoires aux nou-

veaux défis économiques et démo-graphiquesauxquelsserontconfron-tés de nombreuxpays de l’OCDEaucoursdesdécenniesàvenir.»

Dans ce contextemarquépar lamontée en puissance des mouve-ments populistes et nationalisteset l’adoption de politiques migra-

toires restrictives, l’OCDE a entre-pris«lapremièreétudecomparati-ve internationale de l’impact bud-gétairenet de l’immigration». Pre-mierenseignement,l’impactfiscaldesimmigrésesttrèslimité,«n’ex-cédant pas 0,5% du produit inté-rieur brut (PIB), qu’il soit positif ounégatif».

Pour Jean-Christophe Dumont,chef de la division migrations àl’OCDE, « les immigrés, en général,contribuent plus en impôts et encotisations sociales qu’ils ne reçoi-vent de prestations individuelles».

La France serait, avec l’Allema-gne et la Pologne notamment, lecontre-exemple de cette affirma-tionavecunecontributionnégati-ve des immigrés de quelque1450euros par an en moyenneentre2007 et 2009. Pour l’ensem-ble de l’OCDE, cette contributionest positive et s’établit à3280euros.

Le particularisme français s’ex-pliqueparlepoidsdesretraitesper-çues par les immigrés arrivés dansles années 1960-1970 alors que lescotisations ont fortement chuté àpartir des années 1980 du fait duralentissementdesarrivéesdenou-veauxmigrants.Lafaiblecontribu-tion des immigrés aux recettes fis-cales s’explique aussi par des salai-ressouventmoindresqueceuxdessalariés français. Ils payent donc

moins d’impôts et de cotisationssociales.«Il fautmaintenirdespoli-tiques d’intégration, parce qu’il y aun retour immédiat sur investisse-ment avec des gains fiscaux impor-tants», estimeM.Dumont.

La contribution fiscale nettedesimmigrésaaussisubilesconsé-quencesdelacrise–avecunedimi-nution de quelque 20% par ancomparéauniveaud’avant lacrise–, mais de façon variable selon lespays. En Grèce et en Espagne, oùexiste une forte immigration, le«bilan» fiscal des immigrés s’estplus fortement dégradé que celuidesautochtones.Lesétrangersontété lespremièresvictimesdessup-pressionsd’emplois.

A l’inverse, en Norvège, en Suè-de ou en Autriche, cette contribu-tion fiscale a nettement augmen-té. Les femmes immigrées, parexemple, se sont davantage por-tées sur lemarchédu travail.

L’OCDE montre également queles immigrés contribuent aussibien aux métiers qualifiés qu’àceux qui le sont moins. «L’immi-gration répond à des besoins assezvariés, mais les gouvernementsauraient intérêt à clarifier leursobjectifsetàmieuxdéfinirleurpoli-tique, prévient Jean-ChristopheDumont.S’agit-ilde répondreàdesbesoinsdetravailimmédiats,d’inté-grer lesmigrations dansune politi-que économique tournée vers l’in-novationoudoivent-elles répondreàdes objectifs démographiques?»

Autantdequestionsauxquellesle gouvernement français va ten-ter de répondre. p

RémiBarroux

L’EuropecondamnelaFrancepourseseauxpolluéesLaCourde justicepourrait infligerune lourdeamendeàParispourcaused’excèsdenitrates

En dépit des dénégations desindustriels du secteur, lespesticides sont bel et bien

impliqués dans un grand nombrede pathologies lourdes – cancers,maladies du sang, troubles neuro-logiques, malformations, etc. –dont l’incidence tendàaugmenterdans le monde. C’est l’idée-forced’une impressionnante expertisecollective menée sur l’ensembledesconnaissances internationalesactuelles, et pilotée par l’Institutnationalde la santé etde la recher-chemédicale (Inserm), qui l’a ren-duepublique jeudi 13 juin.

Cette synthèse rassemble lesdonnées épidémiologiques issuesde nombreux pays (Etats-Unis,Canada, Australie, Finlande, Dane-mark, etc.), qui précisent les effetssanitairesdes principauxproduitsphytosanitaires: insecticides, her-bicides et fongicides. Une grandepartdu rapport concerne les expo-sitions professionnelles (agricul-teurs, ouvriers du secteur agrochi-mique, etc.),mais aussi les person-nes vivant ou travaillant dans ou àproximité de zones agricoles. EnFrance, terre d’agriculture, 15% delapopulationsontainsiconcernés.

Aprèsavoirpasséaucriblelalitté-rature scientifique internationale,les experts concluent que l’exposi-

tionàdespesticides conduit à«desaugmentationsde risquessignifica-tivespourplusieurspathologies».

C’est ainsi que chez les agricul-teurs, les ouvriers de l’industriequi fabriquent ces produits ouceux qui les appliquent, il y a une«présomption forte» d’associa-tion entre une exposition profes-sionnelleauxpesticidesetlasurve-nue de certaines proliférationsmalignes de cellules lymphoïdes(lymphomes non hodgkiniens) etde cancers de la prostate. Les agri-culteurs et les applicateursdepes-ticides sont également exposés àunrisqueaccrudemyélomemulti-ple, une autre prolifération mali-gne dans la moelle osseuse. Et cen’est pas tout. Que ce soit dans lecadred’expositionsprofessionnel-les ou non, les adultes présententunplus grand risque àdévelopperunemaladie deParkinson.

Un lien avec d’autres patholo-gies comme les tumeurs du systè-me nerveux central est aussi sus-pecté. En Gironde, par exemple,région viticole très consommatri-ce de pesticides, l’incidence de cesmaladies est trois fois supérieureau niveau national. Entre2000 et2007, elle a augmentéde 17%.

Lestravauxinternationauxexa-minés mettent en lumière un

autrefaitmajeur: lapériodedevul-nérabilité que représente la gros-sesse.«Ilyauneprésomptionforted’un lien entre une exposition pro-fessionnelledela femmeenceinteàcertains pesticides et un risqueaccrupour l’enfantdeprésenterunhypospadias [malformation desorganes génitaux masculins] oude développer, plus tard, un cancercérébralouune leucémie», consta-te l’épidémiologiste Sylvaine Cor-dier (Inserm, université Rennes-I)et coauteure du rapport. Selondesdonnées internationales, l’exposi-tionprofessionnelledupèreoudelamèreaugmentede30%à53%lerisque de tumeurs cérébrales del’enfant ànaître.

Les agricultrices enceintes nesontpas les seules concernées.Cel-lesquihabitentdansdeszonesagri-colesd’épandageoucellesquiutili-sentlespesticidesàdesfinsdomes-tiqueslesontégalement:«Desétu-desmontrent un risque augmenté,pourl’enfantànaître,deleucémies,

de troubles de la motricité fine, dedéficit cognitif, de troublesdu com-portement comme l’hyperactivi-té», ajouteMme Cordier.

Si les preuves sont suffisantespour agir vis-à-vis de certains pro-duits–lesorganochlorésetlesorga-nophosphorés –, Jean-PaulMoatti,directeur de l’Institut thématique«Santé publique» commun auxorganismes de recherche publicsfrançaismet en garde: «Attentionau syndrome du réverbère où l’onne regarde que ce qui est éclairé.Notre expertise collective pointe ledéveloppement de nombreusespathologies, mais de futurs tra-vaux pourraient découvrir deseffets insoupçonnés des pesticidesanalysés, ou mettre en évidence latoxicitéd’autres substances.»

Les auteurs recommandentdonc d’«améliorer les connaissan-ces sur l’exposition des popula-tions» et d’obtenir la compositioncomplète des produits mis sur lemarché, ce qui n’est pas le cas

aujourd’hui, les formulescommer-ciales restant protégées par lesecret industriel. En Europe, cesdonnéesnepeuventêtreréclaméesparunseulpays–commeauxEtats-Unis–, car elles relèventde la règle-mentationcommunautaire.

«Si les auteurs de cette largeexpertise réclament surtout quel’on fasse plus de recherche, dit desoncôtéFrançoisVeillerette,porte-parole de l’association Généra-tions futures, ils n’en tirent pasmoins des conclusions très fortes,qui doivent mener à des décisionspolitiques : vente des pesticides

interditesàdesutilisateursnonpro-fessionnelsou interdictionpour lescollectivités publiques d’y avoirrecours…»

Retirer du marché les produitsestparfoisnécessairemaispastou-jours suffisant. Les scientifiques lesavent bien. «De nombreux pro-duits ont été interditsmais les pluspersistants demeurent présentsdans l’environnement ou s’accu-mulentdans lachaînealimentaire,dont l’homme constitue le derniermaillon.»Pour ledéputésocialisteGérard Bapt, qui avait déjà lancél’alerte sur les dangers sanitairesdubisphénolA, etquiaorganisé laprésentation des résultats de l’ex-pertise à l’Assemblée nationale,«ce travail montre l’ampleur duproblème en matière de santépublique. La question est de savoirsi, commedans le casduchlordéco-ne aux Antilles, nous n’avons pasdépassé le point denon-retour».p

PaulBenkimounet Stéphane Foucart

Lesimmigréscontribuentplusenimpôtseten

cotisationsqu’ilsneperçoivent

deprestationssociales

L’expositiondupèreoudelamère

augmentedeplusde30%lerisquedecancercérébraldel’enfantànaîtreMarchéEn2011, lemarchémon-

dial des pesticides s’élevait à44milliardsde dollars (33mil-liards d’euros), en progressionde13,6%par rapport à 2010. 27,7%dece chiffre d’affaires est réaliséenEurope. Viennent ensuitel’Asie, de l’Amérique latine, l’Amé-riqueduNord et de l’Afrique.

Utilisation LesEtats-Unis consti-

tuent lepremier consommateurmondialdepesticides. Suivent l’In-de, la Franceet l’Allemagne.Rap-portéà l’hectare cultivé, le Japonarriveen tête (12kg/ha)devantl’Europe (3kg/ha), lesEtats-Unis(2,5kg/ha) et l’Inde (0,5kg/ha).

TypesEnEurope, lemarché phy-tosanitaire est dominé par les her-bicides et les fongicides.

Pesticides: lespreuvesdudangers’accumulentLesproduitsphytosanitairesprovoquentdescancersetdes troublesneurologiques

L’Union européenne révise sa politique de libre circulation

L’OCDEmetenavantlesvertusfiscalesdel’immigrationLesmigrants rapportentplusqu’ilsnecoûtent. Saufdansquelquespays,dont laFrance

Uneproductionmondiale en forte progression

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Page 7: Le Monde newspaper

france

“JE N’ATTENDS PAS LE SUCCÈSJE LE PROVOQUE”

RYAN REYNOLDS

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Entretien

A l’approchedudébat sur la réfor-medes retraites, Jean-ChristopheCambadélis,députédeParisetvice-présidentduParti socialiste euro-péen,appelle legouvernementà«respecter l’intérêtgénéral».Faut-il selon vous une granderéformedes retraites ou uneréformeplus conjoncturelle?

LePS, qui amis enplace sonpropregroupede travail sur lesretraites, souhaite que le gouver-nementne cèdeni aux sirènesduGrandSoir ni à l’immobilisme. Laméthodechoisie jusqu’à présentnous semble bonne, car elle res-pecte les partenaires sociaux, laretraitepar répartition, donc lasolidarité, et elle respecte aussi lesfaits. C’est commecela qu’il fautaborderune réformequi aunaspect à la fois conjoncturel etstructurel.S’attaquer aux retraites est tou-jours sensible, surtout dans lecontexte social actuel. Quellessont les lignes à ne pas franchir?

Il faut toutmettre sur la table etnepas avoirde réformecachée. Legouvernementdevraêtre la garede triagede l’intérêtgénéral,sachantqu’il y adeuxprincipes àrespecter. Lepremier est qu’il y aunvrai déficitde labranche retrai-te, et tout lemondedoit s’enconvaincre.Celui-ci estdûauralen-tissementéconomique,mais aussià l’allongementde lavie. Il faut letraiterà court termeen trouvant7à8milliardsd’euros.Mais il fautaussi intégrer les effortséconomi-quesmis enplacedepuisunan,c’est-à-dire la compétitivité. Ilnous faut trouverunéquilibrequipermettedepasser l’obstacleet depérenniser les retraitesdans la jus-tice. Si onveut tout faire, onpeutcourir le risquedenerien faire,Juppénous l’amontréen 1995.Aligner le régime des retraitesdans le public sur celui du privéserait-ce selon vous une réfor-me juste?

Cette questiondoit être posée.Il ne doit pas y avoir de sujettabou,mais il ne faut pas en fairenonplus lemarqueurde la retrai-te. Il y a d’autresmarqueurs: leniveaude vie des petites retraites,l’égalitéhommes-femmes, la péni-bilité… Il ne faut pas suivre les aya-

tollahsde la réduction,mais il nefautpasnonplus croire ceuxquipensentque demain sera forcé-ment toujoursmeilleur. Il fautavancerdansune réforme justeet équilibrée.Commeon vit plus longtemps,il va falloir travailler plus long-temps, explique le gouverne-ment. Quand cet argument étaitporté par la droite, le PS le criti-quait. Pourquoi a-t-il changéd’avis?

Je croisqu’il y a euunematura-tiondans l’opinionsur ce sujet.Personneaujourd’huine remet encause l’aspect structurel desdéfi-cits,mêmesi onpeutpenser quel’aggravationestaussi dueauman-quede croissanceéconomique,donc le retourde la croissancequenouspréparonsdevrait logique-ment améliorerenpartie la situa-tion. C’est la raisonpour laquellejemilitepour la réversibilité. Il nefautpas s’enfermerdansune réfor-meabsolue,mais traiter leproblè-meà fond tout en se laissantdespossibilitésde réajuster en fonc-tiondenotre croissance future.LaCGTappelle àmanifester enseptembre, des élus socialistescraignent que la réforme viennepolluer la campagne desmunici-pales. Le gouvernement doit-ilredouter la rentrée?

Ilme semble que l’on crieavantd’avoir le texte. C’est de bon-neguerrepour les syndicats, çal’estmoins pour les politiques. Ilsera toujours temps, quand lesarbitrages seront faits, de dire si lecurseur est juste oupas. Si on res-pecte laméthode, je suis persuadéque l’onpeut arriver àune réfor-mequi, sans avoir un consensusgénéral, peut satisfaire le plusgrandnombre.

Maintenant, la rentrée seradif-ficile, et pas simplement sur laquestiondes retraites: le chôma-ge est là, les Français font desefforts. Il y a aussi des restrictionsbudgétaires, les allocations fami-liales et le bilanquenous a laisséla droite.On vamoins doter lescollectivités locales, et il y a labataille que l’onmène enEuropepour la réorientationde laconstructioneuropéenne. Toutcela fait unmenu lourdpourl’automne.p

Proposrecueillis parB.Bo.

Plus l’échéance approche,plus la réforme a tout de labombe sociale. A la veille de

la remise à Matignon, vendredi14juin, du rapport d’experts de lacommission Moreau, de plus enplus d’élus socialistes ne cachentpas leur inquiétude quant auxretombées dans l’opinion de lafuture réformedes retraites. Leurscraintes semblent fondées aprèsles fuitesdans lapresse la semaineprécédente.

Le document, qui doit servir debase de travail à la concertationlorsdelaConférencesocialedes20et21 juinentre legouvernementetles partenaires sociaux, lance despistes tous azimuts. Pour comblerle déficit des régimes de retraitequi pourrait dépasser les 20mil-liards d’euros d’ici à 2020, le rap-port préconiserait aussi bien l’al-longement de la durée de cotisa-tion à 43 voire 44 ans (contre 41,5actuellement), le recul de l’âgelégal de départ à la retraite à 63 ou65ans, lasous-indexationdespen-sions par rapport à l’inflation, oule rapprochement entre les régi-mesdupublic et duprivé.

« Il y a le pire comme lemeilleur», confie, inquiet, unpilier socialiste de l’Assemblée

nationale. Matignon tente de ras-surer en expliquant qu’«aucunedécisionn’a étéprise»etque«toutcequioppose lesunsauxautresestétranger à l’esprit» dans lequel ilaborde le dossier. Mais sa volontéde demander «des efforts à tout lemonde» est loin de calmer lesesprits. Déjà, dans lamajorité, cer-tains, comme le député des Bou-ches-du-Rhône Patrick Mennucci(PS), appellent à la «prudence».

«La retraite, c’est le patrimoinedesFrançaisquin’enontpas (…).Laresponsabilité du gouvernement,c’est de ne pas le brader», recom-mande l’élu marseillais. ThierryMandon, porte-parole du groupesocialiste, prévient que celui-cisera «très vigilant», notammentsur les mesures concernant lespetites retraites.

Mercredi 12 juin, les députésétaient nombreux à assister à lacommission des affaires sociales,où les parlementaires socialistesont tenté de désamorcer la ques-tion des inégalités entre public etprivé.«Il fautdemanderuneffortàtoutlemonde,maisuneconvergen-ce des règles de calcul entre publicet privé n’est pas nécessaire, expli-que Jean-Marc Germain, un despoids lourds de la majorité sur le

social. Elle a déjà été opérée par lesréformesde 2003, 2008et 2010.»

Le sujet est explosif depuis quel’on sait que le rapport de YannickMoreauproposeraitdecalculer lesretraitesdes fonctionnairessur lesdix dernières années de carrièrepour les rapprocher du privé, oùles vingt-cinq meilleures annéessontprises en compte.

Pour contrer les attaques del’UMP, les députés PS ont notam-ment repris une étude du Conseild’orientationdesretraitesquimon-tre que le niveau de pension parrapport au dernier salaire n’est en

moyenne pas très différent entrepublic et privé. «Seul compte cetaux de remplacement», a assuréMichel Issindou, le probable futurrapporteur (PS) du texte, alors queles pensions du public sont bienplusélevéesquedans leprivé.

Dans la foulée, une quinzainededéputés socialistes ont déjeunéavec Claude Bartolone, le prési-dent de l’Assemblée. Beaucoup sesont plaints du manque de pers-pectives politiques posées parl’exécutif avant la tenue du débat.Leur principale inquiétude portesur les effets d’une réforme «uni-quement comptable».

«Nos électeurs vivent déjà dansun climat anxiogène depuis desmois, il ne faudrait pas que lesretraites soient le point de bascule-ment», alerte un des convives.D’autantqueleprojetdeloiestcen-sé être voté à l’automne alorsqu’auront à peine débuté les cam-pagnes pour les électionsmunici-pales de 2014. Sans parler d’éven-tuelles conséquences de manifes-

tationsd’ampleurdesfonctionnai-res et des salariés comme ceux dela SNCF ou d’EDF, qui bénéficientde régimes spéciaux. «Le risqued’un mouvement social inquiètebeaucoup au sein de la majorité,mais il est évitable », se rassu-rer-t-onau seinde l’exécutif.

C’est en tout cas lamise en gar-de qu’a adressé Pierre Laurent,secrétaire national du Parti com-muniste, mercredi 12 juin sur LCI.«Si le gouvernement essayait d’al-ler à marche forcée vers une réfor-me qui est le contraire de ce qu’at-tendentceuxqui l’ontélu,effective-ment, on irait vers des graves pro-blèmes sociaux», a-t-il averti.

Au Front de gauche, on refusetout net les pistes avancées par lerapportMoreau et on continue dedéfendre le retour de la retraite à60anspour tous et à tauxplein. Siles écologistes se montrent plusconciliants, ils se sont prononcésfinmaipour«unenécessaireréfor-me»maisqui se fasse«dans la jus-tice», qui «prenne en compte la

pénibilitéet qui écarte une aug-mentation de l’âge légal » dedépart à la retraite. La question dela durée de cotisation, qui n’étaitpasmentionnée, ne semble égale-ment pas ravir leur secrétairenational, Pascal Durand, qui adénoncé,mardi,une«solutionsim-pliste» et «une visiond’épicier».

Le sujet seraau cœurd’une ren-contreorganiséeparlePCF,diman-che, entre tous les partis de gau-che, excepté Lutte ouvrière qui adécliné l’invitation. Le Front degauche, l’ailegaucheduPS, leséco-logistes et le NPA se retrouventpour discuter autour de l’idée de«changer de cap en France et enEurope». Les retraites occupentune bonne place dans le program-me de la journée, où les partici-pants seront amenés à répondre àla question suivante: «Vivre pluslongtemps: faut-il travailler pluslongtemps?»pRaphaëlleBesseDesmoulières,

BastienBonnefouset Jean-Baptiste Chastand

Retraites:uneréformequidiviselagaucheDeplusenplusd’élussocialistess’inquiètentdesretombéesdans l’opiniondespropositionsdurapportMoreau

M.Cambadélis :«Il fauttoutmettresurlatableetnepasavoirderéformecachée»

«Si legouvernementessayaitd’alleràmarcheforcée,

oniraitversdesgravesproblèmessociaux»

Pierre Laurentsecrétaire national du PCF

70123Vendredi 14 juin 2013

Page 8: Le Monde newspaper

Ladécision vient d’être prise àl’Elysée,àlalueurdesderniersévénements judiciaires.

Après s’être constitué partie civile,l’Etatvadéposerdemanière immi-nente un recours en révisioncontre l’arbitrageayantaccordé,enjuillet2008, 403millions d’euros àl’homme d’affaires Bernard Tapie,dans le cadre de son conflit avec leCréditlyonnais.Unnouveaurebon-dissement alors que l’affaire Tapiefait des ravages dans les rangs desresponsablespublics.

Le PDG d’Orange, StéphaneRichard, a étémis en examenmer-credi 12 juin pour «escroquerie enbande organisée», par les jugesparisiensSergeTournaire,Guillau-me Daïeff et Claire Thépaut.M.Richard était le directeur ducabinet de la ministre de l’écono-mie, Christine Lagarde, à l’époqueoù le gouvernement a accepté desolder le contentieux entreM.Tapie et le Crédit lyonnais parun arbitrage très défavorable àl’Etat.

Le maintien de M.Richard à latêtedugroupede télécommunica-tions est désormais problémati-que. Au sommet de l’Etat, action-naire minoritaire d’Orange, on seposeunequestion:M.Richardest-il encore enmesuredediriger l’en-treprise?Laréponsesemblepositi-ve, puisque le contrôle judiciaireauquelilestsoumisl’empêcheuni-quementde rencontrer les acteursde l’affaire.

Au-delà de l’avenir du patrond’Orange, les juges s’approchentdésormais des figures politiquesdudossier. Lesmagistrats, chargésd’investiguer sur les conditionsdans lesquelles, en 2008, un tribu-nalarbitralapuoctroyerlasommede 403millions d’euros à BernardTapie, dans le cadre de son conflitavec leCrédit lyonnais,vontdésor-mais cibler Claude Guéant, déjàperquisitionné dans ce dossier,mais aussi son ancien adjoint àl’Elysée François Pérol, actuelpatron du groupe bancaire BPCE.Au final, seul son statut juridiqued’ancien chef de l’Etat protègeencoreNicolasSarkozy.

L’homme clé du dispositif estconnu: c’est le haut fonctionnaireJean-François Rocchi, patron duBureau de recherches géologiqueset minières (BRGM), ex-responsa-ble du CDR, l’organisme chargé degérer le passif du Crédit lyonnais.M.Rocchi a été également été mis

enexamen,mercredi,pour«escro-querie en bande organisée», etpour «usage abusif des pouvoirssociaux».

L’avocat de M.Rocchi, Me Jean-Alain Michel, s’est étonné de lamiseenexamendesonclientalorsque Christine Lagarde a bénéficiédustatutdetémoinassisté,devantlesmagistratsde la Cour de justicede la République. A la lumière deces nouveaux éléments, les jugesde la CJR pourraient faire évoluerle statut judiciaire de la patronneduFondsmonétaire international,par exemple lui signifier unemiseenexamen.

M.Richardapoursapartannon-céunrecourscontresamiseenexa-men. Lorsde ses deux joursde gar-de à vueà la brigade financière, il adésigné M.Rocchi comme princi-palmaîtred’œuvrede l’arbitrage–avec l’aide de l’avocat GillesAugust–, sur ordrede l’Elysée.

Les enquêteurs ont tenté d’ex-plorer la chronologie de l’affaire.Aprèsde nombreusesdécisionsdejustice favorables à l’homme d’af-faires, en 2006, la Cour de cassa-tion rendait enfin un arrêt jugéfavorable par Bercy aux positionsdel’EtatdansledossierTapie.Pour-tant, la décision est prise d’entrerenarbitrage. Par qui?

«Vilain petit canard»Selon M.Richard, c’est Claude

Guéant, alors tout nouveau secré-taire général à l’Elysée, qui, lorsd’une réuniondans sonbureau, auprintemps 2007, lui aurait dit :«l’arbitrage,onva le faire».Al’épo-que,M.Richard, ami deM.Sarkozymais plutôt classé à gauche, a étéimposé comme directeur de cabi-net au centriste Jean-Louis Borloo,éphémèreministre de l’économie,jusqu’en juin2007.Dès sonarrivéeà Bercy, celui-ci lui a présenté Ber-nardTapie,dontil fut l’avocatdansles années 1980.

L’homme d’affaires vient plai-der sa cause auprès de M.Richard.Contacté par Le Monde, M.Borlooconfirme le rendez-vous.«BernardTapiem’apasséuncoupde fil, je luiai dit de venir prendre un café, il ad’abord rencontré M.Richard carj’étaisenretard.Jenemesuisjamaisoccupé de ce dossier, étant le plusmalplacédanstouslescasdefigure.Et je vous rappelle que j’étais levilainpetitcanarddelaSarkozie…»,explique le leaderde l’UDI.

Reste que la décision de lancer

l’arbitrageest prise.C’est lePDGduCDR, M.Rocchi donc, qui s’occupede l’ingénierie. C’est un préfet, quiconnaît bienClaudeGuéant – ils setutoient – pour l’avoir côtoyé dansles cabinets ministériels. En 2009,il est d’ailleurs nommé à la tête duBRGM, l’un des plus beaux postesde la République. «Je ne le connaispas à l’époque, assure M.Borloo,C’est Matignon et l’Elysée qui l’ontproposépour ceposte.»

A Bercy, un front s’organisecontre la décision d’entrer en arbi-trage. L’avocat historique du dos-sier, Me Jean-Pierre Martel, s’oppo-se résolument à cette solution. LeCrédit lyonnais lui-même fait partde son désaccord. Il sera écarté infine de l’arbitrage. Enfin, la Caissedes dépôts et consignations, à

laquelle est adossé le CDR, n’estjamais sollicitée par M.Rocchi.Autre anomalie, la solution d’unéventuel appel de la sentencen’estpasretenue,alorsqu’un«préjudicemoral» accordé aux Tapie fait sonapparition.

L’Agence des participations del’Etat, dirigée par Bruno Bézard,aujourd’hui directeur général desfinances publiques, s’emporte.M.Bézard a laissé un courrier datédu 1er août 2007 dans lequel il rap-pelle avoir «formellement décon-seilléàl’anteprédécesseurduminis-tre [M.Borloo] d’autoriser le CDR às’engager dans cette voie[l’arbitrage]quiseraitcontraireauxintérêtsduCDRetde l’Etat».p

GérardDavetet Fabrice Lhomme

LAQUESTIONdumaintienà sonpostedeStéphaneRichard,PDGd’Orange,est posée.Avecsamiseenexamenpourescroquerieenbandeorganisée, lapressionsur ledirigeantde51 ans, arrivéà la têtede l’opérateurde télécommunica-tionsen2010,estmontéed’uncran,mercredi 12juin, embarras-sant legouvernement.

Ladirectiondugroupeaassuré,mercredi,que«cetteaffaireneconcernepasOrangeetn’apasdeconséquencessur les responsabili-tésactuellesdeM.Richard. Il seradans sonbureaudemainmatin».MaisMatignona réagi immédiate-mentendéclarantque le conseild’administration(CA)d’Orange«se réuniraitdans lesprochainsjours»pour«faire lepoint»et«déciderdes conséquencesà tirer».

L’Etat, quipossède27%ducapi-talde l’ex-monopole,disposedetrois représentantssurquinzeàsonCA:deuxde l’Agencedesparti-cipationsde l’Etat,unpour leFondsstratégiqued’investisse-ment.«Les représentantsde l’Etat

[…] sedéterminerontpar rapportau seul intérêtde l’entreprise», adéclarédansuncommuniquéPier-reMoscovici, leministrede l’éco-nomie.«Laquestiondumaintienàla têted’OrangedeStéphaneRichardestposée», a estimépoursapart FleurPellerin,ministrechargéede l’économienumérique,jeudi 13juinaumatin.

LeCAd’Orangepourrait se réu-nir lundi 17juin, selonunesourceinterne.«Onne saitpasencore, onn’apasété convoqués», nuanceunadministrateur.LemandatdeM.Richardcourt théoriquementjusqu’à l’assembléegénéraledemai2014. Il s’était déclaré candidatàunsecondmandaten juillet2012.«On ignoreencore lapositionqu’adopteront les trois représen-tantsde l’Etat»assuraientdeuxadministrateurs,mercredi.

Lapositiondeshuit «indépen-dants»duconseil (dont José-LuisDurán,ClaudieHaigneré, Jean-MichelSeverino,maisaussi Sté-phaneRichard)n’estpasnonplusconnueàce jour.

Les centrales syndicalesdedeuxdes troisadministrateurssalariésse sontdésolidariséesdeM.Richard,mercredi.«Onvoitmalcommentune tellemise enexa-menest compatibleavec ladirec-tionde l’entreprise», a déclaréSUD.«L’Etat etM.Richarddoivent s’inter-roger sur sonmaintienà la têtedugroupe», souligne laCGT.LaCFDT,égalementreprésentéeauconseil,a en revanchesoutenulePDG.

Décision politique«Si c’est ladémocratiedu

conseilqui joue, le sortdeM.Richardn’estpas scellé», assureunadministrateur.«Celadépen-draavant toutde lui, croit savoirun autre administrateur, c’est sonenviede resterà la têtedugroupequi conditionnera lepositionne-mentduconseil.»Cependant,pourcettesource, ladécisionserapoliti-que.C’est à l’Elyséeet àMatignonque le sortdeM.Richardsera tran-ché,«enamontduconseil».

L’Elyséene faisaitpas lemoin-drecommentaireofficiel,mercre-

di, renvoyantauprudentcommu-niquédeM.Moscovici.Un textequ’ArnaudMontebourgn’apassigné. Leministre,quidétient lacotutellesur l’Agencedesparticipa-tionsd’Etat, avait récemment indi-quéauMondequeM.Richarddevraitdémissionners’il étaitmisenexamen,avantdese rétracter.

Pour l’instant, lemessagedesconseillersduPalais auxcabinetsministérielsest desplus flous: « leprésidentattend», font-ilspasser.Dans lesministères, certains s’in-terrogent:«Aunmoment, il vabien falloir que l’Elyséedonne laconsigneaux représentantsdel’Etat», s’agace l’und’eux,quiplai-depourunedémissionrapidedeM.Richard.

«Est-cequeCahuzacétaitunbonministredubudget?Oui. Est-cequ’il pouvait rester?Non.Celaamèneraitunpeude clartédansunmondeoù, tous les trois jours,uneaffairenouvelle surgit», ajoutecettesource. p

CécileDucourtieuxetDavidRevaultd’Allonnes

société

L’avenirdeStéphaneRichardàlatêted’Orangeenquestion

Lessalariésd’OrangedéfendentlebilandeleurPDG

C’ESTPEUDIREque lamiseenexa-mendeStéphaneRichard, le PDGd’Orange, dans le cadrede l’enquê-te sur l’arbitrageen faveurdeBer-nardTapiedans l’affaireAdidas-Crédit lyonnais, secoue les espritschez l’opérateurde télécommuni-cations.

Nombrede salariés redoutentde se retrouver sans capitaine– ouavecun chefdont l’image seraitentaméepar ses ennuis judiciaires–, alors que lemarchédes télé-comsest particulièrementdiffici-le et concurrentiel, surtout enFrance.Orange avu sonprofit s’ef-fondrerdepresque80%entre2011 et 2012. Le coursdeBour-sene cessede s’effriter: l’actionnevautplusque7,5euros.

«Personnen’est toutblancdansl’histoire,mais ona l’impressionqueM.Richard sertde fusible»,regretteFabrice Faye, chefd’équi-pe chezOrangeEntreprises.«Unefoisdeplus, onnousdonneuncoupsur la tête, on veutnotrepeauouquoi?», ajouteEvelyneHardy,de ladirection financièred’uneautre filialedugroupe.

«Onaimerait biennepas êtreles otagesde lapolitique, queM.Richard termineaumoins sonmandat», confesseuneautrecadreparisienne. Elle ajoute: «S’ils’enva, cela vagénérerdes luttesdepouvoir en interne, on vaperdrele sensdu collectif alors qu’onenaabsolumentbesoin.»

Mêmes’il n’est pas encoreoffi-ciellementquestionqueM.Richardquitte la tête dugrou-pe, cette salariée regrettedéjàundirigeantqui, depuis sonarrivée,en2010, a réussi à apaiserun cli-mat social détestable, lié à la «cri-se des suicides». «Il a pacifié lesrelations sociales. Je suismoins

stresséquand je vais aubureau lematin», reconnaîtPascal Trochet,dusyndicat SUD, àRennes.«Il aréussi àmodifier les pratiquesdumanagement», pourM.Faye.

Le rôle desmanagersavait ététrèsdécriépendant la crisedes sui-cides, de 2007à 2009. Ils étaientcensésmettre enœuvre le plan«Next», décidépar la directiondel’époque. L’objectif était de suppri-mer 22000emplois en trois ans.«M.Richardamis finaux restructu-rations forcées. Il y a euuneaccal-mie», relèveNorbertMonforte,syndicalisteCGT.«Il a réussi à fai-re cohabiter des contraintesde ren-tabilitéavecunpilotagehumaindugroupe», selonMmeHardy.

Peude détracteursSur le planopérationnel, le

bilandeM.Richardaégalementpeudedétracteurs.MmeHardytrouvequesonpatrona«su fairede lapédagogieauprèsdes repré-sentantsde l’Etat pourque le divi-dendebaisse, afin depréserverdesmargesdemanœuvrepour inves-tir».M.Faye conclut: «Onest ensituationde crise,mais on s’en sortplutôtmieuxque les autresopéra-teurs.Onaencoreun intéresse-ment, uneparticipation.»

Tousneveulent cependantpasse laisserenfermerdansun sou-tien sans réserve aupatron. «Dansles boutiquesOrange, le sort deM.Richardnous importepeu.Onconstate justeque lapression surles équipesmonteànouveautrèsfortement: les Françaisne choisis-sentplusquedes forfaits lowcost,ducoup, les vendeursont dumalàtenir leurs objectifs», s’inquièteJean-MarcLassoutanie, déléguéCGTàParis.p

C. Du.

* Etablissement public de financement et de restructuration SOURCE : LE MONDE - INFOGRAPHIE : LE MONDE

Maurice LantourneL’avocat de Bernard Tapie a étéplacé en garde à vue, fin mai, sansêtre mis en examen. Il pourraitêtre à nouveau convoqué parles magistrats. Les enquêteurss’intéressent à ses relationsavec Pierre Estoup.

LESARBITRES

L’AVOCAT

L’ÉLYSÉE

LEMIN

ISTÈRE

DEL’ÉC

ONOM

IE

LE CONSORTIUMDE RÉALISATION(CDR)

L’EPFR*

Pierre EstoupAncien haut magistrat, il a été mis en examenle 29 mai pour «escroquerie en bande organisée».Il est soupçonné d’avoir eu des liens avec BernardTapie et son avocat de nature à fausser l’arbitragerendu en faveur de M. Tapie dans son litige avecle Crédit lyonnais. M. Estoup avait pour obligationde signaler ces relations.

Jean-François RocchiArrivé en 2007 à la présidence du CDR, qu’il aquittée le 22 avril 2013, il a supervisé l’arbitrage.Il est au cœur de l’enquête de la CDBF. Le CDRa annoncé, le 4 juin, son intention de se constituerpartie civile. Le 12 juin, il est mis en examen pour«escroquerie en bande organisée» et «usageabusif des pouvoirs sociaux».

Jean-Denis BredinEcrivain et avocat, il a étédésigné arbitre par le Créditlyonnais en juillet 2008.

Bernard ScemamaPrésident de 2007 à 2009 de l’EPFR,structure chapeautant le CDR (chargéde gérer le passif du Crédit lyonnais),il est concerné par l’enquête judiciairenon ministérielle et celle de la Cour dediscipline budgétaire et financière(CDBF), qui dépend de la Cour descomptes. Il a expliqué en août 2011 auMonde qu’il n’avait fait qu’obéir à saministre de tutelle, Christine Lagarde.

Nicolas SarkozyL’ancien chef de l’Etat estsoupçonné d’avoir joué un rôledans l’arbitrage pour favoriserBernard Tapie, qui l’avait soutenuavant l’élection présidentiellede 2007. Certains de ses agendassont entre les mains de la justice.

Stéphane RichardLe patron de France Télécom, mis en examen le 12 juinpour «escroquerie en bande organisée», était directeurdu cabinet de Mme Lagarde quand la décision del’arbitrage a été prise. Il a reconnu une réunion en 2007avec Nicolas Sarkozy et Claude Guéant, mais il nie toutordre de l’Elysée.

Claude GuéantL’ancien secrétairegénéral de l’Elysée est luiaussi soupçonné d’avoirfavorisé l’arbitrage enfaveur de Bernard Tapie.Les enquêteurss’intéressent notammentà ses liens avecJean-François Rocchi.

Pierre MazeaudPrésident du Conseilconstitutionneljusqu’en 2007.

Bernard TapieIl achète Adidas en 1990 et veuts’en défaire dès la fin de l’année1992, une fois devenu ministre,à la demande du présidentFrançois Mitterrand. Il demandeau Crédit lyonnais de s’occuperde la vente de ses parts.La banque réalise d’importantesplus-values, mais, selon M. Tapie,ne les lui signale pas.S’estimant floué, il entame uneprocédure contre le Lyonnais.En 2007 et 2008, il a rencontréNicolas Sarkozy à de multiplesreprises, avec qui il auraitévoqué son contentieux.La justice se penche aussi surles liens qu’il entretenait avec lejuge arbitre Pierre Estoup.

Pierre MoscoviciLe ministre de l’économie

a annoncé fin mai auMonde quele gouvernement contesterait l’arbitrage

rendu en 2008 «si une atteinte aux intérêts del’Etat [était] avérée». Son ministère a mandatédes avocats afin de se constituer partie civile

dans le volet non ministériel du dossier. Dans unsecond temps, toujours selon M.Moscovici, quiagit suivant les consignes de François Hollande,l’Etat pourrait intenter un recours en révision

de l’arbitrage controversé, dans l’espoirde récupérer les fonds versés

à Bernard Tapie.

Christine LagardeL’ancienne ministre del’économie de Nicolas Sarkozya été entendue par la Cour dejustice de la République, les 23et 24 mai, qui l’a placée sousstatut de « témoin assisté». Elleest mise en cause pour avoirdonné son accord, en octobre2007, à une procédured’arbitrage, mais aussi pouravoir refusé ensuite de déposerun recours contre une décisiontrès défavorable à l’Etat.

L’ÉTATAUJOURD’HUI

Les principaux acteurs de l’arbitrage de 2008AffaireTapie:l’Etatvacontesterl’arbitrageenjusticeLamiseenexamendeStéphaneRichard,PDGd’Orange,etdeJean-FrançoisRocchi,ex-PDGduCDR,rapprocheles jugesdesacteurspolitiques

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Page 9: Le Monde newspaper

société

Christiane Taubira, la rage aucœur, a dû se résigner à pré-senter, mercredi 12 juin, en

conseil desministres, un projet deloi sur la protection des sourcesdes journalistes passablementtronqué et assez loin de ses espé-rances. Sous la pressionconjuguéedesministres de l’intérieur et de ladéfense, la garde des sceaux a dûrenoncer à la principale avancéeque comportait le texte, pourtantlonguement mûri et appuyé surune large concertation. La versionfinale, lourdement rabotée par leConseil d'Etat, n’est plus très diffé-rente de la situation bancale quiprévautaujourd’hui.

La loi du4janvier 2010, adoptéepar la précédentemajorité et tou-jours en vigueur, partait d’unebonne intention. «Il ne peut êtreporté atteinte directement ou indi-rectementausecretdessourcesquesiunimpératifprépondérantd’inté-rêtpublic le justifie et si lesmesuresenvisagées sont strictement néces-sairesetproportionnéesaubutlégi-timepoursuivi.»

La loi reprenait ainsi mot pour

mot la jurisprudence de la Coureuropéenne des droits de l’hom-me, pour qui les journalistes sont«les chiensdegardede ladémocra-tie» et la protection des sources«l’une des pierres angulaires de lalibertéde lapresse».

Le texte a rapidement fait lapreuve de ses insuffisances; troismoisplustard,leprocureurdeMar-seille faisait examiner les fadettes– les factures téléphoniquesdétaillées–dedeuxjournalistesduMondepourunmincedélitdepres-se, un «recel de violationdu secret

de l’instruction» – une infractionque Mme Taubira se proposed’ailleurs d’abroger. Enjuillet2010, le directeur central durenseignement intérieur (DCRI)ordonnait de saisir les relevés télé-phoniquesd’unjournalisteduquo-tidien, suivi en septembre par leprocureur de Nanterre, et deuxjuges d’instruction de Lille envisa-geaient encore au mois de maid’éplucher les fadettes de six orga-nesdepresse.

C’est que « le motif prépondé-rant d’intérêt public » est une

notion floue, qui autorise tous lesécarts. La Commission nationaleconsultative des droits de l’hom-me (CNCDH), saisie parMmeTaubi-ra, s’était proposéede la définir.

Lachancellerieafinalementpré-féréuneautre formule:«Il nepeutêtre porté atteinte directement ouindirectementausecretdes sourcesque pour prévenir ou réprimer lacommission soit d’un crime, soitd’un délit constituant une atteintegrave à la personne», et à deuxconditions«cumulatives» : que lesinformationsrevêtent«uneimpor-tance cruciale» et qu’elles ne puis-sent«êtreobtenuesd’aucuneautremanière».

CependantleConseild’Etat,réu-nienassembléegénérale le30mai,a jugéque le texteallait troploinetque la protection des sources«devait être conciliée avec desobjectifs à valeur constitutionnelle,enparticulier la sauvegardede l’or-dre public». Christiane Taubira adû ainsi reculer: il sera désormaispossible de porter atteinte ausecret des sources, toujours «pourune atteinte grave à la personne»,

mais aussi pour avoir porté attein-te «aux intérêts fondamentaux dela Nation, et si les mesures envisa-gées sont strictementnécessairesetproportionnées au but légitimepoursuivi».

Les conditions cumulatives ontdisparu, et le champ des «intérêtsfondamentaux de la Nation» estimmense;ilenglobeladéfense,«lepotentiel scientifique» et même«le patrimoineculturel» français…

Le texte initial précisait qu’ils’agissaitdes atteintes«directesouindirectes»ausecretdes sources, leConseil d’Etat l’a aussi fait suppri-mer: une atteinte indirecte, via lesfadettes par exemple, reste-t-elle

encore une atteinte ? Enfin leConseil souhaitait interdire auxjournalistesd’accompagnerlespar-lementairesenprison,maislachan-cellerie a pu maintenir la disposi-tion. Il restecependantunprogrès:les procureurs ou les juges d’ins-tructiondevrontobtenirl’autorisa-tion d’un juge du siège, le juge deslibertésetdeladétention,pourpor-ter atteinteau secretdes sources.

FrançoisHollandeasaluéuntex-te «qui vient renforcer l’exemplari-té de la République suite à des inci-dents passés. C’est un bon équilibrequi a été trouvé». Cet enthousias-me n’est pas totalement partagé.«Le projet de loi est très proche dutexte actuel, regrette le magistratJean-Yves Monfort, membre de laCNCDH. La définition des intérêtsfondamentauxde laNationest trèslarge, on ne résout pas le problè-me.»Même avis chez le présidentde la presse judiciaire.«On s’atten-daitàuneavancéeetonenrestepra-tiquement à la loi de 2010avec uneautre formulation», se désole Pier-re-AntoineSouchard.p

Franck Johannès

Conformémentà lapromessede campagne de FrançoisHollande, un débat sur l’im-

migration professionnelle devaitavoir lieu, jeudi 13 juin, à l’Assem-bléenationale.Undébat sansvote,puisque aucun texte ne sera sou-mis aux parlementaires – choserare–maisundébatquandmême,et qui se veut un élément de laréflexion autour de « l’attractivi-té»de la France.

Lapremièrepartie de ce débat aeu lieu, fin avril, au Sénat, dansune relative indifférence –d’autant plus que la propositionsensible du candidat Hollande demettreenplacedes«quotas»aétéécartée.Lesdiscussionsdece jeudipourraient toutefois être plus ani-mées, notamment parce que laséancea étéprogramméeà 15heu-res et nonpas à 21h30.

Les étudiants étrangers devai-ent figurer au cœur du débat. Ilsreprésententuntiersdel’immigra-tionéconomiqueenFranceetbeau-coup de jeunes restent sur le terri-toire pour travailler une fois leurcursus terminé. Mais si la France,avec quelque 300000 étudiantsétrangers par an, est le 4epays aumondeleplusattractif,ellen’attireque 3% des étudiants asiatiques(Chinois, Indiens, Coréens, etc.).

Or ces jeunes sont considéréscomme des talents stratégiquesdans la compétitionqu’est lamon-dialisation. «Le monde est en trainde changer et le monde ne nousattendra pas», confie-t-on PlaceBeauvau.Le10juin,unecirculaireaétépubliéepour permettre l’octroide titres de séjour équivalents à laduréedesétudes–etnonplusseule-mentd’unanrenouvelable.

Les étudiants étrangers sontcependantlapartie laplusconsen-suellede laquestionde l’immigra-tion économique. Les besoins enmain-d’œuvrede secteurs commele bâtiment sont un sujet autre-ment plus épineux. Mais il n’estpas certain que les députés se ris-quent à l’aborder tant le sujet estdélicat à justifier politiquementpar tempsde crise.

Plus symboliquement, auministèredel’intérieur,onsouhai-terait que le débat parlementairemarque la fin d’une «séquence»politique en matière d’immigra-tion.Autermedecettepériodequicorrespondà lapremièreannéedemandat de M.Hollande, la PlaceBeauvau estime être arrivée «nonpasau consensus,mais aumoins àun dialogue plus raisonnable».«Aprèsdixansdediscoursextrême-ment brutal sur les étrangers, on aremis du droit, de la raison, du cal-me», se félicite-t-on.

Systèmede rétentionLa deuxième « séquence »,

détaille-t-on dans l’entourage deManuel Valls, va surtout consisteren la rédaction d’un projet de loi.Initialementprévupourl’été,celui-ci devrait être déposé à «l’autom-ne». Il devrait contenir la créationde titres de séjour pluri-annuels.L’accompagnement pour les pri-mo-arrivants dans le cadre ducontrat d’accueil et d’intégrationpourrait passer de un à cinq ans.Des aménagements des titres deséjourpour les immigrésâgés sontaussienvisagés.

La possibilité d’une réforme dusystèmederétentionpourlesétran-gers en instanced’expulsion, n’est,elle, «pas encore tranchée». Leministèredoitexaminerl’opportu-nité de revenir sur les durcisse-mentsadoptésenjuin2011parl’an-ciennemajorité dans le cadre de laloi dite «Besson»: rôle du juge deslibertéset de la détention,duréedela rétention…

Le gouvernement devrait enfinproposer prochainement uneréformedusystèmed’asile,aujour-d’hui très imparfait. Une grandeconsultation doit démarrer enjuillet pour s’achever en fin d’an-née. Cette réforme est d’ailleursrendue nécessaire par l’adoption,mercredi 12 juin, d’une directiveeuropéennesur le sujet.p

EliseVincent

Les«intérêts fondamentaux dela Nation», qui pourront légiti-mer une atteinte au secret dessources des journalistes, sontparticulièrement larges etbalaient un champqui va de ladéfense nationale à l’environne-ment. Ils sont définis par l’arti-cle410-1 du code pénal :«Lesintérêts fondamentaux de lanation s’entendent au sens duprésent titre de son indépendan-

ce, de l’intégrité de son territoi-re, de sa sécurité, de la formerépublicaine de ses institutions,des moyens de sa défense et desa diplomatie, de la sauvegardede sa population en France et àl’étranger, de l’équilibre de sonmilieu naturel et de son environ-nement, et des éléments essen-tiels de son potentiel scientifi-que et économique, et de sonpatrimoine culturel.»

36000étrangersrégularisés en 2012

«Ons’attendaitàuneavancéeetonenrestepratiquementàlaloide2010avecune

autreformulation»Pierre-AntoineSouchard

président de la pressejudiciaire

Lors d’un entretien avec la pres-se,mercredi 12juin, leministèrede l’intérieur a indiqué que36000étrangers sans papiersavaient été régularisés en 2012.Un chiffre nouveau car jusqu’àprésent il n’existait aucun comp-tageprécis,mêmesi les régulari-sations étaient estiméesà30000par an. Ce comptage aété rendupossible par une réfor-mede l’anciennemajorité quioblige, depuis le 1er janvier 2012,les étrangers à s’acquitter d’un«visa de régularisation».

Pourlapremièrefois,lesdéputésdébattentdel’immigrationsansvoteM.Vallsveutouvrirunenouvelle«séquence»surce thèmeavecunprojetde loi à la rentrée

Les«intérêts fondamentauxde laNation», un champ large

LesavancéespromisessurlesecretdessourcessuppriméesSouslapressionconjuguéedel’IntérieuretdelaDéfense,MmeTaubiraadûprésenterunprojetdeloienretraitparrapportà l’ambitioninitiale

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Page 10: Le Monde newspaper

PortraitParachutéàBercy, leministredéfendsafuture loidefinanceset imposeaprèslebouillant JérômeCahuzacuneautreméthodedetravail

M.Cazeneuve,undiplomateaubudget

Avec son accent chantant duSud-Ouest, qui n’adoucitpaslasécheressedesonpro-

pos, Yves Censi, député UMP del’Aveyron et pilier de la commis-sion des finances, s’interroge sur«l’honnêtetéintellectuelle»deBer-nard Cazeneuve. Leministre délé-gué aubudget ne cille pas.

Parachuté le 20mars à Bercyaprès la démission de JérômeCahuzac – «un hommeque l’on neremplace pas, mais auquel on suc-cèdemodestement», avait-ildécla-ré lorsdelapassationdepouvoir–,BernardCazeneuveseraitbienres-té aux affaires européennes. Lau-rent Fabius n’avait aucune enviede le lâcher,mais une propositionduprésident et du premierminis-treneserefusepas…Lespremièressemainesont été rudes. Ses prédé-cesseurs de droite (Eric Woerth,François Baroin, Valérie Pécres-se…) ne lui ont fait aucun cadeau.

Cemercredi12juin,àlacommis-sion des finances de l’Assemblée,Bernard Cazeneuve répond auxaccusationsde «mauvaise foi». Cevieux renard de la politique toutjuste quinquagénaire leur oppose«les chiffres incontestables» de laCour des comptes sur l’exécutionde la loi de finances 2012. Au cen-tristePhilippeVigier (UDI,Eure-et-

Loir), qui l’interroge sur les écono-mies budgétaires de 2014, ilrépond par une pirouette: «Il y aun temps pour tout.» Et rappelleque la commissiondes finances seréunit sur l’exécution 2012. A Pas-cal Cherki (PS, Paris), qui lui pose«une question Trivial Pursuit» sur64millions d’annulations de cré-dits, il promet une réponse écritedans les quarante-huit heures. «Jene suis pas un logiciel», ajoute-t-il.

A aucun moment, cet hommefluet ne se départ de son calme. Il atrop de métier pour cela. Commeson ami Laurent Fabius, qui l’a faitgrandir enpolitiqueet lui a trouvé,au début des années 1990, une ter-redemissionàOcteville (Manche),ils’exprimed’unevoixdouce.Affa-ble, toujours tiréàquatreépingles,cet avocat de formation qui mili-tait à 19 ans chez les radicaux degauche pour ne pas faire commeson socialiste de père, est unhom-memesuré.

Il s’étonne d’avoir été trouvétrop technicien et pas assez agres-sif dans sonduel télévisédu6juinsur France 2 avec François Fillon.«Jesuisdésireuxd’êtredanslamaî-trise technique pour ne pas racon-terdebalivernes.Et jepenseprofon-démentque lapolitiquen’estpas laguerre.Bref, je suis commeje suis»,

dit-il, agacé, au Monde. Devenu«fabiusien par mitterrandisme»,Bernard Cazeneuve n’a jamais eude responsabilité au Parti socialis-te : «L’appareil, ce n’est pas montruc.»Dans sa vie d’élu local et deparlementaire – il a été neuf ansmaire de Cherbourg-Octeville etdixansdéputé, ilacultivésonsensde l’écoute.

Le député UMP de Haute-Mar-ne François Cornut-Gentille l’a

côtoyé comme jeunemaire avantde le retrouver à l’Assemblée. A lacommission de la défense, ils onttravaillé ensemble, plusieursannées, sur le suivi de la réformedes armées. Et se sont appréciés.«BernardCazeneuve est rigoureuxetréfléchi,pasdutoutvindicatifoutapageur. Il sait être rusé et trèstenace», témoigne le maire deSaint-Dizier qui, lucide, lui recon-naît un côté «bonpetit soldat».

«C’est le seulministrequi va sys-tématiquement voir les parlemen-taires pour les convaincre enamont de ses positions», renchéritKarine Berger. La députée PS desHautes-Alpes se souvient du «tra-vail incroyable» de consultationsur le dernier traité européenconduit par l’ancien noniste. «Il aénormémentbossé. Ilprogressetrèstrès vite», témoigneMme Berger.

«Ila le souciabsoludene jamaisêtre pris en défaut. Il rentre dans latechnicitédessujets. Ilnousdeman-deénormémentdepapiers. Puisonenparleensemble.Après cettepha-sedematuration, ilpasseàunefor-mulation politique et stratégi-que», confie Guillaume Robert,directeur adjoint de cabinet.Récemment,M.Cazeneuveest allédiscuteraveclegroupecommunis-te de la fraude fiscale.

Leministren’a pas les aspéritésde son prédécesseur. «Il est beau-coup moins directif. Ses fonctionsde diplomate l’ontmarqué, assureChristianEckert, rapporteur PS dubudget. Moscovici et Matignonsontplusprésentsqu’ilsne l’étaientprécédemment. Ce n’est probable-ment pas facile pour lui, mais ilessaie de convaincre et reprend lamainen douceur.»

Les discussions budgétaires deJérôme Cahuzac avec certains desescollèguesfurentorageuses.Cel-lesdesonsuccesseursesontdérou-lées sans psychodrame, mêmeavec les ministres écologistes.«C’estunexcellentministredubud-get. Il sait faire jouer l’empathieplus que le rapport de force», ditson collègueMichel Sapin, qui n’apasfinidediscuteravecluidescré-dits de l’emploi.

Bien que fabiusien, BernardCazeneuveauneproximité avec lechef de l’Etat qui fait des jaloux.«FrançoisHollandeestvenumesou-tenirauxcantonalesde1994àOcte-ville. Il était alors président desClubs Témoins. Il m’a ensuite tou-jours soutenu, sauf aux législativesde 2002, et j’ai perdu», résume-t-il.Le ministre parle d’une relation«naturellementempathique» avecM.Hollande. Il en est assez prochepouravoirdînéàl’été2012avecsonépouse dans un restaurant varoisencompagnieduprésidentetdesacompagne.Matignonl’apprécie. Leprésident connaît sa loyauté. Saufaccident lors du marathon budgé-taire, voilàdoncunministre avec ilva falloir compter. p

ClaireGuélaud

politique

Bernard Cazeneuve et PierreMoscovici à bord d’une navette fluviale duministère de l’économie, le 12 juin. J .-C. COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR «LE MONDE»

«C’estunexcellentministrequi joue

l’empathieplusquelerapportdeforce»

Michel Sapinministre du travail

Ladroiterodesonargumentairebudgétaire

JUSTICE

LeConseild’EtatvalidelamutationdePhilippeCourroyeLeConseil d’Etat a rejeté,mercredi 12 juin, le recoursde PhilippeCourroye, ancienprocureurdeNanterre, qui contestait samuta-tiond’office à la courd’appel de Paris, en estimant que sanomi-nationn’avait pas «le caractère d’une sanctiondisciplinairedéguisée». Lemagistrat considérait que samutationd’office auparquet général l’empêchait de s’inscrire aubarreaude Paris. LeConseil a jugéque cettemutationétait «motivée par le souci derétablir un fonctionnement sereindu tribunal de grande instancedeNanterre, affecté notammentpar le retentissementmédiati-quedes procédures disciplinaires et pénales engagées contre lerequérant», en particulier dans le dossier des «fadettes», «et pardes dissensions entremagistrats».p Franck Johannès

Deux enquêtes ouvertes sur le FurosémideLeparquet de Toulonaouvert,mercredi 12 juin, une enquêtepré-liminaire après lamort,mardi, d’unhommede 78 ans qui pre-nait le diurétique Furosémidedu laboratoire Teva. Leparquet deParis a ouvert lemême jouruneenquêtepréliminaire sur lemau-vais conditionnementde boîtes dudiurétique, qui pourrait êtreà l’originedeplusieursdécès suspects. – (AFP.)

EUROPE

CompromisauPSavantsaconventionsurl’EuropeLePS est parvenuàune «synthèse» sur l’Europedans lanuit demercredi à jeudi 13 juin. L’ensembledes courants, y compris l’ailegaucheduparti, se sontmis d’accord sur un texte communde«soutien fort» à FrançoisHollande, qui sera présentédimanche16juin lors de la conventionduPS sur l’Europe. Par ailleurs,contrairementà ce qu’a écrit LeMondedans sonéditorial du13juin, le courantdeBenoîtHamon, «Unmonded’avance», nedemandaitpas la «suspension»dupacte de stabilité et de crois-sance,mais son «adaptation».

SénatRéformedumoded’élection des sénateursLe gouvernementa renoncé àmodifier enprofondeur lemoded’électiondes sénateurs afin d’assurerune représentationpluséquilibréedes zonesurbaines et rurales, comme leproposait lacommission Jospin. Le projet de loi, examiné jeudi 13juin, propo-se de revenir au scrutinde liste à la proportionnelledans lesdépartements comptant aumoins trois sénateurs et réévalue lenombrededélégués des villes de plus de 30000habitants dansle collège électoral des sénateurs.

LAMULTIPLICATIONdes collec-tifs budgétaires en2011 et 2012avait donnéauxparlementairesdenombreusesoccasionsd’inter-vention. La volonté réaffirméedugouvernementAyrault denepasprésenterdeprojet de loi de finan-ces rectificative cet été compliquela tâchede l’opposition.

Mercredi 12 juin, lesdéputésUMPet centristes,prenantprétex-teduralentissementde la croissan-ceetdes rentrées fiscales, sontreve-nusà la charge, sans succès.«Il yaeudesajustementsmajeursqui exi-gentuncollectif», a plaidéGillesCarrez,présidentUMPde la com-missiondes finances.

A l’approchedudébatd’orienta-tiondes financespubliquesquidevrait se tenir cette annéedébutjuillet, pendant la sessionextraor-dinaire, la droite rode sonargu-mentaire. Et Bercy lui donnedu filà retordre. La situationmensuellebudgétairede la fin avril étaitmédiocre: le déficit s’était creusé

de6,9milliardsd’eurospar rap-port à avril2012 et les rentrées fis-cales étaientmédiocres.Dequoinourrirquelques critiques. Las!BernardCazeneuveestun filou. Le11juin, il a fait passer les chiffresdemai, bienmeilleurs, àM.Car-rez.Une façonde couper l’herbesous le piedde l’opposition.

«Bricolage»Les recettes fiscales nettes de

l’Etat? «Elles sont enhausse de6,8milliards»pendant lamêmepériodeet cela vaut pour les recet-tes de TVAnette qui, unmois plustôt, étaient en recul. Le déficit bud-gétaire? «Finmai, il s’établit à-72,6milliards, contre -69,5mil-liards à finmai2012», soit unécart de 3,1milliards.

Bienque leHautConseil desfinancespubliquesait fait état durespectdesnormesdedépensesen 2012, l’oppositiona concentréses critiques sur cepoint.«Ladépensen’est pas tenue.Ona fait

dupetit bricolage et l’on réduit ledéficit structurel à coupsdehaussedeprélèvements», a résumé le cen-tristeCharles deCourson, députéUDI (Marne).«Vous avezparléneuf fois de transparence.Maisquellesdépenses diminuerez-vousen 2014?», a attaqué son collèguePhilippeVigier (Eure-et-Loir) tan-dis qu’HervéMariton (UMP,Drô-me) rappelait le dérapagede0,3pointdudéficit public 2012.

Nicolas Sansu, député (PCF)Cher, a déploré l’absencede relan-ce et critiqué la droitepour avoir«organisé» la baisse des recettespendant le quinquennatdeNico-las Sarkozy.«Je suis peiné quemescollègues socialistes veuillent se fai-re les champions de la baisse de ladépensepubliques», a-t-il ajouté,sans convaincre le socialisteDomi-nique Lefebvre. Lequel resteper-suadéqu’il faut assainir les finan-cespubliques «sans ajouter del’austéritéà la crise».p

C.Gu.

I lresteseuldanslatempête.Plusd’unmois après le début de sesennuis judiciaires, Claude

Guéantnepeutcomptersur lesou-tien de sa propre famille politique.Al’UMP, les moins malveillants àson encontre ne font pas de com-mentaires. D’autres prennentmoins de pincettes et tiennent desproposcontribuantàenfoncerl’an-cienbrasdroitdeNicolasSarkozy.

Mis en cause depuis mardi30avril dans une affaire judiciaire,Claude Guéant est soupçonné de«détournement de fonds publics».Selon un rapport remis le 10juin àManuelValls,M.Guéantauraittou-ché des primes en liquide, de 2002à2004.Quelque10000eurosmen-suels,prélevéssurlesfraisd’enquê-te de la police, ont été «remis» àcelui qui était alors directeur ducabinetdeM.Sarkozy, à l’intérieur.

«C’estunproblèmemajeurpuis-que cet argent n’était pas destiné àdes primes de cabinet», a jugé l’ex-premierministreJean-PierreRaffa-rin, rappelant que le gouverne-mentJospinavaitsupprimécespri-mes au début de l’année 2002. Ledéputé filloniste Pierre Lellouches’est dit choqué «dans la mesureoù c’est interdit». «Ça fait beau-coupdésordre. Il yaeuCahuzac, il yen a de tous les côtés », s’est-ilinquiété. Autre soutien deM.Fillon,Valérie Pécresse a estiméqueM.Guéantdevrait rembourserlesprimes reçues si la justicemon-trait qu’elles n’avaient «pas debase légale». «Il y a une faute évi-dente», a tranché Benoist Apparu,reconnaissant que tous les mem-bres de l’UMP étaient «embarras-sés»par le casGuéant.

Les responsables de droite ne semontrent pas particulièrementsolidaires avec celui qui a secondéM.Sarkozy de 2002 à 2012. Pourune raison simple: «Personne neveut être associé à Guéant, car cha-cun est convaincu que ça vamal sefinir», juge un ex-ministre sous lecouvert de l’anonymat. «On nepeutriendire, caronneconnaîtpas

le fond de l’affaire, et Guéant a unedéfense à géométrie variable…»,expliqueundirigeantUMP.

«Je n’ai pas beaucoup d’amis, jele regrette», confiait M.Guéant àParisMatch, en 2010. A l’époque, ilétait au sommet. Surnommé le«vice-président», l’ex-secrétairegénéral de l’Elysée détenait degrands pouvoirs, suscitant la ran-cœuràMatignonetauseindugou-vernement. «Il a traité avec beau-coupd’arrogance et demépris tousles élus UMP quand il était au pou-voir», se rappelle un ex-ministre.«Celuiquiaétél’hommefortdusys-tème Sarkozy pendant cinq ansdevient le maillon faible», résumecruellementunautre.

«Pas de la famille»D’autant que les ténors du parti

n’ont jamais vraiment considérél’ancien préfet comme l’un desleurs.«Iln’estpasde la famille, jugeuncadreUMP. Jamaisélu, ilestpas-sédirectement du statut depréfet àcelui de politique au sommet.»«Iln’estpasdusérail.Donc,ceuxquine l’aiment pas se lâchent aujour-d’hui», observe un proche de l’an-cienprésident.

Les sarkozystes ont flairé le piè-ge et ne veulent pas que les soucisde M.Guéant éclaboussent leurcandidat. Certains, comme BriceHortefeux, restent discrets pournepas donnerde relief auxennuisduplusfidèleserviteurdeM.Sarko-zy. D’autres tentent d’établir uncordon sanitaire entre l’ex-minis-tredel’intérieuretsondirecteurdecabinet de l’époque. «NicolasSarkozyne savait rien etn’a jamaisenvoyéGuéantenservicecomman-dé, assure un proche de l’ancienchef de l’Etat.Qu’il ait eu des colla-borateursayantcommisdes fautesne veut pas dire qu’il le savait et y aparticipé.» L’argumentaire en rap-pelleunautre… Il ressembleà celuidu pouvoir socialiste plaidant, ausujet de JérômeCahuzac, «la fauted’un seul homme».p

AlexandreLemarié

L’UMPnesepressepasdedéfendreClaudeGuéantLessarkozystes tententdecréeruncordonsanitaireentre leur leaderetsonex-brasdroit

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Page 11: Le Monde newspaper

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La nature, où ça ? Quand onpenseàNewYork,cesontsur-tout les gratte-ciel vertigi-

neuxet l’activitéhumainefrénéti-que qui viennent en tête. Pour-tant,«NewYorkArbor», lanouvel-le série de l’Américain Mitch Eps-tein, vous convaincrait presqueque les arbres sont emblémati-ques de la skyline, au même titreque la statuede la Liberté ou l’Em-pire State Building.

Sur lesmurs de la jeune Fonda-tionA.StichtingàBruxelles, lepho-tographe aligne pour la premièrefois la totalité de sa récente sériesur les arbres. Soit quarante-deuxportraits de ces vigies singu-lières et ignorées, qui veillent avecbienveillancesur ledestindelavil-le et de ses habitants.

Après le succès d’«AmericanPower», enquête glaçante sur lesravages de l’industrie de l’énergiemenéesur tout le territoireaméri-cain, le photographe a voulu reve-nir chez lui. Il a passé deux ans àparcourirlescinqburroughs (quar-tiers) de New York à la recherchedes arbres les plus vieux, les plusimposants, les plus originaux dela ville. « J’avais très envie, aprèsune série parcourue par la com-plainte, de faire quelque chose del’ordre de la célébration», expli-

que le photographe, à Bruxelles.Pour l’artiste, connu depuis les

années 1980 pour ses paysages encouleurs, la série a aussi été l’occa-siondepasserauformatverticaletau noir et blanc – toujours enargentique. «Je ne voulais pas queles couleurs de la ville, très vives,viennentfaire irruptiondansl’ima-ge»,dit-il.L’ensembleestuneréus-site: des imagesminutieuses, auxgris pleins de nuances, quidétaillent les circonvolutions desbranchesnoueuses, les grappesde

fleurs lourdes, la délicatesse desbourgeons, les jeux de lumièredans les feuillages. Avec à chaquefoisunmélangedemonumentali-té et de fragilité. Le seul reprochequ’onpeut faire à cette expositiontient au format : le photographe,quia conçuses imagescommedesgrandsformats, lesaréduitespourpouvoir les montrer toutes. Et,une fois n’est pas coutume, onaimerait voir les choses et lesarbresengrandpourseconfronterà leur échelle réelle.

Il y a un aspect méditatif danscesphotossilencieuses,quidérou-

lent avec grâce le passage des sai-sons – fleurs, fruits, feuilles mor-tes…Pourautant, lasérieprendsesdistances avec une tradition dephotodepaysage,cellequirendaitun hommage émerveillé, auXIXe siècle, à la nature intouchéede l’Ouest américain: « Je voulaisqueles imagessoientcontemporai-nes», dit Mitch Epstein, qui citeplutôt l’influence d’EugèneAtget.

Si,danschaquecliché, lesarbresoccupentl’essentielducadre, lavil-le est pourtant omniprésente. Oncroise quelques humains – unebandede jeunesqui jouede la gui-tare, un joggeur. L’activité humai-ne se devine partout en filigrane.Une barrière, une grille, une routedisentles rapportsétroitsentre leshumains et les arbres, tantôt com-plémentaires, tantôt concurrents.

DansleQueens,uncyprèschau-vepoussetantbienquemalsuruntrottoir, cerné de bitume. Aucontraire, à Brooklyn, des habi-tants ont de leur propre initiativeérigé une béquille de fortune afind’empêcher un aulne de s’affais-ser. Mitch Epstein fait des arbresles compagnons nécessaires etsilencieux des histoires humai-nes : à Brooklyn, le tronc noueuxd’un charme recueille depuis desdécennies lesmessages d’amour –on dirait un marin couvert detatouages.

Finalement, à travers cesarbres, c’estunpeuunemétapho-re de New York que trace Mitch

Epstein. «Ces arbres sont souventdes espèces exotiques, venues deloin et offertes à la ville de NewYork comme cadeaux diplomati-ques,note lephotographe. Ils sontcernés par la ville, abîmés ou

déplacés, parfois aussi protégés.»Comme les immigrés venus cher-cher une vie meilleure, les arbresont réussi à s’inventer d’autresracines.p

ClaireGuillot

New York Arbor, de Mitch Epstein,Fondation A.Stichting. Av. Van Volxem,Bruxelles. tél : +32 (0) 2502 38 78.Jusqu’au 30 juin.www.fondationastichting.be. «New YorkArbor» (éd. Steidl, 96p., 58¤).

ParmilesbranchesdelaGrossePommeLesarbresnew-yorkaisrévélésparMitchEpstein

ABrooklyn, letroncnoueuxd’uncharme

recueilledepuisdesdécennies

lesmessagesd’amour

«American Elm», Central Park, NewYork, 2011. ÉDITIONS STEIDL

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Regard«oblique»surlaCitéuniversitairedeParisRécemment inauguré,unespacedemédiationetd’expositionassure la chroniquedes lieux

culture

Lyrique

I lyachezlecompositeuraméri-cain John Adams (66ans) uncôtéjugedepaix,voiremoralis-

te du temps. Ainsi le «songplay»de 1995, I Was Looking at the Cei-lingandThenISawtheSky (Jeregar-dais le plafondet soudain j’ai vu leciel), présenté mardi 11 juin auThéâtre du Châtelet, dix-huit ansaprès la première parisienne de1995 mise en scène par Peter Sel-larsàlaMC93deBobigny.Unequê-te «adamsienne» poursuivie parle Châtelet depuis 2000 et la créa-tion mondiale d’El Niño, puis lareprisedeNixon inChina la saisondernière, en attendant The Flowe-ringTree enmai2014.

I Was Looking…, troisièmeouvrage lyrique de l’Américain,fait référence au tremblement deterre de Northridge, qui détruisitune partie de Los Angeles en jan-vier1994. Immigration clandesti-ne, conflits raciaux, identitésexuelle, rapports entre pègre etpolice : Adams et sa librettiste, lapoétesse June Jordan, ont fixé unmoment de fracture rédemptricedans la vie de sept spécimens cali-forniens – délinquant noir, réfu-giée politique salvadorienne, avo-cat vietnamien issu des boat peo-ple,pasteur friandde joliesparois-siennes, jeunepoliciergay, anima-tricede télé-réalitépolicière…

Conçu dans la veine situation-niste du « langage musical del’époque», à l’instar de PorgyandBess, de Gershwin, la musique deJohn Adams puise aux stéréoty-pes du pop-rock-jazz comme auxsources du minimalisme améri-cainetdes formessavantesclassi-ques.

Claviers électroniques, piano,saxophone, clarinette (l’instru-ment de John Adams), guitares,contrebasse et batterie accompa-gnent des histoires d’amour quifinissent bien oumal (en général),ladouleurde l’enfantdisparu, l’ar-restation, l’écrasement sous lesdécombres, ou se taisent commedans le «terzetto lyrique» a cap-pella des femmes amatrices debadboys (Chansonsur lesmauvaisgarçons et les informations),auquel répond leblues érotiqueetrailleurdeshommes (Chansonsurla douce population majoritairedumonde).

CatalogueEpoustouflante est la maîtrise

du metteur en scène Giorgio Bar-berio Corsetti, qu’elle déploie uneféeried’imagesaniméesouassem-ble à lamanièred’unRubik’sCubequatre blocs de décors en autantde lieux de vie ou demort – hôpi-tal, immeuble, prison, tribunal,église…Maiscelanesuffitpasàpal-lier l’effet catalogue d’une parti-tion entomologiste, dont l’écritu-re savante est à lamusique pop ceque la fracturation hydrauliqueestauschiste.Quantauxbonssen-timents, ils n’ont jamais, c’estconnu, fait œuvre autre que decharité. p

Marie-AudeRoux

I Was Looking at the Ceiling and Then ISaw the Sky, de John Adams. GiorgioBarberio Corsetti (mise en scène et scé-nographie), Massimo Troncanetti (scé-nographie), Alexander Briger (directionmusicale). Théâtre du Châtelet, Paris 1er.Les 14, 17 et 19 juin à 20heures. Tél. :01-40-28-28.28. De 15,50¤ à 52,50¤.Chatelet-theatre.com

LeséismedeJohnAdamsfissureleChâteletL’opéraducompositeuraméricainrevientenFrance,pourunrésultatmitigé

Architecture

De la destruction des fortifs,après la Grande Guerre, àl’édification du périph’

danslesannées1960surl’anciennezone, la Cité internationaleuniver-sitaire de Paris résume l’une desgrandes transformations urbainesde la capitale auXXesiècle. Implan-tée sur34hectares en lisière suddu14e arrondissement, la CitéU, quiaccueille dans ses 40maisons12000 résidents de 130nationali-tés, entre dans une nouvelle phasede développement. L’Oblique, unpassionnant espace de médiationet d’exposition sur l’architecture,l’urbanismeetlepaysage, inauguréenavril,enassurelachroniquepas-séeetprésente.

Durant l’été 2012, les travauxd’extension de la Maison de l’Indeavaient impulsé cette nouvelledynamique. L’agence Lipsky +Rol-letarchitectesaétéchoisiepourréa-liser cebâtiment constituépar l’as-semblaged’unestructureenlamel-lé-collé autour d’un noyau enbéton devant accueillir 72nou-veaux résidents. C’est la premièreconstructiondepuiscelledelaMai-son de l’Iran-Fondation Avicenne:trois portiques noirs hauts de38mètres portant deuxcaissonsd’habitation suspendus. L’Obliquea installé ses quartiers au rez-de-chaussée de cet emblème urbainclassé en bordure de périphérique,réaliséparClaudeParent en 1969.

«Depuis cette date jusqu’à unpassé récent, la Cité était devenueune belle endormie, résume Noé-mieGiard, responsabledes lieux. Ila fallu restaurer beaucoup d’élé-ments bâtis.» Notamment concer-nés : la Fondation Deutsch de laMeurthe, première institution à

s’être installée en 1925, ainsi que lemail bordéd’unedouble rangée detilleuls, axe médian du site. Outreson intérêt pour la diversité archi-tecturale de la Cité dont elle assuredes visites publiques, l’Obliqueveutaussipromouvoirlepatrimoi-nepaysagerdesonparchabité.

Al’horizon2017-2020,desopéra-tionsd’aménagementvontconcer-ner 1800nouveaux logements. Enavril2011, laVilledeParis, l’Etatet lachancelleriedesuniversitésétaientparvenus à un accord foncierconcernant la propriétéde terrainspour un total de 16000m2. Parmilesnations candidatespour s’y ins-taller : la Chine, la Russie, la CoréeduSud, laColombieet l’Algérie.

Energie positiveDepuis l’origine, les maisons,

certaines signées par d’éminentsarchitectes (Le Corbusier, Dudok,Laprade, Walter ou Bechmann),ontétébâtiesà l’initiativedemécè-nes, de pays ou d’écoles. La régionIle-de-France porte un projet iné-dit pour une collectivité en finan-çant la construction d’un pavillon(20millions d’euros). Signé Nico-las Michelin, le bâtiment, prochede l’Oblique, sera doté d’un systè-me à énergie positive assurant80%des besoins thermiques.Unepremière porte de Gentilly. Laquiétude sonore des 142 résidentsqui, dès 2015, y séjourneront seranotamment assurée par une lignede protection végétale envelop-pant une butte qui n’est pas sansrappeler… les anciennes fortifs. p

Jean-JacquesLarrochelle

L’Oblique, 17, boulevard Jourdan, Paris14e. De 14heures à 18heures tous lesjours, sauf le lundi. Entrée libre.Ciup.fr/oblique

Art

Giuseppe Penone a disposédix-neuf sculptures dans leparc de Versailles et trois

dans le château. Cet après-midi dejuin, il s’assure que tout est enpla-ce.Les jardinierstravaillentencoreà l’installationd’Anatomie, six stè-lesdemarbreblanc endeux lignesde trois, de part et d’autre d’uneœuvre horizontale, une longueallée rectangulaire de marbre surlaquelle est posée une colonne dumême marbre. Penone s’inquièteparce que le sol fraîchementremuén’apasétéencorerecouvertdu gravier gris des allées. La diffé-rence de couleur est visible. «Ondirait une tombe: ça ne va pas. »Lesouvriersluiassurentquelegra-vier seraplacé comme il le faut.

Pendant ce temps, on a pu étu-dier de plus près les stèles. Chacu-ne, haute de près de 3mètres, a étédécoupée à la scie dans les carriè-res de Carrare. Puis Penone s’estmis au travail. «Je cherche à déga-ger les veines, en suivant les lignesde la pierre.» Selon les cas, il s’en-fonce profondément dans le blocou demeure presque à la surface.Le burin trace des stries parallèlesqui font penser aux hachuresd’une eau-forte, imprimées danslemarbre blanc commedupapier.Mais l’analogie la plus immédiateest celle que suggère le titre : desveines de la pierre à celles d’uncorps, des lignes à celles de mus-clesoudenerfs,duminéralàl’orga-nique.Ou au végétal : ondirait desracines fossilisées que l’artiste,devenu archéologue, aurait faitapparaître lentement, comme aufildefouilles.«Il fautquelemarbreait desveines. Les sculpteurs, autre-fois, choisissaient toujours desblocs veinés, parce que ces lignesanimaient leurs œuvres. Ou ellesdonnaient des idées aux sculp-teurs.»

Face à la pièce horizontale aucentredecetensemblemonumen-tal, les références anciennes sontplus présentes encore : sur le litcomposé de 64 plaques est posée

une colonne, dont la surface estsculptée de lamêmemanière queles stèles, en dégageant légère-menttorsadesetentrelacs.Maiscen’est làque lapremièrepartiede lacréation, manuelle. La colonne aété ensuite photographiée, l’ima-getraitéeparordinateuretunepar-tiedesplaquesretravailléesparunrobot qui les a creusées de façon àproduire l’illusion que la colonne,enroulantsur elles, y aurait impri-mé ses reliefs – ce qui est évidem-ment impossible.

C’est, pour Penone, unenouvel-le variation sur des notions essen-tielles pour lui dès ses débuts, en1969,à22ans: l’empreinte,latrace.Il l’admet sanspeine.«Bien sûr, il ya cette continuité. Commeil ya cel-le des matériaux, la pierre, le bois.Les matériaux sont primordiaux.Montravailatoujoursétéd’essayerde comprendre leurs propriétés etdesuivre leurssuggestions.Laseuledifférence, entre le bois et la pierre,c’est que, dans le bois, un arbre etun seul est enferméalors que, dansla pierre, les directions possiblessontplusnombreuses.»

«Un arbre et un seul» : Penonese réfère à ce qui est aujourd’hui lapart la plus largement connue deson œuvre, mais aussi l’une desplus anciennes. Dans une poutreoudansuntronc,ensuivantlescer-cles de croissance et les lignes, ildégagel’arbrisseauquiestdevenu,plus tard, un très grand arbre.Devant Arbre-porte, dans le châ-teau, il se souvient comment il estentré dans cet épais fût de cèdre, àpartir de quel point de l’écorce il acommencé à inciser, puis à trans-percer lamasse. Au centre de cetteouverture apparaît l’arbre tel qu’il

était, des siècles auparavant, untronc frêle, des branches faciles àcasser. L’art s’accomplit à reboursdu temps.

Mais cette œuvre emblémati-que est la seule de son genre dansl’exposition. Invité à s’installer àl’extérieur,Penonenepouvaitquepréférerlapierre, lebronze–etl’ar-brevivant. «J’ai réfléchi à partir duplan du parc. Il y a donc, en fait,deux groupes d’œuvres, celles quisontdans l’axecentral conçuparLeNôtre et celles qui sont à l’écart,dansunbosquet.»Lepremiercom-mence dès la terrasse. Espace delumièreestun troncdebronzeévi-dé, découpé en sept tronçons quisont portés par leurs branchescomme des insectes sur leurs pat-tes. L’intérieur du fût est entière-mentdoréet capture le soleil com-meunmiroir. L’œil est ainsi dirigévers Entre écorce et écorce. Deuxtrès hauts bronzes moulés sur uncèdre du parc de Versailles abattulors de la tempête de 1999 entou-rent un frêne – un vrai, qui pour-rait croître à l’abri de ces boucliers.Suivent,endescendantverslespiè-ces d’eau, les marbres vivantsd’Anatomie et trois bronzes donton ne sait lequel est le plus remar-quable, celui qui a été conçu à par-tir d’un arbre foudroyé et donc lescassures à vif ont été dorées, celuiqui est planté à l’envers de sorteque ses racines sont devenues unnid dans lequel pousse un arbris-seau–unvraiànouveau–ouenco-re Triplice, ainsi nommé en raisonde ses trois branches qui ploientsous le poids de blocs pris dans lelit d’une rivière alpine.

Devant chacun, les explicationsde Penone ne sont ni poétiques nisymboliques. Il laisse libre l’inter-prétation, conscient qu’elle nepeut qu’évoluer. Ses propos sonttechniques. Il précisecomment il adécouvert l’arbre dont il a fait lasculpture,lesopérationsdemoula-geetdefonte, lemontageetlamiseen place. Quand on suggère qu’ils’agit, en somme, de ready-madedelanature, l’artistenuance :«Oui,on peut dire ça. Enfin… Il y a aussi

desmodifications, bien sûr.»Les plus visibles, ce sont les gra-

nitsroulésqu’ilhisseentrelesfour-ches et qui font imaginer despluiesderochesoudescruesdéme-surées. Ou bien des cultes païensrendus aux éléments premiers delanature.Danslebosquetde l’Etoi-le, ce panthéisme – que l’artiste nerefuse ni ne confirme – est à sonplushautpoint.Bosquetferaitcroi-re à une plantation, alors que leBosquet de l’Etoile est une vastepelouse, presque un pré, cerné debuissons et que l’on ne découvrequ’en y parvenant. Dans ce pré, encercle, Penone a planté sept arbresde bronze dont un en lévitation.Les pierres y nichent, solitaires ouengroupe.Quandonévoquelecer-cle de mégalithes de Stonehenge,sa réponse est sobre: «Quelqu’unme l’avait déjà dit. Je n’y avaisjamais songé. En fait, je ne suismême jamais allé à Stonehenge…Mais pourquoipas?»

Cet ensemble est non seule-mentlaplusbelleréussitequ’aientpermise jusqu’àprésent les invita-tionsd’artistesvivantsàVersailles,mais,à lahauteurdecequ’ilaréali-sédans leparcdupalaisdeVenariaReale, près de Turin, l’une des plusgrandes de Penone. Et donc l’unedes plus remarquables de la créa-tionactuelle. p

PhilippeDagen

Penone Versailles, au château deVersailles, place d’Armes, Versailles.Jusqu’au 2octobre. Parc ouvert tousles jours de 8heures à 20h30.Entrée libre. Chateauversailles.fr

Chacunedesstèles,hautedeprès

de3mètres,aétédécoupéeàlasciedanslescarrières

deCarrare

«Lesmatériauxsontprimordiaux.Montravailatoujoursété

d’essayerdecomprendreleurs

propriétésetdesuivreleurssuggestions»

GiuseppePenone

«Spazio di luce» (au premier plan) et «Tra scorpa e scorpa». CLAIRE LEBERTRE/AFP

GiuseppePenoneparsèmeVersaillesd’arbres,demarbres,etautrestracesLesculpteur italienmarque lechâteaudesonempreintecaractéristique.Unegranderéussite

12 0123Vendredi 14 juin 2013

Page 13: Le Monde newspaper

130123Vendredi 14 juin 2013 styles

vendredi à 11h45

avec

au micro d’Agnès Soubiran sur France Info

franceinfo.fr

Plantudévoilesondessindu jour

270C’est, selon l’AFP, lenombreapproximatifdepersonnesqui sesont regroupées,mercredi 12 juin, endébutdesoirée,devant lamairiedeSaint-Cloud (Hauts-de-Seine)pour réagirau retraitparlamunicipalitéde l’affichedeL’Inconnudu lac, d’AlainGuiraudie,montrantunbaiserentredeuxhommes.Quelque250personnesfavorablesà ladécisiondumaire, dontplusieursmembresduFNlocal, ont fait faceàunevingtainededéfenseursde l’affichedufilm.Pendantpresquedeuxheures, chaquecampascandédiverssloganssous la surveillanced’uneffectifpolicier important.

L es temps sont durs pour lesstars des années 2000. LeCitroën C4 Picasso, l’une des

figures tutélaires de la catégoriedesmonospaces,n’estpluslechou-chou des familles avec enfants. Lafaute à l’émergence des SUV quitournent la têtedesparentsen leurfaisant croire qu’un faux4×4peutexhalerunvraiparfumd’aventure.

Encinqans,lesventesdemonos-pacesontfondude40%enEurope.Désormais, ces voitures rondes,sages,pratiquesetrationnelles,quiont fixé pendant une décennie lescontours de lamodernité automo-bile, passeraient presque pour desbétaillères, le sobriquet dont onaffublait naguère les breaks. Trop«plan-plan» aux yeux du paterfamilias, lassé de s’afficher à bordd’un véhicule conçu davantagepour ses passagers que pour celuiqui tient le volant.

LatroisièmegénérationduPicas-so a intégré ce glissement desvaleurs. Son dessein, explique lamarque, consiste à convaincrepapa qu’aux commandes d’unmonospace, «il peut redevenir unconducteuretnonplusuntranspor-teur».Onne sauraitmieuxdire.Lavolonté de «viriliser» le Picassodès le premier regard estmanifes-te. Deux séries de trois projecteurssuperposés encadrent la faceavant, devenue beaucoup plusvolontaire.

Onaimeoupasmaisonnepeutplus reprocher à Citroën de prati-quer le consensusmou.Handicapédans la course à la réduction de laconsommation par sa corpulenceet son aérodynamique moyenne,lePicassoaétémuscléetcompacté.Il s’allègede140kg,perdcinqcenti-mètres en hauteur, quatre en lon-gueur et raccourcit ses por-te-à-faux.Dequoi réduire lesémis-sions de CO2 mais pas d’amadouerune législation déséquilibrée qui,danscecasprécis,permetàlaquasi-totalitédesmotorisationsdieseldedécrocher un bonus de 200eurosalorsque toutes les versionsessen-ce–quin’ontpourtantriend’hercu-léen–ontdroitàunmaluscomprisentre 100et 300euros.

Plus vif et facile à manœuvrergrâce à un rayon de braquageopportunément réduit, le Picasso(de 23050 à 32600euros) tire pro-fit de la nouvelle plate-forme tech-nique destinée aux gammesmoyenne et supérieure du groupePSA. Il n’en reste pas moins unmonospace. Plus agile qu’autre-fois, certes,maispasautantqu’uneberline. Et reconnaissable à sa sil-houette pas vraiment sylphide,malgré les plis longitudinaux quicourent sur les flancs.

Pour autant, le Picasso ne perdpasdevue les atoutsque sanaturegénéreuse luipermetdemettreenavant. Son coffre, qui peut dispo-ser d’un mécanisme d’ouvertureélectrique, est gigantesque(537litres) et a encoreprogressé en

volume. Quant à l’espace inté-rieur, il reste toujours aussimodu-lableavecsessiègesarrièreescamo-tablesdans le plancher.

La vaste surface vitrée, quiatteint 5 mètres carrés sur les ver-sions pourvues du toit panorami-que en verre, cherche à créer «unespritloft»dansl’habitacle.Laplan-chedebord, équipée en sonmilieude deux larges écrans, reçoit desplastiques moussés du plus beleffet et consent un louable effortd’ergonomie en limitant le nom-bre de commandes et de boutons.Les suspensions sont moelleuses,la climatisation perfectionnée etprévenante.

Dommage que la marque n’aitrien de très excitant à proposer enmatière de boîte de vitesses auto-matique. Pour convaincre lesfamillesavecenfants(etlesgrands-parents, autre clientèle dumonos-pace), ilenfallaitencoredavantage.Lamarqueauchevronadoncmisésurl’enrichissementdesadotationen se lançant dans une surenchèredes plus sophistiquées. Le Picasso

peut se garer (presque) tout seulgrâceàsonsystèmed’assistanceaustationnement, sait déterminer desonproprechef labonnevitessedecroisièresurautorouteselon le tra-fic, détecte les véhicules cachésdansl’anglemortdurétroviseuret,la nuit, déconnecte automatique-ment les feux de route lorsqu’unevoitureest en approche.

Il propose aussi des siègesmas-sants et même un «repose-molletmotorisé», comparable à celui dela classe «affaires» d’une compa-gnie aérienne. Autoproclamé«technospace» (néologisme unpeupédantsupposésublimerleter-me de monospace), le dernierC4Picasso se pare de nouveauxatours qui flattent surtout la com-posanterationnelledel’achatauto-mobile. Ce n’est sans doute pas leterrain le plus propice à l’affichaged’une authentique singularité. Iln’empêche que le choix de raisonsemble dorénavant le moyen leplus sûr pour orienter les famillesvers cette catégoriedevoitures.p

Jean-MichelNormand

MoteursEnpannedevitesse, leCitroënC4Picasso, l’unedesfigurestutélairesdesmonospaces,entreprenduneopérationdeséductionsouslanouvelleétiquettede«technospace»

LePicassoveutreconquérir lesfamilles

MUSIQUE

DesrappeurspublientunetribunedesoutienauTunisienWeldEl15Dansune tribunepubliée jeudi 13 juinpar Libération, les rap-peurs français JoeyStarr,OxmoPuccino, Ekouéde La Rumeur,Akhenatonet Imhotepd’IAMont témoigné leur soutienàun rap-peur tunisien.Après troismois de cavale, le chanteurWeld El 15,âgéde 25 ans, a décidéde se présenter, jeudi, devant les juges dutribunal de BenArous, dans la banlieue suddeTunis. Condamnépar contumace le 22mars à deuxansdeprisonpour «participa-tion àunacte de rébellion», il espèreobtenir unnon-lieu. Le10mars, il avait diffusé sur YouTubeunmorceau intituléBouli-ciaKleb (« les policiers sont des chiens»), ce qui avait entraînéson inculpation. Il y dénonçait avecdesmots très durs les violen-cespolicières qui perdurent enTunisiemalgré la révolution.JoeyStarr, du groupeNTM, avait été condamnéà troismois fer-mepourdes proposoutrageants lors d’un concert à La Seyne-sur-Mer (Var), en 1995, peine finalement commuée en amende lorsde l’appel. Dans leur tribune, les rappeurs français demandentauxautorités tunisiennesde «réformer le corps de la police»,plu-tôt que de «jeter en prison les rappeurs».p StéphanieBinet

Edition Le Seuil publiera «Homeland», le livreLe romande l’AméricainAndrewKaplan, «Homeland, la Tra-que», dont sept grands éditeurs français se disputaient lesdroits, serapublié début novembrepar Le Seuil, a annoncé lamaisond’édition,mercredi 12 juin, à l’AFP. Le livre, qui sortira enseptembre auxEtats-Unis, raconte ce qui se passe avant l’épiso-de 1 de la saison 1 de la série télévisée «Homeland», dont ladeuxièmesaisonest diffusée actuellementen FranceparCanal+. – (AFP.)

Lavastesurfacevitréechercheàcréer«unesprit loft»dansl’habitacle

DeVolkswagenàToyota,rappelsensérie

RingoStarradapte«Octopus’sGarden»enlivrepourenfants

Le batteur, chanteur etauteur-compositeurRichard Starkey, plus connusous le nomde Ringo Starr(photo) au sein des Beatles,puis dans sa carrière solo àpartir de 1970, va faire revi-vre sa chansonOctopus’sGarden sous formed’unlivre illustré pour enfants.La chanson s’y prête, histoi-re d’unepieuvre qui vitdansun jardin au fonddesmers. Sa version livremet-tra en scène cinq enfants.Dansun communiqué, diffu-sémardi 11 juin, l’éditeurSimon&Schuster’s préciseque le livre, qui sera dessinépar Ben Cort, sera d’abord

publié à l’automne enGrande-Bretagne.Octopus’s Garden, écri-te en 1968par Ringo Starr, figure sur l’albumAbbey Road( 1969). Ringo Starr, 73ans, a été le chanteur d’une douzaine dechansonsdu répertoire enregistré des Beatles,moins de lamoi-tié d’entre elles ayant été écrites (Don’t PassMe by) ou coécrites(WhatGoes on, Flying) par lui.pSylvain Siclier (PHOTO : J. RYAN/AP)

Le Picasso a étémuscléet compacté. Il s’allègede 140 kg, perd 5 cm enhauteur, 4 en longueur etraccourcit ses porte-à-faux.P. LEGROS / DMKC /CITROËN COMMUNICATION

LESCAMPAGNESDERAPPELdevéhiculespourdes raisonsde sécu-ritén’ont riendenouveaunid’ex-ceptionnel.Certainsmurmurentmêmequeces initiatives consti-tuentunexcellentprétextepourrenouer le contact commercialavec la clientèle.Resteque, depuisledébutdumoisde juin, cesopéra-tionsontpris de l’ampleur.

Mercredi 12juin,Volkswagenaannoncé le rappeldeprèsde26000de sesmodèles circulantenAustralie à caused’unproblè-medeboîtedevitesses surdesGolf, Jetta, Polo, Passat etCaddysortiesd’usineentre juin2008etseptembre2011, susceptiblede fai-re ralentir levéhicule. En2011, uneautomobilisteestmorte suruneautorouteaustralienne, savoitureayantétépercutéepar le camionqui la suivait après avoirperdudelavitesse. Lesmodèles concernés

sontéquipésde la boîtedevitessesà sept rapportset àdoubleembrayage (DSG7)qui avaitdéjàfait l’objetdu rappel deplusde100000voituresenChineet auJapon.

Uncoupdurpour la firmealle-mandequi a fait de laDSGundesesprincipauxarguments com-merciaux.Les expertsde la firmeimputentcesdysfonctionne-mentsau climat chaudethumide,à la densitéd’un trafic enaccor-déonet à lapollutioncaractéristi-quede certainesvilles asiatiques.Undiagnostic à confirmer.

Volkswagenn’estpas seul àconnaîtredes soucis techniques.Toyota, le leadermondial, a annon-cé le 5juin le rapatriementde242000voitureshybridesPriusetLexus (dont 30000enEuropeet5138enFrance) à caused’undéfautdans le systèmede freina-

ge.De soncôté, Fordvientde rap-pelerplusde465000véhicules(année-modèle2013)dans lemon-depourunproblèmede fuitederéservoird’essence. La grandemajoritéa été commercialiséeauxEtats-Unis.Cesopérationsne s’ef-fectuentpas toujoursdans la séré-nité. Le constructeurautomobileitalo-américainChrysler, qui adécidé le6juinde rappeler630000gros4×4 Jeeppourdesproblèmesd’airbagoude trans-mission, a entaméunbrasde feravec l’agenceaméricainedesécuri-té routière (NHTSA)quiexige lerappelde 2,7millionsd’autresJeep. LaNHTSAs’inquiètede la fia-bilitédes réservoirs à essencedesvéhiculesenquestionencasde col-lisionarrière. Le constructeur,desoncôté, estimequeces inquiétu-desnesontpas fondées. p

J.-M.N.

Page 14: Le Monde newspaper

carnet

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Le Carnet0123

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AU CARNET DU «MONDE»

Naissance

Neuilly-en-Sancerre.

Thérèse et Guy PIERRETont le bonheur d’annoncer la naissance deleur petit-fils,

Till, Guy, Olivier,

le 31 mai 2013,

chezMaud PIERRET

et Olivier MICHELET.

Décès

Gérard et Michelle Abate,Bernard et Françoise Abate,

ses enfants,Grégory, Fabrice et Renaud,

ses petits-enfants,Marguerite Abate,

ses enfants et petits-enfants,Ses neveux et nièces,Toute sa famille,

ont la tristesse de faire part du décès de

Mme Pierrette ABATE,née BOSC,

survenu le 10 juin 2013, à Toulon.

La cérémonie religieuse aura lieu lesamedi 15 juin, à 14 h 30, en l’église deBenon (Gironde), suivie de l’inhumationau cimetière de Saint-Laurent-Médoc(Gironde).

243, avenue Lieutaud prolongée,La Mitre,83000 Toulon.

15, rue Royer Collard,75005 Paris.

Communay. Le Pré-Saint-Gervais.Québec.

Mireille Bardenet,son épouse,Frédéric Bardenet

et Bénédicte Ricard,Olivier Bardenet,

ses enfants,Alain Bardenet et Lyne Breton,

son frère et sa belle-sœurEt toute sa famille,

ont la grande tristesse de faire part dudécès de

Gilles BARDENET,

survenu le 10 juin 2013,à l’âge de soixante-treize ans.

La cérémonie aura lieu samedi 15 juin,à 9 h 45, en l’église de Communay.

Ni fleurs ni couronnes, vous pouvezadresser vos dons à la Ligue contre lecancer.

12, allée des Amandines,69360 Communay.

Le présidentde l’université de Pauet des Pays de l’Adour

Et l’ensemble de la communautéuniversitaire,

ont la tristesse de faire part du décès deleur collègue,

Jean-Pierre BARRAQUÉ,professeur d’histoire médiévale,

ancien doyen de la faculté des lettres,langues et sciences humaines.

La communauté universitaire garderale souvenir d’un enseignant et d’unchercheur engagé jusqu’à ces derniersjours.

Marc et Jean-François Chauchard,ses enfants,Georgette Raynal,

sa sœur,Jonathan Chauchard-Gilles,

son petit-filsSes belles-fillesAinsi que toute sa famille,

font part du décès de

M. André CHAUCHARD,

survenu le 8 juin 2013,à l’âge de quatre-vingt-treize ans.

André Chauchard fut permanentnational à la CFTC, puis à la CFDT,collaborateur d’Albert Detraz.Il assuma la présidence de l’ASSEDIC

de Paris pour le compte de la CFDT.

Ses obsèques auront lieu en l’égliseSainte-Geneviève d’Asnières-sur-Seine,le jeudi 13 juin, à 11 h 15.

M. Alain L. Dangeard,son mari,M. et Mme Franck E. Dangeard-

Selfslagh,Mme Marie-Lorraine Dangeard,

ses enfants,MlleAstrid-Elisabeth Dangeard,

sa petite-fille,Mme Hélène Grosjean

et M. Pierre Marsay,sa sœur et son frère,

ont la profonde tristesse de faire part dudécès de

Mme Nanette DANGEARD,

survenu le 6 juin 2013.

Les obsèques ont eu lieu dans l’intimitéfamiliale.

51, rue Spontini,75116 Paris.

« Sa mort nous sépare.Ma mort ne nous réunira pas.

C’est ainsi; il est déjà beau que nos viesaient pu si longtemps s’accorder. »

Simone de Beauvoir.« La cérémonie des adieux. »

Mme Anna Di Lernia, veuve Gerico,sa mère,Pasquale Gerico,

son frère,Rosella et Katia,

ses sœursEt tous ceux qui l’ont aimé et connu,

ont la très grande douleur de faire part dudécès de

M. Saverio GERICO,

survenu brutalement le 28 mai 2013,dans sa cinquante-quatrième année.

Ses obsèques ont eu lieu le 30 mai,à Bari (Italie).

Il nous manque.

« Et le gros bloc de chagrinsemblait s’amollir, se fendre,

couler par mes yeux. »Guy de Maupassant.

« Fort comme la mort. »

« Je ne fixe pas longtemps le ciel,car lorsque mes yeux reviennent au sol,

le monde me paraît horrible. »François Truffaut.

Pasquale Gerico,17 F Via Martiri d’Avola,70124 Bari,Italie.

Gilles et Marie-Reine Devos,ses parents,Laurent Guillo,

son époux,Jonathan, Clémence, Antoine, Baptiste,

ses enfants,Anne-Laure et David Leroux,

sa sœur et son beau-frère,Clément Leroux,

son neveu,Jean François et Maryse Guillo,

ses beaux-parents,Les familles Guillo, Devos, Delabarre,

ont la tristesse de faire part du rappelà Dieu de

Mme Elizabeth GUILLO,née DEVOS,

le 8 juin 2013,à l’âge de quarante-quatre ans.

La cérémonie religieuse sera célébréele vendredi 14 juin, à 15 heures, en l’égliseNotre-Dame-de-la-Nativité, à Voisins-le-Bretonneux (Yvelines).

Elle aimait les fleurs blanches.

« Ce que nous étions l’un pour l’autrenous le sommes toujours

L’amour ne disparaît jamais. »

6, rue Turquoise,78960 Voisins-le-Bretonneux.

MmeBéatrice Thomas-Tual,doyen de la Faculté de droit et de scienceséconomiques de l’université de BretagneOccidentale,Les personnels enseignants

et administratifs,

ont l’immense tristesse d’annoncer ledécès de

Clément MÉRIC,

fils de leurs collègues Agnès Louis-Pechaet Paul-Henri Méric.

Ils partagent leur émotion et leur peineavec sa famille.

Gisèle Larrivé,sa grande amie,

Jean Pfau,son frère,Nicole Mercier Pfau,

sa belle-sœur,

Valérie Seivel,sa nièceet son époux ,Michel,François Pfau,

son neveuet son épouse, Anne-Victoire,leurs enfants,Noémie et Natacha Seivel,Margaux et Romain Pfau,

Olly,sa cousine à Vienne (Autriche),Les familles parentes et alliées,

Chalandon, à Genève, Gasser, à Zurich,

ont le chagrin de faire part du décès de

Michel PFAU,

survenu à Paris, le 10 juin 2013,à l’âge de quatre-vingt-deux ans.

Mme Odette Raimbault,son épouse,Ses enfants, ses petits-enfants

et ses arrière-petits-enfants,

ont la tristesse d’annoncer le décès, à l’âgede quatre-vingt-dix ans, de

M. Jacques RAIMBAULT,ancien professeur de philosophieà la Khâgne du lycée du Parc.

Ses obsèques seront célébréesle vendredi 14 juin 2013, à 9 h 45, enl’église de Notre-Dame-du-Point-du-Jour,Lyon 5e.

Les membres du laboratoire PHARE(Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne),Les membres de l’Association Charles

Gide pour l ’é tude de la penséeéconomique,

ont la grande tristesse de faire part dudécès de leur collègue et amie

Shirine SABERAN.

Ses qualités humaines et intellectuellesnous manqueront, comme la constantegénérosité envers ses étudiants et sescollègues, et les discussions animéeset exigeantes autour desquelles seconstruisaient nos projets communs.

Nos pensées vont également à safamille et à ses ami(e)s, auxquel(le)s nousadressons nos plus sincères condoléances.

Claire, Sylvie et Agnès,ses filleset leurs conjoints, Jean-David et Bernard,Simon, Samuel, Elie, Olivier, Svetlana

et Raphaël,ses petits-enfants,

ont la douleur de faire part du décès deleur père, beau-père et grand-père,

Boris VESTERMAN,

survenu le 10 juin 2013,à l’âge de quatre-vingt-sept ans.

Une cérémonie sera célébrée aucrématorium du cimetière du Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux, Paris 20e,le lundi 17 juin, à 14 h 45.

Denis et Françoise Viénot,Laurent et Flore Viénot,Eric et Martine Viénot,Florence et André Palacci,Benoît et Laurence Viénot,Michel et Mary Viénot,Martine Viénot (†),

ses enfants,

Christine, Catherine,Raphaëlle et Philippe, Etienne

et Anne, Julie et Julien, Benjamin, France,Ondine,Chloé, Anaïs, Fanny, Flore,Carine et Jérôme, Benoît et Elsa,Pauline et Antoine, Sarah, Vincent,Sammy, Myriam et Olaf, Mikaël

et Charlotte, Igor, Gaby,Tania,

ses petits-enfants,

Maxime, Ben, Aimé, Lucie, Sarah,Milo, Jules, Mélodie, Léon, Yaël, Félix,ses arrière-petits-enfants,

Marc et Christiane Viénot,Françoise et Christian Rey, Sabine

Clément, Marie-Hélène Fargette, PierreClément,ses frère, beaux-frères et belles-sœurs,

Ainsi que les familles Brunetet Berger,

ont la très grande tristesse d’annoncer lerappel à Dieu de

Gilles VIENOT,

à Paris, le 11 juin 2013,dans sa quatre-vingt-douzième année.

La cérémonie religieuse sera célébréele vendredi 14 juin, à 10 h 30, en l’égliseNotre-Dame d’Auteuil, 1, rue Corot,Paris 16e.

L’inhumation aura lieu au cimetièrede Motz (Savoie), le samedi 15 juin,précédée d’une bénédiction, à 11 heures,à l’église.

18, rue Mirabeau,75016 Paris.

Anniversaires de décès

Une belle étoile s’est envolée trop vite,il y a trois ans maintenant.

Aïda

tu restes dans nos cœurs, intensément.

Anissa, Achraf et Radhi Meddeb.

Laizé (Saône-et-Loire).

Nicole,son épouse,Frédérique, Lucile, Pierre-Alain,

ses enfants,

vous remercient d’avoir une pensée pour

Jean CHARRETIER,procureur général honoraire,

décédé le 10 juin 2012.

Il y a onze ans,

Carole GODINO

nous quittait.

Que tous ceux qui l’ont aimée,aient une pensée pour elle.

Roger,Les enfants et petits-enfants de Carole.

Souvenir

Il y a dix ans, le 15 juin 2003,

Georg R. GARNER,psychanalyste à Paris,

disparaissait brutalement.

A l’occasion de la parution de l’ouvrageL’étoffe du réel, une journée de rencontres,ouverte à tous, autour de sa pensée et deson travail, se tiendra le 21 septembre2013, au 83, boulevard Arago, sousl’égide de la Fédération des ateliers depsychanalyse.

[email protected]

Colloque

Le lieu commun,colloque international d’histoire de l’art,

jeudi 20 et vendredi 21 juin 2013,9 heures - 18 heures,

amphithéâtreInstitut national d’histoire de l’art,

2, rue Vivienne, Paris 2e,

avec la participation des artistesErnest Pignon-Ernest et Pierre Buraglio

et la conteuse Muriel Bloch.

Programme complet sur :www.inha.fr/spip.php?article4392

Communications diverses

René Char24 lettres retrouvées.

Ventes aux enchères à Drouot,le 20 juin 2013, salle 12, à 14 heures.

[email protected]él. : 01 42 66 38 10.

ISF : Déduisez 75 % du montantde votre don à

La Fondation du patrimoinejuif de France.

Pour préserver, construire et entretenirle patrimoine des communautés

juives de France(Synagogues, Mikvé, ...).Tél. : 01 49 70 88 02.

[email protected] l’égide de la Fondationdu judaïsme français.

Musée de la Grande Guerredu Pays de Meaux.

Université d’été 30 et 31 août 2013.Thème : Les origines de la Grande Guerre.

Co-présidents :François Cochet, Maurice Vaïsse.

Contact F. Caillet,tél. : 01 60 32 14 13.

[email protected]

Mariage

Laurence et Pascal TISSERANDsont heureux de faire part du mariage deleur fils

Jérômeavec

Laura GILBREATH,

tous deux solistes au Pacific-NorthwestBallet.

La cérémonie religieuse sera célébrée levendredi 14 juin 2013, en l’églisepresbytérienne de Seattle (USA).

49, rue Garibaldi,69006 Lyon.

La Fondation Haya Mouchkasous l’égide de la Fondation du judaïsmefrançais, créée en 2012, en mémoire

de Mme Bassia Azimov,fondatrice de la branche féminine

du mouvement Loubavitch en France,souhaite remercier

les généreux donateurs,qui soutiennent ses actions :- octroi de bourses scolaires

d’études supérieures,- développement d’œuvres sociales

d’aide aux plus démunis,aux personnes âgées et aux handicapés,

- construction ou aide au profitd’institutions éducatives.

www.hayamouchka.fondationjudaisme.orgTél. : 01 44 52 72 96.

Vos grands événements

Naissances, bapt mes,fiançailles, mariages,

anniversaires de naissance

Avis de décès, remerciements,messes, condoléances,

hommages,anniversaires de décès,

souvenirs

Colloques, conférences,séminaires, tables-rondes,portes-ouvertes, forums,journées d’études, congrès,

nominations,assemblées générales

Soutenances de mémoire, thèses,HDR,

distinctions, félicitations

Expositions, vernissages,signatures, lectures,

communications diverses

Pour toute information01 28 28 2801 28 21 3

carnet mpublicite.fr

Le Carnet

14 0123Vendredi 14 juin 2013

Page 15: Le Monde newspaper

150123Vendredi 14 juin 2013

E n1997, l’AuditoriumduMuséeduLouvre, à Paris, ren-ditunhommage filméau

grandchefd’orchestreautrichienCarlosKleiber (1930-2004).Sachant l’hommeimprévisibledans sesapparitionset sesdispari-tionsde la viepublique, ladirec-tion s’enhardit à lui proposerdegratifier la soiréede saprésence.

Lemusicieneut, dit-on,uneréponsequidit tout sur ladistanceamuséequ’il entretenaitavec sonpersonnageet sa légende:«Je doisbienavoir quelques concerts,maisjepourrais les annuler et venir…»

CarKleiberannulaitbeaucoup,et à lamoindrecontrariété. Ledocumentaireportrait quepropo-sait la chaînemusicalenéerlandai-seBravaHD,mercredi 12juinendébutd’après-midi, le rappelaitavecmoult exemples racontéspardesmusiciens, amis, collègues–dont les chefsRiccardoMuti etfeuWolfgangSawallisch.

A l’OrchestrephilharmoniquedeBerlin, formationd’excellenceque tout chef sedamneraitpourdiriger,Kleiberneparutpointà lapremière répétitionparceque lesbibliothécairesn’avaientpas cor-rectementreporté ses indicationsméticuleusessur lapartie de cha-cundesmusiciens.

Autrehistoiredélicieuse racon-téepar ledéléguéartistiquede l’Or-chestrephilharmoniquedeVien-ne: alorsqu’il doit diriger le sacro-saint concert duNouvelAndans lasalledoréede laMusikverein,Klei-berapprendque,pendant la rituel-leMarchedeRadetzky, de JohannStrauss, il est d’usageque lepublicbattedesmains. La riposte futimmédiate:«Si c’est le cas, je faisévacuer la salle.» (Kleiber finit parcéder,mais il avait raison: le

publicnebat jamaisdesmainsenmesure.)

Cegénie fantasque, rappelait lefilm,n’accordait jamaisd’entre-tiensà lapresse, qu’il conchiait,n’aimaitguère le studiod’enregis-trement, exigeaitdes cachets fara-mineuxet avait le défaut leplushaïpar lesorchestres: durant lesrépétitions, il arrêtait souvent lesmusiciensetparlaitbeaucoup.Uneséquenced’archives lemon-tre, agaçant, drôle et énigmatique,reprenant inlassablementundépart, dans lepianissimoleplusténuetdansunebattue impercep-tible.Conseil auxmusiciens:«Nejouezpas, laissez votre voisin le fai-re.» Il faut voir alors le visagedesmessieursderrière leurpupitre,très respectueux,maismanifeste-mentagacés…

Etpourtant, Kleiber les galvani-sait, avecune vitalité extraordi-naire, unemusicalité aussi nativeque l’est l’élégancedes chats, unebattue souple,merveilleusementplastiquemais qui, jamais, ne fai-sait outrancede sa beauté.

Muti dit : «On peut toujoursessayer de reproduire la techni-que d’une gestuellemais pas unedirection qui a la liberté d’unoiseau.»Un instrumentiste parlede samanière de donner undépart «avec la violence d’un vol-can en éruption». Ce sont des ima-ges, des lieux communs.Mais,pour le coup, d’une exactitudekleiberienne.p

C’EST À VOIR | CHRONIQUEpar Renaud Machart

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Saint-Elisée63

INDE PLUIES PARFOIS ABONDANTES DANS L’INTÉRIEUR DU PAYS

En Europe12h TU

Nous retrouverons un temps souventsec et assez ensoleillé durant lajournée ce vendredi. Des nuagesrésiduels seront toutefois présents lematin vers les Pyrénées etRhône-Alpes et quelques averses ouorages isolés éclateront dansl'après-midi sur les Pyrénées, le sudduMassif Central et des Alpes. Lestempératures resteront agréables.

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Solution du n° 13 - 139HorizontalementI. Récupérateur. II. Ethnocide. La.III. Vy. Tel. Etend. IV. Amie. Uélé.Aï.V.Noblesse. CIA.VI. Clé. Vêt.Tort.VII.Horde. Ecalée.VIII. Agir.Trame. IX. Ridule. Cirer.X.Déesses. Sens.

Verticalement1. Revanchard. 2. Etymologie.3. CH. Ibéride. 4.Untel.Drus.5. Poe. Eve. Ls. 6. Ecluse. Tee. 7. Ri.Ester. 8. Adèle. CAC. 9. Tête. Tamis.10. Colère. 11.Ulnaire. En.12. Radiateurs.

Philippe Dupuis

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1. Chauve-souris insectivore.2. Cercles intimes.Dieu à tête defaucon. 3. Se servit. Capitale pourles Texans. 4. Lourd et rare dansles airs. Mois chaud. 5. En bonnesanté. Chardon porteurd’aigrettes. 6. Plusieurs fois roisde Pergame. 7. Pièce de la charrue.Pays encore sous le voile.8. Semontrera ferme dans lacontestation. 9. Personnel. Arrêtbrutal.Des chiffres et une lettre.10. Fruits charnus. La compagnieen réduction. 11. Sein familier. Surla table après la distribution.12. Préparassent leur sortie.

I. Il vous tromperamalgré sesbelles apparences. II.Maintientl’aviron en place. Ses racinessont toniques et aromatiques.III. Remises enmarche.IV.Début août. Lac de Russie. Sanslamoindre bavure.V.Groupefermé. Lourdmanteau blanc.VI. Lâché dans l’embarras.Démonstratif. Assurent lastabilité.VII. En tube ou enballon. Cours alsacien. Fait tomberles rois et les reines.VIII.Déformer. Bonne prise.IX. Sa doctrine fut condamnée àNicée. Un seul n’est pas suffisantpour tenir debout et avancer.X.Musardaient.

Jeudi13 juinTF1

20.50 Alice Nevers,le juge est une femme.Série. Blessures invisibles [1-2/2] (S11, 7 et 8/8,inédit)U ; A cœur et à sang. Une vie dans l’ombre(saison 6, 6 et 5/6). Avec Marine Delterme.0.30 Les Experts : Miami.Série. Extrêmes limitesV. IntrusionU (saison2,10 et 16/24). Avec David Caruso (100min).

FRANCE2

20.45 Envoyé spécial.Magazine. Au sommaire : Viande de cheval,vers un nouveau scandale sanitaire ; Ouganda :la traque des homosexuels...22.15 Complément d’enquête.Santé, alimentation : la mode des faux-amis.23.20 Ce jour-là, le 18 juin 1940.Téléfilm. Félix Olivier. Avec Michel Vuillermoz,Clément Roussier (France, 2010, 85min).

FRANCE3

20.45Master and Commanderpp

Film Peter Weir. Avec Russell Crowe, Billy Boyd,Paul Bettany, James d’Arcy (EU, 2003)U.23.00Météo, Soir3.0.15 L’Ombre d’un doute (110min).

CANAL+

20.55Homeland.Série. Sale journée. Nouvelle collaboration(S2, 3 et 4/12, inédit)U. Avec Claire Danes.22.40Workingirls. Série (S2, 1 à 3/12)U.23.15 30 Rock. Série (S6, 17-18/22, 45min).

FRANCE5

20.42 Les Diamants du pôle.Documentaire. Jean Queyrat (France, 2012).21.35 Colombie, à la recherchedu nouvel eldorado. Documentaire (2011).22.28 C dans l’air. Magazine.23.35Montmartre, un villageà Paris. Documentaire (2013, 55min).

ARTE

20.50Odysseus.Série. De l’autre côté de la mer. Le Duel. Ulysseest vivant. [1 à 3/12]. Avec Alessio Boni (inédit).23.05 Opération iceberg. Documentaire.0.00 Alma, une enfant de la violence.Documentaire (France, 2012, 55min).

M6

20.50 Body of Proof.Série. La Loi du Talion. Matriochka. La Rageau corps (S3, 5 à 7/13, inédit)U ; Une véritabletragédieU. Sur la piste du monstreV (saison 2,17 et 20/20). Avec Dana Delany (250min).

météo& jeux écrans

Sudokun˚13-140 Solutiondun˚13-139Vendredi14juinTF1

20.50 Vendredi, tout est permisavec Arthur. Divertissement.Invités : Nikos Aliagas, Sandrine Quétier, ElieSemoun, Christophe Dechavanne, Fauve Hautot...23.05 Secret Story.Episode 2. L’After. Télé-réalité (150min)U.

FRANCE2

20.45 Tango.Série. La Vengeance du corbeau. Avec ArnaudGiovaninetti, Audrey Fleurot (France, 2013)U.22.15 Ce soir (ou jamais !).Magazine. Invitée : Christiane Taubira.0.10 Taratata. Variétés (94min).

FRANCE3

20.45 Thalassa.Vivre à Rio. Présenté par Georges Pernoud.Sommaire : Grand format : bleus océans.23.30Météo, Soir3.0.05 La Case de l’oncle Doc -Plus belle la ville. Documentaire (50min).

CANAL+

20.55Comme un chefFilm Daniel Cohen. Avec Jean Reno, MichaëlYoun, Raphaëlle Agogué (Fr., 2012, audio.).22.20 Ce qui vous attendsi vous attendez un enfantpFilm Kirk Jones. Avec Cameron Diaz, JenniferLopez, Elizabeth Banks (EU, 2012, 105min).

FRANCE5

20.44 La Chine antique.[2/3]. Grandeur et décadence des Shang.21.37 Le Nouveau Visage de la Terre.[1/3]. Les Sirènes de la ville. Documentaire.22.29 C dans l’air. Magazine.23.35 Iran, la course contre la bombe.Documentaire. Pascal Henry (Fr., 2013, 55min).

ARTE

20.50 Parade’s End.Série (S1, 4 à 6/6, inédit). Avec Rebecca Hall,Benedict Cumberbatch, Anna Skellern.23.10 L’Irréparable.Téléfilm. Lars-Gunnar Lotz. Avec Edin Hasanovic,Julia Brendler, Marc Benjamin Puch (All., 2012).0.40 Court-circuit. Magazine (70min).

M6

20.50NCIS : Los Angeles.Série. Le Poison (S4, 20/24, inédit) ; Chasseurde prime. L’espion qui m’aimait [1 et 2/2](saison 2, 8 à 10/24). Avec Chris O’DonnellU.0.05 Sons of anarchy.Série. Armes fatales (S5, 11/13, inédit, 65min)V.

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3 9 2 1 4 6 7 5 8

7 4 6 5 8 3 9 2 1

DifficileCompletez toute lagrille avec des chiffresallant de 1 a 9.Chaque chiffre ne doitetre utilise qu’uneseule fois par ligne,par colonne et parcarre de neuf cases.

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Imprimerie du « Monde »12, rue Maurice-Gunsbourg,

94852 Ivry cedex

Toulouse(Occitane Imprimerie)

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Président : Louis DreyfusDirectrice générale :Corinne Mrejen

Page 16: Le Monde newspaper

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N°12

Troisansaprès lesauvetagede laGrè-ce entrepris en mai2010 par une«troïka»forméepar laCommissioneuropéenne, la Banque centraleeuropéenne(BCE)et leFondsmoné-taire international (FMI), le temps

desbilansestvenu.Et ilsnesontpasfameux,endépit des regains perceptibles dans l’économiegrecque.

Enmai, le centre d’études bruxellois Bruegelavaitpubliéunrapport«FinancialAssistanceintheEuroArea:anEarlyEvaluation» («Assistan-ce financière de la zone euro: première évalua-tion»)oùilétaitsoulignéquelaGrècenesetrou-vaitpassurune«trajectoire»deconvalescence.Le6juin, leFMIdiffusaituneanalysedesaparti-cipation au plan grec dont on a surtout retenuqu’elle critiquait les lenteurs de Bruxelles etqu’elleconfirmaitqueni laconfianceniunesai-ne croissance n’étaient de retour à Athènes à lasuite d’erreurs d’appréciations de la «troïka»sur les dégâts causés à l’économie grecque parles mesures d’austérité imposées. Pour leFonds, la Grèce demeure bel et bien une épinedans le pied.

Le texte du FMI est plus riche que cela. Il rap-pelleque,pour laGrèce, il adûviolersespropresrèglesenparticipantpour30milliardsdedollars(22,6milliardsd’euros)auplan initialde 110mil-liards adopté par la «troïka»: un pays ne peutobtenir deprêt qu’enproportionde sonquota –sa participationau capital du FMI –, 500%dansles cas les plus extrêmes. LaGrèce, elle, s’est vueprêter 3212%de sonquota. Il s’agit duprogram-me le plus important de l’histoire du Fonds enproportion des quotas, loin devant les secoursapportésà laCoréeduSudetà laTurquie.

D’habitude, le FMI intervient seul ou, à larigueur, en partenariat avec sa sœur jumelle, laBanquemondiale. C’est lui qui pilote les opéra-tionsdesauvetage,dontilaunelongueexpérien-ce. Pour laGrèce, il a dû composer avec les deuxinstitutions européennes qui n’avaient pas sonexpertiseetétaientempêtréesdansdesconsidé-rations politiques sources d’atermoiements àrépétition. «Ces lenteurs dans la décision ont euuncoûtimportant,commenteunhautresponsa-ble. En effet, elles ont contribué à empêcher laconfiancede revenir, ce qui a poussé les consom-mateurs à ne pas consommer et les entrepre-neursànepas investir.»

Troisième embarras du FMI: ses prévisionsdecroissanceontététropoptimistes,carlaréces-sion grecque a été beaucoup plus catastrophi-que que prévu. Les experts du FMI savaientqu’ils se trompaient et que la dette grecquen’était pas soutenable, mais ils n’avaient pas

d’autre choixquedepersévérerdans l’erreur…Ils étaient coincés par le blocage des Euro-

péens – président de la BCE en tête, à l’époqueJean-Claude Trichet – qui ont longtemps refuséla moindre restructuration de la dette grecquedepeurdecontaminerlerestedelazoneeuro. Ilsl’étaient tout autant par les règles du Fonds quiinterdisentdelancerunprogrammedesauveta-gesi le redressementdupaysn’estpasassuré. Ilsontdoncpeintenroseleursprévisionsderedres-sement…quiont ensuiteétédémenties.

PagaillemondialeCes coups de canif à l’orthodoxie ne gênent

pas ses responsables. Certes, ces entorses aurèglement sont regrettables, mais elles étaientindispensables, estiment-ils, pour éviter que letout petit pays qu’est la Grèce ne devienne fau-teur de pagaillemondiale en faisant exploser lazoneeuro,unpeucommelafaillitede labanqueaméricaine Lehman Brothers avait mondialisélacrisedes subprimesen2008. Lebilanestdoncbalancé.Côténégatif, laconfiancen’estpasreve-nueet laGrècenepourrapas rembourser ladet-te qu’elle a contractée auprès des institutionseuropéennes. Côté positif, la Grèce est toujoursmembredelazoneeuroet l’économiemondialeaévitéunedeuxièmeméga-récession.

In fine, le rapport du Fonds sur la Grèce poselaquestiond’uneactualisationdesescompéten-ces.Sonmandatneluipermetpasdesauverplu-sieurs pays ensemble – une zonemonétaire par

exemple–commeil vientde le faireavec l’Euro-peetcommele luiontreprochéuncertainnom-bredesesEtatsmembrestelqueleBrésil.Christi-neLagarde, sadirectricegénérale,pourraitbien-tôtposer à ses 188Etatsmembres la questiondecettemise à jour renduenécessaire par la régio-nalisationcroissantedeséconomieset l’interdé-pendance qui en résulte. Aucune économie nevitplusenautarcie.

«Il était largement temps que le FMI tire lesleçonsdes déboires duprogrammegrec, applau-dit Jean Pisani-Ferry, coauteur du rapport Brue-gelavecAndréSapiretGuntramWolff.Auvudesenjeux économiques, sociaux et financiers, undébat sur la question est indispensable. Le FMI aencoreeuraisondedirequelesrôlesn’étaientpasbiendéfinisauseindela‘‘troïka’’.Jeregretteseule-ment que cette évaluation de l’efficacité du plangrec n’ait pas été réalisée conjointementavec lesEuropéens,cequiaboutitàcequechacunrenvoiesur l’autre la responsabilitédesdéfaillances.»

Entrois ans, lesEuropéensontcesséd’être les«fous furieux» ambitionnant de redresser laGrèceenunoudeuxansquedénonçaitenprivéle directeurgénéral d’alors,DominiqueStrauss-Kahn. Ilsontappris les techniquesd’unsauveta-ge maîtrisé. Il leur reste à présenter le bilan deleuractionenGrèceavecsesombresetseslumiè-res au Parlement européen et à leurs opinionspubliques.Leplus tôt sera lemieux.p

[email protected]

Anne Hidalgopremièreadjointeaumairede Paris,candidate(PS) pourles municipalesà Parisen 2014

¶« Questionsd’info »,une émissionpolitiqueà suivretous lesmercredissur LCPà 19 h 30,enpartenariatavec« Le Monde »,l’AFP,France Info,avecDailymotion

¶émissiondiffuséeen avant-premièreà 14heuressurles sitesdeDailymotion,France Info,Lemonde.fret LCP

décryptages

LES EXPERTSDU FMI

SAVAIENTQU’ILS SE

TROMPAIENT,MAIS ILSN’AVAIENTPAS D’AUTRECHOIX QUE

DEPERSÉVÉRER

DANSL’ERREUR…

L’épinegrecqueduFondsmonétaire international

Ondisait la gauche bien ancrée à Paris. Or, dansles premiers sondages, Nathalie Kosciusko-Mori-zet, votre rivale UMP, n’est pas très éloignée devous. Est-ce un avertissement?

Les électionsmunicipalesdemars2014 seront for-cémentdifficilesàcauseducontextenational. Ilpeuty avoir un vote sanction si la situation ne s’améliorepas,mais je n’ai pas du tout le sentiment qu’il y a unrejet de la part des Parisiens aujourd’hui, et je feraitout pour qu’il n’y enait pas.La position d’héritière n’est-elle pas plusinconfortable que celle de conquérante?

Non, car la fidélité en politique est un élément deforce.Vous faites campagne sur un bilan?

Non, sur unprojet. Deux exemples: enmatière delogement,jeveuxpousserlesecteurprivéàproduire,en complémentde l’offre de logements sociaux, uneoffre de logements intermédiaires. En matière detransports, je veux sécuriser la place du vélo en villebeaucoupmieuxqu’aujourd’hui.Comment jugez-vous «NKM»?

C’est plutôt sympathique de voir deux femmess’affronteràParis ;enmêmetemps,cen’estpaslapro-positionpolitiqueque je fais auxParisiens.NKMs’est abstenue sur lemariage pour tousalors que son parti y étaitmajoritairement hosti-le. Jugez-vous cela courageux?

Non. Le vrai courage, c’est d’assumer sa position:pourou contre.EuropeEcologie-Les Verts vient de désignerson propre candidat, ChristopheNajdovski.Le déplorez-vous?

Lalogiqueauraitvouluqu’onsoitensembleaupre-miertour.Maporteestouverteaurassemblement.Etsi ça bouge, j’en serai ravie.StéphaneRichard, l’ancien directeur de cabinetdeChristine Lagarde, a étémis en examen dansl’affaire de l’arbitrage rendu en faveur deBernardTapie. Peut-il rester à la tête d’Orange?

Ce n’est pas àmoi d’en décider.Mais les responsa-bles doivent toujours payer pour ce qu’ils ont fait. Jesuisheureuseque la justice fassesontravail, carcetteaffaireporte sur des sommespharaoniques. p

Proposrecueillis par Françoise Fressoz,FrédéricHaziza, SylvieMaligorne

etMarie-EveMalouines

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65eAnnée - N˚19904 - 1,30 ¤ - Francemétropolitaine ---

Jeudi 22 janvier 2009Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur: Eric Fottorino

Algérie 80 DA, Allemagne 2,00 ¤, Antilles-Guyane 2,00 ¤,Autriche 2,00 ¤, Belgique 1,40 ¤, Cameroun 1 500 F CFA, Canada 3,95 $, Côte d’Ivoire 1 500 F CFA, Croatie 18,50 Kn, Danemark 25 KRD, Espagne 2,00 ¤, Finlande 2,50 ¤,Gabon 1 500 F CFA, Grande-Bretagne 1,40 £, Grèce 2,20 ¤, Hongrie 650 HUF, Irlande 2,00 ¤, Italie 2,00 ¤, Luxembourg 1,40 ¤,Malte 2,50 ¤,

Maroc 10 DH,Norvège 25 KRN, Pays-Bas 2,00 ¤, Portugal cont. 2,00 ¤, Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 500 F CFA, Slovénie 2,20 ¤, Suède 28 KRS, Suisse 2,90 FS, Tunisie 1,9 DT, Turquie 2,20 ¤,USA 3,95 $, Afrique CFA autres 1 500 F CFA,

Barack etMichelleObama, à pied sur Pennsylvania Avenue,mardi 20 janvier, se dirigent vers laMaisonBlanche. DOUGMILLS/POOL/REUTERSa Les carnets d’une chanteuse.Angélique Kidjo, née au Bénin, a chantéaux Etats-Unis pendant la campagnedeBarackObama en2008, et de nouveaupendant les festivités de l’investiture,du 18 au 20 janvier. Pour LeMonde, elleraconte : les cérémonies, les rencontres– elle a croisé l’actrice Lauren Bacall,le chanteur Harry Belafonte… et l’écono-

miste Alan Greenspan. Une questionla taraude : qu’est-ce que cet événementva changer pour l’Afrique ? Page 3

a Le grand jour. Les cérémonies ;la liesse ; lesambitionsd’unrassembleur ;la première décision de la nouvelleadministration: la suspensionpendant cent vingt jours des audiencesde Guantanamo. Pages 6-7 et l’éditorialpage 2

a It’stheeconomy... Il faudraà lanou-velle équipe beaucoup d’imaginationpour sortir de la tourmente financièreet économique qui secoue la planète.Breakingviewspage 13

a Feuille de route.« La grandeurn’est jamais un dû. Elle doit se mériter. (…)Avec espoir et vertu, bravons une foisde plus les courants glacials et enduronsles tempêtesà venir. »Traduction intégraledu discours inaugural du 44eprésidentdes Etats-Unis. Page 18aBourbier irakien.Barack Obamaa promis de retirer toutes les troupesde combat américaines d’Irak d’iciàmai 2010. Trop rapide, estiment leshautsgradésde l’armée.Enquêtepage19

GAZAENVOYÉSPÉCIAL

D ans les rues de Jabaliya, lesenfants ont trouvé un nou-veau divertissement. Ils col-lectionnent les éclats d’obus et demissiles. Ils déterrent du sable desmorceaux d’une fibre compactequi s’enflamment immédiatementau contact de l’air et qu’ils tententdifficilement d’éteindre avec leurspieds.« C’est du phosphore. Regar-dez comme ça brûle. »Surlesmursdecetterue,destra-cesnoirâtressontvisibles.Lesbom-bes ont projeté partout ce produitchimique qui a incendié une petitefabrique de papier. « C’est la pre-mièrefoisque jevoiscelaaprès trente-huit ans d’occupation israélienne »,s’exclame Mohammed Abed Rab-bo. Dans son costume trois pièces,cette figure du quartier porte ledeuil. Six membres de sa familleont été fauchés par une bombedevant un magasin, le 10 janvier.Ils étaient venus s’approvisionnerpendant les trois heures de trêvedécrétées par Israël pour permet-tre auxGazaouis de souffler.Le cratère de la bombe est tou-jours là. Des éclats ont constellé lemur et le rideau métallique de la

boutique. Le père de la septièmevictime, âgée de 16 ans, ne décolè-re pas. « Dites bien aux dirigeantsdes nations occidentales que ces septinnocents sont morts pour rien.Qu’ici, il n’y a jamais eu de tirs deroquettes. Que c’est un acte crimi-nel. Que les Israéliens nous en don-nent la preuve, puisqu’ils sur-veillent tout depuis le ciel », enrageRehbi Hussein Heid. Entre sesmains, il tient une feuille depapier avec tous les noms desmortsetdesblessés, ainsi que leurâge, qu’il énumère à plusieursreprises, comme pour se persua-der qu’ils sont bienmorts.MichelBôle-RichardLire la suite page 5et Débats page 17

Ruines, pleurs et deuil :dans Gaza dévastée

WASHINGTONCORRESPONDANTE

D evant la foule la plus considérablequi ait jamais été réunie sur le Mallnational de Washington, BarackObama a prononcé, mardi 20 janvier, undiscours d’investiture presquemodeste. Aforce d’invoquer Abraham Lincoln,Martin Luther King ou John Kennedy, ilavait lui même placé la barre très haut. Lediscoursne passera probablement pas à lapostérité, mais il fera date pour ce qu’il a

montré.Unenouvellegénérations’est ins-tallée à la tête de l’Amérique. Une ère detransformationa commencé.Des rives du Pacifique à celles de l’At-lantique, toute l’Amérique s’est arrêtéesur le moment qu’elle était en train devivre : l’accession au poste de comman-dant en chef des armées, responsable del’armenucléaire,d’un jeunesénateurafri-cain-américain de 47 ans.

Lire la suite page 6Corine LesnesEducation

L’avenir deXavier Darcos«Mission terminée » :le ministre de l’éducationne cache pas qu’il seconsidérera bientôt endisponibilité pour d’autrestâches. L’historiende l’éducation ClaudeLelièvre expliquecomment la rupture s’estfaite entre les enseignantset Xavier Darcos. Page 10

AutomobileFiat : objectifChryslerAu bord de la failliteil y a quelques semaines,l’Américain Chryslernégocie l’entrée duconstructeur italien Fiatdans son capital, à hauteurde 35 %. L’Italie se réjouitde cette bonne nouvellepour l’économie nationale.Chrysler, de son côté, auraaccès à une technologieplus innovante. Page 12

BonusLes banquiersont cédéNicolas Sarkozy a obtenudes dirigeants des banquesfrançaises qu’ils renoncentà la « part variablede leur rémunération ».En contrepartie,les banques pourrontbénéficier d’une aidede l’Etat de 10,5 milliardsd’euros. Montantéquivalent à celle accordéefin 2008. Page 14

EditionBarthes,la polémiqueLa parutionde deux textes inéditsde Roland Barthes,mort en 1980, enflammele cercle de ses disciples.Le demi-frère del’écrivain, qui en a autoriséla publication, essuieles foudres de l’ancienéditeur de Barthes,François Wahl.Page 20

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0123BOUTIQUEEN LIGNE

QUESTIONS D’INFO

AnneHidalgo:«Lesmunicipales serontforcémentdifficiles»

16 0123Vendredi 14 juin 2013

Page 17: Le Monde newspaper

débats

Partout en France, le 17juin, desmilliers de jeunes gens vontbûcher sur l’épreuve de philo-sophie qui ouvre la semainesainte du baccalauréat. C’estune épreuve particulièrement

difficile,mais il y a fortàparierque les can-didats échapperont à la question la plusardue, celle que tout le pays devrait seposer: à quoi sert lebac?

L’époque est révolue où le bachelierfrais émoulu du lycée voyait s’ouvrirdevant lui les portes d’une carrière toutetracée et pouvait prétendre à un certainprestige social. En 1950, seulement 5%d’une classe d’âge décrochait ce sésamepour les sommets de la société. Aujour-d’hui,résultatdelamassificationdel’ensei-gnement secondaire, ils sont environ 70%à passer l’examen. Mais celui-ci n’est plusla garantie de trouver un bon travail, oumême le moindre travail : aujourd’hui,selonl’Insee,plusde18%des jeunesbache-liers sortis depuis un à quatre ans de leurformation initiale sont au chômage. Aumieux, le bac est un billet de loterie quiconfèreà ses titulaires lapossibilitédepar-ticiper à l’étape suivante, la plus cruciale:l’entréedanslesgrandesécoles,templesdel’élitisme français. Les chances sont mini-mes: dans unemême classe d’âge, à peineun individusurvingtyparvient.

Vudel’étranger, lebaccalauréatfrançaisprésentedeuxgrosdéfauts.D’abord,ilillus-tre une absence d’ambition pour fournirau plus grand nombre possible de jeunesgensuneéducationrépondantauxexigen-ces les plus élevées. De fait, la dernière foisqu’un objectif a été fixé en la matière,c’étaiten1985,lorsqueJean-PierreChevène-ment, alors ministre de l’éducation natio-nale, a proposé de faire en sorte que 80%d’unegénérationatteigneleniveaudubac-calauréat en 2000. Ce but n’a pas étéatteint:aprèsunbondinitial, lepourcenta-ge d’élèves atteignant ce niveau a stagné à70%etn’aplusprogressédepuis1995.Celasignifiequ’untiersdesjeunesFrançaisquit-tent l’école sans le diplôme dont ce pays afaitlerequisitdetoutecarrière.Sanssurpri-se,cesjeunesgensformentunepartsignifi-cativedes chômeursde longuedurée.

Dans beaucoup de pays, la proportiondes jeunesqui terminent leursétudesavecsuccèsestplusélevée:auxEtats-UnisouenFinlande, ce chiffre dépasse les 90%, à encroire l’Organisation de coopération et dedéveloppementéconomiques (OCDE).

Par ailleurs, les statistiques françaisesdissimulentune vérité qui dérange: l’édu-cation nationale pratique une sorte dedarwinisme social. Sur les 260000 jeunesqui,chaqueannée,nepassentnineréussis-sent le bac, la grandemajorité est issue desclasses populaires. La discrimination estévidente dans le cadre du bac général, leseul qui ait de la valeur: 70% des lycéensdont les parents sont cadres ou ensei-gnantsledécrochent,contremoinsde20%pour les enfantsd’ouvriersoud’inactifs.

Le secondproblème, c’est la quantité detravail,et leniveaudestressqui l’accompa-gne, réclamée par le bac, en totale dispro-portionavec les bénéfices que l’onpeut enattendre.Les5%d’uneclassed’âgequisontadmis dans les classes préparatoires auxgrandesécolesouquientrentàSciencesPosontcommelesbacheliersde 1950.Cesontdes heureux élus qui ont tiré leur épingledujeuetdontlaplupartconnaîtralaréussi-teprofessionnelle.Touslesautresseretrou-vent dans la zone de relégation de l’ensei-gnement supérieur: les universités, aussipauvresque surpeuplées.

Lebacactuelesttropdifficilepourvérita-blement sanctionner la fin des étudessecondaireset trop facile pour remplir sonrôle historique de sélection des élites de lanation.Auneépoqueoùlapolitiqueéduca-tive est une priorité nationale, lemomentestvenude le repenser.

Une réforme ambitieuseUn retour à la sélection implacable des

années 1950est socialement impossibleetnul ne peut le souhaiter. Pourquoi, alors,ne pas faire preuve de davantage d’ambi-tionet chercheràpousseruneplusgrandeproportionde jeunesFrançaisvers lehaut,commed’autrespaysl’ontfait?Celaimpli-querait de repenser de fond en comble leprogramme de l’examen pour l’élargir, lerendre plus intéressant et, oui, un peumoins intellectuel. Comme toujours, lesplus attachésaux traditionsvonthurler.

Mais fournir un socle de connaissancesdebaseà lapluslargepartde lapopulationest un objectif fort et estimable. Dans cenouveau bac, la distinction absurde entreles séries S (scientifique), L (littéraire) et ES(économique et sociale) disparaîtrait, tan-dis que les bacs professionnel et technolo-giquene seraient plusdes voies de garage.La formation des élites débuterait alorsaprès le bac, lors des études supérieures.Partout dans lemonde, il y a desmodèlesdont la Francepourrait s’inspirer.

Auneépoqueoùlechômagedes jeunesne cesse de croître et alors que les bache-liers sont loin d’être épargnés, c’est undébatquidoitavoir lieu.Quelresponsablepolitiqueosera s’en emparer? p

MichelRocardAncien premierministre

PierreLarrouturouEconomiste

Lebacnedoitpasêtrel’antichambreduchômageAllonschercheràl’étrangerdesmodèlesplusefficaces

L’Union européenne et les Etats-Unisenvisagentunvasteaccordsur le commerce et l’investisse-ment.C’estunprojetambitieuxqui vise à accroître les échangeséconomiques, favoriser la crois-

sanceetrenforcerlepartenariattransatlan-tique.LaFranceestprêteàlesouteniràunecondition non négociable : le respect del’exception culturelle. La France demandequelessecteursdelacultureetdel’audiovi-suel soient exclusde cet accord.

Il s’agit pour la Franced’une convictiond’ordre politique et philosophique. Uneconviction à laquelle notre pays est pro-fondément attaché : la culture n’est pasune marchandise comme les autres. Lamécanique du marché n’est pas capabledeprendreencompte lavaleur spécifiquedes biens culturels. Ce qui est en jeu, c’estla capacité d’un pays à se représenter lemonde.Nousnepouvonspasabandonnerla culture aux lois aveugles dumarché!

Cela implique, sur le planéconomique,

demettre en place des régulations fortes,pour permettre d’assurer la plus grandediversité d’expressions possible. Dans ledomaine du cinéma, la France s’estemployée dès la fin de la seconde guerremondiale à favoriser la pluralité. C’est cequi a permis le développementd’un ciné-ma français divers, audacieux, qui nereniepas sa dimensionpopulaire.

Ladiversité culturelleestunevaleurensoi.Demêmequelarichessed’unécosystè-mesemesureàladiversitédesespècesquil’habitent,celled’uneculturedépenddeladiversité de ses expressions. C’est cetteconvictionquepartagent les 126Etatspar-tisà laconventionde l’Unescosur ladiver-sité culturelle. Une convention adoptée,rappelons-le, à l’initiativede la France.

La logique du marché est absolumentinverse: elle uniformise, elle aplanit, ellesimplifie pour plaire au plus grand nom-bre. Nous le voyons bien sur Internet, quifavorise l’apparitiondevastes entreprisesen situation de quasi-monopoles semoquantde la législationdes Etats. Le ris-que, c’est la réductionà lamonoculture.

Pourévitercela, laFranceamisenplacedes politiques culturelles très efficaces,dont le but estprécisémentde favoriser ladiversitédes créations. Celapasseparune

volonté politique de financer la création,de soutenir les producteurs et les réseauxde diffusion aussi, que ce soient les sallesdecinémaclasséesartetessaiou les librai-ries indépendantes. Cela passe aussi parune régulation forte, pour assurer que lesgrands diffuseurs fassent toute la placenécessaireauxœuvreseuropéennes.L’en-jeu n’est pas de supprimer ces mécanis-mes, mais de les adapter à l’ère numéri-que. C’est impossible sans une exclusionclaire exigéepar l’Unioneuropéenne.

Aujourd’hui,nosconcitoyensontenco-re la possibilité d’accéder en France à uneoffre culturelle abondante. Une offrediverse ouverte aux créateurs du mondeentierdanslagrandetraditionuniversalis-tedenotrepays. Pourquoivouloirbalayercet idéal de diversité culturelle? Pourquoiprendre le risque de menacer de tellesrichesses immatérielles? Pourquoi met-tre en danger les emplois ainsi créés? Aucontraire! Nous devons être fiers de cettepolitiqueet la revendiquer!

Ce que nous défendons aujourd’hui,c’estcettepolitiquedelaculture,construi-te et enrichie depuis plus de cinquanteans. Nousavons engagé, sur le plannatio-nal,unerefondationdenosoutilspour lesadapter à l’ère du numérique. Ce sont des

défis considérables. Ils nous imposent derepenser nos moyens d’action. C’est cequej’aiappelél’acteIIdel’exceptioncultu-relle.PierreLescureafaitdespropositionsquenous sommesen traind’expertiser etdemettreenœuvre. Il s’agitdepenserunepolitiqueculturelle 2.0, à l’heuredu siècle«connecté».

Cequenousfaisonsauniveaunational,nousvoulonsaussipouvoir endébattreet

le faire au niveau européen. Parce que jereste profondément convaincue qu’il n’yaurapas deprojet européen sans capacitépourl’Europededéfendresesexpressionsculturelles propres. L’enjeu est bien desavoir si l’UEveut rester fidèle à sonambi-tion politique. Une ambition qui passenécessairementpar la culture.

Pourpoursuivre ses proprespolitiques

culturelles, l’UE doit garder les mainslibres. Elle doit pouvoir décider de quellemanièredéveloppersesmoyensderégula-tion, en particulier pour Internet. Signerun accord avec les Etats-Unis sur cessujets,c’estselierlesmains.C’ests’interdi-re pour l’avenir de promouvoirnos cultu-res sur les médias de demain. L’enjeu decette négociation est là : est-ce que l’UE etsesEtatsmembresveulent rester libresdepromouvoir la culture dans toute sarichesseet toutes ses spécificités?

Ce n’est pas une préoccupation franco-française, elle n’est ni nationaliste ni cor-poratiste.LaFrancen’estpasseule.Quator-zeministres de la culture ont signé la let-tre que je leur ai proposée pour défendrel’exception culturelle. Le Parlement euro-péen a adopté, à une écrasante majorité,une résolution qui défend la même idée.Les cinéastes et les professionnels de laculturese sontemparésdusujetdanstou-te l’Europe.AudernierFestival de Cannes,les cinéastes américains eux-mêmes ontreconnu l’importance de l’exceptionculturellepourpermettred’avoirunciné-ma riche et varié. Il s’agit d’undébat euro-péen, d’une ambition universelle, d’uneconviction non négociable: la France irajusqu’aubout pour défendre cet idéal. p

Officiellement, il y a eu 40000 chô-meurs supplémentaires en France enavril. Mais leministère indique qu’enun mois il y a eu 534000 nouveauxinscrits à Pôle emploi. Si le chômageaugmentede40000personnes«seu-

lement»,c’estque,danslemêmetemps,494000per-sonnes quittaient les fichiers de Pôle emploi. «Pres-que lamoitié ont repris un emploi», indique leminis-tère.Onenconclutqu’unemoitién’enapasretrouvé:certains sont en stage, d’autres ont des problèmesadministratifs mais, chaque mois, 80000ou100000personnes arrivent en fin de droits.

Dans le sud de l’Europe, c’est pire encore: en Italie,le chômage touche près de 3millions d’adultes,maisil y a 3millions de «découragés» qui ont abandonnéleurrecherched’emploi.EnEspagne, ilya6,2millionsde chômeurs – et combiendepauvres?

Lasituationest-ellemeilleuredanslerestedumon-de? Aux Etats-Unis, malgré des déficits colossaux, letauxd’activitéesttombéàsonplusbasniveauhistori-que : 63,3%. Les chiffres du chômage sont stablesmais, en un mois, 495000 chômeurs ont renoncé àchercher un emploi et sont sortis des statistiques.Même avec des politiques budgétaires etmonétairesultra-accommodantes, les Etats-Unis n’arrivent pas àsortir du chômage. En mai, l’activité industrielle acommencéà reculer.

Au Japon, le gouverneur de la banque centrale adémissionné il y a trois mois, refusant de cautionnerpluslongtempsunepolitiquequi,envingtans,apous-sé la dette publique à 230%duproduit intérieur brut.Le30mai,leFondsmonétaireinternationalapublique-mentavertique, enpoussant sondéficitpublic à9,8%duPIB, le Japonprenaitdes«risques considérables».

Lesdeuxmoteursdelacroissancechinoiseontcaléenmême temps: les ventes de logements ont baisséde 25% enun an et les exportations vers l’Europe ontreculé de 9,8%. Officiellement, la Chine ne traversequ’un «petit ralentissement», mais si l’on observe laconsommation d’électricité (indicateur plus difficileà enjoliver que le PIB), la Chine est plus proche de larécessionqued’unecroissancede6%.Enmai, l’activi-té industriellea reculé: il nes’agitpasd’unralentisse-mentdans la croissance,mais biend’un recul.

EnChine, labulleestplusgrossequ’ellene l’étaitenEspagne. Et son explosion risque d’avoir des consé-quencessocialesnettementplusgraves,car iln’yapasdecouverturesocialepourleschômeursnidesolidari-té familialepourdesmillionsd’hommesdéracinés.

C’est dans ce contexte que s’ouvre en France laconférencesocialedes20et 21 juin. Elledoit lancerunnouveau cycle de négociations sur l’emploi. L’un deshautsfonctionnairesde ladirectionduTrésor, chargéde préparer une «note de cadrage» pour cette confé-rence, affirmait récemment que la France est retom-bée dans une «petite récession». Du point de vuecomptable, et si l’on pense que la France est seule aumonde, il a raison.Mais peut-onen rester aupoint devuecomptable?Non!Celan’estpasune«petite réces-sion». Une banale récession comme nous en avons

déjà connu quatre en quarante ans. Comme celle de1929, cette crise peut conduire à la barbarie : guerreaux frontières de la Chine, guerre pour l’eau ou pourl’énergie, émeutes urbaines et montée de l’extrêmedroiteenEurope…Sinouscontinuonsà laisserpourrirla situation, tout cela peut, en quelques années, finirdansun fracas terrifiant.

Qui donc est l’homme pour accepter que desmil-lions d’hommes et de femmes vivent dans la plusgrande pauvreté, alors que, globalement, nousn’avons jamais été aussi riches? Qui sommes-nous,femmesethommes,pourêtre incapablesdegarder lamaîtrise de notre avenir, ballottés comme des fétusdepaille, d’une crise à l’autre?

Crise sociale, crise financière, crise climatique, cri-sedémocratique, crisedu sens…dans touscesdomai-nes, nous sommesprochesd’unpoint denon-retour.L’humanité risqueune sortie de route. C’est l’ensem-ble de notre modèle de développement qu’il fautchanger, de toute urgence.

Pour éviter qu’un tsunami sur les marchés finan-ciers ait un impact direct sur l’économie réelle, pourlutter radicalementcontre la spéculationet contre lesrisques liés au surendettement des Etats, la Francedoit demander que soit organisé au plus vite unnou-

veauBrettonWoods [accordspourréorganiserlesystè-me financier international après la seconde guerremondiale, en 1944].

Poursortir l’Europede l’austéritéetdela récession,il fautmettre fin aux privilèges incroyables des ban-quesprivéesdansle financementdeladettepubliqueet financerà 1% lavieilledettepublique, lutter contreles paradis fiscaux et négocier la créationd’un impôteuropéen sur les dividendes. Si l’on fait cela, nouspourrons retrouver l’équilibre des finances publi-ques sans austérité.

Il faut aussi agir avec force contre le chômage et laprécarité en fixant à la négociation sociale qui débuteles 20 et 21juin unobjectif ambitieux: auxPays-Bas etauDanemark, les partenaires sociaux ont été capablesd’élaborer en quelques semaines un nouveau contratsocialassurantunmeilleurpartagedesgainsdeproduc-tivité,quiapermisdediviserpardeuxlechômagetouten restaurant l’équilibre de la balance commerciale.Pourquoin’enserions-nouspascapablesnousaussi?

Petite récessionou crise de civilisation? La réponseest évidente. Politiquesetpartenaires sociauxdoiventabsolument se laisser bousculer par la crise. Personnene leur en voudra de tenir un discours de vérité. Aucontraire!«L’immobilismeet lapusillanimitésonttou-joursplusdangereuxque l’audace, écrivaitPierreMen-dès France. Les problèmes sont si difficiles et d’une sigrande ampleur, la résistance des égoïsmes est si forte,que c’est avant tout de l’audace qu’il nous faut aujour-d’hui.De l’audace intellectuelleetpolitique,plus raredenosjourshélas!quelecouragephysique.»Direlavéritéet décider de construire, tous ensemble, un nouveaucontrat social adapté aux contraintes et aux désirs decetempsestsansdoutelameilleurefaçonderenforcerla cohésionet la résiliencedenotre société. p

PeterGumbelEssayiste britannique

L’enjeuestdesavoirsil’UEveutresterfidèleàsonambitionpolitique.Uneambitionquipasse

nécessairementparlaculture

AurélieFilippettiMinistre de la culture

¶Michel Rocardet PierreLarrouturouont publiéensembleLa gauchen’a plus droità l’erreur(Flammarion,300p., 19¤)

Pourluttercontrelaspéculationetcontrelesrisquesliésausurendettement

desEtats, laFrancedoitdemanderquesoitorganiséauplusviteunnouveauBrettonWoods

LaFrance, ferdelancedel’exceptionculturellefaceaumarchélibre

GareauprochaintsunamifinancierMieuxrépartir lesgainsdeproductivité

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Page 18: Le Monde newspaper

Lesfins de mandat ont souventun goût du sang et d’hallali, enRépublique islamique plusencore qu’ailleurs. MahmoudAhmadinejad n’a pas échappéà la règle de cette Révolution

qui continue de dévorer ses enfants un àun, même les plus obéissants. A l’appro-che de la présidentielle qui doit désigner,vendredi 14 juin, son successeur, le prési-dent iranien aura fait l’amère expériencedeladescenteenflammes,aussispectacu-laireetbrutalequesonascensionl’aétéen2005.

Aucune avanie ne lui aura été épar-gnée. Son ami, son protégé, son bras droitet sa source d’inspiration, son cher Esfan-diarRahimMashaie,aétéécartédelacour-se à la présidence par le Conseil des gar-diens. Lui-même a été rayé de la liste desorateurs à l’occasion de la commémora-tion de la mort de l’ayatollah Khomeyni,le 4juin. Et le Parlement l’a interpellé surle coût de son huitième et dernier voyageà New York, à l’occasion de l’assembléegénérale des Nations unies, en septem-bre2012: les 125membresdesadélégationont logé dans des chambres d’hôtel coû-tant «entre 400 et 700dollars» la nuit. Sile président ne répond pas dans un délaid’un mois, son dossier sera transmis à lajustice.

Quelle trace laisseraMahmoud Ahma-dinejad dans l’histoire iranienne? Unsinistre Savonarole utilisant la tribune del’ONUpourappeler à rayer Israëlde la car-te? Unhommedu peuple parvenu au faî-te dupouvoir, qui a appauvri commeper-sonne les classes moyennes et populai-res?Ouencoreunmystique illuminé, quia plus ébranlé qu’aucun autre le pouvoirdesmollahsdepuis le débutde laRépubli-que islamique, en 1979?

Avant tout, Mahmoud Ahmadinejadaura été l’instrument docile de la liquida-tionducourant réformateur entaméeparleGuidesuprême,AliKhamenei,dès la findesannées1990,souslaprésidenceKhata-mi. Il a effectué sa tâche sans état d’âme,comme lorsqu’il était chargé de liquiderdes opposants – surtout kurdes – aumilieudes années 1980.

Ahmadinejad est la caution populisted’un régime qui se sait impopulaire. Il aété choisi par le Guide en personne, AliKhamenei, numéroun du régime. Fils deforgeron, né en 1956 à Garmsar, à 90 kilo-mètres de Téhéran, il restera toujours unpetit gars de la campagne, à l’opposé de lagrandeville corruptrice. Etudiant en ingé-nierie,ilmiliteaveclesislamistesets’enga-ge dans le Bureau pour la préservation del’Unité, qui organisera la prise d’otages del’ambassadeaméricaineen 1979.Quand ilaétédésignémairedeTéhéranà la surpri-se générale, en 2003, nul ne le connaît.

Il saura se rendre célèbre par un sensaigu dumarketing politique: il débarqueà la municipalité de Téhéran avec sonrepas dans un Tupperware ou habillé enéboueur pour donner un coup de mainauxbalayeurs. Au termed’une campagneéclair contre les corrompus, il écrase levieux routier de la politique iranienne,Akbar Hachémi Rafsandjani, au secondtourde la présidentielle en 2005. Pendantses premiers mois de pouvoir, il insistepour continuer à loger dans sonmodesteappartement. Les services de sécurité ontfini par le contraindre de déménager aupalais présidentiel. Ahmadinejad nerenoncera jamaisà ses costumesétriqués,ses manières directes et sans façons ousonparlerpopulaire,mélangedefamiliari-té et de poésie obséquieuse.

Mais à l’abri de son éternel coupe-ventbeige, s’installe peu à peu une dynastie.Elle ne devient vraiment apparente que

lorsdusecondmandat: sonfrèreestnom-mé à de hautes fonctions, sa sœur se pré-sente au conseil de la ville de Téhéran, ils’entoure de copains d’université et devieilles connaissances. C’est la fin dusérail : le populo est entré au palais. Piècemaîtresse de ce dispositif, EsfandiarRahim Mashaie, que beaucoup présen-tent comme l’âme damnée d’Ahmadine-jad, auquel il est liépar lemariagede leursenfants respectifs.

Le premier conflit avec le Guide suprê-me intervient d’ailleurs dès l’été 2009,lorsque ce dernier refuse la nominationdeMashaieaupostedepremiervice-prési-dent. La ruptureestd’autantplusviolenteque le Guide estime avoir sauvé la mised’Ahmadinejad en ordonnant la répres-sion des manifestations massives, enjuin2009, contre sa réélection présuméefrauduleusedès le premier tour. Ahmadi-nejadcontinue,enparoles,derendrehom-mage à l’ayatollah Khamenei, mais toutaulongdesonsecondmandat, iln’adeces-se de s’émanciper.

Fini lesdéclarationsantisémitesou lespitreries à la tribune de l’ONU, il n’a plusbesoind’installersonpersonnageetdeseposer en champion du monde musul-man. Ce qu’il veut désormais, commetous lesautres, c’est lepouvoir, l’argentetla reconnaissancedes Etats-Unis.A partirde l’automne 2009, il cherche à mettre–envain– lamainsur lepétrole, le rensei-gnementet envoiede discrets émissairesà Washington. Le nucléaire n’échappepas à cette querelle. Ahmadinejad tentede s’accaparer le symbole par excellencede la puissance et le meilleur levier denégociation avec les Etats-Unis, le«Grand Satan» si détesté et si désiré.

Ahmadinejad s’était fait élire en 2005en promettant de mettre l’argent dupétrole sur la table des Iraniens. Huit ans

plustard, iln’yaniargentnimêmepétro-le.Lesrevenuspétroliersde l’Iranontchu-té presque demoitié en 2012 par rapportà l’année précédente. La production esttombéeà700000barilspar jourenavril,le niveau le plus bas depuis l’avènementde la République islamique en 1979. Lafaute aux sanctions occidentales prisesen représailles au programme nucléairemilitaire présumé de l’Iran. L’automobi-le, premier employeur du pays après lesecteurpétrolier,avusaproductiondimi-nuer de moitié. Dans un spot télévisé dela campagne 2013, Mohsen Rezaie, l’undes six candidats à la présidentielle, peutainsi affirmer : «Notre pays est l’un desplus puissants de la région et nosmissilespeuvent être tirés à desmilliers de kilomè-tres et pourtant nous manquons de pou-let.» Il vise juste :Ahmadinejadaperdu lesoutien de ceux qui l’ont élu, les déshéri-

tés, fatigués de se battre pour survivre etirrités de voir l’Iran redevenu un pestifé-rémondial.

Le président, trop confiant dans son«génie», s’est lancé dans la réforme laplus ambitieuse et la plus risquée depuisl’avènement de la République islamique:la suppression des subventions des pro-duits de première nécessité, qui accapa-rent 70% du budget de l’Etat, à commen-cerpar l’énergie, c’est-à-dire l’essenceet lediesel. Le coût des transports a explosé.Pour compenser cette soudaine baisse duniveau de vie, des allocations ont été ver-sées sur le compte des familles les pluspauvres,mais cela n’a pas suffi. Pourtant,« jamais un président n’a eu autant depétrodollars», assène lecandidatréforma-teurMohamed-RezaAref– il s’est retirédela course à la présidentielle mardi :630milliardsdedollars de rentréespétro-lières sous la présidencedeM.Ahmadine-jad (2005-2013) contre seulement 173mil-liards sous la présidence de MohammadKhatami (1997-2005). Mais tout a étéenglouti dans un mélange de mauvaisegestion, de projets bâclés et d’allocationsdestinées à éviter une explosion sociale.

En fait, l’ambitieuse réforme menéepar Ahmadinejad, saluée en 2011 par leFondsmonétaire international, aurait euune chance de réussir si le contexte avaitétédifférent.Mais leprésidents’estentêtéalorsmême que les Etats-Unis et l’Europemettaient en place l’arsenal de sanctionsleplussophistiquéetdraconienjamaisvudepuisl’apartheidenAfriqueduSud–misà part l’Irak de SaddamHussein de 1991 à2003.

Quandlaréalitélecontrarie,Ahmadine-jadlanie. Ilpeutmentirsurtout : lesstatis-tiques, lesjournalistesetopposantsenpri-son, les étudiants renvoyésde l’universitéen raison de leurs activités, son bilan éco-

nomique… Invité par l’Université deColumbiaàNewYork,enseptembre2007,à un «dialogue» avec les étudiants, ilrépond à une question sur la répressiondes homosexuels en Iran: «Nous n’avonspas d’homosexuels comme dans votrepays. Je ne sais pas qui vous aparlé de ça.»

I l se conduit de lamêmemanière aveclesgrandsdumonde. Ilécritd’intermi-nables lettres à George W. Bush

(18pages), au pape ou à Angela Merkel. Iladore lesbainsde fouleet seprenddepas-sionpourHugoChavez,son«frère», à l’en-terrement duquel il pleure. Rien ne faitpeur à cet hommede petite taille (1,58m).Il ressemble à ces jeunes bassidj (mili-ciens)arrogantsqui arrêtent lesbourgeoi-ses dans la rue pour corriger leur tenue,pas assez islamique. En 2010, il renvoieson ministre des affaires étrangères,ManouchehrMottaki, en tournée en Afri-que: c’est le président sénégalais, Abdou-laye Wade, qui informera l’infortunédiplomate.

Lassédesesfoucades,le«système»pré-fère désormais un homme plus terne,plusprévisible,à l’instardeSaïdJalili, favo-ri du Guide et du scrutin de vendredi. CarAhmadinejad – et plus encore son acolyteMashaie–a laprétentiond’entretenirunerelation directe avec le douzième imamchiite, Mohammed Al-Mahdi, «occulté»en874 et dont le retour sur terre instaure-ralapaixet la justice.Unemenaceexisten-tielle pour le clergé chiite, chargé de diri-ger etd’encadrer la sociétédepuis laRévo-lution. Même le mentor de MahmoudAhmadinejad,l’ayatollahMesbah-Yazdi,afini par le lâcher. Il est probablement là, lelegs le plus important du premier prési-dent laïc de l’Irandepuis 1981: une remiseenquestionsansprécédentde l’utilitédesmollahs.p

portrait

Ahmadinejads’estfaitélireen2005en

promettantdemettrel’argentdupétrolesurlatabledesIraniens.

Huitansplustard,iln’yaniargentnipétrole

Christophe Ayad

MahmoudAhmadinejad

Lachuted’unilluminé

MahmoudAhmadinejad au palaisprésidentiel, à Téhéran, en janvier2012.

MORTEZA NIKOUBAZI/REUTERS

Choisipoursaduretéetsonpopulisme, leprésident iranienaplongé lepaysdanslacriseéconomique,l’a isolé sur lascènemondialeeta fini,à forced’excès,pars’aliénerleGuidesuprême

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Société éditrice du«Monde»SAPrésident dudirectoire, directeur de la publication Louis DreyfusDirectricedu «Monde»,membre dudirectoire, directrice des rédactionsNatalieNougayrèdeDirecteur déléguédes rédactionsVincentGiretDirecteurs adjoints des rédactionsMichel Guerrin, RémyOurdanDirecteurs éditoriauxGérardCourtois, Alain Frachon, Sylvie KauffmannRédacteurs en chefArnaudLeparmentier, Cécile Prieur, NabilWakimRédactrice en chef «MLemagazine duMonde»Marie-Pierre LannelongueRédactrice en chef «édition abonnés» duMonde.fr Françoise TovoRédacteurs en chef adjoints François Bougon, Vincent Fagot, Nathaniel Herzberg, Damien LeloupChefsde serviceChristopheChâtelot (International), LucBronner (France), VirginieMalingre(Economie), Auréliano Tonet (Culture)Rédacteurs en chef «développement éditorial» Julien Laroche-Joubert (InnovationsWeb),Didier Pourquery (Diversifications, Evénements, Partenariats)Chefd’éditionChristianMassolDirecteur artistiqueAris PapathéodorouPhotographieNicolas JimenezInfographieEric BéziatMédiateurPascal GalinierSecrétaire générale du groupeCatherine JolySecrétaire générale de la rédactionChristine LagetConseil de surveillancePierre Bergé, président. Gilles van Kote, vice-président

Quepeuvent-ils bien sedire?Xi Jinping,chemiseblanchedéboutonnéeau col,chevelurenoir brillant lissée au cordeau,

etBarackObama, chemisebleupâle, pantalonsport, arpententungazon impeccable. Sous lesoleil duSud californien, leprésident chinoiset sonhomologueaméricaindiscutentde l’ave-nirde leurspays: lesnumérosunet deuxdel’économiemondiale se jugent, se jaugent, s’ob-servent– bref, apprennentà se comprendre.

La rencontreadurédeux jours, les vendre-di7 et samedi 8juin. Elle s’est tenueausud-estdeLosAngeles, à la FondationAnnenberg,dunomd’undes géantsde lapresseaméricainequi fit construire là, enpleindésert, dans l’oa-sisde PalmSprings, une résidenced’hiver à l’al-lureprincière: structureultramoderneposéesurun tapisdeverdure, enbordurede lac artifi-ciel et de forêt de cactus, avec, en toilede fond,lamassebrunedesmontagnesdeSan Jacinto.Ici, les artères célèbrent les grandsnomsdushow-business.Décisivepour l’avenirduXXIesiècle, la relation sino-américainese jouedansunpaysagedewestern, entre lesboule-vardsBobHopeetFrankSinatra.Onnepeutpas fairemoins exotique.

M.Xi avolontiers accepté l’invitation,mais a

préférédormirdansunhôtel voisin. Leprési-dent chinoisa eupeur, suggère lapresse, desécoutes téléphoniques…La rencontreest sanséquivalent. Lesdeuxhommesont euprèsdehuitheuresdediscussions, entrecoupéesdepromenadesetd’undîner. Leursprédécesseursn’ont jamaispasséautantde tempsensemble.

C’estune «première»diplomatiqued’ungenrenouveau.Ordredu jour: se connaître.Annoncesà la sortie: brèves. Lesdeuxprési-dents conviennentque laCoréeduNordnedoitpasavoir l’armeatomique.WashingtonetPékinvont institutionnaliserundialoguemili-tairedestiné à empêcherque leur face-à-facehostiledans le Pacifiqueoccidental et dans lecyberespacenedégénère envéritableconflit.Enfin, avecunaccordpour lutter contre l’émis-siondegaz industriels, ils fontunpasdans lalutte contre le réchauffementclimatique.

C’est substantiel,mais sansdoutepas l’essen-tiel. L’ambitiondeM.Obamaest denouerdesliensavec lemystérieuxM.Xi. Soixanteans,épaules larges, sourirebonenfant, ce fils de lanomenklaturarouge, en fonctionsdepuismars, estpourdixansà la têtede laChine. Ildevrait être l’hommequi, en findemandat,pré-sideraà«la transition»– cemoment-cléde

l’histoiredu sièclequi verra laChinedépasserles Etats-Uniset devenir lapremièrepuissanceéconomiquedumonde. Perspectivequi sem-bledéstabiliserPékinautantqueWashington.

Car, pour lemoment, l’affaire seprésentemal. L’affableM.Xi seveut lepromoteurde cequ’il appelle le«rêve chinois», lependantdu«rêveaméricain». Il est resté trèsvague sur ladéfinition, sinonpourdire ceci : «Nousdevonsassurer le grandretourde lanation chinoise, unpaysprospère etunepuissancemilitaire.»Autitrede laprospérité, il laisseentendrequ’ilsera l’hommedeprofondes réformeséconomi-ques, celuiqui vabousculer le «capitalismed’Etat»pour l’adapterauxnouveauxbesoinsdupays.Au titrede lapuissancemilitaire, il flat-te l’arméedont il est proche, il tientundis-coursvolontiersnationaliste, il défend lesrevendications territorialesdePékinenmerdeChine, celles qui fontpeur à tous lesvoisinsdel’empireduMilieu.

La voie du compromisWashingtons’impatiente. Les relations avec

Pékin se dégradent. A l’encontrede la Chine,les Etats-Unis avancentdes griefs parpalan-quins entiers : concurrencedéloyale, piratageélectroniqueà grande échelle, non-respectdela propriété intellectuelle,marchés protégés,etc. Ils accusent la Chinedeprofiter du systè-meet denepas donner grand-chose en retour.Pasmoins acrimonieux, les Chinois dénon-cent cette sorte d’allianceque les Etats-Unisont conclue avec les riverainsduPacifiqueoccidentalpour l’encercler et la contenir. Audéploiementde la flotte américainedans larégion, ils répondentpar unbudgetmilitaire

enaugmentation constante. Annenberg a étéconvoquéparce que les deuxparties étaientconscientesqu’elles allaient à la catastrophe.Et qu’une relationdeplus enplus conflictuelleaurait des répercussionsdésastreusesdans larégionAsie-Pacifique– que lesChinois veu-lent dominer et où les Etats-Unisn’entendentpas céder lamain. Les conversationsdans l’oa-sis ont eupour objet de chercher la voie d’uncompromis.

Le tonquasi belliqueuxde Pékindans lePacifiquemasqueunegrande timidité ailleurssur la scène internationale. La Chineneprendpasd’initiative. Elle est unepuissancede statuquo. Elle a peud’amisoud’alliés.N’était undis-cours souventnationaliste, elle ne se compor-tepas forcément commeunpaysqui a le désird’exercerun leadershippolitiqueà lamesurede sonpoids économique. Le régimeestmoins assuréqu’il n’y paraît. Il est plus préoc-cupéde stabilité à l’intérieurque d’initiativesà l’extérieur. L’économie chinoise est de plusenplus dépendantedu reste dumonde. Sanécessaire réforme représenteun énormechantier, aussi politiquequ’économique: làest la prioritédeXi Jinping.

Sonhomologueaméricainn’est pas d’unehumeur très différente, réticent aux aventu-res extérieures, convaincuque sapriorité, à luiaussi, est la rénovationà l’intérieur.MM.Oba-maetXi doivent prouverque l’ascensionde lapuissanceémergentenedoit pas nécessaire-mentdéboucher sur une confrontationavec lapuissance installée. Ce devrait êtrepossible –mêmesi l’histoire enseigne le contraire. p

[email protected]

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INTERNATIONAL | CHRONIQUEpar Alain Frachon

BarackObamaet lemystèreXi Jinping

C’EST UNE« PREMIÈRE »DIPLOMA-TIQUE D’UNGENRE

NOUVEAU.ORDRE DUJOUR : SECONNAÎTRE

EN VENTE DÈS DEMAIN

© Maciek Pozoga pour M, Le magazine du Monde.

Dessujetsdubacmisenlignepar…lerectoratdeToulouse

pTirage duMondedaté jeudi 13 juin 2013 : 306053 exemplaires. 2

L egrand festival dubaccalau-réat commence lundi17juin. Commed’ordinaire,

la cérémonied’ouverture se feraavec la traditionnelle grand-mes-sede laphilosophie (lundide8heures à 12heures).Mais cetteannée, les premiers couacsde cetexamenaubordde l’implosionn’aurontmêmepas attenducettedate symbolique.De quoi angois-ser la RuedeGrenelle sur la suitedes événements.

Dans laplusgrandediscrétion,les vingt-cinqsujetsd’épreuvesde compétenceexpérimentale(ECE)deSciencesde la vie et de laTerre (SVT) circulent surplusieursforumsdepuis aumoins lami-mai. Et personnen’a eubesoindedéjouer la sécuritéduministè-re. La listedesvingt-cinqexpérien-cesqu’il faut savoirmener enSVTaétémise en lignepar le rectoratdeToulouse.Enprime, l’acadé-miey aajouté les fichesd’aidepour les lycéensn’ayantpas toutà fait leniveau. Elle amêmeajou-tédes corrections le 14mai!

Affaire classéeOnn’estpasdans le casd’une

fuitemajeure, commecelle quiavait concernéunexercicedemathématiquesdubaccalauréatscientifiqueen2011. Il s’agit là delaprésencesur leNetdedocu-mentsofficielsquin’auraientpasdûs’y trouver. Lebénéficeauraétéunedivisionpardeuxou troisdes révisionspour les lycéensquil’ontdénichéà temps.

Cetteépreuved’ECEestunoral.Elle sedérouledans les établisse-ments.«Ellemesure les capacitésexpérimentalesdes lycéens, sedéroule toutau longdumoisdemai, jusqu’audébutdumoisdejuinet faitpartie ducontrôle encoursde formation»,expli-que-t-ondans l’entourageduministreVincentPeillon, où l’on

tient à«dédramatiser laprésencede cesdocuments sur leNet».Durant l’année, les élèves tra-vaillent surune soixantained’ex-périences.L’inspectionchoisitvingt-cinqsujetsqui constituentla«short-list» à l’intérieurdelaquelle les lycéensseront interro-gés.C’est cette listequi a été ren-duepubliqueavant les épreuves.

Commedans toutes les fuitesdesannéesprécédentes, les abon-nésdu forumJeuxvideo.comontétébienservis. Les animateursdela radiode ce site observent, le4juin, qu’unabonnéde leurforum15/18, la piècemaîtressedusite, aposté les vingt-cinqsujets,afind’aider les candidatsquin’étaientpas encorepassés.

Unautre forum,celuideTi-Pla-net, donnait aussi les informa-tions, ainsi qu’un troisième.Aumoins 12000 internautes se sontintéressésà cespages. Ti-Planetaaussipublié les intitulésdesépreuvesexpérimentalesde scien-cesphysiques. Cette fois, le guida-geétaitmoindre,puisqu’il fallaitquandmêmeréviser tout le chapi-tre concerné!Mais commeleconfieun lycéen,«çapermetquandmêmed’êtreplus sûr dansle choixde ses impasses».

Pour leministèrede l’éduca-tionnationale, l’évaluationpor-tant surdes compétencesetnondes connaissances, l’affaire estclassée«sans enjeux». L’académiedeToulousea toutdemêmefait leménagemercredi 12juin sur sonsite; les documentsont été effa-cés.

Troptard, l’épreuveest finie…Gageonsque le tempsgagné surla révisionde cetteévaluationgrâ-ceà la «bienveillance»d’un ins-pecteurauraété reporté sur lapré-parationdesdisciplines écritesaumenuà compterde lundimatin!p

MarylineBaumard

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GRÈVEGÉNÉRALE ENGRÈCEAPRÈS LAFERMETURE DEL’AUDIOVISUELPUBLICLIRE PAGE 4

LepatrondeRoyalBankofScotlandremerciéLIRE PAGE4

ENQUÊTEÀ LA CITY SURUNE POSSIBLEMANIPULATIONDUMARCHÉDES CHANGESLIRE PAGE4

LaCaissedesdépôtset laBEIvontcofinancercollectivitésetPMELIRE PAGE5

Carrefour

Certains ont la crise dela quarantaine un peutardive. L’hypermar-ché fait la sienne à

50 ans. Ce concept inventé parCarrefour le 14 juin 1963 avecl’ouverture d’un premier«grandmagasinlibre service»à Sainte-Geneviève-des-Bois(Essonne) est en pleine intros-pection.

Ses contempteurs l’ontenterré, peut-être un peu tropvite. Certains ont tenté de leréenchanter,commesi lagran-de distribution était un contede fées. D’autres enfin ont faitcomme si de rien n’était, com-me si le temps n’avait pas deprise, comme si Georges Pom-pidouétait encore à l’Elysée, lacroissance à plus de 5% et l’es-senceàmoinsd’unfranc.Suici-daire.

Même si l’hypermarché n’ajamais été aussi présent dansnotre environnement, forceest de constater que le chef-d’œuvre de Marcel Fournier,l’un des fondateurs de Carre-four, est enpéril. Les plus opti-mistes se rassurent en consta-

tant que plus de neuf Françaissur dix fréquentent une fois parmoisunhypermarché.C’estvraiqu’il faut faire preuve de beau-coup de militantisme anti-consumériste pour éviter l’undes 1900 magasins de plus de2500m2(selonladéfinitionoffi-cielle), qui maillent l’Hexagone.Devenuincontournable,l’hyper-marché n’en est pas moinsremisenquestionparunesocié-té française qui a subi une pro-fondemutationdepuisles«tren-te glorieuses».

L’espoir fait vivreLe modèle s’est bâti dans un

contexte de consommation for-te et de concurrence faible.Aujourd’hui, ces paramètres sesont inversés. Les grandes surfa-ces spécialisées (dans le sport oule bricolage), le maxidiscompteou encore des formats de proxi-mité ont mieux su s’adapter auvieillissement de la population,à la multiplication des foyersunipersonnels et, plus récem-ment, à la pression sur le pou-voir d’achat.

Depuis, le désamourdes Fran-çais pour l’hypermarché n’a ces-sé de grandir: un sur deux a une

mauvaiseimagedelagrandedis-tribution, selon l’Observatoiresociété et consommation! Faireses courses est désormais consi-déré comme une corvée. Et lagrande surface est devenue lesymbole d’une consommationdécalée avec les aspirationsd’une société qui cherche à s’af-franchir de la massification.Mais le Français est un être com-pliqué. Lorsqu’on lui parle de«sa» grande surface, celle danslaquelle il accepte de se rendrerégulièrement envers et contretout, l’opinionresteencorelarge-mentpositive.L’espoir faitvivre.

Ce n’est pas un hasard si ceuxquiont lemoinsperdu l’ADNduconceptd’origine,desprixbasetune adaptationpermanente à lazone de chalandise, continuentà croître. Ainsi, chez Leclerc, lacrisede l’hyper,connaîtpas.Car-refour, après avoir perdu sesrepères,estentraindelesretrou-ver.Toutefois, il faut se faireuneraison, à 50 ans, on ne fera plusceque l’on faisait à 20, dumoinspasdelamêmemanière.Restelafoi : sainteGenevièvepriez pournous!p

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Paris semetentraversde l’accordde libre-échangetransatlantique

IDÉES

CHRONIQUE

J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS 2,18%

La France est prête à bloquer le lance-ment des discussions entre l’Europeet lesEtats-Unis suruntraitéde libre-échange. Le premier ministre, Jean-

Marc Ayrault, l’a dit, mercredi 12 juin: Paris«ira jusqu’à utiliser son droit de veto politi-que,c’estnotreidentité».Alorsquelesminis-tresducommercedesVingt-Septdoivent seretrouver, vendredi, à Luxembourg, il sem-ble peu probable qu’ils s’accordent sur lemandat de négociation qu’ils entendentdonnerà la Commissioneuropéenne.

Au nom de l’exception culturelle, Fran-çois Hollande et le gouvernement exigentque l’audiovisuel soit exclu des négocia-tions à venir avec les Etats-Unis. Il s’agitd’abord pour le président d’envoyer unsignal à l’aile gauche du PS et aux électeurstentés par les extrêmes. Quitte à fâcher,outre l’exécutifeuropéen,BerlinetLondres.

LesAméricainscomprennentmalleshési-tations des Européens, qui auraient tant àgagnerde leurs prixde l’énergie attractifs etd’unelégislationsoupledutravail.Etsi ledis-

coursestengénéralfavorableauTransatlan-tic Trade and InvestmentPartnership –pro-noncez«ti-tip» –, les chosesse compliquentquand on entre dans le détail. Eleveurs debétail, producteurs d’olives, communautéarménienne,défenseursdes océans… Ils onttousdesraisonsd’encraindrelesconséquen-ces. La Chine, elle, se sent exclue et redoutequelesstandardsqueWashingtonetBruxel-les arrêteront lui soient imposés sans quePékin ait eu sonmot àdire.p

LIRE PAGES2-3

j PÉTROLE 103,05$ LE BARIL

tFrançoisHollande estprêt àmettre sonvetoau lancementdesnégociations entreBruxelles etWashington

Des employés de la Boursede Tokyo, jeudi 13 juin.

TORUHANAI/REUTERS

j EURO-DOLLAR 1,3354

Solde commercial avec les Etats-Unisen milliards d'euros en 2012

– 6,5France

+ 86,7UE à 27

LES BOURSESS’INQUIÈTENTD’UN SEVRAGEMONÉTAIRE

t LaplacedeTokyoaplongédeplus de6%,jeudi 13juin

t Les tauxdesobligations d’Etatremontent, notammentenEuropeduSud

t LaRéserve fédéraleaméricaine, après avoirinondé lemarchédeliquidités, laisse entendrequ’ellepourrait ralentircettepolitiquegénéreuse

J DOW JONES 14 995 PTS –0,84%

Vendredi 14 juin 2013

Cahier du «Monde »N˚ 21275 datéVendredi 14 juin2013 - Ne peut être vendu séparément

Page 22: Le Monde newspaper

BruxellesBureau européen

Sauf rebondissement de der-nièreminute,FrançoisHollan-de et son gouvernement s’ap-

prêtent, vendredi 14juin, à faire uncoup d’éclat politico-commercial.Commeà la findesannées 1990, autemps de la cohabitation entre Lio-nel Jospinet JacquesChirac, laFran-ce menace d’entraver un projet delibre-échange entre les Etats-Uniset l’Europe.

Paris est en passe de bloquer,lors d’une réunion des ministresdu commerce au Luxembourg,l’adoption du mandat de négocia-tion espéré par la Commissionpour engager les pourparlers avecWashington enmarge du prochainsommet du G8, les 17 et 18 juin enIrlande duNord. «La France ira jus-qu’à utiliser son droit de veto politi-que, c’est notre identité, c’est notrecombat », a prévenu Jean-MarcAyrault,mercredi, devant les dépu-tés français.

Pour legouvernement,pasques-tion d’ouvrir les discussions sansen exclure l’audiovisuel, afin deprotéger l’exception culturelle.Une exclusion jusqu’ici rejetée parla Commission, ainsi que l’Allema-gneet leRoyaume-Uni. SiBruxellesafaitplusieurspropositionscesder-niers jours, ellesonttoutesétéàcet-

te heure refusées par Paris, et sesquelques alliés sur la question, laBelgique, la Grèce ou la Hongrie.«Sur la base du texte sur la table,aucun accord n’est possible», insis-tait-t-on à l’Elyséemercredi soir.

S’il n’est pas encore certain, unveto français surviendrait aprèsdes semaines de tensions sourdesentre Paris, la Commission et lescapitales européennes. Car Berlinet Londres, tout comme Karel deGucht, le commissaire au commer-ce, sont pressés de répondre auxavances faites par Barack Obamaaprès quelques mois de travauxpréparatoires. La France n’entendpasprécipiter lamanœuvreets’aga-ce de la tactique retenue pourmener les discussions.

Pour la chancelière, AngelaMer-kel, et lepremierministre britanni-que, David Cameron, il n’est pasjudicieux d’exclure a priori un sec-teur comme l’audiovisuel, car lesEtats-Unis pourraient en tirer pré-texte pour faire de même dansd’autresdomaines courtisés par lesEuropéens, comme les transportsmaritimes, aériens ou les marchéspublics. «Une vingtaine de pays sefichent de savoir si l’audiovisuel estinclus ou pas dans le mandat »,rétorque-t-on à Paris.

François Hollande ne contestepas l’opportunitéd’unaccord,maisil entend envoyer un signal à l’aile

gauche du Parti socialiste et auxélecteurs tentés par les extrêmes,quiappellent à refuser toute libéra-lisationdeséchangesavec lesEtats-Unis. «La France est favorable auxéchanges économiques à conditionque les règles du jeu soient claire-ment affirmées», a expliqué Jean-Marc Ayrault, tout en brandissantlamenace du veto.

Pour tenterd’apaiser les craintessuscitées par le projet, la France,avec d’autres Etats, a obtenu diffé-rentes assurances sur une série de

sujetssensibles, commelaquestiondes OGM, du bœuf aux hormones,ou celle de la défense. Elle chercheaussi àencadrer strictement lepilo-tage des négociations par Karel DeGucht, dans la perspective de leurouverturesi elledevait obtenirgaindecausesurl’exclusiondel’audiovi-suel. «Aucune réflexion stratégiquen’a eu lieu, se plaint-on à l’Elysée,l’équilibre des pourparlers devraitêtre vérifié au fur et àmesure.»

Le bras de fer est d’autant plusintense que le flou persiste sur lesbénéfices attendus d’une initiativejusqu’ici considérée commeunser-pent demer entre les deux rives del’Atlantique. Officiellement, à encroire la Commission, l’Europeescompte entre 0,5 et 1% de crois-sance supplémentaire en cas deconclusion d’un accord de libre-échange avec les Etats-Unis.

Plus que les tarifs douaniers,déjà faibles, le Vieux Continentespère beaucoup de l’éliminationdes multiples obstacles au com-merce encore en place au-delà desfrontières, sous forme de normes,ou de législations divergentes.Face à la Chine, Etats-Unis et Euro-pe, qui pèsent ensemble près de40% des échanges mondiaux,entendentaussi réaffirmer leur lea-dership sur les questions commer-ciales, en rapprochant leurs systè-mes réglementaires.

PourBruxelles, la France devraitêtre«l’undes principauxacteurs decette relation». Les Etats-Unis sontle premier client de l’Hexagonehors d’Europe, et le premier inves-tisseur étranger en France. D’aprèsune étude du Cepii (un centre derecherche sur l’économie mondia-le), pour le compte du gouverne-mentfrançais,«laFranceseraitpar-mi les pays avec la plus forte haussedes exportations », surtout en casde libéralisation importante deséchanges. En Allemagne, l’institutIfo a, lui, mis en avant les bénéficesque l’industrie pourrait tirer d’untel accord. Des enquêtes à prendreavec des pincettes, tant l’issue despourparlers est encore incertaine.

Car les négociations pourraientdurer au minimum deux ans, ets’annoncentdifficiles.«Toutdépen-dra des modalités finales de l’ac-cord», explique un expert. Dansl’ensemble, l’industrie pourraittirer davantage son épingle du jeuque les services ou l’agriculture.Celapourrait doncbel et bien être àl’avantage de l’Allemagne, surtoutsi lesdeuxpartiesarrivent àsemet-tred’accordpour faciliter leséchan-gesd’automobiles oudemachines-outils. La France et ses entreprises,elles, bénéficieraient en premier

lieud’unplusgrandaccès auxmar-chéspublics oud’une libéralisation– incertaine – des transportsaériens oumaritimes.

Pour Pierre Defraigne, directeurde la fondation Madariaga-Collèged’Europe à Bruxelles, un éventuelaccord risque néanmoins de creu-ser encore l’écart entre les écono-mies européennes, après plusieursannées de crise. «Les divergencesentre lesEtatsmembressontdéjàcri-tiquesauseindelazoneeuro,enpar-ticulier entre le cœur et la périphé-rie. Le [traité de libre-échange] nefera qu’aggraver la situation »,craint l’ancien chef de cabinet dePascal Lamyà la Commission. Pourlui, un partenariat avec les Etats-Unis risque de déstabiliser encoreun peu plus l’Europe et ses effortsd’intégration. Un argument quin’est à ce jour pas repris ouverte-mentpar la France dans sa croisadepour l’exception culturelle.p

Philippe Ricard

économie&entreprise

2001 2012 2012

Importations

Importations

ExportationsExportations

449497

38111,5 %

17,3 %

265

Les Etats-Unis, premier partenaire commercial de l’Europe

SOURCES : EUROSTAT ; COMMISSION EUROPÉENNE

ÉVOLUTION DES ÉCHANGESCOMMERCIAUX ENTRE LES ÉTATS-UNISET L’UE, ENMILLIARDS D’EUROS

ÉCHANGES COMMERCIAUXDE L’UEAVEC LES ÉTATS-UNIS,EN MILLIARDS D’EUROS

PARTDES ÉTATS-UNISDANS LE COMMERCE EUROPÉEN,EN%

Libre-échangeLaFranceestprêteàbloquerlesnégociationsavecWashingtonPourdesraisonsdepolitiqueintérieure,Parisexigequel’audiovisuelsoitsortidesdiscussionsentrel’Europeet lesEtats-Unis

FrançoisHollandenecontestepas

l’opportunitéd’unaccord,maisilentendenvoyerunsignalàl’ailegaucheduPS

Analyse

BruxellesBureau européen

L’ambiance risque de tournervinaigre. Entre deux argu-ments sur les Etats-Unis, les

ministres du commerce euro-péens devaient, vendredi 14 juinau Luxembourg, aborder la ques-tion des relations avec la Chine. Al’occasion,KarelDeGucht, le com-missaire européen au commercedontl’autoritéestcontestéedetou-tesparts, espèreresserrer les rangseuropéens à l’égard de l’usine dumonde.

Ladécisionpriseàsoninitiativepar la Commission, le 4 juin, detaxer les panneaux solaireschinois a fait resurgir le clivageentre «libéraux» et «protection-nistes», entre le nord du conti-nent, traditionnellement plusouvert au libre-échange, et le sud,plus soucieux de protéger ses

industriesmisesàmalpar lamon-dialisation.

De la Chine aux Etats-Unis, lacohésion des Européens est,depuisquelquessemaines,soumi-se à rude épreuve, au risqued’ébranler leurpolitiquecommer-ciale, l’un des rares domaines oùlesVingt-Septontmisencommunleur destin, au point de déléguer àlaCommissionlepouvoirdenégo-cier en leurnom.

Mais à propos des panneauxsolaireschinois,AngelaMerkeln’apashésitéàcontester lessanctionsproposées par Bruxelles, en rece-vant ostensiblement à Berlin lepremier ministre chinois. Pour lachancelière allemande, après qua-tre ans de crise des dettes, commepour son homologue britanniqueDavidCameron,l’Europeconvales-cente ne doit pas entraver leséchanges avec la Chine, au risquedefairel’objetdereprésaillesnuisi-bles à ses exportations.

«Peut-ons’offrir le luxedesepri-

ver d’un tel marché?» s’interro-geait un diplomate allemand dehaut, en pleine bagarre avec Pékinsur les panneaux solaires. La sanc-tion à peine confirmée, Pékin ad’ailleursréagienlançantdifféren-tes procédures, et en particulierune enquête sur les vins euro-péens.

Relancer les exportationsAu contraire, les partisans d’un

rééquilibrage des relations avec laChine, Français en tête, se sontréjouis de la détermination affi-chéeparKarelDeGucht. Poureux,il est grand temps de donner de lavoix, alors que le déficit commer-cial avecPékindépasse les 120mil-liards d’euros chaque année. Etl’Europedoit, à les entendre, enfindémontrer qu’elle n’est pas «naï-ve» face à lamontée en puissancedespays émergents.

Surlefond,lesEuropéenssaventtous, même en France, que leursalutviendraenpartied’unerelan-

ce des exportations. L’Espagne, lePortugal ou l’Irlande, les trois payssous assistance, misent sur leurssuccès commerciaux pour échap-perun jourà la récession.

Tous ensemble, les européensn’ont d’ailleurs pas attendu la cri-se pour faire évoluer leur doctrinecommerciale.Enraisondel’impas-se des négociationsmultilatéralesau sein de l’Organisationmondia-leducommerce, ilsmultiplient lesaccords bilatéraux avec les paystiers.

Unestratégiedontleprojetd’ac-cord de libre-échange avec lesEtats-Unis constitue le point d’or-gue,même si les discussions s’an-noncent complexes. Si certainesnégociations ont été menées àbout,aveclaCoréeduSudetSinga-pour, d’autres traînent en lon-gueur, que ce soit avec les paysd’Amérique latine ou le Canada.Des pourparlers viennent aussid’être lancés avec le Japon.

Mais les écarts de compétitivité

entre les puissances commercia-les européennes, à commencerpar l’Allemagne et la France, met-tent chaque fois à rude épreuve lacohésion de l’ensemble. Récem-ment, les Etats membres se sontainsi déchirés sur le point desavoirs’il fautfairevaloirdavanta-ge de réciprocité dans l’accès auxmarchés publics, au point de blo-quer une proposition en ce sensformulée voici plus d’un an par laCommission, après de laborieusestractations entre Karel De Gucht,et Michel Barnier, le commissaireen chargedumarché intérieur.

«La difficulté est de trouver labonne mesure entre les intérêtsdivergents des principales écono-mies européennes», dit un expertdes questions commerciales. Pourlui, les tensions suscitées par lesenquêtes sur les panneaux solai-res chinois risquent de se répéter,etd’affecter l’efficacitéde lapoliti-que commerciale européenne.p

P.Ri.

Mike Froman, le nouveaureprésentant au commercede Barack Obama, a reçuprès de 400contributionsd’associations deprofessionnels et d’ONGaméricaines sur le traitéde libre-échange.PETE SOUZA/THEWHITE HOUSE

LesvieuxclivagesentrelibérauxetprotectionnistesresurgissentDelaChineauxEtats-Unis, la cohésiondesEuropéensest fragilisée, aurisqued’ébranler leurpolitiquecommerciale

2 0123Vendredi 14 juin 2013

Page 23: Le Monde newspaper

économie& entreprise

WashingtonCorrespondante

WilliamRoenigkn’apasunegrande confiance en l’Eu-rope. «Quoi qu’on fasse,

quelqu’un là-bas trouvera que cen’estpasbien», grommelle-t-il, sonporte-documents sous le bras.M.Roenigk est le vice-présidentduNationalChickenCouncil,l’associa-tion américaine des éleveurs depoulets.

A l’entendre, cela fait dix-septans que la Commission européen-ne les mène en bateau. Déjà, soncomité scientifique a mis plus dedouze ans pour se prononcer surles poulets désinfectés au chlore.«Et quand les scientifiques ont ditqu’il n’yavait pasdedangerpour leconsommateur, les politiques ontquand même voté contre : vingt-septàzéro!»

Commelaplupartdes représen-tants du secteur agricole,M.Roeni-gkestsceptiquesurleprojetdetrai-té de libre-échange entre l’EuropeetlesEtats-Unis.Maisquoiqu’ilarri-ve, les poulets américains aurontleur revanche. Si l’accord n’est passatisfaisant, «il nous sera difficiled’aller voir lesmembres duCongrèspour leur recommander de voterpour,dit-il.Etcen’estpasunemena-ce…»

Annoncé comme une prioritépar Barack Obama en février, leTransatlantic Trade and Invest-ment Partnership (ou TTIP ; pro-noncez « ti-tip») apparaît sur leradar américain. Le 23mai, la com-mission des affaires étrangères duSénata commencéàendiscuter.

Plusieurs sénateurs ont dépeintl’avenir radieux qui attend lesentrepriseseuropéennes lorsqu’el-les profiteront des bienfaits de lafracturation hydraulique et de lafaiblessedessyndicats,tousavanta-gesdontelles sontprivéesenEuro-pe.«Grâceaux formidablesprixdu

gaz aux Etats-Unis, elles vont pou-voirproduireicietexpédierenEuro-pe», a dit Bob Corker, le sénateurrépublicainduTennessee.

Fin mai, l’administration aconsulté le public. Près de400contributions écrites ont étéenvoyées au nouveau représen-tant au commerce, Mike Froman.Une soixantaine de représentantsd’associations professionnelles etd’ONG ont exposé leur point devuedevantungroupede fonction-naires issusdeseptministères.

A part les pilotes, qui sontcontre, les réactions sont plutôtfavorables au TTIP. «Ensemble, lesEtats-Unis et l’Europe représententpresque la moitié de l’économiemondiale et 40% du commerce»,souligne la chambre de commer-ce, qui mène la charge pour obte-nir un traité le plus largepossible.

Mais,dansledétail,c’estundéfi-lé demises en garde et de revendi-cations. Les défenseursdes océansveulentledémantèlementdessub-ventions européennes à la pêche.Les consommateurs s’inquiètentque lespacemakers soient«moinsbien contrôlés» en Europe. Les éle-veurs de bétail craignent de voirarriver du cheval dans la viandehachée, si l’embargo qui existedepuis seize ans sur le bœuf euro-péen est levé. Les Arméniensdemandentque l’onexige la findel’occupation du nord de Chypre sila Turquie doit être associée deprès ou de loin à l’accord. LescitoyensduMaineveulentconser-ver leur droit inaliénable à impo-serdespréférenceslocalesdanslesmarchés publics (la fameuse clau-sebuyAmerican).

Roger Baumgart est venu duNebraska pour demander que legouvernement se penche sur lesdeux obstacles qui freinent l’ex-pansioninternationaledesasocié-tédesoinsàdomicilepourperson-nes âgées : la TVA (de 19% en Alle-

magne à 24%en Finlande) et «l’in-flexible législation du travail» quioblige ses franchisés à «offrir descongéspayésgénéreux» àdes sala-riés employés à temps partiel.«Nous n’avons même pas réussi àconclure d’accords en France alorsque c’est le 13eplus vieux pays dumonde!», déplore-t-il.

Les intervenants les plus farou-ches sont les représentantsdusec-teur agroalimentaire. Les produc-teurs d’huile d’olive exigent uneinspection de toutes les bouteillesimportées. «Notre huile est testéelà-bas. La leur n’est pas testée ici»,proteste Alexander Ott, le direc-

teur de l’association des produc-teurs. L’université de Californie àDavis a fait des tests : «Une bonnepartie de l’huile d’olive n’était pasde l’huiled’olive!, s’exclamelepro-ducteur. Ce que nous demandons,c’est que la règle du jeu soit lamêmepour tous.»

Dans la salle, ClaytonHough,duNational Cheese Institute, faitrésonner le nom des fromages duVieux Continent: «Brie, camem-bert, mozzarella, munster, peco-rino»… Les fromagers américainsveulent pouvoir conserver cesnoms qui leur ont été légués par«plusieurs générations d’immi-grants européens». «Une famillequifaitduparmesandansleWiscon-sindepuisplusdecentansvadevoirdénicher un nouveau nom!, s’indi-gne-t-il. La Commission est commeun tigre qui a sorti ses griffes etessaie de récupérer ce que nous

considéronscommedesnomsgéné-riques.»

Une résolution adoptée le24avril par leParlementeuropéena fait l’effet d’une douche froide.Les lobbies agricoles, qui voyaientauboutduTTIPledémantèlementdes « injustifiables restrictions»européennes sur les méthodes deproduction (le bœuf aux hormo-nes)etsurlesbiotechnologiesagri-coles (OGM),ontdécouvertque lesEuropéens n’avaient pas l’inten-tion d’abandonner le principe deprécaution. Un concept qui «va àl’encontre de la science et compro-met l’accord lui-même», protesteune lettre du 20mai, signée parquarante-septgroupementsdel’a-groalimentaire. « Laissons leconsommateur décider quel pro-duit il veut acheter et les sociétésquels ingrédientsellesveulentutili-ser», propose JaimeCastaneda, duconseil des exportations laitières.

Dans le couple transatlantique,l’impossible harmonisation desnormes sanitaires est une vieillesourcedefrictions.Loindesfroma-ges, la nouvelle grandebagarre estcelle de la « localisation des don-nées», et ses protagonistes sontplutôt des jeunes qui ont l’air dedébarquerde la SiliconValley.

La localisation, c’est le grandenjeudedemain.Oùvontse situerles mégaserveurs qui abritent lesdonnées stockées sur le cloud? Aquelle législation seront-ils sou-mis? «Les frontières ne sont plusphysiques, explique le lobbyisteBurakGuvensoylar.Ellessontcom-merciales.» Le jeune homme tra-vaille pour TechAmerica, un grou-pement de 1200 entreprises de lahigh-tech qui n’entendent pas sevoir imposer des règles d’implan-tation géographique: «Vous ima-ginez vingt-sept différents ser-veurs,dansvingt-septpays?Cacoû-terait nettement plus cher. Et pournettementmoinsdesécurité.»L’Eu-

ropedevrait laisser faire:«Lemar-ché saitmieux que quiconque.»

Mais les Européensont aussi denombreux alliés : des anti-OGMaux étudiants en médecine quiveulent que les Européens puis-sent tenir tête aux fabricants detabac si ça leur chante. Selon eux,le TTIP devrait adopter la régle-mentationeuropéennesurlespro-duitschimiquesdangereuxoul’in-terdiction des antibiotiques nonthérapeutiques dans l’alimenta-tion animale.

Les associations mettent lesEuropéensengardecontreunedis-position peu remarquée,mais quiest activement défendue par lachambre de commerce: la protec-tiondesinvestissements,undispo-sitifquipermetauxentreprisesdeporter leurs différends devant unarbitrageprivéencasdenationali-sation ou lorsque la justice localeest inopérante. L’expériencemon-tre que les multinationales (dutabac ou des industries polluan-tes) s’en servent «pour contournerles réglementations, les tribunauxetl’Etatdedroit», critiqueJeanHal-loran, de Consumers Union, legroupe de consommateur le plusinfluentdupays.

Les syndicats sont quasi jaloux.«Imaginez ! En Europe, les syndi-cats sont traités comme des parte-naires à part entière dans l’écono-mie nationale», apprécie OwenHerrnstadt, de l’association desmécaniciens et salariés de l’aéros-patiale. «S’il y a harmonisation, cedoitêtrevers lehaut.»L’AFL-CIO(leprincipal groupement syndicalaméricain) réclame des comitésd’entreprise dans les sociétés deplus de mille salariés, citant unedirective européenne. La centralerêve même du jour où les Euro-péens pourraient l’aider à porterplainte contre les restrictions audroit syndical auxEtats-Unis…p

Corine Lesnes

Les points d’achoppement

Au-delà de la question de l’audio-visuel, la négociation d’un accordde libre-échange s’avère délicate,voire explosive, dans de nom-breuxdomaines.

Protection des donnéesEnpleinscandale sur la surveillancedescitoyens américains par les servi-ces de renseignement,MartinSchulz, président duParlementeuropéen, a demandé, jeudi13juin, que la perspective, qu’ilsoutient, d’un accord étenduavec les Etats-Unis «garantisseles droits fondamentaux» envigueur au sein desVingt-Sept.La veille, le Conseil de l’Europe ainvité ses 47Etats-membres à«garder à l’esprit», lors des négo-ciationsbilatérales avec des paystiers,«les risques que présententles technologies de suivi numéri-que et les autres technologies desurveillance pour les droits del’Homme».Dansun courrier adressé lundi10juin auministre américain de lajustice pour obtenir des«explica-tions et clarifications» sur l’affai-re Prism, la commissaire euro-péenne à la justice, VivianeReding, a laissé entendre que ceprogrammepourrait avoir desrépercussions sur les négocia-tions à venir avec l’UE et les Etats-Unis.«Il ne faut pas faire de lien»,a rétorqué l’entourage d’AngelaMerkel.

OGM, et règles sanitairesLesAméricains espèrent faciliterleurs exportations agroalimen-taires et biotechnologiques versl’Europe.Mais lesVingt-Septentendent préserver leur législa-tion, et leurs restrictions, dansces domaines ultrasensibles. Desassurances en ce sens ont étéapportées dans le projet deman-dat, qui conviennent à l’ensembledesEtats, y compris la France.«Le haut niveau de protection dela vie et de la santé humaine, dubien-être et de la santé animale,de l’environnement, et des inté-rêts des consommateurs ne serapas sujet à négociation», assurelaCommission européenne. Cedont doute unepartie de la gau-che européenne, à commencerpar les écologistes.

AgricultureEuropéens commeAméricains ont longtemps hésitéà ouvrir leursmarchés dans cesdomaines, qu’ils subventionnentlargement, et protègent particu-lièrement à leurs frontières. Lahaussedu prix desmatières pre-mières pourrait cette fois faciliterles négociations, et détendre leslobbies agricoles.Mais différen-tes questions demeurent explosi-ves, des restrictionsmises auxEtats-Unis à l’importation depom-mes européennes, aux conten-tieux sur la non-reconnaissanceoutre-Atlantiquedes indicationsgéographiques sur les produitsde qualité chères aux Européens,comme les fromages, et autresspécialités gastronomiques.

Régulation financière Les Euro-péens, encore traumatisés par lacrise financière venue desEtats-Unis, entendent aborder le sujet.Mais les autorités américainesont prévenu qu’elles ne le souhai-taient pas, en raison de la grandeindépendancedont jouissentleurs régulateurs, et d’un certainnombresde contentieux.

Marchés publicsC’est une autreexigence desEuropéens, qui ris-qued’être difficile à accepterpour les Américains. Les Euro-péens, qui se targuent dans cedomained’avoir l’économie laplus ouverte dumonde, s’agacentde la force des législations desti-nées à promouvoir l’achat de pro-duits et services d’origine améri-caine. La négociation serad’autant plus délicate que les res-trictions sont souventmises enplace par l’un ou l’autre des diffé-rents Etats américains. Les Euro-péens dénoncent aussi les dispo-sitions qui limitent l’engagementd’entreprises non américainesdans des secteurs comme lestransports aériens etmaritimes.

ShanghaïCorrespondance

Lorsque la haute représentan-te de l’Union européennepour les affaires étrangères,

Catherine Ashton, s’est rendue àPékin, fin avril, ses interlocuteurschinois lui ont fait part de leurinquiétude: l’ouverture de négo-ciations sur un accord de libre-échange entre les Etats-Unis etl’Union européenne ne serait-ilpas synonyme de fermeture auxautres économies, et surtout à laChine? Une hausse du commerceet des investissements transatlan-tiques bénéficiera par ricochet aureste du monde, ont répondu lesEuropéens.

Anxieux, les Chinois ont doncproposédenégocier, euxaussi, unaccord de libre-échange avec lesEuropéens. Réponse : ce n’est pasexclu«àmoyenet longterme»,unvocabulaire qui tranche avec lecalendrier plus resserré, de deuxans, établi pour les discussionsavecWashington.

Cepeud’empressementn’apaséchappéauxChinois. Pasplusquele fait que la démarche est venued’eux. « Jusqu’à présent, la Chinen’apas reçude demandede la partdel’UE»,constateDingChun,direc-teur du centre d’études européen-nes à l’université de Fudan àShanghaï.

Premier exportateur mondial,laRépubliquepopulairecraintparexemple que ses deux premierspartenaires s’accordent pour que«les standards choisis entre l’UE etles Etats-Unis ne s’imposent àl’échellemondiale, par exemple enmatière de technologie, et ce sans

que la Chine n’ait été consultée»,préciseM.Ding.

Cette frustration est d’autantplusvivequeBruxellesadéjàavan-céavecd’autrespaysasiatiques.Lanégociation d’un accord de libre-échangeavecSingapoura été fina-lisée le 16 décembre 2012, unaccordavaitétésignéavec laCoréedu Sud le 15octobre 2009, et lesnégociations avec le Japon se sontouvertes le 25mars.

Relation conflictuellePékin juge avoir joué le jeu en

adhérantàl’Organisationmondia-le du commerce en décem-bre 2001, puis en respectantdepuis les procédures de négocia-tion que celle-ci impose. La Chinecraintaujourd’huid’être laisséedecôté, dès lors que les négociationscommercialespassentde l’encein-temultilatérale de l’OMCàun for-mat bilatéral. Elle négocie certessespropresaccordsdesoncôté, telqueceluiquiaaboutien2005avecle Chili, mais sa relation reste tropconflictuelle avec ses partenairesles plus conséquents, comme lemontre lechoixdeBruxellesd’im-poser depuis le 4 juin à ses pan-neaux solaires une taxe de 11,8%oule refusde l’UEetdesEtats-Unisde lui accorderà l’OMC le statutdepleine économiedemarché.

La négociation d’accords avecd’autres partenaires importantsmettra du temps à aboutir. La dis-cussion avec la Corée du Sud et leJapon d’un accord de libre-échan-ge trilatéral, entamée le 26mars2013, restera suspendue au retourfréquent des différends territo-riauxet historiques.p

HaroldThibault

«Cequenousdemandons,c’estquelarègledujeusoitlamêmepourtous»

AlexanderOttdirecteur de l’Association desproducteurs d’huile d’olive

Lespouletsaméricainsauchlorepassentàl’attaqueNormessanitaires, localisationdesdonnées…Outre-Atlantique, leSénatassisteàundéfilédemisesengarde

LaChinesesentexclueetnecachepassafrustrationPékincraintdesevoir imposerdesstandardsqueWashingtonetBruxelles auraientétablis

30123Vendredi 14 juin 2013

Page 24: Le Monde newspaper

LondresCorrespondance

La Financial Conduct Authori-ty (FCA), le régulateur britan-nique des marchés, a ouvert

uneenquêtepréliminaire,mercre-di12juin,surunepossiblemanipu-lation dumarché des devises. Elleréagissait à une information révé-lée le même jour par l’agenceBloomberg, qui affirme que destraders de différents établisse-ments financiers s’entendententreeuxpourorienteruntauxderéférence, le WM/Reuters. L’agen-ce s’appuie sur le témoignage decinq courtiers et parle demanipu-lationquotidienne.

Le WM/Reuters est un taux dechange calculé toutes les heurespour 158monnaies, en faisant lamédianedes transactions réaliséessurlesmarchéspendantunepério-de de soixante secondes. Dans unmarché sans cesse enmouvement,il donneunprixde référence, utili-séparlesfondsinstitutionnels,par-ticulièrementlesfondsdepension,pour calculer la valeur de leursactifs détenus à l’étranger (et doncenmonnaieétrangère).

SelonBloomberg,lestradersten-teraientde lemanipulerenplaçantde nombreux ordres pendant cecourt laps de temps. Pour les devi-ses les moins courantes, peu liqui-des, cela peut avoir une forteinfluence sur le résultat final. Quiplus est, des traders s’entendraient

entre eux pour agir de concert etamplifier leur influence.

Cette pratique, si elle est avérée,n’est pas sans rappeler celle qui està l’origine du scandale du Libor. Cetauxd’intérêt,calculéquotidienne-ment par un groupe de banques, aété manipulé à grande échelleentre2005et 2010.Troisbanques–Barclays, UBS et RBS – ont déjà étécondamnées par les régulateursfinanciersàdesamendesd’untotalde 2milliardsd’euros.D’autres éta-blissements financiers font l’objetd’uneenquête.

Unmarché peu encadréLa réaction à l’information de

Bloombergétait trèsmesuréedansles salles demarchés, où l’histoiren’a guère ému. Theo Papathana-siou, de Saxo Bank, un établisse-ment privé, a commencé sa jour-néedemercredipartroisheuresdetradingavant departir endéplace-ment: «Pendant cette période, jen’ai pas lu l’article de Bloomberg etpersonnenem’enaaverti… Et puis,manipuler est un peu fort commemot. Est-ce que Bloomberg essaiede monter une histoire, ou est-cequ’il y a vraimentquelque chose?»

Un autre spécialiste du Forex(Foreign Exchange), qui travaillepourunegrandebanqueaméricai-ne, abonde:«Tout lemonde le sait,les courtiers visent cette fenêtre detir de soixante secondes. Mais çafait partie du jeu d’exploiter lesimperfections du marché.» Selon

lui, de nombreux algorithmessont utilisés par le courtage à hau-te fréquence pour cibler la mêmepériode.

Tous les traders soulignent quela taille du marché des devises, leplusgrandaumonde,rendtrèsdif-ficile toute tentative demanipula-tion. Chaque jour, entre3000et5000 milliards de dollars (entre4014 et 6691milliards d’euros) ysont échangés. C’est dix fois plusquelevolumedesmarchésactionset obligations combinés. Les tran-sactions s’y font constamment, de

l’ouverture des Bourses asiatiquesle lundi matin jusqu’à la clôturedesplaces américaines le vendredisoir. Elles portent souvent sur detrès petites variations mais desvolumestrèsimportants.«Lesdevi-ses, c’est pour les bourrins», résu-meunbanquier.

C’est aussi l’un des marchés lesmoins encadrés. Les échanges s’yfont de gré à gré, et il n’y a pas deBourse ou de plate-forme centrali-sée. «Les allégations [portées parBloomberg], même si elles étaientvraies, ne seraientpas illégalespar-

ce que les devises ne sont pas régu-lées», lance Michael Hewson, ana-lystechez lecourtierCMCMarkets.

Cen’est pas tout à fait exact: lesrègles de conduite des entreprisesfinancièress’appliquent,etlacollu-sion entre les banques ne serait,par exemple, pas autorisée.Mais ils’agit effectivement d’un marchéqui a échappé à l’attention desrégulateurs jusqu’à présent. Enfin,les traders soulignent que la com-paraison avec le Libor n’a pas lieud’être. D’abord, parce que celui-ciétait calculé à partir d’un panel de

relativement petite taille – dix-huitbanques–,cequirendaitlacol-lusionplusfacile,alorsquedesmil-liers d’acteurs sont présents sur lemarché des changes. Ensuite, par-ce que le Libor est calculé à partirdesestimationsquefontlesétablis-sements financiers de leur tauxd’emprunt, alors queWM/Reuterssebasesurdes transactionsréelles.

Reste que la FCA enquête et ademandé des informations à Citi-groupetDeutscheBank,quidomi-nent lemarchédes changes.p

EricAlbert

économie& entreprise

GrèvegénéraleenGrèceaprèslafermeturedel’audiovisuelpublicLaCommissioneuropéenneassuren’avoir«pasdemandé»unetellemesure

LepatrondeRoyalBankofScotlands’estfaitévincer

Aen croire le premier minis-tre nippon, Shinzo Abe,«Japan is back» («Le Japon

estderetour»).Voilàentoutcascequ’affirme le plan stratégique decroissance, catalogue d’objectifschiffrés et de projets de réforme,qui doit être approuvé vendredi14juin par son gouvernement.

La Bourse, elle, semble avoir dumal à y croire. Le 13 juin, le Nikkei,indicepharede la place tokyoïte, aplongé de 6,35% à la clôture. Unenouvelle secousse après plusieurssemainesd’extrême fébrilité.

Les analystes notent une sériede facteurs à l’origine de cettedégringolade: le rebond du yen,qui a atteint jeudi son plus hautniveau depuis avril face au dollar,les incertitudes quant aux annon-ces deM.Abe… S’y est ajoutée uneforme de déception vis-à-vis de laBanquedu Japon, qui, cette semai-ne, n’a pas souhaité aller plus loindanssonplandesoutienmonétai-re, déjàmassif.

Mais, au-delà des spécificitésjaponaises, c’est toute la planètefinancièrequiestfrappéedenervo-sité. De Paris à New York, desactions aux obligations, des devi-ses émergentes auxmatières pre-mières, la volatilité est de retoursur les marchés. Jeudi matin, lesBourses européennes ont ouverten forte baisse. Elles évoluaient enreculde1 %à2%dans lespremierséchanges.

Principale responsable de cessautes d’humeur: la Réserve fédé-rale américaine (Fed, banque cen-trale). Après avoir inondé le mar-ché de liquidités durant desmois,l’institution laisse de plus en plusclairement entendre qu’elle pour-rait ralentir cette politiquemoné-taireultragénéreuse.

Ce sevrage est redouté. Car c’estcette manne financière qui a per-mis auxprincipalesBoursesmon-diales de tutoyer leurs records audébutduprintemps.«Pendantdessemaines, lesmarchésdonnaient lesentiment que rien n’était gravepuisqu’ilsétaientabreuvésdeliqui-dités. Le discours plusmesuré de la

Fed a cassé cette naissance d’unebulle d’optimisme», confirmeChristian Parisot, analyste chezAurel BGC.

Dans ce contexte, la prochaineréunion de la Fed, les 18 et 19juin,tient les investisseurs en haleine.Inquiets de ne plus pouvoir aveu-glément compter sur la béquillemonétaire de la Fed, les marchéssontsensiblesà toutes lesmauvai-ses nouvelles.

Ainsi des difficultés renouve-lées de la Grècepourmener à bienson programme de réformes–comme en témoigne la fermetu-re brutale de l’audiovisuel publicmardi11 juin–,quifontresurgir lescraintes sur l’avenir de la zoneeuro.

Jusqu’ici, les places financièresne se sont pas effondrées. L’évolu-tiondesindicessurunmoistémoi-gne davantage d’un effritement:– 3,84% pour le CAC40, – 1,64%pour le DAX à Francfort, – 1,30%pourleS&P500àWallStreet.Mais

d’un jour à l’autre, les soubresautspeuvent être violents.

Signe que les investisseurs nesavent plus à quel saint se vouer:l’indice VIX, dit « indice de lapeur», qui mesure la volatilité àvenir du marché, a progressé deprèsde9%,mercredi,pourrevenirà sonniveaude fin février.

Difficile retour à la normaleL’agitation ne s’arrête pas aux

marchés actions : une fois n’estpascoutume,ladéfiancedesopéra-teurs a touché toutes les classesd’actifs. C’est particulièrementvrai pour les obligations d’Etat,habituelles valeurs refuges quandlesBourses sont chahutées.

Les taux à dix ans des bons duTrésor américain ont grimpé à2,27% mardi, au plus haut depuisquatorze mois. Les rendementsdes emprunts d’Etat d’Europe duSud, qui n’inspiraient plus beau-coup de craintes depuis l’été 2012et les promesses deMario Draghi,

le patron de la Banque centraleeuropéenne, de sauver l’euro, sesont brutalement resserrés.

AuPortugal, ils sont remontésàplus de 6,5%, un plus haut depuisle début de l’année. Les empruntsespagnols ont atteint un niveauinégalédepuis fin avril.

Pour certains analystes, ces vio-lents mouvements sont aussi latraduction d’un changementd’ère. Un difficile retour à la nor-male. Après des années de crise,certaines évidences semblentremisesen cause. Les largessesdesbanquescentralesdestinéesà sou-teniràboutdebrasunecroissanceanémique ne peuvent durer éter-nellement.

Alorsque la croissancechinoises’essouffle, les Etats-Unis vontdevoirtrouverlesressortsdecrois-sance sur leurs propres marchés.La transition s’annonce doulou-reusepour les investisseurs. p

AudreyTonnelieretMarie deVergès

LerégulateurdelaCityenquêtesurunepossiblemanipulationdumarchédeschangesAprès lescandaleduLibor,des traders sontsoupçonnésd’agirdeconcertpour influencer le coursde telleoutelledevise

Athènes, BruxellesCorrespondants

Grèvegénérale,confusionpoli-tique sur fonds de rumeursd’élections,chahutsauParle-

ment européen : la Grèce est deretour à la «une» desmédias. Anto-nis Samaras, le premier ministreissu du parti Nouvelle Démocratie(conservateur) avait réussi à apaiserles tensions. Il les a fait resurgir encoupant les antennes de l’audiovi-suel public, mardi 11 juin, suscitantun tollé enGrèce et en Europe.

Les syndicats ont appelé à unegrève générale, jeudi 13 juin, lais-sant le pays sans transports. Sur leplan politique, la situation estconfuse. Le Pasok et la Gauchedémocratique,membresde la coali-tion gouvernementale, appellent legouvernementaucompromis, plai-dant pour une réforme en profon-deur de l’audiovisuel public, maisinsistant sur le fait que les négocia-tions doivent avoir lieu avec une«ERT ouverte».

Au lendemain de la coupure desantennes, leporte-paroledugouver-nement,SimosKedikoglou,aannon-cé pour fin août la création d’unenouvelle structure de l’audiovisuelpublic, avec 1200 employés au lieude 2600 aujourd’hui et un budgetde 100millions d’euros, au lieu de300. Le plan reprend des élémentsduprojetdugouvernementsocialis-te deGeorges Papandréou, qui avaitsuscité l’oppositiondessyndicatsdeERTet de…NouvelleDémocratie.

Les rapports de M.Samaras avecla ERT, considérée comme un bas-tionde la gauche –même siNouvel-le Démocratie y a placé des affidés –sont mauvais. A l’automne, deuxprésentateurs ont été limogés car legouvernement n’avait pas appréciéun sujet sur la police et le ministrede l’intérieur, NikosDendias. Le pre-mierministren’apasaiménonpluslesgrèvesàrépétitiondansl’audiovi-suel public, surtout lors de la visitedeFrançoisHollande.

Les Européens, soupçonnésd’avoir encouragé, à travers la «troï-

ka » (Commission européenne,Fondsmonétaire international,Ban-que centrale européenne), la déci-sion gouvernementale, sont gênésaux entournures. Bruxelles, habi-tuellement prompte à rappeler lesvaleurs de l’Union et, parmi elles, lanécessaire liberté desmédias, a affi-ché une grande réserve, jeudi. Dansune réaction tardive, elle a «prisacte» de la décision du gouverne-ment grec et soulignéqu’il a agi «entoute indépendance».

Efforts «nécessaires»«Nous n’avons pas demandé la

fermeture, mais nous ne remettonspasencause lemandatdugouverne-mentgrecàgérer le servicepublic», arépétéàplusieurs reprisesunporte-parole. A Strasbourg, le commissai-re aux affaires économiques etfinancières, Olli Rehn, a été chahutélorsqu’il a affirmé que la fermeturedes émetteurs n’était pas une exi-gencedeBruxelles.

La Commission invite à considé-rer les événements de mercredidans le contexte des efforts «consi-dérablesetnécessaires»pourmoder-niser l’économie hellénique. La«troïka» demande avec insistanceaugouvernementde supprimerdesemplois publics et de restructurerles entreprisespubliques, y comprisl’audiovisuel, qu’elle considère – etavec elle, certains diplomates euro-péens – comme un concentré desmauxdelaGrèce :clientélisme, inef-ficacité, gâchis, corruption, etc.

Si la réforme passe, M.Samarasmontrera qu’il peut endosser leshabitsde réformateurs. Si ça casse, ilrisque d’entraîner le pays dans unenouvellepérioded’instabilitéélecto-rale. Ce que veulent éviter les Euro-péens. Nouvelle Démocratie est entête dans les sondages, mais la Gau-che radicale du Syriza n’est pas loinderrièreet, surtout, le troisièmepar-tidupaysadebonneschancesd’êtrele parti néonazi, Aube dorée. LaGrè-ce redeviendrait alors un cauche-mar européen.p

Alain Salleset Jean-Pierre Stroobants

LondresCorrespondance

A la fin, il auraétépoussédehors.StephenHester, ledirecteurgéné-raldeRoyalBankofScotland,aannoncé,mercredi 12juin, qu’ilallaitquitter sonposteà la findel’année.:«C’estunedécisionduconseild’administration,pas lamienne.» Ledépart inattendudeM.Hester, quidisait encore, enmai,vouloirpoursuivre sonman-datquelquesannées, estpolitique.Depuis sa faillite, fin2008, laban-queestnationalisée,àhauteurde82%.GeorgeOsborne, le chance-lierde l’Echiquier, s’entendaitmalavec lui etvoulaitpréparer leretourausecteurprivéde laban-

que:«StephenHestera fait un trèsbon travailde sauvetage.Mainte-nant,nousdevonspasser (…)àunenouvellephase, etnous concentrersur la façonde rendre l’argentaucontribuable.»

Decontroverse enpolémiqueCurieusefaçonderemercier

M.Hester.Cet anciencadredeCiti-group,qui avaitquitté le secteurbancairepourpasserà l’immobi-lier, ceBritanniquede 52ansavaitétéappeléau secours, ennovem-bre2008, à la têtedeRBS.

Labanque,dirigéepar leméga-lomaneFredGoodwin,était auborddugouffreaprès le rachatd’A-BNAmro.Cette année-là, elle avaitenregistréunepertede 24mil-

liardsde livres (28milliardsd’eu-ros), laplusgrandede l’histoiredesentreprisesbritanniques.L’Etatallaity injecter45milliards.

De l’avisgénéral,M.Hester aplu-tôt faitunbontravail et 2013devait être ladernièreannéede lagranderestructuration.Aprèsavoir enregistrédespertesdepuiscinqans, RBSest repasséedans levert aupremier trimestre. Pour-tant,M.Hesterestpasséde contro-verseenpolémique.Chaqueannée, sonbonusaprovoquéunetempête, la classepolitiqueesti-mantque lepatrond’unebanquenationalisée,quiperdde l’argent,n’avaitpasà être récompenséau-delàd’unsalairedéjàgénéreux.

RBSaaussi été éclabousséepar

le scandaleduLibor,pour lequelelle aété condamnée, en janvier, àune forteamende.Régulièrement,elle aaussi été accuséedenepasfaireassezpourprêter auxentre-priseset auxparticuliers.

Le redressementdesabanqueapprochant,M.Hester aurait sou-haitémener le retourauprivédeRBS.Mais leprixde l’actiondemeu-reà330pence, loindes 503pencepayéspar legouvernementen2008.Unevente se feraitdoncàperte. Résultat,M.Osbornes’impa-tiente, lui qui souhaiteuneprivati-sationavant les électionsde2015.AusuccesseurdeM.Hesterde trou-verunesolutionpouraccélérer leprocessus.p

E.A.

Rebondduyenetprojets de réformes dugouvernement attisent la fébrilité de laplace tokyoïte. T.YAMANAKA/AFP

Fébriles, lesmarchéscraignentlafindeslargessesdesbanquescentralesSur la seule journéede jeudi 13juin, laBoursedeTokyoaplongédeplusde6%.Les tauxdesobligationsd’Etat remontent,notammentenEuropeduSud

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Page 25: Le Monde newspaper

économie& entreprise

Médias L’animateur Bruce Toussaint à iTéléRemplacéà Europe 1, Bruce Toussaint annoncequ’il va «animerlamatinaled’iTélé», dans Le Parisien-Aujourd’hui en France, jeu-di 13 juin.M.Toussaint formeraunduoavecAmandineBégot.

MeltyGroup vise le Brésil et l’AllemagneMeltyGroup, le groupedemédias spécialisé sur la cible jeunes, aannoncé,mercredi 12juin, son lancementprochain sur deuxnou-veauxsites, auBrésil et enAllemagne, d’ici à la finde 2013. Déjàprésent en italien et en espagnol,Melty vise 36millionsd’eurosde chiffre d’affairesglobal en 2016, dont 15millions en France,contre 2,3millions en 2012.

JusticeTwitter somméde communiquersur les auteurs de tweets antisémites ou racistesTwitter a été débouté,mercredi 12juin, par la cour d’appel deParis, qui a confirmé sonobligationde communiquerà cinq asso-ciationsde défense desdroits de l’hommeles informations surles auteursde tweets antisémitesou racistes. L’affaire a démarréaprès la diffusionenoctobredesmots-clés#unbonjuif et#unjuifmort. – (AFP.)

Conjoncture

+2,2%C’est la croissancemondiale estimée, pour l’année 2013, par laBanquemondiale, dans son rapport semestriel, remismercredi12juin. La prévisiona été revue à la baisse – la Banquemondialetablait jusqu’alors sur 2,4%–, et le chiffre est inférieur à celui de2012 (+2,3%). Selon l’organisation, l’économiemondialeva pour-suivre sondéveloppementàun rythmeplus lent que l’annéepré-cédente. En cause, une récessionplus forte queprévue en Europeetun ralentissementde certainspays émergents.

«J’espèreque (…) la “troïka”va éviter ce genre de spectaclepublic qui peut entraînerla défiancedesmarchés»Pedro Passos Coelho, le premierministreportugais, a réagi,mercredi 12juin, auxdissensionspubliquesauseinde la«troïka» (Fondsmonétaire international, Commissionet Banquecentrale européennes) sur la conduitedes plansd’aide auxpaysde la zone euroendifficulté, dont le Portugal. – (Reuters.)

Entretien

J ean-Pierre Jouyet est directeurgénéral de la Caisse des dépôts(CDC)etprésidentdeBPIFrance,

la banque publique d’investisse-ment.M.JouyetannonceauMondela signature d’un accord, jeudi13juin, avec laBanque européenned’investissement (BEI) pour soute-nirl’activitéetlacroissanceenFran-ce.Cettecoopérations’étendraaus-si àBPI France.Quelle est la portée de l’accordde coopération avec la BEI?

C’estunaccordhistoriqueetiné-dit par sonmontant. La Caisse desdépôts et la BEI poursuivent lemême objectif : le financementd’investissementsd’intérêtpublicdelongterme.Levice-présidentdelaBEI,PhilippedeFontaineVive,etmoi-même avons donc décidé denous associer pour donner corps,de façon très concrète, au plan decroissance et de relance engagéparl’Unioneuropéenne,sous l’im-pulsionde FrançoisHollande.

Nous financeronsensemble, enFrance, sur des durées pouvantatteindre vingt, trente ou quaran-te ans, des projets d’investisse-ment de collectivités locales dansl’énergie, le numérique, les infras-tructures, les transports, l’eau etl’assainissement…Le financementdes hôpitaux, qui sont dans unesituation critique, sera aussi unaxemajeur.

LaBEI vaprêter 7milliardsd’eu-rosentre2013et 2015.Cela complé-tera l’enveloppe de 20milliards deprêtsauxcollectivitésde laCDC.LaBEI s’impose comme un soutiendécisif de la croissance en Europe,notamment en France, et la CDCcomme l’un des grands investis-seurs européensde long terme.Vous voulez donner une dimen-sion plus européenne à la CDC?

JesouhaiteorienterlaCDCcom-me un grand opérateur de politi-ques publiques en Europe. Nousavons créé le fonds Margueriteavec la BEI. En 2014, une réformede gestion des fonds structurelseuropéensest prévue, et l’Etat, quigéraitcesfondsaveclaDatar,pour-ra rechercherunopérateur. Je sou-haite que la CDC soit sur les rangs.

L’accord avec la BEI ira-t-ilau-delà des collectivités?

Oui. La BEI annoncera le 24juinun partenariat avec BPI France,pour financer les PME françaises.Unepremière,quiouvreàBPIFran-cedesperspectivesde coopérationavecd’autres entités européennes,comme la banque allemandeKfW,pour soutenir des PME présentesen France et en Allemagne. Onreproche à l’Europe d’être abstrai-te: voilàduconcret!Le premierministre a annoncé10milliards d’euros d’investisse-ments d’avenir. La CDCy contri-buera-t-elle?

Ce plan n’est pas encore arrêté,mais les grandes thématiques(numérique, transition énergéti-que) sont au cœur de nos préoccu-pations. Grâce au relèvement duplafond du Livret A, nous dévelop-peronsnos ambitionsdans le loge-mentsocialetlarénovationénergé-tique. Il faut faire vite pour allerchercher de la croissance. Les pro-jets annoncés par FrançoisHollan-de et le premier ministre ne sau-raientêtreretardésparuncontrôleadministratif superflu des dossier-s… Il faut décentraliser la décision.LaCDCalacapacitéd’accompagnerle «plan Ayrault» ; engageons lesprojetsauplusvite!BPI France est crééemaisjamais on n’a vu autant de planssociaux. Ne peut-elle donc rien?

BPI France peut beaucoupmaiselle ne peut pas faire de miracle.Pourqu’uneentreprisesoitsauvée,il ne suffit pas de financements etde capital. Il faut un repreneur. BPIFrancenepeutêtre tenuepour res-ponsabledel’héritagededixansdesituation économique difficile etde désindustrialisation, expli-quant la perte de compétitivité delaFrance.MaisBPIFrancepeutêtre

un formidable outil de retourne-ment de la conjoncture difficile etuninstrumentd’avenir,pourfinan-cer la réindustrialisation et l’inno-vation. On ne raisonne pas seule-ment à horizonde trente ans,maisaujourd’hui et maintenant. Il y adesdossierssymboliquesouimpor-tants pour l’équilibre industriel dupays, qui connaissent des difficul-tés conjoncturelles, et que nouspouvonsaider…Comme, par exemple?

Je pense au site de Rio Tinto enMaurienne, qui cherche un repre-neur. BPI France peut accompa-gner une solution. La créationd’unebanquepubliqued’investis-sement était la priorité de ce gou-vernement. Il nous appartient defaire vivre cette ambition.La Saur, dont BPI Franceest actionnaire, va-t-elle fai-refaillite?

Nous souhaitons qu’une solu-tion négociée et intelligente entrel’entreprise et les partenairesfinanciers assure la continuité del’activité. Je ne doute pas que celasoit le cas.p

Proposrecueillis parAnneMichel

L’AllemagnevaaideràfinancerlesPMEenEspagneLesbanquesespagnolesn’examinentque30%desdemandesdecréditsdespetites entreprises

Interrogé sur les intentions de laBanque publique d’investisse-ment vis-à-vis de la compagniemaritimeSNCM, Jean-PierreJouyet indique qu’«il appartientd’abord à Veolia Environne-ment», dont la filiale Transdevdétient 66%de la compagnie,«de décider de l’avenir de l’entre-prise». «Mais nous devons yréfléchir et trouver une solutionintelligente où l’Etat, Veolia et

les collectivités concernées pren-nent leurs responsabilités»,ajoute-t-il, assurant qu’«il y aune volonté claire des pouvoirspublics de maintenir la SNCM àflot». La décision de Bruxellesd’interdire 220millions d’aides«a soudé le camp français, et jesuis pour une position ferme,poursuit-il.Ma conviction estqu’il faut un peu de temps. Jus-qu’à la fin de l’année».

BRUNO LEVY/DIVERGENCE

FISCALITÉ

Autoentrepreneurs:lesavantagesserontlimitésLegouvernementfrançais aproposé,mercredi 12juin, d’abaisserles seuils du chiffred’affairesàpartir duquel les autoentrepre-neursbasculerontdans le systèmegénéral de taxation.Ce compromis, présentéen conseildesministrespar SylviaPinel,chargéede l’artisanat, apourbutde calmer la grognedes «pous-sins», ces autoentrepreneursqui s’étaient indignésde lapremiè-remouturede la réformede leur statut, préparéepar l’exécutif.Plutôtquede limiterdans le temps lebénéficed’un statut fiscalavantageux, le gouvernementaoptépour l’abaissementdu seuilduchiffred’affaires autorisépour resterdans le régimedel’autoentrepreneur: de81500eurosà47500eurospour le com-merce; de 32600à 19000eurospour l’artisanatet lesprofessionslibérales. Les autoentrepreneursquibénéficieront,deuxannéesde suite, deplusde 19000eurosde chiffred’affaires,«bascule-rontdans le régimeclassiquede créationd’entreprise», a préciséMmePinel. Lemouvementdes«poussins»a estiméque le gouver-nementprogrammait«lamort dedizainesdemilliers d’activi-tés». Unprojet de loi seraprésentéen conseildesministres à lafinde juillet et seradébattuauParlement, à l’automne. – (AFP.)p

PétroleSamsung décroche un contratpour une plate-formegéante auNigeriaLe sud-coréenSamsungHeavy Industries a annoncé, jeudi13juin, avoir remportéun contrat de 3milliardsde dollars(2,2milliardsd’euros) pour la constructiond’uneplate-formepétrolièregéante auNigeria. Samsung, qui n’a pas révélé le nomde son client, a précisé, dansun communiqué,que cetteunitéflottantede traitement, stockageet expéditiond’une capacité de2,3millions de barils, seraitmise en service en 2017. – (AFP.)

Automobile Le fabricant indien de pneusApollorachète l’américain Cooper TireLe fabricant indiendepneusApolloTyres, 16egroupedusecteur, aannoncé,mercredi 12juin, le rachatdeCooperTire, 11e fabricantmondial,pour 2,5milliardsdedollars (1,9milliardd’euros). Lenou-vel ensembleconstituera le 7e fabricantmondial. Lesdeuxgroupesontenregistré, en2012, unchiffred’affairescombinéde6,6mil-liardsdedollars. Cette transactionneplaîtpasà laBoursedeBom-bay: le titreApollo a chutéde 20%jeudi. Les investisseurscrai-gnentque la transactionpèsesur le bilandugroupe.– (AFP.)

MadridCorrespondance

Après avoir signé, enmai, unaccord avec l’Allemagnepour y envoyer jusqu’à

5000 apprentis par an, Madriddevrait de nouveau recevoir l’aidede Berlin. Non pas, cette fois-ci,pour lutter contre le chômage desjeunes (53% des actifs moins de25 ans), mais afin de réactiver lecrédit aux petites et moyennesentreprises (PME).

Mercredi 12 juin, le ministreespagnol de l’économie, Luis deGuindos,aannoncédevantleParle-ment que l’Institut de crédit offi-ciel espagnol (ICO) a scellé unaccord avec son homologue alle-mand, la Banque de crédit pour lareconstruction et le développe-

ment (KfW), «afin d’investir 2mil-liards d’euros, de manière conjoin-te, dans le financement à long ter-me ou le capital de PME espagno-les.» L’objectif est de faire bénéfi-cier ces entreprises des faiblestaux de financement allemand etd’irriguer l’économie espagnole,puisquelesbanques,enpleineres-tructuration, minées par près de170milliardsd’eurosd’actifs«pro-blématiques», hérités de la bulleimmobilière, y ont fermé les van-nesdu crédit.

Les PME représentent plus de99%des entreprises espagnoles et60% de l’emploi. Mais elles pei-nent à se financer. Le crédit au sec-teur privé a baissé de 17% depuis2008. Selon la confédération espa-gnole des PME, les banques n’exa-minentque 30%des demandesde

crédits émanant des PME. Et lesintérêts exigés ont explosé. Lescoûts de financement sont 35%plus chers pour les PME espagno-lesque lamoyenneeuropéenne,et77%plus chersqueceuxappliquésauxPMEallemandes,selonl’écono-miste Joaquin Maudos, chercheurà l’institutvalenciende rechercheséconomiques.Celaexpliqueenpar-tie que les faillites ont repris, etmême dépassé, le rythme des pre-miersmoisde la crise.

Garanties de solvabilitéAvantdeconnaîtrelavaleurdes

taux d’intérêts qui seront appli-qués et lemontant de la contribu-tion allemande, il faudra attendrequelques jours ou semaines. Maisla presse espagnole estime entre800millions et 1milliard d’euros,

l’apport de KfW. Au premier tri-mestre, le volume de prêts concé-dés par l’ICO a baissé de 70% parrapport à la même période de2012. «Les critères appliqués pourconcéderlesprêtsICOauxentrepri-sesexigentunniveaudesolvabilitétrès élevé, a déclaré récemment leprésident de l’association des tra-vailleursautonomes (ATA), Loren-zo Amor. Les conditions de garan-tie sont si élevées que la majoritédes autoentrepreneurs et des peti-tes entreprises ne s’approchentmêmepas pour demander un prêtde ce type.»

Le chef du gouvernement,Mariano Rajoy, a rappelé les ban-ques à l’ordre: «J’espère que ceuxqui doivent prêter seront à la hau-teur des circonstances.»p

SandrineMorel

«Il y a une volonté claire demaintenir la SNCMà flot»

M.Jouyet:«LaBEIs’imposecommeunsoutiendécisifàlacroissanceenEurope»Ledirecteurgénéralde laCaissedesdépôtsannonceunaccordavec laBanqueeuropéenned’investissementpourfinancer lesprojetsdecollectivités localeset lesPMEfrançaises

50123Vendredi 14 juin 2013

Page 26: Le Monde newspaper

Entretien

Voilà deuxpenseurs qui veulentréformer l’Etat pour le rendreplus juste et plus efficace.Maisl’un, Philippe Aghion, prochedes socialistes, veut le rendre

intelligent, l’autre, Phillip Blond, inspira-teur du concept de «Big Society» desconservateursbritanniques,veutlerédui-re à sa portion congrue. Confrontation.Pensez-vous que les Etats sont respon-sables de la crise?Ou est-ce que cesont les entreprises qui sont condamna-bles?

Phillip BlondDans tout système com-plexe, c’est le systèmedans son ensemblequi est responsable. Les sphères publi-ques et privées s’interpénètrent beau-coup plus qu’on ne le pense. Le systèmes’est effondré, et tout lemondeest coupa-ble. Il est indéniableque l’onasocialisé lespertes et privatisé les gains. Et que ceuxqui en ont profité représentent une toutepetitepartie de la population.

PhilippeAghionLa réponsedépenddece que l’on considère être à la source de lacroissance. Durant les « trente glorieu-ses», la France et ses voisins européensétaient des économies en rattrapage.L’Etat-providence traditionnel était alorsbienadapté.Lapolitiqueindustriellerepo-sait sur les grandes entreprises publiqueset les subventions aux champions natio-naux.Lapolitiquesocialeconsistaitessen-tiellement à compléter les petits salairescar il n’y avait pas de chômage.

Mais à partir des années 1980, l’écono-mie s’estmondialisée,de sorteque l’inno-vation est devenue notre principalmoteur de croissance. Or l’innovationimpliquelacréationetdestructionperma-nente d’entreprises et d’emplois. Il fautalors réinventer la politique industriellepour la rendreplusascendante(«bottom-up») et plus «pro-concurrence».

Lapolitiquesocialedoitégalementchan-ger pour mettre davantage l’accent sur lasécurisation des parcours professionnelspour aider les travailleurs à rebondir d’unemploi à un autre. Autrement dit, il fautremplacer l’Etat-providencepar l’Etat stra-tège qui investit dans le capital humain,l’innovationetlasécurisationdesparcoursprofessionnels.UnEtatquigèrelecycleparl’offre plutôt que par la demande, enaidant les entreprises et les individus àmaintenir leurs investissements inno-vants en période de récession: de keyné-sien, il fautdevenir«schumpetérien».

P. B. Je suis d’accord. Le keynésianismerécompenselesentreprisesenplaceetleurmanque d’innovation. Il ne fait qu’accroî-tre le fosséentre la situationactuelleet cel-le qu’il faudrait atteindre pour avoir uneéconomie compétitive. Et donc le systèmes’effondre. Ni l’austérité ni le keynésianis-mene fonctionnent.Mais les responsablespolitiquesnecomprennentrienàl’innova-tion.Ilfautdenouveauxacteurs,visionnai-res, pourmenerdes innovationsde ruptu-re. Et que les pays se mettent ensemblepourmeneràbienunprojet courageux.M.Blond, votreprojetde«BigSociety»,qui transfèredesprérogativesde l’Etatvers lescitoyenset lesassociations loca-les, était justementunprojet innovant,adoubépar lepremierministrebritanni-que,DavidCameron.Maisest-il unsuccès?

P. B.Oui ! Ce projet trouve de plus enplus d’adeptes. Certes, les conservateursl’ont gâché. Ils ont adopté les idées socia-lesduprojet;maispas lesmesuresécono-miques. Ce qui a étranglé l’ensemble, carl’un ne fonctionne pas sans l’autre. Maisles travaillistes l’adoptent!

Ce projet part du constat que l’Etatéchoueavec sonprincipedebénéficeuni-versel. Il dépense des milliards sans rienrésoudre. Il ne pallie pas le manque degenscompétents;ni lesravagesdel’alcoo-lisme.Car il fautdavantage individualiserles aides. Etre plus près des gens. Que lesservices soient rendus localement. Que

les gens prennent en charge ce dont ilsont besoin. Le retour sur investissementest alors bien supérieurparceque ce sys-tème élimine la bureaucratie. Un exem-ple: si vous confiez un délinquant à ungroupe social, une association, plutôtque de le mettre en liberté surveillée,souslecontrôledel’Etat, letauxderécidi-vebaisse de 66%à 15%.

P. A.Certes, la décentralisation per-met de réduire les déficits structurels: jepensenotammentaumille-feuilleadmi-nistratif et à l’assurance-maladie.Mais ilne faut pas qu’elle crée plus d’inégalités.EnFinlande, les instances localesdéfinis-sent une partie des programmes éduca-tifs, mais l’Etat central définit le cursusde base, contrôle la qualité des profes-seurs sur l’ensemble des territoires etveille à ce que tout élève bénéficie dututorat nécessaire pour ne pas perdrepied.Demêmepourlasanté.EnSuède, lasantéaétédécentralisée.Mais lesgrossesinterventionsdemeurent centralisées.

P. B.Ce n’est pas le process qu’il fautévaluer. Mais les résultats. Par exemple,financer des associations de recherched’emploien fonctiondunombredegensqui trouvent du travail grâce à elles.

P. A. J’adhère à la culture de l’évalua-tion et du résultat. Cela devient d’autantplus importantpourunEtat stratègequiest obligé de cibler ses investissementset de donner la priorité aux secteurs etactivités les plusporteurs de croissance.M.Aghion, votre idée d’un Etat stratè-ge confirme au contraire le rôle essen-tiel de l’Etat,mais à condition qu’ilmette enœuvre de nouveaux princi-pes très éloignés de l’Etat-providence.Pouvez-vous préciser votre pensée?

P. A.L’enjeu auquel sont confrontésles pays de la zone euro, et enparticulierdu sud de l’Europe, est celui de réduireles déficits publics tout en investissantdans la croissance de long terme et sansporter atteinte à la cohésion sociale.

Il faut donc un «Etat intelligent» quiinvestit de façon ciblée dans l’éducation,la recherche, l’aide aux PME innovantes,et dans la dynamisation du marché dutravail. Et également un Etat dont lesinvestissementstransformentlagouver-nance : par exemple, les universitésd’excellence, auxnormesdegouvernan-

ce internationale qui ont vu le jour grâceaugrand emprunt.

P. B.Avoir des Etats stratèges ne suffitpas. Il faut des actions qui partent de labase («bottom-up») pour sortir de cetterécession sociale. Notremodèle économi-quecréedestravailleursquibénéficientdemoins en moins du gâteau qu’est le PIB,même s’il double de taille, comme c’est lecasdepuis les années 1960. Il ne s’agitplusd’avoir un Etat-providence, mais un Etatqui distribue l’éducation, la culture, l’exc-ellence,lecaractère.J’entendspar«caractè-re» la discipline, la résilience, l’aptitude àse relever. Des études sociologiques ontprouvé que plus vous êtes pauvre, plusvousmanquez de la discipline nécessairepouravoir ce caractère.M.Blond, vous être pour le développe-ment des PME, les commerces de proxi-mité; et contre les supermarchés! Nepensez-vous pas que les grandes entre-prises ont un rôle essentiel à jouer?

P.B Ce quime pose problème n’est pasque les grands groupes soient grands,mais qu’ils empêchent l’entrée de nou-veaux acteurs sur le marché. Ils ont desrentesmonopolistiques, non innovantes.Ce système fonctionne avec quelques lea-ders et beaucoup de gens à la traîne. Lecoût nécessaire pour innover est trop éle-vépour ceuxqui sont loinderrière.

P.A.Ilestdefaitquelesgrandesentrepri-ses n’innovent pas autant que les PME carelles ont davantage peur de voir des pro-duitsderemplacementconcurrencerleursgammesexistantes. En outre, l’innovationremet en question leur organisationmême. Ce n’est pas pour rien que les gran-des innovations se font souvent endehorsdes grandes entreprises, bien que souventimpulsées par d’anciens salariés de cesentreprises qui justement les quittentpourinnover.Celadit,dessociétésdegran-de taille ont un avantage, y compris pourinnover, dans des secteurs à forts coûtsfixes,commelesindustriesderéseauetl’in-dustrie aéronautique. Mais elles ne doi-vent pas empêcher les petites entreprisesde sedévelopper.Or, en Europe, beaucoupde barrières entravent la croissance desPME. Comparé aux Etats-Unis, le marchédutravail est trop rigide; lemarchéducré-dit est insuffisant, il n’yapasassezdecapi-tal-risque. En outre, en France, les grands

groupes n’aident pas assez les PME, ce quiinhibe l’innovationQue faut-il faire pour favoriserla création et le développementd’entreprises?

P. A.Supprimer les barrières adminis-tratives, rendre la fiscalité plus simple,plus incitative, et moins incertaine. Enoutre, il faut libéraliser le marché du tra-vail,mettredel’ordredanslesystèmeban-caire, créerunSmall BusinessAct, commeauxEtats-Unis.

P.B.Si j’étais lepatrond’ungrandgrou-pe, j’investirais dans des PME pour inno-ver. Sinon, les grands groupes ne survi-vront pas à la globalisation. Et si j’étaispatron de PME, j’essaierais de créer unechaîne de petites entreprises qui concur-renceraient les grandes.

En Italie, les PME se prêtent entre elles.C’estunsystèmetrèsrésilient. Il fautaussiun système bancaire décentralisé. Adéfaut, les banques ne prêtent pas auxPME, car elles ne savent pas distinguer lesbonnes desmauvaises. Elles n’ont pas lesinformations nécessaires. Elles ne fontqu’agrégerdesdonnéesd’ungrouped’en-treprises, fontdesmoyenneset concluentque ça ne vaut pas le coup d’investir dansce groupe. Elles ne prêtent à aucune; etaucunenepeut donc se développer.

P. A.C’est pourquoi, il faut un Etat quiprivilégie le ciblage dit horizontal de sesinvestissements: recherche, création d’in-cubateurpour faciliter lepassagedes idéesà leur concrétisation, subventiondes équi-pements de laboratoire et autres moyensd’innovation, subvention du capital-ris-que.Etlorsquel’Etatfaitduciblagevertical,il doit privilégier les secteurs porteurs decroissance et veiller à préserver la concur-rence et l’entrée de nouvelles entreprisesdans ces secteurs afin de stimuler encoreplus l’innovation, car on innove précisé-ment pour échapper à la concurrence. Ilfaut aussi casser le systèmed’achatpublic.Prendreen compte la valeur ajoutée socia-ledesfournisseurs,estimercequ’ilsappor-tentà l’économieet à l’emploi local. p

Proposrecueillis parPhilippe Escande etAnnieKahn

Retrouvez le programme du sommetinternational des think tanks économiquessur www.isbtt.com

idées

«RENDRE LAFISCALITÉ

PLUS SIMPLE,PLUS

INCITATIVEET MOINS

INCERTAINE»PhilippeAghion

«LES RES-PONSABLES

POLITIQUES NECOMPRENNENTRIEN À L’INNO-VATION»Phillip Blond

«Niaustériténikeynésianisme!»L’entreprisequi transformelemonde3/4Condamnéàl’innovationcontinue, l’Etatdoitseréinventer.Deuxintellectuels influents,PhilippeAghionetPhillipBlond,confrontent leursidées. Ilsdébattrontausommetmondialdesthinktankséconomiques, le18juin,organisépar l’Institutdel’entreprise,enassociationavec«LeMonde»

¶Phillip Blondest philosophe,théologienet politologue;directeur du groupede réflexionResPublica.Son ouvrageRed Tory(Faber and Faber,2010)a inspiré le conceptde «Big Society»défendu par l’actuelpremierministrebritannique,David Cameron

SEB JARNOT

¶Philippe Aghionest économiste,professeurà l’universitéHarvard et à l’Ecoled’économie de Paris.Il est membredu conseil d’analyseéconomique.Il a publié en 2011Repenser l’Etat(Seuil).En 2012,il a signé l’appeldes économistesen faveur deFrançois Hollande

6 0123Vendredi 14 juin 2013

Page 27: Le Monde newspaper

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Billet électronique,m-billet, cartonné,imprimable, infalsifiable, iDTGV: lequelde cesmodèles choisir, lorsquevous

réservezvos places surVoyages-sncf. com?Tousont leurs avantages et leurs inconvé-nients, si l’on en croit les commentaires laisséspar des voyageurs sur notre blog Sosconso.

Le billet cartonné Lorsque vous réservez, parl’intermédiaired’Internetoupar le 3635 (sur-taxé,0,34euro laminute), on vousproposeraéventuellementd’opter pour ce type de ticket,et de le retirer à la borned’une gare. Pourquoipas?Mais sachezque lamachinevousdeman-dera les coordonnéesde la carte bancaire aveclaquelle vous l’avez payé: «C’estma compa-gnequi avait achetémonbillet, et je n’avaispas sa carte», raconteun internaute. «Jemon-te quandmêmedans le train avec le courrielqui confirme le paiement, ainsi qu’une signatu-rede la guichetière, quime connaît, pour témoi-gner demabonne foi. Rienn’y fait : je doispayer l’amende.»

L’employéevousproposerapeut-êtredevousenvoyer ce billet cartonné gratuitementà votredomicile. Formidable, si La Poste fonc-tionne. Sinon, tant pis pour vous: la SNCFne

rembourseni les billets volés ni ceuxperdus.Un lecteur, CharlesGaude, en a fait l’amèreexpérience, après s’être fait voler ses billetsdans le filet de rangementdu siège avant, unefoismontédans le train, et endépit d’undépôtdeplainte. La SNCFpart duprincipequ’ils sontutiliséspar la personnequi les a trouvés oudérobés.

Le e-billet, ou billet électroniqueC’est celuidont la SNCFpréconise l’achat, aumotif qu’ilnepeut êtreni volé ni perdu, et qu’onpeut lerééditer autant de fois que l’on veut. Problè-me: il est nominatif. Une épousevoyageantavecun e-billet aunomde sonmari s’est vuinfligerune amende.Un commercial appeléauderniermoment à remplacerun collèguesouffrantn’a pas puutiliser son ticket.

Autre inconvénient, onne peut pas lemodi-fier, comme l’a constaté Claudine. Elle réservedeuxallers Paris-Aix-en-Provencepour sonfils, et la petite amie de celui-ci. Quand elle lesimprime, elle constate qu’ils sont tous deuxaunomde son fils, pour lemême trajet. Elleveutmodifier le deuxièmenom: «Impossi-ble», lui objecte l’employéedu guichet, en luiconseillantde «vérifier les informationsqu’el-

le saisit, la prochaine fois». Claudinedoit annu-ler le ticket et en acheter un autre – plus cher.Elle, qui commande souvent sur Internet, estpourtant sûre denepas s’être trompée. Elle sedemande«pourquoi le site de réclamationsdela SNCF est rempli de protestations contre deserreurs dans les données saisies». Elle a sa peti-te idée: «La procédure est longue et opaque; laSNCFdevrait, comme les sites commerciaux,permettrede vérifier ces données avant de fai-re payer.»

Enoutre, le e-billet doit être imprimésurune feuille de papier.«Le contrôleurne pourrascanner le code sur votre smartphoneque s’ils’agit d’unm-billet, valable sur seize destina-tions seulementaudépart deParis (Lyon,Mont-pellier, Aix,Marseille, Nîmes, Avignon,ValenceTGV, Lille, Arras,Douai , Strasbourg,Nantes,Rennes, Clermont-Ferrand,Nevers etMilan)»,indique la SNCF.

Surd’autresdestinations, il sembleque l’hu-meurdes contrôleurs soit unevariablenonnégligeable, commeen témoignenotammentBrice: «Mon imprimantene fonctionnantpasquand j’ai voulum’en servir, je suismontédans le train sans billet physique, raconte-t-il.Je vais directementvers la contrôleuse, et luimontre la versionPDFdubillet, surmonPCpor-table. Elleme répond: “Pasde billet papier, c’estuneamende.” Je vaisme rasseoir enmau-gréant.Unpeuplus tard, une autre contrôleusepasse etmedit : “Pas deproblème, donnez-moivotrenom.” Elle effectueune recherche sur sonboîtier, et, en quelques secondes, trouve la preu-ve d’achatdans le systèmede la SNCF.»

Dernier inconvénientdu billet électroni-que: comme il est nominatif, il ne peut être

revendu surun sitede billets d’occasion com-meKelBillet.com,TrocdesTrains.com,ZePass.comouLeguichet.fr. Si votre voyageest annulé, vous en serezpour vos frais.

Le billet d’occasionQuel site choisir? Nouspencherionspour ZePass, car c’est le seul quifait appel à un tiers de confiancepour ses tran-sactions. En cas d’arnaque, il rembourse leclient lésé. Ce qui n’a pas été le cas deMartine,victimed’unescroc lorsqu’elle a achetéunbillet de train Paris-Avignonsur le siteKel-Billet.com.Le vendeur le proposait à 50euros,au lieu de 139. Il s’agissait d’unbillet iDTGV, apriori infalsifiable. Ce type debillet se réserveen ligne, demanièrenonnominative, jusqu’àcequ’ondoive l’imprimer. Il se revend sur lessitesd’occasion tant qu’il n’a pas été édité.Mar-tine le reçoit sur son ordinateur, et l’imprimeà sonnom.Quandellemontedans le train, lecontrôleurqui le scanne lui dit que c’est unfaux. Il lui expliqueque le vendeur l’a sansdoute imprimé, puis falsifié grâce à un logicielde retouches, et revendu…plusieurs fois.

QuandMartine essaie de recontacter levendeur, celui-ci ne répondplus ni surl’adresse électroniqueni au numéro de télé-phone qu’il avait communiqués. Il est introu-vable car il s’est fait rémunérer par l’intermé-diaire d’un système de tickets prépayés (pre-mium) achetés chez un buraliste. Quant auxconditions générales de vente de Kel-Billet.com, elles prévoient que « la cession desbillets se fait aux risques et périls du cédant etdu cessionnaire»… p

sosconso.blog.lemonde.fr/

Ooohpinaise!», diraitHomerSimpson…Pinte-rest, c’estquoi?«Crééen

2010mais véritablementpopulairedepuismai2011, Pinterest incarneuneversionvirtuelledu tableaudeliègeoù l’onpunaisedesphotos»,écritBenoîtDarcy sur le sited’in-formationZDNet.fr. Saufqu’ici onest sur leWeb:onpeutdoncépin-gler (pin) sur son tableau (board)desphotoset desvidéos, les clas-serpar catégoriesetmarquer sonintérêtpour l’uned’elle (like) ou lareposter (repin) pouren faireprofi-ter sapropre communauté.

Ledictionnairefrançais fini-ra-t-il par accueillirdans sespagesleverbe«pinner»et ses adeptes«pinneurs» si le succèsduréseausocial américaindepartaged’ima-gesvenait à souffler lavedetteàInstagramouFlickr?Non, inutiledepinailler.«BonjourFrenchpin-ners!WehaveanupdatedPinterestfor you–andkickingoff. Epinglerc’estpartager», atwitté@Pinterest, le 11 juin,pourannoncer le lancementdesa«nou-velleversion localisée, créée spécifi-quementpour la communautéfrançaiseafinde l’aideràdécouvriruncontenupluspertinentplus rapi-dement» (bit. ly/13WTjz9).

LaFrancedevient lepremierpaysnonanglophoneàêtre «épin-glé» au tableau«expansion inter-nationale»du réseausocial.Heu-reuxfruitde la«sérendipité»,

intrinsèqueàPinterest?«L’histoi-re, les arts, la cuisineet lamode…Pinterestaété traduit en françaisen2012,mais la languen’estqu’unélémentde la vaste culture françai-se», justifie le sitedepartagepho-tographique.

Parmi les 20statistiquesà rete-nir surPinterest en2012outre-Atlantique, il y a ces97%d’«amies» sur lapageFacebookduréseausocial. Riend’étonnantpuis-que80%des épingleurssontdesépingleuses,et à 50%desmèresdefamille,qui lui consacrent 1h38parmoiset 16minutesenmoyen-neparvisite (bit.ly/13BiiaA).

«Juste pour les femmes?»Faut-il soulignerque 57%des

interactions recenséesportentsurdes contenus«cuisine», sansoublier le luxe et lamode, «chou-chous» de ces dames? La versionfrançaisedePinterest va-t-elle can-tonner les femmes françaises auxfourneauxoudans les rayonsvir-tuels de quelques enseignes?«Qui a dit que Pinterest est justepour les femmes?», s’insurge Jéro-me sur Shakerdepixels.com,pourqui lesmarquesnedoiventpasmésestimer la ciblemasculinedont les sujets de prédilectionsont «le bricolage, le sport et lestechnologies» (bit.ly/11vh9is).Quipour épingler les clichés?p

[email protected]

0123

SOS CONSO | CHRONIQUEpar Rafaële Rivais

Chacuncherchesonbilletdetrain

C’EST TOUT NET ! | CHRONIQUEpar Marlène Duretz

Epinglage

LE E-BILLET,QUI NE PEUT

ÊTRENI VOLÉNI PERDU,

ESTNOMINATIF.ALORS,GARE AUXAMENDES !

LES INDÉGIVRABLES | par Xavier Gorce

70123Vendredi 14 juin 2013

Page 28: Le Monde newspaper

2LELIVRE

*

Chaque jeudi,une nouvelle inédite dans tous les kiosques

1.

2.

3.

13/06

20/06

27/06

FRANCK THILLIEZDOMINIQUE CORBASSONHostiles

DIDIER DAENINCKXLOUSTALVoiles de mort

JEAN VAUTRINBARUMonsieur Meurtre

4.

5.

6.

7.

04/07

11/07

18/07

25/07

CARYL FEREYCHARLES BERBERIANChérie noire

MARC VILLARDJEAN-CHRISTOPHE CHAUZYLa Cavale de Lina

MARIN LEDUNGÖTTINGQue ta volonté soit faite

ALEXANDRA SCHWARTZBRODMILES HYMANAva et Marilyn

8.

9.

10.

01/08

08/08

15/08

JEAN-BERNARD POUYFLORENCE CESTACPlein le dos

CHRISTIAN ROUXANTHONY PASTORDix doigts dans l’engrenage

ANNE SECRETJEAN-PHILIPPE PEYRAUDLe Machiniste

11.

12.

13.

22/08

29/08

05/09

PATRICK PÉCHEROTJOE PINELLIDernier été

BRIGITTE AUBERTMAX CABANESBoulevard du Midi

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Dès jeudi 13 juin,le volume n°1Hostilesde Franck Thilliez,illustré parDominique Corbasson

Page 29: Le Monde newspaper

Lejournalismesejetteàl’eau

p r i è r e d ’ i n s é r e rTuserasmonpersonnageEmmanuelCarrèrea lu«Le Journalisteet l’Assassin», de JanetMalcolm,saisissantrécit sur les relationsambiguësentreunauteuret sonsujet

Jean Birnbaum

5aLittératurefrançaiseBlaise Cendrarsentre dans«La Pléiade»pour ses 150ans

C’est une histoire à trois éta-ges.Lepremierestuneaffairecriminelle: en 1970, en Caro-lineduNord, lemédecinmili-taire Jeff MacDonald estaccusé dumeurtre de sa fem-

me et de leurs deux petites filles. Les pré-somptions sont lourdes, mais les élé-ments à décharge aussi. MacDonald a-t-ilcommis ces crimes? Lui clame son inno-cence. Donc, de deux choses l’une: il estsoit la victime d’une terrible erreur judi-ciaire, soit un assassin doublé d’unmons-tre d’hypocrisie.

Le vertige moral résultant de ce douteest une bonne matière à récit, et c’est ici–deuxième étage – qu’entre en scène JoeMcGinnis. C’est un polygraphe qui écritcette chose triste: desbest-sellersquinesevendent pas. Espérant se refaire sur leterrain de la non-fiction criminelle, quidepuis De sang-froid, de Truman Capote(Gallimard, 1966), est aux Etats-Unis ungenre littéraire à part entière, il prendcontact avec les avocats de MacDonald etpasse contrat non seulement avec un édi-teurmaisaussiavecMacDonaldlui-mêmequi,enéchangedel’exclusivitédesesconfi-dences,recevrauntiersdesdroitsd’auteur.

Durant les annéesquiprécèdent le pro-cès, lesdeuxhommesselientd’uneamitiéde mâles américains, consistant à regar-

der le football ensemble à la télé, écluserdes bières, noter les femmes qui passentsuruneéchellede1à5.McGinnisdit croiredur comme fer à l’innocence de MacDo-nald et, en 1979, quand le verdict tombe(perpétuité), son fidèle biographe lui écritdes lettres accablées, comme si c’était luiqui souffrait le plus de la monstrueuseinjusticedont sonami est la victime.

Là-dessus, le livre paraît (Fatal Vision,1983), et MacDonald a la cruelle surprisede découvrir qu’il y est présenté commeun meurtrier psychopathe. Le cordialcompagnon de biture qui traitait desalaud quiconque émettait le moindredoute sur son innocence dit maintenantsavoir, d’une certitude absolue, que Mac-Donald a tué sa femme et ses enfants.Outré, MacDonald décide, du fond de saprison, d’attaquer McGinnis en justice,pour«tromperie et violationde contrat».

Secondprocès, troisièmeétagede l’his-toire, oùentreenscèneune journalisteduNew Yorker, Janet Malcolm. Elle a de bon-

nes raisons de s’intéresser à l’affaire : elle-mêmevient d’être poursuivie par unpsy-chanalyste américain mécontent du por-trait qu’elle a fait de lui dans son livre-enquêteTempêteauxarchivesFreud (PUF,1986). Elle décide de suivre ce procès dontl’enjeuest inéditpuisqu’ilnes’agitplusde

savoirsiMacDonaldestcoupableouinno-cent, pas nonplusd’établir si ce quedit delui McGinnis est mensonger ou diffama-toire, seulement de juger s’il avait le droitde le dire après avoir fait croire à MacDo-nald qu’il pensait le contraire. En d’autrestermes, si un journaliste a le droit, pourgagner la confiancedequelqu’un,d’expri-merune sympathiequ’il n’éprouvepas.

De ce cas d’école déontologique, JanetMalcolma tiré deux articles retentissantspuis, en 1990, Le Journaliste et l’Assassin,unrécit d’une rare vivacité: unmodèledereportage littérairequidevrait être étudiédans les écoles de journalisme aussi bienque dans les ateliers de creativewriting etmérite largement d’avoir été classé auxEtats-Unisparmi les centmeilleurs textesdenon-fiction.

Maintenant,une foisdit cela, et chaude-ment recommandé sa lecture, je voudraisajouter que quelque chose me troubledansce livre si brillantet stimulant.Que jene suis, tout simplement, pas d’accordavec la thèse que résument avec éclat sespremières lignes: «Le journaliste qui n’estni trop bêteni trop imbude lui-mêmepourregarder les choses en face le sait bien: cequ’il fait est moralement indéfendable. Ilest comme l’escroc qui se nourrit de la va-nité des autres, de leur ignorance, de leursolitude: ilgagneleurconfianceet lestrahitsans remords. Et, comme la veuve crédulequiseréveilleunbeaumatinpourconstaterque le charmant jeune homme s’est envoléavecseséconomies,celuiquiconsentàdeve-nirlesujetd’uneœuvreécritedenon-fictionpaie au prix fort la leçon qu’il reçoit le jourde laparutionde l’article oudu livre.»

7aEssaisCommentl’art grec a-t-ilblanchi?

aEnquêteLa crise de l’édition italiennerend le secteur combatif– les librairies en particulier

3aTraverséeMaxWeberbrisela cage d’acier

10aRencontreAnn Laura Stolerdémontel’ordre colonial

A uXIXesiècle, le journalismen’étaitpas unmétier. Hommes de presseet gens de lettres se confondaient.

La littérature était le laboratoire dujournalisme, la presse l’atelier du roman,formes et écritures circulaient librementde l’un à l’autre, comme le rappelleLa Civilisation du journal, indispensablesommedirigée parDominiqueKalifa,PhilippeRégnier,Marie-Eve Thérenty etAlainVaillant (NouveauMonde, 2011).

A l’époque, les quotidiens publientdes «reportages subjectifs», où celuiqui tient la plumeprétend éluciderles crimes, non à travers une enquêteneutre,mais bien plutôt par un récit oùs’imposent les procédés romanesqueset lamise en scène de soi, voire la pure etsimple autofiction.Même l’interview faitla part belle à la fiction. Laisser libre coursà son imagination, assure Barrès, c’esttrouver desmots «inexacts peut-être,mais vrais d’une vérité supérieure»…

Le fait divers, l’interview. Ces deuxgenres sont emblématiques de lacomplicité fondatrice entre presse etlittérature – une complicité désormaisreniée. C’est pourtant là que le brouillagedes frontières continue d’opérer,longtemps après le triomphe dujournalismed’information et laprofessionnalisation dumétier. Entémoignent, chacun à samanière, le livrede JanetMalcolmquenousmettonsaujourd’hui à la «une», le compte renduqu’en fait l’écrivain Emmanuel Carrèreet le témoignage de FlorenceAubenas,grand reporter auMonde (lire page2).Si tous trois disent «je», ce n’est pas parcomplaisancenarcissique. C’est parceque les problèmes soulevés par ces deuxpages (Journaliste ounarrateur? Fidélitéou trahison?) exigent une réponse à lapremière personne. Ce «je» que tant dejournalistes trouvent haïssable parcequ’ils refusent de «faire l’écrivain»,justement,mais parfois aussi parce quece retour sur soi les obligerait à affronterl’engagementde leur écriture etl’ambiguïté de leurs pratiques dans lemiroir impitoyable de la littérature.«Le journaliste est un être timoré, trancheJanetMalcolm. Là où le romancier plongesans peur dans les eaux de l’exposition desoi, le journaliste tremble de peur et restesur la plage dans son peignoir de bain.»p

9

6aHistoired’un livreQuandles colombesdisparurent, deSofi Oksanen

2aLa «une»,suitePresse etcriminalité :le témoignagede FlorenceAubenas ;entretien avecDominiqueKalifa

8aLe feuilletonEric Chevillarda étéenthousiasmépar la BDde José CarlosFernandes

4aLittératurerusseEvguéniGrichkovets,Gaïto Gazdanov

Un journaliste a-t-il ledroit, pour gagner laconfiance de quelqu’un,d’exprimer une sympathiequ’il n’éprouve pas?

Lire la suite page 2

THIERRY ALBA

Emmanuel Carrèreécrivain

Cahier du «Monde »N˚ 21275 datéVendredi 14 juin 2013 - Ne peut être vendu séparément

Page 30: Le Monde newspaper

FlorenceAubenas

Al’époqueoù j’étaisune jeunejournaliste, rien ne m’avaitpréparée à cet instant où j’aisonnéchez la femmede l’as-sassin. Un chômeur avaitpoignardéàmortsonvoisin,

unnégociantenvindansmonsouvenir: ilne comptaitpas levoler, il avait juste cédéà un sentiment d’injustice contre le sort.C’était mon premier fait divers. Ni mesannéesd’étudesnimescollèguesquej’en-tendais débattre de ces affaires-là en ter-med’initiés,à la foisénigmatiqueset crus,comme des médecins en salle d’opéra-tion,niriendecequej’avaisconnujusque-là nem’ont été d’aucuneutilité.

Je nem’attendais pas non plus ce jour-là à ceque la femmede l’assassinme fasseentrer et me serve un café. On m’a rare-mentclaquélaporteaunez, je l’aiconstatédepuis. Un journaliste n’est pourtant nipolicier,nimagistrat,niaucunedecesper-sonnes, en tout cas, que les femmes d’as-sassin sont sommées de recevoir enpareilles circonstances.

J’ai vite compris qu’il valait toutefoismieuxsemontreramènepourquel’entre-tien s’engage. La femmede l’assassin aus-si. La raisonpour laquelle quelqu’undontl’existence vient de basculer se confie àune inconnue m’est longtemps restéemystérieuse.Des années plus tard, undestreize accusés au procès d’Outreau m’afourni une réponse précise : «Dans cettesituation, où toutme désignait commeunmonstre, vous avez été la première à vousadresseràmoinormalement,commedansla vied’avant.» Il a aussitôtpoursuivi : «Jeme suis dit de façon utilitaire: elle va metirer de là.» Il se trouve que ces treize-là,accusésdepédophilie,ont tousétéacquit-tés. Le chômeur au poignard, lui, avaitavoué son crime. Coupable ou innocent,

qu’importe: surcepoint-là, ilyvaaussidustatut d’être humain. J’entends encore lafemme de l’assassin me répéter : «Monmari vient d’être licencié, il a perdu pied.Montrez-le commeunhomme.»

Nous ne parlions pas depuis très long-temps quand la sonnette a retenti. J’aientendu dans l’entrée les mêmes parolescordiales que celles que je venais de pro-noncer. Un autre journaliste a fait sonapparition. Nous avons bientôt été cinqcollègues et concurrentsdevantune tassede café. L’entretiena rapidement tournéà

l’assaut d’amabilités envers notre hô-tesse : chacun cherchait se concilier sesbonnes grâces et, donc, les meilleuresinformations. Nous jouions notre article.Elle jouait sa peau. La partie s’avérait, ons’endoute, inégale.

Les bancs de la presse étaient videsLes relations entre elle et la presse ont

gardé quelque temps un semblantd’équité : tant qu’il y a eu des éléments àgrappiller, pièces de dossier ou confiden-ces. Quand tout a été essoré, c’était désor-mais la femme de l’assassin qui relançaitles journalistes.Voyant l’intérêtdécroître,elle s’est mise à promettre du nouveau,«de l’exclusif », qui bien sûr ne venaitjamais. Quand vint le procès, les journa-listes – «mes amis», disait-elle – l’avaientlâchée depuis longtemps. Les bancs de lapresse étaient vides. Son mari s’est faitétriller. Elle aussi.

Entre-temps, j’ai rencontré des hom-mespolitiques,dessportifs,deschefsd’en-treprise, des soldats de toute sorte. Avecceux-là, le rapport de force est immédiat.Un adjectif leur déplaît et ils appellent lerédacteur en chef, exigent un droit deréponse,menacent de liste noire. La ques-

tion n’est pas de savoir s’ils ont tort,maisde décrire un fait : ils sont, comme nous,des professionnels de la communication,à armes égales. La presse, en revanche,peut gaillardement assassiner les assas-sins, violer les violeurs, escroquer lesescrocs.Quelavocatleurconseilleraitd’en-tamer un procès en diffamation du fondd’uneprison?

J’ai maintenu des liens avec la femmede l’assassin : elle était ma première af-faire, moi sa première journaliste. Nousnous avons fini par nous attacher l’une àl’autre. Je sais que je cours le risque dedéclencher l’opprobre de mes confrères :je revendique cette affection. Elle ne m’apas empêchée d’écrire honnêtement surelle, ni demebrouiller de tempsen tempsavec elle. Certaines personnes ont parfoisle malheur de découvrir qu’un de leursamis est un escroc. Moi, c’est l’inverse. Jedécouvre qu’un escroc peut devenir unami. Par la suite, je n’ai pas résisté nonplusàdevenir l’amied’unex-braqueur,deplusieurs petits dealers, d’un ouvrier dechez Peugeot, d’une technicienne de Pôleemploi, de plusieurs agents secrets, dequelquesfemmesdeménage.J’espèrequecen’est pas fini.p

e n t r e t i e n

Presseetcriminalité,«unerelationpresqueconsubstancielle»L’historienDominiqueKalifarappelle lesrapportsanciensentre journalismeetcrime,police, justice

Propos recueillis parJulie Clarini

Auteurde L’Encre et le sang(Fayard, 1995) et des Bas-fonds (Seuil, 2013), Domi-nique Kalifa s’intéresse à

l’histoire du crime et à son imagi-naire. Il est aussi le codirecteurd’une belle et originale synthèsesur l’histoirede la presse françaiseLa Civilisation du journal (Nou-veauMonde, 2011).

«Le Journaliste et l’assassin»,le livre de JanetMalcolm, nousrenvoie à la relation entre lapresse et la criminalité…Peut-ondire qu’elle est aussianciennequ’intense?

C’est en effet une relation trèsancienne, presque consubstan-

tielle.Dès la finduXVIesiècleproli-fèrent ce que l’on a appelé les«canards», périodiques occasion-nelspubliéspourrelaterdesévéne-ments ou des histoires édifiantes,le plus souvent des crimes: «His-toire horrible et épouvantable dumeurtre sanguinaire commis…».Ce type de feuille perdura jusqu’àla fin du XIXe siècle. On en trouvemême encore en 1934, lors de l’af-faire Violette Nozières. Mais lerelais est pris dès le milieu duXIXesiècleparlesquotidienspopu-laires, qui colonisent l’imaginairedes canards et inventent les faitsdivers criminels. Vers 1900, unjournal comme Le Petit Parisien,qui tire à plus de 1million d’exem-plaires, en relate une bonne dou-zaine par jour sans compter lescomptes rendus de procès, et lesromans-feuilletons qui racontentsouventlemêmegenred’histoires.

Une grande partie de la profes-sion vit alors du crime, depuis lespetits faits-diversiers payés à la

ligne jusqu’aux prestigieux tribu-naliers, qui tutoient les avocats. Etchacun rêve de ce «beau crime»qui lui apportera la gloire, à lafaçon du Rouletabille de GastonLeroux, lui-mêmeancien reporteret chroniqueur judiciaire.

Lire dans l’âme du criminel, êtrecapable de juger de sa culpabi-lité, est une qualité que le jour-naliste, le « tribunalier» notam-ment, s’arroge d’emblée,mon-trez-vous dans «La Civilisationdu journal»…

Les journalistes ont très tôtmanifesté de fortes ambitions ence domaine. Dès les années 1880,certainsmultiplient les «enquêtespersonnelles» pour concurrencerla police et la justice. On voit desreportersfilerlesinspecteurs,inter-rogerlessuspects,ébruiterlesecretde l’instruction, le toutaunomdesdroits sacrés de « l’Opinion». Detels comportements suscitèrentl’hostilité des magistrats, qui

dénoncèrent ces nuées de «profi-teurs du crime» aussi incompé-tents que suffisants. Les journalis-tesaffirmaientenrevanchelalégiti-mitéd’une incursionau seind’uneinstitutionparalyséeseloneuxparla routineet le corporatisme.

Un modus vivendi s’établitcependant assez vite entre la pres-se et les pouvoirs publics, chacunayantbesoin l’unde l’autre.Quantaux tribunaliers, leurs apprécia-tionsrelevaientsouventdela litté-rature, ou de l’art dramatique.

En 1979, l’ennemipublic no 1,JacquesMesrine, enlève le jour-naliste JacquesTillier et le laissepourmort, lui reprochantd’avoir écrit des articlesmenson-gers sur sa personne. Existe-t-ildeshistoires similaires?

C’est une attitude qui me sem-ble tout à fait atypique. Les crimi-nels n’ont en général aucun inté-rêt à attirer sur eux l’attentiondesjournalistes, à l’exception peut-

être de quelques déséquilibrésqui, comme Jack l’Eventreur en1888, envoyèrent par défi des let-tres aux journaux.Mais la plupartdes criminelsontune relation trèspassive à l’égard des journaux; ilsy suivent l’avancée de l’enquêteou se contentent de découper lesarticles qui parlent d’eux. L’initia-tive, pour l’essentiel, appartientaux journalistes.p

t é m o i g n a g e

FlorenceAubenas,grandreporterau«Monde»,évoquelesaffairesqui l’ontconduiteàentrerenrelation–etparfoisàselier–avecdesjusticiablesouleursproches

J’aisonnéchezlafemmedel’assassin

Envoyez vos manuscritsEditions Persée29 rue de Bassano -75008 ParisTél. 01 47 23 52 88www.editions-persee.fr

Les Editions Perséerecherchentde nouveaux auteurs

Cette description cynique desrelations entre un auteur et sonsujet est vraie dans le cas de l’af-faire MacDonald contre McGin-nis, je veux bien croire qu’ellel’est souvent mais, au risque detransformer ce compte rendu delectureenplaidoyerprodomo, jetiens à dire ici qu’elle ne l’est pastoujours. Je suis du bâtiment,depuis quinze ans j’écris deslivres de non-fiction qui rendentcomptede faits réels et décriventdes personnes réelles, connuesou inconnues, proches ou éloi-gnéesdemoi, et j’en ai blessé cer-taines, oui, mais je soutiens quejen’en ai trompéaucune.

Pour m’en tenir aux affairescriminelles, je n’ai pas plustrompé Jean-Claude Romand, lehéros de L’Adversaire (POL,2000), que Jean-Xavier de Les-trade n’a trompé Michael Peter-son, le héros de son extraordi-naire série documentaire «Stair-case», à laquelle on ne peut pasnepaspenseren lisantLe Journa-listeet l’Assassin.C’esttoutuntra-vail, c’est même le travail essen-tiel et le plus difficile dans de tel-lesentreprises,d’établirunerela-tion qui soit honnête, non seule-ment avec le sujet du livre, maisaussi avec son lecteur.

Partie prenanteJanet Malcolm cite une scène

étonnante,danslelivredeMcGin-nis :onyvoitMacDonaldet toutel’équipedesesdéfenseurss’amu-ser lors d’une fête d’anniversaireà lancer des fléchettes sur unephoto agrandie du procureur.McGinnis décrit MacDonaldpoussant des hurlements de joiequand il atteint sa cible et com-mente vertueusement: «Il sem-blait avoir oublié que dans sasituation, il n’était peut-être pasapproprié de se mettre à lancerdes objets pointus en directiond’un être humain, même s’il nes’agissait que d’une représenta-tion photographique.» Le pro-blème, commedes témoins l’ontétabli auprocès, c’estqueMcGin-nis lui-même, ce soir-là, n’étaitpas le dernier à brailler et lancerdesfléchettes.Est-cesigrave?Evi-demment non. Ce qui est grave,c’est de raconter la scène sans ledire. C’est de se draper dans cerôle de témoin impartial etnavré. C’est de n’avoir pasconsciencequ’en racontant l’his-toire, on devient soi-même unpersonnage de l’histoire, aussifaillible que les autres.

Avec un masochisme surpre-nant et qu’on lui a reproché – caraprès tout, c’est de son propremétier qu’elle parle –, Janet Mal-colm met tout son talent àdémontrer que la relation entreun auteur de non-fiction et sonsujet est par naturemalhonnête,que c’est comme ça, qu’on n’ypeut rien.

Je dis, moi, qu’on y peut quel-que chose. Qu’il y aune frontièreet que cette frontière ne passepas, comme certains voudraientlecroire,entrelestatutdejourna-liste–hâtif, superficiel,sansscru-pule – et celui d’écrivain – noble,profond, bourrelé de scrupulesmoraux –,mais entre les auteursqui se croient au-dessus de cequ’ilsracontentetceuxquiaccep-tentl’idéeinconfortabled’enêtrepartie prenante. Exemple de lapremièreécole: leveuleetpitoya-ble Joe McGinnis. Exemple de laseconde : Janet Malcolm elle-mêmequi, tout en déclarant unetelle honnêteté impossible enfait preuve, pour sa part, dudébut à la fin de son livre.p

Emmanuel Carrère

«Nous avons l’impressionque quel-que chose se produit dans la tête desgensquand ils rencontrentun jour-naliste, et que c’est en réalité exacte-ment le contraire de ce à quoi ons’attend.Onpourrait penser qu’uneméfiance et une prudence extrêmesseraientà l’ordre du jour,mais enréalité, impétuosité, impulsivité etconfiancepuérile sont bien plus fré-quentes. La rencontre journalistiquesembleprovoquer chez le sujet le

mêmeeffet régressif que la rencontrepsychanalytique. Il devient enquel-que sorte l’enfant de l’auteur qu’ilregarde commeunemère permis-sive, prête à tout accepter et à toutpardonner; et il s’attendà ce que cesoit elle qui écrive le livre.Mais bienévidemment, l’ouvrage est écrit parle père, unhomme strict qui voit toutet nepardonne rien.»

Le Journaliste et l’assassin, pages49-50

Suitede la premièrepage

…à la«une»

Extrait

Le Journaliste etl’Assassin (The Journalistand theMurderer),de JanetMalcolm,traduit de l’anglais(Etats-Unis) par LazareBitoun,FrançoisBourin,«WashingtonSquare»,216p., 20¤.

PLAINPICTURE/TANJA LUTHER

2 0123Vendredi 14 juin 2013

Page 31: Le Monde newspaper

Trois livreséclairentletravail, lavieoul’influencedel’undesfondateursdelasociologiemoderne.Ettémoignentdel’intérêtportéenFranceàuneœuvrebienplusricheetcomplexequ’onnecroit

MaxWeberbriselacaged’acier

Tensionsmajeures.MaxWeber, l’économie, l’érotisme,deMichel Lallement,Gallimard, «NRFessais», 276p., 19,90¤.Loinde voir dans la rationalitédu réelet de la sociétéunprocessusunivoque,le travail deMaxWebermet en évidencela pluralitédes rationalités, parfoiscontradictoires, qui sont à l’œuvredanslamodernité.On retrouve cette pluralitédans l’économie, le droit,mais aussi dansla réflexionwébérienne sur la sexualitéet l’érotisme, largement tributairedel’itinérairebiographiquede l’homme.

Autoritéetémancipation.Horkheimeret la théorie critique,deKatiaGenel,Payot,«Critiquedelapolitique»,444p.,25¤.Uneétudede l’usagedu concept d’auto-rité par les philosophes et sociologuesde l’école de Francfort – qui fut dirigée,à partir des années 1930, parMaxHorkheimer (1895-1973).Ou comment,notammentàpartir deMaxWeber et dela réflexion sur le nazisme, s’est déve-loppée la critiquede la domination.

NicolasWeill

De l’Allemand Max Weber(1864-1920), l’un des fonda-teurs de la sociologie mo-derne,voire lefondateurparexcellence de la discipline,bien des formules sont

aujourd’hui tombées dans le domainepublic.Nombreuxsontlespolitiquesqui,enFrance, recourent comme à unmantra à lacélèbre opposition entre «éthique de con-viction» et«éthique de responsabilité».Nombreux sont les historiens du nazismeet du communisme qui reprennent sonexpression de «domination charismati-que»pouranalyserletotalitarisme.Etnom-breuxsont les essayistes sous laplumedes-quels le «désenchantement du monde»wébérien devient un slogan par lequel onprétendassurerquelecoursdel’histoireestà sens unique, et va nécessairement versplusderaisonetversplusde laïcité.

Le plus étonnant est que ces formules,gouttelettes détachées d’une productionauxdimensionsocéaniques, finissent parprêterà l’œuvredusociologuelecontrairedecequ’elledit.MaxWeber, penseurde la«guerre des dieux», inspiré parNietzsche,a certes cherché à définir la modernité.Mais le cheminement de la raison qu’il yrepère n’a rien chez lui d’une marchetriomphale. Souvent il constate que larationalitése retourneensoncontraireet,loin de libérer l’homme, l’enserre tou-jours plus dans «un habitacle dur commede l’acier». Si un sentiment pouvait résu-mer la démarche wébérienne, c’est sansdoute le pessimisme.

L’introduction en France des travauxdu sociologue allemand a été relative-ment tardive et n’a pas peu contribué àentretenir lesmalentendus sur un corpusqui d’abord n’a été traduit qu’au compte-gouttes. Elle est principalement le fruit del’après-guerre. Les premiers passeurs deWeberfurentdessociologuescommeRay-mond Aron ou Julien Freund, qui l’érigè-rent en porte-drapeau et antidote aumarxisme. Fort heureusement, le voiled’ignorance qui caractérise sa réceptioncommence à se lever, comme en témoi-gnent trois ouvrages récents.

Dans La Cage d’acier, le philosopheMichael Löwy entend ainsi revenir sur latraditionnelle opposition entre Marx etWeber. Car L’Ethique protestante et l’espritdu capitalisme (traduit en français en1964, puis 2003, chez Gallimard) a long-tempsfait figurederéplique imparableauCapital de Marxen décelant une sourceexclusivement religieuse du capitalismedans les comportements ascétiques pro-pres aux sectes calvinistes et puritaines.Or, dans la foulée du philosophe KarlLöwith (dont leMaxWeber etKarlMarxde1932 n’est paru en français qu’en 2009

chezPayot.Lireaussi lachroniquedeRoger-Pol Droit page8), Michael Löwy juge cettepolarité simpliste. Non seulement la fi-guredeMarx aobsédéWeber tout au longdesonparcoursscientifique,mais il existeentreMarx le révolutionnaire etWeber lelibéral, certaines«affinités électives».

Marx et Weber auraient en réalité unhéritage en commun: la critique de lamodernité propre au romantisme alle-mand. Vouloir, comme le fera encore lephilosophe Jürgen Habermas, corrigerMarxparWeber,n’est-cepas évacuerde latradition wébérienne tout ce qu’elle par-

tageaveclemarxismededoutessurlepro-grès et la raisonbourgeoise?

MichaëlLöwypenchepourun«marxis-mewébérien»quiatouslestraitsd’unpes-simisme révolutionnaire. A l’heure desdésillusionsduprogrèsetdes inquiétudessur l’avenir de la planète, cette traditioncachée du «marxismewébérien» est pluspertinente que jamais. Michael Löwy ensuit la trace chezGeorg Lukács (1885-1971),ami de Weber et philosophe marxiste,mais aussi dans le catholicisme subversifde la «théologiede la libération». Il va jus-qu’à déceler chez Weber la thèse non for-muléed’une«antipathieculturelle»entrecatholicisme et capitalisme, sorte decontrepoids à l’«affinité élective» entreprotestantismeet capitalisme.

Ce souci de battre en brèche les idéesreçues qui circulent sur l’œuvre wébé-rienne anime aussi Tensionsmajeures, deMichel Lallement, sociologue du travailau CNRS. L’auteur combine la réflexion laplus abstraite sur le droit et l’économieavec des considérations sur l’amour. Ilpart du principe que la biographie del’homme Weber peut contribuer à unemeilleure intelligence de ses concepts. Acondition qu’on ne fasse pas de sa socio-logie un simple «reflet» du personnagemais, au contraire, qu’on prenne cette viecomme le point de départ d’une «réflexi-vité» qui dépasse les limites de la vie per-sonnelle et de l’individu.

Or, depuis la parution en Allemagned’unemonumentale biographie deWeberpar Joachim Radkau (Max Weber. Die Lei-denschaftdesDenkens,«MaxWeber.Lapas-sion de la pensée», Hanser, 2005, non tra-duit),abondammentcitéeparMichelLalle-ment, on en sait bien plus sur les chemins

de traverse empruntéspar cette existence,certesvouéeàl’étude,maisplusrempliedepassionsamoureusesqu’onne le croyait.

Si de longues périodes de dépressionempêchèrent souvent Weber d’écrire, enrevanchesaréflexioninattenduesurl’éro-tisme comme source de « réenchante-ment dumonde» s’est nourrie du groupede femmes qui l’a entouré. Son épouseMarianne, avec qui il entretenait des rela-tionsplusamicalesquesexuelles,auraétédéterminante,mais aussi les liaisonsqu’ilentretint avec certaines de ses étudiantes,MinaTobler et Else Jaffé notamment, par-fois troublées par ses crises d’impuis-sance.Grâceàellesetàsafréquentationdela bohème munichoise du quartier deSchwabing, avant-garde 1900 du naturis-me et de l’amour libre, Weber aura, enpionnier, appréhendé les relations entreles sexessurunautremodequeceluide ladivisiondu travail.

Il y aurait donc un tout autre Weber,qu’on ne saurait cantonner à l’observa-tion atterrée de la raison instrumentale

écrasant l’individu. L’érotisme, par exem-ple, est à la fois désir de domination del’autreetvolontédebeautéetd’harmonie.Restituer l’ambivalence des phénomènessociaux, foyers aussi bien de raison qued’incohérence, telle pourrait bien être latâchedu sociologue.

Pourtant,c’est lepessimismequifaitdeWeber le jalon entre la sociologie d’avant1914 et la critique sociale à laquelles’adonne, dès les années 1930, autour deMax Horkheimer (1895-1973), la fameuseécolede Francfort.DansAutorité et éman-cipation,unouvrageapprofondi consacréau traitement de la notion d’autorité parce groupe d’intellectuels qui invente la«théorie critique», la philosophe KatiaGenel laisse entrevoir, entre autres, l’im-portance de la dette contractée enversMaxWeber.

Làencoreseposelaquestiondesavoirsil’homme peut échapper à une rationalitéinstrumentaleécrasantequiletransformeen rouage et qui rend sa liberté impensa-ble. Peut-on échapper à la «cage d’acier»de la modernité technique par la simpleconnaissance de la sociologie? Pour lespenseurs de Francfort, comme plus tardpour Pierre Bourdieu, le savoir sociologi-que est une des voies de l’émancipation.Ainsi, expose Katia Genel, Max Horkhei-mer et son cercle s’efforcent-ils de conce-voir l’autorité comme une forme d’obéis-sance compatible avec la liberté,mais quiengendre parfois aussi la «personnalitéautoritaire» – celle qu’ils ont vue à la ra-cinedufascisme.L’autorité,pourl’écoledeFrancfort,comporteàlafoisunepromessede rationalisation de la violence et le ris-que de dégénérer en «autoritarisme», cequi seproduit quand ladominationse faitpasserpour l’ordredes choses.

C’est enmettant en évidence l’ambiva-lence de la raison, poison autant que re-mède, que le legs de Francfort se révèlewébérien, tributaire commenous-mêmesdesoutils que le sociologuedeHeidelberga forgéspournous.p

«MarxetWeber sont indispensa-blespour comprendre lemondedans lequel nousvivons (…). Cer-tes les outils théoriquesde cesdeuxauteursne sontpas tou-jours suffisantspourcompren-dre certaines réalitésactuellesmais ilsn’en sontpasmoinsabso-lumentnécessaires. Carplusquejamais, et plusqu’à l’époquedeMarxoudeWeber,nous sommessoumisaupouvoir total de for-ces impersonnelles– lemarché,la finance, ladette, la crise, le chô-mage–qui s’imposentaux indivi-dus commeundestin implaca-ble. Jamaisautantqu’ànotreépo-que les règlesd’acier de la civili-sationcapitaliste industriellemodernen’ont exercéune tellecoercitionsur les populations.»

LaCaged’acier, p.192

«A l’instarde l’économie,MaxWeberabordeavant tout les rela-tionsentre les sexesàpartir d’in-terrogations sur la rationalisa-tiondumondemoderneavecuneattentionparticulièreportéeendifférents endroitsde l’œuvreauxaffinités électives entrecroyances religieuses etprati-ques sexuelles. Il est illusoireparconséquentd’espérer compren-dre le pointde vuedeMaxWebersur les relations entre les sexes etsur l’érotisme sansprendre enconsidérationce qu’il écrit sur lesujet.Mais onnepeutnonplusignorer –posturedéjàplus icono-claste– combien,à cepropos tou-jours, la trajectoirebiographiquedeMaxWeber apupeser dans labalancede ses opinions.»

Tensionsmajeures, p.154

«C’est commesi les théoriciens(de l’écoledeFrancfort)n’avaient cesséd’êtreauxprisesavec les outilsdeWeber (…). Dansl’analysedu fascisme,Adornoproposeune conceptualisationqui réunit deux idéeswébérien-nesparaissantexclusives l’unede l’autre, la rationalisationbureaucratiqueet l’idéed’un lea-der charismatique,queWeberavaitarticuléàd’autres fins (…) :l’oppositionest tracée entreunpouvoir tendantvers le pouvoircharismatiqueet irrationnel et seservantdesmécanismesde ratio-nalisationdudroit en les détour-nant, et une libertéprotégéeparla rationalitémais toujours sus-ceptibled’être instrumentaliséeàdes fins économiques.»

Autoritéet émancipation, p.298-299

LaCaged’acier.MaxWeber et lemarxismewébérien,deMichael Löwy,Stock, «Unordre d’idées», 196p., 18¤.Malgré sonhostilité au socialisme,l’œuvreprotéiformedeMaxWeber faitapparaître de nombreuses «affinitésélectives» avec celle deKarlMarx.Le pessimisme intellectuel dupremierou la révolte du second contre le capita-lisme sont à la base d’une traditioncritiquequi se révèle nécessaire pourpenserunemodernité plus oppressanteque jamais.

Extraits

L’érotisme està la fois désirde dominationde l’autre etvolonté de beautéet d’harmonie

Traversée

PLAINPICTURE/CULTURA

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Frères ennemisFilsdupoète ItzhakShalev,Meir Sha-levn’estpas aussi connuque sa cou-sine, ZeruyaShalev, sansdoute l’unedesmeilleures romancières israélien-nes. Est-ceparcequ’il quitte rarementsaGaliléenatale?Ouparcequeseslivres, pourtant très drôles, sontempreintsd’unegrandenostalgie?C’estque, nourrideCervantèset deGarciaMarquez,Meir Shalevest unamoureuxdesbonneshistoires.Unconteurhorspair qui a ledonderéveiller les souvenirs: «Le souvenir,c’est lui le responsablede tous lesromansen trois tomes»,disaitundesprotagonistesduBaiserd’Esaü (AlbinMichel, 1993).De fait, les romansdeShalev sontpresque tousbâtis surdesréminiscences– ainsi dudernier,Magrand-mère russe et sonaspirateuraméricain, l’histoirededeux frèresrivaux. L’un, sioniste et socialiste, paiechèrementson idéalisme; l’autre, ensevendant aucapitalismeaméricain,changedeprénom(YeshayahouestdevenuSam).Aussi, quandcedernieroffreà l’épousedupremier –unenévroséede lapropreté –unaspira-teurGeneral Electric, c’est la guerre. Etl’occasionpourMeir Shalevdedres-serun sublimeportrait de cette fem-mehorsnorme. p Emilie GrangerayaMagrand-mère russe et sonaspirateur américain, deMeir Shalev,traduit de l’hébreu par S.Cohen, Gallimard,«Dumonde entier», 240p., 18,90¤.

Retour explosifAudépart, on se dit qu’ona déjà lucettehistoire : un émigré sud-afri-cain, blanc, afrikaner, homosexuel– sainte trinité romanesque, dont leséditeurs français semblent friands –,revientdans sonpaysnatal. Ou, plu-tôt, dans sonpatelinnatal: Alfred-ville est ungros bourgduLittleKaroo, l’unedes provinces les plusafrikanersd’Afriquedu Sud– c’est-à-direblanche et restée fièrede l’être, dumoinsdans les conversa-tionsprivées. Peter, le héros, n’y a pasmis les pieds depuis plus devingtans. Son retour s’annoncedonc explo-sive. Il va l’être.Mais pas tout à faitcommeon lepensait. C’est là toute laforcede ce roman (le troisièmedeMichielHeyns à avoir été traduit enfrançais), thriller intimisteunpeu

tropvertueux,maispleind’allant, qui sedévored’une traite.p

Catherine SimonaUnpassé ennoir etblanc (Lost Ground),deMichiel Heyns, traduitde l’anglais (Afrique duSud) par FrançoiseAdelstain, Philippe Rey,250p., 18¤.

UnItalienenRussieAprès l’excellent Si tu retiens les fau-tes (Gallimard, 2009), AndreaBajanirevient avecToutes les familles, à lafois roman familial, voyagede forma-tion etméditation sur la douleur. Sonprotagoniste, Pietro, part pour la Rus-sie sur les tracesde songrand-père.Celui-ci, pendant la secondeguerremondiale, a combattu avec l’arméeitaliennesur le front russe.Une expé-riencequi l’a traumatisé et l’a rendufou. Pas à pas, à travers l’immensitédespaysages russes, Pietro va saisirles souffrances éprouvéespar sonaïeul,mais aussi le secretde sapartici-pationauxmassacres qui ont eu lieusur les rives duDon. Avecune sensibi-lité aiguë et unegrandemaîtrise de lalangue, Bajani nousproposeunedes-centedans lesmystères d’une familleet les labyrinthesde lamémoire. Ce

quine l’empêchepasd’avoirun regardorigi-nal sur la Russied’aujourd’hui.p

FabioGambaroaToutes les familles(Ogni promessa),d’Andrea Bajani, traduitde l’italien par VincentRaynaud, Gallimard,312p., 23,90¤.

Sans oublier

Hantéparunfantômedechairetd’osLarééditiond’undesromans lesplusmystérieuxet inquiétantsduRusseblancGaïtoGazdanov

Josyane Savigneau

Ce n’est pas la première fois queViviane Hamy publie un livre deGaïtoGazdanov. Elle amême prisle titrede l’und’eux,Cheminsnoc-

turnes, pour désigner sa collection deromansnoirs.Mais LeSpectred’AlexandreWolf, qui convie le lecteur à un étrangevoyage, à une méditation sur l’existenceet le hasard, a eu lui-même un singulierdestin. Publié en 1947, traduit en françaischez Robert Laffont en 1951, il a été long-tempsoublié, commesonauteur.

Né en 1903 à Saint-Pétersbourg,Gazda-nov a interrompu ses études en 1917 pours’engager dans l’Armée blanche. Il s’estensuite exilé en Turquie, puis à Paris, en1923. Il y a exercé divers métiers, notam-ment chauffeur de taxi, la nuit, tandisqu’il écrivait ses livres, en russe, dans lajournée. Il s’estenfin installéàMunich,où

ilatravaillépouruneradio. Ilyestmorten1971, sans avoir obtenu la reconnaissancede son œuvre littéraire – neuf romans etde nombreuses nouvelles. Pour mieux leconnaître et le comprendre, on lira avecprofit l’excellente postface au Spectred’AlexandreWolf d’Elena Balzamo – qui atraduit certainsde ses textes.

Le narrateur de ce roman ressemblebeaucoup à Gazdanov. On est dans lesannées 1930. Il est russe, exilé à Paris,après avoir servi dans l’Armée blanche.Jeunejournaliste,ilesthantéparunsouve-nir. Soldat à 16 ans, il a tué unhommequivenait d’abattre soncheval et lemenaçait.En dépit de sa nouvelle vie, il ne parvientpas à oublier ce meurtre. D’autant qu’enlisant un recueil de nouvelles en anglais,I’ll Come Tomorrow, d’un certain Alexan-der Wolf, il découvre le récit du momentterribledesa jeunesse,vuducôtédelavic-time, laissée pour morte, mais qui avaitsurvécu.

Bienqu’ilpeineàycroire, ildécided’en-quêter auprès de l’éditeur londonien.Celui-ci lui affirme qu’AlexanderWolf estbritannique,qu’iln’a jamaisquittél’Angle-

terre, mais qu’il est impossible de le voir.Toutefois,curieusement,àlafindel’entre-tien, il précise à son interlocuteur qu’ilaurait été bien avisé de le tuer, de ne pasrater son coup.

Abusde vodkaDe plus en plus perplexe, de retour à

Paris, il parle de Wolf à un Russe qu’ilconnaît. Que «SachaWolf» puisse passerpourAnglaisamusebeaucoupleditRusse,Voznessenski. Mais même sa propensionà l’abus de vodka ne permet pas de dissi-per le mystère. Malgré tout, il faut bienvivre, et le narrateur revient à ses occupa-tionsjournalistiques.Le lecteur,aussiper-duque lui, préfère le suivre àunmatchdeboxe – magnifiquement raconté. Il y ren-contreunefemmeséduisante,Elena,etoncroit que l’histoire se transforme enroman d’amour. Mais il en faudrait pluspour faire disparaître le spectre d’Alexan-dreWolf.

Pour se libérerdes fantômes, riende telqu’un rendez-vous avec une personne enchair et en os. Est-ce qu’une conversation,avecWolf, venuàParis et présenté aunar-

rateur par Voznessenski, va clore toutecette aventure? Bien au contraire, elle lacomplexifie. Les méditations sur l’exis-tenceauxquellesconvieWolf sont inquié-tantes, le malaise grandit, pour le narra-teur comme pour le lecteur. Pourquoi, enpartant, Wolf demande-t-il qu’on se sou-viennedecettephrasedeDickens:«Lavienous a été donnée à la condition formellede la défendre résolument jusqu’à notredernier souffle»? Gazdanov aurait pu enresterà cettemorale. Il a inventéune fin, àlaquelleonnecroitguère,maisqui luiper-met de répondre à la question que seposait sans cesse le narrateur: «Suis-je ounonunmeurtrier?»p

Marie Jégo,correspondante àMoscou

Pour une plongée dansla Russie authentique,loin du faste tapageurde Moscou, la capitalefrivole et mondialisée,il n’est pas meilleur

guidequel’écrivainEvguéniGrich-kovets. Recueil de six récits, sonnouveau livre, Le Taquet, se litd’une traite, comme on boit unpetit verre de vodka.

Riendeplusplaisantquedesui-vre l’auteur à travers la gloubinka,la Russie profonde. Les paysagessontmornes, laneigeestomnipré-sente, les héros sont on ne peutplus ordinaires, les situations aus-si, mais le livre se dévore commeun roman d’aventures. De façondésopilante et terriblementhumaine,LeTaquetracontelequo-tidiendes hommeset des femmesde ce pays, à la fois si proche del’Europeet si lointain.

«La Cicatrice» décrit les déboi-res de Kostia, un provincial quirêvedeMoscouet de ses lumières,cherche l’argent nécessaire auvoyage et trouve par terre un por-te-monnaie bien garni qu’il vas’empresser de rendre à sonpropriétaire, un ingrat qui lui cla-que la porte au nez. Il regretteamèrement son geste. «On peutsavoirpourquoituasfaitça? (…)Tute prends pour Dieu ou quoi ? »,questionneIouri, soncamaradedebeuverie.

Beuveries encore dans « LeTaquet»,dontlehéros, IgorSemio-novitch, un ancien boxeur, a lespoings qui le démangent, surtoutquand on le cherche. Il ressentalors une sorte de fêlure en lui,« comme si un taquet invisibles’abattait» pour le libérer de lapeur,de ladouleur.Ce taquet, c’estla désinhibition façon russe.

Entièrement autobiographi-que, le premier récit, qui est aussile plus long du recueil, « LesAutres», s’ouvresurunintermina-blevoyageentrain-couchettes,his-toiredeprendrelamesuredel’infi-nité du territoire russe. Destina-tion : Vladivostok, ou plutôtSovietskaïa-Gavan, une rade duPacifique où mouille Le Furieux,un vaisseau anti-sous-marin.L’auteur, jeune appelé de 20 ans, y

serafinalementaffecté.NéàKeme-rovo, région minière de Sibériesituée loinde lamer, il rêvede rou-lis et d’aventures. La vie sur unnavire, espère-t-il, lui permettrade voguer vers «une mystérieuseet imminente vie future».

L’attente est forte car le«débourrage», les six premiersmois du service militaire, d’unedurée totale de trois ans dans lamarineà l’époque soviétique (l’ac-tion se situe en 1987, l’URSS s’esteffondrée en 1991), a été ponctuéde «corvées stupides, humiliationsde toutes sortes, épuisement etenvies permanentes de dormir» :en fait, un strict lavagede cerveau.

Comme toujours en Russie,tout commence par une décep-tion. Le Furieux, cette «peloted’acier avec partout des gens», esttropgrand,tropimpersonnel, tropglacial. La pitance est infâme, lesquartiers sentent « le jeune post-pubère à l’hygiène approxima-tive», lesmatelots tatouésàmous-tacheneprêtent aucuneattentionà l’arrivée des nouvelles recrues.« Ce qui les décevait, nous nel’avons compris que plus tard, c’estquenousétionspartisdecheznousdepuis plus de six mois. Ce qui fai-sait de nous des journaux défraî-chis»,décrypte l’auteur.

De cet univers aride jaillissentdespersonnageshautsencouleur,tel Khamovski, l’enseigne de vais-seau qui châtie ses subordonnés àcoups de taloche, ou encore lematelotDjamal,unGéorgien,com-pagnon d’infortune de l’auteur,sauvé des insanités que lui profè-rent ses supérieurs par sa piètreconnaissance du russe. Le rapport

dominant-dominé décrit dans cerécit est une clé fondamentalepour comprendre la Russie actu-elle, rattrapéepar sonpassé totali-taire, obnubilée par l’uniforme etla subordinationbrutale.

Il y a le décor et les coulisses. Enapparence, Le Furieux pourraitimpressionner. Mais, en réalité, ilsuinte la rouille, des soutesaubas-tingage, ce qui lui vaut de l’équi-page le surnom de « Furoncu-leux». On est en 1987 et les mate-lots de corvée de déneigement ne

connaissent pas la pelle, ilsdéblaient le pont«avecun couver-cle de caisse en contreplaqué».

L’absurdité domine, comme cejour où Khamovski contraint lesdeux recrues à porter un énormetransformateur antédiluvien etrouilléde60kgpendant11kilomè-tres, jusqu’àsemettre lesmainsensang, pour découvrir au final quel’objet, trop volumineux, ne peutfranchir l’écoutille dunavire.

«Demain, on le rapporte où onl’apris !»,ordonneKhamovskiauxdeux matelots médusés. Révoltede Djamal le Géorgien, qui jette levieux transformateur rouillé par-dessus bord. Réaction molle del’officier: «Après tout qu’il aille sefaire foutre ce transfo…»

Nouvel espoir de la scène litté-raire postsoviétique, EvguéniGrichkovets est arrivé à l’écriturepar le théâtre. En 1999, il a conquisle public moscovite grâce à sonspectacle Comment j’ai mangé duchien,où, seul en scène, il faisait lerécit humoristique de ses années

de service militaire dans la flotteduPacifique. La critique lui a alorsattribué le Masque d’or, la récom-pense théâtrale la plus presti-gieusedupays.

Courtisé, il n’en deviendra pasmoscovite pour autant, préférantcouler des jours tranquilles àKaliningrad, enclave russe auxportes de l’Europe, conquise parl’Armée rouge en 1945.

«Le provincial a un atout deplus: il peut toujours déménager àMoscou. C’est une possibilité. Depar mon caractère, j’ai besoind’avoir cette opportunité, justepourne jamais l’utiliser», confiait-il récemment. Un «néoromanti-que urbain» attaché à décrire « lespetites fourmis»desvilles de cetteRussie lointaineetméconnue,voi-là comment il se définit.p

Dramaturge,romancier,nouvelliste,EvguéniGrichkovetsestl’espoirlittérairedecetteRussiequiexisteloindeslumièresdeMoscou.Sonrecueil«LeTaquet»entémoigne

LaviequotidienneenAbsurdieprofonde

Littérature Critiques

Une clé fondamentale pourcomprendre la Russie actuelle,obnubilée par l’uniformeet la subordination brutale

Le Taquet (Planka),d’EvguéniGrichkovets,traduit du russepar StéphaneA.Dudoignon,Bleuautour, 240p., 19 ¤.

Le Spectre d’AlexandreWolf(PrizrakAleksandraVol’fa),deGaïtoGazdanov,traduit du russepar JeanSendy,VivianeHamy, 180p., 18 ¤.Signalons, dumêmeauteur,la parution enpocheduRetourduBouddha, traduit du russepar Chantal Le BrunKeris, VivianeHamy, «Bis», 188p., 9 ¤.

En Sibérie.STEEVE IUNCKER/AGENCE VU

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Jean-Louis Jeannelle

On nomme souventGuillaume Apolli-naire « l’Enchan-teur» ; l’épithètepourrait tout aussibien s’appliquer à

Blaise Cendrars (1887-1961).Durant sa jeunesse, celui-ci futcélèbre avant tout comme poète :en1912, sesPâquesàNewYork fontentendre une voix puissante, jus-qu’alors inconnue. Après la Gran-de Guerre, c’est un roman, L’Or,qui lui apportesonpremiersuccèsgrand public en 1925. Enfin, à par-tir des années 1930, on le connaîtcomme reporteur et «bourlin-gueur»;c’est lui,d’ailleurs,quifaitentrer le verbe «bourlinguer»dans le dictionnaire.

Sous chacune de ces facettes,Cendrars est l’écrivain du mouve-ment, de l’ailleurs, de l’inattendu.La Prose du transsibérien, songrand poème paru en septembre1913 sous forme d’un livre verticalillustré d’une «harmonie de cou-leurs» aupochoir par SoniaDelau-nay, en est le symbole : « En cetemps-là, j’étais en mon ado-lescence/ J’avaisàpeine seizeansetje ne me souvenais déjà plus demonenfance/J’étaisà16000lieuesdulieudemanaissance…»Lamusi-

queavait été l’art frèrede la littéra-ture à l’époque symboliste ; audébutdesannées1910,c’estlapein-ture et l’ensemble des arts plasti-ques qui jouent ce rôle : à l’amourde la mélodie se substitue unequête de simultanéité. La voiture,le train, l’avion, le téléphone, laTSF…: l’époqueest à la vitesse.

Un tout cohérentCe n’est pourtant ni le poète, ni

le romancier d’aventures, ni lebourlingueur qui entre aujour-d’hui dans «La Pléiade», mais ledernierCendrars, leplusattachantpeut-être, l’auteur de ces livresétranges, qu’il décrit comme des«Mémoires sans être des Mémoi-res…». L’Homme foudroyé (1945),La Main coupée (1946), Bourlin-guer (1948) et Le Lotissement duciel (1949) forment un tout cohé-rent, que complètent d’étonnantstextes de jeunesse. Parmi eux setrouvent en particulier les frag-ments d’un premier projet auto-biographique, auquel il avait pen-sé donner ce titre lumineux: Sousle signe de François Villon. Mais nenous y trompons pas : l’écrivainn’a jamais suivi de plan; dans cha-cun de ces livres, il invente unemanière totalement inédite de seraconter. La tétralogie n’en im-pose pasmoins une voix propre àfaire, enfin!, de Cendrars l’un desplus grands autobiographes de cesiècle, avec André Gide, Jean-PaulSartre, Michel Leiris ou NathalieSarraute.

Professeur émérite de l’univer-sitéParis-X-Nanterre,ClaudeLeroyvoit ici l’aboutissement de touteunecarrièrevouéeàl’éruditioncen-drarsienne.Uneéruditionquetem-père dans cette édition de «LaPléiade» une véritable empathiepour l’extraordinaire «mythobio-graphe» que fut Blaise Cendrars.Son amputation, pendant laguerre, du bras droit (« son bras

d’écrivain et de guerrier») contrai-gnit le poète à renaître à l’écrituredesoncôtégauche.Il luifallutalorsse réinventerdans lamaladresseetla douleur, mais libéré des vainesrivalités germanopratines et descanons de la bienséance esthéti-que. Chez Cendrars, la distinctionentre sincérité,mythomanieet fic-tion n’a plus cours. Bouleversantdemanièreradicaletoutechronolo-

gie, il délaisse les personnages his-toriques au profit d’inconnus qu’ilérige en figures inoubliables – telOswaldoPadroso, de son vrai nomLuiz Bueno de Miranda, proprié-taire de la fazenda (domaine agri-cole) du Morro Azul dans l’Etat deSãoPaulo,qui inventauneconstel-lation baptisée «Tour Eiffel sidé-rale» (jamais reconnue, et pourcause, par la Société astronomiquede France) et vécut longtempsrecluspar amourpour SarahBern-hardt, à laquelle il écrivait chaquenuit des poèmes cachés avec soindans un coffre-fort. Cendrars faitde sa vieune série d’épisodes aussiétourdissants que ceux du romanle plus débridé, au style d’unesophisticationetd’unebeautééga-les à La Règle du jeu (1948-1976), deMichelLeiris.

Tout y devient sujet d’un émer-veillement semblable à celui dujeune Cendrars guettant, à 11ans,«peigné, brossé, cosmétiqué», labelle Liane de Pougy, son premieramour d’homme, avenue Victor-Hugo: «Quandelle descendait l’es-calierde sonentresol, je lui cédais lepas enm’écrasant contre le mur etje lui tirais un grand coup de cha-peau en rougissant jusqu’à la ra-cinedescheveux, jem’inclinaispro-fondément pour cachermon émo-

tion mais aussi pour suivre desyeux sa robe froufroutante quibouillonnait derrière elle, casca-dant d’une marche sur l’autre jus-qu’au bas de l’escalier tournant, cequimeremplissaitd’untroublefaitd’admiration et de consternationetmefaisaitplussûrementtournerla tête que le vertige de ses effluvestourbillonnantdans son sillage.» Ilvasansdirequeson«ange» (lafor-mule est empruntée à Balzac) nel’ajamaisremarqué.Marcel, lenar-rateur d’A la recherche du tempsperdu, usait du même subterfugepour approcher la duchesse deGuermantes: chez Cendrars, nullestratégie pour accéder aux salonsles plus exclusifs de l’aristocratie,nulle reconquête d’un temps per-du; le passé est à saisir par éclats,commececoupd’œil sur les frous-frous d’une robe. Il est tendre etcruel, drôle et mystique, hétéro-gène et toujours aussi surprenantqu’aupremier regard.p

LesparentsterriblesdelapoésiemoderneLaurenceCampasigneunebiographied’Apollinaireainsiquel’«AlbumCendrars»

e n t r e t i e n

D’autresparutions

S A M U E L B R U S S E L LMétronome vénitien (Grasset)

« Brussell nous charme avecce livre. Il arrive à vivre

heureux, fait mourir la mortle plus souvent. »

VINCENT JAURY, Transfuge

« Ce merveilleux Métronomevénitien bat la mesure d’unemusique qui pourrait être

aussi d’avenir. »MICHEL AUDÉTAT, Le Matin

« Ce pèlerin passionné et polyglotte évoqueces aventuriers de l’esprit dont fut prodigue le siècle

des Lumières… Un livre délicieux qui confèreà Samuel Brussell, patricien de haute culture,des lettres de noblesse dans la Sérénissime. »

BRUNO DE CESSOLE, « Éloge du bon Européen », Valeurs actuelles

Spécialiste de Guillaume Apolli-naire (1880-1918), Laurence Campaconsacre à cet écrivain unemonu-mentale biographie, à la fois pré-

cise, élégante et sensible, cela aumomentmême où elle publie l’AlbumCendrars de«La Pléiade». Cette double parution réu-nit deux des plus grands écrivains del’avant-garde historique. Leur créativité aatteint une puissance inégalée dans lesannées 1912-1913, vite balayée par la pre-mière guerremondiale.

Entre Cendrars et Apollinaire, une que-relle a longtemps fait rage: enaoût1912, lejeune auteur des Pâques à New York est àParis, seul et sans le sou. Il adresse sonmanuscrit à Guillaume Apollinaire, afinde le faire paraître dans la revue Le Mer-cure de France, mais le texte lui est ren-voyé, sans unmot, deuxmois plus tard. Acette époque, Apollinaire est en pleinerédaction de Zone. Jusqu’à présent, lesspécialistes de sonœuvre doutaient qu’ilait réellement eu accès aux Pâques, alorsque les «cendrarsiens» traquaient dansZone toutes sortes d’emprunts, à leursyeuxmanifestes.

Aqui revient la paternité de la poésiemoderne? Entre ces deux écrivains,est-il possible (oumêmedésirable) detrancher?

On a récemment découvert une lettredeCendrars à son frère qui prouveque les«Pâques» ont bien été postées à l’adressepersonnelle d’Apollinaire. L’interpréta-tion la plus plausible est que ce dernier aété frappé de leur proximité d’inspira-tion: il lui a donc fallu se démarquer, enparticulier dans l’agencement de Zone. Il

n’yapaseuplagiat,maisApollinairea trèscertainementété embarrassépar l’arrivéesur la scène littéraire de ce cadet ambi-tieux.Toutesavie, Cendrars lui enavouludenepasavoirreconnucettedette.Apolli-naireestdevenuunami,maissapersonna-lité ondoyante, insaisissable même, s’ac-commodait mal avec celle de Cendrars,plus franc et plus querelleur. Dès ledépart, tous deux ont su qu’ils allaients’encombrer.

Leur caractère n’était-il pas aussidissemblable que leur esthétique?

Cendrars est l’homme de tous lesdéparts, d’une inventivité formelle sansbornes. La position d’Apollinaire est pluscomplexe: situé au cœur de la vie litté-

raire et artistique, il ne prône pas larupture, ainsi que le feront par lasuitelessurréalistes,maistenteplu-tôt d’être moderne sans renier lesanciens, autrement dit regarde enmême temps en avant et en arrière.Le poète André Chénier (1762-1794)avait cette formule : «Sur des pen-sers nouveaux faisons des vers anti-ques.»Apollinaire se l’approprie enla renversant : « Sur des pensersanciens faisonsdes vers nouveaux».

La guerre ne les a-t-ellepas réunis?

Oui. Tous deux sont d’origineétrangère (suisse pour Cendrars, néFrédéric Sauser, et polonaise ayantgrandien ItaliepourApollinaire,néWilhem de Kostrowitzsky) : leurengagementvolontaireestungeste

très symbolique. Cendrars perdra sonbras droit le 28septembre 1915, Apolli-naire sera blessé à la tempe droite le17mars 1916 – ilmourra de la grippe espa-gnole deux jours avant l’armistice. Maisen réalité, ils n’ont pas fait la même

guerre.Lepremierétaità lapointeducom-bat dans la Légion, le second artilleur,autrementdit justederrière lespremièreslignes. Plus déterminant encore,l’«Enchanteur»necessera jamaisd’écrire–deslettres,desarticlesetsurtoutdespoè-mes (une grande partie de Calligrammestraite de la guerre) –, alors que Cendrarscessera toute activité littéraire, puis rom-pra (non sans peine) avec la poésie aprèsson amputation. Jusqu’au bout, il s’éton-nera que son aîné ait pu «faire des rimesdans les tranchées».

Apollinaire, en particulier, résiste àtoute synthèse. Quel rapport entre les«calligrammes» et les «anecdotiques»,ou entre l’auteur des «Onzemilleverges» et celui des «Poèmes à Lou»?

C’est vrai, le goût d’Apollinaire pourl’érudition, le fait curieux ou la poussièrede l’actualité littéraire, tout ce qu’il ap-pelle l’anecdotique, peut dérouter. Cen-drars bourlingue, Salmon (André Salmon,1881-1969, autre poète et défenseur ducubisme) erre et Apollinaire flâne – maispas de cette flânerie systématique ethyperconsciente qui sera celle des sur-réalistes.

Nous avons dumal à nous imaginer cequ’il représentait. D’un côté, il exerçaitune sorte de magistère moral et esthé-tique sur les écrivains ou les artistesacquis à l’Esprit nouveau,mais de l’autre,les auteurs de La NRF l’ignoraient assezlargement. Le danger est bien celui del’illusion rétrospective. De même s’éton-ne-t-on aujourd’hui que Cendrars entredans «La Pléiade» si tard (près de cin-quante ans après Apollinaire). Mais c’estprendre pour acquis ce qui a été le fruitd’unetrèslongueconquête: ilyauneving-taine d’années, cette reconnaissanceaurait été impensable.p

Propos recueillis par J.-L. J.

Les éditions suisses Zoéfêtent aussi le cent cinquante-nairede l’auteurde L’Or.Elles inaugurentainsi la col-lection«Cendrars en touteslettres» par deuxvolumes: lapublicationde la correspon-dancedeBlaiseCendrars etHenryMiller (1934-1959), indis-ponibledepuis dix ans (Je tra-vaille à pic pour descendreenprofondeur, lettres présentéespar Jay Bochneret ChristineLeQuellecCottier, 352p., 27,50¤),et celle, inédite, desmissiveséchangéesde 1920à 1959parl’auteurdeMoravagineet l’uni-versitaireRobertGuiette (Nem’appelezplusmaître, lettresprésentéesparMichèleTouret, 192p., 19¤).Les éditionsZoépublient égale-mentun coffret d’entretiensradiophoniquesavecBlaiseCendrars (Sous le signe dudépart, 2CD, 23 ¤).

Critiques Littérature

GuillaumeApollinaire,de LaurenceCampa,Gallimard,«NRFBiographies»,864p., 30¤.

L’AlbumCendrars,de LaurenceCampa, 248p.,est offertjusqu’au31août pourl’achatde trois«Pléiade».

Œuvresautobiographiquescomplètes,deBlaise Cendrars,Gallimard, «BibliothèquedeLaPléiade», édité par ClaudeLeroyetMichèleTouret, 2tomessous coffret, 2272p., 105¤jusqu’au31août, 120¤ ensuite.

Pourles150ansdelanaissancedu«bourlingueur»,«LaPléiade»réunitsestextesautobiographiques– aussisincèresquefictifs

BlaiseCendrars,«mythobiographe»

HENRIMARTINIE/ROGER-VIOLLET

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SofiOksanenappuielàoùçafaitmalLaromancièrefinlandaise,dontlamèrevientd’Estonie,poursuitsontravailsurlesannéesnoiresdupetitpaysbalteavec«Quandlescolombesdisparurent»

Nils C.Ahl

Si certainslivresvoient lejourpresqueparhasardou par accident, à lafaveur d’un événementinattendu, ce n’est pasle cas de Quand les

colombes disparurent, livre néces-saire, à l’inspiration «ancienne etmultiple» : hybride à l’image desonarchitecture,desesvoixnarra-tives et de ses différentes intri-gues. Ce roman de la double occu-pation nazie puis soviétique despays baltes complète, en remon-tantletemps,lapeintureromanes-quede l’Estoniecommencéepar laFinlandaise Sofi Oksanen dansPurge et Les Vaches de Staline(Stock, 2010 et 2011) – avec un cer-tain esprit de suite que reconnaîtla romancière finlandaise. « J’aiprobablement décidé d’écrire celivre pendant la rédaction dePurge, avance-t-elle. A un certainmoment, j’ai su qu’il me faudraitrevenir sur ces années 1940. Aprèsavoir publié plusieurs romans oùles femmesdominent la narration,où les intrigues se déroulent dansles coulisses de l’Histoire, j’avaisaussi envie d’évoquer le devant dela scène. De confier l’essentiel durécit à des hommes.» Elle poursuitavec le sourire de l’évidence: «Carce sont les hommes qui ont long-temps écrit l’histoire officielle.»

Cette curiosité pour l’histoireofficielle est à l’origine de Quandles colombes disparurent. L’un deses personnages principaux,Edgar, en est même un rédacteurautorisé – soviétique – dans lesannées 1960. Informateur au ser-vice des Allemands pendant laguerre, historien communisteaprès, Edgar est toujours du côtédes vainqueurs, au contraire deson cousin Roland, qui lutte envain pour l’Estonie indépendante.Entre les deux parents, une fem-me: Juudit. Amoureuse d’un offi-cierallemand,elleépouseraEdgar.Leurstroisrécitsalternent,à lapre-mièrepersonne(pourRoland)ouàla troisième(pour Juudit et Edgar),passant des années 1940 auxannées 1960.

Rapports de police«Les trois personnages se sont

imposés pour des raisons différen-tes, explique Sofi Oksanen. J’avaisenvie, depuis très longtemps, dejouer avec la figure biblique deJudith,une figureconvenuede l’his-toiredel’art,maisinhabituellementviolente et sauvage. Les deux hom-mes n’ont rien à voir, ce sont desincarnations détournées de l’His-toire, celle des vaincus et celle desvainqueurs.» En dépit d’unenarra-tion éclatée, le trio fonctionne. Lestrois personnages, denses et indé-

pendants,sontprisdansunmouve-ment d’une rare cohérence, quiévite toute impressiondecollage.

Adolescente, quand Sofi Oksa-nen, née en 1977, imaginait deve-nir écrivain, l’Estonie ne l’intéres-sait pas : «Il s’agissait du pays demamère,duquotidien. Jenevoyaisrien d’intéressant à cela.» Aprèstrois romans qui lui font la partbelle, elle ne jure cependant pasd’en avoir terminé: « Je n’ai au-cune idée de mes livres à venir : ceseraithorrible.»Ses intriguesnais-sent parfois de ses recherches,comme dans le cas de Quand lescolombes disparurent, où elle seperddansla lecture,«fascinanteetdérangeante», des rapports depolice de l’époque, en particulierceux des nazis : «Les Allemandsétaient obsédés par l’opinion desgens ordinaires.» Mais la roman-cière finlandaise reconnaît aussiautre chosedans ces rapports – unstyle policier universel : « Tout esttoujours écrit à la forme passive.Quand nous étions en Estonie,nous étions suivis par le KGB et letéléphone était sur écoute. Ceuxquinoussurveillaientsavaienttou-jours où nous étions et de quoinous avions l’air. Mais pour nous,ils n’avaient pas de visage. On nesavait rien d’eux.» Edgar devien-

dra le visage de ces informateurset de ces agents, un homme«banal» avec une «vie de famillesans doute banale».

Comme dans ses deux précé-dents romans, on retrouve dansQuand les colombes disparurent legoût de Sofi Oksanen pour les his-toires absentes de la chroniquepopulaire et les personnagesoubliés des manuels. Juudit rendainsi la parole à des femmes trèspudiquement évoquées dans lestémoignages et les livres deMémoires: «La littérature mémo-rielle est très inégalement bavarde

selon les sujets. Jeme souviensd’unrecueil de témoignages fémininssur l’occupationnazie,où toutes lesfemmes connaissaient quelqu’unqui avait eu une relation avec unAllemand.Mais cen’étaient jamaisune confession de première main,c’était toujours quelqu’un d’autre,une copine de classe ou une cou-sine. » L’écrivain leur donne uncorps et un prénom. La gestationd’Edgar est similaire : souvenird’enfance, réalité historique gê-nante– à la fois celle des collabora-teurs et deshistoriens soviétiques.

Ces voix étouffées, tues, cellesqu’on ne veut pas entendre, han-tent les premiers livres de l’écri-vain, dont Roland est un ultimeexemple:«Il est lavoixde l’Estonieindépendante,cellede larésistanceaux Allemands puis aux Soviéti-ques. Une voix perdue d’avance,résignée, cachée dans les forêts. »Sofi Oksanen explique: «La rési-gnation face à l’Histoire et à unelogique de survie est au cœur de celivre.» Progressivement, en effet,lespersonnagesprennentdeladis-tancepar rapport à eux-mêmes, etfinissent par accepter leur destin:«C’est pour cette raison que je nepouvais pas arrêter mon récit auxannées 1940ou 1950.» Romanhis-torique et parfois épique, Quandles colombes disparurent est eneffet aussi le roman de l’Histoirequi se tait, s’écrit, et se transformeenarmepolitique.p

Unfestivald’étonnantsmarcheurs

Quandles colombesdisparurent(Kunkyyhkyset katosivat),de SofiOksanen,traduit du finnoispar SébastienCagnoli, Stock, «La cosmopolite»,400p., 21,50¤.Signalons, dumêmeauteuret dumême traducteur, la parutionenpoche desVachesde Staline,Le Livrede poche, 552p., 7,90¤.

C’est d’actualité

Lecynismedel’Histoire

ÀLAQUESTIONRITUELLE: «Qu’emporte-riez-vous surune île déserte?», préféronsdorénavantcelle-ci : «Quels livres glisseriez-vousdansvotre sacde randonnée?»Car,presqueautantque lespromeneursau longcours, les récits demarche, ces jours-ci, abon-dent.Hier, c’était «marcheou crève», aujour-d’hui«marcheet rêve».Quelques exem-ples? En février,Remonter laMarne,de Jean-ClaudeKaufmann(Fayard) ; enavril, Légère-ment seul (Phébus), journaldebord tenuparDanieldeRoulet lors d’unpéripleoù il aemboîté lepas auxmoinespartis d’Irlandequatorzesièclesplus tôtpour fonderdesmonastères, et L’Hommequimarche(Arthaud),duQuébécois JeanBéliveau,mili-tantde lapaix– 75000kilomètreset64paysparcourusenonzeans, 54pairesde chaussu-resbousillées; enmai, Sur le chemindes ducs,deBernardOllivier (Phébus), visiteàpieddelaNormandiedesvallées et bocages…Depuisplusieurs semaines, Immortelle randonnée.Compostellemalgrémoi,de Jean-ChristopheRufin (Guérin, 258p., 20¤) semaintientdansla listedesmeilleuresventes.Belle ascensionpourun titre signé, certes, parunacadémi-cien, PrixGoncourt 2001pourRougeBrésil,maisparuaucatalogued’unepetitemaisond’éditionbaséeàChamonix.

Et la liste pourrait bientôt s’allonger. LegénéticienAxelKhanprévoit de publierPen-sées en chemin,une fois achevée, le 1er août, àHendaye (Pyrénées-Atlantiques), sa traver-séede la France commencée le 8mai àGivet(Ardennes).«En route, jemepromets delaisser toute leur chance aux expérienceshumaines imprévues, insolites, émouvanteset riches. Je suis persuadéque la lenteurobstinéedupas humainest propice à de telsévénements», a-t-il écrit sur son site,Axelkahn.fr. Il y a fort à parier que JeanLassalle fera demême.Mi-avril, ce députéMoDema entrepris de rallierDunkerqueenpartant de l’Assembléenationale.

Récits jacquairesoupolaires,méditationsbotanistesouhygiénistes, essais romanti-quesoupolitiques, autantd’ouvragesqu’onsèmera,une fois lus, allègrementsur sa route,à lamanièredebornesoudepetits cailloux.

«Lamarcheavivemes idées»Pareilleprofusionpourrait fairecroireà

unfilonéditorial,unemodesaisonnièretra-duisantuneaspirationaudépouillement,unbesoindecontemplation,uneactivitédé-nuéedecompétition, contrepointauxéchan-gesvirtuels sur les réseauxsociaux,diraientles sociologues.Ceseraitméconnaître l’al-liancefécondedurythmedespasetde lapen-sée.«Jamais jen’ai tantpensé, tantexisté,tantvécu, tantétémoi, si j’oseainsidire, quedans lesvoyagesque j’ai faits seul etàpied. Lamarcheaquelquechosequianimeetavivemes idées», soutenait Jean-JacquesRousseaudansLesConfessions. VictorHugopartageaitsonavis:«Lamarcheberce la rêverie; la rêve-rievoile la fatigue. Labeautédupaysagecache la longueurduchemin» (LeRhin, 1842).

Cette tradition littéraire, où l’explorationépouse souvent l’introspection, l’anthologieEcrivains randonneurs (Omnibus, 992p.,28¤), sous la directiond’AntoinedeBaecque(collaborateurdu«Mondedes livres»), larappelle àpoint nommé.Cet ouvrage foison-nant rassembledes écrits demarcheurs deplaineoud’alpinistes, d’aventuriersdesgrands espaces oud’excursionnistesdudimanche.La Théorie de la dérive,deGuyDebord (1956), répondà la Théorie de ladémarche, de Balzac (1833). La randonnéenefutpas toujoursun loisir de rentier, le choixd’amoureuxde la nature comme le furentles philosophes et poètes américainsTho-reau, Emerson,Whitman,mais uneobliga-tion imposée, àmarche forcée, aux soldatset l’apanagede l’indigent. En 1794, Xavier deMaistre, lassé par l’abondancedes chroni-quesdeplein air, prouvait qu’onpouvait,dans 35mètres carrés, zigzaguer et oublierlesheures. Sonessai,Voyageautour demachambre,est unpetit chef-d’œuvred’ironieparodique.«Aprèsmon fauteuil, enmar-chant vers le nord, ondécouvremon lit, quiest placé au fonddema chambre, et qui for-me la plus agréable perspective.» En somme,tous les cheminsmènentà la littérature.

Ah! Unconseil tiré duGuide JoanneduDauphinéde 1905: auxmarcheursd’alti-tude, il est recommandé, afin d’éviter lescoupsde soleil, de s’enduire le visagede suieà l’aided’un bouchonbrûlé et, en finde jour-née, de délasser leurspiedsdansunmélanged’eau tiède et de vin sucré.pMacha Séry

JAMAISonne s’yperd, jamais onnes’y retrouve tout àfait. Dans ce romand’un rare équilibre,SofiOksanen impo-seune architecturenarrative très com-plexe sans jamaiss’écarter d’un récit

d’une simplicitéproverbiale.Nette-mentplus abouti que LesVaches deStaline (Stock, 2011, en fait sonpremierroman),Quand les colombesdisparu-rent est très probablementd’uneplusgrandeambition formelle et littérairequePurge (Stock, 2010, prix Feminaétranger). Les registres et les styles évo-

luent constamment, au gré d’une alter-nancede focalisations, d’allers-retoursentre les époques – sansque jamais lelecteur s’égare. En soi, il s’agit d’unpetitmiracle, qui confirme le remarquablesavoir-fairede l’écrivain.

A la fois romanhistorique, policier,psychologique, sentimental et deguerre,Quand les colombesdisparurents’amuseàbrouiller les pistes. Sonvérita-ble objectif est probablementailleurs,dansunepeinturemorale parfois verti-gineuse, où le cynismede l’Histoirel’emporte toujours sur les passions etles convictionshumaines.Même l’ab-sencedepassionoude convictionneprotègede rien (ouunmoment seule-ment): aussi glissant et caméléonque

possible, Edgar l’apprendraà sesdépens. La survie est une victoire éphé-mère, une escarmoucheremportéecontre le tempsqui passe, les armées,le pouvoir et l’altérité. Texte éclatéau cœurnoir, le récit est à l’imagede l’Histoire, implacable.pN.C. A.

«Assise au café Koltas, Juuditminaudaitde façon indécente,pourune femmemariée, devantun inconnu. Elle roucoulait et fai-sait la douce, passait lamaindansses cheveuxpour les aérer ou leslisser; pendant ce temps, Roland,qui flânait àun jet de caillou enfeignant l’insouciance, la voyaitflirter si nettement enpensée, qu’ilse heurtait sans cesseaux autrespassants. Rolandn’avait pas eu lacertitudequ’elle se conformeraità

sonplanavant de la voir sortir dela rueViru pour s’approcher ducafé et de laGalerie d’Art. Il avaitalors consenti à tourner les talons,rassuré, et à disparaîtredans l’ani-mationde la place de la Liberté,déployéedevant le café (…).

Unofficier allemandétait assisen face de Juudit, oui,mais cen’était pas le bon.»

Quandles colombesdisparurent,

pages155-156

Sofi Oksanen.DAVID SANDISON/RITER

PICTURES/LEEMAGE

Histoired’un livre

Extrait

6 0123Vendredi 14 juin 2013

Page 35: Le Monde newspaper

Harkis, l’histoireLes représentationsdes harkis qui se sontimposées en France et enAlgérie, quoiqueantagoniques (Algériens ayant choisi laFranced’un côté, traîtres et collaborateursde l’autre), ont figé les cadresd’interpréta-tiondemanièrepolémique. Lepremierméritedu livre de François-XavierHau-treuxest bien là : c’est un livre d’histoire. Etc’est le premier sur un sujet passionnant:l’engagementde centaines demilliers d’Al-gériensdansdes formations auxiliaires del’armée française enpleine guerre d’indé-pendance. Plutôt quedepartir de la fin, etnotammentdesmassacresdemilliers d’en-tre euxàpartir duprintemps 1962, l’histo-rien resitue ces engagementsdans la lon-guedurée coloniale: les supplétifs algé-riensde l’armée française furent une réalitéremontant à la périodede la conquête. Lelivre se concentre cependant sur la guerremenéede 1954 à 1962pour lemaintiende lasouveraineté française sur ce territoire.Aprèsunepérioded’hésitations, ondécidade recourirmassivementà ces hommesafinde combiner économiesdemoyens,avantages tactiques et actionpsychologi-que. L’historienmontrepourtant que laméfiancenequitta jamais les autorités fran-çaises, qui avaient bien consciencedesdilemmesauxquels étaient soumis ceshommesdont les actions et les choixétaient d’abordmotivéspar leur interpréta-tiondu contexte local dans lequel ils évo-luaient. Les circonstances locales pesèrentencore largementdans les premiers temps

de l’indépendance et ellespermettentde comprendrepourquoi,malgréun com-munengagementaux côtésde l’armée française, le deve-nir desharkis fut si con-trasté. p Raphaëlle BrancheaLaGuerre d’Algériedesharkis. 1954-1962,de François-Xavier Hautreux,Perrin, 468p., 24 ¤.

VincentAzoulay

Il y a un lieu où la perfectionexiste» : arrivé sur l’Acro-pole d’Athènes, en 1865, legrand philosophe et his-torien Ernest Renan (1823-1892) est saisi d’admiration

devant le Parthénon éclatant deblancheur, dans lequel il voit« l’idéal cristallisé en marbre pen-télique». Sous le soleil méditerra-néen, les monuments marmo-réensluiapparaissentcommel’ex-pressionarchitecturaledumiraclegrec – l’éclosion simultanée, auVe siècle av. J.-C., de la science, del’art et de la philosophie. Ce chocesthétique l’amène à jeter unregard désenchanté sur le reste del’univers: «Le monde entier alorsmeparutbarbare. L’Orientmecho-quapar sapompe, sonostentation,ses impostures.» Face à une Anti-quité grecque caractérisée par lasérénité,l’éléganceet lablancheur,l’Orient bruyant et bariolé fonc-tionne commeunanti-modèle.

C’est ceMythe de la Grèce blan-che que l’universitaire PhilippeJockey, spécialiste d’histoire et decivilisation grecques, s’attache àdéconstruire dans un livre lim-

pide et passionnant. D’abord enrappelant une évidence scientifi-que, connue depuis le XIXe siècle,toujours mieux documentée,mais bien souvent ignorée : lesfrontons des temples, les frisessculptées, les statues en marbreétaient, en Grèce, rehaussées devivescouleurs–àl’instardescathé-drales du Moyen Age. Les décou-vertes archéologiques et l’apportdes nouvelles technologies ontpermis de comprendre pourquoile fameux sculpteur Praxitèle, àqui l’on demandait un jour les-quelles de ses œuvres il préférait,répondit«cellesoùNicias (unpein-tre renommé) a mis la main» :c’est qu’en Grèce, on peignait unestatueautant qu’on la sculptait!

Sainteté et innocenceMais loin de se limiter à resti-

tuer au monde grec sa polychro-mie oubliée, Philippe Jockey ana-lyse le processus qui a conduit àconsidérer l’Antiquité de la sorte :c’està l’archéologiedece«blanchi-ment» que la plus grande partiede l’ouvrage est consacrée. Toutcommence à Rome, à l’époqueimpériale, où se produit une véri-table révolution chromatique.Grands consommateurs de sta-tues grecques, les Romains mani-festent une prédilection pour lesstatues en bronze monochromeet, surtout,pour les copiesenmar-

bre blanc d’originaux grecs colo-rés : l’expression idéale du beaus’incarnedésormaisdans les traitset laforme,etnonplusdanslacou-leur. Ce triomphe du blanc trouveson expression la plus achevéedans le mythe de Pygmalion, créépar Ovide (43 av.-17 ap. J.-C.) : lesculpteur y tombe éperdumentamoureux d’une statue en ivoire«blanccommelaneige». Plustard,avec la christianisation de l’Em-pire, le blanc investit le domainesacré en devenant synonyme desainteté, d’innocence, de conver-sion et de vie éternelle.

La Renaissance marque unjalon décisif dans ce processus, lessculpteurs se concentrant sur laformedes statues antiques – leurscontours et leurs modelés – etn’ayant que dédain pour les rési-dus de couleurs qui peuvent en-cores’ynicher.C’estdoncuneAnti-quité résolument blanche quiémerge dans les années 1450 etqu’illustrent à l’envi les tableauxd’Andrea Mantegna (1431-1506),où se détachent des «antiques» àlablancheurmarmoréenne.L’épo-que moderne ne fait que confir-mer cette tendance, encore accen-tuée par la vogue des moulagesd’œuvres antiques en plâtreblanc:réunisd’aborddanslescabi-nets de curiosités, ces moulagessont rassemblés dans les grandsmusées européens, contribuant àdiffuser, dans le public cultivé,l’imaged’uneAntiquité blanche.

Paradoxalement, ce mythe dela Grèce blanche trouve son apo-gée au XIXe siècle, au momentmême où s’accumulent les preu-vesdelapolychromiedel’architec-ture et de la sculpture grecques. Sile consul français d’Athènes, en1798, achève la descriptiondu Par-thénon par un retentissant «Toutétait peint ! », la plupart des Occi-

dentauxrefusentd’admettre l’évi-dence. C’est que l’indépendancede la Grèce, gagnée de haute luttecontre l’empire ottoman (1830),déclenche alors, dans la jeunenation, une volonté de purifier detoute influence orientale non seu-lement la langue, mais encore lesédifices: ainsi s’enracine lemythed’uneAthènesblanche– leParthé-non devenant, dans sa blancheur,le symbole de cette «restaurationnationale».

Alimentée par les rêveriesromantiquesd’unChateaubriand,cettemystiquede laGrèceblanchese radicalise encore dans la pre-mièremoitiéduXXesiècle et Char-les Maurras peut, sans vergogne,faire l’éloge de la «blanche Athè-nes» dans son Voyage d’Athènes,publié en 1939, refusant enmiroirle cosmopolitisme et la bigarrureorientale. Il faut attendre l’après-guerre pour que l’illusion se dis-sipe,mêmesi laplupartdestouris-tes croient encore aujourd’hui,durcommepierre,àuneAntiquitéblanchecomme lemarbre.

Au terme de cette enquêtegénéalogique, Philippe Jockeyapporte en définitive lameilleuredes réponses au constat attristéque Marguerite Yourcenar dres-sait à propos des études grecquesen général : «On n’a que faire decette trop parfaite statue tailléedansunmarbre tropblanc.» p

«Il peut paraître pour lemoins paradoxal de placer leblancau bas de l’échelle des valeurs chromatiquesdesGrecs de l’Antiquité.Nous,Modernes, enavons fait lacouleur emblématiqued’uneGrèce blanche, forcémentblanche.Or (…) le blanc était, pour les Grecs, aumieux lesignede l’inachèvement, au pire la figuredu désordre.»

LeMythede laGrèce blanche, page17

Sans oublier

ElisabethRoudinesco

Tout au long de ce séminairemajeurde lapériodestructuraliste(il date de 1958-1959), Lacan prendpour objet la question du désir

dont il fait l’expression d’un appétit quitend à se satisfaire dans l’absolu, sans lesupport d’un objet réel et en dehors detoute réalisation d’un souhait. Au senslacanien,ledésirrenvoieainsiàunedialec-tique de la lutte à mort. Il n’est ni unedemande, ni un besoin, ni l’accomplisse-ment d’un vœu inconscient, mais unequête de reconnaissance impossible àassouvir puisqu’il porte sur un fantasme,c’est-à-dire sur un «autre imaginaire».Pour illustrer cette conception du désir,Lacan revisite l’œuvre de Freud en consa-crant sept leçons au personnaged’Hamlet.

Dans sa référence à Sophocle et à Sha-kespeare, Freud lie le destin du tyran deThèbes à celui du prince du Danemark. Ilfait du premier l’incarnation d’une tragé-die de l’inconscient – tuer le père (Laios) etcoucher avec la mère (Jocaste) –, et dusecond le héros d’un drame de la cons-ciencecoupable.SelonFreud,Hamlet,prin-cehystérique, joueàêtre fouparcequ’ilneparvientniàvengersonpère(lespectre)nià tuer le frère de celui-ci (Claudius) qui aépousé samère (Gertrude).

Decerapprochemententrelesdeuxper-sonnages, Freud déduit l’idée que le sujetde la fin du XIXe siècle ressemble autant àŒdipequ’àHamlet.Coupablededésirer samère et de vouloir tuer son père, il est en

proieàunenévrosefamilialequileconduitàêtreunéternel rebelle faceàunpèrevécucomme un patriarche déchu. Pour s’ensortir, il doit analysersa situation.

Soixante ans plus tard, contre lestenants d’un freudismeorthodoxe et nor-malisateur,Lacansedétachedecetteinter-prétation. Loin d’être l’incarnation d’unhéros rebelle, le Hamlet lacanien devientun sujet mélancolique qui se confronte àun «père mort» – le spectre – ainsi qu’àdeuxfacettesdelaféminité: lamèreinces-tueuse et la vierge folle (Ophélie). Aussibienest-ilprisaupièged’une«actionpara-lysée par la pensée». S’il ne parvient pas àtuer Claudius, c’est parce qu’il ne veut passeulement mettre à mort son ennemi, ilveut l’envoyerenenferpourqu’il soit sou-misàunetortureéternelle.Autrementdit,il suspend la premièremort pour accom-plir la seconde: il est«entre-deux-morts».

Unepsychanalyse revivifiéeTelle est, selon Lacan, la condition de

l’hommemoderne à l’issue de la secondeguerre mondiale. Sa véritable tragédie,c’est d’être le représentant d’un «ne pasvouloir», d’un «être ou ne pas être». Faceà l’émancipation des femmes et à l’effon-drement des idéaux du patriarcat, il estdonc lavictimed’undésir sansobjet. Pours’en sortir, il doit se confronter à une psy-chanalyse revivifiée. Lacan reprendracette thématique, l’année suivante, dansson commentaire d’Antigone (L’Ethiquede la psychanalyse,Seuil, 1986).

Outre la présente édition, les amateursde l’œuvre orale de Lacan peuvent con-sulter, en accès libre, sur le site Gaogoa(gaogoa.free.fr), les différentes versionsdes vingt-cinq volumes du Séminaire,accompagnésdecommentairesetderéfé-rencesbibliographiques.p

Lacanetla leçond’HamletLelivreVIdu«Séminaire»dupsychanalyste françaisparaît

Commentlarichepolychromiedel’artgrecantiquea-t-ellepuêtreoubliée?DesRomainsauxromantiques, l’historienPhilippeJockeymènel’enquête

Blanchimentdel’artgrec

Critiques Essais

LeMythede laGrèceblanche.Histoired’unrêveoccidental,dePhilippeJockey,Belin, 208p., 19 ¤.

Deuxbeauxouvrages, l’uncollectif, l’autreindividuel, ontremis, cesdernières années,la polychromiegrecqueàl’honneur:L’Antiquité encouleurs.Catégories,pratiques,représentations,sous la directiondeMarcelloCarastro (JérômeMillon, 2009), etLa Fabriquedescouleurs.Histoiredupaysage sensibledesGrecsanciens,d’AdelineGrand-Clément(DeBoccard,2011).

Extrait

Le Séminaire.LivreVI.Le désir et soninterprétation,de Jacques Lacan,texte établi parJacques-AlainMiller,LaMartinière,«Le champfreudien»,614p., 29¤.

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Page 36: Le Monde newspaper

Connaissez-vousKarlLöwith?ILSÉTAIENTJUIFS,philosophesetallemands.Néspeuavantoupeuaprès leXXesiècle, tous furentélè-vesdeHeideggerà l’universitédeFribourg.HannahArendt,GüntherAnders,AlexandreKoyré, LeoStrauss,Hans Jonas,HerbertMar-cuse,HansGeorgGadamersontaujourd’huicélèbres, largementtraduits, luset commentés.Parcomparaison,Karl Löwith (1897-1973) sembleavoir étéquelquepeudélaissé, singulièrementen France,bienqueplusieursdeses livressoientdisponibles.Unebonneoccasionde le redécouvrirest four-niepar l’étude trèsdocumentéeque lui consacreEnricoDonaggio,professeurd’histoirede laphilo-sophieà l’universitédeTurin.

Néen1897, ce futd’abordunjeunehommetourmenté,un«fu-gitif-né»,commelepréciserasonautobiographieromancée, restéeinédite.Bravache, il s’engageaen1914et seretrouvablessé, l’annéesuivante,dans lesDolomites.Après

guerre, cebrillantétudianthésita,choserareensontemps,entrebiologieetphilosophie. Il admiraitMaxWeber, StefanGeorge,EdmundHusserl. Toutefois, la ren-contredéterminante futcelledu«magicien»Heidegger,quipassaità l’époquepour lepenseurdestinéàrévolutionnerl’université, lapensée,voire l’histoire.

La fascinationdeLöwithnedurapas. De tous les philosophesqui ont eupourpremiermaîtrel’auteurd’Etre et temps, il fut sansdoute le plus critique.Au fil desans, il ne cessa demettre en garde,demanière systématique et radi-cale, contre la nocivitéde ladémarcheheideggerienne. PourLöwith, en effet, la cohérence estprofondeentre la penséedeHei-degger et son ralliement aunazis-me. La querelle entre les deuxhommesduraune trentained’an-nées. En 1954, son ancienmentorécrivit à proposde Löwith: «Il n’apas lamoindre idée de ce qu’est la

pensée – peut-êtremême la détes-te-t-il» – ce qui pourrait bien êtreà considérer commeunéloge…

Laplacedu cosmosL’intérêtdu travail d’Enrico

Donaggioest demettre en lu-mière, au-delà de cette opposi-tion, les traits originauxdupar-cours de Löwith.Grand lecteur deNietzsche, il a consacréplusieurspublicationsau Japon, où lesétrangetésde l’histoire l’ontconduit de 1936 à 1941, avantd’en-seigner auxEtats-Unis et de reve-nir à la fin de sa vie àHeidelberg.Le fil directeur de sa réflexionestune interrogationanthropologi-que: il cherche à comprendre«cequi est en général spécifiquementhumain». Son cheminement leconduit à réduire le rôle accordé àl’histoire, àmajorer la place ducosmos, et à douter de tout ce quiressemble, de près oude loin, àdes lendemainsqui chantent. Sonobsession, rarement comprise, est

d’échapper à la «surévaluationdémesurée»de l’historicité, deretrouver l’invariancedu cosmos,d’établir que l’Univers est le seulvéritable«élémentuniversel».

Le résultatde cetteméditationinquiète, solitaire et radicale estrésumépar cettephrasede Löwithen 1960: «Qui veutunmondedif-férentde ce qu’il est, qui veut letransformer,ne sait pas ce qu’est laphilosophieet confondà tort lemondeavec l’histoire universelle etcelle-ci avec l’œuvrede l’homme.»Relisez cettephrase lentement.Est-il vraimentnécessaired’expli-querpourquoi sonauteurn’estpaspopulaire?p

Denis Podalydèsde la Comédie-Française

Lethéâtredelaperformance

Figures libres

A titre particulier

d’Eric Chevillard

JOSEPHDANAN, auteur et chercheur, proposeune réflexionthéoriqueetpratique, passionnée et inquiète, sur les récentesmutations théâtrales, pour laquelle le critique allemandHans-Thies Lehmann inventa la notionde «post-dramatique». Unthéâtred’après la représentation théâtrale.Un théâtre de laperformance.

Réflexion théoriqueet passionnée, car le chercheurmènesur cette notionune enquêteprécise, détaillée dansmaintsexemples, portée et exaltéepar certains chocs esthétiques dontJosephDanan sait justement rendre compte; pratique etinquiète, car l’auteur dramatiqueen lui se trouve auborddel’impossibilitéd’écrire et se demande commentpoursuivre.

Qu’est-cequ’uneperformance?Dananendécrit quelques-unes, récentes ouplus anciennes: JosephBeuys (1921-1986) s’en-fermantdansune cage avecun coyote,métaphoredumassacredes Indiens d’Amérique;MarinaAbramovicbrossant desos debœuf jusqu’à l’épuisement; Chris Burden se faisant tirer dessusdansune galerie d’art, lamort endirect étant la formeabsolueet fantasméede la performance.

Quelques traits essentiels se dégagent: la performance estunemise en jeupersonnelle de l’artiste. Son implicationestdirecte; il n’y a pas de séparation entre l’art et la vie; une impor-tanceprimordiale est donnée au corps; l’imprévuest requis ;l’expérienceest partagée; la transgression, la provocation,voire la revendication sexuelle sont très souvent la viséede laperformance, qui atteste d’unemarginalité choisie duperformeur.On retrouve là bien des traits de la créationcontemporaine.

Disparitionpure et simpledu texteAuteurs-metteursen scène (VincentMacaigne, Joël Pomme-

rat, Angelica Liddell, RodrigoGarcia, ces créateurs scéniquesnedistinguentpas leurs textes de leurs spectacles), chorégraphes,et acteurs visentmoins la représentationmimétiquedu réelque saprésentationdirecte, concrète, voire violente.Dans laCourd’honneurduPalais des papes, à Avignon, RomeoCastel-lucci endonna l’éclatant exemple en 2008. Seprésentant seulau centre de la scène, il déclinait son identité, avant queplu-sieurs chiens auxaboiements furieuxne se jettent sur lui, fai-sant craindrepour sa vie. Ainsi commençait Inferno,d’aprèsDante. Plusieurs autres scènes créèrentune stupéfactionmoinsliée à la forcede l’imagequ’auxprolongements insoupçonnésde ce spectacle dansnosmémoires.Oui, quelque chosedu théâ-tre a bougé, s’est décentré. Beaucoup ironisaient ou s’interro-geaient sur la référenceàDante, dont aucunvers n’était dit,aucune scènene semblait être inspirée.Disparitionpure et sim-pledu texte. Et cela dans la Cour d’honneur, le templedu théâ-tre! Il y avait eu desprécédents, bien sûr, et nous savonsdepuisAntoninArtaud (1896-1948) que le texte n’entrepasdans la défi-nitionphysiquedu théâtre. Tout lemouvementdes avant-gar-desduXXesiècle tend vers la désacralisationdu texte, vers la finde la fablepsychologique, avecpersonnages et situations.Maisjamais, probablement, ainsi l’ai-je senti, n’avait-onvuaussi net-tementque lemotpouvait s’absenter, laisser la place vide, dansun silencequ’onn’avait pas entendudepuis Le Regarddusourd,deBobWilson (crée en 1971), et sansque riennemanquâtpourtant.

Undes grandsmérites deDananest denepas céder à la rhé-toriquedudéclin. Il prendacte. «Peut-être cela finira-t-il par ren-dre caduque la distinction entre la pièce de théâtre et le texte-matériau, ce dernier se trouvant inscrit dansundispositif», écrit-il. La scèneparaît désuètede l’auteurdramatique solitairepor-tant sa pièce à quelquemetteur en scène. Faut-il s’en inquiéter?Ou le théâtren’aurait-il pas atteint, comme le souhaitaitArtaud, sa pleine autonomie et conquis sa liberté profonde?p

LacomédiehumaineparallèleLe feuilleton

Le PlusMauvais Groupe dumonde,épisodes 5 et 6 (A pior bandadomundo),de JoséCarlos Fernandes,traduit duportugaisparDominiqueNédellec, Cambourakis, 112p., 18¤.

Roger-Pol Droit

Quelquefois,lechroniqueurlitté-raire voudrait disposer d’unpouvoir de persuasion vrai-mentefficace, à l’instardestor-tionnaires. Il songe à se doterd’une arme de prescription

massive. Il envisage de recourir à la me-nace,àdesmoyensd’intimidationtelsquesonlecteurn’hésiteraitpas longtempsàserallierà sesavis («Vousavezunebien joliefillette, elle fréquente la maternelle Jules-Petit,n’est-cepas?»). Saplumesaitparfoisse montrer convaincante, mais un brasarticulé qui viendrait saisir par les che-veux les récalcitrants pour les déposer enlibrairie devant l’ouvrage qu’il recom-mande le serait davantage. L’arsenal criti-queestdécidémenttroplimité.Noussom-mes lus d’unœil distrait : pourquoinepasuserd’unécarteurdepaupièresen titane?Onnousécoutesansnousentendre:plan-tons dans ces oreilles obtuses les largespavillonsde cuivredes anciensphonogra-phesdésormais sans emploi.

Oui, quelquefois, le chroniqueur litté-raireseraitprêtàtoutpourfairepartagersadécouverte, quand bien même n’aurait-ilriendécouvertdutoutetrejoindrait-ilavecretardetconfusionlesamateursdéjànom-breuxd’uneœuvrequiasus’imposer:c’esteneffet letroisièmeetderniervolumedelasérie de bandes dessinées Le Plus MauvaisGroupedumonde,duPortugais JoséCarlosFernandes (né en 1964), que publientaujourd’hui les éditions Cambourakis, etquicomprendlescinquièmeetsixièmeépi-sodes, «Le Dépôt central des rebuts» et«LesArchivesduprodigieuxetduparanor-mal». Je l’admets, la phrase précédentecontientunpeutropd’informationsjetéesenvrac, il va falloirêtreplusprécis.

Jen’avais jamaiseuentre lesmainsunebande dessinée aussi remarquablementécrite.Or lamusiquenelecèdeenrienauxparoles et l’univers de José Carlos Fernan-des possède aussi une identité graphiquetrès forte : les personnages sont de noiresfigures exécutées d’un trait sûr et net,mais encrées sans lésinerie, qui évoluentsur le fond jaune et sépia des pages. Cechromatisme radical crée une atmo-sphère vaguement anachronique quinimbedefaussenostalgieetdevraieindul-gencecettesatireplutôtmordantedestra-vers contemporains et lui donne finale-ment le tour d’une critique universelle etintemporelledes ambitionshumaines.

Ah, mais je n’ai encore rien dit de cetextraordinaireprojet lancépar JoséCarlosFernandes en 1998. Le plus mauvaisgroupe dumonde est un quatuor de jazz,«mélangeinouïd’ineptieetd’absencecom-plètedesensmusical»,quirépètedansunecave sans jamais parvenir à se produireau-dehors.Lesquatremusiciensapparais-sent de loin en loin dans les albums,maisla petite ville où ils vivent abrite biend’autreshabitantsdont les lubies, lespho-

bies et les hobbies ne sont pas moinsdignesd’intérêt.Chaquehistoirecourtsurdeuxpagesetempruntebeaucoupà l’uni-vers de Borges, lequel donne d’ailleursaussi ses traits à un personnage (ainsidoncqu’au frère jumeaudecelui-ci) ;maisonpeutpenseraussiàCalvinoouà la série«O Bairro» du compatriote de José CarlosFernandes, Gonçalo M.Tavares. Les deuxauteurs sont d’ailleurs traduits (demêmequ’António Lobo Antunes) par Domini-

queNédellec, auquel on peut décidémentse fier les yeux fermés.

Ceseraitdommage.Ouvrons-lesplutôtdevant cesmerveilles. La ville de José Car-losFernandespossèdeunMuséedel’acces-soire et de l’insignifiant, un parc des Per-versions, une Ecole des hautes études ensophistique et dilettantisme, une Indus-trie nationale de liposuccion, une Liguepour l’éradication de la mauvaise poésieet même un Club des critiques contritsdontlesmembresrepentantsvonts’excu-ser auprès des artistes et écrivains qu’ilsont éreintés (je n’en suispas). Le Bazar dessouvenirs propose un passé sur mesureaux habitants mécontents du leur : «Leproduit le plus recherché est une enfanceheureuse passée à la campagne, avec des

parents attentionnés mais permissifs (…).Occasionnellement, ilarrivequedesclientsdemandent une enfance avec un pèrealcooliqueet chômeur,unemèresouffrantde maniaco-dépression.» Cette dernièrerequête émanant toujours d’écrivains, deplasticiens ou de rock-stars, «convaincusqu’un background traumatique et dépri-mant stimule la créativité».

L’humour de José Carlos Fernandes estproche de celui des grands écrivains del’absurde, avec une pointe de critiquesociale en plus et une ombre demélanco-lie. L’un des personnages, Casimir Vogel,«cartographe de l’angoisse» de profes-sion, «relève dans de nombreuses lettreslaissées par les suicidaires des similitudesincroyables». Etpourcause,elles sont tou-tes rédigées par Evariste Gulag, qui com-plète ainsi par ces rigoureux travauxd’écriture son «modeste salaire». Quantau facteur, il intervertit les destinatairesdes courriers qu’il distribue afin d’intro-duire un peu de surprise dans les exis-tences routinièresde ses concitoyens.

L’invention est constante, elle est aussipartout, à l’arrière-plan, dans les détails.JoséCarlos Fernandes ordonneunmondeparallèle au nôtre, désolé et désopilant,dont les aberrations curieusement évo-quent à s’y méprendre les réalisationstriomphalesdenotre raison logique.p

Chroniques

Karl Löwith et laphilosophie. Une sobreinquiétude (Una sobriainquietudine.Karl Löwith e lafilosofia),d’EnricoDonaggio,traduit de l’italienparPhilippeAudegean,Payot, «Critiquede la politique», 268p., 25 ¤.

en partenariat avec

Marc Voinchet et la Rédaction6h30-9h du lundi au vendredi

Retrouvez la chronique de Jean Birnbaum

chaque jeudi à 8h50

franceculture.fr

LES MATINS

Chaque histoire empruntebeaucoup à l’univers deBorges, lequel donne aussises traits à un personnage

JEAN-FRANÇOIS MARTIN

Entre théâtre et performance: laquestiondu texte,de JosephDanan,Actes Sud-Papiers, «Apprendre», 96p., 12 ¤.

8 0123Vendredi 14 juin 2013

Page 37: Le Monde newspaper

Philippe Ridet, à Rome,et Florence Noiville

On ne pouvait rêver meil-leure adresse : 505 via delCorso à Rome, à quelquespas de la place du Peuple.C’est ici qu’en juillet2012l’éditeur Feltrinelli, déjà

propriétaire d’une chaîne de 106 librai-ries, a inauguré le premier magasin soussa nouvelle enseigne: RED, acronyme de«read, eat, dream», soit « lire, manger,rêver». Des linéaires de bois blond pourles livres, de vieux fauteuils clubs pourlire la presse et essayer les derniers mo-dèles de tablettes et, plus inattendu, unespaceoùacheterdel’huiled’olivedeLigu-rie, du jambon de Parme et des vins duChianti. Enfin, tout au fond,un restaurantetunepetitecourombragéepourprendrele café.

Manquedechance, au505viadelCorsole rideau de fer est aujourd’hui tiré. Sixmois après son inauguration, l’immeublea donné des signes de faiblesse. Des tra-vauxsonten cours.Mais, depuis, unautreRED a ouvert à Parme, en décembre2012.Milan devrait suivre en juin. «C’est notreréponse à la crise, expliquait Stefano Sar-do, directeur général de Feltrinelli, dansles colonnes du quotidien milanais Cor-rieredellaSera enmai.La criseadeuxvisa-ges:celui,général,de lasituationéconomi-que, et celui particulier de l’édition. Nousvoulons que nos magasins deviennent denouvellesagoras,oùnos clientspuissent serencontrer et échanger.»

LejambondeParmeausecoursdel’édi-tion? De Bolzano (Haut-Adige) à Palerme(Sicile), de nombreux libraires tentent deconjuguer les œuvres de l’esprit avec lesproduits du terroir. Des caffetterie surgis-sent dans les arrière-salles des librairies,réduisant l’espace consacré aux livresmais augmentant l’offre et la possibilitéde rencontrer de nouveaux clients. ALecce (Pouilles), l’un d’eux vend despaniers de spécialités locales en mêmetempsquedes guides touristiques…

La crise de l’édition italienne tient enquelques chiffres : selon un rapport del’Institut national de la statistique, les1576 éditeurs de la Péninsule, qui avaientpublié 59000 titres en 2011 pour un chif-fre d’affaires de 3,3milliards d’euros, ontdiminué leur offre de 9% en 2012 aprèsavoir plutôtmieux résisté les années pré-cédentes.Cesont les926«petits»éditeurs(de 1 à 10 ouvrages par an) qui ont fait leplus gros effort en réduisant leur offre de19,5%, tandis que les 178 « grands »(50ouvrages et plus) qui trustent 75% dela production totale, ont publié 7,6% detitres enmoins. Conséquence, lemarchéamaigri de 4millions d’exemplaires. Et2013 ne s’annonce pas mieux, avec unenouvellebaisse des ventes estimée à6%.

A cette situation conjoncturelle s’ajou-tent les difficultés structurelles. L’Italie litpeu. En 2012, 46 % d’Italiens de 6 ans etplus déclarent avoir lu «aumoins un livredans l’année» pour desmotifs autres quescolaires ou professionnels (contre 61,4%enEspagne, 70%en Franceet82%enAlle-magne). Si, en Italie du Nord, 52% de lapopulation a lu au moins un livre dansl’année, cette proportion tombe à 34%dans le Sud. Enfin, la catégorie des « lec-teurs réguliers », qui déclarent lire12ouvrages et plus par an, ne représenteque 14% du total des lecteurs. La plupart

deséditeursmettentenavantl’absencedepolitiques publiques volontaristes pourinitier les plus jeunes à la lecture.

«Pour la première fois, expliqueMarioAndreose, éditeur d’Umberto Eco et tra-ducteur, la crise économique a des réper-cussions sur la consommation culturelle.La stratégie est plus ou moins la mêmecheztousleséditeurs: réduire lescoûts,édi-terdes collectionspopulaires (romanspoli-ciers, érotiques, sentimentaux). Il faut

s’adapter pour affronter un marché diffi-cile.» «Les éditeursont leurpartde respon-sabilité, soutient Elisabetta Sgarbi (Bom-piani).Laventede livresdans leskiosquesàjournaux, l’explosion des collections à basprixont appauvri le secteur.»

Paradoxe italien : les visiteurs n’ontjamais été aussi nombreux au Salon dulivredeTurin, qui s’est tenuenmai.Néen1988 sur lemodèle du Salon de Paris, il l’adepuis dépassé avec plus de 7000 expo-sants. 330000 personnes ont poussé lesportes du Lingotto en 2013. «L’édition esten crise mais pas les livres », analyseErnesto Ferrero, qui dirige le salon pié-montais.

En effet, pendant que les librairies sevident, les bibliothèques, salons et festi-vals se remplissent. Professeur d’écono-mie du livre, Giovanni Solimine soutientque les « initiatives de promotion» peu-vent combattre la crise. En Italie, les festi-vals poussent comme des champignonsaprès lapluie.D’économie,deromannoir,

de littérature pour enfants, de philoso-phie, il y en a pour tous les goûts. Heu-reuse surprise : ces manifestations peu-ventêtrerentablespourlesvillesorganisa-trices : le Festival de littérature de Man-toue (70000 visiteurs par an) produit14millionsd’eurosderetombéeséconomi-ques pour un investissement de 1,4mil-liond’euros.

Reste l’édition numérique, sur laquelletablentdenombreuxéditeursenquêtedenouveaux marchés. Encore balbutiant,(1 % du marché), il est peu rentable(12,6millions d’euros de chiffre d’affairesen2011).«C’estuneopportunité,admetEli-sabetta Sgarbi. Le retard italien en termesd’équipements et d’accès à l’Internet hautdébit est un frein. Mais c’est encore sur lepapier imprimé, dans les petites librairiesque se joue toute l’économiedu secteur.»

Oui, tout se joue dans les librairies,confirmeAchilleMauri,présidentdesMes-sagerie Italiane et patron de la Scuola perlibrai Umberto e Elisabetta Mauri. Cette

école des libraires, qui fête cette année ses30 ans, est, selon beaucoup d’observa-teurs, l’unedes initiatives lesplusorigina-les et les mieux à même d’apporter uneréponsede fondà la crisedu livreen Italie.Créée en 1983 par LucianoMauri, ce n’estpas aujourd’hui la seule école de libraires,mais c’est la plus vieille. La plus ambi-tieuse aussi. Car il ne s’agit pas seulementd’y former des libraires, mais plutôt d’enfairedes«acteursengagésdanslacompré-hension du monde et la diffusion de laculture»,noteAchilleMauri.

A côté de cours techniques, les promo-tions ont droit à des conférences de hautvol où se succèdentdes PrixNobel (Amar-tya Sen, Rita Levi Montalcini…), des écri-vains (Hans Magnus Enzensberger,Umberto Eco, Jonathan Safran Foer…), desdirecteursde grandes chaînesdedistribu-tion de livres (Waterstone’s, Hugendubel,Fnac…) ou des hommes politiques (Ro-mano Prodi ou feu Tommaso Padoa-Schioppa…). «C’est cette ouverture auxenjeuxglobauxqui fait decette institutionune source de réflexion et de motivationunique», commente l’éditeur universi-taire Ulrico Hoepli. Face à Amazon, ins-tallé depuis 2009, il est nécessaire que leslibrairiesne soientpasdes«négocesasep-tisés» mais de véritables «courroies detransmission de l’enthousiasme et dudésir». «La première question qu’un li-braire, indépendant ou non, doit se poserest : “Quel est mon rôle dans la société?”»,résumeAchilleMauri.

Ce travail de fourmi est-il suffisant?N’est-il pas anachronique? Achille Mauria une belle image : «Savez-vous que sur

cette terre, l’ensemble des fourmis pèsentplus que l’ensemble des éléphants oumême des hommes? Que les fourmis sontdesêtresextrêmementintelligentsetorga-nisés, incroyablement adaptables, avecdes capacités de résilience et de survieexceptionnelles?» Pour le patron de laScuola,cepatienttravaildeterrainest jus-tement la stratégie pérenne dont il fauts’inspirer pour l’avenir. «Depuis 1983,nous avons “semé” sans cesse et créé une“valeur pyramidale”, dit-il. Les librairesqui suivent les cours passent les semencesà d’autres libraires qui à leur tour, etc. Unpeu comme les semailles du conte deGiono,L’hommequiplantaitdesarbres.Sil’onmultiplie cet effet vertueux 5000fois(le nombre d’élèves de la Scuola en trenteans), on voit que l’activité de l’école est àhaut rendement et sa valeur ajoutée plusélevée encore.» Pour accélérer le phéno-mène, la Scuolaest en traindese transfor-mer en fondation, ce qui lui permettra des’ériger en institution culturelle auto-nomeet de lever des fonds auprès d’insti-tutionsgouvernementalesounongouver-nementales,des fondationsbancairesparexemple.

Finalement, qu’il s’agisse de l’associerau chianti ou au débat d’idées, le résultatest le même : donner un supplémentd’âme et de désir à la librairie. Persuadéque « la librairie ne s’accommode pas del’immobilisme»,AchilleMauri fait remar-quer que «c’était déjà la crise du secteurqui, en 1983, avait donné naissance à laScuola». C’est pourquoi l’année anniver-saire de son école a délibérément été pla-cée sous le thèmede l’«optimisme».

Après tout, il est vrai que chaque nou-velle crise de l’édition et de la librairie ita-liennes a, dans le passé, suscité une ré-ponse originale, souvent copiée dans lespays voisins. Les livres à 1000lires – leprix d’un espresso – dans les années 1980,lespremiersouvragesvendusavec lapres-se au début des années 2000, tout cela acommencé en Italie. En France, alors quelesAssisesdela librairieviennentdeseter-mineràBordeaux,laprofessionferaitbienausside garderunœil au-delàdesAlpes.p

Une école pourque les librairiesne soient pasdes «négocesaseptisés»,maisde véritables«courroies detransmissionde l’enthousiasmeet du désir»

« Pour la premièrefois, la crise a desrépercussions surla consommationculturelle»

ALE+ALE

Italie: le livreaurégimesec

«Vousmangerezbienunmorceautoutenchoisissantvosprochaineslectures?»Lacriseéconomiquetouchedurementlalibrairieitalienne.Maiscelasembleplutôtdécuplersacombativité–etsacréativité

Enquête 90123Vendredi 14 juin 2013

Page 38: Le Monde newspaper

AnnLaura Stoler

Raphaëlle Branche

Pour Ann Laura Stoler, la prisedeconscience futd’abordpoli-tique: «La guerre du Vietnama été un déclencheur.» Jeunelycéennede la bourgeoisie jui-venew-yorkaise, elledécouvre

l’impérialismeaméricainpuislacontesta-tionqui l’accompagnealorsqu’elle fait sespremiers pas à l’université. Après avoirétudié le japonais et s’être initiée aumarxisme, elle s’oriente vers des étudesd’ethnologie et choisit comme terraind’enquête Java, «parce que c’était près duVietnam». Elle en revient avec le désir detravaillersurlesmultinationalesaméricai-nes : ce sera sa thèse de doctorat, qui laconvainc qu’il faut plonger dans le passépour éclairer les structures économiqueset sociales observées sur place.

Son expérience indonésienne la mar-que considérablement : elle a 22 ansquand elle interroge des paysannes sansterre pour étudier les effets de la révolu-tion verte, quand elle les suit dans leursdéplacements des montagnes aux mar-chés où elles vendent le contenu de leurslourds ballots. «En Indonésie, j’ai décou-vertunautrevisagedu féminisme,avec lesfemmes qui se touchent, qui se font tou-joursdesaccolades.Elles sontsi fortesentreelles, si chaleureuses; elles semoquent deshommes». Et elle ajoute : «Elles avaientune puissance quim’a frappée, surtout lesfemmes qui n’avaient rien.» Résolumentmarxiste, elle refuse d’appréhender lasituation des femmes javanaises unique-mentenfonctionde leurplaceentantquefemmes. Si elle pointe les inégalités et lesdiscriminations qu’elles subissent, elleinsiste sur la nécessité de faire primerl’analyse en termesde classes sociales.

Son objet d’étude n’est d’ailleurs pasprécisémentles femmesmais«lepouvoir,toujours le pouvoir». La découverte desécrits deMichel Foucault renforcera défi-nitivement cette orientation. Elle opère,avec lui, une relecture des sociétés impé-riales en affirmant que la race et la sexua-lité sont au cœurdesdynamiquesdepou-voir. Ainsi, les catégories utilisées par lesautorités coloniales pour désigner lespopulations se révèlent des catégorieséminemment politiques par l’intermé-diaire desquelles les corps sont contrôléset l’autorité s’impose aux individus. Sonouvrage Race and the Education of Desire.Foucault’s “History of Sexuality” and the

Colonial Order of Things («Race et éduca-tion du désir. L’“Histoire de la sexualité”de Foucault et l’ordre des choses colo-nial», non traduit) est son best-seller à cejour. Elle y transgresse de nombreusesfrontières: l’intime,placéaucœurdel’ana-lyse,bouscule la répartitionduprivéetdupublic, faisant de la sexualité et des affec-tions des lieux de productionessentielsdu politique, des endroits où observer lesmécanismes par lesquels se construit leconsentement à la domination, comme

lorsque les législateurs s’intéressent auxenfants issus d’unions mixtes ou que lamanière dont les nourrices indonésien-nesportent lesbébésnéerlandaisserévèleêtre l’objet de règles implicites.

Les colonies n’y sont plus vues commedesespacesàpart, loindesmétropoles:aucontraire,AnnLauraStolerplaidepourunregard qui embrasse les deux dans unmême champ d’analyse. Elle théoriseraplus précisément cette nécessité en 1997dansunouvragedirigéavecl’historienFre-derick Cooper dont l’introduction vientd’être publiée en français sous le titreRepenser le colonialisme (Payot, 176p.,

17,50¤). Autre transgression,disciplinairecelle-là : avec Cooper, elle fonde, à la findesannées1980, lepremierdoctoratd’his-toireetd’anthropologie,afindebousculerles manières traditionnelles de travaillersur les sociétésnonoccidentales.

A cette époque, les études sur le passécolonial de ces sociétés étaient marquéespar l’influence du théoricien de la littéra-tureEdwardSaidet celledes subalternstu-dies, qui proclamaient renverser les pers-pectives dominantes endonnant à enten-

dre la voix des colonisés. Pour AnnLaura Stoler, cependant, il ne s’agis-sait jamais que d’une inversion despolarités ; elle proposait plutôt dechanger de paradigme. Ici commeailleurs, elle privilégiait la nuance etle doute. Elle identifiait ainsi desdegrés dans la souveraineté de l’Etatet insistait sur leur évolution et leurarticulation plutôt que de dénoncer

un pouvoir qui aurait été dominateur demanièrehomogène.

Elle affiche aujourd’hui la même vo-lonté à propos des concepts politiques etdu vocabulaire philosophique qui lui ser-ventàpenser leréel:elle lesveut labiles,etnon rigides, ouverts au doute et non pasrassurantsoudéfinitifs.Decetteattentionauxmots, elle a fait un combat et un livre,à paraître en français chez Armand Colinen2014 (AlongtheArchivalGrain,«Ensui-vant la veine de l’archive»). Nul doutequ’elle veillera de près à sa traduction,comme elle l’a fait pour son nouvel ou-vrage, La Chair de l’empire. Depuis sonenfance, elle sait en effet l’importance dumot juste. C’était ce qui la frappait déjàdans les poèmes que sa grande sœur Bar-bara lui récitaitpour l’endormir.Plustard,cettedernière fut l’unedes traductricesdelaBhagavad-Gîtâ,poèmeépiqueindien, laprécédant à Columbia University où elleenseignait le sanskrit.

Dans La Chair de l’empire, scrutant lesdocuments produits par l’Etat colonialnéerlandais, Ann Laura Stoler montre lesdoutesquihabitèrentl’entreprisededomi-nationet comment ils étaient trèsprécisé-ment incarnés dans la matérialité de l’ar-chive. Les ratures, les hésitations, la cher-cheuse lesprendaupiedde la lettre: l’Etatcolonialtâtonnaitet l’ordrequ’il cherchaitàimposerauxmotsetauxchosesétaitsou-mis à de multiples influences. L’archiven’estpas seulementunobjet ouune trace,elle est un processus qu’il convient dedécrypter. Le philosophe Gaston Bache-

lardesticisonmaîtreàpenser;commelui,elle prôneune attention au «détail épisté-mologique», qu’elle revendique commeligne de conduite intellectuelle. Rendrecompte des mots de l’archive, c’est aussis’imposer une rigueur dans l’écriture etpréférer une «éthique de l’inconfort» à latranquillitédes véritésd’autorité.

La comparaison est l’autre moyenqu’elleprivilégiepour luttercontre lesévi-dences, qu’elles soient conceptuelles oupolitiques. Elle lamanie enpermanence, àla recherched’une intelligenceprécise des«formations impériales» qu’elle veut sai-sir dans leurs dynamiques, quels quesoientlesespacesetlesmoments.C’estain-si qu’elle enseigne depuis cinq ans à l’uni-versité de Birzeit, en Cisjordanie, « l’his-toire coloniale comparée» avec un senstrès aigu que, là-bas, l’«histoire colonialeest vivante». Depuis qu’elle a découvert laPalestine, en 2008, elle s’y rend chaqueannée pour enseigner à Ramallah, s’estengagée dans l’organisation du premierprogramme de formation doctorale del’université de Birzeit et dans un ambi-tieuxprojet de collecte d’archives privées.Si lemurdeséparationconstruitpar Israël,les implantationsdes colonies au-delà desfrontièresreconnuespar lesNationsunieset, plus largement, les discriminationsqu’elleadécouvertesen2008 luiontparléavec force de la situation coloniale qu’elleavaitpuétudierdanslesarchives,elleaaus-siretrouvédanscetterégiondumondedesressemblances frappantes avec ce qu’elleavait observé en Indonésie quarante ansplus tôt: l’impérialismeaméricain.

Ici, là-bas, l’histoire est commeun tissuqui se plie sur lui-même, et les engage-ments de la chercheuse, telle une boucle,se rejoignent de nouveau, à l’université etau-delà. Dans son prochain livre, elle sepenchera sur les concepts politiques quiempêchent durablement de penser etinterdisent, en particulier, l’usage de cer-tains mots pour désigner certaines situa-tions. L’annéeprochaine, elle ira àGaza.p

JadisengagéecontrelaguerreduVietnam,elleestaujourd’huil’undesgrandsnomsdesétudescoloniales.Mêlanthistoireetanthropologie,l’Américaines’attache,commedans«LaChairdel’empire»,àdémonterlesdynamiquesdepouvoir

Scruterl’archive

«Si les hommes indigènes étaientles seuls à être sanctionnéspar ledroit lorsqu’ils étaient accusésd’agression sexuelle, les femmeseuropéennes se voyaient repro-cher de provoquer leurs désirs. Onregrettait que les nouvelles arri-vantes d’Europe soient trop fami-lières avec leurs domestiques,imprécises dans leurs ordres etinconvenantesdans leurmanièredeparler et de se vêtir. En Papoua-sie-Nouvelle-Guinée, tout lemon-de s’accordait à penser dans lacommunautéaustraliennequeles viols étaient dus à unenou-velle générationde femmesblan-ches incapables de gérer leurs

domestiques. L’ImmoralityAct de1916 a rendudélictueux qu’une“femmeblanche fasse une propo-sition indécenteà unhomme indi-gène”. (…) L’augmentationducontrôle exercé sur les Européenset le consensus qui les unissait ontengendréune défense de la com-munauté, de lamoralité et dupou-voirmasculinblanc en réaffir-mant la vulnérabilité des femmesblanches, en accentuant lamenacesexuelle que représentaient leshommes indigènes, et en créantdenouvelles sanctions limitant leslibertés des deuxgroupes.»

LaChairde l’empire, pages94-95

Surlescorpsetparlescorps

Rencontre

La Chairde l’empire. Savoirsintimes et pouvoirs raciaux enrégime colonial (CarnalKnowledgeand Imperial Power. Raceand theIntimate inColonial Rule),d’AnnLaura Stoler,traduit de l’anglais (Etats-Unis) parSébastienRoux etMassimoPrearo,LaDécouverte, «Genre et sexualité»,298p., 26¤.

Extrait

«En Indonésie,les femmes sont sifortes entre elles, sichaleureuses ; elles semoquent des hommes»

Parcours

SANDROBABLER POUR «LE MONDE»

ONPEUTSE FÉLICITERde la traduc-tion en français d’un livre d’AnnLaura Stoler qui donneà voir, ensix chapitres denses, l’essentieldespropositions avec lesquellescette chercheuse a bousculénotreregard sur les sociétés impériales.

Elle invite à comprendre com-ment se construisit l’évidenced’unmondedivisé entre «coloni-sés» et «colonisateurs», entre«Européens» et «indigènes». Lesempires coloniauxavaient besoinde ces catégories qu’elle débusquecommeautant d’instrumentspar-ticipantdupouvoir, unpouvoirqui s’exerced’abord sur les corpset par les corps. Ce sont euxquiforment les objets privilégiésd’AnnLaura Stoler. C’est là qu’elleidentifie les sitesde productionprivilégiésdupolitique, sedeman-dant ce que c’était que d’êtreun«Blanc», un «métis», une «bonneménagère», un «bonpère» ensituation coloniale, alorsmêmeque se jouaient, à travers chacunet chacune, le présent et l’avenird’unmondeprécaire et inquiet.Cette dynamiquede formationpolitique reposait sur une série dehiérarchies, ancrées dans les diffé-rences raciales et pénétrant auplus intimede la vie des indivi-dus. Ce livre proposeplusieurs«micronœudsdegouvernance»nichésdans le quotidiend’unerelationpère/fils oumère/enfants, dans l’encadre-ment législatif desmariagesmix-tes, dans la recherche effrénéedela propretéd’unedomestiqueindonésienneou encoredans laqualité de lanourrituredonnéeauxnourricesd’enfantsnéerlan-dais à Java.

AnnLaura Stoler a, depuis laparutionaméricaine en 2002,approfondi sa réflexiondansdenombreuxtravauxqu’unappa-reil critique, présent enpréface etenpostface, permet de repéreravantde les lire… dansunepro-chaine traduction?pR.Br.

1950AnnLaura Stolernaît àNewYork.

1972Premier travail de terrainethnographiqueen Indonésie.

1995Elle publieRace and theEdu-cationofDesire. Foucault’s “Historyof Sexuality” and the ColonialOrderof Things.

2002La Chair de l’empire(LaDécouverte, 2013).

2008Premier séjour en Israëlet enPalestine.

10 0123Vendredi 14 juin 2013

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aJournéemondiale le 14 juin

Dondusang

Depuis la fin mai, les homo-sexuels canadiens peuventdonner leur sang, mais à unecondition: ne pas avoir eu derapports sexuels avecd’autres hommes depuis

cinq ans. Une limitation drastique, mais quireprésente «un pas dans la bonne direction»,selon Laurent McCutcheon, président de «GaiEcoute», centre québécois d’aide aux homo-sexuels.Auparavant, ces derniersavaient inter-diction de donner leur sang dès lors qu’ilsavaient eu une relation sexuelle avec un autrehomme depuis 1977. Cette évolution a été pro-poséepardeuxorganismesdecollectedesdonsde sang. En Grande-Bretagne également, fin2011, les homosexuels ont été autorisés à don-ner, à condition d’avoir observé un an d’absti-nence sexuelle.

EnFrance, enrevanche, lestatuquoprévaut:les homosexuelsnepeuvent toujourspas don-ner leur sang. Les associations LGBT (lesbien-nes gais, bi et trans) avaient pourtant nourrides espoirs avec l’arrivée de la gauche au pou-voir. François Hollande avait promis pendantla campagne de lever cet interdit. La ministrede lasanté,MarisolTouraine,avait effectuédesdéclarations allant dans ce sens le 14 juin 2012,lors de la Journée mondiale des donneurs desang. «On peut et on doit revoir cette politique,avait-elle affirmé. La sécurité doit être assurée,

il n’est pas question de prendre le moindre ris-que en termes de transfusion,mais le critère nepeut pas être l’inclination sexuelle.» Quelquesmoisplus tard, laministreest revenueenarriè-re. «Je ne trouve pas normal qu’il y ait de discri-mination, avait-elle déclaré le 14décembre2012. Pour autant, je ne peux lever l’interdictionque si on me donne une garantie absolue quecelan’apporterapasdavantagede risques pourceux qui seront transfusés.»

C’est toute la difficulté. Les associationshomosexuelles interprètent cette exclusioncommeunediscrimination,quirenforcelepré-jugé de l’homosexuel forcément séropositif.Le député Sergio Coronado (Europe Ecologie -Les Verts, Français à l’étranger) a parlé de «dis-crimination d’Etat». Mais, pour les autoritéssanitaires, il s’agitd’unemesuredeprécaution.Le nombre de personnes contaminées par leVIH est 65fois plus élevé parmi les hommesayant des relations sexuelles avec d’autreshommesqueparmi les hétérosexuels.Deplus,lenombredenouvelles infectionsenregistréeschaque année dans cette population est200fois plus élevé.

Cesontsurtoutcesnouvellescontaminationsqui posent problème: les personnes qui vien-nentdonner leursangpeuvent ignorerêtrepor-teusesduVIH.Etlescontrôlesnesontpasinfailli-bles. Tout le sang donné est testé, mais le virusreste indétectablependantunedizainede jours.

Lerisqueactueldecontaminationdesangdesti-né à la transfusion lié à ce facteur (du fait d’ho-mosexuels donnant leur sang sansmentionnerleurorientationsexuelle)estestiméà1sur3mil-lionspar l’Institutdeveille sanitaire (InVS).

L’alternative serait de fonder l’interdictionnonplus sur l’orientationsexuelle,mais sur lespratiques à risque (changements de partenai-

res, partenairesmultiples), comme c’est déjà lecas pour les hétérosexuels, et comme le récla-ment les associations de défense des droits deshomosexuels.Cependant,si,parexemple,seulsleshommes ayant eu ces pratiquespendant les

douze derniers mois étaient exclus, le risqueaugmenterait,enpassantà1sur650000,calcu-lel’InVS.D’oùlechangementdepieddeMmeTou-raine. L’histoire se répète : ses deux prédéces-seurs, Xavier Bertrand et Roselyne Bachelot,s’étaient également déclarés en faveur d’uneévolution de la législation, avant de faire mar-che arrière. Le ministère de la santé attendaujourd’huiunavisduComitéconsultatifnatio-nal d’éthique, avant d’aller plus loin.

La tensionentrequestionséthiqueset sécuri-té transfusionnelle ne se pose pas seulementdans lecasdesgays.Ledondusangest soumisàtoute une série de restrictions (limite d’âge,intervalleentre lesdons, fréquencedesprélève-ments, état de santé, etc.), afin de limiter les ris-ques à la foispour ledonneur et le receveur. Parexemple, sauf exceptions, les moins de 18 ans,les plus de 70 ans et les femmes enceintes nepeuventpasdonner.Sontégalementexclueslespersonnesquirisquentdetransmettreunagentpathogène(VIH, virusdeshépatitesBetC, para-sitoses), celles qui ont déjà été transfusées ougreffées, et celles qui ont séjourné pendant autotal plus d’un an au Royaume-Uni entre1980et 1996 (risque lié à la maladie de Creutzfeldt-Jakob).Desexclusionsmoinscontestéesquecel-le touchant les hommes ayant des relationssexuelles avec deshommes.p

PaulBenkimounetGaëlleDupont

«Jenepeux leverl’interdiction

que si onmedonneunegarantie absolue

que celan’apportera pasdavantagede risques»

Marisol Touraineministrede la santé

Précautionoudiscrimination?MalgréunepromessedeFrançoisHollande, leshomosexuelsnepeuventtoujourspasdonnerleursang.Lesassociationsréclamentquel’interdictionsoitplutôtfondéesur lespratiquesàrisque.Maislesautoritéssanitairesredoutentdesprobabilitésaccruesdecontamination

NICOLASKRIEFPOUR«LEMONDE»

Cahier du «Monde »N˚ 21275 datéVendredi 14 juin2013 - Ne peut être vendu séparément

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dondu sang

LagrandeaventuredelatranfusionAvantladécouvertedesgroupessanguinsen1900, laprocédurerestaithasardeuse.

IlafalluattendreleXIXesièclepourquecesselerecoursausanganimal

Le professeur Johanne Charbon-neau, sociologue, est titulairede lachaire de recherche sur le don desangàl’Institutnationalderecher-

che scientifique (INRS) à Montréal. Avecson équipe, ellemène une dizaine de pro-jets de recherche (consultables sur le sitewww.ucs.inrs.ca/chaire-don-sang).

Vous intervenez à Paris, le14 juin, lorsd’un colloque à l’Unesco dans le cadrede la Journéemondiale des donneursde sang, sur la problématiquede ladiversité ethnique chez les donneursde sang. Qu’en est-il ?

La recherche médicale a montré que,pour la santé du receveur, il était préféra-ble, pour certaines maladies qui requiè-rent de fréquentes transfusions sangui-nes, d’utiliser un sang semblable sur leplan des phénotypes sanguins. Par exem-ple, l’anémie falciforme (ou drépanocyto-se) est plus répandue au sein des popula-tionsnoires.

Depuis quelques années, les agencesd’approvisionnement en produits san-guinscherchentdoncà recruterdavanta-ge de donneurs au sein de cette popula-tion. Là où les recherches existent, com-me aux Etats-Unis, il est connu que cettepopulation donne proportionnellementmoins de sang que la populationmajori-taire blanche. Il est donc important detrouver des stratégies pour parvenir àrecruter de nouveauxdonneurs.

Plus généralement, les agencesessaient toujours de diversifier leur basede donneurs en tenant compte des grou-pes qui donnent moins de sang quelamoyenne. Les recherches montrentque les personnes nées à l’étranger (lesimmigrants) font partie des groupes quidonnent moins. Au Canada, comme enAustralie, une proportion grandissantedes populations urbaines est née àl’étranger.

Laproblématiqueduvieillissementdela population et le fait qu’il est beaucoupplus facile de donner du sang quand onhabite en ville (les sites sont plus nom-breux) font que les agences ont aussitout avantage à cibler ces populations encroissance. Il y a par exemple en Francede nombreuses initiatives pour recruterdes jeunes,quipourrontpar lasuitedéve-lopper une longue carrière de donneurs.

Lemodèle de don gratuit – commeen France – fonctionne-t-ilmieuxque celui des pays où le don estrémunéré?

Dans lamajorité des pays occidentaux,le don est gratuit. Dans les pays non occi-dentaux, des systèmes mixtes existent(volontaire, rémunéré, mais aussi don deremplacement).Onychercheégalementàdévelopper le don volontaire en priorité,dont on fait la promotion depuis lesannées 1970. Bien d’autres éléments peu-vent expliquer que ces pays couvrent ounonleursbesoins.Danscertainspaysocci-dentaux, comme en Allemagne, le systè-me combine le don volontaire de sangtotal et d’autres plus spécialisés (plasmasurtout) pour lesquels le donneur reçoitune compensation pour le déplacementou le temps passé (et non une rémunéra-tion).Larecherchemontrequelaprésencedes deux systèmes permet de bien com-bler les besoins. Ceci n’empêche pas deviser à plus long terme des objectifs quipermettront surtout de compter sur unsystèmevolontaire. L’Allemagneest auto-suffisante,maisbiendespayssontobligésd’importerduplasma.

Pouvez-vousnous citer des pays quiont changé demodèle? Qu’est-ce quecela a donné?

Ces changements sont récents dans lespays non occidentaux. L’Inde et la Chineen sont des exemples : ils sont passés audonvolontaire,modèlepromupar l’OMS.A court terme, la populationn’adhère pas

aussiviteàcenouveaumodèlequelesgou-vernements ou les agences le voudraient.Par exemple, il est difficile de convaincreune personne de donner son sang volon-tairement pour un « inconnu», commec’est le cas dans nos pays, alors que toutesa vie, on lui a dit qu’elle pourrait avoir àdonner d’urgence si un membre de safamille avait besoin d’une interventionchirurgicale, comme en Afrique (c’est ledon de remplacement : ce n’est pas lemembrede sa famille qui recevra ce sang,maiscelui-ciauraaccèsauxréservesparceque quelqu’un de son entourage y auracontribué).

Cette personne préférera certainementconserversonsangpourrépondred’abordauxbesoinspotentiels et imprévisiblesdesa famille. Ainsi, si elle accepte de donnertout de suite son sang, juste pour contri-buer à une réserve, qui sait si unmembredesafamillen’enaurapasbesoinlasemai-nesuivante,alorsqu’onnepeutdonnerdusangque tous les 56 jours.A court terme, ilest donc très difficile d’implanter un nou-veausystèmevolontaire.

Comment concilier gratuité du don etsécurité sanitaire, qui est une questioncruciale?

La recherche a toujours montré que ledonvolontaireétaitplussécurisé.Mais lesagencesquicollectentcontreunecompen-sationontfaitbeaucoupd’effortsaucoursdes dernières années pour que ce type dedon répondeauxmêmes standards.

L’évolutiondenotre société vers l’indi-vidualismeaux dépens de la solidarité

a-t-elle des conséquencesnégativessur le don de sang? Si oui, y a-t-ilunemise en péril dumodèle gratuit?Lamultiplicationdes produitsdérivés sanguinsmodifie-t-elleles choses?

Le don de sang est un acte solidaire,mais très individuel, si on le compare aubénévolat ou aumilitantisme, par exem-ple. Les gens vont généralement donnerdu sang seuls. Il n’y a pas de lien à faireentre la question de l’individualisme etcelle de la rémunération.Donner du sangpar aphérèse (permettant de prélever unseul composant sanguin) est plus long etplus compliqué qu’un don de sang total,et ce prélèvement peut être effectué plusfréquemment.

Cela change le rapport à la pratique dudondesangetc’estàcausedecelaquecer-tains pays pensent que les donneurs doi-vent recevoir une compensation, pourleurtempset leursdéplacementsplusfré-

quentsparexemple.Lesagencesd’appro-visionnement travaillent plutôt sur desstratégiesderéductionduvolumedepro-duits sanguins utilisés, et cherchent àgérer les stocks de sangpour enavoir suf-fisamment sans gaspiller. Cette volontéde rationaliser a émergé assez récem-ment, car il y a eu de nombreuses criti-ques sur le gaspillage de produits. Ce quiest en effet difficile à entendre pour undonneur.

Quelles sont lesmotivations sociologi-ques du dondu sang?

Il y a de nombreux travaux dans cedomaine. Lesmotivations sont très nom-breuses : sauver des vies, désir d’aiderautruietde jouersonrôledecitoyen,fairecomme son entourage, parce qu’on croitque cela est bon pour sa propre santé,pourdes raisons religieuses, etc. p

Proposrecueillis parPascaleSanti

Le don d’une seule unité desangpermetdesauver jusqu’àtrois vies», estime l’Organisa-tionmondialede la santé,qui,

depuis dix ans, a instauré une Jour-née mondiale des donneurs de sangle 14juin,dateanniversairede lanais-sance de Karl Landsteiner, décou-vreur des groupes sanguins ABO en1900. Avant ces travaux fondateurs,qui ont valu au médecin viennois leprix Nobel de médecine en 1930, latransfusionestrestéependantdessiè-cles une intervention hasardeuse,souvent mortelle. Au point d’avoirété un temps interdite en France,après ce qui fut en quelque sorte lepremier procès du sang contaminé,en 1668.

Les débuts de cette grande aventu-remédicalequ’est la transfusionsan-guinerestentincertains.Certainsspé-cialistes font remonter la toute pre-mière tentative de l’histoire en 1492.A Rome, où le pape Innocent VIII semeurt, un médecin préconise de luiapporter le sang de trois jeunes genspour lui rendre sa vigueur.

«Les trois “donneurs” meurent,“parce qu’il était entré de l’air dansleurs veines” (ou parce qu’on les avaitsaignésàblanc!), etaucuneaméliora-tion n’est observée chez Sa Sainteté,qui rend l’âme quelques jours plustard», écrivent Jean-Jacques Lefrèreet Bruno Danic dans un article paruen 2011 dans la revue Hématologie.Selon les deuxauteurs, l’authenticitéde cette transfusion est toutefoiscontestée: le sangn’aurait en fait pasété injectémaisbu,«enguisede liqui-de de jouvence».

Un peu plus étayées sur le planscientifique sont les expériencesmenées dans la deuxièmemoitié duXVIIe siècleparledocteurJean-Baptis-teDenis,médecinde LouisXIV.Quel-ques décennies plus tôt, vers 1630, leBritanniqueWilliam Harvey a décritles principesde la circulation sangui-ne, démontrant que le sang se distri-bue dans l’organisme par les artèreset revient au cœurpar les veines.

Révolutionnaire pour l’époque, sathéorieavaitdéclenchédevivespolé-miquesdanslacommunautémédica-

le, avant d’être finalement admise etd’ouvrir de nouveaux horizons pourla médecine et ses pionniers. Outre-Manche, des praticiens commencentàselancerdanslatransfusionsangui-ne entre chiens, notamment pourvoirsidetellesinterventionssontsus-ceptibles de changer le comporte-mentdes canidés. C’est cependantenFrance que sera réalisée la premièretentative chez l’homme.

«Menace d’excommunication»Le 15 juin 1667, assisté d’un chirur-

gien, le docteur Jean-Baptiste Denis«eut l’audace d’injecter par voie vei-neuse,pour lapremièrefoisdans l’his-toire de la médecine, neuf onces desang artériel d’un agneau à un jeunehomme de seize ans qui souffraitd’une maladie de la langueur, décritJean-Jacques Peumery dans un docu-ment intitulé«Jean-BaptisteDenisetsa liqueur hémostatique», publié en1974 dans la Revue d’histoire de lapharmacie. «Enhardis par ce premiersuccès, les deux protagonistes recom-mencèrent la même expérience chez

un homme bien portant, âgé de qua-rante-cinqans, qui n’en futnullementincommodédans les suites.»

Pour ledocteurDeniset ses confrè-res, ces résultats tendent à accréditerl’hypothèseselonlaquellelamélanco-lie ou d’autres formes de folie peu-vent bénéficier d’un apport de sangneuf, qui permet à l’organisme deretrouver une «bonne humeur». Lemédecinpublierad’ailleurssesobser-vations en un temps record le22juillet 1667, sous forme de lettre àla Société royale de Londres, équiva-lent de l’Académiedes sciences.

Mais cette petite série de réussitesne dure pas. Un nouveau patient âgéd’une trentaine d’années, AntoineMauroy,atteintdecequel’onappelle-raitsansdouteaujourd’huiunemala-die bipolaire, succombe après troistransfusionsdesangdeveau.Unpro-cès intenté par sa veuve s’ensuit enavril 1668, qui innocente le docteurDenismaissonneleglasdelatransfu-sion sanguine.

En 1670,unarrêtéduParlementdeParis « interdit à tous médecins et

chirurgiens d’exercer la transfusiondusangsouspeinedepunitioncorpo-relle. Le Parlement de Londres fit lamêmeinterdiction.Lapapautéyajou-ta la menace d’excommunication»,raconte l’hématologue PhilippeCasassusdansunarticle sur l’histoirede la transfusion, paru dans la revueMédecine en2009.

Il faudraensuiteattendreplusd’unsiècle pour que reprennent les expé-riences,dansunedémarchemédicaleplusmoderne.Désespéréde voir tantde femmes mourir d’hémorragieaprès l’accouchement, le BritanniqueJames Blundell pressent les bénéficesquecelles-cipourraienttirerdestrans-fusionset imaginedessolutionspouraméliorer les instruments. Surtout,conscientdes risquesde recourir à dusang animal, il préconise une appro-ched’autotransfusion.Onest en 1818,soit quatre-vingt deux ans avant ladécouverte des groupes sanguins. Laquête de la sécurité des transfusionssanguinesest loind’êtregagnée,maisungrandpas a été franchi.p

Sandrine cabut

«C’est unactesolidaire,

mais très individuel,si on le compare

aubénévolat. Les gensvont généralement

donner du sang seuls»

«Ilestdifficiled’implanterunsystèmevolontaire»

e n t r e t i e n | SelonlasociologuecanadienneJohanneCharbonneau,lespopulationsdepayspratiquantlarémunérationdesdonsdusang

adhèrentdifficilementaudonbénévole,pourtantplussécurisé

3 104 295prélèvements tous dons confondus(sang totale, plasma, plaquettes)

donneurs de sang

nouveauxdonneurs

1 708 541

demalades soignés1 000 000

348 168

dons de sang nécessaireschaque jour

10 000

Les chiffres-clés en France en 2012

En France, 10 000 dons de sang sont

DR

II 0123Vendredi 14 juin 2013

Page 41: Le Monde newspaper

dondu sang

L’embryon est capable deproduireles220lignéescel-lulaires différentes ducorps humain grâce à la

division de ses cellules souchesdites pluripotentes. L’adulte, lui,ne possède plus qu’un contingentdecellulessouchesauxpotentiali-tés plus limitées qu’on appellemultipotentes. Parmi elles, les cel-lules souches hématopoïétiques(CSH), découvertes 1961 par JamesTill et ErnestMcCulloch.

Présentesdanslamoelleosseuse,les CSH sont capables de se diviseretdesedifférencierentoustypesdecellules sanguines ou immunitai-

res : globules rouges, globulesblancs et plaquettes. Les premierstransportent l’oxygène jusqu’auxcellules. Les deuxièmes défendentl’organismecontre les infections etassurent la destructiondes cellulesinfectées oumortes. Enfin, les pla-quettesmaintiennentla fluiditédusanget lacoagulation.

Il existe trois sources possiblesde CSHutilisables pour une greffechezunmalade: lamoelleosseuse(ou cellules souches médullaires),le sang périphérique (ou cellulessouches périphériques) ou encorele sangde cordonombilical.

A l’heure actuelle, les CSHd’ori-gine médullaire ou périphériquesont principalement utiliséespour le traitement des leucémies

– et parfois de certaines tumeurs.Lesleucémiesfontpartiedesmala-dies du sang qu’on appelle leshémopathies. Elles sont dues à laprolifération de cellules anorma-les dans la moelle osseuse et quisont les précurseurs des globulesblancs. Le schéma de traitementdébute par une chimiothérapieintensive, qui détruit les cellulesde la moelle osseuse malignes etnormales, suivie parune greffe deCSH prélevées chez un donneurcompatiblesur leplanimmunolo-gique.

«Les CSH greffées régénèrentunemoelle normale et éradiquentles cellules leucémiques résiduel-les», explique Michael Sieweke,créateur du laboratoire Biologiede la cellule souche et du macro-phage au centre d’immunologiede Marseille-Luminy. Le mêmeprincipe est appliqué à d’autreshémopathies malignes, où il fautremplacer le système sanguinpathologiquepar des cellules nor-males.

D’autres utilisations actuellessont plus expérimentales. C’est le

cas dans certaines maladiesinflammatoires ou auto-immu-nes (arthrite rhumatoïde, scléro-dermie…) caractérisées par unehyperactivitédusystèmeimmuni-tairedirigéecontrel’organismelui-même. Dans le diabète de type1,cette hyperactivité détruit les cel-lules du pancréas fabriquant l’in-suline. Dans le cas de maladesréfractairesauxtraitementsclassi-ques, la greffe des propres CSHdupatient permet de réinitialiser etde reconstituer le système immu-nitaire.

Il est égalementpossibled’insé-rerdans les cellules la versionnor-male d’un gène pour réparer uneversion défectueuse et corriger àlong terme une maladie généti-que. C’est ce qu’a réalisé l’équipeparisienned’AlainFischer,MarinaCavazzana et Salima Hacein-Bey-Abina en 1999 dans le déficitimmunitaire combiné sévère liéau chromosome X (DICS-X), puisen2009dans ledéficitenadénosi-nedésaminase.Demême,l’équipede Patrick Aubourg a traité desenfants souffrant d’une grave

maladie du système nerveux cen-tral, l’adrénoleucodystrophie.

Mais l’avancée la plus récente aété accomplie par des chercheursde l’Inserm, du CNRS et du MaxDelbrück Centrum de Berlin, diri-gés par Michael Sieweke. Publiésdans la revue Nature datée du10avril, leurs travaux remettenten cause une idée qui paraissaitbien établie sur les CSH, à savoirqu’elles se différencieraient demanièrealéatoire.Cettethéorienepermettait pas de comprendrecomment les CSH pouvaientrépondreàdes situationsd’urgen-ce, par exemple lorsque se déclen-cheune infection.

«Nous avons démontré que lesCSH étaient sensibles aux signauxextérieurs et modifiaient leur des-tinpourfournirdescellulesspéciali-sées en fonction de la demande»,raconteMichaelSieweke.Lescher-cheursont identifiéunemolécule,le Macrophage colony-stimula-ting factor (M-CSF), qui est produi-te en grande quantité en cas d’in-fection ou d’inflammation. «C’estelle qui indique spécifiquement lechemin de différenciation que doi-vent prendre les CSH. Elle agit enquelquesorte sur l’interrupteurquidéclenche la productionde cellulesspécialisées, les macrophages»,détaille Michael Sieweke. A l’ave-nir, lamaîtrisedecesignalpermet-trait d’accélérer la fabrication deces cellules chez les malades pré-sentantunrisqueaigud’infection.

Michael Sieweke évoque égale-ment une voie expérimentale quiserait l’amplificationdes CSHpro-venantdusangdecordon.Cesder-nières sont beaucoupmoinsnom-breuses que celles de la moelle.Actuellement, on ne sait pas culti-ver à long terme les CSH, qui sontdes cellules au repos, mais deschercheursontpu,grâceàdifféren-tes molécules, les faire se multi-plier tout en retardant leur diffé-renciation afin qu’elles puissents’autorenouveler.p

PaulBenkimoun

Lagreffe des proprescellules souches

hématopoïétiquesdupatient permetde réinitialiser et de

reconstituer le systèmeimmunitaire

Cellules souches hématopoïétiquesobservées parmicroscopie électronique à balayage.SCIENCEPHOTOLIBRARY/COSMOS

Lescellulessouches,précieusesaides-soignantesDéjàutiliséesdans le traitementdes leucémies, les cellulessoucheshématopoïétiquespourraientbientôt

offrirdenouvellesapproches thérapeutiquespourdesmaladies inflammatoiresouauto-immunes

9 950collaborateurs à l’EFS

1 900hôpitaux et cliniques approvisionnés

en produits sanguins

152sites EFS en France

18 % demoins de 25 ans

13 % de plus de 60 ans

44,5 % de 40-60 ans

24,5 % de 25-40 ans

répartis comme suit

Moins de 5

De 5 à 10

De 10 à 20

De 20 à 30

Plus de 30

Absence de données

Moins de 25

De 25 à 50

De 50 à 90

De 90 à 99

De 99 à 100

Absence de données

TAUXDE DONNEURS PAR PAYSEn‰, en 2008

TAUXDE BÉNÉVOLES PARMI L’ENSEMBLE DES DONNEURSEn%, en 2008

SOURCE : ÉTABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG (EFS), ORGANISATIONMONDIALE DE LASANTÉ (OMS)

Les donneurs dans le monde

nécessaires chaque jour

III0123Vendredi 14 juin 2013

Page 42: Le Monde newspaper

dondu sang

Q uellessontlesmotivationsdes jeunes Français quidonnentleursang?Etquel-lessont,acontrario, lesrai-

sons avancées par ceux qui ne lefont pas ? Pour faire un état deslieux des attitudes et des connais-sances des étudiants concernantles dons du sang et mieux cernerleurs souhaits dans ce domaine,l’Etablissement français du sang(EFS)amenéuneenquêtenationa-le en 2012, en collaboration avecl’Institutdesantépubliqued’épidé-miologie et de développement deBordeaux.Le questionnaire, accessible en

ligne, a été complétépar8434 étu-diants,âgésde18à30ans.Les fem-mes étaient largement majoritai-res : 6 260, pour 2 174 hommes.Prèsdesdeuxtiersdesrépondantsétaient déjà donneurs de sang, etsouvent des donneurs fidèles. En

revanche, 3061 n’avaient jamaisfranchi le pas, qu’ils aient ou nonl’intentionde le faire. Si cet échan-tillon conséquent n’est pas typi-quede lapopulationétudiante,dufait de la surreprésentation desdonneurs de sang, l’enquête estriche en enseignements.Sans surprise, la grandemajori-

té de ces jeunes gens, qu’ils soientdonneurs ou non, savent globale-ment à quoi sert le don du sang.Mais leurniveaudeconnaissancesconcrètes de son organisation estparfois limité, en particulier chezlesnon-donneurs.Ainsi,parmicesderniers, moins de 60% connais-sent l’adresse d’un lieu de collecte(la proportion est de 87,9% chezceux qui donnent), et à peine plusd’un sur deux considère être bieninformé sur le sujet (la proportionestde86,8%chezlesdonneurs).Lesite www.dondusang.net de l’EFS

–sourced’informationspratiques,dont les coordonnées des lieux decollecte – n’est connu que de28,70% des non-donneurs (contre63,12%des donneurs).

Peur etmanque de tempsAinsi que l’ont déjà montré

d’autres enquêtes en populationgénérale, le don du sang est perçuavant tout commeun acte altruis-te : 80% des étudiants donneurscitent l’«envie d’être utile» et d’ef-fectuer«unactedesolidarité»com-me motivation de leur premierdon.Un sur cinqdit avoir réponduà un appel lors d’une campagnemédiatique. Près de 14% ont étéconvaincuspardesamis, lapropor-tion étant plus élevée auprès de lapopulation masculine (16,77%)que chez les femmes (13,59%). Leshommes sont égalementplus sen-sibles à la collation offerte : pres-

que 12% la citent comme élémentdemotivationaupremierdon, soittrois fois plusque les femmes.Les motivations de ceux qui

deviennent des donneurs «fidéli-sés» évoluent. Le fait de se sentirutile continue à être cité par plusde 80% d’entre eux,mais d’autresfacteurs apparaissent : l’accueilchaleureux (évoqué par presque60% des donneurs fidèles), l’habi-tude (54%) ou encore le fait de «nepasavoireumal» (44%).Cedernierargument estmis plus souvent enavant par les garçons (49%) quepar les filles (43%). Presque troisétudiants sur dix ont été sensiblesaux «explications convaincantesde l’intérêt dudon».Quant aux étudiants non don-

neurs mais ayant cette intention,ils évoquent de multiples freins.Chez les femmes, la peur sembleêtre l’un des principaux argu-

ments: crainte de faire unmalaise(41,7%), appréhensiondesaiguillesou des piqûres (31,5%) ou peurd’avoir mal (28,5%). Chez les gar-çons, c’est lemanquede tempsquivient en tête (38,3%), devant deshoraires incompatibles avec l’em-ploidu temps (27,9%).La «peur d’être fatigué après le

don» est citée presque à égalitédans les deux sexes, par environun étudiant sur quatre. Fait rassu-rant, l’enquête identifie des argu-ments à même de convaincre lesnon-donneursde donner: y aller àplusieurs avec des proches (58%),habiter ou étudier à proximité dulieu de la collecte (47,4%), connaî-tre à l’avance les lieux et horairesde celle-ci (44,4%), être davantageinformé (34,2%), savoir qu’unpro-che est soigné grâce au don dusang (23%).p

SandrineCabut

Il attendait avec impatience le jour de ses18 ans pour le faire. Depuis, Victor Mon-chy, étudiant en médecine, a donné sonsang à quatre reprises. La dernière fois,c’était le 6 juin. En France, les hommespeuventdonner leur sang six fois par an,

les femmes quatre. Ce jour-là, une trentaine depersonnessontvenuesdonner leursangà laMai-son du don Trinité, dans le 9e arrondissement deParis. Issuedescentresdel’Hôtel-DieuetdeSaint-Vincent-de-Paul, cette structure, qui a ouvert sesportes en juillet2012, «est l’un des huit sites nou-velle génération de l’Etablissement français du

sang [EFS] situés au cœur des villes», explique ledocteurDjamel Benomar, responsable de ce cen-tre. Le lieu est connecté enWi-Fi, des iPad et lec-teurs DVD sont à disposition pour les donneursdeplaquettes.Nicolas Mandard vient de terminer de regar-

der un film et de se faire prélever plaquettes etplasma (le prélèvement dure une heure etdemie). Cet étudiant en droit de 22 ans a, pour sapart, donné son sang une dizaine de fois depuistroisans.«Celamefrustraitdenepaspouvoirdon-ner avant d’avoir 18 ans », confie Nicolas, qui dis-poseaussid’unecartededonneurd’organes.Unecollecte a été organisée dans son université.Depuis, il vient quandon l’appelle. «On s’est sen-tis concernés. Aider les gens qui en ont besoin, ensauver certains… l’aspect citoyen est le plus moti-vant, surtoutpour lesdonsassez longs», précise lejeunehomme.MêmechosepourVictorMonchy,pour qui c’est davantage un acte généreux : « Onnedemanderien,onoffre.»Lesplaquettes,ceserale jour de ses 20 ans.

«Dès que je peux, je vais donner mon sang»,raconteFrédériqueHermann,étudianteenmana-gement. En une dizaine de minutes, 450millili-tres sont prélevés –le maximum est de 490ml.«J’aicommencéenterminale, ilyavaiteuunesen-sibilisation au lycée. Peu de personnes ont letemps,alorsque çapeut servir àd’autres,avoue lajeune fille. J’en parle assez souvent autour de

moi.» Et elle peut être fière d’elle, puisqu’elle aconvaincu son copain, qui vient lui aussi de don-ner son sang. Frédérique Hermann s’est mêmevuproposerunautretypededonréservéauxcan-didats réguliers : «On vient deme parler des pla-quettes.»

«Cela peut nous arriver à tous d’avoir besoind’une transfusion, c’est important», explique Eli-sabethChazelle, jeune femmede26ans.«Undonde sang égale une vie sauvée : ce n’est pas de lapublicité, c’est une réalité», insiste le docteurBenomar. «On connaît tous des gensmalades ouqui ne sont plus là», indique Marie Cransac. Lajeunefemme,visiblement très impliquéedans lacause,essaied’entraînersescollèguesetsesamis,mais avoue avoir dumal : «Beaucoup redoutentl’aiguille.»Laurence, qui n’a pas souhaité communiquer

son patronyme, est directrice des ressourceshumaines dans une entreprise du quartier. Elledonneànouveauaprèsl’avoirbeaucoupfait lors-qu’elle était plus jeune. Le scandale du sangcontaminéa jouédans cettepause. Aujourd’hui,elle anouéunpartenariat avec laMaisondudonpour des inscriptions groupées : «C’est l’occa-sion de rester entre collègues pendant une heure

et d’amener des primo-donneurs », souli-gne-t-elle.Sylvie Pithon, qui vient tous les quatre mois

pendant la pause déjeuner, a donné ses plaquet-tes. «C’est un peu égoïste, ça me fait plaisir ; jerends service car je suis en bonne santé, je donnequelquechosedemoi», confie-t-elle.Cettequadra-génaire qui travaille dans le quartier donnedepuis vingt ans. Quant à Adeline Rouvier, âgéede27ans,elleadéjàdonnésixouseptfoiset lefait«pour rendre service, pour aider les gens, parceque cela prend une demi-heure à une heure, c’estfacile».Si ces personnes sont toutes très motivées

–une jeune femmevientmêmeavec sonbébéde11mois –, il n’est pas toujours facile demobiliser.Des actions de prospection sont régulièrementlancées. Mais, la veille par exemple, lors d’uneopération menée toute la journée aux GaleriesLafayette, il n’y a eu que 30 donneurs sur1500salariés.En moyenne, 35personnes viennent chaque

jour à la Maison du don. «L’objectif : 50prélève-ments par jour», souhaite le docteur Benomar.Pour ce faire, il est prévu d’ouvrir les portes ducentre jusqu’à 19heuresà la finde l’année, contre

16heuresaujourd’hui,afindepermettreauxdon-neursde venir en sortantdubureau.Pour les plaquettes, dont la durée de vie n’est

que de cinq jours, les candidats sont appelés enfonction des besoins. «Quand il y a des besoins,on fait des actions, comme envoyer des SMS, pourcontacter les donneurs potentiels de plaquettes,note ledocteurBenomar.Onaunbaromètreheb-domadaire des besoins en sang afin de pouvoirtirer la sonnette d’alarme.»Mais tousceuxquipoussent laporteducentre

nedonnentpas leursang.De13%à14%sontreto-qués, pour des contre-indications temporaires(moins de 50kg, grossesse, soins de carie…) oumédicales. Les personnes risquant de transmet-tre un agent pathogène (sida, hépatite) ne sontpas autorisées à donner, de même que celles enétat d’anémie. Ce qui est parfois difficile à accep-ter pour les volontaires. « Je suis rayée de lacarte à vie, regrette Elise, infirmière qui a eu untraitement de chimiothérapie. Heureusementj’ai tout donnépar le passé: globules rouges, plas-ma, globules blancs.»p

Pascale Santi

>Où donner son sang: dondusang.net

Chiffres

«Dès que je peux,je vais donnermonsang.

J’ai commencéen terminale, il y avait eu

une sensibilisationau lycée. Peudepersonnesont le temps, alors que

çapeut servir àd’autres»FrédériqueHermann

étudiante enmanagement

«Onnedemanderien,onoffre»r e p o r t a g e | Enmoyenne35personnesviennentchaquejouràlaMaisondudonTrinité,dans le9e arrondissementdeParis.Cecentrenouvellegénération,ouvertenjuillet2012,metWi-Fi, iPadet lecteursDVDàdispositiondesdonneursdeplaquettes

8434C’est le nombred’étu-diantsqui ont complétéle questionnaireen ligne.

80%C’est la part des étudiantsdonneurs citant l’«envied’êtreutile» et d’effec-tuer «unacte de solidari-té» commemotivation.

20%C’est la part d’étudiantsayant réponduàunappel au don, lors d’unecampagnemédiatique.

UnactealtruistemaisméconnuSelonuneenquêtemenéeauprèsdesétudiants,80%sontpousséspar l’envied’êtreutiles.Maisplusd’unnon-donneursurdeuxseconsidèremal informé

A laMaison du don Trinité à Paris, le 6 juin.NICOLASKRIEFPOUR« LEMONDE»

IV 0123Vendredi 14 juin 2013