Le Monde et la Suisse

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Résumé CONFéRENCE SUR L’éVOLUTION éCONOMIQUE MONDIALE Le Monde et la Suisse M. Pascal Couchepin Ancien Conseiller fédéral M. Philippe Mottaz Journaliste, directeur d’Anyscreen M. Bruno Jacquier Economiste – Banque Privée Edmond de Rothschild LAUSANNE-PALACE, LE 1 ER FéVRIER 2011 M. Pascal Lamy Directeur général de l’Organisation mondiale du commerce

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Banque privée Edmond de Rothschild Conférence sur l'évolution économique mondiale

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Résumé

CONFéReNCe suR l’évOlutiON éCONOmique mONdiale

Le Monde et la Suisse

M. Pascal Couchepinancien Conseiller fédéral

M. Philippe MottazJournaliste, directeur d’anyscreen

M. Bruno Jacquiereconomiste – Banque Privée edmond de Rothschild

lausaNNe-PalaCe, le 1eR FévRieR 2011

M. Pascal Lamy directeur général de l’Organisation mondiale du commerce

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CONFéReNCe suR l’évOlutiON éCONOmique mONdiale

dans son introduction, m. Roland Humbert, directeur de la Banque Privée edmond de Rothschild à lausanne, releva que le monde économique vit aujourd’hui une mutation pro-fonde, en rapide accélération. alors que l’on a tant parlé du déséquilibre nord-sud ces dernières années, aujourd’hui, les échanges sud-sud se développent rapidement. les pays émergents, sortis presque indemnes de la récente crise économique, sont en plein boom. a l’opposé, les pays indus-trialisés, affaiblis par la crise, voient leur croissance freinée par des endettements colossaux. a ceci s’ajoute l’inconnue de l’évolution des prix des matières premières.

Divergences fondamentales

m. Humbert souligna en outre le fait que des divergences restent importantes, entraînant plusieurs inconnues dans l’appréhension de l’évolution économique future. ainsi, l’europe tente de trouver une solution à son surendettement, en appliquant des plans d’austérité qui suscitent maintes op-positions. en outre, l’euro reste la seule monnaie sans base constitutionnelle. les etats-unis, pour tenter de relancer à tout prix leur machine économique, noient les marchés de liquidités et font payer la facture aux autres économies par la baisse du cours du dollar. avec le risque que ces capitaux artificiels provoquent de nouvelles bulles.

Gouvernance mondiale : à la recherche de légitimité et d’efficacité

Dans un monde en rapide mutation, tant économique, politique que sociale, comment la coopération entre les Etats peut-elle se renforcer ? La crise de 2008-2009 a montré la nécessité de disposer d’une gouvernance mondiale. Quels en seront les acteurs et les règles ? Le riche débat a donné quelques esquisses de réponses.

JeaN-lOuis emmeNeGGeR

la Chine, elle, engrange des dollars à tour de bras et devient le principal créancier des pays industrialisés. elle s’affirme clairement comme une nouvelle puissance économique et politique sur l’échiquier mondial, tout en diversifiant ses réserves monétaires. la Chine envisage même de signer son premier accord de libre-échange avec la suisse : la signature d’un tel accord représenterait une formidable opportunité pour notre pays.« la nouvelle géopolitique est en marche, le centre de gravité du monde se déplace sous nos yeux, mais n’oublions pas que la nouvelle locomotive de la planète reste encore un pays à parti politique unique » releva encore m. Humbert.

De la crise financière à la crise sociale

la « guerre des monnaies » qui fait rage ces mois est la conséquence de l’absence de convergence des politiques économiques. a terme, ses effets sur la croissance économique mondiale pourraient être négatifs. et rien ne laisse penser que cette harmonisation est pour demain. a cela s’ajoute le danger d’un dérapage des finances publiques (avec inflation, contrôle des changes). la crise 2008-2009 fut d’abord fi-nancière, puis devint rapidement une forte crise économique. aujourd’hui, le monde aborde une crise sociale – les

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événements de tunisie et d’egypte en sont de flagrants exemples – dont les conséquences pourraient être lourdes. dans un tel contexte chahuté, « la suisse s’en sort relative-ment bien » estime m. Humbert. « mais la stabilité politique, la stabilité économique et la stabilité sociale qui caractérisent la suisse ne sont pas inscrites dans le marbre de l’éternité » conclut m. Humbert, avant de céder la parole aux deux invités de marque venus échanger leurs visions sur les contours d’une nouvelle gouvernance mondiale.

Pour débattre de ce thème controversé, la Banque Privée edmond de Rothschild et Philippe mottaz, en sa qualité de modérateur, avaient convié le Français Pascal lamy, directeur général de l’OmC, l’un des penseurs et des architectes de la mondialisation et de la gouvernance mondiale, et l’ancien Conseiller fédéral Pascal Couchepin, familier de ces enjeux puisqu’il avait participé en 1999 au lancement du cycle de négociations de doha.

Vers une nouvelle gouvernance mondiale ?

depuis quelques années, il y a clairement un « déplace-ment du pouvoir mondial », dont les conséquences sur les etats et leurs gouvernements ne sont pas toujours faciles à analyser. mais ce déplacement les oblige, maintenant déjà, à penser au rôle qu’ils pourront jouer dans la perspective d’une future gouvernance mondiale. a cet égard, les ques-tions sont aussi nombreuses que difficiles : qu’est-ce que la gouvernance mondiale ? quel est son rôle ? quelle insti-tution pourrait assumer un tel rôle ? sur quelles bases une

gouvernance mondiale pourrait-elle asseoir sa légitimité ? et quelles sont ses chances de succès ? et la suisse, com-ment peut-elle appréhender cette nouvelle donne ? Com-ment va-t-elle se préparer à ces changements et définir sa nouvelle place dans le monde de demain ? la suisse a-t-elle encore un rôle à jouer ?

Les enjeux de la gouvernance

définissant la globalisation (qui est à l’origine de la notion de gouvernance mondiale) comme « une étape historique du capitalisme de marché parmi toutes celles qu’il a connues jusqu’ici », m. lamy voit trois éléments à sa source. il y a la technologie, avec deux inventions marquantes : le conteneur de transport et le procédé d’interconnexion entre les ordina-teurs. Ces deux inventions ont permis un bond des échanges commerciaux comparable au passage de la marine à voile aux bateaux à moteur. il y a la géopolitique et ses conséquences, qui ont entraîné des croissances économiques fortes dans les pays d’asie et au Brésil, mais avec des conséquences sociales et les tensions politiques. enfin, il y a la psycho-politique, c’est-à-dire la perception de cette globalisation par les peuples.

selon m. Couchepin, les deux inventions sont des « actions » de la globalisation. mais pour vraiment la comprendre, « il faut avoir une vision plus large et plus politique ». aujourd’hui, force est de constater que l’europe est faible : elle a perdu la légitimité qu’elle détenait dans le passé. Par leur indépendance, les etats ont acquis leur légitimité, mais ils veulent aujourd’hui une recon-naissance et une place dans les organisations internationales.

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La nécessité du consensus

la globalisation a des conséquences positives pour m. lamy : un gain en efficience, entraînant une certaine croissance et une amélioration globale du niveau de vie des pays. elle a aussi permis de réduire en partie certaines inégalités. mais elle a aussi entraîné des effets négatifs : les conflits sont partout en augmentation.

la gouvernance mondiale implique un très large consensus. Or, comme il peut y avoir un retard de croissance, il y a aujourd’hui un « retard dans ce consensus » : les régulations manquent et les institutions internationales sont devenues lourdes et difficiles à manier. la cause tient principalement au fait que chaque etat est souverain. C’est l’articulation de toutes ces souverainetés qui rend les choses si complexes. et de rappeler que ce sont les traités de Westphalie de 1648 qui ont concrétisé la notion de souveraineté des etats et mis en place un système de coopération durable.

Efficacité et légitimité

mais les organisations internationales n’ont-elles pas été créées pour coordonner les souverainetés des etats pour atteindre des objectifs communs ? Certes, mais encore faudrait-il que deux problèmes soient résolus. Celui de l’efficacité d’abord : les organisations internationales sont très nombreuses, éparpillées (ce qui diminue leur efficacité) et il y a souvent des conflits d’objectifs entre elles. Celui du leadership ensuite, qui est difficile à résoudre. enfin, il y

a celui de la légitimité. m. lamy estime que le pouvoir est légitime lorsqu’il est près des gens, qui ont alors un pouvoir de décision sur les affaires de l’etat. mais est-il possible de faire une gouvernance sans l’ancrer dans le territoire local ?

Prenant le cas de l’union européenne, m. lamy a salué le fait que l’ue soit le laboratoire le plus avancé pour trouver une gouvernance. mais il constate aussi que l’espace eu-ropéen n’est pas habité par une légitimité réelle. la légiti-mité de l’ue est celle que lui confèrent ses représentants nationaux.

Et le G20 ?

Pour m. Couchepin, le G20 « ajoute une couche supplémen-taire aux autres déjà existantes ». C’est avant tout un lieu de discussion, bienvenu et positif. mais, selon lui, il faut éviter que le G20 ne devienne un organe de direction ou de déci-sions. au sein des organisations internationales, in fine, il faudrait arriver à ce que les etats réussissent à dépasser leurs intérêts nationaux. toute la difficulté est là. Comment inventer de nouvelles formes de coopération pour promouvoir la paix, le bien-être, la croissance économique, la démocra-tie, la liberté ? se demande m. Couchepin. la globalisation a tout de même apporté de nouvelles règles de commerce (grâce à l’OmC), une prise de conscience de la dégrada-tion de notre environnement et de l’intensité des problèmes sociaux mondiaux. « Nous devons essayer de résoudre des problèmes concrets, donner la place à des pays comme la Chine, coordonner les politiques sectorielles, etc. » affirma m. Couchepin.

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Rebondissant sur un autre « organe mondial », le Conseil de sécurité des Nations unies, m. lamy déplora que l’on accorde encore un droit de veto aux pays vainqueurs de la 2e guerre mondiale. « a l’OmC, les pays émergents ont trouvé leur place ! » précisa-t-il. mais la question essentielle subsiste : à qui donner le pouvoir supranational ?

Une Suisse expérimentale

une esquisse de solution pourrait se trouver au niveau local. autrement dit, travailler davantage avec les partis politiques, les syndicats et la société civile, car en général, ces entités prennent mieux en compte les éléments globaux et les com-parent aux données locales qu’elles connaissent bien. le but final est de vraiment tenir compte des opinions des citoyens d’un pays, par le biais de votations.

« mais c’est justement ce que fait la suisse ! » releva m. Couchepin, en énumérant quelques décisions aux implica-tions internationales qui ont été soumises au peuple suisse : adhésion à l’Organisation des Nations unies (ONu), au Fonds monétaire international (Fmi), la libre circulation des person-nes, l’entrée dans l’aele. dans le cadre d’études de rating des pays dans le monde prenant en compte des paramètres autres qu’économiques et financiers, en tête du classement, on trouve toujours des petits pays. la raison selon m. lamy : « les petits systèmes se gouvernent plus facilement, car la solidarité y est plus forte ».

Internet et Facebook : les nouveaux moteurs ?

« l’internet, par sa logique contributive et participative et l’absence de centralité dans sa gouvernance peut-il ouv-rir des pistes de réflexion sur une architecture différente des institutions, dont la gouvernance mondiale pourrait s’inspirer ? ». la réponse de m. lamy fut à double face. d’une part, l’élément de communication de ces deux supports a un côté incitatif positif : ces technologies facilitent l’ouverture au débat public dans un pays. C’est le côté d’agora mod-erne d’internet. mais, d’autre part, et c’est le revers de la médaille, il n’y a aucune création de conscience politique. Pour m.lamy, « Rien ne va remplacer le débat politique, la discussion et le choix ».

avec internet, m. Couchepin aurait tendance à voir une forme de démocratie directe, comme en suisse, avec l’expression

libre des opinions de chacun. si le débat est structuré, si des procédures claires sont mises en place, il y a peut-être là une forme de débat à promouvoir. « la suisse doit se poser la question : comment peut-on inventer de nouvelles structures de démocratie directe ? » lança m. Couchepin.

Multinationales et ONG

le dr. daniel Warner, ancien directeur adjoint de Hei et du Centre sur la gouvernance mondiale, s’étonna de ne pas avoir entendu parler des « acteurs non étatiques » que sont les multinationales et les ONG, alors que les multinationales disent souvent aux représentants des etats ce qu’ils doiv-ent faire. C’est un fait que les multinationales influencent les etats, mais de toute façon, un filtre gouvernemental va agir, lui fut-il répondu. quant aux ONG, certaines ont une influence sur les etats. Pour m. Couchepin, « il faut avoir des acteurs qui ont une vision globale. Or, les mul-tinationales n’ont qu’une vision unidimensionnelle. il faut éviter les organisations qui ont une vision partielle, la leur uniquement ».

Relations USA-Chine

a la question de savoir comment les relations (diplomatiques, commerciales, militaires, etc.) entre les deux « grands » de la planète, les etats-unis et la Chine, avec leurs zones d’influence respectives, vont évoluer à l‘avenir, m. lamy mit en évidence deux aspects qui lui paraissent spécialement importants. le premier concerne les domaines de la tech-nique et du commerce, où l’interconnexion est aujourd’hui déjà très intense entre les deux pays. le second aspect est plus complexe : il concerne les « valeurs identitaires nation-ales ». Chacun des deux pays a les siennes, et elles sont très différentes aux etats-unis et en Chine. ainsi, des valeurs comme la tolérance, l’obéissance ou la démocratie sont perçues totalement différemment en Chine et aux etats-unis. théoriquement, ces valeurs pourraient être (ou devenir) la source d’affrontements entre les deux pays. la qualité des relations va donc dépendre de l’approche que chacun des deux « grands » choisira : si chaque pays prend la peine – ce qui implique bien sûr un effort – de comprendre les valeurs essentielles de l’autre et s’efforce de les tolérer, les valeurs s’ajusteront et permettront d’ouvrir la voie à un certain prag-matisme. selon m. lamy, les efforts fournis actuellement par les deux « grands » vont dans la bonne direction, ce qui lui permet d’être optimiste pour l’avenir.

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Accélération de la globalisation

le rythme du processus de globalisation s’est accéléré. d’ici à 2015-2020, le poids économique des pays émergents pourrait rattraper celui des pays industrialisés. On constate d’ailleurs que les pays émergents ont très bien résisté à la dernière crise économique de 2008-2009, contrairement aux précédentes. Paradoxalement, ce sont les pays dével-oppés qui se sont fortement endettés, les pays émergents finançant grâce à leur épargne excédentaire la surconsom-mation des pays industrialisés.

Suisse : une situation positive

la suisse a aussi subi la récente crise économique, mais moins fortement que ses voisins européens. la croissance

économique de la suisse a même été soutenue en 2010 (+ 2,6% pour le PiB réel). Ce taux est nettement supérieur à la plupart des pays de l’union européenne.

Plusieurs facteurs expliquent cette bonne tenue de l’économie suisse : le commerce extérieur, qui a retrouvé un bon rythme ; la consommation des ménages, qui n’a que peu faibli grâce au faible taux de chômage ; la vigueur du crédit aux privés (grâce aux interventions de la BNs) ; l’absence de bulle immobilière et une inflation sous contrôle.

a ces quelques éléments s’ajoutent encore une imposi-tion fiscale favorable, un système de formation technique, universitaire et continue parmi les meilleurs du monde, une dette étatique sous contrôle, et des exportations pri-vilégiant la qualité, les biens de consommation et les pays de l’asie émergente, sans oublier la stabilité politique et sociale séculaire de la suisse.

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Croissance du Produit Intérieur Brut (PIB)

Les atouts de la Suisse

Dans sa présentation, M. Bruno Jacquier, directeur-adjoint et économiste de la Banque Privée Edmond de Rothschild, a décrit la situation économique mondiale en ce début de 2011, ainsi que celle de la Suisse.

Suisse Zone Euro Royaume-Uni Etats-Unis Japon-12%

-10%

-8%

-6%

-4%

-2%

0%

2%

4%

6% Moyenne 2004-2007 Récession de 2008-2009 Ecart par rapport au dernier pic économique

3.3%

0.4%

2.4% 2.5% 2.6%

-3.4%

2.0%

-4.1%

-0.6%

-6.5%

-5.3%

-3.1%-3.9%

-3.3%

-10.1%

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Dette des Etats (% PIB)

Taux de chômage (% pop. active)

Balance commerciale avec la Chine (% PIB)

Zone Euro Etats-Unis Japon Suisse

80 82 84 86 88 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 100

2

4

6

8

14

12

10

3.8%

Suisse Japon Zone Euro Royaume-Uni Etats-Unis

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009-2.5%

-2%

-1.5%

-1%

0.5%

0.5%

0%

20%

0%

40%

60%

80%

100%

120%

140%

160%

180%

200%

Suisse Zone Euro Royaume-Uni Etats-Unis Japon

Dette historique en 2007 Dette additionnelle 2008-2011

-8%38% 39%

21%

36%

98%

196%

8%

87%84%

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