Le Monde - 09 12 2020

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MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2020 76 E ANNÉE – N O 23613 3,00 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR – FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO AlgĂ©rie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,20 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 ÂŁ, GrĂšce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 440 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La RĂ©union 3,30 €, SĂ©nĂ©gal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA SCIENCE & MÉDECINE – 4 PAGES EN NORMANDIE, LA DÉCOUVERTE D’UNE TOMBE PRINCIÈRE NOUS ÉCLAIRE SUR L’ÂGE DU BRONZE DĂ©confinement : le risque d’un report du calendrier ▶ AmorcĂ©e depuis la mi-novembre en France, la dĂ©crue de la deuxiĂšme vague marque le pas, pour des raisons que les autori- tĂ©s s’expliquent mal ▶ Les cas d’infection ont atteint un plateau, autour de 10 000 par jour, loin du seuil des 5 000 cas fixĂ© pour assouplir le confine- ment le 15 dĂ©cembre ▶ Ce seuil devait permet- tre la rĂ©ouverture des cinĂ©mas et salles de spec- tacle, la fin de l’attestation de sortie et son remplace- ment par un couvre-feu ▶ Lundi, devant les chefs de groupe parlementaire, Jean Castex a ouvert la porte Ă  une rĂ©vision du calendrier de desserre- ment des contraintes ▶ Une autre question reste en suspens : les fĂȘtes de fin d’annĂ©e. Le gouverne- ment juge « prĂ©maturĂ© » de s’inquiĂ©ter Ă  ce stade PAGE 8 Les enquĂȘteurs Choi Han-sul (Ă  gauche) et Lim Dong-hyun regardent les images de surveillance d’un cafĂ© Ă©tudiant, oĂč un patient positif au Covid-19 s’est rendu quelques jours auparavant, le 20 novembre, Ă  SĂ©oul. JUN MICHAEL PARK POUR « LE MONDE » LE REGARD DE PLANTU Le groupe Universal Music (UMG) a annoncĂ©, lundi 7 dĂ©cembre, le rachat de l’intĂ©gralitĂ© des droits du catalogue de l’auteur- compositeur amĂ©ricain, ĂągĂ© de 79 ans. Selon le « New York Times », UMG aurait dĂ©boursĂ© au moins 300 millions de dollars (247 millions d’euros) pour acquĂ©rir ces droits portant sur plus de 600 titres PAGE 31 Culture Universal Music s’offre Bob Dylan DES ASSUREURS EN MAL DE PRÉVOYANCE PAGE 38 1 ÉDITORIAL JugĂ© Ă  Paris pour trafic d’influence et corruption, l’ancien prĂ©sident s’est longuement exprimĂ©, lundi 7 dĂ©cembre, sur ses conversations tĂ©lĂ©phoni- ques avec son ami et avocat Thierry Herzog PAGE 14 ProcĂšs Les explications de Sarkozy sur le dossier Bismuth Matignon a repris le dos- sier du projet de loi sĂ©pa- ratismes, Ă  la place du ministĂšre de l’intĂ©rieur. Avec pour objectif d’éviter d’« hystĂ©riser » le dĂ©bat et de renforcer le pilier « cohĂ©sion sociale » PAGES 10-11 « SĂ©paratismes » L’exĂ©cutif toujours en quĂȘte d’équilibre « Projet Cartel » Un arsenal de surveillance Ă  portĂ©e des narcos au Mexique PAGE 24 Education En mathĂ©matiques, la France derniĂšre Ă©lĂšve des pays dĂ©veloppĂ©s PAGE 15 Politique Anne Hidalgo, candidate dĂ©sirĂ©e des socialistes PAGE 12 EnquĂȘte Pourquoi l’Europe dĂ©croche dans l’économie mondiale depuis les annĂ©es 1980, le poids Ă©conomique du Vieux Con- tinent dans le monde diminue et la pandĂ©mie de Covid-19 pourrait bien accĂ©lĂ©rer le mouvement. En 1981, les Etats-Unis et le bloc des 19 pays qui constituent aujourd’hui la zone euro pesaient 21 % de l’économie mondiale cha- cun ; presque quarante ans plus tard, leur part est passĂ©e respecti- vement Ă  16 % et Ă  12 %. Pendant le mĂȘme temps, le poids de la Chine a bondi de 2 % Ă  18 %. Le rat- trapage chinois est logique, mais le dĂ©clin europĂ©en a Ă©tĂ© bien plus rapide que celui des Etats-Unis. Le Monde a dĂ©cidĂ© de se pen- cher pendant une semaine sur le sujet, pour tenter d’en analyser les causes profondes : dĂ©mo- graphie faiblissante, innovation en berne, dĂ©fauts de construction de la monnaie unique, dĂ©sin- dustrialisation
 PAGES 20-21 EN CORÉE DU SUD, LA TRAQUE INTRAITABLE DU VIRUS ▶ SĂ©oul garde le contrĂŽle de l’épidĂ©mie, tout en maintenant la libertĂ© de circulation ▶ Ce rĂ©sultat est obtenu par un traçage systĂ©matique et intrusif des cas contacts PAGES 2-3 Un film de MaĂŻwenn Un film de MaĂŻwenn DE RETOUR EN SALLE LE 15 DÉCEMBRE DRÔLE ET ÉMOUVANT LA CROIX ENTRE RIRES ET LARMES ELLE PLEIN DE GRÂCE LE MONDE UNIVERSEL FRANCE INFO UN GRAND FILM CANAL+ PUISSANT LE PARISIEN GRANDIOSE JDD BOULEVERSANT TÉLÉRAMA

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Page 1: Le Monde - 09 12 2020

MERCREDI 9 DÉCEMBRE 202076E ANNÉE – NO 23613

3,00 € – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR –

FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

AlgĂ©rie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,20 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 ÂŁ, GrĂšce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 440 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La RĂ©union 3,30 €, SĂ©nĂ©gal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA

SCIENCE & MÉDECINE â€“ 4 PAGES  EN NORMANDIE, LA DÉCOUVERTE D’UNE TOMBE PRINCIÈRE NOUS Ă‰CLAIRE SUR L’ÂGE DU BRONZE

DĂ©confinement : le risque d’un report du calendrier▶ AmorcĂ©e depuis la mi­novembre en France, la dĂ©crue de la deuxiĂšme vague marque le pas, pour des raisons que les autori­tĂ©s s’expliquent mal

▶ Les cas d’infection ont atteint un plateau, autour de 10 000 par jour, loin du seuil des 5 000 cas fixĂ© pour assouplir le confine­ment le 15 dĂ©cembre

▶ Ce seuil devait permet­tre la rĂ©ouverture des cinĂ©mas et salles de spec­tacle, la fin de l’attestation de sortie et son remplace­ment par un couvre­feu

▶ Lundi, devant les chefs de groupe parlementaire, Jean Castex a ouvert la porte Ă  une rĂ©vision du calendrier de desserre­ment des contraintes

▶ Une autre question reste en suspens : les fĂȘtes de fin d’annĂ©e. Le gouverne­ment juge « prĂ©maturĂ© » de s’inquiĂ©ter Ă  ce stadePAGE 8

Les enquĂȘteurs Choi Han­sul (Ă  gauche) et Lim Dong­hyun regardent les images de surveillance d’un cafĂ© Ă©tudiant, oĂč un patient positif au Covid­19 s’est rendu quelques jours auparavant, le 20 novembre, Ă  SĂ©oul. JUN MICHAEL PARK POUR « LE MONDE »

LE REGARD DE PLANTU

Le groupe Universal Music(UMG) a annoncĂ©, lundi 7 dĂ©cembre, le rachat de l’intĂ©gralitĂ© des droits du catalogue de l’auteur­compositeur amĂ©ricain, ĂągĂ© de 79 ans. Selon le « New York Times », UMG aurait dĂ©boursĂ© au moins 300 millions de dollars (247 millions d’euros) pour acquĂ©rir ces droits portant sur plus de 600 titresPAGE 31

CultureUniversal Music s’offre Bob Dylan

DES ASSUREURS EN MAL DE 

PRÉVOYANCEPAGE 38

1É D I T O R I A L

JugĂ© Ă  Paris pour trafic d’influence et corruption, l’ancien prĂ©sident s’est longuement exprimĂ©, lundi 7 dĂ©cembre, sur ses conversations tĂ©lĂ©phoni­ques avec son ami et avocat Thierry HerzogPAGE 14

ProcĂšsLes explications de Sarkozy sur ledossier Bismuth

Matignon a repris le dos­sier du projet de loi sĂ©pa­ratismes, Ă  la place du ministĂšre de l’intĂ©rieur. Avec pour objectif d’éviter d’« hystĂ©riser » le dĂ©bat et de renforcer le pilier « cohĂ©sion sociale »PAGES 10-11

« SĂ©paratismes Â»L’exĂ©cutiftoujours en quĂȘted’équilibre

« Projet Cartel »Un arsenal de surveillance à portée des narcos au MexiquePAGE 24

EducationEn mathématiques, la France derniÚre élÚve des paysdéveloppésPAGE 15

PolitiqueAnne Hidalgo,candidate désiréedes socialistesPAGE 12

EnquĂȘte Pourquoi l’Europe dĂ©croche dans l’économie mondialedepuis les annĂ©es 1980, lepoids Ă©conomique du Vieux Con­tinent dans le monde diminue et la pandĂ©mie de Covid­19 pourrait bien accĂ©lĂ©rer le mouvement.

En 1981, les Etats­Unis et le blocdes 19 pays qui constituent aujourd’hui la zone euro pesaient21 % de l’économie mondiale cha­cun ; presque quarante ans plustard, leur part est passĂ©e respecti­vement Ă  16 % et Ă  12 %. Pendant le mĂȘme temps, le poids de la

Chine a bondi de 2 % à 18 %. Le rat­trapage chinois est logique, maisle déclin européen a été bien plus rapide que celui des Etats­Unis.

Le Monde a dĂ©cidĂ© de se pen­cher pendant une semaine sur le sujet, pour tenter d’en analyser les causes profondes : dĂ©mo­graphie faiblissante, innovation en berne, dĂ©fauts de constructionde la monnaie unique, dĂ©sin­dustrialisation


PAGES 20-21

EN CORÉE DU SUD, LA TRAQUE INTRAITABLE DU VIRUS▶ SĂ©oul garde le contrĂŽle de l’épidĂ©mie, tout en maintenant la libertĂ© de circulation▶ Ce rĂ©sultat est obtenu par un traçage systĂ©matique et intrusif des cas contacts PAGES 2-3

Un film de MaĂŻwennUn film de MaĂŻwenn

DE RETOUR EN SALLE LE 15 DÉCEMBRE

DRÔLE ETÉMOUVANT

LA CROIX

ENTRE RIRESET LARMES

ELLE

PLEIN DE GRÂCELE MONDE

UNIVERSELFRANCE INFO

UN GRAND FILMCANAL+

PUISSANTLE PARISIEN

GRANDIOSEJDD

BOULEVERSANTTÉLÉRAMA

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PA N D É M I E   D E   C O V I D ­ 1 9

En CorĂ©e du Sud, la traque du virusCe pays de 52 millions d’habitants est parvenuĂ  limiter le bilan humain Ă  549 morts, tout en maintenant la libertĂ© de circulation

REPORTAGEséoul ­ envoyé spécial

L e van blanc franchit une Ă  une lesavenues du district de Seochodans le sud de SĂ©oul, prend Ă droite puis s’engouffre dans uneruelle et s’arrĂȘte devant un res­taurant. Les deux enquĂȘteurs

descendent du vĂ©hicule, pĂ©nĂštrent dans la cantine populaire et prĂ©sentent discrĂšte­ment Ă  la patronne leur mandat marquĂ©d’un tampon officiel. Ils lui demandent l’ac­cĂšs aux enregistrements des camĂ©ras desurveillance des derniers jours, s’assoient dans un coin, font dĂ©filer sur un Ă©cran de smartphone les images de l’heure du dĂ©jeu­ner du 16 novembre qu’elle leur fournit. Ils passent en accĂ©lĂ©rĂ©, puis rembobinent et trouvent la scĂšne d’entrĂ©e d’un client, la pe­tite vingtaine, mĂšche sur le cĂŽtĂ©.

Ils comparent avec la photo qu’ils ont im­primĂ©e, confirment que l’heure affichĂ©e, 12 heures 58 minutes et 47 secondes, corres­pond aux relevĂ©s de paiement par carte ban­caire. « VoilĂ , c’est lui, c’est notre homme », af­firme enfin Lim Dong­hyun, responsable en temps normal de la gestion des camĂ©ras desurveillance de l’arrondissement, 46 ans, les cheveux grisonnants, en doudoune noire.

Son Ă©quipiĂšre, l’épidĂ©miologiste Choi Han­sul, 26 ans, en pull gris, inspecte chaque mou­vement de l’étudiant qui a mangĂ© avec une jeune femme et de ceux qui l’ont frĂŽlĂ© : qui luitournait le dos, qui lui faisait face, Ă  quelle dis­tance, qui portait quel type de masque. AprĂšs quelques minutes de visualisation, Lim Dong­hyun s’interroge sur la proximitĂ© du couple qui dĂ©jeunait Ă  cĂŽtĂ© : « Eux, ce pourrait ĂȘtre problĂ©matique. » C’est par ce traçage mé­thodique, intrusif, que la CorĂ©e du Sud est

parvenue jusqu’à prĂ©sent Ă  ne pas perdre le fildes cas d’infection au Covid­19. Une traque, associĂ©e au dĂ©ploiement d’une stratĂ©gie de tests massifs, Ă  un discours cohĂ©rent sur le port du masque et Ă  une quatorzaine stricte Ă l’entrĂ©e sur le territoire, qui a permis de maintenir la libertĂ© de circulation, d’éviter le recours au confinement dur et autres autori­sations de sortie qui ont cours en Occident, de maintenir les boutiques et restaurants ouverts, jusqu’à 21 heures ces jours­ci. Et de li­miter le bilan humain Ă  549 morts depuis le dĂ©but de la crise sanitaire dans ce pays de 52 millions d’habitants, malgrĂ© les nouvelles vagues de contamination successives.

NOTIFICATIONS ANXIOGÈNESCette fois, au restaurant de bouillon de porc ouvert vingt­quatre heures sur vingt­qua­tre, les autres clients Ă©taient suffisamment Ă©loignĂ©s, les serveurs masquĂ©s. Choi et Limconcluent qu’une dĂ©sinfection complĂšte du lieu est nĂ©cessaire – une Ă©quipe spĂ©cialisĂ©e interviendra au plus tĂŽt. Mais pas besoin d’aller jusqu’à envoyer une de ces notifica­tions anxiogĂšnes qui apparaissent avec une sonnerie d’alarme plusieurs fois par jour surles tĂ©lĂ©phones des rĂ©sidents de SĂ©oul. Du type : « Ce mardi entre midi et 12 h 30, si vous Ă©tiez au restaurant Jongrim, dans le quartier de Wonhyo, rue Baekbom, allĂ©e 87, nu­mĂ©ro 32, si vous avez des symptĂŽmes, contac­tez le centre mĂ©dical du district. » Cesmessages contribuent Ă  maintenir la popu­lation mobilisĂ©e mais ils ont aussi des con­sĂ©quences pour la rĂ©putation des Ă©tablisse­ments. Les enquĂȘteurs cherchent donc un Ă©quilibre.

Choi et Lim poursuivent l’investigation. Ilspeuvent accĂ©der Ă  la localisation rĂ©cente des malades, fournie sur demande par les opĂ©ra­teurs mobiles, aux camĂ©ras de surveillance de la police, aux relevĂ©s de carte bancaire. « Mais rien ne peut remplacer une enquĂȘte deterrain pour Ă©tablir s’il y a eu un contact rap­prochĂ© », affirme Choi. Il faut Ă©valuer le plusprĂ©cisĂ©ment qui a pu ĂȘtre exposĂ©, pour endi­guer la chaĂźne de contaminations potentielle.

Ils se dirigent maintenant vers un de cesespaces de rĂ©vision partagĂ©s oĂč les Ă©tudiants louent une table Ă  l’heure ou Ă  la semaine. Quand il a dĂ©taillĂ© son emploi du temps, le jeune homme contaminĂ© s’est souvenu s’y ĂȘtre rendu une fois dans les deux jours qui ont prĂ©cĂ©dĂ© son dĂ©pistage, le 18 novembre, mais les seize camĂ©ras de surveillance vont rĂ©vĂ©ler qu’il y est allĂ© une seconde fois. « LamĂ©moire peut jouer des tours, constate Choi Han­sul. Il est trĂšs rare que les gens nous men­tent, mais ils oublient. » Comme chacun a

laissĂ© son numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone sur une liste Ă  l’entrĂ©e, ou scannĂ© un QR code transmet­tant ses coordonnĂ©es, les cas contacts pour­ront ĂȘtre joints en quelques minutes.

AprĂšs plus de dix mois Ă  vivre avec la pandé­mie, le systĂšme s’est affinĂ©. Les autoritĂ©s veulent Ă©viter les cas malheureux du prin­temps. A SĂ©oul, la rĂ©vĂ©lation de contamina­tions dans un club gay du quartier de la nuit d’Itaewon avait placĂ© nombre d’homosexuelsdans la peur d’ĂȘtre victimes d’un « outing » dans une sociĂ©tĂ© conservatrice ; le gouverne­ment avait dĂ» insister sur la garantie d’anony­mat pour qu’ils puissent venir se faire tester.

A Gumi, une alerte avait annoncĂ©, le 18 fé­vrier, qu’une femme de 27 ans, employĂ©e de Samsung, avait rendu visite Ă  son « ami » Ă  23 h 30, qui l’avait contaminĂ©e. Elle avait Ă©tĂ© harcelĂ©e ensuite sur les rĂ©seaux sociaux. Le maire de la ville Ă©tait allĂ© jusqu’à donner sonnom de famille, les internautes demandaient son adresse exacte. « S’il vous plaĂźt, ne divul­guez plus mes informations personnelles », avait­elle implorĂ©, ajoutant qu’elle n’en pou­vait plus psychologiquement. D’autres aler­tes ont identifiĂ© les passages au « love motel » de couples illĂ©gitimes. DĂ©sormais, les alertes ne donnent plus d’ñge prĂ©cis, juste la dĂ©cen­nie, et le nom de l’établissement frĂ©quentĂ© plutĂŽt que le profil personnel du cas.

« Au dĂ©but, il y a eu des interrogations mais legouvernement a revu sa copie et limite les in­formations divulguĂ©es. J’ai l’impression qu’il y a dĂ©sormais un consensus au sein de la sociĂ©tĂ©sur ces mesures, car le processus, Ă  condition qu’il soit mesurĂ©, permet de limiter le nombre de cas », dit Kim Duk­sun, une femme de 34 ans travaillant dans le BTP. En ce jour de no­vembre, elle a Ă©tĂ© convoquĂ©e Ă  un test : dans son parcours pour se rendre Ă  la piscine, elle acroisĂ© une personne positive au Covid­19.

ADHÉSION POPULAIREEn corrigeant le tir, le gouvernement a con­servĂ© la confiance de son peuple, qui,aujourd’hui, accepte toujours les gestes et contraintes qui lui sont imposĂ©s. A la diffé­rence de l’Europe et des Etats­Unis, oĂč un message officiel parfois brouillon a conduit Ă questionner la compĂ©tence des dirigeants, en CorĂ©e du Sud, la plupart des citoyens inter­rogĂ©s sont convaincus du bien­fondĂ© des me­sures adoptĂ©es. La preuve, Ă  leurs yeux, en estle nombre de morts peu Ă©levĂ© malgrĂ© la li­bertĂ© maintenue d’aller et venir des citoyens et l’ouverture des commerces.

« Ces dix mois d’expĂ©rience ont Ă©tĂ© un ap­prentissage aigu, mais les rĂšgles que nous nous sommes imposĂ©es nous ont permis de traverser la pandĂ©mie jusqu’à prĂ©sent. Nous avons le sentiment que l’engagement de lapopulation reste Ă©levĂ© », dit Cho Eun­hee, la maire du district de Seocho.

Sa formule contre le Covid­19, la CorĂ©e duSud l’a tirĂ©e de l’expĂ©rience douloureuse des Ă©pidĂ©mies passĂ©es : le syndrome respiratoire aigu sĂ©vĂšre (SRAS), la grippe H1N1, le syn­drome respiratoire du Moyen­Orient (MERS­CoV)
 « Il y a cinq endroits sur la planĂšte qui rĂ©ussissent le traçage Ă©pidĂ©miologique : Hong­kong, Singapour, TaĂŻwan, la CorĂ©e du Sud et la Chine, constate Son Young­rae, le porte­pa­

role du ministĂšre de la santĂ© sud­corĂ©en. Leur point commun est d’avoir traversĂ© deux ou trois de ces Ă©pidĂ©mies. »

Le SRAS avait fait plus de 800 morts et 8 000contaminĂ©s en Asie du Nord­Est en 2003 et paralysĂ© les Ă©conomies de la rĂ©gion. Au lende­main de cet Ă©pisode, les citoyens sud­corĂ©ens pouvaient s’attendre Ă  ce que leur systĂšme desantĂ© soit prĂ©parĂ© aux menaces Ă©pidĂ©miolo­giques Ă  venir. Mais le 11 mai 2015, un hommede 68 ans s’était prĂ©sentĂ© Ă  une clinique de sa commune, Asan, fiĂ©vreux et souffrant de douleurs musculaires. On ne lui trouva rien, malgrĂ© une nouvelle consultation trois joursplus tard, cette fois avec une toux grasse. Il eutbientĂŽt des difficultĂ©s Ă  respirer et, Ă  l’hĂŽpital Saint­Mary de la ville de Pyeongtaek, on lui diagnostiqua une pneumonie le 16 mai.

SCANDALE POLITIQUE D’AMPLEURSon Ă©tat s’aggravant, son Ă©pouse le conduisitle 17 mai dans un des hĂŽpitaux les plus rĂ©pu­tĂ©s du pays, le Centre mĂ©dical Samsung, Ă  SĂ©oul. Là­bas, ce n’est que deux jours plus tardqu’on fit le lien avec son rĂ©cent voyage d’affai­res : comme tous les deux mois, l’homme s’était rendu dans la succursale de son entre­prise Ă  BahreĂŻn, et avait visitĂ© des clients en Arabie saoudite et Ă  DubaĂŻ. Le 20 mai, l’hĂŽpitalconfirma enfin qu’il Ă©tait atteint du MERS­CoV, un virus pourtant connu dans cette ré­gion du monde depuis alors trois ans.

Ces failles donnĂšrent lieu Ă  un scandale po­litique d’ampleur. Le « cas 14 » : un hommede 35 ans qui fut infectĂ© par le MERS­CoV lorsd’une consultation Ă  l’hĂŽpital de Pyeong­taek, contamina Ă  son tour 82 personnesdans son parcours hospitalier puisque le cas numĂ©ro 1 n’avait pas Ă©tĂ© identifiĂ©. MalgrĂ© cela, le gouvernement de l’époque, sous lemandat de la prĂ©sidente conservatrice Park Geun­hye, refusa de divulguer les noms deshĂŽpitaux concernĂ©s par les 186 contamina­tions au MERS­CoV, dont 38 dĂ©cĂšs, par peurde porter prĂ©judice Ă  la rĂ©putation de ces Ă©tablissements privĂ©s.

Cela, un an aprĂšs le naufrage du ferry Sewol,qui avait fait 304 morts dont 250 lycĂ©ens.Outre la lenteur dĂ©sastreuse des gardes­cĂŽtes sud­corĂ©ens et le refus de laisser les marines amĂ©ricaine et japonaise aider, c’est l’absence de la chef de l’Etat durant les sept heures les plus cruciales des opĂ©rations de sauvetage qui avait marquĂ© durablement l’opinion. Les deux Ă©pisodes allaient la poursuivre jusqu’à sa destitution en dĂ©cembre 2016, et laissentles dirigeants du pays dans la crainte perpé­tuelle d’ĂȘtre pris en dĂ©faut de rĂ©activitĂ©.

L’Etat rĂ©alisa alors un profond travail d’in­trospection et publia un livre blanc pour iden­tifier ses erreurs et les rĂ©formes nĂ©cessaires, une Ă©tape qui se rĂ©vĂ©lera essentielle en 2020. « Les leçons tirĂ©es du MERS­CoV ont beaucoup aidĂ© par la suite. En cas de nouvelle maladie in­fectieuse inconnue, nous avons appris qu’il fal­lait ĂȘtre aussi souple que possible. S’il y a des diffĂ©rences avec les maladies auxquelles nous avons Ă©tĂ© confrontĂ©s auparavant, il faut aussi­tĂŽt adapter ses standards de rĂ©action », dĂ©clareM. Son, le porte­parole du ministĂšre.

« L’expĂ©rience du passĂ©, c’est dĂ©jĂ  de se prĂ©pa­rer Ă  l’incertitude », dit Park Young­jun, direc­

UNE ALERTE AVAIT ANNONCÉ QU’UNE FEMME DE 27 ANS 

AVAIT RENDU VISITE Ă€ SON Â« AMI Â», 

QUI L’AVAIT CONTAMINÉE.

LE MAIRE AVAIT DONNÉ SON NOM 

DE FAMILLE ETELLE AVAIT Ă‰TÉ 

HARCELÉE SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX

LE CONTEXTE

TROISIÈME VAGUELa CorĂ©e du Sud a enregistrĂ© 38 161 cas de Covid-19 depuis janvier et 549 dĂ©-cĂšs. Le pays a fait face Ă  trois vaguesde contamination successives. Une en mars partie des membres d’une secte, une autre en aoĂ»t autour d’une Eglise et de manifestations antigouver-nementales et une troisiĂšme, actuelle-ment, qui inquiĂšte particuliĂšrement le pays, car il s’agit de petits foyers, appa-rus le plus souvent dans le cercle privĂ©. Dans 17,8 % des cas, les autoritĂ©s sani-taires ne parviennent pas Ă  remonter la chaĂźne de transmission, contre 13,7 % un mois plus tĂŽt. Face Ă  la nouvelle hausse des cas (615 contaminations lundi 7 dĂ©cembre), le gouvernement sud-corĂ©en a interdit les rassemble-ments de plus de cinquante personnes. Les restaurants doivent fermer leurs portes Ă  21 heures, sauf pour la venteĂ  emporter, et les saunas, karaokĂ©set salles de sport ont Ă©tĂ© fermĂ©s.

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teur de la prĂ©paration aux urgences de santĂ© publique et des investigations Ă©pidĂ©miologi­ques au Centre corĂ©en de contrĂŽle des mala­dies (KCDC). L’échec du MERS­CoV avait ensei­gnĂ© l’absolue nĂ©cessitĂ© de pouvoir identifier rapidement les contaminĂ©s et de savoir com­ment utiliser Ă  bon escient les informations sur leur parcours pour casser les chaĂźnes de transmission. « Nous ne savions pas tout du nouveau virus Covid­19 mais nous savions l’importance d’un dĂ©ploiement rapide et mas­sif de tests et celle de savoir gĂ©rer un volume co­lossal de big data », ajoute M. Park.

SORTIR EN TOUTE URGENCE UN TEST PCRLe 12 janvier 2020, la Chine partage avec l’OMSle sĂ©quençage gĂ©nĂ©tique du nouveau corona­virus (le SARS­CoV­2) qui fait rage Ă  Wuhan.Deux semaines auparavant, un laboratoire deCanton avait Ă©tabli sa proximitĂ© avec le SRAS. Le 19, une Chinoise de 35 ans atterrit Ă  l’aĂ©ro­port international d’Incheon, prĂšs de SĂ©oul.Elle a une forte fiĂšvre. InterrogĂ©e, elle dit avoirreçu une ordonnance pour un coup de froid dans un hĂŽpital de Wuhan, oĂč elle rĂ©side, avant de s’envoler. Elle est placĂ©e en quaran­taine. Le 20 janvier, les autoritĂ©s Ă©tablissent qu’il s’agit du nouveau coronavirus, tout comme, quatre jours plus tard, pour un Sud­CorĂ©en de 55 ans travaillant dans la capitale du Hubei, rentrĂ© pour un check­up.

Cette fois, pas de temps Ă  perdre, malgrĂ© lescĂ©lĂ©brations du Nouvel An lunaire. Le 27 jan­vier au matin, les officiels du ministĂšre de la santĂ© convoquent les patrons des groupes sud­corĂ©ens commercialisant des tests biolo­giques Ă  une rĂ©union d’urgence dans une salle de confĂ©rence directement rattachĂ©e Ă  lagare de SĂ©oul, pour l’accĂšs pratique. Ils ont identifiĂ© cinq entreprises ayant l’expĂ©rience pour dĂ©velopper au plus vite des produits fia­bles. L’Etat leur demande de sortir en toute urgence un test PCR pour le nouveau corona­virus puis de le produire massivement.

En Ă©change de leur efficacitĂ©, le rĂ©gulateurdonnera son aval en un temps record, sechargeant lui­mĂȘme de la phase d’essais cli­niques puisque c’est l’Etat qui a accĂšs aux cas.Les ajustements, si nĂ©cessaire, intervien­dront par la suite. Le gouvernement s’engageĂ  des commandes massives, plusieurs mil­liers de kits de test par mois – il en faudra en rĂ©alitĂ© bientĂŽt plusieurs dizaines de millierspar jour. « Cela a considĂ©rablement rĂ©duit les dĂ©lais d’essais et d’approbation, relate, dansses laboratoires du sud de SĂ©oul, le docteur Chun Jong­yoon, fondateur de Seegene, l’unedes deux entreprises qui, au 12 fĂ©vrier, avait reçu la bĂ©nĂ©diction des autoritĂ©s. Entre l’iden­tification du premier patient dans le pays et le dĂ©ploiement en nombre des tests, il ne s’est Ă©coulĂ© qu’un mois. »

Mais le pays n’identifie plus aucun casdurant six jours consĂ©cutifs. Au point que le prĂ©sident, le progressiste Moon Jae­in, qui,en campagne, avait rĂ©pĂ©tĂ© que le chef del’Etat devait ĂȘtre une « tour de contrĂŽle » en cas de catastrophe majeure, apparaĂźt Ă  unerĂ©union le 13 fĂ©vrier pour dire que le retour Ă la normale est la prioritĂ©. Il assure que le vi­rus aura « disparu d’ici peu » et refuse de sus­pendre les connexions avec la Chine pourprotĂ©ger les Ă©changes commerciaux.

Or, les contaminations reprennent aussitÎt,menaçant au passage la crédibilité du prési­dent Moon, ex­avocat des droits humains, quia porté à bout de bras le rapprochement avec la Corée du Nord et son dialogue avec le prési­dent américain Donald Trump. Le nombre decas quotidien double pour atteindre 104 le

20 fĂ©vrier, jour oĂč est enregistrĂ© le premier mort aprĂšs la dĂ©couverte d’un foyer de conta­mination dans le sud du pays, Ă  Daegu, autour d’une secte, l’Eglise du Nouveau monde de JĂ©sus, dont des membres tentent de fonder une congrĂ©gation Ă  Wuhan.

L’heure de la mise Ă  l’épreuve est venue, lepays passe en alerte rouge. Pour tester massi­vement tout en limitant les contacts, le mé­decin qui, en janvier, a traitĂ© le premier cas, Kim Jin­yong, suggĂšre de rĂ©aliser les prĂ©lĂšve­ments sur les patients qui resteraient dans leurs voitures. AussitĂŽt sont dĂ©ployĂ©es aux quatre coins du pays les premiĂšres stationsde tests en « drive­in ». Le gouvernement ferme temporairement les Ă©coles. Il impose le port du masque dans la rue et les trans­ports publics, un attribut auquel la sociĂ©tĂ© corĂ©enne s’est dĂ©jĂ  habituĂ©e, tant avec lesĂ©pidĂ©mies prĂ©cĂ©dentes que du fait des Ă©piso­des de « poussiĂšre jaune », les vents de sable des Ă©tendues dĂ©sertiques mongoles.

DĂ©but mars, lorsque la demande de mas­ques se tend, l’Etat organise la distribution,afin d’éviter les pĂ©nuries : un jour par se­maine dĂ©fini selon son annĂ©e de naissance,le citoyen peut acheter deux masques Ă  lapharmacie, au bureau de poste ou dans unesupĂ©rette de quartier. Le gouvernement maintient un discours constant et des campagnes d’information sur la nĂ©cessitĂ© absolue du port du masque. « Ils ont portĂ© ce message sur le masque trĂšs tĂŽt, c’est une aide considĂ©rable. D’autres pays ne l’ont fait que plus tardivement, certains deux mois plus tard, constate Chun Jong­yoon, le fondateur de Seegene. Maintenant ils ont compris, maisc’est bien tard. »

ISOLEMENT ET QUARANTAINEComme ses voisins, la CorĂ©e du Sud met enplace un isolement strict des malades. Dansles hĂŽpitaux si leur situation est grave ou qu’ils sont ĂągĂ©s, et dans des centres spĂ©ciali­sĂ©s lorsque les symptĂŽmes sont faibles. Pasquestion de prendre le risque qu’ils conta­minent leur voisinage. SollicitĂ©, Samsung prĂȘte un bĂątiment utilisĂ© d’ordinaire commedortoir durant des sĂ©minaires de formationĂ  Daegu. Le concurrent LG se doit bien d’enfaire autant, de mĂȘme que le constructeur Hyundai.

Les cas contacts rapprochĂ©s doivent quantĂ  eux respecter un rigoureux isolement Ă  domicile, suivi sur une application et pardes appels tĂ©lĂ©phoniques. Afin de bloquer les cas « importĂ©s », les personnes entrant sur le territoire se voient imposer une qua­torzaine stricte, Ă  leur domicile ou dans unechambre d’un des hĂŽtels transformĂ©s en centres sanitaires, et doivent prĂ©senter cha­que jour leur bulletin de santĂ©, notamment leur tempĂ©rature.

Dans un de ces hĂŽtels, dans le quartiercommerçant de Myeong­dong Ă  SĂ©oul, les voyageurs conduits depuis l’aĂ©roport sont accueillis par un personnel en combinai­sons bactĂ©riologiques intĂ©grales blanches. Un prĂ©lĂšvement PCR est rĂ©alisĂ©, puis ils sontenvoyĂ©s dans leur chambre, oĂč un plateau­repas est dĂ©posĂ© trois fois par jour devant leur porte. Ils doivent jeter leurs dĂ©tritus, pulvĂ©risĂ©s de dĂ©sinfectant, dans un sac conçu pour les dĂ©chets mĂ©dicaux.

Dans les couloirs menant aux chambres,sont collĂ©s des avis : « Ne quittez jamais votrechambre. Veuillez retourner immĂ©diatementdans votre chambre. » Les Ă©trangers se dĂ©ro­bant Ă  ce contrĂŽle sont expulsĂ©s et risquentcinq ans d’interdiction de territoire, les

CorĂ©ens risquent jusqu’à un an de prison.Davantage que la peur de la sanction poli­ciĂšre toutefois, c’est la crainte d’ĂȘtre celui ou celle qui, par son relĂąchement, aura amenĂ© la contamination de sa communautĂ©, qui semble ĂȘtre le moteur principal.

Alors que les caractĂ©ristiques du virus seprĂ©cisent au fil des semaines, c’est le nombrede personnes infectĂ©es – mais ne prĂ©sentantaucun symptĂŽme – qui met les Ă©pidĂ©miolo­gistes sud­corĂ©ens au dĂ©fi, les plaçant face aurisque de perdre le fil des contaminations. Lepays continue de monter en puissance sur les tests. « Le rythme de test est une des clĂ©s, ildoit ĂȘtre plus rapide que la contamination », dit encore le patron de Seegene. Cet effort et la hausse de la demande mondiale ont mis les fournisseurs de tests sud­corĂ©ens sous pression. « Nos employĂ©s travaillaient jour et nuit, ils allaient dormir Ă  l’hĂŽtel Ă  cĂŽtĂ© sans re­passer chez eux », se souvient Chun.

DEMANDE APPROUVÉE EN UN CLICSurtout, le pays donne Ă  son travail de tra­çage des airs d’enquĂȘte de police scientifique.Fin mars, il est devenu clair que la lourdeur administrative dans l’obtention des donnĂ©esfait perdre un temps prĂ©cieux pour remon­ter les chaĂźnes de contamination. Les autori­tĂ©s dĂ©cident de bidouiller un systĂšme alors Ă  l’essai pour la gestion des « Smart cities », les villes intelligentes − qui permet de faire re­monter Ă  partir de fichiers Excel des donnĂ©essur le trafic routier ou la pollution. Ce sys­tĂšme devient la matrice du traçage, un sou­tien aux enquĂȘtes Ă©pidĂ©miologiques.

Les enquĂȘteurs de terrain peuvent ainsi de­mander la localisation d’un individu par triangulation des antennes relais utilisĂ©es parson smartphone ou ses donnĂ©es de carte de crĂ©dit. Ces informations ne sont pas relevĂ©es automatiquement mais entrĂ©es par l’opĂ©ra­teur, la banque ou la sociĂ©tĂ© de crĂ©dit dans cetoutil commun. Les lenteurs ont disparu et, enun clic, un rĂ©fĂ©rent de la police approuve la de­mande d’information des enquĂȘteurs Ă©pidé­miologiques. Une loi adoptĂ©e en 2015, dans la foulĂ©e du scandale du MERS­CoV, permet de rĂ©colter ces informations sans passer par un

juge en cas de crise sanitaire, mais elles doi­vent ĂȘtre dĂ©truites dans les deux semaines.

AprĂšs une discussion tĂ©lĂ©phonique avecl’étudiant contaminĂ© qui a donnĂ© son appro­bation, c’est sur la base de ces informations que les enquĂȘteurs Choi et Lim ont Ă©tabli son itinĂ©raire prĂ©cis, minutĂ©, qu’ils ont imprimĂ© sur une feuille et suivent Ă  mesure qu’avance l’aprĂšs­midi dĂ©jĂ  froid de la capitale. Ils pĂ©nÚ­trent maintenant dans une supĂ©rette de coin de rue ouverte vingt­quatre heures sur vingt­quatre. Le jeune homme infectĂ© y est entrĂ© Ă  16 h 24, deux jours avant d’ĂȘtre testĂ© positif, pour y acheter un yaourt. Les vidĂ©os de sur­veillance, que montre la propriĂ©taire dans l’arriĂšre­boutique, permettent d’établir qu’il n’est restĂ© lĂ  que quelques secondes et que lesgestes barriĂšres ont Ă©tĂ© respectĂ©s Ă  la caisse. Retour au bureau, pour compiler les donnĂ©es,faire remonter les noms et contacts de ceux qui l’ont croisĂ© de trop prĂšs.

Comme ce tandem, quinze Ă©quipes font letour du district, alors que le pays est con­frontĂ© Ă  une nouvelle vague : 615 nouveauxcas ont Ă©tĂ© rĂ©pertoriĂ©s lundi 7 dĂ©cembre, rapprochant la CorĂ©e des pics enregistrĂ©slors du cluster de la secte de Daegu et durantla deuxiĂšme vague en aoĂ»t, liĂ©e Ă  une Ă©gliseultraconservatrice du nord de SĂ©oul, dont les fidĂšles se sont montrĂ©s rĂ©ticents Ă  s’identifier et se faire diagnostiquer, et Ă  desmanifestations d’opposition dans le centre de la capitale.

C’est une course qui semble n’avoir pas defin. Au printemps, la mĂ©thodologie Ă©tait en­core imprĂ©cise et Choi Han­sul rentrait chez elle Ă©puisĂ©e Ă  4 heures du matin. Au mois d’aoĂ»t, c’était 1 heure du matin, mais plus tĂŽt ces jours­ci. La jeune Ă©pidĂ©miologiste ne compte de toute façon plus ses heures, bienconsciente que son travail et celui de ses collÚ­gues sert de digue pour le reste de la sociĂ©tĂ©. S’ils venaient Ă  se trouver dĂ©bordĂ©s, le pays se­rait Ă  la merci d’une crise comme en connais­sent l’Europe et les Etats­Unis. Son supĂ©rieur lui a dit que l’horizon pour une vaccination gĂ©nĂ©ralisĂ©e serait le deuxiĂšme semestre de 2021. « C’est encore loin », dit­elle.

harold thibault

A SĂ©oul,le 20 novembre,les enquĂȘteurs Choi Han­sul et Lim Dong­hyun retracent le parcours d’un malade du Covid­19 en visionnant les vidĂ©os de son passage dans un restaurant du quartier de Seocho, dans le sud de la ville. Plus loin, un centre de santĂ© accueille les habitants voulant se faire tester. JUN MICHAEL PARK POUR « LE MONDE »

Photographieretouchée©

PatriceNormand

GRAND PRIXDU ROMANDE L’ACADÉMIEFRANÇAISE2020

D’UNE GRANDEMAÎTRISE. Patrick Grainville, Le Figaro LittĂ©raire

CE LIVRE VOUS REND INTELLIGENT.Jean-Marie Rouart, de l’AcadĂ©mie française

UN SURCROÎT DE CLARTÉ ET D’ÉMOTION.Bernard Pivot, Le Journal du Dimanche

LE TREMBLEMENT DE LA VÉRITÉ. François Sureau, L’Express

UNE FRANCE EN RELIEF, AVEC SES VALLÉES SOURIANTESET SES PRÉCIPICES. Gilles Martin-Chauffier, Paris Match

LIMPIDE ET SOMBRE. Guillaume Goubert, La Croix

UNE FORCE RARE.Marie-Françoise LeclÚre, Le Point

LA FRAGILITÉ DE LA FOI FACE AUX FUREURSDE L’IDOLÂTRIE. Jean Birnbaum, Le Monde des livres

Page 4: Le Monde - 09 12 2020

4 | international MERCREDI 9 DÉCEMBRE 20200123

DivisĂ©, le CongrĂšs argentin rouvre le dĂ©bat sur l’avortementElu en 2019, le prĂ©sident de centre gauche Alberto Fernandez avait promis la lĂ©galisation

buenos aires ­ correspondante

A quelques jours du votedes dĂ©putĂ©s sur la lĂ©gali­sation de l’interruption

volontaire de grossesse (IVG), l’en­thousiasme des militantes fĂ©mi­nistes est Ă  son comble. Covid­19 oblige, la ferveur dans les rues n’est cependant pas la mĂȘme qu’en 2018, lorsque des centaines de milliers d’Argentines avaient dĂ©filĂ©, des mois durant, Ă  Buenos Aires, pour soutenir une proposi­tion de loi en faveur de la lĂ©galisa­tion – un texte approuvĂ© par les dé­putĂ©s en juin 2018, puis rejetĂ© deux mois plus tard au SĂ©nat.

Ces derniĂšres semaines, les mo­bilisations ont Ă©tĂ© plus timides et se concentrent davantage sur les rĂ©seaux sociaux ou Ă  travers des campagnes d’affichage sur la voie publique. La derniĂšre en date, visi­ble sur les murs et les panneaux dela capitale, reprend un motif dĂ©jĂ  utilisĂ© depuis plusieurs annĂ©es par la Campagne pour le droit Ă  l’avortement lĂ©gal, sans risques et gratuit (le collectif d’associations qui se bat depuis quinze ans pour la lĂ©galisation) : un cintre blanc, symbole de l’avortement clandes­tin, sur fond vert, avec pour lé­gende « Adieu ».

Le projet de loi du gouverne­ment doit ĂȘtre examinĂ© et votĂ© parles dĂ©putĂ©s jeudi 10 dĂ©cembre. Une date particuliĂšrement sym­bolique, puisqu’elle correspond non seulement Ă  la JournĂ©e inter­nationale des droits de l’homme, mais aussi Ă  l’anniversaire de l’ar­rivĂ©e au pouvoir du prĂ©sident pé­roniste de centre gauche Alberto Fernandez, qui avait fait de la lĂ©ga­lisation de l’IVG l’une de ses pro­messes de campagne.

« La mobilisation de 2018 a ins­tallĂ© le sujet de l’avortement dans ledĂ©bat public. Mais avoir un texte portĂ© par l’exĂ©cutif donne un tout autre poids Ă  ce dĂ©bat », estime Pa­tricia Gomez, professeure de sciences politiques Ă  l’universitĂ© de Buenos Aires, spĂ©cialiste du fé­minisme et des questions de genre. « Le gouvernement a fait de cette demande historique du mou­vement fĂ©ministe une prioritĂ© », souligne Monica Macha, dĂ©putĂ©e du Frente de Todos, la coalition au pouvoir, qui se dit confiante sur le vote de cette semaine.

Selon les calculs de l’organisa­tion fĂ©ministe Economia Femi­nista, le projet de loi devrait ĂȘtre approuvĂ© sans encombre Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s : 127 dĂ©putĂ©sse sont dĂ©clarĂ©s pour, contre 110 opposĂ©s Ă  la lĂ©galisation – il y a Ă©galement une vingtaine d’indé­cis. « C’est l’un des rares sujets sur lesquels il n’y a pas de discipline departi », indique la politiste Patricia Gomez, « comme ce fut le cas de la loi sur le divorce [promulguĂ©e en 1987] ». En 2018, les femmes par­lementaires de diffĂ©rents groupes politiques, surnommĂ©es les « so­roras », s’étaient unies autour de leur soutien au droit Ă  l’avorte­ment, un fait rare dans un pays ha­bituellement divisĂ© par la grieta, lafracture politique entre pĂ©ro­nisme et anti­pĂ©ronisme.

« Notre union ne s’est jamais fis­surĂ©e sur les thĂ©matiques liĂ©es au fĂ©minisme », affirme la dĂ©putĂ©e Monica Macha. En 2018, l’inter­vention de Silvia Lospennato, dé­

putĂ©e du parti libĂ©ral PRO alors au pouvoir, avait Ă©mu jusqu’aux lar­mes ses consƓurs d’autres partis : la dĂ©putĂ©e avait achevĂ© un vibrant discours en exigeant « Que sea ley ! » (« Que ce soit la loi ! »), fou­lard vert, le symbole de la lutte pour le droit Ă  l’avortement, nouĂ© au poignet. « Les divisions sur ce sujet sont bien plus notables entre les provinces argentines qu’entre les partis », estime Patricia Gomez, qui Ă©tablit une frontiĂšre entre les rĂ©gions du centre et du sud et cel­les, plus conservatrices et catholi­ques, du nord de l’Argentine.

Soutenus par l’Eglise catholique,et par les Eglises Ă©vangĂ©liques, qui gagnent du terrain en Argentine, les opposants Ă  l’avortement sont, eux aussi, particuliĂšrement mobi­lisĂ©s. Des militants qui ont Ă©tĂ© « pris par surprise devant l’ampleur de la mobilisation en 2018, mais ont eu le temps de s’organiser et de s’unir ces deux derniĂšres annĂ©es », estime Mme Gomez. Samedi 28 no­vembre, des milliers d’entre eux ont dĂ©filĂ© devant le CongrĂšs, dans le centre de Buenos Aires, et dans 250 autres villes du pays, arborant un foulard bleu ciel et portant des pancartes avec pour slogans « Sauvons les deux vies » – celle de la femme enceinte et celle du fƓtus – ou « Nous luttons pour ceux qui n’ont pas de voix ».

« Un risque politique trĂšs Ă©levĂ© »C’est ce camp qui domine au Sé­nat, oĂč, si le projet de loi est adoptĂ©par les dĂ©putĂ©s, le vote devrait se tenir dĂ©but janvier au plus tard. Toujours selon les estimations de l’organisation Economia Femi­nista, Ă  la Chambre haute du Con­grĂšs, 35 parlementaires devraient voter contre la lĂ©galisation et 33 pour. Deux sĂ©natrices et un sé­nateur encore indĂ©cis pourraient faire basculer le rĂ©sultat en faveurde la lĂ©galisation, mais le vote s’an­nonce extrĂȘmement serrĂ©.

« Le gouvernement est convaincuque le texte peut passer et veut fairede cette loi la grande rĂ©ussite de son dĂ©but de mandat. Mais c’est unrisque politique trĂšs Ă©levĂ© dans uncontexte si instable », pointe Mme Gomez. La premiĂšre annĂ©e d’Alberto Fernandez au pouvoir a Ă©tĂ© marquĂ©e par la pandĂ©mie et par l’aggravation de la crise Ă©cono­mique et sociale. La gestion du Covid­19, d’abord saluĂ©e dans le pays et Ă  l’étranger, est de plus en plus critiquĂ©e face au lourd bilan humain que dĂ©plore l’Argentine.

Jeudi 10 dĂ©cembre, les deuxcamps se feront face sur une place du CongrĂšs divisĂ©e en deux zones, une verte et une bleu ciel, comme en 2018. La session parlementaire extraordinaire – au cours de la­quelle sera Ă©galement examinĂ© unprojet de loi sur un plan d’aide pour les femmes enceintes et les jeunes mĂšres vulnĂ©rables – pour­rait durer prĂšs de trente heures.

aude villiers­moriamé

En TchĂ©tchĂ©nie, l’assassin de Samuel Paty enterrĂ© « avec les honneurs »Des « Allahou Akbar » ont rĂ©sonnĂ© dans le cortĂšge lors des obsĂšques d’Abdouallakh Anzorov

moscou ­ correspondant

A rrivé sur le sol russe le5 décembre, le corps duterroriste Abdouallakh

Anzorov a Ă©tĂ© enterrĂ© le lende­main en TchĂ©tchĂ©nie, dans le vil­lage dont est originaire sa famille.L’assassin du professeur d’histoi­re­gĂ©ographie Samuel Paty a Ă©tĂ© transportĂ© par avion en toute discrĂ©tion, depuis la France oĂč il est mort le 16 octobre.

L’inhumation a eu lieu dans levillage de Chalaji, 10 000 habi­tants, situĂ© Ă  une quarantaine de kilomĂštres de Grozny, la capitale de la RĂ©publique. Abdouallakh An­zorov, 18 ans, nĂ© Ă  Moscou et de na­tionalitĂ© russe, n’y avait sĂ©journĂ© qu’une seule fois dans sa vie.

Son enterrement aurait pu restertout aussi secret que son transfert,si des vidĂ©os montrant la cĂ©rĂ©mo­nie n’étaient apparues sur Inter­net. On y voit une foule d’environ 200 personnes accompagner le cercueil vers le cimetiĂšre du vil­lage, sous la neige. Selon le site d’information Baza, qui a diffusĂ© l’une de ces vidĂ©os, la police locale avait fermĂ© les accĂšs au village dĂšs la rĂ©ception du corps, pour Ă©viter qu’une foule plus importante se joigne Ă  la cĂ©rĂ©monie.

La chaĂźne Telegram 1ADAT, leseul mĂ©dia d’opposition implantĂ© en TchĂ©tchĂ©nie, a confirmĂ© cette information et relayĂ© des tĂ©moi­

gnages selon lesquels interdiction avait Ă©tĂ© donnĂ©e de filmer le cor­tĂšge. La police – une soixantaine d’agents prĂ©sents – aurait ainsi confisquĂ© plusieurs tĂ©lĂ©phones. Autant d’élĂ©ments qui semblent confirmer le caractĂšre non voulu de la diffusion de ces images, quand bien mĂȘme Abdouallakh Anzorov aura eu droit Ă  un enter­rement « avec les honneurs », selonles mots de Baza.

Les autoritĂ©s françaises essaienten gĂ©nĂ©ral d’éviter que les tombes de terroristes puissent devenir deslieux de pĂšlerinage. C’est la logi­que qui avait prĂ©valu lors de l’en­terrement trĂšs discret des terroris­tes des attentats de 2015, avec des sĂ©pultures parfois anonymes. S’agissant des Ă©trangers, les prati­ques peuvent varier. En 2012, l’Al­gĂ©rie avait refusĂ© la demande de lafamille de Mohammed Merah d’y rapatrier son corps, invoquant des « raisons d’ordre public ».

Dans le cas d’Abdouallakh Anzo­rov, il est encore difficile de dire si la dĂ©cision de le transfĂ©rer a Ă©tĂ© prise Ă  un niveau politique ou sim­plement administratif. L’organisa­tion et le financement du trans­port restent Ă©galement inconnus. Lundi soir, le ministĂšre des affai­res Ă©trangĂšres renvoyait vers le ministĂšre de l’intĂ©rieur, lequel in­diquait seulement que le renvoi du corps a Ă©tĂ© effectuĂ© Ă  la de­mande de la famille. « Cette de­

mande a fait l’objet d’un traitementpar les procĂ©dures prĂ©vues Ă  cet ef­fet de la part de la PrĂ©fecture de po­lice de Paris et du magistrat instruc­teur », indique­t­on Place Beauvau.

La cĂ©rĂ©monie s’est dĂ©roulĂ©e demaniĂšre traditionnelle, mais s’ilest habituel d’entendre rĂ©citerdes sourates du Coran, les sono­res « Allahou Akbar » lancĂ©s dans le cortĂšge ne sont, eux, pas cou­tumiers. Vu la maniĂšre dont a Ă©tĂ©prĂ©sentĂ© l’attentat de Conflans­Sainte­Honorine (Yvelines) dansla rĂ©gion, il est difficile de ne pasy voir un message plus politiqueque religieux.

« Provocations » françaisesLe quotidien NovaĂŻa Gazeta pré­cise de son cĂŽtĂ© que la famille An­zorov appartient Ă  l’un des clansles plus importants – par sa popu­lation – de TchĂ©tchĂ©nie, qui plusest majoritaire dans le village de Chalaji, ce qui explique la pré­sence d’une foule importante, lesproches ayant obligation de se rendre aux obsĂšques d’un dĂ©funt.

Le journal rappelle toutefoisque la dĂ©cision d’enterrer le jeuneAbdouallakh en TchĂ©tchĂ©nie n’a pu ĂȘtre prise sans l’approbationde Ramzan Kadyrov, le dirigeantde la rĂ©publique. En Russie, uneloi fĂ©dĂ©rale interdit que les corps des terroristes soient rendus Ă leur famille et que soit dĂ©voilĂ© le lieu de leur inhumation.

Depuis l’assassinat de SamuelPaty, le prĂ©sident tchĂ©tchĂšne, quipromeut chez lui un islam rigo­riste, n’a eu de cesse de minimi­ser l’action du terroriste, la pré­sentant comme une rĂ©ponse Ă  des « provocations » françaises. Ilavait aussi qualifiĂ© Emmanuel Macron de « chef de file et inspira­teur du terrorisme » en France.

Ces dĂ©clarations, accueillies fa­vorablement par une partie des musulmans de Russie, n’avaientsoulevĂ© qu’une rĂ©probation ti­mide du Kremlin, qui s’en est tenu dĂšs l’origine Ă  une positiond’« Ă©quilibre », rĂ©sumĂ©e par les mots de son porte­parole, Dmi­tri Peskov : « Il est inacceptabled’insulter les sentiments des croyants et il est inacceptable detuer des gens. »

Dans les rĂ©actions sur les ré­seaux sociaux, c’est aussi cetteligne qui a dominĂ©, quand Ab­douallakh Anzorov n’était pastout simplement qualifiĂ© de « hé­ros ». L’attribution Ă  une rue de Chalaji du nom de ce dernier aaussi fait l’objet de dĂ©bats surInternet ces derniers jours.

La tĂ©lĂ©vision rĂ©gionale, d’aborddiscrĂšte, a finalement fait Ă©tat de l’enterrement, lundi soir, prĂ©sen­tant Abdouallakh Anzorov, « un jeune homme Ă  qui il restait tant Ă  accomplir », comme « la victimed’une provocation ».

benoĂźt vitkine

Tapis rouge sans Ă©pines pour le prĂ©sident Ă©gyptien Sissi Ă  ParisLes droits de l’homme n’ont Ă©tĂ© abordĂ©s qu’à la marge par M. Macron

L a lutte antiterroriste, né­cessitĂ© des temps moder­nes, est aussi un paraventderriĂšre lequel s’abritent

certains rĂ©gimes autoritairespour soumettre leur peuple. Enaccueillant Ă  Paris le prĂ©sident Ă©gyptien Abdel Fattah Al­Sissi,lundi 7 dĂ©cembre, Emmanuel Macron savait que la question desdroits de l’homme ne pouvait ĂȘtresimplement Ă©vacuĂ©e. La confé­rence de presse tenue par les deuxdirigeants a confirmĂ© le dilemme posĂ© par la nature mĂȘme du ré­gime Ă©gyptien, dont la stabilitĂ©est perçue comme un rare acquis au Moyen­Orient, malgrĂ© son coĂ»t rĂ©pressif effroyable.

En insistant longuement sur lesconvergences entre Paris et Le Caire, en particulier sur la Libyeet la situation en MĂ©diterranĂ©e orientale, face aux coups de bou­toir de la Turquie, Emmanuel Ma­cron n’a pas laissĂ© de doute sur ses prioritĂ©s. InterrogĂ© sur l’idĂ©e de conditionner les ventes d’ar­mes Ă  l’Egypte Ă  la situation inté­rieure dans le pays, il a Ă©cartĂ© ce projet, « inefficace sur le sujet des droits de l’homme et contre­pro­ductif dans la lutte contre le terro­risme ». Cet argument ne con­vainc guĂšre Antoine Madelin, di­recteur du plaidoyer internatio­nal Ă  la FĂ©dĂ©ration internationale pour les droits humains (FIDH).

« C’est une erreur stratĂ©gique caraujourd’hui, le prĂ©sident Sissi or­ganise une rĂ©pression d’une am­pleur jamais vue dans l’Egypte moderne, dit­il. Il est dangereux dene rien faire. La fermeture de la sociĂ©tĂ© civile et la chape de plombsur une sociĂ©tĂ© vibrante crĂ©ent undanger majeur de rĂ©surgence ter­roriste. C’est aussi un faux pas juri­dique, car la France est signatairede conventions internationalesqui l’enjoignent Ă  ne pas vendre

d’armements ou de matĂ©riels desurveillance s’il y a un risque qu’ils soient utilisĂ©s pour rĂ©primer. Or la pratique de la torture est systĂ©ma­tique dans le pays. »

Paris continue d’aborder cettequestion des libertĂ©s en Egypte sous l’angle des dossiers indivi­duels, Ă  l’instar de sa pratique avecPĂ©kin ou Moscou. « Une sociĂ©tĂ© ci­vile dynamique, inclusive, oĂč cha­cun est reprĂ©sentĂ© dans les dĂ©sac­cords qui peuvent exister, est plus protectrice contre tout risque de terrorisme (
) que la rĂ©pression po­litique, a notĂ© le prĂ©sident français.Dans ce contexte­lĂ , nous avons Ă©changĂ© sur des listes de noms et nous continuons de pousser, ce qui est, je crois, la maniĂšre la plus effi­cace, Ă  des libĂ©rations, et Ă  suivre avec bienveillance certains cas. »

Le chef de l’Etat a citĂ© notam­ment celui de Ramy Shaath, l’unedes incarnations du mouvementpopulaire dĂ©mocratique sur laplace Tahrir, arrĂȘtĂ© en juillet2019. M. Macron s’est aussi fĂ©li­citĂ© de la libĂ©ration rĂ©cente desresponsables de l’Egyptian Ini­tiative for Personal Rights (Initiative Ă©gyptienne pour lesdroits personnels, EIPR), qui con­tinuent pourtant d’ĂȘtre visĂ©s pardes mesures financiĂšres. Face Ă cette approche trĂšs courtoise et dĂ©nuĂ©e de pression, le marĂ©chal Sissi a dĂ©roulĂ© un argumentaire

classique, sur les « 55 000 organi­sations » qui Ɠuvrent en Egypteet, Ă©videmment, sur la menaceterroriste qui justifie tout.

Puis il s’est aventurĂ© plus loin,lors d’un Ă©change final sur lescaricatures de Charlie Hebdo. LeprĂ©sident Sissi a invitĂ© Ă  une « mĂ©ditation », en notant que « lesvaleurs humaines sont faites par l’homme et peuvent ĂȘtre chan­gĂ©es, alors que les valeurs religieu­ses sont d’origine cĂ©leste et sont donc sacrĂ©es, elles ont la supré­matie sur tout ». DĂšs lors, il fau­drait naturellement rĂ©viser tout propos « blessant des millions depersonnes » dans leur foi.

« Le dictateur favori de Trump »Reprenant la parole, EmmanuelMacron a mis en garde contre un« risque de balbutiement de notrehistoire ». « Nous considĂ©rons quela valeur de l’homme est supé­rieure Ă  tout, a­t­il dit. C’est l’ap­port de la philosophie des LumiÚ­res et c’est ce qui fait l’universa­lisme des droits de l’homme, qui fonde d’ailleurs la charte des Na­tions unies. (
) Dans l’ordre dupolitique, le religieux n’entrepas. » Sinon, le rĂ©gime en ques­tion est une thĂ©ocratie : « Il y en aeu dans l’histoire. Je ne pense pasque ça amĂšne au meilleur. »

Cet Ă©change n’a guĂšre compro­mis l’ambiance entre les deux di­rigeants, tant la visite s’inscritdans une continuitĂ©. Le prĂ©si­dent français avait dĂ©jĂ  reçu lemarĂ©chal en octobre 2017. « Jecrois Ă  la souverainetĂ© des Etats »,dĂ©clarait­il alors – expression ré­pĂ©tĂ©e lundi mot pour mot –, enappelant Ă  « ne pas donner des le­çons », en raison du « contexte sé­curitaire » sur place et dans la ré­gion. M. Macron avait Ă©voquĂ©, aucours de ses discussions avec sonhomologue, les cas d’une quin­

zaine de militants des droits de l’homme emprisonnĂ©s.

Fin janvier 2019, lĂ©ger change­ment de ton, lors de la visite de trois jours du prĂ©sident français en Egypte. M. Macron estimait alors que « les choses n’ont pas Ă©tĂ© dans la bonne direction » depuis laderniĂšre rencontre entre les deux dirigeants. En rĂ©alitĂ©, Ă  compterde l’accession au pouvoir du ma­rĂ©chal en 2013, l’Egypte n’a cessĂ©de s’enfoncer dans une spirale ré­pressive (exĂ©cutions extrajudi­ciaires, tortures, disparitions for­cĂ©es, etc.), tandis que le marasme Ă©conomique s’installait. Le payscompte 60 000 prisonniers d’opi­nion, selon les ONG.

Pendant la prĂ©sidence Trump,Le Caire a bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une paix ab­solue sur le plan international. L’arrivĂ©e prochaine de Joe Biden Ă la Maison Blanche pourrait toute­fois changer l’ambiance dans la relation avec les Etats­Unis. En juillet, lors de la libĂ©ration de Mohamed Amashah, Ă©tudiant en mĂ©decine Ă©gypto­amĂ©ricain dé­tenu pendant 486 jours pour avoir brandi une pancarte lors d’une manifestation au prin­temps sur la place Tahrir, Joe Bi­den avait prĂ©venu sur Twitter :« Plus de chĂšque en blanc pour le “dictateur favori” de Trump. »

Comme avec l’Arabie saoudite,le prĂ©sident Ă©lu a affichĂ© son in­tention de rĂ©Ă©quilibrer les rela­tions bilatĂ©rales, dont les droits de l’homme ont Ă©tĂ© entiĂšrementexclus par M. Trump. Paris est conscient de ce contexte. Face auxcoups de force turcs, Ă  l’impor­tance de la question migratoire etau calme prĂ©caire en Libye, l’Ely­sĂ©e voit plus que jamais le parte­nariat avec l’Egypte comme un pi­lier de sa politique rĂ©gionale.

hélÚne sallonet piotr smolar

A propos des caricatures de

« Charlie Hebdo »,Macron a mis engarde contre un« balbutiement

de l’histoire »

Trois sénateurspourraient faire

basculer le résultat en faveurde la légalisation,

mais le vote s’annonce serrĂ©

LE CONTEXTE

CLANDESTINITÉEn Argentine, l’avortement n’est autorisĂ© qu’en cas de viol ou si la grossesse prĂ©sente un danger pour la santĂ© de la femmeenceinte. Les associations fĂ©ministes estiment que de 370 000 Ă  520 000 femmes avor-tement clandestinement chaque annĂ©e. Selon des chiffresofficiels, 38 000 personnes sont hospitalisĂ©es par an Ă  la suite d’avortements rĂ©alisĂ©s dans de mauvaises conditions. En AmĂ©ri-que latine, l’IVG n’est lĂ©gale qu’à Cuba, dans deux Etats du Mexi-que, au Guyana et en Uruguay.

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6 | international MERCREDI 9 DÉCEMBRE 20200123

En Iran, les conservateurs du rĂ©gime haussent le tonAprĂšs l’assassinat d’une figure du programme nuclĂ©aire, les dĂ©putĂ©s ont adoptĂ© une loi contre les sanctions

P rofondĂ©ment prĂ©occu­pante. » Ce 7 dĂ©cembre,c’est ainsi que Londres,Paris et Berlin, les signa­

taires europĂ©ens de l’accord sur le dossier nuclĂ©aire avec l’Iran, ont qualifiĂ© l’installation par TĂ©hĂ©ran de trois nouvelles cascades de cen­trifugeuses Ă  Natanz, principal sited’enrichissement d’uranium situĂ©dans le centre du pays. Une vraie transgression par TĂ©hĂ©ran de ses engagements pris dans le cadre del’accord de Vienne qui lui interdit d’utiliser les centrifugeuses per­fectionnĂ©es, et aussi un dĂ©fi direct lancĂ© au nouveau prĂ©sident des Etats­Unis, Joe Biden.

Dans un communiquĂ© conjoint,les porte­parole des ministĂšres des affaires Ă©trangĂšres français, al­lemand et britannique ont de­mandĂ© Ă  TĂ©hĂ©ran de « ne pas met­tre en pĂ©ril l’importante opportu­nitĂ© de revenir Ă  la diplomatie que reprĂ©sente l’arrivĂ©e de la nouvelle administration amĂ©ricaine ». Le dĂ©mocrate Joe Biden ayant d’ores et dĂ©jĂ  fait part de son intention de revenir dans le « deal » dont il a lui­mĂȘme Ă©tĂ© un acteur importanten tant que vice­prĂ©sident sous la prĂ©sidence de Barack Obama.

Forte rĂ©cession En mai 2018, son successeur, le rĂ©publicain Donald Trump, a dé­noncĂ© unilatĂ©ralement l’accordde Vienne, signĂ© trois ans aupa­ravant, et a rĂ©tabli des sanctions sĂ©vĂšres Ă  l’encontre de TĂ©hĂ©ran, visant notamment la vente de son pĂ©trole et ses transactions bancaires Ă  l’international, plon­geant l’économie du pays dansune forte rĂ©cession. En rĂ©action, depuis 2019, TĂ©hĂ©ran a repris unnombre important de ses activi­tĂ©s nuclĂ©aires, suspendues dans le cadre du « deal ». Selon le der­nier rapport de l’Agence interna­tionale de l’énergie atomique(l’AIEA), publiĂ© en novembre, le stock d’uranium enrichi de l’Iranest douze fois supĂ©rieur Ă  la limiteautorisĂ©e dans le cadre du com­promis de Vienne.

L’autre point qui inquiĂšte pro­fondĂ©ment aujourd’hui les trois capitales europĂ©ennes est l’adop­tion par le Parlement iranien, ma­joritairement conservateur, d’une loi sur la reprise de certaines acti­vitĂ©s nuclĂ©aires. « Cette loi, si elle

est mise en Ɠuvre, se traduira par un dĂ©veloppement important du programme d’enrichissement de l’uranium par l’Iran et par une ca­pacitĂ© d’accĂšs rĂ©duite de l’AIEA », prĂ©viennent­ils.

Le 1er dĂ©cembre, les dĂ©putĂ©s ira­niens ont votĂ©, Ă  une majoritĂ© Ă©crasante, un projet de loi nommĂ© « action stratĂ©gique pour la levĂ©e des sanctions ». Si l’embargo amĂ©ricain est maintenu, cette loi donne deux mois au gouverne­ment d’Hassan Rohani, l’archi­tecte iranien de l’accord nuclĂ©aire, pour porter l’enrichissement de 120 kg d’uranium Ă  20 % par an, alors que, selon les termes du com­promis de Vienne, TĂ©hĂ©ran ne doitpas dĂ©passer le seuil de 3,67 %.

Le temps nĂ©cessaire Ă  l’Iranpour atteindre un enrichisse­ment de 20 % n’est pas tout Ă  fait clair. Mais certains analystesparlent d’un dĂ©lai de six mois. LapuretĂ© de 20 % est d’autant plus

inquiĂ©tante que le niveau mili­taire, c’est­à­dire 90 %, pourraitalors se faire encore plus rapide­ment. Un autre article de cette loi prĂ©voit la suspension par la Ré­publique islamique d’Iran de sescollaborations avec l’AIEA dans le cadre du protocole additionnel autraitĂ© de non­prolifĂ©ration (TNP),notamment les visites des ins­pecteurs de l’agence onusienne, ce qui, jusqu’à prĂ©sent, permet­tait de suivre les activitĂ©s nuclĂ©ai­res de TĂ©hĂ©ran.

Bien que cette nouvelle loi ait Ă©tĂ©Ă  plusieurs reprises Ă©voquĂ©e au sein du Parlement, son adoption en seulement deux jours (par 251 dĂ©putĂ©s sur un total de 290) estclairement une rĂ©action Ă  l’assas­sinat, le 27 novembre, de Mohsen Fakhrizadeh, une figure­clĂ© du programme nuclĂ©aire de TĂ©hĂ©ran, dans la ville d’Absard. Son meurtreen pleine journĂ©e − pour lequel au moins trois versions ont Ă©tĂ© avan­

cĂ©es par TĂ©hĂ©ran −, lors d’une opé­ration sophistiquĂ©e, a Ă©tĂ© attribuĂ© par les Iraniens Ă  IsraĂ«l. Mohsen Fakhrizadeh a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© par le premier ministre israĂ©lien, Benya­min NĂ©tanyahou, et certains servi­ces de renseignement iraniens comme le scientifique derriĂšre le programme de l’Iran visant Ă  concevoir une arme nuclĂ©aire.

Loi « nuisible »AprĂšs le vote de la loi « action stra­tĂ©gique pour la levĂ©e des sanc­tions », le chef du Parlement, le conservateur Mohammad Bagher Ghalibaf, a pointĂ© le lien entre la dĂ©marche des dĂ©putĂ©s et l’assassi­nat de M. Fakhrizadeh : « Les Occi­dentaux n’ont pas respectĂ© leursengagements dans le cadre de l’accord. Ils refusent mĂȘme de condamner l’assassinat du martyr Fakhrizadeh. Alors, avec cette loi, le Parlement a mis un terme Ă  ce jeu Ă sens unique », a dĂ©clarĂ© M. Ghali­

baf, un ancien commandant des gardiens de la rĂ©volution, l’armĂ©e idĂ©ologique du pays. Ses paroles ont Ă©tĂ© suivies des cris de « Mort Ă  IsraĂ«l » et « Mort Ă  l’AmĂ©rique » scandĂ©s par les parlementaires.

Voyant sa marge de manƓuvrede plus en plus rĂ©duite, le prĂ©si­dent Rohani a d’emblĂ©e fait part de son mĂ©contentement de la nouvelle loi, qu’il qualifie de « nui­sible pour les activitĂ©s diplomati­ques du pays ». « Permettez aux gens qui ont une vingtaine d’an­nĂ©es d’expĂ©riences diplomatiques rĂ©ussies (
) d’essayer de faire leverles sanctions », a­t­il dit au lende­main du vote. Mais son opposi­tion Ă  cette loi, adressĂ©e au conseildes gardiens de la Constitution, chargĂ© d’examiner les lois du Par­lement, est restĂ©e lettre morte.

Cet organe, aux mains desconservateurs, a également ap­prouvé la loi avec une rapidité ex­ceptionnelle. « Ces faits indiquent

que la patience stratĂ©gique de l’Iranface Ă  la politique de “pression maximale” des Etats­Unis s’épuise et que le Guide suprĂȘme, Ali Khame­nei, soutient le durcissement de la position de TĂ©hĂ©ran », analyse unofficiel de l’Organisation des Na­tions unies et spĂ©cialiste de l’Iran,qui prĂ©fĂšre rester anonyme.

Les journaux conservateurs ontĂ©tĂ© unanimes Ă  applaudir la dé­marche des dĂ©putĂ©s. Les critiques contre le prĂ©sident Rohani se sontmĂȘme renforcĂ©es ces derniersjours. De fait, l’assassinat de Moh­sen Fakhrizadeh a donnĂ© une rai­son supplĂ©mentaire aux adver­saires du prĂ©sident Rohani, qui le trouvent trop « naĂŻf » et « faible ».

Certaines figures conservatricesvont encore plus loin, en accusantle prĂ©sident d’avoir organisĂ© la rencontre entre Mohsen Fakhri­zadeh et Yukiya Amano, l’ancien directeur gĂ©nĂ©ral de l’AIEA (2009­2019), ce que rĂ©futent M. Rohani et son entourage. L’entrevueaurait, selon les tenants de l’aile dure, non seulement dĂ©voilĂ© l’identitĂ© du scientifique, maisaussi permis la divulgation d’in­formations secrĂštes.

La position du prĂ©sident iraniensemble chaque jour un peu plus fragilisĂ©e, alors que les Euro­pĂ©ens, ainsi que Joe Biden, font part de leur envie d’engager les pourparlers avec TĂ©hĂ©ran sur son programme balistique et sa pré­sence dans la rĂ©gion. Au terme de son deuxiĂšme mandat, M. Rohanine pourra pas se reprĂ©senter Ă  laprĂ©sidentielle, en juin 2021. A ce scrutin s’est dĂ©jĂ  portĂ© candidat un ancien gardien de la rĂ©volu­tion, Hossein Dehghan. Un autre candidat pressenti serait le chef du Parlement, M. Ghalibaf, qui se distingue ces jours­ci par ses posi­tions fermes contre l’Occident.

ghazal golshiri

Le Japon appelĂ© Ă  s’éveiller Ă  l’antiracismeLa championne de tennis Naomi Osaka et son sponsor Nike cherchent Ă  ouvrir un dĂ©bat sur les injustices raciales dans l’Archipel

L e Japon se veut une sociĂ©tĂ©homogĂšne. Il l’est moinsque ne le proclame la droite

politique et intellectuelle et que ne le pensent une bonne partie des Japonais. Une vidĂ©o publi­citaire de la marque amĂ©ricaine Nike, dĂ©nonçant les discrimina­tions raciales dans l’Archipel, vi­sionnĂ©e plus de 20 millions de fois depuis sa diffusion le 1er dé­cembre, suscite sur les rĂ©seauxsociaux des rĂ©actions enthou­siastes ou outrĂ©es par cette « at­teinte Ă  la dignitĂ© du Japon ».

ConfrontĂ© depuis son ouvertureĂ  l’étranger au milieu du XIXe siÚ­cle Ă  l’ethnocentrisme occidental, le Japon n’ignore pas les blessures dues Ă  la discrimination raciale − qu’il a lui­mĂȘme pratiquĂ©e dans les annĂ©es 1930 avec l’idĂ©ologie de la suprĂ©matie de la « race » nip­pone qui a accompagnĂ© son impé­rialisme colonial.

A la suite de la mort de GeorgeFloyd, en mai aux Etats­Unis, desmarches et des manifestations,de faible ampleur certes, ont eu lieu dans les grandes villes japo­naises. Mais pour beaucoup, le ra­cisme est un problÚme qui se pose aux Etats­Unis et en Europe

mais pas au Japon. La situationn’est pas si simple : les discri­minations des minoritĂ©s, « visi­bles » ou non, ainsi que l’ostra­cisme Ă  l’égard des Japonais mĂ©tissont des rĂ©alitĂ©s que la majoritĂ© tend Ă  ignorer.

Surfant sur la vague de cĂ©lĂ©britĂ©de la jeune championne de ten­nis, Naomi Osaka, qui dĂ©nonce les injustices raciales, Nike – l’unde ses sponsors – a cherchĂ© Ă Ă©pouser l’évolution qu’il croit dis­cerner chez les jeunes Japonais.« Naomi Osaka [nĂ©e au Japon d’une mĂšre japonaise et d’un pĂšrehaĂŻtien] est le visage d’un Japon qui change et qu’elle appelle Ă s’éveiller au problĂšme de la discri­mination raciale », estime BayeMcNeil, professeur et auteur afro­amĂ©ricain vivant au Japon.

Faible immigrationLes discriminations au Japon sont de plusieurs natures. Elles peuvent ĂȘtre rampantes ououvertes, tels les propos haineuxĂ  l’encontre des CorĂ©ens sur lesrĂ©seaux sociaux. Le film vidĂ©o de Nike, intitulĂ© Continue Ă  agir, sois toi­mĂȘme, l’avenir n’attend pas, pointe de maniĂšre quelque peu

caricaturale des formes d’ostra­cisme plus sournoises : jeunefemme en costume national co­rĂ©en dĂ©visagĂ©e par un passant ;adolescentes harcelĂ©es Ă  l’école Ă  cause de leur origine
 Fait d’une succession d’images choc, le film perd sa portĂ©e informative, voiredidactique en homogĂ©nĂ©isant Ă  outrance la sociĂ©tĂ© japonaise. Ces discriminations existent assuré­ment, mais le phĂ©nomĂšne est plus complexe.

ElevĂ©e au Etats­Unis, la jeunefemme ĂągĂ©e de 23 ans ne veut pasĂȘtre qu’une championne mon­dialement connue. Elle entendmettre sa cĂ©lĂ©britĂ© au service d’un message politique dontl’impact est sans doute plus

fort au Japon qu’aux Etats­UnisoĂč la mobilisation est infi­niment plus large sur cette ques­tion. ConsĂ©cration de sa popu­laritĂ© dans l’Archipel, NaomiOsaka va devenir l’hĂ©roĂŻned’un manga intitulĂ© Naomi sansĂ©gale, qui sera publiĂ© fin dĂ©cem­bre dans le magazine pour ado­lescentes Nakayoshi (400 000 exemplaires).

DĂ©terminĂ©e, mais en rien agres­sive – ce qui rend son message d’autant plus recevable au Japon –Naomi Osaka cherche Ă  ouvrir undĂ©bat sur un sujet qui, dans l’Ar­chipel, tient sans doute plus Ă  la mĂ©connaissance qu’à la xĂ©no­phobie. « Il y a beaucoup d’igno­rance et de mĂ©fiance Ă  l’égard desĂ©trangers au Japon mais elles se sont rarement traduites en haineet en violence comme aux Etats­Unis. Il existe en revanche des dis­criminations – dans le travail, larecherche d’un logement – ressen­ties par ceux qui en sont victimes comme de micro­agressions », poursuit Baye McNeil.

C’est en particulier le cas des Ja­ponais et Japonaises mĂ©tis. L’im­migration reste au Japon la plusfaible des pays dĂ©veloppĂ©s mais

le nombre des mariages mixtesaugmente et les enfants nĂ©s deces unions reprĂ©sentent 2 % desnaissances. SurnommĂ©s « hafu » (de l’anglais half), ils sont souventl’objet de discriminations lors­que l’un des parents est de cou­leur. Si les « hafu » accĂšdent Ă la cĂ©lĂ©britĂ© mĂ©diatique, elles etils deviennent « plus » japonais : leur hĂ©ritage multiracial tend Ă  s’estomper.

Pas de double nationalitĂ©Fin aoĂ»t, pour protester contreles violences policiĂšres, Naomi Osaka a refusĂ© de jouer, Ă  la date prĂ©vue, la demi­finale du tournoi de Cincinnati, retardant de vingt­quatre heures la fin de la compĂ©ti­tion. Un acte courageux, car ellerisquait d’ĂȘtre Ă©liminĂ©e. « En tant que femme noire, je pense qu’il y a des questions plus importantes que de me regarder jouer au ten­nis », dĂ©clarait­elle. En septembre, pour les matchs de l’US Open Ă  New York, elle arborait, Ă  chaque entrĂ©e sur le court, un masque au nom d’un Afro­AmĂ©ricain vic­time de violence de la police.

Un engagement modérémentapprécié par ses sponsors japo­

nais, frileusement repliĂ©s sur le principe olympique de dissocia­tion du sport et de la politique. « Je dĂ©teste qu’on me dise que lesathlĂštes ne doivent pas faire de po­litique. C’est un droit. Qui vous autorise Ă  vous exprimer alors quemoi je ne peux pas ? », dĂ©clarait­elle au Wall Street Journal Maga­zine qui, en septembre, lui consa­crait sa couverture.

Afin de se conformer Ă  la lĂ©gisla­tion japonaise qui n’autorise pas ladouble nationalitĂ©, Naomi Osaka arenoncĂ© Ă  la citoyennetĂ© amĂ©ri­caine. Son message a d’autant plusde poids au Japon qu’elle n’est plusune Ă©trangĂšre. LĂ©galement, du moins, car elle est l’objet d’atta­ques racistes sur la couleur de sa peau et son « multiculturalisme » – par sa naissance et sa vie aux Etats­Unis – qui n’en feraient pasune Japonaise « authentique » selon les nostalgiques de la puretĂ© de la « race ». En septembre 2018, la jeune championne Ă©tait quali­fiĂ©e par le quotidien Yomiuri de « fiertĂ© du Japon ». Aujourd’hui, les grands mĂ©dias s’en tiennent Ă  une couverture factuelle de ses prises de position.

philippe pons

« Il y a beaucoupd’ignorance

et de mĂ©fianceĂ  l’égard

des étrangers »BAYE MCNEIL

auteur afro-américain installé au Japon

Le chef du Parlement, Mohammad Bagher Ghalibaf, et le président Hassan Rohani, à Téhéran, le 24 novembre. AFP PHOTO/HO/KHAMENEI.IR

Le président Rohani, qui ne sereprésentera pasen juin 2021, est

jugé « naïf » et « faible » par ses

adversaires

Page 7: Le Monde - 09 12 2020

ENSEMBLE,REMPLISSONSLE PANIER DE CEUXQUI NE PEUVENT PASLE FAIRE.LE 9 DÉCEMBRE

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Page 8: Le Monde - 09 12 2020

8 | PLANÈTE MERCREDI 9 DÉCEMBRE 20200123

L’ Ă©pidĂ©mie de Covid­19est dĂ©cidĂ©ment pleinede mauvaises surpri­ses. DerniĂšre en date ?

Depuis une semaine, pour des rai­sons que les autoritĂ©s s’expli­quent mal, plusieurs indicateursmontrent que la dĂ©crue de la deuxiĂšme vague, amorcĂ©e depuis la mi­novembre, marque un net ralentissement. Les cas quoti­diens d’infection ont atteint un plateau, autour de 10 000 par jour. Lundi matin 7 dĂ©cembre, le premier ministre, Jean Castex, et le ministre de la santĂ©, Olivier Vé­ran, sont venus annoncer la mau­vaise nouvelle aux chefs des grou­pes parlementaires Ă  l’Assem­blĂ©e nationale : « La situation restedifficile », a dĂ©clarĂ© Jean Castex, prĂ©venant que, vu les courbes Ă©pi­dĂ©miques, il fallait rĂ©flĂ©chir Ă  « comment dĂ©confiner ».

« Nous sommes sur un plateau,constate le premier ministre auprĂšs du Monde. Nous aviserons en fonction de l’évolution de ces donnĂ©es. Je garderai toujours la mĂȘme ligne de conduite : prioritĂ© Ă la prĂ©vention et Ă  la sĂ©curitĂ© sani­taire de nos concitoyens. » Selon plusieurs participants, le chef dugouvernement a ouvert la porte Ă une modification du prochaindesserrement des contraintes inscrit Ă  l’agenda. Ce dernier de­vait, si le seuil des 5 000 cas par jours Ă©tait atteint, permettre, le 15 dĂ©cembre, la rĂ©ouverture des

cinĂ©mas, thĂ©Ăątres et musĂ©es, la reprise des activitĂ©s extrascolai­res en salle, la fin de l’attestationde sortie et son remplacement par un couvre­feu Ă  partir de 21 heures.

Pourquoi cette stagnation ? DestempĂ©ratures qui baissent ? « Ouest­ce dĂ» Ă  la rĂ©ouverture de com­merces, entraĂźnant plus de mou­vement, de relĂąchement ? », s’in­terroge Olivier Becht, invitĂ© decette rĂ©union de consultation.Pour le dĂ©putĂ© membre de la ma­joritĂ©, « le gouvernement ne sem­blait pas avoir d’explication ra­tionnelle arrĂȘtĂ©e pour expliquerce plafonnement ». Une autre question majeure reste en sus­pens : les fĂȘtes de fin d’annĂ©e. Le gouvernement juge « prĂ©ma­turĂ© » de s’inquiĂ©ter Ă  ce stade pour les vacances de NoĂ«l. « Nousn’en sommes pas lĂ . Aucun pays europĂ©en n’a pris pour l’instant demesures restrictives ou d’interdic­tions concernant les fĂȘtes », souli­gne­t­on au sommet de l’Etat.

Selon M. Becht, Ă  l’AssemblĂ©e

nationale, « tout le monde s’estentendu pour dire qu’il fallait queles Français puissent fĂȘter NoĂ«l enfamille et se dĂ©placer ». Christo­phe Castaner, chef de file des dé­putĂ©s LRM, semblait moins opti­miste. Au sortir de la rĂ©union, il s’est fait l’écho, sur Twitter, d’unministre canadien appelant ses concitoyens Ă  ne pas se rĂ©unir le24 dĂ©cembre.

« Encore loin de l’objectif »Au QuĂ©bec, les rassemblementsfamiliaux, autorisĂ©s dans un pre­mier temps en vue des fĂȘtes, ontfinalement Ă©tĂ© interdits face aurebond de l’épidĂ©mie sur le con­tinent nord­amĂ©ricain. Une ex­trĂ©mitĂ© Ă  laquelle l’exĂ©cutif es­pĂšre ne pas ĂȘtre poussĂ©, comp­tant plutĂŽt sur le fait que ce « pla­teau » joue en faveur d’une plusgrande prudence des Françaisdans les jours Ă  venir. « Je pense que l’on va quand mĂȘme fĂȘter NoĂ«l », veut croire un cadre de lamajoritĂ©, qui estime que la popu­lation ne respecterait de toute fa­çon pas des rĂšgles trop contrai­gnantes.

Que NoĂ«l soit prĂ©servĂ© ou pas,au minimum, le doute est jetĂ©sur la rĂ©ouverture d’un secteur culturel dĂ©jĂ  largement mis Ă  mal par la pandĂ©mie. Ce qui pro­met de relancer les dĂ©bats sur lesprioritĂ©s du gouvernement, maisaussi les lieux les plus propicesaux contaminations. Si ce di­

lemme reste entier, la communi­cation gouvernementale s’estpoursuivie, lundi dans la soirĂ©e, cette fois Ă  destination de la po­pulation. Lors d’un rapide point­presse, le directeur gĂ©nĂ©ral de lasantĂ©, JĂ©rĂŽme Salomon, a mis engarde contre « un risque Ă©levĂ© de rebond Ă©pidĂ©mique », alors que l’Europe est aujourd’hui l’un desĂ©picentres de la pandĂ©mie.

« Nous sommes encore loin del’objectif de passer sous la barre des 5 000 cas par jour », a prĂ©venu M. Salomon, se refusant toutefoisĂ  annoncer le moindre amĂ©nage­ment du calendrier de dĂ©confine­ment dĂ©crit par Emmanuel Ma­cron il y a deux semaines. Lundi soir, SantĂ© publique France comp­tabilisait, en vingt­quatre heures, 9 179 nouveaux cas confirmĂ©s parRT­PCR, ainsi que 1 843 par tests antigĂ©niques – ces derniers se­ront dĂ©sormais automatique­ment ajoutĂ©s au dĂ©compte global.En consĂ©quence, le taux de positi­vitĂ© est en lĂ©gĂšre augmentation, Ă 10,7 %, notamment chez les10­19 ans et les personnes de plus de 90 ans.

En revanche, le seuil de3 000 personnes atteintes du Co­vid­19 en service de rĂ©animation,autre condition posĂ©e par l’exé­cutif pour engager un dĂ©confine­ment au 15 dĂ©cembre, semble en­core atteignable, sauf si les ad­missions ne baissent plus,comme c’est le cas depuis deux

jours. Quelque 3 188 personnesĂ©taient en rĂ©animation lundisoir. Selon les calculs du groupe de modĂ©lisation de l’équipe derecherche Evolution thĂ©orique etexpĂ©rimentale (ETE), Ă  partir desdonnĂ©es du 6 dĂ©cembre, letemps de division par deux des hospitalisations de malades duCovid­19 est actuellement d’envi­ron cinquante jours. « Les hospi­talisations de la semaine derniĂšrepointent vers un moindre effet duconfinement depuis le 16 novem­bre, voire une croissance Ă  cer­tains endroits », expliquent lesmodĂ©lisateurs sur Twitter.

En effet, des disparitĂ©s sont Ă  ob­server entre les rĂ©gions. Selon M. Salomon, on enregistre « une faible baisse » des contaminationsdans les Hauts­de­France, l’Ile­de­France, la Nouvelle­Aquitaine, la Normandie et la Provence­Alpes­CĂŽte d’Azur, tandis que six rĂ©gions« ont une tendance en plateau » :

Que Noël soit préservé ou pas,au minimum, le

doute est jeté surla réouverture du

secteur culturel

l’Auvergne­RhĂŽne­Alpes, la Bour­gogne­Franche­ComtĂ©, la Breta­gne, le Centre­Val de Loire, les Pays de Loire et la Corse. Le Grand­Est et l’Occitanie font, eux, face Ă  une lĂ©gĂšre augmentation de l’in­cidence.

Faible immunitĂ© de groupe« Ces chiffres sont inquiĂ©tants », a confirmĂ© M. Salomon, insistant sur le fait que l’immunitĂ© en po­pulation reste aujourd’hui faible. Selon les derniĂšres modĂ©lisationsde l’Institut Pasteur, plus de 11 personnes sur 100 auraientdĂ©jĂ  eu le Covid­19, sous uneforme symptomatique ou asymp­tomatique. Et la future campagne de vaccination, qui devrait Ă terme permettre l’immunitĂ©, n’aura rien d’instantanĂ©.

D’ici lĂ , un conseil de dĂ©fensesanitaire est prĂ©vu mercredi,avant la confĂ©rence de pressehebdomadaire du ministre de lasantĂ©, Olivier VĂ©ran, le lende­main, censĂ©e ĂȘtre consacrĂ©e Ă  laquestion des tests. Vu la situa­tion, la question du dĂ©confine­ment du 15 dĂ©cembre ne devraitpas manquer de s’inviter Ă  la ta­ble des discussions. Une fois en­core, comme a Ă©tĂ© forcĂ© de le re­connaĂźtre Emmanuel Macron enoctobre, « il y a un maĂźtre des hor­loges qui s’appelle le Covid ».

julie carriat,olivier faye

et delphine roucaute

Martinique

Mayotte

La RĂ©union

Guadeloupe

Guyane

Petite couronne

4 586

33 466

418

26 333

1er septembre

2e conïżœnement(30 octobre)

7 décembre

du 28/11 au 4/12du 26/08 au 1/09

Personnes hospitaliséesPersonnes en réanimationet en soins intensifs

3 188

Nombre de personnes positivespour 100 000 habitantsdu 28 novembreau 4 décembre

pour 100 000 habitantsMoyennenationale

nouvelles personnes positivesau SARS-CoV-2 en vingt-quatreheures (tests antigéniques inclus)Cet indicateur dépend du nombrede personnes testées, variableselon les jours et les territoires.

+ 3 411de 150 Ă  198,4de 100 Ă  150de 50 Ă  100Moins de 50

HOSPITALISATIONS ET RÉANIMATION TAUX D’INCIDENCE PAR DÉPARTEMENTpour 100 000 habitants

TESTS POSITIFS

TAUX D’INCIDENCE

66,1

500,2

86,2

Sources : Santé publique France, Géodes, université Johns-HopkinsInfographie Le Monde

Epidémie de Covid-19 : situation au 7 décembre, 14 heuresDANS LE MONDE

Nombre de décÚs et rapport pour 100 000 habitants

Belgique

Suisse

Espagne

Royaume-Uni

Italie

France

Allemagne

Russie

Brésil

Etats-Unis

55 521 83

64

30

23

99

101

84

86

43 122

19 434

283 703

17 386 morts

5 495

46 646

177 317

61 531 92

60 606

151 décÚs / 100 000 hab.

Doutes sur le dĂ©confinement du 15 dĂ©cembreLes cas quotidiens de Covid­19 stagnent autour de 10 000, remettant en question le calendrier annoncĂ©

« V­Day » pour l’utilisation du vaccin Pfizer au Royaume­UniLe gouvernement britannique vante l’« avance » du pays, oĂč la campagne vaccinale a commencĂ©, mardi 8 dĂ©cembre

londres ­ correspondante

E lle s’appelle MargaretKeenan, elle aura 91 ans lasemaine prochaine et elle

est la premiĂšre personne Ă  avoir reçu une injection du vaccin Pfizer­BioNTech au Royaume­Uni,mardi 8 dĂ©cembre un peu avant 7 heures, Ă  l’hĂŽpital universitaire de Coventry, dans le centre de l’An­gleterre. « C’est comme recevoir un cadeau d’anniversaire en avance »,a­t­elle dĂ©clarĂ©, selon la BBC.

Le Royaume­Uni est le premierpays au monde Ă  avoir donnĂ© sonfeu vert au vaccin codĂ©veloppĂ© par la firme amĂ©ricaine et une start­up allemande, et il est le pre­mier Ă  lancer sa campagne vacci­nale, mardi matin. A l’occasion,les officiels britanniques onttenu Ă  cĂ©lĂ©brer « le dĂ©but de la fin »de la pandĂ©mie, Ă  en croire Stephen Powis, le directeur mĂ©di­cal du NHS England (le service pu­blic de santĂ© anglais). Mais aussi un vrai « V­Day », selon Matt Han­cock, dans une rĂ©fĂ©rence au VE­

Day, qui commĂ©more la fin de laseconde guerre mondiale en Eu­rope, le 8 mai 1945 : le ministre dela santĂ© a multipliĂ© les dĂ©clara­tions triomphales ces derniers jours, vantant l’« avance » duRoyaume­Uni, dont l’agence du mĂ©dicament, la MHRA, a donnĂ©son feu vert au vaccin Pfizer dĂšs le 2 dĂ©cembre.

Doses conservĂ©es Ă  – 70 0CLes premiers cartons du vaccin Pfizer­BioNTech avaient quittĂ© l’usine de Puurs (Belgique), ven­dredi 4 dĂ©cembre, dans des semi­remorques banalisĂ©s, puis ont em­pruntĂ© discrĂštement le tunnel sous la Manche. Une fois sur le sol britannique, cette premiĂšre livrai­son de 800 000 doses a Ă©tĂ© stockĂ©edans un entrepĂŽt secret, prĂ©cieu­sement conservĂ©e Ă  – 70 0C avant d’ĂȘtre distribuĂ©e par lots de 975 do­ses dans environ soixante­dix hέpitaux britanniques, sĂ©lectionnĂ©s pour organiser la premiĂšre cam­pagne vaccinale contre le corona­virus du monde occidental.

Les premiĂšres injections sontadministrĂ©es Ă  des personnes de plus de 80 ans, convoquĂ©es Ă  l’hέpital pour l’occasion, ou dĂ©jĂ  hos­pitalisĂ©es et sur le point de quitterl’établissement. Si un rendez­vous n’est pas honorĂ©, c’est un professionnel de santĂ© (person­nel hospitalier ou de maison de retraite) qui recevra l’injection. La chaĂźne ITV s’est attardĂ©e lundi7 dĂ©cembre sur le cas d’Hari et de Ranjan Shukla, un couple d’octo­gĂ©naires rĂ©sidant Ă  Newcastle (nord de l’Angleterre), se disant « trĂšs, trĂšs heureux » d’ĂȘtre sur la liste pour le lendemain.

La campagne devrait commen­cer modestement : 7 000 Londo­niens pourraient ĂȘtre vaccinĂ©s cette semaine, selon le Evening Standard, dans sept hĂŽpitaux dif­fĂ©rents de la capitale. Deux injec­tions Ă  vingt et un jours d’inter­valle Ă©tant nĂ©cessaires pour que le vaccin soit efficace, 400 000 per­sonnes au maximum seront con­cernĂ©es pour tout le Royaume­Uni, en attendant la prochaine li­

vraison de Pfizer – le gouverne­ment espĂšre 4 millions de doses supplĂ©mentaires d’ici Ă  la fin 2020.

Etant donnĂ© que 6,7 millions deBritanniques sont considĂ©rĂ©s comme « trĂšs prioritaires » (les plus de 80 ans, les personnels des maisons de retraite et hospita­liers, les personnes avec des pa­thologies graves), « la majoritĂ© despersonnes Ă  risque seront vacci­nĂ©es entre janvier et fĂ©vrier pro­chain », a admis un porte­parole de Downing Street lundi. « Cette campagne vaccinale est un mara­thon, pas un sprint », a prĂ©venu Stephen Powis, du NHS. Les per­sonnes inoculĂ©es recevront une « carte » vaccinale, sur laquelle se­ront inscrits, pour mĂ©moire, le nom du vaccin et la date d’inocu­lation des deux doses. « Il ne s’agitabsolument pas d’un passeport », a prĂ©cisĂ© Downing Street lundi, coupant court aux spĂ©culations.

Les autorités sont un peu inquiÚ­tes que les Britanniques baissent lagarde, alors que le deuxiÚme con­finement a été levé le 2 décembre

et que le nombre de nouvelles in­fections au coronavirus a cessĂ© de refluer. Lundi, le nombre de nou­veaux cas positifs sur sept jours (105 918) n’avait baissĂ© que de 0,6 %. Le gouvernement a aussi multipliĂ© les messages rassurants, conscient que le succĂšs de la cam­pagne dĂ©pendra de la confiance des Britanniques dans un vaccin gratuit et non obligatoire.

Agence « en platine massif »Le mouvement antivaccin restemarginal au Royaume­Uni (selonun sondage YouGov du 7 dĂ©cem­bre, 68 % des personnes consi­dĂšrent que le vaccin Pfizer est« sĂ»r »), mais des critiques inter­nationales sur la supposĂ©e prĂ©ci­pitation de la MHRA Ă  le valider ont fait le tour des mĂ©dias – no­tamment celles du respectĂ© doc­teur Anthony Fauci, directeur de l’Institut national des allergies etmaladies infectieuses amĂ©ricain,qui s’est excusĂ© depuis. « Notreagence du mĂ©dicament est enplatine massif ! », insistait Chris

Hopson, un des dirigeants duNHS, lundi sur la BBC.

Et si le Brexit faisait dĂ©railler lacampagne ? Londres n’était tou­jours pas parvenu, lundi, Ă  con­clure un accord commercial « post­divorce » avec Bruxelles et les transporteurs routiers s’in­quiĂštent de grosses perturbationsde trafic sur l’axe vital Calais­Dou­vres Ă  partir du 1er janvier 2021. Si c’était le cas, « le gouvernementbritannique acheminerait les vac­cins par avion », a affirmĂ© Vau­ghan Gething, le ministre de la santĂ© du Pays de Galles.

DerniĂšre interrogation : quandElizabeth II (94 ans) et le prince Philip (99 ans) recevront­ils leur premiĂšre injection ? « Ils pren­dront leur tour dans la file », a af­firmĂ© le Mail on Sunday, citant des « sources officielles ». Mais l’in­formation devrait ĂȘtre rendue pu­blique d’une maniĂšre ou d’uneautre. Elle n’a rien d’anodin, Ă©tantdonnĂ© la considĂ©rable popularitĂ©de la reine.

cécile ducourtieux

Le seuil de 3 000 personnes

atteintes du Covid-19 en service

de réanimationsemble encore

atteignable

Page 9: Le Monde - 09 12 2020

0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2020 planùte | 9

Les contradictions du traitĂ© sur la charte de l’énergieCet accord international entrĂ© en vigueur en 1998 va Ă  l’encontre des objectifs climatiques des Vingt­Sept

bruxelles ­ bureau européen

C’ est un accord inter­national dont peude gens, en dehorsdes spĂ©cialistes des

questions Ă©nergĂ©tiques, ont en­tendu parler. EntrĂ© en vigueuren 1998, le traitĂ© sur la charte de l’énergie (TCE) – qui compteaujourd’hui 53 signataires, dont l’Union europĂ©enne, mais aussitous ses pays membres (Ă  l’ex­ception de l’Italie), ainsi que le Japon, la Turquie, l’Ukraine, laGĂ©orgie ou le Kazakhstan – constitue, en l’état, un sĂ©rieuxfrein aux ambitions climatiquesdes Vingt­Sept.

Depuis quelques mois, les ONGet les parlementaires europĂ©ens alertent sur son incomptabilitĂ© avec le « pacte vert » qui doit per­mettre aux EuropĂ©ens d’attein­dre l’objectif de neutralitĂ© car­bone qu’ils se sont fixĂ© pour 2050. DerniĂšre initiative en date,mardi 8 dĂ©cembre, une lettre ouverte de personnalitĂ©s enga­gĂ©es dans la lutte contre le chan­gement climatique – parmi les­quelles la directrice de la Fonda­tion europĂ©enne pour le climat,Laurence Tubiana, les Ă©conomis­tes Thomas Piketty, GaĂ«l Giraudet Tim Jackson, ou l’envoyĂ©e spé­ciale de la Banque mondiale pourle changement climatique, Rachel Kyte – qui demande aux signataires du TCE de s’en retirer.

A l’approche du Conseil des 10et 11 dĂ©cembre, au cours duquel les chefs d’Etat et de gouverne­ment europĂ©ens vont tenter dese mettre d’accord pour rĂ©duire d’au moins 55 % leurs Ă©missionsde CO2 d’ici Ă  2030, la question est lĂ©gitime. D’autant que lesnĂ©gociations en cours depuis novembre 2019 pour la « moder­nisation » du TCE patinent.

ProtĂ©ger les investisseursAutres temps, autres mƓurs. Au dĂ©but des annĂ©es 1990, sur fond de guerre du Golfe et d’effondre­ment de l’empire soviĂ©tique,l’Europe s’inquiĂšte pour son approvisionnement Ă©nergĂ©tique et imagine, afin de le sĂ©curiser,un grand accord internationalqui protĂ©gerait les investis­seurs dans ce secteur, qu’il s’agisse des Ă©nergies fossiles ou renouvelables.

Dans ce contexte, le TCE leurpermet de demander, devant untribunal arbitral, des dĂ©domma­gements Ă  un Etat qui rĂ©oriente­rait sa politique Ă©nergĂ©tique etaffecterait ainsi la rentabilitĂ© deleurs placements. A l’heure oĂč deplus en plus d’Etats veulent lut­ter contre le rĂ©chauffement cli­matique, le TCE, « c’est l’assurancevie des Ă©nergies fossiles », jugel’eurodĂ©putĂ©e (Gauche unitaire europĂ©enne) Manon Aubry.

MĂȘme si on ne connaĂźt pas tousles contentieux – le TCE n’oblige

pas les Etats Ă  les rendre publics –,on sait qu’« Ă  ce jour, la confé­rence des Nations unies sur lecommerce et le dĂ©veloppement a recensĂ© 135 cas de litiges sous leTCE et que le montant des com­pensations accordĂ©es s’élĂšve Ă 55 milliards d’euros », dĂ©veloppel’experte des politiques Ă©nergĂ©ti­ques et du TCE, Yamina Saheb.

Ainsi, le suĂ©dois Vattenfall s’estpourvu contre l’Allemagne, quand la chanceliĂšre AngelaMerkel a dĂ©cidĂ© de sortir du nu­clĂ©aire en 2011. Quant Ă  l’Espagne,elle cumule de nombreusesplaintes, aprĂšs avoir dĂ©cidĂ© en 2008 de ne plus soutenir le photovoltaĂŻque. On peut aussi ci­ter la Hongrie qui a Ă©tĂ© attaquĂ©epar le franco­belge Electrabelen 2007, aprĂšs avoir dĂ©cidĂ© debaisser le prix de l’électricitĂ© pourles mĂ©nages les moins aisĂ©s.

Retour en 2020. Des nĂ©gocia­tions se sont engagĂ©es entre les 53 signataires du TCE afin de le rĂ©former, alors que celui­ci a perdu deux de ses membres, pro­bablement Ă©chaudĂ©s par des plaintes, l’Italie en 2015 et sur­tout la Russie en 2009, et qu’il neparvient pas Ă  attirer de nou­veaux pays qui comptent sur la scĂšne Ă©nergĂ©tique. « Le dĂ©part dela Russie a portĂ© atteinte Ă  laraison d’ĂȘtre mĂȘme du TCE », commente Mathilde DuprĂ©, del’Institut Veblen.

Officiellement, Moscou n’a pasexpliquĂ© les raisons de ce retrait,mais l’affaire Ioukos n’y est sansdoute pas Ă©trangĂšre, alors que la Russie – qui conteste ce juge­ment – a Ă©tĂ© condamnĂ©e, en arbi­trage, Ă  verser 50 milliards de dollars Ă  cinq des anciens action­naires du groupe pĂ©trolier, encompensation de l’expropriationdont ils ont Ă©tĂ© victimes en 2003.

On le voit, le verdissement duTCE n’est pas au cƓur des discus­sions sur son avenir, lesquelles par ailleurs se tiennent dans la plus grande opacitĂ©. La questionest plutĂŽt de l’adapter – revoir lesconditions des mĂ©canismes d’ar­bitrage, y intĂ©grer la biomasse oul’hydrogĂšne
 – pour attirer denouveaux membres. MĂȘme laCommission europĂ©enne, qui apourtant fait du « pacte vert » lapierre angulaire de son action,reste timide sur le sujet, affir­mant qu’elle souhaite que le traitĂ© soit « alignĂ© avec l’accord deParis » sur le climat, sans prĂ©ciserce que cela signifie. Or, comme le

souligne l’eurodĂ©putĂ©e (Verts)Saskia Bricmont, « le TCE prime sur tout autre accord internatio­nal. Un tribunal ne peut pas invo­quer l’accord de Paris pour casserune plainte ».

ContradictionsDans ce contexte, le Parlement europĂ©en s’est saisi du sujet, pour le porter sur la place publi­que et mettre la Commission face Ă  ses contradictions. « Quel’Union europĂ©enne continued’accorder sa protection Ă  des in­vestissements qui vont Ă  l’encon­tre de ses objectifs n’a pas desens », juge Pascal Canfin, le pré­sident (Renew Europe) de la com­mission environnement de l’As­semblĂ©e lĂ©gislative europĂ©enne.

Entre autres initiatives, le 7 oc­tobre, les eurodĂ©putĂ©s ontadoptĂ© un amendement exi­geant que les investissementsdans les Ă©nergies fossiles cessentd’ĂȘtre protĂ©gĂ©s par TCE. « Avec leCovid­19, des entreprises et des

cabinets d’avocats envisagent desrecours contre des mesures d’ur­gence, dans les pays oĂč il a pu yavoir des suspensions de factures d’électricitĂ© », s’offusque ManonAubry.

Trois rounds de nĂ©gociationspour rĂ©former le TCE (l’unani­mitĂ© est requise) ont eu lieu de­puis le dĂ©but de l’annĂ©e, le der­nier dĂ©but novembre, sans que cela ait vĂ©ritablement permis d’avancer. Certains pays, commele Japon, s’opposent Ă  tout chan­gement. « Nous sommes coincĂ©sdans des textes qui datent des an­nĂ©es 1990, qui n’intĂšgrent pas le risque climatique. Il faut cesser detergiverser et sortir du TCE », s’in­surge Saskia Bricmont. Pas sisimple en rĂ©alitĂ©. Car, quand bienmĂȘme un Etat se retirerait duTCE, il serait encore liĂ© par ses en­gagements pendant vingt ans.

« Si les objectifs fondamentauxde l’UE, y compris l’alignementsur l’accord de Paris, ne sont pas atteints dans un dĂ©lai raisonna­

ble, la Commission peut envisagerde proposer (
) le retrait du TCE »,a Ă©crit le commissaire europĂ©en au commerce, Valdis Dombrovs­kis, dans une lettre du 2 dĂ©cem­bre, en rĂ©ponse Ă  une questionĂ©crite de parlementaires.

La formulation est prudentemais c’est la premiĂšre fois que l’exĂ©cutif europĂ©en Ă©voque la possibilitĂ© d’un retrait del’Union, qui, s’il s’accompagnaitde celui des vingt­six Etats mem­bres qui en font Ă©galement par­

La Commissioneuropéenne,

qui a pourtant faitdu « pacte vert »

la pierre angulairede son action, reste timide sur le sujet

ÉNERGIESArrĂȘt d’une centrale gĂ©othermique dans l’EstLa prĂ©fecture du Bas­Rhina annoncĂ©, lundi 7 dĂ©cembre, l’« arrĂȘt dĂ©finitif » d’un projet de centrale gĂ©othermiquedĂ©veloppĂ© par la sociĂ©tĂ© Fon­roche au nord de Strasbourg, aprĂšs une sĂ©rie de sĂ©ismes survenus depuis fin octobre. Le plus impor­tant, de magnitude 3,5, a Ă©tĂ© enregistrĂ© vendredi 4 dĂ©cem­bre. « Ce projet, implantĂ© dans une zone urbanisĂ©e, n’offre plus les garanties de sĂ©curitĂ© indispensables et doit donc ĂȘtre stoppĂ© », a affirmĂ© la prĂ©fecture. Un comitĂ© d’experts sera consti­tuĂ© pour conseiller la prĂ©fec­ture, alors que d’autres projets sont Ă  l’étude dans l’agglomĂ©ration. – (AFP.)

CLIMATEn 2020, le mois de novembre le plus chaud jamais enregistrĂ©Novembre 2020 a Ă©tĂ© le mois de novembre le plus chaud ja­mais enregistrĂ© dans le monde, rapprochant encore un peu 2020 du record de 2016, explique le service euro­pĂ©en Copernicus sur le chan­gement climatique, dans son bilan mensuel, lundi 7 dĂ©cem­bre. La pĂ©riode de douze mois allant de dĂ©cembre 2019 Ă  no­vembre 2020 se situe Ă  1,28 °C au­dessus des tempĂ©ratures de l’ùre prĂ©industrielle. Les tempĂ©ratures ont Ă©tĂ© particu­liĂšrement Ă©levĂ©es en novem­bre en SibĂ©rie, sur l’ocĂ©an arc­tique, une partie de l’Europe du Nord et des Etats­Unis, l’AmĂ©rique latine, l’ouest de l’Antarctique. – (AFP.)

tie, signerait la fin du traitĂ©. Rienn’empĂȘcherait ensuite les Euro­pĂ©ens de se mettre d’accord pours’abstraire de la clause des vingtans entre eux.

Pour l’heure, le mandat de né­gociation de la Commission ne propose pas d’exclure du TCE laprotection de tous les investisse­ments en Ă©nergie fossile. Et pourcause : les Etats europĂ©ens sont divisĂ©s sur le sujet. La France, l’Espagne, le Luxembourg envi­sagent sĂ©rieusement de sortir dutraitĂ© sur la charte de l’énergie s’il devait continuer Ă  protĂ©gerles investissements fossiles, etauraient, selon une source bieninformĂ©e, « demandĂ© Ă  la Com­mission de prĂ©parer un plan desortie ». L’Autriche semble sur lamĂȘme ligne, quand d’autres, aupremier rang desquels la SuĂšde,suivie par la Finlande, la SlovĂ©nieou Malte, souhaitent qu’une par­tie des investissements dans le gaz continuent Ă  ĂȘtre protĂ©gĂ©s.

virginie malingre

« Ce traitĂ©, c’est l’assurance-vie des Ă©nergies

fossiles »MANON AUBRY

eurodéputée (Gauche unitaire européenne)

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Page 10: Le Monde - 09 12 2020

10 | FRANCE MERCREDI 9 DÉCEMBRE 20200123

L A Ï C I T É

« SĂ©paratismes Â» : Macron toujoursen quĂȘte d’équilibre

Le premier ministre, Jean Castex, prĂ©sentera le projet de loi, mercredi, aprĂšs le conseil des ministres. Objectif : Ă©viter d’« hystĂ©riser » le dĂ©bat et renforcer la « cohĂ©sion sociale »

C omme une malé­diction. AprÚs avoirmis prÚs de troisans à mûrir sonplan de lutte contreles séparatismes,

Emmanuel Macron a vu ses ambitions en la matiĂšre freinĂ©es par la crise due au coronavirus. Puis des divisions sont apparues Ă  la rentrĂ©e au sein de son camp entre tenants d’une ligne laĂŻque dure et les autres. Le locataire del’ElysĂ©e pensait avoir dĂ©passĂ© cesfractures en fixant un cadre, le2 octobre, dans son discours desMureaux (Yvelines), et comptaitsur un atterrissage en douceur dela loi « confortant les principes rĂ©publicains », qui est prĂ©sentĂ©een conseil des ministres mercredi 9 dĂ©cembre. Mais le climat est brĂ»lant.

En raison des attentats deConflans­Sainte­Honorine (Yveli­nes) et de Nice ; en raison, égale­ment, des tensions provoquéespar la proposition de loi « sécu­

ritĂ© globale ». Samedi 5 dĂ©cem­bre, 95 personnes ont Ă©tĂ© arrĂȘ­tĂ©es dans tout le pays lors de ma­nifestations contre ce texte, mar­quĂ©es par de violents incidents, qui ont fait 67 blessĂ©s parmi lesforces de l’ordre.

« APPROCHE TRANSVERSALE »Le gouvernement avance donc avec un objectif en tĂȘte : apaiser. Un proche d’Emmanuel Macronvoit deux difficultĂ©s Ă  surmon­ter : « Le contexte autour des vio­lences policiĂšres et le ministre de l’intĂ©rieur. » Une maniĂšre franche de souligner que la ligne sĂ©curi­taire de GĂ©rald Darmanin « hysté­rise le dĂ©bat », selon l’expression de l’eurodĂ©putĂ© macroniste Pascal Canfin. « L’enjeu sur le textesĂ©paratisme, c’est que ce ne soitpas juste une loi “darmanienne”,mais un sujet bien plus large », rĂ©sume un cadre de la majoritĂ©.

C’est la raison pour laquelle lelocataire de Beauvau a Ă©tĂ© dessaisi du dossier par Mati­

gnon. Le premier ministre, Jean Castex, prĂ©sentera le plan de l’exĂ©cutif lors d’une confĂ©rencede presse, mercredi, Ă  l’issue du conseil des ministres, entourĂ© deplusieurs membres du gouver­nement, parmi lesquels le minis­tre de la justice, Eric Dupond­Mo­retti, celui de l’éducation natio­nale, Jean­Michel Blanquer, et
 GĂ©rald Darmanin lui­mĂȘme. « Lepremier ministre veut montrerune approche transversale », ex­plique un proche.

Selon nos informations, undĂźner de la majoritĂ© qui devait se tenir place Beauvau, lundi soir, amĂȘme Ă©tĂ© dĂ©localisĂ© Ă  Matignon,sous l’égide de M. Castex. « Le por­tage politique de la loi sĂ©para­tisme sera assurĂ© par le premierministre, qui sera en premiĂšre ligne », confirme une source au sein de l’exĂ©cutif. « Qui voulez­vous qui prenne la main, autreque le premier ministre ? Personne. Ce n’est pas le texte de Darmanin, ni le texte de Blanquer,

c’est le texte du gouvernement », abonde un proche du chef del’Etat, qui dĂ©crit un dĂźner de travail de la majoritĂ© « dĂ©tendu et constructif ». Un peu plus tĂŽt, lorsd’un bureau exĂ©cutif de La RĂ©pu­blique en marche (LRM), M. Dar­manin, appuyĂ© notamment parles ministres Jean­Michel Blan­quer et Nadia Hai, ministre dĂ©lé­guĂ©e chargĂ©e de la ville, s’est atta­chĂ© Ă  dĂ©fendre « une loi de libertĂ© et d’ouverture ».

En face, le parti a surtout Ă©misdes propositions pour muscler la

jambe gauche du dossier : lutter contre les discriminations Ă  l’em­bauche, crĂ©er une « formation universelle Ă  la laĂŻcitĂ© » pour les enseignants
 La dĂ©putĂ©e Laetitia Avia (Paris) a mĂȘme proposĂ© que les agents publics, protĂ©gĂ©s Ă travers l’article 25 du projet de loi,soient en retour soumis Ă  des sanctions plus sĂ©vĂšres s’ils se rendaient coupables de dĂ©litsracistes. « Toutes les propositionsdu mouvement ont Ă©tĂ© reprises Ă leur compte par les ministres prĂ©sents », s’est fĂ©licitĂ© le dĂ©lĂ©guĂ©

UN PROCHE DE MACRON VOIT DEUX 

DIFFICULTÉS Ă€ SURMONTER : Â« LE 

CONTEXTE AUTOUR DES VIOLENCES 

POLICIÈRES ET LE MINISTRE

DE L’INTÉRIEUR Â»

Gérald Darmanin et Emmanuel Macron, à Bobigny, dans le cadre de la lutte contre les « séparatismes »,le 20 octobre. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

MalgrĂ© quelques rĂ©serves, le Conseil d’Etat donne son feu vertDans son avis rendu lundi, dont « Le Monde » a pris connaissance, la haute juridiction administrative approuve dans l’ensemble le texte de loi

L e Conseil d’Etat a rendulundi 7 dĂ©cembre son avissur le projet de loi « confor­

tant les principes rĂ©publicains », qui doit ĂȘtre prĂ©sentĂ© mercredi en conseil des ministres. Dans cet avis de 58 pages dont Le Monde a pris connaissance, la haute juridic­tion administrative approuve la volontĂ© du gouvernement, Ă  la suite des discours d’Emmanuel Macron Ă  l’occasion du 150e anni­versaire de la RĂ©publique, le 4 sep­tembre, et aux Mureaux, le 2 octo­bre, d’« apporter une rĂ©ponse Ă  des phĂ©nomĂšnes de repli communau­taire, de prosĂ©lytisme et d’affirma­tions identitaires et fondamentalis­tes, indiffĂ©rents ou hostiles aux principes qui fondent la RĂ©publiqueet aux valeurs qui les inspirent ».

Il constate que les mesures del’avant­projet, qui compte cinq ti­tres et cinquante­sept articles, concernent pratiquement tous lesdroits et libertĂ©s publiques garan­tis par la Constitution et les con­ventions europĂ©ennes. S’il admet que certaines restrictions puis­sent ĂȘtre apportĂ©es ponctuelle­ment, et dans une mesure limitĂ©e,Ă  ces droits et libertĂ©s, le Conseil dit avoir « veillĂ© Ă  ce que celles­ci opĂšrent une conciliation qui ne soitpas dĂ©sĂ©quilibrĂ©e entre la prĂ©ven­tion des atteintes Ă  l’ordre public et le respect des droits et libertĂ©s reconnus par la Constitution », en s’assurant de « leur caractĂšre né­cessaire, adaptĂ© et proportionnĂ© ».

Dans le climat politique et socialactuel, son avis Ă©tait particuliĂšre­ment attendu sur certaines de cesmesures. Il en va ainsi des disposi­tions relatives Ă  l’éducation et, en leur cƓur, Ă  l’instruction au sein de la famille. Le Conseil d’Etat propose, plutĂŽt que de supprimerla possibilitĂ© d’instruction dans lafamille – reconnue depuis la loi Ferry du 28 mars 1882 – de retenir une rĂ©daction Ă©nonçant dans la loi les cas dans lesquels il sera pos­sible d’y recourir. La liste qu’il en dresse ne semble pas modifier substantiellement l’existante.

Nombreuses obligations« Si la rĂ©forme prĂ©vue par le gouvernement ne paraĂźt pas ren­contrer d’obstacle conventionnel, elle soulĂšve de dĂ©licates questions de conformitĂ© Ă  la Constitution », Ă©crit­il. Il prend en compte la « rĂ©a­litĂ© trĂšs diverse » de cette pratiqueĂ©ducative : l’augmentation ré­

cente du nombre d’enfants ins­truits Ă  domicile – passĂ© de 36 000 Ă  50 000 en trois ans – et les difficultĂ©s qui peuvent en ré­sulter ne sont pas de nature Ă  justi­fier, estime­t­il, la suppression de cette libertĂ© octroyĂ©e aux parents.Ce choix d’instruction serait sou­mis non plus Ă  une simple dĂ©cla­ration mais Ă  une autorisation an­nuelle de l’autoritĂ© acadĂ©mique.

Autre sujet sensible, aprĂšs letollĂ© suscitĂ© par l’article 24 de la proposition de loi « sĂ©curitĂ© glo­bale », accusĂ© de porter atteinte Ă la libertĂ© de la presse, le dĂ©lit de« mise en danger par diffusiond’informations relative Ă  la vie pri­vĂ©e ». Il rĂ©prime « le fait de rĂ©vĂ©ler, diffuser ou transmettre, par quel­que moyen que ce soit, des infor­mations relatives Ă  la vie privĂ©e,familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identi­fier ou de la localiser, dans le but del’exposer, elle ou les membres de safamille, Ă  un risque immĂ©diat d’at­teinte Ă  la vie ou Ă  l’intĂ©gritĂ© physi­que ou psychique, ou aux biens ».

Le Conseil observe que cettenouvelle infraction repose sur la rĂ©union d’élĂ©ments matĂ©riels etque le dĂ©lit ne pourra ĂȘtre caracté­risĂ© que s’ils sont Ă©tablis « danstous ses Ă©lĂ©ments constitutifs ». EnconsĂ©quence, « il estime que l’in­fraction ainsi dĂ©finie en des termessuffisamment clairs et prĂ©cis ne mĂ©connaĂźt pas le principe de lĂ©ga­litĂ© des dĂ©lits et des peines ».

Le chapitre le plus consistant, etpeut­ĂȘtre le plus dĂ©licat, de l’avant­projet de loi concerne l’exercice des cultes, avec l’imposition de nombreuses obligations. Il rap­pelle que les libertĂ©s de religion et d’association, de conscience et de croyance sont particuliĂšrement protĂ©gĂ©es et constituent un prin­cipe fondamental des lois de la RĂ©publique. « Le Conseil d’Etat observe que le projet de loi alourditles contraintes pesant sur les asso­ciations cultuelles et modifie l’équi­libre opĂ©rĂ© en 1905 par le lĂ©gisla­teur entre le principe de la libertĂ© deconstitution de ces associations et leur nĂ©cessaire encadrement du fait qu’elles bĂ©nĂ©ficient d’avanta­ges publics », note­t­il. DĂšs lors, ils’attache Ă  vĂ©rifier si celles­ci sont « justifiĂ©es et proportionnĂ©es ».

Il constate en outre que « le pro­jet conduit Ă  imposer des contrain­tes importantes Ă  une majoritĂ©d’associations cultuelles ou Ă  objetmixte de toutes confessions dont les agissements, de mĂȘme que lecomportement des ministres du culte et des fidĂšles, sont dans leur grande majoritĂ© respectueux desrĂšgles communes » et s’interrogesur la « capacitĂ© de la rĂ©forme Ă  atteindre tous ses buts ».

Ainsi, concernant la modifica­tion des rÚgles statutaires des associations cultuelles, il consi­dÚre que « ces dispositions consti­tuent une immixtion du législa­teur » dans leur fonctionnement

mais qu’elles obĂ©issent cepen­dant Ă  « un objectif d’intĂ©rĂȘt gĂ©né­ral qui est de protĂ©ger les associa­tions contre d’éventuelles prises decontrĂŽle par une minoritĂ© ». Il n’émet pas d’objection sur lesnouvelles rĂšgles de contrĂŽle sur lefinancement des cultes et l’ori­gine de leurs ressources.

« En mĂȘme temps »Mais, disposition­choc, il suggĂšre ni plus ni moins que l’abrogation de l’article 35 de la loi du 9 dé­cembre 1905, concernant la sĂ©pa­ration des Eglises et de l’Etat : ce­lui­ci sanctionne un discours ou un Ă©crit d’un ministre du culte qui« contient une provocation directe Ă  rĂ©sister Ă  l’exĂ©cution des lois ou aux actes lĂ©gaux de l’autoritĂ© publique, ou s’il tend Ă  soulever ou Ă  armer une partie des citoyens contre les autres ». L’avant­projet de loi prĂ©voit d’alourdir les peinesquand ces provocations seraient commises dans un lieu de culte.

Ces faits, observe le Conseil, sontdĂ©jĂ  lourdement sanctionnĂ©s par l’article 24 de la loi sur la libertĂ© de la presse. « S’il est justifiĂ© que les mi­nistres du culte ne bĂ©nĂ©ficient plus (
) d’un traitement plus favorable que les autres personnes ayant commis les mĂȘmes infractions, il est permis de se demander si, Ă  l’in­verse, le seul fait que l’infraction soit commise dans un lieu de culte ou Ă  ses abords justifie que son auteur, quel qu’il soit, soit puni plus

sĂ©vĂšrement », note le Conseil, arri­vant Ă  la conclusion de l’abroga­tion d’un article de la sacro­sainte loi de 1905. Enfin, le Conseil d’Etat soulĂšve de sĂ©rieuses rĂ©serves quant Ă  la disposition introduite renforçant le contrĂŽle du prĂ©fet sur le respect du principe de neu­tralitĂ© par les services publics lo­caux, et notamment sur l’instau­ration d’un dĂ©fĂ©rĂ© suspensif mis Ă  disposition du reprĂ©sentant de l’Etat. Il considĂšre que le texte, en l’état, « modifie de façon excessive l’équilibre du contrĂŽle administra­tif et du reste des lois par les collecti­vitĂ©s territoriales ». Cet article avait suscitĂ© de vives rĂ©criminations de la part des associations d’élus.

Dans l’ensemble, malgrĂ© quel­ques rĂ©serves qui ne sont pas de pure forme et des propositions derĂ©Ă©criture dont le gouvernementpourra, ou non, tenir compte,l’avis du Conseil d’Etat, dans un « en mĂȘme temps » savammentĂ©quilibrĂ©, donne quitus au gou­vernement de vouloir « conforterle respect par tous des principes dela RĂ©publique », comme il lui con­seille de modifier le titre du projetde loi. Il lui recommande en outre« que l’exposĂ© des motifs du projet de loi explicite davantage l’inspi­ration politique d’ensemble qui lesous­tend ». Une sorte de discoursde la mĂ©thode avant l’épreuve parlementaire.

mattea battagliaet patrick roger

LE CONSEIL D’ÉTAT SUGGÈRE NI PLUS 

NI MOINS QUE L’ABROGATION 

DE L’ARTICLE 35 DE LA LOI DU 

9 DÉCEMBRE 1905

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des mois que le texte « sĂ©pa­ratismes » se prĂ©pare, et pour­tant, Ă  La RĂ©publique en mar­che (LRM), une certaine nervo­sitĂ© est de mise Ă  la veille de saprĂ©sentation. Pour le mouve­ment prĂ©sidentiel, nĂ© sur despromesses de libĂ©ration plutĂŽtque de sĂ©curitĂ©, c’est toute uneidentitĂ© qui se joue dans ce dos­sier. Aussi, LRM a sondĂ© Ă  tour de bras, ses adhĂ©rents puis ses Ă©lecteurs, afin de trouver le fa­meux « Ă©quilibre » du macro­nisme, sa « ligne de crĂȘte », se­lon une expression rebattueces temps­ci. RĂ©sultat, parmiles quelque 7 000 adhĂ©rents dumouvement ayant rĂ©pondu Ă une consultation lancĂ©e en li­gne, prĂšs des trois quarts s’ac­cordent Ă  dire que la lutte con­tre les sĂ©paratismes est un sujetde premiĂšre importance, etdeux tiers jugent adaptĂ©es les

mesures avancĂ©es par le chef del’Etat dans son discours desMureaux. Soit un large soutien.

Plus Ă  gauche qu’à droiteC’est du cĂŽtĂ© des sympathisantsde la majoritĂ© et de LRM que l’équation se complique : s’ilsadmettent l’importance du su­jet de l’islam radical, ils sont loin de privilĂ©gier le levier ré­pressif, qui est pourtant le prin­cipal activĂ© dans le projet de loi« confortant les principes rĂ©pu­blicains ». Selon un sondage Via­voice commandĂ© par le mouve­ment, rĂ©alisĂ© en ligne en no­vembre auprĂšs d’un millier de personnes, les sympathisantsLRM sont d’abord peu friands d’une des solutions prĂŽnĂ©es Ă droite du spectre politique : lier islamisme et immigration.

Pour « lutter contre l’isla­misme et promouvoir les va­

leurs de la RĂ©publique », l’expul­sion des Ă©trangers en situationirrĂ©guliĂšre est plĂ©biscitĂ©e par 38 % des sympathisants LRM,mais une solution consistant à« ralentir l’immigration » n’a lesfaveurs que de 27 % d’entre eux.A titre de comparaison, lessympathisants de gauche sont 24 % Ă  plĂ©bisciter ces deux me­sures, ceux de droite respecti­vement 60 % et 52 %, ceux duRassemblement national 79 %et 72 %. MĂȘme si les rĂ©sultatsdoivent ĂȘtre relativisĂ©s dansl’absolu au vu de la taille del’échantillon, les sympathi­sants LRM semblent pencherplus Ă  gauche qu’à droite sur ces questions.

D’ailleurs, ils privilĂ©gient lerenforcement de « l’éducation Ă la laĂŻcitĂ© et aux libertĂ©s rĂ©publi­caines Ă  l’école » (42 %, Ă  quasi­égalitĂ© avec les sondĂ©s de

gauche), un sujet qui n’est pasabordĂ© dans le projet de loi. Par contraste, l’idĂ©e de rendreobligatoire l’école dĂšs 3 ans n’est citĂ©e comme solution quepar 14 % des sympathisantsLRM. L’interdiction des imams dĂ©tachĂ©s afin que ces dernierssoient formĂ©s en France estquant Ă  elle plĂ©biscitĂ©e par 46 %des sympathisants du mouve­ment prĂ©sidentiel. Le mouve­ment a Ă©galement Ă©prouvĂ© auprĂšs des sondĂ©s un concept cher au macronisme commecorollaire de son tournantrĂ©galien : l’égalitĂ© des chances. Les rĂ©ponses ont de quoi inter­roger les cadres de la majoritĂ© :parmi les sondĂ©s, seulement10 % estiment qu’elle s’est amé­liorĂ©e ces derniĂšres annĂ©es, 21 % parmi les soutiens duprĂ©sident.

j. ca.

Face Ă  l’islamisme, les partisans de LRM sur une ligne de crĂȘte

gĂ©nĂ©ral de LRM, Stanislas Guerini. M. Darmanin lui­mĂȘmes’est montrĂ© « trĂšs Ă  l’aise » avec les enjeux de formation et de mentorat, assure le porte­parole du parti, Roland Lescure, quiprĂ©vient que nombre des propo­sitions feront l’objet d’un dĂ©bat au Parlement.

« PAS DE MALENTENDU »Sur le fond, plusieurs points ont Ă©tĂ© tranchĂ©s ces derniers jours par l’exĂ©cutif. Le controversĂ©article 24 de la loi « sĂ©curitĂ© globale », qui sanctionne la diffu­sion d’images des forces de l’or­dre, ne sera pas refondu dansl’article 25 du texte sur le sĂ©para­tisme, aux finalitĂ©s voisines. Autre point sensible : l’interdic­tion de l’instruction Ă  domiciledĂšs 3 ans, hors raisons de santĂ©. Face Ă  la fronde de certainsparents, et aux risques de censure du Conseil constitution­nel, les exceptions seront finale­ment plus larges.

Depuis plusieurs jours, l’exĂ©cu­tif s’emploie par ailleurs Ă  retrou­ver la position d’équilibre qu’Em­manuel Macron jugeait avoir atteinte lors de son discours desMureaux, entre un volet rĂ©pressif et un social. Ce dernier aspect a Ă©tĂ© gommĂ© depuis deux mois au profit du discours sĂ©curitaire.« Entre les Mureaux et aujourd’hui,il y a eu Samuel Paty et Nice. Vous ne rĂ©agissez pas Ă  l’assassinat deSamuel Paty en disant que le sujet Ă  traiter, c’est l’égalitĂ© des chan­ces
 », justifie un ministre. Mais, aprĂšs avoir pointĂ© du doigt le « sé­paratisme islamiste » et promis aux terroristes que « la peur va changer de camp », le chef de l’Etatne veut plus prĂȘter le flanc aux procĂšs en « illibĂ©ralisme » ou en« dĂ©rives liberticides ».

L’ElysĂ©e vante donc aujourd’hui« l’équilibre » de ce projet de loi en­tre ses « deux piliers, le rĂ©pressif et la cohĂ©sion sociale ». Dans son avis sur le projet de loi, que LeMonde a pu consulter, le Conseil d’Etat souligne toutefois que « les mesures concernant l’ordre public – de police administrative, pĂ©nalesou financiĂšres – constituent » lacatĂ©gorie de mesures « la plusabondante » du texte.

« Il ne faut pas de malentendusur l’action que l’on mĂšne, qui n’esten aucun cas contre une religion. Il

n’y a rien d’islamophobe dansnotre action », dĂ©fend­on Ă  l’Ely­sĂ©e, oĂč l’on insiste par ailleurs surles mesures sociales mises en place depuis 2017 dans les « bas d’immeubles » : « Ce projet de loi ne rĂ©sume pas toute la stratĂ©gie delutte contre le sĂ©paratisme. »

Lors de son entretien Ă  Brut,vendredi, le chef de l’Etat a ainsireconnu que le « ressentiment Ă©conomique et social » peut alimenter la dĂ©fiance envers la RĂ©publique et permet d’« expli­quer » la mĂ©canique du terro­risme : « Le mal est en nous. Ce n’est pas vrai de dire qu’on le chas­sera par un coup de baguette, une action unique ou extrĂȘmementmusclĂ©e, a­t­il soulignĂ©. CetteidĂ©ologie [islamiste] prospĂšre sur nos Ă©checs, (
) l’échec de l’intĂ©gra­tion Ă  la française. »

CAMÉRAS-PIÉTONSDes propos similaires Ă  ceux qu’iltenait en tant que ministre de l’économie, en 2015, Ă  propos del’existence d’un « terreau » au ter­rorisme. « Il ne faut pas laisser la sĂ©curitĂ© Ă  la droite et l’immigra­tion Ă  l’extrĂȘme droite, mais nous devons montrer aussi notre atta­chement Ă  la justice et Ă  lalibertĂ© », plaide un ministre.

La lutte contre les discrimina­tions refait donc surface. « Aujourd’hui, quand on a une couleur de peau qui n’est pas blan­che, on est beaucoup plus contrĂŽlĂ©[par la police], a affirmĂ© M. Ma­cron, vendredi. On est identifiĂ© comme un facteur de problĂšme etc’est insoutenable. » Le chef de l’Etat a promis de lancer une plate­forme nationale de signale­ment des discriminations, ainsique de gĂ©nĂ©raliser les camĂ©ras­piĂ©tons lors des contrĂŽles, voire d’y imposer la prĂ©sence de « ci­toyens tĂ©moins ».

OutrĂ©s d’ĂȘtre accusĂ©s de prati­quer des contrĂŽles au faciĂšs, lesdeux principaux syndicats de gardiens de la paix, Alliance et UnitĂ© SGP, ont appelĂ© samedi Ă  cesser les contrĂŽles d’identitĂ©. Le dĂ©putĂ© Eric Ciotti (Les RĂ©publi­cains) s’est engouffrĂ© dans la brĂšche, pour dĂ©noncer « une faute » d’Emmanuel Macron.L’équilibre est dĂ©cidĂ©ment un combat de tous les instants.

julie carriat, olivier fayeet alexandre lemarié

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Anne Hidalgo, la candidate dĂ©sirĂ©e des socialistesLe Parti socialiste observe avec de plus en plus d’intĂ©rĂȘt les ambitions prĂ©sidentielles de la maire de Paris

S e préparer à bas bruit.Anne Hidalgo distille sessouhaits pour 2022 de­puis quelques semaines

et semble de plus en plus prĂȘte Ă  se lancer. Une allusion dans Le Point en septembre, une sĂ©rie d’apparitions dans les mĂ©dias depuis la rentrĂ©e et une interviewdans LibĂ©ration le 26 novembre, oĂč elle lĂąche un « je prendrai ma part » Ă  propos de l’échĂ©ance prĂ©sidentielle
 Son ambition sefait de plus en plus visible, au point que les socialistes regar­dent cette Ă©ventualitĂ© avec unegourmandise grandissante. Si l’élue socialiste n’a pas encore pris la dĂ©cision de se lancer dans la bataille de 2022, ses proches ont commencĂ© Ă  dĂ©rouler unplan de bataille.

Officiellement, Anne Hidalgon’avait guĂšre en tĂȘte de concur­rencer Emmanuel Macron et Marine Le Pen, lorsque s’achĂšve lacampagne municipale en juin. La maire sortante, qu’on disait en « mode survie » en 2019, sans aucune chance de se faire rĂ©Ă©lire aprĂšs les multiples couacs dans samajoritĂ© et les dĂ©convenuesautour des pistes cyclables sur les berges de la Seine, a depuis balayĂ©La RĂ©publique en marche (LRM)et rĂ©duit les Ă©cologistes auxseconds rĂŽles dans la capitale. Sa rĂ©Ă©lection haut la main a Ă©tĂ© undĂ©clic, raconte son entourage.

La premiĂšre dame parisienneaurait peu Ă  peu pris conscience que son image avait changĂ© Ă  la suite du premier confinement et des critiques qu’elle a portĂ©escontre la gestion sanitaire dugouvernement. « AprĂšs le bashing qu’elle a subi et la pĂ©riode oĂč on la disait au fond du seau, sa rĂ©Ă©lec­tion a eu un effet libĂ©rateur. On estaujourd’hui dans un contexte favorable oĂč elle a envie d’ouvrir toutes les possibilitĂ©s », constatePatrick Bloche, adjoint chargĂ© del’éducation.

« Anne est plus connue »Le lancement avec Eric Piolle, maire (EELV) de Grenoble, d’un rĂ©seau d’édiles prĂȘts Ă  accĂ©lĂ©rer latransition Ă©cologique de leurville, Ă  Tours, le 21 juillet, avait dessinĂ© sa premiĂšre vraie tenta­tive d’incursion sur l’échiquier politique national. La socialiste

avait installĂ© avec sa rĂ©Ă©lectionson image d’élue Ă©cologiste ; avec cette initiative, elle revendiquaitla mĂȘme crĂ©dibilitĂ© que tout autreĂ©lu vert. La maire de Paris s’est depuis persuadĂ©e qu’elle avait un rĂŽle national Ă  jouer, notamment Ă  gauche. « Anne a envie de s’impli­quer. Beaucoup lui disent qu’elleest attendue : ça l’interpelle et elle se dit “pourquoi pas” ? », continue Patrick Bloche.

Le spectacle des vaines discus­sions sur une candidature com­mune entre Parti socialiste (PS) et Europe Ecologie­Les Verts (EELV) cet Ă©tĂ©, suivi du lancement de la primaire des Ă©cologistes, a fait at­terrir les socialistes, qui ont com­mencĂ© Ă  regarder d’un autre Ɠil leur camarade parisienne. « Pouroccuper l’espace entre Macron et MĂ©lenchon, seules deux candidatu­res peuvent rassembler sur un soclesocial et Ă©cologiste et rallier une partie des Ă©lecteurs de Macron : elleet [Yannick] Jadot, mais Anne est plus connue », remarque ainsi François Lamy, ancien ministre socialiste de la ville. « Les tĂ©nors duPS reconnaissent l’animal politiquequi a pulvĂ©risĂ© l’appareil LRM sans bouger de sa ligne », s’amuse un connaisseur du premier cercle.

Depuis quelques semaines, lasexagĂ©naire, longtemps regardĂ©ede haut par ses camarades, appa­raĂźt comme un recours possible. « Elle sait qu’on est tous Ă  regarder et Ă©couter ce qu’elle peut dire etfaire », note StĂ©phane Troussel, prĂ©sident (PS) de la Seine­Saint­Denis. « Tout le monde a compris qu’elle est une voix importante etque, si elle se dĂ©cidait, les militants la suivraient », assure aussi Luc

Carvounas, maire d’Alfortville (Val­de­Marne). MĂȘme le prudent Olivier Faure semble s’ĂȘtre dĂ©cidĂ©.« Anne est celle que je trouve la plus proche de ce que je dĂ©fends depuis des mois, et elle partage mafeuille de route pour une candida­ture commune Ă  gauche », expli­que le premier secrĂ©taire du PS.

Plan de batailleLes pressions amicales ont donc commencĂ© Ă  s’accentuer ces derniĂšres semaines. L’entretien Ă  LibĂ©ration a Ă©tĂ© un signal pournombre d’élus. « Tout le monde l’a pris comme une entrĂ©e en campa­gne », constate un cadre du siĂšge,Ă  Ivry­sur­Seine (Val­de­Marne). Sa passe d’armes avec les Ă©colo­gistes parisiens sur la laĂŻcitĂ© ne serait pas fortuite. « Anne a fait le pari que, dans sa stratĂ©gie, LesVerts vont ĂȘtre gĂȘnants car elle estime que ce sont des partenaires peu stables. Les amoindrir, saper un peu leurs prĂ©tentions, ne peut

lui nuire car elle pense que l’écolo­gie, au regard des Ă©lecteurs, c’est autant elle qu’EELV », relate un Ă©lusocialiste parisien. Surtout, se dĂ©marquer sur les questions ré­publicaines, sensibles dans l’élec­torat de gauche, peut s’avĂ©rerpayant dans un moment de trou­ble liĂ© aux attentats et aux inter­rogations sur le vivre­ensemble.

Un positionnement en totaleadĂ©quation avec la ligne du PS, quitente depuis un an de montrer sa singularitĂ© Ă  gauche en appuyant sur les valeurs rĂ©publicaines et laĂŻques. « Je pense que les questionsrĂ©galiennes ou sur la laĂŻcitĂ© ne sontpas dans la matrice des Ă©cologis­tes, qui ont plutĂŽt une culture mi­noritaire et libertaire. Ils nous ont demandĂ© de clarifier nos positions sur le productivisme, nous faisons de mĂȘme », assume M. Faure, reprenant mot pour mot l’argu­mentaire de Mme Hidalgo.

Si Anne Hidalgo hésite encore,ses troupes au cabinet de la Ville

de Paris ont prĂ©parĂ© un plan de bataille. Le dernier trimestre 2020est rĂ©servĂ© Ă  la « rĂ©flexion » : mesu­rer l’écho des propos et interven­tions de la maire de Paris ; obser­ver les courbes de popularitĂ© Ă gauche dans les sondages et les retours des Ă©lus ; sentir le terrain « Rien n’est anodin ni laissĂ© auhasard », raconte un membre deson cabinet. Les prochains mois,qui seront encore accaparĂ©s par lagestion de la crise sanitaire dansla capitale, devraient la voir Ă  nouveau intervenir sur des thĂ©matiques nationales comme la transition Ă©cologique, lajeunesse sacrifiĂ©e, les libertĂ©spubliques, etc. « On va voir si cela rencontre un Ă©cho », rĂ©sume encore un de ses proches. Les son­dages resteront le juge de paix.

Pour l’heure, les pro­Hidalgo ob­servent la popularitĂ© naissante de leur championne dans les Ă©tudes d’opinion, comme celle de l’IFOP, publiĂ©e le 29 novembre dans Le

Journal du dimanche, oĂč Mme Hi­dalgo est en deuxiĂšme position comme la personnalitĂ© qui « seraitune bonne candidate » pour les Ă©lecteurs de gauche. Du cĂŽtĂ© des Ă©cologistes, on tente de se dĂ©marquer sĂ©rieusement. « Hi­dalgo a cherchĂ© Ă  disqualifier les Ă©cologistes. Ce n’est pas possible de travailler avec quelqu’un dont le projet est de nous anĂ©antir », pré­vient David Cormand, dĂ©putĂ© europĂ©en. Encore moins de la ral­lier. Jean­Luc MĂ©lenchon a Ă©tĂ© plusradical : « Enfin quelqu’un au PS. Quelqu’un qui assume l’ambiguĂŻtĂ© avec l’autoritarisme macronien et les connivences avec le monde des affaires », a­t­il assĂ©nĂ© dans un Tweet, assorti d’une photo met­tant en scĂšne Anne Hidalgo cĂŽte Ă  cĂŽte avec Eric Zemmour et Marine Le Pen. Une rĂ©action de « fĂ©brilitĂ© etd’inquiĂ©tude », a rĂ©agi le cabinet de la maire de Paris Ă  l’intention du candidat « insoumis » pour 2022.

sylvia zappi

L’Etat refuse les hausses de taxe demandĂ©es par la Mairie de ParisFace Ă  l’augmentation des dĂ©penses liĂ©es Ă  la crise sanitaire, la capitale se prĂ©pare Ă  emprunter massivement et Ă  alourdir sa dette

L’ Ă©pisode ne va pas amĂ©lio­rer les relations dĂ©jĂ dĂ©gradĂ©es entre Anne Hi­

dalgo et Emmanuel Macron. De­puis plusieurs mois, la maire de Paris rĂ©clamait que l’Etat l’auto­rise Ă  relever plusieurs taxes, afin de boucler plus facilement un budget rendu trĂšs compliquĂ© par l’épidĂ©mie de Covid­19. MalgrĂ© de multiples courriers, des rendez­vous, des messages passĂ©s par di­vers Ă©lus, elle n’a pas obtenu gain de cause. « A ce jour, les proposi­tions portĂ©es par les associationsd’élus et la Ville n’ont quasiment pas Ă©tĂ© entendues par le gouverne­ment », dĂ©plore­t­on Ă  l’HĂŽtel de ville. En pleine tentative de relance Ă©conomique, l’ElysĂ©e et Matignon ne veulent visiblementpas accroĂźtre la pression fiscale. « Je reste raisonnablement opti­miste pour la suite du dĂ©bat parle­mentaire », nuance le premier ad­joint, Emmanuel GrĂ©goire.

En relevant les frais de notaire, lataxe d’habitation sur les rĂ©siden­ces secondaires et la taxe de sĂ©jour sur les locations Airbnb, la municipalitĂ© imaginait rĂ©cupĂ©rer 126 millions d’euros en 2021. Dansle cadre du projet de loi de finan­ces, le gouvernement a bien

donnĂ© son feu vert Ă  un amende­ment visant Ă  alourdir un peu la taxe sur les locations touristiques.Mais « il ne permet qu’une recette supplĂ©mentaire estimĂ©e Ă  2,5 mil­lions d’euros », et encore, « Ă  comp­ter de 2022 », note la Mairie dans leprojet de budget pour 2021, qui sera soumis au vote du Conseil deParis, lors de sa prochaine rĂ©union, du 15 au 17 dĂ©cembre.

« C’est effrayant ! »Pour les autres demandes d’Anne Hidalgo, c’est non, Ă  ce stade du dĂ©bat parlementaire. Une bonne nouvelle pour les acquĂ©reurs de logements, les propriĂ©taires derĂ©sidences secondaires et lestouristes, les trois catĂ©gories qui auraient Ă©tĂ© mises Ă  contribution.Une plus rude pour la majoritĂ© degauche Ă  la tĂȘte de la capitale, qui ne peut pas compter sur lesurcroĂźt de recettes envisagĂ©.

Faute du geste espĂ©rĂ© du gouver­nement, Anne Hidalgo se retrouveconfrontĂ©e Ă  la contrainte budgé­taire du moment dans toute sa rigueur. Alors que les recettes di­minuent du fait de l’épidĂ©mie, les dĂ©penses tendent au contraire Ă  s’accroĂźtre, notamment parce que la maire socialiste souhaite inves­

tir pour « faire face, collectivement, aux conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire ».

Le rĂ©sultat de ce dĂ©sĂ©quilibre estprĂ©visible. La ville se prĂ©pare Ă  emprunter assez massivement. En un an, la dette devrait bondir de15 %, pour approcher 7,1 milliards d’euros fin 2021. La durĂ©e thĂ©ori­que de dĂ©sendettement passerait ainsi, d’un coup, de neuf Ă  dix­huitannĂ©es. « Le problĂšme, c’est que, cesderniĂšres annĂ©es, Mme Hidalgo avait dĂ©jĂ  beaucoup accru la dette, et utilisĂ© quelques ruses pour rĂ©cu­pĂ©rer des fonds, comme les loyers capitalisĂ©s obtenus des bailleurs sociaux, dĂ©nonce Marie­Claire CarrĂšre­GĂ©e, conseillĂšre (Les RĂ©publicains) de Paris. Si bien que la Ville n’a plus de marges de manƓuvre au moment oĂč il faut agir face Ă  la crise. C’est effrayant ! »

En 2020, l’épidĂ©mie de Covid­19aura dĂ©jĂ  coĂ»tĂ© environ 800 mil­lions d’euros Ă  la Mairie. Certainesrecettes ont diminuĂ©, comme la taxe de sĂ©jour acquittĂ©e par les touristes, ou les frais de notaire, amoindris par la baisse des tran­sactions immobiliĂšres. A l’inverse,le Covid a obligĂ© la Ville Ă  acheter des masques, Ă  crĂ©er des pistes cyclables « spĂ©cial corona », Ă  sou­tenir les entreprises en difficultĂ©.

Les effets financiers de la crisesanitaire « se prolongeront en 2021 », anticipe la Mairie. CĂŽtĂ© recettes, la baisse devrait se limi­ter Ă  0,9 %. Un reflux sans doutesous­estimĂ©, selon l’opposition. L’immobilier risque de rester assez atone. Les touristes ne reviendront sans doute pas en masse. Quant aux bars et restau­rants, ils demeureront exonĂ©rĂ©sde droits de terrasse au moins jus­qu’en juin 2021. Cependant, faute de pouvoir relever les taxes pla­fonnĂ©es par la loi, l’équipe d’Anne Hidalgo compte au moins gagner 45 millions d’euros en faisant dé­sormais payer le stationnement public des scooters et des motos. Elle a aussi prĂ©vu de vendre des ac­tifs fonciers, notamment porte deSaint­Ouen et porte de Montreuil.

CĂŽtĂ© dĂ©penses, une hausse de1,9 % est attendue, pour atteindre 9,9 milliards d’euros. Le mouve­ment tient en partie Ă  la crise sanitaire et dorĂ©navant Ă©conomi­que. La Ville s’attend ainsi Ă  de­voir consacrer 7 % de plus aux al­locataires du revenu de solidaritĂ© active (RSA), de plus en plus nom­breux. Mais la politique volonta­riste des nouveaux Ă©lus se traduitaussi par des dĂ©penses supplé­mentaires, par exemple pour muscler la police municipale en voie de crĂ©ation ou pour vĂ©gĂ©tali­ser l’espace public. Au total, le budget prĂ©voit la crĂ©ation nette de 164 postes, et une nouvelle progression de 1 % de la masse sa­lariale. D’autant que la ville « en­tend prendre des mesures fortes enfaveur de ses agents », en accor­dant davantage de promotions.

« Dette sociale »Compte tenu des difficultĂ©sfinanciĂšres, l’opposition de­mande que l’ensemble des dĂ©pen­ses de fonctionnement soit passĂ© au crible, pour faire le tri. « On ne rĂ©clame pas des mesures d’austé­ritĂ©, simplement que Paris soit gĂ©rĂ©sainement », explique Mme CarrÚ­re­GĂ©e. La droite prend en exem­

ple le budget de la rĂ©gion Ile­de­France, oĂč l’arrivĂ©e de ValĂ©rie Pé­cresse, en 2015, a Ă©tĂ© l’occasion de tailler dans les frais de structure, pour consacrer davantage d’ar­gent aux investissements.

L’équipe d’Anne Hidalgo n’estclairement pas dans cet Ă©tat d’es­prit. Aucun plan d’économiesn’est en vue. MalgrĂ© son Ă©chec au sujet des taxes, l’édile socialistemet plutĂŽt la pression sur le gouvernement. A ses yeux, l’Etatn’a cessĂ©, ces derniĂšres annĂ©es, detransfĂ©rer Ă  la Ville des compĂ©ten­ces, comme le versement du RSA, sans fournir les financements adĂ©quats. « En dix ans, de 2012 Ă  2021, le montant des dotations versĂ©es par l’Etat a diminuĂ© de prĂšsde 60 % », critiquent les socialis­tes. L’Etat a ainsi accumulĂ© une« dette sociale » de 882 millions d’euros Ă  l’égard de la capitale, calculent­ils. Son rembourse­ment viendrait aujourd’hui Ă point nommĂ©, pour renflouer les caisses. Mais, Ă  un an et demi de l’élection prĂ©sidentielle, il paraĂźt peu probable qu’Emmanuel Ma­cron souhaite faire un tel cadeau Ă une maire qui envisage de plus enplus de se prĂ©senter contre lui.

denis cosnard

En un an, la dettedevrait bondir

de 15 %, pour approcher 7,1 milliards

d’euros fin 2021

Anne Hidalgo, Ă  Paris, le 13 novembre. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/POOL/AFP

« Tout le monde a compris qu’elle

est une voix importante

et que, si elle se décidait,

les militants la suivraient »

LUC CARVOUNASmaire socialiste d’Alfortville

(Val-de-Marne)

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0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2020 france | 13

L’exĂ©cutif lance un « Beauvaude la sĂ©curitĂ© »La consultation se tiendra avec des reprĂ©sentants des forces de l’ordre, des Ă©lus et des citoyens

C’ est Ă  la fois l’aboutis­sement d’une sé­quence politique dé­lĂ©tĂšre et la matura­

tion plus longue d’une crise struc­turelle et profonde que traverse la police nationale. Emmanuel Ma­cron a annoncĂ©, dans une lettre mardi 8 dĂ©cembre, la tenue Ă  par­tir de janvier d’un « Beauvau de la sĂ©curitĂ© », sur le modĂšle des Gre­nelle, destinĂ© Ă  « amĂ©liorer lesconditions d’exercice » et « Ă  accé­lĂ©rer la transformation engagĂ©e » sur fond de multiplication des af­faires de violences policiĂšres et demanifestations houleuses contre la proposition de loi « sĂ©curitĂ© glo­bale », qui restreint la possibilitĂ©de filmer les forces de l’ordre.

Le courrier, rĂ©vĂ©lĂ© par l’AFP etque Le Monde a consultĂ©, s’adresseĂ  Yves Lefebvre, l’ancien patron dusyndicat UnitĂ© SGP Police­FO, principale organisation du minis­tĂšre de l’intĂ©rieur, qui avait lui­mĂȘme pris la plume lundi pour faire part du malaise et de la colĂšrede l’institution au prĂ©sident. « LesĂ©vĂ©nements rĂ©cents, l’émotion qu’avec les Français vous avez par­tagĂ©e, les alertes des diffĂ©rentes or­ganisations de dĂ©fense des droits, ont rendu cette transformation en­core plus nĂ©cessaire, Ă©crit Emma­nuel Macron. Il y a urgence Ă  agir. A la fois pour consolider le lien de confiance entre les Français et lesforces de l’ordre. Mais aussi pour donner aux policiers et aux gen­darmes des moyens Ă  la hauteur deleur engagement et des attentes de nos concitoyens. »

Le chef de l’Etat assure qu’il inter­viendra « personnellement » dans ces dĂ©bats Ă  fort potentiel explosif.La question des violences policiÚ­res, longtemps balayĂ©e par l’exĂ©cu­tif, ressemble de plus en plus Ă  un boulet pour la majoritĂ©. Emma­nuel Macron avait assumĂ© lui­mĂȘme ces deux mots, honnis au sein de l’institution, lors d’une interview accordĂ©e au mĂ©dia en ligne Brut, vendredi 4 dĂ©cembre, aprĂšs avoir refusĂ© de les pronon­cer pendant trois ans. Il a Ă©gale­ment admis l’existence des contrĂŽles au faciĂšs, un tabou pour la police nationale.

Remise Ă  plat totaleCes deux concessions ont provo­quĂ© un mouvement de colĂšre dans les rangs des fonctionnaires,qui nient toute discriminationdans les contrĂŽles et estiment ĂȘtreles premiĂšres victimes des violen­ces, que ce soit dans les manifesta­tions, oĂč de nombreux agents ontĂ©tĂ© blessĂ©s samedi 5 dĂ©cembre, oulors des interventions sur la voie publique, oĂč les refus d’obtempé­rer se sont multipliĂ©s ces derniÚ­res annĂ©es. L’ensemble des orga­nisations syndicales ont menacĂ© de suspendre leurs activitĂ©s, tout au long du week­end, avec pour signe de ralliement le « code MCI 562 », celui qui s’applique dans les procĂ©dures pour les mains courantes placĂ©es en attente.

Ce « Beauvau de la sĂ©curitĂ© », quipourrait dĂ©boucher sur 1,5 mil­liard d’euros de crĂ©dits budgĂ©tai­res supplĂ©mentaires pour l’inté­

rieur (formation, Ă©quipement
),a donc tout d’une remise Ă  plattotale, aprĂšs les nombreusestentatives de rafistolage ces der­niĂšres annĂ©es. Il intervient alors que s’achĂšvent Ă  peine la longuerĂ©flexion sur le Livre blanc de lasĂ©curitĂ© intĂ©rieure, et celle sur le schĂ©ma national du maintien de l’ordre, toutes deux lancĂ©es pourrĂ©pondre Ă  la crise de l’ordrepublic consĂ©cutive au mouve­ment des « gilets jaunes ».

Pas question d’ailleurs pour leministĂšre de l’intĂ©rieur de jeter aux orties ce travail. Le « Beauvaude la sĂ©curitĂ© » sera « la premiĂšre pierre de la grande loi de program­mation de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure queles forces de l’ordre mĂ©ritent depuislongtemps », et dont les prĂ©mices ont Ă©tĂ© posĂ©es par le Livre blanc, assure­t­on dans l’entourage du ministre de l’intĂ©rieur, GĂ©rald Darmanin. Cette loi de program­mation serait la troisiĂšme aprĂšs celles de 2002 et de 2011. Jusqu’à prĂ©sent, ce texte n’était pas prĂ©vu

Ă  l’agenda avant l’élection de 2022,mais plutĂŽt comme l’un des pi­liers du programme de rĂ©Ă©lectiondu candidat Emmanuel Macron.

Ces futurs dĂ©bats sont Ă©gale­ment la traduction d’une inflexion sur le thĂšme de la sĂ©cu­ritĂ©. AprĂšs avoir assumĂ© une lignedure depuis la rentrĂ©e, l’exĂ©cutif aĂ©tĂ© victime d’un retour de bĂąton, subissant des accusations deremise en cause des libertĂ©spubliques, notamment Ă  l’inter­national. Le chef de l’Etat ne souhaitait pas s’engouffrer sur ce terrain glissant, reprochant en privĂ© Ă  GĂ©rald Darmanin de l’avoir entraĂźnĂ© trop avant.

Le mĂȘme GĂ©rald Darmanin estimplicitement visĂ© par le courrierd’Yves Lefebvre, l’ex­patron d’UnitĂ© SGP Police­FO, qui demande « la fin de la politique duchiffre, qui est une des raisons prin­cipales Ă  l’altĂ©ration du lien police­population ». Le ministre de l’inté­rieur a mis en place depuis son ar­rivĂ©e un rendez­vous hebdoma­

daire lors duquel il dĂ©cline lesdonnĂ©es de la lutte contre les tra­fics de drogue, une mĂ©thode re­baptisĂ©e « politique du rĂ©sultat », mais qui rappelle l’ùre Sarkozy.

GĂ©rald Darmanin a entamĂ© lesmanƓuvres d’apaisement devant la commission des lois de l’Assem­blĂ©e nationale, mardi 1er dĂ©cem­bre, reconnaissant l’existence d’une crise structurelle de la policenationale. Son discours, qui dĂ©cli­nait les « sept pĂ©chĂ©s capitaux » de l’institution, devrait d’ailleurs ser­vir de matrice Ă  l’organisation du

« Beauvau de la sĂ©curitĂ© » : la for­mation, l’encadrement, les condi­tions matĂ©rielles d’exercice de la mission, la captation des vidĂ©os des interventions, la mission des inspections gĂ©nĂ©rales, les effectifs,la relation police­population.

Les discussions doivent associerdes citoyens, des Ă©lus, des mem­bres des forces de l’ordre, et bien entendus les syndicats de police. En attendant le dĂ©but des Ă©chan­ges, le gouvernement a prĂ©vu decajoler ces derniers, trĂšs remon­tĂ©s aprĂšs l’interview Ă  Brut. Toutesles organisations reprĂ©sentativesseront reçues en rencontres bila­tĂ©rales, Ă  partir du 18 dĂ©cembre,par le ministre de l’intĂ©rieur, qui devrait leur renouveler sonsoutien indĂ©fectible. EmmanuelMacron conclut d’ailleurs son courrier par cet hommage : « La France tient par ses policiers et ses gendarmes, par ces femmes et ceshommes qui appliquent la loi, fruitde la volontĂ© du peuple. »

nicolas chapuis

Covid­19 : le jour de carence supprimĂ© pour les fonctionnairesA partir du 1er janvier 2021, un agent arrĂȘtĂ© pour une raison mĂ©dicale liĂ©e au coronavirus continuera Ă  percevoir son salaire dĂšs le premier jour

C’ est dans une rare una­nimitĂ© que le SĂ©nat aadoptĂ©, lundi 7 dĂ©cem­

bre dans la nuit, un amendement suspendant le jour de carence pour les fonctionnaires dans le cas d’un arrĂȘt liĂ© Ă  l’épidĂ©mie deCovid­19. L’initiative venait dugouvernement, mais l’oppositionde droite comme de gauche l’a en­dossĂ©e lors des discussions du projet de loi de finances pour2021. Le dispositif, a soulignĂ© le ministre des comptes publics, Oli­vier Dussopt, permet de « rĂ©tablir une Ă©galitĂ© » entre les salariĂ©s du public et ceux du privĂ©, qui bĂ©né­ficient dĂ©jĂ  de la mesure.

ConcrĂštement, un agent publicqui, Ă  partir du 1er janvier 2021, se­rait arrĂȘtĂ© pour une raison mĂ©di­cale liĂ©e Ă  l’épidĂ©mie continueraitdonc Ă  percevoir son salaire dĂšs le

premier jour, et non Ă  partir du deuxiĂšme, comme c’est le casaujourd’hui. Et comme cela res­tera d’ailleurs le cas pour les con­gĂ©s maladie liĂ©s Ă  une autre rai­son que la pandĂ©mie de Covid­19.

Le jour de carence pour les fonc­tionnaires, supprimĂ© pendant lequinquennat de François Hol­lande, en 2014, avait Ă©tĂ© rĂ©tabli parEmmanuel Macron en 2018. Lors de la premiĂšre vague de l’épidé­mie, au printemps, le gouverne­ment en avait suspendu l’applica­tion pour tous les fonctionnaires, quelle que soit la maladie. Puis il avait Ă©tĂ© rĂ©tabli en juillet, au grand dam des syndicats et de parlementaires, y compris au seinde la majoritĂ©.

Avec la deuxiĂšme vague, le gou­vernement refusait de recom­mencer. Il s’y rĂ©sout aujourd’hui

pour rĂ©tablir l’équilibre avec le privĂ©. « On ne veut pas supprimer le jour de carence d’une maniĂšregĂ©nĂ©rale, prĂ©cise l’entourage d’AmĂ©lie de Montchalin, ministrede la transformation et de la fonc­tion publiques, mais nous vou­lons supprimer tout ce qui pour­rait inciter des agents Ă  ne pas

s’isoler volontairement en cas desymptĂŽme ou s’ils sont cas con­tact. » Argument repris hier soir, au SĂ©nat, par Bruno Retailleau, prĂ©sident du groupe Les RĂ©publi­cains : la suspension du jour decarence est, a­t­il dit, « l’une des conditions » d’une « politique d’isolement efficace ».

Une position devenue intenableDe fait, aujourd’hui, les agents pu­blics peuvent se retrouver dans la situation baroque d’ĂȘtre indem­nisĂ©s s’ils doivent s’isoler en tant que cas contact, mais perdre un jour de salaire s’ils dĂ©veloppent lamaladie. DĂ©but septembre, huitsyndicats de fonctionnaires surneuf avaient demandĂ© Ă  AmĂ©liede Montchalin de revenir sur le rĂ©tablissement du jour de ca­rence. Ils soulignaient le risque

sanitaire que cela engendraitdans la mesure oĂč un agent ayantdes symptĂŽmes pourrait ĂȘtre tentĂ© d’aller au travail pour ne pasperdre un jour de salaire. Et, in­versement, un employeur public a pu demander Ă  un fonction­naire de s’arrĂȘter dans le cas d’un simple rhume – ce qui, lĂ  encore, entraĂźne une perte de salaire.

« Ils mettent en place un mĂ©ca­nisme plus que compliquĂ© pour pouvoir dire qu’ils continuent Ă  ap­pliquer le jour de carence Ă  tous les fonctionnaires », souligne BaptisteTalbot, coordinateur de la CGT pour les trois versants de la fonc­tion publique. De ce fait, si la CGTse dit « satisfaite que le gouverne­ment entende raison », elle dé­nonce le fait que « l’épidĂ©mie n’em­pĂȘche pas [celui­ci] de continuer Ă  faire de l’idĂ©ologie ». Elle consi­

dĂšre, au demeurant, que la posi­tion du gouvernement Ă©tait deve­nue « difficilement tenable » politi­quement : le jour de carence re­vient Ă  ce qu’« un agent hospitalierqui risque sa vie tous les jours pourlutter contre l’épidĂ©mie ne [soit] pas payĂ© le premier jour s’il tombe malade », dĂ©plore Baptiste Talbot.

Lundi soir, au SĂ©nat, la gauche avoulu pousser l’avantage. Le sé­nateur socialiste Thierry Cozic a demandĂ© que « l’on puisse main­tenir ce dispositif au­delĂ  » de lafin de l’état d’urgence sanitaire. Mais Olivier Dussopt a renvoyĂ© cedĂ©bat Ă  plus tard, indiquant que cela s’inscrirait dans un cadre plus large. Une rĂ©forme de la pro­tection sociale des agents publics pourrait ĂȘtre reprise dans le pro­jet de budget 2022.

benoĂźt floc'h

La suspension du jour de carence

est, selon Bruno Retailleau, « l’unedes conditions » d’une « politique

d’isolement efficace »

Lors de la manifestation parisienne contre le projet de loi « sécurité globale », le 5 décembre. GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP

Le chef de l’Etat assure qu’il

interviendra « personnellement »

dans ces débats à fort potentiel

explosif

JOURNÉE SPÉCIALE > MERCREDI 9 DÉCEMBRE

DĂšs 7h, Ă©missions, vidĂ©os de l’historien Patrick Weil,nouvelle collection de podcasts de GĂ©rard Courtois lus par Rachel Kahn ...

LA LAÏCITEÀ L’OCCASION DU JOUR ANNIVERSAIRE DE LA LOI DE 1905

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14 | france MERCREDI 9 DÉCEMBRE 20200123

O n s’est trompĂ©. Danscette histoire, ce n’estpas Thierry Herzogqui est l’avocat de

Nicolas Sarkozy. C’est Nicolas Sarkozy qui est celui de Thierry Herzog. « Un frĂšre, un membre de ma famille. Je l’aime profondé­ment, parce qu’il est joyeux etqu’on rit ensemble. Je lui parle tousles jours. » « Il voit toujours le verredĂ©bordant lĂ  oĂč il n’y a qu’un fondde verre. C’est sa faiblesse, mais c’est une faiblesse que j’apprĂ©cie. » « Un ami qui n’est pas la personne la plus rationnelle qui soit et qui cherche Ă  me rassurer. » Et Ă  la fin de l’envoi, Nicolas Sarkozy tou­che : « L’affaire Bismuth, c’est ça : un justiciable inquiet et un avocat affectueux. »

Reprenons. Dans la salle d’au­dience du tribunal correctionnelde Paris, l’ancien prĂ©sident de la RĂ©publique, son avocat Thierry Herzog et l’ex­avocat gĂ©nĂ©ral Ă  laCour de cassation Gilbert Azibert rĂ©pondent de « corruption » et« trafic d’influence », auxquels s’ajoute, pour les deux derniers, le dĂ©lit de violation du secret professionnel. Il est reprochĂ© Ă MM. Sarkozy et Herzog d’avoir cherchĂ© Ă  obtenir, en 2014, par lebiais de M. Azibert, des informa­tions confidentielles sur une dé­cision Ă  venir de la Cour de cas­sation concernant la saisie des agendas prĂ©sidentiels, voired’avoir tentĂ© de l’influer dans unsens favorable Ă  l’ancien chef de l’Etat, en Ă©change d’un poste honorifique Ă  Monaco pour le magistrat. La Cour de cassationa rendu un avis contraire aux souhaits de M. Sarkozy et M. Azi­bert n’a pas obtenu le posteconvoitĂ©. Mais il y a les Ă©coutes « Bismuth » qui racontent les Ă©changes entre les trois hommes.

La journĂ©e du lundi 7 dĂ©cembreavait mal commencĂ© pour la dé­fense. En rĂ©action Ă  une audience qui semblait lui avoir Ă©chappĂ© la semaine prĂ©cĂ©dente, aprĂšs la forte mobilisation du barreaude Paris en soutien de Thierry Herzog – et sans doute face Ă  un tribunal qu’elle a jugĂ© peu of­fensif –, l’accusation, par la voix du procureur Jean­Louis Blachon, a abattu son unique carte. « Je de­mande au tribunal la diffusion de cinq Ă©changes tĂ©lĂ©phoniques entre Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog. » Plus que les phrases pro­noncĂ©es, dĂ©jĂ  retranscrites dansle dossier, c’est leur ton que le pro­cureur voulait faire entendre.

« Des Ă©coutes tronquĂ©es »L’émoi a aussitĂŽt gagnĂ© les avo­cats de la dĂ©fense qui, tour Ă  tour, se sont levĂ©s pour s’indigner de cette requĂȘte. « Sensationna­lisme », « marketing pĂ©nal », ont­ils tonnĂ©. En vain. AprĂšs s’ĂȘtre re­tirĂ© – longtemps – pour dĂ©libĂ©rer, le tribunal dĂ©cide d’accĂ©der Ă  lademande de l’accusation.

Attente, tension, on ouvre lesscellĂ©s. Attente, tension, l’écran de l’ordinateur de la greffiĂšre s’af­fiche sur celui, beaucoup plus grand, de la salle d’audience. At­tente, tension, elle ne parvientpas Ă  « caler » prĂ©cisĂ©ment les ex­traits demandĂ©s, au risque de dif­fuser des Ă©changes qui ne concer­nent pas ce dossier. « Ça me sem­ble compliquĂ©. Au vu de la diffi­cultĂ©, nous allons renoncer Ă  cette diffusion », tranche la prĂ©sidente, qui annonce qu’elle va donner lecture des fameux extraits.

« AllĂŽ, ça va mon Thierry ? » Lesconversations datent des 1er, 5, 23 et 25 fĂ©vrier 2014. L’ancien prĂ©si­dent et son avocat discutent sur leur ligne occulte qu’ils pen­sent sĂ©curisĂ©e. Thierry Herzograpporte Ă  Nicolas Sarkozy ses conversations avec Gilbert Azi­bert, Ă©voque la prochaine rencon­tre de celui­ci avec un « conseiller »[de la Cour de cassation] : « Il m’a dit : “Tu peux dire au prĂ©sident queje suis optimiste” », puis il en vientau « truc Ă  Monaco » auquel aspire

conversations, c’est du bavardage. Vous avez remarquĂ© que, dans ces Ă©coutes, je ne relance jamais. »Nicolas Sarkozy rejoue ces Ă©chan­ges face au tribunal : « Je dis : “Bon.Parfait. Bon
” » Il donne Ă  ses ré­ponses un ton d’écoute poli, vaguement indiffĂ©rent, avecd’autant plus d’aisance qu’il sait que dĂ©sormais, le tribunal n’en­tendra pas l’original.

« Je prends ce qui va dans monsens parce que ça va me permettrede passer une bonne journĂ©e. Jevoyais tellement de proximitĂ© en­tre certains journaux et certains magistrats que quand on me dit que l’ambiance est bonne [Ă  laCour de cassation], je le prends comme une bouffĂ©e d’oxygĂšne. Alors si on me dit : “Aviez­vousconscience de faire quelque chose de rĂ©prĂ©hensible ?”, je dis : “Non !Jamais, jamais !” »

La présidente en vient à laquestion du poste à Monaco, qui

« Je me disais, la Cour

de cassation, c’est comme

un club. (
) Je voulais connaütre

l’ambiance, c’est tout ! »NICOLAS SARKOZYancien prĂ©sidentde la RĂ©publique

Le 7 décembre, au tribunal correctionnel de Paris. BENJAMIN FLAO POUR « LE MONDE »

Sarkozy : « Bismuth, c’est le WhatsApp de 2014 ! »JugĂ© pour « corruption et trafic d’influence », l’ancien prĂ©sident a plaidĂ© un simple « bavardage » entre amis

le magistrat et pour lequel il auraitbesoin d’un « coup de pouce ». « Je le ferai monter », rĂ©pond l’an­cien prĂ©sident. Un peu plus tard, apprenant que Nicolas Sarkozy part quelques jours Ă  Monaco,Thierry Herzog lui demande de« ne pas oublier de dire un mot pour Gilbert », l’ancien prĂ©sidentpromet : « Tu peux lui dire que jeferai la dĂ©marche, j’ai rendez­vousavec le ministre Ă  midi. »

La présidente appelle NicolasSarkozy à la barre.

« Peut­ĂȘtre avez­vous un proposliminaire ?

– Oui. Permettez­moi de dire defaçon solennelle que je n’ai jamais commis le moindre acte de corrup­tion. Jamais trafiquĂ©. Je veux ĂȘtre lavĂ© de cette infamie. Avec toute la colĂšre et l’indignation qui sont en moi, je rĂ©pondrai Ă  toutes vos ques­tions parce que c’est la premiĂšre fois que j’ai le sentiment de pouvoirm’exprimer devant une justice im­partiale, Ă  armes Ă©gales. »

La voix enfle et gronde. Dé­nonce une instruction Ă  charge menĂ©e avec un « dĂ©chaĂźnement »de moyens. « Vous avez devant vous un homme dont on a Ă©coutĂ© plus de 3 700 conversations pri­vĂ©es. Non, 3 750 ! Mes enfants,ma femme, mon mĂ©decin, mes amis politiques, mon avocat. Etpour quel rĂ©sultat ? On a trouvĂ©cinq conversations problĂ©mati­ques avec mon avocat. Des Ă©coutescoupĂ©es, tronquĂ©es ! Quand c’est moi, mĂȘme quand il n’est question de rien, ça devient tout. »

La prĂ©sidente l’interroge sur cesĂ©changes dans lesquels revient

rĂ©guliĂšrement le nom de M. Azi­bert. Nicolas Sarkozy Ă©voque d’abord un « contexte », celui decette annĂ©e 2014 oĂč il a, dit­il, « le sentiment d’ĂȘtre traquĂ© ». « J’ai l’impression que le Parquet natio­nal financier a Ă©tĂ© crĂ©Ă© pour moi. Chaque semaine, il y a une nou­velle affaire. Si on oublie cela, on necomprend pas pourquoi je m’inté­resse au sort de mes agendas. Alors oui, je demande Ă  Thierry oĂč on en est pour ces carnets. Je veux ĂȘtre rassurĂ©. Et Thierry, qui enlĂšve sa casquette d’avocat pour celle d’ami, me rassure. »

Une vie de « coups de pouce »Nicolas Sarkozy tient ensuite à« prĂ©senter [ses] excuses Ă  tous les Bismuth qui ont pu se sentirblessĂ©s parce que Thierry Herzoget moi avons utilisĂ© ce nom. Si WhatsApp avait existĂ©, il n’y auraitpas eu besoin de Bismuth. Si Tele­gram avait existĂ©, il n’y aurait paseu besoin de Bismuth ! Bismuth, c’est le WhatsApp de 2014 ! », s’ex­clame­t­il.

« Monsieur Sarkozy ! Ma ques­tion portait sur le nombre de fois oĂč le nom de M. Azibert revient dans vos conversations, s’agace la prĂ©sidente.

– Madame, tout ce qui est sur Bis­muth, je le confirme. Je me disais, la Cour de cassation, c’est comme un club. Ils ne sont pas nombreux, ils se voient, ils se parlent. Donc, ce que je demande à Thierry, c’est“Qu’est­ce qu’ils se disent ? Quelle image ils ont de moi ?” Je voulais connaütre l’ambiance, c’est tout ! Le point commun de toutes ces

« pourrait apparaĂźtre comme unecontrepartie » aux services ren­dus par Gilbert Azibert. « Es­sayons d’aller au fond de la carie, rĂ©pond Nicolas Sarkozy. Thierry Herzog me parle de ce poste. On voit bien, dans ces Ă©coutes, que je l’ignorais. Je demande : “Parce qu’il veut aller Ă  Monaco ?” » Il re­joue le dialogue, en choisit lĂ  en­core le ton, en minore l’effet, puis enchaĂźne : « Quitte Ă  vous conster­ner un peu plus, je vais vous dire que cent fois dans ma vie, Thierry m’a demandĂ© de rendre service Ă  ses amis. Je devais aller Ă  l’hĂŽtel Ă  Monaco avec ma femme et ma fille pour faire une cure. Il y avait un fasciathĂ©rapeute qui Ă©tait censĂ© me guĂ©rir de mes mi­graines. Et quand il l’apprend, Thierry m’appelle. »

Il mime Ă  nouveau la scĂšne. « Ilme dit : “Nicolas n’oublie pas, hein,n’oublie pas !” Et il me parle dedonner un coup de pouce pour son ami Azibert. Ma vie a Ă©tĂ© de donner des coups de pouce ! Pen­dant quarante ans, j’ai donnĂ© des coups de pouce ! Et ce n’est d’ail­leurs pas ceux que j’ai le plusaidĂ©s qui m’ont Ă©tĂ© les plus fidĂšles.Je confirme que j’ai envisagĂ© de faire plaisir Ă  Thierry. Mais, par­don – il se tourne vers l’ancien magistrat assis au banc des pré­venus – pas Ă  Gilbert Azibert ! Et ça ne s’est pas fait. »

Sans jamais perdre de vue l’ob­jectif de dĂ©truire un Ă  un les Ă©lé­ments retenus contre lui, Nicolas Sarkozy poursuit : « Le pacte decorruption n’a jamais existĂ©. Cesont des conversations avec un

frĂšre qui veut aider un ami. » Il lui reste un dernier obstacle Ă  fran­chir : ce fameux voyage que Thierry Herzog fait en urgence Ă  Monaco, fin fĂ©vrier 2014. L’accusa­tion est convaincue, mais n’a pas pu le prouver, que Thierry Herzog venait d’apprendre par une fuite que leur ligne occulte Ă©tait sur Ă©coutes. Il aurait donc dĂ©cidĂ© de partir sur­le­champ en informer Nicolas Sarkozy afin de mettre au point une riposte au possible mauvais effet de leurs Ă©changes, notamment sur une intervention en faveur de M. Azibert auprĂšs du ministre de Monaco. Le lende­main, sur sa ligne officielle qu’il sait elle aussi Ă©coutĂ©e, Nicolas Sarkozy annonce Ă  son ami avocatqu’il a renoncĂ© Ă  Ă©voquer le poste pour le magistrat.

Fantasmes que tout cela, rĂ©pli­que M. Sarkozy, qui raconte avec force dĂ©tails leur soirĂ©e de la veille« avec Carla » et explique que cetappel du lendemain n’était des­tinĂ© qu’à s’assurer que son ami Ă©tait bien rentrĂ© Ă  Paris. C’est par hasard, assure­t­il, qu’il utilise saligne officielle et, incidemment, qu’il lui dit n’avoir finalement rien fait pour M. Azibert.

« C’est important, l’intonation,Madame la prĂ©sidente. Vous voyezbien que ça change tout. »

Il mime – « Ça va, monThierry ? » –, change de ton pours’adresser au tribunal et soupire :« Finalement, ces Ă©coutes, c’était une bonne idĂ©e de les diffuser. Je regrette qu’on ne les ait pas en­tendues
 »

pascale robert­diard

Page 15: Le Monde - 09 12 2020

0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2020 france | 15

Les Ă©lĂšves français toujours aussi mauvais en mathsL’enquĂȘte Timss, rĂ©alisĂ©e auprĂšs d’élĂšves de CM1 et de 4e, confirme la place de l a France en queue de peloton

C e n’est plus une sur­prise, et depuis long­temps : les Ă©lĂšves fran­çais n’ont pas la bosse

des maths. Loin de lĂ . D’aprĂšs les rĂ©sultats de l’enquĂȘte Trends inInternational Mathematics and Science Study (Timss), rĂ©alisĂ©e en mai 2019 sur un Ă©chantillon de 4 186 enfants de CM1 et 3 874 ado­lescents de 4e, la France se classe bonne derniĂšre dans les pays del’Union europĂ©enne, avec des ré­sultats similaires Ă  ceux de la Roumanie. Elle est aussi avant­derniĂšre dans les pays de l’OCDE, devant le Chili. A l’autre extré­mitĂ© du spectre, on retrouve les pays qui surperforment d’une en­quĂȘte Ă  l’autre : Singapour, Hong­kong, la CorĂ©e du Sud, TaĂŻwan et leJapon se disputent la tĂȘte du clas­sement, en CM1 comme en 4e.

Avec un score de 485 points enmathĂ©matiques et de 488 ensciences, les Ă©lĂšves de CM1 rĂ©ali­sent la mĂȘme performance quelors de la derniĂšre enquĂȘte Timss,en 2015 : ils n’ont ni progressĂ© nirĂ©gressĂ©, et demeurent « signifi­cativement » en dessous des moyennes internationales depays comparables au nĂŽtre, pré­cise la direction de l’évaluation, de la prospective et de la perfor­mance de l’éducation nationale(DEPP), qui publie trois notes d’analyse des rĂ©sultats.

Forte tradition géométriqueEn revanche, les élÚves de 4e

n’avaient pas Ă©tĂ© Ă©valuĂ©s depuisla premiĂšre Ă©dition de Timss, en 1995. L’effondrement du ni­veau est spectaculaire, avec unscore moyen en baisse de 47 points. A l’époque, les Ă©lĂšves de5e avaient aussi Ă©tĂ© Ă©valuĂ©s, et leurscore Ă©tait infĂ©rieur de 46 points Ă ceux de 4e. Pour le dire autre­ment, les Ă©lĂšves de 4e

d’aujourd’hui sont les 5e d’hier.Comment expliquer un tel dé­

crochage ? La rĂ©ussite et l’échec scolaires Ă©tant toujours multifac­toriels, nul ne se risque Ă  dĂ©signerun seul coupable. Y compris parceque, quand plusieurs rĂ©formesĂ©ducatives sont lancĂ©es en mĂȘmetemps et font progresser le pays (comme au Portugal), il est diffi­cile de mesurer l’impact de cha­cune. Mais la formation initiale etcontinue des enseignants y est sans doute pour beaucoup.

Il y a d’abord le parcours des en­seignants du premier degrĂ©, issusen majoritĂ© de filiĂšres littĂ©raires et de sciences humaines. « Quandles futurs enseignants arrivent enmaster et commencent Ă  se for­mer, la plupart n’ont pas fait de mathĂ©matiques depuis plusieurs annĂ©es », rappelle Edouard Gef­fray, le directeur gĂ©nĂ©ral de l’en­seignement scolaire (Dgesco), quipointe une « forte corrĂ©lation »entre la baisse des compĂ©tences

des Ă©lĂšves français et le sentimentde « manque de formation » sur ces domaines, qui revient d’étude en Ă©tude dans la bouche des en­seignants. Sur ce point, la France ad’ailleurs progressĂ©. En 2015, 53 % des Ă©lĂšves de CM1 avaient un pro­fesseur sans aucune formation enmathĂ©matiques au cours des deux derniĂšres annĂ©es. Ils ne sontplus que 23 % en 2019.

L’institution assure avoir cons­cience du problĂšme, qu’elle s’em­ploie Ă  juguler. Un « plan mathé­matiques » a Ă©tĂ© lancĂ© en 2018, Ă  lasuite d’un rapport remis au mi­nistre de l’éducation par l’inspec­teur gĂ©nĂ©ral Charles Torossian et le mathĂ©maticien CĂ©dric Villani. « Par dĂ©finition, l’enquĂȘte Timss Ă©value ce qui a Ă©tĂ©, et non ce qui esten train d’ĂȘtre fait », souligne Edouard Geffray, qui rappelle que les Ă©lĂšves Ă©valuĂ©s par Timss l’ontĂ©tĂ© quelques mois seulementaprĂšs le lancement du « plan ». Ce dernier, d’une ampleur « sans pré­cĂ©dent », selon Charles Torossian,est largement axĂ© sur la forma­tion continue des enseignants.

Depuis 2018, 40 000 ensei­gnants ont ainsi été formés sur lesmathématiques. Un dispositif dit

« en constellation » permet à des formateurs de gérer de petiteséquipes de 7 à 8 enseignants, quivisitent ensuite les classes deleurs pairs et échangent sur lesbonnes pratiques. « Notre straté­gie est de nous concentrer sur lessujets pour lesquels nous avons une forte marge de progression »,détaille Charles Torossian.

Ainsi, les Ă©lĂšves français ne sontpas uniformĂ©ment mĂ©diocres : en CM1 et en 4e, ils sont plutĂŽt meilleurs en gĂ©omĂ©trie qu’en cal­cul et en algĂšbre. En 4e, ils sont Ă©galement « moins mauvais » en statistiques et probabilitĂ©s. Maisla manipulation des nombres (maĂźtrise des quatre opĂ©rations, fractions et dĂ©cimales) est parti­culiĂšrement faible. « Le nombreest un vrai sujet, sur lequel la France a 40 points d’écart avec le reste de l’Union europĂ©enne »,pointe Charles Torossian, qui rap­pelle que la France a « historique­ment » une forte tradition d’en­seignement de la gĂ©omĂ©trie.

Plan de formationSĂ©bastien Planchenault, prĂ©si­dent de l’Association des profes­seurs de mathĂ©matiques de l’en­seignement public (Apmep), con­firme que cette appĂ©tence vientde loin. « C’est par la gĂ©omĂ©trieque les Ă©lĂšves entrent dans la dé­monstration mathĂ©matiques, ex­plique­t­il. De plus, elle prĂ©sentel’avantage d’ĂȘtre concrĂšte, visuelle – comme les statistiques, qui plai­sent aux Ă©lĂšves parce qu’on peut facilement leur donner du sens. » Amesure que les Ă©lĂšves progres­sent dans l’abstraction, la gĂ©omé­trie devient la « bouĂ©e » des moins bons.

Par rapport aux pays « compara­bles » (Union europĂ©enne et OCDE), la France a aussi de gran­des difficultĂ©s Ă  emmener ses meilleurs Ă©lĂšves vers l’excellence. Timss dĂ©montre paradoxalement que les « bons » tirent plutĂŽt le pays vers le bas du classement. Seuls 3 % des Ă©lĂšves français attei­gnent un niveau « avancĂ© », soitun score de 625 points, en CM1. Ils

ne sont plus que 2 % en 4e, Ă  un ĂągeoĂč 11 % des Ă©lĂšves en moyenne dans l’Union europĂ©enne y par­viennent. Certes, la France a Ă©gale­ment du mal Ă  faire acquĂ©rir Ă  ses Ă©lĂšves les plus faibles les compĂ©tences mathĂ©matiques Ă©lé­mentaires : 15 % des Ă©lĂšves de CM1 n’atteignent pas la barre des 400 points, et 12 % de ceux de 4e.

Le plan de formation, sur lequelinsiste l’institution, pourra­t­ilsuffire Ă  renverser la tendance lourde d’une baisse gĂ©nĂ©ralisĂ©een mathĂ©matiques ? Il est encore trop tĂŽt pour le dire. Mais sur le terrain, on craint parfois que le mal soit plus profond : « Les heu­res de mathĂ©matiques au collĂšge ont baissĂ© depuis quinze ans »,

rappelle SĂ©bastien Planchenault, qui souligne aussi la structure« pyramidale » de l’apprentissagedes mathĂ©matiques : « Les compé­tences se construisent sur celles qui les prĂ©cĂšdent », explique­t­il.« C’est pourquoi un Ă©lĂšve qui arrivetrop fragile en 6e va voir ses diffi­cultĂ©s s’accentuer. »

violaine morin

Moyenne internationale(UE et/ou OCDE)Moyenne internationale(UE et/ou OCDE)

SingapourCorée du Sud

JaponRoyaume-Uni

IrlandeEtats-Unis

FinlandeAustraliePortugalHongrie

SuĂšdeNouvelle-ZĂ©lande

ItalieFrance

Chili

SingapourCorée du Sud

JaponRoyaume-Uni

IrlandeEtats-Unis

FinlandeAustraliePortugalHongrie

SuĂšdeNouvelle-ZĂ©lande

ItalieFrance

Chili

SingapourCorée du Sud

JaponRoyaume-Uni

IrlandeEtats-Unis

FinlandeAustraliePortugalHongrie

SuĂšdeNouvelle-ZĂ©lande

ItalieFrance

Chili

SingapourCorée du Sud

JaponRoyaume-Uni

IrlandeEtats-Unis

FinlandeAustraliePortugalHongrie

SuĂšdeNouvelle-ZĂ©lande

ItalieFrance

Chili

Score moyendes élÚves français

Score moyendes élÚves français

Score moyendes élÚves français

Score moyendes élÚves français

485485450450 550550

480480

476476

CalculsCalculs

Géométrieet mesuresGéométrieet mesures

Lecture detableaux

de données

Lecture detableaux

de données

498498

483483 511511

MoyenneeuropéenneMoyenneeuropéenne527527

450450 550550

493493

477477

GéométrieGéométrie

Statistiques etprobabilités

Statistiques etprobabilités

Nombreset calculsNombreset calculs

AlgĂšbreAlgĂšbreInfographie : Le MondeInfographie : Le Monde Source : Timms & Pirls International Study CenterSource : Timms & Pirls International Study Center

468468

496496

Les compétences des élÚves français en mathématiquesLes compétences des élÚves français en mathématiquesScore des élÚves en CM1, par champ de compétences, en 2019

Score des élÚves en 4e, par champ de compétences, en 2019

La France peine Ă  tirer ses meilleurs Ă©lĂšves vers le hautLa France peine Ă  tirer ses meilleurs Ă©lĂšves vers le hautPart d’élĂšves ayant des compĂ©tences Ă©lĂ©mentaires en mathĂ©matiques, en %Part de ceux qui passent la barre du niveau le plus avancĂ©

En CM1

5454 9999

3737 99993333 9999

2121 96961515 97971414 93931111 9595

1010 909099 959599 9393

88 9494

66 8383

44 9595

33 8585

11 7070

5151 9898

4545 97973737 9999

1111 909077 94941414 8787

55 9393

1111 909055 91911111 9090

55 9090

66 8282

33 9191

22 8888

11 7070

En 4e

L’effondrementdu niveau en 4e

est spectaculaire,avec un score

moyen en baisse de 47 points

PRÉSIDENTIELLELa « gilet jaune » Jacline Mouraud candidateJacline Mouraud, figure des « gi­lets jaunes » en 2018, a annoncĂ©, lundi 7 dĂ©cembre, sa candida­ture Ă  la prĂ©sidentielle de 2022 « pour reprĂ©senter le peuple des gens ordinaires dont je suis », face au « candidat » Emmanuel Macron, qui, estime­t­elle, « n’est plus Ă  la hauteur de sa fonction de prĂ©sident ». Jacline

Mouraud, 53 ans, avait postĂ© en octobre 2018 sur Facebook une vidĂ©o devenue virale qui dĂ©nonçait « la traque aux automobilistes ». – (AFP.)

NUMÉRIQUENantes lance un dĂ©bat sur la 5G en fĂ©vrier 2021La ville de Nantes a annoncĂ©, lundi 7 dĂ©cembre, le lancement d’un dĂ©bat public en fĂ©vrier et mars 2021 sur le dĂ©ploiement

de la 5G. « Plusieurs options sont sur la table, selon la maire socialiste, Johanna Rolland. Dire oui Ă  la 5G, la refuser ou demander sa rĂ©gulation. Ce dĂ©bat territorial peut aussi faire Ă©voluer la situation nationale. » L’élue avait fait du moratoire sur la 5G une promesse Ă©lecto­rale lors de son alliance avec Europe Ecologie­Les Verts au second tour des Ă©lections municipales en juin. – (AFP.)

Les garçons demeurent meilleurs que les fillesLes performances scolaires des filles sont supĂ©rieures Ă  celles des garçons Ă  tous les niveaux : elles sont meilleures en lecture Ă  la fin du CM1 (Pirls, 2016), en orthographe Ă  la fin du primaire (Cedre, 2015), en comprĂ©hension de l’écrit Ă  15 ans (PISA, 2018). Elles sont aussi plus nombreuses Ă  dĂ©crocher un baccalaurĂ©at gĂ©nĂ©ral et technologique. Mais, en mathĂ©matiques, les choses s’inversent : les garçons ont 13 points d’avance sur les filles en CM1, selon l’enquĂȘte Timss 2019. Cet Ă©cart est en hausse depuis 2015. Et en 4e, les garçons ont toujours 9 points d’avance.

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PAR NATHAN GELGUD

Page 16: Le Monde - 09 12 2020

16 | france MERCREDI 9 DÉCEMBRE 20200123

Loi SRU, vingt ans de volontarisme au nom de la mixité sociale

Votée en 2000, cette loi imposait aux villes de se doter de 20 % de logements sociaux en 2020. Des maires se refusent toujours à construire « social » malgré les sanctions financiÚres

I l y a vingt ans, le 13 dĂ©cembre 2000, laloi solidaritĂ© et renouvellement ur­bain (SRU) Ă©tait adoptĂ©e. Avec unemesure trĂšs emblĂ©matique : l’arti­cle 55 qui imposait (et impose tou­jours) aux communes urbaines de se

doter, sur leur parc de rĂ©sidences principales,de 20 % de logements sociaux d’ici Ă  2020, unseuil portĂ© pour 60 % des communes, avec laloi Duflot de 2013, Ă  25 % en 2025. Vingt ans aprĂšs, oĂč en est­on ? Entre 2000 et 2019, prĂšs de 870 000 logements sociaux ont Ă©tĂ© cons­truits dans les communes dites dĂ©ficitaires. Mais il aura fallu vingt ans de volontĂ© politi­que ferme et repousser plusieurs tentativesparlementaires – et sur le terrain – de con­tourner cette loi ou d’en rĂ©duire la portĂ©e.

En 1997, Ă  la faveur des Ă©lections lĂ©gislati­ves, Jacques Chirac perd sa majoritĂ© Ă  l’As­semblĂ©e ; la gauche revient au pouvoir. Lio­nel Jospin, premier ministre, nomme Jean­Claude Gayssot, un communiste, ministre de l’équipement, des transports et du loge­ment. Ce dernier est secondĂ© par le socialisteLouis Besson, chargĂ© du logement et vrai ini­tiateur du texte. Trois ans plus tard, M. Gays­sot, s’exprimant au Palais­Bourbon, rappelle que la gauche a Ă  cƓur de « s’attaquer aux inĂ©galitĂ©s, faire une ville mieux Ă©quilibrĂ©e, plus sĂ»re, plus solidaire ». Dix­neuf ans aprĂšs la dĂ©centralisation de 1981, qui a confiĂ© aux maires les compĂ©tences d’urbanisme, les bailleurs sociaux se plaignent, en effet, de nepas pouvoir construire dans certaines collec­tivitĂ©s et la production de logements so­ciaux a Ă©tĂ© divisĂ©e par deux, passant de100 000 logements par an Ă  50 000. « Certai­nes communes se sont cantonnĂ©es dans unelogique de refus de l’accueil, sur leur sol, de lo­gement social », argumente alors M. Gayssot.

L’article 55 de la loi SRU entend donc, selonLouis Besson, « corriger cette tendance et ré­partir de façon plus Ă©quilibrĂ©e le logement so­cial, dans un souci de mixitĂ© ». A l’époque, 728 communes de plus de 3 500 habitants (ou de plus de 1 500 en Ile­de­France), faisant partie d’agglomĂ©rations de plus de 50 000 habitants, sont concernĂ©es.

Le texte innove par rapport aux prĂ©cĂ©den­tes lois sur la ville avec son mĂ©canisme d’in­citation­coercition. Il confie aux prĂ©fets lesoin de fixer des objectifs triennaux de construction ou de crĂ©ation Ă  partir de bĂąti­ments existants Ă  chaque commune dĂ©fici­taire afin qu’elle rattrape son retard. Si elle n’y parvient pas, une contribution de soli­daritĂ© de 1 000 francs (150 euros) par loge­ment manquant et par an est prĂ©levĂ©e,sorte d’amende dĂ©cidĂ©e par l’Etat mais, par un systĂšme habile et vertueux, versĂ©e Ă  lacommunautĂ© urbaine pour ĂȘtre rĂ©investiedans le logement social, donc redonnĂ©e auxmaires entreprenants.

RECORD D’AMENDEMENTSA l’époque, ces dispositions choquent les dé­putĂ©s des partis d’opposition de droite et du centre. Le dĂ©putĂ© (RPR) du Val­de­MarneGilles Carrez, maire du Perreux­sur­Marne, spĂ©cialiste de l’urbanisme, prend la tĂȘte de lafronde et dĂ©nonce une « mĂ©thode normative,uniforme, centralisĂ©e, dogmatique. Il s’agit surtout de clouer au pilori un certain nombre de villes par une sorte de coercition exercĂ©epar l’Etat qui nie complĂštement les rĂ©alitĂ©s lo­cales. Au Perreux, ajoute­t­il en tant que maire, on ne voit pas trĂšs bien comment subs­tituer aux 700 pavillons de la ville, les 1 839 lo­gements collectifs sociaux que je devrai cons­truire ». Eric Raoult, dĂ©putĂ© (RPR) de Seine­

Saint­Denis, maire du Raincy et ancien mi­nistre de la ville, dĂ©clare, lui, qu’il n’appliquera pas cette loi « idiote et coĂ»teuse,qui crĂ©era dans [s]a ville un climat de peur so­ciale », qu’il attise d’ailleurs avec de grandspanneaux annonçant « Ici, bientĂŽt, des loge­ments sociaux ». Selon certains de ces con­testataires tout en nuances, on en revient au« Gosplan » soviĂ©tique, et il ne manquequ’un « petit goulag au milieu » de ces nou­veaux quartiers


AprĂšs l’examen de 3 200 amendements, unrecord Ă  l’époque, la loi est adoptĂ©e le 13 dé­cembre 2000 par 303 voix contre 218, « nonsans effort pour rassembler une majoritĂ©,mĂȘme Ă  gauche », se souvient Thierry Repen­tin, alors chef de cabinet de Louis Besson et infatigable dĂ©fenseur de cette loi.

« C’est une loi fondatrice de la politique dulogement, un pilier de la RĂ©publique, recon­naĂźt GrĂ©goire Fauconnier, gĂ©ographe, auteurde Loi SRU et mixitĂ© sociale : le vivre­ensembleen Ă©chec ? (Omniscience, 238 pages, 20 euros). Elle a eu des effets trĂšs positifs, Ă  telpoint que certains Ă©lus de droite l’ont dĂ©fen­due, notamment Jacques Chirac, aprĂšs sa réé­

lection, en 2002. Le thĂšme de sa campagneĂ©tait la lutte contre la fracture sociale et il aempĂȘchĂ© que des amendements de six sĂ©na­teurs de droite vident l’article 55 de sa subs­tance. En 2005, aprĂšs des Ă©meutes en ban­lieue, et alors que des Ă©lus UMP le pressaient d’assouplir le dispositif, Jacques Chirac a op­posĂ© une fin de non­recevoir et rĂ©clamĂ© uneapplication sans rĂ©serves de la loi. »

POLITIQUE DU CHIFFREDe multiples tentatives, en 2006 et 2007, debattre en brĂšche la loi SRU en modifiant cer­tains paramĂštres, comme mutualiser l’ob­jectif des 20 % Ă  l’échelle intercommunale oucomptabiliser dans ces 20 % d’autres types de logements, par exemple en accession so­ciale Ă  la propriĂ©tĂ©, Ă©chouent. Alors ĂągĂ© de 93 ans, l’abbĂ© Pierre vient en personne enfauteuil roulant, le 24 janvier 2006, Ă  l’As­semblĂ©e, puis le 30 mars, au SĂ©nat, lors de l’examen de la loi Borloo sur le logement, pour dĂ©fendre la loi SRU, en appelant au pré­sident de la RĂ©publique, Jacques Chirac.

En 2013, la ministre du logement du gou­vernement Hollande, Cécile Duflot, porte le

87 353 95 055

130 537 139 923

228 520

188 587

2002-2004

2005-2007

2008-2010

2011-2013

2014-2016

2017-2019

Artigues-prĂšs-Bordeaux (Gironde)

Follainville-Dennemont (Yvelines)

Orsay (Essonne)

Villiers-sur-Orge (Essonne)

Boussy-Saint-Antoine (Essonne)

Paris

Marnes-la-Coquette (Hauts-de-Seine)

La Rochette (Seine-et-Marne)

Cesson (Seine-et-Marne)

Progressiondepuis 2002en points

24

24

24

22

22

22

21

20

17

+ 21

+ 20

+ 19

+ 18

+ 16

+ 8

+ 16

+ 16

+ 15

12 communes carencées à chaque bilan depuis 2002Taux de logements sociaux en 2019, en %

Une forte progression de logements sociaux dans certaines communes Taux de logements sociaux en 2019, en %

Ormesson-sur-Marne (Val-de-Marne)

Saint-Jeannet (Alpes-Maritimes)

Peypin (Bouches-du-RhĂŽne)

Mimet (Bouches-du-RhĂŽne)

Eguilles (Bouches-du-RhĂŽne)

Sanary-sur-Mer (Var)

Pernes-les-Fontaines (Vaucluse)

Allauch (Bouches-du-RhĂŽne)

Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine)

Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne)

Les Angles (Gard)

Villeneuve-lĂšs-Avignon (Gard)

2,28

2,653,56

4,56

4,754,94

5,72

6,3

6,398,81

9,249,97

RĂ©partition des communes dĂ©ïżœcitaires en 2017, selon leur niveau de construction de logementssociaux en 2019

1 035communes

157 communes,soit 15,2 %, ont entre20 % et 25 % de HLM

72, soit 7 %,ont moinsde 5 % de HLM

229,soit 22,1 %,ont entre 5 %et 10 % de HLM

295, soit 28,5 %,ont entre 10 % et 15 %de HLM

282,soit 27,2 %,

ont entre15 % et 25 %

de HLM

140

239221

269

221

280

2002-2004

2005-2007

2008-2010

2011-2013

2014-2016

2017-2019**

Une augmentation du nombre de communescarencĂ©es (communes dĂ©ïżœcitaires ayant eu unconstat de carence et des pĂ©nalitĂ©s aggravĂ©es),depuis 2002, par plans triennaux

* A partir de 2014, la loi Duïżœot de janvier 2013 a rehaussĂ© les objectifs de 20 % Ă  25 %de logements sociaux et a reportĂ© l’échĂ©ance de 2020 Ă  2025** Communes proposĂ©es Ă  la carence, arbitrage en cours

Des objectifs non atteints pour prĂšs de la moitiĂ©des communes dĂ©ïżœcitaires (dont le pourcentagede logements sociaux est infĂ©rieur Ă  ceux prĂ©vusdans la loi SRU), depuis 2002, par plans triennaux

869 975 logements sociaux construitsdans les communes dĂ©ïżœcitairesentre 2002 et 2019par plans triennaux

728 730

9771 152

1 022 1 035

Communes n’ayant pas atteintleur objectif à l’issue du plan triennalCommunes ayant atteint leur objectif

2002-2004

2005-2007

2008-2010

2011-2013

2014-2016*

2017-2019

369 325

613

387

649550

Sources : ministÚre du logement, Fondation Abbé PierreInfographie Le Monde

Une loi efficace malgré des communes toujours récalcitrantes

ENTRE 2000 ET 2019, PRÈS DE 

870 000 LOGEMENTS SOCIAUX ONT 

ÉTÉ CONSTRUITS DANS LES 

COMMUNES DITES DÉFICITAIRES

Des objectifs qui demeurent plus que jamais d’actualitĂ©Les besoins en logements sociaux sont accrus par l’explosion des prix immobiliers et la paupĂ©risation des mĂ©nages modestes

A vec 870 000 logementsHLM construits entre2000 et 2019 dans des

communes qui en manquaient, soit la moitiĂ© de la production to­tale, le bilan de la loi solidaritĂ© et renouvellement urbains (SRU) estflatteur. Une poignĂ©e d’élus y res­tent encore idĂ©ologiquement ré­fractaires ou ont du mal, Ă  causede la configuration de leur terri­toire, Ă  atteindre leur quota : 301 communes comptent, fin 2019, moins de 10 % de HLM, loin des 20 % Ă  atteindre cette annĂ©e etplus encore des 25 % en 2025. Les mĂ©canismes incitatif et coercitifde la loi s’interrompront­ilsen 2025, avec l’extinction de la loi ?

« La loi SRU a été et est encoreutile et efficace, et il faut promou­

voir la mixitĂ© et le logement social, qui est un service public,plaide Emmanuelle Wargon, ministre du logement. On s’ap­proche de la falaise, en 2025 : envi­sageons dĂšs maintenant la suiteet donnons de la visibilitĂ© aux Ă©lus, d’autant que l’on sent bien que certains d’entre eux jouent lamontre et comptent Ă©chapper Ă  leurs obligations. » En juillet, la ministre a d’ailleurs donnĂ© aux prĂ©fets des instructions de fer­metĂ© dans les constats decarence au terme du bilantriennal 2017­2019. De grandesvilles comme Neuilly­sur­Seine, Cannes, Royan, Le VĂ©sinet, Montrouge ou Toulon sont dansle viseur des prĂ©fets, qui pren­dront leur dĂ©cision fin dĂ©cembre.

Pour assurer une suite Ă  la loiSRU, une nouvelle loi est donc né­cessaire et le gouvernement a d’ores et dĂ©jĂ  introduit, dans leprojet de loi relatif au renforce­ment des principes rĂ©publicains,ex­projet de loi de lutte contre les sĂ©paratismes, un amendement l’autorisant Ă  lĂ©gifĂ©rer par ordon­nance sur ce sujet.

« Pacte rĂ©publicain »« Ce n’est pas admissible que le Parlement soit privĂ© de dĂ©bat sur un sujet aussi essentiel, la mixitĂ© sociale, plaide EmmanuelleCosse, prĂ©sidente de l’Union so­ciale pour l’habitat, qui fĂ©dĂšre631 bailleurs sociaux. Nous de­vons donc prolonger la loi et exa­miner la situation des Ă©lus rĂ©frac­

taires qui bafouent le pacte rĂ©pu­blicain. Le prĂ©fet doit peut­ĂȘtre se substituer Ă  eux pour la dĂ©livrancedes permis de construire. On pour­rait aussi intĂ©grer un objectif de nombre de places d’hĂ©bergement d’urgence, pour un meilleur Ă©quili­bre sur le territoire. Enfin, lĂ  oĂč lademande est trĂšs forte, en Ile­de­France, en Provence­Alpes­CĂŽte d’Azur, le taux de 25 % n’est peut­ĂȘtre pas suffisant. »

Selon Mme Wargon, il faut dis­tinguer les communes prochesde l’objectif, dont la nouvelle loipourrait attĂ©nuer l’effort Ă  four­nir en fonction des circonstanceslocales. « Celles qui sont dans lamoyenne, auxquelles elle pour­rait accorder un dĂ©lai de trois ousix ans, et les franchement caren­

cĂ©es, dĂ©taille la ministre. Il fautaussi prendre en compte les spĂ©ci­ficitĂ©s locales et s’autoriser Ă  dé­passer les 25 % : une ville commeMarseille, dont le parc de loge­ments en centre­ville, qui joue unrĂŽle social de fait, est insalubre, abesoin de plus. Bordeaux, Lyon, le

pays de Gex ou l’Ile­de­France, oĂčles loyers du parc privĂ© sont trois fois plus Ă©levĂ©s que ceux du pu­blic, Ă©galement. »

Mme Wargon a chargĂ© la com­mission d’application de l’arti­cle 55 de la loi SRU, prĂ©sidĂ©e parThierry Repentin, l’un de sesconcepteurs, de lui faire des pro­positions prĂ©cises pour la mi­janvier. « Le combat pour le loge­ment social doit se poursuivreplus que jamais, pour loger,dĂ©sormais, les 2 millions de de­mandeurs en attente, indiqueM. Repentin. On peut revoir la cartographie, moduler les tauxselon les besoins et aider les bailleurs sociaux Ă  sortir les pro­jets par des aides Ă  la pierre. »

i.r.­l.

LOGEMENT

« ON SENT BIEN QUE CERTAINS Ă‰LUS JOUENT LA MONTRE 

ET COMPTENT Ă‰CHAPPER Ă€ LEURS OBLIGATIONS Â»

EMMANUELLE WARGONministre du logement

Page 17: Le Monde - 09 12 2020

0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2020 france | 17

seuil Ă  25 % pour les villes qui en ont besoin et recule l’échĂ©ance Ă  2025. Devant les faiblesrĂ©sultats obtenus, la loi Duflot durcit, au pas­sage, les sanctions en laissant aux prĂ©fets la possibilitĂ© de quintupler les prĂ©lĂšvements fi­nanciers des communes « carencĂ©es » en lo­gements sociaux, c’est­à­dire celles qui, dĂ©fi­citaires par manque flagrant de volontĂ©, fontl’objet de sanctions. Elle va mĂȘme plus loin en autorisant les prĂ©fets Ă  se substituer aux maires pour prendre la compĂ©tence d’exer­cer le droit de prĂ©emption voire dĂ©livrer des permis de construire, et instaure des obliga­tions dites qualitatives parmi les logementssociaux crĂ©Ă©s, dont un minimum de 30 % detrĂšs sociaux et de 30 % d’intermĂ©diaires. « Cen’est vraiment qu’à partir de 2012, quand les prĂ©fets ont fait preuve de fermetĂ© et que l’Etat a cessĂ© de se montrer faible face aux Ă©lus qui s’acharnaient contre cette loi, que la construc­tion HLM a dĂ©collĂ© dans le millier de commu­nes dĂ©ficitaires », se souvient Emmanuelle Cosse, prĂ©sidente de l’Union sociale pourl’habitat, ancienne ministre du logement de 2016 Ă  2017.

« La loi SRU n’est, aujourd’hui, plus contes­tĂ©e dans l’HĂ©micycle, mais elle l’est sur le ter­rain, avec de multiples contournements per­mettant Ă  certains maires de satisfaire Ă  l’obli­gation chiffrĂ©e sans accueillir aucune fa­mille », regrette GrĂ©goire Fauconnier. Ici, l’on ne crĂ©e que du social haut de gamme, dit PLS,lĂ , on multiplie les logements Ă©tudiants ou les places en Ehpad, qui sont comptabilisĂ©s dans les 20 % Ă  raison d’un logement par chambre ou par place. « Cela permet de fairedu chiffre et de loger une population un peu hors sol, sans enfant, peu demandeuse d’in­frastructures publiques ou sociales », remar­que le gĂ©ographe.

AU PALMARÈS DES RÉCALCITRANTSDans les Yvelines, Ă  Voisins­le­Bretonneuxet Croissy­sur­Seine, les chambres d’étu­diants, en Ehpad ou en foyer de jeunes actifsconstituent 95 % des nouveaux logements sociaux crĂ©Ă©s ; la ville d’Orsay (Essonne) a atteint son quota dĂšs 2006 en convention­nant, c’est­à­dire en basculant dans le ré­gime HLM, ses 930 chambres universitai­res ; Villefranche­sur­Mer (Alpes­Mariti­mes) a fait bondir son taux de logements sociaux de 6 % Ă  18 % en multipliant leschambres en Ehpad et en conventionnantdes logements pour militaires.

Quelques maires se refusent toujours àconstruire « social » malgré les sanctions fi­

nanciĂšres, que certains se vantent de prĂ©fé­rer payer, voire en font un argument Ă©lecto­ral. Le maire de Mimet (Bouches­du­RhĂŽne),dont le parc HLM plafonne Ă  4,15 %, a mĂȘmefondĂ© une Association des villes carencĂ©es,qui compte une centaine de membres surles 269 communes dans ce cas, comptabili­sĂ©es en 2017. Selon la Fondation Abbé­Pierreet son palmarĂšs triennal des « communes rĂ©calcitrantes », publiĂ© le 8 dĂ©cembre, douzecommunes, dont trois en Ile­de­France et neuf en rĂ©gion Provence­Alpes­CĂŽte d’Azur et dans le Gard mitoyen, battent un recordde mauvaise volontĂ© en Ă©tant six fois desuite, tous les trois ans depuis 2002, « enconstat de carence », c’est­à­dire sanction­nĂ©es pour de bon.

« Les logements HLM sont indĂ©niablementmieux rĂ©partis dans les agglomĂ©rations urbaines et cette loi a stimulĂ© leur construc­tion lĂ  oĂč ils manquaient, observe Tristan­Pierre Maury, Ă©conomiste et coauteur del’étude « Vingt ans aprĂšs, la loi SRU produitune mixitĂ© de façade », publiĂ©e par l’institutdes hautes Ă©tudes pour l’action dans lelogement. Mais le mouvement a Ă©tĂ© contra­riĂ© par l’appauvrissement, dans la mĂȘme pĂ©riode, des locataires de ce parc social qui sespĂ©cialise peu Ă  peu dans l’accueil des pluspauvres. Les 20 % des mĂ©nages les plus richesse rassemblent plus que jamais dans leurs en­claves de prospĂ©ritĂ© et, lorsque la loi SRU apermis la construction de logements sociauxdans les quartiers chics, ils sont plutĂŽt occu­pĂ©s par la frange la plus aisĂ©e des publicsĂ©ligibles Ă  un HLM. »

La loi SRU aura en effet permis de fondreles HLM dans la ville et de modifier leurimage de grands ensembles inhumains oĂčrĂ©gnerait l’insĂ©curitĂ©. Elle a poussĂ© les Ă©lus Ă crĂ©er des quartiers mixtes avec chacun sapart de logements sociaux, construits, dans60 % des cas, par le mĂȘme promoteur privĂ©que ceux en accession, dessinĂ©s par lemĂȘme architecte, proposant les mĂȘmes matĂ©riaux et prestations : « Les HLM ont ga­gnĂ© la bataille architecturale, affirme Gré­goire Fauconnier. Il y a certes encore des le­vĂ©es de boucliers Ă  l’annonce d’un pro­gramme comportant des HLM, mais, une foissortis de terre, ils sont acceptĂ©s, apprĂ©ciĂ©s mĂȘme puisque, avec l’explosion des prix de l’immobilier, ils permettent Ă  des mĂ©nagesaux revenus modestes ou moyens de resterdans leur quartier », ce qui est le but originelde la loi SRU.

isabelle rey­lefebvre

87 353 95 055

130 537 139 923

228 520

188 587

2002-2004

2005-2007

2008-2010

2011-2013

2014-2016

2017-2019

Artigues-prĂšs-Bordeaux (Gironde)

Follainville-Dennemont (Yvelines)

Orsay (Essonne)

Villiers-sur-Orge (Essonne)

Boussy-Saint-Antoine (Essonne)

Paris

Marnes-la-Coquette (Hauts-de-Seine)

La Rochette (Seine-et-Marne)

Cesson (Seine-et-Marne)

Progressiondepuis 2002en points

24

24

24

22

22

22

21

20

17

+ 21

+ 20

+ 19

+ 18

+ 16

+ 8

+ 16

+ 16

+ 15

12 communes carencées à chaque bilan depuis 2002Taux de logements sociaux en 2019, en %

Une forte progression de logements sociaux dans certaines communes Taux de logements sociaux en 2019, en %

Ormesson-sur-Marne (Val-de-Marne)

Saint-Jeannet (Alpes-Maritimes)

Peypin (Bouches-du-RhĂŽne)

Mimet (Bouches-du-RhĂŽne)

Eguilles (Bouches-du-RhĂŽne)

Sanary-sur-Mer (Var)

Pernes-les-Fontaines (Vaucluse)

Allauch (Bouches-du-RhĂŽne)

Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine)

Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne)

Les Angles (Gard)

Villeneuve-lĂšs-Avignon (Gard)

2,28

2,653,56

4,56

4,754,94

5,72

6,3

6,398,81

9,249,97

RĂ©partition des communes dĂ©ïżœcitaires en 2017, selon leur niveau de construction de logementssociaux en 2019

1 035communes

157 communes,soit 15,2 %, ont entre20 % et 25 % de HLM

72, soit 7 %,ont moinsde 5 % de HLM

229,soit 22,1 %,ont entre 5 %et 10 % de HLM

295, soit 28,5 %,ont entre 10 % et 15 %de HLM

282,soit 27,2 %,

ont entre15 % et 25 %

de HLM

140

239221

269

221

280

2002-2004

2005-2007

2008-2010

2011-2013

2014-2016

2017-2019**

Une augmentation du nombre de communescarencĂ©es (communes dĂ©ïżœcitaires ayant eu unconstat de carence et des pĂ©nalitĂ©s aggravĂ©es),depuis 2002, par plans triennaux

* A partir de 2014, la loi Duïżœot de janvier 2013 a rehaussĂ© les objectifs de 20 % Ă  25 %de logements sociaux et a reportĂ© l’échĂ©ance de 2020 Ă  2025** Communes proposĂ©es Ă  la carence, arbitrage en cours

Des objectifs non atteints pour prĂšs de la moitiĂ©des communes dĂ©ïżœcitaires (dont le pourcentagede logements sociaux est infĂ©rieur Ă  ceux prĂ©vusdans la loi SRU), depuis 2002, par plans triennaux

869 975 logements sociaux construitsdans les communes dĂ©ïżœcitairesentre 2002 et 2019par plans triennaux

728 730

9771 152

1 022 1 035

Communes n’ayant pas atteintleur objectif à l’issue du plan triennalCommunes ayant atteint leur objectif

2002-2004

2005-2007

2008-2010

2011-2013

2014-2016*

2017-2019

369 325

613

387

649550

Sources : ministÚre du logement, Fondation Abbé PierreInfographie Le Monde

Une loi efficace malgré des communes toujours récalcitrantes

L’émergence d’une justice supranationaleL’AssemblĂ©e nationale examine, mardi 8 dĂ©cembre, le projet de loi relatif au parquet europĂ©en

P our permettre au parqueteuropĂ©en de prendre sonenvol, la France s’apprĂȘte Ă 

crĂ©er des magistrats dotĂ©s de superpouvoirs, rĂ©unissant les prĂ©rogatives des juges d’instruc­tion et des procureurs. Le projet de loi sur le parquet europĂ©en qui vient en discussion Ă  l’AssemblĂ©e nationale mardi 8 dĂ©cembre doitdonner le top dĂ©part Ă  cette insti­tution supranationale en matiĂšre de justice pĂ©nale. Une vĂ©ritable rĂ©volution Ă  laquelle seuls cinq pays de l’Union europĂ©enne (Da­nemark, Hongrie, Irlande, Polo­gne, SuĂšde) ont choisi de ne pas participer pour le moment.

AdoptĂ© en premiĂšre lecture auSĂ©nat le 3 mars, dans l’indiffé­rence alors que le pays se focalisaitsur l’arrivĂ©e de l’épidĂ©mie de SARS­CoV­2, ce texte adapte le droit français Ă  ce parquet euro­pĂ©en chargĂ© d’enquĂȘter sur les fraudes aux intĂ©rĂȘts financiers de l’UE et de poursuivre leurs auteursen justice. Il s’agit essentiellementde lutter contre les escroqueries aux subventions europĂ©ennes, es­timĂ©es Ă  3 milliards d’euros par an,et les fraudes Ă  la TVA intracom­munautaire, qui atteindraient quelque 50 milliards d’euros.

Totale indĂ©pendanceIssue d’un douloureux compro­mis lors du Conseil europĂ©en du 12 octobre 2017, l’architecture de cette institution est complexe,voire un peu lourde. Laura Co­druta Kövesi, Ă©gĂ©rie roumaine dela lutte anticorruption, choisie Ă l’étĂ© 2019 pour diriger ce parquet, sait qu’elle devra faire la dĂ©mons­tration de son efficacitĂ© en affi­chant des rĂ©sultats concrets rapi­des. « Je souhaite que le parquet europĂ©en soit une institution rĂ©el­lement indĂ©pendante, efficace et forte, une institution en laquelle lescitoyens auront confiance, un cen­tre d’excellence capable d’Ɠuvrer Ă la confiscation des avoirs d’origine criminelle et au recouvrement des dommages et intĂ©rĂȘts », a­t­elle dĂ©clarĂ© le 4 novembre devant lacommission des affaires euro­pĂ©ennes du SĂ©nat.

ConcrĂštement, le parquet basĂ© Ă Luxembourg est composĂ© d’uncollĂšge de 22 procureurs euro­pĂ©ens, un par pays, dĂ©jĂ  nommĂ©s.Ex­reprĂ©sentant de la France Ă  Eurojust, l’unitĂ© de coopĂ©ration judiciaire de l’UE, le magistrat FrĂ©dĂ©ric Baab, qui a participĂ© aux nĂ©gociations prĂ©alables Ă  l’accord europĂ©en de 2017 en tant que conseiller diplomatique au cabi­net de Christiane Taubira Ă  la jus­tice, y a Ă©tĂ© nommĂ© par Paris. Cet organe dĂ©cidera, en totale indé­pendance Ă  l’égard des institu­tions communautaires commedes pays membres, des enquĂȘtes qu’il souhaite lancer et des suites qu’il compte leur donner.

L’option d’une procĂ©dure pĂ©nalepaneuropĂ©enne unique, un temps imaginĂ©e, n’a pas Ă©tĂ© retenue en raison de son manque de rĂ©alisme.Les enquĂȘtes se dĂ©rouleront donc dans chaque pays en fonction des lĂ©gislations locales, et les person­nes poursuivies seront traduites

devant les juridictions nationales.Pour cette raison, le parquet euro­pĂ©en comptera 140 procureurs europĂ©ens dĂ©lĂ©guĂ©s rĂ©partis dans chaque pays. La France en a prĂ©vu cinq, qu’elle pourra nommer dĂšs l’actuel projet de loi promulguĂ©.

Ces magistrats d’un nouveaugenre seront installĂ©s au sein duParquet national financier Ă  Paris,mais dotĂ©s d’un statut et de prĂ©ro­gatives totalement hors des canons français. Ils dirigeront lesenquĂȘtes, confiĂ©es aux servicesenquĂȘteurs français, avec des pouvoirs Ă©quivalents Ă  ceux des juges d’instruction. Ils auront le pouvoir de mettre une personneen examen et pourront, sous le contrĂŽle du juge des libertĂ©s et de la dĂ©tention, ordonner une perquisition, demander un place­ment en dĂ©tention provisoire ou sous bracelet Ă©lectronique.

Ce sont ces mĂȘmes procureurseuropĂ©ens dĂ©lĂ©guĂ©s, payĂ©s par l’UE, qui porteront l’accusation devant les tribunaux français et feront les rĂ©quisitions Ă  l’audience. Le projet de loi soumis au Parlement leur crĂ©e ainsi unstatut ad hoc. Contrairement auxautres magistrats du parquet, ils n’auront aucun compte Ă  rendre au procureur de la RĂ©publique ni au procureur gĂ©nĂ©ral. Ils seront nantis d’une indĂ©pendance dontrĂȘvent leurs homologues français.

Faisant partie du parquet euro­pĂ©en, ces procureurs dĂ©lĂ©guĂ©s pourront directement solliciter leurs homologues Ă  Rome, Vienne ou Berlin sans passer parles canaux habituels de la coopé­ration judiciaire, tel Eurojust, pour mener des investigations, auditions ou interpellations. De quoi faciliter encore des enquĂȘtessouvent transnationales.

ProcĂ©dure accĂ©lĂ©rĂ©eLors du dĂ©bat en commission des lois, mardi 24 novembre, seul le groupe La France insoumise a faitpart de son hostilitĂ© Ă  ce projet, y voyant « un abandon de souverai­netĂ© ». Mais les inquiĂ©tudes lesplus rĂ©pandues Ă  droite et Ă  gauche portent sur le risque de voir se dessiner derriĂšre l’arrivĂ©e de ces procureurs dotĂ©s de super­pouvoirs et de garanties d’indé­pendance inĂ©galĂ©es la mort du juge d’instruction Ă  la française. Eric Dupond­Moretti a cherchĂ© Ă  rassurer. MĂȘme s’il estime lĂ©gi­time certaines interrogations sur le juge d’instruction, le ministrede la justice a rĂ©pĂ©tĂ© que le projet de loi « doit ĂȘtre pris pour ce qu’ilest, une adaptation de la procé­dure Ă  la crĂ©ation du parquet euro­pĂ©en, rien de plus, rien de moins ».

Le gouvernement a dĂ©clarĂ© laprocĂ©dure accĂ©lĂ©rĂ©e pour l’exa­men de ce texte qui pourrait ĂȘtre soumis Ă  une commission mixte paritaire entre sĂ©nateurs et dĂ©pu­tĂ©s avant la mi­dĂ©cembre, pourun vote dĂ©finitif dans la foulĂ©e. LaCommission europĂ©enne a appelĂ© mercredi 2 dĂ©cembre lesEtats membres Ă  nommer rapide­ment leurs procureurs dĂ©lĂ©guĂ©spour permettre au parquet euro­pĂ©en de dĂ©marrer ses travaux au 1er mars 2021. Ils devaient initiale­ment dĂ©buter fin 2020.

Sans rapport avec son sujetpremier, ce projet de loi com­prend un important chapitre con­sacrĂ© Ă  la lutte contre les atteintes Ă  l’environnement. Ces procĂ©du­res souvent trĂšs techniques, tant au pĂ©nal qu’au civil, pourront ĂȘtre regroupĂ©es au sein d’un seul tri­bunal judiciaire par cour d’appel. La justice transactionnelle pourra ĂȘtre Ă©tendue Ă  la dĂ©linquance environnementale avec le recoursĂ  la convention judiciaire d’intĂ©rĂȘtpublic. En Ă©change de l’abandon des poursuites pĂ©nales, l’entre­prise devra s’acquitter d’une amende pouvant aller jusqu’à 30 % de son chiffre d’affaires et rĂ©parer dans un dĂ©lai maximal de trois ans le prĂ©judice Ă©cologiquecommis. Le projet de loi organisepar ailleurs l’émergence d’une po­lice judiciaire de l’environnement,en donnant des compĂ©tences d’of­ficier de police judiciaire aux ins­pecteurs de l’environnement.

jean­baptiste jacquin

JUSTICEBitcoins : Alexander Vinnik condamnĂ© pour blanchimentLa 13e chambre correctionnelle du tribunal de Paris a condamnĂ© Alexander Vinnik, lundi 7 dĂ©cembre, Ă  cinq ans de prison et 100 000 euros d’amende, pour « blanchiment en bande organisĂ©e ». Il a Ă©tĂ© maintenu en dĂ©tention. SoupçonnĂ© d’ĂȘtre au cƓur d’un

vaste systĂšme d’escroquerie aux bitcoins, le Russe de 41 ans a par ailleurs Ă©tĂ© relaxĂ© quant aux attaques liĂ©es au logiciel malveillant Locky, qui a fait prĂšs de 200 victimes en France.

Trois ans d’inĂ©ligibilitĂ©et prison avec sursis pour la maire d’Aix-en-ProvenceLa maire (Les RĂ©publicains) d’Aix­en­Provence Maryse Jois­sains­Masini a Ă©tĂ© condamnĂ©e

en appel, lundi 7 dĂ©cembre, Ă  huit mois de prison avec sursis et trois ans d’inĂ©ligibilitĂ© pour « prise illĂ©gale d’intĂ©rĂȘts et dé­tournement », une peine supé­rieure Ă  la premiĂšre prononcĂ©e par cette mĂȘme cour d’appel. « IndignĂ©e », la maire d’Aix­en­Provence depuis dix­neuf ans va se pourvoir en cassation, a annoncĂ© son avocat. L’élue reste donc maire et vice­prĂ©si­dente de la mĂ©tropole. – (AFP.)

Ces magistratsd’un nouveau genre seront

installés au seindu Parquet

national financierĂ  Paris

Un amendement crĂ©e un recours contre les conditions de dĂ©tention indignesIl a fallu une condamnationhistorique de la France par la Cour europĂ©enne des droits de l’homme le 30 janvier, un arrĂȘt de la Cour de cassation du 8 juillet faisant date et une censure du Conseil constitutionnel du 2 octo-bre pour que le lĂ©gislateur se prĂ©-occupe d’inscrire dans la loi un recours permettant aux dĂ©tenus de mettre fin Ă  des conditionsde dĂ©tention portant atteinteĂ  la dignitĂ© humaine. C’est par un amendement du gouvernement dĂ©posĂ© lundi, Ă  la veille de l’exa-men en sĂ©ance du projet de loi sur le parquet europĂ©en, que ce nouveau droit est crĂ©Ă©. Une per-sonne en dĂ©tention provisoire (ou condamnĂ©e) pourra saisir le juge des libertĂ©s et de la dĂ©ten-tion (ou le juge de l’application des peines) pour faire constater ces conditions indignes. L’admi-nistration pĂ©nitentiaire aura alors un dĂ©lai pour y mettre fin, quitte Ă  changer le dĂ©tenu de prison. A dĂ©faut, le juge pourra ordonner sa libĂ©ration, Ă©ventuellement sous la contrainte d’un bracelet Ă©lectronique si la personneest en dĂ©tention provisoire, ou un amĂ©nagement de peinesi elle est condamnĂ©e et Ă©ligible Ă  la mesure.

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18 | ÉCONOMIE & ENTREPRISE MERCREDI 9 DÉCEMBRE 20200123

Les cols blancs de l’aĂ©ronautique ont le bluesEn Occitanie, prĂšs de 5 000 postes de consultant en ingĂ©nierie de la filiĂšre en crise pourraient disparaĂźtre

toulouse ­ correspondance

J e vais ĂȘtre honnĂȘte, ne rienvous cacher : je suis soustraitement mĂ©dical », dé­clare, aprĂšs quelques ins­tants d’hĂ©sitation d’une

voix chevrotante StĂ©phane – sonprĂ©nom a Ă©tĂ© modifiĂ© Ă  sa de­mande. Ce salariĂ© d’Akka Techno­logies Ă  Blagnac (Haute­Garonne),en banlieue toulousaine, se dé­fend d’ĂȘtre en dĂ©pression, bien que le moral soit au plus bas.

Au mois d’octobre, au dĂ©tourd’une conversation informelle,son manageur l’encourage Ă  par­tir de l’entreprise aprĂšs plus de dix ans de bons et loyaux servi­ces. « On m’a fait comprendre, Ă  la limite de la boutade, qu’une rup­ture conventionnelle pouvait ĂȘtre envisagĂ©e, raconte cet employĂ© d’un service support. J’étais cho­quĂ©, mais je n’ai pas montrĂ© mon Ă©tonnement. Une fois les talonstournĂ©s, cela m’a fait mal. Il m’a fallu trois Ă  quatre jours pour digé­rer la nouvelle. »

NĂ©anmoins, ce cadre ne donnepas suite Ă  cette proposition et garde le silence. Mais le cƓur n’y est plus. Alors que, durant le pre­mier confinement, il exĂ©cute lestĂąches sans relĂąche pour « ĂȘtre effi­cace » et « sauver la boĂźte », la moti­vation fait dĂ©sormais dĂ©faut. « Je fais tourner la boutique mais je n’aiplus d’objectif », dit­il en soufflant, dĂ©sabusĂ©. Pour aggraver son mal­ĂȘtre, ce salariĂ© ne dispose plus d’un bureau au sein de sa sociĂ©tĂ©. A sa disposition un casier, dans le­quel il peut dĂ©poser ses effets per­sonnels et un ordinateur portable.

« Licenciements sauvages »Comme StĂ©phane, ils sont des mil­liers Ă  ĂȘtre sur la sellette. Car, pour amortir le choc de la crise Ă©cono­mique, la direction de ce sous­trai­tant ne voile pas ses intentions. La sociĂ©tĂ© d’ingĂ©nierie, qui fait face Ă  une baisse d’activitĂ© de 38 % sur l’annĂ©e 2020, envisage de tailler dans les effectifs de sa bran­che aĂ©ronautique « si la reprise ne se matĂ©rialise pas », indique­t­ellesur son site Internet. Ses bureaux de Blagnac, qui comptent 2 200 personnes, sont trĂšs dĂ©pen­dants d’Airbus et des Ă©quipemen­tiers de rang 1. Ils pourraient se sé­parer de 1 150 postes.

Depuis le 5 novembre, des rĂ©u­nions de consultation autour de l’activitĂ© partielle de longue durĂ©e (APLD) sont l’épicentre desdiscussions. La CGT craint qu’un plan de sauvegarde de l’emploi(PSE) se dessine en bout de piste.« Il faut utiliser les moyens exis­tants, comme les dĂ©parts volontai­res Ă  la retraite, pour redonner de l’espoir aux salariĂ©s, qui sont

découragés », martÚle Franck La­borderie, son secrétaire général.

Berceau de l’aĂ©ronautique, l’Oc­citanie comptait, en 2019, 1 100 en­treprises de toutes tailles et 110 000 emplois. Avec la crise liĂ©e Ă la pandĂ©mie de Covid­19, les com­pagnies ont garĂ© leurs avions et cessĂ© toute rĂ©ception de nou­veaux engins, fragilisant Airbus. Dans le sillage de l’avionneur, toute une filiĂšre accuse le coup. Car, si le donneur d’ordre coupe dans ses effectifs, il rĂ©duit aussi sesdĂ©penses d’ingĂ©nierie.

« Avant la crise, les entreprisesd’ingĂ©nierie rencontraient des difficultĂ©s Ă  attirer tous les ans6 000 Ă  10 000 personnes, assure Pierre Verzat, prĂ©sident de Syn­tec­IngĂ©nierie, fĂ©dĂ©ration pro­fessionnelle qui regroupe400 entreprises. Malheureuse­ment, 20 000 emplois sont mena­cĂ©s en France, dont 5 000 Ă  Tou­louse. Tout un tissu de sous­trai­tants de rang 2, pour l’instant sousapnĂ©e avec les prĂȘts garantis par l’Etat [PGE], va dĂ©poser le bilan. »

Outre Akka, Expleo, Altran ouAlten sont dans la tourmente. Ce dernier groupe a vu son chiffre d’affaires reculer de plus de 18 %

au troisiĂšme trimestre, selon l’Agefi­Dow Jones. Et selon la CGT, il procĂ©derait Ă  des « licencie­ments sauvages » parmi ses Ă©qui­pes toulousaines. Selon François Michaud, le dĂ©lĂ©guĂ© syndical, « 321 personnes ont quittĂ© la sociĂ©tĂ©entre la fin avril et le 31 juillet ».

C’est le cas de Marie. En « inter­contrat », comprendre sans mis­sion, depuis la fin du mois de mai,la jeune consultante de 25 ans areçu une lettre de licenciementpour faute grave dĂ©but juillet,avec effet immĂ©diat. « Je n’ai ja­

mais reçu de convocation pour un entretien prĂ©alable, souligne laconsultante, qui explique que la direction lui reproche son incom­pĂ©tence. C’est violent. J’ai dĂ» m’as­seoir pour encaisser. Avec le recul, je sais que je fais partie du lot etque je n’ai rien Ă  me reprocher. »

Ce scĂ©nario se rĂ©pĂšte pour Jeanet Pierre, deux prĂ©noms d’em­prunt. Le premier dĂ©cide de refu­ser deux missions proposĂ©es qu’ilestime sous­qualifiĂ©es. « Elles necorrespondaient pas Ă  mes atten­tes », argumente ce jeune consul­tant qui vit toujours chez ses pa­rents, au sud de Toulouse. Le cou­peret tombe au mois d’aoĂ»t, il est poussĂ© vers la sortie.

Pierre, petite trentaine, « joue lejeu » du groupe et accepte de re­joindre un client du sous­traitant dans les Bouches­du­RhĂŽne, bien que cette dĂ©cision n’enchante pas ce pĂšre de famille toulousain qui attend un second enfant. MalgrĂ© son accord de principe, ce chef de projet en poste depuis 2016 pointe aujourd’hui Ă  PĂŽle emploi.

Abasourdis et furieux, Marie,Jean et Pierre font le choix de « se révolter » contre le groupe, épau­lés par la CGT. Avec une vingtaine

de consultants Ă©vincĂ©s d’Altendans des conditions similaires, ilsenvisagent de saisir le conseil des prud’hommes. « [Au prĂ©ala­ble] nous demandons Ă  la direc­tion de revoir la qualification de nos licenciements pour que l’onpuisse toucher nos indemnitĂ©s »,insiste Pierre, « amĂšrement déçu ». Une proposition qui de­meure sans rĂ©ponse, pour l’heure.

Chez Expleo, une autre sociĂ©tĂ©de conseil, l’incertitude plane sur un millier de postes. ValĂ©rie, l’unede ses employĂ©es, ne se dĂ©cou­rage cependant pas. MalgrĂ© l’arrĂȘtde sa mission fin octobre, cette in­gĂ©nieure utilise son temps librepour amĂ©liorer son anglais. « Jeme fais conseiller pour envisagerd’autres possibilitĂ©s afin de rester dans le groupe », insiste­t­elle. L’une des pistes envisagĂ©es est la formation aux mĂ©tiers du numé­rique. « Je ne suis pas inquiĂšte, j’ai un bon CV », veut­elle croire.

Pendant ce temps, son em­ployeur est entré en négociation avec les organisations syndicales. Le 1er décembre, les conclusions des tractations ont été transmisesà ses syndicats (CGT, CFTC et CFE­CGC). Deux accords sont en at­

La pandĂ©mie cause l’annulation de l’édition 2021 du salon du BourgetAprĂšs avoir envisagĂ© de reporter la manifestation Ă  d’autres dates, les organisateurs ont finalement jetĂ© l’éponge

U ne de plus ! Sans surprise,les organisateurs ont an­noncé, lundi 7 décembre,

l’annulation de la 54e Ă©dition du Salon international de l’aĂ©ronauti­que et de l’espace (SIAE), qui devait avoir lieu au Bourget (Seine­Saint­Denis) du 21 au 27 juin 2021. Cette fois encore, c’est la pandĂ©mie qui aura eu raison de la plus impor­tante manifestation internatio­nale consacrĂ©e Ă  l’aĂ©ronautique. L’épidĂ©mie de Covid­19 avait dĂ©jĂ  conduit les organisateurs du salonde Farnborough, le pendant bri­tannique, chaque annĂ©e paire, du Bourget, Ă  renoncer Ă  leur mani­festation prĂ©vue en juillet 2020.

Avant de jeter l’éponge, les orga­nisateurs du Bourget ont, selon nos informations, envisagĂ© d’au­

tres hypothĂšses. Ils ont d’abord tentĂ© de reporter la manifestation en septembre. Une solution aban­donnĂ©e notamment en raison d’un calendrier trop chargĂ© et de laconcurrence du salon des inté­rieurs d’avions, prĂ©vu au mĂȘme moment Ă  Hambourg (Allema­gne). Le conseil d’administration du SIAE a aussi testĂ© l’idĂ©e de dĂ©ca­ler le Bourget d’un an. Une idĂ©e Ă©cartĂ©e car, en juillet 2022, devrait se tenir le salon de Farnborough dans la banlieue de Londres.

Enfin, les organisateurs ont aussitestĂ©, un temps, un projet de « Bourget dĂ©gradĂ© », croit savoir unĂ©quipementier de premier plan. Un salon sans les chalets des grands noms de l’aĂ©ronautique, et surtout sans les journĂ©es « grand

public ». Une hypothĂšse qui aura fait long feu. Face aux incertitudes sur l’évolution de la pandĂ©mie, les organisateurs n’ont pas souhaitĂ© prendre le risque de faire venir, comme lors de l’édition 2019, 140 000 professionnels et plus de 177 000 visiteurs grand public.

ConsidĂ©rations « morales »L’annulation du Bourget ne de­vrait rien changer au dynamisme commercial des acteurs de l’aĂ©ro­nautique. « Un salon, ce n’est pas un endroit ou l’on vend mais un lieu de relations publiques », fait savoir un grand Ă©quipementier du secteur. Pourtant, Airbus etBoeing adorent s’y dĂ©fier Ă  grand renfort d’annonces de comman­des gĂ©antes d’avions. « Le Bourget,

c’est le moment ou l’on a l’opportu­nitĂ© de voir pendant cinq jours tous les gens qui comptent dans l’aĂ©ronautique », pointe le mĂȘmeĂ©quipementier. « C’est un rendez­vous important car tout le monde est lĂ  au mĂȘme endroit, au mĂȘme moment », surenchĂ©rit Airbus.

Selon l’un des plus importantssous­traitants, l’annulation du Bourget serait aussi liĂ©e Ă  des considĂ©rations « morales ». A l’en croire, il y aurait eu une certaine indĂ©cence Ă  laisser les Airbus, Safran et consorts tenir salon alorsque « beaucoup d’entreprises du secteur ont signĂ© des accords d’ac­tivitĂ© partielle de longue durĂ©e ». Du chĂŽmage partiel financĂ© en grande partie par l’Etat, complĂ©tĂ© par des coupes claires dans les ef­

fectifs des compagnies aĂ©riennes ou chez les sous­traitants. Pour les fleurons de l’aĂ©ronautique, la fac­ture d’un Bourget peut ĂȘtre lourde.D’environ 5 millions d’euros pour Safran jusqu’à 15 millions d’euros pour Airbus ou Boeing.

Pour ses organisateurs, l’édition2023 du Bourget devrait ĂȘtre celle « du renouveau » de l’aĂ©ronauti­que. Selon les derniĂšres prĂ©vi­sions, l’activitĂ© du secteur devrait reprendre progressivement au cours des trois prochaines annĂ©es.C’est le segment du court et du moyen­courrier qui devrait repar­tir le premier, d’ici fin 2021 ou dé­but 2022. Un an plus tard, fin 2022 ou dĂ©but 2023, le trafic rĂ©gional de­vrait ĂȘtre de retour, avant que l’ac­tivitĂ© long­courrier ne reprenne

ses droits avec douze mois de dé­calage supplémentaire.

Un optimisme que justifie no­tamment le feu vert reçu de la partdes autoritĂ©s amĂ©ricaines pour le 737 MAX de Boeing, immobilisĂ© depuis mars 2019. L’appareil pourra revoler d’ici Ă  la fin de l’an­nĂ©e aux Etats­Unis. Une autorisa­tion qui a dĂ©jĂ  relancĂ© les com­mandes. La compagnie irlan­daise Ryanair vient de passer com­mande de 75 exemplaires du moyen­courrier. Les passagers ont, semble­t­il, aussi hĂąte de re­prendre l’avion. Les rĂ©servations ont Ă©tĂ© multipliĂ©es par quatre de­puis l’annonce par Emmanuel Ma­cron, d’un possible dĂ©confine­ment Ă  partir du 15 dĂ©cembre.

guy dutheil

Le site d’Akka Technologies, à Blagnac (Haute­Garonne), le 6 novembre.DENISE ROSSANO/MAXPPP

« Tout un tissude sous-traitants

de rang 2, pourl’instant sous apnĂ©e avec

les prĂȘts garantispar l’Etat, va

déposer le bilan »PIERRE VERZAT

président de Syntec-Ingénierie

tente de signature, le premier sur un plan de sauvegarde de l’emploiet le second sur l’activitĂ© partielle de longue durĂ©e


Altran a pour sa part optĂ© pourune autre stratĂ©gie. Le groupe veut transfĂ©rer 2 000 consultants aĂ©ronautiques de son site de Bla­gnac vers une structure juridi­quement indĂ©pendante, baptisĂ©e « Toulouse Engineering Center » (TEC). A cette rĂ©organisation s’ajoute un accord de perfor­mance collective (qui prĂ©voit des baisses de salaire) pour ces mĂȘ­mes salariĂ©s. Selon la CGT, les dis­cussions autour de ce dispositifsont pour l’instant suspendues.

Alors que l’Etat et la rĂ©gion ontdĂ©bloquĂ© quelque 15 milliards d’euros de fonds pour soutenir toute la filiĂšre, les entreprises de conseil ne voient rien venir. « Ces plans sont tournĂ©s vers les avion­neurs et les entreprises de rang 1qui disposent de bureaux d’études en interne », regrette Pierre Verzat.« Cet argent ne ruisselle pas natu­rellement vers les autres. On se doitd’aller chercher des financements au niveau europĂ©en », prĂ©conise leprĂ©sident du Syntec­IngĂ©nierie.

audrey sommazi

Page 19: Le Monde - 09 12 2020

Aujourd’hui plus que jamais,il est essentiel de travailler tousensemble face au COVID-19Facebook collabore avec prĂšs de 100 gouvernements et organismes Ă travers le monde, comme l’Organisation mondiale de la SantĂ© ou le CentreeuropĂ©en de prĂ©vention et de contrĂŽle des maladies, pour partager desinformations fiables sur le COVID-19 Ă  travers nos plateformes. Ensemble,nous dĂ©veloppons des ressources qui offrent Ă  tous des informationsprĂ©cises en temps rĂ©el, pour mieux lutter contre la pandĂ©mie.

‱ En Espagne, la Banque mondiale utilise les cartes de prĂ©vention desmaladies de Facebook pour planifier les besoins de tests COVID-19 etde lits d’hĂŽpitaux.

‱ Les Ă©pidĂ©miologistes et les spĂ©cialistes de santĂ© français et italiensutilisent la technologie de Facebook pour anticiper la propagationvirale du COVID-19 et identifier les communautĂ©s les plus Ă  risque.

‱ Nous avons travaillĂ© avec les gouvernements europĂ©ens pourdĂ©velopper des chatbots sur WhatsApp afin de rĂ©pondre rapidementet prĂ©cisĂ©ment aux questions de santĂ©.

Découvrez-en plus sur nos initiatives pour protéger et informer lescommunautés sur about.fb.com/fr/europe

Page 20: Le Monde - 09 12 2020

20 | Ă©conomie & entreprise MERCREDI 9 DÉCEMBRE 20200123

Quarante ans d’un lent dĂ©clin europĂ©enSources : FMI, Eurostat, Rexecode, IĂ©seg, ONU, WIL, NatixisInfographie : Le Monde

La zone euro pÚse de moins en moinslourd dans le PIB mondialLa zone euro pÚse de moins en moinslourd dans le PIB mondialEvolution de la part dans le PIB mondial en volume, en dollars, en parité de pouvoir d'achat

La richesse par habitant progresse un peu moins vite en Europe La richesse par habitant progresse un peu moins vite en Europe

La productivitĂ© par tĂȘte y est moins forteLa productivitĂ© par tĂȘte y est moins forte

L’Europe est pĂ©nalisĂ©e par un chĂŽmage plus Ă©levĂ© dans le SudL’Europe est pĂ©nalisĂ©e par un chĂŽmage plus Ă©levĂ© dans le Sud

La population du Vieux Continent stagneLa population du Vieux Continent stagne Mais l’Europe reste moins inĂ©galitaire que les Etats-UnisMais l’Europe reste moins inĂ©galitaire que les Etats-Unis

Evolution de la productivitĂ© par tĂȘte,en milliers de dollars

Taux de chĂŽmage mensuel, en %,octobre 2020

Evolution de la population depuis les annĂ©es 1980 jusqu’en 2050 (projections de l’ONU), en millions Evolution de la part du revenu national dĂ©tenue par Evolution du PIB par habitant en milliers de dollars constants,

paritĂ© de pouvoir d’achat

1980 2000 2020

Chine

18,5

16

12

Etats-Unis

Etats-UnisZone euro

Zone euro

0

5

10

15

20

25

1 % les plus riches 50 % les plus pauvres

Taux de croissance annuelle moyenne entre 2008 et 2019 (PIB réel)

La croissance est moins dynamique qu’aux Etats-UnisLa croissance est moins dynamique qu’aux Etats-Unis

1,85

1,261,21

1,040,98

0,59

– 0,26

0

Italie

Etats-Unis

Royaume-UniAllemagne

Union européenneFrance

Espagne

0,82 Zone euro

70

60

50

40

30

20

10

0

1980 2000 2020 1960 2019

Chine16,3

Espagne36,1Italie37,9

France43

Allemagne50,7

Etats-Unis59,6

61224.3 17571.5 52835.2 45469.9 39930.6 38632.1

150

120

90

60

30

0

78,4

132,7

GrĂšce

Espagne

Italie

France

UE 28

Portugal

Etats-Unis

Allemagne 4,5

6,9

7,5

7,6

8,6

9,8

16,2

17

Chine

Etats-Unis

1 402

710

379

Europe

1 500

1 200

900

600

300

0

1980 2025 2050Corée du Sud

Japon

Allemagne

Etats-Unis

France

Chine

UE 28

Italie

Espagne 1,3

1,4

2,1

2,2

2,8

3,1

3,3

4,5

2,1

L’Asie et les Etats-Unis investissent plus dans la rechercheL’Asie et les Etats-Unis investissent plus dans la recherche

Dépenses de recherche et développementen % du PIB, en 2018

9

5

13

17

21

9

5

13

17

21

12,5

21

11

18

1980 1995 2010 2017

1980 1995 2010 2017

EuropeEurope

Etats-UnisEtats-Unis

C O N J O N C T U R E

En Chine, la page du Covid­19 est d’ores et dĂ©jĂ  tournĂ©eAu contraire des Etats­Unis ou des grandes Ă©conomies d’Europe, le pays Ă©vitera la rĂ©cession en 2020

pékin ­ correspondant

Q uel symbole privilĂ©gier ?L’introduction en Bourse,Ă  Hongkong, de la divi­sion santĂ© du gĂ©ant du

commerce en ligne JD. com, mardi8 dĂ©cembre, une opĂ©ration qui de­vrait rapporter 3,5 milliards de dol­lars et illustrer l’opportunitĂ© que lacrise due au Covid­19 reprĂ©sente pour la tech chinoise ? L’annonce par PĂ©kin, vendredi 4 dĂ©cembre, d’un nouveau record dans la vi­tesse de calcul offerte par l’infor­matique quantique ?

Jiuzhang, c’est le nom de l’ordi­nateur, peut, paraĂźt­il, calculer en deux cents secondes une opĂ©ra­tion qui aurait pris six cents mil­lions d’annĂ©es Ă  un superordina­teur « classique ». Le retour sur Terre, ce week­end, de la mission Chang’e 5, qui a permis Ă  la Chine de planter le drapeau rouge aux cinq Ă©toiles jaunes sur la Lune ? Ouencore le raccordement au rĂ©seau Ă©lectrique, le 27 novembre, de Hualong One, le premier rĂ©acteur

chinois nucléaire de troisiÚme gé­nération à eau pressurisée, mar­quant, selon son constructeur, CNNC, « la fin du monopole étran­ger sur le nucléaire » ?

En cette fin d’annĂ©e 2020, laChine multiplie les annonces spectaculaires : de l’éradication de la pauvretĂ© en zone rurale Ă  la con­quĂȘte spatiale, en passant par le lancement de la premiĂšre mon­naie digitale nationale. Autant d’initiatives destinĂ©es Ă  montrer « la supĂ©rioritĂ© du systĂšme socia­liste aux caractĂ©ristiques chinoi­

ses », mais qui indiquent qu’un an aprĂšs l’apparition du Covid­19 le pays est clairement dans une phase « post­épidĂ©mie », alors que l’Occident n’en voit pas la fin.

AprĂšs 4,9 % – en rythme annuel –au troisiĂšme trimestre, la Chine devrait afficher une croissance su­pĂ©rieure Ă  5 % au quatriĂšme tri­mestre, lui permettant de rĂ©aliser sur l’annĂ©e une croissance com­prise entre 2 % et 2,5 %. Nettement moins que les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes,mais bien plus que les 19 autres membres du G20 qui pourraient, tous, connaĂźtre une rĂ©cession cette annĂ©e. Certains Ă©conomistes prĂ©voient mĂȘme une croissance chinoise de 8 % Ă  9 % en 2021. Un vrai feu d’artifice.

Contrairement Ă  ce que l’onpourrait penser, cette situation n’est pas due aux consommateurschinois qui se seraient remis Ă  dé­penser alors que dans le reste du monde les populations confinĂ©es Ă©pargneraient. Tout se passe comme si la Chine s’était substi­tuĂ©e aux industriels occidentaux

handicapés par le confinement pour leur ravir des parts de mar­ché. Selon les chiffres publiés lundi 7 décembre, les exporta­tions chinoises ont bondi en no­vembre de 21,1 % par rapport à no­vembre 2019. Une progression bien supérieure aux 12 % prévus par les spécialistes. Cela fait main­tenant six mois que les exporta­tions sont reparties de plus belle.

Soutien Ă  la demandeJamais depuis dix ans l’index Caixin reflĂ©tant l’activitĂ© manu­facturiĂšre n’a Ă©tĂ© aussi Ă©levĂ©. Les Occidentaux veulent se protĂ©gercontre le virus ? Ils achĂštent des masques made in China. Ils s’en­nuient chez eux et achĂštent le der­nier gadget Ă©lectronique Ă  la mode ? LĂ  aussi, c’est du « made in China ». En revanche, les importa­tions chinoises n’ont augmentĂ© que de 4,5 %. C’est le troisiĂšme mois d’affilĂ©e qu’elles progres­sent, mais Ă  un rythme moindre que prĂ©vu et surtout bien infé­rieur Ă  celui des exportations. Au

point que les ports chinois man­quent de conteneurs. DĂ©sespĂ©ré­ment vides, ceux­ci attendent leclient Ă  New­York, Rotterdam ou Sydney. Logiquement, l’excĂ©dent commercial chinois bondit pour atteindre 75,42 milliards de dollarsen novembre, en hausse de 102,9 % sur un an. Manifestement,la guerre tarifaire lancĂ©e par le pré­sident amĂ©ricain Donald Trump contre la Chine a fait long feu.

Puisque le consommateur chi­nois continue de se montrer pru­dent – Ă  l’exception des plus riches qui n’ont pas vu leur pouvoir d’achat s’effondrer en dĂ©but d’an­nĂ©e – l’Etat poursuit sa politique desoutien Ă  la demande. Vendredi a Ă©tĂ© annoncĂ©e la construction dansles cinq ans de 10 000 km de voies ferrĂ©es supplĂ©mentaires pour mieux connecter les agglomĂ©ra­tions dans trois rĂ©gions : autour dePĂ©kin, autour de ShanghaĂŻ et, dansle sud, autour de Canton et Shen­zhen. Objectif : « encourager le dé­veloppement coordonnĂ© des trois rĂ©gions­clĂ©s, booster la connectivitĂ©

et alimenter la croissance économi­que », explique le trÚs officiel ChinaDaily. Celui­ci ne précise pas le montant de la facture.

Alors que les finances publiqueschinoises constituent une Ă©nigmequ’aucun ordinateur quantique n’a encore rĂ©ussi Ă  rĂ©soudre, lesautoritĂ©s semblent sur le qui­vive. Jeudi 3 dĂ©cembre, la Banque cen­trale de Chine et la commission derĂ©gulation de la banque et de l’as­surance ont publiĂ© les critĂšres pru­dentiels que doivent respecter les plus grandes banques du pays, ces institutions considĂ©rĂ©es comme trop importantes pour qu’une faillite soit envisageable.

Selon les experts, les critĂšres re­tenus engloberaient dĂ©sormais 20 banques et non plus 13 comme prĂ©cĂ©demment. Une façon pourPĂ©kin de contrĂŽler plus Ă©troite­ment des banques rĂ©gionales qui, jusqu’ici, passaient sous les ra­dars. Probable locomotive de la re­prise mondiale en 2021, la Chine sedoit d’éviter tout dĂ©raillement.

frédéric lemaßtre

« C’EST LA TROISIÈME CRISE MAJEURE POUR 

L’EUROPE EN DIX ANS [APRÈS LA 

CRISE FINANCIÈRE DE 2008 ET CELLE 

DE L’EURO DE 2010­2015] Â»

KLAAS KNOTgouverneur

de la Banque centrale des Pays-Bas

TOUT SE PASSE COMME SI LE PAYS S’ÉTAIT SUBSTITUÉAUX INDUSTRIELS 

OCCIDENTAUX HANDICAPÉS PAR LE CONFINEMENT

L’EUROPE QUI DÉCROCHE 1|5 Depuis les annĂ©es 1980, le poids Ă©conomique du Vieux Continent dans le monde diminue. La pandĂ©mie de Covid­19 pourrait accĂ©lĂ©rer le mouvementE conomiquement, l’Europe dé­

croche. Ce n’est pas une opi­nion, mais un fait objective­ment mesurable. En 1981, lesEtats­Unis et les dix­neuf paysqui constituent aujourd’hui la

zone euro pesaient 21 % de l’économie mon­diale chacun ; presque quarante ans plustard, leur part est passĂ©e respectivement Ă 16 % et 12 %. Pendant le mĂȘme temps, le poids de la Chine a bondi de 2 % Ă  18 %. Que l’empire du Milieu, avec 1,4 milliard d’habi­tants, soit passĂ© devant relĂšve largementd’un rattrapage logique. Le dĂ©clin europĂ©en, en revanche, a Ă©tĂ© bien plus rapide que celui des Etats­Unis.

Les Ă©conomistes sont presque unanimessur le constat. « Sur le diagnostic, il n’y a pas photo », regrette Gilles MoĂ«c, Ă©conomiste en chef Ă  Axa. « De 2008 Ă  2019, la croissance amĂ©ricaine a Ă©tĂ© de 1,85 % par an, celle de la zone euro de 0,82 %, environ deux foismoins », prĂ©cise Eric Dor, directeur de la re­cherche Ă©conomique Ă  l’école de commerce IĂ©seg. Le dĂ©crochage, qui s’était attĂ©nuĂ© dansles annĂ©es 2000, s’est accĂ©lĂ©rĂ© avec la crise de la zone euro Ă  partir de 2010. « Ces quinze derniĂšres annĂ©es, l’Europe a peinĂ© Ă  apporter la prospĂ©ritĂ© promise », rĂ©sume ClemensFuest, prĂ©sident de l’institut de conjoncture munichois IFO.

La pandĂ©mie risque d’accentuer le phĂ©no­mĂšne. En 2020, la rĂ©cession sera de 3,7 % aux

Etats­Unis, contre 7,5 % en zone euro, selonl’Organisation de coopĂ©ration et de dĂ©velop­pement Ă©conomiques (OCDE). Les AmĂ©ri­cains auront retrouvĂ© fin 2021 leur niveau Ă©conomique d’avant la pandĂ©mie de Co­vid­19. Du cĂŽtĂ© europĂ©en, il faudra attendre presque un an de plus. « C’est la troisiĂšme crise majeure pour l’Europe en dix ans [aprĂšs la crise financiĂšre de 2008 et celle de l’euro de 2010­2015] », rappelle Klaas Knot, le gou­verneur de la Banque centrale des Pays­Bas.

« UNE RÉPONSE COMMUNE FORTE, RAPIDE »Il faut, bien sĂ»r, moduler le constat : mesurĂ© en produit intĂ©rieur brut (PIB) par habitant, ledĂ©crochage europĂ©en demeure, mais il estmoins fort, et certains Etats, comme l’Allema­gne et les pays scandinaves, s’en tirent mieux.Par ailleurs, les inĂ©galitĂ©s aux Etats­Unis sont bien plus Ă©levĂ©es, et l’espĂ©rance de vie y baisse, preuve d’un profond malaise du mo­dĂšle amĂ©ricain. Comment expliquer, malgrĂ© tout, le dĂ©crochage europĂ©en ?

Le Monde a dĂ©cidĂ© de se pencher pendantune semaine sur le sujet, pour tenter d’en

analyser les causes profondes : dĂ©mogra­phie faiblissante, innovation en berne, dé­fauts de construction de la monnaie uni­que, dĂ©sindustrialisation


Dresser ce constat aujourd’hui peut sem­bler paradoxal. Depuis le dĂ©but de la pandé­mie, la rĂ©action de l’Union europĂ©enne (UE) a positivement surpris. En mars, la Banquecentrale europĂ©enne (BCE) a rĂ©agi vite et massivement, dĂ©bloquant un grand pro­gramme de rachat de dettes, permettant de conserver les taux d’intĂ©rĂȘt au plancher.Mieux encore, les Vingt­Sept se sont mis d’accord, en juillet, sur un plan de relancecommun de 750 milliards d’euros.

Pour la premiĂšre fois de l’histoire, les payseuropĂ©ens acceptent d’emprunter ensem­ble. Cette enveloppe comprend 390 mil­liards d’euros de subventions, qui profite­ront en premier lieu aux plus touchĂ©s par la pandĂ©mie, Espagne et Italie en tĂȘte (le restedoit ĂȘtre des emprunts). « L’Europe vient d’en faire plus en six mois que ces dix derniĂšres an­nĂ©es, avec une rĂ©ponse commune forte et ra­pide, comportant un volet social », salue En­

rico Letta, ancien prĂ©sident du conseil ita­lien (2013­2014) et doyen de l’Ecole des affaires internationales de Sciences Po.

Les errements commis pendant la crise dela zone euro ne semblent pas avoir Ă©tĂ© re­produits. A l’époque, les pays europĂ©ens avaient, dĂšs 2011, instaurĂ© des politiques d’austĂ©ritĂ© simultanĂ©es pour ramener det­tes et dĂ©ficits vers les critĂšres de Maastricht (60 % et 3 % du PIB). Celles­ci ont stoppĂ© lafragile reprise et semĂ© le doute sur la soli­ditĂ© de l’euro, attisant la spĂ©culation contre ses supposĂ©s maillons faibles : GrĂšce, Italie,Espagne et Portugal.

« POLITIQUE ÉCONOMIQUE SUBOPTIMALE »Mais les leçons en ont­elles vraiment Ă©tĂ© ti­rĂ©es ? « Les EuropĂ©ens sont en chemin pour re­faire les mĂȘmes erreurs qu’il y a une dĂ©cennie, prĂ©vient Shahin VallĂ©e, membre du think tank DGAP, le Conseil allemand des relations extĂ©rieures. Notre relance n’est pas Ă  la hau­teur. Les montants annoncĂ©s paraissent colos­saux, mais, quand on regarde les sommes deprĂšs, on voit qu’il y a beaucoup d’artifices. » Selon la sociĂ©tĂ© de services financiers suisse UBS, les diffĂ©rents plans de soutien Ă©conomi­que au sein de l’UE atteignent 4,6 % du PIB, contre 10,7 % aux Etats­Unis.

MĂȘme le fameux plan de 750 milliardsd’euros est moins spectaculaire qu’il n’y pa­raĂźt. D’abord, ses modalitĂ©s d’applicationsont encore en discussion, dans des nĂ©gocia­

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tions acrimonieuses Ă  Bruxelles. Ensuite, mĂȘme si un accord est trouvĂ©, l’argent n’arri­vera pas seulement courant 2021, et les ver­sements s’étaleront sur plusieurs annĂ©es.Enfin, seuls les dons de 390 milliards d’eurosreprĂ©sentent un vrai changement. Pour lesemprunts, les pays peuvent dĂ©jĂ  les faire par eux­mĂȘmes, Ă  des taux Ă  peine moins bons que ceux dont bĂ©nĂ©ficie l’UE (0,6 % pour l’Italie, 0 % pour l’UE, par exemple).

En parallĂšle, les tenants de la disciplinebudgĂ©taire refont surface. En Allemagne, les discussions tournent dĂ©jĂ  autour d’un re­tour Ă  l’équilibre dĂšs 2022, s’inquiĂšte M. Val­lĂ©e. « Un retour d’une crise de la monnaie uni­que n’est pas le plus probable, mais on se di­rige encore une fois vers une politique Ă©conomique suboptimale. » M. Dor abonde dans le mĂȘme sens : « Ma crainte est qu’on se remette Ă  se battre comme des chiffonniers[entre EuropĂ©ens] une fois que l’urgence de lacrise sera passĂ©e. » Bref, le dĂ©crochage risque de continuer


Les ratĂ©s de la politique Ă©conomique euro­pĂ©enne n’expliquent cependant pas tout.« MĂȘme sans prendre en compte la crise liĂ©eau Covid, la croissance potentielle tourneautour de 2 % aux Etats­Unis, contre 1 % enmoyenne en Europe », dĂ©taille Patrick Artus, Ă©conomiste en chef de Natixis. Pour faire simple, celle­ci dĂ©pend de trois grands fac­teurs : la quantitĂ© de personnes qui tra­vaillent (plus la population active grandit, plus la croissance progresse), la quantitĂ©d’investissements et la productivitĂ©. « Sur ces trois facteurs, l’Europe n’est pas bien pla­cĂ©e », souligne M. MoĂ«c.

FAIBLE NATALITÉDu cĂŽtĂ© de la dĂ©mographie, les chiffres sont vertigineux : selon les projections centralesdes Nations unies, la population de l’Allema­gne devrait fondre de 83 millions d’habi­tants en 2020 Ă  80 millions en 2050, celle del’Italie, de 60 millions Ă  54 millions, celle de l’Espagne, de 47 millions Ă  43 millions, tan­dis que celle des Etats­Unis grimpera de 330 millions Ă  379 millions.

Outre la faible natalitĂ©, le sud et l’est del’Europe pĂątissent Ă©galement d’une forte Ă©migration. Ollolai, Borgomezzavalle, Fab­briche di Vergemoli, Nulvi, Regalbuto
 En Italie, les histoires de villages vendant des maisons Ă  1 euro dans l’espoir de faire reve­nir des habitants font rĂ©guliĂšrement la « une » des journaux. En 2019, le Portugal a lancĂ© le programme « Regressar » (« ren­trer »), offrant jusqu’à 6 530 euros aux jeunespartis pendant la crise et qui acceptent de re­venir, au succĂšs limitĂ©. « Ce vieillissement europĂ©en se traduit aussi par un excĂšs d’épar­gne, une moindre consommation et un inves­tissement peu dynamique », remarque Phi­lippe Martin, prĂ©sident dĂ©lĂ©guĂ© du Conseild’analyse Ă©conomique (CAE).

Du cĂŽtĂ© de l’innovation, les entreprisesamĂ©ricaines ont pris le virage de la transition numĂ©rique plus vite que leurs homologueseuropĂ©ennes. Une illustration ? « Pendant le confinement, beaucoup d’entre nous ont tra­vaillĂ© sur Zoom, un outil de confĂ©rence Ă  dis­tance amĂ©ricain, parce qu’il n’y a pas d’équiva­lent europĂ©en », regrette M. Fuest, de l’IFO. Sans parler des Google, Amazon, Facebook et Apple (GAFA), tous nĂ©s outre­Atlantique.

Ce retard est en partie une question d’ar­gent. Les dĂ©penses en R&D s’élĂšvent ainsi Ă 

2,2 % du PIB de l’UE, contre 2,8 % aux Etats­Unis, et plus de 4 % en CorĂ©e du Sud, selon Eurostat. Les AmĂ©ricains disposent, en outre, de vastes marchĂ©s financiers favora­bles au financement des start­up, sans Ă©qui­valent europĂ©en. Et, surtout, d’un Ă©cosys­tĂšme plus favorable Ă  l’innovation : lien fort entre les grandes universitĂ©s telles que le Massachusetts Institute of Technology (MIT)et l’industrie, soutien de l’armĂ©e Ă  la recher­che publique, culture de l’entrepreneuriat plus audacieuse. De son cĂŽtĂ©, l’Etat chinoissubventionne massivement les secteursqu’il juge stratĂ©giques.

Face Ă  un tel activisme, l’Europe paie chersa prudence et ses divisions, estimeM. Fuest. « La Chine teste dĂ©jĂ  des voitures Ă©lectriques autonomes dans ses villes, Ă  faiblevitesse, pourquoi n’en faisons­nous pasautant, Ă  Munich ou ailleurs ?, regrette­t­il. Nous Ɠuvrons Ă  protĂ©ger les donnĂ©es privĂ©es,mais, pendant ce temps, les entreprises amé­ricaines en font un marchĂ©. »

DIVERGENCES ENTRE LES PAYSS’ajoute Ă  cela une sĂ©rie de problĂšmes natio­naux, avec de fortes divergences entre les pays. Si, au dĂ©but des annĂ©es 2000, l’éti­quette d’« homme malade de l’Europe » in­combait Ă  l’Allemagne, Ɠuvrant pĂ©nible­ment Ă  sa rĂ©unification, celle­ci est dĂ©sor­mais accolĂ©e Ă  l’Italie. PiĂ©gĂ©e dans une croissance quasi nulle depuis vingt ans, pé­nalisĂ©e par une dette publique qui devraitfrĂŽler les 150 % du PIB cette annĂ©e, la PĂ©nin­sule est minĂ©e par la division entre le Nordindustriel et le Mezzogiorno du Sud. Plus pauvre, celui­ci a vu son tissu Ă©conomique se dĂ©liter aprĂšs la privatisation des grandesentreprises d’Etat, dans les annĂ©es 1980, lais­sant le terrain aux mafias.

De son cĂŽtĂ©, l’Espagne est aujourd’huimise Ă  genoux par sa trop forte dĂ©pendance au tourisme, aprĂšs avoir Ă©tĂ© soufflĂ©e par l’ex­plosion de sa bulle immobiliĂšre lors de laprĂ©cĂ©dente crise. « Le dĂ©crochage europĂ©en est surtout celui du Sud », juge Charles Wy­plosz, Ă©conomiste Ă  l’Institut de hautes Ă©tu­des internationales et du dĂ©veloppement de GenĂšve. Parce que les finances publiques de ces pays, moins solides, leur laissent moins de marge de manƓuvre pour soutenir l’acti­vitĂ©. Parce que leurs Ă©conomies dĂ©pendent beaucoup plus du tourisme, secteur dura­blement fragilisĂ© par la crise sanitaire. Etparce que la douloureuse potion d’austĂ©ritĂ© qui a suivi la prĂ©cĂ©dente rĂ©cession a affaibli leur tissu social.

La rĂ©action rapide des institutions euro­pĂ©ennes pendant la pandĂ©mie donne des raisons d’espĂ©rer. Un scĂ©nario sombrepourrait cependant voir certains pays du Sud s’enfoncer dans les difficultĂ©s, au ris­que que cela nourrisse des tensions politi­ques. « Un retour Ă  l’orthodoxie Ă©conomiquetrop rapide peut, par exemple, conduire Ă une victoire de la Ligue du Nord [extrĂȘmedroite] en Italie, prĂ©vient M. Dor. On croit toujours qu’une sortie de l’UE ou de la zoneeuro est impossible, mais le Brexit a montrĂ©que c’était possible. » Le Brexit, dont l’entrĂ©een vigueur rĂ©elle le 1er janvier 2021 vient rappeler que l’histoire europĂ©enne est rem­plie d’accidents.

Ă©ric albert et marie charrel

Prochain Ă©pisode Les malfaçons de l’euro

Sources : FMI, Eurostat, Rexecode, IĂ©seg, ONU, WIL, NatixisInfographie : Le Monde

La zone euro pÚse de moins en moinslourd dans le PIB mondialLa zone euro pÚse de moins en moinslourd dans le PIB mondialEvolution de la part dans le PIB mondial en volume, en dollars, en parité de pouvoir d'achat

La richesse par habitant progresse un peu moins vite en Europe La richesse par habitant progresse un peu moins vite en Europe

La productivitĂ© par tĂȘte y est moins forteLa productivitĂ© par tĂȘte y est moins forte

L’Europe est pĂ©nalisĂ©e par un chĂŽmage plus Ă©levĂ© dans le SudL’Europe est pĂ©nalisĂ©e par un chĂŽmage plus Ă©levĂ© dans le Sud

La population du Vieux Continent stagneLa population du Vieux Continent stagne Mais l’Europe reste moins inĂ©galitaire que les Etats-UnisMais l’Europe reste moins inĂ©galitaire que les Etats-Unis

Evolution de la productivitĂ© par tĂȘte,en milliers de dollars

Taux de chĂŽmage mensuel, en %,octobre 2020

Evolution de la population depuis les annĂ©es 1980 jusqu’en 2050 (projections de l’ONU), en millions Evolution de la part du revenu national dĂ©tenue par Evolution du PIB par habitant en milliers de dollars constants,

paritĂ© de pouvoir d’achat

1980 2000 2020

Chine

18,5

16

12

Etats-Unis

Etats-UnisZone euro

Zone euro

0

5

10

15

20

25

1 % les plus riches 50 % les plus pauvres

Taux de croissance annuelle moyenne entre 2008 et 2019 (PIB réel)

La croissance est moins dynamique qu’aux Etats-UnisLa croissance est moins dynamique qu’aux Etats-Unis

1,85

1,261,21

1,040,98

0,59

– 0,26

0

Italie

Etats-Unis

Royaume-UniAllemagne

Union européenneFrance

Espagne

0,82 Zone euro

70

60

50

40

30

20

10

0

1980 2000 2020 1960 2019

Chine16,3

Espagne36,1Italie37,9

France43

Allemagne50,7

Etats-Unis59,6

61224.3 17571.5 52835.2 45469.9 39930.6 38632.1

150

120

90

60

30

0

78,4

132,7

GrĂšce

Espagne

Italie

France

UE 28

Portugal

Etats-Unis

Allemagne 4,5

6,9

7,5

7,6

8,6

9,8

16,2

17

Chine

Etats-Unis

1 402

710

379

Europe

1 500

1 200

900

600

300

0

1980 2025 2050Corée du Sud

Japon

Allemagne

Etats-Unis

France

Chine

UE 28

Italie

Espagne 1,3

1,4

2,1

2,2

2,8

3,1

3,3

4,5

2,1

L’Asie et les Etats-Unis investissent plus dans la rechercheL’Asie et les Etats-Unis investissent plus dans la recherche

Dépenses de recherche et développementen % du PIB, en 2018

9

5

13

17

21

9

5

13

17

21

12,5

21

11

18

1980 1995 2010 2017

1980 1995 2010 2017

EuropeEurope

Etats-UnisEtats-Unis

Le modĂšle amĂ©ricain gĂ©nĂšre plus de croissance, mais plus d’inĂ©galitĂ©sDurant la pandĂ©mie, les EuropĂ©ens ont optĂ© pour le chĂŽmage partiel. Les Etats­Unis ont, eux, distribuĂ© des chĂšques aux demandeurs d’emploi

C omment protéger les reve­nus des ménages face à lacrise économique la plus

brutale depuis la seconde guerre mondiale ? A cette question, les payseuropĂ©ens et les Etats­Unis ont, dans le sillage de la pandĂ©mie due aunouveau coronavirus, apportĂ© une rĂ©ponse de nature profondĂ©ment diffĂ©rente. Les premiers ont ins­taurĂ© de gĂ©nĂ©reux dispositifs dechĂŽmage partiel, afin de garantir unrevenu aux salariĂ©s en attendant qu’ils puissent reprendre leur poste. Les seconds ont laissĂ© les entrepri­ses licencier. Mais pour soutenir les demandeurs d’emploi, en complé­ment des indemnisations chĂŽmagelimitĂ©es, Washington leur a, dĂšs le printemps, distribuĂ© des chĂšques de600 dollars par semaine.

Résultat : le taux de chÎmage a étémultiplié par plus de quatre outre­Atlantique, passant de 3,5 % à 14,7 % entre février et avril, avant de redes­cendre à 8 % en septembre. Mais, grùce aux chÚques, les revenus desAméricains ont bondi de 10 % au deuxiÚme trimestre.

En Europe, le chĂŽmage a seule­ment progressĂ© de 6,5 % Ă  7,5 % en­tre fĂ©vrier et septembre. Les reve­nus des mĂ©nages ont, malgrĂ© tout, reculĂ© de 1,1 % en Allemagne, 2,3 %en France, 7,2 % en Italie au deuxiĂšme trimestre, notammenten raison d’une chute plus violentedu produit intĂ©rieur brut (PIB) enEurope (− 13,9 %, contre − 9 % auxEtats­Unis). Sur la fin de l’annĂ©e, enrevanche, les Ă©conomistes estimentque, passĂ© l’effet dopant des chÚ­ques, les revenus des mĂ©nages de­vraient, cette fois, se tasser auxEtats­Unis, frappĂ©s trĂšs durementpar la seconde vague de la pandé­mie, alors qu’ils devraient se main­tenir en Europe


« Destruction crĂ©atrice »VoilĂ  qui illustre le dĂ©bat rĂ©current entre les modĂšles sociaux amĂ©ri­cain et europĂ©en. Quel est le pluspertinent ? Tout dĂ©pend des indica­teurs sur lesquels on se penche.L’Europe – en particulier, les pays del’Ouest – a choisi de tisser un filet de protection limitant les effets les plusdouloureux des crises (allocationschĂŽmage et diverses protections so­ciales), plus ou moins efficacement selon les Etats.

Les dĂ©penses publiques socialess’élĂšvent ainsi Ă  31 % du PIB en France, selon l’Organisation de coo­pĂ©ration et de dĂ©veloppement Ă©co­

nomiques (OCDE), 28,2 % en Italie et 25,9 % en Allemagne, contre 18,7 %aux Etats­Unis. GrĂące Ă  ces amortis­seurs sociaux, les rĂ©cessions sont,en gĂ©nĂ©ral, moins douloureusespour les mĂ©nages, mais l’économierebondit moins vite.

Les Etats­Unis, eux, ont optĂ© pourla « destruction crĂ©atrice ». Les sala­riĂ©s sont nettement moins protĂ©gĂ©s et les emplois disparaissent vitependant les crises. Mais le rebond del’activitĂ© en recrĂ©e plus, et plus vitequ’en Europe, oĂč le chĂŽmage struc­turel est plus Ă©levĂ©. En outre, sil’Etat­providence amĂ©ricain est peudĂ©veloppĂ©, le budget fĂ©dĂ©ral et la Ré­serve fĂ©dĂ©rale (Fed, banque centrale)n’hĂ©sitent pas, en gĂ©nĂ©ral, Ă  ouvrir les vannes en grand pour soutenir temporairement l’économie pen­dant les crises. « En thĂ©orie, avec leur filet social plus limitĂ©, les Etats­Unis sont bien moins Ă©quipĂ©s pour faireface Ă  une crise d’une ampleur aussi vertigineuse que celle entraĂźnĂ©e par la pandĂ©mie, explique NicolasGoetzmann, Ă©conomiste en chef dela sociĂ©tĂ© de gestion d’actifs Finan­ciĂšre de la citĂ©. Mais leur rĂ©ponse budgĂ©taire forte a compensĂ© cettefaiblesse lors du pic de la rĂ©cession. »

En Ă©vitant des licenciements, lechĂŽmage partiel europĂ©en permet­tra aux PME qui ont conservĂ© leurs salariĂ©s de repartir rapidementquand la reprise se profilera. « Mais il risque aussi de “bloquer” une partiedes travailleurs dans certains sec­teurs qui peineront Ă  rebondir aprĂšs la crise, les empĂȘchant de se rĂ©orien­ter vers des entreprises plus dynami­ques, comme aux Etats­Unis », ajouteNicolas Goetzmann.

L’autre spĂ©cificitĂ© du modĂšle amé­ricain tient Ă  sa plus grande capacitĂ©Ă  gĂ©nĂ©rer de la croissance – en 2019, le PIB progressait encore de 2,2 %,

contre 1,7 % dans l’Union euro­pĂ©enne. C’est mĂȘme la dĂ©finition durĂȘve amĂ©ricain : une activitĂ© dyna­mique, permettant Ă  n’importe quide devenir prospĂšre grĂące Ă  son tra­vail et Ă  sa dĂ©termination.

Pendant longtemps, ce rĂȘve a tenuses promesses. Mais il connaĂźt de sé­rieux ratĂ©s depuis les annĂ©es 1980,notamment en raison des baisses d’impĂŽts et des dĂ©rĂ©gulations mas­sives lancĂ©es par le prĂ©sident RonaldReagan. Si, dans les annĂ©es 1960, le salaire minimum amĂ©ricain, alors leplus Ă©levĂ© au monde, atteignaitl’équivalent de 10 dollars par heure (en dollars de 2019), soit 8,30 euros,au niveau fĂ©dĂ©ral, il a nettementchutĂ© aprĂšs les annĂ©es 1980 :en 2019, il Ă©tait de 7,25 dollars.

Tendance prĂ©occupante« Depuis, le revenu des 50 % des Amé­ricains les plus pauvres n’a quasi­ment pas progressĂ© », souligne LucasChancel, codirecteur du Laboratoire sur les inĂ©galitĂ©s mondiales Ă  l’Ecoled’économie de Paris. D’aprĂšs les der­niers travaux de son Ă©quipe, le « top 1 % » des AmĂ©ricains les plus riches dĂ©tenait environ 21 % du revenu na­tional en 2017, contre 11 % en 1980 : leur part a doublĂ© en moins de qua­rante ans. Sur la mĂȘme pĂ©riode, le« top 1 % » des EuropĂ©ens est passĂ© de 8 % Ă  11 %. « DĂ©sormais, les Etats­Unis Ă©chouent Ă  gĂ©nĂ©rer de la prospé­ritĂ© pour tous et, surtout, pour les plus dĂ©munis », rĂ©sume M. Chancel.De fait, la part de revenu dĂ©tenue parla moitiĂ© la plus pauvre de la popula­tion amĂ©ricaine s’est effondrĂ©e de 20 % Ă  12,5 % depuis 1980. En Europe,elle est passĂ©e de 20 % Ă  18 %.

Cet Ă©cart entre les deux continentstient, bien sĂ»r, au systĂšme de redis­tribution, plus gĂ©nĂ©reux en Europe de l’Ouest, notamment en France ou en Scandinavie. Mais aussi Ă  tout ce qui se joue avant les prĂ©lĂšvements etles prestations sociales. « En Europe, ce sont surtout l’accĂšs gratuit Ă  l’édu­cation, la qualitĂ© et la facilitĂ© d’accĂšs aux services publics, aux transports,aux infrastructures qui expliquent le plus faible niveau des inĂ©galitĂ©s », ex­plique M. Chancel. Avant de prĂ©ve­nir : celles­ci ont Ă©galement ten­dance Ă  se creuser sur le Vieux Conti­nent, et cette tendance est prĂ©occu­pante. Notamment parce que la fiscalitĂ© y est de moins en moins pro­gressive, tandis que la crise de 2008 aaffaibli les filets de protection socialedans le sud de la zone euro.

m. c.

GRÂCE AUX AMORTISSEURS SOCIAUX, LES 

RÉCESSIONS SONT,EN GÉNÉRAL, MOINS 

DOULOUREUSES POUR LES MÉNAGES, MAIS 

L’ÉCONOMIE REBONDIT MOINS VITE

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Les restaurateurs déçus de l’accord trouvĂ© entre Bercy et les assureursLes primes vont ĂȘtre gelĂ©es et l’exĂ©cutif enterre le « rĂ©gime pandĂ©mie »

L’ accord ne contente fi­nalement pas grandmonde, si ce n’est leministre de l’écono­

mie, qui en est l’instigateur. De­puis prĂšs d’une semaine, Bruno Le Maire demandait aux assu­reurs « d’en faire plus » pour soute­nir les cafĂ©s, l’hĂŽtellerie et la res­tauration, durement touchĂ©s par le second confinement et la crise sanitaire. Il attendait d’eux, « auminimum », un gel des primes d’assurance et avait posĂ© un ulti­matum : faute d’accord, il ferait adopter Ă  l’AssemblĂ©e nationale un amendement en provenance du SĂ©nat, instaurant un prĂ©lĂšve­ment exceptionnel de 1,2 milliard d’euros sur la profession.

Sans grande surprise, les assu­reurs s’y sont pliĂ©s, comme l’a an­noncĂ© le ministre, lundi 7 dĂ©cem­bre, dans une intervention diffu­sĂ©e sur Twitter, Ă  l’issue d’une rĂ©u­nion avec le secteur. Mais de mauvaise grĂące. « Il est scandaleuxd’avoir Ă  subir un tel chantage », pestait Jacques de Peretti, PDGd’Axa France, dans une interview samedi 5 dĂ©cembre au Parisien.

Les assureurs ont toutefois pristrois engagements. Ils vont geler pour 2021 les cotisations d’assu­rance multirisque profession­nelle pour toutes les TPE et PME employant jusqu’à 250 salariĂ©s,dans les secteurs de l’hĂŽtellerie­restauration, mais aussi de l’évé­nementiel, du tourisme, du sport

et de la culture, « ceux qui souf­frent le plus de la pandĂ©mie et, par­fois, ceux qui sont le plus dĂ©ses­pĂ©rĂ©s, qui croient le moins dansla possibilitĂ© d’un rebond », a an­noncĂ© Bruno Le Maire. Les com­pagnies s’engagent, en outre, Ă  maintenir les garanties de ces contrats, mĂȘme en cas de retardde paiement des cotisations, pen­dant le premier trimestre 2021.

« Des milliards de dettes »L’accord prĂ©voit ensuite d’offrir gratuitement, en 2021, Ă  ces mĂȘ­mes entreprises, une couvertured’assistance (indemnitĂ© de conva­lescence pouvant aller jusqu’à 3 000 euros, livraison de repas Ă  domicile, service de garde d’en­fants
), en cas d’hospitalisationliĂ©e au Covid­19, pour les chefs d’entreprise et leurs salariĂ©s.

Enfin, de nombreux restaura­teurs ayant dĂ©cidĂ© de poursuivre leurs assureurs en justice, Bruno Le Maire entend Ă©largir aux entre­prises le champ d’action du mé­diateur de l’assurance, jusqu’alorsessentiellement tournĂ© vers lesparticuliers, pour faciliter la rĂ©so­lution Ă  l’amiable des litiges. « Les contentieux juridictionnels ne sontbons pour personne, la logique du dialogue doit l’emporter sur celle du conflit », a dĂ©clarĂ© le ministre.L’exemple Ă  suivre est celui de lamĂ©diation du crĂ©dit, mise enplace lors de la crise financiĂšre de 2008, et que les entreprises peu­

vent saisir lorsqu’elles ne parvien­nent pas Ă  dĂ©crocher un prĂȘt.

« Le compte n’y est pas du tout, ils’agit de mesurettes, qui n’ont rien Ă  voir avec la couverture de nos pertes d’exploitation », a aussitĂŽt rĂ©agi Alain GrĂ©goire, prĂ©sident de l’Union des mĂ©tiers et des indus­tries de l’hĂŽtellerie (UMIH) pour larĂ©gion Auvergne­RhĂŽne­Alpes, chargĂ© du dossier « assurance ». « Quant au gel des primes en 2021, ajoute­t­il, il sera rattrapĂ© par deshausses en 2022. On fait croire aux Français qu’on nous alloue une nouvelle enveloppe, mais nouscroulons sous des milliards de det­tes, pas sous des milliards d’aides. »

La FĂ©dĂ©ration française de l’as­surance n’a pas calculĂ© le manqueĂ  gagner causĂ© par le gel des pri­mes, mais, Ă  Bercy, on Ă©value ce « geste Ă  plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de millions d’euros ». « Cela peut paraĂźtre peu de chose, mais les assureurs al­

laient augmenter leurs tarifs, par­fois de maniĂšre trĂšs substantielle,et fort mal Ă  propos Ă  l’égard d’en­treprises en difficultĂ© », ajoute­t­on au ministĂšre des finances.

Dans une volte­face inattendue,Bruno Le Maire a par ailleurs dé­cidĂ© d’enterrer le projet d’un ré­gime d’assurance pandĂ©mie. De­puis le printemps, un groupe de travail associant notamment par­lementaires, assureurs et entre­prises travaillait Ă  Bercy sur unnouveau systĂšme de solidaritĂ©nationale, inspirĂ© du rĂ©gime d’in­demnisation des catastrophes na­turelles, pour mieux couvrir col­lectivement, Ă  l’avenir, les pertes d’exploitation des entreprises en cas de catastrophe sanitaire.

Le ministre de l’économie et desfinances renonce finalement Ă  l’instauration d’une assurance pandĂ©mie obligatoire, qui nĂ©ces­sitait des cotisations de la part desentreprises. « J’ai entendu les in­quiĂ©tudes des entreprises qui neveulent pas de charges nouvelles,a­t­il expliquĂ©. Mais il y aura la fa­cultĂ©, pour ceux qui le souhaitent, de se constituer des provisions, dans des conditions fiscales parti­culiĂšrement avantageuses, quipermettront de mettre de l’argentde cĂŽtĂ© (
) pour l’utiliser si jamais une nouvelle pandĂ©mie devait sur­venir. » Un abandon que dĂ©plo­rent les reprĂ©sentants du secteur de l’hĂŽtellerie­restauration.

véronique chocron

« Le compten’y est pas

du tout, il s’agit de

mesurettes »ALAIN GRÉGOIRE

prĂ©sident de l’UMIH pourl’Auvergne-RhĂŽne-Alpes

La rĂ©gion de Bruxelles veut crĂ©er un pĂ©age urbain et fĂ©dĂšre les oppositions Comme Ă  Londres, le projet vise Ă  limiter la circulation automobile et Ă  rĂ©duire la pollution et le bruit qu’elle engendre

bruxelles ­ correspondant

I l n’aura pas fallu longtempspour qu’un projet de pĂ©ageurbain dit « SmartMove », dé­

posĂ© par la rĂ©gion de Bruxelles, dĂ©clenche une de ces polĂ©miques dont la Belgique a le secret. La mi­nistre rĂ©gionale de la mobilitĂ©, l’écologiste flamande Elke Van denBrandt, est, en tout cas, parvenue Ă fĂ©dĂ©rer contre cette idĂ©e la Wallo­nie et la Flandre, la gauche radicaleet l’ensemble du patronat.

Comme Londres, Milan ouStockholm, Bruxelles envisage de­puis longtemps la solution du pĂ©age pour limiter la circulation automobile, rĂ©duire la pollution etle bruit. Contrairement Ă  d’autres, son projet de « fiscalitĂ© intelli­gente », dĂ©voilĂ© le 3 septembre par le gouvernement rĂ©gional de cen­tre gauche, prĂ©sente toutefois la particularitĂ© d’une premiĂšre taxa­tion Ă  l’entrĂ©e, et d’une seconde pour les kilomĂštres parcourus sur le territoire des 19 municipalitĂ©s qui composent la ville­rĂ©gion.

Une opĂ©ration presque blanchepour les Bruxellois disposant d’une faible cylindrĂ©e et roulant peu, qui devraient bĂ©nĂ©ficier, en outre, de la suppression de la taxe dite « de mise en circulation » quedoivent acquitter tous les ache­teurs d’une voiture. Pour les habi­tants des autres rĂ©gions, en revan­che, l’addition sera salĂ©e (jusqu’à1 600 euros par an, voire au­delĂ ), surtout s’ils disposent d’unegrosse cylindrĂ©e : les montants de la taxe varieront selon les heures, mais aussi selon le nombre de che­vaux et selon le poids de la voiture.

Premier problĂšme : beaucoup,parmi les centaines de milliers de Wallons et de Flamands – les « navetteurs » – qui gagnent la ca­

pitale chaque jour, beaucoup dis­posent d’une voiture de sociĂ©tĂ©, rarement choisie dans le bas de gamme. Au fil des annĂ©es, de nombreuses entreprises ont of­fert Ă  leurs employĂ©s cette sorte de prime, qui Ă©chappe en partie Ă  la lourde fiscalitĂ© sur le travail. Avec, il faut le noter, l’aval des gouvernements successifs, peu dĂ©sireux de revenir sur une me­sure trĂšs populaire. Il sera, dĂšslors, difficile de convaincre lesusagers de se reporter sur une mobilitĂ© douce ou sur les trans­ports en commun. Les liaisons in­terrĂ©gionales sont d’ailleurs trĂšs insuffisantes et un projet de RER desservant la capitale est toujoursdans les limbes.

« Choquant et scandaleux »DeuxiĂšme problĂšme : pour les Flamands et les Wallons qui ac­quittent, outre la taxe de mise en circulation, une taxe annuelle – dite « de circulation » –, le pĂ©age bruxellois aura l’allure d’un im­pĂŽt supplĂ©mentaire et discrimi­natoire. Alors que, pour beaucoupd’entre eux, la voiture reste, mal­grĂ© la congestion quotidienne aux portes de la capitale, lemoyen le plus rapide de gagnerson lieu de travail le matin.

TroisiĂšme problĂšme : censĂ©e en­trer en vigueur en 2022, la dĂ©ci­sion prise par Bruxelles supposeune concertation avec les deuxautres rĂ©gions du pays. Et, donc, un accord entre les
 neuf forma­tions politiques qui composent ces diffĂ©rents niveaux de pouvoir.La chance de rĂ©ussite ? « Quasi nulle », estime dĂ©jĂ  Dave Sinardet,professeur de sciences politiques.

« Il s’agit d’un nouvel impĂŽt quitouchera surtout les Flamands qui travaillent dur », a Ă©crit sur Twitter

le ministre flamand des finances, Matthias Diependaele, un natio­naliste dont le parti – la N­VA – en­visageait pourtant, en 2018, une taxation au kilomĂštre
 en Flan­dre. Il a renoncĂ© face aux rĂ©ac­tions de l’opinion.

Du cĂŽtĂ© wallon, le ministre libé­ral de l’économie, Willy Borsus, a Ă©voquĂ© une initiative bruxelloise« choquante et scandaleuse ». L’unde ses collĂšgues a menacĂ© d’un dĂ©part de toutes les institutions de la Wallonie Ă©tablies dans la ca­pitale. Un dĂ©putĂ© du Brabant wal­lon, la province toute proche, parle d’un « Bruxit » et invite les entreprises Ă©tablies Ă  Bruxelles Ă dĂ©mĂ©nager. Bart De Wever, prĂ©si­dent de la N­VA et maire d’Anvers, leur fait la mĂȘme suggestion, sou­lignant le cĂŽtĂ© « ouvert au busi­ness » de sa ville.

« Pas de prélÚvement urbain àBruxelles ! », clament, de leur cÎté, les organisations patronales destrois régions, pour une fois unies. « La réponse aux problÚmes de mobilité demande une approcheglobale, qui combinera diverses mesures telles que les parkings de transit, des transports en communperformants, des aménagements pour cyclistes, le télétravail, la mo­bilité partagée, etc. La coordina­tion entre les régions est donc in­dispensable », ont expliqué les pa­trons. Le Parti du travail (gaucheradicale) juge, pour sa part, le péage « inefficace et antisocial ».

La politique de mobilitĂ©, rĂ©gio­nalisĂ©e, illustre, en fait, les diffi­cultĂ©s d’un systĂšme oĂč les conflitsentre les niveaux de pouvoir en­traĂźnent la paralysie. « GrĂące Ă  l’addition perverse de notre parti­tocratie et de notre fĂ©dĂ©ralisme », analyse M. Sinardet.

jean­pierre stroobants

Ceci est une leçon de modestie pour tous les entrepreneurs qui pensent que le ciel est leur seule limite. Depuis 2009, annĂ©e de sa crĂ©ation, Uber rĂȘve de rĂ©volution­ner le transport moderne. La sociĂ©tĂ© voyait dĂ©jĂ  ses taxis se mouvoir sans chauffeur et mĂȘme voler au­dessus des autoroutes comme dans les films de science­fiction. Elle va dĂ©sormais se concentrer sur ses cyclistes qui livrent des repas en ville. Moins glamour, mais plus sĂ»r. Lundi 7 dĂ©cembre, Uber a annoncĂ© qu’elle allait vendre sa division de voitures autonomes Ă  Aurora, start­up crĂ©Ă©e en 2017 par des anciens de Google, Tesla et Uber. « Vendre » est un bien grand mot. Elle va plutĂŽt payer 400 millions de dollars (330,2 millions d’euros) Ă  Aurora et rĂ©cupĂ©rera 26 % de l’entreprise.

Cette branche prometteuse est cĂ©dĂ©e pour la moitiĂ© de sa valeur estimĂ©e lors du dernier tour de table. Travis Kalanick, le fonda­teur d’Uber, qui estimait que cette diversification Ă©tait « existen­tielle », ambitionnait de faire rouler 75 000 voitures autonomes dans les rues amĂ©ricaines en 2019. On en est trĂšs loin.

L’art de pivoterEntre­temps, le PDG a Ă©tĂ© dĂ©bar­quĂ© et son successeur, Dara Khosrowshahi, tente de trouver un modĂšle Ă©conomique Ă  une sociĂ©tĂ© valorisĂ©e 95 milliards de dollars en Bourse, mais qui n’a

jamais gagnĂ© un centime en dix ans. Sur son dernier trimestre, l’entreprise Ă  perdu 1 milliard de dollars, sur 3 milliards de chiffre d’affaires, et son activitĂ© de trans­port a vu ses revenus chuter de 50 % avec la crise sanitaire. En re­vanche, Uber Eats, qui livre des re­pas, a largement profitĂ© des confi­nements successifs. Son chiffre d’affaires a bondi de 125 %, et c’est dĂ©sormais le premier mĂ©tier de la firme. Pour amplifier ce succĂšs, la sociĂ©tĂ© a achetĂ© son concurrent Postmates. Elle avait dĂ©jĂ  cĂ©dĂ©, en mai, ses vĂ©los Ă©lectriques et trotti­nettes en libre­service Ă  son rival Lime. Fini les distractions. D’autant que le grand concurrent d’Uber Eats, le numĂ©ro un amĂ©ri­cain DoorDash, s’introduit en Bourse mercredi 9 dĂ©cembre et rĂ©cupĂ©rera beaucoup d’argent.

Dans le monde des start­up, cetart qui consiste Ă  changer de mé­tier jusqu’à trouver celui qui vous fera gagner de l’argent et grossir s’appelle pivoter. Uber pivote donc vers les repas chauds et les cyclistes vigoureux sans rĂ©soudre son casse­tĂȘte d’origine dans les transports. Comment gagner de l’argent dans les taxis, alors que, dans le monde entier, syndicats et gouvernements trouvent que l’entreprise ne paye dĂ©jĂ  pas assez ses chauffeurs, devenus le sym­bole de la nouvelle prĂ©caritĂ© numĂ©rique. Elle pensait contour­ner l’obstacle grĂące Ă  sa voiture autonome. Elle tente dĂ©sormais un nouvel itinĂ©raire.

PERTES & PROFITS | UBERpar philippe escande

L’adieu à la voiture autonome

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Page 23: Le Monde - 09 12 2020

0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2020 campus | 23

Les Ă©tudes vĂ©tĂ©rinaires s’ouvrent au secteur privĂ©Un Ă©tablissement devrait ouvrir en 2022 Ă  Rouen. Certains redoutent une rupture d’équitĂ© pour les Ă©tudiants

U ne Ă©cole vĂ©tĂ©rinaireprivĂ©e ouvrira­t­elle enFrance Ă  la rentrĂ©e2022 ? C’est en tout cas

ce que permet un amendement Ă  l’article 22 bis de la loi de program­mation de la recherche (LPR). DĂ©finitivement adoptĂ© par le SĂ©nat le 20 novembre, il a entraĂźnĂ©une levĂ©e de boucliers des Ă©coles publiques existantes, de leurs Ă©lĂšves et de leurs enseignants.

L’enjeu de cette mesure : aug­menter le nombre de vĂ©tĂ©rinaires formĂ©s en France, alors qu’on compte de moins en moins de pra­ticiens dans les zones rurales. 47 % des nouveaux diplĂŽmĂ©s qui s’ins­tallent sur le territoire se sont for­mĂ©s
 hors de l’Hexagone, rĂ©vĂšle l’Atlas dĂ©mographique de la pro­fession vĂ©tĂ©rinaire publiĂ© en 2020, principalement en Belgique, en Es­pagne et en Roumanie. Il s’agit de jeunes Français qui s’étaient expatriĂ©s pour se former au mé­tier de leurs rĂȘves, faute de place dans les Ă©tablissements natio­naux, trĂšs sĂ©lectifs.

Critique de fondMais pour des reprĂ©sentants des vĂ©tĂ©rinaires, l’amendement ne se­rait pas la bonne rĂ©ponse Ă  ce pro­blĂšme. La premiĂšre critique porte sur la forme : « Nous n’avons pas Ă©tĂ©consultĂ©s, dĂ©nonce Jean­Yves Gau­chot, prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration des syndicats vĂ©tĂ©rinaires de France. Cet amendement a Ă©tĂ© tĂ©lé­guidĂ© par Unilasalle. » Cette Ă©cole d’ingĂ©nieurs privĂ©e associative, crĂ©Ă©e par les FrĂšres des Ă©coles chré­tiennes, tente, depuis douze ans, de se faire une place dans une fi­liĂšre oĂč seules quatre Ă©coles publi­ques sont habilitĂ©es Ă  dĂ©livrer un diplĂŽme d’Etat.

« DĂšs 2008, sous la prĂ©sidence deNicolas Sarkozy, le ministĂšre de l’agriculture avait sollicitĂ© notre Ă©tablissement afin de rĂ©pondre au dĂ©ficit de vĂ©tĂ©rinaires dans les zones rurales, affirme Philippe Choquet, directeur gĂ©nĂ©ral d’Uni­lasalle. Mais le projet, qui hybridait le public et le privĂ©, Ă©tait trĂšs compli­quĂ©. Quand Michel Barnier, alors

ministre de l’agriculture, a Ă©tĂ© appelĂ© vers d’autres fonctions, l’idĂ©e est partie dans les limbes. »

Depuis, Unilasalle mature sonprojet, et le dĂ©ficit de vĂ©tĂ©rinaires en France ne s’est pas comblĂ©. A l’occasion de l’examen de la LPR, c’est opportunĂ©ment deux amen­dements identiques qui viennent offrir aux « Ă©tablissements d’ensei­gnement supĂ©rieur privĂ©s Ă  but nonlucratif », comme Unilasalle, la possibilitĂ© de bĂ©nĂ©ficier de l’agré­ment du ministĂšre de l’agriculture« pour assurer une formation prĂ©parant au diplĂŽme d’Etat de docteur vĂ©tĂ©rinaire ».

L’un des deux amendements estdĂ©posĂ© par François Patriat, prĂ©si­dent du groupe LRM au SĂ©nat, ancien ministre de l’agriculture et vĂ©tĂ©rinaire de formation ; l’autre est dĂ©posĂ© par la sĂ©natrice (LR)

Sophie Primas, une ancienne Ă©lĂšved’Unilasalle, membre du conseil d’administration de l’école. Deux amendements dĂ©posĂ©s sous le regard bienveillant de GĂ©rard Larcher, prĂ©sident (LR) du SĂ©nat et, lui aussi, vĂ©tĂ©rinaire de formation.

InterrogĂ©e par Mediapart, lasĂ©natrice s’est dĂ©fendue de tout conflit d’intĂ©rĂȘts entre son mandat de parlementaire et ses responsabilitĂ©s au sein de l’établis­sement : « Je n’ai pas fait cet amen­dement pour Unilasalle, mais pour l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral », assure­t­elle. Unargument Ă©galement martelĂ© par Philippe Choquet, directeur de l’école : « L’amendement concerne tous les Ă©tablissements d’enseigne­ment supĂ©rieur privĂ©s d’intĂ©rĂȘt gé­nĂ©ral. » Il pourra, en thĂ©orie, ouvrirla filiĂšre Ă  plusieurs acteurs, mais le seul qui sera en mesure d’ouvrir ses portes dans les dix­huit mois etd’accueillir 120 nouveaux Ă©tu­diants est bien Unilasalle.

AprĂšs la forme, la critique portesur le fond : « Croire que l’on va rĂ©pondre au problĂšme de la dĂ©serti­fication vĂ©tĂ©rinaire des zones rura­les en crĂ©ant une Ă©cole privĂ©e est une erreur, estime Jacques GuĂ©rin, prĂ©sident du conseil national de l’ordre des vĂ©tĂ©rinaires. Le fond du

problĂšme, c’est de permettre aux territoires en tension de retrouver de l’attractivitĂ© et un Ă©quilibre Ă©conomique (
). Il faut des leviers qui permettront aux futurs prati­ciens de trouver dans ces territoires un Ă©quilibre entre vie privĂ©e et vie professionnelle. »

Des professionnels du secteurfont remarquer qu’augmenter l’offre de formation ne donnera pas plus d’attractivitĂ© aux zones rurales Ă  faible densitĂ© d’élevage.L’arrivĂ©e de jeunes vĂ©tĂ©rinaires diplĂŽmĂ©s d’une Ă©cole privĂ©e dans les zones rurales, Ă©conomique­ment moins avantageuses, estd’autant plus incertaine que ces jeunes auront parfois un em­prunt sur le dos. Le coĂ»t de la for­mation prĂ©vu par Unilasalle se­rait de 15 000 euros par an, pen­dant six ans. « De jeunes vĂ©tĂ©rinai­res avec de grosses mensualitĂ©s Ă  rembourser vont rarement s’ins­taller dans le fond du Cantal », note Vanessa Louzier, prĂ©sidente de la FĂ©dĂ©ration syndicale des en­seignants des Ă©coles vĂ©tĂ©rinaires françaises. « Les solutions se trou­vent dans un nouveau modĂšle Ă©co­nomique, qui reste Ă  construire, entre l’ensemble des acteurs », as­sure M. Gauchot.

Si les vĂ©tĂ©rinaires ne sont pasconvaincus par la rĂ©forme, les Ă©co­les sont vent debout contre l’arri­vĂ©e d’un concurrent. « Nous fai­sons face Ă  un corporatisme fort », admet Philippe Choquet. Une des craintes des Ă©coles publiques est de se faire progressivement « dĂ©s­habiller » par une montĂ©e en puis­sance des Ă©coles privĂ©es. « L’argent que l’Etat ou les collectivitĂ©s locales investiront dans les Ă©tablissements privĂ©s, c’est autant qui n’ira pas ali­menter les budgets de nos Ă©coles », avertit Bruno Polack, maĂźtre de confĂ©rences Ă  l’Ecole nationale vé­tĂ©rinaire d’Alfort. « L’école privĂ©erisque de grignoter nos budgets de recherche et mĂȘme d’attirer nos en­seignants­chercheurs », s’inquiĂšte Mme Louzier.

« SĂ©lection par l’argent »Une crainte exprimĂ©e dans un rap­port d’évaluation de l’Ecole natio­nale vĂ©tĂ©rinaire d’Alfort, publiĂ© en septembre 2019 par le Haut Conseil de l’évaluation de la re­cherche et de l’enseignement su­pĂ©rieur, qui mentionnait « un dĂ©fi­cit d’attractivitĂ© en termes de recrutement » de l’école, du fait de la « faiblesse des primes attribuĂ©es »et de la « faiblesse globale des rĂ©mu­nĂ©rations par rapport au coĂ»t de la vie ». Alors que, dans la chasse aux subventions, un nouveau concur­rent entre en compĂ©tition.

Enfin, l’émergence d’une filiĂšreprivĂ©e pourrait­elle constituer une rupture d’égalitĂ© dans la valeur du diplĂŽme ? « On verra, d’un cĂŽtĂ©, un systĂšme presque gratuit et trĂšs sĂ©lectif avec les Ă©coles publiques, et de l’autre, le privĂ©, oĂč la sĂ©lection se fera par l’argent », avance Mme Lou­zier. Plusieurs enseignants, com­me Bruno Polack, s’inquiĂštent aussi du contenu du cursus de ces Ă©coles privĂ©es, trĂšs professionnali­santes. Alors que le public veut maintenir un enseignement aca­dĂ©mique ouvert sur la recherche.

Pour sa part, le conseil de l’ordredes vĂ©tĂ©rinaires est prĂȘt Ă  ac­cueillir les futurs diplĂŽmĂ©s d’une Ă©cole privĂ©e, dĂšs lors que celle­ci respecte les rĂ©fĂ©rentiels et les nor­mes françaises et europĂ©ennes. Ces rĂšgles pour pouvoir exercer sont dĂ©jĂ  appliquĂ©es aux diplĂŽmĂ©sd’écoles privĂ©es Ă©trangĂšres oĂč vont se former des Ă©tudiants fran­çais avant de revenir exercer en France. En Europe, l’Association europĂ©enne des Ă©tablissements d’enseignement vĂ©tĂ©rinaire dé­cerne une accrĂ©ditation aux for­mations vĂ©tĂ©rinaires selon diffé­rents critĂšres. Sur les quatre Ă©coles publiques, l’une d’elles, l’Ecole nationale vĂ©tĂ©rinaire de Toulouse, a perdu ce label en 2020.

Ă©ric nunĂšs

ANNA WANDA GOGUSEY

Une des craintesdes quatre

Ă©coles publiquesest de se faire

progressivement« déshabiller »

par une montéeen puissance des

écoles privées

c’est une des nouveautĂ©s de l’édition 2021 de Parcoursup, la plate­forme d’orientation de l’enseignement supĂ©rieur : les quatre Ă©coles vé­tĂ©rinaires de France ouvriront chacune quaranteplaces aux futurs bacheliers par le biais d’un nouveau concours postbac. La « voie royale », quiconsiste Ă  intĂ©grer ces Ă©tablissements aprĂšs une classe prĂ©paratoire BCPST (biologie, chimie, physique et sciences de la Terre), va devoir faire de la place Ă  une nouvelle voie d’intĂ©gration. Surles 700 Ă©tudiants qui intĂ©greront les Ă©coles en septembre 2021, 160 sortiront directement du lycĂ©e. En 2022, la cohorte d’étudiants postbac doublera, pour atteindre 320 Ă©lĂšves.

« Outil de reproduction sociale »Pourquoi ouvrir un cursus postbac ? Pour ré­duire la durĂ©e des Ă©tudes. Alors que la plupartdes pays europĂ©ens exigent des cursus de cinqou six ans pour devenir vĂ©tĂ©rinaire, il en faut souvent huit en France. En effet, 66 % des Ă©tu­diants accĂšdent aux Ă©tablissements sur con­cours aprĂšs une, deux ou trois annĂ©es d’études. Le cursus qui suit l’admission est composĂ© de quatre annĂ©es de formation, suivies d’une annĂ©e d’approfondissement. Les Ă©lĂšves qui se­ront admis postbac s’engageront pour une du­rĂ©e de « seulement » six annĂ©es. « On se rappro­chera de la norme europĂ©enne », souligne le pro­fesseur Marc Gogny, ancien directeur de l’Ecolenationale vĂ©tĂ©rinaire d’Alfort, chargĂ© de mission sur ce dossier.

Des Ă©tudes moins longues, cela signifie desdĂ©penses moindres pour les Ă©tudiants et leurs familles. « Les classes prĂ©paratoires sont un outilde reproduction sociale des Ă©lites », lance Bruno Polack, maĂźtre de confĂ©rences Ă  l’Ecole nationalevĂ©tĂ©rinaire d’Alfort. En sĂ©lectionnant les candi­dats dĂšs le lycĂ©e, les Ă©coles vĂ©tĂ©rinaires estiment

pouvoir Ă©lever le pourcentage de candidats boursiers. Pour se porter candidats, les lycĂ©ens devront inscrire, dĂšs le 21 janvier 2021, les Ă©coles nationales vĂ©tĂ©rinaires parmi leurs vƓux sur Parcoursup. Seuls les futurs bacheliers pourrontle faire ; ceux qui ont obtenu leur bac les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes ne sont pas autorisĂ©s Ă  se prĂ©senter.Au total, 700 seront admissibles pour passer un concours. Celui­ci devrait se tenir fin avril 2021 sur le site de l’Ecole nationale vĂ©tĂ©rinaire d’Al­fort. Au final, les 160 candidats reçus seront clas­sĂ©s et les premiers auront le choix de leur affec­tation parmi les quatre Ă©coles : Alfort, Nantes, Lyon et Toulouse.

Comment se prĂ©parer ? « Aucune spĂ©cialitĂ© n’estobligatoire », peut­on lire sur le site Internet ré­servĂ© Ă  ce nouveau concours. Toutefois, les sciences de la vie et de la Terre sont « fortement recommandĂ©es ». Les spĂ©cialitĂ©s en mathĂ©mati­ques et physique­chimie seront Ă©galement ap­prĂ©ciĂ©es par les recruteurs.

Concernant le concours, aucune annale n’estdisponible puisque l’édition 2021 sera la pre­miĂšre. Aucun Ă©crit n’est prĂ©vu, mais il y aura unesĂ©rie de sept entretiens d’une dizaine de minu­tes. « Il s’agira d’entretiens scĂ©narisĂ©s. On Ă©valueral’agilitĂ© intellectuelle, la vivacitĂ©, la capacitĂ© Ă construire un raisonnement sur des sujets en lien avec le monde animal, mais pas uniquement,explique Marc Gogny. Enfin, on testera les connaissances des candidats sur les facettes du mĂ©tier de vĂ©tĂ©rinaire. Beaucoup de jeunes ont unereprĂ©sentation idĂ©alisĂ©e, voire fantasmatique, denos missions. »

Dans le cas oĂč la crise sanitaire se poursuivraitjusqu’au printemps et interdirait l’organisation du concours, la mise en place d’un systĂšme d’en­tretiens en visioconfĂ©rence est Ă  l’étude.

Ă©. n.

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Page 24: Le Monde - 09 12 2020

24 | forbidden stories MERCREDI 9 DÉCEMBRE 20200123

B onsoir Jorge », commençait lemessage, reçu le 2 juin 2016par Jorge Carrasco, journalisteau magazine mexicain Pro­ceso. « Je te partage la notequ’Animal Politico [un autre

mĂ©dia mexicain] publie aujourd’hui et il mesemble important de la reprendre », poursui­vait le SMS, s’achevant par un lien vers une page Web. Le journaliste travaille alors surles retombĂ©es des « Panama Papers » : sonjournal, connu au Mexique pour son indé­pendance et ses enquĂȘtes, venait de contri­buer Ă  ces rĂ©vĂ©lations mondiales sur la fraude fiscale.

En lisant le message, M. Carrasco est per­plexe : l’expĂ©diteur est inconnu et il est im­possible de dire vers oĂč pointe le lien reçu. A­t­il cliquĂ© ? Aujourd’hui, il ne sait plus. Ce quiest certain, c’est que ce lien ouvrait la porte Ă un logiciel espion redoutable et invisible, capable de siphonner les contenus de sontĂ©lĂ©phone. Ce logiciel, les analystes de l’ONG Amnesty International – qui ont Ă©tudiĂ© le message pour le compte du « Projet Cartel », une enquĂȘte du collectif Forbidden Stories qui a mobilisĂ© 25 mĂ©dias, dont Le Monde, pendant plusieurs mois – l’ont reconnu : il s’agit de Pegasus, un outil dĂ©veloppĂ© par l’entreprise israĂ©lienne NSO.

InterrogĂ©e par Forbidden Stories, l’entre­prise, citant des « accords de confidentialitĂ© » avec ses clients, ne souhaite pas Ă©voquer de cas particulier. Dans un communiquĂ© trans­mis au collectif, elle affirme cependant « trai­

Team, une entreprise italienne de sur­veillance qui a souscrit de nombreux con­trats au Mexique dans les annĂ©es 2000 : « EnĂ©tant une entreprise europĂ©enne, il faut connaĂźtre l’utilisateur final. Cela ne veut rien dire : tu as simplement besoin d’une feuille de papier avec un tampon du gouvernement. Tu ne dois pas vĂ©rifier si cette entitĂ© est autorisĂ©eĂ  conduire ces opĂ©rations ou non. » Selon unesource proche de l’entreprise, les employĂ©s de la firme savaient donc parfaitement que,parfois, l’utilisateur rĂ©el de leur logiciel n’était pas leur client officiel.

Les vendeurs d’armes numĂ©riques nesemblent pas pouvoir – ou vouloir – savoir exactement ce qui est fait de leurs outils.« La seule chose que nous pouvions faire si onĂ©tait mis au courant d’abus Ă©tait de ne pas re­nouveler la licence et de la laisser expirer.Mais nous ne pouvions pas dĂ©sactiver [le lo­giciel] Ă  distance, ni mĂȘme savoir s’il Ă©tait mal utilisĂ©. Nous ne pouvions pas savoir sil’agence censĂ©e l’utiliser le prĂȘtait Ă  un car­tel », raconte un autre ancien employĂ© deHacking Team, prĂ©sent au lancement del’entreprise. « Une fois que vous avez vendu l’arme, l’acheteur de l’arme en fait ce qu’il veut », reconnaĂźt mĂȘme GĂ©rard Araud, l’an­cien ambassadeur de France Ă  Washington embauchĂ© en 2019 par NSO pour l’aider Ă  respecter les droits de l’homme.

GĂ©rard Araud va plus loin encore : « Lesecret fait partie intĂ©grante de l’entreprise, cequi relativise mon apport. Je ne connais pastout ce qui a Ă©tĂ© mis en Ɠuvre ou ce qui ne l’apas Ă©tĂ©. » A­t­il pu servir de caution morale ? « La question des technologies de sur­veillance et des droits de l’homme demande­rait une lĂ©gislation voire une convention des Nations unies ou alors un dialogue avec lesorganisations des droits de l’homme », plaidele diplomate. Son contrat avec NSO a pris finle 1er septembre.

INTERCEPTION DE COMMUNICATIONSAu­delĂ  de NSO, les documents collectĂ©sdans le cadre du « Projet Cartel » montrent qu’une poignĂ©e d’entreprises mexicaines, pour certaines dirigĂ©es par des IsraĂ©liens,jouent un rĂŽle­clĂ© dans l’importation de ceslogiciels au Mexique. Eyetech Solutions,discrĂšte PME Ă©tablie Ă  Mexico fondĂ©e et diri­gĂ©e par Yaniv David Zangilevitch, un anciendes forces spĂ©ciales de l’armĂ©e israĂ©lienne,est ainsi un fournisseur majeur de logicielset d’équipements Ă©lectroniques pour lesforces de sĂ©curitĂ© mexicaines.

Les attributions de marchĂ©s publics, pu­bliĂ©es en ligne dans certains Etats mexi­cains, montrent que l’entreprise a notam­ment vendu des systĂšmes de surveillance Ă©lectronique, des camĂ©ras « intelligentes », ou, par l’intermĂ©diaire de l’une de ses filiales,des systĂšmes de brouillage tĂ©lĂ©phonique. L’analyse des expĂ©ditions internationales del’entreprise, obtenues par l’ONG C4ADS,montre Ă©galement qu’elle a reçu en 2016 au moins un colis contenant un « dispositif destockage de donnĂ©es » expĂ©diĂ© depuis Sofia par Circles Bulgaria, une filiale de NSO. SollicitĂ© par Forbidden Stories, l’un des hautscadres de l’entreprise a affirmĂ© qu’ellen’avait jamais travaillĂ© avec NSO, mais a re­fusĂ© de rĂ©pondre Ă  des questions prĂ©cises.

Eyetech Solutions est loin de dĂ©tenir unmonopole sur le marchĂ© des technologies de surveillance israĂ©liennes au Mexique. L’une de ses rivales, Neolinx, importe dans le pays des technologies de pointe dugroupe Rayzone, fondĂ© en partie par d’an­ciens salariĂ©s de NSO, et notamment son systĂšme de gĂ©olocalisation Geomatrix, vendu aux Etats de Sonora et de QuintanaRoo, ainsi qu’aux enquĂȘteurs fĂ©dĂ©raux du Bureau du procureur spĂ©cial contre le crimeorganisĂ©. Une autre sociĂ©tĂ©, Balam Seguri­dad, importe de son cĂŽtĂ© les produits de Pic­six, une entreprise israĂ©lienne spĂ©cialisĂ©e dans les technologies d’interception decommunications.

Les entreprises israĂ©liennes ne sont passeules sur ce marchĂ© : des contrats obtenus par l’ONG R3D montrent que la sociĂ©tĂ© amé­ricaine Verint a vendu au moins cinq Imsi­catchers Ă  des forces de sĂ©curitĂ© localesmexicaines. Ces outils puissants permettentd’intercepter discrĂštement des communica­tions tĂ©lĂ©phoniques. Dans d’autres cas, l’ori­gine rĂ©elle d’outils de surveillance est mas­quĂ©e : la sociĂ©tĂ© Eyetech a ainsi vendu Ă  l’Etatde Basse­Californie en 2016 un systĂšme degĂ©olocalisation de tĂ©lĂ©phones, utilisant le protocole SS7 et baptisĂ© « Lighthouse ». Le contrat prĂ©sente Eyetech comme le concep­teur du systĂšme, mais l’entreprise n’est qu’un simple revendeur – le concepteur rĂ©el du logiciel, vendu 5,8 millions de dollars et permettant jusqu’à 200 recherches quoti­diennes, est inconnu.

damien leloup, anne michelet martin untersinger

LA POROSITÉ NOTOIRE ENTRE 

L’UNIVERS DU CRIME ORGANISÉ ET CELUI 

DES FORCES DE L’ORDRE REND ILLUSOIRE LE CONTRÔLE DE 

L’USAGE DE CES TECHNOLOGIES

Au Mexique, un arsenal d’espionnageĂ  portĂ©e de main des Â« narcos Â»AutoritĂ©s fĂ©dĂ©rales et polices locales multiplient les achats d’outils de surveillance sophistiquĂ©s, notamment auprĂšs de sociĂ©tĂ©s israĂ©liennes comme NSO, au risque de voir ces armes numĂ©riques utilisĂ©es au profit des narcotrafiquants

ter la question de l’utilisation appropriĂ©e de [ses] produits trĂšs sĂ©rieusement », soumettre ses potentiels clients Ă  un « strict processus » destinĂ© Ă  limiter les atteintes aux droits del’homme et « enquĂȘter au maximum sur toutes les allĂ©gations crĂ©dibles d’abus »,interrompant, le cas Ă©chĂ©ant, le fonctionne­ment du logiciel.

Jorge Carrasco vient s’ajouter Ă  la longueliste de journalistes, d’avocats et de mili­tants critiques du pouvoir espionnĂ©sen 2016 au Mexique par cet outil vendu Ă  prix d’or par la sociĂ©tĂ© israĂ©lienne aux auto­ritĂ©s, et censĂ© contribuer Ă  la lutte contre lecrime organisĂ© et le terrorisme. Qui a com­manditĂ© cette tentative d’espionnage ? Im­possible Ă  dire, mais cette rĂ©vĂ©lation prouve une nouvelle fois les risques en matiĂšre de droits de l’homme de ces outils de pointelorsque leur usage est dĂ©tournĂ©.

A plus forte raison lorsqu’ils sont utilisĂ©sdans un pays comme le Mexique : la violencedes cartels a nourri l’attrait des autoritĂ©s pour ces solutions d’espionnage, et les poli­ces locales s’équipent de moyens de sur­veillance gĂ©nĂ©ralement rĂ©servĂ©s aux servi­ces de renseignement, alors que la porositĂ©notoire entre l’univers du crime organisĂ© etcelui des forces de l’ordre rend illusoire le contrĂŽle de l’usage de ces technologies. Des armes numĂ©riques d’autant plus inquié­tantes qu’elles sont utilisĂ©es dans un pays oĂč119 journalistes ont Ă©tĂ© assassinĂ©s en vingtans, bien souvent parce qu’ils se sont appro­chĂ©s trop prĂšs de la « narcopolitique ».

Logiciel espion

Deux outils d’espionnage vendus au Mexique et visant les smartphones

www.unlien.org/

L’opĂ©rateur du logiciel espion envoie un SMS au portable cible contenant un lien

Blablabla Bla Bla Blablabla

1

2

Lorsque l’utilisateur clique sur ce lien,

une page Web piĂ©gĂ©e s’ouvre et installe un

virus sur le smartphone

Dans le cas d'un appel classique, le téléphone se connecte

Ă  une antenne qui relaie l'appel jusqu'Ă  son interlocuteur

L’IMSI-catcher va jouer le rîle d’antenne-relais et capter tous

les l’appels avant qu’ils n’atteignent l’antenne

Il transmet la communication mais intercepte au passage les

données.Le portable est désormais infecté

et va envoyer à l'insu de l'utilisateur les données GPS, contacts, messages,

appels et photos du smartphone infecté vers le serveur espion

3

IMSI-catcher

1 2

Source : Le MondeInfographie : Le Monde

Serveur de pilotage du logiciel espion

Page Webpiégée

Appel en cours...

Appel en cours...

M E X I Q U E ,   L’ E M P I R E   D E S   C A R T E L S

PROJET CARTEL

Le « Projet Cartel » est la nouvelle en-quĂȘte internationale coordonnĂ©e par le rĂ©seau de journalistes d’investigation Forbidden Stories, crĂ©Ă© pour poursui-vre le travail d’autres reporters, mena-cĂ©s, censurĂ©s ou assassinĂ©s. Le Monde y a participĂ© aux cĂŽtĂ©s de vingt-quatre autres mĂ©dias, dont le Washington Post, El Pais, The Guardian, la SĂŒd-deutsche Zeitung et l’Organized Crime

and Corruption Reporting Project (OC-CRP), reprĂ©sentant dix-huit pays. Dix mois durant, au Mexique et en Europe, nous avons enquĂȘtĂ© sur les cartels de la drogue mexicains, leurs liens avec les pouvoirs politiques et leurs con-nexions dans l’Union europĂ©enne. Point de dĂ©part de ces enquĂȘtes : la mort de Regina Martinez, journaliste du magazine mexicain Proceso, dont l’assassinat le 28 avril 2012 dans le Ve-racruz initia une explosion de violence sans prĂ©cĂ©dent contre les journalistes.

Durant la derniĂšre dĂ©cennie, les vendeursd’armes numĂ©riques ont en tout cas trouvĂ© au Mexique un marchĂ© tout aussi juteux qu’opaque. Des logiciels espions, des techno­logies de gĂ©olocalisation, de reconnaissance faciale, de brouilleurs de communications ou de systĂšmes d’écoutes tĂ©lĂ©phoniques ont Ă©tĂ© acquis par les forces de police locales et fĂ©dĂ©rales dans le cadre de leur lutte contre les narcotrafiquants. « C’est un marchĂ© trĂšs lucratif Ă  la fois pour ces entreprises, maisaussi pour les fonctionnaires qui sont impli­quĂ©s dans ces marchĂ©s », accuse Luis Fer­nando Garcia, de l’ONG mexicaine de lutte contre la surveillance R3D, interrogĂ© parForbidden Stories.

PAS D’ENCADREMENT LÉGALLe systĂšme fĂ©dĂ©ral mexicain, avec ses multi­ples Ă©chelons de forces de l’ordre, est ainsi fait que chaque police ou presque cherche Ă  acquĂ©rir des Ă©quipements de pointe. Mais,dans un pays oĂč la corruption reste un pro­blĂšme endĂ©mique, le risque que ces techno­logies invasives soient utilisĂ©es dans un butpolitique ou au bĂ©nĂ©fice des cartels est ma­jeur. « L’aggravation du contexte sĂ©curitairedepuis 2007 et la violence liĂ©e au crime orga­nisĂ© sont utilisĂ©es comme une excuse pour dĂ©penser d’importantes sommes d’argent dans l’achat de ce type de technologie. La rĂ©a­litĂ©, c’est que cette technologie n’a pas eu d’impact significatif dans la rĂ©duction de la violence. Au contraire, il y a de nombreusespreuves qui montrent des abus dans son utili­sation contre des dĂ©fenseurs des droits hu­mains et des journalistes », dĂ©nonce Luis Fer­nando Garcia.

La vingtaine d’entreprises vendant deslogiciels espions auprĂšs des forces de policemexicaines, locales et fĂ©dĂ©rales, opĂšrent quasiment sans encadrement lĂ©gal, expli­que, sous le couvert de l’anonymat, un haut fonctionnaire de la DEA, l’agence amé­ricaine chargĂ©e de la lutte contre le trafic dedrogue. Les cartels peuvent ainsi profiter desinvestissements rĂ©alisĂ©s par les autoritĂ©s :« La police, dĂ©tentrice de la technologie, peut tout Ă  fait la vendre aux cartels », prĂ©cise­t­onde mĂȘme source. Un risque de dĂ©rive confirmĂ© par un ancien salariĂ© de Hacking

Page 25: Le Monde - 09 12 2020

0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2020 carnet | 25

Irina AntonovaEx­directrice du Musée Pouchkine de Moscou

P our rien au monde, IrinaAntonova n’aurait ratĂ© leconcert inaugural desNuits de dĂ©cembre, festi­

val de musique qu’elle avait crĂ©Ă© en 1980 avec le pianiste Sviatoslav Richter (1915­1997) au sein du Mu­sĂ©e Pouchkine. Las, la « dame de fer » du musĂ©e moscovite n’assis­tera pas Ă  la 40e Ă©dition, dont le coup d’envoi a Ă©tĂ© donnĂ© en ligne le 1er dĂ©cembre par l’altiste Youri Bashmet. Irina Antonova s’est Ă©teinte le 30 novembre, Ă  Moscou, Ă  98 ans, des suites du Covid­19.

Un monument national que cepetit bout de femme, coquette et Ă©nergique, qui a traversĂ© le siĂšcle, survĂ©cu Ă  tous les dirigeants rus­ses depuis Staline, et dirigĂ© pen­dant cinquante­deux ans – un re­cord ! – le MusĂ©e Pouchkine, hissĂ© par ses soins au niveau des toutes premiĂšres institutions mondiales.

Polyglotte maĂźtrisant aussi bienl’allemand, le français que l’italien,Irina Antonova fut l’interlocutrice privilĂ©giĂ©e des musĂ©es occiden­taux, qui avaient bien compris qu’une exposition Matisse, Cé­zanne ou Picasso ne pouvait se monter sans son soutien. « Rien nese faisait sans elle », abonde Su­zanne PagĂ©, directrice de la Fonda­tion Louis Vuitton, qui salue « son courage et sa dĂ©termination ».

Paradoxe absolu que cette per­sonnalitĂ©, Ă©clairĂ©e et despote, « Ă  lafois d’avant­garde, tournĂ©e vers l’Occident et soviĂ©tique absolue », relĂšve Blanche Grinbaum­Salgas, ex­attachĂ©e culturelle Ă  Moscou. Aussi redoutĂ©e que respectĂ©e, elle servit de modĂšle Ă  des gĂ©nĂ©rationsde femmes qu’elle n’aida pourtantjamais Ă  s’épanouir. « DĂšs qu’elle repĂ©rait des talents autour d’elle, elle s’en dĂ©barrassait », grince une observatrice russe.

Faux pas avec PoutineIssue d’une famille lettrĂ©e, Irina Antonova naĂźt le 20 mars 1922 Ă  Moscou et grandit Ă  Berlin, oĂč sonpĂšre est en poste Ă  l’ambassadesoviĂ©tique. A 23 ans, diplĂŽmĂ©e de l’universitĂ© de Moscou, elle re­joint le MusĂ©e Pouchkine. Noussommes en avril 1945, un moisavant la fin de la guerre. Le musĂ©eest dans un Ă©tat dĂ©plorable. Habi­tuĂ©e au grand air et au mouve­ment, la jeune femme s’y sent Ă  l’étroit. « Quand je suis entrĂ©e dansce musĂ©e de pierre et de marbre, j’ai commencĂ© Ă  Ă©touffer, raconte­t­elle en 2015 au magazine russeArtguide. J’avais le sentiment d’ĂȘtremise en cage, c’était physique ! »

En 1956, trois ans aprĂšs la mortde Staline, elle organise une expo­sition Picasso, la premiĂšre du genre dans un musĂ©e soviĂ©tique. NommĂ©e directrice en 1961, elle heurte les apparatchiks en sortantdes rĂ©serves les Ɠuvres impres­

sionnistes et postimpressionnis­tes, longtemps jugées non confor­mes. En 1974, dans une période de rivalité Est­Ouest, elle parvient à faire venir à Moscou La Joconde. Sept ans plus tard, elle accueille une exposition légendaire du Cen­tre Pompidou, « Moscou­Paris », occasion unique pour les Russes de découvrir leur propre avant­garde, de Malevitch à Kandinsky.

Audacieuse dans ses goĂ»ts, IrinaAntonova suivra toutefois la ligne du parti sur les sujets de restitu­tion. En 1945, elle est au musĂ©e lorsque les soldats de l’ArmĂ©e rouge rapportent du front alle­mand un trĂ©sor de guerre, plus de 700 toiles de maĂźtres saisies Ă  Dresde. Des Ɠuvres qui seront res­tituĂ©es en 1955 Ă  l’Allemagne. Mais une part du trĂ©sor confisquĂ© ail­leurs en Allemagne sommeillera longtemps dans les caves du Mu­sĂ©e Pouchkine, avant de rĂ©apparaß­tre au grĂ© des expositions. A ceux qui lui ont cherchĂ© querelle sur le sujet, elle rĂ©pondait invariable­ment : « La Russie ne doit rien Ă  per­sonne », considĂ©rant ces trophĂ©es comme un dĂ©dommagement pour tous les biens culturels dé­truits par les nazis dans l’ex­URSS.

En avril 2013 toutefois, la fine po­litique qui, un demi­siĂšcle durant, a su complaire Ă  tous les dirigeantsrusses, fait un faux pas. Elle inter­pelle alors Vladimir Poutine, en rĂ©clamant que les collections Chtchoukine et Morozov, parta­gĂ©es en 1948 par Staline entre le MusĂ©e Pouchkine et l’Ermitage de Saint­PĂ©tersbourg, soient rĂ©unies Ă  Moscou. Fatale erreur : natif de Saint­PĂ©tersbourg, Poutine n’ap­prĂ©cie pas. Irina Antonova est aus­sitĂŽt remplacĂ©e par Marina Lo­chak. Mais on ne congĂ©die pas une lĂ©gende vivante. On la nomme pré­sidente du MusĂ©e Pouchkine, une fonction trop honorifique pour cette femme de pouvoir. En 2016, elle y organise sa derniĂšre exposi­tion d’importance autour du Mu­sĂ©e imaginaire (1947), de Malraux.

Jusqu’aux premiers jours de lapandĂ©mie, elle se rendait encorequotidiennement au musĂ©e.« Beaucoup de gens lui ont de­mandĂ© d’écrire ses MĂ©moires,confie Souria Sadekova, mais elle ne le voulait pas. Pour elle, des Mé­moires, c’était la fin de vie. »

roxana azimi

20 MARS 1922 Naissance à Moscou1945 IntÚgre le Musée Pouchkine1961 Prend la direction du Musée Pouchkine2013 Nommée présidente du Musée Pouchkine30 NOVEMBRE 2020 Mort à Moscou

A Moscou, en 2011. A.ZEMLIANICHENKO/AP

SociĂ©tĂ© Ă©ditrice du « Monde » SAPrĂ©sident du directoire, directeur de la publication Louis DreyfusDirecteur du « Monde », directeur dĂ©lĂ©guĂ© de la publication,membre du directoire JĂ©rĂŽme FenoglioDirecteur de la rĂ©daction Luc BronnerDirectrice dĂ©lĂ©guĂ©e Ă  l’organisation des rĂ©dactions Françoise TovoDirection adjointe de la rĂ©daction GrĂ©goire Allix, Philippe Broussard, Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre,BenoĂźt Hopquin, Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot, CĂ©cile Prieur, Emmanuel Davidenkoff (EvĂ©nements)Directrice Ă©ditoriale Sylvie KauffmannRĂ©daction en chef numĂ©rique HĂ©lĂšne BekmezianRĂ©daction en chef quotidien Michel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws, Franck Nouchi (DĂ©bats et IdĂ©es)Directeur dĂ©lĂ©guĂ© aux relations avec les lecteurs Gilles van KoteDirecteur du numĂ©rique Julien Laroche-JoubertChef d’édition Sabine LedouxDirectrice du design MĂ©lina ZerbibDirection artistique du quotidien Sylvain PeiraniPhotographie Nicolas JimenezInfographie Delphine PapinDirectrice des ressources humaines du groupe Emilie ConteSecrĂ©taire gĂ©nĂ©rale de la rĂ©daction Christine LagetConseil de surveillance Jean-Louis Beffa, prĂ©sident, SĂ©bastien Carganico, vice-prĂ©sident

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AU CARNET DU «MONDE»

Anniversaire de naissance

Françou

un 8 dĂ©cembre tu t’es pointĂ©erue ChĂąteau-Trompette, Ă  GuĂ©ret,les grands, les moins grandset Lola, Hector, Iris, Abel, et CĂŽmeles enfants pour tes 7 points zĂ©ro tefont des bisous masquĂ©s.

DĂ©cĂšs

Mme MichĂšle Arbeit,son Ă©pouse,

Philippe, Sylvie (†), Nathalie, Odile,Marion avec Benoit,ses enfants,

Gabriel, Rémi, Sophie, Clément,Pauline, Valentin,ses petits-enfants,

ont la profonde tristesse de faire partdu décÚs de

Jacques ARBEIT,X Télécom,

chevalier de la LĂ©gion d’honneur,

survenu le 28 novembre 2020,à l’ñge de quatre-vingt-onze ans.

MichĂšle Arbeit,3, Les Charmes,78860 Saint-Nom-la-BretĂš[email protected]

Paris.

Les Ă©ditions Retz,Sylviane et Julien Brissiaud,

ont la profonde tristesse de faire partdu décÚs de

RĂ©mi BRISSIAUD,

survenu le 27 novembre 2020,à Paris,à l’ñge de soixante et onze ans.

Les professeurs des Ă©coles perdentun trĂšs grand ami qui aura ƓuvrĂ©toute sa vie au service de l’éducationet de la pĂ©dagogie.

Les obsÚques auront lieu le samedi12 décembre, au cimetiÚre du PÚre-Lachaise, Paris 20e.

Madeleine Chave,Florence Chave-Mahir, Taoufik,

Soheil, Sanabel Mahir,JĂ©rĂŽme, Myriam, Marcel, Amalia

Chave,

ont la douleur de faire part du décÚsde

Pierre CHAVE,

survenu le 4 dĂ©cembre 2020,Ă  l’ñge de soixante-dix-neuf ans.

Galerie Chave,12/13, rue Isnard,06140 [email protected]

L’Association des Anciens del’UNEF

apprend avec tristesse le décÚs,survenu dans sa quatre-vingt-sixiÚme année, de

Georges DANTON,prĂ©sident de l’UNEF (1958-1959).

Au dĂ©but de la Ve RĂ©publique, il adonnĂ© une dimension supplĂ©mentaireau syndicat Ă©tudiant en associantmouvements de jeunesse, syndicatsd’enseignants et centrales ouvriĂšresdans des actions communes en vuede la dĂ©fense des libertĂ©s publiqueset universitaires menacĂ©es par lapoursuite de la guerre d’AlgĂ©rie,avec le souci de maintenir l’unitĂ©du mouvement Ă©tudiant.

Sa simplicité, son dynamisme etsa force de caractÚre resteront dansla mémoire de tous ceux qui ontmilité à ses cÎtés.

Daniel,son mari,

François, Laurent, Antoine,ses enfants,

Marion, Alice, Zoé, Jeanne, Clara,Elia,ses petits-enfants,

ont la douleur de faire part du décÚssoudain, de

Mme Anne GERMA,née MEYRIAT,

ancienne Ă©lĂšve de l’École normalesupĂ©rieure de Cachan,

professeure des Universités,

survenu le 29 novembre 2020,à l’ñge de soixante-seize ans.

Mme Catherine Lamotte d’Incamps,Boris, Anne-Charlotte, Samuel

et Moussa,

ont la tristesse de faire part du décÚsde

FrançoisLAMOTTE d’INCAMPS,

survenu le 6 décembre 2020,dans sa soixante-dix-neuviÚme année.

Il sera incinĂ©rĂ© Ă  Beaurains, dansl’intimitĂ© familiale, le 10 dĂ©cembre.

[email protected]

Catherine Leterrier, née Fabius,son épouse,

Louis, Charlotte et Sarah,ses enfants,

Alphonse, Cléo, Léon, Gasparet Anouk,ses petits-enfants,

ont la tristesse de faire part du décÚsde

François LETERRIER,cinéaste,

survenu le 3 décembre 2020.

L’inhumation aura lieu le jeudi10 dĂ©cembre, Ă  12 heures, au cimetiĂšredu Montparnasse, Paris 14e.

Montpellier.

Mme Chantal VĂ©leine,son Ă©pouse,

Ses enfantset leurs conjoint(e)s,

Ses petits-enfants,Les familles Boulanger, Fauverge,

Vogt, VĂ©leine,

ont l’immense tristesse d’annoncerle dĂ©cĂšs de

François MARTIN,acteur permanent et passionné

d’animation culturelleet de dĂ©veloppement local,

survenu le 22 novembre 2020,à Montpellier,à l’ñge de soixante-dix-neuf ans.

[email protected]

Françoise Faussillon-Mathieu,sa mÚre,

RĂ©mi Mathieu,son pĂšre,

JĂ©rĂŽme Mathieu,son frĂšre,

Ekaterina Oskolkova,son Ă©pouse,

Paul et Solal Mathieu,ses fils,

Aude Jacqueson,la mĂšre de ses enfants,

Émilie BĂ©las,sa belle-sƓur,

Rémi Quénelle,son beau-pÚre,

Théo et Sarah Mathieu,ses neveu et niÚce,

Sa famille,Ses amis,

ont l’immense douleur de faire partde la disparition de

JosephMATHIEU,

survenue Ă  l’ñge de quarante-septans, le 3 dĂ©cembre 2020, Ă  Brassy(NiĂšvre).

La cĂ©rĂ©monie se dĂ©roulera dansl’intimitĂ©, le jeudi 10 dĂ©cembre, Ă 13 h 30, au funĂ©rarium, 8, rue deVerdun, Saulieu (CĂŽte-d’Or), suiviede l’inhumation au cimetiĂšre deBrassy, Ă  partir de 16 heures.

En raison des circonstancesactuelles, un hommage ultérieur luisera rendu.

[email protected]

Jacques ROYERprofesseur et « marcheur »,

nous a quittés le 23 novembre 2020.

Sa famille et ses amis le pleurent.

Une cĂ©rĂ©monie d’adieu a eu lieu,dans l’intimitĂ©, au crĂ©matorium deClamart.

« AprĂšs la fatigue du jourJ’aspire de tout mon ĂȘtreA accueillir la nuit Ă©toilĂ©e

Avec amitié, commeun enfant fatigué. »Hermann Hesse.

Paris. Vanves. Saint-Nazaire. Pia.

Anne,sa fille,

Juliette,sa petite-fille,

La famille Barthuel,Les anciens des Auberges de

jeunesse et Ceux du 13,

ont la tristesse de faire part du décÚsde

René SÈDES,

qui nous a quittĂ©sle 1er dĂ©cembre 2020,Ă  l’ñge de quatre-vingt-huit ans.

Il a consacrĂ© ses plus belles annĂ©esaux Auberges de jeunesse, puis Ă l’éducation populaire, au syndicalisme(Action sociale Force ouvriĂšre), Ă  lapeinture et Ă  l’écriture.

Ceux qui l’ont aimĂ© pourrontlire en ligne Une petite maisondans un triangle : https://issuu.com/renesedes/docs/petite_maison

Les obsĂšques auront lieu cemercredi 9 dĂ©cembre, Ă  10 h 30, enl’église Saint-RĂ©my, Ă  Vanves, suiviesde la crĂ©mation Ă  16 h 30, aucrĂ©matorium du cimetiĂšre du PĂšre-Lachaise, Paris 20e.

Famille SĂšdes,13, rue de ChĂątillon,92170 Vanves.

C’est avec une infinie tristesse quenous faisons part de la disparition,de

AlainWEBER,avocat au barreau de Paris,

survenue le 4 décembre 2020,des suites de la Covid 19.

Un avocat formidable, un associéexceptionnel, un ami magnifiqueet un nouvelliste de talent. Alainétait un homme rare, intelligent,généreux, courageux et bon.

Nous t’aimons.

Henri Leclerc, Frédérique Baulieu,Nathalie Senyk,ses associés,

Sophie Geistel, Lucille Vidal, NormaJullien-Cravotta,ses collaboratrices,

Aude Vitry et Bernard Brahim,ses salariés.

SCP Henri Leclerc et Associés,5, rue Cassette,75006 Paris.

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Communication diverse

Page 26: Le Monde - 09 12 2020

26 | SCIENCE & MÉDECINE MERCREDI 9 DÉCEMBRE 20200123

bourguĂ©bus (calvados) – envoyĂ© spĂ©cial

P our l’Institut national de recherchesarchĂ©ologiques prĂ©ventives (Inrap),les confinements se suivent et nese ressemblent pas. Celui du prin­

temps avait conduit Ă  un arrĂȘt total des opé­rations, lesquelles se sont en revanche pour­suivies durant le confinement de l’automne. C’est ainsi que vient de s’achever la fouille, Ă  Giberville (Calvados), dans la pĂ©riphĂ©rie estde Caen, d’un vaste terrain de 4,5 hectares oĂčse construira bientĂŽt un lotissement. Uneexploration qui a renvoyĂ© les chercheurs presque quatre millĂ©naires en arriĂšre.

PrĂ©historiens et historiens n’aiment rientant que saucissonner le passĂ© et, si l’on adopte leurs subdivisions, nous voici donc rendus dans une tranche de salami temporel nommĂ©e Ăąge du bronze ancien II (2 000 Ă  1 600 av. J.­C.). Une Ă©poque oĂč, de la pointe de la Bretagne au Cotentin, en passant par les Ăźlesanglo­normandes, fleurissent les tombes des « petits princes de l’Armorique », ainsi que les avait joliment appelĂ©s l’archĂ©ologue Jacques Briard (1933­2002). A Giberville, en 2016, les fouilles dites de diagnostic – des sondagesdu terrain effectuĂ©s pour dĂ©terminer leur « charge » archĂ©ologique – avaient « tapĂ© »dans une de ces sĂ©pultures « princiĂšres ».

Les travaux menĂ©s cet automne sont allĂ©sbien au­delĂ  de cette approche prĂ©liminaireet ont mis au jour quatre ensembles funé­raires totalisant « une cinquantaine de tom­bes dont une quinzaine avec des ossements »,prĂ©cise Emmanuel GhesquiĂšre, archĂ©olo­gue Ă  l’Inrap et responsable de l’opĂ©ration. En raison de la nature des sols, les os sont en effet parfois rongĂ©s, jusqu’à disparaĂźtre.C’est ainsi que, dans la tombe « princiĂšre »,seuls deux fragments d’une jambe ont ré­sistĂ© au temps mais ils sont suffisants pour dire que le dĂ©funt a Ă©tĂ© enterrĂ© sur le dos etla tĂȘte du cĂŽtĂ© est. « En gĂ©nĂ©ral, les hommesont la tĂȘte Ă  l’est et les femmes Ă  l’ouest, pré­cise Cyril Marcigny, lui aussi archĂ©ologue Ă  l’Inrap et spĂ©cialiste de l’ñge du bronze. Les inhumations sont trĂšs codifiĂ©es Ă  l’époque. »

Puisque les os ne sont plus vraiment lĂ pour nous renseigner sur ce personnage, ilfaut faire parler son viatique pour l’au­delĂ .C’est au centre de recherches archĂ©ologi­ques de BourguĂ©bus, vĂ©ritable caverne d’AliBaba oĂč l’on se promĂšne entre des cĂ©rami­ques prĂ©historiques et des morceaux dechar de la seconde guerre mondiale, qu’eststockĂ© le matĂ©riel issu de cette tombe assezexceptionnelle. Avec des gants en tissu etbeaucoup de soin, Emmanuel GhesquiĂšre dĂ©balle la lame, cassĂ©e en deux et en partieoxydĂ©e, de ce qui ressemble Ă  un long poi­gnard en bronze mais qui pourrait plutĂŽtĂȘtre une Ă©pĂ©e courte.

Puis ce sont quatorze pointes de flĂšche ensilex qui sortent ensachĂ©es de la boĂźte, dont aucune ne semble avoir jamais servi. « Ce sont des pointes dites armoricaines, typiques avec leur forme ogivale assez longue, prolon­gĂ©e par des ailerons biseautĂ©s et un petit pé­doncule qui s’insĂ©rait dans la hampe de la flÚ­che, explique Emmanuel GhesquiĂšre. Pourles fabriquer, les tailleurs partaient d’un grosĂ©clat et l’affinaient avec une alĂšne en cuivre,par pression, retirant des esquilles de silexparfois infĂ©rieures au millimĂštre. » « C’est un travail monstrueux, ajoute Cyril Marcigny. Ilest trĂšs difficile pour les meilleurs tailleurs de pierre d’aujourd’hui d’obtenir un tel rĂ©sultat. Ces pointes trĂšs fines ne circulent que dans certaines sphĂšres et ne se retrouvent que dansles sĂ©pultures de l’élite. » Dans la tombe ontaussi Ă©tĂ© retrouvĂ©s des fragments d’ambre, provenant probablement de perles. Tous ces objets indiquent le statut Ă©levĂ© du dĂ©funt.

LE TEMPS DES ÉLITESAu dĂ©but du IIe millĂ©naire avant notre Ăšre,« une aristocratie se met en place. On sortd’un monde nĂ©olithique plus Ă©galitaire, avecmoins de complexitĂ© sociale, souligne CyrilMarcigny. On passe de sĂ©pultures collectivesĂ  des tombes individuelles. » Et apparaissentles tombes princiĂšres contenant du maté­riel de luxe ou de prestige, signalĂ©es par destumulus parfois impressionnants. « On y retrouve souvent, comme Ă  Giberville, del’armement en bronze, des pointes de flĂšche

d’apparat, des parures, des bijoux, des bras­sards d’archer, poursuit l’archĂ©ologue. Ces personnages modifient la sociĂ©tĂ© de l’épo­que, accaparent le territoire et aussi lemonde marin avec des pĂȘcheries. Ce sont desgens qui avaient de gros moyens. » Les objetsse font tĂ©moins d’un systĂšme d’échange et de commerce Ă  longue distance : mĂ©taux venus d’Angleterre – rĂ©gion qui, Ă  l’ouest del’Europe, est la premiĂšre Ă  maĂźtriser le bronze, alliage de cuivre et d’étain –, silex deTouraine, ambre de la Baltique


Le nom de « prince » n’est peut­ĂȘtre pasjuste, Ă©tant donnĂ© que ces personnages s’avĂšrent tout de mĂȘme assez nombreux.

Sans doute est­il plus exact de parler d’unsystĂšme de chefferies, d’aristocrates locaux.A Giberville, l’étude du terrain montre com­ment ces hobereaux de l’ñge du bronze structurent le territoire. On voit un systĂšmede fossĂ©s et de voies de circulation, des espa­ces funĂ©raires, des terres agricoles, des trousde chasse pour piĂ©ger les gros mammifĂšres– aurochs, chevreuils, sangliers, cerfs –, des enclos au sein desquels va se concentrer l’habitat dont il ne reste aucune trace au sol,parce que les maisons, sans doute faites deterre et de bois, Ă©taient construites sanspoteaux ni fondations.

PÉRIODE PACIFIQUEGrĂące aux nombreux travaux d’amĂ©nage­ment rĂ©alisĂ©s dans la plaine de Caen, les ar­chĂ©ologues de l’Inrap, qui interviennentavant l’ouverture des chantiers, ont une vi­sion de plus en plus prĂ©cise de cet Ăąge du bronze ancien. MĂȘme si les chefs de l’épo­que sont inhumĂ©s avec un attirail guerrier,il est probable que « la pĂ©riode Ă©tait plutĂŽtpacifique, estime Cyril Marcigny. Depuistrois ans, nous fouillons une centaine de tombes chaque annĂ©e et aucun des sque­lettes retrouvĂ©s ne prĂ©sente de traces deviolence interpersonnelle. »

NĂ©anmoins, le temps des Ă©lites ne va pasdurer plus de quelques siĂšcles. « Cette struc­ture politique se casse la figure vers 1700­1600 av. J.­C., ajoute l’archĂ©ologue. On ne saitpas bien pourquoi. Peut­ĂȘtre les chefferiesfinissent­elles par entrer en confrontation lesunes avec les autres ? C’est aussi une pĂ©riodede changement climatique oĂč les rĂ©coltessont meilleures. La mĂ©tallurgie devient aussiaccessible Ă  tous. Le rĂ©sultat de tout cela est que la stratification sociale a l’air de se tasser. » Cette reconfiguration Ă  l’ñge dubronze moyen se traduit par la formationd’une vĂ©ritable sociĂ©tĂ© (et non plus d’unmaillage de chefferies) avec une fortehomogĂ©nĂ©itĂ© culturelle et matĂ©rielle sur tout le nord­ouest de la France et le sud del’Angleterre. Quant au site de Giberville, ilest abandonnĂ© Ă  la fin du IIe millĂ©naire. Ilsera rĂ©investi bien plus tard, aux alentoursdu VIIe et du VIe siĂšcle avant notre Ăšre, pourune autre histoire, celle de l’ñge du fer.

pierre barthélémy

L’ñge du bronze s’éclaire grĂące Ă  une tombe princiĂšreL’exhumation, dans le Calvados, d’une sĂ©pulture d’un « petit prince de l’Armorique », richement Ă©quipĂ©e et datant du IIe millĂ©naire avant notre Ăšre, tĂ©moigne d’une sociĂ©tĂ© qui se complexifie et s’aristocratise

À STONEHENGE, LE TUNNEL DE LA DISCORDE

U n autre débat que celui sur leBrexit agite et divise nosvoisins britanniques, à une

Ă©chelle certes plus rĂ©duite mais avec unpoids symbolique presque aussi grand, puisqu’il touche Ă  Stonehenge. Inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco, ce site mĂ©galithique remon­tant Ă  la fin du nĂ©olithique et au dĂ©but de l’ñge du bronze (2 800 Ă  1 500 av. J.­C.)symbolise l’Angleterre prĂ©historique aux yeux du monde entier. Au cƓur dudĂ©bat : la route A303.

Axe majeur pour le sud­ouest de l’üle,elle y reprĂ©sente un peu la « route du Soleil », mais aussi un cauchemar pour les automobilistes. L’A303 se retrouve frĂ©quemment congestionnĂ©e lors des dĂ©parts en vacances, en particulier sur les tronçons oĂč elle n’est qu’une simplevoie Ă  double sens de circulation. De plus, elle passe en bordure immĂ©diate de Stonehenge, oĂč elle est source de pollution visuelle et sonore. En novem­bre, le gouvernement britannique a finipar donner son autorisation Ă  une transformation du tracĂ© dans le sec­teur, qui, pour un coĂ»t de 1,7 milliard delivres (1,9 milliard d’euros), prĂ©voit

qu’une 2 × 2 voies emprunte un double tunnel excavĂ© sous le site mĂ©galithique.

Qui dit tunnel dit Ă©videmment creu­ser deux points d’entrĂ©e et de sortie, dans des terrains dont le potentiel ar­chĂ©ologique est immense. Un appeld’offres a donc Ă©tĂ© lancĂ© pour que des fouilles scientifiques prĂ©ventives aientlieu sur les diffĂ©rents sites qui seront touchĂ©s par les travaux, lesquels de­vraient s’étaler jusqu’à la fin de la dé­cennie. DotĂ© de 35 millions de livres(prĂšs de 39 millions d’euros), il a Ă©tĂ©

remportĂ© par la sociĂ©tĂ© privĂ©e britanni­que Wessex Archaeology, qui a montĂ© pour l’occasion un consortium dans le­quel figure – seul organisme Ă©tranger –l’Institut national de recherches archĂ©o­logiques prĂ©ventives (Inrap).

Soixante-cinq sites Ă  fouillerSpĂ©cialiste de l’ñge du bronze et notam­ment des Ă©changes qui ont eu lieu, Ă  cette Ă©poque, sur les deux rives de la Manche, l’archĂ©ologue Cyril Marcigny est un de ceux qui ont portĂ© le projet cĂŽtĂ© Inrap. Il prĂ©cise que l’organisme français « ne sera pas de toutes les opĂ©ra­tions – il y aura 65 sites Ă  fouiller – mais ilparticipera Ă  la mise en place de la ges­tion de l’ensemble ». « Nous avons dĂ©ve­loppĂ© une grosse expertise dans ce do­maine grĂące Ă  toutes les fouilles prĂ©ven­tives de grande envergure que nous avons menĂ©es en France, notamment sur les travaux autoroutiers. Des cher­cheurs de l’Inrap spĂ©cialisĂ©s dans l’in­dustrie lithique [les outils en pierre taillĂ©e] ou dans les crĂ©mations devraientaussi faire partie du projet. »

En théorie, les travaux devraientcommencer en mars 2021. Mais, entre

les consĂ©quences de la pandĂ©mie de Covid­19 et, surtout, une opposition farouche au projet de tunnel, rienn’est moins sĂ»r. Une coalition hĂ©té­roclite s’est ainsi montĂ©e, qui associele « druide » Arthur Pendragon (nĂ©John Timothy Rothwell), qui se pré­tend rĂ©incarnation du roi lĂ©gendaire,Ă  des Ă©cologistes mais aussi Ă  desarchĂ©ologues.

Ainsi, le Britannique David Jacques,qui a dirigĂ© des travaux sur la pĂ©riode laplus ancienne de Stonehenge, considÚ­re­t­il le projet de tunnel comme un scandale international en raison du ris­que de destruction de nombreuses tra­ces matĂ©rielles du passĂ©. Dans The Guardian du 24 novembre, trois mem­bres du Council for British Archaeologyont dĂ©plorĂ© le choix du tunnel, auquelils prĂ©fĂ©raient une dĂ©viation en sur­face. Une pĂ©tition a aussi Ă©tĂ© lancĂ©e, quiavait recueilli prĂšs de 200 000 signatu­res fin novembre. Surtout, un recours aĂ©tĂ© dĂ©posĂ© pour contester la lĂ©galitĂ© de l’autorisation du projet par le gouver­nement. La bataille de Stonehenge ne fait que commencer.

p. b.

« IL EST TRÈS DIFFICILE POUR LES TAILLEURS

DE PIERRE D’AUJOURD’HUI D’OBTENIR UN TEL RÉSULTAT »

CYRIL MARCIGNY ARCHÉOLOGUE

ARCHÉOLOGIE

AmesburyAmesburyAmesburyAmesburyAmesburyAmesbury

PĂ©rimĂštre du siteclassĂ© Ă  l’Unesco

Route et aménagementsde surface envisagés

StonehengeA303

Tunnelproposé

WinterbourneStoke

LondresLondres2 km

En haut : pointes de flĂšche retrouvĂ©es dans la tombe princiĂšre de l’ñge du bronze ancien de Giberville et qui attestent d’une vĂ©ritable maĂźtrise du travail du silex. CLÉMENT NICOLAS

En bas : fouille d’une des sĂ©pultures situĂ©e Ă  cĂŽtĂ© de la tombe princiĂšre. JAMES VILLAGERUT/INRAP

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0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2020 science & mĂ©decine | 27

L’exploit quantique de Google relativisĂ©INFORMATIQUE - Trois chercheurs ont dĂ©veloppĂ© un algorithme permettant Ă  un simple PC d’imiter les performances du calculateur dernier cri du gĂ©ant amĂ©ricain

L e 23 octobre, Google crĂ©el’évĂ©nement en dĂ©voilant, dansNature, les performances d’unordinateur d’un nouveau genre.Le calcul rĂ©alisĂ© par le proces­

seur a pris 200 secondes alors que les meilleures machines auraient eu besoinde
 10 000 ans.

L’entreprise n’hĂ©sitait pas Ă  parlerd’avĂšnement de la « suprĂ©matie quanti­que », un terme faisant rĂ©fĂ©rence Ă  lathĂ©orie derriĂšre la performance, la mĂ©ca­nique quantique. Celle­ci rĂ©git les inte­ractions entre particules de la matiĂšre etpermet de crĂ©er des circuits originauxpour rĂ©aliser des tĂąches plus efficace­ment. Au point, en thĂ©orie, de rĂȘver decasser des protocoles de sĂ©curitĂ© rĂ©putĂ©sinviolables. La dĂ©monstration de Googlene portait pas sur de tels calculs mais ras­surait les investisseurs sur les progrĂšsrĂ©alisĂ©s vers ce Graal.

Patatras, trois chercheurs, du Commis­sariat Ă  l’énergie atomique et aux Ă©ner­gies alternatives (CEA) et du Flatiron Insti­tute (Etats­Unis), dĂ©gonflent la prouesse,comme ils l’expliquent dans Physical Review X (PRX) du 23 novembre : un ordi­nateur de bureau leur a permis en quel­ques heures de calcul de faire aussi bien que le gĂ©ant du numĂ©rique
 « J’avaiscommencĂ© Ă  travailler sur cet algorithme plusieurs mois avant la publication deGoogle, se souvient Xavier Waintal, cher­cheur au CEA Ă  Grenoble. J’avais l’intui­tion que mon idĂ©e pouvait marcher mais ila fallu le dĂ©montrer. »

Cette idĂ©e est de parier qu’en rĂ©alitĂ© l’or­dinateur de Google n’utilise pas toute la

puissance quantique et que son fonction­nement peut donc ĂȘtre « compressĂ© » enrĂ©duisant la quantitĂ© d’informations uti­les au calcul lui­mĂȘme, permettant d’allerplus vite. L’intuition s’est rĂ©vĂ©lĂ©e bonne,grĂące notamment Ă  des outils trĂšs Ă  la mode en physique thĂ©orique pour Ă©tu­dier des processus complexes dans lamatiĂšre et dont Miles Stoudenmire, l’un des coauteurs, est spĂ©cialiste.

Une « magie » fragileElle profite surtout de ce que les machi­nes quantiques ne sont pas parfaites, puisque, Ă  chaque opĂ©ration, des erreurssont commises. La « magie » quantiqueest fragile et la moindre perturbation transforme le carrosse en citrouille. Le trio de physiciens a donc simulĂ© le com­portement rĂ©el de la machine quantiquede Google, qui se trouve ĂȘtre plus prĂšs dela cucurbitacĂ©e que de la calĂšche.

Une autre maniĂšre de voir la puissancequantique est de rappeler qu’un ordina­teur quantique est une formidable ma­chine Ă  explorer en parallĂšle des espacesimmenses de possibilitĂ©s. Avec un seulqubit, le « cƓur » de ces machines, on ac­cĂšde Ă  toutes les coordonnĂ©es d’un plan.Avec deux, on explore un espace Ă  quatre dimensions. Avec 53, le nombre rĂ©uni par Google, il s’agit de 253 dimensions, neuf millions de milliards. L’article de PRX montre que seule une petite portion decet espace est en fait utilisĂ©e : environ un milliardiĂšme de la citrouille.

« Leur argument est intĂ©ressant car ilexplique comment on peut simuler desrĂ©alisations expĂ©rimentales d’algorithmes

quantiques. Mais leur calcul n’est plusaussi efficace si le taux d’erreur est faible, comme dans notre expĂ©rience », faitsavoir Google au Monde.

« Il y a un taux d’erreur en dessous du­quel nos simulations classiques ne serontplus compĂ©titives et oĂč se trouve donc l’accĂ©lĂ©ration potentielle des ordinateursquantiques. Cela remet la discussion exac­tement au bon endroit : l’important cen’est pas d’empiler des qubits mais d’amé­liorer la “fidĂ©litĂ©â€, c’est­à­dire la qualitĂ© de l’ensemble de la machine. Et le temps decalcul classique augmente alors expo­nentiellement lorsqu’on veut augmenterla fidĂ©litĂ© », rĂ©torque Xavier Waintal, quisalue l’apport de Google, le premier Ă  Ă©valuer le comportement rĂ©el d’une ma­chine quantique. Il ajoute : « La compres­sion d’état quantique m’a permis de fairedes calculs avec 240 qubits sur mon PC, cequi aurait pris “des siĂšcles et des siĂšcles”,selon Google. »

« Leur article est trĂšs bien. Il explique etprĂ©cise des choses que les spĂ©cialistesavaient en tĂȘte. Ce n’est pas rĂ©volution­naire mais cela dĂ©crit proprement lesconditions dans lesquelles un calcul quan­tique est performant », estime AntoineTilloy, en postdoc Ă  l’Institut Max­Planckde Garching (en BaviĂšre), spĂ©cialiste de latechnique utilisĂ©e par ses collĂšgues.

Le dĂ©bat reste donc ouvert sur les pro­blĂšmes utiles qui seront effectivementrĂ©solus par ces machines en chimie,pharmacie, finance ou Ă©nergie – les secteurs qui parient le plus sur cettenouvelle technologie.

david larousserie

L es sportifs se battent pour quel­ques milliÚmes de secondes.Les physiciens, eux, rivalisent

pour, non pas la troisiĂšme dĂ©cimale,mais la septiĂšme. Avec Ă  la clĂ© une pu­blication dans la rĂ©putĂ©e revue scien­tifique Nature. Une Ă©quipe française du Laboratoire Kastler Brossel (LKB, Paris) y dĂ©crit, le 3 dĂ©cembre, commentelle a obtenu la meilleure mesure d’une des constantes fondamentales les plus importantes de la physique : la constante de structure fine.

Peu connue, elle est pourtant omni­prĂ©sente dans la nature. BaptisĂ©ealpha, elle rĂšgle la maniĂšre dont lalumiĂšre interagit avec la matiĂšre. Ellepermet de calculer la force entre deuxparticules chargĂ©es. Elle aide Ă  iden­tifier les Ă©lĂ©ments chimiques desĂ©toiles par la lumiĂšre Ă©mise. Elle fixe Ă  quelle vitesse un Ă©lectron tourne autour du proton dans l’hydrogĂšne,Ă  environ 1/137 fois la vitesse de lalumiĂšre. Incontournable.

Dix ans de travail auront été néces­saires aux Français pour faire environdix fois mieux que leurs précédentes mesures et presque trois fois mieux que leurs concurrents en 2018.

Puisqu’il s’agit de connaĂźtre laforce que la lumiĂšre exerce sur la matiĂšre, l’idĂ©e est de mesurer le reculd’un atome percutĂ© par un grain delumiĂšre, le photon. Ce recul permetde calculer la masse de l’atome, puis

la masse de l’électron et enfin laconstante de structure fine.

Le principal savoir­faire est dans lamesure du recul. Une mĂ©lasse d’ato­mes de rubidium, trĂšs froids, portĂ©s Ă  un millioniĂšme du zĂ©ro absolu (envi­ron – 273 °C), est prĂ©parĂ©e pour figer lesparticules. Puis un laser percute ces derniĂšres, qui reculent de quelques millimĂštres par seconde. Une astuce, inventĂ©e au LKB, consiste Ă  fournir1 000 chocs Ă  un atome, afin d’ampli­fier son recul. « Pour connaĂźtre l’épais­seur d’une feuille, il est plus facile de faire un paquet de 1 000 et de mesurerl’épaisseur totale, avant de diviser par lenombre de feuilles. Nous adoptons la mĂȘme philosophie », explique Pierre CladĂ©, chargĂ© de recherche au CNRS.

« Notre rĂ©sultat ne colle pas Ă  celuide 2018. C’est donc trĂšs stimulant pour continuer ! », apprĂ©cie SaĂŻda Guellati­KhĂ©lifa, professeure au Conservatoirenational des arts et mĂ©tiers.

Une autre motivation est d’éclairerl’un des mystĂšres de la nature. Pour­quoi l’électron et son cousin le muon ne tournent­ils pas de la mĂȘme ma­niĂšre dans un champ magnĂ©tique ?L’une des rĂ©ponses est qu’il y aurait des particules apparaissant et dispa­raissant rapidement, qui perturbe­raient diffĂ©remment leurs consƓurs. Chaque dĂ©cimale gagnĂ©e sur alpha Ă©carterait ces hypothĂšses.

d. l.

Entre lumiĂšre et matiĂšre, une relation affinĂ©ePHYSIQUE - Des Français ont amĂ©liorĂ© la mesure de la constante fondamentale, dite de structure fine

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28 | science & mĂ©decine MERCREDI 9 DÉCEMBRE 20200123

LE LIVRENotre cerveau, ce studio de cinĂ©maLe neurologue Lionel Naccache explore les trucages auxquels ont recours nos mĂ©ninges pour interprĂ©ter ce que l’Ɠil perçoit, en fonction de nos croyances

T u te fais ton film ! » De cette ex­pression populaire le neurologueLionel Naccache fait la matiÚre de

son livre Le CinĂ©ma intĂ©rieur. Projection privĂ©e au cƓur de la conscience. Car notre cerveau, nous explique­t­il, est un studio de cinĂ©ma oĂč se fabriquentles films que nous produisons Ă  partir de ce que nous voyons mais aussi de ceque nous imaginons.

S’appuyant sur un riche corpus com­posĂ© tant des connaissances les plus rĂ©centes en neurosciences que des ré­sultats d’expĂ©riences en psychologie,parfois rĂ©alisĂ©es au siĂšcle dernier et

revisitĂ©es, l’auteur s’applique Ă  dé­monter les mĂ©canismes concourant Ă  la production de ces illusions. « Nousne cessons d’interprĂ©ter les choses quenous percevons, de leur assigner desidentitĂ©s (un visage, un nombre, unmot
), des significations, et la premiĂšrecouche de cette production de sens opĂšre Ă  notre insu et en amont de notreprise de conscience », pose­t­il.

Pour amener cette thĂ©matique sur leterrain de la raison, Lionel Naccache adopte un parti pris pĂ©dagogique. Il s’attache d’abord Ă  rĂ©vĂ©ler les trucages par lesquels notre cerveau modifie la

perception de la rĂ©alitĂ© observĂ©e par l’Ɠil, incluant la colorisation, la stabili­sation des saccades de l’Ɠil, le montage et la production du mouvement, Ă  une frĂ©quence de 13 images par seconde.

Image falsifiĂ©eCes trucages se produisent Ă  notre insuet nous vivons avec l’illusion de com­plĂ©tude, nous explique l’auteur. Nouscroyons avoir retenu chaque dĂ©tail d’une scĂšne alors que, preuves scien­tifiques Ă  l’appui, nous en retenonsune image falsifiĂ©e, oĂč seuls persistentles dĂ©tails que nous avons sĂ©lection­nĂ©s. Et pour complexifier le tout, cesimages s’intriquent avec celles produi­tes par l’imagination, le rĂȘve, les hallu­cinations et la mĂ©moire, passĂ©es au fil­tre de notre inconscient. Bref, nousnous faisons des films, Ă  l’origine dusens que nous attribuons au monde.Nos consciences sont donc hantĂ©es decroyances.

Si l’approche scientifique rĂ©vĂšle sousun jour inĂ©dit cette propriĂ©tĂ© de l’es­prit humain, la derniĂšre partie du livrequi lui est consacrĂ©e aurait mĂ©ritĂ© unediscussion sur l’apport des sciences

humaines Ă  la comprĂ©hension de notretendance naturelle Ă  accorder de l’im­portance Ă  nos fictions subjectives, au dĂ©triment de celles d’autrui.

Mais le livre s’affirme aussi commeun vibrant plaidoyer pour une prise deconscience de l’effet de ces fictions. « Nos rapports conscients sont de fasci­nants objets mentaux. Ne pas les pren­dre en compte reviendrait Ă  ne pas s’intĂ©resser Ă  l’étoffe de la conscience. Comprendre comment quelqu’un peut se rapporter tel ou tel contenu [interpré­ter ce qu’il vit] Ă  un instant donnĂ© est une question scientifique fondamen­tale », souligne Lionel Naccache. « Cettecoexistence de nos cinĂ©mas intĂ©rieurs respectifs est Ă©galement une voie de tolé­rance : prendre conscience de la maniĂšredont nous nous percevons et nous perce­vons le monde conduit plus facilement Ă comprendre que les autres le perçoiventautrement », conclut­il.

catherine mary

Le CinĂ©ma intĂ©rieur. Projection privĂ©e au cƓur de la conscience, de Lionel Naccache, Odile Jacob, 240 pages, 22,90 euros

VIE DES LABOS

L es opposants à la loi de program­mation de la recherche pour lesannées 2021­2030, dite LPR, adop­

tĂ©e le 20 novembre, jettent leurs derniÚ­res forces dans la bataille. Plusieurs dizai­nes d’entre eux viennent de se glisserdans une « porte Ă©troite » ouverte par leConseil constitutionnel. Cette procĂ©dure permet Ă  des contributions extĂ©rieures d’ĂȘtre portĂ©es Ă  la connaissance des Sageslorsqu’ils sont saisis en recours par lesparlementaires. Ce qui est le cas depuis le27 et le 30 novembre par respectivement plus de 60 sĂ©nateurs et 60 dĂ©putĂ©s. L’ins­titution de la rue Montpensier a Ă©tĂ© des­tinataire d’au moins six textes de plu­sieurs dizaines de pages chacun, selon lesinformations du Monde – le Conseil cons­titutionnel refusant d’indiquer combienlui sont parvenus.

Ces argumentaires Ă©manent de collec­tifs de juristes universitaires, constituĂ©spour l’occasion, sauf le plus copieux, ré­digĂ© par des membres du collectif L’UnitĂ©du droit, crĂ©Ă© en 2004 pour dĂ©fendre« une nĂ©cessaire collaboration des juristesde droit public et privĂ© ». Cette LPR, censĂ©eĂ©viter le dĂ©crochage de la recherche fran­çaise, a Ă©tĂ© critiquĂ©e pendant de longsmois par des syndicats, des associations, des instances reprĂ©sentatives du mondede la recherche, des sociĂ©tĂ©s savantes, leConseil Ă©conomique, social et environ­nemental, des parlementaires


Le dernier front engagĂ© renouvelle lanature des arguments. En visant les plushauts sommets institutionnels, le dĂ©bats’élĂšve. Il est donc question de « non­conformitĂ© constitutionnelle », « d’atteinteaux principes d’égalitĂ© » ou « Ă  celui d’in­dĂ©pendance des enseignants­chercheurs »,ou encore « d’atteinte au libre consente­ment des parlementaires » ou de « mĂ©con­naissance du principe de lĂ©galitĂ© des dĂ©litset des peines, d’une part, et la libertĂ© d’ex­pression d’autre part »  Si certains ne de­mandent que la censure de certains arti­cles, d’autres, comme L’UnitĂ© du droit,exigent « une annulation totale de la loi ».

InsincĂ©ritĂ© budgĂ©taire« Bien sĂ»r, l’amendement de derniĂšre mi­nute au SĂ©nat permettant de dĂ©roger Ă  la procĂ©dure de qualification nationale pour devenir maĂźtre de confĂ©rences ou profes­seur a servi de catalyseur. Mais des collÚ­gues avaient travaillĂ© ces questions juridi­ques bien avant », reconnaĂźt Mathieu Touzeil­Divina, professeur Ă  l’universitĂ©Toulouse­I, prĂ©sident de L’UnitĂ© du droit.« Personnellement, j’ai mĂȘme manifestĂ© enmars mon opposition Ă  la LPR lors d’un sĂ©minaire
 au Conseil constitutionnel !, se souvient, amusĂ©, Bertrand­LĂ©o Combrade,maĂźtre de confĂ©rences Ă  l’universitĂ©d’Amiens. C’est la premiĂšre fois que je ré­dige un mĂ©moire en dĂ©fense anticonstitu­tionnelle. Il a fallu abandonner la forme universitaire classique pour ne retenir que les arguments contre cette loi. » « D’habi­tude, nous produisons des commentaires et lĂ  nous devions proposer. On a travaillĂ© plusieurs semaines et on y croit », insistePatricia Rrapi, maĂźtresse de confĂ©rences Ă l’universitĂ© Paris­Nanterre, autre corĂ©dac­trice d’une contribution.

Des points communs se dĂ©gagent, mal­grĂ© l’absence de concertation entre les groupes. L’« insincĂ©ritĂ© budgĂ©taire » est at­taquĂ©e sous plusieurs angles, notamment Ă  cause du mĂ©lange des textes entre la LPR,le budget 2021 ou la loi de programmationdes finances publiques.

Tous soulignent aussi les menaces sur« l’indĂ©pendance des enseignants­cher­cheurs », rappelĂ©e par plusieurs textes constitutionnels. La contribution de l’As­semblĂ©e nationale prĂ©fĂšre dĂ©noncer de nombreux cavaliers lĂ©gislatifs, des dispo­sitions hors sujet. « Comme le disait le pro­fesseur de droit Jean Rivero, le risque est que le Conseil constitutionnel “chasse les mou­ches et laisse passer le chameau” », expliqueBertrand­LĂ©o Combrade. C’est­à­dire quel’institution censure des points sur la forme plus que sur le fond. Mouches et cha­meau connaĂźtront leur sort avant NoĂ«l.

david larousserie

Les juristes Ă  l’assaut de la LPR

CARTE BLANCHE

Par ANNE BORY

L’ engagement de jeunes Français dans le « dji­hadisme » relĂšve­t­il de façon univoque deprocessus linĂ©aires de « radicalisation », qui

naissent dans des « quartiers » caractérisés par leur« séparatisme » ?

La démarche sociologique de Laurent Bonelli et Fa­bien Carrié, dans leur ouvrage La Fabrique de la radica­lité. Une sociologie des jeunes djihadistes français, paruen 2018 au Seuil, et dans plusieurs publications récen­tes, permet de dépasser ces analyses simplistes. Les deux chercheurs ont analysé 120 dossiers de la Protec­tion judiciaire de la jeunesse (PJJ) au sujet de mineurs impliqués dans des affaires de « terrorisme islamiste »

ou signalĂ©s pour « radicalisation djihadiste ». Ils ontaussi menĂ© 57 entretiens auprĂšs des professionnels qui les ont rĂ©digĂ©s et ont utilisĂ© comme grille d’ana­lyse deux piliers de la sociologie depuis EmileDurkheim (1858­1917) : l’intĂ©gration de ces jeunes dansd’autres collectifs que la famille et la rĂ©gulation deleurs comportements au sein de celle­ci.

Pas de supposĂ©s « profils »Les faits Ă  l’origine de leur signalisation par la PJJ sont d’une extrĂȘme hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© : de simples conversionsĂ  la planification d’attentats, en passant par des pro­pos favorables au terrorisme ou des dĂ©parts en Syrie.Laurent Bonelli et Fabien CarriĂ© distinguent quatre re­gistres de radicalitĂ©, en partie poreux entre eux puis­qu’un mĂȘme individu peut puiser, simultanĂ©ment ousuccessivement, dans plusieurs registres. Ils ne corres­pondent pas Ă  de supposĂ©s « profils » aux vertus pré­dictives, mais Ă©clairent la comprĂ©hension rĂ©trospec­tive de ce qui nourrit des faits associĂ©s Ă  la radicalitĂ©.

C’est le registre « utopique », associĂ© au passage Ă l’acte violent, qui se rĂ©vĂšle le plus surprenant, au re­gard des portraits habituellement dressĂ©s, notam­ment depuis les plateaux tĂ©lĂ©visĂ©s. Les mineurs quis’approprient ce registre sont issus de familles popu­laires immigrĂ©es ayant des situations socio­économi­ques stables, qui ont jouĂ© pleinement la carte de l’inté­gration en prenant leurs distances avec leurs commu­nautĂ©s d’origine et investissant fortement la scolaritĂ© de leurs enfants.

En retour, leurs enfants ont jouĂ© le jeu scolaire et cruaux possibilitĂ©s d’une ascension sociale. Mais l’arrivĂ©e

dans des lycĂ©es de centre­ville expose ces adolescents Ă  l’altĂ©ritĂ© sociale et Ă  une compĂ©tition scolaire quijouent en leur dĂ©faveur. En Ă©chec mais sans support de groupes amicaux, ils prennent le contre­pied deleur famille et de l’école et se lient Ă  distance avec des recruteurs sur les rĂ©seaux sociaux.

LĂ  oĂč d’autres adolescents font, dans des situationssimilaires, plutĂŽt l’expĂ©rience individuelle de troublesalimentaires ou de formes de repli, ces jeunes entrent dans un processus d’interprĂ©tation collective de leur situation, auprĂšs de semblables : l’idĂ©ologie djihadistedonne un sens Ă  leur expĂ©rience d’isolement social et Ă  un goĂ»t pour l’intellectualisation qui ne trouve plus de dĂ©bouchĂ© dans le monde scolaire. L’engagementdjihadiste de ces mineurs ne prend donc racine nidans un contexte d’intĂ©gration fragile ni du fait d’un manque de rĂ©gulation, bien au contraire.

Ces conclusions montrent les apports que permet­tent, en termes de connaissance, des enquĂȘtes sociolo­giques attentives aux trajectoires. DĂ©nuĂ©es de misĂ©ra­bilisme, elles Ă©tudient finement ce qui se produit au croisement de plusieurs rapports sociaux, dans les rela­tions concrĂštes avec les institutions, les familles ou les pairs. Elles soulignent Ă©galement l’ampleur du gouffre qui sĂ©pare, d’un cĂŽtĂ©, analyses au doigt mouillĂ© et pri­ses de dĂ©cision politique et, de l’autre, les travaux de sciences sociales qui pourraient les Ă©clairer.

L’engagement djihadiste des jeunes, au­delĂ  des stĂ©rĂ©otypes

Anne BorySociologue Ă  l’universitĂ© de Lille et membre junior de l’Institut universitaire de [email protected]

TRISTE FIN POUR LE RADIOTÉLESCOPE GÉANT D’ARECIBO

Les derniers cĂąbles qui soute-naient encore la plate-forme instrumentale, Ă  Porto Rico, ont lĂąchĂ© mardi 1er dĂ©cembre. La structure de 900 tonnes s’est Ă©crasĂ©e sur l’immense antenne situĂ©e une centaine de mĂštres en contrebas. La « mort » de cette installation hors du commun Ă©tait inĂ©luctable depuis la rupture de deux attaches, l’une en aoĂ»t, l’autre en novembre : les filins d’acier composant les derniers cĂąbles se rompaient les uns aprĂšs les autres au cours des derniers jours. « C’était un effet boule de neige, a dĂ©clarĂ© Angel Vazquez, le directeur des opĂ©rations du radiotĂ©lescope. Il n’y avait aucun moyen de l’arrĂȘter. C’était trop pour la vieille dame. »Construit au dĂ©but des annĂ©es 1960, le disque gĂ©ant d’Arecibo (305 mĂštres de diamĂštre) a Ă©tĂ© au cƓur de nombreux travaux, notamment sur les pulsars, des Ă©toiles Ă  neutrons en rotation rapide. C’est aussi lĂ  qu’était menĂ©e une partie du programme SETI de recherche de signaux Ă©manant d’éventuelles civilisations extraterrestres.PHOTO : RICARDO ARDUENGO/AFP

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0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2020 science & mĂ©decine | 29

Dominique Costagliola, la dynamique de l’épidĂ©mieSpĂ©cialiste du VIH, l’épidĂ©miologiste et biostatisticienne, qui s’est fortement investie dans la lutte contre la pandĂ©mie de Covid-19, se voit dĂ©cerner le Grand Prix de l’Inserm de l’annĂ©e

A u fil des mois, elle est devenue de plusen plus prĂ©sente dans les mĂ©dias, re­cherchĂ©e pour ses analyses pertinen­tes de l’épidĂ©mie de Covid­19 et sondiscours « cash ». Qu’elle critique la

mĂ©thodologie des Ă©tudes de Didier Raoult sur l’hydroxychloroquine ou la gestion de la crise par les dĂ©cideurs, Dominique Costagliola affiche une indĂ©pendance totale.

Avec le SARS­CoV­2 comme avec le VIH, sur lesplateaux tĂ©lĂ© comme sur Twitter, et quel que soitson interlocuteur, l’épidĂ©miologiste et biostatisti­cienne applique la mĂȘme mĂ©thode : du bon sens, de la science et de la pĂ©dagogie. Son propos peut ĂȘtre radical mais il est toujours argumentĂ©, fondĂ© sur des donnĂ©es et des faits, martĂšlent ceux quil’ont cĂŽtoyĂ©e sur le plan professionnel.

ContactĂ©e pour ce portrait, la directrice adjointede l’Institut Pierre­Louis d’épidĂ©miologie et desantĂ© publique (Sorbonne UniversitĂ©, Inserm), 66 ans, prĂ©cise qu’elle aura une « actu Inserm » le8 dĂ©cembre. L’actu en question est en fait l’an­nonce du Grand Prix de cet institut de recher­che, qui lui est dĂ©cernĂ© cette annĂ©e. L’Inserml’avait dĂ©jĂ  distinguĂ©e en 2013 avec son « prixRecherche » pour ses travaux sur le VIH. Une li­gne de plus sur un CV impressionnant, comme lenombre de ses publications (539 sur la base dedonnĂ©es PubMed).

Comment rĂ©sumer autant de titres et de cas­quettes, dont l’énumĂ©ration lui a pris pas moins de huit minutes lors de son audition au SĂ©nat, le15 septembre, par la commission d’enquĂȘte sur lagestion de la crise sanitaire ? Dans son apparte­ment parisien, oĂč elle tĂ©lĂ©travaille depuis le pre­mier confinement et nous reçoit entre deux rĂ©u­nions virtuelles, Dominique Costagliola s’amusede la remarque. Puis s’explique : « Je voulais que les sĂ©nateurs sachent exactement d’oĂč je parlais, et d’abord qu’il soit clair que j’étais compĂ©tente enpharmaco­épidĂ©miologie et en Ă©valuation du mé­dicament. Plus que certains experts entendus cejour­là
 » (comprendre Didier Raoult, qui avaitd’ailleurs refusĂ© une audition commune).

Le rĂ©cit­fleuve de ses activitĂ©s et missions visaitaussi Ă  la clartĂ© sur ses collaborations avec l’infec­tiologue Yazdan Yazdanpanah et la virologueMarie­Paule Kieny, auditionnĂ©s en mĂȘme tempsqu’elle. Et sur ses liens avec des laboratoires phar­maceutiques. « Dans le flou artistique autour de ladĂ©fense de l’hydroxychloroquine, il y a l’idĂ©e que ceux qui en disent du mal ont des liens d’intĂ©rĂȘtavec l’industrie, rappelle­t­elle. Je voulais montrerque les miens, que j’ai toujours mentionnĂ©s d’em­blĂ©e quand j’ai Ă©tĂ© missionnĂ©e par des ministres, dedroite comme de gauche, n’ont jamais Ă©tĂ© considé­rĂ©s comme des conflits et ne m’empĂȘchent pas de dire ce que je pense d’un mĂ©dicament. »

La nouvelle pandĂ©mie l’a cueillie Ă  un peu plusd’un an de la retraite (elle s’arrĂȘtera en aoĂ»t 2021), alors qu’elle commençait Ă  passer la main. DĂšsjanvier, elle a Ă©tĂ© impliquĂ©e dans le suivi du Covid,au sein du comitĂ© scientifique de REACTing, le consortium de l’Inserm qui coordonne la recher­che française pendant les Ă©pidĂ©mies.

AssignĂ©e Ă  rĂ©sidence, avec des horaires de travailĂ  rallonge, cette passionnĂ©e de voyages et d’Asie a eu comme hobby principal la cuisine, partageant les photos de ses plats sur Facebook.

Expression libreProche de plusieurs membres du conseil scienti­fique, rencontrĂ©s au fil de sa vie professionnelle,elle trouve plutĂŽt utile d’ĂȘtre en dehors de cette instance, pour s’exprimer librement. Et dire touthaut ce que certains d’entre eux pensent toutbas, probablement. « Quand Jean Castex a Ă©tĂ© auditionnĂ© Ă  l’AssemblĂ©e nationale, mi­novembre,il s’est en quelque sorte dĂ©douanĂ© de ne pas avoir pris de mesures contraignantes en septembre ense rĂ©fĂ©rant aux “rassuristes”, estime la cher­cheuse. Il n’y a pas de rassuristes dans le conseilscientifique, alors pourquoi Ă©couter ces imbĂ©cilesqui sont mauvais plutĂŽt que les membres d’unconseil qu’on a nommĂ©s ? »

Elle est aussi sans concession sur l’absence demembres de la sociĂ©tĂ© civile dans la gestion de la crise : « Quand vous regardez les missions de la ConfĂ©rence nationale de santĂ© et sa composition,vous vous dites : “Comment est­il possible qu’ellen’ait pas Ă©tĂ© associĂ©e Ă  la rĂ©flexion et aux dĂ©ci­sions ?” On a crĂ©Ă© tout un tas de machins pour lareprĂ©sentation des citoyens et, lorsqu’il y a une crise, on voit bien que ce n’est que de l’affichage puisqu’on ne les sollicite pas. » Pour cette cher­cheuse engagĂ©e, qui travaille depuis des dĂ©cen­nies avec le milieu associatif du VIH, « ne pas prendre le pari de l’intelligence et de la discussion concertĂ©e est d’un rĂ©trograde absolu ».

« C’est une femme de caractĂšre et une scien­tifique extrĂȘmement solide. Elle a toujours eu son franc­parler, et j’aime bien parce que c’est fondĂ© scientifiquement », rĂ©sume Jean­FrançoisDelfraissy, prĂ©sident du conseil scientifique,qui la connaĂźt depuis plus de trente ans. Pra­tiquement depuis ses dĂ©buts dans la recher­che sur le VIH, en fait. C’était au milieu desannĂ©es 1980, aprĂšs un parcours peu linĂ©aire.MaĂźtrise de physique en poche, cette fille de militaire rentre sur titres en deuxiĂšme annĂ©ed’école d’ingĂ©nieurs. A Telecom, elle s’ennuieferme jusqu’à s’inscrire dans l’option qui valui ouvrir de nouveaux horizons : gĂ©nie biolo­gique et mĂ©dical. Le polytechnicien et Ă©pidé­miologiste Alain­Jacques Valleron, chez qui elle fait un DEA puis une thĂšse, deviendra son« pĂšre de sciences », sur le volet Ă©pidĂ©miolo­gie et modĂ©lisation ; la fonction maternelleĂ©tant dĂ©volue au docteur Eveline EschwĂšge,qui l’éduque Ă  la recherche clinique. Unelarge palette de compĂ©tences Ă  laquelle ellen’a jamais renoncĂ©.

RecrutĂ©e Ă  l’Inserm en 1982 comme attachĂ©ede recherche sur le diabĂšte, elle va se tourner vers le sida Ă  partir de 1986. D’abord pourdĂ©velopper des modĂšles statistiques estimantles « paramĂštres cachĂ©s » de l’épidĂ©mie, telles la durĂ©e d’incubation et l’incidence de cette infection ; puis pour des recherches plus en lien avec la clinique et les traitements. Elle asouvent travaillĂ© en « tandem fĂ©minin », a­t­elle soulignĂ© dans son allocution Ă  l’AcadĂ©mie des sciences, oĂč elle a Ă©tĂ© Ă©lue en 2017.

En modĂ©lisant des donnĂ©es d’une cohortecollectĂ©es par la virologue Christine Rouzioux,elle montre ainsi au dĂ©but des annĂ©es 1990que la transmission mĂšre­enfant du virus se fait surtout au moment de l’accouchementou du dernier mois de grossesse. « Elle a toutde suite perçu l’impact possible sur la prĂ©ven­tion, se rappelle la virologue. C’est notre pilierdans le monde du VIH, et une rĂ©fĂ©rence enbiostatistiques. »

L’infectiologue Christine Katlama, qui tra­vaille avec elle de longue date sur l’optimisa­tion des traitements antirĂ©troviraux, saluede son cĂŽtĂ© les partenariats que la chercheusesait Ă©tablir avec les cliniciens : « Elle Ă©coute, comprend et revient avec une vraie proposi­tion. Toutes ces annĂ©es, Dominique s’est imbi­bĂ©e du mĂ©dical, et nous d’elle, et ce sont cesĂ©mulsions qui sont fantastiques. »

Pour Dominique Costagliola, les deux grandsmoments de sa carriĂšre sont les rĂ©sultats desĂ©tudes sur la transmission mĂšre­enfant, etceux de l’étude Ipergay en 2015, qui a montrĂ©une efficacitĂ© Ă  86 % du traitement prĂ©ventifdu VIH par la PrEP, la prophylaxie pré­exposi­tion. Elle en redĂ©roule le fil avec passion, etune prĂ©cision millimĂ©trique. « C’était un peu du travail dans l’ombre, mais trĂšs marquantpour moi », dit­elle sobrement.

Cinglante
 pour la bonne causeMarc Dixneuf, directeur gĂ©nĂ©ral de l’associa­tion de lutte contre le VIH Aides, souligne,lui, son rĂŽle essentiel dans la stratĂ©gie de dé­pistage du VIH. « Elle avait une vision trĂšsclaire sur cette question. A l’époque, elle Ă©taitquasiment la seule Ă  dire qu’il fallait toutmettre en Ɠuvre pour que ceux qui en ontbesoin soient dĂ©pistĂ©s, pour ĂȘtre traitĂ©s. »Pour lui, les quatre annĂ©es passĂ©es Ă  ses cĂŽtĂ©sau Conseil national du sida ont Ă©tĂ© « commeun post­doctorat ».

Brillante, rigoureuse, mais Ă©galement hy­persensible, la professeure Costagliola estaussi rĂ©putĂ©e pas commode, trĂšs exigeante, cinglante parfois
 Mais toujours pour la bonne cause. Marc Dixneuf n’est pas prĂšs d’oublier cette rĂ©union vers 2004­2005, avec des reprĂ©sentants d’un laboratoire pharma­ceutique venus spĂ©cialement des Etats­Unispour proposer une nouvelle stratĂ©gie avec leur mĂ©dicament. DĂšs qu’ils se sont mis Ă  par­ler, Dominique Costagliola les a tout de suitearrĂȘtĂ©s en leur disant que c’était faux. « En trois minutes, elle les a explosĂ©s », s’amuse ledirecteur gĂ©nĂ©ral d’Aides.

Sur l’écran d’ordinateur de la scientifique etsa banniĂšre Twitter, il y a une photo d’un jolivillage colorĂ© et escarpĂ©. C’est l’üle de Procida,dans la baie de Naples, oĂč est nĂ© son grand­pĂšre paternel, marin, et qu’il a quittĂ©e pourvivre Ă  Oran. Mais c’est au Japon qu’elle rĂȘvede retourner. A Kyoto, elle aime tant le jardinsec du Ryoan­ji, avec ses 15 pierres, dont ja­mais plus de 14 ne sont visibles, quel que soitl’endroit d’oĂč on les contemple. « Pour moi,c’est l’allĂ©gorie de la science, confie Domini­que Costagliola. Quand on fait un dispositifexpĂ©rimental, on voit peut­ĂȘtre 14 pierres, mais on ne sait pas s’il y en a 15 ou 12 000. Çapermet de rester modeste. »

sandrine cabut

Dominique Costagliola montre l’évolution du nombre de cas de Covid-19 de mi-mars Ă  fin avril.FRANÇOIS GUENET/INSERM

PORTRAIT

PHYSIQUELe tour de taille du proton s’affineUne Ă©quipe allemande de l’Institut Max­Planck de Garching (BaviĂšre) a mesurĂ© le diamĂštre exact du proton, l’une des particules qui constituent le noyau d’un atome. Elle a trouvĂ© 0,84 femtomĂštre (un femtomĂštre vaut 10­15 mĂštre), soit environ 4 % de moins qu’une valeur prĂ©cé­dente, en sondant trĂšs prĂ©cisĂ©ment les niveaux d’énergie de l’atome d’hydrogĂšne, contenant un seul proton et un Ă©lectron. Cette expĂ©rience va dans le sens d’une rĂ©conciliation entre des rĂ©sultats contra­dictoires obtenus par diffĂ©rents types de mesures depuis 2010, sans pour autant Ă©teindre la controverse entre Ă©quipes.> Grinin et al., « Science », 27 novembre

COVID-19Conduire fenĂȘtres ouvertes rĂ©duit les risques de contaminationDes simulations effectuĂ©es par des cher­cheurs de l’universitĂ© Brown (Providence, Rhode­Island) suggĂšrent de rouler fenĂȘtres ouvertes pour Ă©viter les risques de contami­nation croisĂ©e par des aĂ©rosols porteurs de SARS­CoV­2. La simulation portait sur une voiture de petite taille occupĂ©e par un conducteur et un passager assis Ă  l’arriĂšre, du cĂŽtĂ© opposĂ©. Dans tous les cas, abaisser les fenĂȘtres Ă©tait prĂ©fĂ©rable Ă  l’utilisation de la climatisation pour disperser les aĂ©rosols. Mais l’étude a fait apparaĂźtre des options plus contre­intuitives : ouvrir la fenĂȘtre opposĂ©e Ă  chacun des occupants du vĂ©hicule Ă©tait la meilleure combinaison pour minimiser les risques – sachant, rappellent les chercheurs, que l’aĂ©ration ne doit pas se substituer au port du masque.> Mathai et al., « Science Advances », 4 dĂ©cembre

BIOLOGIEL’intelligence artificielle dĂ©critles protĂ©ines mieux que jamaisLa filiale de Google, DeepMind, spĂ©cialisĂ©e dans les techniques d’intelligence artificiellepar apprentissage profond, a reçu, le 30 novembre, le premier prix dans une compĂ©tition acadĂ©mique visant Ă  dĂ©crire la structure tridimensionnelle des protĂ©ines Ă  partir de la seule connaissance de l’enchaß­nement de ses acides aminĂ©s. La forme dans l’espace de ces molĂ©cules est cruciale pour en comprendre la fonction biologique et proposer, Ă©ventuellement, de nouveaux mĂ©dicaments ou vaccins. Depuis 1994, un concours est organisĂ© tous les deux ans pour mettre en compĂ©tition les meilleurs

algorithmes de prĂ©diction de structures. Cette annĂ©e, comme en 2018, le programme AlphaFold de DeepMind s’est rĂ©vĂ©lĂ© le plus performant. 170 000 structures ont servi Ă  l’apprentissage de l’algorithme. Un article dĂ©crivant la nouvelle mĂ©thode est en cours de soumission. (PHOTO : GOOGLE DEEPMIND)

T É L E S C O P Eb

1,8C’est, en milliard, le nombre d’étoiles contenues dans le nouveau catalogue issu des observa-tions du tĂ©lescope spatial europĂ©en Gaia, rendu public jeudi 3 dĂ©cembre. Il s’agit de la troisiĂšme recension publiĂ©e depuis le lancement de l’instrument dans l’espace en 2013. Elle compte 100 millions d’étoiles supplĂ©mentaires par rapport au prĂ©cĂ©dent catalogue qui date d’avril 2018. Surtout, la mesure du dĂ©placement des Ă©toiles et de la distance qui nous sĂ©pare d’elles a Ă©tĂ© significativement amĂ©liorĂ©e, princi-palement parce qu’elles ont Ă©tĂ© suivies sur une plus longue pĂ©riode. Ce nouveau catalogue complĂšte la liste des Ă©toiles proches du SystĂšmesolaire : plus de 330 000 ont ainsi Ă©tĂ© comptabili-sĂ©es dans un rayon de 100 parsecs, soit 326 an-nĂ©es-lumiĂšre. Il permet aussi aux astronomes de rĂ©aliser des Ă©tudes sur notre galaxie, la Voie lactĂ©e, par exemple sur sa rencontre avec la galaxie naine du Sagittaire, qui a commencĂ© il y a plusieurs centaines de millions d’annĂ©es.

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30 |tĂ©lĂ©vision MERCREDI 9 DÉCEMBRE 20200123

HORIZONTALEMENT

I. Point commun. II. Il ne faut pas grand-chose pour l’ébranler. DĂ©fait les unions chez François. III. PiĂšces de charpente. IV. Fit le malin. Gardes pour toi. Aile de papillon. V. PrĂ©posi-tion. UnitĂ© de puissance. FrĂ©tillent en MĂ©diterranĂ©e. VI. Patron du jour. AssemblĂ©es de gens compĂ©tents. VII. Terre du potier. NĂ©gation. Dame de la cĂŽte. VIII. Long poĂšme Ă©pique et guerrier. Dieu Ă  tĂȘte de faucon. Vaut de l’or. IX. Rois de NorvĂšge. FraĂźche et nouvelle. X. Assainisse-ments et mises au propre.

VERTICALEMENT

1. Sale coup pour les affaires et le moral. 2. RemuĂ© dans tous les sens. 3. Personnel. TravaillĂąt sa bĂ©chamel. 4. Capitale pour les canadiens. Content de lui mais dĂ©fait. 5. Accueil-lante station russe dans l’espace. Roumaine ou IsraĂ©lienne. 6. Ses fleurs jaunes rĂ©pandent une odeur de rĂ©sine. RĂ©siste au coup de peigne. 7. Chirurgien de NapolĂ©on III. Ile. 8. Mesure Ă  PĂ©kin. Petite Ăźle stratĂ©-gique Ă  l’entrĂ©e de la mer Rouge. 9. Monta en rĂ©seau. Garde ses secrets. 10. Aurore, sƓur d’HĂ©lios et de SĂ©lĂ©-nĂ©. PiĂšce de la charrue. PrĂ©position. 11. Note. Passe en premier. 12. S’abandonnent dans leur imagination.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 286

HORIZONTALEMENT I. Paperasserie. II. Animalier. Oc. III. Salutation. IV. Scie. Mendies. V. Eo. ABS. NS. VI. Planai. Prolo. VII. Lune. QPC. Tan. VIII. AttĂ©nua. Pain. IX. ThĂ©. ƒils. DĂ©. X. Se. Dessaisir.

VERTICALEMENT 1. Passe-plats. 2. Anacoluthe. 3. Pili (pili-pili). Ante. 4. Emue. Née. 5. Rat. Aa. Noé. 6. Alambiqués. 7. Sites. Pais. 8. Sein. PC. La. 9. Eroder. Psi. 10. Ni. Ota. 11. Io. Enlaidi. 12. Ecussonner.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

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Canal+The Singing Club21.10 PrĂšs d’un quart de siĂšcle aprĂšs The Full Monty, le Britannique Peter Cattaneo rĂ©cidive en mettant en scĂšne un groupe de femmes de militaires qui trompent l’ennui et l’angoisse en chantant. A voir pour Kristin Scott Thomas et Sharon Horgan.

France 2Mektoub, My Love : Canto Uno22.45 Le film d’Abdellatif Kechiche entraĂźne dans une voie qui n’appartient qu’à lui : abandon presque total de la narration, consomption de la chair et des mots dans l’incendie estival du dĂ©sir, un film comme un long trip sensoriel consacrĂ© Ă  la cĂ©lĂ©bration de la vie.

Toute l’HistoireLe Temps des ouvriers20.40 En quatre volets et sur trois siĂšcles, le documentariste d’origine tchĂšque Stan Neumann livre une histoire monumentale et magistrale de la classe ouvriĂšre europĂ©enne.

Canal+ SériesCatherine the Great21.05 Cette minisérie britannique en quatre épisodes, classique mais plaisante, raconte lestrente ans de rÚgne de Catherine II, impératrice de toutes les Russies, interprétée ici par la grande Helen Mirren.

Elie Semoun filme son « vieux », pour ne pas oublierL’humoriste a rĂ©alisĂ© un documentaire sur les derniers moments passĂ©s avec son pĂšre, malade d’Alzheimer

LCPMERCREDI 9 - 20 H 30

DOCUMENTAIRE

C’ est Ă  moi, merde !C’est mon appareil ! »Un vieux monsieurse fĂąche : ce n’est pas

parce qu’il est ĂągĂ© qu’il ne sait pas manipuler sa tĂ©lĂ©commande ! A cĂŽtĂ© de lui, son fils sourit, mal Ă  l’aise, parce que lui sait que la scĂšne est enregistrĂ©e. Lorsque son pĂšre, Paul, a dĂ©clarĂ© Ă  84 ans les premiers symptĂŽmes de la maladie d’Alzheimer, l’humoriste Elie Semoun a dĂ©cidĂ© de filmer les derniĂšres annĂ©es qu’il leur restait Ă  vivre ensemble.

Ses sƓurs l’ont laissĂ© faire, cons­cientes que leur frĂšre en avait be­soin pour surmonter la mort an­noncĂ©e. Trois mois aprĂšs celle­ci, La ChaĂźne parlementaire (LCP) dif­fuse Mon vieux, un documentaire Ă©mouvant et Ă©trangement opti­miste. ThĂ©rapeutique aussi pour Elie Semoun, brutalement con­frontĂ© Ă  sa propre peur de vieillir, de disparaĂźtre. « Est­ce que je suis prĂȘt Ă  ĂȘtre oubliĂ© par mon pĂšre ? Non, pas du tout. »

DĂ©sarroiL’humoriste cherche des rĂ©pon­ses : sur sa mĂšre, morte d’une hé­patite B en 1974, alors qu’il avait 11 ans ; sur la mort de son frĂšre Lau­rent du sida, en 2002 ; sur le dĂ©part

de la famille du Maroc, dans les an­nĂ©es 1960 vers la France « parce que, selon un dĂ©cret napolĂ©onien, les juifs marocains Ă©taient fran­çais », explique l’artiste. Les scĂšnes de la vie quotidienne alternent avec des images de lieux, des visa­ges de la famille, parmi lesquelles le tĂ©lĂ©spectateur se perd un peu.

Pour tenter de repousserl’échĂ©ance, Elie emmĂšne son pĂšre

Ă  Taza, dans le nord­est du Maroc, oĂč ses parents ont vĂ©cu. « Ça n’aservi Ă  rien », constate­t­il fin no­vembre, interviewĂ© dans le maga­zine « Sept Ă  huit ». Pourtant, lesimages de ce voyage sont particu­liĂšrement touchantes. Paul re­connaĂźt trĂšs bien la mĂ©dina, le cafĂ© Guillaume­Tell ; il se sou­vient des « petits merdeux d’Espa­gnols » qui le traitaient de « sale

juif » quand il jouait au foot plus jeune. Il en rit encore.

Paul a le rire facile et ces mo­ments de complicitĂ© entre pĂšre et fils sont autant de messages d’espoir. En particulier pour les accompagnants de malades d’Alzheimer – 850 000 personnes en France, selon les chiffres duministĂšre de la santĂ©. Ils se recon­naĂźtront certainement dans les

différentes « phases » que tra­verse Elie Semoun.

Tout d’abord le dĂ©sarroi, lors­qu’il dĂ©cide d’accueillir son pĂšre chez lui. « Tu crois que tu perds la boule ? », lui demande­t­il naĂŻve­ment. « Je me demande qu’est­ce que je fais ici ! », rĂ©pond Paul enriant, encore, avant de se prendre la tĂȘte entre les mains. Puis il faut pour le pĂšre et le fils accepter l’en­trĂ©e en Ehpad. « Ça me fait mal au cƓur de savoir que tu m’as amenĂ© lĂ  », dit Paul Ă  Elie aprĂšs sa pre­miĂšre visite de l’établissement mĂ©dicalisĂ©.

Puis vient la colĂšre, lorsque Pauly meurt. PrĂ©maturĂ©ment, estime Elie Semoun. Le 24 septembre, il publie ainsi sur son compte Insta­gram : « Le confinement a tuĂ© monpĂšre. C’est quasi criminel d’empĂȘ­cher nos anciens d’ĂȘtre entourĂ©s del’amour de leurs proches. » Face ca­mĂ©ra, l’humoriste regrette d’avoirĂ©tĂ© privĂ© d’un mois et demi d’amour partagĂ©.

La maladie a­t­elle rapprochĂ©Elie de son pĂšre, avec lequel il dé­clare, au dĂ©but du documentaire,entretenir une relation com­plexe ? Celle­ci se rĂ©vĂšle pourtant, Ă  l’écran, d’une complicitĂ© rare.

catherine pacary

Mon vieux, de Marjory DĂ©jardin et Elie Semoun (Fr., 2020, 54 min), suivi d’un dĂ©bat animĂ© par Elizabeth Martichoux.

Elie Semoun et son pùre. CAMÉRA SUBJECTIVE

L’errance planante de Bill Murray et Scarlett Johansson dans TokyoDans « Lost in Translation », Sofia Coppola filme l’ennui et le dĂ©sarroi de ses deux personnages avec drĂŽlerie et Ă©lĂ©gance

ARTEMERCREDI 9 - 20 H 55

FILM

B ob (Bill Murray), acteurquinqua sur le déclin, venutourner à Tokyo une publi­

citĂ© pour une marque de whisky japonais, se prĂȘte sans mauvaise grĂące, mais avec lassitude, aux de­voirs qui lui incombent. Entre deux obligations, il traĂźne au bar, regarde pĂ©trifiĂ© d’ennui la tĂ©lĂ©vi­sion dans sa chambre, reçoit des fax de sa femme qui lui demandede choisir la couleur de leur mo­

quette, ou est assailli par une pros­tituĂ©e dĂ©chaĂźnĂ©e, mandatĂ©e par la production. Charlotte (Scarlett Johansson), censĂ©e accompagner son mari, un photographe de mode, passe son temps Ă  ne plus l’attendre, et se morfond devant lavue panoramique de sa chambre, quand elle ne va pas se purger de son dĂ©sarroi au bar de l’hĂŽtel.

Fatalement, c’est lĂ , entre deuxinsomnies, que nos deux oiseaux de nuit se rencontrent, en quĂȘtede l’apaisante griserie que pro­cure l’alcool. Ils n’ont, Ă  stricte­ment parler, rien Ă  voir l’un avec

l’autre. Il est presque vieux, mariĂ© de longue date, regarde la vie sansenvie, dĂ©cline inexorablement. Elle est jeune, blonde, fraĂźche et jolie, vient de se marier, mĂšne desĂ©tudes de philosophie et regarde la vie comme si celle­ci l’avait prise par surprise. Sans doute ont­ils en partage leur dĂ©sarroi, et plusencore le fait de se trouver, seuls, loin de chez eux, perdus dans un univers de signes indĂ©chiffrables.

La mise en scÚne de Sofia Cop­pola, tapissage sensoriel de lu­miÚre tamisée, de musique pla­nante et de calfeutrage nocturne,

restitue ce dĂ©phasage spatio­tem­porel des personnages, qui les pousse Ă  trouver en l’autre une planche de salut existentiel.

Tout s’achĂšteEn dĂ©pit du fossĂ© de la langue qui les isole de la sociĂ©tĂ© environ­nante, Bob et Charlotte se retrou­vent Ă  Tokyo comme Ă  la maison, en mal de cette aspĂ©ritĂ© propre­ment humaine qui est le grain de sable de la grande normalisation mercantile des dĂ©sirs.

MalgrĂ© les apparences, rienn’aura Ă©tĂ© « perdu Ă  la traduc­

tion », puisque dans ce monde­ci,ou tout au moins dans cette partiedu monde qui passe par New Yorket Tokyo, rien ne se perd mais toutse vend, rien ne se donne mais tout s’achĂšte. Le plan qui le sug­gĂšre avec le plus de nettetĂ© est ce­lui oĂč Bob voit soudain son images’inscrire sur une affiche gĂ©ante. C’est la nature trĂšs particuliĂšrede ce vertige, en vertu duquel l’homme devient Ă  lui­mĂȘme et en plus grand que nature sa pro­pre marchandise, qui confĂšre Ă  la relation entre les deux protago­nistes sa valeur Ă©motionnelle.

La drĂŽlerie et l’élĂ©gance de lamise en scĂšne, cette touche quipermet de suggĂ©rer un maximumde choses en un minimum de mots, cette prĂ©dilection pour un pastel esthĂ©tique qui relĂšverait de l’effet de mode si elle n’ouvrait surun abĂźme de dĂ©sarroi, tout cela faitde Sofia Coppola une cinĂ©aste Ă  part entiĂšre, quelqu’un qui sait faire corps avec son temps.

jacques mandelbaum

Lost in Translation, de Sofia Coppola. Avec Scarlett Johansson, Bill Murray (EU­Jap., 2003, 120 min).

N O T R ES É L E C T I O N

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Page 31: Le Monde - 09 12 2020

0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2020 CULTURE | 31

Universal a acquis le catalogue de Bob DylanL’accord, qui concerne 600 chansons, constitue une des plus importantes transactions dans l’édition musicale

U niversal Music Pu­blishing Group(UMPG) a annoncé,lundi 7 décembre,

l’acquisition de « l’ensemble ducatalogue de chansons de BobDylan ». Ni la somme, ni la chro­nologie des nĂ©gociations entre le chanteur amĂ©ricain (directe­ment ? depuis quand ?) et/ou ses reprĂ©sentants et ceux d’UMPG,ni des prĂ©cisions ne seront « di­vulguĂ©es » (« disclosed »), nous aindiquĂ© le responsable de lacommunication aux Etats­Unis. La somme de plus de 300 mil­lions de dollars (environ 247 mil­lions d’euros) est avancĂ©e par le j­ournaliste Ben Sisario, dans leNew York Times.

Pour sa part, la publication pro­fessionnelle amĂ©ricaine de l’in­dustrie musicale Billboard estime que cet accord est « probablement le plus important pour un auteur­compositeur seul » Ă  ce jour et Ă©vo­

que un montant de plusieurs cen­taines de millions de dollars.

Le communiquĂ© d’UniversalMusic Publishing Group, plus grosse maison d’édition musicale aprĂšs Sony/ATV Music Publishing, indique que ce sont plus de 600 chansons Ă©crites et compo­sĂ©es par Bob Dylan qui sont concernĂ©es. De celles datant du dé­but des annĂ©es 1960 aux plus ré­centes, figurant sur le dernier al­bum en date, Rough and Rowdy Ways, commercialisĂ© le 19 juin. Si le Prix Nobel de littĂ©rature 2016, aujourd’hui ĂągĂ© de 79 ans, devait en Ă©crire d’autres Ă  l’avenir, il pour­rait les mettre en Ă©dition avec UMPG ou une autre structure.

Les termes d’interprĂšte, auteurou autrice, compositeur ou com­positrice Ă©voquent aisĂ©ment pour le grand public ce Ă  quoi ils se rapportent, mais celui d’édi­teur musical est probablement moins connu. L’éditeur gĂšre l’ex­

ploitation des Ɠuvres et les reve­nus qui en dĂ©coulent, en Ă©change d’un pourcentage sur ces reve­nus. C’est lui qui proposera Ă  une chanteuse ou un chanteur d’in­terprĂ©ter les Ɠuvres de son auteur et compositeur, agira pourplacer les titres de ce cataloguedans des films, documentaires oufictions, des sĂ©ries tĂ©lĂ©visĂ©es, despublicitĂ©s, des jeux vidĂ©o, collec­ter les droits des diffusions Ă  la ra­dio, dans les commerces


Une centaine de classiquesDans le cas de Bob Dylan, on peut estimer Ă  une bonne centaine ses chansons devenues des classi­ques, dans des approches variĂ©es, folk, rock ou country. Parmi les­quelles Blowin’in the Wind, A HardRain’s A­Gonna Fall, The Times They Are A­Changin’, Mr. Tambou­rine Man, It’s All Over Now, Baby Blue, Like a Rolling Stone,Highway 61 Revisited, Just Like a

Woman, All Along the Watch­tower, Lay Lady Lay, Knockin’onHeaven’s Door, Forever Young,Shelter From the Storm ou Make You Feel My Love. Le nombre de re­prises de ses titres est estimĂ©, se­lon le communiquĂ© d’UMPG, à« plus de 6 000 (
) par une longue lignĂ©e d’artistes reprĂ©sentant desdizaines de pays, de cultures et de genres musicaux diffĂ©rents ». Une exploitation qui rapporte rĂ©guliÚ­

rement – Blowin’in the Wind seraiten tĂȘte, reprise Ă  ce jour prĂšs de400 fois – et qui devrait continuerĂ  constituer un pactole.

Tout comme la publicitĂ©. Aucontraire du trĂ©sor Ă©ditorial des188 compositions des Beatles – ca­talogue passĂ© dans diverses struc­tures avant d’ĂȘtre achetĂ©, en 1985, par Michael Jackson, et qui, aprĂšs d’ñpres nĂ©gociations et un mon­tant restĂ© secret, est rĂ©cemmentrevenu Ă  Paul McCartney –, dont les interprĂ©tations originales ne peuvent ĂȘtre utilisĂ©es dans des films publicitaires, Dylan n’a pasces prĂ©ventions. Sa musique peut se promener un peu partout.

L’icĂŽne des annĂ©es 1960 estmĂȘme apparue Ă  l’image inter­prĂ©tant ses chansons dans plu­sieurs publicitĂ©s, notamment pour la marque de sous­vĂȘtementVictoria’s Secret (en 2004, avec la chanson Love Sick), l’iPod d’Apple(en 2006, avec Someday Baby, qui

Le nombre de reprises de ses

titres est estiméà plus de 6 000,

« Blowin’ in The Wind » Ă©tant

celle la plus souvent jouée

a obtenu un Grammy Award de la meilleure chanson rock en 2007), le soda Pepsi (en 2009, en duoavec will.i.am sur Forever Young) ou les voitures Chrysler (en 2014, avec Things Have Changed). Lesite amĂ©ricain Internet Movie Database publie plus de 800 en­trĂ©es pour l’utilisation de seschansons, interprĂ©tĂ©es par lui ou d’autres, Ă  la tĂ©lĂ©vision ou au ci­nĂ©ma, depuis 1964 jusqu’à un Ă©pi­sode de la sĂ©rie Fear the Walking Dead, en octobre 2020.

Autant d’élĂ©ments montrantque l’Ɠuvre musicale de Bob Dylan attire, au­delĂ  de sesconcerts et ses disques (qui, eux, demeurent chez Columbia Re­cords, un label de Sony Music). Avec une perspective de retour sur investissement qui a dĂ» pe­ser dans la dĂ©cision d’Universal Music Publishing Group.

sylvain siclieret nicole vulser

Les compositeurs de musique contemporaines’unissent en syndicatReprĂ©sentant toutes les gĂ©nĂ©rations, le SMC compte devenir un interlocuteur des tutelles

P endant le confinement, lescompositeurs n’ont pas faitque noircir du papier à

musique dans leur coin. Ils ont échangé, plus que de coutume, surla nécessité de se regrouper pour défendre une activité solitaire, et, trÚs vite, deux nouvelles instancesont été créées. Une fédération, ap­pelée à réunir les artisans de la musique écrite, au sens large, et un Syndicat français des composi­teurs et compositrices de musiquecontemporaine (SMC), structureplus « pointue », qui compte déjà prÚs de 150 adhérents.

Pour en parler aujourd’hui, dansun esprit collĂ©gial – fondement duSMC –, trois membres du conseil d’administration Ă©lu en juin sous la prĂ©sidence de Philippe Hurel.Deux hommes et une femme,rĂ©partition que le musicien Ben­jamin de la Fuente, 51 ans, commente d’emblĂ©e : « Nous tra­vaillons Ă  la paritĂ© hommes­fem­mes mais celle­ci n’est pas encoreatteinte. En revanche, la reprĂ©sen­tation des diffĂ©rentes gĂ©nĂ©rations nous paraĂźt effective. » Et d’indi­quer la prĂ©sence au bureau de Ber­trand PlĂ© (nĂ© en 1986) et d’AnaĂŻs­Nour Benlachhab (nĂ©e en 1996).

Premiers signes d’efficacitĂ©Si le nouveau syndicat ne se voit pas en concurrence avec la fĂ©dĂ©ra­tion, il tient Ă  se dĂ©finir comme une force politique, un interlocu­teur engagĂ©, que les tutelles de­vront consulter pour prendre des dĂ©cisions concernant la musique de crĂ©ation. Le dĂ©clic est venu de ladĂ©centralisation des commandes d’Etat. Celles­ci n’émanent plus dorĂ©navant de la direction gĂ©né­rale de la crĂ©ation artistique (DGCA), basĂ©e Ă  Paris, mais des sa­tellites du ministĂšre de la culture que constituent les dix dĂ©clinai­sons de la direction rĂ©gionale des affaires culturelles (DRAC).

Florence Baschet, secrĂ©taire duSMC, souligne les difficultĂ©s liĂ©es au nouveau mode d’attribution de l’aide Ă  l’écriture musicale (le terme « commande » est dĂ©sor­mais Ă©vacuĂ©) : « Dans certaines commissions d’experts rĂ©unis par la DRAC, on trouve parfois un seul compositeur pour six ou sept res­ponsables de programmation. De plus, des diffĂ©rences apparaissent selon les rĂ©gions quant aux critĂšres

d’évaluation d’un projet. » Con­vaincue qu’une harmonisation estnĂ©cessaire, la compositrice a tra­vaillĂ© sur la question avec son col­lĂšgue Samuel Sighicelli pour abou­tir Ă  un ensemble de propositions que le SMC est impatient de sou­mettre aux tutelles concernĂ©es.

SensibilisĂ©e par une lettre auxdivers sujets qu’entend dĂ©fendre le syndicat, Roselyne Bachelot, la ministre de la culture, a transmis le dossier Ă  HĂ©lĂšne AmblĂšs, sa conseillĂšre chargĂ©e de la crĂ©ation,du spectacle vivant et des festi­vals, qui a reçu une dĂ©lĂ©gation, le12 novembre, avec laquelle elle a dĂ©jĂ  abordĂ© deux dossiers jugĂ©s prioritaires : le soutien aux compositeurs en l’absence de concerts due Ă  la pandĂ©mie et ledispositif des aides Ă  l’écriture.

Un premier signe d’efficacitĂ©selon Samuel Sighicelli, qui, pour avoir expĂ©rimentĂ© la donne des deux cĂŽtĂ©s de la table aux subven­tions (comme dĂ©positaire d’un projet d’écriture et comme mem­bre de la commission d’experts), ne voit pas que des problĂšmes dans la dĂ©centralisation. « C’est l’occasion de sortir de la tour pari­sienne qui rĂšgne sur la crĂ©ation etd’encourager les dynamiques qui existent en rĂ©gion », estime­t­il.

Benjamin de la Fuente Ă©largit lepoint de vue Ă  la place occupĂ©e par le compositeur dans une so­ciĂ©tĂ© en train de changer. « On n’est pas lĂ  pour se plaindre ni pour ĂȘtre agressif, explique­t­il, mais pour faire des propositions concrĂštes dans les multiples do­maines qui concernent notre mĂ©tier. » Les commandes, la rĂ©si­dence auprĂšs des orchestres etdes opĂ©ras, les droits d’auteur, le Centre national de la musique
 « DĂ©fense, valorisation, visibilitĂ© »sont les trois mots qui rĂ©sument, selon lui, les objectifs du SMC avec, dans tous les cas, la volontĂ© de travailler avec les instances.

Dominique Muller, dĂ©lĂ©guĂ© Ă  lamusique du ministĂšre de la cul­ture (DGCA), prĂ©sent Ă  la rĂ©union du 12 novembre, s’est montrĂ© sen­sible au travail effectuĂ© par le syn­dicat, rapporte Philippe Hurel, qui,dans « la bienveillance et l’atten­tion » manifestĂ©es Ă  cette occasion,n’hĂ©site pas Ă  voir « la preuve de la nĂ©cessitĂ© » de l’existence du SMC.

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Page 32: Le Monde - 09 12 2020

32 | culture MERCREDI 9 DÉCEMBRE 20200123

Une Mulan sans Ăąmeet opportunĂ©ment fĂ©ministeL’adaptation en prises de vue rĂ©elles d’un des succĂšs historiques de Disney sort directement sur la plate­forme maison

P révue pour une sortie surgrand écran le 25 mars, re­portée en raison de la crise

sanitaire, l’adaptation en prises devue rĂ©elles de Mulan ne connaĂźtra jamais les salles obscures. Le stu­dio a prĂ©fĂ©rĂ© sortir le film sur Disney +, sa plate­forme de vidĂ©o Ă la demande. Une dĂ©cision qui a provoquĂ© l’ire des exploitants du monde entier qui comptaient sur cette superproduction pour relan­cer la frĂ©quentation des salles au sortir du premier confinement.

S’ajoute Ă  cela un mĂ©contente­ment politique : Mulan ayant Ă©tĂ© tournĂ© dans la rĂ©gion autonome du Xinjiang, des dĂ©fenseurs des droits de l’homme reprochent au studio d’avoir collaborĂ© avec la police chinoise, accusĂ©e d’y persé­cuter la minoritĂ© musulmane ouĂŻgoure. En plus de cette affaire dĂ©jĂ  embarrassante pour le studioamĂ©ricain, l’actrice principale, Liu Yifei, a dĂ©fendu publiquementla police hongkongaise, provo­quant une vague d’indignation et un appel au boycott du film relayĂ©sur les rĂ©seaux sociaux. Un appelvisiblement suivi d’effets puisque le film, sorti en salle dĂ©but sep­tembre en Chine, a rĂ©alisĂ© un trĂšs mauvais dĂ©marrage et n’a jamais rĂ©ussi Ă  trouver son public. Autantd’évĂ©nements qui n’auront servi qu’à prouver que le navire Disney est Ă  peu prĂšs insubmersible, contournant le chaos du monde avec un mĂ©lange d’indiffĂ©rence et de cynisme – on doute qu’ils aientun rĂ©el impact Ă©conomique pour le mastodonte, et il le sait.

Moins un film qu’un produitCette stratĂ©gie rĂ©vĂšle ce qu’est vé­ritablement Mulan : moins unfilm qu’un produit narratif que l’on s’arrache ou que l’on boude, mais dont le succĂšs est, comme toutes les versions filmĂ©es dĂ©jĂ  sorties (Le Roi Lion et Aladdin en 2019, Le Livre de la jungle en 2016
), assurĂ© par son prĂ©dé­cesseur animĂ© (Mulan, 1998) et la force de frappe de Disney.

A ce titre, cette version 2020 estla reprise lĂ©gĂšrement remaniĂ©e du premier scĂ©nario inspirĂ© d’unelĂ©gende chinoise datant du Ve siÚ­cle : Hua Mulan, jeune paysanne,se fait passer pour un homme afin de rejoindre l’armĂ©e impé­riale qui s’apprĂȘte Ă  combattre unenvahisseur. Elle sera tardive­ment dĂ©masquĂ©e et brandie enexemple. Le rĂ©cit hĂ©roĂŻque de cette Jeanne d’Arc chinoise tombeĂ  pic, Ă  l’heure oĂč Disney expie

son passĂ© sexiste en produisant Ă  la chaĂźne des rĂ©cits d’émancipa­tion fĂ©minine. Mulan prend la suite de La Reine des neiges (2013),succĂšs historique du studio : refusd’un destin tout tracĂ© et des attri­buts de la fĂ©minitĂ©, exemple para­digmatique du trĂšs en vogue em­powerment au fĂ©minin.

Mulan est indĂ©pendante, forteet s’intĂ©resse davantage Ă  la guerre qu’aux garçons : un rĂ©cit sans doute bienfaiteur mais dont la rĂ©pĂ©tition mĂ©canique cachemal une stratĂ©gie de « fĂ©minisme washing » qui commence Ă  lasser.De Marvel Ă  Disney, les grandsstudios ont trouvĂ© la formule ma­gique qui les mĂ©tamorphose enchantres du progressisme, et sontbien dĂ©cidĂ©s Ă  ne plus la lĂącher.

Pour le reste, Mulan semble ré­sister Ă  l’habituelle apprĂ©ciationcritique : mise en scĂšne et perfor­mances d’acteurs sont inexis­tants. MĂȘme Liu Yifei, qui est de tous les plans, n’est qu’un rouage Ă  l’intĂ©rieur de cette succession dedĂ©cors grandiloquents d’une Chine lĂ©gendaire ripolinĂ©e au nu­mĂ©rique. Rien ne dĂ©passe, tout estfluide et Ă  sa place, si bien que leregard peine Ă  s’agripper Ă  un dé­tail, un geste, quelque chose quiprouverait que Mulan est autrechose qu’un produit industriel as­semblĂ© par ordinateurs.

Les rares supplĂ©ments d’ñme dupremier film (chansons, humour, acolytes animaliers) ont Ă©tĂ© gom­mĂ©s, comme si rien ne devait entraver l’apprĂ©ciation d’un rĂ©cit moralement aseptisĂ©, censĂ© contenter un public globalisĂ©. Le renoncement Ă  une sortie dansles salles obscures au profit des Ă©crans domestiques rĂ©affirme l’ambition du studio : produire des flux d’images qui ont pour seule vertu, sur deux heures, detenir les enfants en place.

murielle joudet

Mulan, film américain de Niki Caro (1 h 56). Avec Liu Yifei, Donnie Yen, Gong Li.

Les zigzags poĂ©tiques et burlesques de Kidlat TahimikLâ€˜Ă©dition en DVD de « Perfumed Nightmare » permet de dĂ©couvrir le film du cinĂ©aste philippin, rĂ©compensĂ© au Festival de Berlin en 1977

DVD

A u festival de Berlin,en 1977, un ovni cinéma­tographique obtenait le

Prix de la critique internationale(Fipresci) : Perfumed Nightmare, premier long­mĂ©trage auxaccents dadaĂŻstes du Philippin Kidlat Tahimik, un trompe­l’Ɠil faussement documentaire et rĂ©solument anticolonialiste.

Devenu culte, ce film inĂ©dit enFrance sort en DVD le 7 dĂ©cembre (Ă©ditĂ© par MĂ©gaphone et distribuĂ©par Doriane films), accompagnĂ© d’un passionnant entretien avec le rĂ©alisateur : nĂ© en 1942, ancien Ă©conomiste, Kidlat Tahimik estdevenu cinĂ©aste presque par ha­sard, avec le soutien de Werner Herzog. D’abord distribuĂ©s aux

Etats­Unis par Francis Ford Cop­pola (Zoetrope), ses films ont été ensuite confiés au documenta­riste américain et distributeur LesBlank (1935­2013), de Flower Films.

Le hĂ©ros de Perfumed Night­mare est le rĂ©alisateur lui­mĂȘme,sorte d’alter ego : Kidlat Tahimik incarne un chauffeur de taxi faus­sement candide, dans un village proche de Manille. Ebloui par la technologie occidentale et les aventures spatiales, il rĂȘve de de­venir astronaute et de construiredes ponts « jusqu’à la Lune ». Un voyage Ă  Paris, dans la France gis­cardienne qui achevait alors de construire le Centre Pompidou (inaugurĂ© en 1977), puis un autrepĂ©riple dans l’Allemagne rurale vont faire dĂ©chanter notre explo­rateur. Interrogeant la modernitĂ©

et le dĂ©clin de l’artisanat (des mar­chands de « quatre saisons » au ci­nĂ©ma indĂ©pendant), Kidlat Tahi­mik critique le systĂšme par peti­tes touches surrĂ©alistes : Ă  Paris, des machines Ă  chewing­gums sont installĂ©es dans les quartiers touristiques afin d’assurer Ă  leur propriĂ©taire une petite fortune.

Le pont comme matriceDans ce film hybride, le rĂ©alisa­teur mĂȘle joyeusement une ap­proche anthropologique et un re­gard burlesque sur ses contem­porains. A propos de ce « cauche­mar parfumĂ© », l’essayiste Susan Sontag (1933­2004) avait Ă©crit :« Perfumed Nightmare rappelle que l’invention, l’insolence, l’en­chantement et mĂȘme l’innocencesont encore possibles au cinĂ©ma. »

Kidlat Tahimik est un poĂšte quijoue avec les mots, et le « pont » dela premiĂšre image, Ă  l’entrĂ©e duvillage philippin, va devenir la matrice du film. Suivront les ponts de Paris, les passerelles d’aĂ©roports
 Tour Ă  tour,l’ouvrage architectural est syno­nyme d’émancipation, de rĂȘverie,

de profit, de conquĂȘte militaire,etc. Construit Ă  la maniĂšre d’un« marabout­bout de ficelle », Per­fumed Nightmare a la beautĂ© fra­gile de cartes postales jaunies par le temps, et le film doit son « grain » aux pellicules 16 milli­mĂštres pĂ©rimĂ©es que le cinĂ©aste s’était procurĂ©es.

Auteur de sept longs­mĂ©trages(Turumba, Pourquoi le jaune est­il la couleur de l’arc­en­ciel ?
), Kidlat Tahimik a dĂ©butĂ© au ci­nĂ©ma aprĂšs les Jeux olympiques de Munich, de 1972. A cette Ă©po­que, le jeune Ă©conomiste et entre­preneur commercialisait un pro­totype pour la mascotte des JO – laquelle Ă©tait alors un teckel !

De rebondissement en faillite,Kidlat Tahimik commença à tra­vailler avec un jeune cinéaste alle­

mand, qui le fit jouer dans son film de fin d’études. Un certainWerner Herzog Ă©tait chargĂ© d’éva­luer le projet. Celui­ci fut intriguĂ© par le jeu de Kidlat et le fit tournerdans L’Enigme de Kaspar Hauser (1974) – le Philippin y interprĂšteHombrecito, un joueur de flĂ»te.

Plus tard, lorsque Kidlat Tahi­mik fut saisi de doutes pendant lemontage de Perfumed Nightmare,il demanda conseil Ă  Herzog. Son film ne faisait­il pas de trop de zig­zags, et le passage par l’Allemagne Ă©tait­il indispensable ? Herzog luiassura : « Kidlat, c’est dans les dé­tours que tu es le meilleur. »

clarisse fabre

Perfumed Nightmare, film philippin de Kidlat Tahimik (1977, 1 h 33), 1 DVD MĂ©gaphone/Doriane.

Le bal des cyniquesRyan Murphy alourdit d’une leçon de tolĂ©rance « The Prom », comĂ©die musicale clinquante adaptĂ©e d’une piĂšce de Broadway

E n contrat pour cinq ansavec Netflix, le show­runner Ryan Murphy nechÎme pas et tient son

calendrier. AprĂšs avoir fourni Ă  la plate­forme de SVoD les trois sé­ries Snatched (2019), Hollywood etThe Politician (2020), le voilĂ  au rendez­vous de NoĂ«l avec The Prom, une comĂ©die musicale dé­bordante de bonnes intentions et armĂ©e d’une distribution de mar­que (Meryl Streep, James Corden,Nicole Kidman).

Adaptation cinĂ©matographiquedu spectacle Ă©ponyme crĂ©Ă© Ă  Brodway par Bob Martin, Chad Beguelin et Matthew Sklar, le filmprend le parti d’en mettre plein les yeux – au point qu’ils piquent parfois – pour non seulement di­vertir mais aussi dĂ©livrer un mes­sage de tolĂ©rance Ă  l’égard del’homosexualitĂ©. Deux rĂ©solu­tions que The Prom ne parvientpas toujours Ă  accorder. TraitĂ© Ă  partir d’une trame narrative som­maire et d’une poignĂ©e de lieuxcommuns, le propos s’alourdit Ă  mesure que le show s’étire.

Ce dernier crĂ©e une explosiondĂšs la levĂ©e de rideau, avec deux numĂ©ros musicaux Ă©lectriques, exaltĂ©s, filmĂ©s par une camĂ©ra virevoltante. Le dĂ©cor est Ă  l’ave­nant : un thĂ©Ăątre et une avenue deBroadway (reconstituĂ©e en stu­dio) saturĂ©s de couleurs, depaillettes et de nĂ©ons. Le spec­tacle donne le « la » et ouvre le

prologue du film oĂč l’on dĂ©couvreDee Dee Allen (Meryl Streep) et Barry Glickman (James Corden), deux vedettes de la scĂšne new­yorkaise qui, aprĂšs la premiĂšre de leur nouveau spectacle, atten­dent les retours de la critique.

HĂ©las, elle ne sera guĂšre Ă  la hau­teur de leurs attentes. EreintĂ©s partous les journaux, qualifiĂ©s de« stars narcissiques », les deux ac­teurs s’interrogent. Et ne comp­tent pas en rester lĂ . Il leur faut, coĂ»te que coĂ»te, trouver le moyende redorer leur image. DĂ©fendre une noble cause pourrait faire l’affaire. Ils la trouvent sur les ré­seaux sociaux oĂč fait grand bruit, depuis quelques jours, l’histoire d’Emma (Jo Ellen Pellman), unejeune lycĂ©enne de l’Indiana Ă  qui aĂ©tĂ© refusĂ© le droit de se rendre au bal de fin d’annĂ©e avec sa petite amie Alyssa (Ariana DeBose).

Revirements attendusChangement de cap. Destination l’Etat de l’Indiana oĂč dĂ©barquent nos deux orgueilleuses cĂ©lĂ©britĂ©s en compagnie de deux compĂšres susceptibles de leur prĂȘter main­forte sans leur faire de l’ombre : Angie Dickinson (Nicole Kidman)et Trent Oliver (Andrew Rannells),actrice et acteur de seconde zone. L’environnement de cette autre AmĂ©rique – modeste, conser­vatrice et puritaine – profite au film. ExpurgĂ© du clinquant de Broadway, The Prom prend un

nouveau chemin, familier ce­lui­là à Ryan Murphy, cocréateur en 2009 de la série LGBT­frien­dly Glee (succÚs mondial).

Nous voilĂ  projetĂ©s dans ungenre popularisĂ© par Disney : lehigh school musical. Le virageouvre la voie Ă  plus d’émotion (traitĂ©e avec force lacrymale). Et surtout de drĂŽlerie. Orchestrantavec un bonheur certain la confrontation de deux mondes, le rĂ©alisateur abandonne ses ac­teurs Ă  leur fantaisie. Registre dans lequel Meryl Streep, en par­ticulier, rayonne. Son talent co­mique dans le rĂŽle de l’actricepourrie gĂątĂ©e, sournoisement prĂ©tentieuse, constitue le pilier le plus solide du film.

Comme on s’y attend, aprĂšss’ĂȘtre confrontĂ© aux regards des autres et Ă  ses propres blessures, chacun sort changĂ© de cette

aventure oĂč l’univers scolaire ap­paraĂźt aussi cruel que l’industrie du spectacle. Emma et Alyssa, re­jetĂ©es par tous – Ă  l’exception du proviseur Mr. Hawkins (Keegan­Michael Key) –, sont victimesd’une supercherie qui les sĂ©pare au bal de fin d’annĂ©e. Outrage quele quatuor venu de Broadway en­treprend de rĂ©parer en organisantune autre fĂȘte. Le projet, dont le but est de faire tomber les prĂ©ju­gĂ©s et de rĂ©concilier les familles,donne lieu Ă  une poignĂ©e de revi­rements attendus et dĂ©risoires.Pas de quoi Ă©toffer l’histoire et les personnages. Les deux jeunes filles par qui le scandale arrive de­meurent bien falotes face Ă  la pré­sence des « monstres sacrĂ©s » quileur donnent la rĂ©plique.

Sur ce dĂ©sĂ©quilibre, The Promtient tant bien que mal. Et semble plutĂŽt dĂ©suet en ces temps #me­too. PrĂ©sentĂ©, au dĂ©but du film, comme un gros gĂąteau bien cré­meux, appĂ©tissant mais quelque peu indigeste, le spectacle se pour­suit sur un mode plus allĂ©gĂ© et peuenthousiasmant. Car, si les chan­sons se rĂ©vĂšlent assez efficaces, leschorĂ©graphies, elles, n’éblouissentguĂšre, offrant Ă  leurs interprĂštes peu d’occasions de s’essouffler. Contrairement au film.

véronique cauhapé

Film américain de Ryan Murphy. Avec Meryl Streep, James Corden, Nicole Kidman (2 h 11). Sur Netflix

Le film rĂ©siste Ă  l’apprĂ©ciationcritique : mise

en scùne et performances d’acteurs sont

inexistants

Interrogeant la modernité, le réalisateur

critique le systĂšme par

petites touchessurréalistes

James Corden,Nicole Kidman, Andrew Rannells et Meryl Streep, dans « The Prom ».MELINDA SUE GORDON/NETFLIX

Orchestrant avec un bonheur

certainla confrontation

de deux mondes,le réalisateur

abandonne ses acteurs

Ă  leur fantaisie

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Quand la science­fiction annonce le psychédélismeTrois classiques hollywoodiens, qui mettent en scÚne un savant paranoïaque ou des homme­taupes, ressortent chez Elephant films

DVD

F antasmagories apocalyp­tiques, défigurations poé­tiques, inversion deséchelles, images phobi­

ques, la science­fiction, et plus lar­gement ce que l’on appelle le fan­tastique, constitue peut­ĂȘtre le dĂ©fi majeur imposĂ© au cinĂ©ma, moyen d’expression fondĂ© sur un enregistrement du visible. Unegrande partie du cinĂ©ma popu­laire (avec les films de Georges MĂ©liĂšs comme moment primitif) se rapproche ainsi d’un art de l’imaginaire pur. D’oĂč viennent les visions de la science­fiction hollywoodienne ? Trois films pour y rĂ©flĂ©chir viennent d’ĂȘtre Ă©ditĂ©s en combo Blu­ray/DVD par Elephant Films.

Docteur Cyclope fait partie d’unetentative du studio Paramount qui produit, Ă  la fin des annĂ©es 1930, cette excentricitĂ© en Techni­color, procĂ©dĂ© en couleurs encore rarement employĂ© en raison ducoĂ»t des tirages de copies, et ré­servĂ© pour cela aux grandes fres­ques historiques (Autant en em­porte le vent) ou aux fantaisies destinĂ©es Ă  un trĂšs large public (LeMagicien d’Oz).

RĂ©alisĂ© par Ernest B. Schoedsack,qui avait Ă©tĂ©, six ans plus tĂŽt, le coauteur de King Kong, le film meten scĂšne un savant devenu mĂ©ga­lomane et paranoĂŻaque, perdu au cƓur de la jungle amazonienne et expĂ©rimentant grĂące aux effets du radium des techniques de ra­petissement d’animaux puis d’humains. Il miniaturise ainsi l’équipe de scientifiques venue le seconder. Ceux­ci doivent alors tout Ă  la fois affronter les dangers qu’attire leur dĂ©sormais petite taille, essentiellement des ani­

maux (un chat noir glouton, un crocodile), et venir Ă  bout du sa­vant fou en imaginant diffĂ©rents dispositifs pour le neutraliser. Si Docteur Cyclope n’atteint pas les sommets poĂ©tiques du chef­d’Ɠuvre L’Homme qui rĂ©tré­cit, de Jack Arnold, en 1957, qui seraconstruit sur le mĂȘme principe, le film de Schoedsack n’est pas dé­nuĂ© d’un certain charme enfantin.

Le Peuple de l’enfer et Le Monstredes abĂźmes font partie de cette va­gue de films de science­fictionque produisirent, dans les annĂ©es 1950, en une Ă©poque de guerre froide et de peur atomique, lesstudios Universal. Le premier ti­tre, rĂ©alisĂ© en 1956 par Virgil W. Vogel, imagine une civilisation installĂ©e depuis des siĂšcles sous lacroĂ»te terrestre. Explorateurs in­trĂ©pides, sociĂ©tĂ© totalitaire exploi­tant comme esclaves de mons­trueux hommes­taupes, le scĂ©na­rio du film, signĂ© Laszlo Gorog,est d’une rĂ©jouissante richesse, rappelant par ses trouvailles les romans d’Edgar Rice Burroughs.

Le second titre, de loin lemeilleur de cette fournĂ©e, est ar­rivĂ©, historiquement, Ă  la fin de cette vague science­fictionnelle.Le Monstre des abĂźmes est une nouvelle preuve du talent de son auteur, Jack Arnold, Ă  qui l’on de­vait dĂ©jĂ  quelques chefs­d’Ɠuvre produits par Universal comme Le MĂ©tĂ©ore de la nuit, L’Etrange crĂ©a­ture du lac noir, Tarentula, The Space Children.

Art de l’hallucinationDans Le Monstre des abĂźmes, un professeur de palĂ©ontologie dé­couvre un poisson datant de la prĂ©histoire. ContaminĂ© par l’eau du bassin, il se transforme en crĂ©a­ture pré­Homo sapiens, homme des cavernes brutal qui va com­mettre plusieurs meurtres. L’invo­lution rĂ©gressive, le retour Ă  un Ăąge reculĂ© de l’espĂšce humaine de­vient le postulat horrifique et spectaculaire de ce qui a toutes les qualitĂ©s d’une sĂ©rie B d’épouvante extrĂȘmement efficace. L’usage du son et du hors­champ met en con­dition le spectateur avec une cer­taine forme de gĂ©nie. Jack Arnold, qui n’a sans doute pas la place qui lui revient dans l’histoire du ci­nĂ©ma, a tournĂ© des films de scien­ce­fiction Ă  petit budget oĂč il met en scĂšne des images hallucinĂ©es,

comme l’équivalent de visions provoquĂ©es par l’absorption de substances psychotropes. Le sa­vant du Monstre des abĂźmes subit ses transformations en inhalant les quelques gouttes d’un liquide accidentellement tombĂ© dans sa

pipe, avant de se l‘injecter lui­mĂȘme par piqĂ»re.

Arnold avait signĂ© en 1958 lefilm Jeunesse droguĂ©e, sorte de mise en garde kitsch contre lesdangers de la marijuana. Son ci­nĂ©ma pourtant n’est qu’un art de

l’hallucination et de la transe pro­voquĂ©e, un delirium tremens peu­plĂ© d’hommes­poissons, d’arai­gnĂ©es gĂ©antes et de brutes prĂ©his­toriques. Jamais autant qu’avec Arnold la science­fiction des an­nĂ©es 1950 n’aura pu ĂȘtre considé­

rée comme une origine du psy­chédélisme.

jean­françois rauger

Docteur Cyclope, Le Peuple de l’enfer, Le Monstre des abümes. 3 DVD/Blu­ray Elephant films.

Dans « Le Monstre des abßmes »,

l’usage du son etdu hors-champ

met en conditionle spectateur

avec une certaineforme de génie

« Le Peuple de l’enfer », de Virgil W. Vogel. 1956 UNIVERSAL PICTURES/ RENEWED 1984 UNIVERSAL CITY STUDIOS

GRANDE-BRETAGNESelon Helen Mirren, des gens du thĂ©Ăątre risquent de perdre leur logementL’actrice britannique Helen Mirren, 75 ans, a mis en garde contre les consĂ©quences dĂ©vastatrices du Covid­19 pour le milieu thĂ©Ăątral. « L’inquiĂ©tude est simplement que les gens ne soient pas capables de payer leur loyer », a­t­elle soulignĂ© dans un entretien diffusĂ© lundi 7 dĂ©cembre par l’agence de presse Press Association. Ces gens « vivent souvent, comme beaucoup de personnes, de paie en paie, a indiquĂ© la comĂ©dienne. Quand ces paies ne sont pas lĂ , comme ça a Ă©tĂ© le cas sur l’annĂ©e Ă©coulĂ©e, c’est trĂšs, trĂšs, trĂšs problĂ©matique, et je suis sĂ»re que nombre d’entre eux risquent de perdre leur logement. » En urgence, le gouvernement britannique

a dĂ©bloquĂ© une aide de 1,57 milliard de livres (1,72 mil­liard d’euros) pour le secteur culturel. – (AFP.)

La famille de Roald Dahl condamne ses propos antisĂ©mitesSur le site officiel de la Roald Dahl Story, la famille de l’auteur britannique pour enfants, mort en 1990, a prĂ©sentĂ© le 6 dĂ©cembre ses « profondes excuses » pour ses « commentaires antisĂ©mites ». Dans un entretien au maga­zine New Statesman, en 1983, le crĂ©ateur de Charlie et la chocolaterie et de Matilda avait dĂ©clarĂ© qu’« il y a un trait de caractĂšre chez les juifs qui provoque de l’animositĂ©, peut­ĂȘtre une sorte de manque de gĂ©nĂ©rositĂ© envers les non­juifs », avant d’ajouter que « mĂȘme un salaud comme Hit­ler ne s’en est pas pris Ă  eux sans raison ». – (AFP.)

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Joe Biden met la voiture amĂ©ricainesous tensionLors de sa campagne Ă©lectorale, le dĂ©sormais prĂ©sident Ă©lu avait promis de durcirles normes antipollution et d’encourager l’avĂšnement des modĂšles Ă©lectriques

AUTOMOBILE

S i l’on considĂšre leurs pré­fĂ©rences personnelles, JoeBiden s’inscrit davantagedans la grande tradition

automobile de son pays que Do­nald Trump. FascinĂ© par les belles amĂ©ricaines, le prĂ©sident Ă©lu est connu pour ĂȘtre le propriĂ©taire d’une superbe Chevrolet Corvette Stingray vert bouteille de 1967. Un cadeau de mariage de son pĂšre, quifut le plus important concession­naire General Motors du De­laware. Donald Trump, lui, a col­lectionnĂ© les voitures de milliar­daire avec un penchant assumĂ© pour l’élite du luxe europĂ©en. Fer­rari F430 et Rolls­Royce Phantom, en particulier.

Pourtant, c’est bien Joe Biden quis’apprĂȘte Ă  bousculer l’exception automobile amĂ©ricaine, ardem­ment dĂ©fendue par son prĂ©dĂ©ces­seur au nom de la reconquĂȘte des emplois perdus. En quatre ans, ce­lui­ci a mĂ©thodiquement dĂ©tri­cotĂ© le plan Obama de 2012 qui prĂ©voyait une baisse de la con­sommation moyenne de 3,5 % de 2017 Ă  2021 puis de 5 % jus­qu’en 2025. Il lui a substituĂ© un ob­jectif beaucoup moins ambitieux sous la forme d’une rĂ©duction en pente douce, limitĂ©e Ă  1,5 % par an.

Lors de sa campagne Ă©lectorale,le candidat dĂ©mocrate a promis dedurcir les normes antipollution et d’encourager l’avĂšnement des modĂšles Ă©lectriques, notamment en Ă©largissant le crĂ©dit d’impĂŽt fé­dĂ©ral de 7 500 dollars (environ 6 200 euros) attribuĂ© pour l’acqui­sition d’un tel vĂ©hicule. Il entend aussi installer 500 000 bornes de recharge d’ici Ă  2030. Les Etats­Unis n’en comptent, selon le dé­partement de l’énergie, que 87 600, deux fois moins que dans l’Union europĂ©enne.

La mise en Ɠuvre d’une nou­velle politique visant Ă  rĂ©duire les niveaux de consommation de car­burant des vĂ©hicules neufs ne serapas immĂ©diate. « Contrairement Ă  l’Europe oĂč tout peut aller trĂšs vite, le prĂ©sident va prendre le temps de discuter avec les constructeurs, l’agence de l’environnement et les associations environnementales afin d’élaborer un compromis, sou­ligne Bertrand Rakoto, consultant chez Ducker. Il est peu probable que les futures normes entrent en vigueur avant 2023 et, en tout Ă©tat de cause, il ne sera pas question de malus ou d’hypertaxation Ă  la fran­çaise. Biden va accĂ©lĂ©rer l’inĂ©lucta­ble Ă©lectrification mais il ne va pas rĂ©duire la taille des voitures ou mo­difier les habitudes des AmĂ©ricains, trĂšs portĂ©s sur les pick­up ». Ces rÚ­gles du jeu fĂ©dĂ©rales constituerontun plancher. Comme le rappelle

Jamel Tanganza, consultant au sein du cabinet Inovev, « aux Etats­Unis, les normes environnementa­les sont aussi de la responsabilitĂ© des Etats, et le Texas n’a pas la mĂȘme vision que la Californie ».

La Californie, justement, a jouĂ©une intense partie de bras de fer avec l’administration Trump qui a contestĂ© devant les tribunaux sacapacitĂ© d’adopter une rĂ©glemen­tation antipollution beaucoup plus stricte. Les constructeurs ontdĂ» choisir leur camp. Alors que Ford, Honda, BMW, Volvo etVolkswagen ont nĂ©gociĂ© un ac­

cord avec la Californie, General Motors, Fiat Chrysler Automobi­les (FCA) mais aussi Toyota ont appuyĂ© l’action judiciaire de l’EtatfĂ©dĂ©ral. Toutefois GM, premiergroupe amĂ©ricain, a annoncĂ©, le 23 novembre, son ralliement au camp du vainqueur en se dĂ©soli­darisant de l’action en justice lan­cĂ©e sous l’égide du prĂ©sident sor­tant. Une volte­face saluĂ©e par JoeBiden, convaincu qu’elle « montreune nouvelle fois Ă  quel point les efforts de l’administration Trumppour Ă©roder l’ingĂ©niositĂ© amĂ©ri­caine et les moyens de lutte contre

la menace climatique relĂšvent d’une vision Ă  court terme ».

Ce retour de balancier rappelleque la voiture constitue un cli­vage de plus entre deux AmĂ©ri­que. D’un cĂŽtĂ©, les traditionalis­tes, parfois amateurs de « gas guzzlers » gavĂ©s d’hydrocarbures, font remarquer que, si les modÚ­les amĂ©ricains rejettent plus de CO2, ils sont en revanche mieux placĂ©s pour ce qui concerne les particules et les oxydes d’azote. Etque l’électricitĂ© produite aux Etats­Unis n’est pas particuliĂšre­ment « propre ». De l’autre, les progressistes, fascinĂ©s par les mo­dĂšles Ă©lectrifiĂ©s, expression d’unenouvelle « coolitude » Ă©cologique et technologique, bien dĂ©cidĂ©s Ă rĂ©installer la voiture amĂ©ricaine dans la modernitĂ©.

Une Ford Mustang électriqueAux Etats­Unis, la géographie des goûts automobiles recouvre large­ment celle des préférences politi­ques. Alors que le centre du pays, largement républicain, reste la place forte des pick­up et des gros SUV, on croise plus souvent sur lesCÎtes est ou ouest des modÚles européens, japonais, hybrides ou électriques. Une dualité que pour­rait exacerber une politique vo­lontariste de « verdissement ».

On voit mal les Proud Boys, mili­ciens d’extrĂȘme droite, troquer

leur Dodge Ram pour une Tesla
 Reste Ă  espĂ©rer que l’on n’assisterapas Ă  un retour en grĂące du « coal rolling ». Une provocation de cer­tains conducteurs de gros pick­up diesel qui consiste, Ă  l’approche d’une voiture Ă©lectrique ou hy­bride, Ă  libĂ©rer une Ă©paisse fumĂ©e noire formĂ©e grĂące Ă  un dispositif connectĂ© au systĂšme d’injection. Autre acte militant : se garer de­vant une borne de recharge pour en interdire l’accĂšs aux voitures Ă©lectriques.

En rĂ©alitĂ©, Detroit a dĂ©jĂ  rompuavec l’image d’Epinal de la voiture indiffĂ©rente aux enjeux environ­nementaux. « Les groupes amĂ©ri­cains ne pourront pas produire dans des conditions de rentabilitĂ© satisfaisantes des modĂšles destinĂ©sĂ  leur marchĂ© intĂ©rieur et d’autres pour l’Asie et l’Europe, deux conti­nents qui ont clairement fait le choix de l’électrique », fait valoir Ja­mel Tanganza.

Ford, qui a engagé un ambitieuxprogramme « zéro émission », vient de lancer la Mustang Mach­E100 % électrique, et proposera en 2021 une version hybride de son célÚbre pick­up F150, la voiturela plus vendue aux Etats­Unis. De son cÎté, GM va bientÎt commer­cialiser un Hummer et une gamme de Cadillac, eux aussi tout électrique.

jean­michel normand

Aux Etats-Unis,la géographie

des goûts automobiles

recouvre largement

celledes préférences

politiques

BMW, haro sur les haricotsA la proue des BMW, la double calandre, marqueur identitaire, s’étire et change de forme. Suscitant un dĂ©bat stylistique

H aricots ou naseaux pourles francophones, ro­gnons pour les Anglo­

Saxons (kidneys) et les Allemands (nieren). Peu importe le sobriquet ; la double calandre qui trĂŽne Ă  la proue des BMW s’est imposĂ©e comme le principal marqueur identitaire du constructeur de Munich. Depuis la 303 de 1933, ce signe de reconnaissance permet d’identifier Ă  coup sĂ»r ses modÚ­les, quelle que soit l’époque ou le genre. MĂȘme les versions Ă©lectri­ques, qui n’ont pourtant nul be­soin d’une telle entrĂ©e d’air, reçoi­vent une calandre mais celle­ci est pleine, dissimulant de multiplescapteurs.

Depuis un an et l’apparition de laSĂ©rie 7, les narines frĂ©missantes des nouvelles voitures bavaroises se sont mises Ă  muter. Comme s’il avait subi une injection massive de Botox, le double haricot s’est di­

latĂ© au point de se dĂ©ployer sur toute la face avant, s’étirant entre les phares, absorbant le pare­chocs et dĂ©vorant parfois jusqu’à la plaque d’immatriculation. Sur le coupĂ© SĂ©rie 4 ou le X5, il adopte une verticalitĂ© impressionnante mais pousse rĂ©solument en lar­geur Ă  l’avant de la SĂ©rie 5.

Faire spectaculaireLa calandre de l’imposant X7, trĂšs apprĂ©ciĂ© aux Etats­Unis, s’agran­dit dans toutes les dimensions alors que le concept­car iNEXT, an­nonciateur d’un gros SUV Ă©lectri­que, arbore d’improbables « ro­gnons » siamois comme gonflĂ©s Ă  l’hĂ©lium. Ces variations avancent un seul et unique parti pris : faire dans le spectaculaire.

Un tel feu d’artifice ne pouvaitque mettre en Ă©moi les passion­nĂ©s de design automobile et sus­citer des rĂ©actions contrastĂ©es.

Les unes dĂ©noncent une dĂ©rive Ă la Frankenstein ou une course augigantisme frisant le ridicule. Lesautres cĂ©lĂšbrent l’audace, la li­bertĂ© de crĂ©ation et le sens del’innovation de la marque. An­cien de la maison, le designerFrank Stephenson y est allĂ© deson commentaire, jugeant « dis­gracieuse » la calandre de la nou­velle SĂ©rie 4.

Le designer d’origine croate Do­magoj Dukec (qui fit ses premiÚ­res armes chez CitroĂ«n), nommĂ© en 2019 Ă  la direction du styleBMW, a dĂ» monter au crĂ©neau.Cette approche, a­t­il expliquĂ©, vise Ă  donner un surcroĂźt de « pré­sence » aux modĂšles de la marquevoire, dans le cas du coupĂ© SĂ©rie 4,Ă  « exprimer la composante exoti­que de BMW ». « Quoi que vous fas­siez, il y aura des gens qui aiment et des gens qui n’aiment pas », a­t­il philosophĂ©. Non sans prĂ©ve­

nir que le bruissement des ré­seaux sociaux n’aurait aucun im­pact sur ses choix.

La marque allemande n’en estpas Ă  sa premiĂšre controverse sty­listique. Au dĂ©but des annĂ©es 2000, les grandes berlines aux

formes audacieuses et ventrues rĂ©alisĂ©es sous l’autoritĂ© de l’Amé­ricain Chris Bangle avaient dé­chaĂźnĂ© les passions avec autre­ment plus d’intensitĂ©. Cette polé­mique du haricot est d’autant plus sensible qu’elle s’attache Ă 

un Ă©lĂ©ment – la calandre – haute­ment symbolique lorsqu’il s’agit de dĂ©finir l’identitĂ© d’une marqueallemande haut de gamme.

Or, ses fameux naseaux mĂ©talli­ques offrent Ă  BMW davantage de marge pour diffĂ©rencier ses mo­dĂšles que ses deux grands rivaux Mercedes et Audi, plus contraints en termes de style. On remarqueainsi que ses SUV et coupĂ©s adop­tent une calandre plus originale que les berlines classiques SĂ©rie 3 et 5 qui s’adressent Ă  une clientĂšleplus conservatrice.

En se posant comme un cons­tructeur en mouvement perma­nent, BMW cherche aussi Ă  redon­ner de la vigueur Ă  son image, quelque peu assagie ces derniĂšresannĂ©es, de marque dĂ©sinhibĂ©evoire un tantinet clivante. Le constructeur n’en laisse rien pa­raĂźtre mais cette controverse n’estpas faite pour lui dĂ©plaire.

j.­m. n.

Joe Biden au volantde sa Corvette Stingray 1967, en juillet.POLARIS/STARFACE

« Kidney Sculpture », réalisée pour une brochure BMW. BMW

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0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2020 IDÉES | 35

Barbara Pompili La loi issue des travaux de la convention pour le climat ancrera l’écologie dans la sociĂ©tĂ©Le texte en cours d’élaboration vise Ă  transformer notre modĂšle de sociĂ©tĂ© et de croissance, revendique la ministre de la transition Ă©cologique

De la mĂȘme maniĂšre quedes lois fondatrices sur lalibertĂ© de la presse ou lalaĂŻcitĂ© ont enracinĂ© des

principes essentiels dans la RĂ©pu­blique Ă  l’orĂ©e du XXe siĂšcle, la loi issue des travaux de la conven­tion citoyenne pour le climat an­crera durablement l’écologie dansnotre sociĂ©tĂ© contemporaine.

Ne nous y trompons pas. Si l’ori­ginalitĂ© de sa mĂ©thode d’élabora­tion et son contenu suscitent des dĂ©bats passionnĂ©s, des rĂ©sistan­ces, voire des inquiĂ©tudes, c’est bien que ce texte a d’ores et dĂ©jĂ  bousculĂ© la façon dont les lois peuvent ĂȘtre construites en s’ap­puyant sur une dĂ©mocratie plus participative. C’est aussi quenous nous apprĂȘtons Ă  transfor­mer notre modĂšle de sociĂ©tĂ© et de croissance et Ă  engager desmutations profondes.

Cette loi appartient Ă  la familledes textes fondateurs qui font en­trer des combats politiques et so­ciĂ©taux dans le quotidien de tous.Avec elle, la cause Ă©cologique inté­grera la vie des Français et in­fluencera durablement leurs choix de dĂ©placement, de loge­ment, de consommation, de pro­duction. C’est ce qui la rend si pré­cieuse et si complexe Ă  la fois.

J’ai suffisamment de recul surl’histoire du combat Ă©cologiquepour mesurer combien il est dif­ficile de franchir le « dernier kilo­mĂštre » de la transition, le plus crucial : celui qui conduit Ă  chan­ger rĂ©ellement nos modes de vie. Cette loi vise prĂ©cisĂ©ment cela, enfaisant pĂ©nĂ©trer l’écologie au cƓur du modĂšle français et en ir­riguant concrĂštement la sociĂ©tĂ© française dans ce qu’elle a de plus fondamental : l’école, les services publics, la justice, mais aussi le lo­gement et l’urbanisme, la publi­citĂ©, les trajets pour se rendre au travail ou en vacances.

VulnĂ©rabilitĂ©Cette loi n’agira pas seulement surles structures de l’économie pour en accĂ©lĂ©rer la dĂ©carbonation, elle innervera notre culture, en favori­sant l’éducation Ă  l’environne­ment, une publicitĂ© responsable, une consommation plus sobre.

C’est tout Ă  l’honneur de laFrance de mener ces transforma­tions au moment oĂč nous affron­tons une crise sanitaire majeure doublĂ©e d’une crise Ă©conomique et sociale. Au moment oĂč, plus que jamais, nous avons collective­ment pris conscience de notre vulnĂ©rabilitĂ©, nous avons ce de­

voir de nous prĂ©parer Ă  la plus grande menace systĂ©mique du siĂšcle Ă  venir. Le devoir d’agir pourune sociĂ©tĂ© plus sobre et plus rĂ©si­liente, dans laquelle nos conci­toyens vivront mieux et pourront faire face aux chocs du dĂ©rĂšgle­ment climatique.

En complĂ©ment du plan de re­lance, qui intĂšgre un montant inĂ©dit de 30 milliards d’euros d’investissements verts sur les deux prochaines annĂ©es, notre pays prĂ©pare ainsi une loi de transformation autour de six grands thĂšmes, qui va occuperla vie parlementaire pendant plu­

sieurs semaines et générer des débats de société structurants pour notre avenir.

C’est indispensable – et pourtantaucun autre pays ne mĂšne autant de chantiers Ă©cologiques de front.

Tout cela, nous le devons Ă  uneexpĂ©rience dĂ©mocratique inĂ©dite,voulue par le prĂ©sident de la Ré­publique : la convention ci­toyenne pour le climat. Une expé­rience pour trouver les rĂ©ponses Ă la question de l’urgence climati­que, mais aussi pour assurer l’ac­ceptabilitĂ© sociale des mesures proposĂ©es.

Un changement profondUne expĂ©rience Ă  laquelle peu croyaient Ă  son lancement il y a dix­huit mois, mais qui, grĂące au sĂ©rieux et Ă  l’investissement de 150 citoyens tirĂ©s au sort, ainsi qu’à l’engagement personnel d’Emmanuel Macron, a crĂ©Ă© aujourd’hui les conditions d’un changement profond.

Cette semaine aura lieu uneétape importante de ce proces­sus : les orientations du projet de loi préparé par le gouvernementsur la base du rapport des ci­toyens seront présentées à des groupes réunissant citoyens de la convention et députés. Cette

Ă©tape ne sera pas la derniĂšre. C’estle point de dĂ©part d’une concerta­tion qui va durer jusqu’à la fin du mois de janvier et qui permettra de complĂ©ter et d’enrichir le pro­jet de loi du gouvernement. Le projet sera ensuite prĂ©sentĂ© en conseil des ministres fin janvier, puis soumis au Parlement Ă  qui il appartiendra, comme le pré­voient nos rĂšgles constitutionnel­les, d’en valider le contenu au terme d’un processus de plu­sieurs mois, jusqu’à l’étĂ© 2021.

Jamais une loi de la RĂ©publiquen’avait autant associĂ© des ci­toyens dans son Ă©laboration. Ra­rement des dĂ©putĂ©s n’ont Ă©tĂ© inté­grĂ©s au processus lĂ©gislatif aussi en amont. En tant qu’ancienne parlementaire, je sais ce qu’ap­portera Ă  nos reprĂ©sentants ce temps laissĂ© Ă  l’appropriation et Ă  la prĂ©paration d’amendementspertinents et Ă  quel point sur ce volet aussi, cette grande loi pour le climat innove.

Alors oui, dans toutes ces inno­vations, nous apprenons en mar­chant, nous cherchons la bonne partition pour mettre en musi­que les intentions des citoyens. Et oui, nous traçons le chemin à me­sure que nous avançons, avec par­fois des obstacles, des bifurca­

tions, des hĂ©sitations, mais tou­jours la mĂȘme destination.

Il n’y avait pas de mode d’emploiĂ  ce travail inĂ©dit et c’est donc un apprentissage collectif et celui­ci n’est pas terminĂ©. Mais le fait estque depuis des mois, des minis­tres, des administrations, des agents publics, travaillent pour traduire, dans notre droit rĂ©gle­mentaire, dans le plan de relance, dans notre loi, ce que la conven­tion a conçu. L’histoire jugera si cepari aura Ă©tĂ© rĂ©ussi et si nous aurons transformĂ© notre pays Ă  la hauteur de l’ambition fixĂ©e.

Ce qui est certain, c’est que150 Français tirĂ©s au sort, repré­sentatifs de la sociĂ©tĂ©, aux opi­nions diverses et parfois oppo­sĂ©es, confrontĂ©s aux plus grands experts et ayant menĂ© librement les auditions de leur choix, con­cluent unanimement Ă  l’impĂ©ra­tive nĂ©cessitĂ© d’une action forte et juste en faveur du climat. Je porterai cette volontĂ©, au nom du gouvernement.

Barbara Pompili est ministre de la transition Ă©cologique

Cyril Dion Tenir parole,pour un président de la

RĂ©publique, c’est le soclede nos dĂ©mocraties

En rĂ©ponse aux propos tenuspar le chef de l’Etat sur « Brut », le cinĂ©aste

lui demande de respecter son engagementà soumettre « sans filtre », au Parlement

ou par référendum, les propositions de la convention citoyenne pour le climat

Monsieur le Président,

Puisque vous m’avez apostro­phĂ© avec une certaine vĂ©hé­

mence dans votre live pour le média Brut [vendredi 4 décembre], je me permetsde vous adresser ici une réponse.

En fĂ©vrier 2019, je suis effectivementvenu, avec Marion Cotillard, vous propo­ser d’organiser une assemblĂ©e citoyenne pour le climat, reprenant la proposition que nous vous avions faite avec le collectifdes « gilets citoyens » le 23 janvier dans Le Parisien. Pourquoi ? Parce que depuis qua­rante ans, la rĂ©ponse des gouvernements au pĂ©ril climatique est indigente. Pour plusieurs raisons. D’abord parce que des groupes d’intĂ©rĂȘt ont pesĂ© de tout leur poids pendant des annĂ©es pour semer le doute. Ensuite parce que notre modĂšle Ă©conomique fondĂ© sur une croissance sans limite s’accorde mal avec la frugalitĂ© que la crise Ă©cologique demande. Enfin parce que les changements Ă  opĂ©rer sont systĂ©miques, massifs, bouleversants.

Chacune des parties prenantes de notresociĂ©tĂ© cherche lĂ©gitimement Ă  dĂ©fendre ses intĂ©rĂȘts. Bien souvent, les Ă©lus en quĂȘte de rĂ©Ă©lection cherchent Ă  contenter tout le monde et ont rarement le cran d’aller aussi loin que la situation le de­mande. Ils se rabattent donc sur le plus petit dĂ©nominateur commun : des mesu­res tiĂšdes, rarement Ă  la hauteur de l’en­

jeu. Ce fut le cas du Grenelle de l’environ­nement, de la loi EGalim, de la plupart desCOP climat. RĂ©sultat, la catastrophe est maintenant Ă  nos portes et il sera bientĂŽt trop tard pour Ă©viter le pire.

Simulacres de dĂ©mocratie participativeNous avons parlĂ© de tout cela. Et je vous ai partagĂ© une conviction : pour surpas­ser ces difficultĂ©s, nous avons besoin de modĂšles dĂ©mocratiques innovants, quipermettent une vĂ©ritable dĂ©libĂ©ration des Français, dans leur diversitĂ©, pour trouver des solutions justes et efficaces,acceptables par le plus grand nombre. On accepte plus facilement une dĂ©cision difficile que l’on a participĂ© Ă  prendre, qu’une dĂ©cision imposĂ©e d’en haut, parun gouvernement.

J’ai Ă©tĂ© trĂšs clair avec vous : pour quecette initiative dĂ©mocratique fonctionne, il est indispensable que vous vous enga­giez Ă  reprendre les propositions issues

de la dĂ©libĂ©ration des citoyens « telles quelles » pour les soumettre aux Français ou aux dĂ©putĂ©s. Pour une raison simple :depuis des annĂ©es, des responsables poli­tiques organisent des simulacres de « dé­mocratie participative ». Les citoyens sontconsultĂ©s, et ensuite les Ă©lus n’en font, trĂšs souvent, rien. Des experts sont man­datĂ©s, travaillent d’arrache­pied, puisleurs recommandations sont ignorĂ©es, dĂ©tricotĂ©es, affaiblies par le phĂ©nomĂšne dĂ©crit plus haut. LĂ , il s’agit d’autre chose :faire participer les citoyens Ă  la dĂ©cision. Renouveler un pacte dĂ©mocratique affai­bli et parfois mĂȘme piĂ©tinĂ© par le nombrede promesses non respectĂ©es.

Le 25 avril 2019, aprĂšs des mois de dis­cussions entre l’ElysĂ©e, le ministĂšre de latransition Ă©cologique et des membresdes « gilets citoyens », vous avez an­noncĂ© la crĂ©ation d’une assemblĂ©e ci­toyenne composĂ©e de 150 citoyens tirĂ©s au sort. Vous avez dĂ©clarĂ© : « Ce qui sor­

tira de ces conventions sera, je m’y en­gage, soumis sans filtre soit au vote duParlement, soit au rĂ©fĂ©rendum soit Ă  ap­plication rĂ©glementaire directe. »

Le 20 janvier 2020, vous avez rendu vi­site aux membres de la Convention et rĂ©affirmĂ© : « Si Ă  la fin de vos travaux vous donnez des textes de loi, des choses prĂ©ci­ses, lĂ  je m’engage Ă  ce qu’ils soient donnĂ©sou au Parlement ou au peuple français telsque vous les proposerez. » Or, c’est le cas pour de trĂšs nombreuses propositions. Le29 juin 2020, vous nous avez reçus dans les jardins de l’ElysĂ©e. Vous avez une nou­velle fois Ă©tĂ© trĂšs clair sur le dĂ©bouchĂ© des propositions de la convention : « Je vous confirme que j’irai au bout de ce contratmoral qui nous lie en transmettant la tota­litĂ© de vos propositions, Ă  l’exception de trois d’entre elles. »

De mon cĂŽtĂ©, je me suis engagĂ©, si vousne respectiez pas votre parole, Ă  ĂȘtre le ga­rant du respect de votre engagement auprĂšs des citoyens. Cet engagement, c’est vous qui l’avez pris. Personne nous vous y a obligĂ©. C’était extrĂȘmement cou­rageux de votre part. Vous avez Ă©gale­ment donnĂ© aux citoyens de la conven­tion un « droit d’alerte ».

Depuis plusieurs mois maintenant, denombreuses alertes vous sont adressĂ©es,ainsi qu’à vos conseillers Ă  l’ElysĂ©e et Ă  laministre de la transition Ă©cologique. Des mesures, qui devaient ĂȘtre transmises sans filtre aux parlementaires, sont mo­difiĂ©es et parfois amoindries par le gou­vernement ; d’autres que vous aviez ditretenir sont finalement Ă©cartĂ©es, dont l’une – un moratoire provisoire sur la 5G – que vous avez rejetĂ©e en dĂ©clarant ne pas croire « dans le modĂšle Amish » et nepas vouloir revenir « Ă  la lampe Ă  huile » MalgrĂ© ces alertes, les dĂ©tricotages se multiplient. Ils ont Ă©tĂ© analysĂ©s par le Ré­seau Action Climat. ParallĂšlement desdĂ©putĂ©s s’alarment de ne pas pouvoirparticiper Ă  la concertation avec les ci­toyens, qui avait Ă©tĂ© promise.

J’ai donc relevĂ© le niveau d’alerte etlancĂ© une pĂ©tition pour vous appeler Ă  respecter votre engagement. Elle a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© signĂ©e par 330 000 personnes. Ce que nous – signataires de cette pĂ©tition – vousdemandons n’est ni un « sketch », ni une trahison, ni une « solution de fainĂ©ant », mais simplement de tenir parole. Nous vous le demandons aujourd’hui car c’esten ce moment qu’ont lieu les arbitrages de la grande loi climat qui doit reprendre

le plus grand nombre des propositions dela convention citoyenne. Et qu’elle pour­rait ĂȘtre la plus ambitieuse que la France ait jamais connue.

Un plan robusteNous vous le demandons parce que lesclimatologues misent sur un rĂ©chauffe­ment de 3 Ă  7 °C d’ici Ă  la fin du siĂšcle et que notre planĂšte pourrait devenir par­tiellement inhabitable. Parce que l’avis du Conseil d’Etat donne trois mois Ă  vo­tre gouvernement pour justifier que la trajectoire de rĂ©duction Ă  horizon 2030 pourra ĂȘtre respectĂ©e. Parce que le HautConseil pour le climat a rappelĂ© maintes fois que la France ne tient pas ses objec­tifs. Parce que « sans mesures urgentes, la crise climatique pourrait saper les progrĂšsdes cinquante derniĂšres annĂ©es en ma­tiĂšre de santĂ© publique, perturbant des millions de vies et submergeant les systÚ­mes de santĂ© », prĂ©vient une Ă©tude pu­bliĂ©e le 3 dĂ©cembre par la revue britanni­que The Lancet.

Nous ne vous donnons pas de leçons.Nous savons que tout ceci est complexe.C’est justement pour cela que les citoyens ont travaillĂ© depuis un an Ă  proposer un plan robuste « dans un esprit de justice sociale ». Par­dessus tout, nous vous le de­mandons, car nous croyons toujours, mĂȘme si c’est un peu vieux jeu, que tenir sa parole, pour un prĂ©sident de la RĂ©publi­que, c’est le socle de nos dĂ©mocraties.

Cyril Dion est cinéaste et écrivain

IL S’AGIT DE RENOUVELER UN PACTE DÉMOCRATIQUE AFFAIBLI ET PARFOIS MÊME PIÉTINÉ PAR LE NOMBRE DE PROMESSES NON RESPECTÉES

NOUS AVONS CE DEVOIR DE NOUS PRÉPARER À LA PLUS GRANDE MENACE SYSTÉMIQUE DU SIÈCLE À VENIR

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36 | idĂ©es MERCREDI 9 DÉCEMBRE 20200123

« Nous n’avons pas le choix : il faut concilier Ă©conomie et Ă©cologie »Un collectif rĂ©uni au sein du nouveau « parti de la nature », crĂ©Ă© Ă  l’initiative du conseiller rĂ©gional MoDem Yann Wehrling, encourage le gouvernement Ă  « aller plus loin » dans la protection de la biodiversitĂ© et de la cause animale

Au cours des quarante derniĂšresannĂ©es, de 60 % Ă  70 % du mondesauvage a disparu. Selon lesscientifiques, il pourrait s’agir de

la sixiĂšme grande extinction d’espĂšces. Nous, les humains, en sommes la cause.Et c’est notre gĂ©nĂ©ration qui a la pluslourde responsabilitĂ© : d’auteur de latragĂ©die et de sauver ce qui peut encorel’ĂȘtre.

En outre, le 29 octobre, jour oĂč la Franceentrait dans son second confinement,l’ONU publiait un rapport Ă©tablissant clai­rement un lien entre l’émergence accruede nouveaux virus comme le Covid­19 et les atteintes Ă  la nature et aux espĂšcesanimales. ProtĂ©ger la planĂšte et la nature,c’est donc aussi protĂ©ger notre santĂ©.

Ouvrons­nous suffisamment les yeux ?La prise de conscience est timide mais ellegrandit, notamment chez les jeunes.Nous devons modifier notre rapport Ă  laplanĂšte et au monde vivant dont nous sommes partie intĂ©grante, faute de quoi,in fine, c’est notre propre espĂšce que nousmettrons en danger.

De quel « droit » dĂ©truisons­nous notreenvironnement au nom d’un dĂ©veloppe­ment Ă©conomique Ă  court terme, aveugle et irresponsable ? La question de l’écologie Ă©tait la premiĂšre prĂ©occupation lors des derniĂšres Ă©lections. Dans les urnes et dans la rue, les Français montrent leur impa­tience, et certains avec excĂšs.

« Écocide »Dans le mĂȘme temps, des vents contraires soufflent. Des groupes se mobilisent pour revenir sur les timides avancĂ©es. Les argu­ments sont toujours les mĂȘmes : la prĂ©ser­vation de l’économie, de la productivitĂ©, de l’emploi
 ou des traditions.

Nous refusons de croire que le choix est Ă faire entre Ă©cologie et Ă©conomie car quand l’équation est ainsi posĂ©e, le rĂ©sultat est presque toujours le mĂȘme : l’économie ga­gne, l’écologie perd – mĂȘme et surtout quand l’économie s’enfonce. Nous n’avons donc d’autre choix que la conciliation entreĂ©conomie et Ă©cologie. Mais cela implique un autre modĂšle Ă©conomique.

Les progrĂšs attendus ne se feront ni parincantations ni par des mesures radicalesdont l’échec nous ferait revenir Ă  la case dĂ©part. Notre conception de l’action estde mettre le rĂ©alisme au service de notreambition. C’est pourquoi nous nous si­tuons au centre du paysage politique, tantil est vrai que l’écologie doit « embar­quer » tout le monde et ne peut se satis­faire des vieux clivages.

La raison d’ĂȘtre de notre rĂ©seau est d’en­courager le gouvernement Ă  ne freiner en rien son action et encore moins Ă  reculer. Nous porterons des propositions pour aller encore plus loin.

Nous soutenons la crĂ©ation d’un crimed’« Ă©cocide » car il est temps de pĂ©naliserles actes de destruction d’un Ă©cosystĂšmeou d’une espĂšce. Reconnaissons dansnotre droit la criminalitĂ© environnemen­tale qui est une criminalitĂ© organisĂ©eĂ©quivalente au trafic de drogue ou autrafic d’armes.

Au niveau international, la France a prisl’engagement de protĂ©ger 30 % de son ter­ritoire, marin et terrestre, dont 10 % en

protection forte. Nos terres australesconcentrent une grande partie de nos aires protĂ©gĂ©es, mais nous peinons Ă pousser une telle protection sur nos cĂŽtesen mĂ©tropole. Or prĂ©server 30 % d’une aire marine, mĂȘme en zone de pĂȘche, c’estrecrĂ©er les conditions favorables pour queles poissons que nous pĂȘchons se repro­duisent. C’est aussi Ă©pargner les cĂ©tacĂ©s,et notamment les dauphins, quis’échouent par milliers sur nos cĂŽtes.

Trouver des compromis de sociétéEt nous devons aller encore plus loin :

Supprimons les subventions publiques (etprivées demain) qui contribuent à porter at­teinte à la biodiversité animale et végétale.

Pour chacune de la centaine d’espĂšces endanger critique d’extinction en France, adoptons un plan d’action qui fasse sortir toutes ces espĂšces de la liste rouge de l’Union internationale pour la conservationde la nature (UICN) d’ici dix ans – y compris l’ours, car comment faire la leçon aux pays africains qui peinent Ă  protĂ©ger leurs grands singes, Ă©lĂ©phants ou lions si nous n’arrivons pas, chez nous, Ă  faire survivre nos derniers grands prĂ©dateurs ?

Sortons de l’incantatoire sur la rĂ©ductiondes pesticides (en 2008, le premier plan Ă©co­phyto annonçait – 50 % d’usage des pestici­des d’ici Ă  2018. RĂ©sultat : + 25 % entre 2011 et2018 !). Sachons avancer de maniĂšre dĂ©pas­sionnĂ©e vers la sortie des pesticides. Le mo­dĂšle agricole français et europĂ©en, c’est la qualitĂ©, pas la quantitĂ©. Nous avons les moyens (la PAC) et l’envie (l’opinion publi­que) de produire et de consommer Ă  terme 100 % bio. Les agriculteurs et les Ă©leveurs y trouveront leur compte et les consomma­teurs encore davantage.

Stoppons enfin l’artificialisation des sols.Les communes souffrent toutes du mĂȘme mal : un enlaidissement de leur pĂ©riphĂ©rie avec un Ă©talement de zones pavillonnaires, commerciales et industrielles. Construire en zone pĂ©riurbaine est moins coĂ»teux querĂ©habiliter des zones dĂ©jĂ  urbanisĂ©es. Le gouvernement se donne pour objectifd’interdire, Ă  terme, de tels choix urbanis­tiques. Faisons­le sans tarder.

ConsidĂ©rer le monde vivant, c’est aussiprogresser sur le bien­ĂȘtre animal. Certai­nes pratiques heurtent, Ă  juste titre, de plus en plus de Français. L’argument des « tradi­tions » ne suffit plus Ă  les accepter. RĂ©jouis­sons­nous de la fin des animaux sauvagesdans les cirques. Cesser les corridas avec blessures et mises Ă  mort, les chasses les plus cruelles telles que celle Ă  la glu, les chas­ses d’espĂšces d’oiseaux migrateurs mena­cĂ©es, sont des dĂ©cisions demandĂ©es par unelarge majoritĂ© des Français, et exigĂ©es, pour plusieurs d’entre elles, par l’Union euro­pĂ©enne depuis des annĂ©es.

Dans ce combat pour la biodiversitĂ© et levivant, ne nous y trompons pas : notre con­viction est qu’il ne faut pas laisser monter lacolĂšre d’une opinion publique qui ne tolĂšre plus les atteintes les plus choquantes aux espĂšces, aux habitats naturels et aux ani­maux. Des compromis de sociĂ©tĂ© doivent ĂȘtre trouvĂ©s, pas Ă  pas. Nous voulons bĂątir un chemin vers le respect du vivant.

C’est ce Ă  quoi nous voulons travailler encrĂ©ant un mouvement politique transparti­san, composĂ© de ceux qui veulent prendre le parti de la nature et du vivant.

Auteur de la tribune : Yann Wehrling, conseiller rĂ©gional d’Ile-de-France (MoDem).Premiers signataires : Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre ; Pierre-Yves Bournazel, dĂ©putĂ© de Paris (MoDem) ; Delphine BĂŒrkli, maire du 9e arrondissement de Paris (LRM) ; Catherine Chabaud, dĂ©putĂ©e europĂ©enne Renaissance, navigatrice ; LoĂŻc Dombreval, dĂ©putĂ© des Alpes-Ma-ritimes (LRM) ; Fabienne Keller, dĂ©pu-tĂ©e europĂ©enne Renaissance ; Gilles La-can, avocat gĂ©nĂ©ral honoraire Ă  la Cour de cassation ; Pierre Quintard, prĂ©si-dent de l’Institut Jane Goodall France ; Laurence Vichnievsky, dĂ©putĂ©e du Puy-de-DĂŽme (MoDem).La liste complĂšte sur LeMonde.fr

Laissons, en certains lieux, la natureprendre la direction qu’elle souhaite !

Un collectif de personnalités engagées dans la défense du vivant appelle à adopter une définition stricte de la protection dite « forte » réservée à 10 % des espaces naturels en France, à savoir sans chasse, sans exploitation du bois, des terres ou des minéraux, et sans contrÎle des espÚces

La nature dĂ©cline globalement Ă  un rythme sansprĂ©cĂ©dent dans l’histoire humaine – et le tauxd’extinction des espĂšces s’accĂ©lĂšre, provoquantdĂšs Ă  prĂ©sent des effets graves sur les popula­

tions humaines du monde entier. » C’est avec ces mots que la Plateforme intergouvernementalescientifique et politique sur la biodiversitĂ© et lesservices Ă©cosystĂ©miques a lancĂ© l’alerte dans sonrapport paru en 2019. Sur les 8 millions d’espĂšcesanimales et vĂ©gĂ©tales sur Terre, la plate­forme estime qu’environ 1 million sont aujourd’hui mena­cĂ©es d’extinction, chose « qui n’a jamais eu lieu aupa­ravant dans l’histoire de l’humanitĂ© ». Et parmi les 5,9 millions d’espĂšces terrestres, plus de 500 000 nebĂ©nĂ©ficient plus de l’habitat naturel nĂ©cessaire Ă  leur survie Ă  long terme ! La crise du Covid­19 ne faitdĂ©sormais que renforcer nos craintes : le recul du monde sauvage face Ă  la pression humaine favorise l’émergence de nouveaux pathogĂšnes.

Un bilan alarmantLa France n’échappe pas Ă  ces menaces. La nature rĂ©gresse du fait des activitĂ©s humaines : artificialisa­tion des sols et fragmentation des milieux naturels,surexploitation des ressources, pollutions de l’air, de l’eau et des sols, usage massif des pesticides en agriculture, chasse. Les Ă©cosystĂšmes sont fortementperturbĂ©s et ne peuvent plus rendre les services qu’ils offrent habituellement, aussi bien Ă  l’homme qu’à la nature : purification de l’eau et de l’air, atté­nuation des crues et de l’effet des sĂ©cheresses, main­tien de la pollinisation, rĂ©gulation du climat, rĂ©gula­tion de la dynamique des pathogĂšnes et parasites,etc. Et pourtant
 la variĂ©tĂ© des paysages et la richesse des Ă©cosystĂšmes de notre merveilleux paysnous confĂšrent une responsabilitĂ© rĂ©elle vis­à­visdu vivant : selon un recensement du MusĂ©um na­tional d’histoire naturelle, la France accueillaiten 2015 plus de 160 000 espĂšces, soit environ 2 % des espĂšces connues sur notre planĂšte. Il s’agit de la plus grande biodiversitĂ© d’Europe.

Aujourd’hui, en France, moins de 1,54 % du terri­toire mĂ©tropolitain terrestre bĂ©nĂ©ficie d’une protec­

tion dite « forte », selon l’Inventaire national du patrimoine naturel. Et Ă  l’intĂ©rieur de ces espaces deprotection « forte », l’exploitation forestiĂšre, le pas­toralisme et la chasse sont encore bien prĂ©sents : la chasse est autorisĂ©e dans trois zones cƓurs de parcsnationaux sur onze (les parcs des Calanques, des Cé­vennes et de forĂȘts), dans une grande majoritĂ© des rĂ©serves naturelles nationales et dans la plupart desrĂ©serves naturelles rĂ©gionales ; chasse et pĂȘche ne sont pas interdites partout dans les rĂ©serves biologi­ques ; les forĂȘts et les pĂąturages sont exploitĂ©s dans les zones cƓurs des parcs nationaux de montagneet dans de nombreuses rĂ©serves naturelles. A cejour, on peut estimer que seulement 0,6 % du terri­toire terrestre mĂ©tropolitain français assure la libre expression des processus naturels.

Le prĂ©sident Emmanuel Macron a dĂ©clarĂ© enmai 2019 vouloir protĂ©ger 30 % des espaces naturels sur terre et en mer, dont un tiers « en pleine natura­litĂ© » (devenu entre­temps « en protection forte »), Ă  l’horizon 2030. Cet objectif est entĂ©rinĂ© dans la stra­tĂ©gie BiodiversitĂ© de la France et de l’Union euro­pĂ©enne 2020­2030. Mais quelle dĂ©finition donner Ă  la pleine naturalitĂ© ou protection forte dont parle le prĂ©sident Macron ? En fĂ©vrier 2009 dĂ©jĂ , le Parle­ment europĂ©en avait adoptĂ© une rĂ©solution invitantles Etats membres Ă  dĂ©velopper de vastes zones de nature « vierge ». Et la protection forte de l’Europe a Ă©tĂ© dĂ©finie par l’initiative Wild Europe en 2012 : « Un espace Ă  haute naturalitĂ© est une zone gouvernĂ©e pardes processus naturels. Il est composĂ© d’espĂšces et d’habitats naturels et suffisamment grands pour le fonctionnement Ă©cologique effectif des processusnaturels. Il est non ou peu modifiĂ© et sans activitĂ© hu­maine intrusive ou extractive, habitat permanent, in­frastructure ou perturbation visuelle. » Ce qui signifieune zone sans chasse, sans exploitation du bois, des terres ou des minĂ©raux, sans contrĂŽle des espĂšces.

L’importance du dialogueRenforçons la protection forte française pour que les10 % promis le soient en libre Ă©volution (en pleine naturalitĂ©), en adoptant la dĂ©finition europĂ©enne des zones de nature vierge. CrĂ©ons des zones de libreĂ©volution Ă  l’intĂ©rieur d’espaces encore trop mal pro­tĂ©gĂ©s (parcs naturels rĂ©gionaux, zones Natura 2000, etc.), mais aussi lĂ  oĂč cela sera profitable Ă  de nou­veaux territoires. CrĂ©ons de nouveaux outils pourfaciliter leur mise en place. Visons systĂ©matique­

ment la prĂ©sence de toutes les composantes d’un Ă©cosystĂšme laissĂ© en libre Ă©volution, afin de garantirson fonctionnement optimal. Encourageons les pro­priĂ©taires privĂ©s Ă  rendre certaines de leurs parcellesĂ  la nature sauvage, avec une garantie sur le long terme. Inscrivons ces propositions dans la nouvelle stratĂ©gie des aires protĂ©gĂ©es 2020­2030 de la France.

ArrĂȘtons de vouloir maĂźtriser et exploiter la totalitĂ©des espaces et des Ă©cosystĂšmes, laissons, en certains lieux, la nature prendre la direction qu’elle souhaite !Car la nature libre, autonome, spontanĂ©e et sauvage a des capacitĂ©s de rĂ©paration Ă©tonnantes, Ă  conditionqu’on lui en laisse l’espace et le temps. Sans interven­tion humaine quelle qu’elle soit, la forĂȘt se reconsti­tue, la faune revient et retrouve sa densitĂ© naturelle sans qu’il soit besoin de la rĂ©guler.

L’urgence dĂ©montrĂ©e de telles mesures appelle unevolontĂ© forte quant Ă  leur mise en Ɠuvre. Mais nous savons aussi que la garantie de vrais progrĂšs en ce sens repose, au­delĂ  mĂȘme des moyens, sur la qualitĂ©des dialogues, des concertations qui les accompagne­ront. CrĂ©ons les conditions d’un partage exigeant, fondateur de dĂ©cisions claires et mieux susceptibles ainsi d’ĂȘtre partagĂ©es – nous sommes pour notre part en discussion et convergence de rĂ©flexion avec, entre autres, l’Association Francis HallĂ© pour une fo­rĂȘt primaire et l’Association pour la protection des animaux sauvages. Le dĂ©clin de la biodiversitĂ© n’est pas inĂ©luctable. Redonnons de la place au vivant !

Isabelle Autissier, navigatrice ; Gilles ClĂ©ment, paysagiste ; BĂ©atrice et Gilbert Cochet, Ă©cologues ; Jean-Claude GĂ©not, Ă©cologue ; Marc Giraud, prĂ©sident de l’Aspas ; Francis HallĂ©, botaniste ; Baptiste Morizot, philosophe ; Vincent Munier, photographe animalier ; Matthieu Ricard, moine bouddhiste tibĂ©tain ; Sylvain Tesson, Ă©crivain ; BenoĂźt ThomĂ©, prĂ©sident de l’association Animal Cross

LA RICHESSE DES ÉCOSYSTÈMES DE NOTRE PAYS NOUS CONFÈRE UNE RESPONSABILITÉ RÉELLE VIS-À-VIS DU VIVANT

L’ÉCOLOGIE DOIT EMBARQUER TOUT LE MONDE ET NE PEUT SE SATISFAIRE DES VIEUX CLIVAGES

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0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2020 idĂ©es | 37

RAVIVER LES BRAISES DU VIVANT. UN FRONT COMMUNde Baptiste Morizot, Actes Sud et Wildproject,208 pages, 20 euros

La Maison Blanche hantée | par serguei

DÉPASSER LA VISION BINAIRE DE LA NATURELIVRE

B aptiste Morizot a changĂ©d’échelle. Ce philosophe,qui mĂšne des enquĂȘtes

nourries par le pistage des loups ou la pratique de la foresterie, plai­dait dans Les Diplomates (Wild­project, 2016) pour de nouvelles alliances entre les hommes et les animaux. C’est avec la biosphĂšre entiĂšre qu’il appelle dĂ©sormais Ă  coopĂ©rer. Non parce que celle­ci aurait besoin de nous, mais parce que nous avons besoin d’elle.

Au cƓur de notre difficultĂ© Ă mieux dĂ©fendre la biodiversitĂ©, il ya, estime­t­il, « le conflit entre rĂ©en­sauvagement et monde paysan » – autrement dit entre Ă©colos et ruraux. Souvent invisible pour les urbains, celui­ci « structure Ă  bas bruit le dĂ©bat sur l’avenir des territoires français », que ce soit autour de la question du loup, des rĂ©serves de nature sauvage ou de la gestion des nuisibles. Compren­dre les raisons de ce conflit, Ă©baucher des maniĂšres de le dĂ©passer pour que monde rural et mouvance Ă©cologique luttent en­semble contre les « exploitations

insoutenables » qui dĂ©truisent la nature, tel est l’enjeu de Raviver lesbraises du vivant. D’oĂč le sous­ti­tre : Un front commun. Morizot en est convaincu : on ne pourra penser Ă  nouveaux frais la dĂ©fensede la planĂšte sans sortir de notre « cosmologie dualiste » concer­nant les usages de la terre. Sans dé­construire deux mythes opposĂ©s : celui, courant chez les protecteurs de la nature, selon lequel toute exploitation dĂ©truit le vivant ; etcelui, pilier de la modernitĂ©, selon lequel toute exploitation amĂ©liorele milieu qu’elle travaille.

GĂ©rer les dĂ©gĂąts collatĂ©rauxPour dĂ©passer « cette opposition fondatrice entre exploiter et sanc­tuariser, comme si ces deux usages de la terre Ă©taient exclusifs, en conflit, et irrĂ©conciliables », il en appelle Ă  multiplier les « leviersd’action Ă©cologiques » – lesquels doivent se donner Ă  rĂ©soudre « un problĂšme prĂ©cis et rĂ©el, par une so­lution locale, mais articulable Ă  un projet de sociĂ©tĂ© global dĂ©sirable ». Les initiatives agroĂ©cologiques connectĂ©es Ă  des circuits courts ensont un exemple. Comme le sont

les rĂ©serves de vie sauvage, parcel­les fonciĂšres achetĂ©es sur la base d’un financement participatif par l’Association pour la protection des animaux sauvages, afin de les laisser devenir des foyers de « libre Ă©volution » dans lesquels faune et flore pourront se dĂ©velopper sans aucune intervention humaine.

Comment gĂ©rer les dĂ©gĂątscollatĂ©raux de ces zones libres, aux frontiĂšres desquelles hu­mains et animaux pourront circu­ler librement ? Comment nourrir huit milliards de personnes avec les rendements de l’agroĂ©cologie ? L’auteur ne le prĂ©cise pas. A ceux qui lui disent : « On brĂ»le la cathĂ©drale, et vous brandissez comme solution la restauration du bĂ©nitier », il sait en revanche quoi rĂ©pondre : le vivant n’est pas une cathĂ©drale en flammes, c’est un feu qui s’éteint, et il suffirait de quelques braises pour qu’il s’éveille Ă  nouveau. Face Ă  la catas­trophe Ă©cologique qui vient, sa rĂ©flexion fait feu de tout bois pournous aider Ă  dĂ©passer notre senti­ment d’impuissance et raviver no­tre flamme. C’est dĂ©jĂ  beaucoup.

catherine vincent

ANALYSE

S auver l’économie, « quoi qu’il encoĂ»te ». Ces derniers jours, la formuleprononcĂ©e en mars par EmmanuelMacron s’est concrĂ©tisĂ©e un peu plus

encore, avec une nouvelle salve de mesuresd’urgence. Le 30 novembre, le gouverne­ment a promis une aide pour les remontĂ©esmĂ©caniques ne pouvant ouvrir en dĂ©cem­bre. Deux jours plus tĂŽt, le plafond des in­demnisations pour les PME fermĂ©es en rai­son de la pandĂ©mie, tels que les restaurants, a Ă©tĂ© relevĂ© de 100 000 Ă  200 000 euros.

Depuis mars, 1,8 million d’entreprises ontĂ©tĂ© soutenues par le fonds de solidaritĂ©, pourune dĂ©pense de 7,5 milliards d’euros. S’ajou­tent Ă  cela le chĂŽmage partiel, dont jusqu’à 8,6 millions de salariĂ©s ont bĂ©nĂ©ficiĂ© en avril, les reports de charges, les aides Ă  la tré­sorerie, ou encore les prĂȘts garantis par l’Étataux entreprises, Ă  hauteur de 300 milliards d’euros.

La France dĂ©ploie des moyens considĂ©ra­bles pour sauver PME et emplois face Ă  la crise la plus brutale traversĂ©e par le pays de­puis la seconde guerre mondiale. Elle n’aguĂšre le choix. Cette annĂ©e, le produit inté­rieur brut (PIB) devrait en effet plonger de 11 %, selon le gouvernement.

Lors de la prĂ©cĂ©dente rĂ©cession, en 2009, iln’avait baissĂ© que de 2,9 %. Pour autant, l’Hexagone en fait­il plus que ses voisins ? « Les comparaisons europĂ©ennes sont dĂ©lica­tes », prĂ©vient Charles­Henri Colombier, Ă©co­

nomiste chez Rexecode. Entre les prĂȘts, les subventions, les primes ou les garanties quine seront jamais utilisĂ©es, les mesures de soutien sont de nature trĂšs diffĂ©rente selon les secteurs, les pays et les modes de calcul.

En outre, les Etats oĂč la crise est plus pro­fonde dĂ©penseront mĂ©caniquement plus pour soutenir leurs Ă©conomies – en particu­lier au sud de l’Europe, trĂšs affectĂ© par l’ef­fondrement du tourisme. Cette annĂ©e, lechĂŽmage partiel devrait ainsi coĂ»ter 2,2 % duPIB en Espagne, 1,5 % en France et 0,8 % en Allemagne.

Si l’on se penche sur les conditions d’accĂšsaux aides, il est nĂ©anmoins vrai que Paris, comme Berlin, en fait plus. Ainsi notre chέmage partiel couvre­t­il 84 % du salaire net, jusqu’à 4,5 SMIC, remboursĂ©s Ă  100 % par l’Etat et par l’Unedic pour les entreprises des secteurs exposĂ©s. C’est plus encore qu’en Al­lemagne, oĂč la couverture de base est de 70 % du salaire, jusqu’à 2 800 euros environ. « Et les conditions d’accĂšs sont un peu plus strictes outre­Rhin : 10 % au moins des effec­tifs doivent ĂȘtre au chĂŽmage partiel pour que le dispositif soit enclenchĂ©, un seuil n’existant pas en France », rappelle Daniela Ordonez, chez Oxford Economics.

Certaines entreprises tricolores en ontd’ailleurs abusĂ©, touchant les aides alors que leurs salariĂ©s supposĂ©s au chĂŽmage partieltravaillaient Ă  temps plein depuis chez eux. En septembre, le gouvernement estimait lemontant des fraudes Ă  225 millions d’euros. C’est sans doute beaucoup plus.

Mais au fond, ces pertes ne seraient pas sigraves si les aides Ă©taient, par ailleurs, pleine­ment efficaces. Las, la France pourrait fairemieux. En laissant trop souvent planer le doute sur le calendrier des soutiens et l’évo­lution de leurs modalitĂ©s, elle a ajoutĂ© de l’in­certitude, lĂ  oĂč l’Allemagne, qui prend large­ment en charge les pertes des PME, a vite an­noncĂ©, une fois pour toutes, que le chĂŽmage partiel d’urgence serait en place jusqu’à fin 2021. Un choc de confiance dont les entrepri­ses françaises n’ont pas bĂ©nĂ©ficiĂ© : elles ne sa­vent toujours pas si celui­ci (hors dispositif de longue durĂ©e) sera prolongĂ© aprĂšs le 31 dĂ©cembre 2020.

Niveau de dette Ă©levĂ©Surtout : le plan de relance allemand de130 milliards d’euros est entrĂ© en vigueur dĂšsl’étĂ©, avec un soutien massif Ă  la consomma­tion par la baisse de la TVA, tandis que le plande relance français de 100 milliards ne dé­ploiera pas ses pleins effets avant fin 2021. C’est tard.

Or, mĂȘme dans le scĂ©nario optimiste oĂč ladiffusion des vaccins permettrait un retour Ă la normale autour du troisiĂšme trimestre2021, nos entreprises ne tiendront pas jus­que­lĂ . Leur situation est particuliĂšrement fragile. Elles sont entrĂ©es dans la crise avec un niveau de dette Ă©levĂ© (84,7 % du PIB, con­tre 44,1 % en Allemagne). « Au premier semes­tre, leurs marges bĂ©nĂ©ficiaires ont chutĂ© de7 points, alors que celles de leurs homologues germaniques se sont maintenues », souligne

Ana Boata, chez Euler Hermes. RĂ©sultat : une entreprise sur quatre pourrait se trouver en crise de trĂ©sorerie en 2021, c’est­à­dire man­quer de liquiditĂ© pour fonctionner.

Pour l’éviter, le gouvernement devra main­tenir des aides d’urgence. LĂ  encore, il n’auraguĂšre le choix. Toute la difficultĂ© sera de pilo­ter la dĂ©licate transition vers le plan de re­lance. Et, surtout, de s’assurer que les mesu­res seront plus efficaces encore. En offrantun calendrier clair, essentiel pour que les en­trepreneurs reprennent confiance, et un cali­brage mieux pensĂ©, sans en faire l’une de cesusines Ă  gaz dont notre pays a le secret. Il de­vra sans doute soutenir plus franchement aussi la demande des mĂ©nages. Inquiets, ces derniers se montrent jusqu’ici trĂšs prudents,prĂ©fĂ©rant Ă©pargner plutĂŽt que se ruer en ma­gasin. Mais si leur consommation ne redé­marre pas, nos PME ne pourront pas repartirnon plus, quelles que soient les aides dont el­les bĂ©nĂ©ficient.

Bien sĂ»r, tout cela nous coĂ»tera cher. BiensĂ»r, la France, dont l’endettement approcheles 120 % du PIB, dispose de marges demanƓuvre budgĂ©taires moindres que l’Alle­magne. Mais, pour le moment, l’action sans limites ou presque de la Banque centrale europĂ©enne (BCE) nous permet d’emprunter pour rien. Le plus gros piĂšge serait de repro­duire l’erreur de 2011 : couper la perfusion publique trop tĂŽt dans l’espoir de remettre les finances publiques en ordre, au risque d’étouffer la reprise dans l’Ɠuf.

marie charrel

POUR Ă‰VITER QU’UNE ENTREPRISE 

SUR QUATRE NE SE RETROUVE 

EN CRISE DE TRÉSORERIE 

EN 2021, LE GOUVERNEMENT DEVRA MAINTENIR 

DES AIDES D’URGENCE

Les limites du « quoi qu’il en coĂ»te »

D ans la foulée de la publica­tion des mauvais chiffres duchÎmage de novembre, les

Ă©quipes de Joe Biden avaient Ă©mis desremarques qui se sont transformĂ©es, jeudi 3 dĂ©cembre, en une courte dé­claration et quelques questions, té­moignage de l’impuissance du prĂ©sident Ă©lu. Joe Biden exhortait leCongrĂšs Ă  adopter un plan de soutienĂ  l’économie, mais il n’est pas encoreĂ  la manƓuvre. Certes, la tĂąche n’estjamais facile pour les prĂ©sidents Ă©lus, entre le jour de leur victoire et celui de leur investiture, le 20 janvier.

L’ennui, c’est que cela pourraitdurer : faute d’avoir la majoritĂ© au CongrĂšs, Joe Biden pourrait rester un prĂ©sident sans pouvoir. En effet, lesRĂ©publicains ont dĂ©jĂ  50 des 100 siÚ­ges au SĂ©nat. Et, pour dĂ©tenir la majo­ritĂ© dĂ©finitive, tout est suspendu au second tour des Ă©lections sĂ©natoria­les en GĂ©orgie, le 5 janvier, puisque aucun candidat n’a obtenu plus de 50 % des suffrages, au premier tour. Mais on voit mal les deux siĂšgesĂ©choir aux dĂ©mocrates dans cet Etat du Sud. De ce fait, M. Biden a toutesles chances d’ĂȘtre le premier prĂ©si­dent entrant Ă  la Maison Blanche sans majoritĂ© au SĂ©nat depuis GeorgeBush pĂšre en 1989.

Est­ce grave ? Pas Ă  en croire l’indiceDow Jones qui a connu, en novembre,son plus fort rebond depuis 1987, en hausse de 12 %, et a cassĂ© la barre des30 000 points pour la premiĂšre foisde son histoire. Certes, cette envolĂ©es’explique largement par l’annonce d’essais cliniques rĂ©ussis pour plu­sieurs vaccins contre le Covid­19.Mais aussi par l’arrivĂ©e d’une confi­guration historiquement idĂ©ale pourla Bourse : un prĂ©sident dĂ©mocrate et un SĂ©nat rĂ©publicain. Des dĂ©penses,mais pas de hausses d’impĂŽts, voilĂ  un schĂ©ma qui peut sembler idĂ©al dans un monde oĂč tout le monde se fiche des dĂ©ficits, en pĂ©riode d’argent gratuit.

Cette lecture paraĂźt assez naĂŻve :l’adoption d’un plan de relance jugĂ©indispensable par le prĂ©sident de la RĂ©serve fĂ©dĂ©rale, Jerome Powell, s’est

révélée impossible depuis des mois,en raison des bisbilles entre démo­crates et républicains.

Joe Biden met en avant son souhaitde nouer des alliances transpartisa­nes avec les rĂ©publicains. C’est pariersur leur bonne volontĂ©, qui semble peu probable : le clan Trump est sur laligne d’une Ă©lection volĂ©e et le Grand Old Party, qui a rĂ©duit de moitiĂ© l’avance des dĂ©mocrates Ă  la Cham­bre, a dĂ©jĂ  en ligne de mire les Ă©lec­tions de mi­mandat de 2022. Pour serĂ©concilier, il faut ĂȘtre deux. Joe Bi­den a un talent, celui d’ĂȘtre un homme liant, et un objectif, rĂ©conci­lier l’AmĂ©rique avec elle­mĂȘme.

Voter un plan de relanceParfois, nĂ©cessitĂ© fait loi, et c’est aussice sur quoi mise Wall Street. La Bourse a bien rĂ©agi aux mauvais chif­fres du chĂŽmage – le pays n’a crĂ©Ă© ennovembre que 250 000 emplois alors qu’il en a dĂ©truit plus de 10 millions depuis le dĂ©but de l’annĂ©e – et n’a paschutĂ© alors que la seconde vague de Covid­19 s’annonce pire que la pre­miĂšre : c’est justement parce que lesopĂ©rateurs espĂšrent que ces sombres perspectives forceront le CongrĂšs Ă voter un plan de relance.

Un compromis sur un plan d’unpeu plus de 900 milliards de dollars (745 milliards d’euros) devrait ĂȘtretrouvĂ© rapidement avec, notamment,de nouvelles allocations­chĂŽmage – tandis qu’il faudra bien trouver une solution Ă  la faillite des Etats et descollectivitĂ©s locales, frappĂ©s par leCovid et la rĂ©cession, quoi qu’en di­sent les rĂ©publicains.

Et le reste ? Cela attendra, trĂšscertainement. On voit mal comment M. Biden mettra en Ɠuvre son pro­gramme de campagne : comment imaginer lancer un plan de grands travaux alors que, dans une ville comme New York, le mĂ©tro, le port et les aĂ©roports sont en faillite en raisonde l’effondrement du trafic passager. On n’imagine guĂšre qu’il s’attaque Ă  Wall Street et aux bĂ©nĂ©fices des entre­prises ou aux firmes de la Silicon Val­ley, locomotives de la reprise : ce se­rait ajouter Ă  la crise sanitaire et Ă©co­nomique une crise financiĂšre inutile.

Joe Biden devrait largement agir pardĂ©crets prĂ©sidentiels pour dĂ©faireceux qu’a pris Donald Trump. Beau­coup de symboles, notamment enmatiĂšre d’environnement et d’immi­gration, mais sans doute pas de rĂ©vo­lution financiĂšre. Wall Street peut s’en satisfaire.

CHRONIQUE  | PAR ARNAUD LEPARMENTIER

Joe Biden est-il déjà un canard boiteux ?

FAUTE D’AVOIR LA MAJORITÉ AU CONGRÈS, JOE BIDEN 

POURRAIT RESTER UN PRÉSIDENT SANS POUVOIR

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38 |0123 MERCREDI 9 DÉCEMBRE 20200123

L a partie n’est pas tout Ă fait terminĂ©e mais pourEmmanuel Macron elleest dĂ©jĂ  perdue. Le prĂ©si­

dent de la RĂ©publique ne tirerapas de la convention citoyenne sur le climat la double onction Ă©cologique et dĂ©mocratique qu’il espĂ©rait de cet exercice inĂ©dit.Avant mĂȘme de connaĂźtre le con­tenu du projet de loi climat qui doit ĂȘtre finalisĂ© cette semaine,un procĂšs en traĂźtrise s’est ins­taurĂ© que Julien Bayou, le secré­taire gĂ©nĂ©ral d’Europe Ecologie­Les Verts, rĂ©sume d’un mot : « L’arnaque. »

Parce qu’il refuse de reprendre« sans filtre » l’intĂ©gralitĂ© des pro­positions que cette assemblĂ©e a Ă©mises, le prĂ©sident de la RĂ©publi­que est accusĂ© de tromper les 150 citoyens tirĂ©s au sort en octo­bre 2019 pour rĂ©flĂ©chir aux moyens de « rĂ©duire d’au moins 40 % les Ă©missions de gaz Ă  effet deserre d’ici Ă  2030 dans un esprit de justice sociale ». L’intensitĂ© du procĂšs est Ă  la hauteur de l’intĂ©rĂȘtmais aussi des ambiguĂŻtĂ©s qu’a gĂ©nĂ©rĂ©s cette expĂ©rience dĂ©mo­cratique inĂ©dite, organisĂ©e au len­demain du mouvement des « gi­lets jaunes » et de l’enterrementde la taxe carbone. Pour le chef del’Etat, il s’agissait ni plus ni moinsde rĂ©inventer une politique Ă©co­logique acceptable par le plus grand nombre, en sortant de sonopposition frontale avec EELV.

Entre le 29 juin, date Ă  laquelleEmmanuel Macron a rĂ©ceptionnĂ©les propositions de la convention citoyenne, et cette semaine, au cours de laquelle le gouverne­ment retranscrit dans un projet de loi la partie lĂ©gislative de ses149 propositions, un indĂ©niable changement de climat s’est opĂ©rĂ©. De part et d’autre, une sourde mĂ©fiance a remplacĂ© l’en­thousiasme des dĂ©buts.

Economie plombĂ©eIl y a six mois, le chef de l’Etat sa­luait « cette aventure dĂ©mocrati­que et humaine, qui constitue une premiĂšre mondiale ». Il envisageaitl’organisation de deux rĂ©fĂ©ren­dums en 2021 pour vaincre d’éven­tuelles rĂ©sistances aprĂšs avoir va­lidĂ© l’idĂ©e qu’il faudrait rĂ©Ă©crire l’article 1 de la Constitution pour yintroduire « les notions de biodi­versitĂ©, d’environnement, de lutte contre le rĂ©chauffement climati­que ». Aujourd’hui, alors que l’éco­nomie reste plombĂ©e par la crise sanitaire, il s’agace des prĂ©ten­tions de la convention Ă  vouloir tout imposer sans filtre : « J’ai 150 citoyens, je les respecte, mais je ne vais pas dire, ce qu’ils proposent,c’est la Bible ou le Coran », s’est­il exclamĂ©, vendredi, lors de son in­terview au mĂ©dia en ligne Brut.

Du cĂŽtĂ© des 150, la majoritĂ© restesilencieuse mais une avant­garde fortement mobilisĂ©e s’est consti­tuĂ©e, qui comptabilise un Ă  un les reculs survenus depuis juin : re­fus de Bercy d’instaurer une Ă©co­taxe sur le transport aĂ©rien mori­bond ou encore passage en force du gouvernement sur la 5G. De­puis, une pĂ©tition « pour sauver laconvention citoyenne » circule Ă  l’initiative du rĂ©alisateur Cyril Dion, qui avait cru bon souffler

l’idĂ©e de l’exercice au prĂ©sident dela RĂ©publique dans le cadre du grand dĂ©bat post­« gilets jaunes ». En retour, Emmanuel Macron nedĂ©colĂšre pas contre « ces activistesqui [l’ont] aidĂ© au dĂ©but » et quiĂ©mettent aujourd’hui des criti­ques. « C’est la solution des fai­nĂ©ants, le “à prendre ou Ă  laisser et,si vous ne prenez pas, c’est nul” », s’est­il emportĂ©, vendredi dernier.

Cent cinquante citoyens peu­vent­ils imposer leur loi au prĂ©si­dent de la RĂ©publique ? C’est au fond la question que pose l’orga­nisation d’une convention ci­toyenne Ă  cette Ă©chelle et sur un thĂšme aussi large. La querelle secristallise autour de l’interprĂ©ta­tion des termes « sans filtre ». Les dĂ©fenseurs de la dĂ©mocratie di­recte ont cru comprendre que celavoulait dire « telles quelles ». Au dĂ©but, Emmanuel Macron n’a rien fait pour dissiper l’illusion, car il voulait que l’assemblĂ©e ci­toyenne entre dans le jeu, fasse des propositions.

Comme le rappelle, sur le site duJournal du dimanche, ThierryPech, directeur gĂ©nĂ©ral de TerraNova et coprĂ©sident du comitĂ© degouvernance, « 70 % des Français considĂšrent que le systĂšme dĂ©mo­cratique fonctionne mal et qu’ils sont mal reprĂ©sentĂ©s, 57 % des Français pensent qu’il faut gĂ©nĂ©ra­liser ce type d’exercice ». Pour cesdeux bonnes raisons, il fallait quela convention soit un succĂšs, mais pas au point, cependant, de se croire souveraine, c’est­à­dire d’imposer l’ensemble de ses pro­positions Ă  la barbe du pouvoirrĂ©glementaire et lĂ©gislatif, car ellen’en a en rĂ©alitĂ© pas les moyensconstitutionnels ni la lĂ©gitimitĂ©.

Depuis sa mise en Ɠuvre, denombreux intellectuels, commele politologue Philippe Raynaud,doutent de son caractĂšre rĂ©elle­ment dĂ©mocratique. « Les partici­pants Ă©taient volontaires », souli­gne­t­il dans la revue Commen­taire. En outre, ajoute­t­il, « les tra­vaux ont Ă©tĂ© guidĂ©s par un groupe d’experts dont beaucoup sont en fait des militants de l’écologie ».

Ces soupçons font bondir les or­ganisateurs de la convention qui viennent de rendre public un rap­port explicitant leur mĂ©thode : des outils d’expertise Ă©taient Ă  la disposition des conventionnels qui pouvaient, Ă  chaque Ă©tape de la procĂ©dure, vĂ©rifier le bien­fondĂ© de ce qu’on leur disait et de ce qu’ils proposaient. « Tout ci­toyen Ă  qui on explique la rĂ©alitĂ©du rĂ©chauffement climatique sait qu’il y a urgence Ă  agir vite et fort »,renchĂ©rit Barbara Pompili, minis­tre de la transition Ă©cologique. Il n’empĂȘche : c’est bien sur cesoupçon d’une politisation de laconvention que surfe aujourd’huiEmmanuel Macron pour rĂ©pon­dre Ă  ceux qui l’accusent de trahir.

Il faudra un peu de recul poursavoir si la convention citoyenne sur le climat a effectivement per­mis d’accĂ©lĂ©rer le combat contre les Ă©missions de gaz Ă  effet deserre. En attendant, une illusion s’est envolĂ©e : il ne suffit pas de convoquer des citoyens ancrĂ©s dans le rĂ©el pour rapprocher les points de vue. L’écologie resteplus que jamais une matiĂšreĂ©ruptive.

E n thĂ©orie, la prĂ©voyance constituele cƓur de mĂ©tier de l’assurance.Pourtant, les compagnies en ont

cruellement manquĂ© dans la façon de veiller Ă  leur rĂ©putation depuis le dĂ©clen­chement de la pandĂ©mie de Covid­19. Ac­cusĂ©s de rechigner Ă  accompagner leursclients dans la crise, les assureurs se re­trouvent en porte­à­faux avec l’imagequ’ils tentent de projeter Ă  longueur decampagnes publicitaires. AprĂšs avoir accu­mulĂ© les maladresses et les calculs froids, le secteur est plongĂ© au cƓur d’une polé­mique d’autant plus difficile Ă  Ă©teindre qu’elle a fini par prendre un tour politique.

La fronde est partie des petits commer­çants, cafetiers et hîteliers­restaurateurs,qui ont fait l’objet de fermetures adminis­

tratives afin d’endiguer la propagation duvirus. Certains des contrats souscrits parces entrepreneurs prĂ©voyaient, de façon plus ou moins explicite, le risque de pandé­mie. Mais les assureurs affirment que la crise sanitaire actuelle relĂšve d’un type par­ticulier de sinistre touchant simultané­ment l’ensemble des entreprises d’un do­maine d’activitĂ© et que, de fait, il est finan­ciĂšrement impossible de couvrir ce risque.

Le message a eu d’autant plus de malĂ  passer que les compagnies ont manquĂ© d’empathie vis­à­vis de certains de leurs clients. Il y a quelques jours, pour toute rĂ©ponse Ă  leurs difficultĂ©s, des mil­liers de PME ont reçu un avenant Ă  leur contrat excluant explicitement le risque pandĂ©mique, tandis que des hausses de tarif Ă©taient envisagĂ©es.

Les assureurs ont eu beau rappeler qu’ilsavaient versĂ© 400 millions d’euros au fonds de solidaritĂ© en faveur des entrepri­ses et des indĂ©pendants et que la crise les oblige Ă  rembourser 2 milliards d’euros desinistres supplĂ©mentaires, ces arguments sont devenus inaudibles. Durant la pĂ©riode,l’opinion publique a surtout retenu que les cotisations ne baissaient pas, malgrĂ© la chute des dĂ©penses de santĂ© hors Covid etle recul du nombre d’accidents automobi­les Ă  cause du confinement.

Faute de faire à temps les quelques gestesqui auraient permis de désamorcer les in­compréhensions, les assureurs ont attendu

d’ĂȘtre mis au pied du mur par le gouver­nement, lui­mĂȘme mis sous pression parl’opposition. MenacĂ©es d’ĂȘtre taxĂ©es, les compagnies ont finalement consenti, lundi 7 dĂ©cembre, Ă  geler les cotisationsd’assurance­multirisque professionnelle.

La mesure, qui concerne les PME de moinsde 250 salariĂ©s, a Ă©tĂ© Ă©largie au­delĂ  de l’hέtellerie­restauration pour concerner Ă©gale­ment les secteurs de l’évĂ©nementiel, du tou­risme, du sport et de la culture. L’effort restemalgrĂ© tout modeste, car limitĂ© Ă  2021. Eva­luĂ© Ă  « plusieurs dizaines, voire plusieurs cen­taines de millions d’euros » par Bercy, il est largement infĂ©rieur au 1,2 milliard d’euros qui devait ĂȘtre ponctionnĂ© grĂące Ă  la taxe brandie par le gouvernement.

Ce gel aurait eu sans doute plus d’effetss’il avait Ă©tĂ© obtenu spontanĂ©ment. Aussi, pour restaurer leur image, qui a Ă©tĂ© Ă©cor­nĂ©e, les assureurs doivent aller plus loin. Legouvernement a donnĂ© des pistes en inci­tant par exemple les compagnies Ă  conti­nuer Ă  couvrir en 2021 les PME, mĂȘme si cesderniĂšres tardent Ă  payer leurs cotisations. En revanche, un systĂšme d’assurance­pan­dĂ©mie sur la base d’un partenariat public­privĂ© a Ă©tĂ© Ă©cartĂ©, beaucoup d’entreprises considĂ©rant la formule trop coĂ»teuse. Il est enfin urgent de promouvoir une mĂ©dia­tion de l’assurance sur le modĂšle de celle du crĂ©dit. Plus de dialogue et de prĂ©voyanceaurait probablement Ă©vitĂ© au secteur de se retrouver au cƓur de la tempĂȘte.

MACRON REFUSE DE REPRENDRE 

« SANS FILTRE Â» LES PROPOSITIONS DE LA CONVENTION 

CITOYENNE SUR LE CLIMAT

DES ASSUREURS EN MAL DE PRÉVOYANCE

FRANCE | CHRONIQUEpar françoise fressoz

150 citoyens face au chef de l’Etat

ALORS QUE L’ÉCONOMIE RESTE 

PLOMBÉE PAR LA CRISE SANITAIRE, 

LE CHEF DE L’ÉTAT S’AGACE DES 

PRÉTENTIONS DE LA CONVENTION

Tirage du Monde daté mardi 8 décembre : 124 090 exemplaires

gallimard.fr I facebook.com/gallimard

«C’est le livre de la transmission, de l’apprentissage de la vie. J’iraisnager dans plus de riviĂšres est le grand livre de Philippe Labro.»François Busnel, La Grande Librairie

«L’écrivain journaliste fredonne un bel hymne Ă  la vie, si rude qu’ellepuisse ĂȘtre parfois. La preuve? Il recommencerait bien.»Marie-Françoise LeclĂšre, Le Point

«Labro parle avec volubilitĂ©, et avec esprit. Il Ă©crit avec flamme.Son livre est Ă  la fois Ă©mouvant, brillant, et, oui, formidable.»François Forestier, L’Obs

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