Le médecin qui prodigue des soins engage sa responsabilité sans pouvoir s’en remettre aux...

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Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 477–481 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect Jurisprudence Le médecin qui prodigue des soins engage sa responsabilité sans pouvoir s’en remettre aux décisions d’un autre confrère Céline Hauteville-Vila (IDE Étudiante en droit) 53, rue Blanche, 75009 Paris, France Disponible sur Internet le 20 novembre 2013 Résumé Lorsque plusieurs médecins collaborent à l’examen ou au traitement de ce patient, chacun d’eux est tenu d’assurer un suivi de ses prescriptions. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. L’obligation de tout médecin de donner à son patient des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science emporte, lorsque plusieurs médecins collaborent à l’examen ou au traitement de ce patient, l’obligation pour chacun d’eux, d’assurer un suivi de ses prescriptions afin d’assumer ses responsabilités personnelles au regard de ses compétences (Civ 1 o , 16 mai 2013, n o 12-21338, Publié). 1. L’affaire jugée par la Cour de cassation 1.1. Faits Une parturiente a accouché le 18 décembre 1992. Quelques heures plus tard, sont apparues des céphalées. L’équipe infirmière a signalé le fait au médecin anesthésiste, alors présent dans l’établissement, et celui-ci a seulement soulagé la patiente de ses maux de tête au moyen de la prescription de « Tiapridal », estimant que son confrère, praticien gynécologue obstétricien, assurerait la continuation de sa prise en charge, la patiente étant toujours hospitalisée en unité de soins de couches. Adresse e-mail : [email protected] 1629-6583/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2013.10.004

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Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 477–481

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

ScienceDirect

Jurisprudence

Le médecin qui prodigue des soins engage saresponsabilité sans pouvoir s’en remettre aux décisions

d’un autre confrère

Céline Hauteville-Vila (IDE Étudiante en droit)53, rue Blanche, 75009 Paris, France

Disponible sur Internet le 20 novembre 2013

Résumé

Lorsque plusieurs médecins collaborent à l’examen ou au traitement de ce patient, chacun d’eux est tenud’assurer un suivi de ses prescriptions.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

L’obligation de tout médecin de donner à son patient des soins attentifs, consciencieux etconformes aux données acquises de la science emporte, lorsque plusieurs médecins collaborent àl’examen ou au traitement de ce patient, l’obligation pour chacun d’eux, d’assurer un suivi de sesprescriptions afin d’assumer ses responsabilités personnelles au regard de ses compétences (Civ1o, 16 mai 2013, no 12-21338, Publié).

1. L’affaire jugée par la Cour de cassation

1.1. Faits

Une parturiente a accouché le 18 décembre 1992.Quelques heures plus tard, sont apparues des céphalées.L’équipe infirmière a signalé le fait au médecin anesthésiste, alors présent dans l’établissement,

et celui-ci a seulement soulagé la patiente de ses maux de tête au moyen de la prescriptionde « Tiapridal », estimant que son confrère, praticien gynécologue obstétricien, assurerait lacontinuation de sa prise en charge, la patiente étant toujours hospitalisée en unité de soins decouches.

Adresse e-mail : [email protected]

1629-6583/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2013.10.004

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Or, rien n’a été fait, lors de la visite du gynécologue-obstétricien du lendemain matin, au coursde laquelle ont été signalées ces céphalées, ce praticien observant l’intervention et la prescriptionde son confère anesthésiste.

L’état de la patiente s’est aggravé, tandis que s’installait une phlébite cérébrale, et il en estrésulté une hémiplégie gauche.

1.2. L’expertise

L’hémiplégie gauche dont souffre la patiente a pour cause une phlébite cérébrale qui s’estmanifestée initialement par une céphalée.

Cette hémiplégie est une complication classique du post-partum dont la sémiologie comportedes céphalées initiales, ce qui était le cas ici et, ultérieurement, soit une hémiplégie, soit des crisesd’épilepsie, soit à l’ensemble de ces symptômes, ce qui a également été le cas chez cette patiente.

La pathologie n’est pas une suite de l’anesthésie péridurale mais des suites de l’accouchement.Diagnostiquée à temps, l’atteinte aurait pu être limitée, ce retard à poser le diagnostic ayant

fait perdre à la parturiente 80 % de chances d’éviter les séquelles.

1.3. Cour d’appel de Dijon, 11 avril 2012

La pathologie qui affecte la patiente d’une part, procède des suites de l’accouchement et nondes suites de l’anesthésie péridurale, avec laquelle elle est sans lien, d’autre part, se traduit defacon habituelle, primitivement, par des céphalées.

Ainsi, c’est au gynécologue obstétricien, qui assurait le suivi post-partum de la parturiente ausein du service de « suites des couches », qu’incombait seul le diagnostic de phlébite cérébralequi ressortissait à sa compétence.

Dès lors que lui était révélée, lors de sa visite dans ce service au lendemain de l’accouchement,l’apparition de très violentes céphalées. Il appartenait au gynécologue obstétricien d’envisageret de vérifier lui-même l’éventualité d’une telle pathologie, sans que l’on puisse admettre que cediagnostic devait être posé par le médecin anesthésiste-réanimateur au seul motif que lui avaientalors été signalés ces maux.

En effet, le signalement ainsi effectué auprès du médecin anesthésiste n’a pu avoir pour effetde transférer à celui-ci, qui a seulement soulagé la patiente de ses maux de tête au moyen de laprescription de « Tiapridal », ni la charge du diagnostic de phlébite cérébrale, ni la prise en charge,ni le suivi post-partum de la patiente toujours hospitalisée en unité de soins de couches.

La patiente restait sous la surveillance du médecin obstétricien seul compétent pour contrôlertoutes les suites de l’accouchement, avec leurs conséquences éventuelles. Il relevait de sa seuleresponsabilité de poser plus précocement le diagnostic qui devait être posé.

En présence des signes présentés par la parturiente, le médecin gynéco-obstétricien, médecinspécialiste, devait y prêter l’attention qui lui incombe et en rechercher les causes, ce qu’il n’a pasfait, renvoyant la question à son confère anesthésiste.

Or, pour rappel, l’accident vasculaire cérébral n’est pas une complication de la péridurale.En conséquence, le médecin gynéco-obstétricien, s’est montré négligeant en ne recherchant

pas, dès la survenance des céphalées, leur cause et sa négligence a conduit à un diagnostic tardif del’affection que développait la parturiente alors qu’une prise en charge rapide aurait eu de grandeschances de conduire à une guérison sans séquelles.

Aucune faute ne peut être retenue à l’égard du médecin anesthésiste.

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La faute du médecin gynéco-obstétricien n’est pas d’avoir causé le dommage mais d’avoir privéla patiente de chances d’engager à temps une action réparatrice, et le médecin a été condamné àprendre en charge 80 % du préjudice.

1.4. Arguments en défense du praticien gynécologue

Tout médecin est tenu de donner à son patient des soins attentifs, consciencieux et conformesaux données acquises de la science, et un médecin qui prend en charge le traitement d’un patient,ne peut s’exonérer de son obligation de suivi et de sa responsabilité en invoquant la faute d’unautre praticien.

Or, la cour d’appel ne pouvait écarter la responsabilité du docteur Z. qui avait pris en charge letraitement des céphalées en prescrivant lui-même un traitement au lendemain de l’accouchementau motif inopérant que le médecin obstétricien était chargé de la surveillance des suites del’accouchement.

L’anesthésiste qui prescrit un traitement à la suite d’un accouchement pour céphalées, doitassurer le suivi de ce traitement et notamment s’assurer de ce que la réaction du patient confirmele diagnostic qui l’a conduit à prescrire ce traitement.

1.5. La Cour de cassation, 16 mai 2013

En droit

En application des articles 1147 du code civil et 4127-64 du code de la santé publique,l’obligation de tout médecin de donner à son patient des soins attentifs, consciencieux etconformes aux données acquises de la science emporte, lorsque plusieurs médecins collaborent àl’examen ou au traitement de ce patient, pèse sur chacun d’eux l’obligation d’assurer un suivi deleurs prescriptions afin d’assumer leurs responsabilités personnelles au regard de ses compétences.

Analyse

La cour d’appel, ayant constaté, d’une part, que la pathologie était une suite de l’accouchementet non de l’anesthésie, d’autre part, que c’est M. X. qui assurait, en sa qualité de gynécologueobstétricien, le suivi de l’intéressée au sein du service de « suites des couches », en a déduit quele diagnostic de phlébite cérébrale, qui relevait de sa compétence, incombait à lui seul sans quel’on puisse admettre que ce diagnostic devait être posé par praticien anesthésiste réanimateur,au seul motif que lui avaient alors été signalés ces maux, dès lors que la parturiente restaitsous la surveillance du médecin obstétricien seul compétent pour contrôler toutes les suites del’accouchement.

Or, le praticien anesthésiste avait été appelé au chevet de la patiente en raison de la survenance decéphalées et il lui avait prescrit un neuroleptique pour les soulager. De telle sorte, il lui incombait des’informer de l’effet de ce traitement, notamment aux fins de déterminer, en collaboration avec legynécologue obstétricien, si ces troubles étaient en lien avec l’anesthésie ou avec l’accouchement,ce qui aurait pu permettre un diagnostic plus précoce, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquencesde ses constatations au regard des textes, le principe de la responsabilité partagée étant posée.

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2. Commentaire

Cet engagement de responsabilité disparaît si le médecin anesthésiste, dans son domained’intervention – spécialité et surveillance générale – n’a pas commis de faute (Civ. 1o, 27 mai1998, no 96-19161, publié).

Faits

Une patiente, née en 1944, avait eu quatre enfants entre 1964 et 1980 et subi deux accidentsabortifs. Souhaitant avoir un cinquième enfant malgré une dysovulation, elle a consulté un médecingynécologue-obstétricien, qui a réalisé une induction ovarienne, le début de la grossesse se situantle 20 août 1988 et le terme prévu le 20 mai 1989. La parturiente avait demandé son gynécologue-obstétricien de procéder au déclenchement artificiel de l’accouchement de facon que la naissancese produise le 10 mai, jour anniversaire de son mariage, et le praticien a accédé à cette demande.

L’accouchement, sous anesthésie péridurale, a eu lieu ce jour-là à 19 heures 55, mais unerupture utérine a entraîné une hémorragie immédiate abondante. A 22 heures, il a été pratiquéune hystérectomie d’hémostase, mais une hémorragie vaginale a persisté au cours de la nuit. Lelendemain, le médecin gynécologue-obstétricien a décidé une nouvelle intervention consistant enune hémostase chirurgicale qui a été faite à 12 heures et au cours de laquelle la patiente a subideux arrêts cardiaques prolongés, à la suite desquels elle a été plongée dans un état quasi végétatifjusqu’à son décès survenu le 12 mai 1991.

La cour d’appel a retenu l’entière responsabilité de médecin gynécologue et mis hors de causetrois médecins anesthésistes intervenus lors des opérations.

Analyse

Le praticien gynécologue avait fait prendre des risques à sa patiente en acceptant :

• d’une part, de procéder à une induction de l’ovulation chez une femme âgée de 44 ans qui avaitdéjà quatre enfants, souffrait d’une dysovulation et avait fait deux accidents abortifs ;

• d’autre part, en l’exposant, sans justification thérapeutique, au risque majeur d’un déclenche-ment artificiel de l’accouchement malgré ses antécédents et dans des conditions obstétricalespeu favorables compte tenu d’une présentation élevée, d’un utérus très hypotonique et d’un colcourt mais fermé.

Violant l’article 18 du Code de déontologie médicale, il avait fait courir au patient un risqueinjustifié.

En outre, après la survenance de la rupture utérine et l’apparition de l’hémorragie, le praticiengynécologue avait donné des soins incomplets et tardifs car :

• d’une part, l’hémostase n’avait pas été réalisée lors de l’hystérectomie ayant suivil’accouchement ;

• d’autre part, un délai long s’était écoulé entre l’accouchement et la première intervention, puisla seconde réalisée le lendemain.

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Alors qu’il était tenu d’assurer la surveillance postopératoire en ce qui concerne l’évolutionde l’hémorragie ayant nécessité la première intervention, il avait commis des fautes qui étaienten relation directe et certaine avec le dommage subi par la défunte.

En revanche, les médecins anesthésistes avaient agi conformément aux données acquises dela science et assuré la surveillance des suites des anesthésies, sans négliger l’obligation généralede prudence et de diligence leur incombant quant au domaine de compétence de leur confrèregynécologue obstétricien.