Le massacre de Trujillo : Un extrait dans l’une des œuvres de Yanick LAHENS

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Le massacre de Trujillo : Un extrait dans lune des œuvres de Yanick LAHENS Yanick LAHENS Dans la Maison du Père Paris, Le Serpent à Plumes, Collection « Fiction française », 2000, 160 p., 85 FF. Évidemment, Alice n'aimera pas l'école, surtout pas celle des redoutables sœurs Védin. Mais elle y forgera son caractère rebelle. Confrontée à la mort dès l'âge de dix ans, elle dansera désormais pour tromper cette peur, «je livre le seul combat qui vaille la peine d'être livré, je fais la guerre à la mort. Danser pour aller plus vite qu'elle».Elle connaîtra les exactions de la campagne antisuperstitieuse, les « vêpres dominicaines», trois jours de tueries d'Haïtiens ordonnées par Trujillo, mais l'oncle Héraclès sera toujours présent pour lui montrer la vaillance de son pays, lui redonner confiance. Référence : Notre Librairie, Revue des littératures du Sud, Littératures insulaires du Sud, No. 143. Janvier-mars 2001

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Le massacre de Trujillo : Un extrait dans l’une des œuvres de Yanick LAHENSYanick LAHENS Dans la Maison du PèreParis, Le Serpent à Plumes, Collection« Fiction française », 2000, 160 p., 85 FF.Évidemment, Alice n'aimera pas l'école, surtout pas celle des redoutables sœurs Védin. Mais elle y forgera son caractère rebelle. Confrontée à la mort dès l'âge de dix ans, elle dansera désormais pour tromper cette peur, «je livre le seul combat qui vaille la peine d'être livré, je fais la guerre à la mort. Danser pour aller plus vite qu'elle».Elle connaîtra les exactions de la campagne antisuperstitieuse, les « vêpres dominicaines», trois jours de tueries d'Haïtiens ordonnées par Trujillo, mais l'oncle Héraclès sera toujours présent pour lui montrer la vaillance de son pays, lui redonner confiance.Référence : Notre Librairie, Revue des littératures du Sud, Littératures insulaires du Sud, No. 143. Janvier-mars 2001

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Le massacre de Trujillo : Un extrait dans

l’une des œuvres de Yanick LAHENS

Yanick LAHENS

Dans la Maison du Père

Paris, Le Serpent à Plumes, Collection

« Fiction française », 2000, 160 p., 85 FF.

Évidemment, Alice n'aimera pas l'école, surtout pas celle des redoutables sœurs Védin. Mais elle y forgera son caractère rebelle. Confrontée à la mort dès l'âge de dix ans, elle dansera désormais pour tromper cette peur, «je livre le seul combat qui vaille la peine d'être livré, je fais la guerre à la mort. Danser pour aller plus vite qu'elle».Elle connaîtra les exactions de la campagne antisuperstitieuse, les « vêpres dominicaines», trois jours de tueries d'Haïtiens ordonnées par Trujillo, mais l'oncle Héraclès sera toujours présent pour lui montrer la vaillance de son pays, lui redonner confiance.

Référence : Notre Librairie, Revue des littératures du Sud,

Littératures insulaires du Sud, No. 143. Janvier-mars 2001

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Yanick LAHENS

Dans la Maison du Père

Paris, Le Serpent à

plumes, collection

«Fiction française », 2000,160 p., 85 FF.

Après Tante Résia et les

dieux, nouvelles parues chez

L'Harmattan en 1994, puis La

Petite Corruption, autre re-

cueil de nouvelles paru cette

fois aux éditions Mémoire en

1999,YanickLahensnous offre

ce récit au parfum secret d'au-

tobiographie qui se déguste à

courtes lampées.Nous ne cesserons de glisser

sur les vaguesdu temps, parte-naire de la danse passionnéed'AliceBienaimé.Aliceest la pe-tite fille modèle d'une famille

bourgeoise, elle habite Port-au-

Prince,elle adore danser. Unair

de ragtime dans un jardin, une

femme presque transparentebien habillée,un jeune homme

romantique,un homme mûr en

completd'alpaga blanc, et cette

petite fille qui danse. Et se fait

sévèrement gifler. « L'homme

vêtude blanc,c'estmonpère.La

femme à l'écharpe de soie, c'est

ma mère, le garçon de vingt-deux ans, mon oncle [.,.JNous

sommes le 22 janvier 1942 et

moi, Alice Bienaimé, couchée

sur l'herbedans ma robebleue,

je viensd'entrer dans ma trei-

zièmeannée.» Cetincident,ellele dit, la bascule dans son ave-nir.Danselibératriceet souvenir

obsessionnelde ce père sont in-

extricablementmêlés.L'occupa-tion du territoirehaïtien par les

états-uniensest encoreune bles-

sure pour ce père et tousse sou-

viennentde cettegrandefêtedu

21 août 1934.Ce jour-là,Anté-

nor Bienaimé,médecin à Port-

au-Prince, avait fait de sa fille«sa reine ».Et sa fille,sa reine,

danse, huit ans plus tard, sur

une musiquejailliede chez l'En-<nemi.

Le lecteur hésitera longtempssur la cause réellede cettegifle.Peut-être se trompe-t-il. Cette

jeune fille, par la danse, s'est

aussi imprégnéede rythmesvo-

dous, sa gestuelle se fait sans

doute, provocante. Le seul

amer fiable pour cette enfant

désorientéedemeurera, tout au

long du récit, sa vieillebonne,ManBo'. Elleest la seule à tout

comprendre, car elle est sans

doute la seule à vraimentregar-der Alice avec les yeux de la

tendresse. La mère, perdue de

n'avoir jamais été reconnue

comme une grande pianiste

(que, de toute façon, elle n'est

pas!) se racornità l'ombrede ce

marisi présent et si fort.L'oncle

Héraclès sera un initiateurma-

gicienpour cette petite filletrès

entourée et très mal comprise.Aliceexplorela vied'abord avec

son instinct: «Leventre,c'était

déjà ma boussoledans leseauxdu monde» (p. 20).Cettepetitefille si sensible se sent habitée

par les dieux de ses ancêtres

qu'elle refuse de renier, « ma

première chorégraphie est déjàlà, pas et gestes régléspar un

dieu inconnu ».Etcela, ManBol'a bien senti.Ellene cesserade

mettre Alice en garde, lui

conseilleramême d'épouser unBlanc. Évidemment,Alicen'ai-

mera pas l'école, surtout pascelle des redoutables sœursVédin. Mais elle y forgera son

caractère rebelle. Confrontéeà

la mortdès l'âgede dixans, elle

dansera désormais pour trom-

per cette peur, «je livre le seul

combatqui vaillela peined'être

livré,jefais laguerre à la mort2-

Danser pour aller plus vite

qu'elle».Elleconnaîtrales exac-

tionsde la campagneantisuper-

stitieuse, les « vêpres domini-caines », trois jours de tueries

d'Haïtiens ordonnées par Tru-

jillo, mais l'oncle Héraclèssera

toujours présent pour lui mon-

trer la vaillancede son pays, lui

redonner confiance.Un jour, enfin, le père donne

à Alicel'autorisationde s'inscrireà un cours de danse. Avecune

dame française, Mme Daveau.Lepiano,dansce cours,est tenu

par Mme Boural, qui apprécieégalement les chants tradition-nels haïtiens. Elle initie aussi

quelques élèves aux danses lo-

cales. Alice va alors connaître

l'expérience vodoue. L'oncleHéraclès est son complice. Ce

sera une révélation,une illumi-

nation.Ungarçon,subjugué,l'a

vue danser, il est peintre et rê-

veur, et très sombre de peau-Alicetransgresseraaussi cet in-

terdit, en toute lucidité.Edgardluiferadécouvrirl'autrecôtédu

miroir: le monde des pauvres,des pauvres absolus.Maisc'est

Edgard aussi, malgré tout son

amour,qui pousseraAliceà par-

tir, à quitter cette île à la fois

magique et terrifiante. Alicea

vingtans: elle part à New-York.

Elle vient l'annoncer à son

père: elle désire de toutes ses

forces, mais elle n'ose pas, lUI

rappeler la gifle, lui dire qu'ellefaitl'amouravecun pauvre,noif

de surcroît,lui criersa haine de

cette «dameà l'ombrelle», pro'bable maîtresse. Dans les rues

vont régner,et pour longtemps

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m

lesmacoutesde Duvalier.Lafa-milleBienaimése disloque,neconservequ'une façade. Héra-dès, le héros excessif, fuira

jusqu'enFinlande,le paysnéga-tif d'Haïti. Un jour, beaucoupPus tard, Alice rentrera chez

elle. Solitude double. Elle ra-

menéune petite fille qui por-

teraPeut-êtreun soir, dans le

jardin, une robe bleue. Pourdanser.

C'estun récitd'une grandedé-licatesse,à l'écrituresouple etprécise,un croisementbrillant

Prolepses-analepsesqui scande

trèshabilementtoute cette his-

toire, une évocation sereined'un demi-siècled'histoirehaï-tienne, un regard tendre maisassurésur une époque, sur un

rythmebalancéd'une prouesse

équilibre. Le lecteur croise

GUillenet Breton,WifredoLam

etCarpentier,Sartreet Césaire.

commeun regret,un tempsoù

Haïtiattirait les plus grands!

au 6St ce que tu reprochesS auj°urd'hui ? Cite moi

nu seulePériodede l'histoire

Qnu1- auétéheureuse?»Il marqueune pausel fixe

oncleHéraclèsles yeux grands"Uvellset ajoute:

UCUne! Et au cas où TUne

Kaur^l>as' n y'en aurapas! »(p 110)

illMêmesi la libertén'estqu'une

Illusion,ladanseen est une ma-

gnifique image. Alice, qui a

dansépour fuirla peur,dansera

aussien souvenirdu voleurfier,

deboutcontre la foule qui le

frappe.

Ttoutes les scènes du

tnonde,je danseraipourlui, le

défendantcontrela foulequelleqU'ellesoit, quelsquesoientses

uniformes ou ses drapeaux. »

(p. 77)

Danse, confidence, indépen-dance, Alice est libre de ses

mouvements,délicateimagedesrêvesde femmesen pays trou-blé. Au lecteur, il reste cettetache bleue, commeun bleu à

l'âme, cette robe de petite fille

qui commenceà exister.

PhilippeBERNARD

1.Cenom, également,évoqueunedanselatino-américaine!2.Etrangeécboà l'ultimecrideFritzZorndanslapagefinaledeMars