Béziers, 22 juillet 1209. Autopsie d'un massacre annoncé. · PDF file2...

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  • Michel ROQUEBERT

    BZIERS, 22 JUILLET 1209.

    AUTOPSIE DUN MASSACRE ANNONC

    Extrait de BZIERS VILLE OCCITANE ?Sous la direction de Carmen ALEN GARABATO, Presses universitaires de Perpignan, 2007.

    Actes des Rencontres de Bziers organises le 18 novembre 2006 par Universit et recherche en Biterrois (URBI).

  • Bziers, 22 juillet 1209. Autopsie d un massacre annonc

    Michel Roquebert (historien)

    Quand arrivrent l illustre duc de Bourgogne et d autres grands seigneurs, avec un si grand nombre de croiss qu on ne croyait pas que cela se ft jamais produit chez les Chrtiens, l effroi s empara ce point des hypocrites qu ils prirent quasi miraculeusement la fuite, surtout aprs la chute et la ruine de la ville de Bziers.

    En effet, nous mmes et l vque de cette ville nous avons diligemment runi les citoyens, et leur avons enjoint, sous peine d excommunication, de livrer aux croiss les hrtiques qui se trouvaient parmi eux, ainsi que leurs biens ; ou, s ils ne le pouvaient pas, de les abandonner, sinon leur sang retomberait sur leurs ttes.

    Non seulement ils ne tinrent pas compte de nos ordres et de nos avertissements, mais ils dcidrent en commun par serment, avec les hrtiques eux-mmes, de dfendre la ville.

    Alors que l arme approchait de Bziers, les seigneurs de certains castra des environs, qui avaient mauvaise conscience, prirent la fuite devant les croiss.

    Mais les chevaliers et les fidles (catholiques) de ces mmes castra, venant avec confiance au devant de l arme, remirent ces castra aux mains des croiss, et leur firent hommage et fidlit.

    La veille de la fte de sainte Marie-Madeleine se rendit aux ntres un castrumfameux, nomm Servian, dont dpendaient plusieurs autres castra.

    Le lendemain matin, le sige fut mis devant Bziers. C tait le jour de la Sainte-Marie-Madeleine. Dans l glise qui lui tait ddie, les citoyens de Bziers avaient nagure perfidement assassin leur seigneur.

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    BZIERS, 22 JUILLET 1209. AUTOPSIE DUN MASSACRE ANNONC

    Par sa position naturelle, par ses rserves d armes et de vivres, la ville paraissait suffisamment forte pour rsister longtemps n importe quelle arme.

    Mais comme rien ne peut s opposer Dieu, alors qu on discutait avec les barons de la sauvegarde de ceux qui, dans la ville, taient rputs catholiques, les ribauds et autres individus vils et sans armes, sans attendre l ordre des chefs, attaqurent la ville et, la surprise des ntres, alors qu on criait Aux armes ! Aux armes !, franchirent les fosss et le rempart. En deux ou trois heures de temps, la ville de Bziers fut prise et les ntres, n pargnant ni le rang, ni le sexe ni l ge, passrent au fil de l pe environ vingt mille personnes.

    Aprs cet norme massacre d ennemis, la ville tout entire fut pille et incendie. La vengeance divine l a merveilleusement frappe.

    La nouvelle d un si grand miracle se rpandit de sorte que toute la population fut ce point terrorise que ceux qui cherchrent refuge dans la montagne ou dans d autres lieux inaccessibles abandonnrent entre Bziers et Carcassonne plus de cent castra rputs, remplis de provisions et de tout ce que les fuyards n avaient pu emporter avec eux.

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    Voil l unique tmoignage que l on possde sur la journe du 22 juillet 1209, qui vit la ville de Bziers prise d assaut, pille et incendie, et sa population massacre1.

    Il s agit bien d un tmoignage stricto sensu ; car c est le seul rcit manant d un tmoin de l vnement, et mme de deux, car il s agit du rapport que, quelques semaines aprs les faits, adressrent au pape Innocent III ses deux lgats : Arnaud Amaury, abb de Cteaux, qui tait depuis cinq ans la tte de la lgation pontificale en pays albigeois c est--dire en pays hrtique et son collgue nomm seulement quatre mois plus tt, Milon, notaire apostolique et secrtaire du souverain pontife. A dire vrai, le document n est pas dat, mais comme il informe le Saint-Sige des tout premiers succs de la croisade et de la dvolution Simon de Montfort des titres et des domaines de Raymond-Roger Trencavel, vicomte de

    1 Migne, Patrologie latine, T. 216, n CVIII, col.137-141.

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    Bziers et de Carcassonne, dvolution qui eut lieu peu aprs le 15 aot 1209, on peut sans risque d erreur le dater de la fin du mois d aot ou du dbut de septembre.

    Ce rapport des lgats n est videmment pas la seule source que nous possdions sur la journe du 22 juillet. Mais aucun des chroniqueurs qui relatrent l vnement ne fut, comme Arnaud-Amaury et Milon, tmoin oculaire. Pas seulement tmoins, d ailleurs, les deux lgats, mais acteurs de l vnement, puisque leurs fonctions les plaaient la tte de l arme de la croisade, qui n avait pas encore de commandement militaire unifi, comme ce sera le cas avec Simon de Montfort partir de la mi-aot.

    Mais il va sans dire que si, ce titre, leur tmoignage est infiniment prcieux, il doit quand mme tre abord avec circonspection : engags tous deux dans les vnements, ils sont ncessairement conscients de leurs responsabilits, et il ne faut pas attendre d eux, a priori, un rcit objectif : ils ont crit Innocent III ce qu ils ont bien voulu. Il faut donc examiner de prs ce qui, dans ce rcit, parat tout fait acceptable, et ce qui peut poser quelque problme.

    Il restera comparer ce rcit les autres sources narratives. On verra que sur tels ou tels points elles le corroborent, sur d autres elle l amplifient,parfois mme elles apportent des donnes tout fait nouvelles ; la question sera alors de voir si ces donnes peuvent ou non s articuler sur le tmoignage des deux lgats.

    Il faudra naturellement tenir compte, aussi, du fait que nous possdons deux catgories de sources.

    A Celles qu on appelle traditionnellement mridionales . Deux d entreelles ont le mrite de n tre pas trop loignes dans le temps.

    1) L Hystoria albigensis du moine cistercien Pierre des Vaux-de-Cernay. Arriv en Languedoc au printemps 1212, avec son oncle Guy, abb des Vaux-de-Cernay en valle de Chevreuse, qui venait d tre lu vque de Carcassonne, et dont c tait d ailleurs le second voyage en pays albigeois , Pierre dcida trs vite de tenir un vritable journal de guerre de la croisade, l intention d Innocent III. Il s informa donc aussitt, auprs des croiss eux-mmes, de tout ce qui s tait pass avant son arrive. Trs prcieux par la quantit d informations qu il contient, son rcit n en est

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    pas moins l uvre d un fanatique partisan de la croisade et de l extermination des hrtiques, en qui il voit les suppts du Mal absolu. D o un texte naturellement trs orient.

    2) D un ton infiniment plus objectif est le rcit en vers occitans de Guillaume de Tudle, la Canso de la crozada, la Chanson de la croisade albigeoise. Ce Navarrais a commenc crire son pome, ou bien en 1210 Montauban, ou bien en 1212 Saint-Antonin en Rouergue, il n est lui-mme pas trs clair l-dessus, mais cela importe assez peu. Protg du comte Baudouin, le frre mal aim du comte de Toulouse Raymond VI, ce Baudouin qui tait pass dans le camp des croiss, c est auprs de ces derniers qu il a recueilli ses informations, mais aussi, de toute vidence, quand il l a pu, auprs des populations indignes. Comme il excre l hrsie, il estime ncessaire de sauver l unit de la foi catholique, ft-ce par la force des armes. Mais comme il est Occitan d adoption, il ne peut s empcher de pleurer sur les dsastres de la guerre. Sans contredire donc formellement le point de vue du moine engag dans une guerre sainte, le pote jette sur les vnements un regard infiniment plus humain.

    Deux versions en prose de la Canso ont t rdiges Toulouse, l une,vraisemblablement au XVe sicle, l autre au XVIe. Le seul manuscrit conserv de la seconde ne commence qu au sige de Carcassonne, postrieur au sac de Bziers. L autre version, en revanche, raconte Bziers. Elle est, pour notre propos, d un intrt relativement mineur, mais du moins permet-elle d avoir une ide de la faon dont un rudit toulousain pouvait percevoir l vnement quelque deux sicles plus tard.

    3) La troisime source mridionale est la Chronique du clerc toulousain Guillaume de Puylaurens. Encore enfant l poque du sac de Bziers, il n entreprit son ouvrage qu aux environs de 1240. Son extrme concision fait que ce texte ne nous est pas, ici, d un grand secours.

    B Quant aux sources non mridionales , extrmement nombreuses, on ne saurait les inventorier ici. Certaines sont assez proches de l vnement, comme la Chronique de Robert d Auxerre, qui mourut en 1212, d autres en sont fort loignes dans le temps comme dans l espace,beaucoup ne sont que des dmarquages ou des amplifications maladroites des sources mridionales. On ne prendra en compte ici que celle du moine rhnan Csaire de Heisterbach, crite entre 1219 et 1223, parce qu elle

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    fournit une donne aussi invrifiable qu incontournable : le mot fameux qui a immortalis la tragique journe du 22 juillet 1209 : Tuez-les tous ! Dieu reconnatra les siens

    Reprenons donc point par point ce que nous apprend le rapport des lgats.

    1 - L arrive de la croisade

    La croisade qui fait irruption en Languedoc nous sommes au dbut de l t 1209 est une immense arme, plus importante que tout ce qu on a vu jusqu ici en pays chrtien.

    C est aisment comprhensible. Il n agit pas d une guerre prive, ni mme d une guerre d tat tat, comme, par exemple, le conflit franco-anglais. L arme de la croisade lance contre les barons et les villes occitanes qui tolrent les hrtiques est une arme internationale, parce qu il s agit cette fois d une guerre sainte qui, l instigation du Saint-Sige, a t prche non seulement dans le royaume de France, mais aussi sur des terres qui sont du Saint-Empire. Ce caractre la fois gigantesque et internation