Le MAMCS

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Le MAMCS dans les articles du journal Le Monde. LES IDÉES DE ROLAND Le Monde 15.03.87 RECHT Les musées ne sont pas des cimetières …Ou pis, nos musées sont considérés comme des cimetières. Au mieux, comme les étapes exceptionnelles d'un dimanche après-midi pluvieux. " Roland Recht, qui laisse tomber cette boutade est responsable de l'ensemble des musées de Strasbourg depuis janvier 1986. Né à Strasbourg, universitaire de longue date, il enseignait l'histoire de l'art à Dijon depuis six ans quand la municipalité lui a demandé il y a un an de prendre en main la destinée des huit musées de la capitale alsacienne. Une couronne de cheveux mi-long encadre son visage en lame de couteau. Ses yeux brillants sont toujours en mouvement, comme ses membres qui semblent flotter dans ses vêtements de bonne coupe, sagement " branchés ". De son bureau, place du Château, il peut se rendre à pied, en moins de cinq minutes, dans chacun de ses établissements. Le palais Rohan en abrite trois : le Musée d'archéologie, celui des beaux-arts et les Arts déco. Face à la cathédrale, l'OEuvre Notre-Dame renferme des trésors de l'art gothique, statues recueillies avant leur ruine, objets du culte et pièces de mobiliers d'église. Pour Roland Recht, spécialiste de la sculpture des quatorzième et quinzième siècles, c'est l'un des plus beaux endroits d'Europe ; même si sa muséographie date de... 1939. L'administration des musées est installée à côté, au Cabinet des estampes. Le musée historique occupe une ancienne boucherie. On peut y voir l'un des plans-reliefs des Invalides. Mais sa présence, ici, ne donne lieu à aucune contestation. Kidnappé par les Prussiens de Blücher en 1815, il fut offert par Guillaume II au début du siècle à sa bonne ville de Strasbourg. Le Musée alsacien, enfant chéri des habitants de la province, est de loin le plus fréquenté. Le Musée d'art moderne est le moins bien loti. Il partage les locaux d'une ancienne douane avec une association de peintres du dimanche et des expositions temporaires. Aussi les collections permanentes sont-elles rarement visibles : un mois seulement en 1986. Roland Recht a l'espoir de récupérer la prison de Sainte-Marguerite, près des Ponts couverts, pour y installer un nouveau musée digne de ce nom. Le conseil municipal se fait un peu tirer l'oreille. La rénovation de ces 5 000 mètres carrés sera coûteuse. Si chaque établissement est doté d'un conservateur, Roland Recht a la haute main sur la politique d'achat. Tâche quasi impossible compte tenu de la modicité de son budget _ 1,5 million de francs _ et de l'éventail des collections à pourvoir. Heureusement, la ville vote de temps à autre des enveloppes exceptionnelles quand des occasions se présentent. Elle a ainsi débloqué 3,5 millions pour l'acquisition d'une toile du Canaletto. Dans l'ensemble, le public est maigre : 150 000 à 200 000 visiteurs par an . Essentiellement des touristes. Pour fidéliser un public local, Roland Recht organise à tour de bras des expositions temporaires. Quelques-unes d'un intérêt régional : le résultat des fouilles archéologiques d'un tumulus alsacien. D'autres ont un destin national : les belles rétro- spectives consacrées à Gustave Doré ou à Jean Arp _ deux Strasbourgeois _ ont été vues à Paris. L'enfant devant le jeu Mais son grand souci reste le développement de l'art contemporain sous toutes ses formes. " D'abord parce que je n'ai pas le choix. Le noyau de nos collections, un beau Klimt, quelques Klee, des oeuvres d'Arp ou d'Archipenko, sont le fait d'achats anciens et surtout de donations. C'est donc une collection totalement hétéroclite. Bien sûr je n'ai pas les moyens financiers d'en combler les lacunes. J'ai donc décidé de me tourner résolument vers les artistes des années 80. Mais pas n'importe lesquels. Le responsable d'une collection doit avoir le courage d'affirmer ses goûts personnels. C'est d'ailleurs le seul moyen de constituer un ensemble cohérent. Mais il ne faut pas oublier non plus de prendre en compte la spécificité de Strasbourg. Mon ambition, c'est que dans dix ans le musée d'art moderne de cette ville ne soit pas interchangeable avec celui de Rennes, de Lille ou de Marseille. "

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Le MAMCS dans les articles du journal Le Monde.

LES IDÉES DE ROLAND Le Monde 15.03.87RECHT Les musées ne sont pas des cimetières …Ou pis, nos musées sont considérés comme des cimetières. Au mieux, comme les étapes exceptionnelles d'un dimanche après-midi pluvieux. " Roland Recht, qui laisse tomber cette boutade est responsable de l'ensemble des musées de Strasbourg depuis janvier 1986. Né à Strasbourg, universitaire de longue date, il enseignait l'histoire de l'art à Dijon depuis six ans quand la municipalité lui a demandé il y a un an de prendre en main la destinée des huit musées de la capitale alsacienne. Une couronne de cheveux mi-long encadre son visage en lame de couteau. Ses yeux brillants sont toujours en mouvement, comme ses membres qui semblent flotter dans ses vêtements de bonne coupe, sagement " branchés ".

De son bureau, place du Château, il peut se rendre à pied, en moins de cinq minutes, dans chacun de ses établissements. Le palais Rohan en abrite trois : le Musée d'archéologie, celui des beaux-arts et les Arts déco. Face à la cathédrale, l'OEuvre Notre-Dame renferme des trésors de l'art gothique, statues recueillies avant leur ruine, objets du culte et pièces de mobiliers d'église. Pour Roland Recht, spécialiste de la sculpture des quatorzième et quinzième siècles, c'est l'un des plus beaux endroits d'Europe ; même si sa muséographie date de... 1939. L'administration des musées est installée à côté, au Cabinet des estampes. Le musée historique occupe une ancienne boucherie. On peut y voir l'un des plans-reliefs des Invalides. Mais sa présence, ici, ne donne lieu à aucune contestation. Kidnappé par les Prussiens de Blücher en 1815, il fut offert par Guillaume II au début du siècle à sa bonne ville de Strasbourg. Le Musée alsacien, enfant chéri des habitants de la province, est de loin le plus fréquenté.

Le Musée d'art moderne est le moins bien loti. Il partage les locaux d'une ancienne douane avec une association de peintres du dimanche et des expositions temporaires. Aussi les collections permanentes sont-elles rarement visibles : un mois seulement en 1986. Roland Recht a l'espoir de récupérer la prison de Sainte-Marguerite, près des Ponts couverts, pour y installer un nouveau musée digne de ce nom. Le conseil municipal se fait un peu tirer l'oreille. La rénovation de ces 5 000 mètres carrés sera coûteuse.

Si chaque établissement est doté d'un conservateur, Roland Recht a la haute main sur la politique d'achat. Tâche quasi impossible compte tenu de la modicité de son budget _ 1,5 million de francs _ et de l'éventail des collections à pourvoir. Heureusement, la ville vote de temps à autre des enveloppes exceptionnelles quand des occasions se présentent. Elle a ainsi débloqué 3,5 millions pour l'acquisition d'une toile du Canaletto.

Dans l'ensemble, le public est maigre : 150 000 à 200 000 visiteurs par an. Essentiellement des touristes. Pour fidéliser un public local, Roland Recht organise à tour de bras des expositions temporaires. Quelques-unes d'un intérêt régional : le résultat des fouilles archéologiques d'un tumulus alsacien. D'autres ont un destin national : les belles rétro-spectives consacrées à Gustave Doré ou à Jean Arp _ deux Strasbourgeois _ ont été vues à Paris.

L'enfant devant le jeu

Mais son grand souci reste le développement de l'art contemporain sous toutes ses formes. " D'abord parce que je n'ai pas le choix. Le noyau de nos collections, un beau Klimt, quelques Klee, des oeuvres d'Arp ou d'Archipenko, sont le fait d'achats anciens et surtout de donations. C'est donc une collection totalement hétéroclite. Bien sûr je n'ai pas les moyens financiers d'en combler les lacunes. J'ai donc décidé de me tourner résolument vers les artistes des années 80. Mais pas n'importe lesquels. Le responsable d'une collection doit avoir le courage d'affirmer ses goûts personnels. C'est d'ailleurs le seul moyen de constituer un ensemble cohérent. Mais il ne faut pas oublier non plus de prendre en compte la spécificité de Strasbourg. Mon ambition, c'est que dans dix ans le musée d'art moderne de cette ville ne soit pas interchangeable avec celui de Rennes, de Lille ou de Marseille. "

La spécificité de Strasbourg, c'est d'abord sa position géographique et son histoire : ses composantes latines et germaniques, son rôle de trait d'union entre les Flandres et l'Italie et celui d'ambassadeur face aux puissantes fondations suisses et allemandes.

Sur les cimaises du futur musée d'art moderne, Paladino et Boltanski doivent idéalement côtoyer Penck et Baselitz. " Nous avons aussi la mission de suivre les artistes que nous estimons les plus novateurs et d'assurer leur promotion. A commencer par ceux qui sont implantés ici. L'exode systématique vers Paris est terminé. Toute une génération _ entre vingt-cinq et trente-cinq ans _ travaille à Strasbourg avec des moyens d'expression assez semblables et une approche voisine du monde. Que ce soient Christophe Meyer, Bernard Quesniaux, Depoutot ou Pascal-Henri Poirot, dont nous allons organiser une exposition collective. Tous sont séduits par une certaine imagerie rhénane. " " Personnellement, explique encore Roland Recht, je récuse ce qui amène l'artiste à s'effacer. J'aime celui qui a quelque chose _ une histoire _ à me raconter. Que ce soit par la grâce de la figuration libre, de l'expressionnisme abstrait ou du travail du comportement. Il n'est pas surprenant que dans cette ville où est né Gustave Doré se poursuive une tradition d'imagier dont Ungerer est la figure la plus illustre. Il ne faut pas oublier par ailleurs que le Strasbourgeois conserve volontiers envers l'art l'attitude de l'enfant vis-à-vis du jeu. C'est ce qui a fait la cohérence de l'oeuvre de Jean Arp, un autre Alsacien. C'est ce que l'on retrouve aujourd'hui, à un autre niveau, chez de jeunes artistes comme Christophe Meyer ou Pascal-Henri Poirot. "

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La cathédrale, nous dit Georges Duby, voulait proclamer que la ville était autosuffisante, sûre d'elle-même. Roland Recht veut-il montrer, à travers ses efforts, que, sans rien perdre de son âme, Strasbourg peut être un trait d'union entre des sensibilités différentes. Une greffe réussie entre culture et Kultur ?

ROUX EMMANUEL

Le Musée d'art moderne et contemporain de StrasbourgUne architecture sereine dans la belle lumière d'AlsaceArticle paru dans l'édition du 07.11.98Drôle d'objet que le Musée de Strasbourg. Beau et noble, assurément, mais qui vous laisse perplexe, tel un Rubik's Cube, si l'on y pense en urbaniste, ou, si l'on a plutôt la fibre picturale, tel un grand cabinet de curiosités qui n'aurait pas encore reçu ses perruches mordorées, ses flacons d'hippocampes en poudre, ses crocodiles empaillés, ses grimoires ni ses pierres philosophales. Une grande armoire vide manifestement conçue pour le rangement, mais de qui, mais de quoi ? Il a beau être désormais ouvert au public, ses cimaises ont beau porter de dignes et concrètes oeuvres d'art, le musée de Strasbourg, fruit d'un concours au programme essentiellement urbain lancé en 1987, apparaît d'abord comme une grande architecture silencieuse, doublon moderne de la cathédrale dont il emprunte avec bonheur les tics structurels (une nef et deux bas-côtés), et l'appétit extraordinaire pour la lumière du beau pays d'Alsace.

Le beau pays d'Alsace, c'est ce à quoi a dû penser Adrien Fainsilber tout au long du chantier, à défaut d'avoir une collection à se mettre sous la dent. Il y avait bien le gigantesque Gustave Doré, ce Christ quittant le prétoire, où le graveur alangui se reposait de son génie. Pour le reste, il fallait s'accrocher au fonds du vieux Musée d'art, riche surtout de son Klimt, et à l'ambition de l'ancien conservateur, Roland Recht. Mais il y avait le site : un emplacement idéal au bout de la Petite France, sur les bords de l'Ill, un cheminement naturel depuis la gare de Strasbourg et la Commanderie Saint-Jean, qui, avant d'être affectée à l'ENA, devait servir de « charnière » entre le musée et les quartiers historiques - l'ensemble Commanderie-musée étant lui aussi qualifié de future « charnière », de « transition » ou de « trait d'union » entre la vieille ville et les quartiers des années 60-70. Ainsi le Musée d'art moderne et contemporain devait-il être d'abord une douce promenade urbaine. Enumération du panorama : le barrage Vauban et ses trois niveaux de circulation piétonne, les ponts couverts, la Petite France, la cathédrale dans le fond et, sur l'autre rive de l'Ill, l'hôtel du département, masse sombre et gaillarde de l'architecte Claude Vasconi, qui déjà avait pris, en 1989, le parti de la rue intérieure.

Cette disposition urbaine avait tout autant frappé Adrien Fainsilber. D'où cet ensemble rectiligne, plus moderne que symboliste, plus Arp ou Doesburg que Klimt ou Doré, qui dégringole par parkings interposés vers la rivière, « vaubanisant » sans trop d'état d'âme la berge. Rendant un hommage frénétiquement appuyé au Centre Pompidou grâce à trois grosses bouches d'aération, l'architecte de ce côté-ci semble dès lors se désintéresser de l'Ill.

UN PROBLÈME DE PARVIS

Pensant s'ouvrir ailleurs sur la ville, il répartit les fonctions autour d'une grande verrière centrale, généreuse avenue intérieure de 100 mètres de long et de 25 mètres de haut. Ici, les murs sont recouverts de plaques d'un solide granit, témoin toujours de la continuité citadine. Plus blanches, et redécoupées selon les normes muséales de la fin du siècle par Jean-François Bodin, les salles d'art moderne sont cependant percées de-ci de-là par de belles ouvertures sur la rive opposée et sur le diable noir de Claude Vasconi. L'architecture de Fainsilber, qui est notamment l'auteur du Musée des sciences de La Villette, à Paris, est, elle, plutôt limpide, d'une sérénité peut-être un peu forcée parfois, mais qui force aussi l'admiration. Sauf avis de coup de vent contraire, c'est une architecture pérenne, qui n'oublie pas son rôle d'abri, et qui est suffisamment forte pour survivre aux inévitables transformations des décennies futures.

Sur ce qui aurait pu être le parvis du musée, la ville de Strasbourg a eu l'inélégance de laisser pousser un premier immeuble et d'en promettre un second, l'un et l'autre confiés à la SERS, omniprésente société d'aménagement et d'équipement de la région de Strasbourg, qui a déjà joué le rôle de maître d'ouvrage pour le musée et qui achève aussi le Parlement européen. Le musée, du coup, qui aurait dû devenir un lieu de rayonnement dans la ville, risque de se recroqueviller comme un ongle incarné dans une chaussure fort mal aérée.Fainsilber espère une passerelle vers la Petite France, une sorte de désenclavement bucolique qui contournerait l'impériale implantation de l'ENA. C'est un homme d'expérience. Il doit penser que la machine immobilière de la SERS est trop lourde et bien installée pour être freinée. Mais les conservateurs qui ont investi et adopté ses murs sont plus optimistes, plus battants que l'architecte, restant partisans de défaire plus généreusement le lacet. Ils ont raison : ce serait idiot de ne laisser au nouveau musée qu'une sorte de parvis médiéval alors que les musées sont censés devenir les cathédrales de demain.

FREDERIC EDELMANN

La ville de Strasbourg devra rendre un tableau de KlimtArticle paru dans l'édition du 15.01.99

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LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE a condamné la ville de Strasbourg à restituer aux héritiers de l'antiquaire viennois Karl Grunwald L'Accomplissement, oeuvre de Gustav Klimt (1862-1918) acquise en 1959. La ville a fait appel de ce jugement. Les héritiers Grunwald revendiquent le tableau depuis les années 50. Selon eux, l'antiquaire avait envoyé, pour les mettre à l'abri, plusieurs de ses toiles à Strasbourg au moment de l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne hitlérienne. Elles avaient été saisies, puis vendues aux enchères en 1942 et 1943. Un peintre strasbourgeois, aujourd'hui décédé, avait acheté L'Accomplissement, revendu pour 50 000 francs de 1959 à la Société des amis des musées de Strasbourg.Les magistrats ont estimé le prix dérisoire, sans doute trente fois inférieur à sa valeur d'alors. La ville ne pouvait donc pas « ne pas s'interroger en toute bonne foi sur la qualité de légitime propriétaire » du vendeur. - (Corresp.)Article paru dans l'édition du 10.12.00LA COUR d'appel de Colmar (Haut-Rhin) a confirmé vendredi 8 décembre un jugement rendu en première instance en janvier 1999 (Le Monde du 15 janvier 1999), qui condamnait la ville de Strasbourg à restituer un tableau majeur du peintre autrichien Gustav Klimt à une famille juive autrichienne spoliée pendant la seconde guerre mondiale. Les héritiers Grunwald revendiquaient depuis les années 50 L'Accomplissement de Klimt, envoyé par son propriétaire à Strasbourg au moment de l'invasion de l'Autriche par les troupes hitlériennes, saisi et vendu aux enchères en 1943 et revendu en 1959 à la Société des amis des musées de Strasbourg. Le tribunal avait mis en doute la bonne foi de la ville en s'appuyant sur le prix très bas de la transaction de 1959.

Méli-mélo d'oeuvres d'art dans la nouvelle nef du musée de StrasbourgArticle paru dans l'édition du 07.11.98

ART Le Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg devait être inauguré le 6 novembre par la ministre de la culture, Catherine Trautmann, ancien maire de la ville. UN BÂTIMENT de 13 000 mètres carrés abrite des collections qui souffrent d'un certain manque d'homogénéité. LE MUSÉE compte cependant quelques pièces remarquables, outre un riche cabinet d'art graphique et une section dédiée à la photographie. L'ARCHITECTE Adrien Fainsilber, qui a conçu le Musée des sciences de La Villette, à Paris, a dessiné au bord de l'Ill un ensemble rectiligne autour d'une verrière centrale, avenue intérieure de 100 mètres de long et de 25 mètres de haut. AU CENTRE DE STRASBOURG, place Kléber, L'Aubette, dancing décoré dans les années 20 par Theo Van Doesburg, Hans-Jean Arp et Sophie Taeuber avait commencé d'être rénovée en 1994. Mais le bâtiment reste depuis à l'abandon.ll y a un musée de plus à Strasbourg. La faute originelle en revient à Wilhelm Bode, directeur des musées royaux de Prusse, qui, en 1888, rédigea un rapport à l'intention du maire de la ville, alors allemande. Il s'agissait de donner « une image de l'évolution de la peinture jusqu'à l'époque contemporaine ». Un siècle après, c'est fait. Le Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg devait être inauguré le 6 novembre par la ministre de la culture, Catherine Trautmann, ancien maire de la ville. L'architecte Adrien Fainsilber a érigé, pour un coût total de 233 millions de francs, un bâtiment de près de 13 000 mètres carrés . Reste à savoir pourquoi. Les collections conservées sur place ne sont pas des plus homogènes et rendent impossible un parcours encyclopédique. La chronologie elle-même fonctionne par à-coups. Jean Favière, ancien directeur des musées de Strasbourg, le reconnaissait déjà en 1978, cinq ans après l'ouverture d'un premier musée, trop petit, à l'Ancienne Douane : « Le Musée d'art moderne de Strasbourg se présente plus comme la somme d'une série de hasards heureux que comme un établissement au programme et à la politique clairement définis. »

QUELQUES MIRACULÉS Hasard heureux : les oeuvres sont souvent, sinon miraculeuses - au moins pour certaines d'entre elles -, miraculées. En témoigne un plâtre original du Penseur de Rodin, acquis entre 1907 et 1912 auprès de l'artiste, et qui avait ensuite échoué à l'Ecole des beaux-arts. Des ignorants, ou des iconoclastes, lui avaient fait subir les derniers outrages, pensant qu'il s'agissait d'un simple moulage d'étude. Le pauvre penseur grognon, soigneusement énucléé, était promené en procession pendant les monômes estudiantins. D'autres oeuvres appartenant aux collections, mais perdues dans des réserves profondes, ont également été redécouvertes à l'occasion de l'installation dans le nouveau musée : un nu de Vallotton, un bureau dessiné par Sophie Taeuber-Arp, un vitrail de Poliakoff.

Car les Strasbourgeois savaient acheter, tôt et à bon escient : une Nature morte peinte par Braque en 1911 fut ainsi le premier tableau cubiste à entrer dans les collections publiques françaises, en 1923, acquis lors de la liquidation des biens du marchand Daniel-Henry Kahnweiler. Et l'achat, en 1992, de la collection constituée par Samuel Francis Clapp enrichissait d'un coup le musée de deux cents oeuvres de Gustave Doré. Elles ont rejoint l'énorme (54 m2 !) Christ quittant le prétoire, une toile très abîmée dont les visiteurs pourront suivre en direct la restauration.Gustave Doré et Hans-Jean Arp, tout deux natifs du cru, les préraphaélites ou les symbolistes fin de siècle et le mouvement Fluxus, Klimt et Pino Pascali, tirent à hue et à dia une collection aux lacunes béantes, même si des dépôts d'Orsay et du Centre Georges-Pompidou permettent quelques raccords. La situation n'est pourtant pas pour déplaire au nouveau directeur, nommé en 1995, Rodolphe Rapetti. Ce spécialiste du XIXe siècle, ancien conservateur au Musée d'Orsay, avait organisé quelques expositions décapantes, comme celle consacrée aux polyptyques à travers les âges, lors de l'inauguration du Grand Louvre. Il sait tirer profit d'un défaut, et estime mieux restituer ainsi la variété du foisonnement créatif de la

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modernité, « loin de la distinction souvent simpliste entre maîtres et épigones sur laquelle s'est longtemps fondée la rhétorique muséale de l'art moderne ».Les amateurs pourront donc savourer, à quelques pas du Rodin, les sculptures volupteuses et cochonnes de François-Rupert Carabin (1862-1932), qui n'est guère connu que des initiés, parmi lesquels Me Maurice Rheims fut un précurseur. Ou passer d'un nu de Vallotton à un surprenant buste de femme, au profond décolleté taillé dans le bois, vers 1925, par une main anonyme (peut-être celle d'Egon Guttmann) ; c'est l'un des rares exemples de sculptures produites par le mouvement allemand de la Nouvelle Objectivité. Ils pourront aussi découvrir l'oeuvre de Lou Albert-Lasard (1885-1969), maîtresse de Rilke et peintre proche du Blaue Reiter.

CONSERVATEURS GONFLÉS Située à l'étage, la partie contemporaine du musée respecte ce méli-mélo joyeux et intellectuellement stimulant : il faut être gonflé comme Paul-Hervé Parsy et Véronique Wiesinger, les deux conservateurs, pour juxtaposer dans la même salle la formidable Montagne de Germaine Richier, un Baselitz, des Picasso, et La Nuit aveugle, gigantesque et réjouissante tartine peinte, les yeux bandés, par Giuseppe Pinot-Gallizio. Cette section bénéficie encore de quelques oeuvres fortes, comme la reconstitution de L'Atelier des Eyzies, dans l'état où le laissa Robert Filliou avant de se retirer dans un monastère bouddhiste ; ou d'achat récents et judicieux, comme l' Ambiance orange de Carla Accardi. Mais elle bénéficie surtout du dépôt d'un collectionneur privé, Jean Brolly, qui a prêté un ensemble passionnant comportant des travaux de Hantai, Buren, Toroni, ou Rutault.Le nouveau musée abrite aussi, en mezzanine, un cabinet d'art graphique particulièrement riche. Placé sous la responsabilité de Marie-Jeanne Geyer, il conserve 15 000 dessins et estampes, dont les gravures de Käthe Kollwitz de la série La Guerre des paysans, ou ces six dessins de Kandinsky qu'un exportateur indélicat avait bêtement sous-estimés lors de leur passage en douane : comme le permettait une loi aujourd'hui, hélas, abolie, ils furent achetés à leur valeur déclarée, et le voleur fut volé. Il y a enfin, sous la houlette de Sylvain Morand, une section dédiée à la photographie : c'est la seule, dans un musée français , à bénéficier d'un espace spécifique et d'un accrochage permanent ( Le Monde du 30 octobre).On l'aura compris, la collection n'est pas dénuée d'intérêt, même si elle n'atteindra jamais la richesse et la cohérence de celles d'autres musées de province, comme celui de Grenoble, par exemple. Mais un malaise est perceptible, qui tient moins au fonds qu'à ses conditions de présentation. Dans les salles, les oeuvres semblent à l'étroit. Quant à la nef, elle occupe à elle seule plus de 1 000 mètres carrés de la surface du musée : Adrien Fainsilber voulait en faire une rue couverte, un trait d'union entre l'art et la ville. L'idée était généreuse, mais l'espace est désormais clos par des grilles et une entrée que les élus ont décidé payante, ce qui impose l'installation d'une billeterie. La rue est devenue couloir, et un couloir surdimensionné.Les conservateurs se sont hasardés à y installer quelques oeuvres, un peu perdues là-dedans : des béquilles géantes de Philippe Ramette, un personnage de Juan Muñoz, la Giulietta de Bertrand Lavier. Le volume, qui se voulait convivial, se révèle intimidant. Et, à l'usage, peu pratique en termes d'accrochage.Le musée souffre de n'avoir pas vu sa conception supervisée ou accompagnée par un conservateur. Il paraît que la direction des musées de France a participé au suivi du projet : au vu du résultat, on ne l'en félicite pas. « Un musée n'est pas un simple lieu d'exposition », écrit Adrien Fainsilber . Peut-être. Mais l'on sent parfois que l'architecte regrette que des gougnafiers se soient mêlés d'accrocher des tableaux dans son beau bâtiment.

HARRY BELLET