20 juillet 2013

Breizh Power

labordage!

MLemagazineduMonden

o

96.SupplmentauMonden

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21305dusamedi20juillet2013.

Nepeuttrevendusparment.DisponibleenFrancemtropolitaine,BelgiqueetLuxembourg.

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SteveHiett

Jignore pourquoi, mais tout le monde simagine que cette photo a t faite en France. En ralit, elle a t prise louest

de Manhattan, dans le cadre dune publicit pour le grand magasin Saks Fifth Avenue. Je devais trouver le moyen dintgrer

quatre chaussures dans une mme image, et il me semblait que ctait la meilleure manire dy arriver. Une prise de vue sous pression :

le mannequin travaillait beaucoup avec James Moore, le photographe de mode que jadmire le plus au monde. Jai pens que

si elle lui parlait de ce shooting, il pourrait y jeter un il. Jai fait mon maximum pour arriver un rsultat qui pourrait lui plaire.

Il a longtemps hsit entre musique, graphisme et photographie. Le photographe britannique

ne renoncera finalement aucune de ses trois passions, et ses clichs feront la part belle

toutes ses explorations A 72 ans, ce touche--tout qui a travaill pour les plus grands magazines,

de Vogue Harpers Bazaar, ouvre ses archives M. Ce voyage dans le temps permettra de dcouvrir

ou de redcouvrir pendant trois mois quelques-unes des plus belles images de ce maestro du flash.

Un instrument dont il use et abuse jusqu en faire sa signature, confrontant les formes et les couleurs.

De son art, il dit : Cest un processus de construction de son imaginaire, il faut se laisser emporter.

Carte blanche

Steve Hiett.

- 520 juillet 2013

LILLUSTRATION DE COU-

VERTURE A T RALISE

PAR ALESSANDRO

GOTTARDO POUR M LE

MAGAZINE DU MONDE.

Cet t, retrouvez M Le magazine

du Monde chaque jeudi dans

lmission Des Clics et des claques,

prsente par Samuel Etienne

(du lundi au jeudi, de 20h 21h30).

Andrew

Testa/TheNew

YorkTimes-REDUX-REA.BndicteKurzen/NoorpourM

LemagazineduMonde

LA SEMAINE

p. 11 FRONDE FMINISTE

CHEZ LES SANG BLEU.

Lheure de la rvolte a sonn dans

laristocratie britannique. Les lles

bien nes rclament la n des privi-

lges masculins. Un combat contre

le machisme loin dtre gagn.

p. 14 MDIAS.

Le tchat sinvite aux municipales.

p. 15 LE BUZZ DU NET.

Femen timbre.

p. 16 ILS FONT A COMME A.

RUSSIE

Poutine amnistie

les patrons dlinquants.

p. 17 IRAN

Pas de maillot, pas de record.

p. 18 LA PHOTO.

Vladimir prend leau.

p. 20 LES QUESTIONS SUBSIDIAIRES.

LE MAGAZINE

p. 21 LE LOBBY BRETON

DRAGUE LA RPUBLIQUE.

Jamais les Bretons nont t aussi

reprsents dans les hautes sphres!

Des ministres, des dputs, des

grands patrons qui forment le

Breizh Power . Un groupe de

pression qui, au-del de la culture

et du folklore, dfend sans sen

cacher les intrts de la rgion.

p. 28 LES INCONNUS DE MANHATTAN.

Cette photo de 1932 a fait le tour

du monde. Mais qui sont ces onze

ouvriers djeunant sur une poutre,

suspendus 260 mtres du sol?

Deux Irlandais ont men lenqute.

p. 32 CURIEUX ELDORADOS :

LAGOS, PARADIS DES REPATS.

Ils taient trader la City ou commer-

cial Manhattan. Et ont choisi de ren-

trer dans leur Nigeria dorigine, sduits

par la croissance fulgurante de Lagos.

Un royaume des possibles qui ferait

presque oublier la guerre qui svit

dans le nord du pays.

20 juillet 2013

11

32

6

M sur iPAD

ET sur lEWEB.

M Le magazine du Monde se dcline sur tous les

supports. Lapplication pour iPad vous propose

une exprience de lecture et de visionnage

nouvelle. M vous est ainsi accessible tout

moment et dans toutes les situations. Sur le site

(lemonde.fr/m), vous retrouverez aussi une

approche diffrente de lactualit et les

dernires tendances dans un espace qui fera

toute sa place aux images.

DaesungLee.Dolce&Gabbana

80, bd Auguste-Blanqui,

75707 Paris Cedex 13

Tl. : 01-57-28-20-00/25-61

Courriel de la rdaction :

Mlemagazine@lemonde.fr

Courriel des lecteurs :

courrier-Mlemagazine@lemonde.fr

Prsident du directoire, directeur

de la publication : Louis Dreyfus

Directrice du Monde, membre

du directoire, directrice des

rdactions : Natalie Nougayrde

Directeur dlgu des

rdactions : Vincent Giret

Secrtaire gnrale

du groupe : Catherine Joly

Directeurs adjoints des rdactions :

Michel Guerrin, Rmy Ourdan

Secrtaire gnrale

de la rdaction : Christine Laget

M Le MAGAziNe Du MONDe

Rdactrice en chef :

Marie-Pierre Lannelongue

Direction de la cration : eric Pillault

(directeur), Jean-Baptiste Talbourdet

(adjoint)

Rdaction en chef adjointe :

eric Collier, Bline Dolat, Jean-Michel

Normand, Camille Seeuws

Assistante : Christine Doreau

Rdaction : Carine Bizet, Samuel

Blumenfeld, Annick Cojean, Louise

Couvelaire, emilie Grangeray, Pierre

Jaxel-Truer, Vanessa Schneider

Style : Vicky Chahine (chef de section),

Fiona Khalifa (styliste)

Responsable mode : Aleksandra

Woroniecka

Chroniqueurs : Marc Beaug,

Guillemette Faure, JP Gn, Jean-

Michel Normand, Didier Pourquery

Directrice artistique :

Ccile Coutureau-Merino

Graphisme : Audrey Ravelli (chef

de studio), Marielle Vandamme

Photo : Lucy Conticello (directrice

de la photo), Cathy Remy (adjointe),

Laurence Lagrange, Federica Rossi,

Alessandro zuffi

Assistante : Franoise Dutech

Edition : Agns Gautheron (chef

ddition), Yoanna Sultan-Rbibo

(adjointe editing), Anne Hazard

(adjointe technique), Batrice

Boisserie, Valrie Gannon-Leclair,

Catarina Mercuri, Maud Obels, avec

Mat Darnault et Olivier Aubre

Correction : Michle Barillot,

Ninon Rosell, avec Franoise Hrold

Documentation : Muriel Godeau

Photogravure : Fadi Fayed,

Philippe Laure, avec Gilles Kebiri-

Damour

Infographie : Le Monde

Directeur de production : Olivier Moll

Chef de la fabrication :

Jean-Marc Moreau

Fabrication : Alex Monnet

Coordinatrice numrique

(Internet et iPad) : Sylvie Chayette,

avec Aude Lasjaunias

Directeur dveloppement

produits Le Monde Interactif :

edouard Andrieu

Publication iPad : Agence Square

(conception), Marion Lavedeau

et Charlotte Terrasse (ralisation).

DiFFuSiON eT PROMOTiON

Directeur dlgu marketing

et commercial : Michel Sfeir

Directeur des ventes

France : Herv Bonnaud

Directrice des abonnements :

Pascale Latour

Directrice des ventes linterna

tional : Marie-Dominique Renaud

Abonnements : de France, 32-89

(0,34 TTC/min) ; de ltranger

(33) 1-76-26-32-89

Promotion et communication :

Brigitte Billiard, Marianne Bredard,

Marlne Godet, Anne Hartenstein

Directeur des produits

drivs : Herv Lavergne

Responsable de la logistique :

Philippe Basmaison

Modification de service, rassorts

pour marchands de journaux :

Paris 0805-050-147, dpositaires

banlieue-province : 0805-050-146

M PuBLiCiT

80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris

Cedex 13 Tl. : 01-57-28-20-00/38-91

Directrice gnrale : Corinne Mrejen

Directrices dlgues : Michalle

Goffaux, Tl. : 01-57-28-38-98

(michalle.goffaux @mpublicite.fr)

et Valrie Lafont, Tl. : 01-57-28-39-21

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Directeur dlgu digital :

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(david.licoys@mpublicite.fr)

M Le magazine du Monde est dit

par la Socit ditrice du Monde

(SA). imprim en France : Maury impri-

meur SA, 45330 Malesherbes. Dpt

lgal parution. iSSN 0395-2037 Com-

mission paritaire 0712C81975. Distribu-

tion Presstalis. Routage France routage.

Dans ce numro, un encart

Relance abonnement sur

lensemble de la vente au

numro France mtropolitaine.

p. 38 petites nvroses Modernes.

Les croiss du sans gluten.

le portfolio

p. 40 quand la Mer Monte.

Cet t, M explore les terres insulaires.

Dans le delta du Gange, Ghoramara

disparat peu peu sous les eaux.

Une nature en sursis et des habitants

condamns lexil, saisis par le photo-

graphe coren Daesung Lee.

le style

p. 49 dMesure litalienne.

Cest dans un palais vnitien que les

crateurs Dolce & Gabbana ont pr-

sent leur exubrante collection haute

couture, hommage la Srnissime.

p. 54 licne.

Terence Stamp, dandy yogi.

p. 55 ftiche.

Bote ides.

p. 56 variations.

Voie lacte.

p. 57 la tenue de plage

Deauville.

p. 58 Mes voyages en iMages.

Sbastien Bras.

p. 59 herbes folles.

Shakespeare en Toscane.

p. 60 dans lassiette.

La poutargue.

p. 62 le voyage.

Le Riga de Jan Brokken.

la culture

p. 64 une vie, une (seule) uvre.

La plume fige dHarper Lee.

p. 66 le toteM.

La bague de Zaha Hadid.

p. 67 les jeux.

40

49

20 juillet 2013 - 7

MaudCucchi

Le M de

la semaine.

A Toronto, dans le quartier

de Kensington Market, au

milieu dune jungle de fresques

murales, je trouve enfin mon

M, agrment dune pause

bien mrite. Le must!

Maud Cucchi

Pour nous crire

ou envoyer

vos photogra-

phies de M

(sans oublier

de tlcharger

lautorisation

de publication

sur www.

lemonde.fr/m):

M Le magazine

du Monde,

courrier des

lecteurs, 80,

bd Auguste-

Blanquwi, 75707

Paris Cedex 13,

ou par mail :

courrier-

mlemagazine

@lemonde.fr

8 -

Le courrier.

20 juillet 2013

Matin : Golf de Monastir

Aprs-midi : Visite de lamphithtre dEl Jem

www.bonjour-tunisie.com

HugoDomenach.AlessandroGottardo.BertrandGaudillere.PaoloWoods.E.Montagnier.FredKihn

Christian roudaut est

journaliste et auteur. Il tra-

vaille notamment pour le

magazine europen dArte

Le Blogueur. Pour ce

numro de M, il a enqut

sur le Breizh Power (p. 21).

Jamais la Bretagne na t

aussi bien reprsente dans

les hautes sphres du pou-

voir, explique-t-il. Peut-on

parler dun lobby breton

pour autant? A mon avis,

il ny a pas le ct opaque

contenu dans lexpression.

En revanche, la solidarit bre-

tonne existe bel et bien. Et

cest un dynamisme identi-

taire qui profite la Bretagne,

cet enfant rebelle de la

Rpublique, comme le dit

Yann Quefflec.

alessandro Gottardo

(connu aussi sous le pseudo-

nyme de Shout) est un

illustrateur italien qui vit et

travaille Milan. Cest lui

qui signe cette semaine les

illustrations de notre enqute

consacre au lobby breton

(p. 21). Il a notamment

travaill pour le New York

Times, The Wall Street

Journal, Esquire, Newsweek,

National Geographic, Wired,

ou GQ. Son travail a t

rcompens par les

mdailles dor et dargent

de la Socit des illustrateurs

New York et la mdaille

dor de la SPD, la Society of

Publication Designers.

BndiCte Kurzen est

photographe, ne en France

en 1980 et base Johannes-

burg. Son territoire de

prdilection, cest lAfrique,

ses conflits, ses mutations

socio-conomiques. Elle

signe les photos du premier

volet de notre srie dt

sur les curieux eldorados,

consacr au Nigeria (p. 32).

Un pays quelle a pu dcou-

vrir aprs avoir reu une

bourse du Centre Pulitzer.

serGeMiChel, 44 ans,

laurat du prix Albert Londres

en 2001 pour son travail,

est grand reporter au service

international duMonde, aprs

avoir t directeur adjoint des

rdactions du journal de 2011

2013. PourM, il est all

Lagos, ville en pleine crois-

sance (p. 32). Mon dernier

sjour l-bas remontait

2007. Le Nigeria nous montre

ce que lAfrique sera quand

elle sortira enfin de la dcolo-

nisation pour entrer dans

la mondialisation. Il faudrait y

aller chaque anne aumoins!

lisa ViGnoli, 26 ans, est

journaliste, notamment aux

Inrockuptibles. Tout lt, elle

se penche, pour M, sur les

petites nvroses modernes.

Cette semaine, la traque du

gluten (p. 38). Jai dcou-

vert les indications gluten

free il y a plusieurs annes,

en Australie, raconte-t-elle.

Depuis, supprimer le gluten

serait presque devenu

un signe de distinction pour

ceux qui ont la chance de

ne pas devoir sen priver.

Julien BlanC-Gras

est journaliste de profession,

voyageur par vocation

et crivain loccasion. Son

dernier ouvrage sintitule

Paradis (avant liquidation)

(d. Au Diable Vauvert).

Dans ce numro de M, il

commente le portfolio du

photographe coren Dae-

sung Lee sur Ghoramara

(p. 40), une le qui disparat

sous les eaux dans le golfe

du Bengale. Une terre qui

rtrcit et une population

contrainte lexil.

Ils ont particip

ce numro.

10

Contributeurs.

Fronde

fministe

chez les

sang bleu.

La royaut a donn le la:

depuis que les anes filles

peuvent accder au trne, les

aristocrates anglaises rclament

elles aussi lgalit des sexes.

Et la fin de la toute-puissance

de lhritier mle. Un combat

loin dtre gagn au sein

dune noblesse ultramachiste.

ParMarc Roche

Andrew

Testa/TheNew

YorkTimes-REDUX-REA.

Laristocrate anglaise

Liza Campbell

a pris la tte de

la campagne pour

lgalit des femmes

dans la noblesse

britannique.

- 1120 juillet 2013 - 11

La Semaine

/ Il fallait oser / Face face / Le roman-photo /

Le buzz du Net / Ils font a comme a ! /

/ Les questions subsidiaires / Jy tais /

Liza Campbell na rien de laristoCrate anglaise dvoue aux

uvres de charit que lon croise dans les films et les sries

tlvises. La sur du comte de Cawdor nest pas non plus

une fministe militante mais, depuis le changement des rgles

de succession au trne entr en vigueur le 25 avril 2013

permettant au premier n, quel que soit son sexe, de rgner , cette

artiste peintre de renom sest fix un objectif. Elle entend faire abroger la

rgle de la primogniture masculine qui gouverne depuis toujours laristo-

cratie britannique. Lgalit des sexes doit tre en vigueur dans ce temple

du machisme dans lequel je suis ne. Cest une question dmancipation,

pas de classe sociale, insiste Liza Campbell, qui sest impose comme

lune des chefs de file du mouvement Equality for Women in the Peerage

lorigine de la ptition signe par quelque 200 femmes nobles rclamant

lextension de la nouvelle loi la gentry. Que le Daily Telegraph, vaisseau

amiral de la presse conservatrice, ait publi le 13 mai un tel brlot

dmontre que la controverse trouve un cho bien au-del du millier de

familles au sang bleu doutre-Manche rgies par la primaut mle.

Depuis la nuit des temps, la tradition aristocrate impose la prminence de

lhritier mle ou, dfaut, dun oncle ou dun cousin loign. Pour mainte-

nir intact le patrimoine, ce dernier hrite de toute la fortune. Les autres

frres devront choisir une carrire de banquier, dofficier ou de prlat de

lEglise dAngleterre. Quant aux surs, elles devront sen remettre un

beau mariage et la gnrosit de lhritier. Mon pre na cess de me

dire : Ton visage est ta fortune, se souvient Liza Campbell. Mais cette

discrimination, mondaine comme financire, ne va plus de soi, comme en

tmoigne le procs, hautement mdiatis, intent rcem-

ment par trois surs dsargentes de Ned Lambton,

comte de Durham, rput pour son avarice.

Si la socit britannique a t en avance sur le continent

europen pour loctroi des droits aux femmes, laristocratie

est toujours reste un monde part. Grer le domaine,

organiser la domesticit et la vie mondaine ou diriger les

affaires du village sont considrs comme une activit

dhomme. Aujourdhui, sur les 92 pairs hrditaires issus de

laristocratie dont le titre se transmet aux descendants,

seules deux femmes sigent la Chambre des lords.

aveC la promulgation de la loi sur la suCCession royale,

le signal de lmancipation est venu den haut. Si la royaut

comme les trois autres piliers de lordre ancien que sont

la City, larme et la religion dEtat pratique lgalit des

sexes, pourquoi pas laristocratie? Tel est le leitmotiv

des suffragettes titres qui combattent un systme cruel,

qui nest plus dactualit lheure o les aristocrates font

des tudes et travaillent, couter le commentateur

Peter York, spcialiste de la noblesse.

La partie, cependant, est loin dtre gagne. Deux proposi-

tions de loi mettant fin la primogniture masculine ont

t dposes la Chambre des communes et aux Lords,

mais leur devenir parat plus quincertain. Les ducs, marquis, comtes et

barons de rang divers se sont mobiliss pour faire drailler ces tentatives

de rduire leurs privilges. Les tenants du statu quo rpliquent que le sys-

tme a permis la noblesse de conserver son pouvoir conomique. Par

ailleurs, les hobereaux peuvent compter sur lindiffrence de la gauche,

peu intresse par le sort des filles bien nes, voire de lopinion. Quant

David Cameron, mari une fille de baronet, il a bott en touche, ren-

voyant lexamen dune ventuelle rforme aprs les prochaines lections,

prvues au plus tard en 2015. Liza Campbell reste pourtant persuade que

cette lgislation rtrograde est, terme, condamne. Le chteau familial

de Cawdor na-t-il pas inspir le Macbeth, de William Shakespeare, dans

lequel le bien finit par lemporter sur le mal?

AFP/TobyMelville.GettyImages

La Chambre des

lords (en haut)

sefforce den-

terrer deux pro-

positions de loi

mettant fin la

primogniture

masculine dans

la noblesse

britannique.

En attendant, le

procs du comte

de Durham

(ci-dessus en

1973, avec ses

parents et sa

sur Isabella)

a beaucoup fait

parler de lui.

Trois de ses

surs laccusent

de les avoir

dpossdes de

leur patrimoine.

12 - 20 juillet 2013

la semaine.

politique

Le confrencier qui valait 100000 euros lheure.

P

our linstant, je fais prsident, mais un jour jirai faire du fric. Cest ce quavait

dclar, en 2008, un Nicolas Sarkozy frachement lu mais dj impopulaire.

Depuis, le jeune retrait de lElyse sest fait une place dans le cercle trs pris

et lucratif des confrenciers de luxe. Etats-Unis, Russie, Chine, Brsil, Qatar,

Singapour et Canada, bientt Mexique et Isral Trs demand, il facture ses prestations

75000 euros les quarante-cinq minutes en moyenne. En juin, lex-prsident aurait

touch 100000 euros pour parler politique europenne lors dune confrence organise

Londres par la banque Goldman Sachs. Si le Franais marche dans les pas des stars

anglo-saxonnes, il a encore du chemin faire. Timothy Geithner, lancien secrtaire au

Trsor de Barack Obama remerci en janvier, aurait, lui, empoch prs du double, selon

les dernires estimations du Financial Times. Aussi grassement pay que Bill Clinton et

sa femme, Hillary, Tony Blair et lancien prsident de la Rserve fdrale Alan Greenspan,

qui se hisse au sommet du podium avec 200000 euros lallocution. Louise Couvelaire

mdias

Le tchat

sinvite aux

municipales.

Un outil Google permet

aux politiques dorganiser des

dbats en direct avec leurs

concitoyens. De quoi rvolu-

tionner les lections de 2014.

C

OMME SOUvENT, LA vAGUE ARRIvE

DES TATS-UNIS. Cest une

nouvelle mode qui porte un

nom un peu barbare : Google

Hangouts. les politiques

y succombent les uns aprs les autres.

Ce nouvel outil, mis au point par la firme

de mountain View, permet de monter en un

tournemain des discussions vido sur

internet, la manire dun tchat. le premier

lavoir saisi au bond, en 2012, est le

plus puissant dentre tous : Barack obama.

toujours lafft des innovations en

matire de communication, le prsident

des etats-unis a vite compris lintrt, pour

son image, de converser en direct, sans

le filtre des mdias, avec quelques-uns

de ses concitoyens.

lexemple, depuis, a fait flors. angela

merkel Berlin ou Jos manuel Barroso

Bruxelles ont succomb au charme de cet

exercice dmocratique. en France, la ten-

dance dbarque. Najat Vallaud-Belkacem,

la porte-parole du gouvernement, sy est

mise dbut juin, en baptisant pompeuse-

ment cette opration porte-parolat num-

rique. dbut juillet, arnaud montebourg,

ministre du redressement productif, a pris le

relais, pour voquer ainsi son cher made in

France. il y voit, non sans emphase, une

manire de colbertisme participatif.

sagit-il dun nime gadget de la com poli-

tique ou dune vraie petite rvolution?

probablement un peu des deux. Dans une

priode de dfiance sans prcdent vis-

-vis du politique, cette relation directe

permet dafficher sa proximit, de renouer

un lien avec les citoyens, explique Bastien

millot, qui dirige la socit de communica-

tion Bygmalion. Rien de bien neuf sous

le soleil. la tlvision a dj test ce genre

de formule, en confrontant le prsident de

la Rpublique, par exemple, a des panels

de Franais. le hangout, cest un peu lmis-

sion paroles de Franais de tF1, en moins

lourd, moins compass, moins toc, moins

En 2012, Barack Obama a t lun

des premiers hommes politiques

utiliser le Google Hangouts.

cher Cest surtout un outil assez gnial

qui permet de faire un cot quasi nul

ce qui avant tait trs lourd raliser. En

cela, cest une vraie rvolution, complte

Benot thieulin, fondateur de lagence

digitale Netscouade.

EN RALIT, LES pROFESSIONNELS ANNONCENT

SURTOUT DU CHANGEMENT EN pROvINCE, lheure

des municipales de 2014, plutt qu lely-

se ou sous les ors des ministres. Ce

nouvel outil semble particulirement adapt

ces campagnes de proximit. Cela peut

devenir la version numrique des fameuses

runions dappartement, le b.a.-ba de

ces lections, o lon runit discrtement

des gens qui doivent ensuite servir de relais

dopinion. Un candidat peut monter des

runions thmatiques, sur le Web, de

manire moins contraignante quauparavant,

en atteignant des gens qui ne se dplace-

raient pas, senthousiasme Bastien millot.

Cela permet aussi denvisager de faire

autant de dbats entre candidats quil y a de

communes. Pour les grandes villes, les tls

sen chargent. Pour les autres, un nouvel

espace souvre, constate Benot thieulin.

Les municipales de 2001 ont vu le balbutie-

ment des sites Web personnels. Celles de

2008, la rue sur les rseaux sociaux. L,

ce devrait tre lavnement des dbats

numriques, pronostique Bastien millot.

a suivre. Pierre Jaxel-Truer

TheWhiteHouse/Zuma/REA.FranoisLenoir/Reuters

14 -14 - 20 juillet 2013

Le prix

dune chappe

belle ?

Le buzz

du Net

Femen

timbre.

L

a jeune fille, mi-bimbo mi-Boucle dor,

semble tout droit sortie dun manga. Cest

son visage qui figure sur le nouveau timbre

leffigie de Marianne, dvoil le 14 juillet

dans les salons de lElyse par le prsident Fran-

ois Hollande. Ce dernier souhaitait que leffigie

soit une illustration de la jeunesse, une prio-

rit de son mandat. Sur Twitter, les dessina-

teurs David Kawena et Olivier Ciappa ont affirm

stre inspirs de la chef de file du groupe fmi-

niste des Femen, lUkrainienne Inna Shevchenko.

De quoi dclencher la colre des anti-militantes

aux seins nus, qui ont dvers des tweets de

menaces sur le compte des deux artistes. Le

Parti chrtien-dmocrate, lui, a appel au boy-

cott du timbre #Femen [qui serait] un outrage

la dignit de la femme, la souverainet de la

#France et a demand le retrait du timbre de

loutrage. Que le parti fond par Christine

Boutin se rassure, la Femen nest pas la seule

muse des deux dessinateurs. Selon Olivier

Ciappa, sa Marianne est un mlange de person-

nages rels tels que lactrice Marion Cotillard

[], Roselyne Bachelot, Christiane Taubira.

Et Inna Shevchenko dironiser, la victoire pas

vraiment modeste: Maintenant, tous les

homophobes, les extrmistes et les fascistes

vont devoir me lcher le cul quand ils voudront

envoyer une lettre. Elonore Decaux

Lobjet

Linky.

Petit, compact et de couleur anis,

Linky, le compteur nouvelle

gnration prsent par eDF le

9 juillet, permet de surveiller la

consommation dlectricit leuro

prs. Seul inconvnient : linstallation

de cette petite bote, qui doit encou-

rager les conomies, cote 150

FranoisMori/AFP.GillesRolle/REA

La semaine.

Ce que le prsident russe veut, les dputs

lexcutent, et vite. Lors du Forum cono-

mique international de Saint-Ptersbourg,

le 21 juin, Vladimir Poutine a apport son

soutien un projet damnistie pour des

dlits conomiques. Onze jours plus tard, la Douma

(Chambre basse du Parlement) adoptait au pas de charge

un texte qui pourrait permettre plusieurs milliers den-

trepreneurs de recouvrer la libert au cours des six pro-

chains mois. Lamnistie ne concernera que les personnes

condamnes pour la premire fois, et non les rcidivistes.

Une faon dcarter du cercle des bnficiaires lancien

patron du groupe ptrolier Ioukos, Mikhal Khodorkovski,

et son associ Platon Lebedev. Les 27 articles du code

pnal concerns par la loi vont des activits illgales au

blanchiment dargent, en passant par la fraude fiscale. A

lorigine, les initiateurs du texte espraient que le spectre

serait encore plus large, avec 52 articles. Selon le procu-

reur gnral, Iouri Tchaka, cette amnistie conomique

pourrait toucher 10000 personnes mais Garry Minkh,

reprsentant du prsident auprs de la Douma, cite un

chiffre deux fois infrieur. Quant Boris Titov, le dlgu

prsidentiel aux droits des entrepreneurs, il value

13500 les dtenus emprisonns pour des dlits couverts

par lamnistie. Mais il faudrait y ajouter environ 70000

80000 personnes dont la condamnation a t suspen-

due, qui ont reu une amende ou une peine sans privation

de libert. Tous les bnficiaires verront leurs droits

civiques restaurs et pourront donc se prsenter une

lection ou travailler pour lEtat.

la douma, le vote a t bien plus serr que prvu. Seuls

298 dputs sur 450 ont approuv le texte, tandis que les

communistes et le Parti libral-dmocrate de Vladimir Jiri-

novski se sont abstenus. Le PC a voqu une trop grande

subjectivit dans lapplication de lamnistie, alors que

le LDPR de Vladimir Jirinovski, adepte des provocations

verbales, a propos que les bnficiaires remis en libert

soient contraints de sinstaller en Extrme-Orient. Ce serait

la seule manire, selon lui, dassurer laugmentation de

la population dans ces rgions . Lun des aspects les plus

dbattus de la loi concerne lobligation de payer des dom-

mages aux victimes. Certains dputs ont estim quil

sagissait dun privilge accord aux plus riches pour

chapper la prison. On peut aussi y voir une sorte de

double peine, lorsque les condamns sont des entrepre-

neurs honntes victimes dune expropriation, avec la com-

plicit de tribunaux poreux la corruption. Si une

personne a effectivement vol, elle devra payer les dom-

mages. Cest une bonne chose, dit Lioudmila Alexeeva,

clbre militante la tte du Groupe Helsinki de Moscou.

Mais beaucoup de businessmen sont emprisonns non pas

parce quils ont vol, mais parce quon leur a arrach leur

entreprise. Devront-ils en plus payer pour tre relchs?

Limpact de lamnistie risque dtre symbolique. La surpo-

pulation carcrale en sera peine attnue

et le climat des affaires, qui souffre du

ralentissement de la croissance, ne devrait

gure en tirer profit. Lextrme svrit de la

lgislation sur les dlits conomiques nest

en rien dissuasive, car son application nest

pas systmatique. Tout dpend des

rseaux, des connexions, des soutiens poli-

tiques dont lentrepreneur bnficie. La

rglementation reste, ainsi, peu efficace au

regard de lvasion fiscale. Selon les der-

nires statistiques de la banque centrale,

45,5 milliards de dollars (34,8 milliards deu-

ros) ont quitt la Russie au cours des six

premiers mois de 2013. Depuis la crise chy-

priote, dautres destinations, surtout asia-

tiques, semblent dsormais privilgies,

comme Singapour et Hongkong. Piotr

Smolar

Russie

Poutine amnistie

les patrons

dlinquants.

Condamns pour blanchiment dargent,

fraude fiscale ou activit illgale, des milliers

dentrepreneurs russes seront bientt librs

grce un texte vot par la Douma.

ils font a

comme a !

OksanaBobylyova/Reuters

Les filles de

Sergei Bobylyov

esprent que

leur pre,

condamn

neuf ans de

prison pour

fraude, sera

bientt libr.

16 -

la semaine.

Pour 2 euros,

offrez-vous

un Tour de France.

C

e 11 juin 2013, au bord de la mer Caspienne, la nageuse

professionnelle Elham Asghari entre dans leau

frache. Portant combinaison intgrale, bonnet,

longue veste et foulard, elle parcourt 20 kilomtres

la brasse. A larrive, huit heures plus tard, la jeune

femme de 32 ans sait quelle a battu le record dIran de natation

fminine en mer. Mais sur la plage, le reprsentant de la Fdration

iranienne de natation lui annonce que son exploit ne peut tre

enregistr. Raison invoque: Aucun maillot de bain fminin pour

cette discipline la natation en mer na encore t officiellement

approuv par le ministre des sports , explique Elham Asghari

au tlphone. En 2008, elle avait pourtant russi faire homologuer

un record de 12 kilomtres, vtue des mmes atours.

Derrire cette dcision arbitraire , une femme: Marzieh Akbara-

badi, sous-ministre des affaires des femmes et du sport du gouver-

nement Ahmadinejad. Une fois rentre Thran, Elham Asghari se

prcipite dans son bureau pour la convaincre de valider son record.

En vain. Elle ma conseill de changer de discipline sportive. Mais

un nageur professionnel pourrait-il devenir un joueur de tennis de

haut niveau? , sinterroge la jeune femme dans un entretien

accord fin juin au journal rformateur Bahar.

Rvolte, cette pRofesseuRe de natation dcide de raconter son histoire

dans une vido quelle poste sur la Toile. La jeune Iranienne y men-

tionne, pour la premire fois, les remarques des autorits concernant

la non-conformit de sa tenue la charia, loi islamique en vigueur en

Iran. Un accoutrement qui pse pourtant six kilos une fois quil a

absorb de leau Jen ai des blessures sur tout le corps , prcise-t-

elle. Sous-titre en plusieurs langues, sa vido a t visionne des

dizaines de milliers de fois sur Internet. Je ne renoncerai pas, affirme-

t-elle, la voix tremblante, dans son message. Je vous demande de faire

de mme. La natation nest pas exclusivement pour les hommes. Nous,

les femmes, avons aussi notre mot dire. Depuis, Elham Asghari a

reu de nombreux messages de soutien. La nageuse espre que

larrive au pouvoir le 3 aot du nouveau prsident frachement lu,

le modr Hassan Rohani, changera la donne. Ghazal Golshiri

Iran

Pas de maillot,

pas de record.

Faute dune tenue de bain conforme la charia,

la championne de natation Elham asghari a vu son

record invalid. Une injustice qui a mobilis la Toile.

CapturecranWeb

20 juillet 2013

La photo

Vladimir prend leau. On lavait vu piloter une formule 1,

chasser la baleine larbalte, voler aux commandes dun

ULM pour guider de jeunes grues de Sibrie, nager la

brasse papillon, monter cheval torse nu Le 15 juillet,

le prsident russe a fait une nouvelle apparition hroque.

Il sest immerg bord dun bathyscaphe en mer Baltique

pour inspecter lpave de la frgate Oleg, ancien fleuron

de la flotte militaire russe, qui gt depuis 1869 dans le

golfe de Finlande.

Carnet rose

Monaco

Cest Voici qui la

annonc, photo

lappui : Charlotte

Casiraghi est enceinte.

Lenfant de la fille

de Caroline de Monaco

et de lacteur Gad

Elmaleh devrait natre

en fin danne. Le

couple avait officialis

sa liaison en mars,

au bal de la Rose.

Baby-boom

Buckingham

Passage de relais chez

les Windsor. Quelques

jours avant la

naissance du premier

enfant de William

et Kate, le palais

de Buckingham a

annonc, le 8 juillet,

que Zara Phillips, fille

de la princesse Anne

et pouse de lex-

rugbyman Mike Tindall,

attend son premier

enfant pour dbut 2014.

Fille cache

en Belgique

Delphine Bol, plasti-

cienne de 45 ans,

assigne en justice le roi

Albert II, qui abdiquera

le 21 juillet en faveur du

prince Philippe, afin que

des tests ADN soient

raliss pour tablir

quelle est bien la fille

du souverain belge.

Fin juin, le tribunal de

premire instance de

Bruxelles a renvoy laf-

faire lautomne. J.-M.N.

Bbs

bien ns.

La natalit galope

du ct des ttes couron-

nes. Le cercle familial

slargit mme parfois

retardement.

Quand Diane

dominait

En Belgique, le best-seller

de lt est un livre qui fait

mal. Ma vie de matresse SM

(Editions La Bote Pan-

dore, 15,90 ) relate la

longue pratique de Diane

Maris, 62 ans, lune des pr-

tresses du genre dans la

capitale belge. Cette l-

gante dame, aujourdhui

grand-mre, dtaille sans

fard une vie o elle a connu

le pire et une activit o la

souffrance procure du plai-

sir. Cest parfois drle, sou-

vent ahurissant, finalement

trs sombre. Face une

femme qui se sent gnrale-

ment vulnrable mais

devient forte lorsquelle

domine, des clients venus

dun peu partout dtaillent

fantasmes et demandes

incroyables. Parmi eux,

beaucoup de personnalits

exerant de hautes respon-

sabilits. Qui leur psent

tant quils dlguent tout

pouvoir et toute autorit

Matresse Diane et crent

des situations o ils sont

domins, explique en

conclusion de ce livre

le psychologue Alexandre

Anghelou. Diane, elle,

avoue: Le soir, quand

jabaisse les rideaux de

mon thtre SM, je me

retrouve nouveau seule, si

lasse. Je pleure souvent.

Jean-Pierre Stroobants

AlekseyNikolskyl/RiaNovosti/Reuters.DR.MattDunham/AP.ValeryHache/AFP.BenotDoppagne/AFP

La semaine.

18 - 20 juillet 2013

Un hors-srie du Monde, 100 pages

7,50 en vente chez votre marchand de journaux

Les questions

subsidiaires

AnnaFosterChocolate.GonzaloFuentes/Reuters

Larc-

en-ciel

tait-il

cod?

Le Christ

est-il bien

dans son

assiette?

Le traditionnel feu dartifice du

14-Juillet a transform pendant

quelques minutes la tour Eiffel

en un arc-en-ciel de fuses mul-

ticolores. Un spectacle aussitt

clbr sur Twitter par les parti-

sans du mariage homosexuel,

qui y ont vu un clin dil au

rainbow flag de la cause gay

tandis que les anti-mariage pour

tous, dont le dput UMP Luc

Chatel, y ont vu une provoca-

tion de la Mairie de Paris. En

ralit, il sagissait dun hommage

lAfrique du Sud, la nation

arc-en-ciel , accompagn dun

refrain de Johnny Clegg ddi

Nelson Mandela Jean-Michel Normand

Sche et sans got, lhostie? Pas

lorsque des chefs brsiliens la mettent au

menu. Sandwich dhostie la confiture de

lait, hostie got jambon, hostie au Nutella

Le corps du Christ se dcline linfini et

fait le bonheur des gourmets, chrtiens ou

non. En Colombie, le produit se trouve

dj dans les rayons des supermarchs et

sachte en paquet. Ct franais, les surs

de la Visitation pourraient peut-tre en

prendre de la graine. Spcialistes des hos-

ties leau de Lourdes, elles peinent cou-

ler leur marchandise et se font doubler par

la concurrence trangre. Elonore Decaux

Faut-il tre

stone pour

tre une

meilleure

mre ?

Les mari-

juana moms ,

comme elles se font

appeler, en sont

convaincues. Ce

groupe de femmes

de Beverly Hills,

Los Angeles, se runit

une fois par mois

autour dun dner

marijuana en Cali-

fornie, la vente de

cannabis usage

mdical est autorise.

Au menu: poulet frit

lhuile de cannabis,

pure de pommes

de terre au beurre de

marijuana Loccasion

de faire linventaire

des innombrables

bienfaits secondaires

du joint qui rendrait

plus crative ,

plus dtendue ,

meilleure pouse ,

meilleure mre ,

plus rationnelle

et de militer pour la

lgalisation du canna-

bis. Louise Couvelaire

La semaine.

20

Le lobby breton

drague la Rpublique.

Quatre ministres, vingt et un dputs dans

la majorit, un club de grands patrons... Et si

les Bretons taient devenus un influent groupe

de pression ? Au-del du folklore, les enjeux

politiques sont forts. Aroport de Notre-Dame-

des-Landes, cotaxe, enseignement des langues

rgionales: autant de sujets sur lesquels le Breizh

Power entend peser. Par Christian Roudaut/

Illustrations Alessandro Gottardo

- 2120 juillet 2013

LeMagazine

/ Portrait / Analyse /

Reportage / Enqute / Portfolio /

ABienqueNormanddenaissance etCorrzien dadoption, le chef

de lEtat a une longue histoire avec la Bretagne , insiste Jean-

Yves Le Drian: il faut remonter aux annes 1980 pour le com-

prendre, quand Lorient tait le port dattache des transcou-

rants du PS, puis du Club Tmoin anim par le deloriste

Franois Hollande. Peu peu, la rgion est devenue lautre fief

de la Hollandie .Et les Bretons aiment quon les aime.Au soir

du 6mai 2012, ils donnent 56,35%de leurs suffrages un candi-

dat dont le socialisme rose ple sied parfaitement une terre

bretonne trs dmocrate-chrtienne dans lme.Aujourdhui

encore, en ces temps danti-hollandisme triomphant, limage du

chef de lEtat sy trouve moins dgrade quailleurs.

Il faut dire que la rgion ne nourrit aucune nostalgie de son pr-

dcesseur qui na jamais caress la Bretagne dans le sens des al-

gues. Personne na oubli les noms doiseaux changs avec un

marinpcheur duGuilvinec ou cette ruption sarkozyenne avant

la visite du Cross Corsen, le centre de surveillance et de sauve-

tage du rail dOuessant, rapporte parYasminaReza: Je me fous

des Bretons ! Je vais tre au milieu de dix connards en train de

regarder une carte ! Ctait Neuilly qui se moque du Conquet ,

soupire Bernard Poignant, maire de Quimper et conseiller de

Franois Hollande. Pendant son quinquennat, le prsident de

droite oublie dailleurs louverture lOuest: pas un seul Breton

ne sera nomm au gouvernement durant toute la mandature

Du jamais-vu sous la V

e

Rpublique!

AlElysE, lEdrApEAuGwEnhAdu (blanc et noir) a donc retrouv

des couleurs, mais pas au point de menacer notre Rpublique

une et indivisible : On peut avoir une capacit dinfluence.

Franois Hollande sait bien quune partie importante de ses voix

est venue de lOuest, mais on ne lui demande pas de reconnaissance,

assure Bernard Poignant. Il est responsable de la France entire.

Et puis, vous savez, aujourdhui lEtat na plus grand-chose

donner. On cherche dabord ne pas perdre.

Ne pas perdre? Comme un fait exprs, la Bretagne a chapp

aux coups de hache budgtaire contenus dans le dernier Livre

blanc de la dfense. Certains ont, ds lors, souponn Jean-Yves

Le Drian de pratiquer discrtement la prfrence rgionale. Le

ministre sen dfend: Le Livre blanc conforte les atouts mili-

taires de la Bretagne : les forces spciales Lorient, la cyberdfense

Bruz prs de Rennes, la dissuasion et la scurit maritime

Brest a aurait pu tre linverse. Je nai pas eu faire darbi-

trage entre la Bretagne et dautres rgions. Les Bretons considre-

ront peut-tre que cest parce que je suis la tte du ministre de la

dfense Sils le pensent, je ne vais pas leur dire le contraire.

Dautant moins que lancien prsident de la rgion Bretagne

souhaite retrouver son sige Rennes une fois termin ce quil

appelle son service militaire Paris. En attendant, il continue

de porter une attention plus particulire aux implications bre-

tonnes des dcisions gouvernementales en matire de dfense :

deux collaborateurs de son cabinet sy attellent.

Mme souci dassouvir cet instinct grgaire avec les dputs, les

snateurs et les eurodputs.Toutes les cinq six semaines, le

ministre de la dfense runit les parlementaires de la rgion

autour dun verre de lamiti dans les salons de lhtel de

Brienne. Et on ny parle pas que crachin breton et beau temps

en sirotant du chouchen Les sujets qui fchent y sont abor-

ds. Le 19 mars dernier, les lus profitent ainsi de loccasion

pour dire tout le mal quils pensent du nouveau barme de

lcotaxe visant les poids lourds. Leur chre rgion va, selon

eux, se retrouver pnalise du fait de sa priphricit et de

la collecte quotidienne du lait dans les campagnes. Jusque-l,

largument a laiss demarbre Frdric Cuvillier, leministre d-

lgu aux transports. Chauffs blanc, les parlementaires

GAo, Au MAli,

ctait le son dune cornemuse.A lhpital de Bamako,un grand

drapeau breton avait t hiss au ct dun petit drapeau fran-

ais. Sur la base militaire de Kaboul pour le jour de lAn, des

soldats avaient revtus des tee-shits Bretons dAfghanistan.

Ils men ont offert un que jai enfil et on a chant le Bro gozhma

zado, lhymne breton, etLaBlancheHermine, raconte Jean-

Yves Le Drian. Le ministre de la dfense avait mme apport

des crpes de Ploudaniel quils ont dgustes ensemble en en-

tonnant ces chants fort peu rpublicains

Hors de chez eux, les Bretons sont rarement discrets sur leurs

origines. Ils le sont encore moins depuis que Franois Hollande

est lElyse.La rgion na jamais t aussi bien reprsente au

pouvoir. Quatre ministres proviennent de la pninsule armori-

caine: Jean-Yves LeDrian,Marylise Lebranchu,Benot Hamon

et StphaneLeFoll, cinq avec Jean-MarcAyrault si lon se rfre

la Bretagne historique incluant Nantes. Sans compter le

Quimprois Bernard Poignant : celui que la presse surnomme

loreille du prsident dispose dun petit bureau lElyse en

qualit de chargdemission.A lAssemblenationale, lamajorit

socialiste compte 21 reprsentants de la Bretagne (potentielle-

ment de quoi constituer un groupe parlementaire).

Cest l que tout a commenc , avait exult le candidat socialiste,

aux portes de la victoire, lors de sonmeeting dentre-deux-tours

Lorient. Le 27 juin 2009, la ville portuaire du Morbihan avait

en effet servi de rampe de lancement celui que les solfrinistes

surnommaient alors Monsieur 3% , raillant sa popularit lilli-

putienne. Ce jour-l, Franois Hollande tait entour de ses fi-

dles mousquetaires bretons, convaincus contre vents et mare

de ses chances de succs : Jean-Yves Le Drian, Bernard Poi-

gnant, Stphane Le Foll et Bruno Le Roux.

22 -

le magazine.

Illustrations Alessandro Gottardo pour M Le magazine du Monde 20 juillet 2013

23

24

La lutte

contre

le jacobi-

nisme

fdre.

Sur le dos-

sier langue

rgionale,

dputs

socialistes et

de lopposi-

tion forment

une union

sacre.

pour soutenir ce projet hautement controvers.Dans son bureau

situ au 43

e

et dernier tage de la tour Montparnasse, le volca-

nique Louis Le Duff simpatiente face au risque denlisement.

Lhomme qui a bti un empire de la restauration rapide (La

Brioche Dore, del Arte, Le Fournil de Pierre, Bridor) ne

mche pas ses mots : Nous, nous navons pas le temps daller

manifester. On a des emplois crer. Tous les chefs dentreprise de

Bretagne sont solidaires et approuvent cette ncessit fondamentale

dun aroport international.

Louis Le Duff est un membre

trs actif duClub desTrente, qui

runit une soixantaine de grands

patrons bretons, parmi lesquels

Franois Pinault, Vincent Bollo-

r, Daniel Roullier, Alain Glon,

Jean-Jacques Hnaff, Jacques

Rocher Cest le pre de ce

dernier, Yves Rocher, qui a co-

fond ce club informel et trs

slectif en 1973. Bas sur la

cooptation, il se runit une fois

par trimestre et agit comme un

discret groupe de pression. Les

chefs dentreprise y dfendent

les intrts de la Bretagne (et fa-

cultativement les leurs).

On ne compte plus les initiatives

que ces patrons estampills

BZH abondent travers un

fonds. La plus connue dentre

elles est le PasseportArmorique,

lanc en 1992 pour aider des tu-

diants bretons crer leur entre-

prise. Dans le mme esprit,

Louis Le Duff a maintenu son

sige social Rennes malgr la

dimension de plus en plus inter-

nationale de son groupe.Ce bre-

tonnant, fils de marachers lo-

nards, compte mme y fonder

une Breizh Academy do

sortiront les futures gnrations

dentrepreneurs du groupe. La

Bretagne se vante davoir les

meilleures coles de France, mais

elle exporte 80 % de ses jeunes di-

plms , dplore-t-il. De la

mme faon, Vincent Bollor

joue en partie la carte du Made

in Breizh : lun des deux sites

de production des batteries pour

ses voitures lectriques Bluecar

est situ Ergu-Gabric, prs de Quimper, berceau de la fa-

mille Bollor. Do les plaques minralogiques 29 (Finistre)

pour les Autolib parisiennes

Dans son livre-enqute le lobby breton. lobi breizh (ditions

Nouveaumonde), la journaliste ClarisseLucas recense dautres

cercles, plus ouverts que le Club de Trente, o se croisent des

personnalits plus ou moins influentes de la rgion : lInstitut

de Locarn, un think tank bas dans les Ctes-dArmor, ou

encore les Dners celtiques qui se tiennent plusieurs fois dans

lanne chez Fauchon, place de la Madeleine. Chefs dentre-

prise, directeurs financiers, consultants, avocats, journalistes

Cest la Bretagne den haut qui sy retrouve.

sen plaignent amrement son collgue de la dfense :

Nous avons fait le constat que les lecteurs allaient finir par se

dire : quoi servent les vingt et un dputs socialistes bretons, sils

ne peuvent influer sur le cours des choses ! , raconte lun des par-

ticipants.Ce soir-l, Jean-YvesLeDrian,fidle deFranoisHol-

lande, prend des notes et assure le service aprs-vente auprs

du ministre concern : Appelez a du lobbying si vous voulez,

cest, disons, laffirmation dune prsence. Trois semaines plus

tard, laffirmation de cette prsence se traduit par une reculade

du ministre des transports acceptant finalement dintgrer les

amendements bretons sur lcotaxe.

les Dputs peuvent Ds lors faire sauter les bouchons De ciDre et

fter la naissance du Breizh Power : Pour la premire fois,

nous avons construit une stratgie collective fonde sur le fait que

les intrts bretons ntaient pas assez pris en compte, constate

Jean-JacquesUrvoas,dput duFinistre et prsident de la com-

mission des lois. Nous avons voulu faire passer le message au

gouvernement quil ne faut pas sous-estimer notre rgion, quil ny

a pas 21 dputs socialistes bretons mais un groupe que lon ap-

pelle, entre nous, le Breizh Power. Au Palais-Bourbon, cette so-

lidarit bretonne clairement revendiquenest pas forcment du

got de tous. a surprend et mme agace les parlementaires des

autres rgions , observe un dput dIlle-et-Vilaine qui garde

lesprit cette raction irrite dunprsident socialiste de commis-

sion dans laffaire de lcotaxe: Il nous a dit que a commenait

suffire, que la Bretagne disposait dun certain nombre davan-

tages, quelle tait dj bien servie et quil ne fallait pas tirer sur la

corde. Que a plaise ou non, le Breizh Power a bien lintention

de continuer saffirmer ds que ses intrts lexigeront: sur les

dossiers agricoles etmaritimes, les nergies renouvelables, le nu-

mrique trs haut dbit, la dcentralisation, lenseignement du

breton et de la culture rgionale

Sur ce dernier point, le lobby BZH sest rcemment illustr au

Snat et lAssemble en ferraillant pour faire reconnatre le

bilinguisme franais - langue rgionale dans la loi pour la refon-

dation de lcole. Le combat nest pas fini. Les lus de Bre-

tagne se battent dsormais pour la ratification de la charte eu-

ropenne des langues rgionales ou minoritaires. Or cette

signature exige une rvision constitutionnelle aujourdhui re-

tarde du fait dun avis ngatif du Conseil dEtat en mars der-

nier. Cette porte que les magistrats du Palais Royal leur ont

claque au nez ne dcourage pas ces ttus de Bretons. En

pointe sur ce dossier, Jean-Jacques Urvoas compte sur le sou-

tien du premier ministre : Le Jean-Marc Ayrault des langues

rgionales nest pas le Jean-Marc Ayrault oppos au rattachement

de la Loire-Atlantique la Bretagne. Maire de Nantes, il a tou-

jours aid lcole Diwan et marqu un intrt pour le breton.

Sur ce dossier, les parlementaires socialistes forment une union

sacre avec leurs collgues bretons de lopposition. En effet, la

lutte contre le jacobinisme parisien fdre. Les Bretons sont

dans une situation trs singulire. Ce qui exige dtre uni , estime

Marc Le Fur, le dput UMP des Ctes-dArmor pourtant peu

suspect de faiblesse vis--vis de la gauche. Sur lemariage homo-

sexuel, il a t lun des fers de lance des anti , lunissondune

Bretagne catho fortement mobilise dans la rue.

La singularit bretonne tient bien sr son caractre pninsu-

laire. Lamnagement du territoire reste aujourdhui un combat

fdrateur amorc, dans les annes 1950, par le trs influent Co-

mit dtude et de liaison des intrts bretons (le Celib).Aprs

la route et le rail, la Bretagne voit aujourdhui larien comme la

troisime et dernire tape pour achever son dsenclave-

ment . Do cette lutte dinfluence pour que laroport de

Notre-Dame-des-Landes sorte enfinde terre.Tous les lus (hor-

mis lesVerts) et les entrepreneurs de la rgion unissent leurs voix

- 25

le magazine.

20 juillet 2013 Illustrations Alessandro Gottardo pour M Le magazine du Monde

Ce 26 juin, on aperoit quelques ttes connues : Lok Le

Floch-Prigent, qui parle volontiers de son polar breton crit du-

rant sa dtention dans le cadre de laffaire Elf, Marc Le Fur,

vice-prsident de lAssemble nationaleYann Quefflec, qui

vient de sortir chez Plon son Dictionnaire amoureux de la Bre-

tagne, sest excus au dernier moment.A lheure des coupes de

champagne, les cartes de visite changent de poche. Un chroni-

queur dOuest-France invite ses confrres adhrer ParisBreizh

Media,une toute nouvelle association qui regroupera les journa-

listes bretons de la capitale.

Vient ensuite le dner-dbat,

avec le DG de Dassault Sys-

tmes, le Costarmoricain Ber-

nard Charls, assis la place de

linvit dhonneur. Suite

quelques propos svres du lea-

der mondial de la 3D sur les

grandes coles et les lites pari-

siennes, un invit lui suggre de

dmnager son sige social en

Bretagne.Le grand patron,fils de

paysans bretons, rpond quil a

dj apport sa pierre ldifice

en installant deux laboratoires

Rennes et Brest Cest un

consultant en communication,

Yannick Le Bourdonnec, qui a

remis au got du jour la tradition

de ces dners autrefois prsids

par lcrivain breton Ernest Re-

nan la fin du xix

e

sicle : Il ne

sagit pas dun lobby, plutt dun

network langlo-saxonne, ex-

plique-t-il. Certains y ont trouv

un job Une rencontre a mme

dbouch sur la signature dun

projet de srie tlvise. Les partici-

pants ont un lien affectif trs fort

avec la Bretagne sans tre pour au-

tant des militants. Et on y trouve

un autre intrt que les sujets tradi-

tionnels : lautonomie, la langue et

le rattachement de Nantes.

Puissant leBreizh Power? Sur ce

point, chacun a sa propre opi-

nion : Quand ils sentendent, les

Bretons sont redoutables, cest

larme romaine ! , assure Ber-

nard Poignant. Pour Patrick Le

Lay, ils ressembleraient plutt

une armemexicaine, incapable

de sunir. Lancien PDG deTF1

sest senti bien seul lorsquil fer-

raillait avec le CSA pour tenter

de donner la chaneTVBreizh

une vraie audience avec des programmes doubls en breton :

Croyez-vous quun seul Breton se soit lev pour maider ? Ber-

nique ! La notion de lobby BZH le fait doucement sou-

rire : Les Dners celtiques, ce nest pas les Dners du Sicle. Jai

pass vingt ans la tte de TF1, je nai pas beaucoup vu leffica-

cit du lobby breton ! Il nattend gure plus des ministres

bretons : Il ny a pas plus jacobins que les socialistes !

Face un Etat franais centralisateur qui pratique un gnocide

culturel sur les langues , ce Briochin de naissance a bien tent

de rquilibrer le balancier durant son rgne TF1. Avec

Patrick Poivre dArvor au 20 Heures , la Bretagne sest vu

rserver un traitement mdiatique de choix. Les coles Diwan

avaient les honneurs du JT, le Festival interceltique deLorient

bnficiait dune couverture en directPatrickLeLay en avait

fait une affaire trs personnelle. Il aimait raconter quil avait

jur son pre, sur son lit de mort, de faire quelque chose pour la

Bretagne , se souvient une journaliste de la rdaction. Au-

jourdhui la tte du fonds dinvestissement Serendipity,

lhomme daffaires continue dhonorer cette promesse sa fa-

on. Il vient de mettre sur pied un club de rflexion baptis

Erispo, du nom du fils du roi Nomino, le pre de la patrie

bretonne au ix

e

sicle.Son but: fdrer les tudiants des grandes

coles et maintenir le lien entre la future lite et la rgion. Ces

jeunes pousses se retrouveront fin aot lInstitut de Locarn

pour leurs premires universits dt o il sera notamment

question de saffranchir de la tutelle parisienne

IndpendantIstedclar, patrIckle layconsIdrequelanatIoncel-

tIque doit chercher son salut hors dun systme franais bout

de souffle .Une ide, reconnat-il, qui reste ultraminoritaire (se-

lon un sondage dumagazineBretons, 18% sont favorables lin-

dpendance).Toutefois,mme si les 3,2 millions dhabitants de

la pninsule armoricaine (4,5millions en incluant laLoire-Atlan-

tique) ne semblent pas prts larguer les amarres, la bretonni-

tude fait plus que jamais recette.A linstar de lalbumBretonne

(avec des chansons en breton) de la chanteuse Nolwenn Leroy

qui sest coul 1 million dexemplaires. Ou de la Bigoudne

djante de lentreprise A laise Breizh qui fleurit sur toutes les

voitures (1,3 million dautocollants vendus). Autrefois cha-

touilleux sur les strotypes, les Bretons ont appris rire deux-

mmes: Aujourdhui, lidentit bretonne est apaise, accepte et

valorise. Il y a un ct force tranquille , analyse Yannick Le

Bourdonnec.Une identit valorise , y compris commerciale-

mentEn tmoigne, cette rcente campagne publicitaire dans

le mtro parisien pour La Freizh. La Gariguette de Plougas-

tel ,montrant des fraises surmontes de coiffes et de chapeaux

ronds.Dsormais, les Bretons savent faire fructifier leur culture.

Ils avaient ouvert la voie en lanant la premiremarque rgionale

collective enFrance, le fameux Produit enBretagne qui vient

de fter ses 20 ans.Et en 2011,une marqueBretagne amme

t cre lattention des acteurs conomiques pour accrotre la

visibilit de la rgion et lui donner une image plus moderne.

Il faut croire que tous ces efforts ne sont pas vains : malgr son

climat pluvieux, la Bretagne est la quatrime rgion franaise la

plus visite. Et mme si la pninsule nchappe pas la crise,

la croissance bretonne a progress plus rapidement que la

moyenne nationale ces dix dernires annes, grce notamment

lindustrie agroalimentaire, llectronique et aux tlcommuni-

cations. La Bretagne se situe ainsi au septime rang des rgions

les plus riches de France, avec un produit intrieur brut de

82 milliards deuros. Ce dynamisme identitaire vient de trouver

une nouvelle traduction sur Internet.Aprs dix ans de procdure

auprs de lIcann, lautorit charge dattribuer les noms de do-

maine sur Internet, la Bretagne a obtenu son .bzh , qui pourra

dsormais remplacer le .fr ou le .com.Unenouvellemanire daf-

firmer, toujours en douceur, le Breizh Power.

Les coles

Diwan

au JT,

le Festival

inter

celtique

couvert

en direct

Patrick le

Lay, ex-PDG

de TF1, en

avait fait

une affaire

personnelle.

26 - Illustrations Alessandro Gottardo pour M Le magazine du Monde 20 juillet 2013

Le magazine.

27

Dans les annes 2000, lagence Corbis, propritaire de la photo, tente

dtablir lidentit des onze maons suspendus . Le New York Post

lance mme un appel tmoins. Le nom de deux dentre eux a pu tre

recueilli sans que lon en sache davantage sur leur histoire.

Le magazine.

Bettmann/Corbis

28 - 20 juillet 201328

Les inconnus

de Manhattan.

Cest une photo

qui a fait le tour du

monde. Le symbole

dun New York

conqurant. Mais

ce Djeuner au

sommet dun gratte-

ciel pris en 1932

sur le chantier du

Rockefeller Center

conserve bien des

secrets. Qui sont

ces onze ouvriers,

perchs 260 m du

sol ? Qui les a photo-

graphis ? Deux

ralisateurs irlandais

ont men lenqute.

Par Annick Cojean

29

Cestdansuntrsvieuxpubirlandais le

Whelan situ dans le village de

Shanaglish, lextrme ouest de lIr-

lande, que tout a commenc. Nous

sommes en hiver, en 2011. Les

frres OCualain, Sean et Eamonn,

en plein tournage dun film docu-

mentaire, font une petite pause

sandwich quand leurs yeux sont at-

tirs par une photographie en noir et

blanc, encadre sur le mur jaune paille dune salle habitue recevoir,

la nuit tombe, chanteurs et musiciens locaux. Une photo incongrue

dans ce village rural, mais une photo mythique et vertigineuse sur la-

quelle se sont dj poss les millions de regards de tous ceux qui, un

jour, ont visit New York ou rv de le faire : Lunch Atop a Skyscraper

( Djeuner au sommet dun gratte-ciel )

Onzehommes,onze ouvriersmaons,casquette sur la tte, tricot de corps,

chemisette ou bleu de travail, semblent casser la crote, fumer une ciga-

rette et se dtendre, assis ngligemment sur une poutre de mtal, leurs

pieds se balanant dans le vide, quelque 260mdu sol.Derrire eux, les

alignements dimmeubles gigantesques deManhattan et, perte de vue,

lespace bois de Central Park. La dcontraction des hommes, leur pose

en apparence familire, comme sils taient assis sur un tabouret de bar,

accrot la force de cette photo singulire, prise le 20 septembre 1932, lors

de la construction du Rockefeller Center, considr alors comme le plus

grand chantier priv (14 tours) de lpoque moderne.

Mais cest moins la photo qui intrigue les OCualain quune note signe

par un certain Pat Glynn, proclamant que lhomme situ lextrmit

droite de la poutre et tenant une bouteille tait son pre, Sonny, et que

celui assis lextrmit gauche et allumant une cigarette tait son oncle,

MattyOShaughnessy.Excits et ravis lide que ces fils dIrlande figu-

rent parmi les plus valeureux constructeurs deNewYork, les deux frres

se ruent sur le patron du pub,MikeyWhelan, lequel leur confie aussitt

le numro de tlphone de Pat Glynn, qui vit dsormais prs de Boston.

Qui taient donc les funambules du ciel de Manhattan? Il faut mener

lenqute.Au moins, se disent les deux frres Sean est ralisateur, Ea-

monn producteur , lhistoire intressera-t-elle TG4, une petite chane

de tlvision publique en langue irlandaise.

Laventure commence.Les OCualain ignorent alors quils sattaquent

lune des icnes les plus mystrieuses de New York. Il sagit, certes,

de limage la plus demande des archives de lagence Corbis, bien

avant les fameux portraits deMartin Luther King oumme dEinstein

tirant la langue. Vendue dans toutes les rues de New York, disponible

dans le monde entier, elle est clbre, dtourne, utilise dans la pub,

sur des tee-shirts, des porte-cls, desmugs, reprise par lesMuppets, les

Simpsons ou les stars dHollywood. Une statue de lartiste Sergio Fur-

nari a mme reproduit les onze personnages grandeur nature. Mais ce

symbole flamboyant deNewYork, ville debout, conserve depuis des

lustres, et malgr la revendication dune foultitude denfants dmigrs

reconnaissant sur la poutre un pre, grand-pre ou arrire-grand-pre,

la plupart de ses secrets.

Premire surprise assortie dune dception: Pat, lIrlandais de Boston, ne

possde aucunepreuvematrielle de la participationde sonpre et de son

oncle augrand chantier duRockefellerCenter. Il en apourtant la certitude

et brandit dautres clichs affichant en effet une nette ressemblance avec

la photode la poutre.Ce sont eux, clame-t-il.Aucun doute! Ils en taient! Tout

juste dbarqus dIrlande, fougueux et travailleurs, dcids accepter nimporte

quel travail dans ce pays si prometteur.Lhypothse est fort vraisemblable.

Encore faudrait-il des documents. Les frres OCualain se rendent donc

avec espoir NewYork, au centre darchives du Rockefeller Center. La

photo y figure en bonne place, publie, leur apprend-on, dans le suppl-

mentweek-end duNewYorkHerald Tribune du 2 octobre 1932, en pleine

campagneprsidentielle opposantFranklinD.Roosevelt etHerbertHoo-

ver, et dans un pays en pleine dpression o le chmage touche 24 % de

la population. Ils dcouvrent des dizaines dautres photos spectaculaires,

qui tmoignent, toutes,des diffrents stades davancementdu chantier,et

prouvent queplusieurs photographes ont pris des risques fous pour suivre

le travail de ces ouvriers acrobates,pays 1,50dollar lheure,ce qui,estime

SeanOCualain,reprsentait lpoque un salaire plutt bonconditiondtre

prt mourir! .Car on comptait unmort par tranche de dix tages.

Hlas, ne subsiste aucun document relatif aux travailleurs des tours, leur

embauche, leur organisation, leur identit, leur origine. Frustrs, les en-

quteurs prennent la route de la Pennsylvanie, pour explorer, plus de

500 km de New York, les archives de Corbis, dans un entrept enfoui

soixante-dix mtres sous terre. Cest l que se trouve entrepos ce qui

sembletre lengatif,enplaquedeverre,original de laphoto.Et lquune

documentaliste, exhibant de nombreux autres clichs, confirme labsence

totale dinformations sur lidentit des photographes et maons. Encore

queA force de fouiller dans ce centre, on trouve les traces de plusieurs

photographes ayant travaill lemme jour sur la tourRCAduRockefeller

Center. Ici,un jeune fou furieux,en costumeet chapeaumou, joue lqui-

libriste, cheval sur une poutre dacier, au niveau du 69

e

tage. Il sappelle

WilliamLeftwich.L, cestThomas Kelley, autre funambule lallure de

dandy,chaussures bicolores,ceinture blanche,chemise col serr,cravate,

braquant son appareil dans le ciel deManhattan.

La famille duphotographeCharlesEbbets affirmeque celui-ci se trouvait

galement sur le chantier ce 20 septembre 1932 et, au vu dautres photos,

a mme officiellement revendiqu le crdit du fameux clich. Ce que

Corbis lui a accord, de 2002 2012, avant daffirmer, devant la camra de

SeanOCualain, que, faute de preuve, lauteur reste finalement inconnu. 2013RockefellerGroupInc/RockefellerCenterArchivesx2.CharlesC.Ebbets/EbbetsPhoto-Graphics2013

20 juillet 201330 -

En commandant sur un siteWeb un poster de la photo afin de lafficher

dans leur bureau, les deux frres ont la surprise de recevoir un clich pris

lvidence trois ou quatre secondes aprs loriginal. La cigarette de

lhomme lextrme gauche vient dtre allume.Et le gars la bouteille

a lamine de celui qui le photographe hurle :Mais, bon sang, ne regarde

pas ce foutu appareil ! Consult,Corbis affirmenavoir jamais eu vent de

cette autrephoto.Mais cela prouve,affirmeaujourdhui le ralisateur,quil

y avait bien plusieurs photographes sur place, car la manipulation des

ngatifs sur plaquedeverre interdit les prises dephotos en rafale,a fortiori

quand elles sont prises en quilibre sur une poutre.Et cela confirme lin-

tuitiondeshistoriens selon laquelle le portrait ne fut pas pris sur le vifmais

bel et bien pos.Oui, il sagissait probablement dune opration de com-

munication la gloire de ce Rockefeller Center en devenir, la gloire de

ces chantiers gigantesques qui rigeaient des tours grimpant vers le ciel

au rythme de cinq tages par semaine, la gloire de New York qui, en

pleine dpression, redressait la tte. Dcevant ? Allons donc, scrie

Sean OCualain. Il sagit de vrais ouvriers ! Et ils nont pas grimp cette

hauteur simplement pour manger devant la camra!

Mais alors,qui taient-ils ?LagenceCorbis avait essay,en vain,dtablir

lidentit des onze hommes, il y a une douzaine dannes. LeNew York

Post avait lui aussi lanc, en 2003,un vaste appel tmoins, suscitant des

dizaines de rponses, sans jamais aucune preuve.Or voici que devant la

camra de Sean OCualain, une documentaliste de Corbis sort de ses

cartons une autre photo, hallucinante, prise le mme jour, sur le mme

immeuble et la mme hauteur, montrant quatre hommes en pleine

sieste, allongs sur la poutre dacier. Pour une fois, leur identit est ins-

crite au dos de la photo. De plus, deux dentre eux sont clairement re-

connaissables parmi les onze du premier clich ! Lhomme en salopette,

troisime enpartant de la gauche,peut donc tre identifi comme Joseph

Eckner tandis que le troisime en partant de la droite, casquette et tricot

de corps, comme un certain Joe Curtis. Qui taient-ils ? Do venaient-

ils ? Quelle tait leur histoire ? Mystre

Les deux frres sont revenus en Irlande, limits par leur petit budget et

conscients de poser davantage de questions que dapporter de rponses.

Ils ont fini leur film,en langue galique et en langue anglaise, et la petite

chaneTG4 a attendu la Saint-Patrick 2013 pour le montrer.Mais avant

mme sa diffusion, le documentaire, intitulMen at Lunch, a suscit une

immense curiosit et a t invit dans de nombreux festivals, tel point

quune sortie en salles est envisage dans plusieurs pays (il devrait tre

diffus prochainement sur France 5).Des lettres parviennent aux frres

OCualain de toute lEurope, notamment de Scandinavie et dAlle-

magne, livrant ce que des descendants croient tre lidentit de lun ou

lautre desmaons de la poutre.De nouvelles pistes souvrent tandis que

les deux frres sont rsolus en apprendre davantage sur ces photo-

graphes intrpides qui ont offert des clichs bouleversants sur cemoment

capital o New York est vraiment devenu New York . Saura-t-on un jour

qui taient les onze compres de la poutre ? Peut-tre.Mais est-ce vrai-

ment souhaitable ? La photo clbre collectivement tous les travailleurs

immigrs dont le courage a fait de New York lune des villes les plus

fascinantes du monde. Et tant dAmricains veulent garder intacte la

conviction que ce matin de 1932, dans un ciel clair dt indien, leur

propre aeul dominait le monde depuis la poutre

Pendant leur enqute, les frres OCualain ont dcouvert que plusieurs

photographes quilibristes travaillaient sur le chantier du Rockefeller

Center le jour o a t pris le fameux clich. Parmi eux, William Leftwich

( gauche), Thomas Kelley et Charles Ebbets ( droite), dont la famille

revendique la paternit de la photo. Faute de preuves, le vritable auteur

du Djeuner au sommet dun gratte-ciel reste inconnu.

Le magazine.

31

A Lagos, jai senti

cette nergie,

ce bourdonnement ,

lance Zainab Ashadu,

designer nigriane

rentre de Londres

il y a quatre ans.

32

Curieux eldorados

Lagos,

paradis

des repats.

Avec 7% de croissance et une manne

ne du ptrole, la mgapole nigriane

bouillonne de crativit. Un nouveau

FarWest qui attire des milliers de

repats, ces membres de la diaspora

rentrs de Londres ou de Manhattan

pour tenter leur chance Lagos.

Une euphorie qui ferait presque oublier

que, dans le nord du pays, la guerre

fait rage entre forces gouvernementales

et islamistes de Boko Haram.

Par Serge Michel/

Photos Bndicte Kurzen

- 3320 juillet 2013

Le magazine.

Quatre amis instal-

ls dans des fau-

teuils profonds

sur une terrasse

prparent le tour-

nage dun clip vi-

do. La lumire est bleute, les tours den face se refltent

dans leau grise de la lagune. En contrebas, prs de la piscine,

un petit groupe termine son cours de yoga la nuit tombante,

dans la position du lotus. Dans son bureau, le patron dune

socit de-commerce surveille les commandes qui tombent

toutes les cinq oudix secondes sur son cran plat.O sommes-

nous? Londres ?Miami ? SanFrancisco?Duba?Non,Lagos,

Nigeria, mgapole africaine qui grandit tellement vite que

personne ne sait si elle compte 12 ou 16 millions dhabitants.

O largent du ptrole a fini par entraner lensemble de lco-

nomie. O se multiplient les preuves du surgissement dune

classe moyenne africaine. O affluent les expats et les re-

pats , cesmembres de la diaspora qui abandonnent des postes

et des vies confortables Manhattan ou Washington, laCity

deLondres ou Berlin, pour fonder une start-up, booster leur

carrire, refaire leur vie au pays.Ce pays qui affiche une crois-

sance moyenne de 7 % ces six dernires annes, notamment

dans des domaines nonptroliers comme la construction, lh-

tellerie, la consommation et les services financiers.

Lagos, cest le nouveau cool , lcheHauwaMukan, revenue

de Washington il y a cinq ans. Cette ville fait des bulles ,

ajoute-t-elle, songeant peut-tre aux 2 800 bouteilles de

champagne qui y sont ouvertes chaque jour si lon en croit

les statistiques de limportation. A Lagos, elle a lanc une

marque de baskets, elle crit pour des sites et desmagazines

branchs, anime des missions de radio. Et elle prpare, sur

la terrasse bleue dun htel, la dernire vido de son mari,

Keziah Jones, avec un vidaste nigrian renomm, Andrew

Dosunmu, tout juste arriv de New York.

De fait, personne, Lagos, ne semble vraiment se soucier de

la situation aunorddupays.Trois provinces,prs des frontires

tchadienne et nigrienne, sont places en tat durgence.De-

puis la mi-mai, les forces gouvernementales y mnent une

offensive de grande ampleur contre lesmilitants islamistes de

Boko Haram, une secte terroriste qui veut imposer la charia

tout le pays.Les journalistes ont interdiction de se rendre dans

la rgion et les informations qui en manent sont soigneuse-

ment filtres. Selon Human Rights Watch, les attentats de

Boko Haram contre les chrtiens et les reprsentants du gou-

vernement ajouts la rpression parfois aveugle mene par

les forces de scurit ont fait au moins 3600 morts depuis le

dbut de linsurrection en 2009.MaisLagos, la ville des plaisirs

et de largent, est dans un autre monde.

ZainabAshadu y est revenue il y a quatre ans. Jai grandi

Londres et je pouvais y rester. Mais, Lagos, jai senti ce bour-

donnement, cette nergie, cette crativit, dit-elle. Jai compris

quil fallait y vivre. Aprs avoir travaill pour lAfrican Ar-

tists Foundation, elle se consacre la fabrication de sacs en

cuir avec trois couturires, une assistante en cours de recrute-

ment, un atelier dans un quartier dcentr et un groupe lec-

trogne, indispensable pour travailler durant les coupures de

courant qui durent parfois 22 heures sur 24. La production

approche dsormais 40 sacs par mois, une boutique en ligne

sera ouverte en juillet. Ses clientes ? Des femmes de 25

35 ans, pas vraiment riches mais pas pauvres non plus, car elles

ont lhabitude de faire leur shopping Londres ou Milan.

Il y a plus dargent qui coule ici quailleurs, estime de son

ctAmaechiOkobi.New York est fantastique, mais satur. Ici

tout est neuf, cest un Far West. Chaque ide vaut la peine dtre

tente. Cet entrepreneur a le parcours typique dun repat .

N Lagos, il fait ses tudes secondaires dans un internat

britannique, puis universitaires en Californie et Washington

DC,avant de rejoindre les quipesmarketingdes cosmtiques

Revlon NewYork.Mais un jour, il y a trois ans, il dcide de

rentrer au Nigeria. Parce que cest chez moi, mais aussi parce

quil y a ici bien davantage de possibilits de carrire. Aprs

un passage aux Nigerian Breweries, brasseries que possde

Heineken, il intgre comme chefmarketingDiageo, la multi-

nationale britannique de spiritueux qui possde, entre autres,

la vodka Smirnoff, le whisky JohnnieWalker et la bire Guin-

ness.En 2012, il sest vendu 1,5million de bouteilles de John-

nieWalker auNigeria,qui est aussi le plus gros consommateur

mondial de Guinness, devant lIrlande.

Combien, parmi les trois millions de Nigrians vivant en

Grande-Bretagne et le million quils seraient aux Etats-Unis,

sont rentrs chez eux ces dernires annes? Personne, dans la

capitale Abuja ni dans les pays de dpart, ne tient de statis-

tiques. Ade Odutola, patron deWazobiajobs.com, une entre-

prise de chasseurs de ttes au sein de la diaspora, parle de

10000 personnes par an. Le phnomne se serait amorc il y

a cinq ans, au moment de la crise financire de 2008, et ne

cesserait de samplifier depuis.ALondres,une socit comme

Global CareerCompany affirme recruter pour plus dune cen-

taine dentreprises bases au Nigeria.

lagos, la prsence de ces revenants a cr de nouveaux

besoins et de nouvelles opportunits.Lesmenus des restau-

rants se sont adapts aux gots dune clientle ayant vcu

Londres, Paris ouNewYork. Pour elle, des dizaines de cafs,

de botes de nuit et de commerces ont vu le jour, comme la

fameuse Epicerie , ouverte dbut 2012 surVictoria Island,

tenue par une Nigriane marie un ingnieur franais. On

y trouve des pices locales, bien prsentes, des produits

franaismais aussi cest une premire Lagos une gamme

bio. Les repats en manque de fromage sont dexcellents

clients , tmoigne une habitue.

Mais le plus important, au-del des chiffres, est lesprit in-

croyablement positif, voire euphorique,qui rgne Lagos.Le

Nigeria, dont lhistoire post-coloniale est crible de coups

dEtat, de scandales de corruption et de violence au quoti-

dien, ne fait plus fuir les cerveaux, il en attire ! Il en attire

peut-tre mme trop, attention aux retours mal prpars , tem-

pre JasonNjoku, 32 ans.Lequel, bien quil sen dfende, est

34 - Photos Bndicte Kurzen/Noor pour M Le magazine du Monde 20 juillet 2013

le magazine.

Le boom cono-

mique profite

aussi aux entre-

preneurs locaux,

limage de

Sim Shagaya

(ci-contre), fon-

dateur de deux

sites Internet

succs.

New York est

fantastique mais

satur. Ici, cest le

Far West , lance

Amaechi Okobi

(ci-dessus), rentr

des Etats-Unis

pour devenir chef

marketing dune

multinationale de

spiritueux Lagos.

Zainab Ashadu,

elle, a quitt

Londres pour

lancer un atelier

de sacs en cuir

(en haut). Des

repats qui

retrouvent dans

la mgapole un

mode de vie

loccidentale, entre

sorties au Bottles,

restaurant mexi-

cain (ci-contre), ou

cours de yoga au

Radisson Blu Hotel

(ci-dessous).

35

Certaines start-up

connaissent une

croissance fulgu-

rante. LIranienne

Sanaz Etebarian

(ci-contre, droite)

est la tte depuis

2011 de Dealdey,

quivalent nigrian

de Groupon. Avec

25% de croissance

par mois, le site

compte dj

Pour satisfaire expats et classe moyenne

de Lagos, des dizaines dhtels et de

restaurants branchs ont vu le jour

(ci-contre le Wheatbaker Select Hotel ;

ci-dessus, la bote de nuit Reeds ;

en bas, nuit amricaine lEko Hotel).

500000 abonns.

LAllemand Bastian

Gotter (ci-dessous)

sest associ au

repat Jason

Njoku (en peinture

derrire lui)

pour crer une

plateforme de

streaming vido.

Chiffre daffaires

estim en 2013 :

4 millions deuros.

36

le repat qui fait rver tous les autres. Fin 2009, aprs ses

tudes de chimie Manchester, il a une intuition.A Lagos, la

fameuse industrie locale du cinma, Nollywood, produit

jusqu 1 500 films par an, lesquels ne parviennent quau

compte-gouttes la diaspora. Ilmultiplie donc les voyages sur

place, approche les producteurs, achte les droits Internet de

centaines de films (5000 ce jour) et finit par fonder Iroko

Partners Lagos, fin 2010, la version nigriane de Netflix, le

gant amricain du streaming vido.La socit,monte avec

Bastian Gotter, un trader allemand aujourdhui lui aussi ins-

tall au Nigeria, devrait gnrer un chiffre daffaires de prs

de 4 millions deuros en 2013. Et Jason Njoku fait partie, se-

lon Forbes, des dix jeunes millionnaires africains suivre.

Cest vrai, jai mille ides la minute et je pense que lexcita-

tion, Lagos, nest pas prs de steindre. Cette anne, je veux

avoir investi dans une vingtaine de start-up. Mais il ne faut pas

utiliser mon histoire, elle est unique, cela pourrait tre dangereux

pour tous les Nigrians de la diaspora qui sautent dans un avion

pour Lagos et se lancent dans les affaires.

Cemercredi soir,SanazEtebarian,35 ans,offre une autre tour-

ne de margaritas ses amis libanais, europens et nigrians

au Bottles, restaurant mexicain sur Victoria Island et vritable

repaire des repats et des expats.Ne Thran, elle a tu-

di Londres et Washington aprs la rvolution islamique,

puis a rejoint le management dune socit de commerce de

luxe laCity.Auprintemps 2011,elle rend visite sa sur,qui

sestmarie et installe Lagos.Lors dune soire,elle y croise

Sim Shagaya, unWeb-entrepreneur de 38 ans, qui a notam-

ment lanc Dealdey.com, lquivalent nigrian de Groupon.

Elle rentre Londres, mais Shagaya la poursuit de ses mes-

sages Facebook pour quelle revienne. Il finit par lui prendre

dautorit unbillet davion. Il insistait : Viens juste nous voir,

donne-nous le bnfice du doute ! Jy suis retourne et jai t

souffle de voir quel point les gens travaillent dur et quelles

incroyables perspectives ils avaient, dit-elle.AuNigeria, le prin-

cipe, cest : tout ce quoi tu penses comme business, il faut le

lancer Elle sinstalle donc Lagos lautomne 2011 et re-

prend la direction deDealdey lanne suivante,entreprise qui

compte aujourdhui 82 collaborateurs, 2 200 vendeurs,

500000 abonns et connat une croissance de 25 % par mois.

En ce dbut dt 2013, le site enregistre dans les 800 coupons

vendus chaque jour, dune valeur moyenne de 23 euros.Tout

se vend: lingerie fine, smartphones, billets davion, sjours

lhtel, cours de design,demaquillage oude cuisine.Fin 2012,

elle a coul quatre voitures KIA en trois jours, 20000 euros

pice. Nos clients, explique-t-elle, cest vraiment la classe

moyenne qui dcouvre la consommation.

U

neclassemoyenneafricaine?Voil un vrai su-

jet de fcherie entre conomistes. En 2007,

la Banquemondiale amis en place une dfi-

nition de la classe moyenne globale qui

se fonde sur le salairemdian duBrsil et de

lItalie, entre 3000 et 13000 euros par an et par personne.Pour

lAfrique entire, cela ne concerne que 12 20 millions de

personnes.De nombreux chercheurs ont dnonc ces calculs,

qui ne tiennent pas compte, entre autres,de lconomie infor-

melle.Comme leFranaisDominiqueDarbon,de luniversit

de Bordeaux, qui a adopt une dfinition plus large, emprun-

tant aux Chinois le terme de petite prosprit .Ni riche ni

pauvre, celui qui accde cette catgorie a, une fois ses be-

soins essentiels satisfaits (se nourrir, se loger), de largent

dpenser pour lducation de ses enfants, les loisirs de la fa-

mille, communiquer avec ses amis, enrichir sa garde-robe,

dcorer son intrieur. Rien quau Nigeria, le plus peupl des

pays dAfrique avec 162 millions dhabitants, cette petite

prosprit concernerait plus de 60millions de personnes, et

elles sont dj 48 millions tre connectes Internet. De

quoi nourrir un gigantesque boom conomique, dont Sanaz

Etebarian pourrait tre lune des bnficiaires.

Si Sim Shagaya avait tant besoin delle, ctait pour se consa-

crer, lui, une autre aventure,Konga.com,un site qui, comme

Amazon, vend de tout et pas seulement des offres groupes.

Lentreprise a t lance en juillet 2012 avec huit collabora-

teurs, dans un appartement de quatre pices.Onzemois plus

tard, soutenue par des investisseurs sud-africains et sudois,

elle emploie 220 personnes dans deux immeubles de trois

tages.Les ventes en ligne doublent tous les deuxmois.Les

entrepts de 1500m

2

, prvus pour deux ans, ont dbord de

marchandises aprs sixmois et sont en train dtre transfrs

sur une surface six fois plus grande. Tout va tellement vite

ici, je nen reviens pas, avoue le patron. Au Nigeria, on est en

train de sauter ltape du commerce de dtail. Il ny a pas de

Fnac, pas dAuchan, pas de Darty. On va directement au e-com-

merce, avec des smartphones chinois 60 dollars [45 euros] cette

anne, 30 dollars lan prochain.

Les prix desmarchandises auNigeria,dj lourdement taxes

limportation, ont longtemps t dicts par la distance avec

Lagos,pouvant passer du simple au triple selon les rgions.Or

le-commerce impose partout le Lagos price , lemoins cher,

et fait par consquent dcoller la consommation. On livre des

tlphones, des parfums, des robes ou des vlos pour enfants dans

tout le pays et mme Maiduguri [dans le nord], malgr ltat

dur