Le livre : entre l’auteur et l’éditeur

6
Tous droits réservés © Les Éditions l'Interligne, 1998 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 16 juin 2022 19:42 Liaison Le livre Entre l’auteur et l’éditeur Johanne Melançon L’édition franco-ontarienne Numéro 96, 1998 URI : https://id.erudit.org/iderudit/42007ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Éditions l'Interligne ISSN 0227-227X (imprimé) 1923-2381 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Melançon, J. (1998). Le livre : entre l’auteur et l’éditeur. Liaison, (96), 22–28.

Transcript of Le livre : entre l’auteur et l’éditeur

Page 1: Le livre : entre l’auteur et l’éditeur

Tous droits réservés © Les Éditions l'Interligne, 1998 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 16 juin 2022 19:42

Liaison

Le livreEntre l’auteur et l’éditeurJohanne Melançon

L’édition franco-ontarienneNuméro 96, 1998

URI : https://id.erudit.org/iderudit/42007ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Les Éditions l'Interligne

ISSN0227-227X (imprimé)1923-2381 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleMelançon, J. (1998). Le livre : entre l’auteur et l’éditeur. Liaison, (96), 22–28.

Page 2: Le livre : entre l’auteur et l’éditeur

t

8, s -aj

S.

t

«J'étais assis sur un banc

dans un parc et il y avait une

dame à côté de moi. Elle man­

geait son lunch. A un moment,

elle a sorti L'Obomsawin. en

anglais. Elle s'est mise à lire,

puis elle s'est mise à rire...

Là. j ' a i ressenti comme un ver­

tige terrible: il a fallu que je

m'en aille. J e ne voulais pas

voir son expression changer. »

(Danie l Poliquin) Photo : François Dufresne

livre : encre l'auteur et l'éditeur

2 2

A u cœur de l'édition, il y a l'indispensa­ble manuscrit, et bien sûr, le travail de la maison d'édition. Élargissons le cer­

cle : apparaissent la réception critique, la diffu­sion, la d is t r ibut ion . . . et vous tous, lecteurs. Lorsqu'il a été question de préparer un dossier sur l 'édition en Ontario français, des questions ont surgi, et peut-être quelques-unes vous ont-elles déjà effleuré l 'esprit au moment où vous bouquiniez dans une librairie (si vous en avez eu la chance) ou dans une bibliothèque. Des ques­tions pour démystifier un peu le manuscrit, pour tenter de comprendre ce qui se passe entre l'édi­teur et l'auteur dans le cheminement qui va du manuscrit au livre imprimé, puis entre les livres et leurs lecteurs. Des questions pour donner la parole à ceux qui sont «derrière» le livre. Le manuscri t , le livre... ce sont des objets. Mais l'auteur? L'éditeur?

Je vous propose ici quelques rencontres; de bel­les rencontres, chaleureuses, enthousiastes. Avec des éditeurs d'abord : denise truax, de Prise de parole , Rober t Yergeau, du N o r d i r et Yvon M a l e t t e , des Ed i t i ons David . Puis avec des auteurs : Marguerite Andersen, Alain Bernard Marchand, Michel Ouellette, Pierre Pelletier et Daniel Poliquin.

Ensemble, nous avons parlé du manuscri t , du

travail d'édition, de la réception critique et de

vous, lecteurs...

Le manuscrit Au fa i t , q u ' e s t - c e q u ' u n bon m a n u s c r i t ? Comment les éditeurs l'évaluent-ils? Ils ont tous un comité de lecture, mais cette évaluation se fait selon quels critères? Chaque maison d'édi­tion propose sa politique éditoriale, qui consti­tue sa «personnalité».

Chez Prise de parole, on a préparé une page publici taire précisant les critères d'évaluation d'un manuscrit; celui-ci sera jugé d'après le sujet et les thèmes (si le fond est clair, original, mult i -directionnel, intéressant et assumé par l'auteur), la forme et le style (communication efficace avec le lecteur) et sur la commercialisation. À cela,

denise truax ajoute qu' i l faut dis t inguer deux niveaux. Il faut d'abord définir une œuvre litté­raire, avec tout ce que cela contient de subjectif; le manuscrit a beau être soumis à plusieurs lec­teurs — le comité de lecture —, le choix demeure subjectif. Mais il y a aussi les cas où, à regrets, on refuse un bon manuscrit parce qu'i l n'entre pas dans les catégories d'ouvrages que publie la maison. Du même souffle, elle note que Prise de parole a beaucoup de catégories, ce qui compli­que la commercialisation... mais ce qui est peut-être le lot des maisons en région.

Au Nordir, Robert Yergeau affirme que les critè­res économiques n 'ent rent jamais en ligne de compte. La maison privilégie les manuscrits qui présentent un travail sur l'écriture; elle a un pré­jugé favorable à l'endroit des textes qui essaient «d'aller au-delà», tout en s'attardant au contenu au point de vue des thèmes et du traitement. Et pour le Nordir, dans le marché, le rôle du jeune éditeur est de promouvoir les nouveaux auteurs.

Chez David, le manuscrit doit offrir une qualité d'écriture. Des chiffres? Approximativement, sur 10 manuscrits, cinq sont retournés, deux sont acceptés sans changements et trois seront modi­fiés à par t i r de quelques conseils. En ce qui concerne les textes critiques, le comité, qui peut alors faire appel à une expertise externe, s'assure que la méthodologie est valable. Pour la créa­tion, le manuscrit doit présenter quelque chose d'original, se démarquer (dans les images, par exemple). Un jumelage, sur l ' ini t ia t ive de la jeune maison d'édition, permet à des auteurs qui ont envoyé leur manuscrit de travailler leur texte et de le parfaire, avec l'aide d'un auteur qui a déjà publ ié . Au bout du compte , croit Yvon Mallette, c'est le lecteur qui y gagne.

Le travail de révision et de correction se fait alors en concertat ion avec l 'auteur. Avec de jeunes a u t e u r s , c 'est parfois diff ici le , no te Robe r t Yergeau. L'émotivité, la créativité, la subjectivi­té, tout cela entre en ligne de compte. C'est déli­cat. Il faut instaurer une relation de confiance. Et de ce point de vue, les éditeurs sont unani­mes. «Confiance» est un mot-clé.

L i a i s o n

n " 9 6

Page 3: Le livre : entre l’auteur et l’éditeur

Chez David, on qualifie la relation d'excellente. Une fois le manuscrit accepté, il y a rencontre avec l'auteur et celui-ci reçoit carte blanche : il peut habiller son «enfant»; on lui accorde liberté entière pour déterminer le format du livre, la quali té du papier, la facture de la couverture, etc. À l'intérieur d'un budget réaliste, bien sûr. L ' éd i t eur c ro i t que ce t t e i n i t i a t i v e est son «meilleur coup» depuis deux ans et lui permet de donner une personnalité au livre - ce que ne pourrait pas se permettre une plus grande mai­son d'édition.

Et qu'est-ce qui motive un auteur à envoyer son manuscrit à un éditeur? Pourquoi choisir tel édi­teur plutôt qu'un autre? Selon quels critères?

Margueri te Andersen s'exclame : «Mais je ne veux pas le garder dans mon tiroir!» Elle choisit son édi teur en fonction de ce qu ' i l ou elle a publié auparavant. Ce doit être quelqu'un en qui elle a confiance, qui lui offre un «contrat comme il faut» et qui saura s'occuper de la distribution.

«La qualité du travail de l'éditeur, très certaine­ment» , répond Alain Bernard Marchand qui a pub l i é tous ses ouvrages aux Herbes rouges (Montréal) depuis 1992, à cause de l'admiration qu'il porte à cette maison d'édition qui «publie strictement selon des critères littéraires». Pour son premier ouvrage, en 1982, il avoue que des «raisons romantiques» l'avaient amené à publier dans la collection «L'Astrolabe». Aujourd'hui , son choix est davantage conscient, remarque-t-il, et basé sur la qualité de la production et la poli­tique éditoriale de la maison, critères auxquels il ajoute la beauté matérielle des livres.

Pour Michel Ouellette, c'est un concours de cir­constances qui l'a amené à publier. Il faut dire que le texte de théâtre fait un peu «genre à part» puisqu'il est d'abord destiné à être joué. Mais sa publication permet de perpétuer la mémoire de la pièce, permet aussi de la considérer comme une œuvre littéraire et de donner de l 'importan­ce au texte.

Pierre Pelletier croit qu'il faut d'abord répondre à la question : «pourquoi on écrit?» «Pour accli­mater certaines idées obsessives ou des émotions t rop fortes qu 'on ne peut contenir.» Ensuite, vient le désir d'être lu, publié, de partager ces émotions. La complicité est importante, l'amitié aussi. L'auteur voudrait que ce soit toujours le même éditeur, mais à la recherche d'une compli­cité plus grande, il ira voir d'autres éditeurs. «Un auteur qui grandit avec la même maison, qui, comme le bon vin, vieillit bien, c'est beau.» Mais dans tous les cas, il faut qu'il y ait beau­

coup de place pour l'auteur.

C'est «la conviction qu'il est terminé, qu'on a besoin d'aide» qui motive Daniel Pol iquin à soumettre son manuscrit à un éditeur. Pour lui, c'est le moment où l 'œuvre devient collective. Au début, on prend le premier éditeur qui passe; ensuite, on choisit : selon l'aide technique dont on a besoin, le public que l'on veut rejoindre, et les gens qui sont là. Et changer d 'éditeur, ce n'est pas une question de fidélité ou de trahison : c'est la loi du marché, la liberté.

Et la révision? C'est le «travail de l'amitié» pour Margueri te Andersen. Au théâtre, cela se fait avec le ou la metteur(e) en scène, mais il faut l ' é c r i r e , t r a n s c r i r e l ' o r a l , s o u l i g n e M i c h e l Ouellette.

La réécriture, c'est beaucoup de travail, remar­que Pierre Pelletier. «Mais nos lecteurs privilé­giés, ce sont des amis; pour aller plus loin, pour dépouiller, arriver à l 'essentiel. Ensui te , c'est l 'éditeur, pour la tuyauterie, la cohésion.» La relation avec l 'éditeur à ce stade? «Aussi pas­sionnante que celle où on écrit seul dans son coin.»

Le travail de réécriture ou de révision est sou­vent une in i t ia t ive de l 'auteur . . . à pa r t i r du moment où il a envoyé son manuscrit. «Si on ne l'a pas envoyé à l 'éditeur, si on ne se sent pas j u g é , on n ' e s t pas c r i t i q u e » avoue D a n i e l Po l iqu in . C'est qu ' à ce m o m e n t - l à , l ' au teur devient un lecteur. «C'est pour cela que, quand on se sent prêt, on se dit : «bien là il faut!» C'est comme si on se disait : «bien là, je fais partie d'une équipe et je ne suis qu'un des membres.» Mais «l'auteur reste quand même le seul maître à bord. Il a invité des gens à monter sur son bateau, pour mieux naviguer. Parce qu'il s'en va en haute mer. Mais il garde le gouvernail.»

Le travail d'é< Qu'est-ce qu'un éditeur aime ou recherche dans le métier d'éditeur?

«Si j'en avais la possibilité, avoue denise truax, je ne serais qu'éditeur, et non pas aussi directrice de maison d'édition. J'adore être la première lec­trice, j 'adore le rapport à l 'œuvre, le rapport à l'auteur.» Le travail d'éditeur est une grande res­ponsabilité : faire les meilleurs livres, faire de ces ouvrages les meilleurs livres possibles, et les mettre entre le plus de mains possibles. C'est tout simple, mais tout un défi à la fois.

Le N o r d i r , c o m m e é d i t e u r l i t t é r a i r e joue — modestement, précise Robert Yergeau — un rôle de carrefour, d'animateur. Du manuscrit au livre,

«Si j 'en avais la possibilité,

je ne serais qu'éditeur.

J'adore être le premier lecteur :

j'adore le rapport à l'œuvre

et à l'auteur. »

(denise t ruax )

«Mes lecteurs?... Ce doit être

des gens qui aiment bien ma

façon de regarder le monde

d'un œil un peu critique ou

ironique... Ceux qui aiment

qu'il y ait de l'ironie, du sar­

casme, un sens de l'humour, un

peu de féminisme aussi... »

(Marguerite

Andersen) Photo : Tinnish

2 3

L i a i s o n

n " 9 6

Page 4: Le livre : entre l’auteur et l’éditeur

«L'éditeur, c'est quelqu'un qui

nous escorte, qui lit le manus­

crit, qui nous pousse plus loin.

I l est très important qu'un édi­

teur soit complice. »

(Pierre Pelletier)

« Tout à fait par hasard, j ' é ­tais en train d'attendre une amie à une terrasse et quelqu'un lisait un de mes livres : je me suis rendu comp­te, tout à coup, que mon livre avait une existence qui m'échappait. J ' a i toujours l'impression que personne ne lit mes livres, que personne ne va les lire. Cela m'a rassuré. »

(Alain Bernard Marchand)

Photo : Laboratoire IdéeClic

il y a un travail prodigieux à accomplir. Et il ne faut jamais perdre de vue, souligne l'éditeur, que le manuscrit et l'auteur sont la matière première. Il faut noter aussi qu'au Nordir, pour les deux éditeurs - Yergeau à Ottawa et Jacques Poirier à Hearst —, il s'agit d'un deuxième travail. «C'est un peu fou» avoue Robert Yergeau. «Ce qui me motive à continuer, c'est la lecture des manus­crits, la découverte de manuscrits. Être étonné, surpris.» Il est important aussi que le livre soit un bel objet. Et à chaque parution, il y a une «fébrilité certaine lorsqu'on le déballe». Il est important aussi que l'auteur soit content.

Chez David, Yvon Malette croit aussi qu'il a un rôle d 'animateur culturel . L'édition, c'est une aventure, «celle qui me permet le plus de remet­tre à la société ce que j'ai reçu.» La maison est fière d'offrir une voie parmi d'autres pour les jeunes auteurs. Cependant , il y a souvent des frustrations, confie-t-il, lorsqu'il tente de conci­lier le côté plus «intellectuel» de l'édition et le côté p r agma t ique de l ' homme d'affaires. Car Yvon Malette croit qu'il faut développer un sens des affaires qui libère des subventions; il faut viser l ' au tonomie , exploi ter d 'autres avenues pour le financement, comme la participation de l'entreprise privée. Le milieu des affaires franco-ontarien a cette responsabilité, croit-il. Et il est assez fier de ses succès de ce côté. Chez David, l 'éditeur est aussi un entrepreneur dynamique qui cherche à innover.

À un point de vue plus matériel, plus technique, c'est-à-dire dans le passage du manuscri t à la maquette du livre, si David accorde carte blan­che à l'auteur, chez Prise de parole, on travaille en collaboration avec celui-ci, lui suggérant des maquettes (surtout qu'on veut uniformiser cer­tains formats). Au Nordir, on préfère que l'au­teur participe à cette étape, qu'il y ait une colla­boration très étroite... pour éviter une déception.

Tous les auteurs ont souligné l'importance d'éta­blir une relation de confiance avec l'éditeur. «Il n'y a pas de publication sans confiance», remar­que Daniel Poliquin. Pierre Pelletier parle de «complicité». Mais à cette étape, qu'est-ce que l'auteur attend de son éditeur?

«Qu'il s'assure qu'il n'y a pas de coquilles, qu'il soit rapide dans ses décisions, qu'il s'assure de la beauté du livre» répond Marguerite Andersen, très pragmatique. Pour elle, le travail avec l'édi­teur se fait dans l'amitié.

La discrétion, une relation très sobre qui laisse beaucoup de l ibe r t é , r ésume Alain Bernard Marchand qui apprécie aussi de pouvoir créer sa

page couverture, participant ainsi à la réalisation matérielle du livre. La relation avec l'éditeur est très précieuse, souligne-t-il. «Je pense que toute relation d'un auteur avec son éditeur est précieu­se, en ce sens que, surtout quand on travaille dans un pet i t marché comme le nôtre, que ce soit au Québec, encore pire en Ontario français, un des seuls plaisirs qu'on a, c'est d'avoir un lec­teur sérieux. Puis on peut toujours compter, on doit pouvoir croire qu'on peut compter sur son é d i t e u r c o m m e é t a n t son p r e m i e r l e c t e u r sérieux. Et si lui croit en notre livre, c'est déjà quelque chose d'énorme parce qu'écrire est un travail qui se fait dans une extrême solitude et la réception critique n'est pas toujours évidente.»

L'éditeur est un lecteur privilégié, mais c'est son professionnalisme et, au-delà de l'édition comme telle, son effort pour faire la mise en marché qui sont importants pour Michel Ouellette.

Pour Pierre Pelletier, «l'éditeur, c'est quelqu'un qui nous escorte, qui lit le manuscrit, qui nous pousse plus loin.»

Pour Daniel Pol iquin , l 'édi teur est un «con­seiller privilégié». «L'auteur qui aime son livre le voit grandir du début à la fin, puis il va inter­venir plus ou moins selon certaines compétences qu'il a... mais en se fiant à l'éditeur.»

La réception critique Lorsqu'on leur demande s'ils sont satisfaits de la réception critique, les éditeurs hésitent.

«C'est une quest ion ex t rêmement complexe» avoue denise t ruax, avant d 'ajouter : «Est-ce qu 'on peut vraiment parler de réception cri t i­que? Il n'y a pas grand-chose, et il est extrême­m e n t difficile d ' in téresser les q u o t i d i e n s de Montréal.» Même Le Droit est frileux, offrant peu de recensions.

Chez David, la réponse est plus catégorique : «Pas du tout» . Les critiques ne font pas suffi­samment leur travail. Il y a bien quelques excep­tions, des revues spécialisées, mais encore.

«On la souhaite plus grande, plus di thyrambi­que, mais... il y en a peu, c'est inévitable... il faut se tourner du côté du Québec et il y a ambi­guïté», analyse Robert Yergeau. Il ajoute cepen­dant qu'i l ne publie pas pour ça : la réception critique ne détermine pas ce qu'il publie. Ça fait par t ie du jeu et il l 'accepte. Dans le cas des librairies, l'espace est limité, surtout occupé par les best-sellers américains, français et même qué­bécois. Il y a peu de place pour la l i t térature

L i a i s o n

n " 9 6

Page 5: Le livre : entre l’auteur et l’éditeur

franco-ontarienne. «C'est malheureux, mais il ne faut pas être naïf». Le marché scolaire serait la voie du succès. Pour l'enseignement, étant aussi professeur à l 'Université d 'Ottawa, R. Yergeau parle de gouffre, de malaise : des adultes vien­nent suivre des cours de littérature franco-onta­rienne et ils ne connaissent parfois aucun des titres qui sont proposés... Faut-il des représen­tants dans les écoles? Une plus grande conscien­tisation au niveau des commissions scolaires? Plus d'animation?

Comment les auteurs perçoivent-ils la réception critique? Est-elle constructive? Arrive-t-elle à leur faire voir certains aspects de leur œuvre?

Ils sont tout aussi sceptiques que les éditeurs. «La vraie critique est difficile», note Marguerite Andersen. «C'est une quest ion délicate parce que nous ne sommes pas tellement nombreux en Ontario français. Il faut faire attention de ne pas offenser les gens, mais il faut quand même leur dire.» Mais elle n'apprend pas vraiment des cri­tiques. «Il faudrait davantage d'outils critiques en Ontario pour faire bouger les choses».

Alain Bernard Marchand souligne qu'il est tou­jours très agréable d'avoir une bonne réception cr i t ique, mais que cela ne justifie pas l'effort qu 'on a investi dans la création d 'une œuvre. D'un autre côté, la critique est nécessaire parce que c'est une des seules façons d'assurer une cer­taine visibilité, une existence publique au livre... dans la mesure où les lecteurs n'ont pas droit de parole. «C'est le rôle de la critique universitaire de nous dévoiler des pans de notre œuvre, tout comme une conversation avec un lecteur peut nous dévoiler des aspects de notre œuvre, nous mettre sur des pistes dont on ne soupçonnait pas l'existence. Mais la critique telle qu'elle se prati­que en O n t a r i o , au Québec et au Canada en général, reste essentiellement un outil de marke­t ing, un outil promotionnel.» Pas de crit ique, pas de longévité. Aussi, le cr i t ique est pares­seux : il ne se soucie pas de repérer de nouveaux talents. Il faut déplorer aussi qu'il y a de moins en moins d'espace pour la critique universitaire.

Pour le théâtre, la problématique est légèrement différente puisque souvent la pièce a été jouée et sa représentation a fait l 'objet d 'une cri t ique. Mais la critique de la pièce représentée ne tient pas toujours compte du texte, remarque Michel Ouellette. C'est donc important pour la pièce en tant qu 'œuvre littéraire. Et «la cri t ique va te faire voir des choses que tu n'as pas nécessaire­m e n t vues . . . Le t héâ t r e est un art ouver t à l'interprétation. Je suis toujours très étonné, sur­pr is , charmé, lorsque les gens ont découvert

autre chose.»

«C'est d o m m a g e , mais il n'y en a pas beau­coup», renchérit Pierre Pelletier. «La cr i t ique devrait être capable d'entrer dans la démarche d'un auteur, de le lire du dedans, d'adopter un ton serein pour le comprendre du dedans... Ce n 'est pas une ques t ion d 'a imer ou de ne pas aimer : cela relève du commentaire mondain , journalistique.» Et ce ne sont jamais les criti­ques officielles qui font découvrir des choses sur l 'œuvre, mais plutôt «un commentaire person­nel, qui va droit au cœur; un lecteur qui dit : j'ai aimé parce que ça m'a parlé, touché, dit quelque chose; ça me rattache à une expérience que j'ai déjà vécue. C'est le genre de commentaire qui t ' indique que tu es sur la bonne piste, que tu as réussi à partager une émotion. Un commentaire g r a t u i t est un beau c o m m e n t a i r e : c 'est la meilleure critique.»

Daniel Poliquin voit la critique en démocrate... «Il y a une l iberté de parole qui existe, une liberté d'expression. Et cette parole-là, chez le critique, elle doit être entière. Mais elle ne l'est pas toujours . . . il y a de la compla isance , de l ' inimitié, différentes écoles de pensée... Il faut laisser les gens libres... Pour moi, la cri t ique, c 'est un peu c o m m e l ' équ ipe éd i to r i a le qu i s'élargit. Sauf qu'elle n'est pas là pour vous aider nécessairement; elle est là pour dire ce qu'elle pense. Puis , il faut, bien sûr, dépar tager les mo t iv a t i o n s .» Et la c r i t i q u e où l ' au t eu r va apprendre des choses sur lui-même, c'est celle des revues spécialisées où on fait une lecture beaucoup plus profonde du livre. Mais cette cri­tique-là, note-t-i l , a les mêmes défauts que la critique journalistique.

Le lectorat Lorsqu'on leur demande de dresser un portrait de leur lectorat, les éditeurs avouent ne pas vrai­ment les connaître. «On en connaît certains», dit denise truax. «J'imagine qu'il s'agit d'un lec­teur plutôt lettré, un amateur de l i t térature», risque Robert Yergeau. Dans les salons, les lan­cements, il arrive que l'éditeur retrouve le public qui lui est fidèle, qu'il puisse mettre un visage sur le lecteur et que celui-ci exprime sa satisfac­tion... ou son déplaisir.

Les auteurs arrivent plus facilement à dresser le portrai t de leurs lecteurs. Les rencontres avec leurs lecteurs, dans les salons entre autres, sont importantes.

Certains avouent ne pas les connaître, comme Alain Bernard Marchand : «Quand j 'écris , je veux émouvoir, faire traverser l'émfltionjDar un

«Pour nous, au Nordir,

{l'édition} c'est un deuxième

travail. C'est un peu fou.

Ce qui me motive à continuer,

c'est la lecture des manuscrits,

la découverte de manuscrits.

Être étonné, surpris. »

(Robert Yergeau) Photo : Archives de Liaison

2",

L i a i s o n

n " 9 6

Page 6: Le livre : entre l’auteur et l’éditeur

(Suite de la page 2 5 )

lecteur, mais je ne sais pas qui est ce lecteur. Ce n'est peut-être pas important.»

«Ce doit être des gens qui aiment bien ma façon de regar­der le monde d 'un œil un peu cr i t ique ou i ronique». L'ironie, le sarcasme, le sens de l 'humour, un peu de fémi­nisme aussi, suppose Marguerite Andersen.

«C'est é m o u v a n t de rencon t re r ses l ec teurs , confie Michel Ouellette. Souvent, ils ont vu la pièce. Ils ont tou­jours une pe t i te histoire; c'est touchant . Ce sont des moments privilégiés où on peut sentir que l 'œuvre est importante.»

Pierre Pelletier esquisse un portrait de ses lecteurs : «Ce sont ceux qui apprécient et recherchent les littératures marginales, qui n'ont pas peur de vivre leurs émotions. Quand tu prends un de mes livres, tu t'attelles pour tra­vailler avec moi.» On peut toujours aller chercher quel­que chose quelque part dans une rencontre fortuite, quel­que chose de neuf, ajoute-t-il. «Dans les rencontres, il y a de belles choses.»

Pour Daniel Pol iquin , «c'est le plus beau dans l 'acte d'écrire, la rencontre avec le lecteur. Parce que c'est l'inat­tendu. Tout le temps. J'ai fait les rencontres les plus sin­gulières de ma vie à cause de cela.» Dans les lancements, on connaît ses lecteurs. Dans les salons, il y en a de tous les genres : ceux qui viennent vous dire qu'ils ne vous aiment pas ou qu'ils vous aiment... Mais «les meilleures rencontres, ce sont celles où on fait des lectures publi­ques. Au Canada français, ça ne se fait pas assez et les édi­teurs eux-mêmes ne l 'encouragent pas suffisamment.» Lors de ces lectures publiques, l'auteur est obligé de com­muniquer, c'est-à-dire de «mettre en commun». Il peut alors voir comment les gens réagissent. Et c'est impitoya­ble : on ne peut pas manquer son coup. Poliquin donne l'exemple d'une lecture publique de son dernier roman L'Homme de paille. «Cela a extrêmement bien marché. Et il y a eu des réactions qui m'ont permis d'enrichir enco­re.» Finalement , «le contact avec le public est encore meilleur lorsqu'il est hors-livre... c'est-à-dire qu'on n'est pas là pour lire un livre; on est là pour parler d'un autre sujet». En abordant un sujet quelconque, «on va décou­vrir des choses les uns sur les autres, puis ça, c'est vrai­ment excellent.»

Voilà de belles rencontres, n'est-ce pas? Elles ont permis de soulever le voile - même si ce n'est que t imidement — sur la relation entre l'auteur et l'éditeur, et même le lec­teur, dans cette aventure qu'est le passage du manuscrit au livre. Auteurs et éditeurs nous ont parlé, mais peut-être que vous, lecteurs, avez envie d'y ajouter quelques commentaires?

28

L i a i s o n

n " 9 6

&

î

je tour du m o n d e - e n ira y

fônfl

G R O U P E D E ts^JSS&s RECHERCHE

RANCOPHONES

York Glendon «Université Centre universitaire ^ « " ^ M N 3M6 * Canada

m av. Bayview * T o t o - £ j » ) ^ ^

www.gi lendon.yorku.ca/gret_