Le livre d'or de l'Occitanie

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LE LIVRE D'OR DE

L'OCCITANIE

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DU MÊME AUTEUR

Le Temps des sèves, poèmes, Encres vives, 1967 Le Givre et la Raison, poèmes, Encres vives, 1968 Haute Serre, roman, Robert Laffont, 1972 Fruits et Oiseaux des magies, poèmes, Encres vives, 1972. La Chasse Artus, roman, Robert Laffont, 1974. Découvrir la poésie française, anthologie, Seghers, 1975 Découvrir la science fiction, anthologie, Seghers, 1975

A paraître :

Territoire du multiple, poèmes, Editeurs français réunis Le Pouvoir de la poésie, essai, Casterman

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MICHEL COSEM

L e Livre d ' o r d e

l 'Occ i tan ie

SEGHERS

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S i v o u s d é s i r e z ê t r e t e n u ( e ) a u c o u r a n t d e n o s a c t i v i t é s d ' é d i t e u r , v e u i l l e z n o u s

e n v o y e r v o t r e n o m e t v o t r e a d r e s s e , s u r c a r t e p o s t a l e o u c a r t e d e v i s i t e , a u x

E d i t i o n s S e g h e r s , B . P . 5 0 3 , 7 5 7 2 5 P a r i s C e d e x 1 5 : n o t r e b u l l e t i n « I n f o r m a t i o n s

S e g h e r s » e t n o s c a t a l o g u e s v o u s s e r o n t a d r e s s é s g r a t u i t e m e n t e t s a n s e n g a g e m e n t .

La loi du 11 mars 1957 n 'autor isant , aux te rmes d e s a l inéas 2 et 3 de l'Article 41, d ' une part, que les cop ies ou reproduc t ions s t r ic tement r é se rvées à l ' u s age privé du copis te et non d e s t i n é e s à une utilisation collective, et, d ' au t r e part, que les a n a l y s e s et les cour tes citations d a n s un but d ' exemple et d' i l lustration, toute représenta t ion ou reproduct ion intégrale ou partielle, faite s a n s le c o n s e n t e m e n t d e l ' au teur ou d e s e s ayan ts droit ou ayants c a u s e , es t Illicite (alinéa 1 de l'Article 40). Cette représen ta t ion ou reproduct ion, par que lque p rocédé q u e c e soit, const i tuerai t d o n c une con t re façon sanc t ionnée par les articles 425 e t suivants du Code Penal.

TOUS DROITS DE REPRODUCTION, D'ADAPTATION ET DE TRADUCTION RESERVES POUR TOUS PAYS,

EDITIONS SEGHERS, PARIS, 1977.

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Inscrire dans le champ de l'histoire le chant de la littérature et de la poésie n'est pas simple et nous avons certes conscience du caractère relatif de notre choix. De Sidoine Apollinaire aux romanciers d'aujour- d'hui, il y a eu tant d'événements, de rêves, de livres. Cependant nous avons pensé qu'en opérant une stricte sélection, il était possible de montrer, d'une part, la continuité, d'autre part l'immense richesse de la parole d'oc, sa pluralité aussi.

Un autre auteur aurait bien entendu fait un autre livre. C'est sans doute un privilège — mais un danger aussi — que d'assumer ce pou- voir, tout en sachant que d'autres auraient pu, peut-être, l'assumer encore mieux. Mais ce qui importe surtout, c'est que l'on perçoive, à travers l'ensemble de ces textes, l'originalité et la vigueur d'une civili- sation qui n'aura pas fini de nous étonner.

M. C.

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Nous remercions MM. les auteurs et éditeurs qui ont bien voulu nous auto- riser à reproduire les textes ci-après. Ils en conservent l' entier copyright.

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PRÉFACE

Etrange, anachronique histoire occitane, manichéenne à souhait, toujours décalée, en avance ou en retard par rapport à ce qui peut être considéré comme la marche du monde : nation, lorsqu'elle n'aurait dû être qu'un conglomérat de peuplades, civilisée lorsqu'il aurait fallu qu'elle soit barbare, cathare lorsqu'il aurait fallu qu'elle soit catholique, catholique lorsqu'il aurait fallu qu'elle soit libérale et bourgeoise, puis royaliste ou anticapitaliste sans espoir. Elle semble toujours mue par une seule force, celle de la vie, de l'ardeur de la parole, s'affirmant à partir de la passion et s'étonnant la plupart du temps de cette vérité, surnageant aux bains de sang et autres agressions aussi diverses que féroces.

Une inconséquente histoire où l'on voit un peuple et un territoire qui n'ont jamais officiellement existé offrir une civilisation de tout premier ordre, civilisation dont les valeurs serviront de moule à tant d'autres modes de vie et de rêves. A parcourir l'histoire et la civilisation occi- tanes, on s'étonne de tant de brutalités et de malveillances : elle qui n'avait qu'à se donner, on l'a toujours prise par la force. On l'a maintes fois saignée et brûlée, dédaignée et méprisée et pourtant, à la surprise de tous (et peut-être des Occitans eux-mêmes) elle a toujours réussi à sur- vivre. Cela mériterait que l'on fasse un peu plus attention à elle.

Ce pays n'a donc jamais officiellement existé, mais il a néanmoins offert un merveilleux mirage au monde. Et ils sont presque tous venus sur cette terre, en ce pays de cocagne ou en cette nouvelle Floride, dans cette forte pulsion des peuples vers les terres habitables. La plupart du temps les conquérants, sous quelque forme qu'ils apparaissent, ont

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toujours, et à juste raison, pris le rythme du pays vaincu. Territoire donc où les immigrants oublient vite le pays d'où ils sont venus. Oui, territoire d'accueil des migrations humaines et animales : légions ro- maines comme vols de palombes, barbares et croisés comme vols de choucas, capitalistes et touristes ont fini par inscrire dans cette terre humaine leurs traces sanglantes ou pitoyables. Pays qui n'existe pas ? A voir. Il n'a peut-être ni armée, ni gouvernement, ni police, mais il a un peuple et l'on n'arrive pas toujours impunément à soutirer au peuple la terre qui est la sienne. Pays qui avec sa manière de vivre, sa philosophie, sa littérature aurait pu apporter une contribution plus importante encore à l'histoire de l'univers. Etrange silence de l'histoire, vertigineuse absence.

L'Occitanie, malgré toutes ses définitions et ses frontières imagi- naires, n'est finalement qu'un mirage dans le ventre d'un Etat qui a pro- fité de sa vie, de ses ressources et de son intelligence. « Chance de la France pour le XXI siècle » peut-être, mais cette chance n'est que la conséquence de toute une série de malchances et peut marquer la fin de son aventure mythique.

Oui, étrange pays qui préfère maintenant la contestation au tourisme aseptisé, l'eau claire aux centrales atomiques, qui a préféré Mitterrand à De Gaulle même pour se satisfaire d'un Pompidou et de son succes- seur. Sa chance à elle ne viendra certainement pas des grands barons de la finance internationale, mais de sa capacité de résistance, de la prise en compte d'elle-même, des armes que donnent l'histoire et le bon droit. Son savoir est sans doute sa meilleure clef de l'univers.

Pays d'accueil donc et cela depuis la nuit des temps. Il n'est pas étonnant d'être chez soi, dans son pays intérieur, si ce pays depuis des millénaires a été façonné par l'homme. Certes, le climat, la situation géographique, la distribution des plaines, des coteaux, des montagnes et des mers ont leur importance, mais cela n'est pas suffisant. Lorsque l'on remonte le plus loin possible dans le temps, on mesure combien l'homme s'est accroché à ce territoire qui va du Rhône à la Garonne, du Massif central aux Pyrénées, et si l'on connaît mieux la préhistoire, c'est parce que non seulement les hommes de ce temps-là ont laissé d'incom- parables vestiges, mais aussi parce que les préhistoriens occitans ont, depuis le début de ce siècle, apporté une contribution essentielle.

L'homme préhistorique, d'abord homme de la plaine, s'installa peu à peu dans les vallées de la Vézère, dans les canyons de l'Ardèche, sur la frange méridionale du Massif central à la fois refuge et inépuisable producteur de ressources. L'homme du Magdalénien a laissé bien des traces en Occitanie et il suffirait pour s'en convaincre de citer toute une série de lieux qui ont servi d'ailleurs à définir les différentes pé- riodes de cette humanisation. L'homme occitan d'aujourd'hui est, pour sa part, mystérieusement lié à la fascinante histoire du passé de son territoire. La silhouette qui se dresse sous la roche des Eyzies est là comme un troublant symbole. Cet homme du passé a façonné

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l'histoire ; en même temps, la terre elle-même se façonnait. N'a-t-on pas trouvé des vestiges préhistoriques à quatre-vingts mètres au-dessus du niveau actuel de la Garonne ? Lascaux est sans nul doute l'une des marques de cette triomphante progression, si profondément humaine, si sûre d'elle, si sûrement dirigée vers l'avenir. Et que dire du Salon noir de Niaux, ou du sorcier de la grotte des Trois Frères dans l'Ariège ?

Si ce sont les explorateurs, parfois bien naïfs, et les professeurs de faculté qui ont reconstruit la préhistoire, les hommes de l'Occitanie ne ressentent guère la marque du temps et les classifications savantes. Entre l'éleveur et le chasseur des premiers âges et l'homme de l'Avey- ron ou du Lot qui vivait encore il n'y a pas si longtemps du lait de ses chèvres et de ses cueillettes, il n'y a pas de cassure, mais une lente et secrète maturation. Il n'y a pas au fond plusieurs manières d'occu- per la terre et d'en vivre, de l'aimer de toutes ses fibres et aussi d'en rêver. Le « sorcier » de la grotte des Trois Frères aurait très bien pu orner la dernière page des livres maudits du XIX car il vacille, porteur de danses et de fêtes d'amours et d'intelligence. L'homme de Lascaux et l'homme de Niaux circulent encore par les chemins de l'Occitanie et ce n'est pas, à mon avis, artificiel de le dire. Si aujourd'hui l'on ne porte plus de peaux de bêtes et si la vie est moins précaire, il n'en reste pas moins ce fond compliqué et passionnel où se combattent et se jouent les forces de la vie et de la mort.

Au seuil de toutes ces cavernes habitées ou sacrées, le feu collectif regroupait les hommes dans une même joie et une même parole. Ce besoin de poursuivre cette magie par des signes qui nous parlent encore (nous trouverons dans le corps de ce livre de nombreuses évo- cations de la préhistoire par des romanciers et des poètes d'aujour- d'hui) permettait de mieux encore pénétrer le mystère du monde et de sa matière. On a, par exemple, trouvé en Occitanie un grand nombre de statuettes féminines que l'on a appelées « vénus ». Celle de Lespugue, dans la Haute-Garonne actuelle qui, comme l'écrit André Leroi- Gourhan, « groupe approximativement dans un cercle les seins, l'abdo- men et le pubis » alors qu'aux « deux pôles de ce cercle le torse et la tête d'une part, les jambes et les pieds d'autre part vont s'amenuisant à mesure que l'on s'éloigne du centre » apporte à la symbolisation féminine et à l'inconscient des éléments d'une grande importance pour une meilleure connaissance du substrat occitan. La femme et la terre apparaissent comme des constantes que l'on a du mal à ne pas per- cevoir dans la production littéraire et poétique occitane, et effectuer ces rapprochements n'est pas gratuit. A cela il convient d'ajouter l'immense troupeau animal qui hante encore toutes les cavernes et qui ne cesse de cheminer en nous. En direction de quel avenir ?

Les campagnes, au trentième millénaire, sont parcourues par des bisons, des rennes, des mammouths et l'homme doit suivre ces trou- peaux. Pourtant le long de la bordure calcaire du Languedoc, dans les pré-Pyrénées, sur les plateaux de l'Ardèche, de l'Aveyron et de l'Hé- rault, des foyers fixes de vie apparaissent très vite et entre les diverses

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communautés l'on perçoit, dès le quinzième millénaire, non seulement des relations mais aussi des activités spécifiques. Des « aires de civi- lisation » se construisent : magdalénien à l'ouest, périgordien à l'est. Louis-René Nougier, qui est professeur à Toulouse, décrit ainsi le type de vie magdalénien : « Les magdaléniens des Pyrénées possédaient des engins de chasse et de pêche nombreux et variés : longues sagaies à biseau, petites pointes d'os effilées, fléchettes à oiseaux, foëne à deux dents ; magnifiques harpons à une ou deux rangées de fines barbelures acérées. Le bouquetin montagnard était le gibier le plus chassé... Le menu du chasseur magdalénien est bien connu : cuissots de bouquetin, lagopèdes cuits à l'étouffée, sans omettre quelques truites. » Les chas- seurs et les pêcheurs d'aujourd'hui sont pris de folie et de vertige lors- qu'il s'agit de ces chasses ou de ces pêches-là, pour lesquelles ils bravent toutes les interdictions possibles. Est-ce là encore un rapprochement fortuit ?

Est-il hasardeux que l'homme du magdalénien porte en germe l'homme occitan d'aujourd'hui ? Nul préhistorien n'a osé opérer un tel rapprochement qui n'appartient en aucune manière au domaine de la science. Mais est-il absurde de penser que ceux qui ont imprimé au paysage sa profonde réalité, en y laissant aussi d'exceptionnelles gra- vures et peintures, part de ses délires et de ses rêves, ont disparu dans le tourbillon de l'histoire, sans laisser nulle autre trace ? Les sources du rêve et de l'imaginaire, fondées sur une réalité profondément vécue, tendraient à démontrer qu'une certaine continuité à définir n'est pas du tout impossible.

Il semble donc nécessaire de remonter quelque peu dans le temps pour non seulement comprendre l'histoire occitane, mais aussi pour s'approprier une réalité qui a toujours été plus ou moins dérobée. Les historiens occitans, mais aussi les chercheurs, les romanciers et les poètes ont toujours ressenti cette nécessité de réapprendre l'histoire. C'est une constante de cette culture que de s'appuyer sur une réalité historique que l'on a généralement — sur le plan français — oubliée.

On ne peut pourtant que formuler des hypothèses sur la transfor- mation de l'homme primitif en ce pasteur du néolithique qui élève des chèvres et des bovins dans les fonds de vallées fertiles et qui cultive très certainement du blé et de l'orge à partir du V millénaire. On note même l'usage de céramiques, dont la forme depuis n'a guère varié, surtout dans la frange méditerranéenne où les échanges se sont institués et les grandes voies de transhumance déjà tracées. L.R. Nougier remarque d'ailleurs que l'occupation des sols à cette époque est déjà presque complète et qu'en certains endroits la population est plus dense qu'au XX siècle. Dès cet instant, les caractères spécifiques des domaines aqui- tain et méditerranéen se sont affirmés et lorsque l'usage du bronze s'introduira, les grands traits du paysage occitan que nous connaissons encore aujourd'hui seront fixés.

« II n'y a pas de coupure brutale avec le passé et une grande partie de l'héritage préhistorique se conserva pendant des siècles encore »,

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écrit Hubert Gallet de Santerre (Histoire du Languedoc). En fait, c'est le vieux fonds néolithique, divisé selon les localisations géographiques, plaines ou plateaux, qui entrera en contact avec la civilisation méditer- nanéenne, grecque d'abord, puis surtout romaine. Avant l'arrivée des Grecs à Marseille et sur tout le littoral, les Etrusques avaient un moment tenté de s'implanter. Les Grecs eurent avec les populations des relations harmonieuses mais superficielles, mais réussirent cependant à créer un important courant idéologique et commercial que les Romains, avec plus de réalisme, transformèrent en profondeur et à leur avantage. Les Romains se trouvèrent en présence de deux peuples : les Ibères et les Ligures. Ces derniers occupaient la Provence et la côte italienne tandis que les Ibères avaient un territoire allant des pays de Loire au versant sud des Pyrénées. Les Pyrénées elles-mêmes ne formaient pas une frontière, mais plutôt une zone de refuge et de rencontre. Ampurias, dans l'actuelle Catalogne, est devenue une cité grecque ayant la même fonction que Marseille. La séparation entre Ibères et Ligures est d'ail- leurs fort diffuse. Narbonne, par exemple, peut être considérée tantôt ibère, tantôt ligure. D'importants courants d'échanges irriguent dès cette époque toute l'Occitanie. Les grandes voies commerciales se sont instituées entre la Méditerranée et l'Atlantique. L'étain, si précieux à la civilisation méditerranéenne, vient de Grande-Bretagne et transite par l'Occitanie. A Enserune, admirable cité archéologique, on retrouve toutes les civilisations harmonieusement mélangées. Rome allait exploi- ter cette situation que la vaste migration celte ne modifiera pas. Les Celtes en Occitanie se fondirent très vite dans les popu- lations locales tout en y introduisant d'importants progrès. Pourtant, c'est contre l'organisation militaire des Celtes que les Romains se heurtèrent, en particulier à Toulouse et à Nîmes. Dès cette époque, on peut dire que le territoire très ouvert de l'Occitanie est accessible aux « conquérants » et que leur implantation ne pose pas trop de pro- blèmes. A cet égard, l'exemple d'Hannibal est particulièrement signi- ficatif. Certes, il existait avant son passage des liens entre le littoral occitanien et Carthage, mais ses efforts pour créer un grand ensemble ne rencontrèrent pas en Occitanie d'opposition majeure. L'homme occi- tanien de cette époque est à la fois pasteur, cultivateur, chasseur. Il contrôle les grandes voies de communication dont il dépend et par les- quelles il entre en contact avec les autres civilisations. Les richesses de son sous-sol ne sont pas ignorées — l'or est extrait à Salsigne dans la Montagne Noire et aux Tarbelles en Gascogne. Comme artisan il est surtout connu pour les nombreuses poteries qu'il exporte.

La conquête romaine s'est effectuée en Occitanie sans grande vio- lence. Les Romains étaient des maîtres en matière de colonisation. Tout se préparait sur le plan économique pour s'achever dans une conquête politique et administrative quasi totale. Le proconsul Domi- tius Cneius Aenobarbus fit construire la route qui porte son nom et par où devaient passer ensuite toutes les invasions (des croisés de Simon de Montfort aux touristes échappés des grandes métropoles du Nord).

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Le découpage administratif tint compte des réalités géographiques et ethniques et sa réussite se mesure d'ailleurs à son empreinte dans le temps. Elle subsista à la chute de l'Empire romain et cela jusque dans les mœurs et la manière de voir le monde. La fondation de Narbonne et de la province en 118 est un événement majeur. Les Romains s'en servirent pour battre les Volques installés près de Toulouse et, au cours de cette guerre longtemps indécise, le fameux trésor de Delphes dispa- rut. En 74, Rome est désormais solidement implantée. C'est Pompée qui fonda entre autres villes Lugdunum Comvenarum (Saint-Bertrand- de-Comminge). Il semble qu'à cette époque la population occitane accepte la civilisation nouvelle avec son habituelle plasticité bienveil- lante et vigilante. La réalité se modifie pour elle, mais il n'y a pas perte d'identité. L'imprégnation romaine s'est faite dans une pers- pective de progrès et de paix. Le danger viendrait bien plutôt du nord et dans les armées romaines qui luttèrent contre Vercingétorix un grand nombre de soldats étaient occitans. C'est donc sans heurts majeurs que l'aire occitane s'est acheminée vers cette étonnante syn- thèse qu'est la civilisation gallo-romaine du I siècle.

L'un des traits fondamentaux de cette période est l'intense urba- nisation. Narbonne, Toulouse, Bordeaux et Nîmes deviennent de grandes villes avec une vie culturelle particulièrement riche, mais aussi Carcassonne, Béziers, Anduze, Lodève ou Agen. Dans les campagnes, un nouveau type de propriété et de vie s'instaure aussi avec le phé- nomène des « villas gallo-romaines », phénomène agricole certes, mais aussi humain et culturel qui marquera profondément toute l'Occitanie.

De cette passionnante et confuse période émerge l'étonnante silhouette de Sidoine Apollinaire. Né en 431 et ayant fait ses études à Lyon et à Arles, il épouse la fille du préfet des Gaules, lequel devient en 455 empereur à Rome. C'est Sidoine qui prononce le 1 janvier 456 le panégyrique du nouvel empereur et par cet acte d'éloquence poli- tique devient en fait le poète officiel de l'Empire décadent. Les empe- reurs changent, mais Sidoine Apollinaire demeure et prononce toujours des discours, écrit à ses amis des lettres et des poèmes tout en devenant préfet de Rome, poste de tout premier plan. Son retour en Occitanie coïncide avec la décadence politique accélérée de l'Empire. En 471, il est élu évêque par le clergé gallo-romain, mais il se consacre surtout à son activité littéraire. L'œuvre de Sidoine nous informe remarquable- ment bien sur la vie intellectuelle très riche de l'époque, sur les relations entre les propriétaires de villa et les professeurs de Bordeaux, Toulouse ou Narbonne. Les poèmes de Sidoine, par leurs thèmes et leur style, préfigurent d'une certaine manière ceux des troubadours et l'on s'aper- çoit que toute l'Occitanie est sillonnée aussi de poètes et de musiciens, comme elle le sera dix siècles plus tard. Il n'y a pas que Sidoine Apol- linaire pour illustrer cette étonnante éclosion : l'Occitanie produit de brillants orateurs, des philosophes (dont le maître de Marc-Aurèle) et même des empereurs. L'Occitanie. selon Pline, n'est pas une province comme une autre, mais l'Italie elle-même. Narbonne est à cette époque,

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par exemple, à Rome ce que Toulouse ou Marseille sont par rapport à Paris aujourd'hui. Mais bientôt l'axe Méditerranée-Aquitaine perdra vers le III siècle son importance au profit de l'axe rhodanien, et Nar- bonne va voir son prestige et sa superficie diminuer peu à peu. Pour- tant les périodes de décadence profitent aux régions sur lesquelles re- pose en fait la « splendeur ». L'Occitanie est riche, le vignoble produit beaucoup, le climat convient bien aux céréales et même le tourisme est source de prospérité avec les stations thermales de Luchon, Balaruc, Aulus, Alet ou Rennes-les-Bains. Et pourtant ce bel ordonnancement va soudain se défaire avec les Vandales d'abord et le développement de la puissance wisigothe, dont la capitale est Toulouse. Une question se pose à ce niveau : on estime que la Gaule fut christianisée au II siècle. Le Languedoc et la Gascogne le furent un siècle plus tard alors que les contacts avec Rome étaient bien entendu plus faciles et plus étroits. La légende de saint Saturnin, attaché à la queue d'un taureau pour avoir refusé de sacrifier aux dieux païens, peut se rattacher à des faits qui se sont déroulés vers 250. Les conciles qui eurent lieu à Arles ou à Béziers en 314 et en 356 ne comptèrent que très peu d'évêques occi- tans et encore il n'est question que d'une doctrine déjà divergente du dogme chrétien : l'arianisme, religion officielle des Wisigoths dont on retrouvera certains concepts dans le catharisme.

Au V siècle, l'édifice romain s'effondre. Invasions, guerre, insécurité. Les paysans fuient les campagnes, croyant trouver refuge dans les villes ou dans les villas qui deviennent de petits châteaux forts. La civilisation wisigothe subsiste quelque peu et assure la synthèse des temps nouveaux et de l'héritage romain. Un vaste Etat se forme com- prenant la Catalogne, la Narbonnaise (sauf Narbonne), l'Aquitaine, et la capitale en est Toulouse. A Narbonne, une atmosphère assez proche de celle de Byzance se manifeste. On édifie des églises et des nécropoles. Tout cela tombera finalement entre les mains du roi wisigoth Euric, qui occupera aussi l'Auvergne, la Provence et la région de Tarragone. Il est assez remarquable de constater que l'aire occitane, à ce moment-là, était presque totalement constituée.

Par bien des côtés, les Wisigoths furent les continuateurs de Rome. La vie intellectuelle, les pratiques religieuses se mêlent et se super- posent et tout cela offre un terrain étonnant d'éloquence et de créati- vité. Le fond rural gallo-romain offre aussi les mêmes prolongements. C'est au début du V siècle que le royaume de Toulouse se heurte au Nord. Clovis, à la tête d'une confédération de peuples nordiques, envahit l'Occitanie. Toulouse devenue franque entame une terrible régression. Seule la Septimanie (Narbonne) résiste, mais la coupure avec la Gascogne devient une réalité qui s'accentuera encore lorsque les Arabes, après avoir pris la Catalogne, s'installent aussi à Narbonne.

Les Arabes prennent donc la relève des Wisigoths, et l'histoire franque (française) n'a guère tenu compte de l'apport important de cette période. Des découvertes récentes ont montré que la vie en Septimanie a été plus paisible et plus florissante du temps des Arabes

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que sous la domination franque. A la bataille de Poitiers (732), aux côtés des Arabes, il y avait aussi des guerriers wisigoths et gallo- romains. En 738, Charles Martel opère un raid meurtrier vers Nar- bonne qu'il ne parvient pas à prendre, mais il brûle au passage Agde, Béziers, Maguelonne et Nîmes. L'homme occitanien se trouvera bien plus proche des Arabes que des rudes guerriers francs et il restera sans doute encore un art de vivre et une certaine conception « cour- toise » de la vie lorsque, dès le début de son règne, Charlemagne porte la guerre en Aquitaine. A partir de 759, le Midi occitan sera le lieu de tous les ravages, zone frontière livrée au pillage et à l'insécurité. Les Arabes reviennent à Carcassonne, les Francs se vengent sur Barcelone et, au fur et à mesure de la conquête franque, les chefs locaux sont remplacés ; le système territorial romain, qui avait subsisté, est, lui, remplacé par le système féodal. En fait, les Francs avec leur noblesse, leur langue, leurs lois s'installent en pays conquis.

Si nous avons insisté sur ces origines de l'histoire et de la civilisation occitanes, c'est d'abord parce qu'elles sont mal connues et ensuite parce qu'elles nous permettent de mieux comprendre le creuset un peu orageux où va se forger « le siècle d'or de l'Occitanie ».

Aux environs de l'an 1 000, l'Occitanie offre un visage nouveau. Les villes tout d'abord sont peu sûres et malpropres, enfermées dans des palissades de fortune. Les campagnes, elles, sont surpeuplées, et le pouvoir réel passe aux mains des seigneurs dont s'érigent les châ- teaux aux endroits stratégiques. Ces seigneurs d'abord d'origine étran- gère vivent du travail des paysans à qui ils doivent en retour une illu- soire défense. L'Eglise quant à elle s'organise mieux et les monastères qui se multiplient s'enrichissent, deviennent les seuls foyers de culture. A côté des châteaux seigneuriaux, les monastères apparaissent comme de petites principautés concurrentes plus proches de la population, mieux aptes à comprendre l'héritage du passé. L'Eglise, face à l'arbi- traire et à la violence féodale, joue un rôle positif. Face à la culture franque, elle offre les acquis de la culture occitane et même si le pape devient le véritable propriétaire de l'Occitanie, l'homme occitanien reconnaît en elle des valeurs auxquelles il demeure profondément attaché.

C'est aussi vers l'an 1 000 qu'apparaissent les premiers écrits en langue occitane. Il y aurait beaucoup à dire sur cette civilisation qui surgit avec autant de fermeté et d'originalité, phénomène unique en Europe. Certes, le territoire occitan est à nouveau traversé par de multiples courants. Le littoral change grâce aux départs pour la Palestine, les pèlerins affluent vers l'Espagne et le commerce se fait dans tous les sens. Les richesses naturelles sont à nouveau remises en valeur, on tisse, on cultive le blé et la vigne, chaque ville a ses moulins, ses tisserands, et les idées nouvelles circulent avec facilité. Mais cette apparente prospérité est fragile, même si dans toute l'Eu- rope barbare le midi de la France est devenu le pays de Cocagne. Le Nord opère une sorte de révolution technique et démographique d'une

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ampleur profonde qui prépare son expansion et sa victoire. L'Occitanie vit tranquille dans une atmosphère de tolérance et de joie de vivre peu commune. Les villes à nouveau s'agrandissent et s'organisent sur des principes de vie municipale fort démocratiques pour l'époque. Le principe des chartes est respecté par tous et en particulier d'ailleurs par les seigneurs qui apprécient de voir se créer de petites villes au- tour de leurs châteaux. Les comtes de Toulouse, par exemple, ne re- mirent jamais en cause la charte et furent en retour assurés du soutien réel de la population. On demeure encore aujourd'hui frappé par cette unité et cette harmonie dont il faudra tenir compte lors des terribles épreuves de la croisade. Les institutions occitanes ont fait naître bien des hypothèses. Chaque ville élit ses consuls pour une année et il n'y a pas de maire. Les consuls, qui sont l'émanation des groupes sociaux, sont égaux entre eux. Toulouse, qui du point de vue population est l'une des toutes premières villes d'Europe, offre un type de situation encore plus exceptionnel. Les comtes y résidant très rarement, ce sont les capitouls qui, dès 1152, régissent la vie com- munautaire, le commerce, la justice, la protection des étrangers et en particuliers des Juifs. Cette république toulousaine a un grand rayon- nement et donne une image assez juste d'un pays tolérant, soucieux de profiter de la paix civile. Le pape Urbain II rend même visite au comte de Toulouse, Raymond IV, lequel apparaît comme le chef natu- rel de la première croisade en Palestine. Mais l'histoire occitane nous offre le spectacle de tragiques retournements. Quelques années plus tard, c'est l'Occitanie qui est ravagée par la croisade.

Sur la croisade des Albigeois, les études ne manquent pas depuis quelques années. Certes, on apprend toujours aux petits Occitans que le Midi s'est révolté et que le roi de France aidé par le pape a châtié les hérétiques et que tout est rentré dans l'ordre. Nous ne pou- vons, dans le cadre de cette étude, insister sur les multiples épisodes d'un événement d'une considérable portée. Les Occitans aujourd'hui s'approprient une histoire qu'on leur a soigneusement masquée pour des raisons idéologiques. Cela aussi est un phénomène important. Nous poserons cependant à ce sujet quelques principes.

Le développement économique et politique du Nord créait les conditions d'une expansion. Le Midi, riche, convoité, bien connu était aussi mal défendu. On préférait ici les troubadours aux militaires. Le développement du catharisme et donc les difficultés de l'Eglise ne sont que des prétextes. Le catharisme reconnu par une toute petite mino- rité coïncidait cependant avec le goût de la paix et de la liberté et nul ne pensa devoir s'y opposer, d'autant que l'Eglise offrait le spec- tacle de sa richesse et de ses scandales. Les transformations de la no- blesse locale, alliée à la population, mettaient en péril l'institution religieuse et le pape trouva naturel de s'allier au Nord pour préserver ses biens. Les armées du Nord (comprenant des Flamands et des Alle- mands) étaient bien préparées et leurs chefs ne rêvaient que de con- quérir des fiefs qui n'étaient plus disponibles chez eux. La lutte

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incontestablement fut inégale. Simon de Montfort, à la tête de la croi- sade, ne trouva pas face à lui d'armée organisée, de chefs militaires ca- pables de s'opposer à lui. Il ne conquit jamais le Midi, mais la violence inouïe qu'il adopta d'emblée plaça les Occitans dans un état de subor- dination et de prostration. Les villes conquises et brûlées, la torture, la machine de guerre secondée par une intoxication psychologique ha- bilement menée eurent très vite raison de toute une civilisation. Lorsque les catholiques occitans comprirent qu'ils étaient menacés tout autant que les hérétiques, c'était déjà trop tard et les actes de bravoure de quelques chevaliers, la résistance courageuse des populations ne pouvaient enrayer réellement l'organisation militaire, religieuse, admi- nistrative et culturelle de la croisade. Le secours tardif du roi d'Ara- gon, appelé par le comte de Toulouse (lequel essaya longtemps de louvoyer) aurait peut-être pu modifier pourtant la situation. Le ha- sard voulut qu'une armée presque victorieuse dans la plaine de Muret se dispersât et fût anéantie à l'annonce de la mort du roi. L'Etat occi- tano-catalan sur le point de réussir avorta lamentablement. La croisade politico-religieuse qui bloqua le développement de la civilisation occi- tane n'est certes qu'un épisode d'une histoire européenne riche en vio- lence, inquisition, génocide et terreur. Cependant, elle peut être con- sidérée comme un symbole car l'Europe moderne est peut-être née dans le sang occitan. Le manichéisme un peu sommaire des cathares pour- rait placer d'un côté la cruauté et l'intolérance, la colonisation et le fascisme et, de l'autre, le goût de la paix et de la fraternité, la tolé- rance et la démocratie. Si l'on constate aujourd'hui un profond intérêt pour cette période, c'est que tout ce qui s'y rapporte a été systéma- tiquement refoulé par l'idéologie conquérante, installée en Occitanie comme en pays étranger à coloniser intégralement. La mémoire occi- tane a été perturbée, la langue ravalée au rang de patois, la littérature effacée, Montségur ou Béziers pour les habitants d'alentour n'éveil- lant plus rien ou presque. Ce que la bourgeoisie coloniale n'a pu réali- ser en Afrique ou en Asie, les guerriers de Simon de Montfort l'ont en partie réalisé au prix de villes détruites et de bûchers. Louis IX (Saint Louis !) a servi l'Eglise romaine tout en se servant lui-même, et s'il existe des vérités cruelles, s'il n'est guère agréable de rappeler des génocides, il est pourtant des réalités qu'il faut connaître non pour s'y complaire, mais pour en tirer les leçons que l'on est en droit d'attendre de telles catastrophes.

Et l'histoire occitane pourtant continue. Le pays dépossédé de son destin allait cependant trouver les ressources nécessaires pour con- tinuer à assurer son identité. Mais aussi à quel niveau et à quel prix ! Le croisade répandit l'Inquisition, une nouvelle administration, un nouveau découpage féodal et épiscopal. Et pourtant de nouveaux vil- lages se construisent au XIII siècle, les grandes foires de Toulouse et

1. Simon de Montfort, avant même la victoire militaire (très précaire), sup- prima l'usage de la langue occitane.

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d ' A g e n , tou t e n p e r d a n t l eu r c a r a c t è r e e u r o p é e n , f l eur i ssen t à n o u v e a u et M o n t p e l l i e r dev ien t u n e g r a n d e ville c o s m o p o l i t e et in te l lec tuel le . E n 1443 , le roi d e F r a n c e instal le à T o u l o u s e le p r e m i e r p a r l e m e n t p rovinc ia l . L e p o u v o i r c e n t r a l e n t héo r i e a c o n q u i s le Midi . L e s a d m i - n i s t r a t eu r s q u e l ' o n y envo ie son t g é n é r a l e m e n t d e s h o m m e s c a p a b l e s qu i v i e n n e n t se f o r m e r p o u r des ca r r i è res plus i m p o r t a n t e s . L ' h o m m e d 'oc , celui des villes et des c a m p a g n e s , n e subi t p o u r t a n t pas , en fait, de m u t a t i o n p r o f o n d e . Il c o n t i n u e de créer , et m ê m e si les f o r m e s de ce t te c r é a t i o n v i e n n e n t d 'a i l l eurs , elles p o r t e n t la m a r q u e d u gén ie d 'oc . L e s c a t h é d r a l e s go th iques , p a r exemple , p r e n n e n t e n O c c i t a n i e u n c a r a c t è r e qu i l eu r est p r o p r e : c 'es t le cas des c a t h é d r a l e s d 'A lb i , de L a v a u r , de T o u l o u s e o u d e C a r c a s s o n n e , p o u r n ' e n c i ter q u e que l - ques -unes . P o u r t a n t , le XIV siècle fu t b i e n t r i s te e n O c c i t a n i e : fa - mines , b r i g a n d a g e s , révol tes et r ép res s ion , ép idémies . L a mo i t i é de la p o p u l a t i o n de T o u l o u s e d i spa ra î t , les t ro is q u a r t s de celle d e M o n t - pel l ier aussi. L ' i m p l a n t a t i o n ang la i se en G u y e n n e al lai t p o s e r d e n o u - v e a u x p r o b l è m e s . P o u r t a n t l ' é t o n n a n t e f igure de G a s t o n P h o e b u s , c o m t e d e F o i x et de B é a r n , é m e r g e d ' u n e s ingul iè re m a n i è r e .

L ' h i s t o i r e d e F r a n c e a p r é s e n t é la g u e r r e de C e n t A n s c o m m e u n e guer re c o n t r e les Ang la i s , u n e so r te de g u e r r e de l i bé ra t ion na t iona l e . P o u r les Occ i t ans , il s ' agi t b i e n p l u t ô t d ' u n e g u e r r e civile o ù d e u x pu i s sances é t r angè re s d r e s s è r e n t les L a n g u e d o c i e n s c o n t r e les G a s c o n s , les P y r é n é e n s c o n t r e les A q u i t a i n s . « D i r e qu ' e l l e fu t f r a t r i c ide est assez j u s t e m e n t la dé f in i r », écri t H e n r i E s p i e u x . Ins ta l l é s e n G u y e n n e et G a s c o g n e , les A n g l a i s ne son t p a s les e n n e m i s des Occ i t ans . F a c e à la b ru ta l i t é f r a n c i e n n e , les Angla i s p r é s e n t e n t u n e c e r t a i n e l ibéra l i té q u i ra l l ia n o m b r e d e se igneur s gascons et n e p e r t u r b a p a s la vie de la p o p u l a t i o n . B o r d e a u x dev in t u n e ville b r i l l an te et h e u r e u s e sous la r e sponsab i l i t é d u fils a îné d u roi d ' A n g l e t e r r e , le P r i n c e No i r . G a s t o n P h o e b u s en fu t s i non l ' ami d u m o i n s l 'allié, m e n a n t p a r a i l leurs u n e po l i t i que i n d é p e n d a n t e d o n t l 'object i f , d a n s u n s u p r ê m e sursau t , é ta i t d e r econs t i t ue r u n e O c c i t a n i e l a n g u e d o c i e n n e et g a s c o n n e i n d é p e n - dan t e . F a n t a s q u e et d é s o r d o n n é , p a s s i o n n é et i n c o n s é q u e n t aussi , le c o m t e d e F o i x é c h o u e de jus tesse . Il se re t i re des m u r s d e T o u l o u s e p rê t e p o u r t a n t à l ' accue i l l i r en l i bé ra t eu r . A v e c l ' échec d e G a s t o n P h o e b u s , l a f in d e la g u e r r e de C e n t A n s , le p r o c e s s u s d ' a n n e x i o n de l 'Occ i tan ie au d o m a i n e roya l se t r o u v e n o n s e u l e m e n t con f i rmé , ma i s aussi e n c o r e p lus assuré .

H e n r i E s p i e u x n o t e avec jus te r a i son que « l ' O c c i t a n i e est u n e c o m - m u n a u t é de civi l isat ion, u n e e thnie , le foye r d e c o n v e r g e n c e de mil le c o u r a n t s qu i p a r c o u r e n t l ' E u r o p e , b i en plus q u ' u n e f o r m a t i o n po l i t i que h i é r a r ch i sée e t su r imposée . C ' e s t d i re q u ' u n e c o n q u ê t e p o u v a i t m e u r - t r i r le pays , ma i s n o n p o i n t a t t e n t e r à sa réa l i té p r o f o n d e , au m o i n s d a n s les p r e m i e r s m o m e n t s ». L ' h i s t o i r e d u L a n g u e d o c et de la Gas - c o g n e s o m b r e d a n s la grisai l le des révol tes et des répress ions , des razz ias d e rout ie rs , des s o u l è v e m e n t s u r b a i n s et des j acquer ies ru- ra les . « T o u t n ' e s t p a s noir , n o t e E . Le R o y L a d u r i e , au cours de

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ce t te d u r e p é r i o d e . » Cer t e s , J a c q u e s C œ u r se taille u n e m p i r e c o m - merc i a l à M o n t p e l l i e r g r âce a u m o n o p o l e m a r i t i m e et T o u l o u s e t r o u v e d a n s le p a s t e l u n e r ichesse n o u v e l l e qu i s e r a à l 'or ig ine d ' u n e r ena i s - s ance c o m m e r c i a l e sans l e n d e m a i n . D e u x cen t s vi l lages d i s p a r a i s s e n t p a r c o n t r e d e la s é n é c h a u s s é e de C a r c a s s o n n e , et les su rv ivan t s de la M o n t a g n e N o i r e o u d e la H a u t e - A r i è g e l u t t en t c o n t r e les loups .

L ' E g l i s e o f f re u n c u r i e u x visage. C ' e s t l 'Occ i t an i e q u i v a fou rn i r m a i n t e n a n t les me i l l eu r s p a p e s ins ta l lés à A v i g n o n . J e a n X X I I est o r i g ina i r e de C a h o r s , C l é m e n t V ( B e r t r a n d d e G o t ) fu t évêque à S a i n t - B e r t r a n d - d e - C o m m i n g e s et m ê m e J a c q u e s F o u r n i e r , l ' i nqu i s i t eu r d e P a m i e r s , sous le n o m de B e n o î t X I I . D a n s c h a q u e ville, o n t i en t u n e c h r o n i q u e des é v é n e m e n t s , ce qui a l i m e n t e u n e ce r t a ine vie in te l - l ec tue l le et les un ivers i t és de T o u l o u s e (où v in t M o n t a i g n e , d o n t l a f e m m e es t i s sue d ' u n e r i che fami l l e c o m m e r ç a n t e ) e t de M o n t p e l l i e r ( o ù R a b e l a i s la i ssa u n b o n souven i r ) son t des foyers cu l tu re l s n o n négl igeab les . L ' é d i t d e V i l l e r s -Co t t e r e t s , q u i obl ige q u e les ac tes ju- d ic ia i res so ien t réd igés e n f r ança i s et n o n e n lat in, p o r t e i n d i r e c t e m e n t u n c o u p à l 'occ i tan . A ce t te da te , écr i t A . B r u n , « le f r ança i s a cessé d ' ê t r e u n e l a n g u e é t r angè re , ma i s n ' e s t q u ' u n e l a n g u e adop t ive ».

L e d é b u t d u XVI siècle s e r a à n o u v e a u u n e p é r i o d e d ' e x p a n s i o n , se lon ce r y t h m e qu i s e m b l e s ' ê t re i n s t au ré en Occ i t an i e : e x p a n s i o n / r é - g r e s s i o n / e x p a n s i o n . L a r ég re s s ion v i e n d r a en 1 5 7 0 avec les g u e r r e s de Re l ig ion . L ' e x p a n s i o n v i en t de la cu l t u r e d u pas te l d o n t la p l a n t e e n v a h i t les c o t e a u x d u L a u r a g u a i s e t de l 'Alb igeois , et à p a r t i r de T o u - louse se c rée u n r é s e a u c o m m e r c i a l vers t o u t e l ' E u r o p e . G r â c e à « l ' h e r b e l a u r a g u a i s e », T o u l o u s e a b a n d o n n e le to rch is e t se cons t ru i t e n b r i q u e rose , avec en pa r t i cu l i e r ces r iches d e m e u r e s q u e l 'on a d m i r e e n c o r e a u j o u r d ' h u i . M a i s ce t te cé lébr i té ne d u r e r a pas . L ' i n d i g o t rop ica l fa i t son e n t r é e su r les m a r c h é s de L o n d r e s et d ' A n v e r s , et la lu t te

en t r e c a t h o l i q u e s et p r o t e s t a n t s a c h è v e r a la c a t a s t r o p h e é c o n o m i q u e d a n s u n b a i n de sang.

L a socié té occ i t ane d e ce t te é p o q u e offre u n e m u l t i t u d e de con t ras te s . Les c a m p a g n e s son t mi sé rab le s , l ' ag r i cu l tu re et l ' é levage m a l a d a p t é s a u x beso ins . P o u r t a n t les p a y s a n s c o n s t r u i s e n t d a n s les te r ro i rs le

p a y s a g e ag ra i r e q u e n o u s c o n n a i s s o n s a u j o u r d ' h u i . D a n s les villes, les c o r p o r a t i o n s t u rbu l en t e s , les é tud ian t s , les émeu te s , les e x é c u t i o n s p u b l i q u e s , les fanfa res et les a u b a d e s d o n n e n t à la p o p u l a t i o n l ' exu to i re à l ' ango isse q u e r e p r é s e n t e t o u j o u r s le l u d i s m e occ i t an é tudié p a r R e n é Nell i . L a vie, la mor t , le jeu, le bru i t , le m a c a b r e et le s u b l i m e

r y t h m e n t u n e vie b i o l o g i q u e m e n t p réca i r e .

L e s gue r re s d e Re l ig ion — qui ne son t p a s spéc i f iques à l 'Oc - c i tanie — p r e n n e n t c e p e n d a n t ici un aspec t tou t par t i cu l ie r . O n a pu faire de mul t ip les c o m p a r a i s o n s avec l ' ex tens ion du ca tha r i sme et sa

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r ép res s ion . Ce n ' e s t pas t o u j o u r s faux, mais les cond i t ions son t diffé- rentes . L a h i é r a r ch i e c a t h o l i q u e n 'o f f r e p lu s de m o d è l e a c c e p t a b l e et réagi t v i o l e m m e n t c o n t r e t ou t e idée d e r é fo rme . O n a b e a u c o u p pa r l é d u rô le des « éc r i tu res », de l ' ex t ens ion de l ' impr imer i e . C e s e r o n t d o n c les cen t r e s u rba in s , les g r a n d s b o u r g e o i s et les indus t r i e l s qu i a u r o n t t o u t d ' a b o r d c o n n a i s s a n c e d e ces « éc r i tu res ». H e n r i E s p i e u x n o t e q u e « la r é f o r m e en O c c i t a n i e est l iée à l ' i ndus t r i e des texti les e t d u pas te l , à l ' i n t r o d u c t i o n d e l ' i m p r i m e r i e et a u c o m m e r c e d e l ' a r - gent ». L e s anc iens foyers c a t h a r e s n e s e r o n t p a s t ouchés , ma i s p r o - ches d ' eux , des villes nouve l l e s j o u e r o n t u n rô le a n a l o g u e : M o n - t a u b a n p a r r a p p o r t à Albi , N î m e s p a r r a p p o r t à Béz ie rs . N o m b r e d e h o b e r e a u x se c o n v e r t i r o n t à la nouve l l e Eglise, t o u t c o m m e les sei- g n e u r s d u X I I siècle. Su r le p l a n d u c o m p o r t e m e n t soc io log ique , les c o m p a r a i s o n s son t p lus claires . D ' a b o r d u n dés i r de r e t o u r aux sour - ces évangé l iques , ensu i t e le re je t d e t o u t e h i é r a r c h i e et u n e a sp i r a t i on à l 'égali té . Pa r fo i s ce son t les c a m i s a r d s e u x - m ê m e s q u i m i r e n t l ' ac- cen t su r leur f i l ia t ion avec les b o n s h o m m e s . E n p a y s cévenol , le p r o - t e s t an t i sme v a p r e n d r e u n e t o u r n u r e or ig inale . D a n s ce pays d e châ - taigniers, de l andes p a u v r e s et sèches , la v ie r u r a l e a p e u évolué . L e c o m m e r c e de la soie ( a u t o u r d ' A n d u z e ) m e t t r a ce t t e r ég ion en re la t ion avec G e n è v e et il s ' é t ab l i r a d ' a b o r d u n c o u r a n t idéo log ique . L a fa- mi l le t r ad i t ionne l l e , l a vie s imple et r u d e s e r o n t r eva lo r i sées p a r le ca lv in i sme et des vi l lages en t i e r s v o n t se conver t i r . D ' in t e l l ec tue l l e et u rba ine , l a R é f o r m e d e v i e n d r a , en pays céveno l (mais auss i p y r é n é e n et que rcyno i s ) , p a y s a n n e et ru ra l e . C ' e s t là q u e les j eunes filles, jad is sorc ières , d e v i e n d r o n t p r o p h é t e s s e s , dev ine res ses et, d a n s la g u e r r e c a m i s a r d e , elles j o u e r o n t u n rô le q u i ne v a p a s n o n p lus sans r a p p e l e r celui des par fa i tes . C e t t e guer re , d o n t le mo t i f officiel est l a re l igion, laisse a p p a r a î t r e d ' a u t r e s m o t i v a t i o n s . E m m a n u e l L e R o y L a d u r i e voit e n fai t u n e so r te d ' u n i o n s ac r ée c o n t r e la d î m e , c o n t r e les p o u - voirs et les a b u s « t e m p o r e l s » de l 'Egl ise . E t , t o u t c o m m e il y avai t eu des ca tho l iques f a v o r a b l e s a u x ca tha re s , il y a u r a aussi des ca tho - l iques f avo rab l e s a u x r é fo rmés . L ' e x e m p l e le p lu s f r a p p a n t est b i e n e n t e n d u celui de M o n t m o r e n c y , c a t h o l i q u e d e v e n u l ' u n des p r i n c i p a u x chefs p ro t e s t an t s .

Ve r s la mo i t i é d u X V siècle, la t e n s i o n e n t r e les d e u x c o m m u n a u t é s se man i f e s t e p a r t o u t . L e s r a id s m e u r t r i e r s se r é p a r t i s s e n t d e p a r t et d ' au t r e , e t ce t te v io l ence d u r e r a p lus de q u a r a n t e ans. L e b a s - L a n g u e - d o c dev ien t à d o m i n a n t e p r o t e s t a n t e , le hau t , ca tho l ique , avec à l ' in- t é r i eu r q u e l q u e s îlots et p laces for tes . L e s p r o t e s t a n t s o n t d ' exce l l en t s chefs mi l i ta i res issus de l ' a r i s toc ra t i e locale . F a c e à eux, en l ' a b s e n c e

des évêques qu i v iven t à l a c o u r de R o m e , les u l t r a - c a t h o l i q u e s . A u mil ieu, le t iers p a r t i de M o n t m o r e n c y qu i a p o u r objec t i f d ' é t ab l i r u n p a c t e r é c i p r o q u e d e t o l é r a n c e et il y p a r v i e n d r a souven t . M o n t m o - r ency in t e rv i en t e n 1563 en t a n t q u e g o u v e r n e u r d u L a n g u e d o c . Il a a idé H e n r i I V à p r e n d r e le p o u v o i r e t lo r squ ' i l c o m b a t les p ro t e s t an t s , il ne se l ivre à a u c u n excès. A M o n t a u b a n p a r exemple , les p ro tes -

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tan ts o n t ins t i tué u n e r é p u b l i q u e avec des consei ls élus. D e v e n u s u s p e c t a u x ca tho l i ques , il est l imogé et il se re t i re su r ses t e r res e n t r e C a r c a s - s o n n e et P é z e n a s , t o u t e n n é g o c i a n t de p a r t et d ' au t r e . C e p e n d a n t , la L igue c a t h o l i q u e dés igne son adve r sa i r e : G u i l l a u m e d e J o y e u s e . L e L a n g u e d o c est à n o u v e a u p r o f o n d é m e n t déch i ré . M o n t m o r e n c y et J o y e u s e son t d é s o r m a i s f ace à face « d a n s l e u r L a n g u e d o c s ang l an t c o m m e d e u x s co rp ions d a n s u n e bou te i l l e ». M a r j e v o l s est s accagé p a r A n n e de Joyeuse , le f r è re de G u i l l a u m e et H e n r i I I I . M o n t m o r e n c y et H e n r i de N a v a r r e f o n t e x é c u t e r les l igueurs d e Béz ie rs . L ' o r d r e des M o i n e s m e n d i a n t s se l ance d a n s des c a m p a g n e s f ana t i ques . L e prés i - d e n t d u p a r l e m e n t d e T o u l o u s e est assass iné . L a nob le s se et la b o u r - geoisie occ i t anes s ' é lo ignen t d e la L i g u e c a t h o l i q u e et l o r s q u e G . de J o y e u s e se no ie d a n s le T a r n , à V i l l e m u r , m ê m e si A n n e de J o y e u s e est n o m m é m a r é c h a l , M o n t m o r e n c y devient , d u fa i t d ' H e n r i I V (le seul roi de F r a n c e d ' o r i g ine occ i t ane ) , le ro i sans c o u r o n n e d u L a n g u e d o c j u s q u ' à s a m o r t e n 1614. M a i s la p a r e n t h è s e t o l é r a n t e et h u m a n i s t e d u règne d ' H e n r i I V est d e c o u r t e d u r é e d a n s u n siècle t o u t à l ' image de l 'Eglise, v io len te e t impér ia l i s te . L ' e x i s t e n c e d ' u n e a u t r e re l ig ion qui m e t en c a u s e ses pr iv i lèges ma té r i e l s et sp i r i tue ls d é c h a î n e e n elle des d é m a g o g u e s fu r ieux , des zé la teurs qu i s ' exc i t en t c o n t r e les so rc iè res et les savants . Le p h i l o s o p h e Van in i , p a r exemple , pa i s ib le et a thée , est c o n d a m n é à m o r t avec a r r a c h a g e p r é a l a b l e d e la l angue , et , c o m m e cela étai t à p révo i r , l a lu t te e n t r e h u g u e n o t s et c a t h o l i q u e s r e p r e n d d e p lus belle. Les p r o t e s t a n t s m a s s a c r e n t le c h â t e a u de M o n t l a u r , p r è s de M o n t p e l l i e r , o ù les ca tho l iques , p e u après , i n t r o d u i s e n t des b o m b e s d a n s d e s cha r r e t t e s à blé. L ' i n t e r v e n t i o n d e L o u i s X I I I d o n n e l ' avan-

t age aux c a t h o l i q u e s et les h u g u e n o t s se r é fug ien t d a n s les C é v e n n e s . Les acqu is p r o t e s t a n t s son t p e u à p e u d é m a n t e l é s et les évêques an t i - c ipen t avec u n e bel le a r d e u r , en Occ i t an ie , sur la r é v o c a t i o n de l 'Ed i t de N a n t e s qu i in te rv ien t e n 1685.

L e XVII siècle, en Occ i t an ie , est celui de la d ise t te , d e la pes te , d e la var io le , et p o u r t a n t l 'Occ i t an ie ne m e u r t p a s t o u t à fait. L à o ù pous - sait jad is le pas te l , p o u s s e m a i n t e n a n t le « gros mi l le t » (le ma ï s ) v e n u d ' E s p a g n e et d u P o r t u g a l , et si la v igne subi t u n e crise c lass ique , le b lé et la soie son t a b o n d a m m e n t cult ivés. A u t e m p s de Co lbe r t , l 'Oc- c i tan ie of f re u n v i sage p lus sere in et c 'es t d a n s ce c a d r e - l à q u e sera réal isé le cana l . C ' e s t en fai t aussi l ' a b o u t i s s e m e n t d ' u n e vieille u topie . D e p u i s l o n g t e m p s o n par la i t , en L a n g u e d o c , de j o ind re les d e u x mers . L e s ingén ieurs d ' H e n r i I V n ' ava ien t - i l s pas env isagé de d é t o u r n e r le cou r s de l 'Ar iège vers la M é d i t e r r a n é e ? C ' e s t à u n r iche p rop r i é t a i r e d u L a u r a g u a i s , p r è s d u seuil de N a u r o u z e , q u e rev ien t le mér i t e de cet te réa l i sa t ion , ap rès avoir résolu le p r o b l è m e de l ' a l imen ta t i on en eau su r le n i v e a u le plus élevé des écluses. Ce t t e e a u p r o v e n a n t de la M o n t a g n e N o i r e a c o n v a i n c u Co lbe r t qui a c c o r d a l ' a rgen t de l 'E ta t , ma lg ré l ' oppos i t i on des p ropr i é t a i r e s r iverains. D o u z e mille ouvr ie r s

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t r ava i l l è ren t d a n s les chan t i e r s ; R i q u e t p u i s a auss i l a r g e m e n t d a n s sa fo r tune , ma i s m o u r u t a v a n t l ' i n a u g u r a t i o n qui fu t fa i te en 1 6 8 0 o ù l ' on vit déf i ler d a n s la pa i s ib le O c c i t a n i e des p é n i c h e s a u x A r m e s d e F r a n c e , d ' A n g l e t e r r e et d e H o l l a n d e qui, p a r t i e s de T o u l o u s e le 15 ma i , a r r i - v è r e n t le 2 4 à Béz ie r s a v a n t de r e j o i n d r e la F o i r e d e B e a u c a i r e .

L a g u e r r e n ' é t a i t p a s p o u r a u t a n t écar tée . C o n t r e R iche l i eu , le fils de M o n t m o r e n c y se révol te . C e n ' e s t p lus u n e g u e r r e de rel igion, M o n t - m o r e n c y I I é t an t ca tho l ique , mais b i en u n e rébe l l ion con t r e le p o u v o i r cent ra l . L a bata i l le décisive a lieu à C a s t e l n a u d a r y . M o n t m o r e n c y c a p t u r é est d é c a p i t é d a n s la c o u r d u C a p i t o l e de T o u l o u s e a u p i e d de la s t a tue d ' H e n r i IV , son p a r r a i n .

A v e c M o n t m o r e n c y , c 'es t u n p e u l ' e s p é r a n c e s o u t e r r a i n e d ' u n e Occ i - t an ie a u t o n o m e qui s 'ef face . L e s r e p r é s e n t a n t s d u roi s e r o n t de b o n s c o m m i s d u c e n t r a l i s m e sans a t t a c h e s réel les avec le pays . C e l a est sensible d a n s t ous les d o m a i n e s . L ' é c o n o m i e de l ' O c c i t a n i e se t r a i t e

à L y o n et Par i s . L e L a n g u e d o c est u n e t e r r e de p ro f i t et glisse len te- m e n t d a n s le s o m m e i l à long t e r m e . L e m a n q u e d ' i m a g i n a t i o n , la sc lérose d e la c lasse d i r igean te , la f in des p ro f i t s e n t r a î n e r o n t l 'Occ i - t an ie à n o u v e a u d a n s des « crises d e subs i s t ance » et d a n s le c h ô m a g e . C e n ' e s t p a s le su r sau t d e la g u e r r e c a m i s a r d e q u i l ' en sor t i ra , b ien au con t ra i re . L a révol te u l t ime des C a m i s a r d s a pr i s u n c a r a c t è r e p o p u - laire. Les chefs ne son t p lus M o n t m o r e n c y o u D e R o h a n , mais des ser rur ie rs , des c a r d e u r s , des t i s s e r ands , n o u r r i s depu i s l ' e n f a n c e p a r « les E c r i t u r e s » et d e v e n u s p r o p h è t e s o u p réd i can t s . L e u r soulève- m e n t a q u e l q u e chose de p u r e t d e d é s e s p é r é et d u r e r a v ing t ans. L e s C a m i s a r d s v iven t d a n s les châ t a igne ra i e s , les grot tes , les m a s isolés d ' u n pays t o u r m e n t é qu ' i l s c o n n a i s s e n t p a r f a i t e m e n t . L ' i n t e r v e n t i o n d e l ' a r - m é e roya le p l a c e à n o u v e a u l ' en j eu d u p o u v o i r cen t ra l . O n cons t ru i t des chemins p o u r q u a d r i l l e r les C é v e n n e s . C h a q u e vi l lage est col lec- t i vemen t r e s p o n s a b l e , e t les cu rés d é n o n c e n t les hér i t iques , sans succès a u débu t , si b i e n q u e L o u v o i s p e n s e v ide r c o m p l è t e m e n t le pays . L e cor tège des a t roc i tés r e p r e n d : d r a g o n n a d e s , e m b u s c a d e s . L e s t r o u p e s royales , m a l adap t ée s , r éag i s sen t m a l à la guéri l la . L e C a m i s a r d J e a n C a v a l i e r s e m b l e i m p o s e r sa t a c t i q u e e t avec succès e n t r a î n e avec lui t ou t e u n e p o p u l a t i o n a s su rée d e la jus tesse de son ac t ion . G u e r r e popu la i r e , g u e r r e p a y s a n n e su r tou t , r évo l t e des p a u v r e s chevr i e r s con- t re des impô t s injust if iés. L e V i v a r a i s et le R o u e r g u e , p roches , q u o i q u e ca tho l iques , s o u t i e n n e n t les C a m i s a r d s . C e p e n d a n t , le p o u v o i r cen t r a l a u r a gain de cause . A v e c la R é v o c a t i o n de l ' E d i t de N a n t e s , p lus de 25 0 0 0 p e r s o n n e s qu i t t en t le Mid i . O n les r e t r o u v e en H o l l a n d e , en A l l e m a g n e , e n A n g l e t e r r e ( C a v a l i e r dev ien t g o u v e r n e u r de Je r sey) , j o u a n t u n rô le d a n s l ' é c o n o m i e o u l ' a rmée . L e s C é v e n n e s son t oubl iées , le L a n g u e d o c aussi , qu i sub i t u n h ive r f ro id et u n été b r û l a n t , m ê m e le r avage des sautere l les . 1 7 0 9 est à ce t i t re exempla i r e . Le gel grille les oliviers et les mûr i e r s , le v ignob le est dé t ru i t , des i n o n d a t i o n s ef- f acen t des villages. E t p o u r t a n t , se lon son cycle de survie, l 'Occ i t an ie se r e m e t au t ravai l . Les h o m m e s et les bê t e s su rv ivan t s réagissent , re-

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p r e n n e n t espoir , mais le paysage s 'est modif ié . Seules les te r res ri- ches son t remises e n va leur , les ga r r igues et les c aus se s se dése r t i - fient. Le Mass i f c e n t r a l se vide, l a i s san t p a r t i r des b a n d e s d e m i s é r e u x vers les villes o ù ils s e r o n t d é v o r é s p a r les ép idémies . O n voit na î t r e tou t

de m ê m e de pet i tes indus t r i e s ( C a r m a u x , Alès , L a G r a n d e - C o m b e ) ma i s les c a p i t a u x gagnés ne son t p a s ré inves t i s en Occ i t an ie . L e L a n g u e d o c , la G a s c o g n e son t ce t te fois dé f in i t i vemen t satel l isés. L e p rog rè s , les c o m m u n i c a t i o n s d r a i n e n t le me i l l eu r de l 'Occ i t an ie vers le n o r d et

cela t a n t sur le p l a n é c o n o m i q u e que d u p o i n t d e v u e h u m a i n . L e cé lèbre col lège d e So r r èze d a n s le T a r n (où l 'on p r a t i q u e u n ense igne- m e n t c u r i e u s e m e n t m o d e r n e , sans grec ni la t in !) i n t r o d u i t u n e cu l t u r e et u n m o d e d e p e n s é e n o u v e a u x . C e son t d e u x élèves d e ce col lège qu i éc r i ron t l' H i s t o i r e g é n é r a l e d u L a n g u e d o c ( D e Vic et Va i s - set te) , b a s e d o c u m e n t a i r e de t o u t e l 'h i s to i re occ i t ane . L e s au t r e s écoles i n t rodu i sen t s u r t o u t l ' u sage d u f r ança i s et ce la c o n t r e le lat in, p lus que con t r e l ' o cc i t an qu i d e m e u r e la l a n g u e p o p u l a i r e .

C e t t e sco la r i sa t ion — qui ne t o u c h e q u e les c lasses socia les privi- légiées — favor ise le d é p a r t des h o m m e s les p lus ambi t i eux . L ' a v e n i r p o u r e u x n ' e s t p a s en Occ i t an i e . L a vie r u r a l e p a r c o n t r e s ' a n i m e à n o u v e a u : j eux , ba l s et fê tes son t tels q u e n o u s les r e t r o u v e r o n s à l ' a u b e d u XX siècle et q u e le fo lk lo re v a n o u s les léguer . L e c o m p o r t e m e n t re l igieux, p a r ai l leurs, se mod i f i e et s e m b l e se d é t o u r n e r c o m p l è t e m e n t d u fana t i sme . P o u r t a n t , c ' e s t b i en à T o u l o u s e q u e se j u g e r a l ' u n des d e r n i e r s p r o c è s re l igieux : Ca l a s a t t a q u é p a r le zè le sourc i l l eux des p a r l e m e n t a i r e s s u r t o u t s o u c i e u x d ' ê t r e b i e n vus p a r le p o u v o i r royal . P o u r t a n t , p a r a i l leurs et c o n t r a d i c t o i r e m e n t , u n e fois l ' I nqu i s i t i on éloi- gnée, les O c c i t a n s n ' o n t p lu s l ' envie des dévo t ions et l 'on t r o u v e en la p e r s o n n e m ê m e d ' u n a r c h e v ê q u e à T o u l o u s e ( L o m é n i e d e B r i e n n e ) un h o m m e qui ne c ro i t p a s en Dieu . L a R é v o l u t i o n ne f e ra q u e m e t t r e au j o u r les t e n d a n c e s q u e la v io l ence avai t p e r t u r b é e s , ma i s auss i les con t r ad i c t i ons e x e m p l a i r e s qu i f r a p p e n t les p e u p l e s d é p o s s é d é s de l eu r h is to i re .

L a R é v o l u t i o n v u e d ' O c c i t a n i e est c o m p l e x e . L e p a r l e m e n t de T o u - louse qu i p e n d a n t des siècles lu t ta p o u r la l iber té s ' o p p o s e e n fai t aux ré fo rmes . L ' E g l i s e s ' appu ie , elle, sur les masses p a y s a n n e s ignoran tes . E n fait, la bou rgeo i s i e u r b a i n e se p r é p a r e dès ce m o m e n t - l à à p r e n d r e la re lève de l ' E m p i r e et de la R e s t a u r a t i o n : elle i n c u b e ce qu i se ra la r é p u b l i q u e bourgeo ise . E n effet, la R é v o l u t i o n , s u p p r i m a n t l ' A s s e m b l é e t ou lousa ine , ne p e u t g a g n e r ses faveurs . Les dépu té s occ i t an s e u r e n t b e a u fa i re p r e u v e d ' é l o q u e n c e et m e t t r e en v a l e u r l 'o r ig ina l i té occi - tane, ce la n ' e u t a u c u n succès à Par is . L ' O c c i t a n i e fu t d é c o u p é e en m o r c e a u x c o m m e le res te de la F r a n c e et tou t fut fai t p o u r ex t ra i re de l 'o rb i te t o u l o u s a i n e des villes c o m m e M o n t a u b a n , A l b i o u Fo ix , au mépr i s des usages et m ê m e de la réal i té . L a C o n s t i t u a n t e mi t fin

au L a n g u e d o c et à la G a s c o g n e en t a n t q u ' u n i t é admin i s t r a t ive . Les de rn ie r s cap i tou l s qu i t t è r en t le pays . C e u x qui r e s t è r en t fu ren t exécutés à Pa r i s en 1794. P a r con t re , T o u l o u s e fut la p r e m i è r e ville à c rée r sa

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g a r d e na t iona le . D e pe t i tes c o m m u n e s s ' é r igen t m ê m e en pe t i tes r é p u - b l iques locales c o m m e L e P e y r a t en Ar iège . L ' e n s e m b l e f édé ra l e n t r e T o u l o u s e et B o r d e a u x se fê te s y m b o l i q u e m e n t le 4 jui l le t 1 7 9 0 . C ' e s t sans g r a n d e conv ic t i on q u e T o u l o u s e fu t j acob ine , ma i s sur tou t , t ou t e la rég ion se t r o u v a pr ise d a n s les séque l les des guer res rel igieuses . L e s p r o t e s t a n t s f a v o r a b l e s a u x idées r é v o l u t i o n n a i r e s se h e u r t è r e n t à

la c o n t r e - r é v o l u t i o n c a t h o l i q u e . A N î m e s , au m o m e n t des é lec t ions , d e s é m e u t e s f o n t 3 0 0 m o r t s chez les ca tho l iques . C ' e s t d a n s ce c l ima t t rès t r o u b l e q u e s ' in f i l t rè ren t des idées royal is tes . E n fait , le M i d i t o u t en- t ier est t r ave r sé p a r des c o u r a n t s con t r ad i c to i r e s . L a p o p u l a t i o n p a u - vre se révol te . Di r igés p a r J e a n n e la N o i r e , les h a b i t a n t s d u C a b a r d è s d e s c e n d e n t j u s q u ' a u c a n a l et i n t e r c e p t e n t les gra ins . J e a n n e et ses c o m - p a g n o n s son t gu i l lo t inés à C a r c a s s o n n e . Ces t roub le s p o p u l a i r e s o n t c o m m e c o n s é q u e n c e l ' envo i d e d é p u t é s c o n s e r v a t e u r s . Q u e l q u e s - u n s o n t laissé des t races : F a b r e d ' E g l a n t i n e su r tou t c o n n u p o u r sa c h a n - son e t les n o m s qu ' i l a t r o u v é s p o u r le c a l e n d r i e r r évo lu t i onna i r e , C a m - b o n d ' H é r a u l t d ' a b o r d r e s p o n s a b l e des F i n a n c e s d u C o m i t é d e Sa lu t pub l i c et s u r t o u t a r t i s a n d e la chu t e d e R o b e s p i e r r e , et C a m b a c é r è s , p r é o c c u p é p a r sa ca r r i è re sous les d i f fé ren ts r ég imes . C ' e s t d a n s de telles cond i t ions que les idées « g i rond ines » o b t i n r e n t u n g r a n d succès en Occ i tan ie . A N î m e s , p a r exemple , les p a t r o n s p r o t e s t a n t s et c a t h o - l iques s ' a l l i è ren t s o l i d e m e n t c o n t r e les c lasses p o p u l a i r e s . C ' e s t de N î m e s q u e p a r t i t auss i l ' idée, a u m o m e n t de la c h u t e des g i rond ins , d ' u n e r é p u b l i q u e bou rgeo i se , a n t i m o n t a g n a r d e , et d o n t l ' é cho se ré- p e r c u t a f a v o r a b l e m e n t de L y o n à B o r d e a u x . Il s ' ag issa i t s u r t o u t de d é f e n d r e les in té rê t s d ' u n e é c o n o m i e l ibé ra le et bou rgeo i se , f a v o r a b l e à la p r o p r i é t é pr ivée . Mai s le « f r o n t f édé ra l » se t r o u v a c u r i e u s e m e n t brisé p a r l a ville de T o u l o u s e q u i dev in t r é s o l u m e n t j a c o b i n e ( t o u t c o m m e le d é p a r t e m e n t de l 'Hé rau l t ) . E l l e le d e m e u r a d ' a i l l eurs a p r è s la chu t e de R o b e s p i e r r e , a t t i r an t à elle u n e a r m é e roya l i s te e n a o û t 1 7 9 9 d o n t les e spo i r s f u r e n t d i spe r sés lors d ' u n e ba t a i l l e à M o n t r é j e a u . B o - n a p a r t e mi t f in à ces que re l l e s en r a l l i an t à lui l 'Occ i t an i e . O n le voi t ici, L a n g u e d o c et G a s c o g n e ne son t q u e des é l émen t s de la vie pol i - t ique cent ra le . L e s d é p a r t e m e n t s , d é s o r m a i s do tés d e p ré fe t s a u x larges pouvo i r s , v o n t c o n n a î t r e u n e re la t ive p rospé r i t é , g r âce s u r t o u t au b locus con t inen ta l . T o u t ce la fu t c e p e n d a n t de cou r t e du rée . L e s nobles , ré ins ta l lés d a n s leurs d o m a i n e s , d e v i n r e n t host i les à N a p o l é o n p o u r sa r u p t u r e avec le p a p e , les b o u r g e o i s pa r ce que l ' é c o n o m i e l ibé- ra le ne f o n c t i o n n a i t p lus , et le p e u p l e ca r il é ta i t le p r inc ipa l p o u r - v o y e u r d e s a r m é e s .

E n 1814, W e l l i n g t o n fit son a p p a r i t i o n sous les m u r s de T o u l o u s e et fu t accueil l i en l ibé ra teur . L e m a r é c h a l Soult , c h a r g é de le c o m b a t t r e , ne fit guè re p r e u v e de conv ic t i on et se rep l i a su r C a s t e l n a u d a r y o ù il app r i t l ' a rmis t ice . A v e c la f in de N a p o l é o n , la t e r r e u r b l a n c h e allait p o u v o i r s ' é t endre t u a n t j a cob ins et b o n a p a r t i s t e s , l a i ssant la bourgeo i s i e l ibéra le m a î t r e s s e d u t e r r a in et p r é p a r a n t les fu tu rs cad re s po l i t iques du XIX siècle. C 'es t un noble t ou lousa in , Villèle, qui g o u v e r n a p a r

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exemple la France de 1822 à 1830, déclarant bien haut que le Lan- guedoc devait rester à l'écart de la révolution industrielle, préférant en cela le capitalisme foncier dont il était le digne représentant. Villèle prépara à sa manière la Révolution de 1830, tout comme Guizot celle de 1848. Ils ont tous deux bien représenté ce Languedoc surtout rural, attaché à des idées périmées, un passé aboli, alors que le reste de la France changeait pourtant. Le Midi, bloqué dans un conservatisme insignifiant, se laissa doucement oublier, manquant allégrement son entrée dans le XX siècle.

Cette entrée manquée dans le XX siècle, peut-on l'attribuer à tout un peuple, prolongeant la prostration sombre et triste des siècles précé- dents, ou bien à ses représentants parvenus aux plus hautes responsabi- lités de l'Etat, mais clos dans leur esprit de classe et attachés à des privilèges et des profits dont le Midi était écarté ? Plus que jamais le sort du Midi est lié à celui du Nord, et cet aspect s'inscrit sous toutes ses formes : culturelles, économiques, linguistiques aussi. Culturelles parce que Paris, non seulement attire les meilleurs écrivains, mais surtout parce que c'est là que se publie, se diffuse la pensée. Econo- miques, parce que toutes les voies de communications dirigées vers la capitale rendent plus facile un aller-retour à Paris, à partir de Tou- louse, qu'un voyage à Perpignan, et le Midi, voué à la monoculture, est tributaire des fluctuations du marché libéral. Linguistiques et sco- laires car il n'est nulle part tenu compte de la spécificité de la cul- ture occitane et de son support populaire. L'école de Jules Ferry parachève l'édit de Simon de Montfort. Le petit Occitan parlant « patois » est poursuivi et pénalisé par des maîtres à qui on a inculqué la haine du parler maternel — et cela en Occitanie comme en Bretagne ou en Picardie. Toute l'Occitanie sombre dans la morosité culturelle et économique. Le monde rural, sans dynamisme, ne cherche qu'à survivre avant d'aller grossir le sous-prolétariat des villes. Les petites industries elles-mêmes cessent d'exister lorsque l'on décide à Paris qu'elles ne sont plus rentables. A cela il suffit d'ajouter quelques calamités naturelles : sécheresse ou gel tardif, pour avoir un tableau à peu près complet (avec le phylloxéra !) de la phase dépressive du dé- but du XX siècle.

Rouge, ou rose pourtant, l'Occitanie le demeure, mais surtout par réaction contre le reste de la France. Les mentalités, les compor- tements, les discours mêmes demeurant profondément traditionalistes. A demi vidée de son énergie, paralysée par des structures culturelles sclérosantes, anesthésiée par des responsables soucieux de faire car- rière au Palais-Bourbon ou à l'Elysée, l'Occitanie plonge dans la langueur semi-mortelle du sous-développement chronique.

Certes, au milieu de cette grisaille, il est possible de percevoir quel- ques éclairs qui en disent beaucoup sur les capacités de redressement : c'est Carmaux et Albi galvanisés par Jaurès, ce sont les vignerons du Languedoc qui de 1907 à 1977 luttent farouchement, ce sont les mineurs, pas tous occitans, de Decazeville. Mais chaque fois la répres-

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sion ou l'isolement finit par avoir raison des meilleures intentions : « Entre les deux guerres mondiales, écrit R. Brunet, c'est donc une curieuse province que le Languedoc : aussi réputée au-dehors pour quelques opulentes productions comme le vin ou les fruits de la vallée du Rhône, que pour l'ardeur de ses hommes politiques ; à la fois attardée dans ses structures économiques et avancée, du moins en apparence, sur l'éventail politique. Un type original de démocratie méridionale s'est élaboré dans cette province où dominent les voix de gauche et qui se trouve souvent dans l'opposition — mais un type complexe, peu facile à saisir 1 » La crise de la mentalité occitane s'ex- plique de plusieurs manières, mais l'on peut dire que jamais sans doute de toute sa longue histoire, la première moitié du XIX n'a vu une telle « dépression ». L'homme aliéné est obligé de réagir d'une manière ambiguë. Même s'il lui est insupportable d'être un objet manipulé, il n'a pas la maîtrise des décisions et ses réactions ne peuvent que se faire « contre ». Tous les combats ouvriers ou agricoles se sont orientés vers des décisions prises ailleurs. Les combats romantiques se soldent souvent par l'échec. A cela il convient d'ajouter qu'il n'y a jamais eu ou presque de prolétariat ouvrier capable de prendre l'initiative. Même s'il est ouvrier, l'homme occitan continue à avoir des attaches rurales. Le problème étant surtout l'attache avec le pays d'origine, l'ouvrier occitan préfère plaire au patron pour demeurer en place. La main- d'œuvre immigrée perturbe aussi sa stratégie. L'hostilité envers Paris est plus un réflexe qu'une démarche politique conséquente. Quant aux ministres, présidents du Conseil ou présidents de la République (du petit père Combes à Pompidou, en passant par Bourgès-Maunoury ou Auriol), ils n'ont pour la plupart d'entre eux réservé à leur pays d'origine que des beaux discours.

Si nous avons insisté ici sur l'histoire en préface à la littérature et à la parole occitanes, c'est qu'elle est l'épine dorsale de toute la civi- lisation de ce pays. C'est par elle que le peuple s'est réapproprié son identité. C'est grâce à elle qu'une nouvelle génération a pris la parole. Le rôle et l'action de René Nelli, de Robert Lafont se situent à la fois dans — et par — l'histoire, même si par ailleurs ils ont écrit des poèmes ou des pièces de théâtre. Cette prise de conscience, même si elle n'est pas toujours perçue, s'est faite après 1945, après que la Résis- tance ait à nouveau démontré la capacité à la lutte et aussi à la victoire. Le paysage culturel et intellectuel s'est alors transformé. Ce qui n'était jadis qu'agréable folklore et motif de dérisoire rassemblement félibréen, est devenu par nécessité connaissance, science et arme de combat. L'école qui a été facteur de progrès, certes, avec le maître fortement implanté dans son village, mais aussi petite machine à fabriquer des gendarmes pour Lille ou des postiers pour Paris, a créé aussi des besoins et des réalités, qui, repris en charge par l'Université, ont créé

1. « Mutations du XIX et Problèmes du XX », Histoire du Languedoc.

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des s i tuat ions nouvel les . O n perço i t b e a u c o u p plus ici q u e l 'h is to i re de F r a n c e officielle (voyez C h a r l e m a g n e et Saint L o u i s p o u r ne c i ter q u e ceux- l à !) n ' e s t que le ref let d u cen t r a l i sme , vo i re d ' u n e c lasse d o m i - nan t e r e s p o n s a b l e de la fail l i te et d u d é p e u p l e m e n t .

O n a en levé de la m é m o i r e d e s O c c i t a n s l eu r l a n g u e e t l e u r his- toire. Le r e t o u r d e cel les-ci ne signifie plus u n r e t o u r au passé , m a i s la f o n d a t i o n d e ba se s cu l tu re l les et e t h n i q u e s qu i p o u s s e r o n t i r résis t ible- m e n t les O c c i t a n s à p r e n d r e en c h a r g e l eu r civi l isat ion qu i a su rvécu à t an t d ' ava t a r s . L ' h o m m e occ i tan , plus assuré m a i n t e n a n t , est p e u t - ê t r e c a p a b l e d e déf in i r l u i - m ê m e les voies d e son aven i r et d ' o p é r e r la syn thèse e n t r e u n ind iv idua l i sme sourc i l l eux , ma i s s tér i le , et u n e d é m o - c ra t ie f a c t eu r d e p rog rè s . Ce r t e s l ' e x e m p l e de la R é s i s t a n c e est là. M a i s l ' h o m m e o c c i t a n s 'es t à n o u v e a u t r o u v é pr i s au p iège d ' u n t o u r i s m e agressi f et p o l l u e u r qu i s 'est d é v e l o p p é à l ' é che lon indus t r ie l ( d o n c n o n occ i t an) p a r déc i s ion g o u v e r n e m e n t a l e d e p u i s 1963 . C h a n c e de la F r a n c e , se lon l ' exp re s s ion d ' u n e c o m m i s s i o n in te rminis té r ie l le , l 'Occ i - t an i e l 'es t s u r t o u t p o u r les p r o m o t e u r s et les sociétés à succursa les mu l - t iples, mais là, ce qu i jad is a u r a i t d o n n é l ieu à u n d i scours o u à un spec tac le fo lk lo r ique , p o s e i m m a n q u a b l e m e n t d ' a u t r e s ques t ions d ' u n e s ingul ière d i m e n s i o n .

C a r , lo in d e s ' e n f e r m e r d a n s u n r ég iona l i sme é t ro i t , l 'Occ i t an ie p r é - t e n d à n o u v e a u , t o u t en d é f e n d a n t ses p r o p r e s va leurs , a p p o r t e r sa c o n t r i b u t i o n à la cu l t u r e universe l le . L e r e spec t de la d i f fé rence d o n n e a u r a p p o r t en t r e les h o m m e s et les c ivi l isa t ions une h a r m o n i e et u n e fo rce d o n t o n ne p e u t q u e m e s u r e r l ' e f fe t posi t i f . N i e r ce la serai t reve- n i r à des b a r b a r i e s et des v io lences que , en t ou t e c o n n a i s s a n c e , l 'Occi - t an ie rejet te .

Les a u t e u r s qu i t r a v e r s e n t les siècles ici son t p o r t e u r s d ' u n t émoi - g n a g e qu i d é p a s s e les s imples f ron t i è r e s d o n t n o u s n ' a v o n s pas vou lu ici p réc i se r le t r acé ( m ê m e fugitif). A t r ave r s l ' h o m m e d ' O c , c ' es t u n e m a n i è r e de vivre le m o n d e qui a p p a r a î t et le message (s'il y a mes- sage) est celui d u r e spec t des au t res , de l ' ami t ié et de la f ra te rn i té , va leurs a u d e m e u r a n t universe l les qui jus t i f ient cet ouvrage .

Engomer, avril 1977.

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On a toujours considéré les XII et XIII siècles comme ceux de l'apogée de la civilisation occitane, l'âge d'or. Il est vrai que cette période voit incontestablement se développer un peuple, une langue, une manière de voir le monde qui poussent au-delà des frontières (mêmes floues) des hommes et des idées. On pourra toujours s'inter- roger sur les raisons d'une telle éclosion de poètes, chanteurs aussi raffinés en plein cœur d'une Europe barbare dont l'Occitanie ne tar- dera pas à devenir le modèle. La tendresse occitane opposée à l'Europe violente et devenant après son effondrement une sorte de mirage dont nous percevons encore les frémissements. On ne pourra jamais s'em- pêcher de regretter l'effondrement de cet art de vivre qui aurait pu se développer harmonieusement et créer des valeurs qui paraissent aujour- d'hui plus que nécessaires. Mais la civilisation occitane était née trop tôt et elle n'a pas su à cette époque se donner les armes pour se défendre. Nombreux sont ceux qui se sont penchés sur cette civili- sation et qui ont donné des réponses fascinantes tout en la considérant comme paradoxale. Une croisade religieuse et militaire, une coloni- sation sans merci ont en quelques années aboli tout espoir de dévelop- pement. Cependant, et bien que la croisade des Albigeois soit anté- rieure à d'autres événements historiques de grande importance, on peut dire que quelque chose s'est passé là, identique à la chute de Constan- tinople ou à la disparition des Incas. La civilisation occitane n'est pas née aux XI et XII siècles. Son origine remonte à la civilisation gallo- romaine, et c'est pour cela que nous avons tenu à placer au début de ce territoire de parole Sidoine Apollinaire, témoin et acteur d'un monde plein de germe. La guerre, l'Inquisition, toutes les formes possibles de l'aliénation sont ensuite venues, et pourtant le monde de Sidoine, le monde des troubadours ne s'est pas tout à fait perdu, ce qui en soi est tout à fait extraordinaire.

La civilisation occitane, à tort ou à raison, est une civilisation de liberté et de relation, d'harmonie avec le monde. Ce n'est pas par hasard que le catharisme a trouvé en Occitanie le terrain humain qui lui convenait le mieux, dans la mesure où, en s'opposant au fanatisme

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chrétien, il proposait l'amour et la parole à la rapine et à l'Inquisition. Peut-être que les événements qui ont en partie submergé la civilisation occitane ne font que réactualiser sans cesse ces différents messages. René Nelli le souligne bien : « Les victimes présentes, écrit-il, rejoi- gnent celles du passé, les ressuscitent. A chaque persécution ce sont les mêmes bourreaux, les mêmes martyrs qui se réincarnent. En vérité, les vies éphémères des hommes circulent dans l'Homme. »

N.B. En ce qui concerne la poésie des troubadours, pour compléter les quelques extraits que nous donnons ici, nous pensons nécessaire de signaler les nombreuses et très riches anthologies de René Nelli, A. Berry, R. Lavaud, que nous citons dans la bibliographie.