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Le Livre blanc du BCRA [Troisième partie] édition établie par Patricia Gillet, responsable du pôle Seconde Guerre mondiale, département de l’Exécutif et du Législatif aux Archives nationales, 2011 © Archives nationales, 2015. Tous droits réservés. Toute citation, même partielle, de cette source devra être faite sous la forme suivante : GILLET (Patricia), éd., Le Livre blanc du BCRA, édition électronique, Archives nationales, 2015 http://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_053686

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Le Livre blanc du BCRA[Troisième partie]

édition établie par Patricia Gillet,

responsable du pôle Seconde Guerre mondiale,

département de l’Exécutif et du Législatif

aux Archives nationales, 2011

© Archives nationales, 2015. Tous droits réservés.

Toute citation, même partielle, de cette source devra être faite sous la forme suivante :

GILLET (Patricia), éd., Le Livre blanc du BCRA, édition électronique,

Archives nationales, 2015

http://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_053686

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Troisième partie

Crise de la Résistance

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Introduction

Les événements de novembre 1942 sont l’épreuve grâce à laquelle vont s’affirmer à la fois lavigueur de la résistance française et sa détermination à ne pas se laisser éloigner des voiesdémocratiques et républicaines où elle se trouve engagée.Le 8 novembre, les troupes britanniques et américaines débarquent en plusieurs points dulittoral africain. Le désarroi s’empare des autorités vichyssoises. Incapables de saisir cetteultime occasion pour servir les intérêts véritables de la France, elles ordonnent le combat. Lalutte est brève. Trop tard, des renforts allemands tentent d’offrir une résistance plus énergique.Le Maroc, l’Algérie sont libérés, bientôt la Tunisie le sera à son tour.Or, que trouvent les Alliés en AFN ? La terre d’élection de l’esprit de Vichy. Faut-il enaccuser exclusivement l’incompréhension, l’étroitesse de vues de la population françaised’Afrique du Nord ? Non. Les Alliés ont leur part de responsabilité. Depuis 1940, ils ontempêché le gaullisme de pénétrer en AFN, non seulement en opposant un veto plus ou moinsdissimulé aux tentatives des services secrets de la France libre pour ouvrir les yeux auxFrançais d’Afrique, mais encore en envoyant des missions dont le moins que l’on puisse dire,c’est qu’elles ne prêchaient pas pour la croix de Lorraine.Dans ces conditions, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’aventure Darlan se soit trouvéepossible, à ce que, Darlan mort, ce soit autour du général Giraud, chez lequel on espérait plusde compréhension pour les principes de Vichy, qu’une fraction notable de la populationfrançaise d’Afrique du Nord se groupât, sous les applaudissements des autorités alliées, pointconvaincues encore de la nécessité d’exclusivement soutenir l’autorité du général de Gaulle.Par cette politique, ainsi que par la position prise, non tant par le général Giraud lui-même,que par les cercles d’Alger qui tentaient d’opposer son prestige naissant à celui du généralde Gaulle, la France était gravement menacée. Ce n’était en effet rien moins que l’unité sipéniblement acquise de la Résistance intérieure qui était mise en jeu. Si à l’idéal et ausymbole de la croix de Lorraine une autre conception et un autre symbole se surajoutaient ens’y opposant, ce serait porter la scission, l’hésitation et la méfiance dans les rangs déjàclairsemés de ceux qu’animait une foi commune en la patrie.Cette scission, on en eut à Alger pendant près de six mois le lamentable spectacle. Encouragéspar toute cette fraction du State Department et du Foreign Office qui ne comprenait pasl’évolution de la France et interprétait l’effort de la France combattante comme un danger,poussés par les vichyssois apeurés et mal repentis d’Afrique du Nord, les partisans du généralGiraud tenteront de grouper autour d’eux tous les éléments extra-métropolitains etmétropolitains qui ont une raison quelconque pour s’écarter de la France combattante, pourdes raisons d’ailleurs plus souvent personnelles qu’idéologiques.Ils tenteront, lorsque cette première manœuvre aura échoué, de se maintenir dans les cadresélargis de la France combattante, aux places qui leur sont les plus chères, dansl’administration militaire et dans les services secrets. Car le SR de Vichy n’a pas désarmé et ilvoit d’un œil méprisant et jaloux à la fois son jeune rival de Londres. Ce fut sur le planadministratif une des tâches nécessaires pour le BCRA de faire triompher sur la routined’avant-guerre l’expérience neuve et hardie des pionniers de la Résistance. Ce futconcurremment sur le plan patriotique son œuvre primordiale de révéler aux Alliés et à la

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France elle-même le véritable visage de la Résistance, qui n’a rien de commun avec lemachiavélisme de pacotille d’un Darlan, mais qui est un visage révolutionnaire et hardimenttourné vers l’avenir.

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Chapitre I

De la section AFN à la base Alger

Dès juillet 1942, le BCRA avait centralisé dans une section unique les renseignements qui luiparvenaient sur la situation en Afrique du Nord. Il avait tenté à de nombreuses reprises devaincre l'hostilité des services britanniques et américains et de faire dans nos territoiresd'Afrique un travail analogue à celui qui avait donné de si brillants résultats dans lamétropole. Ces efforts, menés à la fois par le Commissariat national à l'Intérieur et le BCRA,n'eurent que de maigres résultats. Seul le poste créé par la France combattante à Gibraltar, etavec lequel le BCRA maintenait un étroit contact, l'alimentait en informations sur l'Afrique duNord. Un officier de marine, qui devait se rendre à Tanger pour établir un contact plus directavec les organisations clandestines du Maroc et d'Algérie, trouva une mort tragique sur lescôtes d'Espagne dans un accident d'avion.Entretemps, le commandant Pélabon, qui connaissait particulièrement bien le climat politiqueet social de l'Afrique du Nord, était chargé du montage de la section AFN, où son adjoint futle lieutenant Nocq, qui rentrait de Gambie où il avait étudié les problèmes africains. Cettesection n'eut que le temps de préparer les cadres de son activité, lorsque le débarquementsurvint et posa de nouveaux problèmes et de nouvelles tâches.Dès que le général de Gaulle se fut rendu en Algérie et que le Comité français de la libérationnationale eut accepté le principe de la fusion, la question se posa de coordonner, de juxtaposerou de concilier l'activité du BCRA et celle des services secrets du général Giraud.Les considérations d'efficacité et de logique exigeaient non seulement l'utilisation conjointedes ressources humaines, volontaires, agents, contacts, mais encore l'exploitation communedes avantages matériels et géographiques. À ce point de vue, l'Afrique du Nord semblait toutedésignée pour servir de base d'opération sur le Midi, Londres sur le Nord. Une considérationd'ordre national venait encore s'ajouter aux autres : l'Afrique du Nord, territoire français,conférait aux services qui y seraient installés une autonomie beaucoup plus grande pourconcevoir, orienter, appuyer les modalités de l'effort français de l'intérieur.Certes, à Alger, tout était à monter : centrale radio, aérodromes d'opérations, recrutement devolontaires, instruction. Mais il semblait que ce ne fût qu'un problème d'organisation et detechnique. Pourquoi ne pourrait-on compter là-bas comme à Londres sur l'appui allié ?Le BCRA délégua le commandant Pélabon en Afrique du Nord pour y monter la « baseAlger ». Ce n'était qu'une première tentative. Les difficultés considérables qu'elle rencontratémoignèrent de la résistance des milieux giraudistes à s'entendre avec la France combattanteet du soutien que ces milieux trouvaient chez les représentants des nations alliées.

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Chapitre II

De la coordination à la fusionNovembre 1942-janvier 1943

Introduction

D’Astier et Frenay trouvent à leur retour une France bouleversée par les événements denovembre 42.Le débarquement américain du 8 novembre en Afrique du Nord et la réplique allemande del’occupation totale de la France dès le 11 novembre devaient transformer de façon profonde lavie et les problèmes de la Résistance. Dès le mois de novembre, cette transformation apparutsous trois aspects principaux.Le premier, dont les indices se faisaient sentir depuis le printemps 42, était la prise de positioncontre l’Allemagne – voire même contre Vichy !... – de certains éléments qui, refusant de serallier au Comité national de Londres et à De Gaulle, trouvèrent chez Giraud la seule attitudequi leur convînt : « faire la guerre » aux Allemands, et la fameuse formule : « Pas depolitique ! » Cette résistance d’une certaine bourgeoisie « patriote » et réactionnaire et de bonnombre d’officiers d’active, notamment de l’armée de l’armistice et de l’amicale créées par legénéral Huntziger, qui s’étaient fort bien accommodés de Vichy et des illusions de juin 40,pouvait difficilement se fondre avec la Résistance tout court.Le deuxième aspect nouveau, qui devait affecter très vite la résistance zone sud, futl’installation en ZNO de la Gestapo. Un accord entre Laval et le chef de la Gestapo stipulaitque Bousquet, chef de la Sûreté, passerait à la Gestapo tous ses dossiers et particulièrementceux des « terroristes » communistes et gaullistes. La répression allait donc s’intensifier, aumoment même où les mouvements de résistance et les services du BCRA partaient sur desbases de travail nouvelles et multipliaient les risques pour accroître leur efficacité.Enfin, [le] troisième aspect, qui devait se révéler comme le plus important de loin, futl’institution du Service du travail obligatoire, autrement rigoureux que les premiers essais dela « relève ».Dès avant les événements d’Afrique du Nord, les accords Laval-Sauckel prévoyaient lalivraison à l’Allemagne de 150 000 spécialistes avant le 15 octobre. Au début octobre, le Particommuniste, le Mouvement ouvrier français et les mouvements de résistance, aidés par laDélégation et par le BIP, déclenchèrent une campagne de propagande violente contre le départvolontaire des ouvriers. Des tracts signés des trois mouvements, du Mouvement ouvrierfrançais et du Parti communiste étaient distribués dans les usines aux ouvriers et aux patrons.Cependant, ni les communistes, ni les syndicalistes des mouvements n’osaient prendre laresponsabilité de la grève générale. Mais lorsque les listes d’ouvriers requis parurent dans lesusines lyonnaises, le 16 octobre, la grève éclata spontanément, environ 13 000 ouvriers des

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environs de Lyon se mirent pendant 48 heures en grève ; en Savoie, à Limoges, desmanifestations de solidarité éclatèrent.Les mouvements et le Parti communiste lui-même, qui avait donné des consignescontradictoires, se trouveront débordés. Finalement, le 17 au soir, une réunion à laquelleprenaient part des représentants des trois mouvements et un délégué de chacune des usinesrédigea un tract proclamant les grèves nationales et signé conjointement de Libération,Combat, Franc-Tireur, Front national, Parti communiste et Mouvement ouvrier français :

Le mot d’ordre de la Résistance :

Grèves nationales

La classe ouvrière française montre le devoir : elle a dit non à Hitler. Elle a dit non à la relève, àla réquisition, au travail forcé pour l’ennemi.Tous les Français doivent être avec elle, à ses côtés, dans la lutte, dans la résistance, pour lavictoire.La défaite de l’Allemagne est certaine.D’accord avec le Comité national de la France combattante, d’accord avec le général de Gaulle,les mouvements de résistance ont réalisé l’union. Ils vous disent : Sabotez les transports pour l’Allemagne.Par la grève : faites bloc autour des ouvriers qui ont refusé de partir en Allemagne.Par la grève : exigez la libération des emprisonnés.Par la grève : faites mettre à la disposition du peuple les stocks de vivres destinés à l’Allemagne.À chaque nouvel appel pour l’Allemagne : la grève.À la moindre mesure policière : la grève.À toute tentative pour affamer le peuple : la grève.La preuve est faite : la grève, arme traditionnelle de la classe ouvrière, est devenue le nécessaireinstrument de la libération nationale.Partout où la grève a été cohérente, Vichy et la Gestapo ont reculé.Organisez-vous dans les entreprises, dans les ateliers, dans les administrations.Entrez en rapport avec la résistance française.Mobilisation de tous les patriotes contre les départs en Allemagne.Grève nationale pour la Libération.

Libération , Combat, Franc-Tireur, Front nationalParti communiste français

Mouvement ouvrier français

Les événements ne tardèrent pas à leur donner raison ; la grève fut maintenue à cause del’arrestation d’une centaine de cheminots réfractaires à Oullins ; le lendemain, les ouvriersétaient relâchés et les listes de requis enlevées. C’était la victoire de la grève.Le 17 au soir, la BBC rendait hommage aux ouvriers grévistes, lançait un appel demobilisation générale de tous les Français au nom du Conseil national de la Francecombattante et invitait les chefs de la Résistance à passer à l’action.Quelques jours plus tard, des comités de grève et de solidarité se constituaient dans tous lesgrands centres de la zone sud ; Rex, rentré à Lyon, mettait 20 000 frs à la disposition desréfractaires. Il fut décidé que la direction des opérations de grève, de sabotage et d’actioncontre la relève (attentats des groupes francs) serait donnée au Mouvement ouvrier français.Cette première expérience d’une action coordonnée entre tous les mouvements etorganisations ouvrières était un succès : l’union, spontanée d’abord, concertée ensuite, faisaitses preuves.

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Le 11 novembre 42, Vidal prenait officiellement le commandement en chef de l’AS.Le 27 novembre 42, le comité de coordination se réunit à Lyon. Ses quatre membres, d’Astier,Charvet, Lenoir, Rex, assistés de Vidal, se mettent à la tâche. Deux problèmes essentiels sontà régler tout d’abord : le fonctionnement de l’AS, l’exécution de la coordination à l’échelonnational.

Création du SOAMIl fallait adapter à la nouvelle organisation les services de liaison opération et radio. Nousavons vu que Rex s’était occupé, avant même la création de l’AS, de décentraliser le serviceopératoire. Les mesures prises sont consacrées dans une note rédigée par Charvet etapprouvée au comité de coordination, créant le Service d’opérations aériennes et maritimes(SOAM). La direction du SOAM est confiée à Sif. Les trois agents de liaison sont incorporésaux organismes régionaux de l’AS.La zone sud est divisée en trois zones, groupant chacune 2 des régions de la nouvellerépartition : Zone II Est Sif, chargé des régions de Lyon et de Marseille (R1 et R2)Zone II Centre Kim, chargé des régions de Limoges et Clermont-Ferrand (R5 et R6)Zone II Sud Frit, chargé des régions de Montpellier et Toulouse (R3 et R4)

Chefs régionaux d’AS et création de l’état-major nationalLes chefs régionaux AS furent nommés parmi les chefs régionaux des mouvements, ce quipermit au comité de coordination de disposer d’un personnel « dirigeant » plus nombreux, laconcentration des cadres libérant ainsi des personnalités qui furent versées à l’état-major deVidal. La grande difficulté dont souffraient jusqu’alors les mouvements – pénurie de cadres –se trouva ainsi partiellement résolue.

Constitution des comités de coordination régionaux, composés des membres des bureauxparamilitaires régionaux des trois mouvements, chargés d’appliquer à leur échelon lesconsignes de coordination et d’inventorier leurs effectifs militaires.

La question de l’Armée secrète va occuper Rex au premier chef jusqu’au début de l’année 43.Le comité de coordination se réunit chaque semaine. Les différends sont loin d’être apaisés :Charvet continue à demander la fusion totale de toutes les branches d’activité. D’Astier et Rexs’y opposent pour des raisons de sécurité, que l’occupation allemande de la zone sud et lamenace de la Gestapo rendent tous les jours plus impératives.Autre sujet de contestations, le choix de Vidal comme chef de l’AS. Charvet, qui à Londresdéjà s’était proposé pour ce rôle, attaque le général Vidal dès la première réunion du comitéde coordination, demandant même son limogeage immédiat et proposant de prendre sa place.Malgré l’opposition formelle de d’Astier et de Rex, cette animosité perpétuait, au momentmême où s’engageait le travail délicat de l’unification, cette atmosphère de polémiques et de« crises » continuelles qui avait déjà tant retardé les réformes.Charvet menaçait régulièrement de donner sa démission, affectant de remettre en question desdécisions prises en sa présence même, à Londres, un mois plus tôt. Ces dissensions nemanquaient pas d’être connues de ses partisans et le travail de Vidal commençait dans lesconditions les plus difficiles.

Transmissions radio

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Chacun d’eux réclame la liaison directe avec Londres et se plaint du « monopole » de Rex,bien qu’ils eussent eux-mêmes admis en octobre l’organisation d’une centrale radio communeà tous les mouvements et services.En effet, depuis août 42, poussé par le manque d’opérateurs et les besoins de liaison sanscesse croissants, Rex avait proposé la mise en commun du matériel et du personnel radio ; uneboîte aux lettres communes où arrivaient les câbles de tous servait de centrale et un agentaffecté à cette centrale répartissait entre les opérateurs le trafic à faire passer.En janvier 42, les 5 organismes intéressés étaient le SOAM, le BIP, l’AS, la Délégation(service de Rex) et les chefs de mouvements. À défaut de tout autre plan d’organisation, leprojet de centrale proposé par Cordier (Bip W), secrétaire de Rex, et approuvé par Nestor,s’organisa sous le nom de WT (Wireless Transmissions). Le réseau WT, chargé de desservirles cinq organismes existants (AS, BIP, Rex, SOAM et mouvements) comportait troisbranches à trafic à peu près égal : l’un pour le SOAM ; l’un pour le BIP ; le troisième pour lesautres services, dont le trafic était moins abondant.Les 3 centres correspondants furent, d’après les nœuds ferroviaires principaux du Sud-Ouest,Grenoble, Roanne et Lons-le-Saunier.À la suite de l’arrestation de Nestor à Grenoble, avec ses deux radios et 5 ou 6 postes, il falluttrouver une autre ville d’émission : Salm W prit la direction de la nouvelle centrale àMontélimar ; Frit W fut chargé de celle de Roanne ; Montaut fut chargé de celle de Lons-le-Saunier ; Cordier, chef de la WT, centralisait les câbles arrivée et départ et répartissait letrafic. Chaque centrale comprenait, outre l’opérateur de Londres, un radio recruté sur place et3 courriers, et 3 postes radios (une batterie). Cordier, envoyé en zone nord en avril, futremplacé par Salm W qui, rappelé en Londres en juin, passa sa succession à Montaut.En août 43, Montaut se faisait arrêter avec ses radios, ainsi que Gauthier (Beauregard), chargédes constructions techniques du service radio (camouflage de postes, réparations, constructiondu poste émetteur du Vercors).Ces arrestations mirent fin à la WT. Les trois opérateurs qui en [r]échappèrent furent repris parle commandant Panier lors de la réorganisation d’août 43.Le trafic moyen de la WT de février à août 43 fut de 300 câbles par mois environ.

La réorganisation du SOAMLe SOAM correspondait à la création de l’Armée secrète. À mesure que cette créationdevenait une réalité et que l’organisation régionale remplaçait la hiérarchie verticale desmouvements, les chefs d’opération rencontraient des difficultés nouvelles. Outre le manqued’équipes spécialisées dont nous avons parlé déjà, se posait le problème de la répartition desterrains. Jusque-là en effet, les agents de liaison avaient « prospecté » toutes les régions zonesud pour le mouvement auquel ils étaient rattachés chacun.Il fallut désormais regrouper les terrains existants et les partager par régions. Ce partage futlong et difficile, et cela d’autant plus que malgré toutes les promesses, des équipes régulièresn’étaient pas toujours affectées aux chefs SOAM1.D’autre part, pour des raisons de sécurité, Rex et Sif avaient toujours refusé que le SOAM fûtincorporé aux mouvements ; lorsque l’AS unifiée commença de prendre corps, il en futautrement et le service opérations devait se rattacher à elle, ou plutôt à son 4e bureau.Le SOAM fut réorganisé en janvier 43 pour s’incorporer ainsi, le jour où la fusionparamilitaire serait effectuée, à l’organisation générale.

1 [Note du Livre blanc] Rapport de Sif de mai 43 : « La note de création rédigée par Nef (Frenay) et approuvéepar le comité de coordination prévoyait le passage des équipes AS au SOAM. Ce passage n’a jamais eu lieu, bienqu’il ait été prévu que les jours J, ces équipes étaient automatiquement et logiquement remises à l’AS. »

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Il prit le nom de COPA en avril 43 (Centre d’opérations de parachutages et d’atterrissages).Sif prévoyait le remplacement des chefs régionaux et de lui-même par des officiers que leBCRA préparait à ces missions.Trois nouveaux chefs d’opérations issus de la section A/M du BCRA furent envoyés enmai 43. La nouvelle répartition devait se faire comme suit : Luc (Lt Larat) prit les régions R1et R2 (centre : Lyon) ; Arthur (Lt Poilly) prit les régions R3 et R4 (centre : Toulouse) ; Jac(Lt de Beaufort) prit les régions R5 et R6 (centre : Clermont-Ferrand), remplaçant Kim, chargédu BOA en zone nord.Luc fut désigné comme remplaçant de Sif, rappelé à Londres comme chef national COPA.Extension des opérations à partir de février 43.

Le budget de la résistance zone sudLes décisions d’octobre 42 à Londres avaient renouvelé la mission, confiée à Rex, dedistribuer le budget destiné à l’action de la zone sud – mouvements et services techniques.Durant les premiers six mois de sa mission, Rex reçut assez peu d’argent ; au fur et à mesuredu développement des mouvements, de l’accroissement du nombre d’agents en France et desdifficultés nouvelles de la vie clandestine (relève, maquis, subvention aux familles desmilitants arrêtés, etc.), ces sommes furent augmentées progressivement. En septembre 42,Libération et Combat recevaient respectivement 600 000 frs par mois, Franc-Tireur, 400 000frs. Ces chiffres allèrent croissant tous les mois jusqu’en août 43. En février, les troismouvements reçurent respectivement 2 millions pour Combat et Libération, 1 million pourFranc-Tireur. Le comité de coordination, pour le comité directeur, fournissait tous les mois àRex leurs prévisions de dépenses, que celui-ci transmettait à Londres. Un bilan dressé en juin 43 montre la répartition de ces sommes entre les mouvements et lesservices centraux.

En janvier 43, Rex propose au comité de coordination de consolider les mesures decoordination en assignant à chacun des membres du comité une tâche particulière luipermettant d’opérer la fusion plus directement, dans le cadre de ses activités.Pour calmer le différend Frenay-Vidal, le chef de Combat fut adjoint au chef de l’AS pourtoutes les questions militaires ; en l’absence de Vidal, c’est lui qui prenait le commandementde l’AS.D’Astier fut désigné comme responsable, pour les trois mouvements, de l’activité politique(AP) et de propagande. Lenoir contrôlait les services de renseignements (liaison avec Gallia),les services de sécurité (faux papiers) et les services techniques (courriers, photos, etc.).Cet équilibre des forces permit d’éviter des conflits et des discussions inutiles et aboutit à ladécision prise le 26 janvier 43 et approuvée à Londres de donner un statut plus précis àl’organisme qui concentrait la direction des mouvements.Le comité de coordination fut remplacé par le comité directeur des mouvements de résistanceunifiés, organe de l’ « unité de commandement de la Résistance ».

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Chapitre III

De la fusion au Conseil national de la RésistanceJanvier-mai 1943

Résultats de l’unité de commandement

En janvier 1943, la Résistance est en plein développement. La Gestapo lui laisse encore unetranquillité relative. L’organisation des services d’opérations et de transmission ouvre une èrede liaisons régulières et continues avec Londres. Les consignes de fusion des services demême nature commencent à être appliquées.L’unité de commandement impose une trève aux querelles particulières et permet laconstitution d’un état-major AS ; Rex et Vidal jettent en zone nord les bases d’uneorganisation parallèle : fusion des éléments paramilitaires des mouvements à l’échelon ducommandement, division régionale, avec un chef civil et un chef militaire commun pourchaque région.L’état-major de l’AS, commandé par un comité directeur (composé des anciens chefsparamilitaires de mouvements à l’échelon national, assistés de conseillers tels que Didot,organisateur des sabotages SNCF, Veny, commandant des groupes paramilitaires du réseauFroment), est organisé selon le type orthodoxe de l’armée régulière en quatre bureaux. Iltravaille en liaison avec les branches d’action politique de Libération, le NAP et le ROP deCombat.À l’échelon régional, le découpage de la zone sud en secteurs calqués sur les régionsadministratives de Vichy avait été accepté par tous les mouvements, [ainsi que] les modalitésde fusion de tous les éléments paramilitaires sous un commandement unique, désigné parmiles chefs régionaux de MR : dès janvier 43, cinq sur les six régions étaient pourvues d’un chefunique :

R1 (Lyon) : chef régional Combat ;R2 (Marseille) : le général Schmidt ;R3 (Montpellier) : chef régional Combat ;R4 (Toulouse) : chef régional Libération ;R6 (Clermont-Ferrand) : le colonel de Jussieu (pseudo Pontcarral).

Le comité directeur et Vidal avaient, dès novembre 42, rédigé et diffusé des instructionsmilitaires prévoyant le rôle de l’AS au moment du débarquement. Ces instructions, envoyéesà Londres et étudiées par la section A/EC du BCRA, servirent souvent de base pour les plansd’action au jour J, notamment en ce qui concerne l’utilisation des « réduits » dans les régionsde montagne.

Rapports de l’AS et de l’armée de l’armistice

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Au lendemain du 11 novembre et de la dissolution de l’« armée de l’armistice », les agents duBCRA et les responsables paramilitaires s’efforcèrent de récupérer une partie au moins desarmes camouflées par l’armée et le 2e bureau EMA de Vichy et dont on évaluaitapproximativement la valeur globale à 100 milliards de francs. Au début de décembre 42, uneordonnance allemande punissait de mort, à partir du 14 décembre, tout détenteur de dépôtsd’armes.Cette mesure facilita les premiers transferts d’armes dont les responsables de mouvementsavaient pris l’initiative ; une centaine de tonnes de matériel put être récupérée et cachée ;mais, le 13 décembre, un ordre de Laval aux préfets régionaux d’indiquer aux autoritésallemandes les dépôts se trouvant sous leur gouvernement met fin au transfert « officiel » ;depuis lors, seules les opérations locales purent se faire, tandis que les autorités civiles etmilitaires de Vichy livraient chaque jour des dizaines de tonnes de matériel aux Allemands.Le seul organisme qui put profiter des dépôts constitués pendant deux ans fut l’ORA, dont leséléments étaient en contact avec le service du camouflage de l’EMA de Vichy.Quant au personnel supérieur de l’armée de l’armistice, malgré quelques entrevues aveccertains responsables de l’AS, leurs propositions de fournir une partie de leurs cadres à cettedernière restèrent généralement sans effet, les dirigeants de l’AS jugeant que ces nouveauxéléments, n’offrant aucune garantie politique, seraient plus dangereux qu’intéressants.

Fusion du groupe Froment dans l’ASLe réseau de renseignement créé par Fourcault à Marseille en septembre 40 s’était élargi sousla direction de son frère et de l’avocat socialiste Boyer. Il comportait, à côté d’une brancheSR, une branche politique qui avait essentiellement contribué à la reconstitution du Partisocialiste sous le nom de Comité d’action socialiste (CAS) et une branche paramilitaire solideet nombreuse, couvrant trois régions (R1, R2 et R4) et comptant environ 20 000 hommes,commandés par le colonel d’infanterie Lefèvre (pseudo Veny). La question de la fusion, ausein de l’AS, des « groupes Veny » se discutait depuis novembre entre Froment et lesresponsables militaires du comité de coordination. Froment demandait que la fusion militairefût accompagnée de la représentation politique, au comité de coordination, du groupeFroment. Les dirigeants de Combat, avec qui Veny traitait, rejetaient cette proposition pourdeux raisons. D’abord, parce que Froment, en tant que chef de réseau, était rattaché au BCRAet ne pouvait en conséquence avoir l’indépendance d’un chef de MR. En deuxième lieu, etceci montre l’étendue que prend à cette époque le problème des partis politiques dans leursrapports avec les MR, parce que le groupe Froment était l’émanation d’un parti politique, sonactivité de résistance étant confondue avec celle du CAS : fallait-il donc admettre Froment aucomité de coordination en tant que chef d’un mouvement de résistance ou en tant quereprésentant du parti SFIO ?Après de longs mois de discussions, la question de l’intégration des « groupes Veny » dansl’AS fut décidée et Froment reçut la promesse d’être accepté au comité de coordination ; cefut en tant que mouvement de résistance (France au Combat) que cette représentation fut enfinacceptée au comité directeur zone sud, en septembre 1943, après le voyage à Londres des2 chefs de l’organisation, Boyer et Defferre.

Opérations – Sabotages – TransmissionsAu début de l’année 43, les liaisons aériennes deviennent vraiment régulières : deseptembre 42 à février 43, aucun atterrissage n’avait pu se faire en zone sud, faute d’équipes.Depuis la constitution du SOAM, les chefs d’opérations prirent le parti de rechercher lesterrains par des équipes recrutées à cette fin et de demander ensuite leur accord aux

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mouvements. À partir de février 43, le COPA assura une dizaine d’opérations d’atterrissageset parachutages par mois : chiffre bien inférieur à ses possibilités en France, puisque dèsjanvier 43, le COPA proposait et faisait accepter par SOE une moyenne de 12 terrainsd’atterrissages et 30 à 40 terrains de parachutages. Les difficultés venaient à la dernièreminute des services britanniques ou des questions de météorologie.Les besoins de personnel se faisant de plus en plus sentir en France, la section Action duBCRA se trouve obligée, faute de recrutement possible en Grande-Bretagne, de faire partircomme chefs de région du COPA ses propres officiers. Les lieutenants Larat (Luc) et Poilly(Arthur) sont parachutés dans la nuit du 23 au 24 mars. Ils remplacèrent respectivement Sif etFrit, qui se faisaient arrêter quelques jours après leur arrivée.Le lieutenant de Beaufort (Jac) part par Lysander en avril pour remplacer Kim.Dès le mois d’avril 43, la réorganisation du COPA portait ses fruits. Au cours de la luned’avril, la section Action réussissait deux doubles atterrissages de Lysanders et un atterrissageHudson, qui ramenaient notamment à Londres d’Astier, J.-P. Lévy (Lenoir, chef de Franc-Tireur), Daniel Mayer (Villiers), secrétaire général du CAS, Marcel Poimbœuf et Buisson, dela CGT, Pierre Viénot, Queville et 30 parachutages (15 pour chaque zone), représentantl’envoi de 147 containers.Parallèlement, les groupes de l’AS – sizaines et trentaines, mieux encadrées et contrôlées –,commencent à faire leurs preuves. L’envoi d’instructeurs de sabotage formés à Londrespermet aux anciens groupes francs des mouvements de réussir des sabotages véritablementefficaces, passant ainsi des actions de propagande sur des personnes ou des siègesd’organisation ennemis à des sabotages capables de désorganiser véritablement l’économie deguerre allemande.Le premier sabotage de ce genre fut réalisé par des équipes de Franc-Tireur, sous la directionde Frit A : ce fut l’attaque de l’usine Francolor à Roanne, le 25 décembre 42.Les transmissions s’amélioraient peu à peu, malgré le manque de radios et les besoinscroissants des organismes de résistance. Nestor organisait les liaisons radios du comité decoordination. D’autre part, le BCRA faisait venir à Londres en liaison, le 26 janvier 43, enmême temps que Frédéric, un technicien radio contacté par le Ct Manuel, Fleury (pseudoPanier) qui mettait sur pied, avec les services britanniques, l’organisation décentralisée qui futappliquée quelques mois plus tard.Au début mars, le BCRA obtint des services britanniques la promesse de 24 batteries, dont 10furent envoyées par la lune de mars.

Les problèmes nouveaux

Le problème politiqueNous avons vu comment, aux premiers temps de la Résistance, les mouvements s’étaientcréés en dehors des partis, avec des hommes souvent sans passé politique et grâce à unrecrutement forcément personnel. Nous avons vu aussi que, tout naturellement, cesmouvements avaient attiré chacun, par leur attitude, leurs journaux, leur personnel dirigeant,telle ou telle fraction de la pensée politique, sans que ces préférences fussent exclusives ousystématiques.Jusqu’au milieu de 1942, les mouvements avaient été les seuls à parler au nom d’une penséepolitique résistante, en dehors du Parti communiste qui depuis l’été 41 était entré dans la lutteclandestine.

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La situation change à la fin de l’année 42 : le CAS, dont beaucoup de membres militaient déjàdans les mouvements de résistance et notamment au sein de Libération, travaille à reconstituerdans toute la France des formations socialistes et résistantes. Le parti radical-socialiste faitégalement, bien qu’avec un succès beaucoup moins grand, des efforts dans ce sens. Enfin, laCGT, divisée au début de l’Occupation par la trahison de certains chefs, a pris assez vite uneactivité résistante, menée par Léon Jouhaux, Saillant, Lacoste, Charles Laurent, GastonTeyssier, etc. Le Mouvement ouvrier français, dont l’action se révèle à l’occasion des grèvescontre le départ forcé en Allemagne, groupe ceux des syndicalistes qui sont décidés à entrernettement dans la lutte contre Vichy. À mesure que la Résistance s’étend, on verra cedualisme des mouvements de résistance et des partis s’affirmer et poser un problème nouveau.Après novembre 42, tout le pays devient « potentiellement » résistant. Si la proportion devéritables combattants clandestins, ayant sacrifié leur temps, leur travail et leur vie, est encoreinfime, on peut dire déjà que l’attitude générale du Français a subi une transformationradicale. Peu de gens connaissent encore l’existence et l’activité exacte de la Résistance.Presque tous « se doutent de quelque chose », beaucoup « sont prêts à aider » – dans unecertaine mesure – et nombreux sont ceux qui déjà pensent à l’avenir, c'est-à-dire cessent derenier leur passé.On comprend que cette atmosphère nouvelle, si elle facilite le recrutement des combattantsvéritables de la Résistance, si elle permet aux agents de Londres, aux équipes de l’AS, auxradios, etc. de trouver enfin des abris, des complicités, favorise également le retour aux idéespolitiques d’hier, sous forme de projets pour une vie politique de demain.Les partis politiques, épurés et orientés vers la lutte, sont conscients de leur force. Ils ont déjàleurs martyrs. Ils ont leurs troupes, ils ont chacun leur programme, un programme quis’inspire des nécessités nouvelles et du désir de rénovation unanime.Cette attitude nouvelle est exposée pour la première fois à Londres par le commandantManuel, chargé par le BCRA d’une mission d’inspection en zone sud en novembre-décembre 42. Il y rend compte, pour l’illustrer, d’une conversation avec Daniel Mayer(pseudo Villiers), secrétaire général du CAS, qui résume ainsi la position prise par les partisrésistants : « Il faut dès maintenant que les représentants des différents partis politiques etmouvements syndicaux, ayant résisté depuis juin 40, et qui vont de Marin à Thorez, soientadmis à participer à l’action clandestine en France sur le plan politique, moyennant quoi cespartis verseraient leurs troupes à l’Armée secrète des Forces françaises combattantes. Ainsi, lejour de la Libération, le général de Gaulle aura automatiquement la caution de l’unanimitéfrançaise, figurant par ses représentants à ses côtés ».D’un autre côté, ces partis politiques qui désirent collaborer à la Libération craignent, de lapart des mouvements de la Résistance, une sorte d’ostracisme à leur égard. Les formules decertains journaux clandestins, englobant dans la même méfiance toutes les formes de vieparlementaire et rejetant sur les hommes et les idéologies de la IIIe République, sansdistinction, la responsabilité de la catastrophe, n’allaient pas sans effrayer les partisans, pourl’avenir, d’un régime démocratique.La maladresse de certains dirigeants de mouvements, leur hostilité pour tout ce qui rappelaitla vie politique d’avant 39, le simplisme et le caractère réactionnaire ou « technocrate » desthéories adoptées par certains mouvements de résistance (certains articles de Combat, le projetde constitution de l’OCM, etc.) justifiaient partiellement le reproche adressé aux hommesnouveaux de la Résistance de vouloir créer un « parti unique » dans la France de demain.L’origine et l’occasion du conflit avaient été la distribution aux ouvriers lyonnais,le 16 octobre 42, d’un manifeste de grève contre le départ en Allemagne, dont nous avonsparlé au chapitre précédent et qui portait, outre la signature habituelle des trois mouvements

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de résistance – Franc-Tireur, Combat, Libération –, celles du Parti communiste français et duFront national. On s’étonna qu’une manifestation politique de la Résistance acceptât, àl’exclusion des autres partis, l’adhésion du Parti communiste et ce, non en tantqu’organisation clandestine (la signature du Front national eût suffi en ce cas), mais en tantque parti politique.Les partis socialistes et radicaux, la CGT résistante réagirent violemment contre ce quipouvait apparaître comme un acte calculé, le CAS et les syndiqués avec d’autant plus de droitque la majeure partie de leurs militants et leurs cadres travaillant au sein des mouvements derésistance avaient accepté la discipline de la Résistance et n’essayaient pas de « débaucher » àleur profit des éléments de premier ordre.La question politique était posée : on craignait qu’elle ne fût résolue au seul profit du Particommuniste.

Le problème GiraudNous en avons vu déjà la naissance et les caractères. Aux résistants de la première heure, pourqui la libération militaire n’est qu’une étape préliminaire et obligatoire à la libération politique– et qui ne distinguaient pas entre ces deux aspects nécessaires de la lutte –, se joignent,depuis fin 42, et surtout depuis l’existence à Alger d’un gouvernement militaire rallié auxAméricains, de nouveaux combattants, ou plus exactement une nouvelle armée, l’armée deVichy, passée dans le camp des Alliés. La réaction française devant le problème Giraud / De Gaulle fut violente et nette ; nousn’insisterons pas sur ces faits trop connus. Mais à côté de la majorité, unanime à s’indignerdes procédés politiques alliés, du sort réservé aux résistants véritables d’Afrique du Nord et dela place accordée aux officiers de Vichy dans l’armée nouvelle et au personnel pro-allemanddans le nouveau « gouvernement » de l’Afrique libérée, une fraction de l’opinion française,celle-là même qui avait été vichyssoise par opportunisme ou par crainte du communisme,trouva une raison d’espérer dans le fait de ce gouvernement d’Alger, de cette arméed’Afrique, reconnus par les Alliés, au moment même où De Gaulle et la France combattantevivaient les heures les plus difficiles. L’affaire était d’une admirable clarté. Tous les élémentsrésistants français, qu’ils fussent actifs ou encore passifs, ressentaient la dualité Londres-Alger comme une injure à leurs sacrifices et une menace à leurs espoirs les plus essentiels.Tous ceux qui avaient accepté Vichy comme un « moindre mal » voyaient dans le fait d’Algerla justification de leur attitude passée et la garantie d’un « ordre » futur compatible avec laguerre contre l’Allemagne, mais sans porter les conséquences politiques et démocratiques surlesquelles De Gaulle et la résistance « gaulliste » avaient pris position.2

Jamais problème politique ne fut aussi nettement posé. Le slogan des giraudistes, « Pas depolitique », se traduisait pour ses partisans comme pour ses ennemis par l’intention à peinedissimulée de ne renoncer à aucun des « privilèges » et des retours en arrière que Vichy leuravait accordés.La menace réactionnaire créée par l’armée Giraud oblige la résistance de France et deLondres à faire un pas décisif. Politique, elle l’est depuis juin 40, par ses buts définitifs et parson esprit ; l’urgence des problèmes immédiats, la présence de l’ennemi sur le territoire, lanécessité d’une propagande d’unité en face de la division et du désarroi l’ont parfoisempêchée jusque-là de s’exprimer nettement sur les problèmes de l’avenir. Depuisnovembre 42, ces considérations sont balayées par la menace de cette nouvelle dissidence de

2 [Note du Livre blanc] « Ceux qui s’étaient résignés à collaborer avec les Allemands par peur du bolchevismeont pu ou ont cru pouvoir changer de camp et enfin unir leurs sentiments anti-allemands avec leurs sentimentsanti-russes » (rapport du Ct Manuel – BCRA 2 698).

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droite, qui a pour elle les appuis alliés, l’armement et une apparence de légalité qui troublecertains esprits. Désormais, les Français qui veulent se battre sont tous obligés de choisir :ceux de l’intérieur, entre la résistance née avant le débarquement d’Alger, tout entière derrièrele général de Gaulle, et les organisations nouvelles affiliées à l’ancien SR de Vichy, ceux quiparviennent à gagner l’Espagne, entre Londres et Alger.Ces deux problèmes qui coïncidaient dans le temps étaient comme on voit aussi différents quepossible. Ils appelaient cependant une solution commune.À son retour de mission, le commandant Manuel exposait ces deux sources de divisionnouvelles : menace d’accaparement au profit d’un seul parti des activités politiques de laRésistance ; menace d’accaparement au profit de la réaction vichyssoise de ses activitésmilitaires. Problèmes bien différents, mais qui appelaient une solution commune, donnant unevéritable unité aux forces démocratiques françaises.Au début de l’année 1943, le BCRA envoyait un rapport au Commissariat national àl’Intérieur, où il proposait la création d’un organisme de direction politique de la Résistance,dont les membres seraient l’émanation des trois grandes forces morales du pays : mouvementsde résistance, partis politiques résistants, mouvements ouvriers.Les représentants de ces diverses organisations siégeraient sans mandat impératif et leur rôlen’exclurait en rien celui des comités de coordination des mouvements de résistance dans lesdeux zones.Ils devaient former une sorte de conseil de direction, porte-parole de la pensée françaiserésistante, qui prendrait position au nom des organismes divers de la Résistance sur lesproblèmes généraux français, politiques ou d’action. Il dresserait ainsi, en face d’une minoritéhésitante ou ralliée au giraudisme, l’expression unanime de tous les Français soucieux derénovation politique et sociale et décidés, quelle que fût leur tendance, à étudier unprogramme d’avenir commun.Les sondages faits auprès des partis politiques par le commandant Manuel en France, à la finde l’année 42, puis par Brossolette et le colonel Passy, en février-mars 43, et pendant toutecette période par Rex, le grand promoteur du projet, qui fit en janvier 43 une tournée en zonenord pour préparer le terrain, définirent peu à peu, malgré les objections et les réticences, laformule de cette « concentration » nouvelle de la Résistance. En particulier, aussi bien Rexque Brossolette et Passy exigèrent des partis, qui obtenaient ainsi les garanties politiquesqu’ils réclamaient, de contribuer en revanche à l’action clandestine menée par lesmouvements, c’est-à-dire de verser à l’AS3 leurs éléments militants capables de résistanceactive. La collaboration avec les FTP, qui jusque-là avaient toujours mené la lutte séparément,était particulièrement souhaitée et la mission Passy-Brossolette s’en préoccupa au premierchef.Du côté des mouvements de résistance, la tâche était plus difficile encore. Il fallut amener leschefs de la Résistance à accepter cette situation nouvelle, qui donnait à des organismesbeaucoup moins engagés qu'eux dans la lutte une place équivalente à celle des mouvements,qui se considéraient jusque-là, et parfois avec raison, comme seuls habilités pour préparer laFrance de demain. En zone sud, d’Astier et Frenay repoussaient pour ces raisons le projet deconseil unique. La zone nord était moins préparée encore, du fait de la multiplicité desmouvements à caractère militaire, sans lien véritable les uns avec les autres, à constituerrapidement un « front » politique de la Résistance, capable de faire pendant aux partisrésistants.

En face de la complexité des problèmes à résoudre, le général de Gaulle décida en janvier 43 :

3 Barré dans le texte : « et aux FTP ».

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1/ de faire venir Rex et Vidal à Londres, pour y mettre au point :a) la constitution du Conseil de la Résistance ;b) la création en zone nord d’une délégation du Comité national français équivalente à cellequi existait déjà en zone sud ;c) l’unification militaire de la zone sud par la fusion des éléments paramilitaires en Arméesecrète.2/ d’envoyer en France une mission pour laquelle le général de Gaulle désigna le colonelPassy et Pierre Brossolette. En dehors de l’inspection des réseaux de renseignements, elleavait pour but : Mission Brumaire (Brossolette)a) de procéder à l’inventaire de toute les forces capables, soit dans le cadre des groupementsde résistance, soit dans le cadre des organisations politiques, syndicales ou religieuses, dejouer un rôle dans le soulèvement national4 ; b) de rechercher les cadres d’une administration provisoire de la zone nord, au jour de laLibération.Mission Arquebuse (Passy)De faire connaître les directives du général de Gaulle en zone nord, soit, en collaboration avecRex et Brossolette : a) réaliser la coordination de l’action militaire en zone nord et la coordination de cette actionmilitaire entre les deux zones ;b) étudier les conditions de la constitution d’un comité directeur central, chargé de mettre aupoint toutes les questions civiles.

Rex et Vidal devaient venir à Londres en janvier pour y voir Brossolette et Passy ; le mauvaistemps empêcha leur venue jusqu’en fin février, alors que Passy et Brossolette étaient déjà enFrance : Brossolette fut parachuté le 27 janvier et Passy le 18 février, Rex et Vidal passèrent àLondres l’interlune février-mars. Leur venue coïncida à Londres avec celles de Pineau, deSimon (pseudo Sermois), chef de la section civile de l’OCM.Rex eut avec le général de Gaulle deux très longues entrevues qui se prolongèrent tard dans lanuit. Il vit André Philip et mit au point sa mission avec le commandant Manuel, le capitaineBingen, chef de la section NM du BCRA. Les principes arrêtés au cours de ces discussionsfurent communiqués à Arquebuse et Brumaire qui furent chargés de les appliquer en zonenord.1/ Rex devient dorénavant le seul représentant permanent du général de Gaulle et du Comiténational pour l’ensemble du territoire métropolitain.2/ Sous sa responsabilité, il pourra déléguer à titre temporaire certains de ses pouvoirs à despersonnes choisies par lui et responsables devant lui.3/ Pour l’immédiat, et notamment pour mener à bien l’établissement du Conseil de laRésistance prévu au titre II ci-après, la charge des négociations et de leur conclusion incombeconjointement à Rex, Arquebuse et Brumaire (dans la mesure où ils se trouvent sur leterritoire métropolitain, en état d’agir, et chacun dans le domaine de sa mission).4/ Il doit être créé dans les plus courts délais possibles un Conseil de Résistance unique pourl’ensemble du territoire métropolitain et présidé par Rex, représentant du général de Gaulle.5/ Ce Conseil de la Résistance assurera la représentation des groupements de la Résistance,des formations politiques résistantes et des syndicats ouvriers résistants, qui acceptent queleur rassemblement s’effectue autour des principes suivants :

4[Note du Livre blanc] Voir chapitre V, partie III : « Les missions d’inspection ».

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- Contre les Allemands, leurs alliés et leurs complices, par tous les moyens etparticulièrement les armes à la main.- Contre toutes les dictatures et notamment celle de Vichy, quel que soit le visage dontelles se parent.- Pour la liberté.- Avec de Gaulle dans le combat qu’il mène pour libérer le territoire et redonner laparole au peuple français.

6/ Le Conseil de la Résistance a pour tâche d’arrêter dans leurs grandes lignes les directives àdonner aux formations représentées, en application des instructions du général de Gaulle et duComité national. En cas d’urgence, ou dans l’hypothèse où les liaisons avec le généralde Gaulle et le Comité national seraient coupées, le Conseil de la Résistance a la charge dedonner les directives destinées à traduire en actes les principes énoncés ci-dessus auparagraphe cinq.7/ Afin que le Conseil de la Résistance ait le prestige et l’efficacité souhaitables, ses membresdevront avoir été investis de la confiance des groupements qu’ils représentent et pouvoirstatuer souverainement et sur l’heure au nom de leurs mandants.8/ Le Conseil de la Résistance forme l’embryon d’une représentation nationale réduite,conseil politique du général de Gaulle à son arrivée en France. À ce moment, le Conseil de laRésistance sera grossi d’éléments représentatifs supplémentaires, les uns choisis dans leComité national, les autres parmi les forces vives du pays dont la représentation n’aurait pasencore été complète au sein du Conseil de la Résistance.9/ Le Conseil de la Résistance pourra, s’il le juge utile, instituer dans son sein unecommission permanente présidée elle aussi par le représentant du général de Gaulle et duComité national ou un adjoint de son choix, et dont le nombre de membres devrait être fixé àcinq.10/ La commission permanente sera composée de membres dont chacun aura un adjointappartenant à l’autre zone, de façon que la commission permanente puisse fonctionner dansles deux zones.11/ Le délégué du général de Gaulle, président du Conseil de la Résistance, sertd’intermédiaire normal entre le Conseil de la Résistance d’une part et d’autre part les EM del’AS, le CGE et le service d’information.12/ Il aura également la charge d’assurer, personnellement ou par un représentant désigné parlui, les coordinations nécessaires en vue de l’action.13/ Réciproquement, le président du Conseil de la Résistance a la charge d’informer les EMde l’AS et le CGE, dans les domaines respectifs de leurs activités, de la ligne générale adoptéepar le Conseil de la Résistance et/ou la commission permanente. Sur le plan militaire, Vidalétudiera avec la section A/EC et les services anglais :- l’application des plans de destruction ;- le ravitaillement et l’armement des maquis (pendant son séjour à Londres, Vidal apprit laconstitution des premiers maquis de Hte-Savoie, voir plus loin) ;- l’organisation militaire de la zone nord ; d’accord avec les services de SOE, Vidal décidad’adopter la division en 6 régions et 19 subdivisions de région ;- la préparation d’un plan de transmissions radio adapté à cette division régionale ;- la constitution d’un état-major de la zone nord, pour lequel Vidal demandait l’envoi enFrance de plusieurs officiers des FFL, et notamment du colonel Morinaud (Maréchal)5.

5 En fait, Pierre Marchal, alias Morinaud, Paul, Hussard.

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Rex et Vidal repartent dans la nuit du 21 au 22 mars, parachutés par une opération R. Ilsretrouvent en France une situation difficile, compliquée encore par les positions prises, tant enzone sud qu’en zone nord, par les chefs de groupements de résistance au sujet du Conseilunique.

Les maquisC’est pendant leur séjour en France que se constituait, près d’Annemasse, le premier maquis« organisé ». La loi du STO ayant décrété l’appel de toute une classe pour le départ enAllemagne, plusieurs centaines de réfractaires, encadrés par des éléments de l’armée del’armistice, se réfugient dans la montagne ; ils sont attaqués par des gardes mobiles : c’est lepremier combat du maquis.Les membres de l’état-major de l’AS, alertés, se réunissent et envoient à Londres untélégramme demandant d’urgence des parachutages d’armes aux réfractaires. À la mêmeréunion, Pascal Copeau (Salard) rédige le texte d’une proclamation de l’état-major AS auxréfractaires. Le courrier envoyé aux maquis et porteur de ce texte se fait arrêter le lendemain àAlbertville ; le soir même, les six avions britanniques envoyés au reçu du télégramme sontaccueillis par la DCA allemande et trois d’entre eux sont abattus. Cet accident devait rendreinfiniment sceptiques les services britanniques par la suite, et il fallut de longs mois et desappels désespérés avant de les amener à refaire une opération de ce genre ; et lesconséquences de ce premier échec furent très lourdes.D’autre part, l’arrestation de l’agent de liaison amenait, dès le lendemain matin, celle de troismembres de l’état-major, Aubrac, Forestier et Mercier. Farge et Bip W, qui devaient assister àla même réunion, échappèrent de justesse au guet-apens. À l’issue du comité de coordination tenu quelques jours plus tard, l’ordre d’insurrectionnationale était rédigé et communiqué à Londres, où Rex et Vidal rencontrèrent l’hostilitéformelle des services britanniques et français, basée sur l’impréparation de l’Armée secrète,les catastrophes récentes et le manque de matériel. Rex, à son retour, obligé de freiner l’élandes membres du comité de coordination, eut toutes les peines du monde à leur faire entendreraison.

Le maquis de VercorsLa formation des premiers maquis donnait naissance à la même époque à un projet grandiosequi devait, s’il avait réussi, « remettre la France dans la guerre » d’une façon éclatante. Ce projet émanait de Pierre Dalloz, secrétaire général du Club alpin, et d’Yves Farge, quidevait bientôt devenir le chef du Comité de lutte contre la déportation (CAD). Il s’agissaitd’utiliser le territoire du Vercors (on se souvenait encore des manœuvres faites en 1939 par legénéral Béthouard dans les Alpes et le Morvan, qui utilisaient le plateau du Vercors commeun des points offensifs les plus importants). Dalloz proposait d’y retrancher 1 200 hommesenviron, en faisant sauter les deux routes qui mènent au plateau, en faisant ainsi une forteresseimprenable ; de les encadrer d’éléments de l’AS qui les instruiraient, leur apprendraient laréception des parachutages. Une fois armés, ils constitueraient un bastion fortifié d’une valeuroffensive unique, véritable morceau de la France libre à l’intérieur du territoire occupé. Vidal, mis au courant du projet quelques jours avant son départ, partit avec Farge, Dalloz etBip W, inspecta lui-même le terrain à pied, malgré son âge, et décida de soumettre laproposition aux Britanniques. Il réussit à convaincre les services de Londres et revint, donnant toutes les assurances desuccès. Un poste émetteur d’une grande puissance fut construit, en dépit des difficultésmatérielles et techniques qu’on imagine, par Beauregard, avec un système d’antennes à ballon

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contre le dépistage. Ce poste, qui devait s’adresser aussi bien à la France qu’aux pays alliés,aurait été sur le territoire même du combat le porte-parole de la Résistance, libre de toutcontrôle étranger, et aurait eu une valeur de propagande au dehors et un effet moral au-dedanstout à fait indiscutables.À la fin avril, plus d’un millier de réfractaires, encadrés des meilleurs éléments de l’AS,gagnèrent le plateau. Le secrétariat de Rex détacha un de ses radios auprès de Farge qui,retranché avec les maquisards, avait la liaison de Londres. Du matériel lourd était promis parl’armée de l’armistice. Mais les parachutages promis par les services britanniques ne venaient pas. La Délégation, quimanquait toujours de personnel de transmissions, rappela le radio du Vercors, qui netravaillait pas faute d’opérations. Au mois de mai, des arrestations survenaient dans le groupede Dalloz (Jean Prévost avait pris déjà la charge du Vercors et se trouva sans liaisons pendantdes semaines). Enfin, l’arrestation de Vidal le 9 juin compromit définitivement le projetoriginal de Dalloz, dont il était le plus ardent défenseur. Les réfractaires resteront sur place,mais sans armes.Les routes commandant le plateau ne furent pas détruites : le maquis du Vercors devint unréduit défensif, semblable à beaucoup d’autres. Un an plus tard, le 9 juin 1944, le généralKoenig donnait l’ordre aux 3 000 défenseurs du Vercors de passer à l’attaque, malgré lesconditions d’infériorité accablantes où ils se trouvaient, insuffisamment armés contre30 000 Allemands environ. On connaît la fin tragique de cette héroïque tentative.

Rex devait dès sa rentrée en France se rendre à Paris pour y confronter, avec Passy etBrossolette, les décisions prises à Londres et les résultats de leur mission en zone nord. Maisles problèmes posés, en zone sud, par les réquisitions pour l’Allemagne l’obligèrent à resterquelques jours à Lyon pour exposer au comité directeur le point de vue des servicesbritanniques et le danger des mesures prises en son absence par les chefs des groupements derésistance, qui avaient adressé à tous leurs responsables régionaux des appels à la révolteouverte, à la constitution de « bastions armés » dans les usines, etc. Ces décisionscompromettaient gravement le résultat des conversations de Vidal et de Rex avec l’état-majorallié. En effet, ils avaient compris à Londres qu'eux-mêmes et le BCRA n’obtiendraient desAlliés l’armement dont la Résistance avait un besoin grandissant qu’en faisant cadrer l’actionfuture de l’AS avec les plans d’ensemble de l’état-major interallié. Or, à peine Vidal avait-ilcommencé à convaincre les Alliés de la valeur militaire d’une résistance française armée etpréparée pour le jour J, qu’on apprenait à Londres l’ordre d’insurrection générale lancé par lecomité directeur. Il était impossible de justifier cette mesure auprès du commandementinterallié, alors qu’au même moment on se plaignait du dénuement total en armes de laRésistance. D’autre part, les responsables militaires des groupements ne voulaient pascomprendre que les services alliés ne fournissent pas sur le champ aux insurgés les moyens decombattre et considéraient les travaux en vue du jour J un peu comme des plans sur lacomète… Ce différend qui, on le sait, devait aller en s’aggravant, fut posé dans toute sonacuité dès le printemps 43 par Frenay et d’Astier qui, quelques mois auparavant encore,s’étaient montrés tout à fait compréhensifs du « point de vue de Londres ». Mais depuis, cetteattitude nouvelle n’était qu’un aspect de l’opposition déclenchée contre Rex et Vidal depuis lacréation du comité directeur, et sur laquelle nous reviendrons.

La mission Arquebuse-Brumaire et la création du comité de coordination zone nordIl avait fallu moins de 2 mois à Passy et Brossolette pour faire entrer la résistance de zonenord dans la voie de la coordination. Et pourtant, la tâche n’avait pas été facile.

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Nous avons vu que les groupements les plus importants de la zone nord avaient été en contactavec Londres par l’intermédiaire surtout de réseaux de renseignements. Le cloisonnementimposé à ces réseaux eut pour conséquence que les mouvements de résistance eux aussivivaient pratiquement sans contacts les uns avec les autres ; le seul lien avait été Frédéric,arrêté le 4 mars avec le responsable militaire de Ceux de la Libération. Il fallut donc toutd’abord amener ces groupements à connaître les possibilités et le travail les uns des autres, enmettant en contact principalement les dirigeants du Front national et des FTP, de Libérationzone nord (qui venait de recevoir l’adhésion du CAS), de l’OCM, de CDLL et de CDLR.Les chefs FTP admirent après quelques discussions la nécessité de coordonner toutes lesactivités de lutte en vue de la Libération, et en conséquence de faire cadrer leurs groupementsavec l’organisation militaire générale de la zone nord, à condition que leurs cadres participentà la constitution des états-majors.Après des pourparlers avec le délégué du comité central du Parti communiste, Brossolette etPassy eurent une entrevue avec le bureau du Front national, auquel ils exposèrent lescaractères et le recrutement des autres groupements de résistance qui, tout comme le Frontnational, se considéraient comme l’expression de l’unanimité française. Après un délaide 8 jours, les responsables politiques du Front national (Colbert – Pierre Villon – et JoliotCurie) donnèrent aux deux délégués de la France combattante l’engagement de participer àl’unité de la résistance zone nord : le Front national en tant que groupement dont les FTPétaient les éléments paramilitaires.À la suite de cet accord, Brossolette et Passy mirent les dirigeants du Front national en contactavec les chefs des 4 grands groupements de zone nord. Au cours d’une réunion plénièregroupant les chefs du Front national, Libération zone nord, OCM, Ceux de la Libération etCeux de la Résistance, les deux envoyés de Londres proposèrent un texte de déclaration,exprimant les buts de la Résistance et sa volonté d’union derrière le général de Gaulle dans lalutte contre l’ennemi :

Pour le rétablissement des libertés républicaines.Pour la rénovation politique, économique et sociale du pays.

Ce texte fut accepté par tous les groupements et les formations politiques et syndicales s’yrattachant le 26 mars 1943.Cette première réunion aboutit à la décision de créer en zone nord un comité exécutif de laRésistance, comparable à celui qui groupait déjà les trois mouvements de zone sud.En attendant l’arrivée de Rex, Passy et Brossolette sanctionnèrent cet accord en provoquantdeux réunions du comité de coordination militaire (responsables paramilitaires des5 mouvements) et une réunion groupant les chefs de mouvements et leurs adjoints civils, oùfurent discutés les principes de désignation des autorités administratives lors de la Libération.

La question du CNRSi la coordination de la zone nord avait été réalisée en un temps record par la missionArquebuse-Brumaire, grâce à leur compréhension immédiate de la situation, par la puissancede synthèse et l’extraordinaire pouvoir de séduction de Brossolette, le mérite de [la] créationdu CNR revient tout particulièrement à Rex.C’est sur la question même du CNR que Rex et Brossolette s’opposèrent le plusvigoureusement.Éloignés par leur formation, leur tempérament, leurs responsabilités différentes, les deuxgrands organisateurs politiques de la Résistance ne pouvaient envisager leur travail d’unefaçon semblable. Rex était depuis un an et demi seul représentant en France du généralde Gaulle. Il avait accepté ce rôle parce qu’il mettait sa confiance en De Gaulle, et [en] lui

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seulement. Selon lui, le rôle de la Résistance, suscitée et soutenue par l’existence du Général,était en dernier ressort de devenir à la fois son armée intérieure et son conseil consultatif. Pourréaliser cette cohésion, pour assurer au moment de la Libération l’unanimité que seulDe Gaulle méritait d’obtenir, Rex voulait « étoffer » la Résistance qui, si elle représentaitl’élite morale du pays, ne pouvait prétendre parler au nom de sa majorité. C’est pourquoi, toutnaturellement, il fit appel à tous les partis politiques dont les dirigeants avaient prouvé leurvitalité et leur loyalisme.Brossolette avait commencé en France son activité résistante dès la fin de 1940. Il connaissaitsurtout la mentalité et les conditions de la zone occupée, où la Résistance avait si longtempsété hostile à toute renaissance des anciens partis. Pendant plus de deux ans, les éléments lesplus actifs de la lutte avaient appartenu, soit aux formations communistes, soit aux organismes« apolitiques » qui s’étaient spontanément créés dans la lutte.Comme pour beaucoup d’organisateurs de la zone occupée, la résistance « politique » de lazone sud n’offrait, aux yeux de Brossolette, qu’un intérêt secondaire pour le présent etl’avenir. Tout ceci explique que ce militant socialiste SFIO soit devenu depuis 1940 le champion d’uneFrance nouvelle, dont l’ossature politique ne serait plus constituée par d’anciens partis plus oumoins déconsidérés, mais par les « familles spirituelles » nées de la lutte qui, tout enreprésentant les tendances traditionnelles de la politique française (communistes, socialistes,athées, catholiques, nationaux) ne s’encombraient plus des étiquettes du passé.Pour Brossolette, l’avenir français était aux mains de la France métropolitaine : elle feraitappel, à la Libération, au général de Gaulle et au Comité national. Par contre, la créationen 1943 d’un conseil politique qui mêlerait, sous le couvert du gaullisme, les combattants dela première heure aux équipes de la IIIe République lui paraissait contraire aux aspirationsnouvelles des Français.

Rex et le CNRL’hostilité manifestée par les chefs de groupements en zone nord pour une représentation àleurs côtés des anciens partis politiques aggravait encore la divergence de ces deux points devue.Néanmoins, la détermination du colonel Passy d’accomplir la mission que lui avait confiée legénéral de Gaulle et celle de Rex de faire triompher son point de vue imposèrent un accord.Le 3 avril, Brossolette et Passy réunissaient à nouveau les chefs de mouvements et Rexprésidait la première séance officielle du comité de coordination.Le projet de Londres concernant le CNR y fut discuté ; Brossolette et Passy apportèrent leurssuggestions, tendant à assouplir le texte du général de Gaulle.Après le retour à Londres de la mission Arquebuse-Brumaire, Rex passa plus d’un mois ànégocier avec les différents chefs de mouvements des deux zones : le 7 mai, il envoyait augénéral de Gaulle un compte rendu annonçant que l’accord était réalisé entre tous lesmouvements.Le rapport de Rex du 4 juin rend compte des difficultés de principe et des problèmesparticuliers qui furent soulevés à propos de la représentation des formations et de ladésignation des personnes (CGT, Parti radical, etc.), ainsi que de la première séance duConseil national de la Résistance, le 25 mai 1943, qui réunit les 17 membres proposés au moisde mai par Rex6. Le délégué général du Comité national français présidait la réunion. Il ouvrit6[Note du livre blanc] Ces membres étaient : Madelin (Ceux de la Libération), Lecompte-Boinet (ceux de laRésistance), Villon (Front national), Périgny (Libération-Nord), Blocq-Mascart (OCM), Lorrain (Combat),Avinin (Franc-Tireur), Pascal Copeau (Libération zone sud), Guilloux (Parti communiste), Daniel Mayer (Partisocialiste), [Marc Rucart] (radical socialiste), Bidault (Démocrates chrétiens), Saillant (CGT), [Joseph Laniel]

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la séance en résumant les buts de la France combattante et en soulignant que la représentationau sein du CNR des partis politiques ne sanctionnait pas la reconstitution automatique de cespartis dans leur fonctionnement passé, mais avait pour but, au contraire, d’assurer à unedémocratie revivifiée l’appui de vastes formations idéologiques. Le message du généralde Gaulle au CNR, lu par Rex, fut approuvé par tous dans l’émotion générale. À la fin de laséance, une motion fut rédigée par les membres du CNR, demandant qu’un gouvernementprovisoire français soit créé au plus tôt et confié au général de Gaulle.

L’unité morale et politique de la France résistante était officiellement consacrée. La nouvelle,diffusée dans le monde allié, de cette réunion, au cœur de Paris occupé, d’un organismereprésentant toutes les tendances de la pensée libre et communiquant étroitement avecDe Gaulle eut un retentissement moral profond. Sur le plan international, cette unanimitéderrière le général de Gaulle remettait la France défaite et occupée au rang des grandespuissances. L’existence de groupements et d’individus patriotes n’avait pas suffi à convaincreles Alliés de la vitalité française. Leur cohésion et la fermeté de leur position [s']imposèrentcomme une réalité dont il fallut désormais tenir compte.

(Alliance démocratique), Debû-Bridel (Fédération républicaine).

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Chapitre IV

Les missions d’inspection : Pallas

En fin de 1942, la zone sud voyait se monter trois réseaux, Phalanx, Brutus, Phratrie, dontl’importance allait devenir considérable. Or, si deux des trois chefs de réseaux étaient venus àLondres, ils n’y avaient passé qu’un mois et n’avaient guère pu que prendre contact. Pour quele rendement de ces trois réseaux réponde à leurs possibilités, il fallait qu’ils fussent aucourant des besoins de Londres, des questions posées par l’état-major britannique, desprécisions qui font la valeur d’un renseignement. En somme, toute une information techniques’imposait pour transformer ces volontaires en spécialistes. Déjà, Londres avait préparé etenvoyé en France des questionnaires détaillés portant sur les différents sujets intéressant lerenseignement. Afin de simplifier et de réduire le courrier, chaque question comportait unindicatif spécial. Ce questionnaire, imprimé sur du papier extra-fin, constituait une brochurede format réduit, dont on envoyait un certain nombre à chaque courrier partant d’Angleterre.Mais il fallait à ce sec formulaire un commentaire vivant, il fallait qu’une expérience vécuevînt appuyer de souvenirs authentiques ces recommandations livresques. Il fallait surtout queles hommes qui avaient pris en mains ces réseaux puissent, sur place, montrer à un officiervenu de Londres les difficultés auxquelles ils se heurtaient chaque jour, les possibilités qu’ilsenvisageaient, les projets dont ils rêvaient.Car cette mission d’information était double et réciproque. Il importait de mettre au courantles exécutants de France des intentions de Londres. Mais il n’importait pas moins de mettreles services de Londres en face des conditions de travail en France, de leur permettre deprendre conscience de tous les obstacles auxquels on se heurtait et de les faire souffrir de leurspropres déficits.Le commandant Manuel, qui fut chargé de cette mission, était qualifié pour ces contacts. Au2e bureau depuis 1940, il avait longtemps dirigé le service de renseignements et connaissaitparfaitement les desiderata du général de Gaulle d’une part et des services britanniques del’autre. Il savait également sur quels moyens l’on pouvait compter et pouvait par conséquentne prendre que des engagements capables d’être tenus.Le commandant Manuel partit le 22 novembre 1943, porteur de ces instructions. Il portait lespseudos de Pallas et de Marnier. Parachuté dans la région de Montluçon, il est accueilli parRonsard et son adjoint Leconte, qui avaient organisé l’opération. Le 24, il est à Lyon. Or,le 8 novembre, les Alliés ont débarqué en Afrique du Nord. Le 11, les Allemands ont franchila ligne de démarcation et occupé tout le territoire. L’opinion est partagée entre l’exaltation àl’espoir d’une libération qui se rapproche et l’incertitude devant la confusion de la situationpolitique. Pallas prend contact avec un certain nombre de personnalités politiques.Mais l’essentiel de sa mission demeure une mission d’inspection technique. Elle lui permet deconstater le démarrage du réseau Phratrie, les difficultés du réseau Antoine. Il rencontreRondeau, qu’il voit trop compromis par la surveillance exercée autour de Mandel et auquel il

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donne l’ordre de rejoindre Londres. Et il passe au réseau Phratrie le réseau créé par Rondeauet dirigé par Armengaud, alias Ménard. Il voit Brémond puis Froment, se rend compte desgrosses possibilités qu’offre leur réseau et, pour l’exploiter utilement, décide de séparercomplètement la branche renseignement, qu’il confie à Brémond, de la branche action remiseà Froment et au colonel Veni et qu’il rattache à Rex. Il voit Francis, dont le réseau est bienparti. Antoine lui fait part de ses difficultés, de ses possibilités dans le contre-espionnage. ParAntoine, il expédie un poste en Corse.Il prend également contact avec les dirigeants des mouvements de résistance, Combat etLibération, et des partis politiques reconstitués et se rend compte de l’action de Rex pourconsolider l’unité de la Résistance.Il assiste à plusieurs émissions et peut se rendre compte des obstacles qui empêchent le bonfonctionnement des transmissions. Beaucoup de ces obstacles viennent des conditions de lavie en France et on ne peut y remédier que par un envoi massif de postes et de plans,permettant à un seul opérateur d’éviter le repérage radiogoniométrique en émettantsuccessivement sur plusieurs postes, sans avoir à les déplacer. Mais un certain nombre dedifficultés proviennent de fautes de la centrale radio de Londres et Pallas les signale avecvigueur.Lorsque Pallas reprit l’avion le soir du 26 janvier, il pouvait fournir à Londres une idée exactede la situation des réseaux en zone sud. Son rapport est un exposé rapide mais complet decette situation.

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Chapitre V

Les missions d’inspection : Brumaire et Arquebuse

Si le voyage du commandant Manuel avait permis de connaître l’atmosphère de la zone sud etles conditions dans lesquelles y fonctionnaient côte à côte les réseaux de renseignement, lesmouvements de résistance et les organismes d’action paramilitaire, les rapports quiparvenaient à Londres de la zone nord restaient confus. Or le moment était venu, depuisl’occupation totale, de faire disparaître de la vie clandestine, comme elle avait disparu de lavie publique, la coupure de la ligne de démarcation. Le moment était venu de réaliser le projetprimitif et suprême des chefs du SR et du BCRA : donner à la résistance de l’intérieur unaspect national.Toute l’œuvre de Rex avait été dirigée dans ce sens et rien ne pouvait mieux la compléter etl’achever que la prise de contact directe entre les chefs du BCRA et les chefs desorganisations clandestines de zone nord. En effet, le travail de Rex avait porté sur la zone sudet le succès de la coordination dans ce domaine pouvait laisser espérer une expérienceanalogue en zone nord. Mais les conditions n’y étaient pas aussi favorables. Beaucoup plus« clandestins » et plus dispersés que ceux de la zone sud, les mouvements de résistance dezone nord n’avaient pas la même maturité politique ni la même articulation hiérarchique. Lemodèle de ces mouvements, c’étaient les FTP, au cloisonnement rigoureux. Mais aussi bienl’OCM que Ceux de la Résistance, aussi bien Libération-Nord que Ceux de la Libération,avaient été amenés à donner à leurs cadres locaux une autonomie très grande et à travaillerseuls, sans approcher ni connaître les autres mouvements.Par contre, sur le plan du renseignement, la difficulté même des liaisons, le manque dematériel radio, mais aussi la politique suivie par les premiers réseaux avaient empêché laconstitution d’un grand nombre de réseaux distincts, ce qui était le cas pour la zone sud, etavaient surchargé les organes de liaison du grand réseau primitif, la CND.Pierre Brossolette (Brumaire) partit en février pour préparer les contacts et lancer les basesd’une vaste réorganisation de la zone nord. André Dewavrin (Arquebuse), chef du BCRA, lerejoignit, parachuté en Normandie en mars. Un officier britannique, le capitaine Yeo Thomas(Shelley) les accompagnait : il avait été spécialement chargé par le haut commandementanglais de se rendre compte des besoins et des possibilités militaires de la résistance française,et c’est grâce à son inlassable énergie et à ses interventions personnelles auprès de M.Winston Churchill après son retour de mission, que l’effort britannique pour équiper et armerla Résistance devait prendre dans l’été de 1943 un essor remarquable.Arquebuse, Brumaire et Shelley rentrèrent à Londres en mai. Avec leur retour, on peutconsidérer comme close la période de crise de la Résistance. Les tentatives de scission ontavorté : le « giraudisme » n’existe plus.Mais cette période n’est pas seulement marquée par la sauvegarde d’une conception nationale,démocratique, révolutionnaire de la résistance française à l’encontre des sollicitations

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réactionnaires et bourgeoises du giraudisme. Elle se présente encore – et dans ce sens,l’importance des missions d’inspections ne saurait être exagérée – comme une période decontact plus étroit, plus intime, plus personnel entre la France combattante et la Francerésistante. L’une et l’autre savent ce que l’une et l’autre veulent, représentent, peuvent etexigent. L’heure est venue de transformer ces immenses bonnes volontés en une machine deguerre efficace, mais aussi en une force spirituelle capable, à l’heure de la Libération, deparler au nom de la France et de lutter pour son avenir.La tâche [de la mission Arquebuse-Brumaire] était vaste et lourde ; réussie, elle fut le préludeà l’effort enfin coordonné et définitif de la Résistance pour la victoire.

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Chapitre VI

Rôle et signification réels du giraudisme

N’oublions pas qu’en novembre 1942, la grande majorité des Français n’avait pas senti lebesoin de prendre position : elle se leurrait de la facile illusion d’une neutralité pendante. Or,dans cette majorité, il y avait des forces qui, du point de vue militaire, présentaient un intérêtcertain : l’armée de l’armistice, la marine, une foule d’officiers d’active ou de réservehâtivement démobilisés en 1940.L’aventure du général Giraud secoua cette classe assoupie et la mit en devoir de prendre parti.Il en résulta vers la Résistance un afflux nouveau de bonnes volontés parmi lesquelles setrouvait un fort contingent de techniciens.Que valait cet afflux ? Certes, il serait faux de dire que son seul but, que son seul effet ait étéde diviser, d’affaiblir, de corrompre la Résistance. Un tel but eut été par trop absurde et partrop machiavélique. Mais il faut distinguer deux sortes d’apports : le plus grand nombre, unefois éveillé à la Résistance, en comprit la portée nationale et fut façonné par le courant devitalité et d’espoir ; de ceux-là, beaucoup s’engagèrent dans des voies nouvelles,abandonnèrent leurs préjugés de classe ou de « milieu », évoluèrent vers une conceptionneuve et progressive de la vie publique ; d’autres, au contraire, ne virent dans le giraudismequ'une soupape grâce à laquelle des privilèges pouvaient être maintenus, des intérêtsparticuliers sauvegardés et endigué le flot, destructeur de leur égoïsme de classe, de la jeunerésistance gaulliste.Ceux-là tentèrent de profiter des dirigeants d’Alger pour occuper les leviers de commande,détourner à leur profit l’œuvre de la France combattante et mettre un masque à la Résistance,qui la fît ressembler à ce qu’elle a toujours refusé d’être : une faction secondaire.C’est contre eux que devait porter tout l’effort du BCRA, tout son acharnement souventinterprété contre lui comme de la jalousie ou de l’« impérialisme », mais dont le résultatapparaît clairement dès la première réunion du Conseil national de la Résistance : la crise estpassée, la France est mise derrière la pure figure de son premier résistant.

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