Université Toulouse Institut de Formation en Psychomotricité
Le Jeu Comme Stratégie Énactive en Psychomotricité
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Le jeu comme stratégie énactive en psychomotricité
Chez l’enfant, le jeu est le travail, le bien, le devoir, l’idéal de la vie.
C’est la seule atmosphère dans laquelle son être psychologique
puisse respirer et donc agir.
(E. CLARAPEDE)
L’enfant est un être qui joue et rien d’autre
Partout sur la terre, les enfants jouent, et cette activité tient tant de place dans leur existence
que l’on est tenté d’y voir la raison d’être de l’enfance. La Déclaration des Droits de l'Enfant (1959)
ajoute que pour avoir une enfance heureuse: « L'enfant doit avoir toutes possibilités de se livrer à
des jeux et à des activités récréatives, qui doivent être orientés vers les fins visées par l'éducation; la
société et les pouvoirs publics doivent s'efforcer de favoriser la jouissance de ce droit »1.
Profondément ancré dans les spécificités ethniques et sociales, l’identité culturelle se lit au
travers des jeux et des jouets que les enfants ont créés. Fonctionnant comme une véritable
institution, le jeu des enfants, avec ses traditions et ses règles, constitue un véritable miroir social. A
travers les jeux et leur histoire se lit non seulement le présent des sociétés, mais aussi leur passé.
Enrichi, par les transmissions générationnelles successives, une part importante du capital culturel
de chaque groupe ethnique réside dans son patrimoine ludique. Le jeu est alors mémoire de
l’homme.
En conditionnant un développement harmonieux du corps, de l’intelligence et de
l’affectivité, le jeu est vital. Ainsi, l’enfant qui ne joue pas est un enfant malade. La plupart des
enfants jouent facilement et s’engagent dans cette activité avec sérieux et intensité. Le jeu est une
activité universelle, atemporelle, et indispensable dans la vie de l’enfant. Le jeu est l’activité
fondamentale de l’enfant. « L’enfant est un être qui joue et rien d’autre » (Jean Chateau, 19792). Et
même si l’enfant ne joue pas pour apprendre, il apprend en jouant.
Roger Caillois, dans son ouvrage a constitué une tentative de définition et de classement
universel du jeu (Roger Cailloix, 19583). Définissant le jeu comme une activité : libre, circonscrite
dans des limites d’espace et de temps, dont le déroulement et le résultat ne saurait être déterminé
préalablement, improductive, ayant des règles bien que fictive, les jeux se répartissent en quatre
1assemblée générale des Nations Unies, 20 novembre 1959, Déclaration des droits de l’enfant.2Chateau Jean (1979), cité in L'enfant et le jeu : Approches théoriques et applications pédagogiques, études et document d’éducation de l’Unesco, publié par l'organisation des Nations Unies, Paris : Ed. Unesco3R. Caillois (1958), Les jeux et les hommes, Paris, Gallimard
catégories : jeux de compétition, jeux de hasard, de mime ou de vertige.
La description de Cailloix, laisse peu de place aux jeux de prouesse ou de construction, à ces
jeux où l’action est un élément fondamental dans le plaisir procuré par son exercice. Par ailleurs,
depuis cette description, l’arrivée de l’ordinateur et des divers médias, ont ouvert d’autres
distinctions avec les jeux virtuels, et d’autres questionnements.
Le jeu dans le développement de l’enfant : perspective psychogénétique piagétienne
La théorie psychogénétique, interactionniste, fondée par Jean Piaget, voit dans le jeu tout à la
fois l’expression et la condition du développement de l’enfant. A chaque étape est indissolublement
lié un certain type de jeu et, si l’on peut constater, d’une société à l’autre ou d’un individu à l’autre,
des modifications de rythme ou d’âge d’apparition des jeux, la succession est la même pour tous. Le
jeu constitue un véritable révélateur de l’évolution mentale de l’enfant. Lorsque Piaget énonce que
« C’est en agissant que l’on apprend. » il donne au jeu une indispensable participation à la
construction du savoir. De ses travaux, il en ressort une brève classification, suivant les stades de
développement de l’enfant. (Piaget J., Inhelder B., 19664) Piaget relève 4 catégories de jeu, qui vont
apparaître au cours du stade préopératoire (de 2 à 7-8 ans) :
- le jeu d’exercice (plaisir fonctionnel, d’être la cause, d’affirmer un savoir),
- le jeu symbolique (apogée entre 2-3 et 5-6 ans),
- les jeux de construction,
- les jeux de règles (billes, marelle,...).
A partir de cette période d’intériorisation de l’action où l’enfant a besoin de manipuler les objets, les
jeux suivront les spécificités de développement des différents stades :
Durant le stade opératoire concret (de 7-8 ans à 11-12 ans) Les opérations mentales
portent sur du matériel concret. ;
Enfin, lors du stade opératoire formel (de 11-12 ans à 15 ans) : Le raisonnement porte sur
un matériel abstrait. Il est hypothético-déductif. (Piaget, 19675)
Le cadre thérapeutique de la psychomotricité : une pensée en acte
Les dispositifs psychomoteurs en usage auprès des enfants s’appuient sur des jeux qui
engagent l’activité gestuelle et motrice de l’enfant, en s’appuyant sur la réalisation d’actes
intentionnels.
Le terme de psychomotricité se réfère à une méthodologie d’intervention visant à intégrer 4Piaget, J. & Inhelder, B. (1966), " La Psychologie de L'enfant ", PUF, Paris.5Piaget Jean ( 1967), La psychologie de l’intelligence, Paris : Armand Colin ;
toutes les dimensions de l’individu: cognitives, affectives, perceptives, motrices et relationnelles.
L’étiologie des troubles se réfèrent à une causalité plurifactorielle et transactionnelle associant des
facteurs génétiques, neurobiologiques, psychologiques qui agissent à différents niveaux de
complémentarité et d’expression. Le sens de la psychomotricité, c’est l’expérience du corps en ≪
relation, le bon fonctionnement des fonctions dans leur colorations affectives, historiques et
relationnelles […]; son but n’est pas de considérer le symptôme moteur en soi, mais le sens que le
symptôme assume pour le sujet, et comment le symptôme est inscrit dans son histoire personnelle
en tant qu’expression de son univers cognitif et, principalement, affectif et relationnel (de ≫
Ajuriaguerra Julian, Soubiran Giselle6).
Quelque soit son orientation : éducative, rééducative, ou thérapie, la
psychomotricité a été fortement influencé par la phénoménologie de Merleau-Ponty,.
Dans la conception phénoménologique, le corps n'est pas seulement défini par ses
caractéristiques anatomiques et fonctionnelles (comme le conçoit la pensée
cartésienne), il est avant tout perçu comme objet vécu par le sujet lui-même. Le corps
est non seulement sujet de la perception, objet senti mais aussi un état permanent
d'expérience. (Merleau-Ponty, 19457) Perception et corporéité sont liées : l'expérience
de la perception corporelle est une connaissance préréflexive s'appuyant sur le
caractère indissociable entre le sujet et le monde. (Leder, 1990, cité par Gallagher,
Zahavi, 20098).
L’incarnation de la cognition
Cette conception active du schéma corporel, est retrouvée chez Piaget. L’enfant à sa
naissance possède des mouvements sans but ; par la suite, du fait de l’équilibration entre
assimilation et accommodation, commencent à s’organiser les premiers schèmes moteurs. Durant
cette période, l’enfant commence à réagir à des stimuli en fonction de sa manière d’être et
progressivement à construire une représentation corporelle propre. (cf. Piaget9)
Ainsi, contrairement à l’approche gnoséologique aboutissant à une vision désincarnée de la
cognition, s’oppose un courant qui, va mettre en avant les interactions entre le corps et l’esprit au
travers de nombreux travaux : de Francisco Varela, à Antonio Damasio. Par ailleurs, la métaphore
cybernétique du cerveau sera contesté par des neurobiologistes, comme Changeux et Edelman
6De Ajuriaguerra Julian, Soubiran Giselle (2009), cité in Julian de Ajuriaguerra et la naissance de la psychomotricité, JOLY Fabien (coord.), LABESGenevieve (coord.), p 23, Paris : Papyrus7Merleau-Ponty Maurice (1945), Phénoménologie de la perception.,1945, Réed. 1976, Paris: Gallimard8GALLAGHER Shaun, ZAHAVI Dan (2012). The Phenomenological Mind (Anglais) Paris : Broché 9Cf trois ouvrages majeurs de Jean Piaget : La naissance de l’intelligence chez l’enfant (1977), Neuchatel : Delachaux et Niestlé ; La construction du réel chez l’enfant (1977), Neuchatel : Delachaux et Niestlé ; La formation du symbole chez l’enfant (1989), Neuchatel : Delachaux et Niestlé
(Changeux, 199810 ; Edelman, 200811).
Edelman soutient en effet, que les fonctions du cerveau se développent en harmonie avec les
fonctions du corps ; la pensée/conscience dépend du cerveau comme du corps. Il propose une
approche interdisciplinaire, réintégrant l’esprit à la nature, découvrant l’interdépendance entre
l’esprit et la matière et expliquant la relation entre processus psychologique et processus
physiologique (Edelman, 200812). Les modèles cognitifs abstraits dépendent de l’expérience
cinesthésique de la relation entre le corps et l’espace. Ces incorporations conceptuelles se réalisent à
travers les activités du corps précédant le langage (Lakoff, Nunez, 200013).
Notre expérience cognitive est modelé par un cerveau incarné; notre cognition est incarnée
et localisée dans notre corps (Gallagher, Zahavi, op.cit.). Gallagher et Zahavi dressent une liste
montrant les différentes façons dont le corps donne une forme à la cognition. Ils se réfèrent de
même au concept d’affordances de Gibson.
Gibson a développé l’idée que les objets dans l’environnement permettraient différents
types d’action, qu’il nommera : affordances (Gibson, 197914). Ces affordances sont étroitement
liées à la forme du corps et à sa capacité d’effectuer des actions. Toute posture, l’assise par exemple,
est d’abord une capacité motrice ; de même pour les compétences abstraites et rationnelles de la
cognition, comme compter (Gallagher, Zahavi, op. cit.).
L’acte comme conscience de soi : les jeux de prouesse et de construction
[Cognition inventive
nous revenons à la
question de savoir ce que nous attendons d’un modèle de la cognition, la réponse ne peut plusêtre celle qui semblait tout à l’heure évidente et incontournable. Il ne s’agit plus d’expliquercomment le monde que nous connaissons peut être représenté par un système qui, sous lesyeux du programmeur, entrerait en relation avec les objets de ce monde, le monde duprogrammeur : il s’agit de comprendre comment le monde du programmeur est devenu lemonde du programmeur, comment, de manière plus générale, un être vivant qui est « corps,perception et action, attitude et projet, situation et contexte » en arrive à être un être‘connaissant des choses’, un être habitant un monde. Nous n’attendons pas, dans cetteperspective là, d’une science de la cognition qu’elle nous indique comment concevoir unemachine capable de suivre les règles que nous lui imposons et de traiter les informations quenous lui soumettons, ni même une machine qui soit capable d’apprendre et de reconnaîtrecertains traits du monde que nous connaissons d’une façon que nous pourrions, avec un peu, ou10Changeux, Jean-Pierre. (1983) L'Homme neuronal. Paris : Fayard11Edelman Gerard Maurice (2008), Biologie de la conscience, textes de 1992, Paris : Éditions Odile Jacob12Déjà cité13Lakoff, Nunez, (2000), Where Mathematics Come From: How The Embodied Mind Brings Mathematics Into Being Published by Basic Books,A Member of the Perseus Books Group14Gibson James J (1979, tr. fr. Olivier Putois 2014) , Approche écologique de la perception visuelle, Bellevaux : Éditions Dehors
beaucoup, de bonne volonté trouver ressemblante à la nôtre, en utilisant pour cela des élémentsde calcul associés ensemble de telle façon qu’ils forment un réseau que nous pourrions trouverressemblant à un réseau de neurones. Il y a bien des domaines dans lesquels des ‘systèmesexperts’ peuvent être élaborés de manière fructueuse, comme la reconnaissance vocale, lamanipulation d’expressions algébriques, l’analyse de spectrogrammes chimiques, lareconnaissance d’anomalies dans un électrocardiogramme… – ces systèmes ne sont pas pourautant des systèmes cognitifs, des machines intelligentes au sens où nous sommes des êtresintelligents.Ce que nous attendons d’un modèle de la cognition n’est donc pas, dans la perspectivequi est celle de la théorie énactive, d’être un système capable de représenter, d’imiter, dereproduire, de manière statique, discontinue, et désintéressée, un monde figé, le monde qui estdéjà le nôtre, qui est déjà constitué, objectivé, catégorisé, mais de nous montrer le moment, ouplutôt, le processus ininterrompu de constitution, d’objectivation, de catégorisation qui donnenaissance à un monde, qui fait de nous des êtres habitant le monde que nous connaissons.« L’essence de l’intelligence est d’agir de façon appropriée quand il n’y a pas desimple pré-définition du problème ou de l’espace des états dans lequel chercher une solution. »(Winograd &Flores, 1993, p. 98)
T. Winograd and F. Florès, (1986), Understanding Computers and Cognition, Norwood, NJ:Ablex Publishing Corporation.Cité par Isabelle Peschard in Isabelle Peschard. La realite sans representation, la theorie de l'enaction et sa legitimiteepistemologique. Humanities and Social Sciences. Ecole Polytechnique X, 2004.French. <tel-00007975>p 33
Depuis les travaux de Piaget nous savons qu’apprendre implique une activité.
L'apprentissage en thérapie psychomotrice est d'une autre nature que celle de la reproduction d'un
modèle préformé, préexistant ni même d'un modèle extérieur au sujet. Ici l'apprendre a quelque
chose d'intime avec le sujet. Il fait écho à la maxime socratique : « connais-toi toi-même ». Il fait
écho de même à la maïeutique, c'est à dire à l'art de faire accoucher les pensées, du même
philosophe.
Le sujet de cet article est de montrer que les dispositifs thérapeutiques utilisés en
psychomotricité visent à mettre le patient en situation d’inventer une action, une invention en acte
(Delacourt G, 201015).
L’acte constituerait ainsi une base primordiale dans la construction de l’intériorité des
enfants, non seulement comme représentations adaptatives, mais aussi comme
exploration/construction d’eux-mêmes.
Car apprendre suppose une transformation par incorporation, permettant de
transformer le savoir en une connaissance appropriée. Apprendre c'est transformer la façon dont
sera perçu le monde, c'est à dire que l'objectif de l'apprentissage peut s'orienter vers une activité de
résolution de problème mais que son engagement va modifier la personne elle-même. Pour opérer
cette transformation, il est nécessaire que le sujet apprenant est une activité perceptivo-motrice ou 15Delacourt G (2010), Apprendre comme inventer, thèse sc. de l’éducation, conservatoire des arts et métiers
perceptivo-gestuel intentionnelle. C'est à dire qu’il soit mis en demeure d’inventer des solutions. La
méthode est basée sur l'engagement expérientiel du sujet car lorsque le sujet « acte », il met sa
pensée au service de sa réalisation, c'est à dire qu'il rend opératoire la conceptualisation abstraite, il
s'approprie cette expérience, ce savoir et dès lors peut le moduler, le transformer, jouer sur ces
différentes facettes. Ce savoir devient non seulement une connaissance du monde mais aussi une
exploration intérieure de sa propre connaissance. C'est ainsi qu'il est aussi possible d'interpréter
cette phrase de Malraux : « L'homme est ce qu'il fait 16»
Le dispositif thérapeutique est alors conçut comme une méthode qui vise non seulement à
développer un empan perceptivo-moteur, à le complexifier, mais aussi à susciter des
représentations : d'où la terminologie de dispositif énactif. (Bénavidès thierry, 2005) 17
Pour Varela, la cognition est une action incarnée, fondée sur des expériences qui découlent
du fait d’avoir un corps doué de facultés sensori-motrices et des capacités individuelles sensori-
motrices qui s’inscrivent dans un contexte biologique psychologique et culturel plus large. La
perception et l’action étant inséparables, on parle d’énaction pour décrire que :
1) la perception consiste en une action guidée par la perception,
2) les structures cognitives émergent des schèmes sensori-moteurs récurrents qui permettent
à l’action d’être guidée par la perception. (Varela, 199318)
C’est-à-dire que le corps bien qu’étant matériel, ne se réduit pas à sa matérialité, il est avant tout le
siège d’une puissance créatrice qui n’aspire qu’à déborder d’elle-même. Cette idée que l’esprit est
celui d’un corps actuel et actif, est évoquée, dans son étude sur la peinture de Francis Bacon, par
Gilles Deleuze: « Aussi témoigne t elle (la peinture) d’une haute spiritualité, puisque c’est une ‐ ‐
volonté spirituelle qui la mène hors de l’organique, à la recherche des forces élémentaires.
Seulement cette spiritualité, c’est celle du corps ; l’esprit, c’est le corps lui même, le corps sans ‐
organes… » (Gilles Deleuze, 2002)19
C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’idée de corps en acte, car le corps et l’esprit ne sont
pas matière inerte ou idée figée, mais énergie. L’objet de l’esprit, n’est pas un corps morcelé et
reconstruit, réarticulé comme une marionnette. Mais un corps qui exprime sa puissance d’être et
d’agir, et par cet acte, il produit un nouveau rapport avec son environnement.16Malraux André (1972), Antimémoires, Paris, Folio17Bénavidès Thierry (2005), Psychomotricité : une psychothérapie à implication corporelle ?, Entretiens de Bichat, Paris : Expansion Scientifique Française ;18Varela, Francisco J., Thompson, Evan, Rosch, Eleanor (1993) L’inscription corporelle de l’esprit : sciences cognitives et expérience humaine. Paris : Le Seuil19Gilles Deleuze, Francis Bacon – Logique de la sensation, Seuil, 2002, p. 49.
L’incorporation du Savoir : une articulation entre action et analyse de l’action
Ce corps n’est donc pas un corps que j’ai, mais ce corps que je suis. Accéder à la liberté,
c’est comprendre que ce « je » procède tout d’abord d’une acquisition qui s’est produite à partir de
ce qui a été apporté – concepts, savoirs-faire, situations...- et lorsque le sujet se l'approprie. Si
étymologiquement, l’incorporation est ingérer dans son corps, symboliquement, l’incorporation
renvoie à l’intériorisation, mais dès lors nous perdons un élément opératif important celui de la
notion de corps qui me semble utile quand nous évoquons l’apprentissage d’actes moteurs,
d’élaboration sensorielle, de la motricité…tout en conservant ce qui est agi, ressenti par le sujet,
véritable appropriation du savoir, comme prise de possession de ce qui est appris. Ainsi, le passage
entre savoir et connaissance est appropriation par et dans le sujet.
L’engagement dans l’action, à l’origine des apprentissages, n’est pas seulement une activité
programmée de l’extérieur, c’est aussi une activité constructive qui est transformation de soi grâce
à sa propre pratique. (Samurçait et Rabardel, 200420) Un dispositif thérapeutique est l’organisation
d’une activité qui est faite par le Sujet qui la construit et se construit par là même. Il est seul à
pouvoir explorer/construire son propre apprentissage, sa propre production d’apprentissage. Le
dispositif thérapeutique permet l’incorporation de ce qui est compris de l’intérieur par le Sujet qui
peut alors le restituer par l’action. Le dispositif thérapeutique doit provoquer en lui le passage de
l’ignorance à la connaissance.
Dans les apprentissages perceptivo-gestuels, Piaget nous apprend qu’il n’y a pas
obligatoirement de théorisation, ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait pas de la conceptualisation
(Vergnaud, 199621). Dans certaines parties d’apprentissages, on utilise des savoirs pour mieux agir,
dans d’autres, on apprend à mieux comprendre (Pastré, 200622). Objectif et finalité de
l’apprentissage ne sont alors pas les mêmes. Quelle que soit la finalité du dispositif, il est possible
d’émettre l’hypothèse que l’acquisition de connaissances s’étaie sur des processus combinant le rôle
de l’apprentissage par l’action et celui de l’apprentissage par l’analyse de l’action. Chaque Sujet
réinventerait à sa façon le processus d’apprendre, en s’appuyant sur des inductions. Le Savoir est 20Samurçay, R., & Rabardel, P. (2004). Modèles pour l’analyse de l’activité et des compétences, propositions. In R. Samurçay, P& . Pastré (Eds/), Recherches en didactique professionnelle Toulouse: Octarès, (pp. 163-180)21Vergnaud, Gérard (1996) Au fond de l’action, la conceptualisation, in Barbier, J.M. (dir.) Savoirs théoriques et savoirs d’action, Éducation et Formation, biennales de l’éducation, Paris : PUF, (pp. 275-292)22Pastré, Pierre (2006) Apprendre à faire, in Bourgeois, Etienne et Chapelle, Gaétane (dir.) Apprendre et faire apprendre. Paris : PUF, pages 109-121
toujours extrinsèque à la situation d’apprentissage vécue par le Sujet. Est Connaissance tout Savoir
et/ou Savoir-Faire qu’un Sujet s’est incorporé en se l’appropriant.
L’incorporation du savoir s’appuie sur une représentation que le Sujet se fait de la réalité en
situation, et non à partir d’une définition cognitiviste de la représentation. « la psychologie
cognitiviste s’appuie sur son paradigme de l’Homme comme système du traitement de
l’information (Theureau, 2004,23p19). Pour en rendre compte, il faut évoquer Varela : «
L’hypothèse cognitiviste prétend que la seule façon de rendre compte de l’intelligence et de
l’intentionnalité est de postuler que la cognition consiste à agir sur la base de représentations d’un
monde extérieur prédéterminé qui ont une réalité physique sous forme de code symbolique dans un
cerveau ou une machine » (Varela, 1989a,24 p38). Et de rajouter: « Ces conceptions sont d’autant
plus éloignées de nos convictions et de nos expériences qu’elles renvoient à « la représentation
adéquate d’un monde extérieur prédéterminé. » (Varela, 1989b,25 p90).
C’est ce que Varela appelle énaction, concept qui vient éclairer « les questions pertinentes
qui surgissent à chaque moment de notre vie. Elles ne sont pas prédéfinies mais énactées, on les fait
émerger sur un arrière-plan et les critères de pertinence sont dictés par notre sens commun d’une
manière toujours contextuelle. » (Varela, 1996,26p 91).
Maturana et Varela, ont pu replacer la cognition au centre de systèmes vivants autonomes.
Ceux-ci sont déclarés « autopoïétiques » en raison de leur organisation « comme un réseau de
processus de production de composants qui :
a) régénèrent continuellement par leurs transformations et leurs interactions le réseau qui les a
produit,
b) constituent le système en tant qu’unité concrète dans l’espace où il existe, en spécifiant le
domaine topologique où il se réalise comme réseau » (Varela, 1989b,27 p45).
Incorporation de l’apprentissage par l’induction
Les inductions sont éclairées par une théorisation des interactions du système vivant avec
son environnement, nous aidant à comprendre l’incorporation de connaissances. Celle-ci traduit
l’appropriation d’un savoir par un sujet dynamique, en constante interaction avec lui-même et avec
23Theureau, Jacques (2004) Le cours d’action, méthode élémentaire. Toulouse : Octarès.24Varela, Francisco J. (1989a) Connaître. Les Sciences cognitives. Paris : Seuil25Varela, Francisco J. (1989b) Autonomie et connaissance. Paris : Seuil.26Varela, Francisco J. (1996) Invitation aux sciences cognitives. Paris : Le Seuil, Points Sciences27Op.cité
son milieu. Le modèle computationnel avec sa métaphore de l’ordinateur apparait insatisfaisant
pour Varela. Celui-ci élabore le concept d’autopoièse pour exprimer ce fait fondé sur la biologie
même de l’organisme, sur la biochimie et la vie cellulaire. Car « c’est un geste qui est à l’origine, à
la racine même de la vie. Il n’est même pas besoin de le penser au niveau des mammifères, des
humains ou des êtres sociaux : la vie en tant que processus autoconstituant contient déjà cette
distinction d’un pour-soi, ..., d’où émerge l’imaginaire, capable justement de donner du sens à ce
qui n’est que masses d’objets physiques. Cet enracinement du sens dans l’origine de la vie, c’est là
la nouveauté de ce concept d’autonomie, d’autopoièse. » (Castoriadis, 199928, p64-65) Autopoièse
veut dire littéralement autoconstruction, autoproduction ou autocréation.
Dans l’énaction, la représentation ne renvoie à aucun prédéterminé, le Sujet doit en
conquérir le sens. La représentation est le rapport interne du Sujet apprenant à la situation
d’apprentissage, et s’appuie sur des inductions dans la mise en sens. L’induction est un mode de
conceptualisation où le Sujet invente au sens qu’il produit une synthèse nouvelle d’idées. (Lalande,
196229, p544).
D’une part, le Sujet invente lorsqu’il fait l’acquisition du schème en situation, et d’autre
part, lorsque le schème s’adapte à la situation (Vinatier, 2009,30 p55-56). L’induction réunit en une
synthèse un ensemble d’actions, de faits, d’idées et de pensées. Le processus n’est ni inférentiel ni
déductif, mais une incorporation du Savoir sous forme de connaissances appropriées pour et par le
Sujet L’incorporation du Savoir est un résultat présent à la fois à la conscience du Sujet, et dans la
réalité transformée par l’action du Sujet.31
L'élaboration inductive naît quand il y a rupture, une interruption par une discontinuité
jouant le rôle de barrage. Ainsi, le levier thérapeutique qui consiste à confronter le patient à des
obstacles implique un travail inductif d’où émergeront des solutions. La complexité prends corps et
cohérence, c’est-à-dire qu’elle devient sens, elle donne au Sujet la compréhension de ce qu’il
apprend: le pouvoir-faire et le savoir-faire.
En guise de conclusion : Induction ou Insension ?
28Castoriadis, Cornelius (1999) Entretien Cornelius Castoriadis – Francisco Varela, in Dialogue. Paris : Editions de l’Aube, pages 59-8229Lalande, Jacques, dir. (1962) Vocabulaire technique et critique de la Philosophie, 9e éditionen un volume, Paris : PUF30Vinatier, Isabelle (2009) Pour une didactique professionnelle de l’enseignement. Rennes : Paideia, Presses Universitaires de Rennes.31L’inférence est un mouvement de la pensée allant des principes à la conclusion. C’est une opération qui permet de passer de prémisses, à une nouvelle assertion qui en est la conclusion. Il existe différentes inférences : les inférences déductives, inductives et abductives.
Le pouvoir faire est le résultat d’un acte d’invention qui a fait du savoir une connaissance
appropriée. : « Nous accomplissons les actes parce que les circonstances les ont déclenchés en
nous.» (Varela, cité par Mendel, 1998, 32p315) Le sujet est en interactivité avec lui-même, c’est-à-
dire en activité d’acter par et pour soi-même. Un « bon » dispositif thérapeutique facilite le plus
possible les conditions de la liberté d’apprendre, dans des actes dont l’issue est, du fait de cette
liberté du Sujet, toujours aléatoire. Le sujet ignorant est un sujet capable, car s’il ne construit pas
consciemment son pouvoir-faire, il est néanmoins en tension, en charge, en puissance, vers la
probabilité d’actes d’insension, origines de la production et de la construction à l’œuvre dans tout
apprentissage. « C’est le point où nous proposons, par nécessité, le mot INSENSION pour désigner
ce moment du pour-soi à l’œuvre …, c’est-à-dire lorsque le Sujet vit son apprendre comme inventer
dans un surgissement du sens. Pour le Sujet apprenant, cela désigne le savoir qui passe de son statut
extrinsèque référencé à la connaissance intrinsèque utilisable pour et par ce Sujet. » (Delacourt G,
2010).33
Le cadre psychomoteur s’appuie sur une intervention qui place le sujet en situation
d’appropriation du savoir, couplée à du sensorimoteur, où la pensée est effectivité en acte.
L’utilisation du jeu permet de maintenir une interaction non seulement avec les exigences de la
situation, mais aussi la transformation du savoir en connaissance par l’engagement perceptivo-
moteur, respectant la complexité du sujet et la spécificité de l’acte. Une fois appropriée, la
connaissance sera exprimable. On pourra alors obtenir du Sujet un récit.
32Vinatier, Isabelle (2009) Pour une didactique professionnelle de l’enseignement. Rennes : Paideia, Presses Universitaires de Rennes.33Opus. Cité, p91
Bibliographie
1)Bénavidès Thierry (2005), Psychomotricité : une psychothérapie à implication
corporelle ?, in Entretiens de Bichat, Paris : Expansion Scientifique Française, p 132-135 ;
2)Castoriadis, Cornelius (1999) Entretien Cornelius Castoriadis – Francisco Varela, in
Dialogue. Paris : Editions de l’Aube, pages 59-82 ;
3)Changeux, Jean-Pierre. (1983) L'Homme neuronal. Paris : Fayard
4)Château Jean (1979), cité in L'enfant et le jeu : Approches théoriques et applications
pédagogiques, études et document d’éducation de l’Unesco, publié par l'organisation des
Nations Unies, Paris : Ed. Unesco ;
5)De Ajuriaguerra Julian, Soubiran Giselle (2009), cité in Julian de Ajuriaguerra et la
naissance de la psychomotricité, JOLY Fabien (coord.), LABES Genevieve (coord.), Paris :
Papyrus ;
6)Delacourt G (2010), apprendre comme inventer, thèse sc. de l’éducation, conservatoire des
arts et métiers ;
7)Deleuze Gilles, Francis Bacon – Logique de la sensation, Seuil, 2002, p. 49 ;
8)Edelman Gerard Maurice (2008), Biologie de la conscience, textes de 1992, Paris :
Éditions Odile Jacob ;
9)GALLAGHER Shaun, ZAHAVI Dan (2012). The Phenomenological Mind (Anglais) Paris
: Broché ;
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