Le grand sahara dans l'imaginaire

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SAHARA: GÉOGRAPHIE DE LIMAGINAIRE Michel ROUX* RÉSUMÉ Le Sahara peut être défini comme un milieu aride et chaud. Pourtant, dans notre imaginaire, se dessine une autre géo- graphie du désert. Les paysages sableux sont surévalués de 2 à 5 fois suivant les source examinées, alors que le reg n'est que rarement mentionné ou représenté. Par ailleurs, l’évocation du Sahara dans notre imaginaire ne se réduit pas à une simple perception géographique. Tout se passe comme si le désert fonctionnait comme un espace de référence, tantôt pôle de répul- sion, symbole d’une «anti-civilisation», tantôt «âge d’or» d’avant la civilisation. • ERG • DÉSERT • IMAGINAIRE • PERCEP- TION • REG • SAHARA ABSTRACT The Sahara can be defi- ned as a hot and barren country. Yet our common perception of the desert does not correspond with this objective description. The sand is overestimated while the reg is scarcely represented. In other respects our mental perception of the Sahara cannot be reduced to a geographical one. The desert is used as a reference, now a repulsive pole, a symbol of the wild, now an attractive pole, symbol of a golden age. • ERG • DESERT • IMAGINARY • PERCEP- TION • REG • SAHARA (THE) RESUMEN El Sahara se puede definir como un medio árido y cálido. Sin embargo, en nuestro inconsciente se dibuja otra geo- grafía del desierto. Los paisajes arenosos son supervalarados de 2 a5 veces según las fuentes consultadas mientras que el reg es raras veces mencionado o representado. Por otro lado, la evocación del Sahara en nuestro inconsciente no se reduce a una simple percepción geográfica. Todo ocurre como si el desierto funcionase como espacia de referencia, ya polo de repulsión, símbolo de una «anti-civilización», ya «edad de oro» anterior a la civilización. • ERG • DESIERTO •INCONSCIENTE • PERCEPCIÓN • REG • SAHARA «La rencontre de l’homme et du désert, c’est aussi celle de l’Être face à sa mort». Lorsqu’il s’agit du désert, même les manuels de géographie prennent des allures de dictionnaires des symboles. L’objectivité de la description cède le pas aux références mythiques. L’image projetée par ce prisme défor- mant tend à s’imposer comme une réalité. Peut-être est-il bon de rappeler d’abord que c’est l’aridité, liée à la faiblesse des précipitations et à l’intense évapo-transpira- tion, qui définit le domaine désertique et donne à ses paysages leur originalité. Ainsi, ce ne sont pas les données structurales qui font la spécificité du désert mais la rareté du couvert végé- tal et des sols. Celle-ci révèle un univers exclusivement miné- ral où les topographies présentent une extrême netteté et où l’on peut découvrir, comme le souligne Th. Monod, «les plus beaux exemples de cuestas, plissements, accidents tectoniques divers...». À côté d’elles, les accumulations sableuses, les ergs, sont une autre composante typique des paysages saha- riens, pourtant pas la plus fréquente. En effet, si les reliefs offrent une grande diversité et les ergs une image typée, le paysage dominant est sans aucun doute le reg. Ces plaines caillouteuses ou graveleuses occupent une surface considé- rable, 600 000 kilomètres carrés pour le seul Tanezrouft. Une rapide approche objective et quantitative des paysages saha- riens (fig. 1) ferait état d’un milieu aride, chaud, constitué approximativement pour 15% par des ergs, 15% par des formes de relief très diverses et 70% par des regs. Pourtant, dans notre imaginaire se dessine une autre géogra- phie du désert (fig. 2). Une enquête en milieu scolaire (1) por- tant sur un échantillon de 302 adolescents, le dépouillement de onze ouvrages (2) «grand public» consacrés au Sahara, l’analyse de deux catalogues de tour-opérateurs spécialisés, mon- trent une série de déformations de cet espace. M. Roux 8 Mappemonde 2/91 M 2/1991 APPE ONDE * Laboratoire de Géographie Physique, URA 908 du CNRS, Université de Franche-Comté, Besançon.

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la beauté et la passion du désert

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  • SAHARA: GOGRAPHIE DE LIMAGINAIREMichel ROUX*

    RSUM Le Sahara peut tre dfini commeun milieu aride et chaud. Pourtant, dansnotre imaginaire, se dessine une autre go-graphie du dsert. Les paysages sableuxsont survalus de 2 5 fois suivant lessource examines, alors que le reg n'est querarement mentionn ou reprsent. Parailleurs, lvocation du Sahara dans notreimaginaire ne se rduit pas une simpleperception gographique. Tout se passecomme si le dsert fonctionnait comme unespace de rfrence, tantt ple de rpul-sion, symbole dune anti-civilisation,tantt ge dor davant la civilisation.

    ERG DSERT IMAGINAIRE PERCEP-TION REG SAHARA

    ABSTRACT The Sahara can be defi-ned as a hot and barren country. Yet ourcommon perception of the desert does notcorrespond with this objective description.The sand is overestimated while the reg isscarcely represented. In other respects ourmental perception of the Sahara cannot bereduced to a geographical one. The desert isused as a reference, now a repulsive pole, asymbol of the wild, now an attractive pole,symbol of a golden age.

    ERG DESERT IMAGINARY PERCEP-TION REG SAHARA (THE)

    RESUMEN El Sahara se puede definir comoun medio rido y clido. Sin embargo, ennuestro inconsciente se dibuja otra geo-grafa del desierto. Los paisajes arenososson supervalarados de 2 a5 veces segn lasfuentes consultadas mientras que el reg esraras veces mencionado o representado.Por otro lado, la evocacin del Sahara ennuestro inconsciente no se reduce a unasimple percepcin geogrfica. Todo ocurrecomo si el desierto funcionase como espaciade referencia, ya polo de repulsin, smbolode una anti-civilizacin, ya edad de oroanterior a la civilizacin.

    ERG DESIERTO INCONSCIENTE PERCEPCIN REG SAHARA

    La rencontre de lhomme et du dsert, cest aussi celle deltre face sa mort. Lorsquil sagit du dsert, mme lesmanuels de gographie prennent des allures de dictionnairesdes symboles. Lobjectivit de la description cde le pas auxrfrences mythiques. Limage projete par ce prisme dfor-mant tend simposer comme une ralit.

    Peut-tre est-il bon de rappeler dabord que cest laridit, lie la faiblesse des prcipitations et lintense vapo-transpira-tion, qui dfinit le domaine dsertique et donne ses paysagesleur originalit. Ainsi, ce ne sont pas les donnes structuralesqui font la spcificit du dsert mais la raret du couvert vg-tal et des sols. Celle-ci rvle un univers exclusivement min-ral o les topographies prsentent une extrme nettet et olon peut dcouvrir, comme le souligne Th. Monod, les plusbeaux exemples de cuestas, plissements, accidents tectoniquesdivers.... ct delles, les accumulations sableuses, les

    ergs, sont une autre composante typique des paysages saha-riens, pourtant pas la plus frquente. En effet, si les reliefsoffrent une grande diversit et les ergs une image type, lepaysage dominant est sans aucun doute le reg. Ces plainescaillouteuses ou graveleuses occupent une surface consid-rable, 600 000 kilomtres carrs pour le seul Tanezrouft. Unerapide approche objective et quantitative des paysages saha-riens (fig. 1) ferait tat dun milieu aride, chaud, constituapproximativement pour 15% par des ergs, 15% par desformes de relief trs diverses et 70% par des regs.

    Pourtant, dans notre imaginaire se dessine une autre gogra-phie du dsert (fig. 2). Une enqute en milieu scolaire (1) por-tant sur un chantillon de 302 adolescents, le dpouillement deonze ouvrages (2) grand public consacrs au Sahara,lanalyse de deux catalogues de tour-oprateurs spcialiss, mon-trent une srie de dformations de cet espace.

    M. Roux 8 Mappemonde 2/91

    M2/1991

    APPEONDE

    * Laboratoire de Gographie Physique, URA 908 du CNRS, Universit de Franche-Comt, Besanon.

  • Le sable, emblme du SaharaLa premire question du sondage invitait les lves citerdes noms et adjectifs qui caractrisent le Sahara. Les motssable, dune, erg reprsentent 79% des rfrences lexicalesrelatives aux paysages. Liconographie dans les ouvragesparticipe du mme processus de dformation. Sur 230 cli-chs, les paysages sableux couvrent environ 44% de la surfa-ce de lensemble des photos. Dans les ouvrages peu illustrs,ils reprsentent 61% de la surface iconographique, ce quirenforce leur valeur emblmatique (fig. 3). Enfin, dans deuxcatalogues publicitaires, sur 2 533 noms et adjectifs utiliss,577 termes se rapportent aux paysages naturels. Les motsdune, erg, sable sont employs 172 fois, soit 30%. Lesable emblmatique est ainsi survalu de 2 5 fois suivantla source examine.

    Le reg et le nantLe reg, lui, est minor (fig. 4). Les lves ny font que rare-ment rfrence: 4,3% des citations de paysages seulement. Cepourcentage recouvre le mot reg et toutes les expressionsqui associaient lide de plat et caillouteux! Les livres

    dimage ne lui accordent quune place restreinte, avec 11% dela surface des photographies. Il est, par ailleurs, rarementreprsent pour lui-mme: dans cinq cas sur six, il napparatquen toile de fond. Enfin, dans les catalogues touristiques, lemot ne figure que trois fois sur 577 termes utiliss!

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    ErgReg EscarpementMontagne

    TnrAr

    Hoggar

    Tassili duHoggar

    Tassilin'Ajjer

    Ergd'Admer

    Grand ErgOccidental

    Grand ErgOriental

    ErgEscarpementMontagne

    1. Les paysages du Sahara Central

    1 - Grand Erg Occidental, 2 - Grand Erg Oriental, 3 - Hamadas du Tadmat et deTinrhert, 4 - Tanezrouft, 5 - Hoggar, 6 - Tassili n'Ajjer, 7 - Erg d'Admer, 8 -Tassili du Hoggar, 9 - Adrar des Iforas, 10 - Ar, 11 - Tnr, 12 - Tibesti.

    2. Le Sahara Central et son iconographie

    Les entits gographiques reprsentes en couleurs sont les seules avoir faitlobjet de 10 photographies dans un corpus de 301 clichs (3). Une absenceremarquable: le reg.

    PAYSAGES ICONOGRAPHIE

    Tanezrouft

    TibestiHamadas du Tadmat et de Tinrhert

    Tassili du HoggarTassili n'Ajjer

    Ar

    Grand Erg OrientalGrand Erg Occidental

    Tnr

    Hoggar

    Erg d'Admer

    Adrar des Iforas

  • Le tableau ci-contre rend compte desdistorsions entre les paysages rels duSahara et leurs reprsentations mentales.

    Le Sahara, un espace de rfrencepour notre civilisation lvidence, lvocation du Saharadans notre imaginaire ne se rduit pas une simple perception gographique.La prsentation de ce milieu saccom-pagne de connotations motionnellespositives ou ngatives qui sorgani-sent autour de thmes prcis. Tout sepasse comme si le dsert fonctionnaitcomme un espace de rfrence, tanttple de rpulsion, symbole duneanti-civilisation, tantt ge dordavant la civilisation.

    Cest ainsi que pour 61% des lvesinterrogs, le Sahara est un universrbarbatif qui soppose au monde civi-lis. Les connotations ngativessorganisent selon trois composantes:- Le danger. Pour 52% dentre eux, leSahara est un espace hostile osexercent des menaces physiquescomme la soif, les piqres de scor-pions, les morsures de serpents, le ventde sable (fig. 5)...- Le nant. Dans 21% des cas il appa-rat comme vide, monotone, triste,angoissant.- Le sous-dveloppement apparataussi dans 16% des cas.

    On pourrait, dans la littrature de voya-ge et mme dans les ouvrages scienti-fiques, relever les mmes impressions.Emile Gautier, dans son ouvrage sur leSahara, ne peut voquer le Tanezrouftsans parler de la soif, du vent de sableet des piges du dsert.

    loppos, le Sahara fonctionneaussi comme un espace de rfrencepositive, qui offre ce que la civilisa-tion a dtruit. Les lycens ont voquspontanment cet aspect dans 33% descas et les catalogues touristiques nemanquent pas de le souligner aussi.

    Lanalyse du vocabulaire permet derelever huit champs lexicaux: lirrel,le mystrieux: 18% du vocabulaire;

    M. Roux 10 Mappemonde 2/91

    Sondage des lycens

    Lexique des cataloguesSurface des photographies

    ERG (Sable) AUTRES PAYSAGES

    Paysages rels

    REG79

    44

    30

    15

    4,3

    11

    0,5

    70

    16,7

    45

    69,5

    15

    En %

    4. Le Tanezrouft

    Le reg est peu reprsent dans l'iconographie. Dans les textes, il est dvaloris, c'est le paysage rudimentaire,solitude implacable et nue, infiniment dsole, morte jamais.,Photo: M. Roux.

    3. Le grand Erg Occidental

    Photo: M. Roux.

  • limmensit: 17; le hiratique: 17;lhyperbole esthtique: 15; la violence:12; labsolu: 8; le marin: 6; la puretoriginelle: 6%.

    Le Sahara est peru alors comme unenature vierge et souveraine qui saitrappeler aux hommes, par sa violen-ce, leurs propres limites. Seulsquelques initis ont su, au traversd'preuves difficiles, apprivoiser cetunivers: ils en sortent grandis etaurols. Il en va ainsi des nomades,mais aussi des mystiques, de quelquesmilitaires et scientifiques qui ontconsacr leur vie au Sahara.

    Des paysages sur mesureOn comprend bien que le sable soitalors llment qui se prte le mieux cette dualit dans notre imaginaire.Lerg exerce la mme fascination quellment marin. Si la tempte se lve,vo ic i l e ven t de sab le qu i obs -curcit lhorizon, ralentit la marche.Cest celui sans doute qui perd lescaravanes et engloutit les cits. Maison contemple avec respect cette merde sable infinie qui sait mnager, aucur des dunes, loasis traditionnellede limagerie. La dune est un espacepotique qui voque la sensualit et ladouceur, lieu du bivouac et du cr-monial du th sous la nuit toile. LeSable permet de raliser la synthsedes quatre lments: la terre, le feu,leau et lair.

    Le reg satisfait moins notre imaginai-re. Dans toutes les publications, ilnvoque que le nant, la dsolation,les mirages, la soif... Et si lon conc-de que cest un sol roulant, cest pouren faire un espace monotone, un ter-rain vague jalonn de pneus, debidons et de carcasses de voitures.Simple toile de fond pour incidentsmcaniques, cest lobstacle sansgrandeur. Ainsi se trouve marginalisl'lment essentiel de la gographiesaharienne au profit de paysagesgrandioses o lhorizon s'estompedans lor des dunes, plus satisfaisantspour dcrire un espace qui puisse nousservir de point de repre.

    M. Roux 11 Mappemonde 2/91

    (1) Cette enqute a t conduite, en mai 1990, au lyce E. Faure de Morteau (Doubs), auprsde 302 lves venant de cinq classes de seconde, trois de premire et deux de terminale. Lesdeux questions analyses ici taient les suivantes: - Citez les types de paysages sahariens que vous connaissez.- Donnez des noms et des adjectifs qui traduisent ce quvoque, pour vous, le Sahara.(2) Ces onze ouvrages dpouills sont: Dserts de Th. Monod (AGEP, 1989), Sahara de S.Acata et M. Brugmann (Silva, 1969), Sahara de J.M. Durou (AGEP, 1983), Sahara toujoursrecommenc de H.J. Hugot (Hachette, 1978), Sahara de J. Swift (Time Life, 1975), Sahara deE. Tourri (Atlas, 1981), Sahara de F. Vergnaud (Laffont, 1972), le Guide du Sahara de B.Vaes, G. del Marmol et A. dOtreppe (Hachette, 1988), la revue AUTREMENT (srie Monde,H.S., n 5, novembre 1983), le magazine GO (n 70, dcembre 1984) et la revue ULYSSE (n15, dcembre 1990).(3) Le corpus de 301 clichs provient des onze ouvrages voqus dans larticle et de deux cata-logues touristiques: Explorator, Expditions, 1990 et Terres daventures, Sahara, 1990.

    Rfrences bibliographiques

    GAUTIER E., 1923, Le Sahara, Paris, Payot, 350 p. HAARDT G.M. et AUBOIN-DUBREUIL, 1923, Raid Citron. La premire traverse duSahara en automobile, Paris, Plon, 309 p. MONOD Th., 1988, Dserts, Marseille, AGEP, 320 p. ROGNON P, 1989, Biographie d'un dsert, Paris, Plon, 347 p.VAES B., DEL MARMOL G. et DOTREPPE A., 1988, Guide du Sahara, Paris, Hachette, 750 p.

    5. Valle du TilemsiLe vent de sable fait partie de la mythologie saharienne. Il est de tous les rcits mais, l'oppos de la dune, ilvoque l'aspect ngatif du sable qui envahit tout.

    Photo: M. Roux.