Le Galopin 12 · LE GALOPIN Journal impertinent à parution aléatoire PRIORITAIRE À TAXE REDUITE...

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LE GALOPIN Journal impertinent à parution aléatoire Bienheureuse créature, vierge de toute inclination à l’humour noir, pince tes narines, n’ouvre pas ces pages et passe ton chemin. Galopin en Chef : Marc Thomée - Galopin Culturel : André Stas - Paraît 4 fois par an si la météo le permet. Décembre 2007 - N° 12 MADAME OCTAVIA P 505234 ENVOI INTERNATIONAL NON PRIORITAIRE À TAXE REDUITE Belgique - Belgïe P.P. Bureau de Dépôt : 4900 SPA BC10416 Elle avait 78 ans. Elle s’appelait Octavia. Elle ne savait plus sauter à la corde, jouer à l’élastique, rouler à vélo (en faisant tinter joyeusement sa sonnette dans les virages), danser le tango, distribuer et lire les cartes (devenues tellement grais- seuses qu’elles ne rentraient plus dans leur étui), nouer les lacets de ses bottines, peler et découper les pommes de terre, décapsuler une bouteille de bière avec les dents, tordre le coup à un poulet, crever l’œil d’un lapin et le vider de tout son sang. Elle ne rêvait plus. Elle ne pleurait plus. Elle avait du mal à lire. Elle chantait faux. Elle pissait de travers. Elle ne croyait plus en l’existence Depuis le temps ! Qu’est-il devenu ? Quelqu’un a-t-il de ses nouvelles ? Mange-t-il encore un bébé au beurre à chaque petit- déjeuner ? de Dieu. Vit-il encore ? Mais elle ne se perdait jamais dans les bois. — Et le Diable ? Porte-t-il enfin une majuscule ou doit-il toujours se contenter d’un petit « d » ? Et, chaque mercredi et chaque dimanche de la semaine, madame Octavia quittait le mouroir dans lequel le Centre Public d’Aide Sociale l’avait « placée », aux environs de la place Flagey, et remontait à pied toute la rue Malibran et prenait le bus 96 à la place Blyckaert et descendait du véhicule à proximité de l’École Internationale et traversait le quartier du Balai et partait se promener, tout seule, dans la forêt de Soignes, jusqu’à la tombée du jour. Mais elle avait toujours de l’appétit. Et, chaque lundi et chaque vendredi de la semaine, tôt le matin, elle revenait musarder et faire ses « petites courses » dans son ancien quartier de la rue Maes et de la rue Van Volxem et de la rue Van Aa et de la rue Sans Souci et — Dans le vieil immeuble que j’habitais avec mon premier mari, rue sans Souci, il y avait une pompe à eau et des toilettes au fond de la cour. C’était juste après la guerre. Quelquefois, la nuit, les locataires du dessus pissaient ou vidaient leur pot de chambre par la fenêtre. de la rue du Collège et de la rue de Venise. Et s’en retournait toujours avec quelques tomates, deux ou trois mandarines, une salade romaine (légèrement dé- fraîchie), un poivron, un oignon, une courgette, un concombre, une gousse d’ail, une aubergine ou un pain turc (à peine rassis) que Gourad, l’épicier de la place Hendrik Conscience, lui réservait et dont il lui faisait cadeau. Madame Octavia était autonome, incontrôlable, déboutonnée. Elle avait gardé toute sa tête et toute sa liberté (elle ressemblait à une plante qui fait semblant de mourir, se dessèche en surface et se réfugie dans ses racines avec de l’eau et de la nourriture pour survivre à toutes les saisons) et rien ne devait plus lui arriver. Mais voilà qu’un jour, les pantoufles de la vieille dame ont glissé sur un mollard de femme gravide ou sur un dégueulis de prêtre aviné (qui s’était fait vomir avec une brosse à dents avant d’aller tirer la messe en privé chez des friqués) ou sur une fiente de pigeon grippé ou sur une merde de chien chiasseux ou sur la dépouille mortelle d’une limace baveuse (gonflée de bière de malt ou dissoute au gros sel marin) ou sur un préservatif éventré et visqueux et voilà que la mémère a perdu l’équilibre et voilà que l’obsolète est retombée lourdement sur le sol et voilà que le melon de la vioque a heurté un tronc d’arbre ou un conteneur remplis de déchets de construc- tion ou la bordure d’un trottoir en béton ou le pare-choc d’une voiture en stationnement et voilà que la calebasse de la rombière s’est fendue comme une coquille d’œuf de Pâques. Ou la vieille maman, faisant partie d’un groupe de danseuses ou d’une assemblée de sœurs en Christ et revenant, tard dans la nuit, d’une veillée collective ou d’une séance de répétition, a-t-elle été électrocutée en marchant dans une flaque d’eau traversée par des câbles électri- ques dénudés au croisement des avenues Dodoma et Kasaï, dans la commune de Barumbu ? Quand on est une septuagé- naire — Presque une octogénaire ! a-t-on des mains, des jambes, un nez, des yeux, des oreilles, des lèvres, une langue, des dents, un nombril et un trou de balle comme tout le monde ? Est-il tout à fait raisonnable d’avoir encore des envies et de l’appétit ? Est-il vraiment admissible de se promener en forêt, toute seule, jusqu’à la tombée du jour ? Peut-on s’accrocher à la vie comme on s’accroche à un sac à main au risque de se faire égorger par son voleur ? Peut-on, obstinément, vivre au-dessous de son âge ? Didier de Lannoy La MotMol elle assure ! Vous avez votre billet pour un pays étranger ? Partez tranquille ! La MotMol vous assure contre tous les dangers qui vous guettent. Et notamment : - Faillite de la compagnie aérienne - Maladie tropicale de longue durée au retour - Chtouille exotique - Turista prolongée - Jambe cassée en montagne avec complications et gangrène - Piqûre de serpent venimeux (mortel sans antidote) - Anthropophagie en cas d'acci- dent aérien dans les Andes - Épuisement des piles du pacemaker - Prise d'otages - Amputation de la langue pour blasphème antimusulman - Mariage forcé avec quatre épouses qui se révèlent non-vierges - Adoption d'un petit sidéen en phase terminale - Suicide par inadvertance - Vol de tous vos biens et papiers - Pillage de votre domicile en votre absence - Gestion des droits d'auteurs et droits à l'image pour les photos prises sur place Dans tous ces cas vous êtes remboursés intégralement par la MotMol À condition de prévenir nos services un mois avant le préjudice La MotMol, elle assure ! Agence Frémion & partners Madame Octavia Sabrina Gruss, assemblage.

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LE GALOPIN Journal impertinent à parution aléatoire

Bienheureuse créature, vierge de toute inclination à l’humour noir, pince tes narines, n’ouvre pas ces pages et passe ton chemin.

Galopin en Chef : Marc Thomée - Galopin Culturel : André Stas - Paraît 4 fois par an si la météo le permet. Décembre 2007 - N° 12

MADAME OCTAVIA P 505234

ENVOI INTERNATIONAL NON PRIORITAIRE À TAXE REDUITE

Belgique - Belgïe P.P.

Bureau de Dépôt : 4900 SPA BC10416

Elle avait 78 ans. Elle s’appelait Octavia. Elle ne savait plus sauter à la corde, jouer à l’élastique, rouler à vélo (en faisant tinter joyeusement sa sonnette dans les virages), danser le tango, distribuer et lire les cartes (devenues tellement grais-seuses qu’elles ne rentraient plus dans leur étui), nouer les lacets de ses bottines, peler et découper les pommes de terre, décapsuler une bouteille de bière avec les dents, tordre le coup à un poulet, crever l’œil d’un lapin et le vider de tout son sang. Elle ne rêvait plus. Elle ne pleurait plus. Elle avait du mal à lire. Elle chantait faux. Elle pissait de travers. Elle ne croyait plus en l’existence

— Depuis le temps ! Qu’est-il devenu ? Quelqu’un a-t-il de ses nouvelles ? Mange-t-il encore un bébé au beurre à chaque petit-déjeuner ?

de Dieu. — Vit-il encore ? Mais elle ne se perdait jamais

dans les bois. — Et le Diable ? Porte-t-il

enfin une majuscule ou doit-il toujours se contenter d’un petit « d » ?

Et, chaque mercredi et chaque dimanche de la semaine, madame Octavia quittait le mouroir dans lequel le Centre Public d’Aide Sociale l’avait « placée », aux environs de la place Flagey, et remontait à pied toute la rue Malibran et prenait le bus 96 à la place Blyckaert et descendait du véhicule à proximité de l’École Internationale et traversait le

quartier du Balai et partait se promener, tout seule, dans la forêt de Soignes, jusqu’à la tombée du jour.

Mais elle avait toujours de l’appétit.

Et, chaque lundi et chaque vendredi de la semaine, tôt le matin, elle revenait musarder et faire ses « petites courses » dans son ancien quartier de la rue Maes et de la rue Van Volxem et de la rue Van Aa et de la rue Sans Souci et — Dans le vieil immeuble que

j’habitais avec mon premier mari, rue sans Souci, il y avait une pompe à eau et des toilettes au fond de la cour. C’était juste après la guerre. Quelquefois, la

nuit, les locataires du dessus pissaient ou vidaient leur pot de chambre par la fenêtre.

de la rue du Collège et de la rue de Venise. Et s’en retournait toujours avec quelques tomates, deux ou trois mandarines, une salade romaine (légèrement dé-fraîchie), un poivron, un oignon, une courgette, un concombre, une gousse d’ail, une aubergine ou un pain turc (à peine rassis) que Gourad, l’épicier de la place Hendrik Conscience, lui réservait et dont il lui faisait cadeau.

Madame Octavia é ta i t au tonome , i n con t rô l ab l e , déboutonnée. Elle avait gardé toute sa tête et toute sa liberté (elle ressemblait à une plante qui fait semblant de mourir, se dessèche en surface et se réfugie dans ses racines avec de l’eau et de la nourriture pour survivre

à toutes les saisons) et rien ne devait plus lui arriver.

Mais voilà qu’un jour, les pantoufles de la vieille dame ont glissé sur un mollard de femme gravide ou sur un dégueulis de prêtre aviné (qui s’était fait vomir avec une brosse à dents avant d’aller tirer la messe en privé chez des friqués) ou sur une fiente de pigeon grippé ou sur une merde de chien chiasseux ou sur la dépouille mortelle d’une limace baveuse (gonflée de bière de malt ou dissoute au gros sel marin) ou sur un préservatif éventré et visqueux

et voilà que la mémère a perdu l’équilibre et voilà que l’obsolète est retombée

lourdement sur le sol et voilà que le melon de la vioque a heurté

un tronc d’arbre ou un conteneur remplis de déchets de construc-tion ou la bordure d’un trottoir en béton ou le pare-choc d’une voiture en stationnement

et voilà que la calebasse de la rombière

s’est fendue comme une coquille d’œuf de Pâques.

Ou la vieille maman, faisant partie d’un groupe de danseuses ou d’une assemblée de sœurs en Christ et revenant, tard dans la nuit, d’une veillée collective ou d’une séance de répétition, a-t-elle été électrocutée en marchant dans une flaque d’eau traversée par des câbles électri-ques dénudés au croisement des avenues Dodoma et Kasaï, dans la commune de Barumbu ?

Quand on est une septuagé-naire — Presque une octogénaire ! a-t-on des mains, des jambes,

un nez, des yeux, des oreilles, des lèvres, une langue, des dents, un nombril et un trou de balle comme tout le monde ? Est-il tout à fait raisonnable d’avoir encore des envies et de l’appétit ? Est-il vraiment admissible de se promener en forêt, toute seule, jusqu’à la tombée du jour ?

Peut-on s’accrocher à la vie comme on s’accroche à un sac à main au risque de se faire égorger par son voleur ? Peut-on, obstinément, vivre au-dessous de son âge ?

Didier de Lannoy

La MotMol elle assure !

Vous avez votre billet pour un pays étranger ? Partez tranquille !

La MotMol vous assure contre tous les dangers qui vous guettent. Et notamment :

- Faillite de la compagnie aérienne

- Maladie tropicale de longue durée au retour

- Chtouille exotique - Turista prolongée - Jambe cassée en montagne

avec complications et gangrène

- Piqûre de serpent venimeux (mortel sans antidote)

- Anthropophagie en cas d'acci-dent aérien dans les Andes

- Épuisement des piles du pacemaker

- Prise d'otages - Amputation de la langue pour

blasphème antimusulman - Mariage forcé avec quatre

épouses qui se révèlent non-vierges

- Adoption d'un petit sidéen en phase terminale

- Suicide par inadvertance - Vol de tous vos biens et

papiers - Pillage de votre domicile en

votre absence - Gestion des droits d'auteurs et

droits à l'image pour les photos prises sur place

Dans tous ces cas vous êtes remboursés intégralement

par la MotMol À condition de prévenir nos services

un mois avant le préjudice

La MotMol, elle assure !

AAAAggggeeeennnncccceeee FFFFrrrréééémmmmiiiioooonnnn &&&& ppppaaaarrrrttttnnnneeeerrrrssss

Madame Octavia Sabrina Gruss, assemblage.

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— Retrouvez, tous les trimestres, La page du GALOPIN dans EL BATIA MOÛRT SOÛ, journal jovial, crédule, saugrenu mais outrecuidant. —

LA DOLCE VITA

— Il est mort ! — Quand ? — Cette nuit. C’est souvent comme ça que débute la journée : à passer en revue ceux qui y ont laissé leur peau durant la nuit, à vérifier les pronostics sur le décès de têtes connues, de ces noms que l’on affichera en gros, en gras, en premier plan. Travailler à la rubrique nécrologique n’est pas d’un mortel ennui. À la source de toutes les effervescences, on mesure le caractère fluctuant de la mort, ses petits jeux de dupe et son inextricable obstination. Pestiféré de la rédaction, petit rat copieur sans imagination : me voilà ! Ici, on vit intensément en couchant les morts sur papier : jeunes ou vieux, riches ou pauvres, pleurés à cor et à cri ou oubliés jusqu’au trépas. N’importe quelle fantaisie ne serait à-propos pour écrire sur ce genre d’évidence, d’absolue certitude. La mort et son annonce « médiatique » demandent un enrobage de rigueur, des atours faits de froideur, la maîtrise experte des formules d’usage qui ici, plus qu’aux mariages, seront capitales, puisque ultimes. Ça tombe bien, tout cela me va plutôt bien au teint. Et pourtant, cela se gausse aux rubriques politiques et people lorsque l’on évoque mon travail, mon existence. Que voudraient-ils que je fasse de mes communiqués, comment voudraient-ils les voir emballés ? La grande faucheuse n’a rien de glamour ou de sensas’ : basta à l’immense cirque des pseudo relations humaines suintantes de compassion ou révélations toni-truantes. Aucune surprise, ou alors de minimes, pour ceux qui s’attardent à la lecture de ma rubrique. Ça se sait : les parents pleurent, les lecteurs guettent pour pouvoir, peut-être, verser quelques larmes à leur tour, et quand un de mes sujets mérite plus d’attention que celle adressée au simple quidam, on m’en prive. Il quitte la case mitoyenne des mots-croisés pour faire la Une. Le décès est relayé, toutes sirènes hurlantes, à coups de pages spéciales et d’odes funèbres divers pour offrir à nouveau à mes encarts la beauté de l’absolue inutilité.

Malgré tout, plus que certains sujets des pages Société, les miens côtoient les dîners, font la conversation, aident à placer les « Te souviens-tu de Michel Y, le petit blond de 5e au Lycée Carnot ? Et bien il est décédé la semaine passée » ânonnés bêtement. Utile dites-vous ? Ce qui fait la beauté de ce métier de chroniqueur mortuaire est justement son absence d’utilité, ou son utilité limitée ; l’utilité limitée résidant dans le seul fait de rassembler ceux qui n’aiment pas priver le monde de leur présence aux mariages et aux enterrements. L’avantage de la page nécrologique est donc, pour eux, l’outil indispensable pour être là où il faut être. « Right place, the right day ». Qui, aujourd’hui, peut encore se vanter de s’atteler jour après jour à une tâche dont l’univers se contrefiche et qui n’est

nécessaire, ni à la source, ni à l’embouchure ? Jongler avec ces annonces, ces remerciements, ces dates anniversaires affichées au nez et à la barbe de tout un lecto-rat est de celle-là. Mon travail ne sert à rien, ni personne. N’a eu et n’aura de conséquence sur le sort de ceux dont je fais état. Mes huit heures salariées n’interfèrent pas sur des vies et n’en change-ront pas le cours, évidemment. Risque zéro, luxe ultime. — La direction générale fulmine. — Les nouvelles bordures des cadres sont trop tape-à-l’oeil à leur goût ? — C’est la diminution chronique

des annonces qui les fait enrager. — Que veux-tu qu’on y fasse ! On ne peut rien y faire et on n’y fera rien. Rien de rien. Notre boulot s’inscrit dans la lignée d’un who’s who macabre, d’un marché parallèle qui renfloue grassement les caisses des rédac-tions. La loi du marché sévit ici comme ailleurs : l’offre et la demande étant plus subtilement aménagée, les vivants décidant pour les morts. Depuis quelques temps, le travail est moins rude, d’une page entière quotidienne il y a quelques années, nous atteignons péniblement le quart et la moitié les samedis et les jours de fêtes. Les traditions se perdent, la religion développe son propre business et le culte nécrophage de la lecture de la page nécro le matin devant un café fumant est devenue has been. Et ils veulent que nous nous retrouvions au

grand temps de la nécrologie ! Autant demander aux pays du Tiers Monde de lister les victimes de leurs famines et de leurs guerres pour combler les blancs. L’idée n’est pas moins nauséabonde que de pleurnicher sur ce manque à gagner. Certains tournent en rond à longueur de journées à se demander ce qu’ils font là, d’autres à espérer une promotion ou encore une mutation. Pas touche à mon job. L’effet du « Je suis journaliste » est une valeur sûre. Pour un chef de rubrique, inutile de sortir le curriculum vitæ : les portes s’ouvrent instantanément. Quand on ajoute

qu’il s’agit de la rubrique nécrologique l’auditoire adopte un profil bas, cérémonieux, reste parfois une grimace inqualifiable sur quelques visages. Une place de planqué diront certains, sans intérêt diront d’autres. Moi je dis précieuse et vénérée. La dolce vita en mieux. — Alors ? — Départ à la retraite anticipé ! — Que vas-tu faire ? — Je n’en sais rien. J’ai pourtant été payé suffisamment longtemps pour le savoir : tout a une fin. Mais pas celle-là, pas maintenant, pas comme ça. Difficile de faire l’impasse sur l’émulation constante connue à la rédaction. Impossible de ne plus penser aux annonces qui arrivaient au compte goutte ou en cascade et qui m’aidaient à imaginer l’agencement de la prochaine édition. Puzzle amusant où se mêlaient noms et prénoms, familles recomposées, décomposées ou inexistantes. Depuis ma mise au placard, je ne lis plus la presse, encore moins la nécro – de mon ex-employeur ou d’un autre ca-nard – tout ça me fend le cœur. Le manque est béant. Plus que la force de l’habitude, plus qu’un travail, ces journées passées à regarder la mort m’étaient vita-les. Peut-être ce travail m’a-t-il aidé à me rappeler, pendant plus de trente ans, que je vivais. Mais qu’espérer de la vie quand même la mort vous tourne le dos ? Jamais je n’ai été du genre à renoncer. Non je n’irai pas à la pêche, non je ne me réjouirai pas de la partie de Scrabble du samedi après-midi et je m’inves-tirai encore moins dans une quelconque œuvre caritative. Définitivement pas. Je ne crois pas en ces professions de foi. La seule qui m’émeuve est celle de la fidélité éternelle à son premier amour. Un unique sacerdoce, une vie dévouée qui débute et se termine sur le même rythme, les mêmes couleurs, peut-être même sur les mêmes envies… — Il est mort ! — Quand ? — Cette nuit.

Caroline Lhonneux

Dessin : l’empereur Patrice

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— Retrouvez ce 19 décembre, comme tous les trimestres, EL BATIA MOÛRT SOÛ et La page du GALOPIN dans CHARLIE HEBDO Belgique —

La fille bien élevée ne tire pas la langue à la dame mais lèche les vitrines dès son premier argent. Quand ? En toute saison, surtout le samedi, avec des pics avant Noël, aux soldes de janvier et de juillet. C’est l’œuvre d’une vie entière de lécher les vitrines, une œuvre digne du Guiness book ou de la mythologie grecque.

Remplir un tonneau percé ou remonter son rocher en haut d’une colline ne forcent plus le respect depuis l’invention de la louche et du bulldozer.

Mais lécher une vitrine piquetée de mouches ou de flocons de neige mérite un sacré coup de chapeau. En effet, les résidus de CO2 et la bave des précédentes réduisent l’espérance de vie et la dignité. De plus, faire les vitrines exige de renoncer à la courtoisie. Ainsi, la cliente héréditaire n’hésitera pas à pousser du coude et à contrefaire le piqué du vautour sur sa proie.

Au besoin, à imiter les hommes, comme à la guerre.

Le risque est proportionnel au rabais et au crédit du mari.

La veille des soldes, il ne sera pas vain de se faire corriger la vue par un ophtalmologue.

Le lèche-vitrine réclame un œil de vautour, on l’a dit.

Et un esprit de mathémati-cien.

Soit une cliente qui abuse de crème pâtissière à l’heure de la pause. Les sucres rapides lui élargissent les hanches illico. La jupe démarquée à l’étalage rétrécit en proportion. Mais de combien ? Et quel acte poser vu que la taille au-dessus n’est pas disponible en rayon ? Renoncer à sa bonne affaire ? Ou entamer

une cure d’amaigrissement dès le lundi ? Se le jurer dans le confort ouaté de sa conscience suffit à convertir le coup de cœur en affaire du jour. Une affaire si miraculeuse qu’en garder le secret donne la saveur au fruit défendu. Fruit que la cliente enfilera peut-être, avant de l’oublier, blet, au fond d’une armoire.

Ou qu’elle écoulera parmi tant de vieilles loques à une boutique de seconde main.

Manière d’arrondir la fin de mois.

En prévision des soldes d’été.

Alain Bertrand

VINGT FOIS SUR LE MÉTIER LA VITRINE

Chers Membres, Depuis sa mise sur pied, notre mouvement a toujours été porté, vous m’en êtes témoin, sentinelles au garde à vous, par une dynami-que de rigueur budgétaire. « Rien ne sert de courir, il faut partir à point » pourrait nous servir de devise. Nous marchions d’un bon pas vers l’horizon des équilibres budgétaires. Las ! Handicapée par une conjoncture boursière défavorable, paralysée par un vent debout contraire à nos prévisions, le bilan de cette année s’annonce sinon déficitaire, du moins statique. Promenez vos yeux sur les comptes : vous constaterez pourtant que nul faux pas n’a été commis.

Opérations de change, conjoncture et taux d’intérêts sont seuls responsables.

Je pourrais tout détailler ici, mais foin de gymnastique intellectuelle ; nous perdrions pied dans le marathon des chiffres. Sans faire de rond de jambe, et sans forcer l’image, je vous le dis tout net ; nous entamons maintenant les nombreuses stations de notre chemin de croix financier. Celui-ci sera long, un plein exercice. Mais je vous le promets, chers membres, nous ne traînerons pas les chausses ! Au critique de la situation, je n’irai pas par quatre chemins et vous demanderai la confiance. Seule une démarche positive de votre part nous sauvera. En un seul mot, chers membres, face à l’adversité, debout !

Dr Lichic

DISCOURS INTRODUCTIF AU BILAN FINANCIER ANNUEL DE L’ASSOCIATION NATIONALE DES PARAPLÉGIQUES

Dessin : Karo

Dessin : Marc Wasterlain

1. ARTICLE DE BASE Le président Sarkozy ramène du Tchad 3 journalistes et 4 hôtesses de l’air.

2. ASCENSEUR Le président a tiré d’embarras 3 membres d’une profession qui le glorifie. 3. BERLUSCONIEN Le président ayant appris que 3 reporters avaient quitté la France pour N’Djaména et n’y faisaient rien, est venu les prier de le photographier. 4. APPROXIMATIF Un type est allé chez des inconnus dans un autre pays pour s’occuper de gens qu’il ne connaissait pas et ramener une partie d’entre eux quelque part. 5. MAL INFORMÉ Monsieur le Président est allé au Tchad voir si sa femme n’y était pas. 6. RENVERSANT Le président du Tchad est allé en avion en France récupérer un charter d’Africains emprisonnés sauvagement par la police française à quatre par cellule. 7. POMPEUX Monsieur le Président, vous allâtes au Tchad, vous y accourûtes ! Vous récupérâtes des hôtesses et des journalistes ! Vous les embarquâtes et vous décollâtes à la barbe de leurs geôliers ! Vous nous plûtes, vous nous épatâtes ! 8. FABLE ANIMALIÈRE Rusé, le renard se rendit chez l’éléphant. Pour sauver des charo-gnards, il abandonna les pigeons.

9. FRANGLAIS Pour passer aux news, le leader français a pris un vol low cost et passé le week-end au Tchad avec des reporters people. 10. SOVIÉTIQUE Tzarkozy sortit du Kremlin pour tirer du goulag une bande de moujiks qui pratiquaient l’agit prop au sein d’un kolkhose non gouver-nemental. 11. CULTIVÉ Le marquis Tchad a écrit « La philosophie dans le bounoir ». 12. LIPOGRAMME EN E Sarkozy a fait un coup au Tchad. Il a conduit trois paparazzi jusqu’à son airbus. Ils ont fui à Paris. 13. POIL AU Le président poil aux dents a tiré d’affaire poil au blair des paparazzi poil au zizi. 14. PÉPITES LATINES Le président s’est envolé pour l’Afrique ab irato. Il est arrivé sur place alea jacta est. Il a fait libérer des gens audaces fortuna juvat. Il est reparti vite fait ite missa est et time is money. 15. ÉCOLOMIQUE Sachant qu’il faut un airbus de 15O places pour ramener du Tchad 7 personnes, quel avion aurait-il fallu affréter pour en ramener 8 de plus ? 16. MAUVAISE FOI Le président n’est pas allé chercher Ingrid Bétancourt. 17. SAINT NICOLAS « Ils étaient trois petits enfants qui s’en allaient glaner aux champs » .(Air connu) 18. NOURRITURE Le président a tiré de la mélasse des andouilles dans la panade et laissé mariner les cornichons. 19. POURQUOI QUE ? Pourquoi que le président est allé en Afrique ? Pourquoi qu’il n’y est pas resté ? 20. VERS DE MIRLITON Cherchant des paparazzi Le président Sarkozy A tiré de N’Djamena Trois gus et quatre nanas.

Yak RIVAIS

Stas

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JOUEZ AVEC LE PROFESSEUR STAS UN PETIT MÉTIER SYMPA

Vous m’avez déjà probablement vu dans mes œuvres, très cher, sur l’une ou l’autre plage, à marée basse. Intrigué par mon manège – peu de gens travaillent à quatre pattes – vous avez dû vous approcher et sans doute votre dernier repas a-t-il fait connaissance avec le sable humide du jusant. Je risque peu de connaître cette avanie : dans mon métier, on travaille à jeun pour ne pas risquer de gâcher cette belle marchandise qui est notre gagne-pain.

Mon métier se perd. Jadis nous étions quelques dizaines mais il m’arrive de plus en plus rarement de croiser un confrère au bord des flots. Il faut dire que renifleur d’anus de méduse, ce n’est pas une sinécure. L’appendice nasal, au moindre faux mouvement, en prend pour son grade. Je ne compte plus les boîtes de pansements gras pour brûlures que j’ai consommées dans ma carrière ! Heureusement, je peux les faire passer dans mes frais professionnels. Vous aurez aussi remarqué que ma moustache et ma barbe, seules protections autorisées, sont dans un piteux état.

Pourquoi je renifle l’anus des méduses ? Mais, très cher, vous n’y connaissez rien en nouvelle cuisine ! Lui sentir le fondement est l’unique façon de savoir si le coelentéré pourra être consommé sans risque !

Vous me semblez fort intéressé, très cher. Justement, dans quelques mois, je pars à la retraite. Je cherche un apprenti pour le former. Cela vous tente-t-il ? Un joli petit anus de méduse, tout frais ?

Éric Dejaeger

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HOR. : 1. Tout sauf simple, celle-là, c'est le moins qu'on puisse dire ! 2. Pourvu qu'on aille jusqu'à la turgescence… ! 3. Mettra sur les genoux - Céleste "Illuminé". 4. Plus tard arrache le bitume ! - Avait sans doute une sainte horreur de l'ordinaire - Bande de crabes outre-Quiévrain - Ah ! l'or quoi ! 5. Ne fera plus la Force longtemps, si ça continue comme ça ! - À l'embouchure de l'Indus - Cave canem. 6. Portent bien leur nom - Vol qualifié. 7. Allez-y donc voir les immortelles affiches du petit Henri ! - Onagre ou bélier ? 8. Femme de biens - On manque pour que ça crame ! 9. À moitié de Paname - Fait des bleus - À moitié de Paname itou (mais du côté de la Bastille). 10. Quand on coupe un vers en deux… VERT. : 1. Ont quelque chose d'Albert II. 2. Lui, il l'a vue, la Terre Promise - S'est montré rétif aux ordres. 3. S'amuse - Bien mais mal ! 4. Mauvaises graisses. 5. Cassons la croûte - Début d'inspection. 6. Celui-ci à Rome - Gratte papier. 7. À la fin de la messe (et oubliez votre latin ! ) - Bien le bonjour de l'Oncle Sam ! - Ouverture de l'opéra. 8. Les cocus magnifiques - Un truc ou l'autre. 9. Mer d'huile ? - Singe en abrégé - Ainsi s'achève l'hiver (alors qu'on n'y est pas encore). 10. Pilote de ligne - Appât de loup. 11. Ne font pas sans blanc. 12. Spécialité de la linotte.

HOR. : 1. Emmerdements. 2. Meunière - Oui. 3. Bureau - Ratés. 4. (siffl)Et - Rixe - Boum. 5. (quet)Te - (rê)Ve - Si - Iso. 6. Gêne - Sorel. 7. Mai - Tagore. 8. Esta - Uuui - F(i)g(ue). 9. Niort - Yxeu (yeux). 10. Tentaculaire. VERT. : 1. Embêtement. 2. Meute - Asie. 3. Mur - Giton. 4. Énervé - Art. 5. Riaient - Ta(ta). 6. Deux - Eau. 7. (h)Er(pès) - (herp)Ès - Guru. 8. Mer - Isou. 9. A.B. - Oriya. 10. Notoire - (ta)Xi. 11. Tueuse - Fer. 12. Sismologue.

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LE GALOPIN

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Elle fait des passes dans l'impasse elle n'est jamais inquiétée elle est bien avec l'agent de quartier qu'elle appelle Cloclo

à cause de ses cheveux un peu longs un peu miel pas très réglementaires C’est qu’il n’est pas gêné quand il fait l’inspecteur des conditions d’hygiène de s’attarder chez elle et de laisser une chance à leurs amours

Chez elle c’est petit elle n'a pas besoin de plus d'espace Ses clients ne sont pas bien grands certains ne viennent que pour une tasse de café sur un coin de sa table fleurie ou pour une eau de vie parler de ce qui va à vau-l’eau dans leur vie et de ce qui va bien et ceux qui viennent pour la chose trouvent exactement son corps et sa jeunesse et son sourire à la bonne mesure au juste prix du désir passager qui les a menés dans l’impasse pour une passe apéritive.

Karel Logist .

DANS L’IMPASSE

Renifleur d’anus de méduses, François Walthéry.

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Dans l’impasse, Photo d’André Stas.