Le Frontispice d’Hermès Trimégiste - hermetism.free.frhermetism.free.fr/forum/OrdesSages.pdf ·...

21
(© Rahamim 2005) DEUX MONUMENTS ALCHIMIQUES PARISIENS Le Frontispice d’Hermès Trimégiste suivit de La fontaine de Mars

Transcript of Le Frontispice d’Hermès Trimégiste - hermetism.free.frhermetism.free.fr/forum/OrdesSages.pdf ·...

(© Rahamim 2005)

DEUX MONUMENTS

ALCHIMIQUES PARISIENS

Le Frontispice d’Hermès Trimégistesuivit de

La fontaine de Mars

L’Or des Sages

168

Façade de la BNP-Paribas rue BergèreLe Frontispice d’Hermès Trimégiste.

Phot

ogra

phie

s : T

hier

ry C

hata

igni

er

Le Frontispice d’Hermès Trimégiste

Notre capitale est certainement, parmi les cités européennes,la mieux pourvue en matière d’œuvres d’art, et plus particu-lièrement en ce qui concerne les monuments érigés à la gloired'Hermès.

Sur le portail de l’ancien Comptoir d’Escompte de Paris, aunuméro 14 de la rue Bergère abritant aujourd’hui les bureauxde la BNP-Paribas, en plein cœur du neuvième arrondissement,l’artiste sculpteur Aimé Millet a signé un véritable chef d’œuvre.C’est une composition élégante. Le frontispice est visible depuisle boulevard Poissonnière, du haut de la rue Rougemont.

Ce qui a particulièrement retenu mon attention, la premièrefois que je contemplais cette magnifique fresque, ce sont les deuxproues de navire, flanquées de part et d’autre du frontispice.Chaque nef est en réalité constituée de trois nefs distinctes,enchâssées l’une dans l’autre, et cela apparaît plus nettementlorsque l’on regarde la façade de profil ; la triple nef émerge enune élégante saillie et semble flotter sur une guirlande de fruits.Pour accroître l’intrigue suscitée par ce motif, un caducée s’ins-crit dans l’axe de la proue, en guise de mât de misaine. Enfin,dernier détail, la figure de proue est une tête de Méduse.

Quelle subtile façon d’exposer au grand jour le Triple Vaisseaualchimique associé au sujet de la philosophie.

Dans l’ouvrage du Président d’Espagnet, on peut lire au centneuvième canon :

« Le vase dans lequel les philosophes font cuire leur œuvre estde double origine ; l’un est de la Nature, l’autre est de l’Art.Le vase de la Nature, qu’on appelle aussi le vase de la philo-sophie, est la terre de la Pierre, ou la femelle, ou encore lamatrice dans laquelle la semence du mâle est reçue, se putré-fie et est préparée pour la génération. Or le vaisseau de l’Artest triple, en effet, le secret se cuit dans un triple vaisseau. »

Ce vaisseau, notre Athanor, est notre matrice, il représenteégalement l’assemblage des matériaux, mercure, soufre et sel que

169

L’Or des Sages

170

Le Triple Vaisseau de la Philosophie

le sage doit élire pour accomplir l’œuvre. Il représente égale-ment la composition du compost de la coction finale. Il est asso-cié ici au caducée figurant le mercure des sages, reconnaissableaux deux serpents entrelacés et surmonté d’une paire d’ailes.Curieux ce navire qui flotte sur un phylactère constitué d’unetresse abondamment fournie en fruits, légumes et céréales detoutes sortes, signe incontestable d’abondance.

Ultime raffinement, la figure de proue est l’une desGorgones, la Méduse, la même qui figure aussi sur le torsed'Hermès et qui, selon Fulcanelli, personnalise à la fois laPrudence et la Sagesse.

Dans la mythologie grecque, Méduse – qui est l’une des troisGorgones –, eut commerce avec le Dieu Neptune dans le templede Minerve. La Déesse, indignée de la profanation de sontemple, changea alors en serpents les cheveux de Méduse et luidonna la faculté de pétrifier tous ceux qu’elle regardait. Perséeà l’aide d’un bouclier magique sut détourner son regard et luitrancha la tête et du sang de Méduse naquit Chrysaor et Pégase.Cette légende se rapporte aux trois œuvres dont elle constitueun abrégé, Chrysaor évoquant sans détour la chrysopée.

La pièce centrale du frontispice est l'effigie du triple dieuMercure-Hermès-Thot, trônant majestueusememt encadré pardeux robustes griffons, sur un linteau, au-dessus des trois portesdu bâtiment. Notre illustre personnage, dans une attitude majes-tueuse, arbore sereinement un sceptre surmonté d’un coq debronze en sa dextre et un miroir orné d’un serpent en sa sénestre,tandis qu’il laisse reposer son avant bras sur la crinière du grif-fon. Le coq du sceptre symbolise également le mercure philoso-phique,et sa présence sur cette scène n’est pas fortuite.

Les deux griffons de cette composition ont une tête de lion,ce qui est inhabituel. Conventionnellement les imagiers leursculptent une tête d’aigle et un corps de fauve muni d’ailes. Latête de lion marque ici la puissance, celle du principe mâle, etles ailes la volatilité. L’assemblage des deux donne un êtrehybride, mi-fixe, mi-volatil, le griffon du premier œuvre.

D’autres détails surprennent ; le Messager porte également

171

L’Or des Sages

L’Or des Sages

172

Le Griffon du premier œuvre et le Miroir au serpent.

sur son buste la tête de Méduse entrelacée de serpents et deuxmérelles ornent le trône. Cette répétition du motif de la Médusedoit dissimuler un important secret de la pratique, indépenda-ment de celui de l’ultime coagulation de la Pierre.

Les mérelles, ou coquilles Saint-Jacques, au-dessus dechaque griffon, attestent la qualité philosophale du Mercureobtenu par la voie canonique et signifient que l’opérateur achoisi les bons matériaux.

Mais revenons aux deux griffons. Pour Fulcanelli, dans le deuxième tome des Demeures

Philosophales, le griffon marque le résultat de la première opé-ration :

« Du combat que le chevalier, ou soufre secret, livre au soufrearsenical du vieux dragon, naît la pierre astrale, blanche, pesante,brillante comme pur argent, et qui apparaît signée, portant l’em-preinte de sa noblesse, la griffe… »

Plus loin, le Maître indique les proportions requises : « Si donc, vous désirez posséder le griffon, – qui est notre pierre

astrale, – en l’arrachant de sa gangue arsenicale, prenez deux partsde terre vierge, notre dragon écailleux, et une de l’agent igné, lequelest ce vaillant chevalier armé de la lance et du bouclier… ».

Nous savons déjà que le dragon écailleux figure la stibine etle chevalier le dieux Mars. Dans la cryptologie alchimique, la sti-bine avait comme symbole le globe crucifère, ce même globefigurant sur toutes les représentations peintes ou sculptées depapes ou de souverains, souvent enserré entre leurs mains.

À l’issue du combat alchimique que se livrent le vieux Dragonet le Chevalier Martial, Bernard Husson explique un détail opé-ratoire jamais évoqué auparavant, figurant sur l’illustration dela quatrième clef de Basile Valentin, la Roue de la Fortune.

« Le globe crucifère désignait sans ambiguïté le trisulfure d’an-timoine, alors que l'antimoine proprement dit étant son régule.Le globe crucifère renversé ou retourné s’identifie au signe deVenus. Basile Valentin apparente Vénus avec la déesse romaineFortuna, debout sur un globe, bras écarté pour conserver sonéquilibre, exprimant ainsi la précarité de la Fortune.…

173

… Les alchimistes du XVIIe siècle connaissaient bien cettesphère, dont la surface lisse glisse entre les doigts de l’ar-tiste parce qu’elle est humide des larmes lunaires, qui exer-cent sur les doigts une action légèrement caustique…»

Il faut surtout retenir le qualificatif caustique, terme on nepeut plus approprié, exprimant l’action de l’oxyde de potassiumpartiellement transformé en hydroxyde (KOH), et que l’onretrouve à la surface de ce globe à l’issue du combat.

Il était tout simplement charitable, Bernard Husson et nulne peut plus douter à présent qu’il expérimenta personnellementla phase décrite plus haut.

L’opération du Griffon achevée, l’alchimiste doit entre-prendre le renversement du monde (entendez le bouleversementou plutôt le renversement de la boule), ce qui justifie l’utilisa-tion du symbole de Vénus (à la place de celui du Mercure) etqu’il ne faut surtout pas prendre pour le vulgaire cuivre.

Une fois le combat des deux protagonistes achevé, il fautsimplement renverser le creuset dans un cornet de fer préala-blement graissé. Ensuite, l’artiste opérera la séparation en frap-pant un coup sec sur le moule froid afin de recueillir le vil trio.Il pourra enfin ouvrir la porte du second œuvre.

Un autre détail pratique intéressant figure sur la composi-tion, le miroir au serpent. Le miroir est l’hiéroglyphe de lamatière universelle. Miroir et Sujet des sages sont donc synonymesen langage alchimique. Mais la symbolique se complique car ily a ambivalence, c’est de règle en alchimie ; le miroir peut repré-senter aussi bien le soufre que le mercure, ou les deux, simulta-nément, dans le personnage emblématique du Rebis.

Pour le Cosmopolite, parlant du Soufre : « En son royaume,il y a un miroir dans lequel on voit tout le monde. Quiconque regardeen ce miroir, peut voir et apprendre les trois parties de la Sapiencede tout le monde, et de cette manière, il deviendra très savant ences trois règnes, comme ont été Aristote, Avicenne, et plusieursautres.»

Pour Basile Valentin : « le corps entier du vitriol doit être

L’Or des Sages

174

reconnu pour un Miroir de la Science philosophique. »Mais le Miroir de l’Art est aussi, dans sa concavité, l’emblème

du mercure réfléchissant, androgyne contenant à la fois l’agentet le patient, ce qu’indique le serpent sculpté sur son revers.

En ornement, de part et d’autre de la voûte, on remarquesymétriquement deux couronnes mortuaires, posées sur unebranche de laurier, soulignant l’importance du caput mortuumdans l’œuvre.Les deux couronnes mortuaires nous informentqu’il y a, dans l’élaboration philosophale, deux opérations abou-tissant chacune au caput mortuum :

– la première, dans l’opération du griffon, où il convient sur-tout de ne pas rejeter les scories.

– le second caput mortuum apparaît à la fin d e la grande coc-tion, lorsque l’heureux artiste reçoit l’escarboucle dans un écrinopaque, rugueux et roux, dénommé la terre damnée de la pierre,résidu inutile et sans valeur qu'il faut jeter.

Sous le linteau de la composition, on retrouve le motif ducaducée, répété deux fois et apparaissant au-dessus des portesextrêmes.

Au même niveau, au-dessus de la porte centrale, onremarque un casque ailé, symbolisant la volatilisation du fixe

175

mais également les proportions requises : une part de fixe (lecasque) contre deux parts du volatil, les ailes.

Plus haut, au-dessus de l’Hermès-Mercure et à la base dela toiture de forme pyramidale, le sculpteur a assis deux per-sonnages.

La statue de gauche est fort ressemblante à celle de la Justicedu tombeau de François II, à Nantes, abondamment commen-tée par Fulcanelli dans le second volume des Demeures Philo-sophales.

Ici, elle est voilée et sans épée, l’index de la main droite poin-tant vers le ciel révèle l’aspect mystérieux de la composition,l'origine de l’esprit. Le voile est mis tout exprès pour soulignerla nature ésotérique, cachée, du symbolisme. Le même ensei-gnement provient du livre fermé faisant corps avec la balance,symboles des poids et de la matière brut.

Sur la couverture du livre on devine l’inscription GrandLivre, en lettres capitales, quoi de plus naturel qu’un livre de

L’Or des Sages

176

comptes pour un organisme bancaire ? L’artiste, pince sans rire, a voulu dérober au profane l’hié-

roglyphe de la matière première ou du minéral brut, le grandlivre de la nature, dispensateur du dissolvant secret, livre fermépar excellence, représentant la matière première brute au sor-tir de la mine, que le travail alchimique s’efforce d’anoblir afind’obtenir le mercure vivant et ouvert, la balance indiquant lanécessité du respect des poids.

La statue de droite représente une jeune femme non voilée,serrant dans sa main gauche le caducée

L’absence de voile nous informe du changement d’état dusujet de l’art qui, à la suite d’une série d’opérations secrètes, esttransformé en mercure philosophique, sujet dévoilé, donc ouvert.

L’utilisation de personnages féminins est constante dans lasymbolique du mercure, afin de souligner la nature passive etvolatile du premier principe.

* * *

177

La fontaine de Mars

La Fontaine de Mars

Il y a, rue Saint-Dominique, à deux pas du Champs de Marsde Paris, une magnifique fontaine dont les eaux sont, paraît-il,excellentes, à tel point que de nombreux amateurs du tout Parisy viennent remplir leurs récipients.

Ce petit monument fait partie des nombreuses curiosités denotre capitale, mais les motifs de la façade, trop discrets, n’ontapparemment pas intrigué les quidams.

La fontaine de Mars, érigée sous l’Empire, au 188 de la rueSaint-Dominique, à proximité de la Tour Eiffel, était égalementappelée la Fontaine de l’Hospice Militaire du Gros Caillou, maisqui aurait pu tout aussi bien s’appeler « Fontaine de l’HospiceMilitaire de l’Escarboucle ».

Sur la face avant, le sculpteur a mis en scène un couple figu-rant de plein pieds Mars et Vénus enlacés.

Le dieu de la guerre est pratiquement nu, il est coiffé de soncasque. Il serre dans sa main gauche une épée rangée dans sonfourreau, tandis que son bras droit semble s’appuyer sur un grandbouclier situé en arrière plan.

Sa compagne Vénus, en robe vaporeuse, la chevelure ornéed’une couronne de laurier, tient une coupe dans sa main droite.Sur son avant-bras droit s’enroule un serpent.

Deux autres détails retiennent l’attention de l’amateur devieilles pierres : l’ondée qui se profile discrètement derrière nosdeux personnages et qui semble provenir d’une tour en arrièreplan (elle pourrait tout aussi bien y aboutir), et un coq qui sedresse sur le bouclier, aux pieds de Mars.

En guise d’ornement complémentaire, on remarquera, flot-tant chacun sur l’onde, deux animaux fabuleux, le motif se répé-tant sur les quatre faces de la base de l’édifice. Ces deux ani-maux ont un corps de poisson, celui de gauche a une tête delion et celui de droite une tête de bélier.

Enfin, sur chaque coté, de part et d’autre de la façade dumonument, on retrouve une urne en relief sur laquelle appa-raissent trois personnages : un homme tenant un disque dans

179

chaque main, une femme qui court avec un rameau bourgeon-nant à la main et un gnome, brandissant un instrument sem-blant être un tambourin, de la main droite, et tenant dans samain gauche, un petit rameau bourgeonnant.

La façade arrière est nue, inachevée peut-être.Le lecteur ne sera pas surpris d’apprendre que cette magni-

fique fontaine est entièrement consacrée à l’alchimie.

L’Or des Sages

180

Fontaine de Mars - Gros plan de la façade avant

Examinons en premier lieu les personnages de la façade.Le couple Mars-Venus se rapporte aux matériaux du Grand

Œuvre. Mars, planète figurant le fer, symbolise l’agent actif, etmasculin.

Il est opportun de reprendre ici un extrait du Premier Livre,qui mérite une fois de plus d’être cité, car il nous donne la solu-tion d’une des plus grandes énigmes alchimiques qui circulaientdepuis la Haute Antiquité, celle de la matière vile que tout lemonde foule au pieds.

« Notre Pierre est vile, bien que contenant le bien plus précieux,le vil rejeté du chemin, et sur les tas de fumiers que l’on trouve endes endroits sordides. C’est elle, la matière que nous devons prendrecomme la vraie base de notre Art ; personne ne peut vivre sans elle,et on s’en sert pour des usages vils. Tout dénote que c’est à Marsuniquement que tout ceci se rapporte ; en bateau il flotte sur lesocéans, et sans lui on ne peut construire ni bateaux ni maisons, nitransporter aucune marchandise, avec lui nous labourons notrechamp, fauchons notre blé, préparons, cuisons, et coupons notreviande, avec lui on ferre les chevaux, et il sert à bien d’autres usagesqu’il serait long d’énumérer ici…

« Plus encore, Aries est connu de la maison du vaillant Mars,avec laquelle tous les artistes vous recommandent de commencer votreouvrage, et que pourrait-on dire plus clairement ? Assurément nulne peut être si ignorant au point de ne pas croire qu’un sens cachéest scellé dans ces mots, qui n’avaient jamais été aussi bien expli-qués jusqu’ici . Belus dans la Tourbe, commande de joindre le guer-rier avec celui qui ne désire point combattre ; par conséquent à Mars,Dieu de la guerre, est assigné l’union avec Saturne, qui se réjouitde la paix…»

Vous noterez cette confusion sur la nature du sujet del’œuvre, savament entretenue depuis des millénaires, de mêmeque celle relative aux différents processus du Grand Œuvre.

Saturne, c’est également la femme que l’on pourrait asso-cier à Vénus, et qu’il ne faut surtout pas prendre pour le cuivre.La Venus du monument symbolise le sujet féminin et passif del’art. Pour qu’il n’y ait aucune confusion, le scuplteur a fait figu-

181

rer un serpent autour du bras de Vénus, lequel est consacré audieu Mercure, principe femelle. Le coq, placé sous la protec-tion de Mars, souligne le caractère ésotérique de la composi-tion. L’artiste qui a conçu cette œuvre a multiplié tous les détailspermettant l’interprétation indiscutable du motif hermétique,en faisant figurer un dernier détail, attestant la qualité de l’agentféminin : la coupe que Vénus tient en sa main droite et qu’ellesemble offrir au dieu Mars. La coupe symbolise notre vase, leMercure, et cette composition se rapporte au premier œuvre.

Notre Vénus, légèrement vêtue, figure le minéral ayant subiune première préparation avant la cérémonie nuptiale, et Mars,pratiquement nu, le vaillant chevalier maintes fois évoqué.Bernard Husson a montré que les vêtements des personnagesfigurant sur des scènes alchimiques, sont, la plupart du temps,en relation avec la phase opératoire et son état d’avancement.

La petite colonne que l’on voit saillir légèrement, en bas àgauche de la composition, juste derrière Vénus, ressemble soità une tour vers laquelle l’ondée presque effacée semble se diri-ger, ou bien, autre éventualité, à un four d’où se dégage desfumées. Dans la première hypothèse, cette représentation està rapprocher de la fresque de la cathédrale d’Amiens, figurantla rosée des philosophes, tombant sur le four secret. Dans laseconde hypothèse, qui semble la plus probable, la tour se rap-porte à notre athanor en activité, comme en témoigne unefumée relativement fournie qui s’en échappe.

Les figurines fabuleuses nageant sur les flots sont emblé-matiques du résultat obtenu à l’issue des aigles ou sublimationsdu second œuvre.

En effet, c’est le résultat de la première coagulation de l’eau

L’Or des Sages

182

mercurielle que l’Adepte Fulcanelli, commentant en page 33,tome II des Demeures Philosophales, qualifie de mystérieux,« tant par son développement contraire aux lois chimiques que parson mécanisme obscure, mystère que le savant le mieux instruit etl’Adepte le plus expert ne saurait expliquer. »

Ces monstres marins offrent, en cabale hermétique, la mêmesignification que le dauphin ou le rémora, c’est-à-dire qu’ils sym-bolisent le mercure à l’issue des sublimations philosophiques.Les écailles du corps de poisson flottant sur les ondes figurentles lignes entrecroisées qui apparaissent sur la matière conve-nablement préparée, de même que l’onde marine ressemble àcette tresse ou résille, qui figure quelques fois sur des repré-sentations ésotériques, assimi-lables au filet de Vulcain quisurprit Mars et Vénus en adul-tère, détail également révélépar le savant hermétiste B.Husson.

Les têtes de lion et de bélieren opposition se rapportent à lacondition indispensable demise en route, dès le début del’œuvre, « C’est là un des plusgrands secrets du travail, et, quoi qu’il en soit, la pierre d’achop-pement sur laquelle se brise, dès le seuil, le chercheur trop pressé »,prévient charitablement Claude d’Ygé dans sa NouvelleAssemblée.

Pour Fulcanelli, « c’est la phase la plus délicate du travail quecelle où la prime coagulation de la pierre, onctueuse et légère, paraîtà la surface et flotte sur les eaux. Il faut alors redoubler de précautionet de prudence dans l’application du feu, si l’on ne veut la rougiravant terme et la précipiter. Elle se manifeste au début sous l’as-pect d’une pellicule mince, très vite rompue, dont les fragments déta-chés des bords se rétractent, puis se soudent, s’épaississent, pren-nent la forme d’un îlot plat, – l’île du Cosmopolite et la terre mythiquede Délos, – animé de mouvements giratoires et soumis à de conti-

183

nuels déplacements. Cette île n’est qu’une autre figure du poissonhermétique, né de la mer des Sages, – notre mercure qu’Hermèsappelle mare patens, – le pilote de l’Œuvre, premier état solide dela pierre embryonnaire. »

Le symbolisme des sculptures latérales est moins transparent.L’athlète en relief qui paraît sur l’urne, tient un disque danschaque main. Le disque de droite est percé en son centre, c’estle symbole de l’or ou du soleil hermétique.

Le second disque, largement masqué par la main gauche cor-respond à l’hiéroglyphe lunaire. Ces deux disques ont la mêmesignification ésotérique que ceux de la statue de Saint-Marcelterrassant le dragon, dont Fulcanelli fit une magistrale démons-tration dans Le Mystère des Cathédrales. Les disques, ici, évo-quent les matériaux ouverts et prêts à livrer leur principe actif.On retrouvera également un motif de signification similaire surles anses de l’urne, sous forme de rosaces. Dans ce dernier cas,il s’agit des deux principes exaltés, soufre et mercure philosophiques.

La Vénus de l’urne est dévoilée. L’allégorie de ce tableau estune version allégée de celle figurant sur la gravure illustrant ladeuxième clef de Basile Valentin :

« Une vierge, devant être donnée en mariage, est tout d’abordmagnifiquement parée d’une variété de vêtements les plus pré-cieux, afin qu’elle plaise à son fiancé et que, par son aspect,elle allume en lui, profondément, l’embrasement de l’amour.Mais lorsqu’elle doit être mariée à son fiancé, suivant l’usagede l’union charnelle, on lui enlève tous ses différents vêtementset elle n’en garde aucun, si ce n’est celui qui lui a été donnépar le créateur, au moment de sa naissance. »

Bien que l’évêque bénissant l’union magique de Mars etVénus soit absent de la scène, l’imagier n’a pas, pour autant,omis le médiateur salin dans cette composition. Mieux, il faitfigurer, en lieu et place de l’évêque, un petit personnage mons-trueux dont la partie postérieure ressemble aux membres infé-rieurs d’une chèvre ou d’un bouc. Serait-ce un gnome ?

Le commanditaire de cette œuvre connaissait donc parfai-tement le symbolisme et la portée de cette opération, l’une des

L’Or des Sages

184

185

Fontaine de Mars - Détail du motif latéral

plus secrètes du processus et, Fulcanelli, dans son analyse ducadran solaire du palais Hollyrood d’Edingbourg, fait appel àla langue des oiseaux. La racine grecque du mot gnome, pré-cise-t-il, signifie esprit, intelligence, et il poursuit pour déve-lopper sa thèse:

« Or, les gnomes, génies souterrains préposés à la garde des tré-sors minéraux, veillent sans cesse sur les mines d’or et d’ar-gent, les gîtes de pierres précieuses, apparaissent comme desreprésentants symboliques, des figures humanisées de l’espritvital métallique et de l’activité matérielle. La tradition nous lesdépeint comme étant fort laids et de très petite stature; enrevanche, leur naturel est doux, leur caractère bienfaisant, leurcommerce extrêmement favorable. »

Plus loin, complétant l’analyse de l’arcane, évoquant lamarche du soleil des sages dans l’ouvrage de la philosophie, legrand Adepte ajoute:

« Et cette marche est réglée par l’icosaèdre, qui est ce cristalinconnu, le Sel de Sapience, esprit ou feu incarné, le gnomefamilier et serviable, ami des bons artistes, lequel assure àl’homme l’accession aux suprêmes connaissances de la Gnoseantique. »

Nul doute qu’il s’agit bien ici du même gnome, symbolisantle Sel de Sapience, l’émeraude des philosophes, c’est-à-dire le cata-lyseur secret.

Il y a encore un autre détail qui mérite certainement d’êtresouligné : le gnome semble faire de la musique avec son tam-bourin qu’il brandit de la main droite. L’alchimie, en effet, estsynonyme d’Art Musique pour grand nombre d’artistes ayant réa-lisé la merveilleuse harmonie. C’est une discrète allusion à cer-tains signes sonores de la coction.

En ce qui concerne les rameaux bourgeonnant que tiennentà la fois notre personnage féminin et le gnome, il s’agit d’uneallusion à la Gemme que l’artiste heureux pourra contemplerà l’issue du troisième œuvre. Le mot bourgeon vient du latinburrionem, accusatif de burrio, de burra, qui veut dire bourre,gemme, pousse ou rejet, ce qui n’est aucunement en contra-

L’Or des Sages

186

diction avec notre sujet ; gemme ou jeune pousse. L’alchimien’est-elle pas considérée comme étant l’Agriculture Céleste ?

Enfin, détail important, l’une des branches feuillues de lacomposition s’enroule, comme un serpent, autour du rameau denotre déesse. L’imagier a vraisemblablement voulu souligner dis-crètement le caractère mercuriel de la déesse.

Quant à l’urne, elle symbolise une fois de plus notre vase,le vaisseau secret, réceptacle de l’eau philosophale, vase en terrede la voie du pauvre, convenant parfaitement à l’art brevi.

187