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INSTITUT DE LINGUISTIQUE FRANÇAISE - CNRS UMR 7320 - NICE LE FRANÇAIS EN AFRIQUE Revue du Réseau des Observatoires du Français Contemporain en Afrique Actes du colloque « Convergences, divergences et la question de la norme en Afrique francophone » édités par Peter Blumenthal et Stefan Pfänder N° 27 – 2012

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  • INSTITUT DE LINGUISTIQUE FRANAISE - CNRS UMR 7320 - NICE

    LE FRANAIS EN AFRIQUE

    Revue du Rseau des Observatoires du Franais Contemporain

    en Afrique

    Actes du colloque

    Convergences, divergences et la question de la norme

    en Afrique francophone

    dits par Peter Blumenthal et Stefan Pfnder

    N 27 2012

  • INTRODUCTION

    Peter Blumenthal Universit de Cologne

    & Stefan Pfnder Universit de Fribourg-en-Brisgau

    Ce numro rassemble les actes dun colloque qui sest tenu lUniversit de Cologne (Allemagne) du 2 au 4 fvrier 2011. Cette rencontre a t organise par les cosignataires de la prsente introduction et soutenue financirement par la Deut-sche Forschungsgemeinschaft. Lide du colloque sur le thme Convergences, di-vergences et la question de la norme en Afrique francophone a vu le jour au cours de discussions entre les organisateurs et Ambroise Quefflec, matre penser de nombreux chercheurs qui se passionnent aujourdhui pour le franais en Afrique. Ce chercheur nous a manqu Cologne, mais nous esprons dautant plus vivement que les circonstances lui permettront bientt de reprendre toutes ses activits scientifiques.

    Les trois notions-cls de la thmatique, convergences , divergences et norme , renvoient deux autres concepts (nullement synonymes, nous le ver-rons plus bas), savoir ceux de variation et de varit , sous-jacents len-semble de nos discussions et souvent explicitement mis en relief. Car ce qui con-verge ou diverge, en sopposant la norme ou en sen rapprochant, voire en prten-dant au statut de norme dusage (rgionale ? africaine ?), ne semble tre rien dautre, du moins premire vue, que les varits, donnes immdiates faisant lobjet des observations du chercheur en la matire. Dans cet esprit, la substance de nos dbats aurait pu sassimiler une formule sinspirant de la sagesse de lEcclsiaste : Varietas varietatum et omnia varietas. Si cette conception selon laquelle tout nest que varit na pas prvalu dans notre colloque, cest la fois pour des raisons de terminologie (que veut dire exactement varit en linguistique ?) et danalyse empirique des faits de langage. Nous y reviendrons. En revanche, les varits au sens courant et banal du mot, qui correspond alors aux diversits ou aux varia-tions au sein dune communaut linguistique, ont dcidment focalis lattention des congressistes. Ce phnomne a t prsent sous diffrents angles, de la notion gnrale de varit et de son principe causal quest la variation, jusqu lanalyse prcise du comportement particulier de tel mot dans certaines circonstances, en passant par les degrs de gnralit intermdiaires que peuvent reprsenter les normes dusage de lun des pays africains.

    Cest la contribution de Wolfgang Raible qui offre le point de vue le plus gnral, celui de Sirius, en mettant en perspective les conditions anthropologiques du langage. Comme lauteur le souligne, la variation y rgne en matre et favorise historiquement le changement linguistique. Or, la notion de variation implique logiquement celle d invariant , tel le sens quil sagit de transmettre malgr toutes sortes de variations ; par ailleurs, leffet potentiellement gnant de ces dernires se trouve endigu par la redondance. Dans ces conditions, la norme apparat comme un

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    certain type dinvariant qui tend pousser les performances des locuteurs vers la convergence.

    Si la contribution de Batrice Akissi Boutin & Franoise Gadet traite une thmatique moins globale que la prcdente, sa perspective est nanmoins large. Les deux auteures sinterrogent sur lintrt et sur les limites de la notion de varit en sappuyant sur des exemples concrets fournis par le monde francophone. Certes, les phnomnes observs en franais parl dAfrique trouvent souvent des parallles dans dautres rgions de la francophonie, voire en France mme, et ce, non seule-ment lorsquils sont sous-tendus par des processus cognitifs communs . Mais cela nempche pas lapparition demplois typiquement africains, comme la flexion avec tre du verbe quitter au Burkina-Faso et en Cte dIvoire.

    Claude Frey, qui na pas pu assister au colloque de Cologne, ne contredirait probablement pas cette vision des varits. Dans un travail bien document, il d-montre la quasi-ubiquit francophone (lexpression nest pas de lui) de tournures et de structures morphosyntaxiques passant en principe pour typiquement africaines. Sa conclusion parat dune sagesse exemplaire : lchelle de la francophonie, lexistence dune norme unitaire (acadmique) est indispensable pour assurer lintercomprhension, mais la pluralit des normes dusage maintient le franais comme une langue vivante en ladaptant diffrentes situations socioculturelles.

    Le point de vue comparatif est galement celui de Peter Blumenthal, qui sintresse au voisinage lexical plus au moins strotyp de quelques noms daffect dans la presse africaine, dune part, et dans des journaux hexagonaux, de lautre. Cette analyse statistique montre pour certains des mots dcrits de notables diff-rences distributionnelles, associatives et connotatives entre les deux sphres gogra-phiques contrastes, divergences qui sexpliquent largement par les conditions so-cioculturelles sous-jacentes.

    Sascha Diwersy se penche galement sur des noms daffect, tout en utili-sant des outils informatiques plus sophistiqus encore, pour reprer certains indices de la constitution de diverses normes dusage en Afrique. Sil savrait effective-ment raliste de tabler sur une lente volution vers une francophonie africaine poly-centrique, il serait dautant plus intressant de dtecter, au moyen des mmes m-thodes et types de corpus, des tendances analogues dans dautres rgions de la fran-cophonie.

    Stefan Pfnder & Marie Skrovec tudient non pas une varit au sens cou-rant du terme, mais un type de texte bien particulier : des entretiens tlviss ou ra-diodiffuss avec des experts sngalais et franais. Face la tche communicative qui consiste rendre accessible un large public des thmes souvent complexes, ces experts adoptent pratiquement les mmes stratgies discursives et rhtoriques, quelle que soit leur provenance gographique. Les deux auteurs expliquent cette prdomi-nance trs nette des convergences par la perptuation de modles stylistiques tradi-tionnels et surtout par leffet durable de lidal classique de la clart au-del des frontires de lHexagone.

    Dautres contributions se limitent la discussion de la situation linguistique dun pays, vue globalement ou sous langle de phnomnes particuliers. En ce qui concerne lavenir du franais en Rpublique Dmocratique du Congo, Andr Nyembwe Ntita & Samuel Matabishi rassurent dune part le lecteur en soulignant

  • Introduction

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    son statut de langue officielle, de langue denseignement et de langue des relations internationales , mais indiquent aussi que limage du franais comme instrument de promotion sociale et de domination est en train de seffriter surtout auprs des jeunes . Le Cameroun est lun des pays africains o la discussion autour de la constitution dune norme nationale parat la plus vive. Lun des enjeux du dbat est, selon Edmond Biloa, la stabilisation dune norme endogne tendant assurer le primat de la varit msolectale sur les varits concurrentes . La notion de norme endogne implique videmment lacceptation dun cart par rapport la rfrence au franais central. Lauteur fournit de nombreux exemples morphosyntaxiques dune telle camerounisation en cours de la langue de Molire, constructions dont il met en relief, loccasion, les affinits avec des phnomnes typiques du franais populaire de France dcrits par Henri Frei ds 1929.

    Dans un ordre dides semblable, Louis-Martin Essono tudie quelques particularits morphosyntaxiques lies lemploi de la prposition dans la presse camerounaise. La part des fautes de ngligence, mais aussi le pourcentage de d-viances dues une trop htive assimilation du franais de la part de journalistes mal forms lui paraissent importants. Il appelle de ses vux lavnement dune norme camerounaise, antidote linscurit linguistique ambiante, rsultant dune synthse intelligente de besoins dexpression spcifiquement africains et de structures appar-tenant au franais central.

    Cest encore cette mme proccupation concernant lcartlement de la presse camerounaise entre la norme prescriptive hexagonale et les normes dusage locales quessaie de rpondre Emmanuel Ngu Um. Il considre que lide dune norme endogne, donc camerounaise, fait son chemin, tout en demeurant une simple abstraction, en labsence dtudes base empirique fiables qualitativement et surtout quantitativement . Voil lesquisse dune belle tche pour les linguistes pris de lexploitation de grandes banques de donnes.

    Comment se pose le problme de la norme (dusage) endogne au Burkina Faso ? Ce nest pas le moindre intrt de la contribution de Martina Drescher de fournir des lments pour une apprciation diachronique de la question. Il semble qu la fin des annes 1970, lexistence dune telle norme ntait pas encore percep-tible aux yeux dobservateurs linguistes avertis. Daprs lauteure, cette situation a chang entre-temps. Drescher se base sur lobservation de divers types de combinai-sons avec le verbe support faire, surtout dans des locutions. Si les mmes syntagmes se retrouvent souvent dans dautres rgions de la francophonie, leur usage sociolin-guistique semble si caractristique dun certain franais du Burkina Faso que lon peut y voir un symptme de la formation dun franais particulier.

    Deux contributions portent chacune sur un seul petit mot mais combien intrigant et aux usages riches denseignements ! douard Ngamountsika analyse la fonction de l en tant quactualisateur supplmentaire du substantif, fonction quil croit plus frquente en franais parl de la Rpublique du Congo (Brazzaville) quailleurs. Le contrle de cette hypothse ncessiterait, lauteur en convient, la dis-ponibilit de corpus oraux comparables originaires dautres rgions de lAfrique francophone. Se penchant sur les multiples types demplois du marqueur discursif bon dans diffrentes rgions du Mali, Ingse Skattum formule lhypothse quune

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    valeur particulirement frquente du mot dans la rgion de Bamako doit son statut une interfrence avec le bambara. Dune manire gnrale, Skattum considre que les diffrences demplois lintrieur du Mali, mais galement celles vis--vis de la francophonie du Nord, sont essentiellement dordre frquentiel.

    Seul contributeur reprsentant le Maghreb, Salah Mejri brosse un panorama remarquablement vaste des particularits du franais en Tunisie, sintresse aux in-terfrences avec larabe, voque entre autres la prononciation ainsi que la morpho-syntaxe et sarrte plus longuement sur des questions lexicales comme les emprunts autochtones et la formation des mots. Parmi les desiderata de recherches ultrieures, il compte ltude du figement et le recours aux gros corpus lectroniques permettant lapprofondissement des tudes lexicales et combinatoires.

    quelles conclusions peut-on aboutir en faisant le bilan des discussions

    intenses du colloque et des apports des contributions prsentes ci-dessus ? Com-ment caractriser en peu de mots les situations si diverses des franais en Afrique telles quelles se sont dgages de nos rflexions communes ? Les organisateurs du colloque avouent leur dsarroi face la pertinence de certaines notions trs en vogue dans les dbats actuels sur les problmes de la variation linguistique, o il est sou-vent question de normes polycentriques , de normes plurielles ou de normes dusage concepts sans aucun doute indispensables qui tente de rendre compte des mondes anglophone ou hispanophone. Mais ces termes, que nous navons pour-tant pas exclus nous-mmes de notre norme individuelle , ne risquent-ils pas dinstaller de fausses certitudes propos de lAfrique ? En linguistique, la notion de norme , quelle que soit sa qualification ultrieure, prsuppose un usage stabilis lintrieur dun groupe ainsi que des critres dordre diasystmatique (exemple : le franais oral soutenu des gens instruits de Ouagadougou). Or, la documentation em-pirique dont nous disposons pour lAfrique francophone ne nous permet souvent pas de circonscrire ltendue (diatopique, diastratique, diaphasique) des phnomnes linguistiques tudis. Pire, notre connaissance de leurs frquences relles dans les varits que lon voudrait comparer reste quelquefois bien vague plusieurs contri-buteurs en conviennent avec une grande honntet. Ceci peut jeter une ombre sur lidentit mme de la varit en question et de la norme dusage qui y correspond. Ne serait-ce que pour cette raison, Boutin & Gadet font bien de mettre sur la sellette le concept de varit. Et cest juste titre que Frey se livre une critique des concepts-pivots de notre colloque, en faisant remarquer que lopposition conver-gence divergence est quelquefois moins dichotomique que ne le laisse paratre la thorie et se situe en pratique, du moins dans certains cas, dans une relation de continuit qui peut rendre difficile la dlimitation dune norme dusage endogne . Cest pourtant la tentative lgitime, et souvent couronne de succs, de saisir quelques aspects dune telle norme qui stimulait la majorit des contributeurs, dont lambition ntait pas de reflter la prolifration des lectes sur un continuum. Or, nous avons pu constater que cette entreprise se heurte deux difficults de taille : dabord linsuffisance des corpus, laquelle rend pour le moment alatoires des com-paraisons quantitatives entre candidats au statut de variante, ensuite le caractre pro-blmatique des notions de base comme varit , norme , usage , etc.

  • Introduction

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    En rsum, si les variations en tant que processus (= modulations autour dinvariants) ou tats (= rsultats des changements) sont omniprsentes dans le lan-gage, la somme de leurs effets ne dbouche pas forcment sur lmergence de va-rits (= usages constitus et reconnus) clairement identifiables. En effet, le rapport entre variations et varits ne se rduit pas au schma trop simple de la transforma-tion de quantit (celle des diffrentes variations) en qualit. La qualit, celle de va-rit, dpend en outre, dune part, du degr de cohrence systmatique des varia-tions, illustr dans le prsent volume par plusieurs contributions, dautre part, du sentiment identitaire de la communaut linguistique. Ce dernier thme na t trait quen filigrane dans notre recueil et mriterait de faire lobjet dun autre colloque sur le franais en Afrique. Le problme de lidentit du groupe linguistique prend en effet dans certains tats de lAfrique francophone un relief tout fait particulier en raison de la multitude des langues (environ 250 pour le Cameroun), de ltendue de lhybridation et la forte interaction entre la scripturalit de la langue officielle et loralit de celle de la vie quotidienne. cet gard, une tendance se dessine, qui na pas chapp plusieurs contributeurs du volume : le franais vernaculaire, long-temps circonscrit loral, fait son apparition dans la scripturalit, en particulier dans la presse locale et sur les forums du Web. Les observations faites dans les grands corpus constitus Cologne (presse) et Fribourg (forums web) pourront justement servir de point de dpart des enqutes ultrieures visant apprhender le sentiment identitaire de la communaut linguistique.

    Comme nous la montr le droulement du colloque, lenthousiasme des chercheurs est la hauteur des dfis particuliers que lance ltude du franais en Afrique. Lune des perspectives les plus prometteuses qui soffrent dans ce domaine aux linguistes est lexploitation de grands corpus informatiss, susceptible de faire avancer des solutions nombre de problmes factuels et mthodologiques discuts dans ce volume1.

    Nous offrons ce recueil en hommage Ambroise Quefflec.

    1 Nous tenons exprimer notre gratitude Djamila Hadjadji, Sandra Lhafi et Marie Skrovec, qui ont prpar le manuscrit avec comptence et efficacit.

  • LA VARIATION LANGAGIRE UNE NOTION PRCISER

    Wolfgang Raible Universit de Fribourg-en-Brisgau

    Si les organisateurs ont jug bon de faire participer le prsent auteur leur colloque, cest en raison dun article sur la variation langagire que celui-ci a publi, il y a quelques annes, dans une revue mexicaine sous le titre de El espacio y el juego de la variacin en el lenguaje. Once tesis (cf. Raible 2002 : 11-20).

    1. Quelques faits de base

    Je voudrais dabord rappeler quelques faits de base. Le premier en est que la communication langagire se fait entre deux systmes psychophysiques. Cela veut dire quil ne sagit pas de deux machines et que, par consquent, la communication na rien de mcanique : les deux systmes disposent dun haut degr de libert. Les consquences qui en dcoulent sont aussi simples que fondamentales :

    - il doit dabord exister des rgles qui garantissent le fonctionnement dun code langagier partag par les partenaires ;

    - en mme temps, il doit exister une marge de scurit qui tient compte du caractre toujours individuel, idiosyncrasique, imparfait, et de la divergence plus ou moins grande dont tmoignent nos productions langagires. Dans ce contexte, on parle de la redondance du systme.

    Pour montrer les bienfaits dun systme redondance, on na qu regarder un systme qui nen possde pas, par exemple celui des chiffres arabes : le moindre changement dans la nature ou lordre de ses lments faussera le rsultat. Comme, au contraire, le systme langagier jouit dune considrable marge de scurit, on peut se permettre une prononciation peu soigne, une syntaxe incomplte, une s-mantique approximative (les hedges comme truc pour un objet quelconque), une phontique dialectale, un accent tranger, etc. On peut mme se permettre de chu-choter ce qui coupe bien des frquences audibles : autant dire que la variation et la variabilit sont les compagnons naturels du langage humain et cela tous les ni-veaux de ralisation : phonique, morphologique, micro-syntaxique, macro-syn-taxique, smantique.

    On doit sattendre, de surcrot, des variations selon les paramtres bien connus depuis Leiv Flydal et Eugenio Coseriu ( architecture dune langue ) : va-riation selon le lieu (dite diatopique ), le temps et lge des sujets parlants (dite diachronique ), selon le milieu social des sujets parlants (dite diastratique ), le genre communicatif et la situation de communication (dite diaphasique ), ainsi que selon le mode de communication choisi (oral, crit)1 combiner en partie avec

    1 Cf. Coseriu (1955). Les dimensions diatopique et diastratique sont du linguiste norvgien Leiv Flydal (cit par Coseriu). Coseriu a ajout la dimension diaphasique.

  • Wolfgang Raible

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    les paramtres prcdents : cest quil y a une diffrence considrable entre la com-munication orale et la communication crite. Les exigences tablies sont beaucoup moins strictes pour loral, tant donn quil y a un feed-back par la prsence du par-tenaire. Ce qui nous permet un degr de libert encore plus lev. Enfin, il y a varia-tion selon le niveau de la hirarchie langagire.

    2. La menace dune impasse communicative

    Si lon considre que la variation selon le niveau de la hirarchie langagire peut tre combine avec la variation selon larchitecture (Coseriu, Flydal, etc.) et avec la variation selon le mode de transmission (crit / oral), la consquence qui en dcoule semble tre trs claire : dans toutes les langues, la variation rgne en matre absolu. Qui dit langue, dit variation.

    Un autre truisme du mme ordre serait que les langues changent parce que nous les utilisons (Coseriu, Ldtke 1980). Ce qui nous mne en mme temps un corollaire : les grammaires quon qualifie de normatives sont autant dartefacts. Elles nous suggrent un caractre fig, une invariabilit l o, en vrit, nous dispo-sons dune trs grande marge de libert.

    Avec tout cela, il y a un facteur supplmentaire qui facilite la communica-tion malgr la marge de variation invitable : nous communiquons pour trans-mettre et pour capter du sens ; tous nos efforts de comprhension nont que ce seul but, quelle que soit la qualit du message transmis. Cest pourquoi, tous les ni-veaux, nous anticipons ce qui pourrait tre et ce qui va tre dit. Cela va si loin que, le cas chant, lauditeur peut terminer une phrase, un nonc, de celui qui est en train de parler.

    Au fond, il y a lieu de stonner du fait que nous sommes capables de cap-ter si vite un message qui est transmis une vitesse relativement grande (nombre dunits dinformation par seconde ce qui vaut galement pour les messages transmis par un langage par gestes). Ceci est possible parce que, grce nos attentes, nous savons dj approximativement ce qui va tre dit. Il sagit, un niveau sup-rieur, de ce quon a pris coutume de nommer, au niveau des simples units sman-tiques, le priming. Dans ce contexte, les genres communicatifs jouent un rle trs important :

    Communicative genres are considered to be those communicative phenomena that have become socially rooted. [] Their basic social function consists of alleviating the burden of subordinate (communicative) action problems. [] [Due to the fixed patterns they constitute] genres are an orientation framework for the production and reception of communicative actions (Knoblauch & Luckmann 2004 : 303).

    Jusquici on a vu que la redondance communicative va de pair avec la va-riation langagire. Pour la variation, il faut encore faire une diffrence entre le ct grammatical, donc le code, et le ct smantique, donc le contenu transmettre. Au niveau du contenu, on pourrait penser que la polysmie quasiment obligatoire des signes langagiers poserait problme. Cest que les signes dune langue quelconque ne sont pas des noms propres, mais des signes pour des classes de rfrents. Autre-ment, leur nombre devrait tre sans limite, un constat connu depuis Aristote. Cepen-dant, la polysmie ne pose pas vraiment problme : normalement, elle passe inaper-

  • La variation langagire une notion prciser

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    ue grce une monosmisation automatique, effet du priming occasionn par le contexte et nos attentes.

    Un problme plus srieux rside dans le fait que, pour un mme contenu, il existe bien souvent plusieurs dsignations. titre dexemple : je peux commencer un message en parlant dun lphant, le reprendre par lanimal, par lui ou il, puis par le pachyderme, le mammifre, le colosse, le quadrupde, le rve de livoiriste, la fiert de lAfrique, ce qui prsuppose tant une connaissance de la hirarchie lexicale quun savoir encyclopdique. Cette variation lexicale dans la reprise dun mme rfrent peut devenir un problme srieux pour le dcodage surtout en tra-duction automatique. Quand il y a plusieurs dsignations pour le mme concept, cest souvent aussi la variation diatopique qui entre en jeu, par exemple dans les d-signations dans le domaine de la nourriture (boulangerie, ptisserie, nom de pois-sons, bref, tout ce qui saute aux yeux quand on feuillte un atlas linguistique quel-conque). Ce genre de variation prsuppose un tertium au niveau conceptuel (ap-proche onomasiologique).

    Un tertium de caractre diffrent est prsuppos par le genre de variation qualifi de polymorphie : je suis, tu es, il est, nous sommes, vous tes, ils sont ; jtais, tu tais, etc. ; je serai, tu seras, etc. ; je fus, tu fus, etc. Ici, la polymorphie est un hritage du latin et le tertium prsupposer est grammatical : il sagit l de la no-tion de conjugaison et de paradigmes verbaux , donc un phnomne dtect surtout par le linguiste professionnel.

    La variation dite polymorphique constitue une irrgularit ; elle est une entrave srieuse au principe du jeu de construction que devrait permettre le code langagier. Or, trs souvent, ce genre de variation est un effet de la frquence des lments en question. Dans les langues europennes, la polymorphie est dans la plu-part des cas due la loi du moindre effort : est rduit ou abrg ce qui est utilis sou-vent (cf. pour les langues germaniques Nbling 2000, Martinet 1964, Ldtke 1980).

    Pendant les trois dernires dcennies, les linguistes ont beaucoup parl de grammaticalisation. Dans notre contexte, il est vident que la variation peut tre la base de changements langagiers. Le romaniste connat bien les changements inter-venus pendant la transition du latin lancien franais. L, le changement dans la prononciation des phonmes a eu des consquences trs voyantes. Comme cest le cas pour la transition de lancien franais au franais moderne, ce genre de change-ment prend des sicles entiers. Il nest donc gure visible pour les contemporains. Si on cherche des cas de transition vraiment rapide, les langues croles base lexicale anglaise, franaise, portugaise ou arabe sont peut-tre les meilleurs exemples. La ncessit absolue de communication mutuelle (ici : entre matres et esclaves) lie labsence dinstitutions de formation est propice ce quon appelle un processus de crolisation.

    Normalement, ces processus appartiennent la catgorie de ceux de moyenne ou de longue dure. Je voudrais illustrer cela en utilisant le cas de la for-mation dune diathse nouvelle : on sait que les diathses verbales se dfinissent, dans les langues indo-europennes, par la projection de rles smantiques sur les rles syntaxiques, spcialement sur le rle syntaxique du sujet. Si nous avons affaire un verbe trivalent (ce sont les verbes de dire et de don), ct du rle smantique de lagent et de celui qui subit laction, un troisime actant entre en jeu, celui au pro-

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    fit ou au dtriment duquel se fait laction (en anglais, on lappelle experiencer, donc lexprient ou bien lexprienceur).

    Or, il y a des langues qui possdent une diathse de lexprient dont le franais. Lnonc M. Untel sest vu dcerner le prix Goncourt en est un exemple. Un mmoire de matrise, soutenu lUniversit de Fribourg-en-Brisgau lhiver 2003 / 2004 par un tudiant brsilien, a montr que ce processus de gram-maticalisation commence au XIVe sicle et ne peut tre considr comme pleinement tabli quau XXe sicle (cf. Meinberg Ferreira de Morais 2004).2

    Les exemples trouvs par Meinberg laide de la base de donnes balise Frantext parlent en faveur, comme point de dpart, dune construction comme Ma-rie voit Jean frapper Pierre, donc le schma de lAcI [accusativus cum infinitivo] latin utilis pour les compltives aprs les verbes de perception et de communication (notamment voir, entendre, affirmer, dire, cf. Raible 1992). Voici quelques exemples o cest encore lobjet direct qui est promu la position du sujet :

    Quant Berinus se vit ainsi saisir, si mua couleur et fremy et tressua dangoisse et leur dist: Beau seigneur, que ay je fourfait, qui si villainement me tenez ? (1350)

    Et ainssy quil se vist cheoir, il fist ung cry sy hault et sy ample que la reviere et les rouches en firent grant bruit. (1465)

    Et quant Guy se vist ainssy estre detenuz, a haulte voix commence a crier : O Jhe-sus, vray Dieu, qui mas fait et fourm ! Ont vois je mal infortun que je suis ? (1465)

    Vers la fin du XVe et au dbut du XVIe sicle, on rencontre les premiers cas de promotion de lobjet indirect. Le verbe reoit la forme dun infinitif.

    [] et, jaoit que [= bien que] devant ses yeulx se vist fendre le ventre et tirer ses boyaulx, touteffois quant le bourel lui demanda sil vouloit boire, respondit : Non, tu mas ost o je le devoye mectre. (1494)

    Mais Ypolite indigne de se voir preferer son ennemie par un homme qui lavoit autresfois esleve au dessus de toutes les choses mortelles, [...] ne luy respondit autre chose sinon, ha traistre ! (1624)

    Au fur et mesure que le temps progresse, on observe trois phnomnes. Premirement, la nuance de perception optique comporte par le verbe voir va en diminuant. Deuximement, il y a une transition, entre autres, vers des personnes ju-ridiques, donc des sujets abstraits avec lesquels on nassocie pas forcment une ca-pacit de voir. Enfin, dans certains cas, la perception directe est mme exclue par le fait que le sujet, dans ce cas-l humain, est aveugle.

    2 Die Konstruktion se voir + Infinitiv als Instrument zur Passivbildung im Franzsischen. Mmoire de matrise, Fribourg-en-Brisgau. Entre-temps lauteur a dcroch une matrise encore plus prestigieuse la Harvard Kennedy School (Master of Public Administration and International Development).

  • La variation langagire une notion prciser

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    Deux exemples rcents :

    Une personne aveugle qui utilisait un chien daveugle, sest vu refuser [agent ex-prim :] par Air France le droit de garder son chien en cabine lors dun voyage Strasbourg en octobre 2002. Aprs de longues discussions, elle y a t autorise. (Rapport sur la situation des droits fondamentaux dans lUnion europenne, 2002)

    Laveugle, hsitant traverser la rue, sest vu soudain prendre par la main. (Exemple tir de Claude Hagge, The Language Builder)

    Le verbe voir, employ lorigine clairement dans son sens de perception optique, est devenu un outil grammatical qui, dans cette fonction, a perdu son sens de verbe lexical. Lusage de cette diathse est cependant hautement scriptural et se trouve en gnral dans des textes administratifs et juridiques, ou dans des textes de journaux qui refltent les dcisions administratives. En tmoignent aussi les verbes avec lesquels se voir est employ : attribuer, confier, refuser, imposer, offrir, inter-dire, retirer, reprocher, enlever, dcerner, etc.

    3. Sortir de limpasse ? Une issue se profile

    On a pu faire, dans ce qui prcde, une srie de constats. Dans toutes les langues, plus prcisment, dans toutes les situations de communication langagire, la variation rgne en matre absolu. La variation, renforce par des phnomnes de frquence, peut crer des irrgularits, par exemple dans les paradigmes grammati-caux. Ces phnomnes de variation peuvent mme tre la base de changements dans le systme langagier changements cependant qui appartiennent normalement aux processus de moyenne ou de longue dure (dans le sens que Fernand Braudel a donn ces termes cf. Braudel 1958).

    De tout cela on pourrait conclure que la variation, surtout sous ses formes diatopique, diastratique et diaphasique, peut engendrer un chaos communicatif avec des consquences nfastes, rendant en fin de compte la communication impossible. Si ceci nest pas le cas, cest grce un phnomne dj voqu deux fois en parlant des paradigmes verbaux et des dsignations que peut avoir un mme concept ph-nomnes lis avec la notion d invariant . Cest que, gnralement parlant, toute variation prsuppose avec une ncessit absolue un invariant, le tertium compa-rationis devant lequel quelque chose peut tre peru comme variable.

    Au niveau des moyens smantiques, linvariant est le concept auquel cor-respond une srie dexpressions langagires diffrentes.

    Au niveau de la polymorphie, linvariant ou tertium tait un invariant grammatical (systme verbal avec ses possibilits de conjugaisons, etc.).

    Au niveau du changement phonologique, linvariant est un systme doppositions tel quil a t concrtis un niveau universel par Roman Jakobson et Morris Halle (1971 : 464-504).3

    3 Il faut complter cette contribution par The revised version of the list of inherent fea-tures , publie par les mmes auteurs dans le mme volume (pp. 738-742). Les langues particulires nutilisent jamais plus quune partie des oppositions possibles.

  • Wolfgang Raible

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    Au niveau de la grammaticalisation dune diathse, linvariant est une es-pce de programme cognitif qui permet la projection de rles pragmatico-sman-tiques sur les rles actantiels syntaxiques mis par un verbe (ici trivalent).

    Bref, les invariants sont les programmes cognitifs, les concepts, les fon-ctions ou les tches (et leur support catgorique) raliser par les variables que sont les lments dune langue historique. Sil sagit de tches remplir par un grand nombre ou mme par toutes les langues, un tel invariant peut tre utilis pour une classification par exemple dordre typologique (comment lier des phrases les unes avec les autres ? (cf. Raible 2001) ; comment former des groupes nominaux ? ; etc.4).

    4. Un rsum consolateur qui mne dune impasse un champ libre

    Or, nous savons que, premire vue, la variation semble rgner, dans la communication langagire, en matre absolu. Elle est tributaire du haut degr de li-bert dont jouissent les systmes psychophysiques humains. Cependant les dgts que peut provoquer cette variation incontournable sont limits par son compagnon, le filet de secours communicatif indispensable quest la redondance.

    Ce filet de secours prend des formes diffrentes. Il y en a qui jouent sur le plan du contenu transmettre. En effet, nous communiquons pour transmettre et pour capter du sens ; nous rptons que tous nos efforts de comprhension nont que ce seul but, quelle que soit la qualit du message transmis. Un autre facteur primor-dial est li au prcdent : nous savons en principe ce qui nous attend, et ce, grce des genres communicatifs connus des partenaires. Nous connaissons la forme dun bulletin mtorologique et nous savons, entre autres, que les formes du prsent de lindicatif utilises l nont aucune valeur de vrit. Nous savons comment fon-ctionnent une excuse, le rcit dun voyage ou dune aventure amoureuse, etc.

    Ct forme, la redondance du message langagier facilite normment la comprhension : elle laisse entrevoir linvariant (par exemple un moule syntaxique complet) bien que lnonc ne soit pas entirement ralis.

    Le grand secret de la communication russie malgr ltat imparfait du message langagier consiste donc dans le fait que toute variable prsuppose un inva-riant tel le sens quon anticipe, telle la fonction ou la tche raliser par les va-riables que sont les lments dune langue historique et la chane parle produite partir de cette base.

    Le programme de la confrence stipulait quon labore une rflexion autour de trois notions-cls : divergence , convergence et question de la norme . La rponse de la prsente contribution est que ce sont les invariants qui assurent la convergence, que la variation est plutt lorigine de la divergence et de la possibi-lit de changement. Le rle de la norme est celui dun moule, dune forme idale hautement artificielle, bien sr respecter, bref la norme nous fournit des inva-riants qui sont en gnral dun ordre formel.

    4 Voir, pour concrtiser ce point pour les langues croles base lexicale franaise, Raible (2003 : 143-161).

  • La variation langagire une notion prciser

    17

    Comme souvent, ce jeu entre divergence et convergence peut tre exprim par une des belles images cres par Hraclite dphse :

    Ils ne comprennent pas comment ce qui lutte avec soi-mme peut saccorder. Lharmonie du monde est par tensions opposes, comme pour la lyre et pour larc. (Fragm. 22B 51 Diels)5

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    5 Pour ceux qui apprcient loriginal avec son texte en dialecte ionien: : [Ou xynisin hks diaphermenon eut homologei : palntropos harmon hksper txou ka lrs].

  • Wolfgang Raible

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    kationswissenschaft, vol 20.1., Berlin & New York, de Gruyter, pp. 590-617 (article 45). < http://latina.phil2.uni-freiburg.de/raible/Publikationen/Files/ 045_Raible.pdf >

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  • COMMENT CE QUE MONTRENT LES FRANAIS DAFRIQUE SINSCRIT / NE SINSCRIT PAS DANS LES DYNAMIQUES DES

    FRANAIS DANS UNE PERSPECTIVE PANFRANCOPHONE

    Batrice Akissi Boutin Universit de Toulouse-le Mirail et ILA dAbidjan

    & Franoise Gadet Universit de Paris Ouest Nanterre la Dfense et MoDyCo

    Parmi les diverses faons de sintresser au franais en Afrique, nous adopterons ici une perspective qui peut paratre un peu priphrique : il sagit dtablir sa place parmi les diffrents franais, compte tenu de lapport spcifique de chaque franais pour un linguiste cherchant une image gnrale de la langue fran-aise . Lhorizon de nos interrogations concerne la part, dans le changement, du structural, du socio-historique, et des effets du contact, dbats sur lesquels des syn-thses ont t donnes par Sankoff (2002) ou Thomason (2008). On sinterrogera ainsi sur lintrt et sur les limites de la notion de varit (en un sens linguis-tique).

    La variabilit est certes reconnue dans la tradition de linguistique franaise, mais elle dpasse rarement la mtaphore et lhypothse dune sorte de degr zro des langues : germes dvolution ? Potentialit de tendances structurelles ? Quelle place accorder ds lors aux facteurs sociolinguistiques ? Constituent-ils seulement des ferments ayant pour effet de favoriser ou de bloquer ce qui se joue au plan structurel ? Des phnomnes qui existent dans tous les franais, mais passent inaper-us, sont souvent rendus plus visibles dans les franais hors de France pour des rai-sons diverses.

    Gadet (2010) a prsent, la suite de son exprience dans la Grammaire de rfrence du franais, une liste de lieux de variation, et cest dans cette perspective que nous nous interrogerons ici, tout en tant conscientes du risque que comporte une conception des langues avec des lments inhrents et dautres, incidents.

    Il est habituel dopposer les franais dEurope (berceau de la langue) aux franais exports, surtout en Amrique (premire vague de migration de langue) et en Afrique (deuxime priode de migration). Le franais offre ainsi une palette exceptionnelle parmi les langues du monde (vs langlais, seul comparable quant la grande diversit selon les points de vue la fois gographiques et cologiques le franais tant loin derrire). On se demandera ainsi ce quil y a apprendre, pour un linguiste, de chaque franais, et finalement de tous.

    Nous voulons examiner ici les restructurations des franais vernaculaires, et les conditions susceptibles de les favoriser, en discutant des facteurs de conver-gences et de divergences, la notion de norme endogne , la perception daccents ou didentit sociolinguistique. Nous nous arrterons quelques formes : subjonctif, que, relatives, discours rapports, auxiliaires, en privilgiant les interfaces, entre syntaxe et discours dune part, et entre syntaxe et phonologie de lautre.

  • Batrice Akissi Boutin & Franoise Gadet

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    1. Peut-on parler de franais dAfrique ?

    1.1. Des notions rvaluer : natif et vernaculaire

    Selon la doxa, la diffrence entre franais europens et amricains dune part, africains de lautre, serait le trait natif , rare en Afrique. Il faut donc com-mencer par relativiser cette notion de locuteur natif , qui nest pas le facteur es-sentiel dopposition. Ainsi un Louisianais sera dit natif , mme sil nutilise que rarement le franais dans sa vie courante, alors quun Camerounais est regard comme non natif mme sil conduit peu prs toute sa vie en franais1.

    Notre intrt premier est ainsi dirig sur les vernaculaires, quil est habituel de dfinir travers les traits en usage surtout loral, dans la proximit communica-tive (changes ordinaires, entre proches), compte tenu dune certaine dilution de la pression normative et dun degr bas de surveillance (auto- ou htro-). Tous ces critres savrent problmatiques et mal dfinis (Renaud 1998), car ils se concr-tisent diffremment selon les lieux. Appliquer la dnomination de vernaculaire aux franais dAfrique, cest accepter un nouveau sens ce terme, puisque le franais peut tre le vernaculaire de locuteurs qui ne lont pas comme langue premire. Pour autant, en parlant de franais vernaculaires en Afrique, on nen aura pas cern toutes les caractristiques.

    Est-il justifi de dire quil existe un (ou des) franais dAfrique ? Peut-on dire autre chose que franais en Afrique , ou franais Nom de lieu (et va-riante adjectivale ou nominale) ? Est-ce seulement dun point de vue europo-centr que lon peut dire franais dAfrique , ou bien des locuteurs se reconnaissent-ils dans cette dnomination ? Lors des premires journes scientifiques du rseau th-matique tude du franais en francophonie de lUREF Nice en 1991, Manessy et Tabi-Manga insistaient dj sur les problmes (notamment idologiques Tabi-Manga 1993 : 43) de lexpression franais dAfrique , lie la question de la norme endogne que nous commenterons plus bas. Vingt ans aprs, les mmes questions perdurent, dans un paysage o lon peroit sans doute mieux trois raisons qui devraient inciter la prudence : 1) la disparit selon les pays (par exemple selon le type de colonisation) ; 2) les conditions cologiques dexercice de la langue, dif-frentes pour chaque pays, voire pour diffrentes aires dun mme pays ; 3) la dispa-rit de matrise selon les locuteurs.

    1.2. Donnes factuelles sur le franais en Afrique

    Le franais en Afrique pse dun poids certain sur la francophonie mon-diale : 46,3 % des francophones sont des Africains un peu plus nombreux que les Europens (44 %) daprs les donnes officielles du 12 octobre 20102. Ces don-nes sont sans doute contestables, mais a minima, elles confirment limportance de lAfrique pour la francophonie. Les critres retenus pour tablir les donnes chif-fres de francophonie sont dits minimalistes par le Rapport de synthse de 2010,

    1 La notion problmatique de locuteur natif a t explore sur le plan thorique par louvrage de Coulmas (1981a), et dtaille dans son introduction (Coulmas 1981b). 2 < www.diplomatie.gouv.fr >.

  • Les franais dAfrique dans une perspective panfrancophone

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    pour des contextes sociolinguistiques varis. En effet, les pourcentages ont t cal-culs soit sur la base des donnes disponibles par les recensements nationaux offi-ciels, soit par des enqutes directes, soit daprs les donnes scolaires pour lAfrique et les pays o le franais est langue trangre3.

    Paralllement ces pourcentages, lOIF a publi des donnes qui sont le r-sultat denqutes, qui approchent le rle du franais, sa perception, ou encore la comptence des locuteurs dans certaines zones. Ainsi, deux mtropoles africaines sont prsentes comme suit par rapport la connaissance du franais.

    Pas du tout Difficults Assez bien Trs bien Abidjan 1 % 32 % 52 % 15 % Kinshasa 8 % 28 % 43 % 21 %

    Les deux pays se distinguent aussi par le taux de scolarisation des enfants de plus de 10 ans : 48 % valus pour la Cte dIvoire, 78 % pour la Rpublique Dmocratique du Congo (RDC). Les pourcentages de francophones dans ces pays sont estims 45,7 % pour la RDC et 90 % pour la Cte dIvoire, mais les donnes de scolarisation ont prim, accordant pour la Cte dIvoire entre 16 et 35 % de francophones et pour la RDC de 36 60 %. Les chiffres semblent minimiss pour la Cte dIvoire, mais maximiss pour la RDC. Il est vrai que le rle vhiculaire du franais, dcisif en Cte dIvoire, est supplant en RDC par les vhiculaires comme le lingala et le kis-wahili depuis les annes 80 (cf. Nyembwe ce volume).

    Il nen reste pas moins se demander ce quest un francophone, et o passe la frontire. Si les notions de langues premire vs seconde ont t abandon-nes par le dernier Rapport de lOIF, celles de locuteurs rels vs occasion-nels ou de franais dusage courant vs partiel ont t diversement appli-ques, et ne disent pas grand-chose sur la comptence relle en franais, compte tenu de la varit des situations.

    Le flou de lexpression franais dAfrique incite ainsi revenir sur la question de la norme (des normes endognes vs une norme exogne, une norme afri-caine ou panafricaine vs des normes nationales), aprs un rapide rappel du pass.

    1.3. Petit rappel historique

    Si lhistoire des franais dAfrique est en partie partage, quelle est lincidence des diffrences ? Les franais ont des histoires diverses en Afrique, des divergences apparaissent ds le dbut, paralllement des convergences mises en relief par des tudes comme Manessy & Wald (1984), Manessy (1994).

    Des vhiculaires franais ont t prsents sur les ctes du Golfe de Guine depuis plusieurs sicles, aprs la construction dun premier tablissement franais Ouidah en 16714. Toutefois, le franais nest enseign quau dbut du XXe sicle

    3 Ont t comptabiliss les francophones des pays de lOIF, plus lAlgrie, les tats-Unis, Isral et le Val dAoste. Ceci explique que lenseignement du et en franais soit pris en compte pour certains pays de lOIF, notamment ceux o le franais est langue trangre (Roumanie, Laos, etc.). Les critres appliqus lAfrique sont ceux de ces pays. 4 Le comptoir de traite de Saint-Louis a t cr en 1638, celui de Gore en 1677, Dakar est fond en 1857.

  • Batrice Akissi Boutin & Franoise Gadet

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    avec le commencement de la scolarisation publique dans les colonies de lAOF et de lAEF (voir Calvet 2010), pendant que, au travail et dans larme, ce sont des vhi-culaires coloniaux qui sont diffuss. Les colonies sont ingalement scolarises et les coles de brousse nenseignent pas le mme franais que les coles urbaines. Et il y a aussi des divergences de traitements des langues africaines selon les rgimes colo-niaux (Quefflec 1992, Calvet 2010 pour lenseignement). Ainsi, la politique fran-aise dexclusion des langues africaines diffre de la politique belge. Par la suite, les politiques linguistiques des tats indpendants se sont encore diversifies. Nyembwe (2004) analyse en trois temps la politique linguistique de la RDC aprs lindpendance : rattrapage (dcennie 60), remise en question (dcennie 70) et conciliation ou partenariat (jusqu aujourdhui)5. Mais dans la ralit sociolinguis-tique, la complmentarit franais / langues nationales est trs dsquilibre, comme le disent de faon consensuelle peu prs tous les travaux sur le franais en Afrique.

    Ces divergences historiques et politiques ont eu des incidences sur le fran-ais dans les pays africains francophones. Les tensions sur le franais sont pourtant partout les mmes, avec des colorations diffrentes selon les situations : pression du standard et idologie de la langue pure dune part, vernacularisation et hybridation dautre part6.

    2. La norme et les normes

    La question de la norme est trs vive en Afrique, lie celle de la dnomi-nation du franais. Si, de faon spontane, les Ivoiriens voquent un franais ivoi-rien et les Sngalais un francngalais (par exemple), ces pratiques sont loin dtre entrines par une norme officielle. Pour toute activit socialement prestigieuse, cest la norme internationale de franais, tendant vers le standard, qui est actualise. Aucun pays africain francophone, mme la Cte dIvoire, plus indpendante envers le franais de France, nest prt assumer une norme nationale de franais distante de la norme exogne. Les travaux actuels de normalisation portent plutt sur les langues africaines, mais ils naboutissent jamais ce que ces langues soient utilises dans des fonctions minentes (crit, discours officiel, discours dexpertise). Le fran-ais a t conserv aprs les indpendances, avec largument du moindre cot parce que les outils didactiques, administratifs, juridiques taient dj disponibles. Il nous semble difficile quil fasse dj lobjet dun travail de normalisation.

    Pourtant, des normes endognes sont plus ou moins avres selon les pays et les espaces de communication, de loral informel aux crits littraires, en passant par le discours de presse et le discours politique, parfois jusquaux niveaux les plus levs.

    5 La Francophonie institutionnelle met en avant, au moins dans les textes, le partenariat avec les langues locales. 6 Les franais africains sont en gnral limits un statut officiel, aux usages formels et aux zones urbaines sauf au Sngal, toutefois particulier par le rle du wolof au Cameroun, au Congo, en Cte dIvoire et au Gabon, o leur vernacularisation donne au contraire souvent lieu des formes hybridifies (bien attestes en Cte dIvoire et au Cameroun).

  • Les franais dAfrique dans une perspective panfrancophone

    23

    2.1. Norme endogne vs exogne

    La notion de norme endogne , introduite par Manessy & Wald (1984), sest rvle depuis trs productive dans les travaux sur le franais, en Afrique et ailleurs (Manessy 1994 et 1995, Prignitz 1994, Wharton et al. 2008), et a t reprise dans des approches didactiques (voir tats gnraux de lenseignement du franais en Afrique subsaharienne francophone de 2003). La notion fait rfrence une dy-namique interne des langues, qui favorise la variation et lgitimise les formes or-dinaires . La question de la norme se trouve ds lors rafrachie et pose, non plus partir dune langue artificiellement coupe de son milieu cologique, mais par-tir de ce qui se parle, un vernaculaire marqu par le plurilinguisme (Wharton et al. 2008, 4e de couverture).

    Cependant, la notion d endognit mrite que lon prcise ce quapporterait le qualificatif la notion de norme . Elle ne peut tre que relative, dans la mesure o il est difficile quun changement dans les normes se dveloppe de faon entirement endogne, pour une langue initialement exogne dont ladoption est motive par des intrts socio-conomiques transnationaux. En outre, dans un contexte de globalisation, toutes sortes de franais circulent travers la chanson, le cinma, Internet ou les mdias. Quant aux formes, dun point de vue syntaxique ou phonologique, la notion d endognit est encore plus difficile tenir devant la frquence des phnomnes de convergence, dans les franais dAfrique, dEurope et dAmrique.

    Alors, quelle est la ralit dune norme de franais pour lAfrique ? Une norme africaine de franais est actuellement une illusion, pour diffrents motifs socioculturels et linguistiques. Il ny a ni ensemble culturel de lespace occup par la langue franaise, ni reprsentation unitaire dune Afrique francophone . Par ail-leurs, la conscience aigu de la norme qui accompagne souvent le franais se mle, lissue de la colonisation, des relations ambigus avec cette langue : des senti-ments dalination, de dpossession identitaire et culturelle coexistent avec la per-ception dun dfi relever par la matrise du franais standard7.

    En consquence, pour chaque pays, si le concept de norme endogne est plus ou moins admis pour les franais ordinaires, il est loin de rencontrer une vo-lont de lgitimation officielle. Les tats gnraux de lenseignement du franais en Afrique subsaharienne francophone de 2003 Libreville ont affirm la ncessit de lgitimer des normes endognes, mais aucune suite na jamais t donne8.

    Lide de norme africaine ou panafricaine de franais est inconce-vable dans ce contexte.

    7 Dans le contexte, en certains aspects comparable du Maghreb, Kateb Yacine parle de butin de guerre pour le franais en Algrie et non de legs , mtaphore plus conventionnelle et surtout plus franco-centre. 8 Au contraire, les rformes universitaires (LMD) conduisent souvent laugmentation des cours de langue franaise dans les universits et coles normales, et donc la diffusion du standard.

  • Batrice Akissi Boutin & Franoise Gadet

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    2.2. Convergences et divergences des franais dAfrique

    Des convergences et des divergences apparaissent sur plusieurs plans dans les travaux sur les franais en Afrique, selon quils sattachent plutt aux formes ou aux normes. Du point de vue des formes, depuis les travaux de Wald et Manessy, il existe des tudes globales sous lappellation franais dAfrique , mais la tendance actuelle est plus des travaux limits gographiquement (capitales, rgions, pays). Ces tudes descriptives prennent deux orientations, selon quelles insistent sur les convergences ou les divergences. Les phnomnes sociolinguistiques voqus pour expliquer des convergences de formes sont la basilectalisation en gnral lie des locuteurs de niveau dtudes modeste, de position socio-conomique peu avanta-geuse et dune faible matrise du franais (Italia & Quefflec 2010), un fort contact avec les langues africaines, ou aux effets dune culture doralit9. Les travaux qui pinglent plutt des divergences sintressent aux interfrences avec les langues africaines (parmi dautres, Skattum 2010), ou des processus de vhicularisation vs vernacularisation (Manessy 1994, 1995)10.

    Pour comparer entre eux les franais en Afrique, il convient de dfinir des termes de comparaison. Les frontires politiques et administratives sont-elles dj pertinentes alors quelles ont t imposes depuis peu ? Les cartes ethnolinguis-tiques le sont-elles davantage, alors que la migration et une grande mixit ethnique ont caractris la plupart des rgions africaines avant, et plus encore aprs, la coloni-sation ?

    Du point de vue des normes, les dynamiques linguistiques des mtropoles peuvent diffrer selon quune langue domine (franais Abidjan, wolof Dakar) ou que plusieurs langues se rpartissent lespace, comme Ouagadougou ou Kin-shasa. Les pratiques du franais convergent davantage dans le premier cas, tendant soit vers lautonomie, soit vers le standard, et sont plus divergentes dans le second11.

    Dun point de vue formel, nous sommes ici dans le cadre des rapports entre langues ou varits, qui obligent sinterroger sur le mme et lautre , question fondamentale de la mthodologie linguistique. Si lon nattribue pas les divergences au contact, il reste les contraintes, lextension et la frquence des phnomnes, que nous illustrerons avec a anim. Soient les exemples suivants, qui montrent des proximits entre faits provenant daires diffrentes :

    (1) les femmes, a travaille mal. (Paris, Bauche 1920 : non spcifique)

    (2) a trouve quelque chose pour pas aller en docteur parce que a avait pas dargent pour a. (Louisiane, Stbler 1995 : spcifique)

    (3) ton dernier passager que tu trouves, tu viens avec a. (Abidjan, Knutsen 2007 : spcifique)

    9 Une quatrime hypothse sur les causes de convergence, celle de la smantaxe (Manes-sy 1995) semble avoir t abandonne. 10 Des travaux comme Prignitz (1994) montrent combien les noncs peuvent tre proches, au Tchad, au Cameroun, au Niger, au Burkina Faso ou en Cte dIvoire. 11 Voir la notion d aire communicative dans Gadet, Ludwig & Pfnder (2009). Ces aires ne doivent pas tre considres comme des espaces clos juxtaposs, mais comme des en-sembles pouvant interfrer.

  • Les franais dAfrique dans une perspective panfrancophone

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    (4) a veut voler de ses propres ailes, mais a peut mme pas gagner sa vie. (Pa-ris : spcifique)

    Mais avant daller plus loin sur la syntaxe, nous voquerons rapidement la percep-tion des accents, puisquil apparat que cest l que se manifestent le mieux des sp-cificits.

    2.3. Les accents africains

    Les capitales ouest-africaines sont des espaces o slaborent des connais-sances linguistiques et mtalinguistiques par lexprience de laltrit. Une tude sur la perception des accents ouest-africains (Boula & Boutin 2012)12 tente dvaluer la perception comme comptence apprhender la ralit linguistique et corollaire-ment, de confirmer / infirmer lexistence dindicateurs permettant de reconnaitre des appartenances sociolinguistiques, ethnolinguistiques ou nationales.

    La pertinence des rponses atteste une relle comptence catgoriser un signal, indpendamment de toute rfrence culturelle, spatiale ou socioprofession-nelle, en labsence dautres marques lexicales ou syntaxiques. Plusieurs indices ont t tests instrumentalement : les ralisations de /R/, les patrons prosodiques des polysyllabes (diffrence dans la frquence fondamentale entre premire et dernire syllabe), les dures, sans que les rsultats permettent pour linstant une modlisa-tion. Il ressort de ltude que les patrons et routines perceptives sont plus efficaces que le traitement automatique des donnes acoustiques13. La justesse des rsultats perceptifs sur lidentit ethnolinguistique et nationale des locuteurs montre que les accents diffrencient dune part quatre capitales, dautre part quelques ethnies de la rgion ouest-africaine. Ce test permet aussi de soulever des questions, que les pro-nonciations de R peuvent illustrer. Ltude de R chez des locuteurs sngalais, maliens, burkinab et ivoiriens montre des patrons diffrents pour chaque groupe. Les pourcentages par appartenance na-tionale de /R/ apicaux, dorsaux ou vocaliss / lids se rpartissent comme suit :

    % R Burkina Faso Cte dIvoire Mali Sngal [r] apical 71 39 91 59 [R] dorsal 5 10 0 23 [w] vocalis ou lid 24 51 9 18

    Pour tous les pays sauf la Cte dIvoire, le R le plus frquent est [r], et des R peuvent tre lids en finale. Les Sngalais (wolof) ont fait entendre plus de R dor-saux, les Maliens (snoufo et bambara) nont produit aucun R dorsal et peu dli-sions, les Burkinab (mossi et bambara) et les Ivoiriens (akan, snoufo et bambara) ont eu des R dorsaux et lids, mais les R lids sont majoritaires en Cte dIvoire.

    12 Les juges de la premire phase de lenqute, majoritairement ivoiriens, devaient valuer le degr daccent, le niveau dtudes, et identifier lappartenance ethnique et nationale de 20 locuteurs de 4 pays, 5 ethnies, 5 niveaux dtudes, de 24 62 ans. Voir < http://www.audiosurf.org/test_perceptif_africa >. 13 On peut sinterroger sur la pertinence dune dmarche qui tente de comprendre le fonction-nement de la perception, en se basant sur des mesures acoustiques instrumentales ou en les prfrant aux tudes perceptives et la linguistique populaire.

  • Batrice Akissi Boutin & Franoise Gadet

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    Il est possible que le R constitue un indice pour les juges , et ils lont signal en fin de test quand on leur a demand quels indices les avaient guids. La justesse dont ils font preuve pour localiser les locuteurs contraste toutefois avec la pauvret des commentaires : Mali et Burkina ils roulent les r / Cte dIvoire : ils ne prononcent pas les r / les R sont plus marqus chez les mors.

    Si le linguiste peut ainsi dgager un systme, comment les juges ont-ils acquis des patrons sociolinguistiques efficaces, compte tenu des ressources percep-tives / cognitives, souvent peu conscientes ? Et quand plusieurs patrons phonolo-giques sont possibles par communaut, comment seront-ils perus ?

    Il semble quil faille conclure ce point en signalant le primat du sociocultu-rel sur le structurel dans lvaluation de varits de langue.

    3. La syntaxe, facteur de diffrenciation entre les franais ?

    Si des diffrences phontiques sont exploites en perception pour identifier des franais dAfrique de lOuest, les donnes syntaxiques quant elles semblent davantage partages travers les espaces francophones, et moins aptes dresser des profils communautaires.

    3.1. Des lieux de variation

    Pour la syntaxe, nous allons nous arrter des faits bien identifis comme des lieux de variation du franais (Chaudenson et al. 1993, Gadet 2010). Pour cer-tains domaines comme la jonction de phrases ou la morphosyntaxe verbale, la syn-taxe ne saurait tre tudie sans tenir compte des interfaces, et avec le discours (puisque des effets de sens sont possibles sans imputation la syntaxe), et avec le phonique, o les oppositions entre deux morphmes se rduisent parfois des diff-rences acoustiques minimes14.

    Il faut dabord soulever la question des corpus pour les descriptions, en particulier les corpus oraux : il en existe beaucoup, mais peu sont facilement dispo-nibles (par exemple sur Internet). Dautre part, ils diffrent quant leurs conditions de recueil, quant leur volume, et quant aux modalits de transcriptions. Leur nombre est pour lAfrique bien moins lev que pour les franais dAmrique, qui ont aussi t recueillis plus tt ; mais les recueils africains sont intervenus trs vite (Hattiger 1981).

    Nous nous demanderons maintenant quelles hypothses peuvent tre tires des faits oraux documents. Quelques questions apparaissent comme des pralables :

    - Peut-on caractriser les tendances actuelles du franais ?

    - Comment dfinir la notion de tendance , autrement que par une liste ?

    - Quels sont les effets de ce quil est souhaitable de ne comparer que du comparable (des faits relevant de productions analogues), et surtout pas des confrontations du standard ? (Pour une critique des points de vue fonds sur le standard, voir par exemple Ploog 2002, Gadet 2011).

    14 On touche aussi les limites dune syntaxe de loral qui ne sappuie pas sur la prosodie.

  • Les franais dAfrique dans une perspective panfrancophone

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    Nous allons donc repartir de quelques lieux de variation identifis, et nous demander lesquels dentre eux constituent des candidats pour des spcificits panfranco-phones. Dans un deuxime temps, nous devrons nous demander ce quon manque lorsquon se contente de reprendre les questions identifies dans la ralisation dune grammaire (Gadet 2010).

    3.2. Des questions privilgies

    Les zones syntaxiques identifies concernent les prpositions, les pronoms, le systme des temps verbaux, la ngation, les constructions verbales, que (qui con-cerne plusieurs faits diffrents), l, les relatives, les interrogatives, lordre des mots ; et la liste nest pas close. Cest a priori une liste chaotique : pour quelle fasse sens, il faut prendre de la hauteur par rapport aux questions de grammaire15.

    Prenons dabord lexemple du subjonctif et de son instabilit , pour le-quel des tendances ont t tablies, aussi bien par des historiens de la langue que par des sociolinguistes / grammairiens (disparition, mais pas totale). Ds 1949, Brunot & Bruneau ( 519) crivaient que le subjonctif franais nest plus quun mode dfectif . Neumann-Holzschuh (2009), sur le franais acadien, observe quil se maintient surtout aprs vouloir, aprs les conjonctions comme bien que, et aprs il faut :

    (5) si tas une laiterie faut pas tu te mets en amour avec une vache. (Louisiane, Stbler 1995)

    (6) un garde du corps cest pour pas quelquefois que vous partez en arrire. (St-Pierre-et-Miquelon, Chauveau 1998)

    (7) vous pouvez avancer au micro pour quon pouve entendre a que cest que vous avez dire. (Nouvelle-cosse, corpus Petras 2008)

    (8) jai pas connu a avant que jtais grande et marie. (Louisiane, Stbler 1995)

    (9) je voudrais pas quelle ferait un fricot au lapin. (Nouveau-Brunswick, Wies-math 2006)

    Maintenant, quen est-il en Afrique ? Les mmes tendances sont-elles luvre ?

    (10) donc faut que on va garder a. (Cte dIvoire, Boutin 2008)

    (11) on voulait dj prendre les mots avant que la voiture a dmarr. (Cameroun, Simo-Souop 2009)

    (12) cest pour cela que on a remarqu que mme les demandes de bourse internationale, les tudiants malgr quils ont des diplmes, mais ils ont des difficults pour acqurir ces bourses. (Sngal, Gueye 2008)

    15 Lors du colloque de Cologne, Katja Ploog a soulign que ces zones du franais sensibles la variation semblaient concerner la linarit, plus immdiatement contraignante en mode spontan. Cest ainsi que sont particulirement concerns la zone antverbale, avec les cli-tiques, fragiles du point de vue morpho-phonologique, et des lments de connexion (prposi-tions et conjonctions), qui permettent lincrmentation dunits discursives plus complexes. Il sagit de deux niveaux dlaboration linaires bien diffrents, qui nexpliquent certaine-ment pas tout, mais qui permettent dinscrire une rflexion dans une dynamique duniversaux de loralit (voir conclusion).

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    (13) on lui a dit de venir prendre, euh, commencer tre, euh, dtacher des bal-lots l, que un certain moment donn, on va faire des affaires pour quil commence avoir un bureau, et ainsi de suite jusqu ce quon va lemployer officiellement. (Burkina Faso, Prignitz 2004)

    Certains de ces exemples sont fragiles, mais il semble quand mme bien quil y ait au moins partiellement convergence entre les diffrents franais, malgr quelques diffrences de notations selon les auteurs (voir Knutsen (2007 : 218), qui pour le franais dAbidjan parle de variabilit aigu ). On peut observer une tendance similaire avec que, dans un emploi dit de subor-donnant universel , ou comme seul subordonnant en relative, o il est suivi ou non dun pronom rsomptif. En tant que lien discursif vague, que est affect de mouve-ments contraires dextension et domission (voir Wiesmath 2006) :

    (14) on avait juste eu llectricit que moi javais 16 ans. (Louisiane, Stbler 1995)

    (15) jai pas pu y aller aujourdhui que javais la voiture. (Paris)

    (16) moi jai des petites surs qui vont lcole que je prends la charge. (Cte dIvoire, Knutsen 2007)

    (17) il y avait la fesse de la maison un arbre que jai grimp en haut. (Cameroun, Ongun Essono 2002)

    Ces observations invitent revenir sur la dfinition de la relative et sur celle dautres catgories grammaticales dailleurs, qui seront branles par les phno-mnes non-standard. Les liens vagues sont renvoys au discours, ou forcs vers des catgorisations dtermines. Pourtant, ces phnomnes, un peu vite considrs comme inclassables , invitent revenir sur les interfaces de la syntaxe, ce que nous allons faire maintenant avec lexemple du discours rapport.

    3.3. Le discours rapport

    Lintgration par un locuteur du discours dautrui dans son propre discours dtourne ce discours en linsrant dans un nouveau contexte, pour un nouvel objec-tif. Ces nouvelles conditions pragmatiques demandent que soient respects la fois le bornage des voix et lunicit de lacte dnonciation, alors mme quil est le pro-duit de plusieurs voix. Dun point de vue syntactico-discursif, les discours rapports sont traditionnellement classs par catgories selon le degr dautonomie / intgra-tion. Cependant, de nombreuses tudes, sur des discours littraires, sur des discours crits et oraux divers (Rosier 2009), sur les franais dAfrique (Ploog 2004, Queff-lec 2006, Simo-Souop 2009, Boutin 2011), ou sur les franais dAmrique (Vin-cent & Dubois 1997) montrent que nombre de discours rapports sont hybrides, ma-nifestant des proprits complexes.

    Dans des usages sans trop de pression de la norme crite du franais, que et de subissent une rinterprtation syntaxique et logique, et des particules nonciatives (non, ah, mais, bon, etc.) peuvent jouer le rle de balise du discours rapport en mme temps quelles orientent vers linterprtation. En particulier, quand que est omis pour un discours rapport indirect, ou trs dcal par rapport au verbe dans un

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    discours direct ou indirect, et quil ny a pas dautres marques de dpendance16, son rle grammatical est affaibli au profit dun rle discursif. Que a alors un rle dorganisation du discours, proche de celui de particules nonciatives comme non, bon, ben, comme on le voit dans les noncs :

    (18) vers la fin il me dit que non mon papier il na pas pu prendre que cest trop compliqu que lui il pensait que ctait un autre travail et moi je lui ai d- donn un travail que son ami ne peut pas faire que cest trop pour son ami. (Cte dIvoire, Boutin 2011)

    (19) le gars il dit non que non que le que lonc- que Monsieur euh Kabor quil est sorti. (Burkina Faso, Prignitz 2004)

    (20) la Franaise elle disait que non elle ne peut pas recevoir que son mari lui a ca-ch lheure laquelle son pre devrait venir. (Tchad, Prignitz 1994)

    (21) je demandais souvent aux enfants si ctait bon cest quelle cole qui tait habille comme a. (Burkina Faso, Prignitz 2004)

    (22) donc on a dit bon cest mieux de rester avec la foule. (Cte dIvoire, Boutin 2011)

    (23) je dis hein je go seulement me coucher. (Cameroun, Simo-Souop 2009)

    (24) cest pour a je te dis ben il faut de lentranement. (Paris, Gadet)

    Si que garde son rle de subordonnant syntaxique dans la majorit des cas, il joue donc aussi parfois un rle discursif de marqueur de dbut de discours (voix du lo-cuteur ou voix rapporte), se rapprochant des particules nonciatives. On manque dtudes pour affirmer la similitude avec les autres franais17, mais aussi avec dautres langues18. On peut cependant risquer une hypothse : le discours rapport, pratique sociale dont les enjeux transcendent les langues et les cultures, donne lieu aux mmes types de phnomnes, et on peut observer des convergences de formes pour des processus cognitifs communs.

    3.4. Imbrications entre faits syntaxiques et phoniques

    On prendra ici lexemple des auxiliaires et de la tendance, atteste aussi bien en Europe quen Amrique, au remplacement de tre par avoir. Les faits napparaissent pas aussi frappants Abidjan ou Ouagadougou, et incitent la pru-dence. Des facteurs lexicaux et phonologiques entrent en jeu dans ce domaine mor-phosyntaxique. Certains verbes, comme quitter, sont souvent flchis avec tre, constituant des exceptions lexicales :

    16 Les subordonnants sont considrs comme la premire marque de dpendance, impliquant les suivantes : la phrase qui suit perd son autonomie nonciative, les temps et modes verbaux sont modifis, les personnes des pronoms et les flexions verbales subissent un transfert, les reprages spatiaux et temporels sont ceux de la narration. 17 Ainsi, Rosier (2009 : 78-80) parle de discordanciel pour tous les mots, expressions ou constructions [interjections, connecteurs, modalisateurs, ruptures modales] qui permettent de produire un dcrochage nonciatif . 18 Leonaviien (2007) compare les particules nonciatives comme balises de discours rapports dans la presse franaise et lituanienne.

  • Batrice Akissi Boutin & Franoise Gadet

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    (25) et les Ouagalais qui sont quitts avec des gens de [toponyme] l ici. (Burkina-Faso, Prignitz 2004)

    (26) je suis quitte l-bas a vaut dix ans je suis pas encore arrive donc on sest pas encore vu. (Cte dIvoire, Boutin 2008)

    La frquence de ce phnomne nest pas ngligeable dans PFC : quatre occurrences de quitter avec avoir, pour trois avec tre.

    Par ailleurs, une forme syncrtique E19 est atteste sporadiquement (trois fois en cinq heures de parole transcrites pour ce mme corpus) pour ce verbe ou dautres qui sont habituellement construits avec avoir (Prignitz & Boutin 2010).

    (27) donc cest par rapport a quon vous E, on vous E vus dans les problmes. (Burkina-Faso, Prignitz 2004)

    (28) on peut pas toujours rester, toujours comme on le dit, avec les colonisateurs. Cest tel pays qui nous E colonis, il faut rester avec lui, non. (Cte dIvoire, Boutin 2004)

    (29) maintenant, elle dit : Bon, va les appeler . Maintenant, je suis partie les appeler, ils s/ ils sont venus. Vous E quitts o ? Et puis ils ont dit : Non, maman, maman, cest que . Cest que quoi ? (Cte dIvoire, Boutin 2004)

    Dans ce dernier cas, on peut parler dimbrication du phonique et du morphosyn-taxique. Cette forme syncrtique est le rsultat dune perte dopposition phonolo-gique [a ~ ] pour certains (a, as, es, est, ait, etc.) et dune rosion / attrition pour dautres (tes, avez), affaiblissements phoniques qui vont souvent de pair avec le processus de grammaticalisation (Kriegel 2003). Pour autant, ces faits ne sont pas suffisants pour en dduire quil y a changement dans le systme. La prudence, ici aussi, demande de rechercher si dans un mme discours, les autres lments du pa-radigme de est (ou de a) sont prsents. Mais il est possible quune ranalyse de E soit en cours, comme simple marqueur de temps verbal.

    On conclura donc pour les lieux de variation en syntaxe en se demandant si ce que lon peut apprendre se limite 1) une numration de phnomnes syn-taxiques documents (i. e., accumuler des exemples), 2) des tentatives pour les loca-liser dans une grammaire.

    Conclusion gnrale

    Nous sommes conduites revenir sur la ncessit pour un linguiste de re-garder la francophonie comme un tout, non seulement pour des raisons sociolin-guistiques mais aussi pour des raisons linguistiques : les franais dAfrique nous ap-prennent autant, voire davantage par le regard quils nous conduisent porter sur le franais que par leur forme mme, qui nest pas automatiquement divergente par rapport aux autres franais.

    Les franais non-hexagonaux permettent ainsi, par effets de loupe, de mieux saisir des phnomnes gnraux susceptibles de concerner tous les franais,

    19 Nous optons pour une transcription E pour des valeurs phontiques de voyelles mi-ouvertes proches de [], avec lide que ces valeurs ne constituent pas des particularits distinctives de plusieurs morphmes.

  • Les franais dAfrique dans une perspective panfrancophone

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    ou un grand nombre dentre eux. Ce qui nous conduit nous intresser aux ten-dances affectant les franais, au-del dune numration de faits syntaxiques. Il nous semble intressant de chercher tirer des gnralisations sur les vernaculaires, avec une hypothse forte de points communs entre vernaculaires (voir Miller & Weinert 1998 quant la proximit des versions parles des langues, qui se res-semblent davantage que leurs versions standard). Lhypothse vaut-elle entre verna-culaires dune mme langue ? Peut-on ltendre aux vernaculaires de toutes les langues ? Des similitudes de conditions dusage ou de types de discours (proximit, oralit, usage ordinaire, enjeux quotidiens) correspondent effectivement des ten-dances semblables entre formes. Jusqu quel point ? Ces questions, bien illustres partir des franais dAfrique, concernent la confrontation entre formalisme et fon-ctionnalisme, en particulier sur le dcoupage mme des niveaux de description et leur intrication.

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  • QUATRE VARIATIONS SUR LA NORME ET DES USAGES (PRESQUE) SANS FRONTIRES

    Claude Frey Universit de Paris 3

    en dtachement la Coopration pour le Franais Ambassade de France Nairobi (Kenya)

    Introduction

    Les questions de convergences et de divergences par rapport la norme sont des questions centrales dans la description du franais en Afrique francophone. La littrature ce sujet est abondante, particulirement ds la rflexion sur lapproche diffrentielle qui mne la ralisation de lIFA en 1983, susceptible de dterminer une frontire entre les particularits lexicales du franais en Afrique et les usages hexagonaux. Lide mme de frontires ouvre la voie vers une rflexion sur la rfrence et sur la norme du franais en Afrique. Nous pouvons mentionner, parmi les volutions des vingt dernires annes, lapparition de deux notions nou-velles : celle de franais de rfrence , qui remet en cause la seule rfrence nor-mative en prenant en charge la rfrence dusage (cf. Poirier 1995) ; et celle de normes plurielles qui, dans de nombreuses publications sur ce sujet, depuis 2001 surtout, remet en cause lide dune norme unique, universelle et immuable.

    Les normes plurielles intgrent : - la norme acadmique, rpute singulire, universelle, idale, stable bien

    que subissant une lente volution diachronique. Une telle norme nexiste en Afrique quen rfrence la norme acadmique de France, aucun tat africain nayant tabli sa propre norme officielle1 ;

    - les normes dusages, plurielles, variables en fonction des situations diato-piques, diastratiques, diaphasiques et diachroniques. Elles concernent aussi bien le franais en France que le franais en Afrique, des rgularits discursives pouvant tre particulires lun ou lautre pays, ou communes plusieurs.

    Les divergences par rapport ces normes constituent la base de lapproche diffrentielle qui a servi dcrire le franais dAfrique, les convergences ntant prises en compte que pour constituer un corpus dexclusion. Mais lopposition con-vergence divergence est quelquefois moins dichotomique que ne le laisse paratre la thorie et se situe en pratique, du moins dans certains cas, dans une relation de continuit qui peut rendre difficile la dlimitation dune norme dusage endogne.

    La rflexion qui suit sappuie sur un corpus recueilli pendant plusieurs an-nes, ainsi que sur les descriptions diffrentielles publies ce jour, pour mettre en vidence des formes convergentes du franais dans diffrents pays francophones, dont la France. Nous traiterons quatre cas, parmi ceux qui apparaissent divergents

    1 Contrairement au Qubec, qui rige sa propre norme.

  • Claude Frey

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    par rapport la norme acadmique, mais qui montrent dans la pratique des usages convergents :

    1- un cas orthographique, lagglutination : en train de vs entrain de ; 2- un cas lexical : urgemment et la drivation adverbiale en -ment ; 3- un cas smantique, les usages particuliers du verbe faire ; 4- un cas morphosyntaxique, la pronominalisation : mon cur se battait.

    La premire partie du texte qui suit illustrera ces quatre cas partir de corpus ou de documents publis qui, tous confondus, rassemblent des occurrences de 1975 (grce lIFA) 2011, et devraient montrer que lcart par rapport la norme acadmique :

    - nest pas a-normal dun point de vue linguistique2 ; - sinscrit dans une logique de construction morphologique et smantique ; - nest pas limit au franais dAfrique.

    La seconde partie sera une rflexion partir du corpus sur la norme et les usages, dun point de vue linguistique et sociolinguistique. Bien que trs l