LE FANTASTIQUE || LES JEUX DE LA TEMPORALITÉ EN SCIENCE-FICTION

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Armand Colin LES JEUX DE LA TEMPORALITÉ EN SCIENCE-FICTION Author(s): Jacques Favier Source: Littérature, No. 8, LE FANTASTIQUE (DÉCEMBRE 1972), pp. 53-71 Published by: Armand Colin Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41704303 . Accessed: 15/06/2014 01:40 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Armand Colin is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Littérature. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.77.28 on Sun, 15 Jun 2014 01:40:33 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Armand Colin

LES JEUX DE LA TEMPORALITÉ EN SCIENCE-FICTIONAuthor(s): Jacques FavierSource: Littérature, No. 8, LE FANTASTIQUE (DÉCEMBRE 1972), pp. 53-71Published by: Armand ColinStable URL: http://www.jstor.org/stable/41704303 .

Accessed: 15/06/2014 01:40

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Jacques Fa vier

LES JEUX DE LA TEMPORALITÉ EN SCIENCE-FICTION1

1. Le traitement du temps.

Comme cadre d'un récit le traitement du temps mérite, en Science- Fiction, un examen particulier. L'utilisation par les écrivains de Science- Fiction de procédés inédits dans les autres formes de littérature met en lumière certaines structures de la temporalité présentant quelque inté- rêt pour une « narratologie ».

2. Structures chronologiques.

2.1. Non-spécificité des temps grammaticaux. Lorsqu'on examine la structure temporelle d'un récit, il est logique de se pencher tout d'abord sur les temps grammaticaux employés. Cela n'aura rien qui puisse nous surprendre, les récits de SF étant des récits à part entière, les temps grammaticaux employés sont ceux qu'on emploie en romanesque cou- rant; néanmoins, quelques préférences sont marquées. Ainsi, on aurait pu croire qu'un domaine où l'imagination crée des mondes situés pour la plupart dans un futur (à peine) possible, ferait appel, dans ses récits, à un usage fréquent du Futur ou du Conditionnel. Il n'en est rien.

Dans tout récit de fiction ordinaire, la « suspension » du doute est une condition préalable utile, voire souvent indispensable à la narration. En matière de SF, elle est une condition sine qua non, les aptitudes ludiques du lecteur étant plus que jamais fonction directe de son plaisir à la lecture. Cette « suspension du doute », appelle toujours ce commen- taire, plus évident que jamais en SF : il s'agit d'un certain degré de croyance, où le lecteur n'engage qu'une partie de sa conscience critique; le jeu possède là des règles strictes, et la sévérité de la conscience cri- tique demeurée libre variera suivant les types de récits 2. Or, si l'avenir

1. Extrait de thèse de troisième cycle : La Nouvelle de science fiction anglo- américaine de 1950 à 1970, soutenue à l'université de Paris VIII, le 29 juin 1972.

2. Ainsi la caution rationnelle sera plus solide sur le plan scientifique et technique

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peut paraître très réel dans la bouche d'un prophète, le passé, tel que le décrit un historien ou un chroniqueur, apparaît, lui, beaucoup plus convaincant, par la simple vertu des témoignages laissés. Manquant de tels témoignages (et pour cause), l'écrivain de SF recherche le ton et le temps grammatical les moins ouverts au doute, les plus affirmés 3.

Ainsi le Passé et le Passé du Passé (Plus-que-Parfait et Passé Anté- rieur) se montrent particulièrement utiles dans certains récits pour affer- mir dans l'esprit du lecteur la prétendue réalité de faits cataclysmiques froidement présentés.

D'une part, donc, l'historien-romancier du futur, auteur d'une cer- taine catégorie de récits de SF, répugne beaucoup plus à employer le temps du futur que l'historien de la réalité, bien plus sûr de son fait, et qui craint, lui, de lasser son lecteur par l'usage répété du passé de nar- ration, et, de ce fait, anime son texte par des changements de temps (passé, présent, futur). D'autre part, l'usage de ce passé de narration constitue un ancrage dans le temps qui confère une apparence d'authen- ticité à des faits imaginaires.

Pour résumer, hormis Y usage du passé de narration pour la descrip- tion de faits à venir , les temps grammaticaux utilisés dans les récits de SF n'ont rien de spécifique. La spécificité se situe peut-être alors uniquement au niveau de la structure temporelle proprement dite.

2.2. Le modèle structural. La caractéristique majeure de la structure temporelle correspondant à l'utilisation du passé pour narrer des événe- ments à venir est qu'elle correspond à ce qu'on pourrait nommer un Passé du futur (symétrique en cela du Futur antérieur français qui est un Futur du passé). Une représentation graphique en éclaircit la notion.

2.2.1. Soit L le moment réel de la lecture, qui correspond ici, par souci de simplification, au moment réel de l'écriture. Le schéma suivant reproduit l'axe temporel 4 tel qu'il se présente au lecteur (Fig. 1) :

fig. 1

2.2.2. Si P représente la période où se situe l'essentiel (par exemple) ou l'épisode central du récit, le moment choisi par le narrateur pour rela- ter les faits concernant P sera situé en N, c'est-à-dire au-delà de P, dans son futur. Quant à tout ce qui précède N, c'est évidemment pour le nar-

dans les « gadget-stories », plus serrée sur le plan psychologique lorsque l'accent est mis sur ce plan dans le récit, etc.

3. Ce n'est évidemment pas le cas du Conditionnel, temps du jeu enfantin : « je serais le docteur, tu serais le malade, etc. ». Futur et Conditionnel sont paradoxale- ment réservés aux bulletins d'information scientifique pure. 4. On verra plus loin que cet axe ne représente pas véritablement l'abstraction

« temps ». Il représente plus exactement une infinité d'événements infinitésimaux jux- taposés par ordre chronologique, formant ainsi un axe. Ces événements appartiennent à ce que l'on désignera par « réalités parallèles » du lecteur, du narrateur et des actants du récit confondues par commodité en un seul axe de réalités.

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rateur déjà un passé constitué par une série irréversible d'événements historiques (Fig. 2) :

fig. 2

Le conflit, produit dans l'esprit du lecteur, entre la virtualité future d'un fait et sa représentation au passé se révèle être souvent à l'origine de l'abandon de la lecture et de la désaffection de ce genre de littérature. En effet, certains lecteurs ne peuvent se résoudre à faire le saut de l'ima- gination qui les placerait en N, à admettre le fait que le segment LN (incluant P) soit à la fois futur pour le lecteur et passé pour le narrateur. (Le narrateur véritable, c'est-à-dire l'auteur, lui, est évidemment assi- milable à un lecteur rompu à ce genre de gymnastique.)

Le schéma ci-dessus (fig. 2) peut se compliquer dans certains récits par la présence de narrateurs secondaires comme dans tout récit quel qu'il soit. Mais restons-en à un seul narrateur et examinons ce qui peut se passer à l'intérieur de la période P représentant, rappelons-le, l'en- semble de la période embrassée par le récit, limitée plus ou moins préci- sément par les dates pQ et pv Soit A la période correspondant à la durée totale de l'action constituant en propre le récit, bornée en a0 et ax (fig. 3).

fig. 3

2.2.3. P peut inclure totalement A, c'est-à-dire que leurs bornes ne sont pas confondues (fig. 3); c'est le cas d'un très grand nombre de récits, particulièrement des nouvelles appartenant au type « saga » à épisodes cher aux auteurs dont un héros ou un cadre ont plu, et qui exploitent le filon. Ainsi, les Berserkers de Fred Saberhagen, ou les Unorthodox Engineers de Colin Kapp, ou enfin les héros et cadres favoris de tout auteur de « cycle » en Heroic Fantasy.

2.2.4. P0 et a0 peuvent se trouver confondus, comme il est repré- senté dans la figure 4. Ce cas est beaucoup moins fréquent qu'on pour-

fig.4

rait le croire. En effet, le besoin de retours en arrière, de « flash-backs » se fait très vite sentir dans les premières phases d'un récit qui débute avec l'action ou en cours d'action. Il est rare qu'aucune référence ne soit faite à des événements précédant l'action, rare qu'aucun repérage ne soit donné. Le dosage est fondamental. En effet, s'il est nécessaire de parvenir à la fin d'une nouvelle pour connaître seulement alors des élé-

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ments indispensables à la compréhension du récit - il y en a toujours un minimum - cela revient à exiger du lecteur une relecture; peu de lecteurs sont disposés à relire immédiatement une nouvelle qu'ils viennent de lire, afin de la comprendre; encore moins, à poursuivre la lecture d'une nouvelle totalement incompréhensible, faute de repérage et d'éclair- cissements au départ. Le dosage est capital, car là où le lecteur néophyte risque d'être perdu, l'initié à la SF piétinera d'impatience, taxera le récit de lourdeur et d'inélégance. Le code doit être plus que jamais significa- tif, en particulier dans les indications temporelles.

Comme la lourdeur du Passé-dans-le-passé gêne souvent, on a évi- demment recours à des palliatifs classiques (dialogue : « Vous vous sou- venez que... »). Or, ces procédés sont particulièrement fréquents en SF , car les conditions à l'extérieur de P sont déjà imaginaires, alors qu'elles ne le sont pratiquement jamais en romanesque classique 5. Le repérage tempo- rel (au même titre que le repérage spatial) en début de récit est une dif- ficulté spécifique de la création en SF, particulièrement dans la nouvelle, dont l'économie est stricte. Cette convention, lorsqu'elle est respectée, est une aide précieuse pour la localisation de A dans P et de P sur l'axe temporel. Le lecteur situera P le plus rapidement possible grâce à un ensemble d'indices qu'il lui faudra discerner et isoler de la masse des indices trompeurs.

Heureusement pour le lecteur, non seulement la compréhension du récit au niveau le plus simple n'est pas toujours gênée par une impuis- sance à situer, même grossièrement, la période P, mais encore cette nécessité disparaît lorsque P se place dans un futur tellement impré- cis qu'il n'a plus le droit au titre de futur. Il peut tout aussi bien s'agir de présents ou de passés. Le refus de situer temporellement, 1' « atempo- ralité » en quelque sorte, correspond à un désir de prêter aux thèmes illustrés, aux thèses soutenues, une universalité propre aux « grandes vérités ».

2.2.5. Enfin, P peut atteindre le moment de la narration, N, ou même le dépasser (fig. 5) :

fîfl.5

C'est le cas de nombreux récits en forme de journal, où la narration de scènes successives (A1# A2, etc., An) aboutit à la mention ou à la des- cription de l'état des choses dans le présent de la narration (c'est-à-dire

5. Ainsi, nos conceptions de lecteurs sur la vie dans un village écossais au début du XIXe siècle, ou dans une auberge andalouse au xvii® siècle, ou encore à la cour de Charlemagne, sont forcément diverses d'un lecteur à l'autre; mais elles ont comparati- vement beaucoup plus en commun que les notions de divers vieux lecteurs de SF sur les conditions dans lesquelles vont évoluer les actants sur telle ou telle planète à telle ou telle époque : nous attendons justement tous ces renseignements de l'auteur.. . ou presque tous.

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en N), puis à des spéculations sur les développements probables de la situation (au-delà de N).

2.2.6. Dans la majorité des cas, cette structure, commune à la SF et au reste de la littérature, se présente de la manière suivante (fig. 6) :

fïfl.B

- départ de la nouvelle en N (présent de la narration); commen- taires sur l'état des choses en N, ou présentation in medias res d'une scène très riche en renseignements (sur le problème présenté dans la nouvelle, par exemple, s'il y en a un); c'est un procédé classique destiné à accro- cher l'attention du lecteur;

- bond dans le passé, en Ax; dans les structures simples, linéaires, il n'y a qu'un seul bond; mais certains récits plus complexes présentent des retours en N, de loin en loin, ou plus exactement en Nls Na, etc., suivant de près N0 (moment d'origine de la narration). Mais supposons une structure simple. Les périodes Av A2, etc., An, aboutissent finale- ment en Nn;

- puis à partir de Nw, commencent des spéculations au-delà. Gra- phiquement, la période P peut donc être représentée par une demi-droite, et non plus par un segment. Les développements à venir peuvent être aisément déductibles de l'état des choses en N„ (et le plus souvent, de l'évolution entre N0 et Nw); mais également, ces développements peuvent être escamotés, et ne présenter qu'un intérêt réduit (comme dans les « happy-endings »).

2.2.7. Répétons-le, cette structure est commune au romanesque courant et à la SF. Mais il fallait la présenter, car si la SF se distingue par le fait que le moment de la lecture, L, est antérieur au cadre tem- porel P, nous devons bien considérer l'exposition des développements supposés au-delà de N comme un futur dans le futur , ou mieux, un condi- tionnel dans le futur (bien que grammaticalement nous n'ayons affaire qu'au Futur et au Conditionnel « Ami lecteur, peut-être, lorsque tu liras ces lignes... » suivi du Futur).

Cette constatation n'apporte en elle-même rien de positif sur le récit de SF. Mais plutôt, elle révèle une faiblesse constitutive des récits de romanesque courant, dans la mesure où ceux-ci possèdent la struc- ture de la figure 7, une structure où N et L sont relativement proches : toute spéculation sur les développements ultérieurs du récit est contrainte d'inclure le moment L de la lecture (fig. 7).

flg. 7

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A cet instant, le narrateur se trouve inconfortablement placé devant une alternative :

- soit faire coïncider les prévisions fictives avec la réalité connue du lecteur, et dans ce cas le récit perd son caractère de fiction littéraire, avec notamment une hétérogénéité qui risque de nuire à l'esthétique de l'œuvre 6;

- soit inventer un présent parallèle pour le lecteur : pour intéres- sante que soit cette démarche (qui relève très nettement de la SF), elle nuit, par son irréalité flagrante, à la nature du romanesque courant.

Une faiblesse constitutive des récits possédant cette structure tra- ditionnelle apparaît donc bien, là où la SF n'éprouvera aucune diffi- culté, du moins dans l'immense majorité des récits, car, comme on l'a vu, l'instant N de la narration est placé après l'instant L de la lecture.

2.3. Une structure récurrente spécifique . Il peut se produire enfin, en SF, le cas représenté par la figure 8, où la période P inclut le moment supposé de la lecture, L.

fig. 8

Cette structure sous-tend des situations évidemment spécifiques de la lit- térature d'anticipation. En effet, cette vision du monde contemporain par un narrateur des temps futurs constitue pour l'essentiel l'intérêt de certains récits. Cette distanciation des historiens du futur à l'égard de notre époque n'est après tout qu'une réplique de notre attitude de juges vis-à-vis des temps et des hommes qui nous ont précédés. L'usage de cette structure temporelle du récit n'a certes rien de neuf, et presque toutes les utopies placées dans le futur possèdent bien cette structure, un héros (comme le Dormeur de Wells dans When the Sleeper Wakes) constituant le trait d'union entre L et A, entre l'époque du lecteur et l'époque décrite.

La SF a su jouer sur la souplesse que présente cette structure pour en tirer non seulement toute la force satirique mais également la capacité onirique.

2.3.1. Ainsi, P peut de la sorte s'étirer sur des périodes immenses, uniquement afin d'inclure L. Dans la figure 9, C peut constituer la période

fig. 9

6. Surtout si le moment de l'écriture, E, se place assez nettement avant le moment de la lecture (E situé couramment entre N et L). L'écart inévitable entre E et L s'agrandit, évidemment, chaque année. En effet, si les prévisions coïncident bien avec la réalité du lecteur, elles ne sont plus imaginaires, et c'est du reportage, par exemple; si elles coïncident mal, leur échec peut prêter à sourire.

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d'existence de l'humanité, ou un « cycle » de son évolution (entre deux guerres atomiques quasi-totalement destructrices entraînant une régres- sion de l'espèce et une perte du souvenir des civilisations antérieures, par exemple).

2.3.2. On voit tout le parti que les créateurs de récits de SF peuvent tirer de cette possibilité de placer le narrateur aussi loin qu'ils le désirent dans le futur.

La connaissance par les écrivains de SF des procédés de narration dont on vient de dégager les modèles structuraux semble être un préalable à la création. L'illustration des thèmes, dont les motifs (réalités parallèles, voyages dans le temps, utilisation par des acteurs des « replis temporels ») sont, nous allons le voir, spécifiques de la SF, constitue à proprement par- ler un jeu de l'écrivain sur le temps considéré comme une dimension comparable à l'espace.

3. La notion des « réalités parallèles ».

Mais quelque extension, quelque déformation que l'auteur de SF impose à la chronologie de son récit, le Temps, lui, reste linéaire, unique, car telle en est la définition commune. Ce cadre étroit ne pouvait satis- faire complètement l'imagination des créateurs.

C'est grâce à 1' « invention » des « temps parallèles » ou plus exacte- ment (adoptons l'expression), des « réalités parallèles », que la SF joue le plus habilement avec les structures temporelles, et soumet l'imagina- tion du lecteur à la gymnastique la plus inhabituelle.

3.1. L'idée est simple : à tout moment M il existe une infinité de réalités parallèles, coexistant à la nôtre (R0), soient Rv R2, etc., Rn, représentées graphiquement par des droites parallèles (Fig. 10).

Ce postulat est plus ou moins adroitement justifié dans les récits, mais suppose néanmoins toujours la réfutation au moins partielle du principe de causalité (une cause élémentaire n'admet qu'une seule consé- quence élémentaire) et l'érection du hasard et du libre-arbitre en lois naturelles et non en notions contestables, images de nos limitations humaines.

Quoi qu'il en soit, le passage de R0 (notre réalité, ou plutôt la réalité fictive du narrateur) à Rx, R2, ... Rn, peut être effectué par le voyageur temporel à l'aide d'un gadget quelconque (drogue, machine, bref, classique « merveilleuse invention »), ou à la suite d'un choc physique, comme dans Odd ou dans Random Quest , récits de J. Wyndham, ou du fait d'une émotion violente, comme dans Wizard's World , d'A. Norton. Dans la

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plupart des récits, seul Y « esprit » du voyageur se déplace, quitte à se réincarner dans un personnage différent, ou au contraire dans son double (Opposite Number, de J. Wyndham). Mais le passage peut être également un transfert d'ordre matériel, et le voyageur « change de réalité » avec son corps, voire son véhicule ou son entourage, tout comme cela se passe avec les machines à explorer le temps, héritées de Wells.

De fait, cette notion de « réalités parallèles » est déjà présente dans l'analyse de la structure de la fiction en général : chaque œuvre d'imagina- tion, évidemment, possède sa propre réalité temporelle, elle-même diffé- rente de celles des narrateurs, elles-mêmes peut-être également différentes de celles, diverses de l'auteur et de chaque lecteur à son tour.

Ces distinctions sont peut-être encore insuffisantes, et si le schéma le plus pratique pour représenter les réalités temporelles de chacune des « personnes » concernées est celui de droites ou d'axes parallèles, rien n'interdit de projeter sur un axe commun, lorsque cela est possible (éloi- gnement raisonnable des dates) les étapes et repères ponctuels de chaque réalité temporelle individuelle. C'est ce mode de représentation qui a été choisi d'emblée dès le début de cette étude du temps. Seuls, les rythmes de chaque réalité individuelle ne sont pas représentés; ils exigeraient une projection non orthogonale, des axes non parallèles, courbes, etc.

3.2.1. Sur le plan graphique, le passage dans une réalité parallèle peut se représenter de la manière suivante (fig. 11) :

fia.ii

Notons que l'on a placé P dans un futur de SF, car c'est la majorité des cas, l'invention d'un gadget permettant le passage de R0 à Rx étant géné- ralement située dans le futur, pour des raisons évidentes. La période « d'activité » du récit, A, regroupe alors les diverses scènes successives situées dans les diverses réalités.

3.2.2. La structure peut se compliquer ad libitum , mais néanmoins dans des limites raisonnables (fig. 12).

fig. 12

3.2.3. Insistons encore sur un point : le passage d'une réalité à une autre n'implique pas forcément un décalage dans le temps. Les séquences événementielles d'une réalité peuvent être les mêmes, à quelques détails

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près, comme elles peuvent différer totalement 7 ou se trouver dans le même ordre chronologique, mais décalées par rapport à la réalité d'ori- gine 8.

3 . 3. Quant à la différence de rythmes entre deux réalités parallèles, elle constitue le ressort majeur du récit dans un certain nombre de nou- velles : Mantage, de Richard Matheson, présente un héros dont la vie dure quatre-vingt-cinq minutes; en effet, il ne cesse de passer d'une réalité à une autre, parallèle, puis quelques minutes plus tard, à une autre encore, d'une manière comparable au montage des séquences d'un film, où n'apparaissent que les périodes de crise. Ce récit n'est pas sans rappeler le conte populaire souvent repris selon lequel un personnage (générale- ment une fillette) reçoit en cadeau une bobine de fil magique; elle peut tirer le fil de la vie plus ou moins vite et sauter ainsi les périodes pénibles de son existence. La décevante brièveté du fil entièrement déroulé amène l'amère morale que l'on devine. A l'inverse, The Waitabits (« Les Pas- de-panique ») d'Eric Frank Russell présente des explorateurs découvrant une étrange planète où le rythme des perceptions des humanoïdes locaux est tellement plus lent que celui des terriens qu'il constitue une véritable arme de défense les protégeant des conquérants : il faudrait à ces derniers des siècles pour communiquer avec ces indigènes vivant dans une réalité au rythme entièrement différent, et pour les « conquérir pacifiquement », selon les normes imposées aux terriens par la toute-puissante Fédération Galactique... Les effets de la vitesse proche de celle de la lumière, ou « supra-luminique », sur l'organisme humain sont assez comparables. Dans 1' « overdrive », ou « voyage dans le sub-espace », la vie est ralentie 7 200 fois à bord du vaisseau spatial expérimental ( Common Time , de James Blish). La conscience de l'astronaute s'habitue cependant, s'adap- tant au temps du navire, voyant les heures, puis les jours, et les années défiler à un rythme de plus en plus rapide. Mais il perd connaissance avec la décélération. L'esprit du lecteur chavire d'ailleurs avec ces manipula- tions du temps tout autant que celui du héros. Cette fréquentation d'une réalité dont le rythme est si différent a inspiré toute une série de récits de vie dans le « sub-espace »; ainsi, le cosmonaute-facteur de Philosopher's Stone , de Christopher Anvil, ne vieillit pas, ou presque pas, durant son service, car il accompagne le courrier entre les étoiles; à chaque étape, il retrouve un monde vieilli de plusieurs dizaines d'années par rapport à sa tournée précédente; son petit salaire, touché tous les deux ans terrestres, (tous les mois pour lui) fait vite un gros magot; il voit passer maintes générations, d'innombrables modes. Il en est de même de tous les voya- geurs du sub-espace : ils finissent par former une sorte d'humanité paral- lèle.

7. Dans In the Imagicon, de G.H. Smith, comme dans Semper Fi, de Damon Knight, et aussi, dans une certaine mesure, dans The Worlds That Were, de Keith Roberts, une machine permet de passer dans une réalité parallèle choisie en partie par le subconscient, et en partie par le « conscient » de l'opérateur. Pour délirante que soit son imagination, le voyageur croit vivre pleinement son rêve.

8. Comme dans Le Jardin du Temps (The Garden of Time) de J.G. Ballard, dont l'analyse détaillée montre une faiblesse majeure, vers la fin du récit, qui dépare la virtuosité du jeu sur les réalités temporelles décalées.

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3.4. Ces jeux sur la structure temporelle mettent tous en évidence que si, d'une part, les « réalités parallèles » sont à tout moment en nombre infini dans la chaîne de causalité, d'autre part, le temps lui-même, en tant que progression chronologique, reste unique et irréversible. Para- doxalement, ce sont les « réalités » qui sont images, décors qu'on peut déplacer, remplacer dans le temps; et c'est la notion abstraite et rigou- reuse de temps qui reste inaltérable.

Lorsque des individus ou objets « remontent » le temps, par exemple, il ne s'agit nullement d'un renversement effectif du temps, mais d'une téléportation de l'individu dans une réalité parallèle placée « plus tôt » sur l'axe temporel. Quant au temps « remonté à l'envers », la représen- tation en est très délicate. Passons un film à l'envers : l'impression est bien celle d'une marche inverse du temps, car nous repérons le temps qui passe à l'aide de jalons, ici défilant en sens inverse. Mais il est bien évident que pendant la durée de la projection, le temps du spectateur a continué à s'écouler inexorablement « dans le sens habituel ».

Ainsi, comme on pourrait s'y attendre, la notion de temps irréversible est trop solidement ancrée dans l'esprit des lecteurs 9 pour leur permettre d'accepter une opération effectuée sur le temps qui risquerait de changer l'idée qu'on se fait de son essence. De nombreux récits montrent l'accé- lération, le ralentissement ou l'arrêt apparents du temps, car ce sont en fait les jalons dont le défilement subit les variations de rythme. Ces points de repère appartiennent alors à une, plusieurs ou une infinité de réalités imaginaires, de rythmes croissants ou décroissants, parallèles à la manière des trottoirs roulants aux vitesses graduées, dans The Sleeper Wakes de Wells. Le cadre et les acteurs glissent continuellement d'une réalité à la suivante. Il en est ainsi dans la nouvelle de Blish citée plus haut ( Com- mon Time), où l'approche de la vitesse de la lumière par le vaisseau aug- mente sa masse, et la masse de chaque molécule le composant; d'où le ralentissement des échanges bio-chimiques supposés être à l'origine de la conscience du navigateur, et le passage accéléré (en apparence) des secondes, minutes, années, etc.

Les nouvelles qui tentent de concevoir un déroulement véritablement inverse du temps se heurtent à un refus de l'esprit du lecteur d'accepter, au niveau de la « réalité » présentée, une causalité « inverse », dans laquelle toute conséquence devient cause, et vice versa. Ainsi, l'échec de No matter where you go . (Reflet dans un miroir , Fiction n° 203), de J. T. Rogers, est très représentatif : le monde symétrique présenté « au-delà des étoiles » ne peut l'être totalement; ainsi, les êtres rajeunissent, et les fleurs sont fanées avant d'être en boutons - mais les gens mettent toujours un pied devant l'autre pour marcher, et le déroulement de l'acte sexuel n'a pas varié, pour ne prendre que les contradictions les plus évidentes. Cette incompatibilité entre l'image abstraite qu'on se construit d'un temps inversé, et la représentation d'une réalité construite sur le même type

9. L'hypothèse d'Einstein est souvent trop difficile à concevoir par le lecteur peu ou non scientifique; la « pluralité des temps propres » (H. Baudin, La science fiction, p. 35), exigée par la relativité ne joue d'ailleurs que sur les objets ou personnes mobiles, aux vitesses relatives différentes.

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que notre réalité quotidienne, fausse la cohérence de ces récits et déçoit nos exigences spéculatrices.

Backward, ô Time , de Damon Knight, est une nouvelle à peine plus satisfaisante à cet égard que celle de Rogers. On admire la brillante expo- sition d'un monde imaginaire parallèle et inverse où l'homme naît dans la tombe et retourne à sa mère, où les rivières remontent à leur source, et où les cigares se reforment à partir de leur mégot, par absorption de la fumée présente dans la pièce... Mais dans cette sorte de film passé à l'en- vers, on ne peut accepter que l'homme marche à reculons sans trébucher, ou que les dialogues nous restent compréhensibles... La typographie même du récit devrait être inversée, si l'auteur voulait rester cohérent.

3.5. Ces compromis, insatisfaisants pour l'amateur le moins exi- geant, révèlent l'intransigeance de notre conception du temps; nous sommes aussi peu préparés à concevoir et représenter l'anti-temps que l'anti-espace ou l' anti-matière.

Il faut donc bien admettre que, si le temps est en lui-même inalté- rable, tout les prétendus paradoxes sur le temps, voyages dans le temps, et même « replis du temps » (space-warps), sont susceptibles d'être repré- sentés sur une matrice du type de celle de la figure 10, plus ou moins adaptée. Il n'est pas possible de les présenter tous ici; mais le « voyage dans le temps », est de loin le plus fréquent.

4. Les voyages dans le Temps. 4.1. Le moyen permettant le voyage peut être précisé ou omis. S'il

est précisé, il peut être d'ordre mécanique (machine de type wellsien, cabine, porte, corridor, etc.), psychédélique (drogue, champignon, etc.), psychique ou parapsychique (hypnose, télépathie, etc.), physique ou physiologique (choc violent), etc.

4.2. Le passage d'une réalité à une autre peut, nous l'avons signalé, inclure la personne physique et les objets entourant celle-ci, ou ne concer- ner que l'esprit de l'acteur, réincarné ou non, à l'arrivée dans la nouvelle réalité. Considérons un voyage où le trajet est pratiquement instantané. Si le temps du séjour dans la nouvelle réalité reste égal au temps de l'ab- sence dans l'ancienne, on obtient les graphiques suivants :

4.2.1. Voyage dans le passé commun à l'acteur, au narrateur et au lecteur (fig. 13) :

fig. 13

4.2.2. Voyage dans le futur commun à l'acteur, au narrateur et au lecteur (fig. 14) :

fig. 14

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4.2.3. Voyage dans le passé de l'acteur et du narrateur, futur du lecteur (fig. 15) :

fío. 15

4.2.4. Voyage dans le futur de l'acteur et du lecteur, passé du nar- rateur (fig. 16) :

fig. 16

Les récits illustrent ces quatre grandes catégories. Pour être absolument rigoureuses, ces représentations devraient tenir compte du fait que le voyageur ne revient jamais dans sa réalité d'origine, car le fait même de s'être absenté peut avoir eu des conséquences qui ont altéré celle-ci un tant soit peu. Il ne revient en tout cas jamais dans une réalité identique à celle qui aurait été la sienne s'il n'avait pas fait le voyage. La représenta- tion graphique exigerait le retour sur un axe R'0, proche du premier (R0) mais néanmoins distinct.

4.3. Si le temps de séjour ne correspond pas à la durée de l'absence physique ou mentale du voyageur dans sa réalité d'origine (trajets non instantanés, défilement plus rapide ou plus lent des événements dans cette réalité), il se peut que cette durée dans la réalité quittée puis retrouvée se réduise à une faible proportion du temps passé dans une réalité parallèle (c'est la majorité des cas dans les récits, et c'est le cas du rêve, où bien des événements défilent en quelques minutes de sommeil). Dans The Long Remembering , de Poul Anderson, le séjour à l'âge de pierre effectué par l'esprit du héros réincarné en homme du Néanderthal dure plusieurs mois, alors que le corps du voyageur, resté inanimé au xxe siècle, ne séjourne que quelques minutes dans le laboratoire du savant inventeur. La repré- sentation graphique de ce genre de récit est donnée dans la figure 17 :

fia. 17

Mais si le « voyage » se fait vers l'avenir du voyageur, et si le voyageur laisse encore provisoirement son enveloppe charnelle dans R, il s'agit plus de « voyance » que de voyage; l'artifice qui permet cette voyance est l'équi-

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valent para-psychologique de la boule de cristal : la télépathie inter- temporelle, instrument dont on retrouve la trace un peu partout dans la littérature d'imagination mettant l'accent sur l'extraordinaire, voire le difficilement explicable, mais où l'effort de rationalisation prime générale- ment sur le désir d'émerveillement.

4.4. Si le premier grand problème des voyages temporels est l'irréver- sibilité du temps, le second est l'inaltérabilité des séquences événemen- tielles liées au temps écoulé . Le passé ne saurait être modifié. Là encore, la notion de réalités parallèles nous aide. Les auteurs de SF désireux de faire agir leurs actants voyageurs dans une période antérieure à leur époque d'origine ont été acculés à la nécessité de concevoir un retour dans une réalité qui, nous l'avons déjà noté, a été plus ou moins altérée du fait de Y absence du voyageur, et éventuellement du fait du simple jeu de la causa- lité. La célèbre nouvelle de Bradbury, A Sound of Thunder en est une illus- tration classique : un des chasseurs de tyrannosaures faisant partie d'un safari dans l'ère secondaire organisé à la veille des élections présidentielles américaines écrase par inadvertance un papillon au cours du séjour dans ce lointain passé; cette cause minime suffit à provoquer, à plusieurs dizaines de millions d'années d'intervalle, des altérations sensibles dans l'ortho- graphe de l'anglais. La représentation graphique de la structure temporelle du récit comporte au minimum quatre axes de réalités parallèles. En effet, à partir de l'écrasement du papillon (ou son non-écrasement), on doit distinguer les deux branches de l'alternative. En trait plein, le circuit décrit dans la nouvelle, avec le retour après le fatal incident; en pointillé, le retour virtuel en cas de non-écrasement (fig. 18) :

fig. 18

4.5. La complexité des combinaisons exige la plus grande rigueur. De fait, de nombreux récits se font une loi d'éviter que le retour du voyage n'aboutisse dans une réalité trop sensiblement différente de la réalité d'origine, et font en sorte que les événements ayant eu lieu pendant le séjour soient bien déchiffrés comme des causes d'états ou d'événements appartenant bien à la réalité d'origine, ou plutôt à sa sœur jumelle. Dans ce cas, toute la structure temporelle du récit pourrait être représentée sur le même axe (c'est ce que nous ferons chaque fois que cela sera possible), puisque le voyage dans le passé fait partie du même ensemble de causalité; un tenant de la prédestination pourrait dire, à la manière de Jacques le Fataliste que tout est écrit dans le Grand Livre. Autrement dit, le voyage et ses conséquences étaient prévus dans l'agencement des causes et des conséquences.

Cette antique notion de prédestination a fourni un nombre important

65 LITTÉRATURE N° 8 5

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d'illustrations en SF, accompagnées d'un souci de rationalisation, une « systématique » de mathématicien habilement dissimulée, comme dans les meilleurs récits policiers, par une dramatisation qui sauve le récit du ridicule. Ainsi, dans The Moving Finger Types , de H. Slesar (« Une vie toute tracée », Fiction n° 184), un cinéaste entre par erreur dans les bureaux anonymes et gigantesques où s'écrivent et sont classés les scénarios des vies de tous les humains de la planète. Il demande à jeter un coup d'œil à son propre scénario, non pas à la dernière page, ce qui est sage, mais à une des prochaines « scènes » qu'il jouera. On lui accorde sa requête, mais il voit transporter son dossier dans une autre pièce. Le lendemain, il s'aperçoit qu'il joue malgré lui, avec une exactitude stupéfiante, la scène qu'il avait lue. Affolé, il confie son aventure à un ami. Quelques instants plus tard, il se voit disparaître, dans le miroir situé en face de lui, en un impeccable « fondu » : la pièce dans laquelle son « scénario » avait été emporté par l'une des secrétaires des Productions Destinées (dont il venait de trahir le secret et mettre la bonne marche en danger), n'était autre que la salle de Rewriting...

Le thème de l'inexorabilité du Destin est aussi bien présent en SF qu'en romanesque courant, mais son traitement en SF doit alors ignorer délibérément le principe des réalités parallèles, qui insiste au contraire sur le libre-arbitre et la remise en question constante des enchaînements événementiels.

5. Le a repli du temps ».

L'abandon de ce principe est également manifeste dans un des procé- dés techniques peu (mais encore trop) fréquents de la SF, le « repli du temps » ou distorsion du temps (« time warp »). Certes, la représentation graphique de cette structure temporelle serait, (comme on l'a signalé) encore possible, à l'aide d'axes courbes se recoupant, mais cela reviendrait à faire sur le papier le même genre de syllogisme que le créateur de « replis du temps ». La représentation graphique est là pour traduire en termes visuels ce qu'une abstraction pure rend un peu obscur; le graphique n'est évidemment pas préexistant à la découverte, par le critique, d'une struc- ture temporelle, même si la recherche de transpositions du plan géomé- trique au plan temporel est pour les créateurs une source d'inspiration.

5.1. Le «repli du temps» est un calque du «repli de l'espace», lequel est une fantaisie de la SF qui prend au pied de la lettre la notion ď « espace courbe » avancée par certains théoriciens du cosmos; c'est un peu aussi l'image en trois dimensions (ou quatre, avec le temps), de ce que l'on conçoit en deux dimensions (surfaces courbes sécantes, parcours illusoirement infinis le long de rubans de Moebius, etc.)

Tout ceci correspond évidemment à des sophismes au regard d'une science très prudente, mais ces paradoxes prêtent une caution pseudo- rationnelle à des récits dont le but est de croiser des chaînes d'événements, de permettre des déplacements immédiats et instantanés dans l'espace ou le temps (grâce à des corridors, des portes, des seuils, etc.), d'une galaxie à l'autre, ou plus modestement d'un point à un autre de la Terre.

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6. « Dangers » et attraits du passé.

Parmi les motifs les plus fréquents dans les récits jouant sur les structures temporelles définies plus haut, il faut signaler un certain nombre de paradoxes et de sophismes.

6.1. Un voyageur temporel qui se déplace dans son propre passé, ou dans son avenir, se trouve, pendant toute la durée de son voyage, exister « doublement », à deux âges différents de sa vie. Les écrivains de SF escamotent généralement cette ubiquité gênante, à moins qu'ils ne l'utilisent comme centre d'intérêt du récit, à la manière de Barjavel dans Le Voyageur imprudent , ou de Ballard dans Un assassin très comme il faut.

6.2. Certains voyages constituent, pour le lecteur rationaliste, une provocation plus subtile; Odd , de J. Wyndham, en fournit un exemple typique : Andrew Vincell, jeune chimiste, se trouve projeté directement de juin 1906 en juin 1958... par un accident de tramway. Hébété à son arrivée dans un monde transformé, incrédule, puis passionné, il se ren- seigne sur les procédés de fabrication de la matière plastique auprès du narrateur, qui l'a secouru juste après son « accident ». On reste dans l'igno- rance de la manière dont le voyageur-malgré-lui a pu revenir en 1906, mais il y est parvenu d'une manière ou d'une autre, car le narrateur apprend simultanément quelques jours après sa rencontre avec le jeune ingénieur Andrew Vincell, venu du passé : - la mort, à un âge avancé, du célèbre Sir Andrew Vincell, pion- nier du Plastique; - le legs par le défunt en sa faveur de 6 000 titres de la compagnie British Vinvinyl, Ltd., « en reconnaissance d'un grand service rendu autrefois ».

Le récit est ingénieux. Mais, cependant, le paradoxe sous-jacent est un sophisme du type le plus classique (tous les Athéniens sont menteurs - c'est un Athénien qui l'a dit) : Vincell ne pouvait exploiter son « invention » du plastique en 1906 s'il n'était allé en étudier l'exploitation en 1958, mais d'autre part, cette présence des plastiques de 1958 était due à ses décou- vertes, et il ne pouvait donc faire l'étude des plastiques s'il n'avait pas fait sa « découverte » auparavant , etc. Le serpent se mord la queue.

Noter également le silence observé sur la coexistence , durant la visite, de deux versions d'âge différent du même individu. Ainsi, Vincell, quelques jours avant sa mort, aurait-il pu se rendre dans le club où le narrateur lui avait fait découvrir le cendrier, et se surprendre lui-même, plus jeune de cinquante-deux ans! Mais le phénomène doit également, en toute logique, être considéré comme réversible : lors de sa visite en 1958, Vincell devait inévitablement se retrouver présent dans le club... à moins qu'il ne fût mort entre-temps, ce qui simplifierait considérablement le problème du narrateur sur ce point, mais rendrait impossible la fonction « héritage »...

6 . 3. Les « chronoclasmes ». Mais bien des auteurs de récits formés autour d'un voyage ou d'un

transfert dans le temps passé sont encore moins prudents que Wyndham

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dans leurs constructions. Certains refusent de traiter le temps comme autre chose qu'une quatrième dimension, dans laquelle tous les déplace- ments sont possibles. Dès lors, l'acteur saute sans difficulté d'une réalité à l'autre (décalée dans sa séquence événementielle), ou, si l'on préfère, se transfère à une époque passée de sa réalité (de sa « quasi-réalité », pour être rigoureux).

Les auteurs soucieux de cohérence ressentent le besoin, au niveau même du monde créé, de concevoir une législation, une police (un peu à la manière de la « Patrouille du Temps » de Poul Anderson) présente chez tous les peuples disposant de moyens de voyager dans le temps. Un contrôle serré est généralement exercé. Il existe au niveau des récits des conven- tions implicites, des usages, grâce auxquels l'auteur garde une certaine homogénéité à sa nouvelle, et supprime une trop grande fluidité des coor- données de ses actants, fluidité à l'origine d'anachronismes. Évitant le recours aux réalités lointainement parallèles ou à l'obscure pirouette du « continuum espace-temps » qui motive les aberrations temporelles les plus incohérentes, ces conventions sont fréquemment présentées dans les récits, et tout particulièrement dans un récit de Wyndham, Chronoclasm, du recueil The Seeds of Time . Une laborantine du xxiie siècle emprunte clandestinement une machine temporelle du Département d'Histoire de l'Université. Attirée par l'entre-deux-guerres, elle y « débarque », et y rencontre le narrateur, auquel elle doit expliquer les dangers de son escapade :

Les chronoclasmes - c'est lorsqu'une chose se produit au mauvais moment parce que quelqu'un a été imprudent ou a parlé sans faire attention. Lorsqu'on construisit les premières machines- à-faire-l'Histoire, on ne se rendait pas compte des ennuis qu'elles pouvaient causer, mais après quelque temps les historiens com- mencèrent à comparer leurs voyages aux annales de certaines périodes et découvrirent des choses étranges. Il y avait Archimède, qui utilisait une sorte de Napalm au siège de Syracuse; et Léonard de Vinci qui dessinait des parachutes alors qu'il n'y avait pas encore d'engins desquels sauter; et Éric le Rouge, qui découvrait l'Amérique, performance non homologuée, en quelque sorte, bien avant Colomb; et Napoléon qui se posait des questions à propos de sous-marins, et plein d'autres choses surprenantes et suspectes. Donc il était clair que quelqu'un avait été imprudent en utilisant la machine, et avait causé des chronoclasmes. Aussi décida-t-on que toutes les machines-à*faire-l'Histoire seraient interdites sauf celles qui auraient le permis délivré par le Conseil des Historiens.

6.4. Attirance du Passé .

Malgré ces dangers, ou peut-être à cause d'eux, un nombre élevé de nouvelles présentent des voyageurs se dirigeant vers un temps du passé dont ils ont la nostalgie, même s'ils n'ont jamais vécu matériellement dans la période choisie. La nostalgie d'un passé imaginaire semble en effet remplacer de plus en plus les appétits d'aventure dans le futur des héros des débuts du genre, les enthousiasmes d'idéalistes pleins d'espoir en l'avenir, ou du moins la simple curiosité « positive » des héros wellsiens

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(cf. The Time Machine , 1894). Un fait est certain : les créateurs utilisent de façon privilégiée la machine temporelle, quelle qu'elle soit, aux fins d'évasion; et le lieu de refuge est le passé (une réalité parallèle ayant toutes les apparences de notre passé).

6.4.2. Les transfuges de notre réalité vers une réalité rappelant une période de notre passé historique ou préhistorique sont présents dans un nombre étonnant de nouvelles; nombre d'autant plus surprenant que la direction originelle de la SF tendait à l'éloigner de la littérature « histo- rique romancée »; « Astounding SF », et les magazines d'avant-guerre, cherchant leur dépaysement parfois dans le Space Opera , prétendaient placer leurs lecteurs en des temps symétriquement opposés, par rapport à 1937, à ceux dans lesquels se déroulaient les récits de cape et d'épée d'autres magazines (ce qui n'excluait d'ailleurs pas forcément du décor les capes et les épées, instruments coexistant parfaitement avec les pisto- lets désintégrateurs et les combinaisons anti-gravité...).

L'imagination des écrivains s'exerce en effet à inventer des « futurs » à partir de « passés », alors que la vocation de la SF semblait l'orienter définitivement vers la spéculation utopiste ou dystopiste d'un futur terrestre. La floraison actuelle de Y Heroic Fantasy , où des éléments hété- roclites sont empruntés aux périodes dites « obscures » de l'Histoire (monde barbare, magie, bric-à-brac chevaleresque, mentalités mystiques et codes sociaux se voulant très différents des nôtres, etc.), marque autant un schisme inévitable au sein des littératures d'« imagination » en plein épanouissement, qu'un développement de la tendance nostal- gique relevée dans les nouvelles de voyages temporels.

Ce regard vers le passé n'implique nullement que la veine tradi- tionnelle de la SF futuriste, wellsienne, soit tarie; bien au contraire, cette tendance des auteurs à présenter des transfuges de notre époque qui se blottissent dans un passé jugé plus clément, remplit sa fonction d'avertissement implicite, mais ne dispense pas des tableaux d'un futur effrayant ou désespérant que doivent nous montrer, en contrepoint, les narrateurs de ces fuites, ne serait-ce qu'en manière de justification.

6.5. Le désir de vivre dans une époque révolue peut avoir pour origine un regret ou une volonté de participation active à cette époque, voire de modifier certains éléments du passé afin de modifier, par contre- coup, le présent. Afin, donc, d'éviter les chronoclasmes (et la négation de la réalité même du lecteur), la plupait des récits font échouer V entreprise, comme si l'ordre établi avait un caractère sacré, ne relevait pas du hasard; l'auteur compte, semble-t-il, sur la fidélité (ou la révolte) du lecteur vis-à- vis d'un ordre universel, d'une causalité prédéterminée par Dieu ou par l'inconnu. Dans The Rescuer , d'Arthur Porges, les techniciens de l'unique et précieuse machine temporelle construite par les États-Unis se trouvent dans une situation cornélienne :

- détruire, la mort dans l'âme, et pendant qu'il en est encore temps, la coûteuse machine où s'est introduit un de leurs collègues, surmené, atteint par la démence...

- ou prendre un risque énorme : avant de pénétrer dans l'appareil, le dément, armé d'une carabine à répétition, avait hurlé son intention d'aller délivrer le Christ sur le Golgotha...

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Inutile de dire que les techniciens, avec l'approbation unanime de la population, choisissent de détruire la machine pour éviter la Damnation ou l'effroyable inconnu.

6.6. Conséquences des bifurcations temporelles . La SF a souvent exploité cette conséquence du principe des réalités parallèles : les bifur- cations temporelles. Ces bifurcations sont en nombre évidemment infini, correspondant à la suite infinie d'événements infinitésimaux dans la chaîne temporelle. Si l'on accepte que certains événements apparem- ment fortuits soient souvent à l'origine de grands changements d'orienta- tion de l'Histoire, on comprend que la SF se soit emparée de cette idée qu'il existe une infinité d'Histoires « parallèles » à la nôtre, depuis une certaine époque où tel incident se serait ou ne se serait pas produit. Le parti qu'il est possible de tirer de ce postulat est considérable. On imagine une Amérique dont Hitler eût triomphé, une Angleterre envahie par l'Invincible Armada, une Église chrétienne, toute-puissante, car le Christ est mort à 70 ans; à ces thèmes soutenus dans des romans corres- pondent des thèmes semblables dans des nouvelles; citons le récit de Hilary Bailey (alias Mrs Michael Moorcock), The Fall of Frenchy Steiner, qui conçoit une Angleterre de 1946 asservie par le nazisme, en lutte avec l'U.R.S.S., et un Führer sénescent.

Les nouvelles, nécessairement plus réticentes à brosser de vastes fresques, font néanmoins appel aux passés et présents parallèles à des fins non moins satiriques et dystopiques que les romans, en particulier pour s'attaquer à certains mythes historiques. Ainsi, dans Remember The Alamo , la légende du fort d'El Alamo est réécrite sur le mode anti- héroïque avec beaucoup d'humour et bris d'idoles; si le cours général de l'Histoire n'en est pas altéré, le détail atteste du détour par une réalité parallèle bien éloignée de celle qui nous est parvenue. Dans un passé proche parallèle, J. Wyndham imagine, avec Random Quest , que la deuxième guerre mondiale n'a pas eu lieu; l'acteur central ne cesse de voyager entre cette réalité et sa parallèle (la nôtre); enfin, dans Eastward Ho!, William Tenn imagine la conquête de l'Amérique anglo-saxonne par les Indiens coalisés et la lutte désespérée des Visages Pâles parqués dans leurs villes-réserves pour retrouver « un lieu où l'homme blanc puisse enfin être son propre maître : les terres fabuleuses de l'Europe - un monde de liberté... »

7. En guise de résumé.

La structure temporelle commune à toute une part de la SF située dans notre futur, et dans le passé du narrateur, constitue une caracté- ristique spécifique de cette littérature; mais, utilisée seule, cette structure limiterait l'imagination des auteurs à une fiction à caractère prophétique.

7.1. En effet, la manipulation du temps est pour les auteurs une mine inépuisable de sujets de récits; les règles d'usage de ces jeux sur le temps restent limitées par l'idée même que le lecteur se fait du temps notion assez rigide dans la plupart des cas.

7.2. Le respect de ces règles amène l'écrivain à faire voyager ses

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acteurs dans des réalités parallèles aux rythmes éventuellement diffé- rents, réalités « décalées » dans le temps les unes par rapport aux autres, ceci afin de ne pas bouleverser les idées communes concernant la notion de temps linéaire. Si ce recours à des mondes parallèles n'est pas toujours explicité dans les récits, il n'en constitue pas moins un procédé utilisé dans la majorité des élaborations.

7.3. Lorsque néanmoins l'inaltérabilité du temps est remise en question, le recours (principalement) aux replis du temps permet une pirouette qui satisfait plus ou moins le besoin de caution scientifique.

7.4. Parmi les motifs favoris des techniciens du récit de manipu- lation temporelle, les paradoxes (dédoublement, ubiquité, chronoclasmes) présentent à la fois fascinations et dangers.

7.5. Enfin, la vacuité des futurs imaginaires à peupler décourage souvent le créateur, et ce dernier se tourne vers le passé; les déplacements dans le temps facilitent, en termes de récit, la présentation de cette nostalgie, paradoxale dans une littérature principiellement tournée vers l'avenir.

7.6. Tant par la richesse que par l'originalité des motifs récurrents, la SF joue d'une manière séduisante avec les possibles temporels. Il ne serait peut-être pas impossible d'étendre à d'autres champs de la litté- rature une méthode de recherche des structures et des motifs comparable à celle qui a guidé cette étude.

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