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Gaël Giraudet

Cécile Renouard

Le facteur 12Pourquoi il faut plafonner les revenus

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© Carnets Nord, 2012, 201712, villa Cœur-de-Vey, 75014 Paris

www.carnetsnord.frISBN : 978-2-35536-250-7

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DESMÊMES AUTEURS

Cécile Renouard et Gaël Giraud (dir.), Vingt Propo-sitions pour réformer le capitalisme, Flammarion,2009 ; Champs, collection « Essais », 2012.

Gaël Giraud, Illusion financière, Éditions de l’Atelier,2014 ;

La Théorie des jeux, Champs, collection « Essais »,2009.

Cécile Renouard, (avec Frédéric Baule et Xavier Bec-quey), L’Entreprise au défi du climat, Éditions del’Atelier, 2015 ;

Éthique et entreprise, Éditions de l’Atelier, 2013 ; col-lection « L’Atelier en poche », 2015 ;

Michael Walzer. L’Art libéral du civisme, Temps pré-sent, 2010 ;

Un monde possible. Les Acteurs privés face à l’injustice,Le Seuil, collection « L’Histoire immédiate », 2008 ;

La Responsabilité éthique des multinationales, PUF,2007.

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Préface à la nouvelle édition

Depuis la première parution du Facteur 12, en 2012,une série d’initiatives ont donné de la visibilité auxefforts destinés à réduire les inégalités de revenus etde richesses au sein des sociétés de la planète : cellequi se rapproche le plus des propositions que nousformulions alors mérite d’être soulignée d’emblée.Elle émane d’un pays qu’on ne peut guère taxer d’anti-capitalisme : la Suisse. Une votation s’y est tenue ennovembre 2013 et a enregistré 35 % de votes favora-bles à un écart maximal de 1 à 12 entre le plus bas et leplus haut salaire au sein d’une même entreprise. La jus-tification de ce ratio tenait à une image choc : gagner enun mois ce que d’autres gagnent en un an est déjàénorme !

Même si parvenir à une telle réduction des écarts derevenus semble aujourd’hui utopique – au sens oùThéodore Monod désignait l’utopie comme l’irréaliséet non pas l’irréalisable –, le diagnostic progresse quantau caractère délétère des inégalités de revenus et derichesses tant sur la cohésion sociale et la viabilité envi-ronnementale des pays que sur la croissance économi-que elle-même. Depuis 2012, un faisceau d’élémentsempiriques sont venus renforcer notre thèse. Dans le

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même temps, le caractère extrêmement lent et partieldes mesures destinées à les limiter confirme l’urgencede l’appel que nous lancions alors, et que nous renou-velons ici, en faveur d’une politique volontariste desti-née à réduire ces inégalités.

Des inégalités mortifères…

Le rapport d’Oxfam publié en janvier 20161 fait étatd’une concentration des richesses probablement uni-que dans l’histoire : en 2015, 62 individus détenaientautant de richesses que la moitié la plus pauvre de laplanète (plus de 3,6 milliards de personnes)…Par ailleurs, le nombre de personnes vivant en situationd’extrême pauvreté en Afrique sub-saharienne (c’est-à-dire avec un revenu inférieur à 1,90 dollar par jouren parité de pouvoir d’achat2) a doublé entre 1981 et2015, passant de 210 à 420 millions de personnes.En outre, selon Oxfam, alors que la moitié la plus pau-vre de la population mondiale n’est responsable que de10 % des émissions totales de CO2

3, c’est elle qui vitdans les zones les plus vulnérables au dérèglementclimatique. Le centile des plus riches du monde a uneempreinte carbone moyenne 175 fois supérieure à celle

1. Oxfam, https://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/file_attachments/bp210-economy-one-percent-tax-havens-180116-fr.pdf,consulté le 2 janvier 2017.

2. Observatoire des inégalités, janvier 2015.3. Timothy Gore, « Inégalités extrêmes et émissions de CO2. Pour-

quoi l’accord sur le climat de Paris doit donner la priorité aux popula-tions les plus pauvres, les moins émettrices et les plus vulnérables »,Oxfam, 2015, http://oxf.am/Ze4e.

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du décile le plus pauvre de l’humanité4. Au sein despays de l’OCDE, les pays où le niveau de pauvretéest le plus élevé (comme les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada) sont aussi ceux où la concentra-tion des hauts revenus est la plus importante5, ce quiconfirme que, dans un grand nombre de situations, lalutte contre les inégalités coïncide avec l’éradication dela pauvreté. Enfin, les données les plus récentes confir-ment également qu’aucun continent n’a la palme del’égalitarisme. Les pays exhibant les inégalités les plussévères (mesurées, par exemple, par l’indice de Gini6)sont situés sur tous les continents (la Chine, l’Inde,l’Afrique du Sud, le Pérou, le Guatemala, la Colombie,le Brésil, Israël, les États-Unis)…

Comment ces données, qui confirment amplementle diagnostic que nous formulions en 2012, sont-ellesreçues ? Les arguments qui prétendent montrer qu’uncertain niveau d’inégalités, fût-il abyssal, est bon pourl’économie, ont la vie dure. Le travail de déconstruc-tion entamé par le Facteur 12 doit donc être poursuivi !Toutefois, il apparaît de plus en plus clairement auxyeux de la communauté internationale combien lesniveaux d’inégalités contemporains nuisent à tousles aspects de la vie de nos sociétés. En témoignentcertaines études parues ces dernières années.

4. Ibid.5. Anthony B. Atkinson, Inégalités, Seuil, 2016, p. 54.6. Introduit par le statisticien italien Corrado Gini, le coefficient

de Gini est une mesure du degré d’inégalité de la distribution desrevenus au sein d’une société, variant entre 0 et 1 – où 0 signifie l’éga-lité parfaite (tout le monde a le même revenu) et 1, l’inégalité absolue(une personne détient tout le revenu disponible, les autres n’ont rien).

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Sur le plan analytique, le cadre proposé par Giraudet Grasselli, en 20167, montre que non seulementl’accroissement des inégalités ne favorise pas la crois-sance, mais que celles-ci, lorsqu’elles sont liées à destransferts de richesses induits par l’endettementdes ménages pauvres et des bulles spéculatives sur lesactifs patrimoniaux (immobiliers et financiers), ren-dent insoutenable un sentier de croissance à longterme. Joseph Stiglitz8, de son côté, insiste dans sonouvrage de 2012 sur l’influence des plus riches pourrenforcer des mécanismes économiques et politiquesnourrissant les bulles financières (dont nous montronsici même qu’elles fonctionnent comme des accéléra-teurs d’inégalités).

Sur le plan empirique, un document de travail dechercheurs du Fonds monétaire international, enavril 20149, synthétise les études récentes montrantcomment l’augmentation des inégalités nuit aux inves-tissements dans la santé et l’éducation, et mine leconsensus social nécessaire pour opérer des ajuste-ments face aux crises. Les chercheurs du FMI souli-gnent combien l’enjeu est de trouver des modalités deredistribution qui soutiennent la croissance et préconi-sent, entre autres, des mesures pour taxer des activitésengendrant des externalités négatives, qui soient

7. Gaël Giraud et Matheus R. Grasselli, Inequality, Leverage andWealth in a Monetary, Stock-flow Consistent Macro-dynamics. À paraî-tre.

8. Joseph Stiglitz, The Price of Inequality : How Today’s DividedSociety Endangers Our Future, W.W. Norton & Company, 2012.

9. Jonathan D. Ostry, Andrew Berg et Charalambos G. Tsanga-rides, « Redistribution, Inequality, and Growth », IMF ResearchDepartment, avril 2014, http://www.imf.org/external/pubs/ft/sdn/2014/sdn1402.pdf, consulté le 2 janvier 2017.

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payées essentiellement par les riches. Leurs résultatssuggèrent que des inégalités nettes (après distribution)plus faibles conduisent à un niveau de croissance plusstable et plus rapide. Et ils montrent que le plus sou-vent, contrairement aux arguments souvent invoquéspar les économistes néoclassiques, la redistributionn’affecte pas négativement la croissance. Au total, leseffets directs et indirects de la redistribution sont favo-rables à la croissance. À nos yeux, il n’est pas clair quela croissance du PIB doive continuer de tenir lieud’impératif catégorique pour l’économie mondiale :certains pays moins avancés ont besoin, à l’évidence,de faire croître le revenu de leurs citoyens. Mais jusqu’àce jour en effet, l’augmentation de la croissance du PIBdemeure étroitement liée à l’augmentation de laconsommation énergétique par habitant : tant quela plupart des pays émergents n’auront pas entamé latransition énergétique, une telle augmentation estinsoutenable à l’échelle mondiale si nous voulons res-pecter les engagements de l’accord de Paris10. Que leFMI endosse de telles conclusions est à coup sûr lesigne que les yeux s’ouvrent.

De plus, dans plusieurs pays d’Amérique latinecomme le Brésil et le Mexique, depuis le début desannées 2000, une réduction significative des inégalitéset de la pauvreté a été obtenue sans nuire à la croissancedu PIB, bien au contraire : jamais ces pays n’avaientconnu jusqu’alors de tels taux de croissance11.

10. Gaël Giraud et Zeynep Kahraman, « How Dependent isGrowth from Primary Energy ? The Dependency Ratio of Energy in33 Countries (1970-2011) », Documents de travail du Centre d’écono-mie de la Sorbonne 2014.97.

11. Giovanni Andrea Cornia (dir.), Falling Inequality in Latin Ame-rica, Oxford University Press, 2014.

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Certes, les différentes « révolutions bolivariennes »qu’a connues le continent demeurent ambiguës dans lamesure où, le plus souvent, elles sont restées trèsdépendantes de l’industrie minière en général (et pétro-lière en particulier). De sorte que la faiblesse du prixdu baril, depuis 2014, est pour beaucoup dans le dis-crédit récent de ces politiques publiques novatriceset le retour sur la scène politique latino-américainedes programmes néolibéraux dont les deux dernièresdécennies du siècle précédent ont pourtant montrél’inefficacité. Leur retour en grâce politique ne pourrase faire que lorsqu’elles seront parvenues à articulerréduction des inégalités et lutte contre le dérèglementclimatique. C’est exactement cette articulation que leprésent ouvrage veut tenter de comprendre.

…entretenues par la financiarisation de l’économie

Les écarts de revenus continuent à se creuser dansles grandes entreprises, au Nord comme au Sud. Unphénomène nouveau, depuis 2012, est la dénonciationde plus en plus fréquente, par des sociétés financièreselles-mêmes, de la décorrélation fréquente entre lessalaires des dirigeants et la performance réelle de leurentreprise : ainsi le directeur général de BP, BobDudley, a vu son salaire augmenter de 20% entre 2014et 2015 alors que la société a réalisé une perte de6,5 milliards de dollars.

Une étude concernant les rémunérations pratiquéespar les grandes entreprises aux États-Unis va dans lemême sens. L’analyse de 429 grandes sociétés améri-caines sur la période 2006-2015 indique que les sociétésqui avaient le plus haut niveau cumulé de rémunération

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pour leur dirigeant étaient celles qui avaient délivré lesrendements les moins élevés12. Le rapport souligne quela tendance des dirigeants à se focaliser sur des retourssur investissements très élevés à court terme nuit à laprise en compte des intérêts des investisseurs de longterme.

L’accroissement des inégalités femmes/hommes n’estpas absente de l’évolution des très hauts salairesdepuis 2012. Pour un même niveau de qualification, lesrémunérations des hommes sont de 20 % plus élevéesque celles des femmes dans le secteur financieraux États-Unis, sachant par ailleurs que les femmes sontbeaucoup moins nombreuses que les hommes dans cesecteur. Au Royaume-Uni, 5 sur 6 des plus hautes rému-nérations pour le centile le mieux payé vont à deshommes13… Une telle différence se reflète bien dans lesrésultats du sondage réalisé auprès d’un échantillonreprésentatif de la population française, et publié à lafin de notre ouvrage : les femmes, en moyenne, estimentlégitime un niveau maximal de rémunération quiculmine au tiers de la borne supérieure moyenne admis-sible pour les hommes. On peut certes y voir une inté-riorisation par les femmes de leur niveau derémunération moins élevé. Sans doute une telle appré-ciation dit-elle aussi quelque chose d’un mode d’évalua-tion personnelle qui se situe sur d’autres plans que leseul critère monétaire et qui permet d’échapper à unefuite en avant dans des rémunérations toujours plus

12. Ric Marshall et Linda-Eling Lee, « Are CEOs Paid for Perfor-mance ? Evaluating the Effectiveness of Equity Incentives », juillet2016, https://www.msci.com/documents/10199/91a7f92b-d4ba-4d29-ae5f-8022f9bb944d, consulté le 2 janvier 2017.

13. Anthony B. Atkinson, op. cit., p. 71 et 213.

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élevées. Car c’est bien à une fuite en avant absurde quel’on assiste dans les comportements des dirigeants (deshommes pour la plupart) aux manettes d’entreprisesdans des pays qui ont eu tendance, par ailleurs, à dimi-nuer la fiscalité des très hauts revenus : au lieu d’en pro-fiter pour favoriser le réinvestissement des profits envue de l’expansion de leur société, comme ils le fai-saient avec des taux d’imposition plus élevés, beaucoupd’entre eux ont réorienté leurs efforts vers l’accroisse-ment de leurs salaires et de leurs primes. Cela dit, quoi-que indispensable, un rehaussement de la fiscalité surles hauts salaires ne suffira pas à modifier la politiqued’investissement des grands groupes. Celle-ci est inti-mement liée à la capture des managements par l’action-nariat, et à l’alignement des intérêts de ces deux partiesprenantes sur la maximisation de dividendes à courtterme.

Enfin, on assiste à une concentration croissante ducapital par des acteurs financiers de plus en plus décon-nectés de l’économie réelle : 737 agents, sociétés ou indi-vidus, contrôlent 80% de la valeur de toutes les sociétéstransnationales. Au sein de ce ghotta, 147 sociétéscontrôlent 40 % de la valeur économique (la capitalisa-tion boursière) des sociétés transnationales dans lemonde. Parmi les 50 premières de ces sociétés, 45 sontdes sociétés financières (dont 24 des États-Unis et 8 deGrande-Bretagne) et 4 sont des holdings14. Une telleconcentration pyramidale alimente des pratiques

14. Stefania Vitali, James B. Glattfelder et Stefano Battiston, « TheNetwork of Global Corporate Control », PLOS ONE, 6(10), 2011,p. 1-6 ; Stefania Vitali, James B. Glattfelder et Stefano Battiston,« The Network of Global Corporate Control », 2011, http://jour-nals.plos.org/plosone/article ?id=10.1371/journal.pone.0025995.

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prédatrices et dangereuses car ces acteurs ne peuventpas, à l’évidence, entretenir des liens de proximitévivants avec les territoires touchés par les activités quidonnent lieu aux projets et transactions concernés : parexemple, l’extraction des énergies fossiles impliquela mobilisation de ressources financières qui peutconduire essentiellement à répondre à la voracité desinvestisseurs en perdant tout lien avec les fondamentauxde l’économie locale, de sorte que le caractère insoute-nable de ces pratiques extractives et les dégradationsqu’elles engendrent dès aujourd’hui sont invisibles auregard des décideurs.

Des mesures timides prises par les États

Face à ces dérives, des avancées récentes ont vu lejour aux États-Unis, en Suisse, en Angleterre et enFrance.

La première concerne la publication des niveaux derémunération des dirigeants (par rapport à la médianedes salaires dans leur entreprise) : une telle mesure a étéadoptée en 2010 par la loi Dodd Frank, aux États-Unis, et est entrée en vigueur depuis août 2015. Outre-Manche, le plan de Theresa May, tel qu’elle l’a annoncédans son discours de candidature à la succession deDavid Cameron, comprend une mesure similaire. EnFrance, l’encadrement des salaires des dirigeants a étéintroduit en 2012 pour les entreprises publiques : leplafond annuel brut des rémunérations a été fixé à450 000 euros, c’est-à-dire vingt fois la moyenne desplus bas salaires des principales entreprises publi-ques… C’est pour le seul secteur de l’économie socialeet solidaire qu’a été instaurée une publication des

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écarts de salaires dans l’entreprise, devant être main-tenus à un niveau faible. L’agrément Esus (entreprisesolidaire d’utilité sociale) est accordé aux entreprisesqui respectent trois conditions : leurs statuts définissentleur finalité comme ayant une forte utilité sociale (parleur soutien à des publics vulnérables ou leur contribu-tion au développement durable et à la cohésion socialesur un territoire) ; leur gouvernance est inspirée par despratiques démocratiques : le pouvoir de décision desparties prenantes n’est pas corrélé à leur apport finan-cier, et l’éventail des salaires est restreint (au maximumde 1 à 7 entre le moins bien payé et la moyenne des cinqsalaires les plus élevés) ; enfin, les bénéfices sont dansleur majorité affectés au maintien ou au développe-ment de l’activité, ceci ayant pour conséquence unedistribution limitée de dividendes.

Pour ce qui concerne l’encadrement des plus hautesrémunérations, les mesures adoptées récemment enFrance sont d’un deuxième ordre : elles visent à renfor-cer la vigilance des actionnaires sur ces politiques.Depuis le 26 mai 2016, la rémunération des dirigeantsde toutes les entreprises françaises est soumise à unvote contraignant de la part de l’assemblée générale desactionnaires. Outre-Manche, Theresa May préconiseégalement un renforcement du droit des actionnairessur les sujets de rémunération, via un vote contraignantsur le rapport des rémunérations. En Suisse, l’initiativeMinder (du nom de son promoteur, le dirigeant dePME Thomas Minder) a été adoptée en mars 2013 etimpose le vote, chaque année, par les actionnairesréunis en assemblée générale des rémunérations desti-nées au conseil d’administration et à la direction del’entreprise, tout en limitant à un an le mandat auconseil d’administration des entreprises cotées.

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Le troisième type de mesures adoptées concerne laprésence de représentants des salariés dans les conseilsd’administration, qui leur confère un droit de regardsur les politiques de rémunération distinct de celui desactionnaires. En France, la loi « sur la sécurisation del’emploi » du 14 juin 2013 rend obligatoire la participa-tion de représentants des salariés dans les conseilsd’administration, en tant qu’administrateurs, pour lesentreprises de plus de 5 000 salariés dont le siège socialest en France, ou de plus de 10 000 salariés dont lesiège social est en France ou à l’étranger. Cette mesureest également proposée par Theresa May, avec le sou-tien de certaines associations anglaises de gérantsd’actifs15. Cette troisième série de mesures nous paraîtnettement plus significative que la précédente dans lamesure où l’une des caractéristiques de l’évolution dela gouvernance des entreprises privées depuis quaranteans tient précisément à l’alignement des intérêts descadres dirigeants sur ceux des actionnaires. C’est cetalignement qui conduit à l’abandon de l’intelligence del’entreprise comme communauté de projet et à saréduction au statut de boîte noire destinée à produiredu cash pour les actionnaires. Et c’est cet alignementque le seul droit de regard des actionnaires sur lesrémunérations des dirigeants ne parviendra pas àremettre en cause, bien au contraire.

Enfin, une quatrième série de mesures a trait à larévision des processus d’attribution des bonus afin quesoit davantage prise en compte la « performance » delong terme des salariés. L’initiative Minder, en Suisse,

15. Cf. Camille Noisette et Hervé Guez, « Le programme promet-teur de Theresa May en matière de gouvernance d’entreprise »,mirova.com, octobre 2016.

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instaure l’interdiction de certaines formes de rémuné-rations comme les indemnités de départ ou les primespour les achats d’entreprise. Theresa May invite à unesimplification des structures de rémunération variableset à leur alignement sur les intérêts de long terme del’entreprise.

Ces avancées sont réelles ; néanmoins elles sontconçues au sein du même paradigme – et l’on peut sedemander si elles sont suffisantes pour favoriser vérita-blement une plus grande convergence entre les logi-ques sociales et environnementales de long terme et leslogiques financières.

On pourrait déjà proposer que les mesures envisagéessoient poussées plus loin. Par exemple, il serait aiséd’instaurer la publication obligatoire de plusieursindices de Gini et des courbes de distribution : un indicede Gini sur le fixe + bonus ; puis sur lefixe + bonus + LTI (long term incentives16) ; puis surle fixe + bonus + LTI + retraite. Ceci permettrait demontrer très concrètement l’évolution de plus en plusinégalitaire des attributions des rémunérations varia-bles. À cela pourrait être ajoutée la publication de la listedes attributaires LTI par niveau de rémunération (parexemple, 25 personnes ont eu plus de 1 000 actions,etc.).

On pourrait aussi imaginer de plafonner les retraiteschapeaux, de faire auditer les LTI par les commissairesaux comptes, et de faire en sorte que l’attributiondes LTI ne se fasse pas par la seule ligne hiérarchique,ce qui est trop souvent l’occasion de pratiques opaques

16. Les LTI (long term incentives) constituent la part variable àlong terme de la rémunération des cadres, sous forme d’options suractions.

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