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UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS PARIS II DROIT ECONOMIE GESTION Le Droit face au défi de l’économie collaborative La nécessaire prise en compte de l’intérêt des « start-up », facteur d’innovation Présenté et soutenu par Madame Marine Travaillot 16 octobre 2016 Mémoire réalisé dans le cadre de Executive MBA Stratégie économique internationale / Master 2 professionnel de Commerce et Management International Directeur de recherche Monsieur Oliver Debat Jury Monsieur Olivier Debat Monsieur Fabrice Perbost

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UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS – PARIS II

DROIT – ECONOMIE – GESTION

Le Droit face au défi de l’économie collaborative

La nécessaire prise en compte de l’intérêt des « start-up », facteur d’innovation

Présenté et soutenu par

Madame Marine Travaillot

16 octobre 2016

Mémoire réalisé dans le cadre de

Executive MBA Stratégie économique internationale /

Master 2 professionnel de Commerce et Management International

Directeur de recherche

Monsieur Oliver Debat

Jury

Monsieur Olivier Debat

Monsieur Fabrice Perbost

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L’université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises

dans les mémoires ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs

auteurs.

Ce mémoire a obtenu la note de 17/20 ; une note supérieure à 14/20 manifeste qu’il peut

éventuellement être diffusé.

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Remerciements

Je tiens à adresser mes remerciements à mon directeur de mémoire, Monsieur Debat, pour

avoir accepté de m’encadrer, m’orienter et me conseiller dans le cadre de mon travail de

recherche.

Je remercie mes parents pour m’avoir transmis « quelques » valeurs de travail et de

persévérance.

Je remercie également Cloé qui a courageusement accepté - contrainte et forcée - de visiter à

ma place les cours d’appel de France la grande majorité des vendredis de l’année 2016.

Enfin, je remercie l’ensemble des intervenants composant l’équipe pédagogique pour

l’ensemble des cours et conseils dispensés durant cette année universitaire ainsi que le jury

qui a accepté d’étudier et d’évaluer ce travail.

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Résumé

L’économie collaborative est partout. Elle bouleverse les marchés et agit comme un révélateur

de l’évolution du monde du travail. Elle impose aux professionnels de s’adapter, pousse les

individus à rompre avec les habitudes établies et place les pouvoirs publics face à des

problématiques qu’il est urgent d’intégrer dans la réglementation. Les frontières entre

producteur et consommateur sont gommées. Pourtant et malgré la nécessité d’accompagner le

développement de ce modèle innovant dans lequel les « start-up » françaises occupent une

place de précurseur, les réformes sont timides et l’encadrement juridique encore flou. Cette

insécurité juridique met en péril la compétitivité du marché français. Toutefois, le

gouvernement français et les instances communautaires semblent s’être saisis de la question et

nous sommes entrés dans une période de construction du cadre juridique de l’économie

collaborative. Dans cette régulation, s’il faut certes protéger les consommateurs et les

travailleurs, il semble également essentiel de protéger les intérêts des « start-up » qui sont un

important vecteur de croissance économique.

Mots-clés : économie collaborative / disruptif / innovation / régulation / « start-up »

Abstract

The collaborative economy is everywhere. It disrupts the markets and acts as an indicator for

the changing of work environment. It requires professionals to adapt, pushes individuals to

break with the established habits and face the authorities to deal with urgent issues which

need to be incorporated in regulation. The boundaries between producer and consumer are

erased. However and despite the need to support the development of this innovative model in

which the French « start-up » are precursors, reforms are still timid and the legal framework is

blurred. This legal insecurity puts the competitiveness of the French market at risk. Yet, the

French Government and the Community bodies appear to have seized the matter and we

entered a construction period of the legal framework of the collaborative economy. In this

regulation, if consumers and workers should indeed be protected, it also seems essential to

protect the interests of « start-up » that are an important economic growth driver.

Key words: collaborative economy / disruptive / innovation / regulation / « start-up »

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Sommaire

Introduction

I. L’économie collaborative : restructuration du modèle économique reflet de l’évolution

sociétale

A. L’« ubérisation » des rapports, contre-courant du modèle individualiste des années

1980 ?

B. La crise du modèle traditionnel du travail

C. L’émergence d’un nouveau modèle économique durable

II. La clarification nécessaire de l’environnement juridique de l’économie collaborative

A. Un manque prégnant de sécurité juridique

B. Les insuffisances du régime issu des réformes législatives récentes

III. La nécessaire prise en compte de la spécificité des acteurs du secteur

A. La régulation des problématiques spécifiques des acteurs de l’économie

collaborative

B. La création indispensable d’un cadre juridique cohérent

Conclusion

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Introduction

Que ce soit à la radio (France Inter1, France Culture

2, France Info

3, Europe 1

4…), à la

télévision ou dans la presse qui multiplie les numéros spéciaux5, difficile de passer à côté du

phénomène de l’économie collaborative. Elle fait peur6 autant qu’elle suscite l’intérêt et les

espoirs7. Les lobbies en appellent aux pouvoirs publics pour réguler l’activité des plateformes

(Uber, Airbnb). Le gouvernement lui-même s’est saisi de la question et les rapports sur le

sujet se multiplient8. Toutefois, si un consensus semble pouvoir être dégagé concernant le

caractère indispensable d’un encadrement juridique de ce nouveau secteur d’activité, la

définition des contours de l’économie collaborative comme la méthode de régulation qui

devrait être adoptée font l’objet de débats doctrinaux et sont loin d’être tranchées.

L’avènement de ce nouveau modèle fait écho à une tendance plus large de prise de conscience

des consommateurs. Des idéologies qui auraient été qualifiées il y a encore quelques années

d’altermondialistes ont un écho important auprès du public. C’est le cas notamment du

mouvement Colibris de Monsieur Pierre Rabhi9. Des synergies peuvent même se mettre en

place entre ces idéologies nouvelles centrées sur la préservation des richesses et l’importance

de recréer du lien social et les acteurs de l’économie collaborative. C’est le cas notamment du

film Respire, primé aux Césars 2016, qui tente de présenter des solutions qui permettraient de

résoudre les crises écologiques, économiques et sociales, que traversent les pays

industrialisés, financé par les internautes par le biais d’une plateforme de financement

participatif (appelée également « crowfunding »)10

. L’omniprésence dans les médias de

1http://www.franceinter.fr/emission-le-telephone-sonne-economie-collaborative-alternative-ou-mutation-du-

capitalisme ; http://www.franceinter.fr/emission-ca-va-mieux-en-le-faisant-l-economie-collaborative-est-elle-

solidaire 2 http://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-moudre/leconomie-collaborative-nest-elle-quun-sous-produit-

du-capitalisme 3 http://www.franceinfo.fr/emission/question-de-choix/2014-2015/l-economie-collaborative-un-nouveau-modele-

07-03-2015-05-55 4 http://www.europe1.fr/emissions/l-interview-verite/terrasse-leconomie-collaborative-est-une-sobriete-heureuse-

2664567 5 Les dossiers d’économies alternatives, L’économie collaborative, le nouvel eldorado ?, n° 4, novembre 2015 ;

Problèmes économiques, Economie collaborative, une révolution ?, mars 2016. 6 Bourdain, Maude, La mascarade de l’économie collaborative, 4 janvier 2016 : http://www.lesechos.fr/idees-

debats/cercle/cercle-146232-economie-collaborative-un-partage-qui-peut-couter-cher-1189272.php 7 De Saint Marie, Gaëtan et Pivot, Antoine, Ensemble on va plus loin, Paris : Alisio, 2016.

8 Enjeux et perspectives de l’économie collaborative, Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des

Mutations économiques (Pipame), juin 2015 ; Travail Emploi Numérique : Les nouvelles trajectoires

numériques, Rapport remis à la Ministre du Travail, de la Formation Professionnelle et du Dialogue social,

janvier 2016 ; Rapport au Premier Ministre sur l’économie collaborative, Mission confiée à Pascal Terrasse,

Février 2016. 9 https://www.colibris-lemouvement.org/colibris/pierre-rabhi

10 Dion, Cyril et Laurent, Mélanie, Respire, Mars distribution, décembre 2015.

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l’économie collaborative ne doit toutefois pas masquer la révolution sociale, économique et

juridique qu’elle pourrait constituer et qui est bien plus profonde que la seule question de la

place et de la protection de chaque acteur. En effet, l’analyse est souvent réductrice et ne tend

qu’à évoquer une prétendue menace qui pèserait sur la protection des travailleurs et des

entreprises dites « de l’économie traditionnelle ».

La définition plurielle de l’économie collaborative

L’expression « économie collaborative » englobe des initiatives très différentes qui reposent

sur l’idée que l’accès aux biens ou services est plus important que la propriété. La

mutualisation des ressources tend à optimiser les moyens privés et peut générer des revenus,

marginaux ou substantiels, ou être à but non lucratif. La production de valeur est alors

déplacée au niveau de la mise en relation de l’offre et de la demande. L'existence de ces biens

qui deviennent communs peut ainsi permettre de répondre à des besoins sociaux et crée du

lien entre les différents intervenants11

. L’économie collaborative recouvre également

l’avènement d’un système économique innovant qui repose sur l’émergence de plateformes

d’échange et de mise en relation utilisant trois technologies complémentaires : les bases de

données, les moteurs de recherche et la connectivité12

. Ces plateformes « collaboratives »

peuvent être définies comme « un système informatique qui met à disposition de ses

utilisateurs des ressources et des outils pour faciliter le travail collaboratif », étant précisé que

le travail collaboratif est alors entendu comme « une forme d’organisation du travail, où des

individus concourent ensemble à la réalisation d’objectifs communs, en dehors de toute forme

de hiérarchie »13

. Enfin, l’économie collaborative révèle un changement de paradigme de

l’innovation technologique qui n’est plus simplement considérée comme un outil au service

de la compétitivité mais qui devient l’élément clé du modèle des « start-up » du numérique14

afin de limiter le recours aux intermédiaires et de réduire les coûts et donc les prix.

11

Berlingen, Flore, « Défense et illustration de l’économie collaborative », Humanitaire, n° 41, 2015, pp. 36-41. 12

Seux, Dominique, « La révolution numérique vue par un Prix Nobel et le patron de BlaBlaCar », 8 décembre

2015 : http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/021543497047-la-revolution-numerique-vue-par-un-

prix-nobel-et-le-patron-de-blablacar-1182800.php# 13

Chambart, Jérôme, « Plate-forme collaborative », Dictionnaire du Web, mis à jour le 30 août 2015 :

http://www.dictionnaireduweb.com/plateforme-collaborative/ 14

La notion de « start-up », qui est désormais passée dans le langage courant, désigne une entreprise émergente

et innovante dont l’activité s’appuie sur les nouvelles technologies.

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Le terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978

aux Etats-Unis pour désigner les « événements dans lesquels une ou plusieurs personnes

consomment des biens ou des services économiques dans un processus qui consiste à se livrer

à des activités communes »15

. Le milieu des années 90 voit l’émergence du terme de

« nouvelle économie » pour évoquer l’apparition du e-commerce et des services

dématérialisés, issus du développement exponentiel du Web et des réseaux. A cette période, si

les moyens évoluent, l’économie s’inscrit toujours dans un système de marché. Au début des

années 2000, les pratiques commencent à se transformer et à sortir du modèle strict de

l’économie de marché. De nombreuses locutions apparaissent pour évoquer cette nouvelle

économie. On parle d’économie participative, contributive16

, horizontale, quaternaire17

,

positive18

, circulaire19

, latérale20

, sociale21

, open source, open hardware, symbiotique,

plateformisation... Le concept de « sharing economy » ou « mesh economy » apparaît au

Etats-Unis et va plus loin. Il repose d’une part sur le développement des technologies de

réseau et d’autre part sur une prise de conscience de ses acteurs concernant l’épuisement des

ressources naturelles et l’accroissement de la population mondiale, décrites dès 1968 par

Monsieur Garret Hardin22

. La définition de Monsieur Yochai Benkler23

du terme « commons-

based peer production » (production en réseau à partir d’un espace commun de possession) se

rapproche du concept d’économie collaborative tel qu’il est analysé aujourd’hui. Il évoque

ainsi « un système de production, de distribution et de consommation de l’information

caractérisée par une action individuelle décentralisée, qui ne s’appuie pas sur des logiques de

marché ». Il faudra toutefois attendre 2010 pour que le concept s’impose réellement,

notamment en France, sans toutefois qu’un consensus ne soit trouvé ni sur ses contours ni sur

sa définition.

15

Felson, Marcus and Spaeth, Joe L., « Community structure and collaborative consumption: a routine activity

approach », American Behavioral Scientist, n° 4, 1978, pp. 614-624. 16

Stiegler, Bernard, Mécréance et Discrédit. Tome 3 : L'Esprit perdu du capitalisme, Paris : Galilée, 2006. 17

Debonnieul, Michèle, L’économie quaternaire, une croissance durable à construire, Rapport remis en janvier

2010 à Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat chargée de la Prospective et du développement de

l’économie collaborative. 18

Rouer, Maximilien, Gouyon, Anne, Réparer la planète, la révolution de l'économie positive, Paris : J.C.

Lattès, 2005 ; Groupe de réflexion présidé par Jacques Attali, Pour une économie positive, Paris : La

documentation française, 2013. 19

Ellen MacArthur Foundation, Toward the circular economy, Rapport publié en 2013. 20

Rifkin, Jeremy, La troisième révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer l'énergie,

l'économie et le monde, Arles : Les Liens qui libèrent, 2012. 21

Casaux-Labrunée, Lise et Francoual, Pierre, « L'entreprise sociale », in Écrits de droit de

l'entreprise : mélanges en l'honneur de Patrick Serlooten, Debat, Olivier et De Bissy, Arnaud (eds.), Paris :

Dalloz, 2015 22

Hardin Garret, « The Tragedy of the Commons », Science, n° 3859, december 1968, pp. 1243-1248. 23

Benkler, Yochai, The Wealth of Networks, New Haven and London: Yale University Press, 2006.

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De façon objective, presque fonctionnelle, l’économie collaborative peut être présentée

comme la mise en relation numérique de demandeurs avec des offreurs et suppose un partage

de biens et de services ainsi que la mise en commun de ceux-ci24

. Elle s'appuie sur une

structure horizontale, une mutualisation des espaces, des outils, des biens (matériels ou

immatériels), des services et une volonté des intervenants, notamment non-professionnels de

s’organiser en réseaux ou en communautés. C’est un système économique de réseaux ou de

plateformes décentralisées qui utilisent les actifs sous-exploités en permettant la rencontre

entre offre et demande, en contournant l’intermédiaire25

. Toutefois, un aspect subjectif, quant

aux finalités des acteurs de l’économie collaborative, est souvent mis en avant afin d’étendre

ou de réduire son champ d’intervention. Pour certains auteurs, la qualification d’économie

collaborative est ainsi subordonnée non pas à l’existence d’une plateforme numérique qui, si

elle constitue indéniablement une évolution technologique peut aussi agir à l’instar d’une

entreprise capitaliste, mais aux motivations qui sous-tendent l’action de ses acteurs26

. Enfin, le

champ de l’économie collaborative est parfois artificiellement minoré en fonction de la

qualité de ses parties prenantes. Ainsi, seules les relations entre particuliers seraient

concernées et toute intervention d’un professionnel exclurait de facto l’activité.

Afin d’étudier l’environnement notamment juridique de l’économie collaborative, il convient

en réalité de la distinguer de notions proches telles que l’économie du partage (qui suppose un

aspect moral), l’économie des services à la demande (qui organise une rencontre directe entre

les besoins des consommateurs et les multiples fournisseurs de biens ou de services

recensés),27

la digitalisation (numérisation de l'économie) ou l’« ubérisation »28

(évolution du

modèle économique d'un secteur). Il convient également d’en préciser les fondements actuels.

En effet, le business model de l’économie collaborative a largement évolué au fil de son

développement. L’économie collaborative version 1.0 reposait sur une dynamique

essentiellement non professionnelle et non lucrative. La version 2.0 fondée sur l’innovation

numérique voit l’arrivée de plateformes permettant une mise en relation des offreurs et des

24

Bardin, Pierre, « Ubérisation, crowdfunding... Que signifient ces expressions et d'où viennent-elles ? », 10

novembre 2015, Le Figaro : http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2015/11/10/32001-

20151110ARTFIG00010-uberisation-crowdfundingque-signifient-ces-expressions-et-d-o-viennent-elles.php 10

Botsman, Rachel, What’s mine is yours: How collaborative consumption is changing the way we live, New-

York : Harper Collins, 2010. 26

Rapport au Premier Ministre sur l’économie collaborative, Mission confiée à Pascal Terrasse, février 2016,

op.cit. 27

Jourdain, Loic, Leclerc, Michel, Millerand, Arthur, Economie collaborative et droit, Limoges : FYP, 2016. 28

Terme inventé par Maurice Levy, PDG de Publicis, lors d’une interview au Financial Times : Thomson,

Adam, « Maurice Lévy tries to pick up Publicis after failed deal with Omnicom », Financial Times, décembre

2014.

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demandeurs. La version 3.0 de l’économie collaborative, celle qui nous intéresse, est

l’économie collaborative intégrée, dans laquelle les entreprises proposent des services facturés

au consommateur, afin d’assister ou de protéger son expérience collaborative, et cherchent la

fidélisation des prestataires indépendants qui offrent leurs prestations29

.

Si l’on se place du point de vue des plateformes, l’économie collaborative est

incontestablement à but lucratif. De même, les prestataires indépendants intervenant par le

biais des plateformes exercent une activité professionnelle et ne sont donc pas motivés (ou a

minima pas exclusivement) par une volonté de partage ou de développement durable. Comme

il sera détaillé ultérieurement, les particuliers intervenant sur les plateformes collaboratives

sont eux-mêmes mus par des aspects financiers. Il serait dès lors très réducteur de ne

s’attacher qu’à l’aspect moral pour identifier les activités de l’économie collaborative. Un

critère d’identification plus large et plus objectif serait la modification par ses acteurs des

règles de fixation des prix. La détermination des prix deviendrait plus individuelle et ne serait

plus régie par l’offre et la demande au sens macro-économique du terme30

. Les prix évoluent

en temps réel selon des algorithmes mis en place par les plateformes et proposés aux

fournisseurs de biens et de services. L’offreur est par ailleurs libre de modifier son prix au cas

par cas, en fonction de la demande et de ses éventuelles interactions avec le consommateur.

Ainsi, l’économie collaborative marque un retour aux fondements des accords intuitu

personae, c’est-à-dire conclus en considération de la personne de son cocontractant.

L’économie collaborative se caractérise donc par plusieurs éléments fondamentaux : la

mutation structurelle (disruption), l’innovation, le soutien du numérique, l’échange, l’usage

(qui est prééminent sur la possession d’un bien ou d’un service), l’interdépendance et la

dynamique (du prix ajusté en temps réel et de l’accès au bien ou service qui se fait à la

demande, au moment et à l’endroit fixés par l’utilisateur)31

.

Le contexte de l’émergence de l’économie collaborative

29

Thiebart, Patrick, « Pour une réglementation a minima de l’économie collaborative », Semaine sociale Lamy,

n° 1706, 2016. 30

Cuvelliez, Charles, « Économie collaborative ou économie du partage : cherchez l’erreur », Les Echos, 27

janvier 2016 : http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-147380-economie-collaborative-ou-economie-

du-partage-cherchez-lerreur-1195670.php 31

Tchéhouali, Destiny, « Culture, commerce et numérique : Economie collaborative, culture du partage et guerre

des brevets : nouveaux regards sur l’innovation numérique », Organisation internationale de la francophonie, n°

7, septembre 2015.

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L’avènement de l’économie collaborative s’inscrit dans un contexte de rupture – on parle d’un

phénomène disruptif. Cette véritable évolution systémique est une transformation du modèle

existant et non son adaptation à une simple situation de crise. Cela a une répercussion sur les

conditions d’analyse des données. En effet, alors qu’une situation de crise pousse les

différents acteurs à s’adapter, la métamorphose impose de modifier les références d’analyse

des enjeux mis en lumière. Il s’agit de « mettre en place des formes résilientes de gestion de

l’incertitude et des outils nécessaires pour vivre dans un monde fondamentalement

incertain »32

.

Le phénomène collaboratif est apparu dans ce contexte de triple mutation : révolution d’usage

des biens et services, innovation numérique et explosion de la « gig economy » (ou

l’économie à la tâche, s’opposant au modèle du salariat)33

. Plusieurs facteurs

macroéconomiques peuvent expliquer la rupture observée. La prise de conscience collective

concernant la transformation énergétique et écologique a poussé les individus à se tourner

vers des systèmes qu’ils estiment plus respectueux de la préservation des ressources

naturelles. S’ajoute à cela la crise économique et financière, débutée dans les années

2007/2008, et la pérennisation d’un fort taux de chômage qui ont cristallisé le processus en

poussant les consommateurs à se tourner vers un modèle alternatif qui leur permettrait de

maintenir leur pouvoir d’achat. Parallèlement, la transformation du marché de l’emploi,

marqué par une hyperspécialisation des profils, a poussé certains professionnels à s’exprimer

en dehors du système classique, afin de valoriser des compétences laissées de côté par leurs

employeurs34

. Synthétiquement, cette nouvelle économie s’appuie sur des facteurs

économiques (par la mutualisation des moyens et le partage des dépenses), sociaux (par le

partage et l’échange) et environnementaux (par la circulation des biens et la préservation des

ressources naturelles et énergétiques)35

.

Actuellement, environ 9000 « start-up » composent le marché mondial de la consommation

collaborative et le chiffre d’affaires du secteur est estimé à 20 milliards de dollars. Il devrait

32

Travail Emploi Numérique : Les nouvelles trajectoires numériques, Rapport remis à la Ministre du Travail, de

la Formation Professionnelle et du Dialogue social, janvier 2016. 33

Leclercq, Grégoire, « Ubérisation ou économie collaborative ? Ne confondez plus, voilà les différences »,

BFM Business, 26 janvier 2016 : http://bfmbusiness.bfmtv.com/01-business-forum/uberisation-ou-economie-

collaborative-ne-confondez-plus-voila-les-differences-946625.html 34

Enjeux et perspectives de l’économie collaborative, Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des

Mutations économiques (Pipame), juin 2015. 35

« Economie collaborative, Vie pratique », Fiches pratiques DGCCRF, 18 juin 2015.

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atteindre 335 milliards de dollars en 202536

. Le secteur est encore jeune puisque 79% des

acteurs ont été créés après 2008, et près de la moitié des entreprises (48%) ont moins de trois

ans et bénéficie de fortes perspectives de croissance. La consommation collaborative ne peut

être définie comme un marché spécifique en ce qu’elle est composée d’activité diverses et de

sociétés très différentes les unes des autres. On regroupe néanmoins les acteurs de l’économie

collaborative en neuf secteurs distincts que sont se déplacer, se nourrir, s’habiller, se loger,

transporter et stocker des objets, s’équiper, se divertir, se financer et se faire aider.

Source : Etudes économiques du PIPAME, juillet 2015

Dans ce contexte, la France s’inscrit comme un précurseur en matière d’économie

collaborative tant au niveau du chiffre d’affaires généré qu’au niveau de la diversité des

acteurs et des offres proposés, et a encouragé le phénomène en créant un régime unique de

l’entreprise individuelle bénéficiant d’un régime fiscal avantageux (loi du 18 juin 2014 sur le

commerce, l'artisanat et les très petites entreprises). Toutefois, cette tendance favorable est à

tempérer et les réformes les plus récentes s’inscrivent au contraire dans une protection de

l’économie traditionnelle (à titre d’exemple, la loi Thévenoud dans le secteur des transports).

Les pouvoirs publics semblent avoir pris conscience de la nécessité d’agir afin de conforter

cette position et, le 8 octobre 2015, Manuel Valls a officiellement missionné le député Pascal

36

Liduena, Jean-Marc, Ubérisation : Partager ou mourir ? Monitor Deloitte, 2015

http://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/fr/Documents/strategy/deloitte_etude-economie-on-

demand_juillet-15.pdf

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Terrasse sur l’économie collaborative : « Le phénomène d’« uberisation » de notre économie

a mis en lumière la nécessité pour les acteurs de l’économie traditionnelle de faire évoluer

leur modèle et leurs pratiques pour prendre le tournant de l’économie numérique, écrit le

Premier ministre Valls. L’émergence rapide de ces nouveaux modèles d’affaires doit aussi

conduire les pouvoirs publics à repenser une partie des règles économiques, fiscales et

sociales »37

. Il convient en effet d’encadrer et de structurer le secteur de l’économie

collaborative et de soutenir et accompagner le développement des « start-up » françaises en

accompagnant l’innovation et en créant un environnement susceptible de rassurer les

investisseurs, qui demeurent réticents à injecter des fonds sur le marché français.

Comment le Droit peut-il accompagner et aider le développement des « start-up » de

l’économie collaborative ? Nous ferons l’hypothèse que les réflexions actuelles, visant

principalement à sécuriser la « partie faible » (le particulier non professionnel, le

professionnel indépendant) sont encore insuffisantes.

Un sondage effectué par l’Organisation de Coopération et de Développement Economique

(OCDE)38

a clairement mis en lumière le souhait de clarification du régime émanant des

différents acteurs. Ainsi, une large majorité des professionnels comme des consommateurs

s’accordent pour dire que certaines réglementations actuelles ralentissent le développement de

l’économie collaborative en Europe. De même, l’incertitude quant aux droits et obligations de

chacun est ressentie, quel que soit le type de sondé, comme l’obstacle principal au

développement de l’économie collaborative. Toutefois, une majorité des consommateurs

interrogés estiment que l’information mise à leur disposition par les plateformes et relative au

droit de la consommation, aux caractéristiques et modalités des offres proposées et de leurs

droits et obligations est suffisante. Les travaux de l’OCDE ont également permis de mettre en

lumière la différence d’approche normative sollicitée par les acteurs de l’économie

traditionnelle. Ainsi, alors que les acteurs de l’économie collaborative militent pour une

application des règles existantes et une meilleure information des différentes parties prenantes

comme réponse réglementaire au développement des plateformes, les acteurs de l’économie

37

« Pascal Terrasse veut booster l’économie collaborative », L’Opinion, 30 octobre 2015 :

http://www.lopinion.fr/30-octobre-2015/pascal-terrasse-veut-booster-l-economie-collaborative-29660 38

« First brief results of the public consultation on the regulatory environment for platforms, online

intermediaries, data and cloud computing and the collaborative economy », 26 janvier 2016 :

https://ec.europa.eu/digital-agenda/en/news/first-brief-results-public-consultation-regulatory-environment-

platforms-online-intermediaries

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traditionnelle sont favorables à l’instauration d’un corpus de règles totalement spécifiques à

l’économie collaborative.

Aucun des Etats confrontés à l’économie collaborative n’a encore adopté de position

cohérente claire sur le sujet et les réformes isolées prises laissent pour le moment une

impression d’avancer à tâtons, sans vision globale. Le droit doit pourtant jouer un rôle crucial

dans l’accompagnement du phénomène puisqu’il est le reflet des choix de société. En outre, la

faisabilité comme la pérennité du secteur dépend largement du traitement et de l’appréhension

que les Etats présenteront des questions juridiques39

. Assez logiquement, les premières

préoccupations concernant l’encadrement de l’économie collaborative sont, d’une part, la

protection des emplois de l’économie traditionnelle, la lutte contre toute forme de concurrence

déloyale ou d’inégalité devant les charges fiscales et sociales des acteurs traditionnels et

disruptifs et, d’autre part, la protection des collaborateurs indépendants des plateformes

technologiques contre la précarisation sociale40

. Toutefois, si ces questions sont nécessaires,

les travaux actuels semblent exclusivement tournés vers le prestataire. Le Conseil du

Numérique soulignait ainsi que « les effets bénéfiques de la libération de l’initiative

individuelle et de la diversification des formes d’emplois ne peuvent occulter leurs effets

négatifs, et en premier lieu celui de la destruction des protections et des collectifs. Il est donc

nécessaire de soutenir les nouveaux moyens du « faire-ensemble », à savoir le dialogue social

étendu, la refonte des systèmes de droits sociaux et la constitution de nouveaux types de

communautés agissantes comme supports des nouvelles formes de travail » 41

. Les discussions

en cours ne s’intéressent que peu à la situation des « start-up » et à la nécessité d’appuyer

l’innovation et de sécuriser l’environnement juridique dans lequel les plateformes évoluent.

Afin d’étudier la situation des « start-up » de l’économie collaborative et de s’interroger sur

l’environnement juridique dans lequel elles évoluent, nous restreindrons volontairement notre

étude d’une part aux sociétés à but lucratif et d’autres part aux plateformes de mise en relation

d’un demandeur avec des offreurs. Seront ainsi exclues les plateformes purement associatives

ou bénévoles, s’inscrivant certes le plus purement possible dans l’esprit initial de l’économie

collaborative mais dont le rôle demeure négligeable pour l’économie en raison de leur

39

Jourdain, Loic, Leclerc, Michel, Millerand, Arthur, 2015, op. cit. 40

Patrick Thiebart, 2016, op. cit. 41

Travail Emploi Numérique : Les nouvelles trajectoires numériques, Rapport remis à la Ministre du Travail, de

la Formation Professionnelle et du Dialogue social, janvier 2016.

Page 15: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

15

« dynamique non professionnelle, non concurrentielle et non lucrative, qui [les] inscrit dans le

périmètre non marchand de l’économie domestique »42

. Au contraire, une plateforme qui

permet à deux acteurs, simultanément offreur et demandeur, d’échanger des services ou de

troquer des biens, entrera dans le cadre de l’étude, nonobstant la nature non-lucrative de

l’échange lui-même, si la société mettant à disposition du public la plateforme de mise en

relation est mue par une volonté mercantile.

I. L’économie collaborative : restructuration du modèle économique reflet de

l’évolution sociétale

L’économie collaborative, si elle est avant tout un nouveau modèle économique trouvant ses

fondements dans l’innovation et les nouvelles technologies de l’information et de la

communication, s’inscrit dans un contexte plus global de mutation de la société. Par les liens

qu’elle crée entre les individus et l’explosion du travail indépendant qu’elle accompagne, elle

s’apparente à un prolongement de la crise de l’individualisme et une nouvelle modalité

d’expression de la volonté accrue des individus de prendre en main leur vie professionnelle

(A.). Ce faisant, elle dévoile un rapport au salariat qui évolue et révèle le profond changement

qui est en train de faire évoluer le monde du travail (B.). Ainsi, plus qu’un phénomène de

mode, elle doit être analysée comme l’avènement d’un nouveau modèle qui dispose de toutes

les caractéristiques de la pérennité et qui tend à inscrire son empreinte dans

l’économie mondiale (C.).

A. L’« ubérisation » des rapports, contre-courant du modèle individualiste des

années 1980 ?

Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, nous avons assisté à un phénomène de montée

de l’individualisme marqué notamment par un repli sur soi et par le développement de

l’entreprenariat (a.). L’économie collaborative, si elle recrée du lien et s’inscrit, en première

analyse, en contradiction avec cette tendance, est également révélatrice d’une volonté accrue

de créer des activités personnelles, hors du cadre classique du salariat. Plus qu’une rupture,

42

Portier, Philippe, « Le législateur est obligé de distinguer économie collaborative et ubérisation », Le Monde, 7

novembre 2015.

Page 16: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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l’économie collaborative peut être qualifiée de courant alternatif à l’individualisme (b.). En

effet, elle en est plutôt le prolongement dont les revendications altruistes doivent être

largement modérées (c.).

a. La montée de l’individualisme et ses conséquences à compter des années 1980

Du milieu du XIXe siècle aux années 1960, certains auteurs évoquent une « première

modernité », au cours de laquelle s’impose la vision d’un individu doué de raison, qui n’est

plus seulement mu par le collectif. Toutefois, les comportements demeurent marqués par les

normes établies et les rôles sociaux sont encore très définis. Les piliers qui fondent le socle de

la société française et qui sont unanimement reconnues (la famille, l’école, l’armée, la

religion, le travail) jouent un rôle prédominant dans la construction individuelle. Les

interdépendances y sont fortes et chacun est tenu de faire ce qu’autrui attend de lui. Les

collectifs s’imposent donc encore aux individus qui s’y attachent et s’en revendiquent. Le

sociologue François De Singly résume cette phase avec la notion d’« individualisme

citoyen »43

, chacun ayant intériorisé les normes sociétales basées sur l’ordre, l’autorité et le

sens du devoir.

A partir des années 1960 et plus encore au cours des années 1980, on entre dans une

« deuxième modernité » caractérisée par ce que beaucoup ont appelé la montée de

l’individualisme et qu’il est sans aucun doute préférable d’appeler une phase

d’individualisation44 : l’individu change alors progressivement de définition et revendique son

originalité, son authenticité, son indépendance. Il pense progressivement sa vie comme une

aventure individuelle, comme une trajectoire personnelle qu’il doit prendre en charge, tout

particulièrement au niveau professionnel. Permis par les réformes scolaires entreprises sous la

présidence du général De Gaulle et qui visent à donner sa chance à tous45

, ce phénomène est

particulièrement perceptible dans les années qui entourent les événements de mai 68. La

libération de l’individu, leitmotiv de cette période, passe alors par la contestation des routines,

des traditions, des normes et des modèles sociétaux. Changer la société, « vivre autrement »46

,

43

De Singly, François, L’individualisme est un humanisme, La Tour-d'Aigues : Ed. de l’Aube, 2005. 44

Le Bart, Christian, L’individualisation, Paris : Po Presses de Sciences Po, 2008.

Certains parlent de post-modernité (Maffesoli, Michel et Perrier, Brice, l’Homme postmoderne, Paris : François

Bourin, 2012) ou d’hyper-modernité (Aubert, Nicole (dir.), L’individu hypermoderne, Toulouse : Erès, 2004). 45

Réformes Berthoin (1959) et Fouchet (1963). 46

Le Goff, Jean-Pierre, Mai 68, l'héritage impossible, Paris : La découverte, 1998.

Page 17: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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c’est remettre en cause les idéaux dominants, critiquer la société de consommation47 et

revendiquer une plus grande liberté individuelle dans un but de bien-être et d’épanouissement

personnel.

Cette centration sur soi, cette recherche de soi48

, encore accentuée par les effets de la crise

économique et l’émergence d’un néo-capitalisme qui tend à individualiser la gestion des

personnels49

, ne fait que s’accroitre à partir des années 1980. Tandis que les valeurs libérales

bénéficient d’une audience accrue, la société se convertit au « culte de la performance »50

.

L'action individuelle devient une valeur de référence : il faut se construire par soi-même, se

réaliser par son action personnelle, avoir un projet personnel afin de devenir quelqu'un et se

singulariser51. « Battants, leaders, aventuriers et autres figures conquérantes ont envahi

l'imagination française. Ils symbolisent une version entrepreneuriale et athlétique de la vie en

société »52

. L’individu, libéré des ancrages identitaires traditionnels, doit de plus en plus et

avant tout ne compter que sur lui-même pour réussir et devenir l’entrepreneur de sa propre vie

afin de s’insérer dans une société en perpétuel renouvellement53

.

Cependant, à partir de la fin de cette décennie, tandis que le chômage progresse dans

l’ensemble des catégories sociales, s’amorce la fin du règne de cette « mythologie

entrepreneuriale ». Le culte de la performance, qui semblait promettre une ascension sociale

pour tous, se révèle générateur d’exclusion54. Comme le mettent en exergue les informations

quotidiennes mais aussi le cinéma dans quelques films (Une époque formidable de Gérard

Jugnot en 1991 et La Crise de Coline Serreau en 1992), la descente vers l’exclusion, la

déchéance et/ou la dépression semble pouvoir toucher une partie croissante de la population.

A tous les niveaux et tous les jours (dans la rue, dans les entreprises, à la télévision…), la

47

Baudrillard, Jean, La société de consommation, Paris : Gallimard, 1970. 48

Senett, Richard, Les tyrannies de l’intimité, Paris : Seuil, 1974. 49

Boltanski, Luc et Chiapello, Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris : Gallimard, 1999. 50

Ehrenberg, Alain, Le culte de la performance, Paris : Calmann-Lévy, 1991. Voir également : Heilbrunn,

Benoit (dir.), La performance, une nouvelle idéologie ?, Paris : La Découverte, 2004 ; Duret, Pascal, Sociologie

de la compétition, Paris : A. Colin, 2009. 51

Martuccelli, Danilo, La société singulariste, Paris : A. Colin, 2010. Voir également : De Gaulejac, Vincent,

Qui est « je » ? Sociologie clinique du sujet, Paris : Seuil, 2009. 52

Ehrenberg, Alain, 1991, op. cit. 53

Bauman, Zygmunt, La vie liquide, Arles : Le Rouergue/Chambon, 2006 ; De Rosnay, Joël, Surfer la vie.

Comment sur-vivre dans la société fluide, Arles : Ed. Les Liens qui Libèrent, 2012. 54

Ehrenberg, Alain, L’individu incertain, Paris : Calmann-Lévy, 1995 ; Aubert, Nicole (dir.), L’individu

hypermoderne, Toulouse : Erès, 2004 ; Castel, Robert, La montée des incertitudes. Travail, protections, statut de

l’individu, Paris : Seuil, 2009.

Page 18: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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souffrance est visible55. « L’individu souffrant semble avoir supplanté l’individu

conquérant »56. Cette évolution peut être mise en relation avec l’épuisement de l’Etat-

providence ainsi qu’avec l’affaiblissement des grandes institutions intégratrices57. Comme

l’explique le sociologue Lucien Karpik, « les Français ont perdu les cadres collectifs

traditionnels de leur action, et, avec eux, les principaux mécanismes qui avait jusqu’ici

façonné leur identité individuelle et collective »58. Tandis que les valeurs et les normes

collectives tendent à s’effriter, l’individualisme conquérant laisse la place à un individualisme

désocialisé59 et désorienté60. Toute une série de « révolutions invisibles », qui se produisent

dans de multiples secteurs au tournant du XXe et du XXIe siècles, participent « à la

désintégration des anciens liens sociaux, à la destitution de tout ce qui s’apparente de près ou

de loin à un ascendant injustifié sur soi »61. On peut parler de « crise de l’individu institué »62.

Pour le philosophe Marcel Gauchet, « nous avons basculé dans la période récente vers un

individualisme de déliaison ou de désengagement »63 : l’être-en-société, c’est-à-dire

l’appartenance à la société, l’inscription dans le social, ne semble plus aller de soi.

b. L’avènement d’un courant alternatif

Face à cette conjoncture sombre dans laquelle chacun est confronté à l’incertain64, il faut plus

que jamais ne pas compter sur le « destin collectif » mais au contraire prendre en charge ses

problèmes et s’appuyer sur soi-même « pour inventer sa vie, lui donner un sens et s’engager

dans l’action »65. Tandis que la prise en charge collective des destins individuels a longtemps

été attribuée à des institutions et à des acteurs organisés (l’individu était en grande partie

55

Bourdieu, Pierre (dir.), La misère du monde, Paris : Seuil, 1993 ; Erner, Guillaume, La société des victimes,

Paris : La Découverte, 2006. 56

Ehrenberg, Alain, 1995, op. cit. 57

Lipovetsky, Gilles, L'ère du vide : Essais sur l'individualisme contemporain, Paris : Gallimard, 1983.

Dubet parle du « déclin du programme institutionnel » (Dubet, François, Le déclin de l’institution, Paris : Seuil,

2002). 58

Karpic, Lucien, « L’avancée politique de la justice », Le Débat, n° 97, novembre-décembre 1997, pp. 90-107. 59

Mongin, Olivier, « L’individu entre stratégies électives et sélectives », in Cohen, Daniel, et coll, France : les

révolutions invisibles, Paris : Calmann-Lévy, 1998, pp. 65-73. 60

Karpic, Lucien, 1997, op. cit. 61

Cohen, Daniel et coll. « Introduction », in Cohen, Daniel, et coll., France : les révolutions invisibles, Paris :

Calmann-Lévy, 1998, pp. 7-13. 62

Théry, Irène, « Il n’y a pas de Je sans Nous », in Cohen, Daniel, et coll., France : les révolutions invisibles,

Paris : Calmann-Lévy, 1998, pp. 17-31. 63

Gauchet, Marcel, « Essai de psychologie contemporaine. I. Un nouvel âge de la personnalité », Le débat, n°

99, mars-avril 1998, pp. 164-181. 64

Kokoreff, Michel, Rodriguez, Jacques, La France en mutations. Quand l’incertitude fait société, Paris : Payot,

2004. 65

Ehrenberg, Alain, 1995, op. cit.

Page 19: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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contraint par un ordre extérieur), la responsabilité de ces mêmes destins est de plus en plus

reportée sur l’individu lui-même. Confronté à l’indétermination ambiante, il est incité à être

responsable de lui-même, à un point jamais égalé dans l’histoire des sociétés modernes. Qu’il

s’agisse de recherche d’emploi, de vie de couple, d’éducation ou de se conserver en bonne

santé, la vie est devenue une histoire personnelle 66, un parcours individuel67. Cette

individualisation de l’existence, qui passe par une autonomie accrue et la gestion des libertés,

des contraintes et des inquiétudes qui en découlent, demande expressément « d’accroître la

capacité de chacun à agir à partir de son autorité privée et de son jugement personnel sans

lesquels on bascule dans l’impuissance et la souffrance psychique »68. La multiplication des

repères, qui émanent de secteurs toujours plus variés, entraîne une grande confusion et oblige

à construire ses propres repères. L’individu est contraint de s’auto-définir et d’effectuer un

véritable travail identitaire69

.

Les thématiques très en vogue de l’autonomie, de la responsabilité et du projet, mais aussi

plus récemment de l’estime de soi, trouvent ici leur fondement. « La responsabilisation est la

pierre angulaire de l’avenir de nos démocraties »70

. Chacun doit être capable de « manager »

sa vie : la rationalité managériale est devenue omniprésente71

. Tandis que la socialisation

consistait traditionnellement à préparer à des rôles institutionnels prédéterminés et à

discipliner pour se conformer, les enjeux évoluent dans une société de plus en plus complexe

au sein de laquelle l’avenir incertain nécessitera de constantes adaptations : la capacité

d’initiative l’emporte sur la docilité. L’insécurité identitaire qui en résulte est génératrice de

stress, de fatigue psychique, de dépression, cette dernière pouvant être interprétée comme une

« maladie de la responsabilité dans laquelle domine le sentiment d’insuffisance. Le déprimé

n’est pas à la hauteur, il est fatigué d’avoir à devenir lui-même »72

.

66

Ehrenberg, Alain, 1995, op. cit. 67

Mongin, Olivier, 1998, op. cit. Voir également : Touraine, Alain, Khosrokhavar, Farhad, La Recherche de soi.

Dialogue sur le Sujet, Paris : Fayard, 2000. 68

Ehrenberg, Alain, « Santé mentale : l’autonomie est-elle un malheur collectif ? », Esprit, février 2012, pp. 99-

108. 69

Kaufmann, Jean-Claude, Ego. Pour une sociologie de l’individu, Paris : Nathan, 2001 ; Kaufmann, Jean-

Claude, L’invention de soi. Une théorie de l’identité, Paris : A. Colin, 2004. 70

Lipovetsky, Gilles, Charles, Sébastien, Les temps hypermodernes, Paris : Grasset, 2004. 71

Le Texier, Thibault, Le maniement des hommes. Essai sur la rationalité managériale, Paris : La découverte,

2016. 72

Ehrenberg, Alain, La fatigue d’être soi. Dépression et société, Paris : O. Jacob, 1998.

Le Breton parle de tentation de « disparaître de soi » (Le Breton, David, Disparaître de soi : une tentation

contemporaine, Paris : Métaillé, 2015).

Page 20: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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Tenter de trouver des solutions à ce mal-être en voie de généralisation, dû tout à la fois aux

difficultés économiques et à la valorisation du « chacun pour soi », semble devoir passer par

le retour à un « vivre ensemble »73

, les uns avec les autres74

, qui ne va plus de soi. Sans

attache institutionnelle structurante, beaucoup s’inscrivent dans de multiples réseaux75

. Le

phénomène associatif connait un succès exponentiel. Parallèlement, le sociologue Michel

Maffesoli parle du « temps des tribus » pour évoquer la multiplication de groupes informels

fondés sur le partage de goûts, d’émotions ou d’intérêts communs76

. On y observe l’essor de

nouvelles formes de partage et de pratiques participatives77

. C’est dans ce contexte que les

services collaboratifs jouent, selon les cas, une fonction intégratrice ou agrégatrice78

. On peut

parler de réseau maillé, en référence au réseau informatique, basé sur des nœuds connectés

sans hiérarchie centrale79

. La volonté mise en avant par les initiateurs de ces services est de

gommer la compétition au profit de la coopération, qui permet l’émergence de projets

innovants.

L’apparition de ce nouveau modèle économique s’inscrit donc dans un contexte historique, en

réponse à des évolutions et de nouvelles attentes sociétales. Pour Monsieur Michel Bauwens,

c’est le développement d’une « véritable contre-économie éthique et coopérative » dont il

s’agit. Celle-ci n’est pas focalisée sur l’accumulation du capital mais sur un marché

essentiellement basé sur la réciprocité. L’économie collaborative apparait ainsi tout à la fois

comme un moyen de recréer du lien social et de lutter contre les inégalités croissantes dans la

répartition des richesses. Elle semble constituer un levier de relance de la croissance par ses

principes de gouvernance plus ouverts, plus coopératifs et respectueux de l’intérêt commun.

En outre, ce phénomène s’accompagne d’une prise de conscience quant à la nécessité de

préserver l’environnement et de promouvoir le développement durable à partir de la remise en

73

Touraine, Alain, Pourrons-nous vivre ensemble ? Egaux et différents, Paris : Fayard, 1997 ; Paugam, Serge,

Vivre ensemble dans un monde incertain, La Tour-d'Aigues : Ed. de l’Aube, 2015. 74

De Singly, François, Les uns avec les autres. Quand l’individualisme crée du lien, Paris : A. Colin, 2003. 75

Castells, Manuel, La société en réseaux, Paris : Fayard, 1998. 76

Maffesoli, Michel, Le temps des tribus, Paris : Méridiens-Klincksieck, 1988 ; Maffesoli, Michel, Homo

eroticus. Des communions émotionnelles, Paris : CNRS Ed., 2012. 77

Rifkin, Jeremy, La nouvelle société du coût marginal zéro, Arles : Les liens qui libèrent, 2014. 78

De Malleray, Anne, « Les communautés collaboratives, objet sociologique non identifié »,

magazine.ouishare.net, 11 mars 2014 : http://magazine.ouishare.net/fr/2014/03/les-communautes-collaboratives-

objet-sociologique-non-identifie/ 79

Rifkin, Jeremy, 2014, op. cit.

Page 21: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

21

cause de l’hyperconsommation et de l’obsolescence programmée, deux déviances du

capitalisme classique80

.

c. Des motivations « altruistes » des acteurs de l’économie collaborative à tempérer

Si la crise économique a fait émerger de nouvelles pratiques que certains qualifient de

déconsommation ou de consommation alternative, celles-ci ne traduisent pas forcément un

rejet du système mais opèrent plutôt une distanciation de ce type de société81

. Il n’y a pas

fondamentalement de rejet. On assiste plutôt à une volonté d’optimisation des dépenses et

d’accession à des produits de qualité. Cela peut être couplé, de façon secondaire, à la

satisfaction d’accomplir un geste citoyen, sur le plan environnemental et sociétal82

. Les

valeurs revendiquées par les pionniers de l’économie collaborative (redonner un sens à l'acte

de consommation via une densification des interactions humaines, préserver l'écosystème en

partageant et en allongeant le cycle de vie des biens de consommation) ne sont pas forcément

celles qui conduisent le grand public à adopter la consommation collaborative. En 2013, seul

un tiers des utilisateurs de plateformes collaboratives se déclarait ainsi mué par la volonté de

recréer du lien social, d'aider son prochain ou de participer à la sauvegarde de

l'environnement. L’altruisme n’est pas le principal vecteur de ce mouvement : les pratiques

collaboratives se développent avant tout parce qu’elles répondent à un intérêt ou à un besoin.

Les motivations varient ainsi entre motivations individuelles et leviers collectifs, qui sont

minoritaires83

.

L’économie collaborative n’hésite donc pas à condamner, en façade, les excès de la société de

consommation tout en agissant dans un cadre capitaliste ordinaire : les « start-up » qui se

créent dans ce domaine sont des entreprises à but lucratif84

. L’économiste Rachel Botsman

souligne justement la nature purement capitaliste de ce nouveau modèle dont « les logiques de

profits, tout comme le fait que certains ne possèdent rien à partager, sont deux écueils

80

Veroux, Anne Florence, Jacquemin, Marion, De Montque, Quitterie, Rodet, Florence, Thocquenne, Barbara,

« L’économie collaborative : nouveau vecteur d’influence et la reconquête du pouvoir », Ecole de guerre

économique, avril 2014. 81

Enjeux et perspectives de l’économie collaborative, Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des

Mutations économiques (Pipame), juin 2015 82

Léonard, Antonin, « La consommation émergente n’est pas militante », magazine.ouishare.net, 12 novembre

2012 : http://magazine.ouishare.net/fr/2012/11/etude-obsoco-consommation-collaborative-emergente/ 83

Les Français et les pratiques collaboratives, qui fait quoi ? et pourquoi ?, IPSOS Public Affairs, janvier 2013. 84

Veroux, Anne Florence, Jacquemin, Marion, De Montque, Quitterie, Rodet, Florence, Thocquenne, Barbara,

2014, op. cit.

Page 22: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

22

auxquels nous devons être attentifs : la frontière est mince entre ce qui renforce notre pouvoir

d'agir et ce qui nous enferme dans une logique d'exploitation »85

. Ces nouveaux réseaux

collaboratifs redistribuent et décentralisent le travail et font peser sur les individus une grande

responsabilité.

Cette ambivalence entre valeurs affirmées et réalité économique de l’économie collaborative

est de plus en plus décriée par les médias qui évoquent « la fin de l’utopie »86

, le système

ayant révélé sa véritable nature, peu encline finalement à favoriser l’émergence d’une

« société collaborative ». On ne serait ainsi en présence que d’un « sous-produit du

capitalisme »87

, au sein duquel des sociétés commerciales et leurs dirigeants se présentent

artificiellement en « naïfs altruistes » ou « scouts numériques »88

dans le seul but de réaliser

du profit. Madame Flore Berlinger souligne que « souvent, les créateurs de « start-up »

collaboratives se voient comme des entrepreneurs sociaux » alors même que leur structure

n’en a aucun code, ni en matière de gouvernance ni quant à l’impact social89

. Alors même

qu’une idéologie égalitaire est mise en avant, chacun étant producteur et consommateur, le

développement des plateformes a souvent l’effet inverse : les travailleurs se trouvent en

situation de dépendance vis-à-vis du référencement, des « start-up », de la notation par les

clients90

. Dans ce scénario, les travailleurs risquent de devenir paradoxalement plus isolés.

Selon Monsieur Nicolas Colin, le collaboratif est « un puissant levier industriel consistant à se

reposer sur les utilisateurs »91

plus qu’une démarche désintéressée, proche des pratiques

marginales anticapitalistes mises en avant dans la communication des « start-up » du secteur.

Alors même qu’elle était encensée, l’économie collaborative se trouve dans une crise

d’image. En effet, plus qu’un impact sur les modes de consommation, elle est en passe de

provoquer une mutation du modèle même du travail. Ce faisant, elle est analysée comme

« l’aboutissement d’un capitalisme qui cherche méthodiquement de nouveaux gisements de

création de valeurs, casse les acquis sociaux du salariat et conduit à faire baisser les prix des

85

Novel, Anne-Sophie, regards croisés sur le future de l’économie collaborative, 14 mai 2014;

http://alternatives.blog.lemonde.fr/2014/05/14/regards-croises-sur-le-futur-de-leconomie-collaborative/ 86

Segond, Valérie, « Economie collaborative, la fin d’une utopie », Le Monsieur, 11 avril 2016. 87

Gardette, Hervé, « Du grain à moudre », France Culture : http://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-

moudre/leconomie-collaborative-nest-elle-quun-sous-produit-du-capitalisme 88

Cassely, Jean-Laurent, « Ne prenons pas (tous) les scouts numériques de l’économie collaborative pour de

naïfs altruistes », Slate, 30 juillet 2014 : http://www.slate.fr/story/90333/economie-collaborative-partage 89

Pialot, Dominique, « L’économie collaborative est-elle solidaire ? », La Tribune, 29 novembre 2013. 90

Georges, Benoit, « Economie du partage : les limites d'une utopie », Les Echos, 20 mai 2014 :

http://www.lesechos.fr/20/05/2014/lesechos.fr/0203508632953_economie-du-partage---les-limites-d-une-

utopie.htm#ETk1ALiSldmPxFs4.99 91

Colin, Nicolas, Verdier, Henry, L’âge de la multitude, Paris : A. Colin, 2011.

Page 23: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

23

services »92

. Pourtant, l’économie collaborative n’est pas l’objet disruptif qui modifie la

nature intrinsèque de la relation de travail mais un courant émergent qui ne fait que s’appuyer

sur une crise préexistante du salariat pour proposer une solution alternative.

B. La crise du modèle traditionnel du travail

Si l’économie collaborative a connu un tel essor, notamment en France, c’est parce qu’elle a

offert de nouvelles méthodes et modalités de travail. En effet, le contrat à durée indéterminée

longtemps posé en modèle absolu est de plus en plus difficile à obtenir et se révèle finalement

peu adapté aux évolutions sociales et économiques actuelles (a.). Le travail indépendant est

notamment de plus en plus plébiscité et ce, quel que soit le secteur ou le pays (b). En

proposant une des plateformes d’intermédiations simples à utiliser et mettant à la disposition

des professionnels un brand nombre de demandeurs, les « start-up » de l’économie

collaborative ont accompagné cet essor de l’entreprenariat (c).

a. La remise en cause du modèle du salariat

Le travail stable et à temps plein, exercé par le biais d’un contrat de travail à durée

indéterminée, est la norme depuis les Trente Glorieuses93

. Mais, avec la crise économique et

afin de survivre dans un contexte difficile, les entreprises ont été contraintes de faire appel à

des formes alternatives d’emploi, plus précaires, s’éloignant ainsi du modèle du CDI. Depuis

les années 1980, la question de la précarité devient centrale avec l’accroissement du taux de

chômage et du recours au contrat à durée déterminée94

.

92

Menasce, David, « Le succès de l’économie collaborative, miroir de la crise des emplois peu qualifiés »,

L’Opinion, 2 septembre 2015. 93

Fourastié, Jean, Les Trente Glorieuses ou la Révolution invisible de 1946 à 1975, Paris : Fayard, 1979. 94

Chauvin, Sandrine, « Les CDD, toujours plus nombreux et de plus en plus courts », Capital, 17 septembre

2014 : http://www.capital.fr/carriere-management/actualites/les-cdd-toujours-plus-nombreux-et-de-plus-en-plus-

courts-962349

Page 24: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

24

Ce recours aux contrats précaires a nécessairement eu pour conséquence une transformation

du modèle même du salariat : alors que le contrat de travail était unanimement analysé et vécu

par le quasi-prisme du fonctionnariat, les employés ont été confrontés à l’insécurité dans leur

relation de travail. Le sociologue Patrick Cingolani évoque les nouvelles formes de lutte et

explore les micro-résistances qui viennent s’exprimer dans ce contexte de précarité

généralisée. La société du CDI pour tous95

, anciennement espérée et érigée en idéal, fait

aujourd’hui débat. « Les revendications qui ont caractérisé le mouvement ouvrier et les

appareils syndicaux leur paraissent obsolètes. Ils revendiquent moins l’augmentation du

pouvoir d’achat que l’augmentation d’un pouvoir de vivre et de réalisation que ne satisfait pas

la consommation »96

. Le mythe de l’épanouissement dans l’entreprise s’effrite. Une partie de

la jeunesse, davantage diplômée, aspire à se réaliser, à innover et se sent à l’étroit dans un

cadre formaté au sein duquel elle doit subir contrôle et relations de subordination. Si la

précarité est subie par un grand nombre de salariés, elle est au contraire vécue par certains

comme l’opportunité de lutter contre l’aliénation du travail et de créer un nouveau référentiel.

On parle de job out pour évoquer le renoncement à un emploi stable au profit de projets

individuels et personnels97

. C’est hors du schéma classique du CDI à temps plein que

95

L’article L. 1221-2 du code du travail dispose que « Le contrat de travail à durée indéterminée est la forme

normale et générale de la relation de travail ». 96

Cingolani, Patrick, Révolutions précaires. Essai sur l’avenir de l’émancipation, Paris : La découverte, 2014. 97

Gauthey, Marc-Arthur, « Ces jeunes qui partent en courant », magazine.ouishare.net, février 2015 :

http://magazine.ouishare.net/fr/2015/02ces-jeunes-talents-qui-partent-en-courant

Page 25: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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pourraient s’exprimer les talents, à l’aide des nouveaux outils, notamment numériques, mis à

leur disposition, la « customisation de masse » ayant remplacée la « production de masse »98

.

Le salariat peut ne plus être ressenti comme un vecteur d’émancipation mais au contraire

comme une forme moderne et adoucie d’esclavage99

. Il est d’ailleurs, selon la définition

même consacrée par la Cour de cassation, « une convention par laquelle une personne

s'engage à travailler pour le compte d'une autre et sous sa subordination moyennant une

rémunération »100

.

Le salariat connait ainsi une véritable crise structurelle101

qui semble irréversible selon de

nombreux observateurs102

en raison, d’une part de l’émergence de la robotisation et de

l’automatisation, et d’autre part des aspirations des nouvelles générations, attirées par des

nouvelles formes d’emploi plus autonomes. Toutefois, il convient de relativiser l’analyse afin

de ne pas confondre crise du salariat et crise du travail. En effet, le travail ne peut être réduit à

la seule forme historique récente, c’est-à-dire l’emploi salarié à temps plein. La forme salariée

doit au contraire être analysée comme une modalité d’exercice du travail, privilégiée dans les

sociétés industrielles depuis le XIXe siècle mais qui peut être supplantée si elle n’est plus en

cohérence avec le contexte économique103

. Dès lors que le cadre institutionnel opère une

assimilation - voire une confusion - entre l’emploi et le travail salarié, toutes les autres formes

d’emploi sont exclues de la régulation et viennent concurrencer, par leur souplesse

notamment, le salariat, qui perd en attractivité tant pour les employeurs que pour les

travailleurs104

. Pour certains, c’est par une mauvaise analyse que les commentateurs ont

diagnostiqué une crise du travail. L’économiste Thomas Philippon relève ainsi que les

tentatives de démonstration d’une crise du travail sont souvent infondées. Si l’accent est

souvent placé sur les contraintes posées par le droit du travail ou le montant des charges

sociales, ces facteurs de blocage ne sont en réalité que marginaux et ne peuvent, seuls,

98

Mathieu, Béatrice, « Un monde du travail en mutation », L’expansion, novembre 2015. 99

En ce sens voir : Graeber, David, Dette, 5000 ans d’histoire, Arles : Les liens qui libèrent, 2013 ; Scholtz,

Trebor, « Platform cooperativism vs the Sharing Economy », décembre 2014 :

https://medium.com/@trebors/platform-cooperativism-vs-the-sharing-economy-2ea737f1b5ad#.qzz8xrd41 100

Cass. 22 juillet 1954, Bull. civ. IV n°576, voir aussi Cass. soc., 10 juill. 2002, n°00-42.734 ; Cass. soc., 6 oct.

2010, n°08-44.987. 101

Filippova, Diana, « La crise du Salariat aura-t-elle lieu ? », magazine.ouishare.net, 15 octobre 2015 :

http://magazine.ouishare.net/fr/la-crise-du-salariat-aura-t-elle-lieu 102

Voir notamment : Filippova, Diana, Société collaborative, la fin des hiérarchies, Paris : Rue de l’échiquier,

2016. 103

Supiot, Alain, Critique du droit du travail, Paris : PUF, 2007. 104

Travail Emploi Numérique : Les nouvelles trajectoires numériques, Rapport remis à la Ministre du Travail,

de la Formation Professionnelle et du Dialogue social, janvier 2016.

Page 26: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

26

expliquer des taux d’emplois des vingt pays les plus industrialisés variant de 25 à 30%. De

même, la prétendue crise de la valeur-travail au profit d’une société de loisirs composée

d’individus peu enclins à d’adapter au changement et à la flexibilité est réfutée par une

enquête du World Value Survey (WVS)105

qui ne place pas la France dans la catégorie des

pays réfractaires au travail. En réalité, la transformation de l’emploi dont nous sommes

témoins est une crise des valeurs collectives : il s’agit d’une crise non pas du désir individuel

de travailler, mais de la capacité à travailler ensemble106

. Les salariés, n’acceptant plus le

« compromis fordiste »107

des Trente Glorieuses, se détachent de l’entreprise qui les emploie

et qui ne leur garantie plus les acquis sociaux et se tournent vers d’autres modèles d’emploi.

b. Le développement exponentiel du travail indépendant

L'essor des nouvelles formes de travail se généralise au sein de l’ensemble des pays

européens108

qui voient l’émergence d’une multiplicité de statuts. Un travailleur sur six en

Europe est indépendant. Dans la multitude de modèles qui coexistent, quatre statuts se

distinguent : les personnes physiques qui créent leur entreprise et offrent des services à

d'autres entités économiques, les personnes physiques qui utilisent des formules de partenariat

civil entre elles en vue de conduire une activité économique mais sans que ce partenariat ne

crée de lien de subordination, les professions libérales et, enfin, les personnes physiques qui

conduisent des activités au profit exclusif d'une autre entité109

. Le développement des

systèmes d’information et plus largement du numérique ont radicalement transformé

l’économie et la structure du travail. De nouveaux métiers émergent, qui peuvent être

effectués en autonomie et à distance, depuis n’importe quel ordinateur connecté et sont

réalisés par des individus autodidactes. On assiste à un phénomène d’externalisation de la

production et à une nouvelle manière de créer de la valeur ajoutée, non subordonnée à

l’existence d’une structure formelle et hiérarchisée. Cette évolution du mode de production,

105

Bigot, Régis, Daudey, Emilie, Hoibian, Sandra, « Les Français veulent vivre plus intensément »,

Consommation et modes de vie, CREDOC, n° 268, juillet 2014. 106

Philippon, Thomas, Le Capitalisme d'héritiers. La crise française du travail, Paris : Seuil, 2007. 107

Bigard, Philippe, « Nous sommes à l’apogée de la crise du salariat », Usinenouvelle.com, 15 mars 2011 :

http://www.usinenouvelle.com/article/nous-sommes-a-l-apogee-de-la-crise-du-salariat.N153773 108

Etude effectuée pour le Parlement Européen par l’Université Européenne du travail et Labour Asociados :

http://www.europarl.europa.eu/activities/delegations/studies/download.do?file=23224 109

Triomphe, Claude Emmanuel, « L’essor du travail indépendant en Europe – un défi pour le droit du travail »,

Retranscription d’une présentation orale faite à la DRTEFP Ile de France le 23 septembre 2008.

Page 27: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

27

combinée à la défiance croissante envers l’entreprise traditionnelle, pousse de nombreux

travailleurs à oser l’aventure du travail indépendant et de la création d’un projet individuel.

En France, cet attrait pour le travail indépendant a été encouragé par la création du statut

d’autoentrepreneur en 2008110

, bénéficiant de formalités allégées et d’un régime fiscal et

social avantageux, améliorant également la protection de l’entrepreneur individuel. Ce régime

devait corriger les freins administratifs à l’entreprenariat en accordant aux personnes

souhaitant se mettre « à leur compte » divers avantages en termes de création, de gestion et de

cessation d'une activité en nom propre. Un an après l’entrée en vigueur du régime, l’Agence

Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS) dénombrait déjà 338 000

bénéficiaires, pour un chiffre d’affaires global approchant un milliard d’euros en 2009111

. Ce

statut, quoique large dans son champ d’application puisqu’il vise tant les ventes de biens que

les prestations de service, ne bénéficie qu’aux entrepreneurs respectant des seuils de chiffre

d’affaires hors taxes strictement définis : 82 200 € pour les activités de vente de

marchandises, d'objets, de fournitures de denrées à emporter ou à consommer sur place et les

prestations d'hébergement (hôtels, chambres d'hôtes, meublés de tourisme) et 32 900 € pour

les autres prestataires de services relevant des bénéfices industriels et commerciaux et les

professionnels libéraux relevant des bénéfices non commerciaux. Ce régime, par son cadre

juridique, ne vise donc que les travailleurs individuels, exerçant hors de toute société et

débutant leur activité ou s’inscrivant dans une démarche de multi-activités, les seuils étant

relativement bas.

Face à l’engouement pour ce statut et afin de continuer à stimuler l’entreprenariat, les

gouvernements successifs ont modifié le régime pour tenter de le rendre toujours plus attractif

et pour lutter contre les accusations notamment de concurrence déloyale de ces entrepreneurs

individuels à l’égard des sociétés commerciales supportant des charges sociales, fiscales et

administratives plus lourdes. Ainsi la loi du 18 juin 2014 dite loi Pinel112

élargit le bénéfice du

dispositif de prélèvement libératoire auquel avaient accès les autoentrepreneurs à l’ensemble

des « microentreprises », regroupées sous le terme d’« entreprise individuelle », afin de mettre

fin aux distorsions de traitement en matière de cotisations. Toujours dans une perspective

d’élargissement du champ d’application du régime, le projet de loi Sapin 2 relatif à la

110

Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, chapitre premier. 111

Communiqué de presse ACOSS, « La mise en place de l’auto-entrepreneur, bilan au 31 octobre 2010 ». 112

Loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises.

Page 28: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

28

transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

envisage d’assouplir les règles en cas de franchissement des seuils par les microentreprises en

phase de croissance. Ainsi, l’article 37 du projet permettrait de bénéficier du régime de la

microentreprise pendant l’année de dépassement et les deux années suivantes à condition de

ne pas dépasser le double des seuils de chiffre d’affaires chaque année (le ministre de

l’économie Emmanuel Macron, dans ce qui devait être le projet de loi dite Noé113

, souhaitait

aller jusqu’au triple des seuils fixés).

c. Le rôle de l’économie collaborative dans l’accélération de la transformation du travail

Plus encore que l’explosion du travail indépendant, le phénomène de la pluriactivité marque

le monde du travail contemporain. Elle concerne 2,3 millions d’actifs en France contre un

million il y a dix ans114

. Au cours de cette dernière décennie, l’apparition des plateformes est

venue à la fois amplifier et transformer le développement du travail indépendant. Elles

réduisent encore davantage le recours aux structures de marché classique en simplifiant la

communication et l’interaction entre l’entrepreneur individuel ou le particulier offreur et le

demandeur du bien ou service. Elles offrent aux utilisateurs et aux travailleurs indépendants

une relation horizontale, non hiérarchique, qui réduit au minimum le nombre d’intermédiaires

entre les parties, soit exactement ce dont ils sont privés dans une relation fondée sur un contrat

de travail. Conjuguées aux règles relatives aux microentreprises, elles réduisent de façon

drastique les barrières à l’entrée et à la sortie. En effet, le travailleur indépendant peut décider

quasi-instantanément de pénétrer sur le marché pour y proposer ses biens ou services. De

même, s’il n’y obtient pas le succès escompté, il peut cesser son activité sans engager de

frais : les désinscriptions sont en principe gratuites et aucune taxe ou charge n’est due en

microentreprise en l’absence de réalisation de chiffre d’affaires. Cette facilité offerte par la

plateforme pousse les individus dotés d’un goût pour l’entreprenariat ou souhaitant

simplement bénéficier de revenus complémentaires à diversifier et multiplier leurs activités

professionnelles. Le statut de travailleur indépendant et l’économie de plateformes semblent

dès lors extrinsèquement liés. Si la France dispose d’une place de leader en matière

d’économie collaborative, c’est notamment grâce à l’existence du statut dérogatoire

d’entreprise individuelle.

113

Projet de loi pour favoriser les nouvelles opportunités économiques. 114

Carrère-Gée, Marie-Claire, « L’Uberisation du travail est déjà partout », Le Monde Economie, 5 novembre

2015.

Page 29: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

29

Ainsi et comme soulevé dans le rapport du Conseil d’analyse économique sur l’économie

numérique115

, « l’avantage organisationnel du salariat est affaibli par le passage à une

économie de plateformes où l’accès aux données, leur circulation, la réputation, et le poids

des actifs immatériels sont des ressources cruciales justement polarisées par des plateformes

qui occupent des positions dominantes, en se plaçant au sommet des chaînes de valeur, c’est à

dire entre les producteurs et leurs consommateurs ». L’économie collaborative s’inscrit ainsi

parfaitement dans la crise que connait le salariat et profite de cette période de transition, de

restructuration du travail pour imposer son modèle. Elle n’est ainsi qu’une conséquence,

certes opportuniste, d’un mouvement sociétal de fond et non à l’origine de la transformation

des pratiques. Elle se positionne en accélérateur de la tendance et non en initiateur du

bouleversement. Pourtant, elle demeure contestée en ce qu’elle constituerait une menace sur

le salariat. Sans cadre légal et de par la structure horizontale qu’elle propose, l’économie

collaborative pourrait permettre à l’apporteur de services d’exercer son activité sans

immatriculation et sans déclarer les sommes perçues dans le cadre de son activité. Les

plateformes seraient ainsi réfractaires à tout cadre juridique116

. Cette analyse ne saurait

perdurer lorsque l’on replace l’émergence des « start-up » de l’économie collaborative dans

un cadre plus large. Les plateformes sont elles-mêmes des sociétés commerciales qui ont

besoin, dans des perspectives de croissance (levées de fonds, rachat…) d’un cadre

juridiquement rassurant pour les investisseurs. En outre, lorsqu’elles mettent en relation un

professionnel avec un demandeur, le statut de la microentreprise permet à cet entrepreneur

individuel d’obtenir rapidement un statut adéquat et de déclarer ses revenus. Ainsi, les

plateformes comme les professionnels y exerçant ont tout intérêt à régulariser leur activité et

disposent de tous les outils pour offrir un cadre légal cohérent aux demandeurs de biens et

services. C’est d’ailleurs aux acteurs de l’économie collaborative de confirmer, dans les mois

et années à venir, qu’ils sont des vecteurs de bonne conduite en matière d’entreprenariat

individuel.

C. L’émergence d’un nouveau modèle économique durable

115

Rapport remis à la Ministre de l’Emploi, de la Solidarité et du Dialogue social, janvier 2016 : http://travail-

emploi.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_cnnum_travail_version_finale.pdf 116

Thiébart, Patrick (Jeantet Associés), Propos recueillis par Gradt, Jean Michel, « Ubérisation de l’économie :

le cadre juridique doit évoluer pour s’adapter », Les Echos, 8 juillet 2015.

Page 30: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

30

Plus qu’un secteur d’activité, l’économie collaborative peut être qualifiée de nouveau modèle.

En effet, elle marque le passage d’une économie basée sur la propriété à un système dans

lequel l’utilisation du bien prévaut (a.). Ainsi, elle intervient dans différents marchés au sein

desquels elle est plus ou moins développée (b.). En cela et si elle apparaît aujourd’hui comme

incontournable au sein de l’économie mondiale, elle n’a pourtant pas encore atteint un niveau

de viabilité certaine et son développement pourrait être ralentie si les « start-up » n’atteignent

pas rapidement un niveau de rentabilité satisfaisante et si les pouvoirs publics ne mettent pas

en place un encadrement satisfaisant (c.).

a. Un modèle marqué par la diversification des sources de rendement, complémentaire à

l’économie traditionnelle

L’économie collaborative s’appuie sur une mutualisation des biens, des espaces et des outils

et encourage l’usage plutôt que la possession, dans la logique de l’économie du partage117

afin

d’optimiser les ressources disponibles. L’accès aux biens et services devient plus important

que leur possession. L’économie devient « intrinsèquement tournée vers le partage »118

.

L’émergence de l’économie collaborative a donc profondément modifié le rapport à la

possession. Cette prédominance de la valeur de l’usage existait avant l’essor de l’économie

collaborative. Aristote énonçait déjà, il y a 2500 ans, que « la richesse consiste bien plus dans

l’usage qu’on en fait que dans la possession »119

. Toutefois, au sein des sociétés modernes, le

partage de ressources était largement limité à une « économie de la fonctionnalité » observée

dans les rapports entre professionnels. Les particuliers étaient alors trop attachés à la propriété

et la possession de biens matériels, facteur de différenciation et révélateur de statut social120

.

L’objectif économique devient, avec l’avènement des plateformes numériques de mise en

relation, la création d’une valeur d’usage maximale pendant le plus longtemps possible.

Toutefois, ce changement de paradigme ne vient pas en opposition avec le modèle

économique classique. En effet, de façon traditionnelle, la motivation de tout individu

acquérant un bien est de pouvoir en user, personnellement ou par autrui. Ainsi, la possession,

117

Portier, Philippe, « Economie collaborative : la solution n’est pas un excès de réglementation », Le Monde, 3

novembre 2015 : http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/11/03/economie-collaborative-la-solution-n-est-pas-

dans-un-exces-de-reglementation_4802471_3232.html 118

Duthoit, Aurélie, Petit manuel d’économie collaborative à l’usage des entreprises, Paris : Eyrolles, 2015. 119

Aristote, L’éthique de Nicomaque, 350 av. JC. 120

Lenoir, Rémi, « Espace social et classes sociales chez Pierre Bourdieu », Sociétés & Représentations, n° 17,

2004.

Page 31: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

31

qui permet par définition l’accès, ne s’oppose pas à l’usage121

. Le changement vient en réalité

plutôt de la facilité avec laquelle sont mis en relation les offreurs et les demandeurs.

L’économie numérique se distingue par l’importance des phénomènes de rendements

croissants qui sont accentués par les effets de réseau : la qualité du service offert dépend du

nombre d’utilisateurs122

.

Les synergies entre économie collaborative et économie classique devraient s’accentuer afin

de créer un maillage cohérent au bénéfice des utilisateurs. L’arrivée à maturité des nouveaux

acteurs devrait les conduire à conclure des partenariats avec les entreprises traditionnelles et à

s’appuyer sur plusieurs services d’appui transverses. En effet, malgré les actuelles oppositions

entre les modèles, il existe une véritable complémentarité entre économie traditionnelle et

économie collaborative dès lors que les plateformes interviennent sur des marchés non

couverts par les entreprises classiques123

. En effet, si les « start-up » de l’économie

collaborative se sont développées dans un premier temps selon une stratégie dite « Océan

Bleu », du nom de l’étude de Monsieur Chan Kim et Madame Mauborgne124

, en créant une

nouvelle demande dans un espace stratégique non contesté, les affrontements récents avec des

fournisseurs existants au sein de marchés proches rendent leur environnement plus

concurrentiel et les obligent à s’adapter125

. En effet, si les « start-up » ont réussi à largement

réduire la valeur de l’offre concurrente, elles n’ont pu l’éliminer. Ainsi, la seule innovation

qui crée de la valeur pour le client en présentant une offre disruptive ne suffit plus et doit

désormais s’accompagner de services empruntés à l’économie traditionnelle. C’est

notamment le cas dans le secteur des transports, au sein duquel les partenariats entre les

sociétés d’assurance et les plateformes ne cessent de se développer.

Contrairement aux scénarios pessimistes qui prédisent une « ubérisation » globale de

l’économie et de la société, cette complémentarité entre les modèles devrait en réalité

bénéficier aux deux systèmes par capillarité des valeurs ajoutées de chacun.

121

http://www.mutinerie.org/usages-et-possessions/#.VxjRcDCLSUk 122

Colin, Nicolas, Mohnen, Pierre, Perrot, Anne, « Economie numérique », Les notes du conseil d’analyse

économique, n° 26, Octobre 2015. 123

Masse David, Borel, Simon, Demailly, Damien, « Comprendre l’économie collaborative et ses promesses à

travers ses fondements théoriques », Nouvelles prospérité, n° 5, juillet 2015. 124

Kim, W. Chan et Mauborgne, Renée, « Blue Ocean Strategy », Harvard Business Review, 2005. 125

C’est par exemple le cas des conflits entre Uber et taxis et entre les syndicats hôteliers et AirBnb.

Page 32: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

32

b. Un secteur économique composé de marchés très différents selon leur niveau de

maturité

Le marché de l’économie collaborative n’est pas uniforme et est au contraire composé de

secteurs aux degrés de maturité divers. Toutefois, il est possible de regrouper les différentes

activités en quatre groupes homogènes ayant des caractéristiques communes en termes de

structuration et de dimensionnement de marché, d’intensité concurrentielle et de

positionnement des acteurs126

.

Le premier groupe, composé des activités « se financer », « se loger » et « se déplacer » est

composé de marchés matures, à forte intensité concurrentielle. Le nombre d’acteurs est très

élevé (la moitié des « start-up » du secteur collaboratif) et chaque société doit se différencier

par rapport à ses concurrents afin de conserver sa position sur le marché. Les efforts consacrés

à l'innovation sont essentiels en ce qu’ils doivent permettre à chaque acteur de ne pas se

laisser distancer par ses concurrents. Pour les consommateurs, la démarche d’achat de biens

ou services est devenue une pratique courante et n’est plus ressentie comme novatrice. Si la

concurrence y est très forte, le potentiel du marché demeure important et la demande élevée.

126

DGE, PICOM (Nomadéis, TNS Sofres), « Consommation collaborative : perceptions, motivations et

pratiques des Français », novembre 2014.

Page 33: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

33

On assiste dès lors à une véritable course à la spécialisation et à la différenciation menée par

les « start-up » qui contribue à l'équilibre dynamique du marché127

. On y observe des

stratégies de développement très différentes avec d’une part les sociétés cherchant à investir

les secteurs de niche à forte valeur ajoutée et d’autre part des acteurs misant sur le volume

d’activité.

Les secteurs « s'équiper » et « se nourrir » sont composés de marchés à tendance

oligopolistique voire monopolistique, dominés par des acteurs incontournables détenant une

part de marché très importante. Ceux-ci proposent une offre diversifiée répondant à un panel

de demandes variées, émanant d’une clientèle hétérogène. Toutefois et même si la

concurrence y demeure imparfaite, ces marchés voient l’arrivée de nouveaux acteurs, très

spécialisés, qui viennent proposer des produits et services de niche et contrent ainsi les

stratégies des majeurs du secteur. Dans le secteur « s’équiper », on voit notamment

l’émergence de Zilok, spécialisé dans la location de matériel, qui vient contrarier la position

de leader de ParuVendu et de Leboncoin sur ce segment. De même et concernant le secteur

« se nourrir », Colunching organise non pas un approvisionnement en produits alimentaires

mais permet l’organisation de repas collectifs par les particuliers. On observe ainsi une

autorégulation des marchés au sein desquels la concurrence s’accroît.

Le groupe composé des secteurs « se faire aider » et « s’habiller » est en phase de croissance.

Les marchés y sont encore atomisés et les acteurs ont pour premier objectif de pousser les

consommateurs à s’intéresser à leur modèle d’activité et leurs offres. Pour cela, les

plateformes multiplient les services pour rassurer les acheteurs. C’est par exemple le cas de

Collector Square, plateforme de vente de montres et maroquinerie de luxe, qui propose

notamment un service d’expertise aux vendeurs afin d’assurer aux acheteurs l’authenticité des

produits. Par ailleurs, les « start-up » de ce secteur doivent supporter la concurrence des

acteurs « généralistes » d’autres secteurs d’activités, intervenant à titre principal sur le marché

« s’équiper » (notamment Leboncoin, qui devient de plus en plus une plateforme d’offre de

prestations de services, souvent non déclarées et donc très bon marché). Afin de se

développer et devenir rentables, ces acteurs devront non plus viser seulement les

« précurseurs enthousiastes » attirés par l’innovation, mais également les « imitateurs

127

Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des Mutations économiques (PIPAME), Prospective,

Enjeux et perspectives de la consommation collaborative, juin 2015.

Page 34: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

34

pragmatiques » qui ne se lancent dans le processus d’achat que s’ils sont assurés de la fiabilité

du produit ou du service vendu128

.

Enfin, les secteurs « se divertir », « transporter » et « stocker des objets » sont en phase de

démarrage et les marchés sont encore à la recherche d’une masse critique de consommateurs

et d’un modèle économique pertinent. Si l’innovation technique a créé un embryon de

marché, les ventes qui y interviennent ne permettent pas encore d’assurer une rentabilité

financière suffisante à assurer la viabilité et la pérennité de l’ensemble des acteurs. L’absence

de cohérence entre les offres proposées par les acteurs a pour effet d’induire une confusion

dans l’esprit des acheteurs et de freiner le développement des marchés.

Malgré ces différences, les marchés encore jeunes de l’économie collaborative sont tous en

phase de structuration et on y observe différentes stratégies de croissance interne et externe

telles que la spécialisation, la diversification, l’internationalisation et la concentration, qui

devraient assurer la pérennité du secteur.

c. Une viabilité encore en question des marchés en cause

Si le secteur de l’économie collaborative voit l’émergence de « start-up » emblématiques

attirant de nombreux investisseurs, aucune d’entre elles ne revendiquait l’équilibre en mars

2015. La pérennité des marchés en cause dépend donc encore de la capacité de ses acteurs à

atteindre la rentabilité. A défaut, les investisseurs sur lesquels est actuellement basée la

croissance des marchés pourraient se lasser. Leur désengagement avant l’atteinte de la taille

critique mettrait en danger le secteur. D’après les travaux du PIPAME129

, le secteur devrait se

labelliser et se diriger vers une normalisation progressive de l’offre. L’amélioration de la

transparence des acteurs et la conformité des pratiques à des normes de sécurité et de qualité

sont en effet des éléments essentiels pour rassurer les utilisateurs sur le long terme et passer

d’une phase de développement à une phase de maturité. Toutefois, l’évolution du secteur

dépend largement de facteurs macroéconomiques, de l’évolution des habitudes de

consommation et de la variation de l’offre.

128

Floricel, Serghei, « Comprendre la dynamique des marchés », Stratégie comme levier dynamique. Description

du projet de recherche, ESG-UQAM : http://gpi.uqam.ca/upload/files/PDF_fr/Theme_8_Comprendre_la_dynamique_des_march_s.pdf 129

Pôle interministériel de prospective et d'anticipation des mutations économiques.

Page 35: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

35

Dans un premier scenario tendanciel dit « transition », la crise économique se poursuit et

modifie en profondeur le modèle économique traditionnel. Les individus sont demandeurs de

sources de revenus complémentaires et d’alternatives de consommation moins couteuses. Le

nombre d’acteurs de l’économie collaborative croit rapidement, tant du côté de l’offre que de

la demande. Les pouvoirs publics n’ont d’autre choix que de prendre en considération cette

mutation et régulent le secteur pour apaiser les nombreux rapports de force. Les marchés

deviennent de plus en plus concurrentiels, ce qui entraîne l’impossibilité de se maintenir pour

tout offreur non performant. Les « start-up » se concentrent pour s’assurer des parts de

marché confortables permettant leur survie.

Le deuxième scénario dit « synergie », quoique basé sur des perspectives macroéconomiques

similaires, diffère en ce que la mutation du contexte économique ne crée par un

bouleversement des habitudes de consommation. Des rapprochements entre acteurs

conventionnels et alternatifs s’effectuent alors, accompagnés par les pouvoirs publics qui

encouragent ces convergences, associations voire fusions. L’économie collaborative s’intègre

alors à l’offre traditionnelle existante.

Enfin, au contraire, le schéma « bulle » pose le postulat d’une amélioration de la conjoncture

économique. Les consommateurs retrouvant un pouvoir d’achat plus important, ils se

détachent des plateformes et renouent avec la propriété. Ce désaveu résulte notamment du

manque d’application des plateformes quant à la qualité des services proposés. Parallèlement,

les pouvoirs publics mettent en place des mesures strictes pour encadrer et contrôler les

nouveaux entrants.

Malgré ces modèles théoriques - notamment celui du schéma « bulle » - et au vu des

perspectives macroéconomiques à court terme, l’économie collaborative ne tend donc pas à

disparaître et ses acteurs apparaissent comme les principaux moteurs du développement du

marché. En effet, ce n’est qu’en garantissant des prestations de qualité, dans un secteur

structuré et régulé, que ces sociétés innovantes pourront s’épanouir et atteindre un niveau de

viabilité et de rentabilité satisfaisant. Pour cela, la mise en place d’un cadre juridique cohérent

pourrait être un vecteur de développement pour les « start-up » du secteur. Des normes

efficaces pourraient ainsi rassurer les consommateurs quant à la qualité de l’offre et la

Page 36: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

36

transparence des acteurs. Corrélativement, un encadrement dynamique mais non équivoque

permettrait aux « start-up » et aux investisseurs d’opérer en connaissance de cause et de faire

des choix stratégiques à long terme, chose aujourd’hui impossible tant les réglementations

sont changeantes.

II. La clarification nécessaire de l’environnement juridique de l’économie

collaborative

Pour accompagner le développement de l’économie collaborative, il est essentiel de proposer

aux « start-up » un cadre juridique clair et cohérent qui fait défaut aujourd’hui. En effet, en

l’absence tant de textes spécifiques que de jurisprudences suffisantes, celles-ci sont placées

dans une incertitude réglementaire, vecteur d’insécurité juridique (A.). Par ailleurs et s’il faut

saluer les réformes récentes qui démontrent une prise de conscience des pouvoirs publics, ces

dernières ne constituent que les prémices d’un régime qui doivent encore être complétés et

précisés (B.).

A. Un manque prégnant de sécurité juridique

La réglementation de l’économie traditionnelle s’adapte mal aux spécificités des plateformes.

Le droit du travail notamment ne permet pas de qualifier de façon satisfaisante les relations

entre les acteurs et le contrat liant la plateforme aux offreurs professionnels (a.). De même, si

les acteurs traditionnels sollicitent l’application du droit de la concurrence pour faire cesser

une prétendue concurrence déloyale, les textes applicables en la matière ne sont ni réellement

suffisants pour protéger le bon exercice de la concurrence ni pour assez clairs pour garantir

aux « start-up » que les éventuelles actions n’aboutiront pas (b.). Enfin, malgré sa qualité de

tiers au contrat principal de vente ou de prestation de service, les intervenants pourraient être

tentés de chercher la responsabilité de la plateforme en cas de difficultés dans son

exécution (c.).

a. Le risque de requalification des contrats de prestation de service

Si, comme précédemment développé, le statut de travailleur indépendant est de plus en plus

attractif notamment pour les professionnels exerçant leur activité par le biais de plateformes,

Page 37: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

37

il est toujours tentant, lors de la rupture de la relation commerciale, d’invoquer le statut du

salarié pour prétendre au bénéfice des conséquences financières d’un licenciement. En effet,

le juge n’est pas tenu par la qualification donnée par les parties au contrat et peut requalifier la

relation s’il estime que le contrat cache une réalité différente de celle affichée. Le code du

travail prévoit expressément la possibilité de requalification pour les prestataires inscrits au

registre du commerce et des sociétés ou au registre des métiers130

. Dès 2010, la question de

l’utilisation abusive du statut d’autoentrepreneur était soumise au gouvernement qui rappelait

que le statut nouvellement créé « n’a nullement été conçu pour couvrir l’externalisation

abusive de salariés ou le recrutement de faux indépendants » et que « le contrat entre

l’autoentrepreneur et son donneur d’ordre peut, sous réserve de l’interprétation souveraine du

juge civil ou pénal, être requalifié en contrat de travail »131

. En 2013, le gouvernement avait

de nouveau l’opportunité de rappeler qu’« une activité indépendante se caractérise

essentiellement par le fait que son auteur a pris librement l'initiative de la créer ou de la

reprendre, qu'il conserve, pour son exercice, la maîtrise de l'organisation des tâches à effectuer

et du matériel nécessaire, ainsi que de la recherche de la clientèle et des fournisseurs »132

.

Ainsi, dès lors que le travailleur indépendant démontrera que la relation qui l’unit à la « start-

up » mettant à sa disposition la plateforme par lequel il propose ses biens ou services remplit

les critères jurisprudentiels du contrat de travail, il pourra prétendre à la requalification de son

contrat. Pour cela, il devra présenter au juge un faisceau d’indices suffisant à établir

l’existence d’un lien de subordination permanent, impliquant un travail sous l’autorité et le

contrôle d’un cocontractant à même de sanctionner tout manquement éventuel133

.

130

Article L. 8221-6 du code du travail : « Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat

de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription es personnes physiques

immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents

commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales

pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales […].L'existence d'un contrat de travail peut

toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne

interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination

juridique permanente à l'égard de celui-ci ». 131

Question écrite n°76 823 de M. Liegbott ; Réponse ministérielle publiée au JO le 12/10/2010 page 11146. 132

Question écrite N°7103 de M. Christian Estrosi ; Réponse ministérielle publiée au JO le 06/08/2013 page

8534. 133

Cass. Soc., 19 mars 2009, n°07-44.760 : « Mais attendu que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni

de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des

conditions de fait, dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs ; que le lien de subordination est

caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des

directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements et que l'intégration dans un service

organisé constitue un indice du lien de subordination lorsque les conditions de travail sont unilatéralement

déterminées par le cocontractant ».

Page 38: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

38

Les « start-up » de l’économie collaborative doivent dès lors se montrer extrêmement

prudentes quant à la définition de leurs relations avec les prestataires professionnels. Pour

éviter toute requalification, la plateforme devrait ainsi s’assurer que le prestataire est libre

d’accepter ou non une prestation et s’interdira de lui donner toute instruction précise. De

même, elle évitera soigneusement d’exercer tout pouvoir de sanction à l’encontre du

prestataire134

. Cette exigence est d’autant plus délicate à mettre en œuvre que le contrôle de

l’offre proposée par le biais de sa plateforme est la clé même du succès de ces « start-up ».

Sans prestation de qualité et environnement cohérent proposé au client, la plateforme risque

de renier son business modèle, notamment au sein des secteurs de niche dans lesquels la

demande est exigeante. Il y a donc une véritable tentation d’encadrer l’activité des

prestataires.

C’est sur ce contrôle de la qualité de la prestation de services délivrée par le

travailleur indépendant que se fondent actuellement les recours engagés contre la société

Uber. En juin 2015, une première décision reconnait, aux Etats-Unis, le statut de salarié à un

chauffeur au motif que la société décide seule du montant des courses, peut facturer des frais

en cas de refus des courses et suspendre et désactiver les comptes des chauffeurs en cas

d’évaluation négative des clients135

. Suite à cette décision et pour mettre fin aux deux actions

de groupe (« class action ») menées par 385 000 chauffeurs qui y succèdent, la société accepte

de signer un protocole transactionnel de plus de 100 millions de dollars136

. Suite à ces

décisions, le conseil de prud’hommes de Paris a été saisi de la question et un appel a été lancé,

soutenu par le barreau de Paris, pour l’organisation d’une action de groupe contre la société

Uber pour que soient requalifiés les contrats de ses prestataires en France137

.

Ainsi, il existe actuellement une réelle insécurité sur la qualification juridique de la relation

entre la plateforme et les prestataires de services. Il n’est pas ici contesté que les « start-up »

doivent préserver l’autonomie et l’indépendance des différents acteurs, essence même de

l’économie collaborative. Toutefois, il semble également essentiel que la loi évolue pour

134

Thiébard, Patrick, Follorou, Jean-Guillaume, Georges, Pascale, « L’économie collaborative rattrapée par la

loi », Le Monde, 8 juillet 2015. 135

Labor Commission of the State of California, 17 juin 2015, Barbara Ann Berwick vs Uber Technologies Inc

et Raiser – CA LLC. 136

Guichard, Catherine, « Travail. Uber : 100 millions de dollars pour clôturer des ennuis judiciaires », Courrier

International, 22 avril 2016. 137

http://www.avocats-actions-conjointes.com/chauffeurs-uber-la-reconnaissance-du-statut-de-salarie

Page 39: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

39

prendre en considération les nouvelles caractéristiques d’une économie en pleine mutation138

.

Interdire à une « start-up » de contrôler les prestations commercialisées sous sa marque et par

son biais revient en effet d’une part à refuser de protéger le consommateur contre des

pratiques déceptives et d’autre part à mettre gravement en péril un modèle innovant et

répondant à une demande tant des offreurs que des acheteurs. Sans cadre juridique stable et

prédéfini, le risque de requalification massive des travailleurs indépendants pourrait tuer le

modèle économique des plateformes139

.

b. Le risque de concurrence déloyale pesant sur la plateforme

Par ailleurs, s’il y a bien une idée qui revient dans l’argumentaire des opposants aux

plateformes, c’est celle de la concurrence déloyale. Ainsi, « le succès d'Uber [serait]

davantage dû au dumping fiscal et social qu'il exerce qu'aux innovations technologiques qu'il

apporte sur le marché du transport de particuliers »140

. Les différents syndicats professionnels

sont d’ailleurs entrés en campagne contre ces nouveaux concurrents qui mettraient en relation

des professionnels opérant de manière occulte et des consommateurs141

. Le modèle horizontal

disruptif de l’économie collaborative, tenant à la mobilisation de prestataires indépendants

sans en assumer la charge fiscale et sociale, s’affranchit tant des monopoles que des

régulations sectorielles classiques142

. Ce faisant, elle aurait ses fondements dans la création

de conditions de concurrence inégales entre les nouveaux agents économiques dont elle

facilite l’entrée sur le marché et les professionnels soumis à des règles strictes (droit de la

consommation, fiscalité, charges sociales, qualifications professionnelles...) 143

. Elles

suppriment les barrières à l’entrée au profit de ces nouveaux acteurs économiques qui n’ont

pas à effectuer les coûteux investissements engagés par les agents traditionnels (licence de

taxi, bien immobilier…) et peuvent en conséquence proposer des prix très en-deçà des prix du

138

Pussilieux, Claire, « Economie collaborative et contrat de travail : quoi de neuf sous le soleil ? », 22

décembre 2015 : http://www.lemondedudroit.fr/decryptages-profession-avocat/212600-economie-collaborative-

et-contrat-de-travail-quoi-de-neuf-sous-le-soleil-.html 139

Benz, Stéphanie et Dedieu, Franck, « L’Etat providence à l’épreuve du post-salariat », L’expansion, novembre

2015. 140

Renier, Romain, « Uber, l’innovation et la concurrence déloyale », Les Dossiers d'Alternatives

Economiques, n° 4, novembre 2015. 141

Lamon, Bernard, « Economie collaborative : où commence la concurrence déloyale », Le Monde, 3 mai

2012 : http://archives.lesclesdedemain.lemonde.fr/villes/economie-collaborative-ou-demarre-la-concurrence-

deloyale-_a-13-2352.html 142

Portier, Philippe, « Le législateur est obligé de distinguer économie collaborative et "ubérisation" », Le

Monde, 7 novembre 2015. 143

Travail Emploi Numérique : Les nouvelles trajectoires numériques, Rapport remis à la Ministre du Travail, de

la Formation Professionnelle et du Dialogue social, janvier 2016.

Page 40: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

40

marché. La différence de statut serait également de nature à créer une iniquité notamment

sociale et fiscale au détriment des professionnels.

La notion de concurrence déloyale découle du principe de liberté du commerce et de

l’industrie posé par les décrets d’Allarde de 1791144

et consacré par le Conseil constitutionnel

comme ayant valeur constitutionnelle dans sa décision du 16 janvier 1982145

. Elle interdit

l’usage de procédés contraires aux usages loyaux du commerce dans le but de détourner la

clientèle d’un concurrent. L’action en concurrence déloyale est une action civile de droit

commun, qui trouve son fondement dans les 1382 et 1383 du code civil146

. Elle suppose dès

lors la preuve par le demandeur qui s’estime lésé d’actes fautifs, d’un préjudice et d’un lien de

causalité entre ces éléments. Il n’existe aucune définition d’un acte constitutif de concurrence

déloyale et les juges étudient in concreto les faits qui leur sont soumis147

. L’intention de nuire

n’est pas nécessaire et l’acte peut être intentionnel ou non, fautif ou résultant d’une simple

maladresse. Certains comportements déloyaux n’ont pas pour effet d’affecter l’activité d’un

concurrent déterminée mais d’impacter l'ensemble d’un marché ou secteur d’activité. Une

situation de concurrence déloyale peut alors être caractérisée dès lors que le non-respect de la

réglementation conduit à « une rupture dans l'égalité des moyens de la lutte concurrentielle et

met celui qui a enfreint cette réglementation dans une situation anormalement favorable par

rapport à ses concurrents »148

. Certaines jurisprudences pourraient être transposées à l’activité

des plateformes. Ont ainsi été condamnés l’absence d’identification claire du référencement

prioritaire d’un site de comparateur d’offres en ligne149

, le non-respect par une société

144

« A compter du 1er avril prochain, il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle

profession, art ou métier qu’elle trouvera bon, mais elle sera tenue de se pourvoir auparavant d’une patente, d’en

acquitter le prix d’après les taux ci-après déterminés et de se conformer aux règlements de police qui sont ou

pourront être faits. Il s'agit d'un principe fondamental du droit ». 145

Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982 relative aux lois de nationalisation consacrant la liberté

d'entreprendre. 146

Recodifiés sous les numéros 1240 et 1241 par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 entrant en vigueur

le 1er

octobre 2016. 147

« Tous les abus et agissements contraires aux principes du commerce peuvent être ainsi visés et notamment

l'entretien d'une confusion dans l’esprit du consommateur, l'appropriation illicite d'un investissement

économique, le fait d'utiliser les recherches d'autrui, de s'approprier le travail d'autrui, ses efforts, son savoir-

faire, l'embauche d'un salarié au mépris d'un engagement de non-concurrence auquel ce dernier était tenu et que

le nouvel employeur ne pouvait ignorer, le détournement de clientèle… » (Costes, Lionel, Marcelin, Sabine,

Auraoux, Jean-Baptiste, Perray, Romain et Salen, Pierrick, le Lamy du droit numérique, Paris : Wolters Kluwer,

2015). 148

Coursière-Pluntz, Virginie, Flaicher-Maneval, Elisabeth, Le Bourdon, Amaury, Petrignet, Nathalie et Redon,

Denis, (avec la collaboration de) Mémento Concurrence – consommation 2016, Paris : Editions Francis

Lefebvre, 2016. 149

Cass. com., 4 décembre 2012, 11-27.729, Publié au bulletin.

Page 41: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

41

commercialisant des bicyclettes d'exigences de sécurité posées par un décret150

ou l’absence

d’application du taux de TVA en vigueur151. Dès lors que les particuliers se comportant sur

les plateformes à l’instar de professionnels ne rempliront pas les obligations sociales et

fiscales correspondant à leur pratique et que les consommateurs ne pourront distinguer les

garanties apportées par chacune des prestations, un risque de concurrence déloyale pèsera sur

les plateformes comme sur leurs utilisateurs152

. En effet, sauf à considérer que les « start-up »

de l’économie collaborative proposent une offre complémentaire et non concurrentielle à

l’offre existante, en répondant à des besoins traditionnellement non satisfaits par les acteurs

traditionnels, le statut d’intermédiaire des plateformes, permettant une implication limitée,

peut être de nature à entraîner une distorsion de concurrence153

.

Le risque pour les plateformes est double. En effet, leur responsabilité pourrait d’une part être

retenue en cas d’acte de concurrence déloyale afférent à leur activité d’intermédiaire de mise

en relation numérique. Ce fut notamment le cas d’Uber et de son service Uberpop qui a été

interdit par le Tribunal de Grande Instance de Paris en ce qu’il constituait une pratique

commerciale trompeuse. D’autre part, en cas d’activités commerciales déloyales ou

anticoncurrentielles des utilisateurs, les concurrents pourraient être tentés d’appeler également

la « start-up » dans la cause, aux côtés de l’utilisateur. Le secteur étant encore jeune, peu de

décisions permettent aux plateformes d’analyser le cadre juridique qui leur est applicable en la

matière, celui-ci étant essentiellement prétorien, c’est-à-dire construit par les décisions des

juges. Si quelques décisions favorables aux plateformes ont été rendues en matière de

véhicule de tourisme avec chauffeur (VTC), il n’est pas possible de tirer une consécration

générale de l’absence de responsabilité des plateformes en la matière154

. En effet, la portée de

ces décisions doit être d’autant plus relativisée qu’elles ont été rendues par la formation des

référés, juge de l’urgence et de l’évidence. La Confédération Générale des Petites et

150

Cass. com., 28 sept. 2010, JurisData n° 2010-017133, Contrats, conc. consom. 2011, comm. 69, obs. M.

Malaurie-Vignal. 151

Cass. com., 9 mars 2010, JurisData n° 2010-001523 ; Propr. industr. 2010, comm. 44, obs. J. Larrieu. 152

Rapport au Premier Ministre sur l’économie collaborative, Mission confiée à Pascal Terrasse, février 2016,

op.cit. 153

Enjeux et perspectives de l’économie collaborative, Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des

Mutations économiques (Pipame), juin 2015. 154

Tribunal de commerce de Paris, ordonnance du 1 août 2014, n°2014031828 : « Uber n’est pas elle-même

prestataire de transport mais agit comme intermédiaire mettant en relation des exploitant de VTC avec des

particulier via une application informatique qu’elle a développé, en sorte que la réglementation précitée ne lui est

pas directement applicable » ; Tribunal de commerce de Paris, ordonnance du 3 novembre 2015, le plaignant est

débouté de sa demande de condamnation sur le fondement de la concurrence déloyale en ce qu’il n’a pas

« démontré l’existence d’un trouble qui l’affecte personnellement ».

Page 42: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

42

Moyennes Entreprises (CGPME) préconise, afin de mettre fin à l’inégalité de traitement qui

peut résulter de la proposition de biens et services par des particuliers, d’imposer aux

plateformes de vérifier auprès du particulier offreur qu’il possède les qualifications et

formations requises par la règlementation155

. Cette recommandation nous semble faire peser

sur les « start-up » une obligation de contrôle et d’appréciation qui n’entrent pas dans leur

objet social. Ces sociétés ne se revendiquent pas spécialistes du secteur dans lesquels les

utilisateurs évoluent. Ils sont tiers au contrat conclu entre l’offreur et le demandeur et, en leur

qualité d’hébergeur et d’intermédiaire, ne disposent d’aucun pouvoir de contrôle sur le contrat

de service ou de vente conclu par leur biais. Au contraire et comme proposé également par la

CGPME, un allègement de la réglementation applicable aux entreprises et la mise en place

d’un « socle de règles » applicable à tout acteur du secteur quelle que soit sa qualité

(particulier ou professionnel) permettrait, d’une part, de garantir un niveau de prestation

minimal pour les consommateurs et, d’autres part, de protéger les « start-up » d’éventuelles

actions en concurrence déloyale.

c. La responsabilité potentielle de la plateforme

La directive sur le commerce électronique156

transposée en droit interne par la Loi pour la

confiance dans l’économie numérique (LCEN)157

a été adoptée afin de favoriser le

développement des services de la société de l’information qui était freiné par les divergences

entre les législations nationales et l’insécurité juridique des régimes, de nature à rendre moins

attrayant l’établissement au sein du territoire de l’Union Européenne des sociétés de

commerce électronique. Elle consacre, en ses articles 14 et 15, un principe de responsabilité

raisonnée des hébergeurs quant aux données stockées par leur intermédiaire, l’hébergement

étant défini par la directive sur le commerce électronique comme « la fourniture d’un service

de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un

destinataire du service ». Il est précisé que les Etats-membres ne peuvent imposer aux

hébergeurs une obligation générale de contrôle des données qu’ils transmettent ou stockent158

.

155

CGPME, Economie collaborative : la CGPME formule 12 propositions, 5 janvier 2015 :

http://www.cgpme.fr/communiques/voir/1987/economie-collaborative-la-cgpme-formule-12-propositions 156

Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects

juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché

intérieur. 157

Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. 158

Transposé par l’article 6-I-2 de la LCEN : « Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre

gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de

Page 43: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

43

Leur rôle sur les données est donc purement passif. La responsabilité des hébergeurs peut être

retenue seulement s’ils ont connaissance du caractère illicite du contenu hébergé ou si le

caractère illicite d’un contenu est porté à leur connaissance et qu’ils n’agissent pas

promptement pour le retirer ou en empêcher l’accès. La doctrine parle d’un triptyque

« pouvoir – savoir – inertie » pour qualifier la responsabilité des hébergeurs159

. Au contraire

des hébergeurs, les éditeurs, qui ne sont pas définis par la LCEN mais dont la jurisprudence a

fixé les contours, sont les intermédiaires qui ont un rôle actif sur le contenu mis en ligne. Ils

sont pleinement responsables du contenu mis en ligne par leur intermédiaire et se voient

imposer une obligation de contrôle sur celui-ci. Cette distinction a été reprise dans le rapport

du 23 janvier 2008 sur la mise en application de la LCEN qui souligne que « la frontière entre

le statut d’hébergeur et celui d’éditeur doit donc bien rester, comme l’a voulu la loi […] la

capacité d’action sur les contenus »160

.

La question s’est posée de la qualification juridique des sites d’intermédiation proposés par

les « start-up » de l’économie collaborative. C’est le juge communautaire qui le premier a fixé

la limite entre éditeur et hébergeur dans le célèbre arrêt Google161

. Il a ainsi estimé que les

juges du fond devaient examiner si le rôle exercé par ledit prestataire était neutre, en ce que

son comportement est purement technique, automatique et passif, impliquant l’absence de

connaissance ou de contrôle des données qu’il stocke. Il a ensuite expressément qualifié

d’hébergeur les plateformes, sous réserve que celles-ci ne jouent un rôle actif, notamment en

procédant à un traitement des données introduites par ses clients vendeurs et en fournissant

une assistance visant à optimiser ou à promouvoir certaines offres à la vente162

. Cette

signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services

ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la

demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère

illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette

connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible ». 159

Trinôme avancé par la Commission européenne dans sa communication sur le « contenu illégal et

préjudiciable sur Internet » du 16 octobre 1996 (COM (96) 487) ; défendu par le rapport du Conseil d'État

sur Internet et les réseaux numériques (La documentation française, 1998, p.185 ; et repris notamment par

Vivant Michel, Rapport de synthèse au colloque de l’Union des avocats européens, sur Télécommunication,

autoroutes de l’information et multimédia, 1997, Monaco : Annonces de la Seine, 26 mai 1997, p. 5. 160

Rapport d’information n°627 déposé par la commission des affaires économiques, de l’environnement et du

territoire sur la mise en application de la LCEN, p. 23. 161

CJUE, 23 mars 2010, Google France et Inc. c/ Louis Vuitton Malletier SA, C-236/08. 162

CJUE, 12 juillet 2011, L’Oréal et a. c/ eBay et a., C-324/09 : « un service sur Internet consistant à faciliter les

relations entre les vendeurs et les acheteurs de produits est, en principe, un service au sens de la directive

2000/31. […] Il ressort de la définition, citée aux points 8 et 9 du présent arrêt, de la notion de « service de la

société de l’information » que celle-ci englobe les services qui sont prestés à distance au moyen d’équipements

électroniques de traitement et de stockage de données, à la demande individuelle d’un destinataire de services et,

Page 44: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

44

distinction a été reprise par le Tribunal de Grande Instance de Paris qui, sur ce fondement, a

retenu l’application du régime de responsabilité atténuée à la plateforme Leboncoin163

.

Toutefois, la jurisprudence n’est pas constante quant aux critères de détermination du régime

applicable aux plateformes164

. En outre, un courant doctrinal tend à militer en faveur d’un

cumul des qualifications, estimant qu’un hébergeur peut, parallèlement, opérer comme éditeur

de contenus165

, cumul qui a déjà été retenu dans des arrêts d’espèces dont il ne faut pas

négliger l’impact théorique166

. Ainsi, si les « start-up » de l’économie collaborative sont plutôt

protégées par la LCEN, la jurisprudence ne peut être considérée comme assez constante et

suffisante pour considérer que des règles prétoriennes stables encadrent la responsabilité des

plateformes.

En outre, la volonté actuelle, notamment en France, est d’accroitre les possibilités de

recherche de responsabilité des plateformes, ce qui fait peser un risque de réforme législative

défavorable sur les « start-up ». En effet, il est souvent déploré l’absence d’application du

droit de la consommation sur les plateformes alors même que de nombreux prestataires sont

des professionnels. Il existerait ainsi une distorsion entre le niveau de protection accordé aux

consommateurs traditionnels et aux consommateurs collaboratifs. Dès lors, le gouvernement

envisage de modifier le régime applicable aux plateformes numériques, estimant que celles-ci

« sont des intermédiaires actifs, dont le rôle n’est pas neutre »167

. Ce faisant, il se dissocie

totalement de la vision européenne. Pourtant, outre les difficultés pratiques que poseraient

l’accroissement des obligations des plateformes, l’applicabilité d’un régime de responsabilité

nationale renforcée serait nécessairement soumise au principe de territorialité et n’aurait

vocation qu’à régir l’activité des sociétés françaises ou ayant une activité tournée vers la

normalement, contre rémunération. À l’évidence, l’exploitation d’une place de marché en ligne peut réunir

l’ensemble de ces éléments ». 163

TGI Paris, 3ème chambre - 2ème section, jugement du 4 décembre 2015, Goyard St-Honoré / LBC France :

« Ces options, qui ne caractérisent pas une assistance à la rédaction […] n’induisent pas un rôle éditorial de la

part de la société LBC, le contenu des annonces restant le seul fait de l’annonceur […]. De même la mise en

place par la société LBC d’un logiciel de filtrage, dispositif automatique tendant à partir de mots clés à la

préservation des droits des tiers, n’induit en rien un rôle éditorial et n’est pas exclusif de la qualification

d’hébergeur de sorte que la société LBC relève du régime de responsabilité atténuée prévu par l’article 6-I-2 de

la LCN susvisé ». 164

Jacob, Benjamin, « Responsabilité des sites de partage : le jeu des chaises musicales », Revue Lamy Droit de

l'Immatériel, n° 1327, juillet 2008, p. 22. 165

Costes, Lionel, « Hebergeurs, prestataires internet…entre responsabilité de droit commun et irresponsabilité

conditionnelle ? », Revue Lamy Droit de l'Immatériel, n° 1558, mars 2009, pp. 77-80. 166

TGI Troyes, 4 juin 2008, Société Hermès International c/ Mme Cindy F, S.A Ebay France, Ebay International

AG. 167

Projet de Loi pour une République numérique, NOR : EINI1524250L/Bleue, Etude d’impact, 9 décembre

2015.

Page 45: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

45

France. Cela pourrait d‘une part avoir pour conséquence de faire perdre au régime

communautaire la cohérence qu’il a acquis suite à l’adoption de la directive sur le commerce

électronique. D’autre part, le régime envisagé étant plus strict que le référentiel

communautaire, les « start-up » françaises perdrait en compétitivité lors de leur

développement à l’international. Enfin, ce projet semble omettre l’existence en droit positif de

voies de recours des consommateurs contre les plateformes elles-mêmes. En effet, si la LCEN

accorde le bénéfice d’un régime de faveur aux plateformes en matière civile, elles sont

soumises aux dispositions du code pénal à l’instar des acteurs traditionnels. En cas de

transaction effectuée entre deux particuliers par l’intermédiaire d’une plateforme portant sur

un objet volé, la « start-up » pourra ainsi se voir appliquer les dispositions relatives au

recel168

. De même, le code de la consommation s’applique aux plateformes dans leur relation

contractuelle avec les consommateurs puisque leurs conditions générales d’utilisation sont

régies par le droit commun. Les obligations d’informations supplémentaires introduites

récemment par la loi Hamon leur sont ainsi applicables169

. Ces obligations ont été enrichies

par la loi Macron170

et la loi de finances pour 2016171

, qui sont venus ajouter des obligations

d’information spécifiques aux plateformes, notamment un dispositif d’information des

particuliers sur leurs obligations sociales et fiscales. Le régime pourrait être encore complété

afin de mettre à disposition du consommateur une information claire sur la qualité de ses

interlocuteurs (professionnel ou particulier) et les garanties qui en découlent, notamment

quant au droit et assurances applicables172

. Cet axe d’action est en outre privilégié par la

commission européenne qui l’a identifié comme domaine d’action prioritaire173

. Enfin, en cas

de requalification du contrat de travail, on peut parfaitement concevoir que la responsabilité

civile des plateformes soit retenue sur le fondement de la responsabilité du commettant du fait

du préposé, c’est-à-dire de l’employeur pour les actes de son salarié174

.

168

Article 321-1 du code pénal : « Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de

faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit.

Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un

crime ou d'un délit. Le recel est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende ». 169

Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. 170

Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. 171

Loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016. 172

Rapport au Premier Ministre sur l’économie collaborative, Mission confiée à Pascal Terrasse, Février 2016,

op. cit. 173

Enjeux et perspectives de l’économie collaborative, Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des

Mutations économiques (Pipame), juin 2015. 174

Article 1384 du code civil : « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre

fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a

sous sa garde […]. Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans

les fonctions auxquelles ils les ont employés ».

Page 46: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

46

Les assureurs pourraient enfin jouer un rôle dans la sensibilisation des consommateurs aux

risques inhérents aux opérations réalisées par le biais des plateformes. Des prestations de

protection complémentaires pourraient notamment être proposées aux particuliers opérants sur

les plateformes. Une obligation de conseil pourrait être imposée à l’assureur lors de la

démarche assurantiel de son client. Ainsi, lors de l’assurance d’un bien immobilier, l’assureur

serait contraint de demander à son interlocuteur s’il entend proposer ce bien à la location

temporaire sur une plateforme.

B. Les insuffisances du régime issu des réformes législatives récentes

Afin de protéger les consommateurs intervenant sur les plateformes, les pouvoirs publics ont

récemment renforcé les obligations à la charge des « start-up ». Celles-ci posent des

difficultés d’application, d’une part, parce qu’elles sont éloignées des compétences des

plateformes qui ne sont que des intermédiaires entre offreurs et demandeurs et dont le conseil

est en principe loin de leur modèle et, d’autre part, en raison de l’imprécision de ces

obligations. Ainsi, les plateformes sont tenues d’accompagner le particulier dans ses

obligations fiscales et notamment la détermination de ses revenus imposables tirés de son

activité sur la plateforme (a.). Elles sont également soumises à une obligation d’information

renforcée (b.). Dès lors et en raison de ces obligations, dans l’hypothèse de fraudes réalisées

par le biais des outils mis à la disposition des professionnels, la « start-up » pourrait voir sa

responsabilité retenue, notamment quant à la dissimulation d’activité (c.).

a. Le rôle incertain de la plateforme quant à la déclaration des revenus des différents

acteurs

Avec le développement des plateformes collaboratives s’est posée la question de la taxation

des revenus générés par les échanges de biens et services des non-professionnels. En effet, ces

nouveaux outils permettent aux particuliers de bénéficier d’un complément de revenu, voire

d’exercer une activité commerciale. En théorie et en l’état du droit, ces sommes perçues par

les prestataires sont imposables au premier euro, que l’activité soit exercée dans un cadre

professionnel et un but lucratif ou non. Toutefois et d’un point de vue fiscal, deux difficultés

complémentaires compliquent l’application du droit. La question de la déductibilité des

Page 47: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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charges afférentes à ces revenus se posent. Outre l’amortissement des actifs utilisés, les

dépenses permettant la réalisation du bénéfice devraient en principe être déductibles de la

base imposable. Toutefois et pour définir les règles de déductibilité, il convient alors de

déterminer de façon certaine la qualification des revenus imposables, ceux-ci relevant de

régimes différents. Ainsi, sans caractérisation des revenus, il est d’une part délicat de déclarer

les revenus mais aussi d’en déterminer le mode de calcul et donc l’assiette. Par exemple, en

matière de partage de véhicule automobile, le gouvernement estimait en 2013 que les revenus

générés qui ne dépassaient pas le barème fiscal automobile devaient être qualifiés de

remboursement de frais et n’entraient pas dans le champ d’application de l’impôt sur le

revenu175

. Cette solution, si elle est séduisante par sa simplicité, se heurte toutefois à un

manque prégnant de fondement légal et est difficilement transposable aux autres secteurs de

l’économie collaborative.

Les mêmes difficultés de mise en œuvre des règles légales se posent en matière de TVA.

Ainsi, l’application du régime est subordonnée à la qualité d’assujetti du prestataire176

, celui-

ci étant défini comme toute personne qui effectue de manière indépendante une activité

économique177

. L’activité économique se caractérise par la réalisation à titre habituel de

livraisons de biens et de prestations de services à titre onéreux. La personne qui réalise à titre

occasionnel une opération économique n'a en principe pas la qualité d'assujetti178

. Toutefois,

un assujetti pour une activité donnée doit être considéré comme un assujetti pour toute autre

activité économique, même exercée de manière occasionnelle179

. Lorsqu’un actif est utilisé

tant à des fins économiques que privées, il convient d'analyser l'ensemble des conditions de

175

ADETEC, réalisé par ADETEC avec le financement de la Direction Générale des Infrastructures, des

Transports et de la Mer (DGITM) et du Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, Le

guide pratique de l’autopartage entre particuliers, 2013. Disponible : http://www.developpement-

durable.gouv.fr/IMG/pdf/guide-autopartage-entre-particuliers_28_02.pdf 176

Article 256-I du Code général des impôts : « Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de

biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ». 177

Article 256A du Code général des impôts : « Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui

effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que

soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de

leur intervention […].Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les

activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives,

agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique

une opération comportant l'exploitation d'un bien meuble corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes

ayant un caractère de permanence » (nous soulignons). 178

BOI-TVA-CHAMP-10-10-20 n° 330 ; en ce sens également CJUE 26 septembre 1996 aff. 230/94 : RJF

11/96 n° 1370. 179

CJUE 13 juin 2013 aff. 62/12 : RJF 10/13 n° 992.

Page 48: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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son exploitation pour déterminer s'il est utilisé en vue d'en retirer des recettes habituelles180

.

Sur ce point, nous pouvons regretter qu’aucune doctrine administrative précise ne soit mise à

la disposition des contribuables pour définir ce qu’il convient d’entendre par « activité

habituelle ». L’Administration complexifie au contraire le régime applicable en estimant que

si l’activité économique revêt en principe un caractère de permanence, celui-ci peut être

qualifié dans l’hypothèse où l’exploitation d’un bien se concrétiserait par la réalisation d’une

seule opération (par exemple la location d’un bien meuble ou immeuble)181

. De même, aucun

seuil de chiffre d’affaires ou de nombre d’opération commerciale n’est défini par la

jurisprudence. Afin d’éviter tout redressement et en raison de l’exonération applicable dès lors

que le chiffre d’affaires généré ne dépasse pas certains seuils, les opérateurs concernés

auraient intérêt à se déclarer assujetti, nonobstant une éventuelle incertitude quant à leur

qualité... et à appliquer l’exonération182

.

Ces difficultés d’interprétation, si elles ne sont pas de nature à justifier le comportement des

particuliers qui ne s’acquittent que rarement des taxes dues, peut expliquer que les revenus

générés par l’économie collaborative soient si peu déclarés. Selon un rapport du Sénat, le

manque à gagner en matière de recettes fiscales, s’il est difficile à estimer, est néanmoins

important183

. Selon ce même rapport, seuls 15% des utilisateurs de plateformes déclarent «ou

ont l'intention de déclarer» leurs revenus issus de l'économie collaborative. Pourtant, les

utilisateurs ne sont pas nécessairement de mauvaise foi et se trouve en conséquence malgré

eux dans une situation d’insécurité juridique. Les deux parties en présence sont ainsi

pénalisées : l’Administration fiscale qui perd des ressources non négligeables et le particulier

qui se retrouve malgré lui dans une situation de fraude.

Si un abattement de 5000 euros, comme seuil au-delà duquel l'activité aurait été jugée

économique et donc taxable a été défendu par le Sénat, celui-ci a été rejeté en ce qu’il n’était

180

Collectif Francis Lefebvre, Mémento TVA 2016, collection Mémento Expert, Edition Francis Lefebvre, 2016 :

Paris ; en ce sens CJUE 26 septembre 1996 aff. 230/94 : RJF 11/96 n° 1370 à propos de la location d'un

camping-car ; CJUE 19 juillet 2012 aff. 263/11 : RJF 12/12 n° 1176 à propos de l'exploitation d'une forêt par

une personne physique ; CJUE 20 juin 2013 aff. 219/12 : RJF 10/13 n° 993 à propos de l'exploitation d'une

installation photovoltaïque d'une maison d'habitation. 181

BOI-TVA-CHAMP-10-10-30 n° 400 182

Thiébard, Patrick, Follorou, Jean-Guillaume, Georges, Pascale, « L’économie collaborative rattrapée par la

loi », Le Monde, 8 juillet 2015. 183

Rapport d'information n° 690 (2014-2015) de MM. Michel Bouvard, Thierry Carcenac, Jacques Chiron,

Philippe Dallier, Jacques Genest, Bernard Lalande et Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des

finances, Sur l'économie collaborative : propositions pour une fiscalité simple, juste et efficace, déposé le 17

septembre 2015.

Page 49: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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pas constitutionnel et présentait un risque de rupture d’égalité devant l’impôt184

. Cet

abattement, dans un but de rapprochement des économies traditionnelle et collaborative,

auraient en réalité accentué les divergences de régimes en entérinant un régime plus favorable

aux acteurs collaboratifs par rapport aux acteurs traditionnels, prenant ainsi le risque

d’accentuer les frondes contre les « start-up » qui favoriseraient une rupture de concurrence.

Si la réforme a été modeste, un premier pas vers une clarification du régime a tout de même

été effectué par l’article 83 de la Loi de Finances pour 2016185

. A compter du 1er

juillet 2016,

les « start-up » mettant à disposition des particuliers une plateforme numérique leur

permettant d’échanger des biens ou services auront désormais l’obligation d’informer leurs

utilisateurs des conséquences fiscales et sociales186

de leurs activités ainsi que du montant des

recettes générées par ces activités par le biais de leur plateforme187

. Ces informations seront

également communiquées à l’administration fiscale188

. Cet article a vocation à s’appliquer

qu’elle que soit le lieu d’établissement de la « start-up », dès lors que des utilisateurs résidant

en France ou qui effectuent des ventes ou des prestations de services en France réalisent des

opérations par leur biais. Le non-respect de ces textes est passible d’une amende fiscale de

10.000 euros pour la « start-up ».

Si la démarche est à saluer en ce qu’elle tend à améliorer la connaissance par les utilisateurs

de leurs obligations, on ne peut que regretter que la loi ne fasse que déplacer le risque

juridique de l’utilisateur à la « start-up ». En effet et de façon étonnante, le champ

184 Feuersteil, Ingrid, « Les revenus de l’économie collaborative taxés au premier euro », Les Echos, 14

décembre 2015. 185

L. fin. 2016, no 2015-1785, 29 déc. 2015, art. 87, JO 30 déc, comm. « Économie collaborative :

communication obligatoire sur les conséquences fiscales et le montant des transactions commerciales », La

Revue Lamy Droit des affaires, no 112, février 2016.

186 Article L. 114-19-1 nouveau du code de la sécurité sociale : « Toute entreprise mentionnée au I de l'article

242 bis du code général des impôts est tenue d'informer les personnes qui réalisent des transactions

commerciales par son intermédiaire des obligations sociales qui en résultent, dans les conditions fixées au même

article ». 187

Article 242 bis nouveau du Code général des impôts : « Les entreprises, quel que soit leur lieu

d'établissement, qui mettent en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d'un

bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un bien ou d'un service sont tenues de fournir,

à l'occasion de chaque transaction, une information loyale, claire et transparente sur les obligations fiscales et

sociales qui incombent aux personnes qui réalisent des transactions commerciales par leur intermédiaire […].

II.- Les entreprises mentionnées au I adressent, en outre, à leurs utilisateurs, en janvier de chaque année, un

document récapitulant le montant brut des transactions dont elles ont connaissance et qu'ils ont perçu, par leur

intermédiaire, au cours de l'année précédente. III.- Les obligations définies aux I et II s'appliquent à l'égard des

utilisateurs résidant en France ou qui réalisent des ventes ou des prestations de services en France ». 188

Art. 102 AD nouveau du Livre des procédures fiscales : « Les entreprises mentionnées au I de l'article 242 bis

du code général des impôts doivent communiquer à l'administration fiscale, chaque année avant le 15 mars et par

voie électronique, le certificat mentionné au IV du même article ».

Page 50: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

50

d’application des obligations imposées aux « start-up » dépend exclusivement des utilisateurs

et non de l’activité de la « start-up » elle-même. Pour mémoire, la plateforme est qualifiée

d’hébergeur et n’a donc aucun droit de regard sur le contenu des annonces et par extension la

territorialité des échanges de biens ou services réalisés. Ainsi, une plateforme n’ayant aucune

activité tournée vers la France (site en langue étrangère, échanges en devises étrangères,

contrat liant l’utilisateur soumis à un droit étranger…) devrait en principe respecter

l’obligation d’information mais également celle de transmission des données liées au chiffre

d’affaire réalisé dès lors qu’un de ses utilisateurs est résident fiscal français. La règle est

d’autant plus délicate à respecter que la notion même de résidence fiscale est imprécise et sa

détermination dépend de critères multiples. On conçoit mal qu’une « start-up » soit

condamnée au paiement d’une amende fiscale en ce qu’elle a omis de transmettre à

l’Administration fiscale française le résultat d’un utilisateur professionnel ou non, dont

l’activité est réalisée par le biais d’une structure immatriculée à l’étranger ou dont le domicile

personnel renseigné est situé hors de France, pour des biens et services réalisés ou livrés à

l’étranger, au prétexte que l’épouse et les enfants de cet utilisateur sont domiciliés en France

et que celui-ci est donc résident fiscal français. D’une prétendue concurrence déloyale au

profit des plateformes, on pourrait alors passer à une situation défavorable aux « start-up »,

celles-ci supportant des charges réglementaires plus contraignantes que les acteurs

traditionnels. Pire, c’est également le marché français et plus largement les « start-up »

françaises qui pourraient être impactées quant à leur compétitivité. Alors que les acteurs

disruptifs français, à l’instar de Monsieur Paulin Dementhon, Président Fondateur de Drivy,

plaidaient pour « une fiscalité simple et juste [qui constituerait] un avantage compétitif

supplémentaire pour les places de marché françaises, dont plusieurs sont déjà championnes du

monde sur leur marché », ils ont finalement obtenu un système d’autant plus contraignant

prenant en compte exclusivement les problématiques des utilisateurs189

.

b. Les contours trop flous de l’obligation d’information

Outre l’information sociale et fiscale imposée par l’article 242 bis du code général des impôts,

l'article 134 de la loi Macron oblige les plateformes numériques à informer les utilisateurs sur

les conditions générales d'utilisation du service d'intermédiation et sur les modalités de

189

Dementhon, Paulin, « Economie collaborative : la clarification fiscale reste à faire », LeMonde.fr, 16

décembre 2015 : http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/12/16/non-a-la-fiscalisation-des-plate-forme-

numeriques_4833236_3232.html

Page 51: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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référencement, de classement et de déréférencement des offres mises en ligne190

ainsi qu’à

mettre à la disposition des intervenants professionnels un espace dédié leur permettant de

communiquer aux consommateurs les informations légales. Le non-respect de ces règles

expose la plateforme à une amende administrative maximale de 375.000 euros191

. Alors que le

contenu et les modalités des informations portées à la connaissance des utilisateurs doivent

être précisés par décret d’application, ce texte risque de devenir rapidement obsolète en ce que

la Loi pour une République Numérique, en cours de discussion, s’est saisie de la question. Le

texte du projet de loi précise, dans une section 3 intitulée « Loyauté des plateformes et

informations du consommateurs » les obligations des « start-up » de l’économie collaborative

en matière d’information192

. Si le projet était adopté en l’état, l’article L. 111-5-1 serait

remplacé et le régime complété par une obligation d’information des utilisateurs sur

l’existence :

- D’une relation contractuelle, dès lors que le contrat sous-jacent contient des

stipulations relatives au classement des contenus, des biens ou des services proposés

par la personne morale référencée ;

- D’un lien capitalistique, dès lors qu’il influence le classement des contenus, des

biens ou des services proposés par la personne morale référencée ;

- D’une rémunération directe par les personnes morales référencées et, le cas échéant,

l’impact de celle-ci sur le classement des contenus, biens ou services proposés.

Si le caractère initial d’ordre public de ces dispositions est maintenu, c’est-à-dire que leur

application ne peut pas être contournée de quelque façon que ce soit, notamment par

190

Article L. 111-5-1 du code de la consommation : « Sans préjudice des obligations d'information prévues à

l'article 19 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, toute personne

dont l'activité consiste à mettre en relation, par voie électronique, plusieurs parties en vue de la vente d'un bien,

de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un bien ou d'un service est tenue de délivrer une

information loyale, claire et transparente sur les conditions générales d'utilisation du service d'intermédiation et

sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des offres mises en ligne. Lorsque seuls

des consommateurs ou des non-professionnels sont mis en relation, la personne mentionnée au premier alinéa du

présent article est également tenu de fournir une information loyale, claire et transparente sur la qualité de

l'annonceur et les droits et obligations des parties en matière civile et fiscale. Lorsque des professionnels,

vendeurs ou prestataires de services sont mis en relation avec des consommateurs, la personne mentionnée au

premier alinéa du présent article est également tenu de mettre à leur disposition un espace leur permettant de

communiquer aux consommateurs les informations prévues à l'article L. 121-17 ». 191

Article L. 111-6-1 du code de la consommation : « Tout manquement aux articles L. 111-5 et L. 111-5-1 est

passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et

375 000 € pour une personne morale. L'amende est prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 141-1-

2 ». 192

Projet de loi adopté par l’Assemblée Nationale après engagement de la procédure accélérée pour une

République numérique dite « Loi Lemaire ».

Page 52: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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l’insertion d’une clause dérogatoire dans les conditions générales, le champ d’application de

l’obligation d’information est restreint. Ainsi, il est précisé qu’elles ne sont applicables

qu’aux professionnels établis sur le territoire français ou sur le territoire d'un État membre de

l'Union européenne ou qui dirigent par tout moyen leur activité vers le territoire français sur

lequel le consommateur a sa résidence habituelle ou qui causent un dommage à un

consommateur sur le territoire français. Cette nouvelle rédaction du champ d’application de

l’obligation d’information soulève une question de cohérence avec les obligations

d’information définies par le code général des impôts et le code de la sécurité sociale. En

effet, il sera d’autant plus délicat pour les « start-up » non établies en France de définir le

niveau d’information qui leur est demandé dès lors que chaque obligation d’information,

selon son domaine, a un champ d’application différent. En outre, cette nouvelle rédaction ne

lève pas les incertitudes concernant le niveau d’information requis. Sans une définition

précise des informations attendues et eu égard à la diversité tant des activités en question que

des opérateurs mis en relation, les « start-up » auront du mal à définir les obligations civiles et

fiscales auxquelles les intervenants sont soumis. Dès lors, il semble illusoire que

les plateformes soient en mesure d’informer précisément leurs utilisateurs sur les obligations

qui leur incombent193

. En effet, les réformes législatives semblent omettre la nature même de

l’activité des « start-up » en question qui est l’intermédiation numérique. Leur activité se

limite ainsi la plupart du temps à la mise en ligne d’un service de mise en relation d’offreurs

et de demandeurs. Elles ne sont tenues à aucune obligation de conseil qui renierait

parfaitement leur objet social et emporterait un risque de requalification en qualité d’éditeur

de contenus. Il est dès lors essentiel que l’obligation générale d’information de l’opérateur par

le biais des conditions générales d’utilisation ne se transforme pas en une obligation de

conseil personnalisé à la charge des plateformes194

. Une confusion quant à l’activité des

plateformes avait d’ores et déjà effectuée par le rapport Terrasse195

lorsque celui-ci proposait

de simplifier les démarches liées à la création d’entreprise en permettant aux plateformes

d’agir en tant que « tiers de confiance » auprès des pouvoirs publics pour procéder, à la

demande de leurs utilisateurs, à leur enregistrement en tant que microentrepreneurs.

193

Jourdain, Loïc, « PLF 2016 – Pas de clarification pour les utilisateurs », Droit du partage, 16 décembre

2015 : http://droitdupartage.com/2015/12/16/plf-2016-toujours-pas-de-clarification-pour-les-utilisateurs/ 194

Defoort, Mélanie, Economie de partage et loi Macron : nouvelles obligations pour les plateformes

collaboratives, 17 août 2015 : http://www.village-justice.com/articles/Economie-partage-loi-Macron,20242.html 195

Rapport au premier ministre sur l’économie collaborative, 2016, op. cit.

Page 53: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

53

De nouveau, le texte s’impose davantage comme une déclaration de principe, consacrant une

volonté d’accroitre la transparence envers les consommateurs et de protéger une concurrence

équilibrée entre les acteurs économiques, que comme un texte pratique, une feuille de route à

destination des « start-up » collaboratives. Juridiquement, le concept est d’autant moins clair

qu’il est à la croisée de divers pans du droit répondant à des règles distinctes : le droit de la

concurrence, le droit commercial, le droit fiscal et le droit de la consommation. En l’absence

de décrets d’application efficaces, qui pourraient par exemple proposer des listes

énumératives des informations à mettre à disposition des intervenants selon les situations, les

plateformes les moins développées, ne pouvant recourir à des experts juridiques dans la mise

en œuvre des nouvelles règles, pourraient être exposées aux sanctions administratives

évoquées, qui aux termes du projet de loi, devraient être maintenues.

c. L’absence de prise en compte du risque de complicité de dissimulation d’activité

Le travail dissimulé, communément nommé « travail au noir », consiste pour un professionnel

à dissimuler l’exercice d’une activité196

ou l’emploi d’un salarié197

. Si le délit de travail

dissimulé ne s’applique qu’aux activités à but lucratif, celui-ci est présumé dès lors que

l’activité est réalisée par le biais d’un recours à la publicité, sous une forme quelconque, en

vue de la recherche de la clientèle198

. Les outils à la disposition de l’Administration afin de

lutter contre le travail dissimulé, et plus largement l’ensemble du travail illégal, se sont

fortement renforcés en 2011 avec l’adoption d’une loi ayant pour objectif de durcir les

196

Article L. 8221-3 du code du travail : « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'activité, l'exercice à

but lucratif d'une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou

l'accomplissement d'actes de commerce par toute personne qui, se soustrayant intentionnellement à ses

obligations : 1° Soit n'a pas demandé son immatriculation au répertoire des métiers ou, dans les départements de

la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, au registre des entreprises ou au registre du commerce et des sociétés,

lorsque celle-ci est obligatoire, ou a poursuivi son activité après refus d'immatriculation, ou postérieurement à

une radiation ; 2° Soit n'a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection

sociale ou à l'administration fiscale en vertu des dispositions légales en vigueur. Cette situation peut notamment

résulter de la non-déclaration d'une partie de son chiffre d'affaires ou de ses revenus ou de la continuation

d'activité après avoir été radié par les organismes de protection sociale en application de l'article L. 133-6-7-1 du

code de la sécurité sociale ». 197

Article L. 8221-5 du code du travail : « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait

pour tout employeur : 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à

l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ; 2° Soit de se soustraire intentionnellement à

l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de

mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne

résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du

titre II du livre Ier de la troisième partie ; 3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives

aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des

contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales ». 198

Article L. 8221-4-1° du code du travail.

Page 54: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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sanctions à l’encontre des auteurs d’infractions199

, qui peuvent désormais se voir infliger des

sanctions financières, pénales mais aussi administratives. Cet arsenal législatif répressif a été

complété par la loi de finances de la sécurité sociale pour 2012200

et le décret du 30 mars

2015201

qui contiennent également des dispositions destinées à renforcer la lutte contre le

travail dissimulé. Ainsi, une entreprise condamnée au titre du travail dissimulé devra

s’acquitter, concomitamment, du paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi

que des pénalités et majorations dus au Trésor ou aux organismes de protection sociale, du

paiement des rémunérations, indemnités et charges dues à raison de l'emploi de salariés mais

également, le cas échéant, du remboursement des sommes correspondant au montant des aides

publiques dont il a bénéficié. Son dirigeant sera également passible d’une peine

d’emprisonnement de trois ans et d'une amende de 45 000 euros202

.

Le travail dissimulé étant une infraction pénale, la complicité prévue à l’article 121-7 du Code

pénal et définie comme toute aide ou assistance, fournie en connaissance de cause à une

personne coupable d’agissements constitutifs de travail dissimulé, s’applique203

. A ce titre,

une personne morale peut voir sa responsabilité pénale engagée204

.

Le délit de travail dissimulé recouvre deux situations présentant des risques non négligeables

pour les « start-up » de l’économie collaborative. D’une part, dans l’hypothèse d’une

requalification du contrat des intervenants professionnels en contrat de travail, la « start-up »,

qualifiée d’employeur de ses prestataires professionnels, serait tenue, outre les indemnités de

licenciement dues en cas de rupture des relations, au paiement de l’ensemble des cotisations

sociales qui auraient dû être payées au titre de leur emploi dans un délai maximum de cinq

années outre l’année en cours205

. Parallèlement, et si le prestataire n’a pas bénéficié des

minimums légaux ou conventionnels en matière de salaire, la « start-up » pourrait être tenue

au paiement d’un rappel de salaire dans la limite de trois ans à compter du jour de la

199

Loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité. 200

Loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012. 201

Décret n° 2015-364 du 30 mars 2015 relatif à la lutte contre les fraudes au détachement de travailleurs et à la

lutte contre le travail illégal. 202

Article L. 8224-1 du code du travail. 203

Cass. crim. 20 janvier 2009 n° 08-83.933 : RJS 4/09 n° 390. 204

Article 131-37 du code pénal. 205

Article L244-3 du code de la sécurité sociale : « En cas de constatation d'une infraction de travail illégal par

procès-verbal établi par un agent verbalisateur, l'avertissement ou la mise en demeure peut concerner les

cotisations exigibles au cours des cinq années civiles qui précèdent l'année de leur envoi ainsi que les cotisations

exigibles au cours de l'année de leur envoi ».

Page 55: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

55

demande206

. L’enjeu financier peut donc très vite devenir une question de viabilité des

plateformes.

Parallèlement, les « start-up » pourraient voir leur responsabilité mise en cause quant au délit

de dissimulation d’activité à deux titres : d’une part, elle pourrait se voir reprocher de

proposer à un professionnel non immatriculé ou ne déclarant pas ses revenus un outil de

communication et donc de publicité de son activité illicite. D’autre part, la plateforme pourrait

être qualifiée de complice du professionnel en ce qu’elle met à sa disposition les moyens

matériels de réaliser son activité illicite. Afin de se protéger, la « start-up » serait ainsi tenue

de vérifier la qualité des personnes (en allant au-delà du statut renseigné à l’inscription) et de

vérifier l’ensemble des documents sociaux et fiscaux de leurs prestataires professionnels.

Elles se verraient ainsi soumises, en dehors de tout texte en ce sens et sans seuil quant au

montant du contrat en cause, à une obligation de vigilance à l’instar de celle qui pèse sur les

donneurs d’ordre en matière de prestation de service207

. Cela aurait alors pour conséquence de

transférer cette obligation du demandeur réel à la plateforme en parfaite contrariété avec sa

qualité de tiers au contrat. Si peu de jurisprudences permettent aujourd’hui d’avoir une vision

claire sur cette question, l’existence d’un risque pénal et financier pesant sur les plateformes

ne peut être nié et il est urgent de clarifier le régime sur ce point qui est de nature à remettre

en cause le modèle économique même de l’économie collaborative.

III. La nécessaire prise en compte de la spécificité des acteurs du secteur

Le développement de l’économie collaborative semble subordonné à la sécurisation de son

environnement juridique. En effet, le marché français ne conservera sa compétitivité et son

attractivité que si les pouvoirs publics sont capables de rassurer les « start-up » du secteur.

Pour cela, il est nécessaire de prendre en compte les particularités des acteurs pour leur

proposer des réformes adaptées (A.). Cette compréhension de l’économie collaborative

206

Article L. 3245-1 du code du travail : « L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois

ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La

demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le

contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat ». 207

Article L8222-2 du code du travail : « Toute personne qui méconnaît les dispositions de l'article L. 8222-1,

ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de

celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour

délit de travail dissimulé ».

Page 56: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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permettra ainsi de mettre en place un régime juridique cohérent et de consacrer notamment un

socle de règles communes de nature à accompagner les sociétés (B.).

A. La régulation des problématiques spécifiques des acteurs de l’économie

collaborative

Les pouvoirs publics semblent avoir concentré leurs efforts sur la sécurisation de l’activité des

consommateurs sur les plateformes, oubliant le rôle joué par les « start-up » elles-mêmes. Ce

n’est pourtant qu’un encadrement efficace des plateformes qui pourra mettre fin aux critiques

dont elles font l’objet. Ainsi, il apparaît que les plateformes jouent un rôle essentiel dans la

réputation des acteurs, notamment par leur rôle dans la gestion des avis et notations. Sans

transparence sur l’algorithme utilisé, les « start-up » se voient reprocher une situation

d’ascendance sur les professionnels de nature à créer une situation de dépendance

économique (a.). Celle-ci est alors susceptible d’entraîner une requalification de la relation de

travail en raison de l’inadaptation du critère du salariat aux évolutions du monde du travail.

Des réflexions devraient en conséquence être engagées sur la modification de ce critère (b.).

Enfin, les « start-up » sont accusées de mettre en place une politique d’optimisation fiscale

trop agressive. Les pouvoirs publics pourraient dès lors modifier les règles de territorialité des

revenus du numérique afin de réduire l’érosion de la base d’imposition et le transfert des

bénéfices vers des pays à fiscalité privilégiée (c.).

a. L’encadrement de la gestion de l’e-réputation par les plateformes

La notion de partage des biens et services, mais également des opinions et retours

d’expérience, est le fondement conceptuel de l'économie collaborative. Chaque membre de la

communauté partage ainsi ses expériences et propose une notation des biens et services

proposés par les autres utilisateurs, voire même les membres de la communauté, qu’il soit

offreur ou demandeur. Ainsi, et à titre d’exemple, le chauffeur Uber est certes noté par la

personne transportée, mais celui-ci propose également une notation qui sera vue par les autres

chauffeurs lors des requêtes ultérieures du même demandeur. Chacun peut ainsi se forger un

avis en se basant sur l'opinion de l’ensemble de la communauté. Le partage permet d'instaurer

un climat de confiance entre les utilisateurs. Le consommateur n'est plus seulement un

spectateur subissant la relation et n’intervenant que peu, et le plus généralement par la voix

Page 57: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

57

d’associations représentatives, mais un prescripteur reconnu pour son pouvoir de

recommandation208

. Cette confiance devient un élément essentiel de la réussite commerciale

des professionnels intervenant sur les plateformes. L’intuitu personae, c’est-à-dire la prise en

considération de la personne de son cocontractant, devient la règle, alors même que les

plateformes interviennent dans des secteurs au sein desquels le critère de choix n’est

traditionnellement porté que sur la qualité du bien ou service proposé et la confiance accordée

à l’entreprise qui le propose (sur la marque) : le demandeur ne choisit plus une nuitée parce

que la chambre fait partie d’une chaine hôtelière reconnue mais parce que la personne avec

laquelle il est entré en relation a été approuvée par la communauté. La considération de la

personne avec laquelle le demandeur entre en relation devient la clé. L’économie

collaborative est ainsi également une « économie de réputation »209

.

Les systèmes d’évaluation proposés par les plateformes, les modalités de notation et

l’encadrement ou non des commentaires, exercent donc un fort pouvoir de prescription dans

l’acte de consommation. Les plateformes deviennent à ce titre des intermédiaires essentiels

pour atteindre les consommateurs finaux. La question de la neutralité de l’intervention de la

plateforme se pose alors. En effet, celle-ci pourrait, contre rémunération et par le biais d’un

système d’évaluation à deux vitesses, favoriser certains offreurs au détriment de leurs

concurrents. La transparence sur les plateformes est essentielle en ce qu’elle est un gage de

confiance pour le consommateur et d’équité entre les offreurs. Alors que se développent les

sociétés proposant de rédiger des faux avis sur les sites de référencement et notamment Trip

Advisor, il est indispensable d’encadrer les systèmes d’évaluations des plateformes afin

d’éviter que l’économie collaborative ne soit touchée par cette même déviance. Amazon s’est

à ce titre positionné en tant que pionnière dans la lutte contre cette pratique210

. Les

plateformes pourraient s’engager afin de fiabiliser les avis et notations des utilisateurs.

Toutefois, s’il est tentant de faire peser sur la plateforme la charge du contrôle de la sincérité

de la notation et des avis, cela ne doit pas avoir pour conséquence de modifier l’ensemble du

régime de responsabilité qui leur est applicable. En effet, si une information claire de

208

Oufqa, Joffrey, « Economie collaborative : du peer-to-peer au people to people », Huffingtonpost, 28 août

2015 : http://www.huffingtonpost.fr/joffrey-ouafqa/economie-collaborative-et-service-a-la-

personne_b_8049506.html 209

Rapport au Premier Ministre sur l’économie collaborative, Mission confiée à Pascal Terrasse, Février 2016,

op. cit. 210

Lausson, Julien, « Amazon traîne en justice d’autres sites de faux avis », Numerama, 26 avril 2016 :

http://www.numerama.com/business/166240-amazon-continue-de-faire-chasse-aux-faux-avis.html

Page 58: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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l’utilisateur quant aux modalités d’évaluation et de classement et aux méthodes de

sécurisation des notations mises en place est souhaitable, en l’état du droit, un contrôle poussé

des avis ferait perdre à la plateforme sa qualité d’hébergeur et le bénéfice du régime de

responsabilité limité. Le rapport Terrasse et le projet de loi pour une République numérique

auraient dès lors pu aller plus loin et imposer aux plateformes une véritable obligation de

vérification des avis. En contrepartie, il aurait alors été possible de protéger les « start-up »

contre le risque de requalification en tant qu’éditeur de contenus. En effet, le travail de

garantie de la fiabilité des avis, s’il imposait nécessairement une charge supplémentaire aux

plateformes, s’inscrirait naturellement dans l’objet social et l’activité des « start-up » de

l’économie collaborative. Celles-ci doivent mettre à disposition des utilisateurs un outil fiable

de mise en relation. Il n’est donc pas anormal qu’elle supporte la responsabilité d’assurer la

transparence de leur offre. Toutefois, une vérification poussée des avis place les plateformes

dans une situation d’insécurité juridique et face à un risque de requalification de leur statut et

celles-ci y sont donc réticentes. Dissocier la qualification juridique au sens de la LCEN de la

vérification des contenus, pour les « start-up » de l’économie collaborative, pourrait permettre

d’améliorer le travail effectué au niveau de l’évaluation des utilisateurs. Un comportement de

mauvaise foi de la plateforme lui ferait alors perdre le bénéfice de cette exception.

L’encadrement de la gestion de l’e-réputation par les plateformes doit également passer par

une fiabilisation des conditions de référencement des offres. Seule une information claire des

consommateurs sur les éléments constitutifs du prix et les modalités de référencement permet

d’assurer une concurrence loyale entre les offreurs. A l’instar de l’encadrement du

référencement de Google qui est désormais tenu de distinguer les liens sponsorisés du

référencement naturel, les plateformes devraient informer clairement les utilisateurs,

notamment demandeurs, des critères de référencement des contenus proposés. Cette

information est d’autant plus primordiale qu’une « start-up » ou sa filiale développe une

activité qu’elle peut proposer par le biais de sa propre plateforme211

.

b. La modification de la définition d’une relation de salariat

211

Rapport au Premier Ministre sur l’économie collaborative, Mission confiée à Pascal Terrasse, Février 2016,

op. cit.

Page 59: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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Comme nous l’avons vu auparavant, les plateformes sont soumises à un risque accru de

requalification des relations contractuelles qui les lient à leurs prestataires professionnels.

Nous avons ainsi pu constater l’existence d’un défaut important de sécurité juridique en

matière de qualification du contrat des prestataires professionnels. Ce risque résulte d’une

définition du contrat de travail peu adaptée à l’économie collaborative et plus largement à

l’évolution du contexte économique. Dès lors, il convient d’analyser le régime existant et de

le confronter aux spécificités des « start-up » pour l’adapter à ce modèle disruptif. Ainsi, s’il

est à notre sens indispensable de proposer aux « start-up » un cadre juridique précis, il est

malgré tout essentiel de protéger les prestataires professionnels qui peuvent se trouver dans

une situation de dépendance économique vis-à-vis de la plateforme. Une adaptation du régime

existant permettrait de prendre en compte les nouvelles carrières, moins linéaires, afin

d’assurer aux professionnels une continuité de leurs droits.

Le risque évoqué repose sur le critère de qualification contrat du travail - subordination

juridique ou dépendance économique – qui a été tranché en France au début du XXe siècle en

faveur de la subordination juridique. Les Etats-Unis, au contraire, ont retenu une approche

économique puisqu’en l’absence d’indépendance économique réelle, le travailleur sera

présumé salarié. Or, la conception française est de moins en moins pertinente en raison du

développement de nouvelles formes de travail et l’augmentation du nombre de travailleurs

juridiquement indépendants mais économiquement dépendants. Comme le soulignent Maître

Paul-Henri Antonmattei et Monsieur Jean-Christophe Sciberras, ces professionnels sont

« privés deux fois de protection : n’étant pas salariés, ils ne peuvent prétendre à la protection

juridique qu’offre le code du travail ; n’étant pas réellement indépendants, ils ne bénéficient

pas de la protection économique que donne la multiplicité des donneurs d’ordre, la rupture

de commande d’un seul étant d’effet limité »212

. Alors même que le droit du travail surprotège

les salariés, il laisse de côté un ensemble de travailleurs de plus en plus large qui ne se

trouvent pas strictement en situation de subordination juridique. De plus en plus de voix

s’élèvent alors en faveur d’un droit du travail qui s’appliquerait à toutes les formes d’activité

professionnelle, salariée ou indépendante. La relation de travail serait ainsi analysée non plus

en fonction de la subordination mais de la personne qui supporte les risques économiques.

Pour cela, il serait possible de s’inspirer de la jurisprudence de la Cour de cassation relative au

212

Antonmattéi, Paul-Henri et Sciberras, Jean-Christophe, Le travailleur économiquement dépendant : quelle

protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité,

novembre 2008.

Page 60: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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co-emploi qui lie subordination juridique (« confusion de direction ») et subordination

économique (« confusion d’intérêt et d’activité »)213

. Ce « droit de l’actif » 214

, selon

l’expression consacrée par le spécialiste du marché du travail Denis Pennel, serait constitué

d’un socle de droits fondamentaux applicable à tous les travailleurs indépendamment de la

forme juridique de leur activité professionnelle.

Les difficultés rencontrées par les professionnels de l’économie collaborative en matière de

protection sociale ne sont pas spécifiques et s’inscrivent dans les revendications

traditionnelles des travailleurs indépendants. Toutefois, ces travailleurs exerçant par le biais

de plateformes sont d’autant plus dépendants qu’ils supportent une double subordination :

d’une part ils sont économiquement dépendants des décisions de la plateforme, quant au prix

ou aux critères de référencement (les revenus des chauffeurs Uber dépendent ainsi

directement des décisions de la plateforme, qui peut unilatéralement, comme elle l’a fait,

opérer une baisse des prix) et d’autre part ils sont soumis aux avis des clients dont est fonction

leur e-réputation. Le rapport Terrasse préconise d’opérer une convergence entre la protection

sociale des indépendants et celle des salariés et d’instaurer une portabilité des droits, qui fait

encore largement défaut, et d’imposer aux plateformes de définir clairement les conditions de

rupture des partenariats, la gestion des notations et leur incidence sur une éventuelle

suspension voire suppression de leur compte utilisateur. Les règles encadrant la rupture

brutale des relations commerciales pourraient également trouver à s’appliquer aux relations

entre les plateformes et les offreurs professionnels et pourraient protéger ceux-ci contre un

déréférencement brutal, à l’instar de la jurisprudence applicable aux marketplaces215

.

Certains pays européens ont d’ores et déjà fait évoluer leurs législations. Les pionniers en

matière de reconnaissance d’un statut de travailleur économiquement dépendants ont été les

allemands qui, dès 1974, ont créé le statut de « arbeitnehmerähnliche Personen », accordant à

ces professionnels le bénéfice d’un niveau de protection sociale équivalent à celui des

salariés. Le Royaume-Uni distingue également les situations d’indépendance et de

213

Thiebart, Patrick, « Pour une réglementation a minima de l’économie collaborative », Semaine sociale Lamy

2016, n° 1706. 214

Pennel, Denis, « Pour un statut de l’Actif – Quel droit du travail dans une société post-salariale ? »,

Génération Libre, Septembre 2015. 215

Voir notamment dans le cas d’une place de marché (marketplace) Tribunal de commerce de Paris, 13

septembre 2011 : le jugement condamne la société Pixmania à payer à l’un des distributeurs commercialisant ses

produits par le biais de sa marketplace PixPlace la somme de 1.000.000 € à titre de dommages et intérêts, en

réparation de la perte de chance subie suite à la rupture abusive de ses relations commerciales.

Page 61: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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subordination économique et différencie deux types de prestataires : les workers, qui sont des

salariés ou des personnes travaillant pour un employeur sans toutefois être placés sous son

autorité, et les self-employed workers, qui détiennent leur propre équipement, sont

responsables de l’organisation et de la réalisation du travail, et assument une partie du risque

financier216

. L’Italie quant à elle, prend en compte, depuis 1996, la spécificité des relations

entre un collaborateur non salarié et un donneur d’ordre217

par les contrats dits « de

collaboration coordonnée et continue ». Elle a complété ce régime en 2003 par les « contrats

de collaboration de projet », qui régissent la réalisation d’une prestation globale. Ce type de

contrat est soumis à un taux de cotisation sociale proche de celui des contrats de travail

subordonné mais conserve néanmoins un régime juridique spécifique (il échappe notamment

aux dispositions sur le licenciement)218

. L’Espagne a été plus loin encore en créant, en 2007,

un statut de travailleur autonome économiquement dépendant219

, comprenant un socle de

droits communs à l’ensemble des travailleurs autonomes et des droits collectifs. La

dépendance économique est par ailleurs définie précisément, se caractérisant lorsque 75% des

revenus de l’activité professionnelle sont réalisé auprès d’une entreprise cliente220

.

La France, en retard sur ses partenaires européens, semble dès lors étonnamment réticente à

intégrer en droit une réalité sociale et économique incontestable et à renoncer à la vision

traditionnelle du salariat qui, pourtant, entraîne des inégalités de traitement entre salariés et

indépendants.

c. La question de la fiscalité des plateformes elles-mêmes

L’économie collaborative, à l’instar des autres pans de l’économie numérique, présente

certaines spécificités par rapport à l’économie traditionnelle qui rendent délicates

l’application du régime fiscal actuel reposant sur la territorialité des revenus : la non-

localisation des activités, l’importance des effets de réseau et l’exploitation des données. Les

216

Perrulli, Adalberto, Travail économiquement dépendant/parasubordination : les aspects juridiques, sociaux et

économiques, Commission Européenne, 2003. 217

Boutillier, Sophie et Uzunidis, Dimitri (sous la direction de), Travailler au XXIe siècle : Nouveaux modes

d'organisation du travail, Collection de l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique

(IWEPS), Bruxelles : De Boeck, 2006. 218

Prouet, Emmanuelle, « Contrats de travail : les réformes italiennes », La note d’analyse, n° 30, mai 2015. 219

Martin, Philippe, « Le droit du travail en Espagne et en Italie, Convergences, divergences, singularités », Les

cahiers Irice, n° 11, 2014/1, pp. 37-52. 220

Triomphe, Claude Emmanuel, L’essor du travail indépendant en Europe – un défi pour le droit du travail,

2008, op. cit.

Page 62: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

62

plateformes y jouent un rôle central créateur de valeur et doivent, à ce titre, être soumises à

l’impôt221

. Pourtant, la stratégie d’optimisation fiscale agressive menée par les plateformes

leur permet d’échapper largement à la charge fiscale. En effet, du fait du caractère immatériel

de leurs activités, l’Administration fiscale française peine à définir le territoire concerné par

les opérations de production. Ainsi, la filiale française d’Uber, structurellement déficitaire,

n’a jamais acquitté d’impôt sur les sociétés en France222

.

Henni, Jamal, « Comment Uber échappe à l’impôt », BFM Business, 30 juin 2015

De même, pour Airbnb, l'entreprise n’aurait payé que 97 000 euros d'impôts en France en

2013 alors que 40 000 logements sont proposés sur la plateforme, simplement en Île-de-

221

Charrier, Julia et Janin, Lionel, « Fiscalité du numérique », La note d’analyse, n° 16, mars 2015. 222

Henni, Jamal, « Comment Uber échappe à l’impôt », BFM Business, 30 juin 2015 :

http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/comment-uber-echappe-a-l-impot-898140.html ; schéma extrait de Van

de Casteele, Mounia, « Où va l’argent d’Uber », La Tribune, 23 octobre 2015 :

http://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/ou-va-l-argent-d-uber-516391.html

Page 63: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

63

France, et que son chiffre d'affaires dépasse largement les 100 millions d'euros223

. Cette

situation crée une distorsion de concurrence au profit des « start-up » de l’économie

collaborative qui pousse tant le Fisc interne que la Commission européenne à s’interroger sur

une adaptation du régime.

Cette optimisation est rendue possible par le dispositif d’imposition des bénéfices d’une

société multinationale ou ayant une activité internationale qui est fondé sur l’application du

régime des prix de transfert et la localisation géographique des activités. La prise en compte

du nombre d’utilisateurs au sein d’un territoire fiscal donné serait pourtant plus adapté aux

sociétés du numérique. Une taxe unitaire mesurée sur le nombre d’utilisateurs de la

plateforme est parfois évoquée comme permettant d’assurer le maintien d’une base taxable au

sein du territoire national224

. Toutefois, cette méthode d’imposition des bénéfices serait

parfaitement contraire au principe d’imposition proportionnelle de l’impôt sur les bénéfices et

créerait nécessairement une inégalité entre les plateformes, l’impact de la taxe étant d’autant

plus important que le montant de chaque transaction réalisée par l’utilisateur est faible.

L’OCDE a pris la mesure de cette érosion des recettes fiscales et s’est saisie de la question.

Elle a identifié des pistes de réflexion qui pourraient être appliquées à l’économie

collaborative225

. Elle relève justement que l’économie numérique est partie intégrante de

l’économie et qu’il serait inefficace d’essayer d’en isoler les revenus dans un but purement

fiscal. Il convient donc d’adapter les règles existantes et non de créer un régime spécifique ex

nihilo. Il est ainsi proposé d’élargir la notion d’établissement stable. Ainsi, un tel

établissement pourrait être caractérisé dans l’hypothèse d’une présence physique d’une

entreprise étrangère dans un pays mais également par une « présence numérique

significative » au sein de celui-ci. Cela permettrait d’imposer localement les revenus tirés de

cette « présence numérique ». Un faisceau d’indices serait utilisé comprenant notamment

l’existence d’une succursale proposant des fonctions secondaires dans le pays, la conclusion à

distance de l’ensemble des contrats signés avec les utilisateurs, une large utilisation des e-

biens et e-services dans le pays ou une utilisation du bien qui ne nécessite aucune présence

223

« Economie collaborative : les dérives d’un modèle non régulé », Agoravox, 7 septembre 2015 :

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/economie-collaborative-les-derives-171541 224

Charrier, Julia et Janin, Lionel, 2015, op. cit. 225

OECD, Relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique, Action 1 – Rappel final 2015, Projet

OCDE/G20 sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, Paris : OECD Publishing, 2015.

Page 64: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

64

physique. Une retenue à la source pourrait alors être appliquée sur les transactions effectuées

entre la plateforme et les utilisateurs.

Un tel régime, qui permettrait une soumission effective des « start-up » de l’économie

collaborative à l’impôt sur les bénéfices, semble être une condition essentielle à leur

acceptation par les acteurs traditionnels et au maintien d’un environnement concurrentiel

satisfaisant. Pour les recettes publiques également l’enjeu est très important puisqu’une

imposition juste permettrait de compenser les pertes de recettes dues au développement de

l’économie numérique. En effet, en Espagne, les plateformes d'hébergement touristique

seraient à l’origine d’un manque à gagner fiscal de 2,5 milliards d'euros par an du fait du non-

paiement de la taxe de séjour. Les plates-formes de covoiturage feraient de leur côté déjà

perdre aux États-Unis 3,4 % de leurs revenus fiscaux annuels, du fait de l'absence de taxe à

l'achat de véhicules226

. Si la taxation des revenus de l’économie collaborative occupe les

débats, elle ne doit donc pas masquer l’importance de mettre en place une fiscalité juste au

niveau des plateformes elles-mêmes.

B. La création indispensable d’un cadre juridique cohérent

Les pouvoirs publics, dans leur politique d’encadrement de l’économie collaborative,

semblent opter pour une réglementation sectorielle. Celle-ci, si elle répond temporairement

aux critiques et peurs des acteurs traditionnels, ne permet pas de mettre en place un régime

global et cohérent (a.). Pourtant et malgré l’absence d’uniformité de l’activité des « start-up »

du secteur, il semble qu’un socle commun soit essentiel pour assurer une sécurité juridique et

définir les principes fondamentaux qui leur sont applicables (b.). L’Union européenne devrait

s’impliquer dans la définition de ce régime afin d’éviter toute distorsion entre les Etats-

membres (c.). En effet et en application du principe de la hiérarchie des normes, la France est

limitée dans son action de régulation en raison de la prise en charge par l’Union européenne

de la règlementation des activités numériques et plus largement du e-commerce. Ainsi, la

France est contrainte par les barrières qui ont été posées par les directives européennes et

notamment celle sur le commerce électronique. La mise en place d’un régime spécifique

226

Enjeux et perspectives de l’économie collaborative, Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des

Mutations économiques (Pipame), juin 2015.

Page 65: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

65

complet est dès lors subordonnée à une action commune de l’Union Européenne et des Etats-

membres.

a. Le danger de la régulation sectorielle

Malgré la multiplication des rapports gouvernementaux sur l’économie collaborative

martelant qu’il est urgent de poser un cadre juridique clair au secteur, les réformes envisagées

sont encore très timides et ne posent aucun cadre global. Dans l’urgence et face à l’insistance

des lobbys de l’économie traditionnelle, le gouvernement ne fait qu’adopter des mesures

sectorielles dans le seul but de rassurer les acteurs traditionnels et mettre fin aux accusations

de concurrence déloyale. Ainsi, la loi Thevenoud227

, réservant aux taxis le bénéfice de la

maraude et du stationnement sur la voie publique dans l’attente de clients, avaient pour objet

de rassurer ceux-ci et de mettre fin au conflit qui les opposait aux VTC. De même, le

financement participatif mettant en péril le monopole bancaire228

, il a fait l’objet d’un

encadrement spécifique229

comprenant notamment la création d’un statut de « conseil en

investissement participatif » imposant aux « start-up » du secteur d’obtenir une habilitation

réglementaire pour pouvoir intervenir en qualité d’intermédiaire entre des investisseurs et des

émetteurs d’actions ou obligations. Concernant la location meublée, c’est une loi ancienne,

longtemps tombée en désuétude et remise au goût du jour en 2014230

qui est utilisée par les

mairies pour encadrer l’activité, notamment d’Airbnb. L’article L. 631-7 du code de la

construction et de l’habitation issu de la loi de 2004 impose ainsi, dans les communes de plus

de 200.000 habitants et dans les départements franciliens, de solliciter une autorisation

communale avant de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de

courtes durées.

Si les pouvoirs publics semblent engager des réflexions sur les enjeux de la régulation de

l’activité des plateformes d’intermédiation, ils ne semblent pas adopter une démarche

cohérente de nature à poser un cadre juridique global à la matière. Cette réticence à accepter

et prendre en compte ce « capitalisme de plateforme » d’inspiration néolibérale, s’inscrivant

227

Loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur. 228

Article L. 511-5 du code monétaire et financier : « Il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de

crédit ou une société de financement d'effectuer des opérations de crédit à titre habituel. Il est, en outre, interdit à

toute personne autre qu'un établissement de crédit de recevoir à titre habituel des fonds remboursables du public

ou de fournir des services bancaires de paiement ». 229

Ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement participatif. 230

Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.

Page 66: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

66

logiquement dans le cadre de défiance française face aux ruptures schumpetériennes, va

contre le « droit à l’expérimentation de nouveaux modèles » préconisé par le conseil

d’analyse économique231

. La réglementation sectorielle ad hoc qui apparaît ne peut être

qu’inefficace à long terme puisqu’elle ne répond qu’aux inquiétudes des concurrents

traditionnels qui sont amenées à évoluer avec le temps et le développement des acteurs

disruptifs. L’adoption de mesures éparses n’est en outre pas de nature à s’adapter aux

évolutions technologiques et pourraient très vite devenir obsolètes et inefficaces. Pire, elle

pourrait, par le « patchwork » réglementaire qu’elle crée et les interdictions qu’elle pose,

affecter négativement l’attractivité de la France et dès lors le dynamisme même de

l’innovation numérique232

.

Si le droit est objectivement en retard par rapport à la rapidité d’évolution de l’économie et

dans l’attente de la création d’un cadre légal, la jurisprudence pourrait jouer un rôle

temporaire dans la définition de la réglementation de l’économie collaborative233

. En effet, de

plus en plus de dossiers relatifs à des plateformes sont soumis au jugement des tribunaux. Dès

lors, la jurisprudence est amenée à se prononcer sur l’interprétation et l’application des textes

existants au secteur collaboratif. Elle peut également être contrainte de juger praeter legem,

c’est-à-dire dans le silence de la loi. Ce faisant, elle est créatrice de droit et pourrait par une

approche générale dresser les prémices d’un cadre cohérent.

Si le projet de loi pour une République numérique semble amorcer une régulation globale,

notamment par la définition de la plateforme et la consécration de principes directeurs, il

conviendra d’aller plus loin pour permettre à la France de garder son attractivité et mettre fin

aux accusations des acteurs traditionnels. Cette position est d’ailleurs celle de l'Association

Française des Editeurs de Logiciels et de Solutions Internet (AFDEL) qui milite pour la

création d’un cadre réglementaire qui permette un épanouissement des « start-up » de

l'économie collaborative234

.

231

Portier, Philippe, « Le législateur est obligé de distinguer économie collaborative et « ubérisation », Le

Monde, 7 novembre 2015. 232

Tchéhouali, Destiny, Culture, commerce et numérique : Economie collaborative, culture du partage et guerre

des brevets : nouveaux regards sur l’innovation numérique, Organisation internationale de la francophonie,

Volume 10, n° 7, septembre 2015. 233

« L’avocat et l’entrepreneur face aux enjeux juridiques de l’économie collaborative, conseils d’experts »,

Maddyness, 27 février 2015. 234

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http://www.latribune.fr/technos-medias/internet/economie-collaborative-le-casse-tete-de-la-legislation-

492604.html

Page 67: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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b. La nécessaire mise en place d’un « droit des plateformes », à l’instar du droit du

commerce électronique

Comme démontré ci-avant, l’économie collaborative n’est pas constitutive d’un secteur

spécifique nécessitant une régulation propre autonome. En revanche, ses apports à

l’innovation sont non négligeables et initient le renouveau du monde du travail, mettant en

lumière les problématiques qu’il soulève et notamment un manque de protection des

travailleurs, une dérégulation du marché et un contournement des règles de l’impôt. Si le

secteur n’est pas uniforme, les « start-up » ont en commun qu’elles proposent aux utilisateurs

une plateforme numérique d’intermédiation, les tiers étant à l’origine de la création de valeur

et la « start-up » elle-même n’offrant que des services supports. Il semble dès lors qu’un socle

de règles communes devraient être posé afin d’encadrer l’activité des plateformes. Celui-ci

aurait pour objet de protéger les parties prenantes et de mettre fin aux critiques actuelles.

L’enjeu à court terme est d’assurer l’application des règles existantes au secteur de

l’économie collaborative et d’encadrer ses aspects spécifiques. En matière de droit du travail,

l’économie collaborative pourrait être précurseur dans la protection du travailleur

indépendant, notamment par la création d’une représentation sociale des professionnels du

secteur. Les obligations encore trop générales de transparence, d’information et de non-

discrimination pourraient également être plus spécifiquement définies afin de créer un

véritable droit des plateformes et de créer un référentiel de valeur commun de nature à

rassurer le consommateur et accompagner le développement de l’économie collaborative.

Afin d’encourager la loyauté et la responsabilisation des plateformes, le rapport Terrasse

propose pour sa part d’appliquer aux « start-up » elles-mêmes un des éléments clés de leur

modèle : le système de notation. Ainsi, un espace de notation des plateformes ouvert aux

utilisateurs, s’appuyant sur les compétences du régulateur public, l’Autorité de Régulation des

Communications Electroniques et des Postes (« ARCEP »), pourrait recueillir auprès de

contributeurs un avis concernant les pratiques des « start-up » du secteur et notamment les

engagements pris en matière de responsabilité sociale, la loyauté du référencement des offres,

la pratique d’exploitation en matière de traitement des données personnelles, la fiabilité du

Page 68: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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système de notation, la clarté des conditions générales d’utilisation et le comportement fiscal

de la plateforme235

.

Une régulation de l’économie collaborative au niveau national ne devrait toutefois pas

s’inscrire en contrariété avec les règles européennes et notamment la directive du 8 juin 2000

sur le commerce électronique. Or, si celle-ci n’interdit pas de mettre en place des obligations

proportionnées à la charge des plateformes dans un but de protection du consommateur, elle

interdit l’extension de ces obligations aux professionnels. Pourtant, la plateforme intervenant

en tant qu’intermédiaire entre les consommateurs et les professionnels, il est indispensable

que sa réglementation prenne en compte les deux aspects de son activité et propose un régime

global. L’adoption d’un cadre contraignant au seul niveau national poserait en outre des

difficultés de mise en œuvre à l’égard des « start-up » étrangères et mettrait en péril la

compétitivité des acteurs établis en France. Dès lors, une régulation au niveau communautaire

semble préférable.

c. Le rôle possible du droit européen dans l’harmonisation des règles

Le droit applicable aux plateformes numériques résulte essentiellement de la transposition de

la directive sur le commerce électronique qui interdit notamment d’imposer aux plateformes

de vérifier la réalité ou la licéité des offres, informations ou avis mis en ligne. La création

d’un statut spécifique aux plateformes nécessiterait donc une renégociation et une adaptation

de ce texte, comme l’a justement rappelé le Conseil d’Etat dans son rapport annuel de 2014236

.

En outre, l’Europe peine à la réalisation du marché commun digital en raison des grandes

disparités de développement entre les Etats en matière de numérique. Un cadre

communautaire efficace pourrait permettre de lutter contre la segmentation communautaire et

la discrimination dans le développement des biens et services. Parallèlement, les institutions

européennes devront encourager le succès des sociétés européennes dans l’économie

numérique mondiale. Le Comité Economique et Social Européen (CESE), dans un rapport du

21 janvier 2014, va dans ce sens et encourage la Commission européenne à se saisir de la

question afin d’opérer une harmonisation des législations. Les débats devraient notamment

porter sur la responsabilité juridique, les assurances, les droits d’usage, les taxes sur la

235

Rapport au Premier Ministre sur l’économie collaborative, Mission confiée à Pascal Terrasse, Février 2016,

op. cit. 236

« Economie collaborative, Vie pratique », Fiches pratiques DGCCRF, 18 juin 2015, op. cit.

Page 69: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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propriété, les normes de qualité, la détermination des droits et des devoirs de chaque

intervenant237

. Le système actuel, fondé notamment sur la différenciation stricte du

professionnel et du consommateur apparaît comme inadapté à l’économie collaborative et une

adaptation de la matière ne peut passer que par une réforme communautaire. Toutefois, la

communauté européenne semble encore avoir des difficultés à appréhender le rôle émergent

des « prosumers » (le producteur est aussi consommateur) au sein de l’économie

numérique238

.

La Commission européenne semble avoir pris conscience du rôle qu’elle doit jouer en matière

de régularisation et a placé le numérique dans ses dix priorités. En effet, les nouvelles

technologies de l’information constituent à ses yeux non plus un secteur économique à part

mais le fondement de tout système économique novateur. Elle a adopté le 6 mai 2015, la

Stratégie pour le Marché numérique unique qui prévoit que seize initiatives seront présentées

avant fin 2016239

. Concernant plus précisément l’économie collaborative, la Commission

prévoit une vaste évaluation du rôle joué par les plateformes et place dans ses impératifs la

transparence sur Internet. Parallèlement, une consultation publique sur l’environnement

réglementaire concernant les plateformes, les intermédiaires en ligne, les données,

l’informatique en nuage et l’économie collaborative a été lancée en septembre 2015. Le 28

octobre 2015, la Commission a réaffirmé sa volonté de se saisir du secteur de la

consommation collaborative et de mettre en place un système clair et équilibré protégeant les

intérêts des parties en présence, notamment les consommateurs et les professionnels tout en

accompagnant son développement en évitant les entraves réglementaires inutiles240

. Sur la

base des travaux en cours, des lignes directrices sur l’application du droit communautaire à

l’économie collaborative relatives aux Directives services et commerce électronique devraient

être publiées afin d’aider les opérateurs à mieux appréhender le cadre juridique régulant leur

activité. Par ailleurs, elles poseront les bases d’une action coercitive de la Commission qui

237

Acedo, Sébastien, « L’économie collaborative en quête d’un cadre réglementaire », L’argus de l’assurance,

10 novembre 2014. 238

Foresight services to support strategic programming within Horizon 2020, Foresight Report, October 2014,

Rand Europe. 239

European Commission, Priority, Digital Single Market, Bringing down barriers to unlock online

opportunities http://ec.europa.eu/priorities/digital-single-market_en 240

COM (2015) 550 final, Communication de la Commission au Parlement européen, au conseil, au comité

économique et social européen et au comité des régions, Améliorer le marché unique : de nouvelles opportunités

pour les citoyens et les entreprises.

Page 70: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

70

aura la charge de s’assurer que les législations nationales n’entravent pas l’essor de

l’économie collaborative.

Conclusion

L’économie collaborative est une opportunité pour l’innovation française. Les « start-up »

françaises les plus matures du secteur, Blablacar en tête qui a rejoint le club très fermé des

licornes, c’est-à-dire des « start-up » valorisées à plus d’un milliard de dollars, emportent avec

elle les nouveaux entrants et font naître des vocations. La Halle Freyssinet, inaugurée à Paris

en avril dernier lors du sommet des « start-up », devrait devenir le plus gros incubateur au

monde en accueillant mille « start-up » et agir comme une locomotive pour l’entreprenariat

français. Alors que l’attractivité et la compétitivité de la France ne cessent d’être remises en

cause, les nouvelles technologies et notamment l’économie collaborative sont une chance

pour l’économie française. Pourtant et de façon étonnante, les « start-up » du secteur semblent

être les grandes oubliées des débats concernant les activités qu’elles ont développées. Aucun

des nombreux rapports sollicités par le gouvernement n’est tourné vers les sociétés de

l’économie collaborative. Les discussions en cours sont centrées sur le consommateur et le

travailleur indépendant, les « start-up » étant analysée comme la partie « forte » de la relation

tripartite qui se crée par le biais de la plateforme numérique. Partant de ce postulat, seuls les

utilisateurs devraient être protégés.

C’est ce constat qui nous a poussé à nous intéresser à la situation des « start-up » du secteur et

à établir un état des lieux de l’environnement juridique dans lequel elles évoluent. Nous avons

pu alors prendre conscience que celles-ci sont confrontées à de nombreuses difficultés. Le

manque de règlementation claire de leur activité les place dans une situation de risque

permanent. Si c’est dans le silence des textes que les « start-up » ont pu dans un premier

temps éclore, il faut désormais prendre en considération l’existence de ces nouveaux acteurs

et leurs spécificités. Le cadre juridique est tellement incertain que le modèle même de ces

sociétés est susceptible d’être remise en cause à chaque nouvelle décision rendue par une

juridiction. Cette situation, si elle perdurait, aurait certainement pour conséquence de freiner

les investisseurs et donc le développement des « start-up » françaises. L’absence de

positionnement de l’Union européenne sur la question de la règlementation de l’économie

Page 71: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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collaborative ne facilite pas les réformes et il devient urgent de modifier la directive

« commerce électronique » afin de permettre aux Etats-membres de réguler le secteur.

Si les « start-up » doivent être parties prenantes des débats et protéger leurs intérêts, elles ne

sont toutefois pas exemptes de reproches. En effet, elles ont fait de l’optimisation fiscale l’une

des clés de leur succès et profitent des failles juridiques pour exercer une concurrence féroce

sur les acteurs traditionnels. Leur stratégie est de plus en plus critiquée et elles souffrent d’une

image largement altérée qui pourrait, à moyen terme, freiner leur développement. La mise en

place d’un cadre juridique clair, protégeant certes les consommateurs et les professionnels

exerçant par le biais des plateformes, mais également plus largement les marchés en cause,

l’assiette fiscale et les acteurs traditionnels permettrait de mettre fin aux soupçons pesant sur

les « start-up ». Face à un cadre juridique plus strict, celles-ci devront s’adapter et revoir leur

modèle afin de le rendre plus vertueux. La pérennité même de l’économie collaborative

dépend de la capacité qu’elles auront à maintenir leur compétitivité malgré cette

réglementation.

La réglementation mise en place devra réguler l’économie collaborative sans transformer

l’activité des « start-up » qui n’ont qu’un rôle d’intermédiaire. En effet, même s’il est tentant

d’opérer un transfert de responsabilité à la charge des plateformes, modifier en profondeur

leur cœur de métier pourrait les pousser à transférer leurs activités à l’étranger. Ainsi, il ne

nous semble pas qu’imposer aux « start-up » de devenir des conseils en matière de création

d’entreprise ou de fiscalité ne protège l’attractivité du marché français. Si ces préconisations,

reprises notamment par le rapport Terrasse, devaient être retenues, il serait indispensable que

les pouvoirs publics mettent à disposition des « start-up » des modèles et formulaires afin de

leur permettre de ne jouer qu’un rôle d’intermédiaire entre l’Administration et les utilisateurs.

Par ailleurs et si les utilisateurs ne se conformaient pas aux conseils de la plateforme, ils

devraient seuls en porter la responsabilité.

Le travail à effectuer est donc complexe et les enjeux sont importants. Si, suite à nos

recherches, il nous semble difficilement contestable que des adaptations du régime français

doivent être opérées, celles-ci devront respecter l’esprit de l’économie collaborative et

protéger les nombreuses parties prenantes. Si le projet de loi pour une République numérique

est finalement très décevant quant à sa partie relative à l’économie collaborative, la

Page 72: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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Commission européenne pourrait aller plus loin dans la règlementation. Les prochains mois

seront donc décisifs pour le secteur et nos reproches pourraient – nous l’espérons – devenir

rapidement obsolètes.

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Table des matières

Résumé ....................................................................................................................................... 4

Sommaire ................................................................................................................................... 5

Introduction ................................................................................................................................ 6

La définition plurielle de l’économie collaborative ................................................................... 7

Le contexte de l’émergence de l’économie collaborative ........................................................ 10

L’économie collaborative : restructuration du modèle économique reflet de l’évolution

sociétale .................................................................................................................................... 15

A. L’"ubérisation" des rapports, contre-courant du modèle individualiste des années 1980 ? 15

a. La montée de l’individualisme et ses conséquences à compter des années 1980 ................ 16

b. L’avènement d’un courant alternatif .................................................................................... 18

c. Des motivations « altruistes » des acteurs de l’économie collaborative à tempérer ............ 21

B. La crise du modèle traditionnel du travail ........................................................................... 23

a. La remise en cause du modèle du salariat ............................................................................ 23

b. Le développement exponentiel du travail indépendant ........................................................ 26

c. Le rôle de l’économie collaborative dans l’accélération de la transformation du travail..... 28

C. L’émergence d’un nouveau modèle économique durable ................................................... 29

a. Un modèle marqué par la diversification des sources de rendement, complémentaire à

l’économie traditionnelle .......................................................................................................... 30

b. Un secteur économique composé de marchés très différents selon leur niveau de maturité 32

c. Une viabilité encore en question des marchés en cause ....................................................... 34

La clarification nécessaire de l’environnement juridique de l’économie collaborative ........... 36

A. Un manque prégnant de sécurité juridique .......................................................................... 36

a. Le risque de requalification des contrats de prestation de service ....................................... 36

b. Le risque de concurrence déloyale pesant sur la plateforme ................................................ 39

c. La responsabilité potentielle de la plateforme ...................................................................... 42

B. Les insuffisances du régime issu des réformes législatives récentes ................................... 46

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a. Le rôle incertain de la plateforme quant à la déclaration des revenus des différents acteurs

.................................................................................................................................................. 46

b. Les contours trop flous de l’obligation d’information ......................................................... 50

c. L’absence de prise en compte du risque de complicité de dissimulation d’activité ............. 53

II. La nécessaire prise en compte de la spécificité des acteurs du secteur ............................... 55

A. La régulation des problématiques spécifiques des acteurs de l’économie collaborative .... 56

a. L’encadrement de la gestion de l’e-réputation par les plateformes ...................................... 56

b. La modification de la définition d’une relation de salariat .................................................. 58

c. La question de la fiscalité des plateformes elles-mêmes ...................................................... 61

B. La création indispensable d’un cadre juridique cohérent .................................................... 64

a. Le danger de la régulation sectorielle ................................................................................... 65

b. La nécessaire mise en place d’un « droit des plateformes », à l’instar du droit du commerce

électronique .............................................................................................................................. 67

c. Le rôle possible du droit européen dans l’harmonisation des règles ................................... 68

Bibliographie ............................................................................................................................ 75

Page 75: Le Droit face au défi de léconomie collaborativeLe terme de consommation collaborative (« collaborative consumption ») apparaît dès 1978 aux Etats-Unis pour désigner les «

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