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Le droit de propriété Un guide sur la mise en œuvre de l’article 1 du Protocole n o 1 à la Convention européenne des Droits de l’Homme Monica Carss-Frisk COUNCIL OF EUROPE COUNCIL OF EUROPE CONSEIL DE L’EUROPE CONSEIL DE L’EUROPE Précis sur les droits de l’homme, n o 4

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Le droitde propriété

Un guide sur la miseen œuvre de l’article 1

du Protocole no 1

à la Convention européennedes Droits de l’Homme

Monica Carss-Frisk

COUNCILOF EUROPE

COUNCILOF EUROPE

CONSEILDE L’EUROPECONSEILDE L’EUROPE

Précis sur les droits de l’homme, no 4

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Le droitde propriété

Un guide sur lamise en œuvre de l’Article 1

du Protocole no 1

à la Convention européennedes Droits de l’Homme

Monica Carss-Frisk

Précis sur les droits de l’homme, no 4

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Titres déjà parus dans la série des « Précis sur les droits de l’homme »

Handbook No. 1 : The right to respect for pri-vate and family life. A guide to the im-plementation of Article 8 of the EuropeanConvention on Human Rights (2001)

Handbook No. 2 : Freedom of expression.A guide to the implementation of Arti-cle 10 of the European Convention onHuman Rights (2001)

Handbook No. 3 : The right to a fair trial.A guide to the implementation of Article 6of the European Convention on HumanRights (2001)

Handbook No. 4 : The right to property. A guideto the implementation of Article 1 of Pro-tocol No. 1 to the European Conventionon Human Rights (2001)

Handbook No. 5 : The right to liberty and se-curity of the person. A guide to the im-plementation of Article 5 of the EuropeanConvention on Human Rights (2002)

Handbook No. 6 : The prohibition of torture.A guide to the implementation of Article 3of the European Convention on HumanRights (forthcoming)

Précis no 1 : Le droit au respect de la vie pri-

vée et familiale. Un guide sur la mise enœuvre de l’article 8 de la Convention euro-péenne des Droits de l’Homme (2003)

Précis no 2 : La liberté d’expression. Un guide

sur la mise en œuvre de l’article 10 de laConvention européenne des Droits del’Homme (2003)

Précis no 3 : Le droit à un procès équitable.

Un guide sur la mise en œuvre de l’ar-ticle 6 de la Convention européenne desDroits de l’Homme (2003)

Précis no 4 : Le droit à la propriété. Un guide

sur la mise en œuvre de l’article 1 du Pro-tocole n

o 1 à la Convention européenne

des Droits de l’Homme (2003)Précis n

o 5 : Le droit à la liberté et la sûreté de

la personne. Un guide sur la mise enœuvre de l’article 5 de la Convention euro-péenne des Droits de l’Homme (2003)

Précis no 6 : La prohibition de la torture.

Un guide sur la mise en œuvre de l’ar-ticle 3 de la Convention européenne desDroits de l’Homme (à paraître)

Les opinions qui sont exprimées dans cet ouvrage ne donnent, des instruments juridiques qu’il mentionne, aucune in-terprétation officielle pouvant lier les gouvernements des Etats membres, les organes statutaires du Conseil de l’Europeou tout organe institué en vertu de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Direction généraledes droits de l’homme

Conseil de l’EuropeF-67075 Strasbourg Cedex

© Conseil de l’Europe, 2003Digital Imagery © 2001 PhotoDisc, Inc.

1ère

impression, août 2003Imprimé en Allemagne

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Table des matières

I. Vue d’ensemble . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5Description générale du droit . . . . . . . . . . 6Portée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6Les trois normes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6Justification : Ingérences admissiblesdans le droit de propriété . . . . . . . . . . . . . 8Les questions à poser . . . . . . . . . . . . . . . . 9

II. La portée du droit de propriété . . . . 10

La signification « autonome »de la notion de « bien » . . . . . . . . . . . . . 17Le droit d’acquérir une propriétéà l’avenir n’est pas garanti . . . . . . . . . . . 18Les biens des entreprises . . . . . . . . . . . . 19

III. Les trois normes . . . . . . . . . . . . . . . . 21

Deuxième norme . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

Troisième norme . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23Première norme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24Importance de l’analysedes trois normes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

IV. Justification d’une ingérence dans le droit de propriété . . . . . . . . 26

Cause d’utilité publiqueou intérêt général . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26Proportionnalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31Mesures d’imposition . . . . . . . . . . . . . . . 36Indemnisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38Sécurité juridique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

V. Autres questions . . . . . . . . . . . . . . . . 45

Combinaison de l’article 1du Protocole no 1 avec l’article 14 . . . . . 45Violations continues . . . . . . . . . . . . . . . . 46Application du droit de propriétéentre particuliers . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

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I. Vue d’ensemble

Introduction

1. L’article 1 du Protocole no 1 de la Convention

européenne des Droits de l’Homme garantit ledroit de propriété

1 :

2. Il est libellé comme suit :Toute personne physique ou morale a droit au respect deses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pourcause d’utilité publique et dans les conditions prévues parla loi et les principes généraux du droit international.Les dispositions précédentes ne portent pas atteinteau droit que possèdent les Etats de mettre en vigueurles lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementerl’usage des biens conformément à l’intérêt général oupour assurer le paiement des impôts ou d’autrescontributions ou des amendes.

3. La Convention n’est pas le seul des instru-

1 Marckx c/ Belgique, A31(1979).

2 La Déclaration universelledes droits de l’Hommestipule, par exemple, que« 1. Toute personne, aussibien seule qu’en collecti-vité, a droit à la propriété.2. Nul ne peut être arbi-trairement privé de sapropriété. » (cf. le Pacteinternational relatif auxdroits civils et politiques,qui ne couvre pas le droitde propriété).

3 Voir Harris, O’Boyle etWarbrick, Law of theEuropean Convention onHuman Rights (1995),p. 516.

4 Voir, en particulier, ledeuxième alinéa de l’ar-ticle 1 du Protocole n

o 1.

5 Pour la notion concept de« marge d’appréciation »,voir paragraphes 94 etsuivants.

6 James c/ Royaume-Uni,A98 (1986), paragraphe 46.

7 A98 (1986).

ments internationaux relatifs aux droits del’homme à reconnaître le droit de propriété

2. La

reconnaissance de ce droit dans la Conventioneuropéenne a, toutefois, suscité des contro-verses. Le Royaume-Uni et la Suède, en particu-lier, ont craint que consacrer le droit depropriété dans la Convention ne limite trop lapossibilité pour les Etats de mettre en œuvredes programmes de nationalisation des indus-tries à des fins politiques et sociales

3. La formu-

lation, qui a fini par être adoptée, assortit deréserves le droit de propriété

4.

4. L’Etat a ainsi une grande marge d’appréciation5

dans la mise en œuvre de politiques écono-miques et sociales pouvant porter atteinte audroit de propriété

6. Il ne s’ensuit pas, cepen-

dant, que la Cour n’a aucun rôle à jouer pourdéterminer la légitimité d’une telle ingérence.Comme la Cour européenne des Droits del’Homme l’a fait observer dans l’affaire Jamesc/ Royaume-Uni :

7

… la Cour ne saurait substituer sa propre appréciationà celle des autorités nationales, mais elle doit contrôlerau regard de l’article 1 du Protocole n

o 1 les mesures li-

tigieuses et, à cette fin, étudier les faits à la lumière des-quels lesdites autorités ont agi. (paragraphe 46).

5. Ces dernières années, notamment, la Coureuropéenne des Droits de l’Homme a consi-déré dans de nombreux cas que l’Etat avait dé-passé les limites de sa marge d’appréciation et

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porté atteinte au droit de propriété garanti parl’article 1 du Protocole n

o 1

8.

Description généraledu droit

Portée

6. La première chose à garder à l’esprit lorsqu’onexamine l’article 1 du Protocole n

o 1 est que la

notion de propriété, ou de « biens », esttrès largement interprétée. Elle recouvre unegrande diversité d’intérêts économiques. Leséléments suivants ont été considérés commerelevant de la protection de l’article 1 : les biensmeubles ou immeubles, les intérêts corporelsou incorporels, comme les actions, les brevets,une sentence arbitrale, le droit à une pension,le droit d’un propriétaire à un loyer, les intérêtséconomiques liés à l’exploitation d’une entre-prise, le droit d’exercer une profession, l’espé-rance légitime que certaines conditionsprévaudront, une créance fondée en droit et laclientèle d’un cinéma

9.

7. Mais la protection de l’article 1 du Proto-cole n

o 1 ne s’applique pas s’il n’est pas pos-

sible de faire valoir ces droits sur le bien en

8 Voir, par exemple,Sporrong et Lönnrothc/ Suède, A52 (1982) ;Hentrich c/ France, A296A (1994) ; Les Saints Mo-nastères c/ Grèce, A301-A(1994) ; PressosCompania Naviera SAc/ Belgique, A332(1995) ; Aka c/ Turquie1998-VI (1998) ;Papachelas c/ Grèce(25 mars 1999) ;Brumarescu c/ Roumanie(28 octobre 1999) ;Immobiliare Saffi c/ Italie(28 octobre 1999) ;Spacek c/ Républiquetchèque (9 no-vembre 1999), Beyelerc/ Italie (5 janvier 2000) ;Chassagnou c/ France(29 avril 2000) ;Carbonara et Venturac/ Italie (30 mai 2000) ;Ex-Roi de Grèce et autresc/ Grèce (23 no-vembre 2000).

9 Pour un examen détailléde la jurisprudence à cetégard, voir ci-après pa-ragraphes 42 et suivants.

10 Cet aspect est bien précisédans le libellé de la pre-mière ligne de l’article 1 :« Toute personne phy-sique ou morale adroit… » (italiques ajoutés)

11 A52 (1982).

cause : c’est seulement le droit de propriétéexistant et non pas le droit d’acquérir un bienà l’avenir qui est protégée. Dans ces condi-tions, l’espérance de l’héritage futur d’unbien, par exemple, ne sera pas protégée envertu de l’article 1.

8. Il importe de ne pas perdre de vue que les entitésjuridiques, tout comme les personnes physiques,peuvent invoquer l’article 1 du Protocole

10.

Les trois normes9. Trois normes différentes ont été distinguées

dans l’article 1 du Protocole no 1. Cette analyse

a été faite par la Cour européenne des Droitsde l’Homme dans son arrêt concernant l’affaireSporrong et Lönnroth c/ Suède

11. Il s’agit de l’une

des plus importantes décisions de la Cour envertu de l’article 1 du Protocole n

o 1.

10. L’affaire concernait des biens d’une grande va-leur (bâtiments et terrains) situés dans lecentre de Stockholm en Suède. Le conseil ad-ministratif de comté ayant décidé que cesbiens étaient nécessaires à l’aménagement ur-bain, deux types différents de mesures furentimposés : des permis d’exproprier (impliquantque les propriétés pouvaient à l’avenir être ex-propriées) et des interdictions de construire(empêchant toute construction de tout type).L’une des propriétés fit l’objet d’un permisd’exproprier pendant 23 ans au total et d’une

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interdiction de construire pendant 25 ans.Une autre fut assujettie à un permis d’expro-prier pendant 8 ans et à une interdiction deconstruire pendant 12 ans. Au cours de la pé-riode de mise en œuvre de ces mesures, il de-vint à l’évidence beaucoup plus difficile devendre les biens en question. Les mesures in-criminées finirent par être levées suite à unemodification de la politique d’urbanisme. Lespropriétaires des biens saisirent la Cour euro-péenne des Droits de l’Homme en vertu de l’ar-ticle 1 du Protocole n

o 1. Ils n’avaient reçu

aucune indemnisation pour la période pendantlaquelle leurs biens avaient fait l’objet des me-sures concernées.

11. La première question à laquelle la Cour devaitrépondre était celle de savoir s’il y avait eu in-gérence dans le droit de propriété, au sens del’article 1. Selon le Gouvernement suédois, lespermis d’exproprier et les interdictions deconstruire faisaient simplement partie inté-grante de la politique d’aménagement urbainet n’avaient pas du tout porté atteinte au prin-cipe du respect des biens. Mais la Cour rejetarapidement cet argument. Elle nota que si, lé-galement, le droit de propriété était demeuréintact, dans la pratique la possibilité d’exercerce droit avait été sensiblement réduite. La Courobserva que, du fait des permis d’exproprier, ledroit de propriété des requérants était devenu

« précaire et annulable ».Elle jugea donc qu’il y avait eu ingérence dansl’exercice du droit de propriété des requérants.Elle exposa ensuite son analyse de l’article 1,en distinguant trois normes :Cet article [article 1 du Protocole n

o 1] contient trois

normes distinctes. La première, d’ordre général, énonce leprincipe du respect de la propriété ; elle s’exprime dans lapremière phrase du premier alinéa. La deuxième vise laprivation de propriété et la soumet à certaines condi-tions ; elle figure dans la seconde phrase du même ali-néa. Quant à la troisième, elle reconnaît aux Etats lepouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biensconformément à l’intérêt général et en mettant en vi-gueur les lois qu’ils jugent nécessaires à cette fin ; elle res-sort du deuxième alinéa. (paragraphe 61).

12. La Cour s’interrogea ensuite sur le point de sa-voir si la deuxième norme s’appliquait et ob-serva qu’il n’y avait eu ni expropriation niprivation de propriété. Les requérants avaientgardé, à tout moment, la possibilité d’utiliser,de vendre, de donner et de disposer autre-ment des biens. Bien qu’il ait été plus difficilede vendre les biens en raison des mesures in-criminées, il était toujours possible pour lesrequérants de le faire. En conséquence, ladeuxième phrase du premier alinéa (c’est-à-dire la deuxième norme) ne s’appliquait pas.

13. Pour ce qui est du deuxième alinéa de l’article 1(c’est-à-dire la troisième norme), la Cour consi-

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12 James c/ Royaume-UniA98 (1986), para-graphe 46.

13 Sporrong et Lönnrothc/ Suède A52 (1982),paragraphe 73.

14 Voir ci-dessous, para-graphes 20 et suivants.

déra que celle-ci s’appliquait nettement aux in-terdictions de construire qui impliquaient uneréglementation de l’usage des biens. Les per-mis d’exproprier, en revanche, devaient être en-visagés en vertu de la première phrase dupremier alinéa (c’est-à-dire la première norme),car ils ne constituaient pas des privations depropriété, et n’étaient pas non plus destinés àréglementer l’usage.

Justification : Ingérences admissiblesdans le droit de propriété

14. Ayant tranché sur le fait qu’il y a eu ingérencedans l’exercice du droit de propriété au sens del’une des trois normes de l’article 1 du Proto-cole n

o 1, l’étape suivante consiste à détermi-

ner si cette ingérence peut être justifiée parl’Etat. Si elle peut être justifiée (la charge de lapreuve appartenant à l’Etat), il n’y aura pas deviolation de l’article 1 du Protocole.

15. Pour être justifiée, toute ingérence dans l’exer-cice du droit de propriété doit servir une causelégitime d’utilité publique ou l’intérêt général

12.

16. Cependant, il ne suffit pas que l’ingérence serveune cause d’utilité publique. Elle doit aussi êtreproportionnée. Dans l’affaire Sporrong et Lönnrothc/ Suède (voir plus haut), la Cour prononçal’importante déclaration de principes ci-aprèsconcernant la justification d’une ingérence :

… la Cour doit rechercher si un juste équilibre a étémaintenu entre les exigences de l’intérêt général de lacommunauté et les impératifs de la sauvegarde desdroits fondamentaux de l’individu… Inhérent à l’en-semble de la Convention, le souci d’assurer un tel équi-libre se reflète aussi dans la structure de l’article 1 [duProtocole n

o 1]. (paragraphe 69) (gras ajouté).

Sur la base de ce critère, la Cour considéra quele juste équilibre avait été rompu en l’espèce.Dans une autre déclaration de principes impor-tante, reprise maintes fois dans ses arrêts ulté-rieurs, la Cour précisa ce qui suit :Ainsi combinées, les deux séries de mesures ont créé unesituation qui a rompu le juste équilibre devant régnerentre la sauvegarde du droit de propriété et les exigencesde l’intérêt général : la succession Sporrong etM

me Lönnroth ont supporté une charge spéciale et

exorbitante que seules auraient pu rendre légitime lapossibilité de réclamer l’abrègement des délais ou celle dedemander réparation. Or, la législation suédoise excluaità l’époque pareilles possibilités ; elle exclut toujours laseconde d’entre elles. (paragraphe 73) (gras ajouté).

17. Il y a donc lieu de se demander si une ingé-rence dans le droit de propriété assure un justeéquilibre entre la sauvegarde du droit de pro-priété et les exigences de l’intérêt général. Untel équilibre ne saurait exister si le propriétaireindividuel doit supporter « une charge spécialeet exorbitante »

13. L’application de ces critères

est examinée plus en détail ci-après14

.

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15 Winterwerp c/ Pays-BasA33 (1979).

16 Voir ci-dessous, pa-ragraphes 149 et suivants.

17 Dans l’affaire Iatridisc/ Grèce (25 mars 1999),la Cour européenne desDroits de l’Homme souli-gna l’importance de cetteexigence et déclara quec’était la première ques-tion à poser, car si l’ingé-rence ne respectait pas leprincipe de la légalité,elle ne pouvait être com-patible avec l’article 1 duProtocole n

o 1 (para-

graphe 58). Cette exi-gence figure, cependant,en dernière place parmiles questions ci-dessus,car il faut prévoir que,dans la plupart des cas,les questions que l’onposera en premier sontcelles de savoir si l’ingé-rence sert un objectiflégitime et si elle est pro-portionnée.

18. Une ingérence dans le droit de propriété estaussi assujettie à l’exigence de sécurité juri-dique, ou de légalité. Cette exigence est ex-pressément signalée dans la deuxième phrasedu premier alinéa de l’article 1 du Proto-cole n

o 1, qui prévoit qu’une privation de

propriété ne peut intervenir que dans les« conditions prévues par la loi ». Mais le prin-cipe de sécurité juridique est inhérent àl’ensemble de la Convention et doit être res-pecté quelle que soit celle des trois normesde l’article 1 qui s’applique.

19. La sécurité juridique suppose l’existence et le res-pect de dispositions juridiques internes suffisam-ment accessibles et précises, qui satisfassent auxprincipes essentiels du « droit ». Autrement dit,le membre de phrase « dans les conditions pré-vues par la loi » ne vaut pas seulement pour la lé-gislation nationale. La Convention vise à assurerque la législation nationale elle-même estconforme aux principes essentiels du « droit ».Cela suppose une procédure équitable et appro-priée, les mesures visées devant être introduiteset exécutées par une autorité compétente et nedevant pas revêtir un caractère arbitraire

15. Des

garanties doivent aussi être prévues au niveaudes procédures pour éviter que l’Etat n’utiliseabusivement ses pouvoirs. Le principe de sécu-rité juridique est examiné de manière plus appro-fondie plus loin

16.

Les questions à poser

20. Il découle de ce qui précède que les questions àposer lorsqu’on veut déterminer s’il y a eu vio-lation du droit de propriété garanti par l’ar-ticle 1 du Protocole n

o 1 sont les suivantes :

1) Existe-t-il un droit de propriété ou un bienau sens de l’article 1 ?2) Y a-t-il eu ingérence dans l’exercice de cedroit ?3) Du point de vue de laquelle des troisnormes de l’article 1 l’ingérence doit-elle êtreenvisagée ?4) L’ingérence sert-elle une cause légitimed’utilité publique ou l’intérêt général ?5) Le principe de proportionnalité est-il res-pecté ? L’ingérence assure-t-elle un juste équi-libre entre les exigences de l’intérêt général dela communauté et les impératifs de protectiondes droits fondamentaux de l’individu… ?6) L’ingérence est-elle conforme au principede la sécurité juridique ou de la légalité ?

17

21. S’il y a eu ingérence dans le droit de propriété,cette ingérence ne sera pas compatible avecl’article 1 du Protocole n

o 1 si la réponse à l’une

ou l’autre des questions 4 à 6 est négative.

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18 Voir requête n° 12633/87Smith Kline et Labora-toires français c/ Pays-Bas(1990) pour la reconnais-sance du fait que l’ar-ticle 1 du Protocole n

o 1

peut s’appliquer à la pro-priété des brevets.

II. La portée du droit depropriété

22. Comme indiqué plus haut, la propriété, ou les« biens », ont été définis d’une manière largedans l’article 1 du Protocole n

o 1. Tout un en-

semble d’intérêts économiques entrentdans le champ d’application du droit de pro-priété, y compris les biens meubles ou im-meubles, les intérêts corporels ou incorporels.

23. Le fait que l’article 1 s’applique à la propriété desactions dans une société, par exemple, a étéreconnu par la Commission européenne desDroit de l’Homme en 1982 dans les requêtesn

o 8588/79, 8589/79 Bramelid et Malmström

c/ Suède (1982)18

. L’affaire concernait deux parti-culiers détenant des actions d’un grand magasinbien connu de Stockholm, en Suède. En 1977,une nouvelle loi sur les sociétés fut adoptée, quieut pour effet de permettre à toute société déte-nant plus de 90 pour cent des actions et des

droits de vote dans une autre société d’obligerla minorité restante des actionnaires à lui vendreses actions, au même cours que la société lesaurait payées dans le cadre d’une adjudicationpublique, ou autrement à un cours fixé par desarbitres. Les actionnaires minoritaires dépo-sèrent une plainte auprès de la Commission,contestant l’application de la nouvelle loi à leurégard. Ils soutenaient avoir dû restituer leurs ac-tions aux actionnaires majoritaires à une valeurinférieure à leur valeur marchande. (Le coursavait été fixé par des arbitres).

24. La Commission s’interrogea tout d’abord sur lepoint de savoir si les actions constituaient des« biens » au sens de l’article 1 du Proto-cole n

o 1. Elle souligna combien il était com-

plexe de décrire une action : il s’agissait d’uncertificat promettant à son détenteur une partdans la société ainsi que les droits correspon-dants (y compris les droits de vote), mais aussid’une créance indirecte sur les biens de la so-ciété. Il n’y avait aucun doute dans ce cas queles actions avaient une valeur économique. LaCommission estima donc que l’on pouvaitconsidérer qu’il s’agissait de « biens ».

25. Pour ce qui est de la question de savoir laquelledes trois normes de l’article 1 s’appliquait, laCommission considéra que l’application de la loisur les sociétés aux actions des actionnaires mi-noritaires ne relevait pas de la deuxième norme,

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« la privation », comme les requérants l’avaientavancé. Elle fit observer que, s’il n’y avait pas deréférence expresse à l’« expropriation » dansl’article 1, le libellé de cet article indiquait claire-ment que la deuxième norme visait bien l’expro-priation, c’est-à-dire l’action par laquelle l’Etatprend possession – ou autorise une tierce partieà prendre possession – d’un élément particulierd’un bien dans l’intérêt public. Cette interpréta-tion a été confirmée par les travaux prépara-toires concernant l’article 1. De l’avis de laCommission, la législation en cause était totale-ment différente. Elle concernait des relationsentre des individus privés, de sorte que ladeuxième phrase ne s’appliquait pas.

26. La Commission nota ensuite que, dans tous lesEtats Parties à la Convention, la législation appli-cable aux relations de droit privé entre particu-liers prévoyait des règles déterminant les effetsde ces relations légales sur la propriété et, danscertains cas, obligeaient un individu à restituerun bien à un autre. On pouvait citer commeexemples la division de la propriété héritée, no-tamment dans le secteur agricole, la division desbiens matrimoniaux et, en particulier, la saisie etla vente de biens en cas de mesure exécutoire.Selon la Commission, ce type de règle indispen-sable dans une société libérale ne pouvait pasen principe être contraire à l’article 1 du Proto-cole n

o 1. La Commission dut néanmoins s’assu-

rer qu’en déterminant les effets sur les biens desrelations légales entre individus, la loi n’engen-drait pas une inégalité telle qu’une personnepouvait être arbitrairement et injustement privéede ses biens en faveur d’une autre. Dans l’affairedont elle était saisie, elle ne constata pas unetelle inégalité.

27. L’affaire Bramelid et Malmström c/ Suède (ci-dessus)est intéressante, non seulement parce qu’elle re-connaît que la propriété d’actions relève de laprotection de l’article 1 du Protocole n

o 1, mais

aussi parce qu’elle permet de préciser que cet ar-ticle peut s’appliquer à la législation touchant lesrelations de droit entre particuliers.

28. Dans l’affaire plus récente Raffineries grecques Stranet Stratis Andreadis c/ Grèce

19, la Cour euro-

péenne des Droits de l’Homme considéraqu’une sentence arbitrale était un « bien » ausens de l’article 1 du Protocole n

o 1. Aux termes

d’un contrat passé en 1972, M. Andreadisconclut avec l’Etat, alors sous le contrôle d’unedictature militaire, un marché pour la construc-tion d’une raffinerie de pétrole brut prèsd’Athènes, en Grèce. La construction, dont lecoût devait s’élever à 76 millions de dollars envi-ron, incombait à une société (« Stran ») dontM. Andreadis était le propriétaire. L’Etat ratifiale contrat par un décret-loi, mais ne s’acquittapas par la suite de son obligation. Après le réta-blissement de la démocratie en Grèce, l’Etat19 A301-B (1994).

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20 A332 (1995).

considéra le projet comme préjudiciable à l’éco-nomie nationale et résilia le contrat. Stran ayantengagé d’importantes dépenses pour la réalisa-tion du projet, un litige s’éleva alors entre elle etl’Etat. Stran introduisit une action devant le tri-bunal de grande instance d’Athènes. L’Etatcontesta la compétence du tribunal et alléguaque le litige devait être soumis à l’arbitrage. Il dé-posa donc une requête d’arbitrage et nommason arbitre, invitant le tribunal arbitral à déclarernon fondées toutes les demandes en indemnisa-tion introduites par Stran. Mais le tribunal tran-cha en faveur de Stran, ordonnant le paiementpar l’Etat à la société de plus de 16 millions dedollars. L’Etat saisit ensuite le tribunal de grandeinstance d’Athènes en demandant l’annulationde la sentence arbitrale au motif que le tribu-nal arbitral n’était pas compétent. L’Etat ayantperdu devant la Cour d’appel, se pourvut ensuitedevant la Cour de cassation. En 1987, toutefois,une nouvelle loi fut promulguée ayant pour effetde rendre non exécutoire la sentence arbitraleen faveur de Stran. Les Raffineries grecquesStran et M. Andreadis saisirent alors les organesde Strasbourg, s’appuyant notamment sur l’ar-ticle 1 du Protocole n

o 1 à la Convention.

29. L’essentiel du litige dont était saisie la Coureuropéenne des Droits de l’Homme relevaitde l’article 6 de la Convention. Pour ce quiest de l’article 1 du Protocole n

o 1, l’Etat ar-

gumenta qu’il n’y avait eu ingérence dansaucun « bien ». Selon lui, une sentence ar-bitrale ne pouvait être assimilée au droit quecelle-ci pourrait reconnaître. La Cour ob-serva qu’elle devait rechercher si la sentencearbitrale avait fait naître en faveur de Stranune créance suffisamment établie pour êtreexigible. Elle conclut par l’affirmative. Lasentence arbitrale était définitive et obliga-toire. Elle n’exigeait aucune autre mesured’exécution et ne se prêtait à aucun recoursordinaire ou extraordinaire. Au moment de lapromulgation de la loi d’annulation en 1987,la sentence arbitrale conférait donc un droitconsidéré par la Cour comme un bien ausens de l’article 1 du Protocole n

o 1.

30. Pressos Compania Naviera SA c/ Belgique20

est uneaffaire un peu semblable, qui illustre aussi laportée du concept de propriété, ou de« biens ». Elle concernait aussi des créancesen réparation. Dans ce cas, les requérantsétaient des armateurs dont les navires étaientimpliqués dans des collisions intervenues dansles eaux territoriales de la Belgique. Attribuantces accidents à des fautes commises par despilotes belges à bord des navires en question(dont l’Etat était responsable en vertu de la loibelge), les requérants intentèrent des actionscontre l’Etat belge. Par une loi du 30 août1988, le pouvoir législatif belge exclut en fait la

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21 C’est à dire qu’elle n’estpas tributaire des qualifi-cations du droit internede l’Etat en cause.

22 A222 (1991).

responsabilité pour les dommages subis oucausés comme suite aux sinistres en question.

31. Les armateurs déposèrent plainte en vertu de l’ar-ticle 1 du Protocole n

o 1, arguant que leur droit de

propriété avait été violé. Selon l’Etat, les préten-dues créances des requérants ne pouvaient pas-ser pour des « biens » et aucune n’avait étéconstatée et liquidée par une décision judiciaireayant force de chose jugée.

32. La Cour européenne des Droits de l’Homme dé-clara que, bien que la notion de « biens » re-vête une signification autonome

21, elle pouvait

avoir égard au droit interne (belge) en vigueur. Ils’agissait en l’espèce d’un régime faisant naîtreles créances en réparation dès la survenance dudommage. Une créance de ce genre « s’analy-sait en valeur patrimoniale » et avait donceffectivement le caractère d’un bien au sens del’article 1 du Protocole n

o 1. En outre, compte

tenu des décisions judiciaires préalables à la loide 1998, les requérants pouvaient prétendreavoir une espérance légitime de voir statuer surleurs créances conformément au droit communde la responsabilité.

33. La loi de 1988 avait entraîné une ingérencedans l’exercice des droits de propriété, car elleavait privé les requérants des droits qu’ils pou-vaient faire valoir avant son adoption.

34. Une autre affaire qui illustre la portée del’article 1 du Protocole n

o 1 est Pine Valley

Developments Ltd c/ Irlande22

, dans laquelle laCour européenne des Droits de l’Hommeconsidéra que l’article 1 pouvait protéger l’es-pérance légitime de voir se concrétiser cer-taines conditions. Dans ce cas, les requérantsavaient acheté un terrain en 1978, sur la based’un certificat préalable d’urbanisme pour uneconstruction industrielle. Ultérieurement, en1982, la Cour suprême irlandaise annula l’octroidu certificat d’urbanisme préalable, pour excèsde pouvoir et incompatibilité avec la législationpertinente. Les requérants considérèrent que ladécision de la Cour suprême était contraire àleur droit de propriété garanti par l’article 1 duProtocole n

o 1.

35. La Cour se posa d’abord la question de savoir siles requérants avaient jamais joui d’un droit àaménager le terrain en cause, droit auquel ilaurait pu être porté atteinte en vertu de l’ar-ticle 1, compte tenu de la décision de la Coursuprême, qui jugea nul et non avenu le certificatpréalable en vertu de la législation irlandaise. LaCour répondit par l’affirmative, car lorsque PineValley acheta le terrain, elle se fonda sur le certifi-cat, dûment consigné dans un registre publictenu à cette fin, et elle avait tout lieu de le présu-mer valide. Dans ces conditions, on « pêcheraitpar excès de formalisme » si l’on considéraitque l’arrêt de la Cour suprême ne constituait pasune ingérence dans le droit de propriété des re-

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23 Paragraphe 51.24 A101 (1986).25 A159 (1989).

quérants23

. Jusqu’à son prononcé, les requérantsavaient pour le moins l’espérance légitime depouvoir réaliser leur projet d’aménagement ; ilfallait y voir, aux fins de l’article 1 duProtocole n

o 1, un élément de la propriété en

question (c’est-à-dire la terre).36. Dans l’affaire Van Marle c/ Pays-Bas

24, la Cour

européenne des Droits de l’Homme dut détermi-ner si une clientèle professionnelle pouvait êtreprotégée en vertu de l’article 1 du Proto-cole n

o 1. Les requérants exerçaient des acti-

vités d’expert-comptable depuis quelquesannées, lorsqu’en 1972, une nouvelle loi futadoptée qui exigeait leur immatriculation auprèsd’une commission d’admission s’ils voulaientcontinuer à exercer. Ils sollicitèrent leur immatri-culation mais leurs demandes furent rejetées en1977. Ils se pourvurent alors devant la Commis-sion de recours qui les débouta après leur com-parution, au motif que leurs exposés avaientlaissé à désirer et que leurs réponses aux ques-tions ne révélaient pas une aptitude profession-nelle suffisante. Les requérants considérèrentque les décisions de la commission de recoursétaient contraires à l’article 1 du Protocole n

o 1

car elles avaient diminué leurs revenus et la va-leur de leur entreprise. Dès lors, ils avaient subiune ingérence dans l’exercice de leur droit aurespect de leurs biens et une privation partiellede ceux-ci sans indemnité.

37. Pour l’Etat, au contraire, les requérantsn’avaient pas de « biens » au sens de l’ar-ticle 1. La Cour en décida cependant autre-ment, considérant que le droit invoqué par lesrequérants « pouvait être assimilé au droit depropriété » consacré à l’article 1. Grâce à leurtravail, les intéressés avaient réussi à se consti-tuer une clientèle ; revêtant à beaucoupd’égards le caractère d’un droit privé,celle-ci s’analysait en une valeur patrimo-niale, donc en un « bien ».

38. En outre, le refus d’inscrire les requérants sur laliste des experts-comptables agréés avait pro-fondément altéré les conditions de leurs activi-tés professionnelles dont la portée avait étéréduite. Leur revenus avaient baissé, ainsi que lavaleur de leur clientèle et, plus généralement, deleur entreprise. Dès lors, il y avait eu ingérencedans le droit au respect de leurs biens.

39. Tre Traktörer Aktiebolas c/ Suède A159 (1989)25

estun autre exemple de l’application de l’article 1du Protocole n

o 1 aux intérêts économiques liés

à la gestion des entreprises. La requérante étaitune société anonyme suédoise (TTA), qui as-suma la gestion d’un restaurant appelé « LeCardinal » en 1980. Le restaurant s’était vuauparavant accorder une licence l’autorisant àservir de l’alcool. La gérante ayant par la suitefait l’objet d’une plainte de la part de servicesfiscaux, sa capacité de gérer le restaurant fut

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mise en doute. En juillet 1983, la préfecture ducomté décida de révoquer la licence avec effetimmédiat. La société prétendit avoir dû, enconséquence, fermer le restaurant dès le lende-main (fait contesté par le gouvernement). TTA sepourvut devant une autre autorité administra-tive, mais son recours fut rejeté, tout comme lademande d’indemnisation fondée sur le retraitde la licence adressée au gouvernement.

40. Les requérants saisirent la Cour européennedes Droits de l’Homme, invoquant l’article 6 etl’article 1 du Protocole n

o 1 à la Convention.

Selon l’Etat, une licence de débit de boissonsne saurait passer pour un « bien » au sens del’article 1. La Cour, comme la Commission, es-timèrent au contraire que les « intérêts éco-nomiques liés » à la gestion du restaurantconstituaient des « biens » dans cette op-tique. Le maintien de la licence figurait parmiles conditions principales de la poursuite desactivités de la requérante et son retrait eut desincidences négatives sur le fonds de commerceet la valeur du restaurant. Ledit retrait repré-sentait donc une ingérence dans le droit deTTA au respect de ses biens.

41. La Cour rappela ensuite les trois normes de l’ar-ticle 1. Elle considéra que, pour sérieuse qu’elleait pu être, l’ingérence dénoncée ne relevait pasde la deuxième phrase du premier alinéa. La re-quérante ne pouvait plus exercer des activités

de restauration dans « Le Cardinal », mais elle yconservait des intérêts économiques, à savoir lebail des locaux et les objets qu’ils renfermaient ;elle finit par les vendre en 1984. Il n’avait doncpas eu de privation de propriété au sens de ladeuxième norme. En revanche, le retrait de la li-cence s’analysait en une mesure de réglementa-tion de l’usage des biens, à examiner sous l’angledu deuxième alinéa de l’article 1.

42. L’approche consistant à considérer les intérêtscommerciaux ou industriels comme des« biens » a aussi été retenue dans l’affaire ré-cente Iatridis c/ Grèce (25 mars 1999). Danscette affaire, M. K.N hérita en 1929 d’une pro-priété immobilière en Grèce sur laquelle il dé-cida de construire un cinéma de plein air (aprèsavoir obtenu l’autorisation nécessaire desautorités). Un différend surgit ensuite quant à lapropriété du terrain sur lequel le cinéma étaitconstruit. L’Etat considérant qu’une partie dudomaine lui appartenait, il se l’appropria. Audécès de K.N, en 1976, ses héritiers furent ce-pendant invités à payer des droits de succes-sion sur le terrain en question. Le différendconcernant la propriété se poursuivit et, en1978, les héritiers louèrent le cinéma au requé-rant, qui le restaura entièrement. En 1989, lesautorités ordonnèrent son éviction. L’arrêtéd’expulsion fut exécuté de force et le cinémadonné au conseil municipal local.

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43. Pour ce qui est de la question de savoir si le re-quérant détenait un « bien » au sens de l’ar-ticle 1 du Protocole n

o 1, la Cour rappela que la

notion de « biens » dans l’article 1 avait une si-gnification autonome qui ne se limitait cer-tainement pas à la propriété de bienscorporels ; certains autres droits et intérêtsconstituant des actifs pouvaient aussi passerpour des « droits de propriété » et donc pourdes « biens » au sens de l’article 1

26.

44. La Cour précisa qu’elle ne pouvait se substitueraux juridictions nationales et déterminer à quiappartenait le terrain, mais constata que le re-quérant avait exploité, en vertu d’un contrat delocation en bonne et due forme, le cinéma pen-dant onze ans avant son expulsion sans avoirété inquiété par les autorités. Grâce à quoi, ils’était constitué une clientèle s’analysant enune valeur patrimoniale.

45. La Cour rappela ensuite les trois normes de l’ar-ticle 1. Etant donné que le requérant n’étaitque simple locataire de son fonds de com-merce, l’ingérence en question ne constituait niune expropriation ni une réglementation del’usage des biens, mais relevait de la premièrenorme de l’article 1.

46. Dans l’affaire Mellacher c/ Autriche27

, la Cour futsaisie d’un cas d’ingérence dans le droit contrac-tuel d’un propriétaire à un loyer

28. Les requé-

rants étaient copropriétaires d’un immeuble sis à

Graz, en Autriche et dont ils louaient plusieursappartements. Un système de contrôle desloyers était en place en Autriche depuis la pre-mière guerre mondiale, mais il ne s’appliquaitpas, toutefois, aux maisons construites après1917 ni à certains autres appartements. En1981, une nouvelle loi sur les loyers fut intro-duite après un débat houleux, pour procéder àune réforme d’ensemble. Cette loi eut pour effetde réduire considérablement les loyers que lesrequérants étaient habilités à demander envertu des baux existants. Les intéressés repro-chèrent aux autorités d’avoir empiété sur leur li-berté de contracter et de les avoir privés d’unepartie substantielle de leurs revenus locatifs fu-turs. Les loyers avaient été fixés par contrat envertu de la législation antérieure.

47. A n’en pas douter, les réductions pratiquéesselon la loi de 1981 constituaient une ingérencedans la jouissance des droits que les requérantstiraient de leur qualité de propriétaires des biensloués. D’après les requérants, les réductionsavaient un effet tel qu’on pouvait les assimiler àune expropriation de fait. Elles avaient, en toutétat de cause, été privées de leur droit contrac-tuel à toucher le loyer convenu. La Cour relevaque les mesures incriminées ne s’analysaient nien une expropriation formelle ni en une expro-priation de fait, car il n’y avait pas eu transfert dela propriété des requérants et ils n’avaient pas été

26 Paragraphe 54.27 A169 (1989).28 Voir aussi requête

n° 10741/84 Sc/ Royaume-Uni (1984),pour laquelle la Commis-sion a considéré quel’article 1 duProtocole n

o 1 s’appli-

quait au bénéfice d’unaccord restrictif et au droità un loyer annuel.

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dépouillés du droit d’user de leurs biens, de leslouer ou de les vendre. Lesdites mesures, qui lesavaient privés sans conteste d’une partie de leursrevenus immobiliers, se ramenaient en l’occur-rence à une réglementation de l’usage des biens.

48. Le droit à une pension peut aussi relever de laprotection de l’article 1 du Protocole n

o 1. Cette

question fit l’objet d’une décision de la Com-mission européenne des Droits de l’Homme, re-quête n

o 5849/72 Müller c/ Autriche (1995).

M. Müller avait travaillé comme serrurier enAutriche et au Luxembourg pendant plusieursannées, contribuant à titre obligatoire et volon-taire au régime d’assurance vieillesse de l’Etat. Al’issue d’un traité conclu entre l’Autriche et leLuxembourg, une partie de ses contributions neput plus être comptabilisée pour calculer sapension de base, mais seulement sa pensioncomplémentaire. Dans ces conditions, lorsqueM. Müller prit sa retraite en 1970, il ne put ob-tenir le montant de la pension qu’il escomptait.Il fit valoir que l’application du traité entraînaitpour lui une violation de son droit de propriétéen vertu de l’article 1 du Protocole n

o 1.

49. Examinant cet argument, la Commission euro-péenne des Droits de l’Homme souligna que ledroit à une pension vieillesse ne figure pasparmi les droits couverts par la Convention.Elle considéra, toutefois, que le versement decontributions obligatoires à une caisse de re-

traite pouvait créer un droit de propriété surune partie de cette caisse et que ce droit pou-vait être affecté par la façon dont la caisse ré-partissait ses actifs.La Commission était aussi disposée à assumer,sans prendre de décision à cet égard, que lescotisations de retraite volontaires pouvaientégalement donner lieu à un droit protégé parl’article 1 du Protocole n

o 1.

50. En fin de compte, la Commission rejeta la de-mande de M. Müller, considérant que si l’ar-ticle 1 pouvait garantir à une personne le droitau versement d’une prestation, il ne pouvaitêtre interprété comme habilitant cette per-sonne à un montant donné. Cette décision estimportante, toutefois, car elle montre que lesdroits à pension nés du versement de cotisa-tions à une caisse de retraite pouvaient releverde la protection de l’article 1. Cela ne signifiepas, bien entendu, que l’article 1 du Proto-cole n

o 1 garantit le droit à une pension de re-

traite ou à des prestations de sécurité socialelorsque ces prestations ne sont pas prévuesdans la législation nationale.

La signification « autonome » de lanotion de « bien »

51. Il importe de ne pas perdre de vue que, pourque l’article 1 du Protocole n

o 1 puisse s’appli-

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quer, il n’est pas nécessaire que la législationnationale reconnaisse l’intérêt pertinentcomme un droit de propriété : la notion de« biens » a une signification autonome ausens de la Convention.

52. Cet aspect est parfaitement illustré par l’af-faire Tre Traktörer Aktiebolag c/ Suède

29, dans la-

quelle (comme on l’a indiqué plus haut) laCour a reconnu que les intérêts économiquesétablis dans le cadre de la gestion d’une en-treprise relevaient de la protection de l’ar-ticle 1 du Protocole n

o 1.

53. Cependant, pour invoquer la protection del’article 1, un individu doit jouir d’un droitdans le cadre de la législation nationale, quipeut être considéré comme un droit de pro-priété du point de vue de la Convention. Cepoint est illustré par la requête n

o 111716/85 S

c/ Royaume-Uni (1986), pour laquelle la Com-mission européenne des Droits de l’Hommeconclut que l’occupation d’un bien sans undroit sanctionné par la loi n’était pas protégéepar l’article 1 du Protocole n

o 1.

54. Dans cette affaire, une femme avait vécu « ma-ritalement » pendant de nombreuses annéesavec une autre femme. Cette autre femme étaitlocataire d’un appartement de la ville, mais larequérante n’avait aucun titre légal sur la pro-priété ou la location. Au décès de sa partenaire– la locataire – , la requérante demanda aux

instances judiciaires anglaises que la locationlui soit transférée, en tant que partenaire survi-vante du locataire. Le tribunal anglais compé-tent jugea toutefois que la loi ne permettait pascela : seul l’époux survivant d’un couple hété-rosexuel marié pouvait prétendre à un tel droit.Devant la Commission européenne des Droitsde l’Homme, la requérante invoqua essen-tiellement l’article 8, mais elle se référa aussi àl’article 1 du Protocole n

o 1. La Cour rejeta

d’emblée cette requête, notant que la requé-rante n’avait pas de droit contractuel et que lesimple fait qu’elle ait vécu dans la maison ne si-gnifiait pas qu’elle détenait un « bien » ausens de l’article 1 du Protocole n

o 1.

Le droit d’acquérir une propriété àl’avenir n’est pas garanti

55. La protection de l’article 1 du Protocole no 1 ne

s’applique que lorsqu’il est possible de fairevaloir un droit sur le bien concerné. L’article 1ne protège pas le droit d’acquérir un bien.

56. Ce principe est illustré par l’affaire Marckxc/ Belgique

30. Dans cette affaire, les requé-

rantes (une mère et sa petite-fille) contes-tèrent les clauses du code civil belge surl’illégitimité, notamment celles relatives aumode d’établissement de la filiation mater-nelle « naturelle », qui ne pouvait être établie

29 A159 (1989), para-graphe 53.

30 A31 (1979). Cf. Inzec/ Autriche A126 (1987).Dans cette affaire, le re-quérant était un enfant néhors mariage qui se plai-gnait de ne pas être auto-risé à reprendrel’exploitation agricole desa mère (en tant que filsaîné) comme il aurait pule faire s’il avait été légi-time. Il considérait qu’il yavait infraction à l’ar-ticle 1 du Protocole n

o 1,

combiné avec l’article 14de la Convention. L’Etatinvoqua l’arrêt Marckxpour considérer que l’ar-ticle 1 du Protocole n

o 1

n’entrait pas en jeu dutout. Mais la Cour rejetacet argument, considérantqu’il fallait distinguer laprésente cause de l’affaireMarckx, qui avait trait àun droit potentiel à héri-ter. En l’espèce, aucontraire, le requérantavait déjà obtenu par voiede succession le droit àune part de l’exploitationagricole et se plaignait dene pas avoir hérité autantqu’il aurait pu s’il avaitété un enfant légitime.

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31 L’article 14 de la Conven-tion interdit la discrimina-tion pour ce qui est de lajouissance des droits etlibertés garantis par laConvention. Voir ci-après,paragraphes 163 et sui-vants.

32 L’article 8 de la Conven-tion protège le droit aurespect de la vie privée etfamiliale.

que par un acte volontaire de reconnaissance,ainsi que l’existence de restrictions à la capa-cité de la mère de léguer et de restrictions à lacapacité de l’enfant illégitime d’hériter. Ceséléments constituaient des violations de leurdroit de propriété en vertu de l’article 1 duProtocole n

o 1 (combiné avec l’article 14)

31.

(D’autres revendications furent aussi présen-tées, en particulier en vertu de l’article 8.)

32

57. La Cour européenne des Droits de l’Hommeconsidéra que l’article 1 du Protocole n

o 1 ne

s’appliquait pas du tout à l’enfant, constatantque ce texte se bornait à consacrer le droit dechacun au respect de « ses » biens, qu’il ne valaitpar conséquent que pour des biens actuels etqu’il ne garantissait pas le droit d’en acquérir parvoie de succession ab intestat ou de libéralités.

58. Le même principe fut appliqué pour la requêten

o 8410/78 X c/ République fédérale d’Allemagne

(1979). Dans cette affaire, le requérant était unnotaire travaillant en Allemagne. Il mettait encause une loi allemande qui l’obligeait à réduireses honoraires pour la rédaction d’actes pourcertains clients, comme les universités, les é-glises et d’autres organisations à but non lucra-tif. Le montant de la réduction était de 80 pourcent du montant qu’il avait précédemment étéautorisé à appliquer en vertu des réglementa-tions. Il demandait réparation, entre autres, envertu de l’article 1 du Protocole n

o 1. La Com-

mission européenne des Droits de l’Homme ex-pédia rapidement cette affaire. Elle considéraque le droit d’un notaire à des honoraires nepouvait être considéré comme un bien quelorsque ce droit était lié à un tâche particulière,venait en contrepartie de services effectivementrendus et était fondé sur les réglementationsexistantes concernant les honoraires notariaux.La simple attente que les réglementationsconcernant les honoraires resteraient sanschangement ne pouvait être considérée commeun droit de propriété.

Les biens des entreprises59. Les personnes physiques ne sont pas les seules

à pouvoir bénéficier de la protection de l’ar-ticle 1 du Protocole n

o 1 ; les personnes mo-

rales entrent aussi dans le champ d’applicationde ce droit. Cela ressort clairement du libellé del’article 1, qui fait référence « à toute personnephysique ou morale » (italiques ajoutés).

60. Dans ces conditions, les entreprises peuventalléguer d’infractions à leur droit de pro-priété. Mais les actionnaires ne peuvent gé-néralement pas faire valoir de droit pour lesdommages causés à une société. Le fait de« lever le voile social », ou de faire abstrac-tion de la personnalité juridique d’une so-ciété, ne sera qu’exceptionnellement autorisé,par exemple lorsqu’une société ne peut de-

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33 A330-A (1995).34 L’article 35 de la Conven-

tion stipule que la Coureuropéenne des Droits del’Homme ne peut êtresaisie qu’après l’épuise-ment des voies de recoursinternes.

35 L’affaire Agroteximc/ Grèce va à l’encontre decertaines décisions anté-rieures de la Commissionconfirmant qu’un action-naire majoritaire importantpouvait être considérécomme une victime d’undommage causé à la so-ciété, au sens de l’article 1du Protocole n

o 1. Voir

requête n° 9266/81Yarrow c/ Royaume-Uni(983) et requête n° 1706/62 X c/ Autriche 21 CD 34(1966).

36 A52 (1982). Voir ci-des-sus, paragraphes 9 etsuivants.

37 Pour un exemple d’untransfert formel de pro-priété en violation de ladeuxième norme de l’ar-ticle 1 du Protocole n

o 1,

voir le jugement de laCour européenne desDroits de l’Homme dansl’affaire Ex-Roi de Grèceet autres c/ Grèce, 23 no-vembre 2000.

mander réparation par le biais de ses organesou de ses liquidateurs.

61. Ce principe est illustré par Agrotexim c/ Grèce33

.Dans cette affaire, les sociétés requérantesétaient les actionnaires d’une brasserie àAthènes. Confrontée à des difficultés finan-cières, la brasserie souhaita réaménager deux deses sites. Mais le conseil municipal d’Athènesdécida d’adopter des mesures pour exproprierles terrains. La brasserie se déclara ensuite enfaillite et des liquidateurs furent nommés. Les re-quérants saisirent la Commission européennedes Droits de l’Homme, considérant que les me-sures d’expropriation constituaient une violationde l’article 1 du Protocole n

o 1.

62. L’Etat considéra à titre préliminaire que les socié-tés requérantes, en tant qu’actionnaires, n’étaientvictimes d’aucune violation du droit de propriétéde l’entreprise. La Commission estima qu’ellespouvaient être considérées comme des victimes,compte tenu en particulier du fait que l’ingérencedans les droits de la brasserie avait entraîné unebaisse de la valeur de ses actions et avait donc di-minué la valeur des participations des sociétés re-quérantes. Mais la Cour fit état de son désaccord.Elle s’opposa à l’idée qu’un actionnaire puisse demanière générale demander réparation pour vio-lations des droits de propriété d’une société.

Selon elle, il était chose courante que des diver-gences d’opinion surgissent entre actionnairesd’une société anonyme ou entre eux et sonconseil d’administration à propos d’une atteinteau droit au respect des biens de celle-ci. L’adop-tion du point de vue de la Commission risqueraitde susciter – compte tenu des intérêts concur-rents – des difficultés quant à la détermination dela personne habilitée à introduire une requête.Cela entraînerait, en outre, des problèmes consi-dérables quant à l’épuisement des voies de re-cours internes

34, car on pouvait estimer que dans

la plupart des Etats membres les actionnairesn’ont en principe pas la possibilité d’intenter uneaction en réparation en cas de violations desdroits de la société.

63. La Cour estima donc qu’il n’était justifié de « le-ver le voile social » que dans des circonstancesexceptionnelles, notamment lorsqu’il est claire-ment établi que la société se trouve dans l’im-possibilité d’introduire une requête parl’intermédiaire de ses organes statutaires ou –en cas de liquidation – de ses liquidateurs. Enl’espèce, il n’y avait aucune raison juridique em-pêchant les liquidateurs de faire valoir les droitsde la société et rien ne permettait de penserqu’ils avaient failli à leurs devoirs. Les sociétésrequérantes furent donc déboutées

35.

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III. Les trois normes

64. Nous avons vu que la Cour européenne des Droits del’Homme a distingué trois normes dans l’article 1 duProtocole n

o 1. Cette analyse a été présentée pour la

première fois dans l’affaire Sporrong et Lönnrothc/ Suède

36 et a été répétée à plusieurs reprises dans

des arrêts ultérieurs de la Cour. Les trois normes sontles suivantes :1) Principe du respect de la propriété (pre-mière phrase du premier alinéa) ;2) Privation de propriété (deuxième phrasedu premier alinéa) ; et3) Réglementer l’usage (deuxième alinéa).

65. La deuxième et la troisième normes seront exa-minées en premier et la première norme ensuite.

Deuxième norme66. Afin de déterminer s’il y a privation de pro-

priété au sens de la deuxième norme, il faut sedemander non seulement s’il y a une expropria-

tion formelle ou un transfert de propriété37

, maisaussi étudier les différents aspects de la situa-tion pour voir s’il y a eu expropriation de fait.

67. Cela est bien illustré par l’affaire Sporrong etLönnroth c/ Suède

38, concernant l’imposition de

permis d’exproprier et d’interdictions deconstruire sur des propriétés situées àStockholm (Suède)

39, pour laquelle la Cour fit

observer ce qui suit :En l’absence d’une expropriation formelle, c’est-à-dired’un transfert de propriété, la Cour s’estime tenue deregarder au-delà des apparences et d’analyser les réali-tés de la situation litigieuse… La Convention visant àprotéger des droits « concrets et effectifs » …, il importede rechercher si ladite situation n’équivalait pas à uneexpropriation de fait, comme le prétendent les intéressés(paragraphe 63)

40.

68. Cette approche de la question de ce qu’estl’expropriation coïncide avec celle adoptée parle droit international général selon lequel :… les actions engagées par un Etat peuvent interféreravec les droits de propriété dans une telle mesure que cesdroits sont rendus inutiles au point que l’on peut consi-dérer qu’il y a expropriation, même si l’Etat prétend nepas avoir exproprié et si le propriétaire initial détient tou-jours formellement le titre légal de propriété.

41 »

69. L’affaire Papamichalopoulos c/ Grèce est une bonneillustration de mesures constituant une expro-priation de fait

42. Les requérants étaient proprié-

taires d’un terrain d’une grande superficie et

38 A52 (1982).39 Pour un résumé des faits

de cette affaire, voir ci-dessus les paragraphes 9et suivants. Dans cetteaffaire, la Cour rejetal’argument selon lequel ladeuxième norme de l’ar-ticle 1 du Protocole n

o 1

s’appliquait, car il n’yavait pas de privationlégale de propriété nid’expropriation de fait, lesrequérants étant dans lapratique en mesure devendre leurs biens, bienque cette vente fût rendueplus difficile par les me-sures incriminées.

40 Voir aussi Jamesc/ Royaume-Uni A98(1986) paragraphe 38 ;Hentrich c/ France A296-A (1994), paragraphes 34-35.

41 Affaire Starrett HousingCorporation et Gouverne-ment de la Républiqueislamique d’Iran ; juge-ment avant dire droit dedécembre 1983 par letribunal Iran-Etats-Unis.

42 A260-B (1993).

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43 Il est intéressant de noterqu’après avoir considéréqu’il y avait bien expropria-tion de fait, la Cour nepoursuivit pas en se de-mandant si l’expropriationservait un objectif légitimeet était proportionnée. Elledéclara simplement quel’expropriation de fait était« incompatible avec ledroit des requérants aurespect de leurs biens »,sans doute parce qu’il n’yeu ni indemnité, ni autremesure palliative.

44 28 octobre 1999 ; para-graphe 76.

45 Pour ce qui est de la ques-tion de la justification del’ingérence dans le droit depropriété, la Cour observaqu’aucun motif justifiant laprivation de propriété pourcause d’utilité publiquen’avait été avancé parl’Etat. Elle nota en outreque le requérant s’étaittrouvé privé de la maisonpendant quatre annéessans avoir perçu d’indem-nité reflétant la valeurréelle du bien. Il est inté-ressant de constater que,dans cette affaire, la Courestima que le jugement dutribunal de première ins-tance en Roumanie était unbien du requérant, au lieu

d’une grande valeur en Grèce. Ce terrain étaitbordé par une plage et, en 1963, les requérantsobtinrent auprès de l’Office grec du tourisme unaccord pour la construction sur le site d’un en-semble hôtelier. Mais par une loi d’août 1967,adoptée après l’établissement d’une dictaturemilitaire en Grèce, le terrain des requérants (ycompris la plage) fut cédé à la marine nationale.Les requérants cherchèrent bien entendu à récu-pérer le terrain mais n’y parvinrent pas. La ma-rine nationale entreprit des travaux deconstruction d’une base navale sur le site ainsique d’un lieu de villégiature pour officiers.

70. Malgré diverses actions devant les tribunauxgrecs et certaines propositions présentées aunom de l’Etat tendant à ce que d’autres terrainssoient donnés en remplacement aux requérants,ceux-ci n’avaient reçu aucune indemnité au dé-but des années 90, lorsqu’ils décidèrent de saisirla Commission de Strasbourg.

71. Lors de son examen de l’affaire, la Cour euro-péenne des Droits de l’Homme commença parnoter que les griefs des intéressés avaient traità une violation continue depuis 1967. Elle notaque l’occupation des terrains ne relevait pas dela réglementation de l’usage des biens de sorteque la troisième norme de l’article 1 ne s’appli-quait pas. Pour ce qui est de la deuxièmenorme, il n’y avait jamais eu d’expropriationformelle, la propriété des terrains n’ayant pas

été transférée. Cependant, la Convention vi-sant à sauvegarder des droits « concrets etpratiques », il importait de déterminer si la si-tuation incriminée n’équivalait pas néanmoinsà une expropriation de fait.

72. La Cour nota que la marine nationale avait enfait pris physiquement possession des biensdes requérants et avait établi des construc-tions sur ce terrain. A partir de cette date, lesrequérants ne purent ni user de leurs biens, niles vendre, ni les donner ni les hypothéquer. LaCour estima que la perte de toute disponibilitédes terrains en cause, combinée avec l’échecdes tentatives menées pour remédier à la situa-tion incriminée, engendrait des conséquencesassez graves pour que les intéressés aient subiune expropriation de fait incompatible avec ledroit au respect de leurs biens

43.

73. Ce principe a été appliqué plus récemment dansl’affaire Brumarescu c/ Roumanie

44, dans laquelle la

Cour européenne des Droits de l’Homme rap-pela que pour déterminer s’il y avait privation debiens au sens de la deuxième norme, il fallait re-garder au-delà des apparences et analyser lesréalités de la situation litigieuse.

74. Dans cette affaire, les parents du requérantconstruisirent une maison à Bucarest en 1930.En 1950, l’Etat prit possession de la maison eninvoquant le décret de nationalisation. En1973, l’Etat vendit à deux frères le logement

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de déclarer que la pro-priété de la maison reve-nait au requérant et deconsidérer la maison elle-même comme un bien.Elle ne souhaitait peut-êtrepas en effet que l’on pensequ’elle revenait sur lejugement de la Cour su-prême de la Roumanie.

46 A52 (1982). Voir ci-dessus,paragraphes 9 et suivants.

47 A222 (1991). Voir ci-dessus, paragraphe 34.

48 A169 (1989). Voir ci-des-sus, paragraphes 46 etsuivants.

49 Parmi les autres exemplesfigurent les affaires AGOSIc/ Royaume-Uni A108(1986) (concernant la légis-lation visant à contrôlerl’importation illégale depièces d’or) ; Air Canadac/ Royaume-Uni A316 A(1995) (concernant l’impor-tation illégale de stupé-fiants) ; Inze c/ AutricheA126 (1987) ; Fredinc/ Suède A192 (1991) ;Vendittelli c/ Italie A293-A(1994) ; Spadea etScalabrino c/ Italie A315 B(1995) ; Scollo c/ ItalieA315-C (1995) concernantla législation visant à régle-menter le logement).

qu’ils occupaient jusqu’alors en tant que loca-taires. En 1993, le requérant saisit le tribunalroumain d’une action visant à faire constater lanullité de la nationalisation de la maison. L’in-téressé fit valoir en effet qu’en vertu du décreten question les biens des salariés ne pouvaientêtre nationalisés et que ses parents étaient sa-lariés au moment de la nationalisation. Le tri-bunal de première instance lui donna raison etordonna aux autorités administratives de luirestituer la maison. Le requérant, installé dansla maison, commença à acquitter les taxes fon-cières correspondantes.

75. Mais le Procureur général, saisi par les frèresauxquels un appartement dans la maison avaitété précédemment cédé, forma en leur nomdevant la Cour suprême de Justice un recoursen annulation. La Cour suprême annula le juge-ment du tribunal de première instance et main-tint que le requérant n’avait pas de droit sur lamaison et que les frères pouvaient y demeurer.

76. Lorsque la Cour européenne des Droits del’Homme fut saisie de cette affaire, elle main-tint tout d’abord que le requérant avait un biensous la forme du jugement du tribunal de pre-mière instance selon lequel la maison n’avaitjamais été légalement nationalisée. Elle consi-déra ensuite que la décision de la Cour su-prême constituait une violation du droitreconnu par ce jugement.

77. La Cour appliqua par ailleurs le principe selonlequel il fallait déterminer si, dans la réalité, lerequérant avait été privé de ses biens etconclut qu’il l’avait été, c’est-à-dire que ladeuxième norme s’appliquait. Elle constataque le requérant n’était plus en mesure d’utili-ser du tout la maison

45.

78. En l’absence d’un transfert formel de propriété,la question de savoir s’il y a ou non expropria-tion de fait est donc une question de degré.

Troisième norme79. La troisième norme (deuxième alinéa de l’ar-

ticle 1 du Protocole no 1) s’applique lorsque

l’ingérence dans le droit de propriété est vou-lue, ou fait partie d’un dispositif législatif dontl’objectif est de réglementer l’usage du bien.

80. Des exemples de l’application de la troisièmenorme ont été mentionnés plus haut. Il s’agit no-tamment de l’affaire Sporrong et Lönnroth c/ Suède

46

(concernant l’interdiction de la construction surun terrain) ; de l’affaire Pine Valley Developments Ltdc/ Irlande

47 (concernant l’aménagement urbain) et

de l’affaire Mellacher c/ Autriche48

(concernant la ré-glementation d’une propriété louée)

49. D’autres

exemples détaillés de l’application de cettenorme seront donnés ci-après dans la sectionconcernant la justification d’une ingérence dansle droit de propriété.

81. Les mesures visant à assurer le paiement des

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50 A306-B (1995) para-graphe 59. Parmi lesautres exemples figurentla requête n

o 11036/84

Svenska ManagementGruppen c/ Suède(1985) ; la requêten

o 13013/87 Wasa Liv

Omsesidigt c/ Suède(1988) pp. 195 199 ;National Provincial Buil-ding Society et autresc/ Royaume-Uni 1997-VII(1997), paragraphe 79.

51 A52 (1982). Voir ci-des-sus, paragraphes 9 etsuivants.

52 A301-B (1994), para-graphe 68. Voir aussiErkner et Hofauerc/ Autriche A117 (1987),paragraphe 74 ; requêten

o 7456/76 Wiggins

c/ Royaume-Uni (1978),pp. 46-47 ; requêten

o 7889/77, Arrondelle

c/ Royaume-Uni, 19 DR186 (1980).

53 Voir ci-dessus, para-graphes 28 et suivantspour un examen plusdétaillé de cette affaire.

impôts ou d’autres cotisations ou desamendes relèvent aussi du deuxième alinéa del’article 1 du Protocole n

o 1. Un bon exemple de

l’application de cet aspect de la troisièmenorme est l’affaire Gasus Dosier-und Fordertechnikc/ Pays-Bas

50, dans laquelle une société alle-

mande avait fourni des marchandises à une so-ciété néerlandaise à la condition que lesmarchandises livrées demeurent sa propriétéjusqu’au règlement intégral de toutes les cré-ances. Avant que les factures n’aient été acquit-tées, les biens de l’acheteur néerlandais furentsaisis par les autorités fiscales néerlandaisespour couvrir des impôts non payées. Le ven-deur allemand argua que la saisie des biens parles autorités néerlandaises constituait une vio-lation de son droit de propriété au sens de l’ar-ticle 1 du Protocole n

o 1. La Cour européenne

des Droits de l’Homme considéra que le cas re-levait de la troisième norme de l’article 1, la sai-sie des biens faisant partie du mécanisme misen place par l’Etat pour récupérer des impôts.(Cette affaire est examinée plus en détail dansle paragraphe 129 ci-après).

Première norme82. La première norme de l’article 1 du Protocole

no 1 peut être décrite comme « une clause fourre-

tout », c’est-à-dire qu’elle peut s’appliquer lors-qu’aucune des autres normes ne le peut. Elle

s’applique lorsqu’une mesure a pour effet d’en-traver l’usage ou la jouissance d’un bien, mais nepeut être considérée comme une expropriationet ne vise pas à réglementer l’usage du bien.

83. Il a été considéré que la première norme s’appli-quait pour ce qui est des permis d’exproprierdont avaient fait l’objet les biens des requérantsdans l’affaire Sporrong et Lönnroth c/ Suède

51. Un

autre exemple de l’application de la premièrenorme est l’affaire Raffineries grecques Stran etStratis Andreadis c/ Grèce

52, dans laquelle la légis-

lation qui avait pour effet de rendre une sen-tence arbitrale en faveur des requérants nulle etnon exécutoire n’a pas été prise en compte envertu de la première norme de l’article 1

53.

Importance de l’analysedes trois normes

84. Pour déterminer s’il y a violation de l’article 1 duProtocole n

o 1, il faut d’abord se demander si le

requérant jouit d’un droit de propriété, ou d’unbien, au sens de l’article 1. Il faut ensuite voir s’ily a eu ingérence dans le droit de propriété et,enfin, préciser la nature de l’ingérence (c’est-à-dire laquelle des trois normes s’applique).

85. Cependant, il faut se souvenir que la Coureuropéenne des Droits de l’Homme a sou-ligné, à maintes reprises, que les trois normesn’étaient pas dépourvues de rapports entre

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54 A169 (1989).55 Voir ci-dessus, para-

graphes 46 et suivantspour un examen plusdétaillé de cette affaire.

56 5 janvier 2000, para-graphe 98.

57 En raison de l’ensembledes circonstances del’espèce, la Cour conclutque le requérant avaitsupporté « une chargedisproportionnée et ex-cessive » et que, dès lors,il y avait eu violation del’article 1 duProtocole n

o 1 (para-

graphe 122).

elles : la deuxième et la troisième ont trait àdes exemples particuliers d’atteintes au droitde propriété et doivent s’interpréter à la lu-mière du principe consacré par la première.Voir, par exemple, au paragraphe 42, l’affaireMellacher c/ Autriche

54, concernant la législa-

tion sur le contrôle des loyers55

.86. Voir aussi l’affaire Beyeler c/ Italie

56 dans laquelle

la Cour européenne des Droits de l’Hommesouligna que la situation visée à la deuxièmephrase du premier alinéa de l’article 1 neconstituait qu’un cas particulier d’atteinte audroit au respect des biens, garanti par la normegénérale énoncée à la première phrase.

87. Cette affaire concernait un tableau de VanGogh et les faits étaient extrêmementcomplexes. Un différend avait surgi concer-nant le droit de propriété du requérant surl’œuvre. Celle-ci avait été acquise par l’Etatdans l’exercice de son droit de préemption etsur la base de son intérêt historique et artis-

tique. La Cour détermina que les opérationsdu requérant concernant la peinture au coursd’une certaine période de temps étaient denature telle qu’il devait être considéré commedétenant un bien au sens de l’article 1 du Pro-tocole n

o 1. Cependant, la Cour ne considéra

pas effectivement que le requérant était pro-priétaire de l’œuvre.

88. La Cour examina ensuite la nature de l’atteinteau droit de propriété du requérant et précisa que« en raison de sa complexité, en fait comme endroit, la situation ne pouvait être classée dansune catégorie précise » (paragraphe 106). Le re-quérant considérait que la deuxième normes’appliquait, mais la Cour, notant que la situationvisée dans la deuxième phrase ne constituaitqu’un cas particulier d’atteinte au droit au res-pect des biens, garanti par la norme généraleénoncée à la première phrase de l’article 1, es-tima devoir examiner la situation dénoncée à lalumière de la norme générale

57.

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58 A98 (1986), para-graphe 46.

IV. Justification d’uneingérence dans le droitde propriété

Cause d’utilité publiqueou intérêt général

89. Comme mentionné plus haut, toute ingérencedans le droit de propriété ne peut se justifierque s’il s’agit de servir une cause d’utilité pu-blique ou l’intérêt général. L’obligation selonlaquelle l’expropriation d’un bien (ou sa priva-tion) doit être dans l’intérêt « public » est ex-pressément mentionnée dans la deuxièmephrase de l’article 1 du Protocole n

o 1. La troi-

sième norme fait expressément référence à l’in-térêt « général ». Cependant, toute ingérence

dans le droit de propriété, quelle que soit lanorme qui s’applique, doit satisfaire à l’obliga-tion de légitimité de la une cause d’utilité pu-blique (ou de l’intérêt général).

90. L’une des premières affaires dans lesquellescette obligation a été prise en compte est Jamesc/ Royaume-Uni

58. Les requérants étaient des ad-

ministrateurs fiduciaires (trustees) agissantconformément au testament du Duc de West-minster, qui possédait 2 000 maisons dans unquartier très recherché de Londres. Les requé-rants se plaignaient que les biens en questionavaient perdu une grande partie de leur valeursuite à la mise en œuvre d’une loi, la LeaseholdReform Act de 1967, qui conférait au preneur de-meurant dans une maison en vertu d’un bail ledroit d’obtenir la cession obligatoire de la pro-priété à un prix inférieur à celui du marché. La loide 1967 ne s’appliquait qu’aux baux de longuedurée, c’est-à-dire d’au moins 21 ans. Le loyerannuel devait aussi être bas. Obligé de vendreen vertu de la loi à quelque 80 locataires de pro-priétés appartenant au domaine résidentiel deLondres qui ont exercé leur droit, le domaine duDuc de Westminster perdit 2 millions de livresenviron, par rapport à la valeur marchande.

91. Examinant la plainte en vertu de l’article 1 du Pro-tocole n

o 1, la Cour européenne des Droits de

l’Homme fit d’abord mention de l’analyse dupoint de vue des trois normes dans l’affaire

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59 A52 (1982), voir ci-des-sus, paragraphes 9 etsuivants.

60 La doctrine de la marged’appréciation de l’Etats’applique généralementaux dispositions de laConvention. Voir, parexemple Handysidec/ Royaume-Uni (A 24(1976), paragraphe 48,pour laquelle la Courreleva que : « le méca-nisme de protection ins-tauré par la Conventionrevêt un caractère subsi-diaire par rapport auxsystèmes nationaux degarantie des droits del’homme. La Conventionconfie en premier lieu àchacun des Etats contrac-tants le soin d’assurer lajouissance des droits etlibertés qu’elle consacre.Les institutions créées parelle y contribuent de leurcôté, mais elles n’entrenten jeu que par la voiecontentieuse et aprèsépuisement des voies derecours internes. »

61 A52 (1982), para-graphes 69 et 73. Voir ci-dessus, paragraphes 9 etsuivants.

Sporrong et Lönnroth c/ Suède59

. La Cour considéraque les requérants avaient été privés de leursbiens au sens de la deuxième norme (bien que letransfert de propriété ne se soit pas fait en faveurde l’Etat mais en faveur d’autres individus privés).

92. S’agissant de la question de savoir si la privationsdes biens pouvait être justifiée par l’Etat, les re-quérants avancèrent que le critère de l’utilité pu-blique ne se trouvait pas respecté car cetteprivation n’avait pas été opérée au bénéfice del’ensemble de la communauté. Les requérantsestimaient que le transfert de propriété d’un par-ticulier à un autre ne saurait jamais répondre àl’« utilité publique ». Mais la Cour estima, aucontraire, que le transfert obligatoire de propriétéd’un particulier à un autre pouvait constituer unobjectif légitime d’intérêt public.

93. La Cour ajouta qu’une privation de propriétéopérée au titre d’une politique de justice so-ciale pouvait parfaitement être considéréecomme étant dans l’intérêt public. Dans sa dé-cision, la Cour reconnut qu’elle ne suivait pasl’approche du droit interne de plusieurs Etatscontractants s’agissant de l’expropriation.

94. Elle prononça ensuite une déclaration impor-tante sur le principe de la marge d’« ap-préciation » de l’Etat

60. Cette déclaration

constitue la base, avec la décision dans l’af-faire Sporrong et Lönnroth c/ Suède

61, de tout

examen de ce que constitue une ingérence

justifiée dans le droit de propriété :Grâce à leur connaissance directe de leur société et de sesbesoins, les autorités nationales se trouvent en principemieux placées que le juge international pour déterminerce qui est d’« utilité publique ». Dans le système deprotection créé par la Convention, il leur échoit parconséquent de se prononcer les premières tant sur l’exis-tence d’un problème d’intérêt public justifiant des priva-tions de propriété que sur les mesures à prendre pour lerésoudre… Dès lors, elles jouissent ici d’une certainemarge d’appréciation, comme en d’autres domaines oùs’étendent les garanties de la Convention.De plus, la notion d’« utilité publique » estample par nature. En particulier, la décisiond’adopter des lois portant privation de pro-priété implique d’ordinaire, comme le releva laCommission, l’examen de questions politiques,économiques et sociales sur lesquelles de pro-fondes divergences d’opinions peuvent appa-raître dans un Etat démocratique. Estimantnormal que le législateur dispose d’une grandelatitude pour mener une politique économiqueet sociale, la Cour respecte la manière dont ilconçoit les impératifs de l’« utilité publique »sauf si son jugement se révèle manifeste-ment dépourvu de base raisonnable. End’autres termes, elle ne saurait substituer sapropre appréciation à celle des autorités natio-nales, mais elle doit contrôler au regard del’article 1 du Protocole n

o 1 les mesures li-

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62 Ibid.63 C’est-à-dire les Parties à la

Convention.64 Pour ce qui est de l’obli-

gation de proportionnalitéet, en particulier, d’in-demnisation, voir égale-ment ci-après lesparagraphes 124 et sui-vants.

65 Paragraphe 54.66 A 98 (1986).

tigieuses et, à cette fin, étudier les faits à lalumière desquels les autorités ont agi. (para-graphe 46) (gras ajouté).

95. La Cour considéra aussi que la loi de réformedes baux de 1967 – qui visait une plus grandejustice sociale dans le domaine du logement –avait un objectif légitime d’intérêt public.

96. La Cour fit ensuite référence à l’obligation de pro-portionnalité, citant Sporrong et Lönnroth c/ Suède

62

et au critère permettant de déterminer si un justeéquilibre avait été ménagé entre les exigences del’intérêt général et les impératifs de protectiondes droits fondamentaux de l’individu. Les requé-rants invoquèrent le fait que les autres Etats

63

n’appliquaient apparemment pas de mesuresaussi draconiennes. Ils avancèrent que, pour êtreproportionnées, les mesures devaient être néces-saires, en ce sens qu’il ne devait pas y avoird’autres options. Cependant, la Cour rejeta cetargument. Ce n’était pas à elle de déterminer si laloi de réforme des baux de 1967 constituait lameilleure solution au problème.

97. La Cour examina aussi la question de l’indemnisa-tion et conclut avec la Commission que l’article 1,bien que silencieux en la matière, exige implicite-ment, en règle générale, le versement d’une com-pensation en cas d’expropriation

64. La Cour

constata que, dans les systèmes juridiques desEtats contractants, une privation de propriété nese justifie pas sans le paiement d’une indemnité,

sous réserve de circonstances exceptionnelles :autrement, la protection du droit de propriété se-rait dans une large mesure « illusoire et ineffi-cace ». Quant au niveau de l’indemnisation, laCour estima que, sans le versement d’une sommeraisonnablement en rapport avec la valeur du bien,une privation de propriété constituait d’ordinaireune atteinte excessive. Cependant, l’article 1 negarantit pas le droit à une compensation intégraledans tous les cas :des objectifs légitimes d’« utilité publique », tels qu’enpoursuivent des mesures de réforme économique ou dejustice sociale, peuvent militer pour un remboursementinférieur à la pleine valeur marchande

65.

98. La Cour considéra également que l’exigence dejuste équilibre avait été respectée dans ce cas,bien que le domaine du Duc de Westminster nefût indemnisé à la pleine valeur marchande desimmeubles rachetés par les locataires. La Cournota que le preneur avait remboursé à peu prèsla valeur du terrain mais rien pour le bâtiment.Cela favorisait de toute évidence les preneurs,mais en raison de l’argent dépensé à l’origineen capital, puis investi au fil des années pourréaliser réparer, entretenir et embellir la mai-son, les preneurs ou leurs prédécesseursavaient en fait déjà payé le bien. En consé-quence, il n’y avait pas eu de violation de l’ar-ticle 1 du Protocole n

o 1.

99. L’affaire James c/ Royaume-Uni66

illustre la

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67 Voir ci-dessus, para-graphes 4 et suivants.

68 A315-C (1995), para-graphe 32.

grande marge d’appréciation que les organesde Strasbourg ont été prêts à accorder auxautorités nationales pour déterminer à la fois siune ingérence dans le droit propriété sert unecause légitime d’utilité publique et si cette in-gérence n’est pas excessive par rapport à l’ob-jectif. Cet arrêt précise également, toutefois,que la Cour a un rôle à jouer en étudiant lesfaits et en déterminant si cette marge a été dé-passée par l’Etat. Comme indiqué plus haut, eten particulier ces dernières années, la Coureuropéenne des Droits de l’Homme a consi-déré, dans bon nombre de cas, que la margeavait été dépassée

67.

100. Un exemple plus récent de l’examen par la Courde la question de savoir si une ingérence dansun droit de propriété servait une cause légitimed’utilité publique est l’affaire Scollo c/ Italie

68.

Dans cette affaire, le requérant avait acheté unappartement résidentiel à Rome en juin 1982qui avait été occupé par un locataire. Le requé-rant informa le locataire en janvier 1983 de savolonté de résilier le bail, mais il dut lui intimerl’ordre de quitter l’appartement, en faisant va-loir qu’il (le requérant) était invalide à 71 pourcent, qu’il était au chômage et diabétique etqu’il avait besoin du logement. En outre, le loca-taire ne payait plus l’intégralité du loyer. Le juged’instance homologua un arrêté d’expulsion enavril 1983. Cependant, l’exécution des mesures

d’expulsion ayant été suspendu et différé dans lecadre d’une politique de l’Etat de prorogationdes baux en cours, cet arrêté fut suspendu àquatre reprises en application du décret législatifcorrespondant. Finalement, le locataire quittal’appartement de son plein gré en janvier 1995,soit 11 ans et 10 mois après que le requérant eutentamé son action.

101. Le requérant invoqua une atteinte à son droitau respect de ses biens. Lorsque la Cour euro-péenne des Droits de l’Homme fut saisie de laquestion, elle examina tout d’abord l’applica-tion des trois normes de l’article 1. Elle notaqu’il n’y avait eu, en l’espèce, ni transfert depropriété ni, contrairement à ce qu’affirmait lerequérant, expropriation de fait. A tout mo-ment, le requérant avait gardé la possibilitéd’aliéner son bien et avait perçu un loyer – l’in-tégralité du montant jusqu’à octobre 1987 etune partie seulement entre novembre 1987 etfévrier 1990. L’application des mesures liti-gieuses ayant entraîné le maintien du locatairedans l’appartement, elle s’analysait, à n’en pasdouter, en une réglementation de l’usage desbiens. Dès lors, le second alinéa de l’article 1 duProtocole n

o 1 jouait en l’occurrence.

102. La Cour fit référence au fait que le second alinéade l’article 1 laissait aux Etats le droit d’adopterles lois qu’ils jugeaient nécessaires pour régle-menter l’usage des biens conformément à l’inté-

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69 Voir James c/ Royaume-Uni A 98 (1986), para-graphe 46 ; paragraphe99 plus haut.

70 Paragraphe 32.71 Pour un autre exemple

d’un argument non retenuselon laquelle une me-sure législative ayant poureffet de priver le requé-rant de son bien ne ser-vait pas un objectiflégitime d’intérêt public,voir l’affaire Ex-Roi deGrèce et autres c/ Grèce(23 novembre 2000). Lesrequérants eurent toute-fois eu gain de cause pource qui est de leur argu-ment selon lequel l’expro-priation de l’ensemble deleurs biens en Grèce sansindemnisation était dis-proportionnée et la Courconsidéra en consé-quence qu’il y avait viola-tion de l’article 1 duProtocole n

o 1.

rêt général. Pareilles lois étaient particulièrementfréquentes dans le domaine du logement, quioccupait une place centrale dans les politiquessociales et économiques de nos sociétés mo-dernes. Dans la mise en œuvre de telles poli-tiques, le législateur devait jouir d’une grandelatitude pour se prononcer tant sur l’existenced’un problème d’intérêt public appelant une ré-glementation que sur le choix des modalitésd’application de cette dernière. La Cour répéta

69

qu’elle respecterait la manière dont le législateurconcevait les impératifs de l’intérêt général, saufsi son jugement se révélait manifestement dé-pourvu de base raisonnable.

103. Le requérant contesta la légitimité du but des loisen cause ; en substance, l’absence d’une poli-tique efficace de l’Etat défendeur en matière delogement l’avait privé de son droit de disposer deson appartement en privilégiant exclusivementl’intérêt du locataire. Le gouvernement aurait étémalvenu à justifier les mesures législatives d’ur-gence en faisant appel à l’intérêt général.

104.La Cour observa, toutefois, que les mesureslégislatives ayant suspendu les expulsionsdurant la période 1984-1998 obéissaient à lanécessité de faire face au grand nombre debaux venant à échéance en 1982 et en 1983ainsi qu’au souci de permettre aux locatairesconcernés de se reloger dans des conditionsadéquates ou d’obtenir des logements so-

ciaux. Procéder simultanément à toutes lesexpulsions aurait sans nul doute, de l’avis dela Cour, entraîné d’importantes tensions so-ciales et mis en danger l’ordre public. Enconclusion, la législation contestée poursui-vait un but légitime conforme à l’intérêt gé-néral, comme le veut le second alinéa del’article 1 du Protocole n

o 1.

105. Pour ce qui est de la proportionnalité de l’ingé-rence, la Cour fit observer qu’une mesure d’in-gérence devait ménager un juste équilibre etqu’il devait exister un rapport raisonnable deproportionnalité entre les moyens employés etle but visé

70.

106. Le requérant trouvait disproportionnée l’ingé-rence en question. Il souligna sa qualité de pe-tit propriétaire désireux d’occuper son propreappartement pour y loger sa famille. Il avait étéobligé de s’endetter pour acheter un autre ap-partement. L’Etat, pour sa part, invoqua l’ex-ceptionnelle crise du logement que connaissaitl’Italie à l’époque.

107. La Cour nota que la crise du logement consti-tuait un phénomène quasi universel pour lessociétés modernes. Pour déterminer si les dis-positions incriminées étaient proportionnéesau but poursuivi – protéger les intérêt des loca-taires à faibles revenus et éviter tout risque detrouble de l’ordre public – la Cour estima qu’il yavait lieu de rechercher si, en l’espèce, le trai-

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31

72 Voir paragraphe 105.73 James c/ Royaume-Uni

A98 (1986), para-graphe 50 ; et Lithgowc/ Royaume-Uni A102(1986), paragraphe 120.

74 Sporrong et Lönnrothc/ Suède A52 (1982),paragraphes 69, 73 ; TreTraktörer Aktiebolagc/ Suède A159 (1989) ;paragraphe 9 ; Hentrichc/ France A296-A (1994),paragraphes 45-49 ; LesSaints Monastèresc/ Grèce A301-A (1994) ;Air Canada c/ Royaume-Uni A316-A (1995), para-graphe 29.

75 A108 (1986), para-graphe 52.

tement réservé au locataire avait permis lemaintien de l’équilibre entre les intérêts encause. La Cour nota que le requérant avait bienindiqué aux autorités qu’il avait besoin du loge-ment, qu’il n’avait pas d’emploi et qu’il était in-valide. Les autorités ne donnèrent aucunesuite à ces requêtes. Bien qu’en l’occurrenceles conditions légales pouvant permettre l’exé-cution de l’expulsion pendant la période sus-pension de cette procédure se trouvassentremplies, le requérant ne récupéra son appar-tement que grâce au départ spontané du loca-taire. La Cour nota aussi qu’il avait dû nonseulement acheter un autre appartement, maisaussi entamer une procès visant à régler le pro-blème des loyers partiellement impayés. Au to-tal, la restriction subie par le requérant àl’usage de son appartement était contraire àl’exigence de proportionnalité et constituaitune violation de l’article 1 du Protocole n

o 1.

108. Ainsi l’affaire Scollo c/ Italie illustre la défense, sanssuccès, de l’absence de légitimité des mesures li-tigieuses du point de vue de l’utilité publique. Lerequérant a cependant obtenu gain de causeconcernant son argument selon lequel, même sil’objectif était légitime, les moyens choisis pourl’atteindre étaient disproportionnés

71.

Proportionnalité

109. Comme indiqué plus haut72

, pour qu’une ingé-rence dans un droit de propriété soit admis-sible, elle doit non seulement servir un objectiflégitime d’utilité publique, mais doit aussi exis-ter un rapport raisonnable de proportionnalitéentre les moyens employés et le but visé

73. Un

juste équilibre doit aussi être ménagé entre lesexigences de l’intérêt général et les impératifsde protection des droits fondamentaux de l’in-dividu, la recherche d’un tel équilibre étant in-hérente à l’ensemble de la Convention

74. Il

s’agit vraisemblablement d’un aspect crucialdans la plupart des affaires.

110. Un bon exemple de l’application du critère deproportionnalité dans la pratique est l’affaireAGOSI c/ Royaume-Uni

75. La requérante était une

société allemande, AGOSI, s’occupant surtout dela fonte des métaux précieux, mais se livrant aussià l’époque considérée au commerce de piècesd’or et d’argent. Un samedi après-midi, M. X etM. Y se rendirent à l’usine de la requérante enAllemagne et demandèrent à acheter sur-le-champ 1 500 kruegerrands, pièces d’or frappéesen Afrique du Sud. Ces pièces avaient une valeurde 120 000 livres. Le marché fut conclu et lespièces chargées dans une voiture immatriculée auRoyaume-Uni. Un chèque tiré sur une banque an-

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glaise, et non garanti, fut accepté en paiement.AGOSI mit le chèque en recouvrement, mais il nefut pas honoré. Une clause du contrat précisaitque la société demeurait propriétaire jusqu’aupaiement intégral.

111. Dans l’intervalle, les acheteurs essayèrent d’intro-duire en fraude les pièces au Royaume-Uni en lescachant dans la roue de secours de leur véhicule.Les pièces furent découvertes et saisies par lesautorités douanières britanniques. Quelques moisauparavant, le ministère du Commerce et de l’In-dustrie avait prohibé l’importation des piècesd’or. Les acheteurs des pièces, M. X et M. Y, sevirent inculper au Royaume-Uni, d’importationfrauduleuse de pièces en or.

112. Peu après, AGOSI demanda aux douanes de luirestituer les kruegerrands, en invoquant sa qualitéde propriétaire légitime et de victime d’une escro-querie. Les autorités douanières refusèrent derestituer les pièces. M. X et M. Y furent reconnuscoupables par un tribunal pénal. Même à l’issuede la procédure pénale, les pièces ne furent pasrestituées à AGOSI par les autorités douanières.La société engagea sans succès des poursuitesdevant les tribunaux anglais.

113. Devant la Cour européenne des Droits del’Homme, AGOSI mit en cause, entre autres, lerefus des inspecteurs des douanes de restituerles pièces. La société estimait qu’elle en était lepropriétaire légitime et n’avait commis aucun

manquement et qu’elle n’avait pas pu en outrefaire valoir ses droits devant les tribunaux an-glais. La Cour nota que la confiscation despièces constituait de toute évidence une ingé-rence dans la jouissance du droit de la requé-rante au respect de ses biens, protégé par lapremière phrase de l’article 1 ; la chose neprêta pas à discussion. Il y eut lieu ensuite dedéterminer si le texte applicable en l’espèceétait la seconde phrase du premier alinéa ou ladeuxième phrase. La Cour observa que l’inter-diction d’importer des pièces d’or auRoyaume-Uni s’analysait à n’en pas douter enune réglementation de l’usage de biens. La sai-sie des pièces découlait de cette prohibition.La Cour nota également que cette confiscationentraînait certes une privation de propriété,mais qu’en l’occurrence celle-ci relevait de laréglementation de l’usage, au Royaume-Uni, depièces d’or telles que les kruegerrands. Dèslors s’appliquait en l’espèce le second alinéa,ou la troisième norme, qui concerne la régle-mentation de l’usage.

114. Pour ce qui est de la question de savoir si lesmesures pouvaient être justifiées, la Cour notaque l’interdiction d’importer des kruegerrandsse conciliait sans conteste avec l’article 1 duProtocole n

o 1. Elle servait un objectif légitime

d’utilité publique. Il incombait, toutefois, à laCour de déterminer s’il existait un rapport rai-

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76 A169 (1989), para-graphe 48.

77 Voir ci-dessus, para-graphes 46 et suivants.

sonnable de proportionnalité entre les moyensemployés et le but visé. En somme, il lui fallaitrechercher si le juste équilibre requis avait étérespecté. Elle observa ce qui suit :L’Etat jouit d’une grande marge d’appréciation tantpour choisir les modalités de mise en œuvre que pourjuger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dansl’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de laloi en cause (paragraphe 52).

115. La Cour nota que les principes généraux de droitcommuns aux Etats contractants autorisaient,en règle générale, la confiscation des marchan-dises passées en contrebande. AGOSI considéra(rejointe en cela par la Commission) que teln’était pas le cas lorsque le propriétaire était« innocent ». La Cour nota que la recherched’un juste équilibre dépendait de maints fac-teurs et que parmi les circonstances à considé-rer figuraient l’attitude du propriétaire (à l’égardde la contrebande) et notamment le degré defaute ou de prudence dont il avait fait preuve.(La Cour fit aussi observer qu’il n’y avait pas depratique commune dans les Etats contractantspour ce qui est de la prise en compte de la fautedans la confiscation.)

116. Dès lors, la Cour devait rechercher, nonobstantle silence de l’article 1 en la matière, si les procé-dures applicables en l’espèce avaient permis,entre autres, d’avoir raisonnablement égard audegré de faute ou de prudence de la requérante

et si elles avaient offert à cette société uneoccasion adéquate d’exposer sa cause auxautorités responsables. Après avoir examiné laprocédure judiciaire anglaise, la Cour estimaqu’elle suffisait pour satisfaire à l’article 1 duProtocole n

o 1. En conséquence, il n’y avait pas

eu violation du droit de propriété d’AGOSI.117. Un autre exemple de l’application du principe de

proportionnalité et de la grande marge d’appré-ciation laissée à l’Etat dans certaines arrêts de laCour est l’affaire Mellacher c/ Autriche

76. Comme

indiqué plus haut77

, cette affaire concernait lescopropriétaires d’un immeuble dont ils louaientplusieurs appartements. Les requérants consi-dérèrent que la législation autrichienne sur lecontrôle des loyers constituait une atteinte àleurs droits de propriété, garantis par l’article 1du Protocole n

o 1 car elle interférait avec leurs

droits contractuels à recevoir un loyer. La Courconsidéra que l’article 1 s’appliquait et qu’il yavait bien une ingérence avec le droit de pro-priété des requérants au sens de la deuxièmenorme, la réglementation de l’usage.

118. Pour ce qui est de la question de la justification,les requérants contestaient la légitimité du butde la loi sur les loyers de 1981. A leur avis, ellene tendait pas à corriger une injustice sociale,mais visait à une redistribution des biens immo-biliers. Si les requérants ne doutaient pas quedes mesures appropriées puissent être prises

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lorsque la situation l’exigeait, ils niaient en re-vanche l’existence de tout problème appelantpareille intervention de l’Etat. Ils mention-nèrent la période d’essor économique traver-sée par l’Autriche entre 1967 et 1981 etsoutinrent, statistiques à l’appui, que des loge-ments étaient disponibles. D’ailleurs, la loi nerecueillit pas, au moment de son adoption,l’adhésion de deux des trois partis politiquesreprésentant la majorité de la population ; ellecherchait à satisfaire une partie de l’électoratdu gouvernement socialiste alors au pouvoir. Aleurs yeux, la loi de 1981 ne pouvait passerpour conforme à l’intérêt général.

119. La Cour européenne des Droits de l’Homme exa-mina l’exposé des motifs soumis au Parlementautrichien par le gouvernement lorsque la législa-tion fut introduite. Celui faisait état de la nécessitéde réduire les écarts excessifs entre loyers d’ap-partements équivalents. La loi visait en outre à fa-ciliter aux personnes de condition modestel’accès à des logements de prix raisonnable. LaCour estima que les explications fourniesn’étaient pas telles qu’on pouvait les qualifier demanifestement déraisonnables. La loi servaitdonc un objectif légitime d’intérêt général.

120. Pour ce qui est de l’exigence de proportionna-lité, la Cour rappela le critère du juste équilibre.Les requérants avancèrent que la loi constituaitune incitation législative à ne pas respecter les

termes d’un bail valablement conclu et portaitainsi atteinte au principe de la liberté descontrats. La Cour nota, toutefois, que pour ré-former la législation sociale, en particulier quantau contrôle des loyers, le législateur devait pou-voir prendre, afin d’atteindre le but qu’il s’étaitfixé, des mesures touchant à l’exécution futurede contrats déjà conclus. Elle déclara aussi quel’existence éventuelle de solutions de rechangene rendait pas à elle seule injustifiée la législa-tion en cause. Tant que le législateur ne dépas-sait pas les limites de sa marge d’appréciation, laCour n’avait pas à dire s’il avait choisi lameilleure façon de traiter le problème ou s’ilaurait dû exercer son pouvoir différemment.

121. Les requérants mentionnèrent le fait que la loide 1981 avait eu pour effet de réduire leur loyerde quelque 80 pour cent dans deux cas et de 22pour cent dans un autre. La Commission avaitestimé que ce degré d’ingérence était injusti-fiable. D’après l’Etat, même réduits, les loyersétaient à peu près au niveau des loyers appli-qués dans d’autres immeubles comparables. LaCour conclut que l’exigence de juste équilibreétait satisfaite. Elle prit en compte, entre autres,le fait que les propriétaires étaient encore enmesure de se décharger de certains frais sur leslocataires, notamment les frais d’assurance, etqu’ils pouvaient exiger des locataires qu’ilscontribuent aux travaux d’entretien. La loi

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contenait aussi des dispositions transitoiresautorisant les propriétaires à percevoir, en vertudes contrats existants, un loyer de 50 pour centsupérieur à celui qu’ils auraient pu demander autitre d’un nouveau bail. Il n’y avait donc pas deviolation de l’article 1 du Protocole n

o 1.

122. L’affaire Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadisc/ Grèce

78 a aussi été mentionnée plus haut

79.

Dans cette affaire concernant une sentence ar-bitrale qui avait été rendue non valide et dé-pourvue d’effets exécutoires par la législation, laCour estima que l’ingérence ne constituait niune expropriation ni une réglementation del’usage des biens, mais relevait de la premièrephrase de l’article 1.

123. La Cour dut dès lors rechercher si un justeéquilibre avait été maintenu. Selon l’Etat, lamesure en question faisait partie d’un en-semble de dispositions visant à purifier la viepublique de l’opprobre lié au régime militaireainsi qu’à affirmer le pouvoir et la volonté dupeuple grec de défendre les institutions démo-cratiques. Les griefs des requérants tiraient leurorigine d’un contrat de faveur préjudiciable àl’économie nationale, qui tendait à soutenir lerégime dictatorial. Les requérants estimèrentqu’il ne serait pas équitable que toute relationjuridique nouée avec un régime dictatorial pûtpasser pour non valable à la fin de celui-ci.

124. La Cour ne douta pas de la nécessité pour l’Etat

de mettre fin à un contrat qu’il jugeait préjudi-ciable à ses intérêts économiques. Le droit pu-blic international bien établi reconnaissaitd’ailleurs à tout Etat un pouvoir souverain pourrésilier, moyennant compensation, un contratconclu avec des particuliers. Toutefois, la résilia-tion unilatérale d’un contrat restait sans effet àl’égard de certaines clauses essentielles de celui-ci, telle la clause d’arbitrage. Autrement, il seraitpossible à l’une des parties d’échapper à la juri-diction dans un différend pour lequel l’arbitrageavait précisément été prévu. La Cour releva aussique l’Etat avait lui-même voulu la procédured’arbitrage aux conséquences de laquelle il avaitcherché ensuite à se soustraire. En consé-quence, en déclarant nulle la sentence arbitrale,le législateur avait rompu l’exigence de justeéquilibre. Il y avait donc violation de l’article 1 duProtocole n

o 1.

125. L’affaire Pressos Compania Naviera SA c/ Belgique80

est un autre exemple d’un Etat dépassant les li-mites de sa marge d’appréciation. Comme indi-qué plus haut

81, dans cette affaire, plusieurs

armateurs, dont les navires avaient été impliquésdans des collisions dans les eaux territoriales dela Belgique, intentèrent des actions pour dom-mages-intérêts en invoquant la négligence despilotes sous la responsabilité de l’Etat belge.Après la survenue des sinistres, l’Etat adoptaune loi éliminant toute possibilité d’indemnisa-

78 A301-B (1994), para-graphe 74.

79 Voir ci-dessus, para-graphes 28 et suivants.

80 A332 (1995), para-graphe 38.

81 Voir plus haut, para-graphes 30 et suivants.

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tion dans les circonstances visées. La Courconsidéra que les créances en réparation des re-quérants étaient des biens et qu’il y avait donceu ingérence dans leurs droits au sens de l’ar-ticle 1 du Protocole n

o 1.

126. L’Etat insista sur la nécessité dans laquelle il setrouvait de préserver ses intérêts budgétaires, derétablir la sécurité juridique dans le domaine de laresponsabilité et d’harmoniser la législation belgeen la matière avec celle des pays voisins et spé-cialement les Pays-Bas. La Cour rappela que, dansle système de la Convention, c’était aux autoritésnationales qu’il appartenait de se prononcer lespremières tant sur l’existence d’un problème d’in-térêt public justifiant des privations de propriétéque sur les mesures à prendre pour les résoudre.La notion d’intérêt public était ample par nature,de sorte que l’Etat disposait d’une importancemarge d’appréciation.

127. Pour ce qui est de la proportionnalité, la Cour fitréférence au critère du juste équilibre et notaqu’il y avait lieu de prendre en considérationdans cette optique les modalités d’indemnisa-tion prévues par la législation interne. Elle consi-déra aussi que, sans le versement d’une sommeraisonnablement en rapport avec la valeur dubien, une privation de propriété constituait nor-malement une atteinte excessive et ne saurait sejustifier que dans des circonstances exception-nelles. En l’espèce, la loi de 1988 avait supprimé,

avec effet rétroactif, les créances en réparation,de montants très élevés, que les victimes desaccidents auraient pu autrement faire valoircontre l’Etat belge, parfois même dans des pro-cédures déjà pendantes. L’Etat invoqua lesconséquences budgétaires énormes qu’il auraitdû supporter (3,5 milliards de francs belges) si laloi n’avait pas été adoptée. La Cour conclut quecette préoccupation et le souci d’harmoniser ledroit belge avec celui des pays voisins pouvaientjustifier, pour l’avenir, une législation dérogeant,en cette matière au droit commun de la respon-sabilité, mais qu’ils ne pouvaient pas légitimerune rétroactivité dont le but et l’effet étaientde priver les requérants de leurs créances en in-demnisation. Une atteinte aussi radicale auxdroits des intéressés ne respectait pas le justeéquilibre et l’article 1 du Protocole n

o 1 avait

donc été violé.

Mesures d’imposition

128. Le pouvoir de l’Etat d’assurer le paiement desimpôts ou d’autres contributions ou des a-mendes (au sens de la troisième norme de l’ar-ticle 1 du Protocole n

o 1) a été envisagé de

façon particulièrement large. Toute mesured’imposition n’en reste pas moins soumise à

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82 A306-B (1995), para-graphe 62 ; NationalProvincial Building So-ciety et autresc/ Royaume-Uni 1997-VII(1997), paragraphe 80.

83 Voir ci-dessus, para-graphe 81.

l’exigence de proportionnalité.129. Dans l’affaire Gasus Dosier-und Fordertechnik

c/ Pays-Bas82

, mentionnée plus haut83

, la requé-rante, Gasus, était une société allemande ayantconclu un accord avec une société néerlan-daise Atlas, pour la vente à celle-ci d’une bé-tonnière. Les conditions générales de vente deGasus prévoyaient une « clause de réserve depropriété », qui impliquait que la société gar-dait la propriété de la bétonnière jusqu’au rè-glement intégral de toutes les créances.

130. Atlas rencontra des difficultés financières et lefisc néerlandais fit saisir l’ensemble de ses biensmeubles, y compris la bétonnière, pour nonpaiement d’impôts dus. Gasus déposa réclama-tion contre cette mesure et engagea de longuesprocédures auprès des tribunaux néerlandaispour récupérer la bétonnière, mais sans succès.La société saisit alors les organes de Strasbourg.

131. Il est intéressant de noter qu’au départ l’Etat fitvaloir que la société ne détenait en fait pas undroit de propriété véritable sur la bétonnière etque la réserve de propriété s’apparentait plus àune sûreté réelle. Il prétendit que, de ce fait,Gasus ne possédait aucun « bien ». Cependant,la Cour rejeta rapidement cet argument. Ellerappela que la notion de « biens » de l’article 1avait une portée autonome qui ne se limitait cer-tainement pas à la propriété de biens corporels.Il importait dès lors peu de savoir si le droit de

Gasus sur la bétonnière devait être considérécomme un droit de propriété ou comme une sû-reté réelle. De toute manière, il s’agissait d’unbien protégé par l’article 1 du Protocole n

o 1.

132. Pour ce qui est de savoir laquelle des troisnormes s’appliquait, Gasus avança qu’elle avaitété privée de ses biens au sens de la deuxièmenorme. Cependant, la Cour indiqua que la saisiede la bétonnière était une mesure s’inscrivantdans le dispositif de l’Etat pour recouvrer lescréances fiscales et était couverte de ce fait parle deuxième alinéa de l’article 1, permettant àl’Etat d’« assurer le paiement des impôts oud’autres contributions ou des amendes ».

133. Dans ce contexte, la Cour rappela que les rédac-teurs de la Convention avaient attaché unegrande importance à cet aspect du second ali-néa de l’article 1. En fait, à un stade auquel letexte proposé ne contenait pas semblable réfé-rence explicite aux impôts, il était déjà compris,par toux ceux concernés, comme réservant auxEtats le pouvoir d’adopter toutes les lois fiscalesjugées par eux souhaitables, pourvu toujoursque les mesures dans ce domaine ne s’analy-sassent pas en une « confiscation arbitraire ».Dans l’affaire en question, la Cour considéra qu’iln’y avait pas de confiscation arbitraire, bien quela loi ait autorisé le fisc à saisir des biens se trou-vant sur le fonds du débiteur, qui en fait n’appar-tenaient pas effectivement à celui-ci mais à un

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84 A52 (1982).85 Voir ci-dessus, para-

graphes 97 et suivants.86 A98 (1986), para-

graphe 54 ; Lithgowc/ Royaume-Uni A 102(1986), paragraphe 120 ;Les Saints Monastèresc/ Grèce A301-A (1994),paragraphes 70-75 ;Hentrich c/ France A296-A (1994), paragraphe 48 ;Pressos CompaniaNaviera SA c/ Belgique A332 (1995), para-graphe 38 ; Guilleminc/ France 1997-I (1997),paragraphes 52-57.

tiers. La Cour s’appuya pour formuler cette opi-nion sur le fait que cette pratique était autoriséedans plusieurs systèmes juridiques.

134. La Cour signala ensuite que l’Etat avait unelarge marge d’appréciation concernant les me-sures d’imposition et que son appréciation de-vait être respectée sauf si elle était dépourvuede « base raisonnable ». Elle cita Sporrong etLönnroth c/ Suède

84 et mentionna l’exigence de

juste équilibre et de proportionnalité. Elle sedemanda aussi si Gasus avait dû supporter une« charge spéciale et exorbitante ».

135. Sur la base de ces critères, la Cour conclut quela saisie de la bétonnière était compatibleavec l’article 1 du Protocole n

o 1. Elle tint

compte en particulier des points suivants : (1)Gasus était engagée dans une opération com-merciale qui, de par sa nature, comportait unélément de risque ; (2) la clause de réserve depropriété conférait une sûreté contre lescréanciers autres que le fisc ; (3) Gasus auraitpu éliminer complètement le risque en refu-sant de faire crédit à Atlas ; (4) elle aurait puobtenir une sûreté supplémentaire, parexemple sous la forme d’une assurance et (5)Gasus avait autorisé l’installation de la béton-nière dans les locaux d’Atlas.

136. Cette affaire montre que, si la Cour applique lemême critère de juste équilibre à une mesured’imposition qu’aux autres ingérences dans le

droit de propriété, l’Etat se voit accorder unemarge particulièrement large d’appréciationdans les affaires de ce type.

Indemnisation

137. Comme noté plus haut85

, l’article 1 du Proto-cole n

o 1 n’exige pas expressément le paiement

d’une indemnité pour la privation de propriété,ou toute autre forme d’ingérence dans le droitde propriété. Cependant, dans ces cas, une in-demnité est généralement requise de façon im-plicite. Voir, par exemple James c/ Royaume-Uni

86, où

la Cour fit observer ce qui suit : … dans les systèmes juridiques respectifs des Etatscontractants, une privation de propriété pour caused’utilité publique ne se justifie pas sans le paiementd’une indemnité, sous réserve de circonstances excep-tionnelles étrangères au présent litige. De son côté, enl’absence d’un principe analogue l’article 1 (du Proto-cole n

o 1) n’assurerait qu’une protection largement il-

lusoire et inefficace du droit de propriété. Pourapprécier si la législation contestée ménage un justeéquilibre entre les divers intérêts en cause et, entreautres, si elle n’impose pas aux requérants une chargedémesurée …, il faut à l’évidence avoir égard auxconditions de dédommagement (paragraphe 54).

138. La question de savoir si une indemnisation est

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87 1999-III, paragraphe 82.Voir aussi Sporrongc/ Lönnroth A52 (1982),paragraphe 73 ;Immobiliare Saffic/ Italie, 1999-V, para-graphes 56 et 57.

ou non prévue est aussi pertinente lorsqu’onévalue la proportionnalité des autres ingé-rences (moindres) dans le droit de propriété.

139. Un exemple de la prise en compte par la Courde l’absence d’indemnisation dans le cas d’uneingérence dans un droit de propriété ne pou-vant entièrement être assimilée à une privationde propriété est l’affaire Chassagnou c/ France

87.

Dans cette affaire, les requérants étaient despropriétaires terriens qui, en vertu de la loifrançaise, détenaient un droit exclusif de chas-ser sur leurs terres. Ce droit constituait un élé-ment de la propriété de la terre. Mais lesautorités françaises considérèrent souhaitablede regrouper les propriétaires de terrains depetite superficie et de constituer une associa-tion dont les membres pourraient chasser surl’ensemble de terrains ainsi constitué. L’affilia-tion aux associations de chasse des proprié-taires terriens, comme les requérants, devintobligatoire, emportant obligation pour ces der-niers d’abandonner leur droit de chasser exclu-sif et d’autoriser ainsi les autres membres del’association à chasser sur leurs terres.

140. Les requérants (qui étaient membres d’asso-ciations de protection des animaux et d’oppo-sants à la chasse) avancèrent que le transfertobligatoire des droits de chasse était contraireà l’article 1 du Protocole n

o 1.

141. Il fut convenu devant la Cour que la troisième

norme, la réglementation de l’usage, s’appli-quait. Pour ce qui est de l’intérêt général, les re-quérants avancèrent que la loi n’était qu’àl’avantage des chasseurs et non dans l’intérêtgénéral. La Cour rejeta cet argument et estimaque les autorités françaises étaient fondées àconsidérer qu’il était dans l’intérêt générald’éviter une pratique anarchique de la chasse.

142. Pour ce qui est de la proportionnalité, la Courestima que le système de l’apport forcé abou-tissait à placer les requérants dans une situa-tion qui rompait le juste équilibre. Il obligeait eneffet les petits propriétaires à faire apport deleur droit de chasse sur leur terrains pour quedes tiers en fassent un usage totalementcontraire à leurs convictions éthiques et mo-rales. En particulier, la Cour nota l’absence detoute indemnisation. (Le gouvernement avaitprévu que la possibilité pour les propriétairesterriens, comme les requérants, de chasser surles terres appartenant à d’autres serait une in-demnisation suffisante, mais cela ne présentaitaucun intérêt pour les requérants qui ne sou-haitaient pas chasser). Dans ces conditions, ledroit de propriété des requérants, garanti parl’article 1 du Protocole n

o 1, avait été violé.

143. Lorsque le versement d’une indemnisation estrequis pour satisfaire l’exigence de proportion-nalité, il n’y a pas nécessairement indemnisa-tion intégrale dans tous les cas. Des objectifs

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88 James c/ Royaume-UniA 98 (1986), para-graphe 54 ; Les SaintsMonastères c/ Grèce A301-A (1994), para-graphe71.

89 A98 (1986).

légitimes d’intérêt « général », tels que ceuxdes mesures de réforme économique ou desmesures destinées à une plus grande justice so-ciale, pourraient exiger que le remboursementsoit intérieur à la pleine valeur marchande. Ce-pendant, celui-ci devrait être au moins raison-nablement lié à la valeur du bien

88.

144. Dans l’affaire Lithgow c/ Royaume-Uni89

, les re-quérants étaient des sociétés de constructionnavale et de construction aéronautique, dontles biens furent nationalisés. Sans contester lalégitimité de l’objectif poursuivi par l’Etat, lessociétés alléguèrent que les indemnités reçuesétaient manifestement insuffisantes : le Gou-vernement britannique avait décidé d’un sys-tème d’indemnisation en vertu duquel les titresdes sociétés nationalisées (les requérants)furent évalués sur la base de la valeur qui étaitla leur trois ans avant la date du transfert desactions. Le gouvernement précisa qu’il s’agis-sait ainsi d’éviter que la valeur des titres ne fûtfaussée par la perspective d’une nationalisa-tion. Les requérants estimèrent que la périodede référence choisie aurait dû être plus prochede la date du transfert, car la valeur des actionsavait en fait augmenté. Ils soulignèrent qu’endroit international général, dans des cir-constances analogues, c’est la date de la priva-tion de propriété ou du transfert, qui estretenue comme date de l’évaluation.

145. La Cour se rangea à l’avis de la Commission :sans le versement d’une somme raisonnablement enrapport avec la valeur du bien, une privation de pro-priété constituerait normalement une atteinte excessivequi ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1.Ce dernier ne garantit pourtant pas dans tous les cas ledroit à une compensation intégrale car des objectifs lé-gitimes « d’utilité publique », tels qu’en poursuiventdes mesures de réforme économique ou de justice so-ciale, peuvent militer pour un remboursement inférieurà la pleine valeur marchande. (paragraphe 121)

146. Il est intéressant de noter que la Cour déclaraaussi que les règles en matière d’indemnisationpouvaient varier en fonction de la nature dubien et des circonstances de la privation de pro-priété. Les règles applicables dans le cas d’unenationalisation pouvaient différer de celles ap-plicables à d’autres formes de privation de pro-priété, par exemple les achats forcés de terrainspour cause d’utilité publique (paragraphe 121).

147. La Cour considéra (rejetant l’argument des re-quérants) que la « marge d’appréciation »s’appliquait non seulement à la question de sa-voir si la nationalisation était dans l’intérêt pu-blic mais aussi au choix des conditionsd’indemnisation. Elle fit observer ce qui suit :… le rôle de la Cour se limite en l’espèce à recherchersi, en arrêtant les modalités d’indemnisation, leRoyaume-Uni a excédé son large pouvoir d’apprécia-tion ; elle respectera le jugement du législateur en ce qui

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90 Voir ci-dessus, para-graphe 18.

91 A33 (1979), para-graphe 45.

92 Voir article 5 de laConvention.

concerne ce domaine, sauf s’il se révèle manifestementdépourvu de base raisonnable. (paragraphe 122).

148. Les requérants invoquèrent aussi la dispositionde la deuxième phrase de l’article 1 selon la-quelle la privation de propriété est assujettieaux « principes généraux du droit internatio-nal ». A leur avis, cette disposition impliquaitque leur indemnisation devait être « adéquate,prompte et effective », comme l’exigeaient lesprincipes généraux du droit international. LaCour, cependant, rejeta cet argument. Elle notaqu’en vertu des principes généraux du droit in-ternational lui-même, cet impératif s’appliquaituniquement aux non-nationaux. Lors des tra-vaux préparatoires de l’article 1, il est apparuclairement que les Etats souhaitaient que cettephrase ne s’applique qu’aux non-nationaux.

Sécurité juridique

149. Une ingérence dans le droit de propriété doitaussi satisfaire à l’impératif de sécurité juri-dique ou de légalité

90. Cela est expressément

déclaré dans la deuxième phrase du premieralinéa de l’article 1, concernant la privation, oùil est dit que celle-ci doit avoir lieu « dans lesconditions prévues par la loi » Mais le principede sécurité juridique est inhérent à la Conven-

tion dans son ensemble et cet impératif doitêtre satisfait quelle que soit celle des troisnormes qui s’applique.

150. S’agissant de la signification du principe de sécu-rité juridique, voir Winterwerp c/ Pays-Bas

91. Cette

affaire concernait le droit à la liberté garanti parl’article 5 de la Convention et le droit à un procèséquitable garanti par l’article 6. Le requérant avaitété placé dans un hôpital psychiatrique. Il avaitété interné en vertu de décisions de juges, réexa-minées périodiquement, mais il n’avait pas éténotifié du fait que des procédures étaient encours ni autorisé à comparaître ou se faire repré-senter. A plusieurs reprises, ses demandes d’élar-gissement n’avaient pas été transmises autribunal par le Procureur public. Du fait de son in-ternement, le requérant avait automatiquementperdu le droit de gérer ses biens.

151. La Cour européenne des Droits de l’Hommeconsidéra qu’il y avait eu violation de l’article 5,du fait que le requérant n’avait pas été en me-sure de faire réexaminer sa détention par un tri-bunal et qu’il n’avait pas pu se faire entendre. Enoutre, la perte de son droit à gérer ses biens sanslui permettre de se faire entendre était contraireà l’article 6 de la Convention.

152. L’une des questions à examiner par la Cour àpropos de l’article 5 était celle de savoir si laprivation de liberté du requérant avait eu lieu« selon les voies légales »

92. La Cour considéra

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93 25 mars 1999, para-graphe 58.

94 Voir ci-dessus, para-graphes 42 et suivants.

que ces mots se référaient pour l’essentiel à lalégislation nationale ; ils consacraient la néces-sité de suivre la procédure fixée par celle-ci. Ilfallait, toutefois, que le droit interne fût lui-même conforme à la Convention, y compris lesprincipes généraux énoncés ou impliqués parelle. A la base du membre de phrase précité setrouvait la notion de procédure équitable etadéquate, à savoir que toute mesure privativede liberté devait émaner d’une autorité quali-fiée, être exécutée par une telle autorité et nepas revêtir un caractère arbitraire.

153. La Cour observa aussi que « dans une sociétédémocratique souscrivant à la règle de droit,une décision arbitraire ne peut jamais passerpour régulière. » (paragraphe 39). Le mêmeprincipe vaut pour l’article 1 du Protocole n

o 1.

154. Pour une affaire récente, où l’importance duprincipe de légalité et de sécurité juridique aété soulignée, voir Iatridis c/ Grèce

93. Comme

mentionné plus haut94

, il s’agissait d’une affairedans laquelle le requérant exploitait un cinémade plein air, dont il fut évincé et qui fut transféréde force aux autorités municipales. La Courconsidéra que la clientèle du cinéma constituaitun bien protégé en vertu de l’article 1. Elleanalysa l’ingérence dans le cadre de la premièrenorme de l’article 1.

155. La Cour nota ensuite que l’arrêté d’expulsionconcernant le cinéma avait en fait été infirmé

par le tribunal grec (alors même que la légalitédu titre du requérant sur le terrain en questionn’avait jamais été reconnue). Ces événementsétaient intervenus dix ans auparavant et, pour-tant, le requérant n’avait jamais pu récupérerson terrain. A cette occasion, la Cour fit unedéclaration appuyée sur la nécessité indispen-sable pour les Etats de respecter le principe delégalité, ou de sécurité juridique. Comme ellel’indiqua, si cette règle n’était pas respectée, iln’était nul besoin d’aller plus loin et d’examinerla légitimité de l’objectif de l’Etat ou la ques-tion de la proportionnalité :La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole n

o 1

exige, avant tout et surtout, qu’une ingérence del’autorité publique dans la jouissance du droit au res-pect de biens soit légale : la seconde phrase du premieralinéa de cet article n’autorise une privation de pro-priété que « dans les conditions prévues par la loi » ;le second alinéa reconnaît aux Etats le droit de régle-menter l’usage des biens en mettant en vigueur des« lois ». De plus, la prééminence du droit, l’un desprincipes fondamentaux d’une société démocratique,est inhérente à l’ensemble des articles de la Convention… et implique le devoir de l’Etat ou d’une autorité pu-blique de se plier à un jugement ou à un arrêt rendus àleur encontre … Il s’ensuit que la nécessité de recher-cher si un juste équilibre a été maintenu entre les exi-gences de l’intérêt général de la communauté et lesimpératifs de sauvegarde des droits fondamentaux de

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95 Paragraphe 62.96 Lithgow c/ Royaume-Uni

A102 (1986), para-graphe 110 ; Winterwerpc/ Pays-Bas A33 (1979),paragraphes 45 et 39 ;Spacek c/ Républiquetchèque (9 no-vembre 1999), affairedans laquelle la Courobserva que lorsqu’ilmentionne la « loi », l’ar-ticle 1 du Protocole n° 1fait référence à la mêmenotion que celle figurantailleurs dans la Conven-tion, qui couvre aussibien le droit écrit que lajurisprudence. Cela im-plique des exigencesqualitatives, notammentcelles d’accessibilité et deprévisibilité (para-graphe 54).

97 A296-A (1994), para-graphe 42.

l’individu … ne peut se faire sentir que lorsqu’il s’estavéré que l’ingérence litigieuse a respecté le principe dela légalité et n’était pas arbitraire. (paragraphe 58).

156.Dans le cas Iatridis, la non restitution de laterre au requérant constituait « manifeste-ment » une violation du droit grec et de cefait une nette violation de l’article 1 duProtocole n

o 1, sans qu’il fût besoin d’exa-

miner plus avant toute autre question95

.157. Pour respecter le principe de sécurité juridique,

l’Etat (ou l’autorité publique) doit se conformerà des dispositions juridiques nationales acces-sibles et suffisamment précises, qui répondentaux principes fondamentaux du « droit ». Dansces conditions, toute ingérence doit non seule-ment être justifiée par des dispositions particu-lières du droit national, mais une procédureéquitable et adéquate doit être suivie et la me-sure visée doit émaner d’une autorité qualifiée,être exécutée par une telle autorité et ne pasrevêtir un caractère arbitraire

96.

158. Ces conditions sont illustrées par l’affaireHentrich c/ France

97. M

me Hentrich acheta un ter-

rain à Strasbourg pour un prix de 150 000 FF.Elle fut ensuite notifiée que les services fiscauxexerceraient leur droit de préemption, c’est-à-dire leur droit d’acheter le bien, car ils esti-maient que le prix de cession était insuffisant.Aucune procédure contradictoire, qui auraitpermis à M

me Hentrich d’exposer sa cause de-

vant les juridictions, n’était en place.159. M

me Hentrich considéra qu’elle avait fait l’objet

d’une expropriation de fait et ceci ne fut pascontesté. A ses yeux, le système de préemptionne servait pas une cause d’utilité publique s’ilétait appliqué, comme dans son cas, lorsqu’iln’y avait pas de mauvaise foi ou d’intention defrauder le fisc. La Cour européenne des Droitsde l’Homme rejeta cet argument citant la« grande marge d’appréciation » accordée auxEtats pour déterminer l’intérêt public.

160. La Cour prit ensuite une décision importante surla question de la légalité. Elle déclara ce qui suit :… la mesure de préemption a joué de manière arbi-traire, sélective et guère prévisible, et n’a pas offert lesgaranties procédurales élémentaires : en particulier, telqu’interprété jusqu’alors par la Cour de cassation et telqu’appliqué à la requérante, l’article 668 du code gé-néral des impôts ne satisfaisait pas suffisamment auxexigences de précisions et de prévisibilité qu’implique lanotion de loi au sens de la Convention.Une décision de préemption ne peut avoir de légitimitéen l’absence d’un débat contradictoire et respectueux duprincipe de l’égalité des armes, qui permette de discuterla question de la sous-estimation du prix et, par voie deconséquence, la position de l’administration ; autantd’éléments qui ont manqué dans la présente affaire.(paragraphe 42).

161. Pour apprécier la proportionnalité, la Cour eutégard au degré de protection offert contre l’ar-

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98 Paragraphe 49.

bitraire. Elle constata que cette protectionavait en l’occurrence été insuffisante : ellenota que M

me Hentrich avait été une victime

sélective de cette procédure, qui était rare-ment utilisée. Rien n’indiquait qu’elle avait agide mauvaise foi et l’Etat disposait d’autrestechniques pour décourager la fraude fiscale(par exemple poursuivre judiciairement le re-couvrement des taxes éludées). Dans ces

conditions, la Cour jugea que Mme

Hentrichavait dû « supporter une charge spéciale etexorbitante »

98.

162. Cette affaire est importante, en particulierparce qu’elle souligne la nécessité d’une pro-cédure équitable ainsi que l’exigence pourl’Etat de ne pas agir de façon arbitraire – à lafois en vertu du principe de la légalité et duprincipe de la proportionnalité.

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99 L’article 14 est libellécomme suit : « La jouis-sance des droits et liber-tés reconnus dans laprésente Convention doitêtre assurée, sans distinc-tion aucune, fondée no-tamment sur le sexe, larace, la couleur, lalangue, la religion, lesopinions politiques outoutes autres opinions,l’origine nationale ousociale, l’appartenance àune minorité nationale, lafortune, la naissance outoute autre situation. »

100 A31 (1979). Voir aussiInze c/ Autriche A 126(1987), décrite de façonplus détaillée dans lanote 21 ci dessus.

101 Paragraphe 65.102 A6 (1968).

V. Autres questions

Combinaison de l’article 1 duProtocole n

o 1 avec l’article 14

163. Dans certains cas, il n’y aura peut-être pas deviolation de l’article 1 du Protocole n

o 1 pro-

prement dit, mais il pourra y avoir une violationde cet article combiné avec l’article 14 de laConvention (qui interdit toute discriminationdans la jouissance des droits et libertés recon-nus dans la Convention)

99.

164. L’affaire Marckx c/ Belgique100

constitue une illus-tration de cette possibilité. Comme indiqué plushaut, cette affaire concernait une législation éta-blissant une discrimination à l’encontre des en-fants illégitimes, en ce sens qu’elle limitait, entreautres, le droit de la mère de léguer. La Cour euro-péenne des Droits de l’Homme considéra qu’il yavait ingérence dans le droit de propriété de lamère en vertu de l’article 1 du Protocole n

o 1,

combiné avec l’article 14 de la Convention (bienqu’il n’y ait pas eu de violation de l’article 1 duProtocole n

o 1 proprement dit)

101.

165. L’affaire du Régime linguistique belge (no 2) A 6

(1968)102

définit les principaux généraux applica-bles à l’article 14 de la Convention. Dans cetteaffaire, plusieurs parents francophones mirenten cause divers aspects de la législation linguis-tique belge en matière d’enseignement, qui vio-laient, entre autres, le droit à la vie privée(article 8) et le droit à l’instruction (article 2 duProtocole n

o 1), combinés avec l’article 14, en

privant de subventions des écoles francophonesde certains régions considérées comme fla-mandes et en refusant de leur donner un agré-ment. Examinant cette demande, la Cour précisaqu’une mesure conforme en elle-même aux exi-gences d’un article pouvait enfreindre cet articlecombiné avec l’article 14, pour le motif qu’ellerevêtait un caractère discriminatoire.

166. Cependant, l’article 14 n’interdit pas toute dis-tinction de traitement dans l’exercice desdroits et libertés reconnus dans la Convention.Le principe de l’égalité de traitement est violéseulement si la distinction manque de justi-fication objective et raisonnable. Une dis-tinction de traitement doit poursuivre un butlégitime et il doit exister un rapport raison-nable de proportionnalité entre les moyensemployés et le but visé.

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103 1996-VI (1996).104 A260-B (1993). Voir ci-

dessus, paragraphes 69 etsuivants.

Violations continues

167. La Cour européenne des Droits de l’Homme areconnu la notion d’une violation continue dudroit de propriété. Cette approche pourraits’appliquer aux expropriations qui sont appa-remment intervenues avant que la Fédérationde Russie n’accepte la juridiction de la Coureuropéenne des Droits de l’Homme.

168. L’affaire Loizidou c/ Turquie constitue unebonne illustration à cet égard

103. Dans cette af-

faire, la requérante était une ressortissantechypriote grecque qui alléguait d’une violationde l’article 1 du Protocole n

o 1 à propos d’une

maison qu’elle possédait et qu’elle avait étéobligée de quitter au nord de Chypre aprèsl’occupation turque de cette partie de l’Ile en1974. Elle prétendait avoir été empêchée defaçon continue d’accéder à sa propriété parles forces turques.

169. Le Gouvernement turc prétendit, entre autres,que la requérante n’était pas habilitée à saisir laCour, car l’ingérence dans son droit de propriétéétait intervenue avant 1990, année où la Turquieavait accepté la juridiction de la Cour européennedes Droits de l’Homme pour des faits postérieurs.La Cour rappela qu’elle avait déjà souscrit à la no-tion de violation continue dans l’affairePapamichalopoulos c/ Grèce

104 et aux effets de cette

notion sur les limites temporelles à la compé-

tence des organes de la Convention. La présenteaffaire concernait des violations alléguées de ca-ractère continu si la requérante, aux fins de l’ar-ticle 1, pouvait toujours être considérée commela propriétaire légale des terres en cause. La Courestima que la requérante avait bien conservé sontitre de propriété et qu’une « loi » constitution-nelle adoptée par la « République turque deChypre du Nord », qui avait pour objectif de l’enpriver, ne pouvait pas être considérée commeayant une validité juridique.

170. La Cour considéra que, du fait qu’elle sevoyait refuser l’accès à ses biens depuis 1974,la requérante avait en pratique perdu toutemaîtrise de ceux-ci ainsi que toute possibilitéd’usage et de jouissance. Dans les cir-constances exceptionnelles de la cause, cetteingérence ne saurait s’analyser ni en une pri-vation de propriété ni en une réglementationde l’usage des biens. Ingérence dans le droitau respect des biens de la requérante, elle re-levait en revanche manifestement de la pre-mière phrase de l’article 1. La Cour nota à cetégard qu’un obstacle de fait peut enfreindre laConvention à l’égal d’un obstacle juridique.Le Gouvernement turc n’avait pas vérita-blement tenté d’avancer des arguments justi-fiant l’ingérence et il y avait donc eu violationde l’article 1 du Protocole n

o 1.

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Application du droit de propriétéentre particuliers171. Il est évident que la protection du droit de

propriété, garantie par l’article 1 duProtocole n

o 1, ne vise pas uniquement les

ingérences dans des biens qui supposent letransfert de certains avantages à l’Etat. L’ar-ticle en question peut s’appliquer à des me-sures introduites par l’Etat (ou une autreautorité publique) qui affectent les droits depropriété d’un particulier en les transférant à

105 A98 (1986) voir ci-dessus,paragraphes 90 et sui-vants, où cette affaire estanalysée en détail.

106 (1982). Voir ci-dessus,paragraphes 23 et sui-vants.

un autre ou à d’autres particuliers, ou en leurpermettant d’en bénéficier, ou encore qui ré-glementent d’une autre manière l’usage desbiens d’un particulier.

172. Voir, par exemple, l’affaire James c/ Royaume-Uni

105, dans laquelle une législation a permis à

des locataires d’accéder à la propriété des ha-bitations dans lesquelles ils avaient vécu. Voiraussi les requêtes n

o 8588/1979, 8589/1979

Bramelid et Malmström c/ Suède106

, concernant lalégislation applicable à la relation entre les ac-tionnaires d’une société.

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Direction générale des droits de l’hommeConseil de l’EuropeF-67075 Strasbourg cedex

http://www.coe.int/human_rights

Cette série de précis sur les droits de l’homme a été créée afin deproposer des guides pratiques sur la manière dont la Cour euro-péenne des Droits de l’Homme, à Strasbourg, met en œuvre et inter-prète les différents articles de la Convention européenne des Droitsde l’Homme. Ils ont été conçus pour les praticiens du droit, et plusparticulièrement les juges, mais restent accessibles à tous ceux quis’y intéressent.

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