Le disque intervertébral lombal : du développement embryonnaire à la dégénérescence

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Revue du rhumatisme monographies 80 (2013) 210–214 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Le disque intervertébral lombal : du développement embryonnaire à la dégénérescence The lumbar intervertebral disc: From embryonic development to degeneration Pauline Colombier a,b , Johann Clouet a,b,c,f , Olivier Hamel a,b,d,g , Laurent Lescaudron a,b,e , Jérôme Guicheux a,,b,h a Inserm UMRS 791, LIOAD, groupe STEP « Skeletal Tissue Engineering and Physiopathology », 1, place Alexis-Ricordeau, 44042 Nantes, France b UFR idontologie, université de Nantes, 1, place Alexis-Ricordeau, 44042 Nantes, France c UFR sciences biologiques et pharmaceutiques, université de Nantes, 9, rue Bias, 44035 Nantes, France d UFR médecine, université de Nantes, 1, rue Gaston-Veil, 44035 Nantes, France e UFR sciences et techniques, université de Nantes, 2, chemin de la Houssinière, 44300 Nantes, France f Pharmacie centrale, CHU de Nantes, 85, rue St-Jacques, 44093 Nantes, France g Service de neurotraumatologie, CHU de Nantes, 1, place Alexis-Ricordeau, 44000 Nantes, France h Pôle hospitalo-universitaire 4 OTONN, CHU de Nantes, 1, place Alexis-Ricordeau, 44000 Nantes, France i n f o a r t i c l e Historique de l’article : Accepté le 25 juin 2013 Disponible sur Internet le 4 septembre 2013 Mots clés : Disque intervertébral Embryogenèse Dégénérescence Cartilage r é s u m é Les disques intervertébraux (DIV) lombaires sont fortement sujets à une dégénérescence tissulaire dès l’âge de la maturité squelettique. Cette dégénérescence serait à l’origine de 40 % des cas de lom- balgie chez l’homme. Malgré des traitements aujourd’hui efficaces contre la douleur, la communauté scientifique cherche à développer de nouvelles approches thérapeutiques afin d’éviter le recours aux arthrodèses ou prothèses discales. Cependant, le développement de ces nouvelles approches néces- site l’approfondissement de nos connaissances fondamentales relatives à la physiopathologie discale. Récemment, des études ont démontré que les cellules du Nucleus pulposus (NP) présentaient un phéno- type distinct de celui des chondrocytes articulaires. Parallèlement à ces travaux, des études sur l’origine embryonnaire des cellules du NP ainsi que sur la régulation de l’homéostasie du tissu discal ont permis d’élucider certains mécanismes physiopathologiques. Cette revue résume l’avancée des connaissances relatives à la physiologie du DIV ainsi que les mécanismes mis en place lors de la dégénérescence, permettant ainsi d’envisager de nouvelles stratégies thérapeutiques. © 2013 Société franc ¸ aise de rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Keywords: Intervertebral disc Embryogenesis Degeneration Cartilage a b s t r a c t Lumbar intervertebral discs (IVD) are highly prone to degenerate as early as the skeletal maturity is achieved. This degeneration could explain about 40% of the low back pain cases in humans. Despite the efficiency of pain-relieving treatments, the scientific community seeks to develop innovative therapeutic approaches to limit the use of invasive surgical procedures (spine fusion and arthroplasty). As a prere- quisite to the development of these therapeutic strategies, we first have to improve our fundamental knowledge on IVD physiopathology. Recently, several studies have demonstrated that the phenotype of Nucleus pulposus (NP) cells was singular and quite distinct from that of articular chondrocytes. In parallel, recent studies dealing with NP cell development and origin as well as their role in intervertebral tissue homesotasis allowed to gain new insights into the complex mechanisms governing disc degeneration. This review summarizes the actual knowledge on IVD physiology and on the complex cell-mediated pro- cesses of IVD degeneration that has recently led the scientific community to explore new biotherapeutic strategies. © 2013 Société franc ¸ aise de rhumatologie. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J. Guicheux). 1. Introduction Les disques intervertébraux (DIV) sont des structures anato- miques complexes indispensables à la mobilité des articulations 1878-6227/$ see front matter © 2013 Société franc ¸ aise de rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.monrhu.2013.06.002

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auline Colombiera,b, Johann Cloueta,b,c,f, Olivier Hamela,b,d,g, Laurent Lescaudrona,b,e,érôme Guicheuxa,∗,b,h

Inserm UMRS 791, LIOAD, groupe STEP « Skeletal Tissue Engineering and Physiopathology », 1, place Alexis-Ricordeau, 44042 Nantes, FranceUFR idontologie, université de Nantes, 1, place Alexis-Ricordeau, 44042 Nantes, FranceUFR sciences biologiques et pharmaceutiques, université de Nantes, 9, rue Bias, 44035 Nantes, FranceUFR médecine, université de Nantes, 1, rue Gaston-Veil, 44035 Nantes, FranceUFR sciences et techniques, université de Nantes, 2, chemin de la Houssinière, 44300 Nantes, FrancePharmacie centrale, CHU de Nantes, 85, rue St-Jacques, 44093 Nantes, FranceService de neurotraumatologie, CHU de Nantes, 1, place Alexis-Ricordeau, 44000 Nantes, FrancePôle hospitalo-universitaire 4 OTONN, CHU de Nantes, 1, place Alexis-Ricordeau, 44000 Nantes, France

i n f o a r t i c l e

istorique de l’article :ccepté le 25 juin 2013isponible sur Internet le 4 septembre 2013

ots clés :isque intervertébralmbryogenèseégénérescenceartilage

r é s u m é

Les disques intervertébraux (DIV) lombaires sont fortement sujets à une dégénérescence tissulairedès l’âge de la maturité squelettique. Cette dégénérescence serait à l’origine de 40 % des cas de lom-balgie chez l’homme. Malgré des traitements aujourd’hui efficaces contre la douleur, la communautéscientifique cherche à développer de nouvelles approches thérapeutiques afin d’éviter le recours auxarthrodèses ou prothèses discales. Cependant, le développement de ces nouvelles approches néces-site l’approfondissement de nos connaissances fondamentales relatives à la physiopathologie discale.Récemment, des études ont démontré que les cellules du Nucleus pulposus (NP) présentaient un phéno-type distinct de celui des chondrocytes articulaires. Parallèlement à ces travaux, des études sur l’origineembryonnaire des cellules du NP ainsi que sur la régulation de l’homéostasie du tissu discal ont permisd’élucider certains mécanismes physiopathologiques. Cette revue résume l’avancée des connaissancesrelatives à la physiologie du DIV ainsi que les mécanismes mis en place lors de la dégénérescence,permettant ainsi d’envisager de nouvelles stratégies thérapeutiques.

© 2013 Société franc aise de rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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a b s t r a c t

Lumbar intervertebral discs (IVD) are highly prone to degenerate as early as the skeletal maturity isachieved. This degeneration could explain about 40% of the low back pain cases in humans. Despite theefficiency of pain-relieving treatments, the scientific community seeks to develop innovative therapeuticapproaches to limit the use of invasive surgical procedures (spine fusion and arthroplasty). As a prere-quisite to the development of these therapeutic strategies, we first have to improve our fundamentalknowledge on IVD physiopathology. Recently, several studies have demonstrated that the phenotype of

Nucleus pulposus (NP) cells was singular and quite distinct from that of articular chondrocytes. In parallel,recent studies dealing with NP cell development and origin as well as their role in intervertebral tissuehomesotasis allowed to gain new insights into the complex mechanisms governing disc degeneration.This review summarizes the actual knowledge on IVD physiology and on the complex cell-mediated pro-cesses of IVD degeneration that has recently led the scientific community to explore new biotherapeuticstrategies.

© 2013 Société franc ais

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (J. Guicheux).

878-6227/$ – see front matter © 2013 Société franc aise de rhumatologie. Publié par Elsettp://dx.doi.org/10.1016/j.monrhu.2013.06.002

e de rhumatologie. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction

Les disques intervertébraux (DIV) sont des structures anato-miques complexes indispensables à la mobilité des articulations

vier Masson SAS. Tous droits réservés.

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P. Colombier et al. / Revue du rhumatisme monographies 80 (2013) 210–214 211

Fig. 1. Représentation schématique de la structure et composition du disque inter-vIc

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Fig. 2. Représentation schématique du phénomène de resegmentation du scléro-

ertébral (DIV), indiquant la teneur en protéoglycanes et en collagène de type I etI au sein du NP et de l’AF. AF : Annulus fibrosus ; NP : Nucleus pulposus ; PC : plaquesartilagineuses.

ntervertébrales. Ils permettent également d’ancrer les vertèbreses unes aux autres et de répartir les pressions dues aux mouve-

ents de l’ensemble du tronc. Leur capacité d’absorption et deépartition des charges s’explique par leur structure unique (Fig. 1).

Chez la plupart des mammifères, les premiers signes de dégé-érescence apparaissent dès l’âge de la maturité squelettique auein du Nucleus pulposus (NP) principalement [1]. Jusqu’à la matu-ité squelettique, deux types cellulaires peuplent le NP : les celluleshondrocyte-like et les cellules notochordales. Il est aujourd’huidmis que ces cellules notochordales sont majoritairement res-onsables du maintien de l’homéostasie [2–5]. La disparition dees cellules au cours de la maturation squelettique serait donc unees premières modifications entraînant une cascade d’évènementségénératifs. Bien que ces évènements relèvent d’un processusaturel de vieillissement, ceux-ci peuvent également survenir de

ac on accélérée et brutale. Cela est alors distinct du vieillissement etst considéré comme une dégénérescence pathologique. Dans cetteevue, seuls les mécanismes de développement, de maturation ete dégénérescence liée au vieillissement seront abordés.

. Physiologie du disque intervertébral

.1. Développement embryonnaire

Chez l’homme, au cours de la troisième semaine de gesta-ion, la formation des trois feuillets embryonnaires a lieu. Lorse ce phénomène, appelé gastrulation, les cellules épiblastiquesfutur ectoderme) s’invaginent au niveau du nœud de Hensent colonisent l’espace mésoblastique en formant la notochordemésoblaste chordal). Le développement de la notochorde est unrocessus dépendant de l’expression des gènes Forkhead box A2Foxa2), Brachyury (T) et Notochord homolog (Noto). Le scléro-ome, issu d’une maturation des somites, donnera naissance à la foisux vertèbres, plateaux vertébraux et à l’Annulus fibrosus (AF) sous’action du facteur Sonic hedghog (Shh) et des membres de la famillees transforming growth factors (TGF) (Fig. 2). Sous l’effet de Shh, lesacteurs de transcription Paired box 1 et 9 (Pax1 et 9) s’expriment et

ontrôleraient le processus d’ossification endochondrale vertébrale6]. La voie du transforming growth factor beta (TGF-�) serait quant

elle, impliquée dans la différenciation des cellules du sclérotomen cellules de l’AF [7].

tome pour la formation des CV et de l’AF. AF : Annulus fibrosus ; CV : corps vertébraux ;NT : notochorde ; Sc : sclérotome ; Shh : Sonic hedgehog ; TGFs : transforming growthfactors.

Lors de la condensation et prolifération des cellules du sclé-rotome pour la formation des corps vertébraux, les cellulesnotochordales meurent par apoptose. En revanche, ces dernièresprolifèrent au niveau intervertébral pour donner naissance auNP. De récentes études ont d’ailleurs clairement démontré quel’intégralité des cellules du NP serait issue de la notochorde [8,9].

2.2. Plateaux vertébraux

À l’instar du cartilage articulaire, les plateaux vertébraux sontcomposés d’un os sous-chondral et d’une fine couche de cartilagehyalin (plaques cartilagineuses d’environ 1 mm) sur laquelle lesfibres de l’AF s’ancrent. Ces plaques cartilagineuses sont compo-sées d’un unique type cellulaire : le chondrocyte, synthétisant unematrice extracellulaire (MEC) riche en collagène de type II et en pro-téoglycanes (PG). Au sein de ces plaques, le ratio PG/Collagène detype II est du même ordre que pour le cartilage articulaire (environ2:1) et la teneur en eau de 50 à 60 % [10]. Les PG sont des macromo-lécules composées d’un corps protéique sur lequel se greffent demanière covalente des chaînes polysaccharidiques sulfatées appe-lées glycosaminoglycanes (GAGs). Ces GAGs sulfatés portent denombreuses charges négatives responsables de la rétention desmolécules d’eau et ainsi, de l’état d’hydratation de la MEC.

Les plaques cartilagineuses sont le siège d’un réseau micro-scopique de vaisseaux sanguins responsable principalement del’apport nutritionnel durant le développement et la croissance duDIV [11]. Les métabolites diffusent par des pores présents au seindes plaques cartilagineuses. Cette diffusion est sélective et est baséesur la taille et la charge des métabolites. Seuls les ions positifs(sodium, calcium. . .) ainsi que les molécules neutres comme leglucose et l’oxygène peuvent diffuser [12].

2.3. Annulus fibrosus

L’AF est composé de cellules fibroblastiques (environ9000 cellules/mm3) synthétisant principalement des fibres decollagène de type I. La MEC de l’AF est organisée en 15 à 25 lamellesconcentriques orientées à 65◦ par rapport au plan vertical. Ceslamelles sont reliées entre-elles par des agrégats de PG et de la

lubricine ainsi que par des fibres de collagène de type VI [13,14]. Lalubricine, connue pour son rôle lubrifiant au sein des articulationsdiarthrodiales, serait impliquée dans la réduction des frottementsentre les lamelles de l’AF [14].
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L’AF peut être divisé en deux zones distinctes : l’AF externe et’AF interne. L’AF interne est également appelé zone de transition.a MEC y est peu organisée et la présence de collagène de type II,e PG et d’eau y est décrite. En revanche, l’AF externe est haute-ent organisé et riche en collagène de type I. Le collagène de type

I et les PG y sont quasiment indétectables [15]. Cette région pré-ente une résistance en tension supérieur à l’AF interne. L’ensemblee cette structure fibreuse confère à l’AF d’importantes propriétésécaniques qui limitent la protrusion du NP.

.4. Nucleus pulposus

Le NP renferme environ 3000 cellules/mm3 et est composé delusieurs types cellulaires enchâssés dans une matrice très richen collagène de type II et en PG (le ratio PG:Collagène type II este 27:1). Le PG majoritaire au sein du NP est l’agrécane possé-ant environ 30 chaînes de GAGs sulfatés. Le nombre importante charges négatives porté par les GAGs au sein du NP explique sontat hyperhydraté. La présence d’une grande quantité d’eau ainsiue de nombreuses fibres de collagène de type II confèrent au NPes propriétés d’élasticité et de déformation sous la contrainte. Cesomposants matriciels sont synthétisés par les cellules peuplante NP : les cellules notochordales et les cellules chondrocyte-like.l est aujourd’hui admis que les cellules chondrocyte-like pos-èdent un phénotype distinct de celui des chondrocytes articulaires16,17]. La présence d’un troisième type cellulaire a été récemmentécrit par Sakai et al., il s’agirait de cellules aux propriétés progé-itrices proches de celles des cellules souches mésenchymateusesCSM) [18]. Cependant, au regard des propriétés des cellules noto-hordales, il est probable que ces cellules progénitrices soient enéalité des cellules notochordales. Ces différents types cellulairesvoluent dans un milieu très hypoxique (environ 1 % d’O2 au seinu NP) et sont hautement spécialisés. Les facteurs de transcrip-ion hypoxia inducible factors 1 et 2 (HIF-1 et HIF-2) classiquementécrits comme les acteurs principaux de la réponse des cellules à laension en oxygène, sont constitutivement actifs dans les cellulesu NP [19]. Agrawal et al. ont démontré que le promoteur du gènee l’agrécane possédait des éléments de réponse à HIF-1. L’activitéonstitutive de HIF-1 au sein du NP serait donc en partie respon-able de l’importante production d’agrécane par les cellules, et celae fac on indépendante de la tension en oxygène. Ils ont égalementémontré que l’expression de certains transporteurs de glucoseGLUT1 et 2) serait sous le contrôle de HIF-1 [20]. Les cellules duP possèderaient donc un métabolisme unique, elles seraient fonc-

ionnellement et constitutivement adaptées à leur environnementauvre en oxygène et en nutriments.

De récentes études montrent l’importance des cellules noto-hordales dans la synthèse d’une MEC fonctionnelle ainsi que dansa survie des cellules chondrocyte-like. Erwin et al. ont démon-ré que les cellules notochordales synthétisaient certains facteurse croissance dont le connective tissue growth factor (CTGF/CCN2),timulant la prolifération des cellules chondrocyte-like et la syn-hèse de collagène de type II et d’agrécane [4]. Il a également étéémontré que le sécrétome des cellules notochordales possédaitn effet anti-apoptotique sur les cellules chondrocyte-like [5]. Cesacteurs sécrétés, encore inconnus, inhiberaient l’activation desaspases 3 et 9 impliquées dans l’apoptose cellulaire et favorise-aient l’expression des gènes codant pour l’agrécane et le collagènee type II. Il a été également décrit que la tension en oxygène contrô-

ait l’expression de CTGF/CCN2 par les cellules notochordales. Ceacteur contrôle également l’expression de HIF-1 au sein du NP

21]. Cette boucle de régulation permettrait de contrôler à la fois laéponse à l’hypoxie par les cellules du NP mais également le taux deTGF/CCN2 afin de conserver son effet stimulateur de la productione PGs.

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L’ensemble de ces données met en lumière le rôle fonda-mental des cellules notochordales dans la survie et l’activitédes chondrocyte-like et donc dans le maintien de l’homéostasietissulaire du NP. Ainsi, la disparition progressive des cellulesnotochordales au cours de la maturation squelettique puis duvieillissement serait l’évènement princeps entraînant la dégéné-rescence du NP.

3. Dégénérescence du disque intervertébral liée auvieillissement

La compréhension des mécanismes de vieillissement discalreste à l’heure actuelle un challenge. Bien que le remodelage tis-sulaire au cours du vieillissement soit relativement bien décrit,les mécanismes menant à ces altérations tissulaires sont encoreà élucider.

3.1. Modifications cellulaires

Des modifications à l’échelle cellulaire, principalement au seindu NP, surviennent dès l’âge de la maturité squelettique. La pre-mière modification majeure est la disparition progressive descellules notochordales. Cela pourrait s’expliquer par leur différen-ciation en cellules chondrocyte-like. En effet, après la naissance,le NP serait composé essentiellement de cellules notochordales etelles se différencieraient progressivement en cellules chondrocyte-like. Il a été récemment décrit que l’activation de la voie Winglessintegration site (Wnt)/Beta-catenin dans les cellules notochordalespermettait leur auto-renouvèlement et le maintien de leur phéno-type durant la formation et la croissance du DIV [22]. Cependant,des travaux récents indiquent également que cette voie seraitresponsable de la production d’enzymes dégradant la MEC chezl’homme au cours du vieillissement discal [23]. Cette apparentedichotomie souligne avec intérêt le rôle majeur que jouerait la voieWnt/Beta-catenin non seulement dans les mécanismes précoces dudéveloppement discal mais aussi dans sa dégénérescence.

Parallèlement à cette disparition des cellules notochordales aucours du vieillissement, les chondrocytes des plaques cartilagi-neuses s’hypertrophient et synthétisent du collagène de type X. LaMEC se calcifie et devient imperméable, empêchant ainsi la diffu-sion des nutriments mais également l’évacuation des métabolitesau sein du NP [24]. Ces évènements conduisent à une rupture del’homéostasie du tissu, marquée notamment par une acidificationdu pH, une diminution de l’apport en oxygène et en nutriments.Les cellules chondrocyte-like résidant au sein du NP se trouventainsi exposées à d’importants stress métaboliques pouvant expli-quer l’activation d’un programme de mort cellulaire. Les cellulesde l’AF, quant à elles, sont sensibles au stress mécanique de parla présence de mécanorécepteurs membranaires. Il a été démon-tré que ces cellules subissaient une mort massive par apoptosesous l’effet des contraintes mécaniques [25]. La mort des cellulesdu NP et de l’AF par apoptose résulterait de l’activation de cas-pases par différentes voies [26]. Ces caspases, peuvent être activéespar la voie extrinsèque (liée aux récepteurs de mort présents à lamembrane plasmique) au cours du vieillissement [27] ou par lavoie intrinsèque (liée à l’activité des mitochondries et du réticulumendoplasmique) notamment au cours des stades de dégénéres-cence les plus avancés [25,28].

Malgré la faible capacité de réparation spontanée du NP, sescellules résidentes présentent des capacités à se protéger de lamort cellulaire, notamment grâce aux processus de sénescence et

d’autophagie. La sénescence correspond à l’arrêt du cycle cellu-laire en phase G1 et à l’entrée des cellules en phase G0 (phase nonproliférative). Deux programmes de sénescence ont été décrits : lasénescence réplicative, due à un raccourcissement des télomères au
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Tableau 1Tableau résumant l’ensemble des processus cellulaires et tissulaires majeurs survenant au cours du vieillissement discal.

DIV jeune DIV âgé

NP AF PC NP AF PC

Modifications cellulairesTypes cellulaires Notochordale Fibroblaste Chondrocyte Chondrocyte-like Fibroblaste Chondrocyte

hypertrophiqueChondrocyte-likeDensité cellulaire ++ +++ ++ − ++ +Apoptose − − − +++ ++ ++Senescence − − − +++ ++ ?Autophagie + + ? +++ ++ ?Inflammation − − − +++ + ++ (os sous-chondral)Angiogenèse − − + + +++ ++Innervation − + + − ++ ++

Modifications tissulairesComposants de la MEC

Agrécane +++ + ++ − − −Collagène type I − +++ − + + +Collagène type II ++ + +++ − − −Collagène type X − − − + + ++

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F : Annulus fibrosus ; DIV : disque intervertébral ; MEC : matrice extracellulaire ; Naible (+), absence (−) ou donnée manquante dans la littérature (?).

ours des divisions et la sénescence due à un stress oxydatif et/ou àn défaut mitochondrial [29]. Lors de son entrée en phase G0, la cel-

ule ne répond plus aux facteurs environnementaux (anaboliquest cataboliques), ce qui lui permet d’échapper momentanément àa mort programmée. De manière intéressante, il a été démontréue les cellules du NP entraient en sénescence réplicative au coursu vieillissement [30].

Le second mécanisme de protection des cellules est l’autophagie.l s’agit d’un mécanisme permettant à la cellule de générer elle-

ême de l’énergie dans des conditions de stress intense commen manque prolongé d’apport nutritif [31]. Au sein du NP, il est

argement admis que l’apport nutritif diminue au cours du vieillis-ement. Dans ce contexte, la présence de vésicules autophagiques

été mise en évidence dans des cellules de NP [32]. Le nombre dees vésicules ainsi que le flux autophagique augmentent au cours duieillissement. Cela suggère fortement que les cellules du NP, danses conditions de stress intense pourraient compenser le manque’apport nutritif par un processus d’auto-génération d’énergie.

Malgré ces mécanismes de protection activés par les cellules duP au cours du vieillissement, celles-ci meurent progressivementntraînant d’importantes modifications au niveau de la MEC.

.2. Modifications tissulaires

De même que pour les modifications cellulaires, le remodelageissulaire est marqué précocement au sein du NP. L’intégrité de la

EC du DIV repose sur un équilibre entre anabolisme et catabo-isme. Or, cet équilibre est rompu dès la disparition des cellulesotochordales et s’aggrave avec la sénescence et l’apoptose desellules chondrocyte-like. Il en résulte une synthèse anarchique’enzymes dégradant les composants de la MEC : matrix metal-

oproteinases (MMPs), a desintegrin and metalloproteinases withhrombospondin repeats (ADAMTs) par les cellules du NP [33]. Cesnzymes dégradent à la fois les fibres de collagène et les PGs. Celantraîne une déshydratation et une désorganisation progressivee la MEC. Elle devient granuleuse, des craquelures et déchirureseuvent apparaître. Il est également décrit que les fibres de col-

agène de type II diminuent au sein du NP au profit des fibres deollagène de type I. La frontière anatomique entre le NP et l’AF se

ait moins précise. Le NP en devenant fibreux perd progressivementes capacités d’absorption et de déformation sous la contrainte.

La dégradation des composants matriciels touche plus tardive-ent l’AF et entraîne une déstabilisation de sa structure. Les fibres

cleus pulposus ; PC : plaques cartilagineuses. Présence forte (+++), modérée (++) ou

de collagène sont plus fines et plus irrégulières, pouvant conduireà terme à des fissures [34].

Parallèlement à ces altérations structurales, certains acteursimpliqués dans la réaction inflammatoire comme l’interleukin-1(IL-1) et le tumor necrosis factor (TNF) ont été décrits comme ayantun rôle dans le remodelage tissulaire du DIV. En effet, ces cyto-kines entraînent l’expression de gènes codant pour des MMPs [35].Il a également été démontré que l’IL-1 secrétée par les cellules duNP stimulait la synthèse du nerve growth factor (NGF), du vascularendothelial growth factor (VEGF) et du brain-derived neurotrophicfactor (BDNF) [36]. La sécrétion de ces différents facteurs explique-rait en partie l’innervation et la vascularisation observées au coursdu vieillissement du NP. Il a également été décrit que la présencede NGF au sein de DIV pathologiques était corrélée à son innerva-tion par les nerfs nocicepteurs, pouvant participer à l’installationde douleur d’origine discale [37].

Le vieillissement discal serait donc un processus physiolo-gique s’expliquant par un ensemble de modifications à l’échellecellulaire et tissulaire (Tableau 1). Le DIV perd peu à peu sonintégrité et n’assure plus son rôle biomécanique. Cependant, lesavancées de nos connaissances physiopathologiques de cette dégé-nérescence offrent de nouvelles perspectives de traitements. Parexemple, bloquer l’apoptose, inhiber l’inflammation, promouvoirles mécanismes de protection cellulaire sont des pistes à envisa-ger. Repeupler le NP avec des cellules fonctionnelles est égalementune stratégie envisageable [38]. Pour cela, l’injection intradiscale,à l’aide de biomatériaux adaptés, de cellules souches adultes dif-férenciées ou non en cellules chondrocyte-like et/ou en cellulesnotochordales paraît prometteuse [39]. Cela permettrait de retar-der la rupture de l’homéostasie et ainsi, toutes les conséquencesnéfastes qui en découlent.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-tion avec cet article.

Remerciements

Nous remercions l’Inserm, la Fondation pour la recherche médi-

cale (FRM “prix victor et Irminia Mescle”), l’AO Foundation “start-upgrant”, la fondation de l’avenir pour la recherche médicale appli-quée, le programme Région des Pays de la Loire Bioregos II, l’Agencenationale pour la recherche Tecsan projet “Chondrograft”, la Société
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14 P. Colombier et al. / Revue du rhum

ranc aise de rhumatologie et la Société franc aise de neurochirurgie.auline Colombier est récipiendaire d’une allocation doctorale duond de recherche AXA.

éférences

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