Le diagnostic préimplantatoire : la réponse française

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Université de Lyon Université Lyon 2 Institut d’Etudes Politiques de Lyon Le diagnostic préimplantatoire : la réponse française BERTRAND Max Droit, Politique et Morale Mémoire soutenu le 5 septembre 2013 Sous la direction de madame S. Papaefthymiou

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Université de LyonUniversité Lyon 2

Institut d’Etudes Politiques de Lyon

Le diagnostic préimplantatoire : la réponsefrançaise

BERTRAND MaxDroit, Politique et Morale

Mémoire soutenu le 5 septembre 2013Sous la direction de madame S. Papaefthymiou

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Table des matièresRemerciements . . 4Introduction . . 5

L’émergence d’un questionnement bioéthique . . 5Partie 1. Le diagnostic préimplantatoire : présentation globale, risques et enjeux généraux . . 10

I. Les grands enjeux de l’encadrement législatif de la pratique du diagnosticpréimplantatoire . . 10

1. la nécessité d'un contrôle évolutif . . 102. Les modes de règlementation choisis . . 143. Droit et morale . . 18

II. Enjeux philosophiques principaux du Diagnostic Préimplantatoire . . 191. Le statut accordé à l'embryon un élément central des débats . . 192. Au delà de la question du statut embryonnaire : le regard de l'homme sur lui-même . . 273. Présentation du risque eugénique potentiel lié au DiagnosticPréimplantatoire . . 33

Partie 2 : Evaluation de la réponse française aux risques majeurs liés au diagnosticpréimplantatoire . . 43

I. les accomplissements français : une législation évolutive porteuse de valeurspermettant de lutter contre l'eugénisme . . 44

1. Une législation évolutive porteuse de valeurs . . 442. La réaction française face au risque eugénique émanant du DPI . . 53

II. Lacunes du système français . . 581. Problèmes pratiques . . 582. Enjeux éthiques et sociaux . . 63

Conclusion . . 69Bibliographie . . 71

Ouvrages . . 71Articles issus de la presse et de revues . . 71Documents issus de sites Internet . . 72

Résumé . . 74

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Remerciements- A consulter sur place à la bibliothèque de Sciences Po Lyon -

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Introduction

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Introduction

L’émergence d’un questionnement bioéthiqueDepuis toujours, la médecine était traditionnellement utilisée afin de soigner les hommes.Bénéficiant de diverses avancées technologiques, elle se trouve aujourd'hui confrontéeà de nouveaux questionnements philosophiques et bioéthiques. En effet, les principeséthiques qui la dirigeaient jusqu'ici commencent à montrer leurs limites. Afin de répondreaux nouvelles attentes de la société, il a fallu se doter d’une approche toute nouvelle,la bioéthique. Il s'agit d'une interrogation éthique pluridisciplinaire sur l'avancée dessciences du vivant. Cette bioéthique permet ainsi de répondre à des problématiquesnouvelles, qui n'étaient pas couvertes par l'éthique médicale traditionnelle, et ceci grâceà sa pluridisciplinarité. Mais c'est également son point faible : le développement des loisde bioéthique est entravé par la diversité des domaines qui la composent, alors qu’elledevrait évoluer rapidement pour accompagner les innovations technique dont la croissanceest exponentielle. La bioéthique fait appel à plusieurs champs d'expertise tels que laphilosophie, la médecine, la psychologie, le droit, la sociologie... Et tous les représentantsde ces domaines peinent parfois à s'entendre. En matière de bioéthique, le normativisme deKelsen, et même le positivisme de manière générale, doivent être dépassés justement pourdonner une assise morale à l’encadrement normatif de la pratique. La grande majorité destravaux concernant ce sujet s'accordent sur le fait que la bioéthique tire naturellement sasource de l'éthique. Or l'éthique médicale traditionnelle est désormais incapable de remplirson rôle de guide.

Il convient alors de trouver de nouveaux repères, dans une société qui ne cessed'innover. Conscient de cet enjeu, Hans Jonas déclarera à ce sujet : « la bioéthique, nouvellediscipline, nous permet de réfléchir et, par des entraves librement consenties, d'empêcherle pouvoir de l'homme de devenir une malédiction pour lui même »1. La déclaration de cephilosophe nous permet de mieux saisir l’importance des enjeux de cette discipline.

Etant donné que la médecine suit normalement les innovations technologiques etles attentes sociales, elle doit faire face à des attentes sans cesse renouvelées. Elleadopte alors un nouveau visage en évoluant avec son temps. Nous sommes ainsi passésd'une médecine régie par une logique curative à une médecine préventive puis prédictive,répondant à l'individualisation de la société lors des dernières décennies. Ce changement deparadigme est correspond aux solutions trouvées par l'homme pour faire face à la peur qu'iléprouve vis à vis de l'inconnu. Il réussi à combattre cette inquiétude en se dotant de moyenstechniques jusqu'ici inconnus. Cette évolution technologique dont il est question peut donc,dans le même état d'esprit, inquiéter, car on n'en connait pas encore les proportions et lesimplications. Et le fait de se doter d'une bioéthique correspond à un besoin de contrôle denotre propre pouvoir, qui n'est pas dommageable en soi selon Hans Jonas : « C'est peut

1 Hans Jonas, cité par R. Feldman dans la Bioéthique, p14

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être l'avertissement de la peur qui peut nous conduire à la raison. La peur ne constitue peutêtre pas en elle-même une position très noble, mais elle est tout à fait légitime »2.

En 1932, le poète Paul Valery déclara à une assemblée de lycéens : « jamais l'humanitén'a réuni tant de puissance à tant de désarroi, tant de soucis et tant de jouets, tant deconnaissances et tant d'incertitude. L'inquiétude et la futilité se partagent nos jours ». Certespessimiste, cette déclaration n'est pas dépourvue de tout sens. Elle illustre bien le désarroid'une époque face à sa propre science, qui vient la doter d'un pouvoir dont l'étendue estredoutée car mal mesurée. Les « jouets » ainsi que « les connaissances » apportent ainsiparadoxalement leur lot de « soucis » et « d'incertitudes ».

Il faut se réjouir de cette « inquiétude », qui fait à juste titre douter l'humanité. Ainsique nous l'avons compris, les repères d'hier ne permettent plus à l'homme de s'accrocherà des principes directeurs ancrés dans une tradition éthique dogmatique. Il aurait donc étéréellement inquiétant si aucun doute n'avait été soulevé concernant les orientations à donnerà notre médecine actuelle. Car le doute permet l’émergence d’un questionnement, ce quinous permettra rechercher une bioéthique répondant à nos besoins. Jurgen Habermaspartage cette analyse lorsqu'il préconise une « resacralisation douteuse » de la naturehumaine3. Pour mener son argumentation, il part de ces « incertitudes » mentionnées parPaul Valéry. Pour le philosophe, ces incertitudes ne traduisent pas une opposition aveugleà la modernité. Au contraire, ce serait plutôt une réponse à un besoin de rationalisationdes potentialités qui s'offrent à l'homme dans « l'affirmation d'une compréhension de soiprocédant d'une éthique de l'espèce humaine »4. Il s'agit d'une opportunité qui s'offre àl'homme de mieux se comprendre, dans un mouvement de réaction face à un doute relevantd'un effondrement de nos valeurs repères traditionnelles.

Comme Jérome Bindé nous l'explique, l'humanité a souffert de « l'éviction de latranscendance et de l'éthique au profit de la logique économique et technologique »5, cequi a eu selon lui pour conséquence une remise en question des fondations humanistes denotre éthique. L'humanité a ainsi pris conscience de sa propre mutation. Elle a égalementpris conscience, en partie suite aux différentes catastrophes environnementales, de lacapacité destructrice de ses actions, et-ce à l'échelle planétaire. Rejoignant ce qui a étédéveloppé précédemment, cet auteur impute la remise en question de l'humanisme auxprogrès accomplis par l'humanité. Il s'agit tout de même de relativiser ces progrès et le doutequ'ils ont formé.

Car certains auteurs tels Francis Fukuyama6 voient ici poindre un « post-humanisme »qui serait une réponse à l'effondrement de l'humanisme et à la transformation annoncéede l'homme. Ce post-humanisme en grande partie de base idéologique au mouvement dutranshumaniste. Ce dernier prône le dépassement de la condition humaine actuelle parl'utilisation des biotechnologies et de la génétique afin d'enrayer toute douleur, peur, gêne,de ralentir ou arrêter le vieillissement et ainsi repousser la mort. Si ce mouvement trouveun certain écho parmi un petit nombre d'initiés, il reste fortement minoritaire. Cette moindreimportance s'explique principalement par valeurs qu'il véhicule, mais également par le fait

2 Hans Jonas, Une éthique pour la nature ; Désclée de Brouwer, Paris [1993], 2000, p 135, citée par Pierre le Coz en introductionde son ouvrage Quelle philosophie de la famille pour la médecine de la reproduction ?, L'Harmattan, 2006

3 Jurgen Habermas, l'avenir de la nature humaine, p434 Ibid, p 435 Jérome Bindé, « « humain, encore humain! » », Diogène, 2004/2 n°206, p70-78, P.U.F.6 Francis Fukuyama, la fin de l'homme, Flammarion 1992

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que ce mouvement n'apporte pas les réponses voulues par les citoyens. Il ne permet pasde combler un doute ou un trouble concernant l'utilisation de techniques, mais au contrairene fait que le renforcer. Car en prônant le dépassement incessant des limites qui nous sontimposées, le transhumanisme a justement comme caractéristique principale l'absence decadre. Or, c'est justement ce cadre qui est recherché à l'heure actuelle tel que nous l'expliqueJérome Bindé : « le modèle du gouvernant-berger ou du gouvernant pasteur, qui n'est passeulement biblique mais aussi platonicien, serait la traduction de ce parcage que l'hommes'inflige à lui-même pour satisfaire son besoin de sécurité »7.

L'homme encadrerait donc ses activités par besoin de sécurité. Cette description d'uncertain pastoralisme fait écho aux théories développées par Hobbes dans le Léviathan.Il serait dommage que la justification de l'encadrement de nos activités soit uniquementmotivée par la peur et non par une autre aspiration. Le pacte ainsi constitué entre leshommes ne saurait être durable et profitable à tous, car il reposerait sur un accord biaisé,reposant sur un sentiment négatif. Il convient donc d'arriver à un consensus au sein d'unesociété tiraillée entre différentes aspirations, qui sont portées par différents mouvements.

La solution à ce dilemme est apportée par Jurgen Habermas, qui nous propose denous diriger vers « la moralisation de la nature humaine »8. Cette moralisation permettraitde déboucher sur une éthique nouvelle, qui permettrait d'encourager la recherche parun encadrement de cette dernière. La normalisation est donc une étape nécessaire à lapoursuite et au soutien de la recherche, qui risquerait dans le cas contraire d'être victimed’une sorte de sclérose due à un excès de doute. Habermas nous explique qu'il convientdonc d'exposer ce questionnement au grand jour, afin de trouver une solution normativeacceptable : « lorsqu'un dissensus éclate dans des discussions afin de découvrir ou dedévelopper en commun des normes qui, au regard d'un sujet qui requiert d'être règlementé,méritent le consentement justifié de tous. […] C'est cela dont est comptable le conceptd'une morale qui entrecroise l'individualisation et l'universalisation »9. Il s'agit donc d'arriverà une nouvelle éthique qui permette de coller à une époque dans laquelle l'individu a uneplace prépondérante, et qui doit assumer des potentialités de catastrophes transnationales.C'est grâce à cette éthique qu'il sera possible d'encadrer la recherche et les pratiques dela médecine.

Nous pourrons ainsi développer une conscience médicale éthique et mieux répondreaux attentes de la population, tout en sachant quelles sont les limites qui s'offrent à notreaction. Nous devons alors prendre toute la mesure de l’importance de l’évolution de lamédecine et de ses principes directeurs. Comme nous l'avons présenté précédemment,les techniques médicales actuellement disponibles et en développement sont porteusesd'une potentialité dévastatrice incommensurable. On apprécie ce danger et les dérivespossibles de notre médecine désormais prédictive notamment en terme de génétique etde reproduction. L'homme peut désormais se « lire » génétiquement, et pourrait chercherà « s'écrire », repoussant ainsi les limites qui jusqu'ici étaient dressées par le hasard dubrassage génétique de la reproduction sexuée. La recherche de contrôle de la reproductionhumaine est un vecteur d'inquiétude parmi la population, justement parce qu'on n'estimepas encore précisément ses limites (potentiel technique et limites normatives). La questionde la possible « lecture » génétique n'est pas en reste : si il est possible de lire les gènes desindividus, il est donc possible de les interpréter, de les classer, de chercher à les modifier...

7 Jérome Bindé, op. Cit., p728 Jurgen Habermas, l'avenir de la nature humaine, p41, NRF essais, Gallimard,9 Ibid, p87

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Il existe une réelle demande de la part de certains membres de la société pourcontrôler l'Homme, comme nous avons pu le présenter avec l'exemple du trans-humanisme,et son pendant anglo-saxon, le mouvement du « human-enhancement » (littéralementtraduit, « l'amélioration humaine »). Ce contrôle peut passer entre autres par des thérapiesgéniques : cette technique a déjà vu le jour, mais les résultats obtenus pour le momentsont pour le moins mitigés. Il s'agit d'une réécriture des gènes de l'être humain suite à sanaissance. Il existerait une autre possibilité d'amélioration génétique de l'être humain, aumoment de la conception de ce dernier. Par le contrôle de la reproduction, il serait égalementpossible de contrôler d'améliorer l'espèce humaine et les êtres de demain.

Présenté de la sorte, ce projet semble à la fois ridicule tellement il éloigné de notreprésent et terrifiant, si il venait à se réaliser. Les atrocités eugénistes passées ont laisséen nous une trace impérissable servant de garde-fou moral, en particulier en Europe. Laprocréation semble être un des domaines de la médecine les plus inquiétants. En effet,l'hypothèse d'un contrôle total de la reproduction humaine, d'une capacité d'auto-poïèse,est préoccupante. Car au delà des conséquences techniques d'une telle possibilité, le rôlesocial de la reproduction fait d'elle un élément central de notre société.

Dans le cadre de la Procréation Médicalement Assistée, nous avons accès de multiplestechniques d'aide à la procréation, contrôlant ainsi partiellement cette dernière. Parmi elles,la Fécondation in vitro constitue l’élément central de cet arsenal. Elle permet l'obtentiond'un embryon extra utero via différentes techniques. La plus courante est la mise encontact de spermatozoïdes avec un ovocyte, afin d'obtenir une fécondation de ce dernier.En cas d'échec de cette pratique on dispose également de la technique d'injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde : on implante un seul spermatozoïde dans le cytoplasmed'un ovocyte à l'aide d'une micro-pipette. On recherche également une fécondation, en vued'obtenir des embryons qui seront ensuite implantés dans le ventre de la mère porteuse(jusqu'à cinq embryons par tentative). La fécondation in vitro offre une solution à des parentsqui n'auraient pas pu avoir d'enfants à cause de la pauvreté de leur sperme, d'une asthénie...Les cellules souches humaines purent pour la première fois en 1978 (date de la premièreinsémination artificielle) être étudiées hors de l'utérus maternel.

Mais cet outil providentiel pour certains peut s'avérer dangereux tant il offre un largeéventail de solutions. En « lisant » le patrimoine génétique des embryons implantés, ilest naturellement possible d'effectuer un « tri ». Il s'agit ici du mécanisme du diagnosticpréimplantatoire (DPI) : suite à une fécondation in vitro, on recherchera certaines anomaliesdans le patrimoine génétique des embryons ainsi obtenus. On pourra alors écarter lesembryons porteurs des gènes défectueux, en conservant les embryons sains. Ce gestepermet d’éviter la souffrance provoquée par une interruption médicale de grossesse. Il n’estpas pour autant bénin : il s’agit d’une pratique invasive, éprouvante pour la femme devantsubir diverses interventions, des hospitalisations, des stimulations hormonales…

Cette technique est actuellement très répandue est en plus relativement bien maîtrisée.Elle nourrit certains fantasmes et nous renvoie à des comportements que l'homme a puavoir par le passé, à savoir le contrôle génétique de la « race », de l'homme. Le DPI estle pendant concret et rationnel d'une myriade de projets visant tous à contrôler, de prèsou de loin, la race humaine et le génome. Lors d'un DPI, on procède à un contrôle puis àun tri génétique. Si nous arrivions à améliorer notre « réécriture » génétique, le diagnosticpréimplantatoire s’avèrerait redoutable.

L'intention instrumentalisatrice est la nuance principale entre le DPI et les fantasmesqu'il peut permettre de représenter. Cette nuance est mince, et dépend des appréciationsde chacun. On est dès lors en droit de se demander si cette technique est suffisamment

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encadrée pour éviter tout détournement et donc toute atrocité. Les législations régissantcette technique diffèrent selon les pays. Elle est autorisée et encadrée en France par la loin° 94-654 du 29 juillet 1994, relative au don et à l’utilisation des éléments et produits ducorps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, connuesous le nom de « loi de bioéthique ». En Europe, certains pays interdisent totalement cettetechnique, alors que d'autres sont bien plus laxistes. Aux Etats-Unis, il n'existe pas delégislation uniforme sur la question, qui est traitée de manières différentes selon la législationdes Etats.

Suivant les conseils des philosophes présentés précédemment, il convient de nousinterroger sur l’impact d’une telle technique sur notre société. Ce mémoire nous permettraalors d’étudier l’efficacité de la réponse française face aux grands enjeux que représentel’utilisation du diagnostic préimplantatoire. Nous construirons notre réponse à cetteproblématique en deux étapes. Il conviendra dans un premier temps de cerner de manièreglobale les risques et enjeux généraux d'une telle technique, ainsi son encadrement. Nousnous attacherons donc à présenter tout d'abord les réalisations actuelles en matière derèglementation du DPI, en opposant les deux systèmes principaux, à savoir le systèmeanglo-saxon et le système européen. Nous pourrons ensuite procéder à l'étude des grandsenjeux philosophiques qu'une telle technique soulève. Une fois que nous aurons apprécié demanière globale les implications pratiques et éthiques d'une telle technique, nous pourronsdans un second temps étudier les apports de la législation française à ce sujet. Pour ce-faire,nous présenterons tout d'abord les réponses apportées aux principaux enjeux concernant leDPI. Nous pourrons finalement apprécier dans une troisième partie les lacunes persistantesdans ce domaine, ainsi que les perspectives d'évolutions s'offrant à notre pays.

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Partie 1. Le diagnostic préimplantatoire :présentation globale, risques et enjeuxgénéraux

I. Les grands enjeux de l’encadrement législatif de lapratique du diagnostic préimplantatoire

1. la nécessité d'un contrôle évolutif

a. Une délimitation normative nécessaireNous l'aurons compris, l'actuel développement des techniques de la procréationmédicalement assistée et des technologies génétique est sans précédent. Ainsi que nousl'avons présenté en introduction, leur potentiel est encore à déterminer précisément, etnous ignorons les répercussions que leur utilisation peut avoir. On retrouve un exemplede ceci dans des rapports concernant la naissance d’enfants suite à une fécondation invitro précédée par un diagnostic préimplantatoire. Dans son avis 107, le Comité ConsultatifNational d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé (CCNE) reconnaît ouvertementle manque de données permettant de mesurer l'impact de ces techniques sur la viedes enfants nés suite à un DPI. Il recommande alors de prendre la mesure suivante,afin de mieux encadrer les pratiques médicales : « Le recueil de données médicales,sociologiques et psychologiques sur la qualité de vie des couples et des enfants conçus àla suite de l’usage de techniques diagnostiques permettrait également d’en mieux mesurerl’impact. »10.

Il conviendrait donc de limiter notre potentiel technique, non pas parce qu'il estintrinsèquement mauvais, mais parce que nous n'en mesurons pas tout à fait lesimplications. Aucun jugement de valeur n'intervient pour justifier l'instauration d'unerèglementation : elle dépasse ce niveau de justification. Cette analyse sera reprise parJürgen Habermas dans les termes suivants : « l'autolimitation normative dans le rapport àla vie de l'embryon ne peut être dirigé contre les interventions de la technologie génétiqueen tant que telles. Le problème n'est pas, naturellement, la technologie génétique mais lemode et la portée de son utilisation »11. Par anticipation, et donc par prudence, l'homme vase doter d'outils normatifs pour encadrer ces pratiques.

10 Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, Avis sur les problèmes éthiques liés aux diagnosticsanténatals : le diagnostic prénatal (DPN) et le diagnostic préimplantatoire (DPI)(Avis n°107), p28

11 Jurgen Habermas, l'avenir de la nature humaine – vers un eugénisme libéral? , Gallimar, 2009, p 69

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Ce phénomène n'est pas vraiment récent. Il est particulièrement lié en Europe auxpratiques eugénistes des nazis, dénoncées notamment lors du procès de Nuremberg qui aeu lieu en 1946. C'est à ce moment que l'on peut retracer une première prise de consciencegénérale du potentiel destructeur de l'action de l'homme, et les conséquences qu'elle asur lui même et sur son environnement. Notre société a alors accordé une attention touteparticulière au domaine de la recherche médicale depuis cette époque, mettant en balancel'impératif catégorique kantien (nous commandant d'agir de façon a ce que nos actionssoient universalisables et de toujours traiter l'homme comme une fin, jamais comme unmoyen) et la volonté des hommes autonomes (héritée du libéralisme politique). Il seraitsouhaitable, dans le meilleur des cas, d'arriver à un consensus sur les questions debioéthique afin de faciliter leur encadrement normatif. On voit bien qu'un consensus nationalest très difficilement à notre portée, et pour cause, les possibilités de consultation sont trèslimitée, et on ne peut pas respecter tous les particularismes. Si l'on avançait qu'à la suitede consensus, le débat serait bloqué. Les pouvoirs publics se font donc adjudicateurs denormes qu'ils déterminent à un certain moment, selon des modalités qui leurs sont propres.

Cette normalisation sera finalement presque automatique. En effet, elle peut passer parune anticipation des problèmes à venir, comme nous le présente Habermas. Sans le citer,le philosophe entendait ici parler du pouvoir législatif et/ou exécutif, qui assumerait son rôlede « berger », son rôle de « gouvernement-pasteur » présenté précédemment par JéromeBindé. Ce scepticisme vis à vis des technologies en développement permet une réflexion –en général publique – sur le sujet, afin de pouvoir déterminer les aspirations de la société.Ainsi que Florence Bellivier nous l'explique, « il est en effet demandé a l'Etat […] d'organiserpositivement l'accès à de nouveaux droits, de nouvelles libertés, d'allouer les ressourcesde façon optimale et juste, etc. »12. Ici les problèmes sont réglés de façon verticale entrela société et l'Etat.

Mais les mêmes dissensions peuvent également éclater entre les citoyens à proposde l'utilisation ou de la conception de certaines techniques. L'Etat devra également jouerle rôle d'arbitre et finalement trancher le conflit qui est né. Nous ne serons plus dans uneperspective préventive avec des conflits verticaux, mais dans un jugement factuel tranchantdes conflits horizontaux. En fin de compte, ces conflits seront réglés par l’Etat au prix d’unparti pris (généralement par le pouvoir judiciaire, comme on peut le voir dans le systèmeaméricain notamment). Dans les deux cas de figure, on observera que l'Etat fait finalementprévaloir, de manière plus ou moins brusque, sa conception de la question. On observeici ce que Jürgen Habermas appelle le « primat du juste sur le bien »13. A défaut depouvoir identifier clairement le « bien » relevant d'une morale encore indéterminée (nousapprofondirons plus tard cette question), l'Etat pourra définir une conception normalisée dujuste, en mettant en jeu le principe de prudence.

Nous avons compris que l'homme se doit de limiter son propre pouvoir, tant sesrépercussions sur l'environnement et lui même peuvent être importantes. Cette conceptionest largement défendue par Michel Serres, qui a ainsi forgé la « notion d'hominescence »14.Elle est reprise par Jérome Bindé qui l'explicite en ces termes : « [elle décrit] la phaseactuelle de l'hominisation, marquée à la fois par des changements profonds et rapides –transformation de nos corps, du travail, émergence d'un homo universalis appelé à répondre

12 Florence Bellivier, Bioéthique, bioéquité, libertés et Etat : à propos de l'éthique minimaliste de R. Ogien, (travail présenté aucolloque « Des droits fondamentaux à l'obsession sécuritaire : mutation ou crépuscule des libertés publiques, Paris, 14 mai 2010) p7

13 Jurgen Habermas, L’avenir de la nature humaine, p6514 Michel Serres, Hominescence, Paris, Le Pommier, 2001

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non seulement de lui-même mais aussi du monde, et par l'incertitude qu'il adviendra »15.Cet encadrement normatif découlerait donc, selon l'auteur cité, d'une prise de consciencepar l'homme des responsabilités liées à l'utilisation de nouvelles techniques. Son analysese rapproche en ce point de la théorie de la responsabilité développée par Hans Jonas.Avant d’en arriver à ce stade de « responsabilité », nous devons d’abord passer par unencadrement normatif traditionnel, donc on se propose ici de présenter les principaux traits.

b. Nécessité d'une possibilité d'évolution des normesL'établissement de normes bioéthiques relève d'un processus particulier. Selon BorisHauray, il déroge au processus normatif général en ce sens qu'il est mutli-polaire, faisantappel a la technique, mais également à la morale. Il prend ainsi l'exemple de la régulation dela recherche sur l'embryon pour démontrer son propos : « Les politiques de régulation desrecherches sur l’embryon ne sont cependant pas saisies uniquement à travers ce cadragemoral. Elles sont aussi définies comme des « politiques scientifiques » et ce dans un doublesens : les choix sont justifiés à partir de savoirs scientifiques tandis que les enjeux etdynamiques propres aux technosciences influencent fortement les processus politiques. »16

Le fait que la règlementation en matière de bioéthique soit établie à travers le prismede la morale est un impératif que nous avons rapidement abordé lors de l'introduction, maisqu'il conviendra d'analyser plus en profondeur.

Le pouvoir normatif est soumis à de nombreux impératifs d’ordre pratique dans le casdes normes de bioéthique, risquant sans cesse de tomber de Charybde en Scylla. Il doitpouvoir prendre des décisions permettant de constituer un repère éthiques afin d'orientercorrectement et durablement la recherche et la pratique médicale, mais en même tempspermettre à sa position d'évoluer. C'est ce type d’analyse qui nous permettra de proposerdes solutions afin que les principaux travers du système normatif (tels que sa lenteur)puissent être surpassés. Florence Bellivier a synthétisé ceci en repérant les principauxenjeux de la production normative, prenant l'exemple de la loi : « Le temps propre de la loi,c’est-à-dire celui de la délibération, se trouve en quelque sorte pris en étau entre le tempstrès long de la bureaucratie (le décret d’application de cette loi ne sera publié que le 6 février2006) et le tempo très saccadé de la science »17.

Les règles en matière de bioéthique doit donc être évolutives et souples (dans le sensde « non-irrévocables ») pour plusieurs raisons. Tout d'abord, ainsi que nous le présentel'auteur, le pouvoir normatif étatique doit assurer à son pays une présence sur la scèneinternationale. On analyse ici la bioéthique sous l'angle économique et scientifique dela compétitivité. Car des normes nationales dépendront les conditions d'organisation dela recherche scientifique et les restrictions qui en découlent. En effet, la science de lamédecine ne se borne pas à un seul pays, elle est transfrontalières. C'est leur application,pas leur contenu, qui dépend des normes nationales. Les pays doivent composer entreune compétition extérieure forte (nécessitant un soutien de la recherche nationale) et unesituation intérieure devant être régulée. Actuellement par exemple, certains pays ayantune législation plus laxiste sont à la pointe de la recherche sur l'embryon. On peut citer

15 Jérome Bindé, Humain, encore Humain!, p 7316 Boris Hauray, La construction des régulations de la recherche sur l'embryon en Europe, extrait de La Bioéthique en débat : anglesvifs et points morts, publié sur le site Raison-publique.fr, page consultée le 22/07/2013

17 Florence Bellivier, Peut-on évaluer la loi de Bioéthique, extrait de La Bioéthique en débat : angles vifs et points morts, publiésur le site Raison-publique.fr, page consultée le 22/07/2013

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Partie 1. Le diagnostic préimplantatoire : présentation globale, risques et enjeux généraux

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par exemple les Etats Unis, qui ont de ce point de vue un double avantage compétitif.Ils bénéficient tout d'abord d'une législation en la matière très différente de la plupart deslégislations européennes, car elle n'est pas uniforme comme nous l'apprécierons ensuiteplus en détail. Ainsi, certains Etats des Etats-Unis sont très permissifs en matière derecherche sur l'embryon et les cellules souches, à l'image de la Californie. En effet, lesembryons renferment des cellules souches totipotentes. Ces dernières sont extrêmementconvoitées; elles sont responsables de la croissance des principaux tissus et organeshumains. Leur maitrise représenterait une avancée significative en matière de chirurgieréparatrice et rendrait obsolète une grande partie des dons d'organes et de tissus que nousconnaissons actuellement. Afin d'arriver en premier à être capable de cette prouesse, larecherche dans ce domaine peut désormais être soutenue dans les différents Etats desEtats-Unis par des subventions publiques, ce qui n'était pas le cas avant18. On retrouveici une des compétences de base des Etats, qui nous rappelle la notion européenne de« marge nationale d'appréciation des Etats ». Ceci explique les disparités que l'on retrouveau niveau continental et mondial.

Du point de vue compétitif, les normes de bioéthiques se doivent donc impérativementd'être évolutive. Cette malléabilité n'est pas nécessairement synonyme de faiblesse. Ils'agit simplement de pouvoir évaluer et refondre les choix politiques et normatifs qui sonteffectués, afin d'être plus en adéquation avec le marché scientifique et économique. Cettepossibilité d'évolution permet également aux normes bioéthiques de mieux correspondre àla société qu'elles règlementent.

En effet, nous aurons compris que les mœurs et les attentes des différentes sociétésévoluent en fonction du temps et ne sont pas identiques d’un groupe à l’autre. C'est enpartie pour cette raison qu'il n'est pas possible de dégager une « morale universelle » enmatière de bioéthique : le phénomène est trop changeant. C'est un domaine dans lequell’expérimentation est parfois fortement soutenue tant les enjeux sont importants (commenous l'avons précédemment avec l'exemple de la Californie). Cette recherche a donné desrésultats plus que probants ces dernières années, et on observe une progression incroyabledes techniques (souvent suivies par les mœurs) dans ce domaine. Par exemple, c'est en1978 que naquit au Royaume-Uni le premier « bébé-éprouvette », né par fécondation invitro. C'est a peine 10 ans après l'apparition des premières banques de sperme congelé auxEtats Unis. C'est ensuite en 1984 que nait le premier bébé conçu suite à une congélation del'embryon, soit moins de cinq ans après le premier bébé né suite à une fécondation in vitro.On observe donc que dans le seul domaine de la procréation médicalement assistée, laprogression de la technique est phénoménale. Ce domaine n'est pas un exemple isolé : onobserve des progrès similaires matière de thérapie génique, de séquençage génétique... Enl'espace d'une vingtaine d'années, les techniques ont été révolutionnées. Leur progressionest tributaire d'avancées particulières, c'est ce qui explique l'expression de « tempo trèssaccadé de la science » utilisée par Florence Bellivier.

Ainsi les normes, pour être en adéquation avec les faits et techniques qu'ellesencadrent, doivent être évolutives. L'objet même de leur existence, le sujets qu'ellesrégissent, les rend sujettes à évaluation, et si besoin est à des remises en questionsuivies d'évolutions. Il ne s'agit pas exclusivement de principes immuables gravés dans lemarbre. On peut observer la présence de certains principes en matière de bioéthique. Lesprincipes moraux peuvent même constituer une base de la bioéthique, selon une conception

18 http://edition.cnn.com/2009/POLITICS/03/09/obama.stem.cells/index.html Suite à cette nouvelle autorisation, denombreuses initiatives ont été observées en Californie afin de lever des fonds. Peu ont réellement vu le jour, mais les montants obtenusse chiffrent en dizaine de millions de dollars. Le même phénomène a été observé, dans une moindre mesure, dans le New Jersey.

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moniste très dworkinienne de l'éthique19, comme nous pourrons l'apprécier par la suite. Leurprésence aide les praticiens, législateurs, juge... à se forger une opinion du « juste » quenous avons pu aborder précédemment. Elles peuvent donc constituer des bases pour uneconduite éthique de la part de la société, différant ici avec la position que Roger Dworkinsoutient. En effet, cet auteur déclare : « les règlementations ne sont pas des lignes deconduite. Elles sont plutot des affectations de l'autorité d'un corps décisionnel qui est enposition de prendre des décisions sur les faits de cas particuliers qui leurs sont présentés »20.Or, les autorités qui peuvent prendre des décisions doivent se baser sur des principesexistants, et leur donner une application pratique. Ils explicitent le contenu parfois abstraitdes normes en vigueur. En ce sens, ils participent pleinement au processus de limitationnormative de l'homme, en le rendant plus lisible. La position alors exprimée pourra (et serasouvent) analysée, évaluée, et corrigée. Ainsi, les règlementations sont la base de la lignede conduite des individus, en jouant un rôle pédagogique de concrétisation des normesimplicites qui peuvent échapper à certains. Ces dernières contiennent des principes parfoisdifficiles à saisir dans certaines situations.

Ces principes, loin d'être immuables peuvent bien sûr faire l'objet de dérogations.C'est par exemple le cas dans l'encadrement de la recherche sur les sujets humainsaux Etats-Unis, effectuée par le Department of Healt and Human Services. Cet organeadministratif contrôle les institutions effectuant des recherches sur des sujets humains vivantqui reçoivent des subventions publiques. Les normes ainsi produites sont supposées êtregénérales et applicables dans tous les cas, mais prévoient certaines exceptions. Elles nes'appliquent pas, par exemple, lorsque l'objet de la recherche est sans aucun danger pourl'homme21.

Au cours de cette première partie, nous avons démontré qu’un encadrement normatifdes pratiques médicales et particulièrement du diagnostic préimplantatoire est nécessaire.Nous allons maintenant apprécier les différents modes de règlementations existant, quirenvoient en fait chacun à un système juridique propre : la common law et le droit civil.

2. Les modes de règlementation choisis

a. L'approche jurisprudentielle : le système la common lawDe nombreux auteurs américains vantent les mérites de leur système. Roger Dworkin etRonald Dworkin sont un des auteurs reconnus dans ce domaine. Roger Dworkin est unardent défenseur du système de la common law. Une grande partie de ses publicationssont dédiées à la défense ce système. Il développe particulièrement son point de vuedans son ouvrage Limits22 ou dans d'autres articles qu'il a pu rédiger23. Le système de lacommon law est le deuxième système juridique le plus répandu sur la planète. Comprisde manière très synthétique, il laisse beaucoup plus de place aux cours dans la résolutiondes problèmes qu’au législateur : il s’agit d’un droit jurisprudentiel. Le pouvoir juridique

19 Juliette Roussin, la critique dworkinienne du pluralisme, cevipof, p820 R. Dworkin, Limits, p16021 Roger B. Dworkin, Limits, p150

22 Roger B. Dworkin, Limits – the role of the Law in bioethical decision making, Indiana University press, 199623 Roger B. Dworkin, (1994) « Introduction : emerging paradigms in bioethics symposium », Indiana Law Journal, vol 69 : Iss. 4,article 1

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règle donc les conflits entre les individus, sa jurisprudence est évolutive et peut fairel’objet de revirements spectaculaires. Les débats qui peuvent apparaître devant les courspeuvent donc faire l’objet de vives discussions au sein de la société, qui attend du pouvoirjudicaire qu’elle tranche le litige pendant dans un premier temps, et qu’une orientation dela jurisprudence puisse être déterminée ensuite. Le pouvoir législatif peut, lui, annuler unepartie des précédents observés en s’appuyant sur les lois. Comme de nombreux auteurs(tel que Jurgen Habermas dans son ouvrage l’avenir de la nature humaine) l’ont déjà fait, onpeut aisément relier la philosophie du libéralisme, le paradigme de l'autonomie et le systèmede la common law.

Les écrits de Roger Dworkin font l’apologie du principe d'autonomie. Depuis laconception juridique de la common law jusque dans le comportement des citoyenss'adaptant à leur système de justice, ce principe est déterminant. Carl Schneider, professeurà l'université de Michigan, identifie la cause du triomphe du paradigme de l'autonomieen matière de bioéthique24 : selon lui, cette réussite est attenante au principe d'hyper-rationalisme. C'est tout simplement le fait de penser que les personnes se comportent selondes choix rationnels en matière bioéthique. Il s’agirait ici d’un écho de la figure économiquede l'homo-oeconomicus agissant dans le domaine de la bioéthique. Ainsi ce paradigmeprône un respect absolu de la liberté d’action, privilégiant une approche bottom-up25 enmatière de bioéthique. Ces observations nous permettent alors d'affirmer que l'importanceaccordée au principe d'autonomie détermine grandement le choix de règlementation. Cetteapproche jurisprudentielle a été largement critiquée par beaucoup d’auteurs. Roger Dworkincite par exemple le Professeur Cherbas, qui s’est attaché à critiquer la place réservée auparadigme de l’autonomie dans le domaine de la bioéthique26. Ce dernier nous rappellel’objet premier de l’existence des Cours : résoudre des conflits entre les particuliers.

Or, comme nous avons cherché à démontrer en introduction, la bioéthique (comme laloi) répond à une demande de la société. Cet auteur ne conçoit pas une réponse correctesans une enquête préalable appropriée, développant ainsi le concept d’ « algorithme del’autonomie ». Cette notion explique en fait un défaut de prise en compte de toutes lesvaleurs et de tous les intérêts en jeu, et ceci pour répondre à la demande d’autonomiedu patient. On peut également penser que les cours devant juger des litiges particuliers,ceci limite nécessairement l’étendue de leur enquête. Elles n’ont pas de mandat pourpousser plus loin leurs recherches, ce qui fait cruellement défaut si l’on souhaite répondreconvenablement à un problème de société. Le professeur Cherbas déclare alors qu’unebioéthique dirigée par des paradigmes n’est pas apte à répondre correctement à desquestions de société. Selon lui, elle ne saurait aboutir qu’à une réponse donnée auxfamilles (et aux non-professionnels du droit en général) dénuée de toute conception éthiquedu problème. Cette réponse serait alors dogmatique. Ainsi, le fait de se concentrer à lasauvegarde du paradigme de l’autonomie aurait engendré un droit dénué d’éthique et repliésur la procédure, vidé de sa substance.

Roger Dworkin a choisi d’intituler la conclusion de son ouvrage Limits – the role of lawin bioethical decision making de la manière suivante : « vivre avec les limites : la valeur de''mieux que rien'' ». Cet ouvrage fait office de plaidoyer en faveur du système de la common

24 La thèse du professeur Schneider est reprise dans un article de Roger B. Dworkin, « introduction : emerging paradigms inbioethics symposium », Indiana Law Journal, Vol. 69, p950

25 Terme utilisé par Roger Dworkin, signifiant « de bas en haut ». Le « bas », c’est à dire les cas particuliers, permettant dedégager une orientation pour le « haut », qui est incarné par les institutions politiques et législatives

26 Roger Dworkin : introduction - emerging paradigms in bioethics symposium, p.9

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law, avançant sans cesse des arguments démontrant que les cours étaient plus a même demener la règlementation en matière de bioéthique que les législateurs. Elles seules seraientcapables de trouver la seule solution juste concernant le litige qui lui est présenté, et lesystème des cours n’en serait que plus juste. Basant son argumentation sur le fait que la loiest limitée pour règlementer les développements en biologie, il s’attache à démontrer quele système de la common law est plus efficace et plus juste en matière de bioéthique, pourdes raisons pratiques, philosophiques et techniques. Selon lui, la limite de la loi tient de lalimite intellectuelle de l'homme, qui ne peut pas être, seul ou en groupe, assez clairvoyantet informé pour ne pas faire d'erreur et trouver la juste solution à un problème social. Lelégislateur selon lui ne peut pas suivre le rythme imposé par les progrès incroyable de lamédecine, en terme de génétique notamment. Ainsi, il nous explique qu'un expert un tempssoit peu honnête refusera de donner une position claire au législateur, le sujet étant tropchangeant. Il reconnaitra en revanche une issue possible pour l’encadrement législatif : des« réponses mesurées, de petite ampleur » pourront être apportées par la loi là ou les Courspâtiront de leur défaut de moyens27.

En revanche, il affirme que la loi devra ici trancher entre le bon et le bon (il n'y a pas demauvaise position). Ici, la loi devrait imposer un principe qui choisirait entre deux positionsqui sont défendables, sans leur donner la possibilité de concilier leurs arguments par lamédiation ou l'arbitrage. C'est en quelque sorte un parti pris aveugle dont les conséquencespeuvent être désastreuses. Selon lui, même si les institutions de la common law fontdes erreurs, elles seront sans grande gravité et facilement rectifiables. Les juges pourrontremédier aux manquements des autorités en charge de la législation. Et dans un systèmesouvent fédéral, cette erreur ne touchera pas tout le monde.

Après avoir présenté les principaux apports du système de la common law en terme derèglementation, en particulier en matière de bioéthique, on se propose maintenant de nouspencher sur l’étude du système de droit civil, qui nous est plus familier. Ce mémoire étantdestiné à évaluer l’efficacité du système français d’encadrement normatif de la pratiquedu diagnostic préimplantatoire, la France nous servira de référentiel dans l’étude desprincipales caractéristiques du système de droit civil.

b. L'approche législative : le système de droit civilRoger Dworkin voit les commissions d'experts d'un bon œil. Il vante ainsi l’étendue deleur science, le fait qu'ils soient en général coupés de toute pression politique ou qu'ils nesoient pas soumis à une échéance pour le rendu de leur travail. Il critique en revanchela composition souvent peu démocratique de ces commissions, et le fait qu'elles soientuniquement employées par les pouvoirs législatifs, leur transmettant alors leur manque dedémocratie.

Nous allons ici pouvoir discuter ce qui a été publié par Roger Dworkin dans son ouvrageLimits – The rôle of Law in Bioethical decision making. Comme nous l’avons déjà présenté,selon lui le processus législatif est inadapté à la bioéthique car cette dernière est tropcomplexe. Nous pouvons retrouver certaines similitudes entre certains cas, mais ils sontgénéralement très différents « la raison la plus importante de la limitation de la loi résidedans les limites de la capacité humaine. Aucun être humain ou groupe d'êtres humains, sedévelopper ou fonctionner dans un établissement juridique, peuvent savoir ». On retrouveici une condamnation de la loi à cause de son caractère intangible, inflexible et définitif. A

27 Roger Dworkin, Limitsp. 155

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la décharge de l'auteur, le système américain de lois est différent du système français, toutcomme nos constitutions le sont.

En France, le choix d'une loi est une solution acceptable car dans son statut mêmeon a prévu une révision régulière de son contenu, afin de correspondre à la réalité. LeCCNE est un appui sans commune mesure lors de ces révisions, il a rendu 110 avis entre1984 et mai 2010. C'est un cadre dont le législateur a voulu se doter. Au départ, les loisde bioéthique devaient être révisées tous les 5 ans. Le système législatif et administratifétant ce qu'il est, elles ne sont dans les faits révisées qu'au bout d'une dizaine d'années(on a eu les premières lois en 1994, puis en 2004, et la dernière révision date de 2011; ellen'a presque rien changé). Lors de la révision de 2009, le gouvernement a convoqué desEtats généraux de la bioéthique en France, afin de réfléchir aux problèmes présentés parl'évolution de la science, de rassembler les citoyens autour de ces avancées. On y a retrouvédes questions autour du thème des mères porteuses, du diagnostique préimplantatoire, dupossible brevetage du génome humain...

On a donc un droit de la bioéthique en France avec des lois qui encadrent lescomportements admis. Ces autorisations s'accompagnent automatiquement de sanctionsen cas de transgression; on parle ici du droit pénal de la bioéthique français, qui existe bel etbien, et que F. Bellivier qualifie même de « pléthorique, mal conçu et, finalement, quasimentpas appliqué ». En effet, la majorité des sanctions prévues par le droit de la bioéthiqueen France frappent les médecins lorsqu'une infraction est constatée, pas les bénéficiaires.La sphère du licite s'est considérablement étendue en France, et-ce dans un tempsrelativement court. Cette progression se fait généralement dans un sens : les pratiquesautorisées ne sont jamais ensuite refusées. C'est bien l'illustration du fonctionnementprogressif et prudent de la législation française.

F. Bellivier nous apporte un éclairage sur un autre point : elle nous démontre que lesEtats libéraux sont hyper régulateurs28. Elle étaye son propos en mentionnant la pléiaded'agences de contrôle qu'il existe dans ces Etats, les procédures ultra-standardisées etdétaillées. C'est une entrave a l'apparente liberté qu'il est sensé y avoir dans ces Etats.De plus, le fait d'avoir à trancher de conflits directement entre des individus (il s'agit de« conflits horizontaux ») n'est pas vraiment une bonne chose. Car plus l'Etat est désengagéen apparence, ne donnant aucune consigne claire, plus il devra par la suite prendre part auxconflits entre les citoyens, et donc faire appliquer sa conception de la justice et de la morale.C'est une morale « en acte » et pas « de principe » pour reprendre l'expression de Bellivier.Et là on voit un inconvénient poindre, c'est que cette morale sera instable, imprévisible,changeant au gré des Cours et du temps. Il sera plus compliqué pour le citoyen de se repérerdans un système qui sera en perpétuelle évolution, si ce n'est une perpétuelle révolution.Le système français, même si il est changeant (c'est une nécessité dans ce domaine) a toutde même l'avantage d'avoir des orientations claires. Même les problèmes auxquels il estconfronté sont connus.

Nous avons pu comprendre que l’enjeu principal de chaque système (qu’il relève de lacommon law ou du droit civil) réside dans les valeurs portées par les normes produites. Cesdernières se doivent d’être empreintes de morale lorsqu’elles se rapportent à la bioéthique,mais doivent également permettre de dégager une conception morale générale du systèmenormatif. C’est ce que nous nous proposons ici de démontrer.

28 F. Bellivier, Bioéthique, bioéquité, libertés et Etat : à propos de l’éthique minimaliste de R. Ogien, travail présenté au colloque« Des droits fondamentaux à l’obsession sécuritaire : mutation ou crépuscule des libertés publiques ? », organisé par l’Institut MichelVilley, Paris, 14 mai 2010

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3. Droit et morale

a. Le droit, un support pour la moraleIl faut ici discerner la morale accompagnant le processus normatif de la morale contenuedans la norme produite.

Le pouvoir normatif doit charger la norme qu'il produit d'une certaine teneur morale.Droit et morale seraient ainsi indissociables cette fois sur le fond, et non plus sur laforme. On relèvera différentes raisons permettant de légitimer le fait que le droit se basesur la morale. Une des premières raisons, que nous avons abordée précédemment,est relativement simple. La norme venant légitimer la bioéthique, ici en matière dediagnostic préimplantatoire, elle ne peut être déchargée de principes moraux. Elle reposeintrinsèquement sur une conception éthique du vivant, car c'est ce qu'elle s'efforced'imposer. Cette conception devra être déterminée par avance par le pouvoir normatif, eten ceci, la norme produite sera nécessairement liée à un particularisme national. L'enjeuici sera d'éviter d'imposer une vision particulière de la morale qui ne représente pas cellede la population, tout en cherchant à ne pas favoriser un certain « majoritisme » afin de nepas oblitérer la diversité de sa population. Corine Pelluchon déclare en ce sens que « nuldroit ne fait l'économie d'un jugement moral »29. Il serait donc impossible de produire normesans contenu moral ; même un droit amoral ne peut pas exister par définition, car l’absenced’une morale relèverait d’une certains conception morale du droit.

Il s'agit, comme nous l'explique Corinne Pelluchon, de légitimer le droit en le chargeantde principes moraux régulateurs. Elle l'explique ainsi : « les droits eux mêmes dépendentdans leur justification de l'importance morale des fins qu'ils servent. Cet horizon de sens,qui tend à disparaître dans nos sociétés, évite aux droits de devenir les instruments d'uneconduite (et d'une politique) contraire(s) aux valeurs dont les droits sont porteurs et auxidéaux ou fins qu'ils défendent »30. Suivant le raisonnement de l'auteur, on en déduit que lamorale ainsi préservée par le droit en devient une composante. Et la présence de moraledans le contenu du droit produit permet à ce dernier de ne pas être détourné de son objectifmoral initial. La morale sert ainsi à préserver l'essence même des droits qui la régissent,comme un garde-fou, une ultime sécurité législative.

b. Le droit comme vecteur de la moralisation de la sociétéLa morale doit en revanche être objective, entre autres pour éviter à un groupe d’imposerses opinions aux autres. La morale (personnelle et politique) se doit d’être objective pourpouvoir être intégrée au droit. Ce concept d’unité de valeurs est celui qui est développé parRonald Dworkin dans son ouvrage Justice for Hedgedogs : le droit, la morale personnelleet politiques seront alors unies dans un concept de « unity of value », traduit par « unité devaleurs ». Selon l’auteur31, l’éthique concerne des principes que nous devrions suivre afinde mener une vie dans le respect de soi et le respect des autres. Les questions moralesconcernent les devoirs que nous avons envers les autres. Or, les questions morales seraient

29 Corine Pelluchon, L’autonomie brisée – bioéthique et philosophie politique, PUF, 2009, p. 8930 ibid. p. 87

31 Donc l’ouvrage a été synthétisé par Stephen Guest dans son article « The Unity and Objectivity of Value » Ethics & InternationalAffairs, Volume 25.4 (Winter 2011)

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la continuité de notre comportement éthique. Le droit serait donc originellement, selon cettethéorie, une représentation d’une attitude à avoir plutôt qu’une collection de règles à suivre.

Jurgen Habermas rejoint occasionnellement ce point de vue dans son ouvrageL’avenir de la nature humaine. Il y déclare : « cela pourrait modifier à ce point lacompréhension que nous avons de nous-mêmes dans la perspective d’une éthique del’espèce humaine, que la conscience morale pourrait aussi s’en trouver affectée »32. Lasimple responsabilité personnelle face à une loi sans contenu sera alors dépassée par uneformation d'une compréhension normative de l'espèce humaine. Ainsi que nous l'avonsprésenté précédemment, le droit a une utilité de représentation dans une société quis'interroge sur elle même. Nous pouvons comprendre donc ici que le droit n'est passeulement le vecteur d'une morale donnée, mais il participe pleinement et activement à laformation d'une compréhension normative de l'espèce humaine.

II. Enjeux philosophiques principaux du DiagnosticPréimplantatoire

1. Le statut accordé à l'embryon un élément central des débatsLe développement de la technique de fécondation in vitro a permis de révolutionnerl'assistance médicale à la procréation, en apportant une multitude de nouvelles possibilités.Il est désormais possible à l'homme de réaliser une fécondation extra-utérine d'ovocytes,puis de les conserver. Les embryons ainsi obtenus seront implantés dans l'utérus de lamère porteuse, pouvant être la mère biologique des enfants à venir ou non. Lors decette phase, plusieurs embryons sont implantés en même temps, certains étant amenés àdisparaître par la suite. Un tel procédé permet de maximiser les chances d'obtenir un enfant.Il peut en revanche arriver que tous les embryons se développent sainement, ce qui pourracomplexifier l'accouchement de la mère porteuse.

L'impact de cette technique sur notre conception de la reproduction n'est pas desmoindres. En effet, la relation charnelle entre deux êtres n'est plus nécessaire à la réalisationd'un enfant qui peut être technicisée. Ce changement a été opéré relativement récemment,et avait provoqué de vives réactions. Par exemple, on entend encore des personnes appelerles enfants nés grâce à ces techniques des « bébés-éprouvette ». Le choix de ce termeest quelque peu maladroit. Il peut être considéré comme infamant par certains, car il estchargé d'une signification négative. Il représente la transition quelque peu prométhéenneaccomplie par l'homme ces dernières décennies dans la maitrise de sa reproduction. Etson utilisation, en plus de véhiculer une certaine image négative, est intrinsèquement etautomatiquement clivante. Il s'avère donc que l'utilisation de se terme serait à bannir, ouau moins à revoir. Il est d'ailleurs de moins en moins utilisé. En ceci, il est l'exemple d'uneacclimatation progressive de la société à une technique qui choque par son ampleur, et quirévolutionne notre manière de concevoir la reproduction, la famille, l'homme...

Il est d'autres débats qui ne sont toujours pas réglés. On retrouvera parmi eux le clivageprofond divisant l'opinion publique sur la question du statut de l'embryon. Aujourd'hui encore,

32 Jurgen Habermas, L’avenir de la nature humaine, p. 68

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la conception que nous avons de l'embryon et le statut qui lui est accordé font débat, autantdans la société qu'au sein de la communauté scientifique. Il n'est pas surprenant de voir cesujet autant débattu. Tout d'abord, il est débattu justement parce qu'il n'existe pas vraimentde consensus qui a su s'imposer sur cette question qui est relativement récente. Car ainsique nous l'avons présenté, si la question du statut de l'embryon est apparue récemment,c'est suite aux développements des techniques de fécondation in vitro. Ainsi, la possibiliténouvelle d'obtenir et de conserver des embryons, puis de les « détruire » ou s'en servirpour de la recherche révolutionne le sort qui était généralement réservé aux embryons :se développer au sein de l'utérus dans lequel leur implantation naturelle s'était faite. SelonPierre Le Coz, les bioetchnologies ont donné une existence autonome à l'embryon : celuici peut ''être'' en dehors du ventre maternel et s'y développer longtemps après le tempsde la fécondation 33». Ainsi, chaque partie tente de faire prévaloir ses arguments afinde l'emporter dans la qualification de ce qui était hier une fiction. Ensuite, le problèmedu statut de l'embryon est concerné par la grande majorité des questions médicalesactuelles et anciennes, car l'embryon est un des éléments recelant un potentiel encore peuexploité. Comme nous l'avons présenté, actuellement des recherches sont dirigées sur lescellules souches totipotentes composant les embryons, mais aussi sur l'interprétation etla réécriture du patrimoine génétique contenu par les cellules embryonnaires. Il ne s'agitici que d'exemples illustrant le vaste champ d'investigation qu'est l'embryon humain. Enfin,la question du statut embryonnaire ressort régulièrement lors de tout débat concernantla procréation en général. On peut observer ce phénomène lors des débats concernantl'avortement, ou encore lors de débats concernant l'aide médicale à la procréation commeon a pu le voir plus récemment. C'était un des sujets clefs que l'opposition au projet deloi pour le mariage pour tous défendait corps et ame. Elle dénonçait la normalisation del'homosexualité (dans le sens juridique du terme), et voyait ici l'initiation d'un mouvementd'acceptation de ces moeurs. Selon leur conception, l'accès à l'assistance médicale à laprocréation pour les couples homosexuels serait la suite logique de processus qu'ils onttenté d'arrêter.

L'intensité des débats qui ont lieu lors du vote de cette loi a été remarquable. En outre,les protagonistes de cette opposition désordonnée ont semblé incapables de trouver unterrain d'entente, en particulier à propos de la possible légalisation de l'assistance médicaleà la procréation. Cette intensité est typique des oppositions dans lesquelles le statut desembryons est débattu, comme on l'a marginalement observé lors des débats concernantle mariage homosexuel.

Selon Roger Dworkin, ce phénomène est général : « les personnes se respectantmutuellement qui en arrivent à donner des réponses opposées à la question de savoir siun embryon est une personne ne pourront pas plus arriver à un compromis, ou accepterde vivre ensemble en laissant les autres faire leur propres choix, que des personnespeuvent trouver un compromis a propos de l'esclavage, de l'apartheid ou du viol »34. Lestermes utilisés par l'auteur sont cruciaux. En effet, on comprend en lisant son analyseque ce phénomène présente des caractéristiques qui lui sont propres et que l'on retrouvedans la majeure partie des débats touchant au statut de l'embryon. Tout d'abord, onremarquera que les exemples utilisés par R. Dworkin trahissent le fond de sa pensée. Enchoisissant d'associer le débat du statut de l'embryon à ceux concernant l'apartheid, le violou l'esclavage, il choisit des thèmes ayant une caractéristique en commun : ils touchentà la dignité de l'homme, la valeur qu'il se donne. C'est un élément de plus démontrant de

33 Pierre le Coz, quelle philosophie de la famille pour la médecine reproduvtive ?, p 11034 Dworkin, Life’s Dominion, p 10

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l'importance de la question du statut de l'embryon. Ensuite, les propos de l'auteur viennentconfirmer les remarques formulées précédemment concernant les débats touchant à lavaleur des embryon. Enfin, on remarque que ce sujet est clivant et que des débats leconcernant se dégage une forte animosité. Il est clivant dans le sens ou il oppose demanière relativement frontale deux groupes identifiés, à en croire l'auteur. Il ne semble passe dégager d'analyse tierce de cette question. Bien sur, au sein de chaque groupe desanalyses différentes existent, mais elles supportent le même point de vue final, seuls lesconvictions et les arguments diffèrent.

Ronald Dworkin identifie deux groupes précis de protagonistes. L'analyse qu'il livredans son ouvrage Life's Dominion est centrée sur la question de l'avortement, laclassification des idéologies qu'il en dégage est donc orientée sur cette question del'avortement. Elle reste fondée sur la distinction entre d'une part les « anti-avortement », etd'une autre les « pro-avortement ». Au delà de la question de l'avortement c'est en fait sur laqualification même à donner à l'embryon que leurs avis diffèrent. En effet, selon l'auteur « uncoté pense qu'un fœtus humain est déjà un sujet moral, un enfant non-né, depuis le momentde la conception. L'autre [coté] pense qu'un fœtus récemment conçu est vaguement unregroupement de cellules, pas dirigée par un cerveau mais par un code génétique, pas plusun enfant qu'un ovocyte de poulet fertilisé »35. Voici donc les deux groupes identifiés parR. Dworkin : l'un pense qu'un embryon possède une valeur qui lui est propre dès lors desa conception, alors que l'autre groupe refuse cette caractéristique à un être qui n'est pasencore doté de raison. Mais le premier groupe ne forme pas un ensemble homogène. Selonle philosophe américain, il peut une fois encore être subdivisé en deux sous ensembles,qui s'entendent en plaçant la défense de la vie humaine au dessus de tout. Mais leursarguments et convictions diffèrent à la base. Les une présentent une critique de l'avortementqui est qualifiée de « dérivée »36 : selon eux l'avortement viole le droit des personnes àne pas être tuées, et ce droit est donné à tout être humain (dont le fœtus ferait selon euxpartie). Les autres font une critique de l'avortement qui est « détachée » : elle ne dépendd'aucun droit ou intérêt particulier, elle découle simplement du caractère intrinsèquementsacré de la vie humaine. Ainsi, même au sein des « pro-vie », il n'existe pas un point devue unique, illustrant la complexité de la qualification de l'embryon humain. Ils s'accordentnéanmoins à lui donner une valeur propre relevant plus de son caractère humain que desa qualité d'embryon.

a. L'essence du débat autour de l'embryon : recherche de la nature del'embryon par la confrontation des apports philosophiquesLes débats autour de la question de l'embryon à proprement parler tournent principalementautour de deux interrogations : L'embryon est-il une personne ? Ou bien est-il une personnepotentielle ?37 Il est nécessaire de se poser ces questions pour dépasser le stade del'échange de convictions politiques que l'on observe malheureusement bien souvent. PierreLe Coz dénonce ainsi une « éthique de la conviction qui renonce à affronter la discussionsur le statut de l'embryon ».

Ainsi que nous l'a montré Dworkin, il est difficilement possible de trouver un consensusentre ceux qui pensent les embryons comme des amas de cellules simplement guidés par

35 Dworkin p 1036 ibid. , p. 11, « derivative » dans le texte

37 Marie-Pierre Charnet, notes pour une philosophie de l'embryon, dans la revue Etudes, 2002/3, tome 396. L'analyse qu'elle livredans cet article servira de base aux développement à venir

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des gènes et ceux qui voient déjà les fœtus comme des personnes. En effet, le philosophede référence en matière d'éthique de la personne est Kant, pour qui le respect de la dignitéhumaine présenté dans les Fondements de la Métaphysique des Moeurs est un pointcapital. Il formule son fameux impératif ainsi : « Agis toujours de telle façon que tu traitesl'humanité dans ta propre personne et dans celle d'autrui, non pas seulement comme unmoyen, mais toujours comme une fin en soi ». Le point qui fait débat à propos du statut del'embryon est justement cette notion « d'humanité ». Marie-Pierre Charnet nous rapporte ladéfinition qu'a formulé Kant de l'homme et ses conséquences : « la définition de la personnecomme élévation de l'homme, grâce à la raison, au dessus de sa nature sensible, creusela différence entre l'homme et les autres êtres de la nature, désignés par Kant comme des''choses'', et pouvant donc être traitées comme des moyens »38. L'homme saurait donc qu'ilest la source de sa propre valeur, ce qui rejoint en quelque sorte une conception cartésiennede l'être. Cette analyse n'est pourtant pas suffisante pour résoudre le débat qui est le notre,car elle reste vague. Certes, on pourra concéder aux défenseurs de la pensée kantienneque l'embryon acquiert un système cérébral au bout de quelques semaines, mais il n'estpas pour autant autonome, et peinerait donc à entrer dans la catégorie de personne (alorsqu'on lui refuserait certainement le qualificatif de banale ''chose'').

Les apports de Kant sont donc insuffisant à cause de leur analyse vague et trop binairepour embrasser la complexité de la question ici débattue. Car les personnes sont dotéespar la nature et par la société de possibilités diverses : on observe une grande disparitéparmi les hommes lorsqu'on observe l'exercice de leur raison. Il est même des personnesqui ne sont pas dotées de telles capacités (on pense ici notamment aux personnes dans unétat végétatif, mais aussi aux personnes âgées aux capacités très fortement réduites).

On peut donc espérer des apports plus convaincants en poursuivant l'analyse d'unautre type de pensée : le personnalisme. Ainsi, Martin Buber considère que le dialoguepermet une personnification de l'enfant : c'est parce qu'on s'adresse à lui qu'il sera capablede devenir un sujet. Selon Marie-Pierre Charnet, « la force façonnante de l'amour que luiporte autrui le mettra, au sens propre, debout ; elle lui fera don de la parole, l'assurant

ainsi dans sa singularité » 39 . Le dialogue aurait donc une fonction subjectivante, celle-ci

s'exprimant au travers d'un amour parental. Ce discours personnaliste fondé sur le dialogueet l'amour exprimé par les parents est en quelque sorte repris par Pierre Le Coz, dans sonouvrage Quelle philosophie de la famille pour la médecine de la reproduction ?. En effet,il confirme les propos de Marie-Pierre Charnet affirmant que « force est de constater quece qui actualise les potentialités psychiques du fœtus relève déjà de l'interaction avec lamère donc avec l'élément familial. […] Sans l'altérité d'un monde humain en relation aveclequel il vit, l'embryon ne développerait pas ses capacités psychologiques»40. Le rôle de lafamille est donc ici socialisant et subjectivant, avant même d'être institutionnel. La personneexisterait donc dans sa relation aux autres qui lui permettrait de s'affirmer dans sa singularitéde sujet. Dans cette perspective présentée par l'auteur, le dialogue est la clef de voûte deces relations inter-subjectives singularisantes.

Or, ainsi que certains auteurs l'ont remarqué, si les interactions avec les autrespersonnes devenaient impossibles, dans ce cas la la personne cesserait de s'affirmeret de progresser. L'embryon rentrerait ainsi dans cette catégorie, car il est incapable derépondre activement aux aspirations de ses parents, l'échange étant donc impossible.

38 Ibid, p439 Ibid, p540 Pierre Le Coz, Quelle philosophie de la famille pour la médecine de la reproduction, L'Harmattan, 2006 p 112

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En outre, Habermas nous fait remarquer que ce type de conception est finalementtout sauf singularisante : l'individu ne serait pas dans le contrôle de sa destinée, deson parcours41. Cette conception philosophique peut s'avérer très intéressante pour lesquestions de l'accompagnement en fin de vie, pour ce qui est des soins palliatifs, durapports aux malades... Mais philosophie de l'embryon semble, elle aussi, inadaptée àfinalement trancher le débat autour de la nature à accorder aux fœtus. Il faudrait trouverune description nous permettant de dépasser ces analyses ontologiques trop inadaptées àla question de la bioéthique, malgré leur omniprésence dans ce domaine. En effet, si Kanta longtemps servi de point de repère, nous avons pu constater qu'il ne traite pas la questionde l'embryon. Quant aux théories personnalistes, si elles peuvent nous apporter certainséléments de réponse concernant l'importance de l'environnement social de l'embryon dansson développement, elles ne nous permettent pas non plus de lui accorder un statut clairjustifiant entièrement le respect du fœtus.

C'est chez Hans Jonas notamment que nous retrouverons les traces d'une conceptionparticulière de l'embryon. Il s'agira pour cet auteur de démontrer que la question del'embryon n'est pas en fait centrée sur les débats classiques en métaphysique. Il démontrequ'en fait, dès la fécondation des cellules, une potentialité humaine apparaît, elle est àréaliser : « l'être est devenu une tache à accomplir au lieu d'un état donné, une possibilitéà réaliser, sans cesse en lutte avec son contraire, toujours présent, le non-être, qui à la finl'absorbera inéluctablement »42. La vie de l'embryon sera donc constituée de choix, devantfaire face en permanence à la mort, qui est la négation de la vie. Dans une conception enquelque sorte auto-poïetique de l'embryon, ce dernier est chargé de son auto-affirmation,de la réalisation des potentialités qui le caractéristiques. L'enjeu majeur sera pour l'embryonune affirmation métabolique de soi par la réalisation de son potentiel.

Marie-Pierre Charnet ferme sa présentation des philosophies s'étant penchées sur laquestion de l'embryon comme personne par la conclusion suivante : « Elles [les cellulesembryonnaires] nous rappellent la fragilité de nos commencements et la contingence de cequi adviendra : nous aurons pu ne pas être […]. Une faiblesse et une précarité qui sont pournous un appel à la responsabilité »43.

Cette déclaration appelle deux commentaires. Tout d'abord, elle met l'accent sur le faitque l'embryon humain est un fœtus à part, il ne s'agit pas d'un vulgaire amas de cellules.Le fait que l'homme ait pris conscience du caractère unique des embryons humains estdéjà un cheminement important. En revanche, lorsque l'auteur justifie son argumentationen déclarant que « nous aurions ne pas pu être », et que c'est ce qui nous rappelle notreprécarité, elle accorde déjà un caractère humain à l'embryon. C'est en contradiction avecles écrits de Dworkin. Ce dernier déclare en effet « les gens sont souvent attirés à tort parce débat : il est dans mon intérêt maintenant que je sois en vie donc que je n'ai pas été tué àun moment dans le passé. […] Mais il n'en suit pas que si ces évènements avaient eu lieu ilsauraient été contre les intérêts de quiconque lorsqu'ils sont survenus »44. En effet, on ne peutpas prendre son être actuel comme un référentiel pour comprendre des évènements, quitouchent justement à notre personne, mais qui sont survenus lors de notre conception. Carsi ils n'avaient pas eu lieu, personne n'aurait vu ses intérêts touchés. C'est ce que Dworkin

41 Jurgen Habermas, L’avenir de la nature humaine, p9242 Hans Jonas, Évolutions et libertés, ed. Rivages, 1999, p 136-137 cité par Marie-Pierre Charnet dans l'article présenté

précédemment, p 643 p844 P 18

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s'efforce de présenter dans son œuvre : on peut difficilement parler d'intérêts de l'embryon,car pour-ce faire, il faut le personnifier. Or, cette personnification est déjà en soi un parti prisdans le débat que nous avons abordé précédemment. Il s'agit du point de vue développé parles personnes qui sont opposées à l'avortement pour des raisons « dérivées » de la naturede l'embryon. Ces dernières recherchent donc la nature de l'embryon, pour pouvoir ensuiteen saisir les droits qui s'y rattachent. Il s'agirait donc plutôt de trouver une conception plusabstraite de l'embryon humain, en évitant deux écueils : éviter toute réification (conceptiondiminutive de l'importance des embryons) et toute conception ontologique excessive. Uneconception mesurée des fœtus devra donc être produite, afin d'accorder aux embryons lestatut et le regard qu'ils méritent. Car comme Pierre Le Coz l'a écrit, « Il est permis de sedemander si nous ne le créditons pas d'un coefficient ontologique trop élevé »45. Il appelleainsi à une relativisation de la conception excessivement personnifiée de l'embryon qui estsouvent mise en avant par les auteurs. Il s'agit donc de déplacer le centre du débat. Larecherche de la possible assimilation de l'embryon à l'homme est vaine et n'est qu'un écrande fumée masquant le fond du problème : nous avons besoin d'une philosophie de l'embryonqui lui serait propre.

b. Éléments constitutifs d'une philosophie de l'embryonIl s'agit donc de dégager les fondations d'une éthique de l'embryon qui lui permettraitde s'autonomiser de « l'homme », en tant que catégorie à part. Or, l'embryon dépendintrinsèquement du projet parental par lequel il est porté, qui lui donne toute sa singularité. Iln'en est pas totalement dissociable. En outre, il apparaît clair que l'embryon pourra donnernaissance à un être humain, si son développement est porté jusqu'à son terme. Il est doncétroitement lié avec la vie humaine, sans pour autant en posséder toutes les caractéristiquespropres. Ainsi Vanessa Rousseau présente ce paradoxe en identifiant le fœtus comme untype particulier d'être humain :« Il semble que la médicalisation à outrance de la grossessefasse du fœtus un être humain à part entière. D'ailleurs, est-il autrement considéré quecomme un patient ? »46.

Nous avons pu démontrer, dans la partie précédemment développée, que les fœtusne peuvent aucunement être associés à des « êtres humains ». Ils représenteraient,selon cette philosophe, une nouvelle catégorie d'êtres humains. Cette conception s'avèreproblématique. Tout d'abord d'un coté pratique, elle ne vient que s'ajouter au débat, sansvraiment apporter de réponse satisfaisante. En effet, le fait de qualifier l'embryon d' « êtrehumain à part entière » le personnifie, rentrant ainsi dans le débat par la porte desconceptions d'un statut embryonnaire « dérivé » que Dworkin avait identifié. Mais elle évite letravers de soutenir totalement ce point de vue, en accordant une « part entière » à l'embryon.Son analyse souffrira ainsi des critiques formulées a l'encontre des « critiques dérivées » del'avortement de Dworkin, que nous avons présenté précédemment. Ensuite, l'auteur crée àcette occasion une nouvelle catégorie d'êtres humains. Or, les êtres humains bénéficient dedroits et de devoirs : les premiers de ces droits, en matière de bioéthique, sont le droit à lavie, le droit au respect de son corps humain... L'embryon serait ainsi porteur de ces droits,mais dans quelle proportion, dans quelles conditions, à partir de quel moment... ? Tant dequestions que le trouble du statut que cet auteur leur accorde ne permet pas de résoudre.Enfin, le fait que l'embryon soit traité comme un patient est encore à démontrer. Il faut

45 Pierre Le Coz, p 11146 Vanessa Rousseau, « Présentation » – La parenté et la procréation aujourd'hui : deux filiations remodelées, dans Cités, P.U.F.,2006/4 n°28, p. 13

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reconnaître que l'embryon est au centre de toutes les attentions en matière d'aide médicaleà la reproduction. Ce fait est précisément du au processus technique par lequel passe lafécondation in vitro par exemple : c'est l'embryon qui sera recherché, étudié, transféré,surveillé... Mais ce n'est pas pour l'embryon en soi que tout ce travail est effectué. C'estpour son caractère de potentialité humaine, et à plus forte raison, pour le soutien du projetparental que tant est mis en œuvre pour le bien de l'embryon.

Cette analyse qui nous a été présentée par Vanessa Rousseau, si elle peut êtrecritiquée, est en revanche tout à fait révélatrice de notre conception actuelle de l'embryon,dans un certain sens. En effet, elle relève deux caractéristiques d'importance. Tout d'abord,le fait qu'elle assimile l'embryon à un « être humain à part entière » est révélateur denotre problème : nous reconnaissons a l'embryon une certaine teneur d'humanité, sanstoutefois en faire un être humain normal. Ensuite, le fait qu'elle pense que la médecine enfait un patient à part entière nous démontre que la médecine, et l'humanité par extension,est engagé dans un processus d'intérêt pour l'embryon. Cet intérêt est bien souventaccompagné de respect, ce qui découle logiquement du caractère partiellement humain quel'on accorderait à l'embryon.

Ainsi, l'embryon ne serait pas vraiment humain mais aspirerait à le devenir et seraitune potentialité subjective humaine en puissance. Marie-Pierre Charnet écrit à ce sujet :« ''Subjectivité sans sujet'', comme l'écrivait Jonas, l'embryon est aussi celui qui, saufaléa, est destiné à devenir sujet de son histoire »47. Il s'agit ici d'un paradoxe saisissant,qui interpelle la morale de l'homme qui s'est déjà accompli. Il reconnaît en l'embryon (demanière instinctive selon Jürgen Habermas48), une valeur intrinsèque et malheureusementdans certains cas une valeur instrumentale. On peut comprendre le terme de « valeurinstrumentale » dans le sens marchand du terme. On sait en effet que la recherche estconsommatrice d'embryons. Mais il peut également avoir une autre signification, au sein dela société, de la famille. Si l'on se permet de parler de la société, c'est que les embryonssont aussi l'incarnation du désir d'enfantement de leurs parents. En ceci, le respect donton fera preuve envers les embryons sera également un respect dérivé de celui dont on faitpreuve envers les parents et leur projet. Ces derniers sont porteurs d'un désir et souhaitentle concrétiser, les embryons étant des « participants en attente »49. L'embryon, n'est pasune fin en soi comme nous le rappelle Dworkin50, est en revanche un élément clef de cedésir d'enfantement. On respecte donc en partie l'embryon pour ce qu'il est et pour ce qu'ilreprésente pour la société et ses concepteurs, étant l'instrument de la réalisation de leurdésir. Mais cette capacité ontogénique de la famille, donnant une valeur instrumentale del'embryon démontre rapidement ses limites. Si elle implique un respect au nom du projet desparents, elle ne nous permet pas de déterminer notre attitude dès lors que les embryons sontsortis du plan familial. Lorsque le couple a obtenu les enfants qu'il souhaitait avoir, il restedes embryons surnuméraires. La technique de fécondation in vitro n'étant pas totalementfiable, il se peut que les parents doivent recommencer l'opération. Ainsi, on choisira deprélever plusieurs ovocytes afin d'obtenir plusieurs embryons. On procèdera à l'implantationde certains d'entre eux, alors que les autres seront conservés. Or il se peut que les parents

47 Marie-Pierre Charnet, article précité, page 334.48 Habermas, L’avenir de la nature humaine, p. 6449 Dagognet F. , la maitrise du vivant, p. 154, cité par Pierre Le Coz dans son ouvrage quelle philosophie de la famille pour

la médecine de la reproduction ?, p. 10950 Le stade embryonnaire permettra selon l'auteur la naissance d'un enfant qui, en se développant un peu plus chaque jour,

s'affirmera en tant qu'individu, alliant un développement social à un développement métabolique. p. 88

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obtiennent leurs enfants dès le premier essai, ou qu'ils changent d'avis, ou encore lorsqu'ilest nécessaire de pratique une réduction du nombre d'embryon présents dans l'utérus51.Dans ces cas, les embryons ne feront plus partie du projet parental, ne recevront plus alorsl'attention instrumentale dont ils bénéficiaient avant. Il s'agit donc de chercher à favoriserl'autre valorisation des embryons présentée par Dworkin, en leur accordant une valeurintrinsèque, qui sera commune à tous les embryons, quel que soit leur état.

Il s'agira ici de respecter leur potentialité humaine, leur fragilité et leur dépendance. Cerespect doit d'abord être observé afin de pouvoir pérenniser notre organisation sociale etfamiliale : en tant que potentialité humaine, les embryons constituent potentiellement lesfuturs membres de notre société. Selon Jurgen Habermas, « il existe une idée régulatricequi offre un critère qui, certes, requiert d'être interprété mais qui, sur le principe, n'est pasattaquable : toutes les interventions thérapeutiques, interventions prénatales comprises,doivent être soumises au consentement supputé, au moins de manière contrefactuelle,des personnes mêmes qui sont susceptibles d'être concernées »52. Ainsi selon l'auteur, ilfaut prendre en compte les conséquences de nos actions sur les personnes, alors que lespotentialités de ces personnes ne se sont pas encore réalisées. Notre attitude et le respectque nous avons vis à vis des embryons doivent encourager la responsabilité de l'hommedans la recherche technologique et son propre développement. Il s'est doté d'instrumentstechniques lui permettant d'extraire les embryons de leur cycle normal de développement.Un retour en arrière au nom d'un respect absolu de la qualité de l'embryon n'est pas possibleet pas souhaitable, selon Pierre le Coz : « rejeter la FIV reviendrait a prôner le retoura l'insémination artificielle, une méthode deux fois moins efficace. On amenuiserait leschances de l'enfant à venir au monde au nom de son « être » d'embryon »53. Il convientdonc de se doter d'une attitude responsable et mesurée vis à vis des réalisations techniquesaccomplies par l'homme. Ne disposant actuellement pas de définition précise du statut àaccorder à l'embryon, il est tout d'abord important de laisser ce débat ouvert au sein dela société, pour permettre à cette question d'évoluer. Ensuite, il s'agit pour l'homme deprendre la mesure de ses actions. Cette technique est d'abord grandement profitable et,selon Pierre le Coz, la destruction de certains embryons est un impératif (certes dérangeant)pour la poursuite de nos opérations de reproductions. Nous sommes ainsi mis devant le faitaccompli : cette technique existe, elle est utilisée car la balance couts - avantages s'avèrepositive. Ce n'est pas pour autant que nous devons nous dispenser d'une réflexion sur lerespect de l'embryon ; la vie antépersonnelle doit être respectée, mais de manière mesurée,pas excessive. Il s'agira de lui accorder un statut tout à fait spécial car toute banalisation ouréification des embryons serait désastreuse pour notre société.

Ainsi que Jurgen Habermas nous l'affirme, « il n'y a pas que ce à quoi on reconnaîtla dignité humaine dont on ne doive pas disposer à son gré »54. Selon le philosophe ladignité humaine ne serait pas totalement liée à notre qualité d'humain, mais plutot au fait quenous appartenons à une communauté d'humains. Elle relèverait d'une construction socialed'une société formulant des normes et dont les membres seraient chargés de les respecter.La dignité humaine est intangible, nous ne la possédons pas par nature comme nous

51 Lorsqu'un grand nombre d'embryons sont implantés avec succès et se développent (trois ou plus), ils risquent de ne paspouvoir tous se développer correctement, et les bébés à naître seront souvent prématurés. Afin d'avoir des embryons sains, on arrêtele développement de certains d'entre eux.

52 Jurgen Habermas, L’avenir de la nature humaine, p13353 ibid. p. 11454 ibid., p. 52

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possédons une intelligence par exemple. Le comportement moral que nous adopterionsenvers les autres serait alors, selon lui, une réponse sociale à une demande émanant d'uncorps faible, particulièrement exposé, ou inachevé. Si nous reconnaissions à l'embryon desqualités à protéger, il serait surement compris comme un de ces corps faibles ou inachevés(au sens physique du terme). Selon Habermas, le fait que les personnes aient à l'esprit leurpropre faiblesse favorise ce comportement moral, qui résulterait donc d'une constructionsociale d'interdépendance. La prise de conscience de l'importance des embryons pourle futur de notre société nous permettrait donc de justifier un comportement moral. Cesderniers sont en effet vecteurs de certaines valeurs et de certaines représentations del'homme.

Car, ainsi que les principaux auteurs en bioéthique nous le démontrent, cette questionest en fait l'antichambre d'une réflexion plus générale que l'on se propose de présenter dansla partie suivante : le regard que l'homme porte sur lui même. Nous avons pu présenter,lors d'une première approche, l'analyse que livre Dworkin dans son ouvrage Life's Dominionà propos du statut de l'embryon. Il lui accorde une valeur qui lui est propre, due à sespotentialités humaines « l'hominisant » sans toutefois le rendre vraiment humain. L'embryondevrait être doté d'un statut à part, plus respecté qu'un amas de cellules quelconque maisen évitant de lui conférer un statut d'humain. Or, selon Dworkin, notre conception du statutembryonnaire ne serait pas le vrai point central des débats concernant la vie anténatale(et l'avortement) : « ce point du débat sur l'avortement, en dépit de sa grande popularité,est fatalement trompeur. Nous ne pouvons pas comprendre les réelles convictions moraleset politiques des personnes à propos de l'avortement, et ce que le gouvernement devraitfaire à propos de l'avortement, de cette manière »55. Ce serait en fait plus la potentialitéhumaine présente dans l'embryon qui nous diviserait, car la vraie question derrière cequestionnement est la valeur que nous accordons à la vie humaine et le regard que nousportons sur elle.

2. Au delà de la question du statut embryonnaire : le regard del'homme sur lui-même

Nous l'aurons compris, la question du statut de l'embryon et les débats sur des pratiqueseugéniques possibles dans le diagnostic préimplantatoire sont révélateurs d'une autremalaise : celui du regard que nous portons sur la vie humaine. Jusqu'ici cette question avaitété abordée lors des débats sur l'avortement. Mais ici, il s'agit d'un tout autre problème : lorsde l'avortement, ainsi que nous pourrons l'apprécier, on assiste à une comparaison de deuxvies, celle de la femme enceinte et celle de l'embryon qu'elle porte. Alors que dans le cadred'un diagnostic préimplantatoire, c'est la vie possible de l'enfant à naître qui sera prise encompte. On ne met plus en balance deux vies actuelles, mais une vie antépersonnelle etune vie humaine potentielle (donc abstraite). Cette mise en balance nous permet de nousinterroger sur ce qui fait de l'être humain un être spécifique par rapport aux autres êtresvivants. L'enjeu est ici de taille. Il s'agit de comprendre notre être au monde d'une manièrerévolutionnée, ainsi que nous le présente Habermas : « après les blessures narcissiquesque nous ont infligé Copernic et Darwin en détruisant, l'un, notre image géocentrique dumonde, l'autre, ntre image anthropocentrique, peut être accompagnerons-nous avec une

55 Ronald Dworkin, Life's Dominion, p31

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plus grande quiétude cette troisième décentration de notre image du monde – la soumissiondu corps vivant et de la vie à la biotechnologie »56.

a. L'avènement du questionnement sur la vie humaineDonc selon Habermas, notre présent questionnement est dû aux avancées technologiquesde la médecine qui sont venues remettre en question l'image que l'homme s'était constituéde lui même. Comme nous l'avons avancé en introduction, ce questionnement est devenupeur, qui s'explique par un vide idéologique : « la « terra incognita éthique » à laquellerenvoie à juste titre Otfried Höffe est celle de l'instauration de l'incertitude concernantl'espèce humaine57.

En effet, ce mouvement coïncide avec le développement du « primat du juste sur lebien »58 cher à Habermas. Nous disposons de plusieurs images de l'homme qui nous sontlivrées par des systèmes culturels de vie (interprétations religieuses ou métaphysiques).Ces conceptions doivent coexister pour être assimilées dans nos Etats constitutionnelspluralistes. Dans de telles sociétés et un contexte post-métaphysique, on ne peut imposerune conception morale de l'homme qui vaille universellement, ce qui favorise donc leprimat du juste sur le bien. Mais dans nos Etats constitutionnels pluralistes, ce juste estpartiellement issu des conceptions métaphysiques et humanistes de la nature humaine.Rien n'est donc alarmant tant qu'il garde un ancrage dans des conceptions éthiques dela compréhension de soi, encourageant le développement d'une morale propre à chacun.Il convient donc d'arrimer notre conception personnelle de l'être humain à une morale.Mais cette dernière, ainsi que nous l'avons présenté en introduction, peine à embrasserpleinement les évolutions récentes de la technologie.

On peut observer ce phénomène en particulier dans le domaine de la nanotechnologie,des prothèses, de la cartographie cérébrale... Cette dernière consiste par exemple en unemodélisation cartographique de la pensée humaine. Ses applications médicales serontindéniables : elle permettrait de comprendre notre système de pensée, de l'analyser, et depouvoir repérer les différences entre un individu sain et un individu atteint d'une maladie,dans le but de le soigner. En revanche, si l'homme devenait un jour capable de maîtriserpleinement une telle technologie de « lecture », il chercherait surement à pouvoir stocker lesdonnées alors obtenues, pour ensuite les transférer. La phase suivante est évidente : dansune conception tout à fait prométhéenne de sa condition, l'homme chercherait à transférerune conscience d'un être à un autre, passant alors d'une enveloppe charnelle à une autre.Il aurait ainsi dépassé son « créateur », pour reprendre la métaphore de Prométhée, endevenant sa propre origine, aboutissant à un perpétuel cycle auto-poïétique.

On retrouve également le domaine des nanotechnologies qui est en plein essor, ainsique celui des prothèses et exosquelettes. Le but des nanotechnologies serait de réussir àimplanter des nano-robots dans notre organisme afin de le surveiller, de le règlementer, dele soigner et de le développer en permanence. On pourrait ainsi peut être ralentir ou arrêterle vieillissement des tissus, réalisant ainsi un autre des vieux fantasmes humains, celuide la fontaine de jouvence. On pourrait encore améliorer les performances physiques etcognitives de l'homme en « rentrant dans la mécanique », pour reprendre l'image corporelleque nous a présenté Descartes dans ses Méditations métaphysiques. Quant aux prothèses

56 Jurgen Habermas, L’avenir de la nature humaine , p 8457 Ibid. , p. 64

58 ibid. p. 65

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et exosquelettes, leur but serait également d'améliorer les capacités de l'homme (cognitives,physiques, sensorielles...).

Ces améliorations de l'homme peuvent paraître fantaisistes. Elles sont pourtantfondées sur des recherches existantes et des techniques que nous maitrisons actuellement,ou que nous sommes en passe de maitriser. C'est ce potentiel technologique alors mal saisiqui peut laisser penser à certains hommes que nous avons la possibilité de nous muer enpost-humains. On remarquera que la plupart des espérances nourries par ces défenseursdu post-humanisme offrent une réponse à de vieux mythes : la fontaine de jouvence,Prométhée, et tout autre héros doté de capacités sensorielles, cognitives et physiques horsdu commun. Il est alors paradoxal que leur foi démesurée en la science les conduise, telIcare, à l'erreur. Car la science n'est pas soumise à des évolutions régulières prévisibles.Et le corps humains est malgré tout soumis à une finitude. Francis Fukuyama59 est unedes figures représentatives de ce mouvement, qui n'est pas d'une grande aide dans notrerecherche d'une compréhension de soi suite aux révolutions biotechnologiques récentes.Néanmoins, ce type de discours a le mérite d'attirer l'attention du public sur le sujet dudevenir de l'homme, favorisant ainsi l'émergence d'un débat par une plus grande visibilité.

Car des techniques qui ont été réellement développées depuis un demi sièclemaintenant participant d'une réelle « technicisaion de la nature humaine »60. Cettetechnicisation de la nature humaine vient notamment remettre en cause la cohabitationpassive des principes d'autodétermination de la vie personnelle, de responsabilité de l'actionpersonnelle et d'un encadrement normatif procédant d'une compréhension éthique de soi.Cette affirmation est particulièrement vérifiée dans le domaine de la génétique. Les récentsprogrès que nous avons présentés en introduction, à savoir la « lecture » de notre génomeet les recherche sur sa possible « écriture » ou « réécriture » sont ainsi déterminantes.Elles viennent bousculer la distinction qui était auparavant bien établie « entre l'objectif etle subjectif, entre ce qui croit naturellement et ce qui est fabriqué, dans des régions quijusqu'ici n'étaient pas à notre disposition »61. Notre compréhension de nous même, de notreespèce, en est certainement impactée. Et cet impact peut engendrer un déplacement denotre propre compréhension éthique, ce qui aurait pour conséquence de modifier nos basesmorales. Ainsi, lorsque nous mettons en œuvre un diagnostic préimplantatoire, il n'est plusvraiment question du statut de l'embryon, mais plutôt d'une supposition d'un consentementà priori obtenu par la personne potentielle imaginée. La vie humaine donc est remise aucentre du débat et des interrogations, si elle l'avait jamais quitté.

b. Les implications bioéthiques de la conception par l'homme de sa propreunicitéIl s'agit donc, comme nous l'avons présenté, d'arriver à obtenir une conception éthiquede l'homme afin d'encourager la croissance d'une morale, directrice de nos actes.L'enjeu de notre société est donc de réconcilier le processus d'individualisation et celuid'universalisation. L'homme devra ainsi observer un respect, une certaine déférence enversce qu'il est, et ce qui l'entoure, endossant ainsi une certaine responsabilité vis à vis de luimême et de son environnement. L'homme a compris, à cause des différents problèmesécologiques que nous connaissons, que son action peut avoir des effets néfastes qu'il

59 Il a notamment publié en 2002 son ouvrage Our Posthuman Future: Consequences of the Biotechnology Revolution danslequel il prédit l'avènement d'un nouveau type d'hommes, notamment grâce aux manipulations génétiques.

60 Jurgen Habermas, L’avenir de la nature humaine, p. 6761 Ibid

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ne soupçonne pas. Ceci explique en partie la crainte que nous avons vis à vis de cesnouvelles technologies génétiques, dont le développement avoir des effets sur l'homme bienplus désastreux encore que ce qui a été observé sur l'environnement. Par un principe deprécaution largement présenté par Hans Jonas, l'homme doit prendre conscience de sescapacités afin de mieux les utiliser.

Car ces techniques ne sont pas intrinsèquement mauvaises, comme nous l’avait déjàprécisé J. Habermas. C'est leur utilisation et leur portée qui est redoutée. Dans uneconception éthique de la faiblesse comparative de son environnement, l'homme pourraitutiliser les techniques qu'il développe plus sereinement.

Mais bien plus que ça, dans le domaine de la bioéthique et de la génétique, c'est laprise en compte de son unicité et de sa fragilité propre qui devrait importer à l'homme.Ce processus est déjà en marche : on peut ainsi expliquer par exemple ce que Habermasappelle « l'intuition qu'il ne saurait être permis de pouvoir simplement disposer de la vieantépersonnelle comme d'un bien soumis à concurrence »62. Cette prise de consciencepar l'homme de son unicité et de sa valeur explique par exemple le fait que l'on puisseexpliquer l'embryon par des potentialités humaines, en lui donnant une qualité abstraitenon-matérielle. Cette abstraction servira alors de base à la conception d'un être potentiellorsque l'on parle d'un embryon, justifiant une attitude unique envers lui. Certains, telsHabermas, estiment même que ceci justifierait un déplacement de la charge de la preuvelors d'une intervention génétique thérapeutique sur un embryon. Une morale solide résultantd'une prise de conscience de l'homme de son unicité justifierait que nous ayons avecl'embryon « un rapport à la seconde personne, celle qu'elle sera un jour »63. Cette allégationreste fragile : en effet, nous avons pu démontrer auparavant qu'un embryon n'est pasnécessairement ammené à devenir un être humain. Il peut s'agir d'un excès de langage,ou d'une traduction hasardeuse : l'auteur pose ici les bases de son « point de vue moralqui s'établit dans un rapport non instrumentalisé à la seconde personne » qui indique laligne à ne pas franchir en terme d'eugénisme. Cette « seconde personne » serait en faitune construction abstraite permettant de représenter une potentialité humaine qu'il fautrespecter en soi. On s'adresserait en fait à la deuxième personne à l'embryon en voyantà travers lui cette potentialité humaine, en agissant dans l'intérêt de tout être humaincompris dans un sens abstrait. Dans le cas contraire, il serait impossible par exemplede poursuivre quelques recherches sur les embryons, partant du principe que ces typesde recherches sont « consommatrices » d'embryons. Il s'agit donc pour l'homme de sesaisir de la question de son unicité et de placer des bornes à ne pas dépasser danscertaines pratiques mettant en jeu la compréhension qu'il a de sa vie, en se définissantcomme référentiel. Ceci facilitera une conception éthique de soi pour l'homme, pouvant alorsrevisiter les valeurs régissant sa propre vie. Car dans une période durant laquelle doiventcohabiter un phénomène d'individualisation et d'universalisation, l'homme a pu se perdre.L'homme aura donc tout intérêt à se faire fort l'intangibilité de la vie humaine, passant entreautres par une réaffirmation (si besoin est) du caractère sacré de cette dernière.

c. La vie humaine, intangible et sacréeLa spécificité du Diagnostic Pré Implantatoire par rapport à l'avortement notamment soulèvedes interrogations sur l'intangibilité de la vie humaine et de la dignité qui l'accompagne. Latechnicisation de la reproduction et même de l'homme a pour conséquence un effacement

62 ibid., p. 6963 Ibid.

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de la frontière entre ce qui est dû à la nature et ce qui est produit. En s'intégrant dansle processus de reproduction, la main de l'homme peut également dérégler la conceptionquelque peu aristotélicienne qu'il avait de lui même jusqu'ici. Il s'agissait d'une conceptionrelativement sacralisée de la vie humaine, qu'il valorisait de différentes manières. Car ainsique Ronald Dworkin nous le présente, nous avons intuitivement une conception de la viehumaine comme ayant une valeur intrinsèque64. Mais cette intuition ne nous permet pasà elle seule de répondre aux questions qui se présentent, à savoir quel type de valeur,quand est-il acceptable de mettre fin à une vie humaine... En outre, nous avons tousdes représentations différentes du fait que la vie humaine soit intrinsèquement valorisée.L'auteur catégorise alors les types de valorisation possible : la valorisation incrémentielle etla valorisation sacralisatrice/inviolable.

Une vie humaine a une valeur intrinsèque si cette dernière ne dépend de rien d'autreque de sa qualité propre. Dans cette perspective exclusive, elle ne devrait donc pas pouvoiravoir de valeur instrumentale adossée à une utilisé, aux capacités d'une personne. Ellene devrait pas non plus avoir de valeur subjective, qui renvoie à une valeur personnelleque nous accordons à notre propre vie. C'est ce type de valorisation qui est protégé par legouvernement dans la protection et la mise en place des droits des personnes65. Or, il setrouve que la valeur que nous accordons à la vie humaine allie souvent les trois types decatégories : valeur subjective, valeur intrinsèque et valeur instrumentale.

La valeur intrinsèque que nous accordons à la vie humaine est la plus énigmatiquede toutes. En effet, nous nous accordons à accorder un caractère sacré à la vie. SelonRonald Dworkin, il existe deux manières de sanctifier quelque chose. Le premier mode desanctification relève d'un processus de désignation : la destruction d'une telle chose seraitce que le philosophe appelle « une honte cosmique »66. On l'associerait à un symbole, unereprésentation. Ensuite, quelque chose peut devenir sacré par sa propre histoire, la manièredont il a été créé. Dworkin utilise ici l'exemple de l'art et de la peinture : on ne protège pastoutes les peintures pour ce qu'elles représente, car il en est certaines qui nous déplaisent.Ces expressions artistiques sont protégées car elles sont la concrétisation d'une créationhumaine que nous considérons comme importante. Or, le fait que l'homme pense que sonespèce doive prospérer et être préservée, sentiment que nous avons (presque) tous, reflèteune réconciliation de ces deux modes de sanctification. En effet, nous considérons la surviemétabolique de l'espèce humaine comme éminemment importante, tout en accordant uneattention non négligeable à favoriser la diversité des cultures (cet argument de R. Dworkinreste néanmoins discutable). C'est ainsi que nos inquiétudes sur la vie humaine prennentcorps : nous n'avons pas peur de la survie d'un groupe de personnes limité, mais de l'espècehumaine entière, à qui nous conférons une valeur intrinsèque sacrée. C'est également laréponse aux théories philosophiques de la justice intergénérationnelle. Certains membresde notre génération pensent que par souci de justice, nous ne devrions pas entreprendrecertaines recherches ou manipulations sur l'homme. On retrouve plus souvent cet argumentde justice intergénérationnelle à propos de la question de l'endettement public d'un Etat ouencore de la question environnementale dans une région donnée. Or, selon Dworkin, « cetteconception est trompeuse, car notre préoccupation pour le futur n'est pas une préoccupation

64 Ronald Dworkin, Life's Dominion, p7065 Ronald Dworkin présente une classification des valeurs accordées à la vie humaine dans son ouvrage pré-cité life's dominion,

p. 7166 ibid. p. 75

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pour les droits ou intérêts de personnes spécifiques »67. Elle serait en fait le reflet de notresouci d'un développement florissant de la vie humaine et de la survie de l'homme, qui auraitune importance sacrée. Ce n'est donc pas aux générations futures ou à une population d'unEtat qu'il faudrait faire référence, mais à l'humanité sacrée dans son intégralité.

Nous reconnaissons bien sûr différents degrés de sacralité : pour certains, l'hommesera sacré car il sera une création de Dieu. Une atteinte à l'homme serait une atteinte àDieu. Pour d'autres, l'homme représente l'achèvement actuel de l'évolution, son stade leplus élevé, ainsi qu'une vie sociale organisée. Il s'agit alors de protéger à la fois l'homme entant que créature et l'homme en tant que créateur social. Ainsi, lorsque les parents décidentd'avoir un enfant, le processus social de création sacrée vient supplanter en premier lieule processus de développement biologique68. C’est en fait d'un processus d'initiation de lavie humaine sacrée.

Tout ceci commence lors de la conception de l'enfant. Dworkin se base sur le concept de« frustration » pour décrire les rapports que nous pouvons avoir avec les embryons lors d'undiagnostic Préimplantatoire ou d'un avortement : « L'idée que nous déplorons la frustrationde la vie, pas sa vague absence, semble être en adéquation avec notre conviction généraleà propos de la vie, de la mort et de la tragédie »69. Il s'agirait donc de confronter la frustration/la déception de la vie humaine, et non sa perte, pour bien comprendre les enjeux des débatsconcernant l'avortement et le diagnostic préimplantatoire. Un accident de vie (handicapsoudain, accident, maladie...) peut « frustrer » une personne dans son projet de réalisationd'une vie florissante. Selon Ronald Dworkin, « une vie couronnée de succès est le produitde deux modes créatifs d'investissement dans cette vie, l'humain et le naturel »70. Cesinvestissements dans la vie humaine la rendant fructueuse contribuent à former l'inviolabilitéde la vie humaine par un équilibre entre ces deux apports. Le philosophe américain sedote ici presque d'une économie de la vie humaine en fonction du type d'investissementréalisé pour expliquer les différentes positions des personnes opposées aux diagnosticspréimplantatoires et à l'avortement. Ainsi, les personnes pensant que l'investissementnaturel devrait l'emporter sont convaincues que la vie en elle même, comme un cadeau, estintrinsèquement plus importante que toute autre chose. Dans cette perspective, une mortprématurée sera considérée comme la pire des frustrations de la vie. C'est selon l'auteur laraison sous-jacente aux arguments présentés par les conservateurs religieux, notammentles catholiques, opposés à l'avortement. Sous couvert d'une protection de l'embryon, ilsdéfendraient en fait une vie sacrée et inviolable, surtout, infrustrable de par son originedivine. Pour les non croyants, c'est plus le « miracle naturel de la vie » qui l'emportera surune idée de création divine. Ils soutiennent le primat de l'argument « naturel » valorisant lavie au point de la sanctifier. Dans l'autre cas de figure, des personnes défendent le primatde l'argument de la valeur créatrice humaine comme base contre la « frustration » de lavie humaine. Selon ces personnes, la « frustration » de la vie sera plus importante encorelorsque la personne aura fait fait des « investissements humains significatifs », justifiantainsi un avortement prématuré ou les diagnostics préimplantatoires. Ces derniers seraienten effet l'ultime rempart contre tout investissement inutile, car leur objectif même est d'éviterla naissance d'êtres voués à mourir tôt ou à être accablés par le poids d'une maladie

67 ibid. p. 7768 Marie-Angèle Hermitte, « De l'avortement aux procréations artificielles, la toute-puissance du projet parental », Natures

Sciences Sociétés, 2007/3 Vol. 15, p 274-27969 R. Dworkin, Life’s Dominion,p. 8870 ibid., p. 91

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gravement handicapante, réduisant à néant leurs efforts d'investissements humains. Selonl'auteur, les conservateurs et les libéraux seraient donc en désaccord non sur la qualificationde la vie humaine ou son caractère sacré, mais plus sur l'importance relative des valeursqui la forment. En revanche, les deux groupes reconnaissent à ces valeurs une importancefondamentale dans la formation de la vie humaine comme sacrée et inaliénable.

L'homme a donc dû répondre à un questionnement sur l’importance des valeursfondant la vie humaine, mais également une interrogation sur cette vie en elle même. Latechnicisation de notre médecine, notamment les interventions sur la génétique humaine,est venue déplacer les frontières entre le « naturel » et le « construit », comme nousl’explique J. Habermas. Le diagnostic préimplantatoire fait pleinement partie de cestechniques remettant en cause la compréhension éthique de l'homme, dans le sens ou àdéfaut d'une intervention active sur le contenu génétique des embryons, un tri génétiqueest quand même effectué. Le souhait prométhéen de pouvoir défier la nature a commecorollaire une prise de contrôle de l’homme sur lui même. Mais cette prise de contrôle aeu pour conséquence une remise en question de la compréhension éthique que l'hommepouvait avoir de lui et de sa vie, exprimée par Hans Jonas. Ainsi que le philosophe RonaldDworkin l'a écrit, « Nous différencions ce que la nature, l'évolution y compris, a créé […] dece que nous entreprenons dans ce monde, équipés de gènes. Cette distinction revient, entout cas, à tracer une frontière entre ce que nous sommes et la manière dont nous nousgérons, pour notre propre compte personnel, cet héritage. Cette frontière décisive entrehasard et libre choix constitue la colonne vertébrale de notre morale »71.

Ce déplacement de la frontière entre hasard et libre choix est justement effectué lorsd'un diagnostic préimplantatoire : l'enfant obtenu aura eu une vérification de son patrimoinegénétique. Cette lecture préalable, telle un contrôle de qualité, pose inéluctablement laquestion de l'instrumentalisation de la vie humaine. Cette pratique permettant dans sesextrêmes un choix narcissique des qualités de l'enfant à venir choque profondémentl'opinion, faisant ainsi resurgir le risque d'un eugénisme d'un nouveau genre. On y retrouveen effet l'idée de sélection génétique, de tri génétique, et d'effacement systématique desindividus défaillants. On se propose donc ici d'étudier les principaux enjeux de la questionde l'eugénisme, afin d'en dégager les principaux traits et les limites.

3. Présentation du risque eugénique potentiel lié au DiagnosticPréimplantatoire

Il s'agit de prendre comme point de départ de notre pensée notre morale et notrecompréhension éthique de l'homme. Notre vision de la vie humaine antépersonnelle etnotre rapport à cette dernière servent de base à la morale de notre société (concernantle diagnostic préimplantatoire). Elle pose un cadre à nos actions et notre conceptionéthique de l'espèce humaine. C'est cette morale qu'il convient de conserver ; elle peutévoluer, mais ses évolutions se feront lentement, et seraient dessinées par le dialogueentre les sujets de droit que nous sommes. Car le risque de ces techniques est bien defavoriser l'installation insidieuse d'un certain « eugénisme libéral » tel que le qualifie JürgenHabermas. Afin d'apprécier les probabilités de survenance d'un tel événement, il convientd'abord de présenter ce qu'est l'eugénisme en soi : quelles formes prend-il, comment peut-ils'installer... Nous pourrons ensuite appliquer cette présentation au cas concret du diagnostic

71 R. Dworkin, « Playing God, Genes, Clones and Luck », dans Sovereign Virtue, Cambridge, 2000, cité par Jurgen Habermasdans son ouvrage L'eugénisme libéral, p. 48

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préimplantatoire qui est l'objet de ce mémoire, en abordant la possible instrumentalisationde l'embryon et de l'enfant. Nous présenterons enfin certaines lignes de conduites, desrepères dégagés par Jürgen Habermas dans le cadre de l'encadrement de cette technique,tout en restant assez évasif afin englober la totalité des cas de figure possibles.

a. Approche générale de la question de l'eugénismeL'eugénisme constitue en une action basée sur le patrimoine génétique d'êtres humains(actuels ou à venir) tendant vers un idéal (clairement défini ou non). Il peut être misen place de façon brute ou non par les Etats. Il peut également relever de pratiquesd'individus, particuliers ou en groupe. Le monde (le continent Européen en particulier) estresté choqué par les procédés de sélection utilisés durant la seconde guerre mondiale envue de développer une certaine « hygiène raciale ». Ces pratiques sont depuis largementproscrites par nos systèmes juridiques, en vue d'éviter que des événements aussi obscènesne puissent se reproduire.

Or, nous nous retrouvons aujourd'hui face à un dilemme qui nous semble insolvable :d'un coté, nous souhaitons tous proscrire à jamais les pratiques eugéniques de notrecomportement. D'un autre, les techniques de thérapie génique, d'implantologie et degénétique en général se sont grandement développées. Il nous est aujourd'hui possibled'interpréter le patrimoine génétique d'un embryon (en particulier lorsqu'il est conçu parfécondation in vitro). Les données ainsi collectées sont analysées, et l’on peut connaîtreune partie de l'avenir pathologique potentiel de ce fœtus. En effet, le patrimoine génétiquedes individus peut révéler maintes choses, telles que certaines maladies génétiquesparticulièrement graves, une trisomie, une prédisposition à certains cancers héréditaires...L'idée qu'il n'est pas souhaitable de venir au monde avec un tel fardeau est largementpartagée par la population, et encore plus par les parents concernés par ces handicaps.C'est encore plus vrai lorsque que les personnes responsables de la naissance de l'enfant(personnel médical et parents) étaient au courant de cette affection. Il nous est doncpossible, grâce à la mise en place de diagnostic préimplantatoires, de prévenir la venueau monde de fœtus destinés à une vie courte et chargée de soucis. On retrouve ici l'idéedéveloppée par Dworkin de « frustration » de la vie, selon laquelle on souhaite éviter auxindividus d'avoir à effectuer un investissement humain trop grand dans leur vie pour unmaigre résultat.

Or, on comprendra que cette pratique de tri, fondée à l'origine sur une conceptionde l'évitement de la souffrance, renferme en elle un fort potentiel eugénique. Car unetrès grande majorité de personnes (population et sphère publique) s'accordent à penserqu'il serait une sorte de « honte cosmique » (pour reprendre l'expression dworkinienne)de laisser venir au monde des enfants atteints de pathologies très lourdes, ceci en touteconnaissance de cause. Il s'agit d'une pratique eugénique de type « négative » selonJürgen Habermas, opposée à l'eugénisme « positif »72. Dans le premier cas de figure,notre intervention est justifiée par notre conception éthique de l'homme, reposant sur unemorale plus ou moins consensuelle. Cette technique est mise en place dans une perspectivepréventive, recherchant l'évitement de souffrances. On recherche simplement à ne pas nuireau travers d'une intervention à but thérapeutique. Alors l'eugénisme positif est celui quenous connaissons et que nous avons souhaité bannir à jamais.

Si la recherche d'un allongement de la vie ou d'une amélioration par la science seretrouve dans les pratiques cliniques, on ne peut pas ici parler d'eugénisme. Pour utiliser

72 Jürgen Habermas, L’avenir de la nature humaine, p. 34

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ce type de discours, on doit être en présence d'une intervention sur les individus en vued'améliorer ces derniers (ou la race humaine dans son ensemble). Cette intervention peutêtre une modification génétique, ou un tri (ici un tri embryonnaire). Ici il n'est pas questiond'évitement, mais de la recherche d'amélioration. Ainsi que Jürgen Habermas nous l’afait si justement remarquer, la frontière entre ces deux notions est ténue et fluctuante73.L'enjeu principal serait donc d'établir clairement cette limite afin de départager l'eugénismenégatif de l'eugénisme positif. C'est ainsi que « l'eugénisme libéral » serait justifié : legouvernement n'aurait pas à s'introduire dans cette sphère de la vie des individus (uneconception qui est d'ailleurs en partie partagée par R. Dworkin). Et dans cette perspectivece serait aux individus de définir leurs préférences et leurs actions sur le marché. Ils seraientdonc libres de choisir d'effectuer une intervention sur les caractéristiques génétiques deleurs embryons, ou de ne sélectionner que les plus « prometteurs » dans une perspectiveméliorative.

Il incombe donc aux membres de la société, à savoir la société civile et les membres del'administration politique et scientifique, de déterminer cette fameuse ligne de démarcation,encadrant l'eugénisme afin de le rendre acceptable. Car plusieurs risques sont présents lorsde l'utilisation d'une telle technique. Sous couvert d'intervention thérapeutique (eugénismenégatif), la société devra en fait légitimer un comportement, un choix. Ce choix auraplusieurs conséquences possibles, à commencer par le risque d'une généralisation et d'unebanalisation de ces dernières. Si les conditions d'application du diagnostic préimplantatoiresne sont pas suffisamment restrictives et exceptionnelles, certains redoutent que ce dernierne puisse être généralisé. Il s'agirait alors d'un « ''examen d'entrée dans la vie'', […] ouencore un ''investissement'' en vue d'obtenir un bon produit fini en accord avec les souhaitsdes futurs parents et avec les normes sociales »74.

Mais au delà de la généralisation de la mise en place du diagnostic préimplantatoire,c'est plus la définition de la limite entre la thérapie et l'amélioration qui pose problème. Ellereflètera un parti pris normatif de la part d'une société, reconnaissant certaines pathologiescomme trop lourdes à supporter. Cette théorie de l'évitement peut être renversée et êtreinterprétée comme « la notion implicite de ''vie indigne de vivre'' »75. Ainsi, ce jugementrenverrait une vision négative de certaines maladies, déjà lourdes à supporter, pouvantfinalement devenir un réel témoignage de rejet de la part de la société envers les personnesqui en sont atteintes.

Par analogie à la typologie développée par Habermas de l'eugénisme positif/négatif,on développera ici la notion d'eugénisme actif/passif. L'eugénisme actif correspondrait à lasituation dans laquelle un acteur participe de façon active à des procédés eugéniques, oumet en œuvre des idéologies eugénistes. Les acteurs pourraient ici être des individus ou desinstitutions. Dans le cadre d'un eugénisme passif, il s'agirait d'une personne ou institutionlaissant faire ou autorisant des pratiques eugéniques. Une éthique de l'homme guiderasurement ses décisions, mais l'individu ne participera pas activement à l'action effectuée.Ce cas de figure concernera le plus souvent des institutions, mais pas de manière exclusive(le personnel hospitalier pourra être concerné). Ainsi que Marie-Angèle Hermitte l'écrit : « cemodèle de contrôle de la qualité et de la quantité des naissances est, en fait, aujourd'hui lemodèle dominant, quoiqu'il se donne sous des formes renouvelées ou l'Etat n'impose pas,

73 ibid., pp. 34-3574 Marie Gaille reprenant les arguments de D. Le Breton dans « ''perfection'' et ''normalité'', les enjeux d'une philosophie des

normes de la procréation », Alliage, n°67, Octobre 2010, pp. 66-7975 Ibid.

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mais organise et propose sans brutalité »76 Bien sûr, il ne peut y avoir d'eugénisme passifsans eugénisme actif, la passivité des uns étant expliquée par l'action des autres.

Ce paradigme de l'eugénisme actif/passif venant compléter l'eugénisme négatif/positifde Jürgen Habermas prend tout son sens avec l'observation des politiques des Etats. Ona pu relever par le passé la mise en œuvre de politiques eugéniques visant à « purifier »la race humaine, recherchant à développer d'hygiène de l'espèce. Les Etats mettaient euxmême en place ces programmes. Certes, la population civile apportait son concours à detelles pratiques (toutes proportions gardées dans le taux de participation et d'adhésion dela population, qui n'est pas ici la question). Mais de telles pratiques étaient mises en placesactivement par l'Etat, et ne sont plus envisageables. Citant N. Agar, Jürgen Habermasnous explique ainsi que nous sommes en passe d'assister à l'avènement d'une nouvelleversion de l'eugénisme : « les eugénistes autoritaires supprimaient les libertés ordinaires deprocréation. Les libéraux, au contraire, proposent d'étendre radicalement ces libertés »77.On oppose donc ici l'eugénisme libéral à l'eugénisme autoritaire. Dans un régime autoritaire,on assistera à un eugénisme actif de l'Etat. Dans un régime ultra-libéral, le rôle de l'Etatsera bien sûr passif, les individus étant libres de tout choix et de leurs actions. L'Etat ne metplus en œuvre, il laisse les personnes libres de faire leur choix, ouvrant ainsi la porte à uneugénisme libéral tourné vers la performance (car ce qui sera recherché sera fatalementune amélioration). Dans des régimes intermédiaires, l'Etat pourra difficilement avoir un rôleactif de nos jours. Il n'a plus de rôle actif, mais un rôle passif de légitimation de l'action decertaines personnes par un système d'autorisation (adossé à une morale). Un eugénismepassif passe donc essentiellement par un système d'autorisation (plus ou moins poussédans les libertés accordées aux individus) détachées de l'action eugénique en soi.

Dans notre cas d'espèce, à savoir le diagnostic préimplantatoire, le choix de réaliser untest génétique sur leurs embryons selon des critères définis est laissé aux parents. On peutpenser que la définition de ces critères de tri procède déjà en soi d'un eugénisme passif. Eneffet, à défaut de forcer les parents à effectuer ces diagnostics (de manière active), le choixleur est laissé. Mais la définition des critères encadrant cette pratique relève d'un accordtacite de la société qui est arrêté par les pouvoirs publics. La société choisit d'endosser laresponsabilité de cette définition, déresponsabilisant les parents par voie de conséquence.Car si ils choisissent de ne pas procéder à un tel diagnostic en connaissant les risquesqu'ils ont de transmettre des maladies graves à un enfant, ils en seront responsables.En revanche, si ils procèdent à ce diagnostic, c'est la société qui aura effectué le choixd’autoriser ce tri en amont, eux n'auront fait qu'agir dans l'intérêt de leur progéniture. Lasociété endossera alors les possibles critiques sur ces pratiques si il en est.

L'eugénisme passif n'est pas intrinsèquement et fatalement mauvais, malgré ce quele nom de ce concept peur laisser penser. Il est même nécessaire à la société, dans unecertaine mesure, pour la poursuite du diagnostic préimplantatoire. Il s'agit d'une positionmédiane, prise entre un « eugénisme libéral » qui serait moralement déplorable pournotre société, et une interdiction formelle d'utilisation du diagnostic préimplantatoire, cequi serait également dommageable. Il ne s'agit pas d'une définition de la « normalité »,mais plutôt d'un seuil de tolérance à la souffrance et à un fardeau quotidien qu'une sociétéessaie de déterminer. Au delà d'un acte narcissique de définition de ce qui devrait être,il s'agit en fait d'une prise de position tout à fait courageuse de ce qu'on autorise à nepas être. C'est une résolution nécessaire pour les sociétés voulant mettre en pratique

76 M.-A. Hermitte, « De l'avortement aux procréations artificielles, la toute puissance du projet parental », dans Natures SciencesSociétés, 2007/3, vol. 15 p. 275

77 Jurgen Habermas L’avenir de la nature humaine, p. 76

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le diagnostic préimplantatoire. Certains auteurs, tels que G. Canguilhem et P. Ancet78,rappellent l'importance de la prise en compte de l'environnement pour pouvoir avoir unevision globale des pathologies. L'impact de ces dernières sur la vie d'un individu n'est pasmesurable si on le comprend de façon abstraite : les hommes étant avant tout des êtresappartenant à une société, leur environnement est primordial dans la compréhension despathologies. Plusieurs problèmes se posent alors. Tout d'abord, la société aura le plusgrand mal à se doter d'une ligne de conduite, aussi fluctuante soit-elle, si l'impact despathologies sur les hommes dépend grandement de leur entourage. En effet, si la sociétéveut respecter ce critère, elle devra mettre en place un système d'appréciation au cas parcas, qui sera donc discutable (car il ne rendra pas les mêmes décisions en fonction desspécificités de l'environnement de chacun). Ce type de système pourrait sembler rompre,du moins en partie, avec le principe d'égalité devant la loi. Ou alors, la société choisir detrancher la question en considérant l'environnement comme une émanation d’elle-même. Ens'interrogeant sur elle-même, elle pourra ainsi dresser un cadre juridique pour l'appréciationdes pathologies qui sera le même pour tous. Mais ce cadre souffrira sûrement d'une tropgrande rigidité, car à l'intérieur d'une société différents environnements cohabitent (citonsici par exemple la composante sociale, familiale, religieuse, l'éducation...). En outre, lasociété aura le plus grand mal à rendre des décisions neutres afin de se doter d'uneligne de démarcation. En effet, comme nous l'avons expliqué auparavant, la décision despouvoirs publics d'autoriser le diagnostic préimplantatoire pour la recherche d'un certaincaractère renverra nécessairement un message négatif aux porteurs de ce caractère.Certains handicaps pouvant être lourds à porter, les individus ont parfois des difficultés à sesentir intégrer dans leur milieu. Si la société décide que leur handicap est tellement lourdqu'une vie telle que la leur ne mérite pas d'être vécue, alors les personnes concernéespourront se sentir rejetées. Ce message sera tout sauf un pas en avant en vue de leurintégration. C'est ainsi que selon Jürgen Habermas certains dénonceront comme ici « leseffets secondaires discriminants […] que ne peut pas manquer d'engendrer une appréciationaussi restrictive de cette modalité de la vie humaine qu'on appelle le handicap »79.

Selon cet auteur, lorsqu'il sera possible de faire suivre un DPI d'une thérapie géniqueappropriée à l'éradication de toute affection, alors le problème sera simplifié. La mise enbalance d'un handicap et du « rejet » d'un embryon ne sera plus nécessaire, et selon lui« le seuil ouvrant sur l'eugénisme négatif sera alors franchi »80. Deux remarques suivrontcette thèse. Tout d'abord, l'eugénisme dans sa définition la plus pure ne se borne pas àune intervention sur les gènes (comme l'entend Habermas), il correspond également àdes idéologies, des recherches et des pratiques. Le Rubicon sera franchi à l'instant oul'Etat autorisera la médecine à « trier » les embryons grâce au diagnostic préimplantatoire.On pourra dès lors parler d'un eugénisme négatif-passif-étatisé. Ensuite, tout problème nedisparaîtra pas avec une évolution des thérapies géniques, au contraire. Il y a fort à croireque de tels procédés ne seront pas à la portée de tous, du moins les premiers temps. Donc,en plus de ne pas travailler à l'intégration des personnes handicapées au sein de la société,ces thérapies seront également un facteur d'inégalité au sein de la population. C'est unequestion qu'il conviendra donc de traiter proprement lorsque les conditions technologiquesseront réunies.

78 P. Ancet, « la santé dans la différence », philosophia Scientiae, Paris, Kimé, 2008, 12, 2, pp. 35-50, repris par Marie Gailledans son article précité.

79 Jürgen Habermas, L’avenir de la nature humaine, p. 10580 Ibid.

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b. Risques liés à l'instrumentalisation de l'embryon, de l’enfant et del’homme à travers le diagnostic préimplantatoireLe diagnostic préimplantatoire concerne en premier lieu des parents désireux d'avoir unenfant. Cette technique permettant de diagnostiquer des maladies génétiques touchant cesembryons, les parents pourront choisir les embryons venant au monde. Les critères desélection pourraient être laissés à la discrétion des parents dans l'absolu. Dans ce cas defigure, e risque d'une instrumentalisation de l'enfant à venir serait alors très grand. Il renvoieà une relation asymétrique entre les parents et l'enfant. Le parent « programmeur » aura puvenir au monde naturellement, si des procédés eugéniques sont mis en œuvre, cette chancen'aura pas été laissée à l'enfant. Jonas s'alarmait de ce risque selon ces termes « le reversdu pouvoir d'aujourd'hui, c'est la servitude ultérieure des vivants par rapport aux morts »81.Afin de pouvoir vérifier cette déclaration, il convient d'étudier dans un premier temps le rôlede la famille et de l'éducation dans la probable instrumentalisation de l'homme. Suite à cetteétude, nous pourrons dégager une solution possible à ce problème : le « pouvoir être soimême »82.

Les défenseurs de l'eugénisme libéral défendent la liberté des individus avant tout.Selon eux, on ne saurait limiter le pouvoir eugénique des parents, car il y aurait unesorte d'équivalence morale entre l'éducation et l'eugénisme, déterminants tout deux de laconstruction du soi de l'enfant. Selon certains83, nous laissons actuellement une grandeliberté aux parents dans l'éducation de leurs enfants. Or cette éducation conduit etinfluence une partie de la vie de l'enfant. Les parents peuvent en effet donner certainsmédicaments à leurs enfants tel que des hormones de croissance, ou leur dispenser uneéducation renforcée dès le plus jeune âge pour stimuler leur intellect, ou plus généralementles éduquer d'une telle manière qu'elle dessinera leurs capacités. Selon les eugénisteslibéraux, une interdiction de manipulation ou sélection génétique en vue de favoriser ledéveloppement de ces traits chez leurs enfants serait alors tout à fait injustifiée.

Or, les libertés eugéniques des parents peuvent entraver l'exercice de la libertééthique de l'enfant. Cette entrave justifierait une restriction des libertés eugéniques desparents. Les eugénistes libéraux répondront à cet argument que les propriétés génétiquesdes individus ne sont pas les seuls déterminants de leur vie. Elles seront mises eninteraction avec l'environnement de l'individu génétiquement modifié. Si la génétique etl'environnement ont une importance comparable, alors les deux types d'interventionsdevraient être approchées de façon comparable. Ce à quoi Jurgen Habermas réplique« l'argument ne tient qu'au prix d'un parallèle douteux reposant sur l'aplanissement desdifférences entre ce qui croit naturellement et ce qui est fabriqué »84. On peut égalementretrouver les traces d’une conception dualiste similaire lorsque les individus déclarent queles influences génotypiques et environnementales sont comparables chez l'homme. Eneffet, l'environnement constituant l'extérieur, le génotype serait une sorte d'environnementintérieur. Cet argument visant à légitimer des interventions génétiques de la part des parentsest donc relativement faible, comme J. Habermas l’a expliqué.

Ce type d'intervention génétique sur des êtres à venir aurait des conséquencesinsoupçonnées. Tout d'abord, il viendrait bouleverser l'équilibre intergénérationnel que

81 Hans Jonas, repris par Jürgen Habermas dans L’avenir de la nature humaine, p. 7582 Ibid.

83 J. Robertson repris par Jürgen Habermas, ibid.84 ibid., p. 78

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nous connaissons actuellement. Nous risquons en effet de nous retrouver face à un lienintergénérationnel vertical à sens unique, où l'enfant est seulement le produit/objet desparents. Certains auteurs relativement critiques tels que L. Boltanski (repris plus tard parM.-A. Hermitte) pensent qu'il est inévitable que l'enfant soit perçu comme un instrument,du moins en partie. Cette instrumentalisation devient actuelle dans le sens ou ce queles parents supportent et souhaitent au dessus de tout ce ne serait pas l'enfant qu'ilsobtiendraient, mais plutôt un « projet parental »85. Grâce à la technique du diagnosticpréimplantatoire et de l'avortement, cet auteur annonce l'avènement de la « toute-puissancedu projet parental » : « la personne rêvée est la seule substance qui a droit au corps rêvé,puisque celui-ci est construit par la technique, toujours substituable : les corps physiquesdes embryons ne sont que des brouillons et l'on peut recommencer jusqu'à obtenir le boncorps pour ce projet d'enfant qui, lui, reste unique »86. Compris dans ce sens, le fait mêmeque les parents aient un jour obtenu le choix d'avoir un enfant sain a modifié le paradigme del'enfantement. Suivant le raisonnement développé ici, l'embryon (étudié lors d'un DPI puisimplanté dans l'utérus de la mère porteuse) ne serait rien d'autre qu'un moyen d'arriver à laréalisation de leur projet parental. La limitation du terme de « projet » sera problématique :quand s'arrête-t-il de devenir projet pour passer à l'appréciation de l'enfant tel qu'il estréellement ? Nous pouvons ainsi nous poser la question suivante : le projet parental est-ilréalisé avec la venue au monde de l'enfant désiré ? Tout laisse à penser que ce ne serapas le cas : un nouveau-né permettra difficilement aux parents d'apprécier les qualités del'être humain venu au monde. Ainsi, la notion de « projet parental » reste floue quand auxcontours de celui-ci : ne concerne-t-il que les qualités physiques et génotypiques de l'enfant,ou aussi sa personnalité ?

Nous remarquerons ensuite qu'une intervention génétique sur l'embryon (modificationou tri) pourra avoir des conséquences sur l'organisation de notre société. Tout d'abord, nousverrons apparaître une dualité entre les êtres nés « naturellement » et ceux nés suite à uneintervention génétique. On peut déjà relever les traces d'une telle distinction lorsque l'onutilise le terme de « bébé-éprouvette », comme nous l'avons présenté plus tot. Bien que cettedénomination ne soit pas totalement infamante, elle implique nécessairement une distinctionentre les enfants nés naturellement et ceux qui ont été conçus avec une aide médicale à laprocréation. Ceci s'avère évident dans le cas d'une manipulation génétique : les individusen ayant bénéficié (ou en ayant été l'objet, selon le cas de figure) seront nécessairementdifférents de ceux dont le patrimoine génétique est dû au hasard. Nous rejoignons ici laconception aristotélicienne présentée précédemment entre ce qui relève de la nature etce qui relève de la construction. Une telle distinction s'appliquera aux membres la société,dont tous les membres ne pourront avoir été « fabriqués ». Selon Jurgen Habermas, cetype d'intervention eugénique modifiera l'équilibre intergénérationnel que nous connaissonsactuellement, qui est relativement « naturel »87. Ce genre de catégorisation des individuspeut également être décelée dans le diagnostic préimplantatoire : un parent sera nénaturellement, et pourra être porteur d'un allèle défectueux par exemple, ou d'une faiblessequelconque. L'enfant né suite à un diagnostic préimplantatoire, qui ne sera alors pas porteurde la maladie parentale, ou sera plus fort, plus grand, plus doué intellectuellement queses parents, sera finalement différent. Car ses qualités ne lui auront pas été accordéesnaturellement, elles auront été triées par son « programmeur », du moins en partie. Leurexpression n'est pas certaine, mais le potentiel, lui, sera là. Pour éviter une telle situation

85 M.-A. Hermitte, article précité, p. 27786 ibid.87 Jurgen Habermas, L’avenir de la nature humaine , p. 10

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dans la pratique du diagnostic préimplantatoire, on peut penser qu'il conviendrait de limiterson application à la recherche de maladies particulièrement handicapantes. Il s'agit icid'un eugénisme négatif ultra-restrictif, qui n'aurait pas pour but l'amélioration, mais quiserait seulement une recherche clinicienne d'évitement de pathologie. La définition de cespathologies sera donc problématique, mais comme nous avons pu le présenter auparavantelle sera nécessaire.

Beaucoup de critiques ont été formulées à l'encontre des choix que les sociétés peuventeffectuer. Ils peuvent être interprétés comme établissant des normes au sein d'une société.Il s'agit d'un risque directement lié à l'établissement de critères d'encadrement du DPI.

Si aucun critère n'est établi, alors nous nous retrouverons confrontés à un eugénismelibéral, dans lequel les parents pourront choisir les enfants selon des caractéristiquesgénétiques qu'ils auront sélectionnées. Cette situation n'est absolument pas souhaitable,d'une part parce qu'elle serait nécessairement eugénique, et d'autre part, parce qu'ellene serait aucunement pas constructive pour la société. En effet, le choix logique (dansle cadre d'un eugénisme libéral) serait de sélectionner les embryons les plus « dotés »génétiquement, ayant les meilleures qualités. Certains auteurs assurent que les parentsseraient en quelque sorte contraints par la société à poursuivre une telle recherche, aurisque d'être vus comme de mauvais parents. C'est par exemple le cas de J. Savulescu, quidéfend l'idée d'un devoir moral des futurs parents à utiliser les possibilités qui se présententà eux en matière de génétique pour améliorer leur enfant. Nous aurions finalement unesociété poussée par elle même vers la recherche de la performance, mettant les individus encompétition. Certaines de nos valeurs, de nos comportements, de nos idées disparaitraientalors. Il en serait ainsi de l’idée de compassion, d’intégration de la différence, de lavulnérabilité… L’être humai ne serait plus une fin en soi, mais une chose fabriquée pard’autres dans le but d’être performant. Comme nous l’avons présenté avant, le respect quenous avons pour l’embryon tient en partie à sa vulnérabilité et à sa potentialité humaine. Oncomprendra alors que si de telles pratiques eugéniques étaient possible, l’embryon seraittotalement réifié, et l’être humain suivrait surement ce chemin de l’auto-réification.

Si au contraire la société choisit de fixer des normes clairement définies, ayant pourbut l'évitement d'un lourd handicap ou d'une maladie déterminée, d'autres problèmessurviendrons. Comme nous l'avons présenté précédemment, on pourra penser que le choixeffectué sera stigmatisant pour les personnes atteintes par ces maladies, ou porteusesde ces gènes jugés « défectueux ». Selon J. Milliez, de tels choix politiques peuvent enapparence seulement sembler tenter de lutter contre des handicaps déterminés. Dans lecas où une « anomalie » génétique serait repérée, le fait qu'elle soit présente dans la liste« d'anomalies indésirables » établie par la société constituera un encouragement impliciteà l'interruption de grossesse ou à la destruction de l'embryon au caryotype défectueux.Selon cet auteur, on passera ainsi très facilement « d'un eugénisme médical, librementconsenti, compassionnel, individuellement bénéfique, accepté seulement dans l'intentiond'éviter des souffrances personnelles » à un « eugénisme sous contrainte économiqueet de conformisme social »88. Selon cet auteur, l'établissement de normes de manièrenégative de la part de l'Etat (interdisant le diagnostic préimplantatoire ou le diagnosticprénatal sauf pour certains cas de figure) serait interprété comme une norme simple par lasociété, qui la transposerait en une norme sociale. Cet argument est notamment avancépar des groupes de personnes sourdes. Ils considèrent former une communauté, et voientdans l’amélioration du diagnostic préimplantatoire une menace pour leur communauté, qui

88 J. Milliez, « approches introductives », dans Missions Handicaps – Espace éthique, L'annonce anténatale et postnatale duhandicap, un engagement partagé, Rueil Malmaison, Doin éditeurs, 2001, p. 11, repris par Marie Gaille dans son article précité

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serait alors « exterminée par la majorité parlante »89. Cette position rejoint alors l'attituderéifiante des parents présentée précédemment, qui recherchent plus la réalisation de leurprojet parental qu'un enfant en soi. Ce projet parental serait déterminé en grande partiepar un conformisme social et économique. Cet argument est discutable, car la naturemême des diagnostics prénataux et préimplantatoires les rend contraignant, douloureux(physiquement et moralement) et longs. Il est avéré en outre que tout diagnostic d'unemalformation ne débouche pas obligatoirement sur une intervention de grossesse. Enrevanche, on ne peut pas discuter le fait que le choix de la société ou de l'Etat représenteraune prise de position, mais comme nous avons pu le discuter plus tôt elle sera perçuede manière différente par chacun. Il ne s'agit pas de la mise en place d'une normesociale telle qu’on peut l’entendre, simplement d’un choix normatif répondant à la nécessitéde poursuivre la pratique du diagnostic préimplantatoire (qui est une demande de lasociété). Les valeurs de la société en question pourraient être impactées par cette décision(acceptation de ce qui était prohibé avant), mais n’en seraient pas totalement modifiées.

L’instrumentalisation de l’être humain aurait aussi, à n’en pas douter, des conséquencessur l’organisation même d’une société. Selon Jurgen Habermas, une instrumentalisation« pourrait faire naître un épais faisceau d’action intergénérationnel dont la verticalité à sensunique viendrait empiéter sur le réseau des interactions entre contemporains »90. Cetteanalyse rejoint ce qui a été présenté précédemment. En effet, nous avons pu démontrerqu’une instrumentalisation des enfants et des embryons risque d’engendrer des troublesdans la société, établissant une catégorisation des individus au moins inconsciente, sinonexpressément établie. Le réel enjeu sous-jacent à cette problématique relationnelle est enfait le « pouvoir être soi même », une notion qui a été développée par Jürgen Habermas91.

Selon certains92, il est normal que les parents nourrissent des fantasmes quant à l’avenirde leurs enfants. Ce souhait apparaît plus ou moins clairement aux enfants lorsqu’ils sedéveloppent. Mais le risque serait grand si ces enfants étaient confrontés directement aumodèle préfabriqué que leurs parents ont voulu qu’ils épousent. Leur rapport à leur êtremoral et physique s’en trouverait troublé, ne sachant ce qu’ils sont et ce qu’ils doivent être.La compréhension de soi comme un être fabriqué aux caractéristiques prédéterminéesserait donc prédominante. La conscience d’avoir un corps vivant naturel en serait aliénée.La distinction entre ce qui est naturel et ce qui est fabriqué interviendrait donc jusque dansla compréhension que la personne a d’elle même. Jurgen Habermas résume cette positiondans ces termes : « La programmation de nos caractères héréditaires, projetée dans lepassé pour déterminer notre avenir, dès lors que nous nous la représentons au présent,exige de nous, pour ainsi dire, existentiellement que nous subordonnions comme une réalitéultérieure, notre être-corps-vivant à notre avoir-un-corps »93.

Il propose ensuite une vive critique de ce point de vue. Selon lui, le fait de savoir qu’unindividu a été programmé (ou, dans une moindre mesure, que ses caractères ont été choisisau lieu d’être « écrits ») ne provoque pas nécessairement chez lui une aliénation immédiatede sa conception de lui même. Selon lui, il s’agit de déterminer les limites morales d’une

89 Löwy Ilana, « procréation assistée : contrôle ou désordre ? (commentaire) », dans Sciences sociales et santé, volume 23,n°3, 2005, p. 32

90 Jürgen Habermas, L’avenir de la nature humaine, vers un eugénisme libéral ?, p. 10991 ibid., pp. 82 - 8892 Andreas Kuhlmann, repris par Jurgen Habermas dans l’ouvrage précité93 ibid., p. 83

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instrumentalisation afin de percevoir à partir de quel mesure elle remettrait en cause le« pouvoir être soi même » des individus. L’individu s’affirmant par rapport aux autre parle langage, son intégrité dépendrait donc de son rapport aux autres et de la considérationqu’il a pour eux. Repartant donc d’une analyse kantienne préconisant de ne pas traiterl’homme comme un moyen mais comme une fin en soir, Habermas nous démontre que lepouvoir être soi n’est pas remis en question tant que la personne pourra se sentir concernéepar le « tu » qui lui sera adressé, en répondant d’un « je » affirmé. Selon lui, « la limitemoralement adéquate de l’instrumentalisation est tracée par ce qui, au regard de la secondepersonne, se soustrait à toutes les avancées de la première personne aussi longtempsque, par nécessité, la relation communicationnelle, et donc la possibilité de répondre et deprendre position, demeure tant soit peu intacte »94. Donc une personne doit être capable des’exprimer au monde en son nom propre, de prendre et de défendre ses propres positionset convictions afin de pouvoir exister réellement, condition du pouvoir être soi même.

Mais il ne s’agit là qu’une première étape de l’expression de sa personne. Si l’individudoit être capable de s’exprimer en son nom propre, Jurgen Habermas nous explique qu’ildoit également respecter l’impératif kantien que nous connaissons bien. L’homme ne doitpas être vu comme un moyen, mais comme une fin en soi. Lorsqu’il agit, l’homme doitdonc délaisser la première personne du singulier pour adopter la première personne dupluriel. C’est seulement ainsi qu’il pourra s’affirmer et, en même temps, se plier de manièrecertaine à l’interdiction d’instrumentalisation de l’individu. Selon Jurgen Habermas, c’estseulement par ce procédé qu’on arrivera à « parvenir en commun à des orientationsuniversalisables »95. Ces orientations universalisables seraient dégagées à travers unecompréhension de soi et de ses actions passant par le prisme du « nous », permettant deles rendre universalisable. De cette manière, la perspective du « nous » depuis laquellel’individu se placera permettra de représenter une société incluant tous les individus dansleur singularité propre. Ce procédé justifie ainsi ce qui a été présenté précédemment, àsavoir la nécessité d’un dialogue entre les individus de la société concernée en cas dedissensus.

L’analyse de Jurgen Habermas est donc doublement cloisonnée, visant à unifierl’individualisation et l’universalisation dans une seule éthique. D’un côté, il propose unesolution pour déterminer dans quelle mesure l’instrumentalisation de l’être humain devientinacceptable. Il ne juge pas ici que l’homme peut être réifié dans certaines situations. Onpourrait penser qu’il rejoint simplement l’idée développée par Ronald Dworkin dans sonouvrage Life’s Dominion, affirmant que les individus étaient valorisés de manière différentes.Certaines valorisations pouvaient laisser penser à une relative réification de la personneconcernée par d’autres, qui ne la percevaient par exemple qu’au travers sa fonction dansla société. D’un autre coté, Jurgen Habermas nous propose un plan d’action afin d’évitertoute instrumentalisation de l’être humain par nos actions, en se basant à nouveau sur laphilosophie kantienne. Il synthétise alors son système sous la formule suivante : « les deuxformulations expriment la même intuition sous des angles différents. D’un coté, il s’agit dela qualité attachée à la personne qui fait qu’elle est « une fin en soi » et qu’elle est donccensée mener, en tant qu’individu, une vie qui lui soit propre et dans laquelle nul ne puissela remplacer ; de l’autre, l’égal respect dû à chacun, et que toute personne est en droitd’attendre sans condition du simple fait d’être une personne »96.

94 ibid., p. 8595 ibid., p. 8796 ibid., p. 87

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Partie 2 : Evaluation de la réponse française aux risques majeurs liés au diagnosticpréimplantatoire

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Partie 2 : Evaluation de la réponsefrançaise aux risques majeurs liés audiagnostic préimplantatoire

Nous avons pu constater que les enjeux concernant la pratique du diagnosticpréimplantatoire sont multiples, et d’une importance capitale. Chaque pays a choisi derépondre à ces problématiques en mettant en jeu des moyens qui lui sont propres. Nousavons néanmoins pu apprécier précédemment qu’il est possible de retrouver certainesconstantes dans les approches bioéthiques nationales. Elles correspondent en grandepartie aux systèmes juridiques nationaux, mais ce n’est pas le seul critère retenu. En effet, ilest possible pour deux pays d’avoir un système similaire et pourtant de présenter de grandesdifférences.

Il existe également des systèmes dans lesquels il y a de grandes différences régionalesen matière de règlementation en bioéthique. C’est par exemple le cas des Etats-Unis. Nousnous proposons ici d’étudier la réponse qu’a pu apporter la France aux enjeux que nousavons pu dégager dans la première partie. Ayant pu identifier un certain nombre de difficultéset de travers possibles, nous allons pouvoir nous rendre compte de la situation actuelledans notre pays.

Cette appréciation sera effectuée en deux temps. Nous allons tout d’abord nousrendre compte des accomplissements effectués dans ce domaine, en présentant lescaractéristiques de notre encadrement normatif. Nous pourrons constater qu’il est évolutif etporteur de valeurs, et n’est pas constitué de simples règles sans signification. Nous seronsalors en mesure d’étudier la réponse qu’a donnée la France au risque eugénique présentdans la pratique du diagnostic préimplantatoire.

Une fois cette présentation effectuée, nous nous pencherons sur les lacunes queprésente le système français. Nous pourrons constater qu’elles sont d’ordre pratique, maisaussi d’ordre éthique.

Etant entendu qu’une critique pure et simple de la situation ne serait aucunementconstructive, nous tacherons de proposer des pistes de réflexion, et dégager les enjeuxprécis de certains blocages (par humilité, nous éviterons de présenter ces remarquescomme des solutions, mais plutôt comme des alternatives).

Tel que nous l’avons présenté, nous allons tout d’abord apprécier les accomplissementsfrançais dans le domaine de l’encadrement normatif de la pratique du diagnosticpréimplantatoire. Nous nous attacherons tout d’abord à présenter le système choisi, pourensuite en tirer les principaux traits. Nous pourrons donc constater que ces dernierssont porteurs de valeurs. Une fois le système législatif français dument présenté, nousserons donc en mesure de comprendre quelle est la réponse française face au risqued’instrumentalisation de l’être humain, et comment elle se protège contre l’eugénisme.

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Le diagnostic préimplantatoire : la réponse française

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I. les accomplissements français : une législationévolutive porteuse de valeurs permettant de luttercontre l'eugénisme

1. Une législation évolutive porteuse de valeurs

a. Etat des lieux : le système français encadrant la pratique du DPILa France a choisi la voie législative pour répondre aux enjeux présentés par le diagnosticpréimplantatoire. Il s’agit d’une réponse typique d’un pays dont le système repose sur undroit civil, comme nous avons pu le présenter précédemment. Le diagnostic préimplantatoireest autorisé par la loi n°94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des élémentset produits du corps humain, à l’assistance médicale, à la procréation et au diagnosticprénatal. L’article de cette loi concernant particulièrement est l’article 14, codifié à l’articleL. 2131-4 du code de la santé publique. Cet article fixe les modalités d’exercice de cettepratique, qu’il qualifie explicitement d’ « exceptionnelle »: elle doit être effectuée dans undes quatre centres agréés (Paris, Montpellier, Nantes, Strasbourg) et le demandeur ne peutêtre qu’un couple qui « du fait de sa situation familiale a une forte probabilité de donnernaissance à un enfant atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnuecomme incurable au moment du diagnostic »97.

Comme nous l’avons précisé, ce geste doit rester « exceptionnel ». Les deux parentsdoivent donner leur accord par écrit, et une assemblée pluridisciplinaire jugera au cas parcas chaque demande. Notons que la maladie concernée doit être incurable, et que l’on nepeut effectuer de recherche pour cette dernière que lors du diagnostic préimplantatoire.

C’est une illustration d’un des objectifs soulignés par la loi : « le souhait de ne pasbanaliser cette activité compte tenu des risques de dérive eugénique »98. Le législateuravait bien conscience des risques présents lorsqu’il a autorisé la pratique du DiagnosticPréimplantatoire en France. Nous devons néanmoins souligner l’importance du CCNE(Comité Consultatif National de l'Ethique pour les sciences de la vie et de la santé) dansle processus d’encadrement normatif. Il s’agit d’un organe consultatif de réflexion créé en1983 rendant des études régulières sur des sujets bien déterminés. Ses recommandationssont très souvent suivies par le législateur. Il en fut ainsi de ses avis concernant l’extensiondu diagnostic préimplantatoire 99, ou encore de son avis concernant les problèmes éthiquesliés aux diagnostics anténatals100. Le législateur n’est aucunement lié par les avis renduspar le CCNE ; il a par exemple autorisé la pratique du diagnostic préimplantatoire seulementquatre ans après la recommandation contraire du CCNE. Ce dernier a un rôle prépondérantdans les travaux de préparation des actes législatifs. Il veille particulièrement aux risqueseugéniques liés au diagnostic préimplantatoire, qu’il connaît bien et surveille de près.

97 loi n°94-654 du 29 juillet 1994, art . 14 ; codifiée à l’article L2131-4 (alinéa 3) du code de la santé publique98 Loi n°94-654 du 29 juillet 199499 CCNE, avis n°72 du 4 juillet 2002 « réflexions sur l’extension du diagnostic préimplantatoire »100 CCNE, avis 107, Avis sur les problemes ethiques lies aux diagnostics antenatals : le diagnostic prenatal (DPN) et le

diagnostic preimplantatoire (DPI), publié le 15/10/2009

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Partie 2 : Evaluation de la réponse française aux risques majeurs liés au diagnosticpréimplantatoire

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Le système législatif actuellement en place est modifiable et évolutif, afin de mieuxrépondre aux évolutions de la science et de la société. Il était d’ailleurs prévu, dans lecontenu du texte législatif originel des lois dites « bioéthiques » (dont fait partie la loi n°94-654 nous intéressant) une évaluation et une révision des lois tous les cinq ans. LeCCNE était appelé à jouer un rôle clef dans ce système d’évaluation, endossant le rôlede conseiller principal. Il jouit en effet d’une réputation solide, et ses rangs sont composésde personnalités reconnues dans leur milieu (chercheurs, philosophes, scientifiquesspécialistes). Ses attributions ont récemment été modifiées, par la loi °2011-814 du 7 juillet2011 relative à la bioéthique, codifiée à l’article L1412-1-1 du code de la santé publique.Ce texte dispose : « tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questionsde société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie,de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’étatsgénéraux. Ceux-ci sont organisés à l’initiative du Comité Consultatif National d’Ethique pourles sciences de la vie et de la santé ». Ainsi, toute modification substantielle du contenude la loi ainsi que toute avancée significative dans la science de la médecine passeraitobligatoirement par l’organisation d’une discussion autour de ce sujet en France.

Selon Corine Pelluchon, « on peut imaginer un partage des tâches entre la loi-cadre qui fixerait les grands principes et des agences indépendantes qui délivreraient lesautorisations »101. Nous avons pour l’instant pu présenter les lois de bioéthique, qui nesont pas des lois-cadres dans le sens juridique du terme mais qui servent de cadre à lapratique. Il se trouve que le système repose également sur des agences administrativesgérées par l’Agence Nationale de la Biomédecine. Il s’agit des Centres agréés pour lesDPI, que nous avons présenté précédemment, ainsi que des Centres Pluridisciplinaires deDiagnostic PréNatal (CPDPN). Ces derniers sont des « instances hospitalières d’expertisecréées dans des établissements de santé à but non lucratif et agréés par l’Agence de labiomédecine »102. Ils permettent de délivrer des attestations de gravité des pathologiesconcernées, sur lesquels se baseront les centres de DPI pour répondre à la demande dediagnostic des parents. Il s’agit d’une assemblée composée d’experts dans les différentsdomaines entrant en jeu dans la décision d’autoriser ou non la délivrance d’une attestationde gravité et d’incurabilité. On retrouve ainsi des généticiens, des foetopathologistes,des généticiens, des psychologues… Le fait que ces personnes soient rassemblées pourprendre une décision commune assure ainsi plusieurs niveaux de sécurité.

Tout d’abord, des compétences diverses seront sollicitées afin de comprendre au mieuxla situation du couple présentant son dossier de demande. Ensuite, une décision collégialeprise suite à un débat permet d’avoir un regard éclairé sur la question, de pouvoir justifier ladécision rendue et d’être capable d’en détailler les motifs. Enfin, le fait que ces assembléessoient composées d’experts variés permet une approche pluridimensionnelle du problèmequi leur est présenté. Divers enjeux seront ainsi pris en compte, la décision ne revêtira passeulement un caractère médical, mais également social, psychologique…

Car comme nous l’avons expliqué, chaque cas étant unique, chaque décision l’estaussi. Il n’existe pas de liste arrêtée de maladies permettant de mener un diagnosticpréimplantatoire. De manière tacite, les décisions rendues par les CPDPN permettentnéanmoins de dégager certaines affections ouvrant la porte à de telles pratiques. Onretrouve par exemple la mucoviscidose, ou encore la Chorée de Huntington. Il s’agit de

101 Corine Pelluchon, déclaration lors de son audition à l’Assemblée Nationale dans le cadre de la Mission d’Information surla révision des Lois de Bioéthique, enregistré le 20 janvier 2010

102 Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé, avis n° 107 « sur les problèmes éthiques liésaux diagnostics anténatals : le diagnostic prénatal et le diagnostic préimplantatoire ». Avis servant de base aux développements à venir

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maladies particulièrement lourdes, qui affecteront fortement la qualité et la durée de la viedes personnes porteuses des gènes déficients. Mais aucune liste précisant les maladiesjustifiant un diagnostic préimplantatoire n’est établie. En effet, il est certaines maladies quis’exprimeront différemment chez chaque individu. Mais par dessus tout, si une liste desmaladies justifiant un diagnostic préimplantatoire et une interruption médicale de grossesseexistait, elle serait grandement blessante pour les personnes porteuses de ces handicaps.Ce serait un message envoyé par les pouvoirs publics signifiant que leur handicap esttellement lourd qu’il vaut mieux ne pas naître plutôt que de vivre avec une telle affection.Il a donc fallu adapter le système à chaque situation, qui sera étudiée par une assembléecompétente.

Le CCNE a identifié deux critères dont les membres des CPDPN se servent pourbaser leurs décisions : « la gravité est une notion qui comporte une dimension somatiqueet tangible à laquelle les CPDPN sont fondés à accorder une place prépondérante. Lareprésentation personnelle de la gravité par les couples est seconde, sans pour celaêtre secondaire »103. La dimension purement scientifique sera donc prépondérante, maisl’environnement dans lequel évoluent les familles sera aussi pris en compte pour déterminerla gravité de l’affection.

On remarque ici que le système français rejoint en quelque sorte la pensée deG. Canguilhem et P. Ancet que nous avons pu présenter précédemment, soulignantl’importance de l’environnement dans l’appréciation des pathologies. Cette variabilité desdécisions rendues par le CPDPN est nécessaire par l’objet même de son étude : lesmaladies génétiques. Leur expression peut être variable, et donc le degré de gravité del’affection sera différent selon les cas. On peut essayer d’anticiper une certaine gravité dela maladie en étudiant l’histoire familiale des parents proches.

Afin de prendre correctement en compte la composante somatique de la décision, ilconvient de distinguer la souffrance de la personne à venir et la souffrance du couple. Lasouffrance de l’enfant pourra être morale ou physique. Cette distinction est d’importance,car dans le cas d’un enfant atteint d’un handicap mental, la souffrance morale engendréepar sa maladie sera «peut être moindre »104, car l’enfant n’aurait pas totalement consciencede son handicap. Il aura par contre surement plus de gêne qu’un enfant disposant de toutesses capacités mentales car la communication avec son entourage et la perception qu’il aurade son environnement seront plus difficiles. Et cette dernière est capitale, car les conditionsd’accueil de l’enfant handicapé détermineront en partie sa souffrance. Le CCNE, dans sonavis 107, identifie deux types de conditions d’accueil devant être prises en compte par lesCPDPN : « les facteurs contextuel » (relevant de la famille d’accueil, ses convictions, sesressources diverses…) et « l’accueil réservé par la société à l’enfant »105. Il indique que notresociété (française) doit garder à l’esprit l’influence qu’elle peut avoir dans la perception etl’acceptation des handicaps. Le cas contraire traduirait un mouvement de déshumanisationde la société française.

La société influence particulièrement les représentations qu’ont les parents desdifférents handicaps. Selon le CCNE, la pluridisciplinarité des assemblées des CPDPNest garante d’une bonne appréciation de la souffrance des parents lors de la procédure.Les médecins sont alors entourés par des psychologues dans leur prise de décision. Ilspourront alors apprécier correctement l’état d’esprit du couple, qui aura un rôle primordial

103 CCNE, rapport 107 (précité), p. 14104 ibid.105 ibid. p. 16

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dans le développement de l’enfant. Il convient alors d’apprécier leur propension à supporterla responsabilité que peut représenter la venue au monde d’un enfant handicapé. Lerisque principal de ce genre de procédure est la « perte d’objectivité et une confusioncompassionnelle »106 de la part des CPDPN. Il n’est pas possible de placer des garde-fous pour prévenir un tel biais du système. Mais selon le CCNE, ces cas de figure seraientmarginaux. L’inverse se produirait plus souvent (une divergence d’opinion entre les parentset les CPDPN en faveur de la poursuite de la grossesse dans le cas d’un diagnosticprénatal). Il convient donc de prendre en compte l’état d’esprit des couples présentant leurdemande, sans toutefois lui accorder une importance primordiale. La conception qu’ils ontde la maladie peut être modifiée par la suite grâce à un dialogue entre les Comités et lesparents. Ce dialogue, si il ne permet pas de faire changer le regard des parents sur cehandicap, sera en tout cas une précieuse aide pour le CPDPN dans sa prise de décision.

b. Les valeurs contenues dans les normes françaises en matière debioéthiqueL’encadrement normatif français du diagnostic préimplantatoire est porteur de valeurs. Ellessont bien sûr consacrées explicitement par les textes concernés, mais émanent égalementimplicitement de l’esprit même de ces normes. Ainsi que Florence Bellivier l’a démontré,« la neutralité morale de l’Etat dans les questions de bioéthique est un leurre »107. Nouspourrons retrouver ces valeurs dans les pratiques qu’autorise l’Etat français, mais nousverrons ensuite également que ce qu’il n’autorise pas, ou interdit, est également porteurd’un message.

La France a tenu à respecter les principales libertés individuelles, tout en cherchantà les accorder avec d’autres principes qu’elle entend protéger. Ainsi, la justice occupeune place prépondérante dans son système. Le législateur s’est également attaché à allierliberté et responsabilité, dans un système équilibré entre ces deux principes. On retrouveraégalement divers principes, concernant plus spécifiquement l’objet de notre recherche,tels que la non-patrimonialisation du corps humain et sa non-marchandisation. Ensuite,nous pourrons dégager le principe de respect de la dignité humaine. Enfin, nous pourronsquestionner les déclarations de certains sur l’établissement d’une structure familiale-typepar le diagnostic préimplantatoire, qui serait alors empreint d’un certain conservatismesocial.

Nous allons tout d’abord étudier l’intégration du principe d’égalité au systèmed’encadrement normatif, notamment de l’égalité de tous devant la loi, qui doitnécessairement être mise en balance avec le principe de justice.

Comme John Rawls a pu le démontrer dans ses différents écrits (et notamment dans lacélèbre Théorie de la Justice), la justice doit être conjuguée avec un gommage des inégalitésdans la société. On retrouve dans le système français cette idée de justice distributive,offrant à tous la même opportunité de soin. La distribution du bien qu’est la santé suittraditionnellement ce système en France. Le législateur a donc tenu à respecter cet étatd’esprit dans l’encadrement de la pratique de l’accès au diagnostic préimplantatoire. Lacharge financière que représente cet acte est supportée par la société, ce qui revient àparler de presque-gratuité. Ce choix est symboliquement significatif. En effet, il renvoieun message : la société entière, en acceptant de supporter les couts engendrés par lesdifférentes étapes du diagnostic préimplantatoire (réunion des comités, hospitalisations des

106 ibid., p. 18107 Florence Bellivier, « bioéthique, bioéquité, libertés et Etat : à propos de l’éthique minimaliste de R. Ogien », article précité, p. 5

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parents, suivi…), accepte cette pratique dans le cadre qu’elle a défini. C’est un premierpoint important : la légitimation sociale de la pratique est implicitement effectuée par sonintégration dans les finances de la société. En période de difficultés financières, c’est enpleine connaissance de cause que le législateur a choisi de juger cette pratique commenécessaire au bon fonctionnement de son système de santé. D’autres (telles que lesimplants dentaires, la chirurgie esthétique…) sont jugés accessoires et donc sont à la chargedes patients. Ce n’est pas le cas ici, le principe de justice passe d’abord par une égalité dela charge financière pour les parents : il n’y en a aucune.

Mais l’aspect financier du problème n’est pas la seule composante de la justice généraledu projet. L’évolutivité de la norme concernée, pour qu’elle s’adapte mieux à la réalité qu’elleencadre, garantit également une meilleure justice. En effet, les lois de bioéthiques (datant de1994) sont appelées à être revues tous les cinq ans suite à l’organisation d’Etats Générauxde la bioéthique. Ce sont des assemblées publiques auxquelles toute personne intéresséepeut assister. Dans l’absolu, les citoyens sont appelés à donner leur avis et à débattre entreeux, entourés d’experts pouvant intervenir pour apporter leurs lumières108. Sans se penchersur l’efficacité réelle d’un tel système, l’esprit de ces lois est donc une certaine adaptabilitéde leur contenu. Comme nous avons pu l’apprécier en introduction, un tel système estnécessaire dans le domaine de la bioéthique. Pourtant, un pays tel que la France n’avaitpas vraiment pour habitude de réviser très régulièrement les normes dont elle se dotait.

C’est également pour mieux épouser la réalité qu’elles sont chargées de règlementerque les CPDPN étudient les demandes de diagnostic préimplantatoires au cas par cas.Le CCNE a tenu à souligner dans ses différents rapports (particulièrement le rapport 72et le rapport 107) l’importance des caractéristiques de la famille d’accueil dans l’évaluationdu dossier qu’elle présente. Ses ressources culturelles, sociales et économiques serontparticulièrement étudiées par le Comité. La décision qu’il rendra dépendra donc desindividus qui la présentent.

Ce système est relativement inhabituel en France. En effet, si les prestations de l’Etatpeuvent dépendre des revenus des personnes, ce dernier avait l’habitude de se basersur des critères objectifs et ouvertement définis. Dans les avis rendus habituellementconcernant une question médicale, les organes administratifs se contentaient de rendre unedécision fondée sur des critères médicaux objectifs. Les individus devaient par exemplepasser des tests prédéfinis pour obtenir des certificats de handicap, ou de capacité.Or, nous sommes dans un cas de figure totalement différent dans le cas du diagnosticpréimplantatoire : la dimension subjective est ici d’importance « seconde » (selon lesmots du CCNE), mais d’une importance remarquable. Beaucoup de maladies génétiquess’exprimeront à des degrés différents selon les individus. C’est par exemple le cas dusyndrome EEC, dont les expressions pourront diverger énormément en fonction desindividus. Il est donc difficile de prédire de façon sûre quelle sera la gravité cliniqued’une maladie. Les équipes des CPDPN ne peuvent qu’étudier les expressions déjàprésentes dans la famille demandeuse. L’historique génétique de la famille sera étudiéeau même titre que ses caractéristiques sociales. La propension de la famille à pouvoiraccepter correctement un enfant atteint d’un handicap sera déterminée en partie par descritères religieux, culturels, économiques, sociaux et par la cohésion familiale. Ces dernierspermettront aux membres des CPDPN de déterminer la gravité d’une maladie d’un point devue plus social que médical. La décision qu’ils rendront sera alors adaptée à chaque cas,d’un point de vue somatique et d’un point de vue social. Cette adaptabilité des décisions

108 http://www.science.gouv.fr/fr/actualites/bdd/res/2973/etats-generaux-de-la-bioethique-la-parole-aux-citoyens/ consultépour la dernière fois le 11/08/13

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administratives dans le domaine du diagnostic préimplantatoire lui permet d’être plus juste,car il répond mieux à chaque spécificité des cas étudiés.

On peut également retrouver une certaine réflexion sur l’articulation entre lesprincipes de liberté et de responsabilité dans le système actuellement en place. Toutd’abord, les individus sont libres d’entreprendre une procédure de demande de diagnosticpréimplantatoire, libres de la mener à bien, libres de présenter une demande de don degamètes… Le respect de ce principe de liberté va loin : un parent peut savoir que sespropres parents sont porteurs d’une affection grave pouvant sauter une génération (maladiede Huntington par exemple, un enfant peut être en quelque sorte porteur sain). Le parentconnaissant ceci, voulant éviter d’avoir des enfants atteints de cette maladie mais ne voulantpas savoir si il est lui même atteint peut faire valoir son droit de ne pas savoir. Le diagnosticpourra être effectué sans que le parent soit mis au courant de sa propre situation, ignoranttoujours si il est atteint ou pas par la maladie (on retrouve ce type de demande dans les casou la maladie n’est pas, de toute façon, curable).

Le système de diagnostic préimplantatoire en France est tel que l’Etat ne faitque délivrer des autorisations, les individus devant en faire la demande préalable etchoisissant de la suite à donner à l’autorisation qu’ils auront obtenue. Le dialogue entreles autorités administratives, le personnel médical et les familles concernées est égalementune des composantes majeures du système français. En effet, les futurs parents serontconfrontés à une situation assez unique en la matière, une fois la procédure de diagnosticpréimplantatoire menée à son terme. Il s’agit donc de leur faire prendre conscience du gestequ’ils entreprennent, des conséquences possibles sur leur vie et de l’importance de cecipour la société. Il s’agit, en somme, de les responsabiliser, en les mettant face à leurs choix.Le rôle des autorités est certes de juger la demande des familles, mais il est égalementpédagogique, et s’exerce dans ce cadre par un échange entre les deux parties.

Les parents sont donc responsables de la décision qu’ils prennent. Pour certains,farouches opposants au diagnostic préimplantatoire, le principe de responsabilité seraitlargement dépassé par la liberté des individus. Si le système n’était pas encadré, nousnous dirigerions alors directement vers un eugénisme libéral tel que Jurgen Habermas nousle décrit. La responsabilité des individus envers la société semblerait reléguée à un planaccessoire. C’est également ce que l’on retrouve, dans une moindre mesure bien sur, dansle discours des défenseurs du diagnostic préimplantatoire. Ces derniers mettent certes enavant la responsabilité des parents, mais seulement vis à vis de leurs enfants à venir. C’estle cas du CCNE ou de Pierre le Coz qui reprendra l’expression du Comité : « Il n’est pasexact de dire que les couples recherchent « l’enfant parfait » ou qu’ils sont prêts à demanderune interruption de grossesse à la moindre suspicion d’anomalie mineure. Dans l’immensemajorité des cas, les couples veulent des enfants qui ne soient ni plus ni moins malades quela moyenne des autres »109. Ce n’est pas la responsabilité sociale qui est ici à l’œuvre, maisplus une responsabilité vis à vis des enfants à venir : les parents ne veulent pas les fairevenir au monde tout en étant informés du risque qu’ils courent. Si il ignorait cette technique etqu’il se trouve que l’enfant désiré venait au monde atteint d’un handicap sévère, le parent sesentirait responsable de son affection, d’une responsabilité coupable. Le système françaislaisse alors les parents libres de leurs choix, en leur rappelant que quelle que soit leurdécision, elle aura des conséquences dont eux seuls seront responsables.

On retrouve ensuite une attention particulière accordée aux principes de bienfaisanceet de respect de la dignité humaine. Lors des débats ayant précédé la mise en place

109 Comité consultatif national d’éthique, avis 107, cité par Pierre le Coz dans l’article « le diagnostic préimplantatoire va-t-ilaméliorer l’espèce humaine ? », La pensée du midi, 2010/1, n°30, pp. 54-55

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du diagnostic préimplantatoire en France en 1994, le principe de bienfaisance a étédéterminant. Il est un reliquat de l’éthique médicale traditionnelle, un de ses seuls apportsque l’on retrouve dans les lois de bioéthique. En effet, le serment d’Hippocrate est imprégnéde ce principe, comme l’illustre la première partie du texte : « Mon premier souci serade rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques etmentaux, individuels et sociaux »110. La maximisation des intérêts des parents, de la sociétéet surtout de l’enfant à venir est le but de cette législation. Mais la mise en applicationpratique de ce principe peut poser problème.

En effet, les intérêts de chacun peuvent parfois s’entrechoquer. Les intérêts des unspeuvent diverger avec les demandes des autres. C’est par exemple ce qui est soulevé dansle cas de ce qu’on appelle couramment les « bébés-médicaments ».

Récemment autorisée en France111, cette pratique permet la conception d’un enfantavec DPI dont la venue au monde permettra de soigner (ou soulager) un frère ou unesœur déjà venu(e) au monde et atteint d’une maladie. Le nom de cette technique est lediagnostic préimplantatoire avec typage HLA. On recherchera une compatibilité génétiqueet également une compatibilité immunologique entre les embryons étudiés et le frère oula sœur malade. L’enfant venant au monde suite à la mise en place de ce dispositif seraun « bébé médicament », nom peu flatteur qui est peu utilisé. On lui préfère l’expressionde « bébé du double espoir » (espoir d’avoir un enfant sain et espoir de pouvoir sauverl’autre enfant grâce aux cellules souches contenues dans le cordon ombilical). Il apparaîtévident que cette pratique peut subordonner la demande de DPI aux désirs des parents età l’intérêt du frère ou de la sœur déjà né. Le CCNE a donc du mettre en balance toutes cesimplications, en déclarant que ce procédé est recevable. Cependant, le désir d’un enfantsain doit rester la principale préoccupation des parents ; ainsi, si aucun embryon HLA-compatible n’est obtenu grâce au DPI, ou si aucun n’est implanté avec succès, la grossessene doit pas pour autant être interrompue. Le désir d’un enfant sain doit primer sur touteautre considération. Le CCNE espère ainsi adapter le principe de bienfaisance aux intérêtsde l’enfant à venir et à ceux de l’enfant déjà venu au monde.

Le respect de ce principe est lié au respect de la dignité humaine, chère au législateurcomme au juge en France. L’arrêt du Conseil d’Etat du 22 octobre 1995 « Commune deMorsang sur Orge », célèbre dans les facultés de droit, vient consacrer ce principe. Il estégalement omniprésent dans l’esprit des textes fondateurs de notre système, comme parexemple à l’article 16 du Code Civil : « la loi assure la primauté de la personne, interdit touteatteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencementde sa vie ». De nombreux débats ont émergé dans ce domaine, liés à la formulation decet article du code civil. On s’est en effet demandé si il protégeait également les embryonset les fœtus, à partir de quand commence la vie, si les embryons sont des humains oudes personnes… La position choisie par le législateur français correspond à celle qui a étéprésentée dans la première partie de notre étude : l’embryon humain se voit attribué un statutà part. Il est particulièrement protégé, sa commercialisation est interdite et la recherche surles propriétés de ce dernier est particulièrement encadrée. Ce cadre relativement strict estune émanation du principe de respect de la dignité humaine. Si aucun texte ne vient luiconférer le titre de « personne », les embryons sont protégés par leurs « potentialités dedevenir humain ». C’est la naissance qui confère un état civil à un être en France, comme laCour de Cassation l’affirme dans son arrêt du 29 juin 2001 (rendu en Assemblée Plénière) :« les dispositions du Code pénal relatives à l’homicide involontaire ne sont pas applicables

110 Serment de l’ordre des médecins français de 1996, issu du Bulletin de l’ordre des médecins, 1996, n°4.111 Autorisé par la loi de bioéthique du 7 juillet 2011

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à l’embryon ou au fœtus ». Ces derniers voient souvent leurs droits mis en balance avecceux de la mère (droit à une interruption médicale de grossesse si la santé de la mère estmenacée par exemple). Mais la protection de leur statut est primordiale en France.

Le dernier des principaux principes directeurs de l’encadrement normatif de la pratiquedu diagnostic préimplantatoire en France est le principe d’inviolabilité, de non patrimonialitéet de non marchandisation du corps humain. Il s’agit bien sur d’une reprise de la philosophiekantienne et l’impératif de traiter l’homme comme une fin en soi, jamais comme unmoyen. Michel Foucault avait dressé un constat affligeant de l’état du corps humain dansson ouvrage Surveiller et punir : « ce corps humain devenu corps productif, assujetti àl’expérimentation médicale et biologique pour devenir force utile ». Beaucoup de sécuritésnormatives ont été mises en place pour éviter d’en arriver à cette situation en France. Ainsi,le principe de non-patrimonialité du corps humain est consacré par le droit français : unepersonne ne peut pas faire ce qu’elle veut de son corps, il ne lui appartient pas totalement.Ce principe s’exprime dans l’interdiction de vendre son corps, tout ou partie. Suivant cetteinterdiction, les gamètes ne peuvent se vendre en France, seul le don est possible. Lagestation pour autrui, ou G.P.A., est également prohibée. En effet, on imagine difficilementun système dans lequel une femme porterait l’enfant d’un autre sans aucune contrepartiefinancière. Le corps de la mère porteuse serait alors « loué », participant de l’instaurationd’une conception instrumentalisatrice du corps de la femme. Ceci ouvrirait alors la porte àune réification de la personne humaine, dont le corps peut être vendu comme tout bien.

L’Etat a voulu éviter toute dérive instrumentalisatrice de son système en plaçant cettepratique du diagnostic préimplantatoire hors du marché, tout comme il l’avait fait pour le donde gamètes. Ainsi, cette technique ne peut être mise en place que dans les centres agrééspar l’Agence de la Biomédecine. Au nombre de quatre, c’est le seul endroit en France oùl’on peut légalement procéder à un diagnostic préimplantatoire. L’Etat contrôle ainsi toutedérive possible de cette technique. Les établissements dans laquelle elle est pratiquée sontcontrôlés par une agence sous la tutelle du ministère de la Santé. En instaurant la gratuitédu DPI, le législateur a donc pensé le soustraire à toute mise en concurrence des différentsétablissements capables de le réaliser. La technique utilisée correspond alors strictement àce qui a été défini par les différents pouvoirs de l’Etat (législatif, exécutif et judiciaire). C’estune sécurité pratique résultant de la mise en place du principe de non patrimonialité et nonmarchandisation du corps humain en France.

c. La question de la famille : un modèle imposé par les lois de bioéthique ?Lors des récents débats ayant accompagné la reconnaissance par l’Etat du mariagehomosexuel, nous avons souvent pu entendre qu’un bastion tombait : celui de la « famillemodèle », composée de deux parents et d’un ou plusieurs enfants. Or, selon DominiqueMehl, les lois de bioéthique de 1994 sont porteuses d’un idéal-type familial résumé sousla formule « un père, une mère, pas un de plus, pas un de moins »112. C’est égalementle cas en ce qui concerne le diagnostic préimplantatoire : seul un couple de parents enâge de procréer peut présenter une demande qui a des chances d’aboutir. Ce modèlea, selon l’auteur, deux conséquences néfastes. Tout d’abord, il réserve les techniquesd’assistance médicale à la procréation à une seule partie de la population. Les célibataires,les homosexuels et les femmes considérées comme trop âgées sont d’emblée exclus detoute possibilité de recours aux techniques de procréation artificielle. Le modèle parentalserait alors imposé de facto par le législateur : il s’agit d’un modèle bi-parental hétérosexuel.

112 Dominique Mehl, « les exclus de l’assistance médicale à la procréation », mardi 15 mai 2012

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L’union des couples homosexuels, si elle est désormais légalisée, ne peut donc êtreconsacrée par la venue au monde d’un enfant.

L’autre conséquence relevée par Dominique Mehl ne concerne le DPI que de loin.Lorsqu’un donneur entre en jeu, il n’apparaît pas ensuite dans l’histoire familiale de l’enfant.Pour éviter toute gêne éventuelle, l’auteur affirme que les centres de stockage de gamètesdistribuent ces dernières selon le modèle de l’appariement. Le phénotype du donneur devraressembler le plus possible à celui des parents. Nous nous attarderons peu sur cettenotion. Il convient simplement de déclarer qu’en dehors de toute conception « raciale », ilapparaît évident que le choix des gamètes doit être déterminé selon l’apparence des parents(alors que la personnalité des individus n’entre pas en ligne de compte). En revanche,ce principe de l’appariement s’arrête à une vague ressemblance ; il est un héritage d’uneépoque où l’infécondité était rare et honteuse. La fertilité des couples baissant de plus enplus en Europe, on assiste à l’aménagement d’une nouvelle conception de ce problèmede l’infertilité. Le recours à l’assistance médicale à la procréation s’en trouve banalisé,remettant en cause le principe d’appariement, du moins en partie.

Il convient d’expliquer les choix du législateur, qui peuvent être interprétés par certainscomme relevant d’une conception relativement rétrograde de la famille.

Corinne Pelluchon a déclaré lors de son audition à l’Assemblée Nationale dans lecadre de la Mission d’information sur la révision des lois de bioéthique : « lorsque l’on est‘’stérile’’ parce que l’on a 45 ans ou que l’on n'a pas d'enfant parce que son couple estformé de deux femmes ou de deux hommes, il ne s’agit pas d'une maladie : dès lors leremboursement ne va plus de soi. Laisser un homme sans nourriture, disait Levinas, estun crime qu’aucune circonstance n’atténue. Laisser un couple (homosexuel ou non) sansenfant n’est pas un pareil crime ». Sans vraiment le dire, elle reprend ainsi le concept deN. Mamelle de « droit à l’enfant ». Ce « droit » ne serait pas positif, mais traduirait une« tendance sociale à considérer qu’un tel droit devrait exister et satisfaire trois désirs : undroit à l’enfant maintenant, un droit à l’enfant parfait, un droit à un enfant plus tôt »113.

Si l’on en croit ces deux auteurs, les personnes qui ne peuvent actuellement pasbénéficier de l’assistance médicale à la procréation sont donc les personnes qui, sanscette dernière, ne pourraient pas avoir d’enfants. Elles revendiquent le droit à pouvoirjouir des mêmes droits que les autres citoyens. Cette revendication se base sur uneconception biaisée de l’assistance médicale à la procréation. Il ne s’agit pas d’une prestationmédicale comme les autres, une aide, comme une prothèse ayant pour but de comblerun déficit. Ici le déficit serait l’impossibilité d’enfanter. Or, comme Corine Pelluchon nousl’explique, l’impossibilité d’enfanter peut avoir différentes causes. Nous devons rappeler quela médecine a pour but premier de traiter des affections : elle est curative. Le diagnosticpréimplantatoire est lui un acte préventif, car il est justement impossible de mettre en placeune médecine curative dans les cas concernés par cette technique. Or, les personnes« exclues » de l’assistance médicale à la procréation en France ne sont pas malades. Ellesn’ont pas naturellement la capacité de procréer mais ce n’est pas du à une affection, unemaladie ou un handicap.

Les causes des maux des personnes « exclues » du système de procréationmédicalement assistée et des personnes qui peuvent en bénéficier ne sont donc pas lesmêmes. Le déficit est la seule constante de ce problème. Or, on ne peut pas traiter defaçon identique des personnes qui présentent le même problème mais pour des causesdifférentes. Un tel choix banaliserait le recours à la procréation médicalement assistée, tout

113 Marie Gaille, « perfection et normalité », article précité, p. 3

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en diminuant l’importance des affections somatiques dont peuvent souffrir quelques coupleshétérosexuels en âge de procréer. L’Etat français a alors choisi de rembourser le recours àl’assistance médicale à la procréation pour les personnes qui en ont besoin à cause d’unemaladie précise, selon Corine Pelluchon. Ce choix de remboursement est donc pratiqueautant que symbolique (comme nous avons pu l’apprécier précédemment).

Les choix français en matière d’encadrement normatif du recours à l’assistancemédicale à la procréation (et donc au diagnostic préimplantatoire) s’expliquent égalementpar un souci de cohérence. En effet, nous avons démontré précédemment que le respect decertaines valeurs est d’une importance capitale pour le législateur. Dans cette perspective,certains déclareront alors que les principes de liberté et surtout d’égalité sont foulés auxpieds par la France, qu’elle préfère imposer un modèle familial rétrograde (tel que D. Mehl lefait dans une moindre mesure). Nous avons déjà démontré que le principe de liberté devaits’articuler en particulier avec le principe de responsabilité, alors que le principe d’égalité estlui souvent mis en balance avec la notion de justice.

Cette demande d’une ouverture de l’accès à l’assistance médicale à la procréationrévèle un certain manque de responsabilité, et une conception particulière de la notionde justice. Les autres principes chers à la France, tels que la non-marchandisationdu corps humain, la non instrumentalisation de l’homme et la non patrimonialité ducorps humain seraient remis en cause si une telle ouverture se produisait. En effet,les conséquences pratiques d’un accès élargi aux techniques de fécondation artificielleentraineraient irrémédiablement des changements de fond dans le fonctionnement denotre système. Par exemple, les membres d’un couple d’homosexuels ne peuvent pasporter d’enfant lorsque le couple est composé de deux hommes. Si l’on suivait la logiqued’intégration dans ses extrêmes retranchements, le législateur serait donc obligé delégaliser le recours aux mères porteuses, si il ouvrait l’assistance médicale à la procréationaux couples homosexuels. Dans l’absolu, si des femmes homosexuelles pouvaient procéderà l’insémination artificielle du sperme d’un donneur et avoir des enfants, les hommes nepourraient avoir d’enfants portant leurs gènes que si une femme porte leur enfant. Par soucid’égalité entre les couples homosexuels, il faudrait donc normalement légaliser le recoursà la gestation pour autrui, ce que refuse catégoriquement l’Etat français actuellement. Eneffet, les femmes pourraient « louer » leur utérus pour la période de gestation, ce qui nemanquerait pas de provoquer de vives réactions de la part des défenseurs des droits desfemmes. Ces dernières verraient en effet leur utérus placé sur le marché, loué comme unvulgaire bien de consommation dont on ne dispose pas. Cette pratique peut être vue commeun pas vers la réification de l’être humain, étant un amas de tissus et d’organes fonctionnelsà la disposition du plus offrant.

Sans pour autant tomber dans des discours et considérations aussi alarmistes, c’estdonc par un certain souci de continuité que l’Etat français a fait ces choix. C’est une marquede cohérence, le système mis en place étant voué à protéger certaines valeurs d’inspirationshumanistes. Il ne cherche pas à imposer un modèle familial. Il n’y a aucun complot dansle contenu des lois de bioéthique, simplement un réel souci de respecter des principesafin d’éviter tout débordement d’une pratique dont le potentiel dévastateur n’est plus àdémontrer. Il s’agit là d’un comportement responsable et mesuré.

2. La réaction française face au risque eugénique émanant du DPINous avons pu présenter, dans la première partie de notre étude, que la techniquedu diagnostic préimplantatoire est très risquée. Ce risque n’est pas médical, il est plus

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d’ordre éthico-moral. Certains redoutent en effet une dérive eugénique de ce procédé,et particulièrement une dérive libérale. Dans cette perspective, le marché répondrait auxbesoins ou aux envies des parents désireux de contrôler le génotype de leurs enfants.Ceci engendrerait alors une réelle instrumentalisation de l’homme, ce qui aurait desconséquences catastrophiques pour notre société. Il convient donc de placer des sécuritéspour éviter qu’une telle situation ne puisse se produire.

Dans ce cadre, le législateur français a particulièrement tenu à se protéger de deuxproblèmes précis liés à l’utilisation du diagnostic préimplantatoire. Nous verrons tout d’abordqu’il a tenu à prohiber toute instrumentalisation de l’enfant à venir. Ensuite, nous pourronsapprécier sa lutte plus générale contre les possibles dérives eugénistes du diagnosticpréimplantatoire.

a. La réponse française au risque d’instrumentalisation de l’enfantLe système français est très paradoxal sur ce point. Il défend en effet l’idée kantienne selonlaquelle aucun homme ne peut être considéré comme un moyen, mais seulement commeune fin en soi. Mais il permet de mettre en œuvre ce que l’on appelle techniquement un« diagnostic préimplantatoire pour recherche de compatibilité HLA ». Nous avons déjà puprésenter les principales caractéristiques de cette technique précédemment. Rappelonsnéanmoins qu’elle ne peut être utilisée que dans le cas de maladies pouvant être traitées,entre autres, à l’aide des cellules pluripotentes contenues dans le sang du cordon ombilical.C’est par exemple le cas de la maladie de Fanconi, dont se sert le CCNE pour baser sonétude à l’occasion de la publication de son avis n°72. Il résume cette technique en cestermes, illustrant parfaitement la position française : « il s’agit de l’adjonction de ce dépistagede compatibilité immunologique à celui qui devrait rester prioritaire : faire naître un enfantindemne de cette maladie »114. Il ne s’agirait donc presque que d’une procédure incidente,à en croire le CCNE.

Ce dernier note toutefois plusieurs inconvénients liés à cette procédure, parmi euxle changement du sens originel de l’assistance médicale à la procréation, les critèresdu choix de l’embryon à transférer, les problèmes relationnels au sein de la famille etl’instrumentalisation possible de l’enfant.

Le changement du sens originel de la procréation médicalement assistée est inhérenteà la pratique du DPI et ne devrait pas appeler plus de commentaires. Il convient simplementde rappeler que si à l’origine l’aide médicale pour la procréation était destinée à palier unproblème de fertilité, elle s’est peu à peu transformée. Avec la technique du diagnosticpréimplantatoire, elle a eu pour but d’éviter à des enfants de naitre atteints de maladiesgénétiques très lourdes. On observe un changement de paradigme, passant d’une logiquecurative à une logique préventive, voire même prédictive dans une certaine mesure. Parcette remarque, le CCNE prenait acte du potentiel eugéniste du DPI et des conséquencesqu’il pourrait avoir, ouvrant ainsi à une discussion plus profonde sur ce sujet.

La technique du diagnostic préimplantatoire repose en effet sur le tri d’embryon.Comme nous l’avons précédemment démontré, cette technique comporte de grands risqueséthiques. Lorsqu’il a légalisé cette technique en France, l’Etat avait jugé bon de se protégerde toute dérive en instaurant certaines normes, que nous avons pu présenter. Le tri desembryons était destiné à s’assurer que ces derniers ne soient pas porteurs d’une maladie

114 CCNE, rapport 72, p. 3

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génétique clairement identifiée et recherchée. Il s’agit d’un « tri négatif »115 : on s’assure quel’embryon « n’est pas » porteur d’un gène. Or, dans le cadre d’un diagnostic préimplantatoireavec recherche de compatibilité HLA, le tri est double. Il est négatif : on s’assure que tousles embryons sont sains. Mais il est également « positif »116 : on recherche une compatibilitéimmunologique avec un être donné afin de permettre son traitement. Le législateur s’est icitrouvé face à un dilemme, comme nous l’explique le CCNE : étant informé de la situationfamiliale et de la demande de test de compatibilité, deux solutions se présentent.

La première serait de refuser cette demande, au vu des risques d’instrumentalisationqu’elle comporte. On laisserait faire le hasard, ce qui serait au moins aussi moralementirresponsable qu’une absence de légalisation. En effet, ce n’est nullement unestandardisation de la population qui est recherchée par un test de compatibilité, mais uncaractère très général.

La seconde solution serait d’accéder à la demande des parents, tout en encadrant larecherche de compatibilité. C’est naturellement la solution qu’a choisi la France, faisant icipreuve selon certains d’un certain « humanisme médical »117. Mais cette décision fait planerle spectre d’une possible instrumentalisation de l’enfant. Nous ne pouvons avoir aucunegarantie de la vraie motivation des parents dans cette demande qui est en fait double :souhaitent-ils un autre enfant sain et si possible un moyen de soigner un enfant atteint, oul’inverse ?

Le CCNE nous rappelle que « l’enfant naitra pour lui-même »118. Il sera parfois trèsdifficile de soutenir une telle affirmation. Dans une grande partie des cas, l’enfant viendraau monde et des cellules seront prélevées sur le cordon ombilical, permettant de soignerl’ainé(e) déjà atteint(e). Mais les soins prodigués au grand frère ou à la grande sœur àl’aide des cellules issues du cordon ne suffiront pas toujours. Dans certains cas, l’enfantmalade aura besoin de greffes d’organes, ou de greffes de moelle osseuse. Là, le vraiproblème d’instrumentalisation se posera. L’enfant HLA-compatible acceptera sans granddoute de procéder à un don de moelle osseuse. Le CCNE voit ici une solidarité fraternelle,on peut également penser que l’enfant n’aurait pas vraiment le choix. Vis à vis de sonentourage, il pourra difficilement justifier son refus d’aider son frère ou sa sœur malade. Ilen résulte alors que dans les cas où le traitement de l’enfant malade par le sang du cordonombilical ne suffit pas, le risque d’une instrumentalisation de l’enfant est omniprésent. Lesrelations au sein de la famille seront donc inhabituelles dans ces derniers cas, comme lerappelle le CCNE en rapportant les propos de P. Ricoeur : « il y a ici affrontement de lasituation d’un enfant qui va mourir à celle d’un enfant qui risque d’être assujetti à vie ». Lesrelations alors établies au sein de ce type de familles seront sans précédent, et il nous estaujourd’hui impossible de mesurer clairement l’impact psycho-social de cette technique. Onpeut néanmoins penser que si des enfants peuvent éprouver parfois des troubles identitairesau cours de leur développement, ces derniers n’en seraient que plus forts dans le cas d’unenfant né suite à la mise en œuvre de la technique de diagnostic préimplantatoire avec testde compatibilité HLA.

115 ibid. p. 5116 ibid.117 « l’enfant du double espoir n’est pas un ‘’bébé médicament’’ », article publié sur le site du quotidien Le Monde, 15 février

2011 http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/02/15/l-enfant-du-double-espoir-n-est-pas-un-bebe-medicament_1480262_3232.html118 CCNE, avis 72, p. 6

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Malgré tout, le législateur a accepté de prendre ce risque en autorisant la technique dudiagnostique préimplantatoire avec test de compatibilité HLA, dans le but de permettre desoigner un tant soit peu l’enfant déjà atteint. Il a néanmoins placé des sécurités juridiquespour limiter autant que faire se peut les abus.

Ainsi, le but premier de la conception d’un autre enfant en mettant en place un DPIdoit avoir pour but premier la naissance de l’enfant. Sa compatibilité avec un frère ou unesœur atteint(e) n’est qu’accessoire. Dans cette optique, si aucun embryon HLA-compatiblen’est obtenu, le CCNE prévoit la mise en place d’un dialogue entre l’équipe médicale et lesparents. Il devra leur être expliqué qu’un enfant ne se résume pas à « un donneur potentiel »,mais au contraire, qu’il est un être, une fin en soi. Il s’agit là d’anticiper la décision desparents qui refuseraient toute implantation d’embryons incompatibles. L’équipe médicaledevra s’attacher à faire prendre conscience aux parents « qu’un enfant ne vient pas aumonde pour sa seule compatibilité »119. Le CCNE est en revanche divisé sur la questiondu renouvellement du diagnostic préimplantatoire avec test de compatibilité HLA en vued’obtenir cette fois des embryons compatibles. Il n’apporte pas de décision définitive. Saposition a été suivie par le législateur français, et cristallisée dans la loi n°2004-800 du 6août 2004 vient expliciter les conditions de mise en place des diagnostics préimplantatoires,et élargir leur champ d’application aux tests de compatibilité120.

b. La France face au spectre de l’eugénismeLors de la première partie de cette étude, nous avons pu présenter les risques liésà la pratique du diagnostic préimplantatoire. Ainsi, nous avons pu dégager le potentieleugénique d’une telle pratique, ce qui constitue un gros risque pour l’humanité. Nousavons constaté qu’il existait différents types d’eugénisme, un eugénisme « libéral » et uneugénisme « étatique », plutôt rare et dépassé. Nous nous attacherons à traiter la réponsefrançaise face à l’eugénisme libéral dans un premier temps, puis nous identifieront lesrisques qui pèsent sur la France en matière d’eugénisme étatique, et comment elle y faitface.

L’Etat français a donc choisi d’encadrer la pratique du diagnostic préimplantatoire afind’éviter toute tentative (ou toute tentation) d’eugénisme de type libéral.Ce terme est dérivéd’un concept économique, ce qui nous permet de mieux comprendre pourquoi il a été choisi.Cet eugénisme, comme nous l’avons expliqué précédemment, serait rendu possible parune offre médicale placée sur un marché libéré. Les individus pourraient alors choisir demettre en place n’importe quelle technique à leur disposition dans le but qu’ils désirent.Un eugénisme serait alors mis en place de manière libérale : les individus chercheront àaméliorer les capacités de leurs enfants. On pourra remarquer que le qualificatif « libéral »a un double usage : il renvoie certes à l’idée d’un marché des pratiques médicales ouvert,mais également à une recherche de la performance par les parents.

Il s’agit donc d’encadrer ces pratiques afin d’éviter toute généralisation eugénique. Pource faire, le législateur a mis en place plusieurs garde-fous.

Tout d’abord, il a placé la pratique du diagnostic préimplantatoire hors marché. Ellen’est pas mise à la libre disposition des individus, et n’est pas régie par des considérationséconomiques. Ainsi, on ne peut avoir effectuer de diagnostic préimplantatoire que dansles centres agréés par l’Agence de la Biomédecine, ce qui réduit drastiquement « l’offre ».

119 CCNE rapport 72, p. 12120 Sénat : étude de législation comparée n°188 – octobre 2008 – Le diagnostic préimplantatoire

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Ensuite, il n’y a aucune corrélation entre les ressources économiques des individus etl’acte de diagnostic en lui même. Nous avons pu voir que la détermination de la gravitéde la maladie prend ces ressources en compte, mais l’influence de cette prise en comptesur la décision finale est presque négligeable. En outre, l’utilité habituelle des ressourcesfinancières des personnes (qui est concrètement un pouvoir d’achat) est annihilée par lecadre règlementaire imposé par l’Etat. Ce dernier a gommé l’importance des ressourcesdes personnes en choisissant de rembourser les diagnostics préimplantatoires qui sonteffectués dans les centres agréés. Ainsi, le marché n’a aucune incidence sur cette pratique,qui est totalement contrôlée en France. Aucune organisation privée ne peut la mettre enplace, et seule une poignée d’institutions publiques contrôlées sont habilitées à effectuerdes diagnostics préimplantatoires.

Il convient donc d’étudier l’encadrement du comportement des hôpitaux dûmenthabilités, afin d’en cerner les principaux enjeux. Les praticiens de ces établissements,comme nous l’avons précisé, ne sont pas directement responsables de la décisiond’effectuer un diagnostic préimplantatoire. Ils suivent la décision rendue par une assembléepluridisciplinaire siégeant dans les hôpitaux agréés par l’Agence de la Biomédecine, lesCPDPN. Ce sont ces derniers qui donnent leur aval pour toute intervention sur les embryons.Ils seraient donc responsables de toute dérive eugénique. Leurs décisions sont relativementlibres : en ceci, ils agissent comme une agence indépendante. Cette indépendance estimportante aux yeux du législateur. En effet, nous avons déjà pu démontrer qu’il n’estpas possible d’établir une liste arrêtée de maladies pour lesquelles la mise en place d’undiagnostic préimplantatoire serait envisageable. Le législateur ne peut donc pas créer unenorme générale. Il ne peut pas non plus anticiper tous les cas particuliers, il a donc dulaisser son pouvoir d’appréciation aux CPDPN. Ces derniers sont composés d’experts dansdifférents domaines, et donc les plus à mêmes de donner l’avis le plus approprié. Leurindépendance est donc capitale. Ils ont su démontrer, au fil des années, qu’ils étaientlargement capables de s’auto-limiter dans leurs prises de décision.

Les membres des différents CPDPN ont fait usage de leur pouvoir de décision avecsagesse, en respectant le cadre fixé par le législateur. Les critères d’une « maladiehéréditaire » « particulièrement grave » ont donc été respectés à la lettre. Parmi lesmaladies les plus concernées par le diagnostic préimplantatoire en France, on retrouvedonc la mucoviscidose, la Chorée de Huntington, l’hémophilie... On peut observer unerelation complexe entre le législateur et les CPDPN : ces derniers ne sont pas contrôléspar le Parlement, mais appliquent tout de même rigoureusement ses lois (à quelquesexceptions près, très rares). En retour, ils communiquent chaque année des impressions etdes statistiques à l’Agence de la Biomédecine afin de faire évoluer cette loi. On peut doncpenser que ce système a de grandes probabilités de faire émerger un consensus autourdes critères de pratique du diagnostic préimplantatoire. C’est ainsi que pour l’instant, on n’apas assisté à de grandes évolutions dans la pratique de cette technique en France, miseà part la légalisation (à titre expérimental) des tests de compatibilité HLA121. La limitationde l’extension des maladies concernées est donc effectuée en amont, par la collaborationtacite entre les CPDPN et le législateur.

Selon le CCNE, une action peut également être effectuée en aval, par les famillesconcernées : « une autorégulation des demandes peut s’escompter dès lors que lescouples comprennent qu’ils doivent mettre en balance les bénéfices escomptés et les

121 point de vue développé par Pierre Le Coz, « le diagnostic préimplantatoire va-t-il améliorer l’espèce humaine ? », La penséede midi, 2010/1, n°30, p. 51-57

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risques encourus »122. Cette technique de diagnostic préimplantatoire est effectivementassez lourde d’un point de vue médical. La femme concernée doit tout d’abord subirune stimulation hormonale qui n’est pas sans conséquences immédiates et dont on neconnaît pas réellement les effets à long terme. On ignore également les risques pour ledéveloppement à long terme des enfants nés suite à un DPI. Ensuite, les techniques deprélèvement des ovocytes et d’implantation des embryons sont des opérations invasives quipeuvent fortement éprouver une femme. Enfin, l’implantation n’est pas toujours couronnéede succès : on relève un taux de réussite moyen d’environ 25% pour l’implantation de deuxembryons. Il convient donc de bien informer la population des risques que comporte cettetechnique. C’est le rôle des CPDPN, qui échangent avec les parents sur leur projet et lesconseillent dans leurs décisions.

Enfin, on retrouve un dernier argument permettant de démontrer l’absence de risqueeugénique en France, celui du « bon sens », utilisé par Pierre le Coz dans son article« le diagnostic préimplantatoire va-t-il améliorer l’espèce humaine ? ». Il y défend l’idéeque le spectre d’un eugénisme libéral étant écarté en France, la menace d’un eugénismeétatique est également farfelue. Selon lui, les Etats (la France en particulier) a d’autrespréoccupations que d’instaurer un programme eugénique insidieux : « vu les problèmes quise posent aujourd’hui à l’échelle internationale, il est permis de douter que la priorité desEtats soit de financer un DPI de masse pour concevoir des enfants parfaits »123. Il répondainsi à la problématique que le CCNE avait traitée dans son avis n°107, à savoir la possibilitéd’ « identification dans la population générale de couples à risque d’avoir un enfant atteintd’une maladie grave et incurable »124. Le Comité avait conclu son analyse en donnant uneréponse similaire : une telle identification n’est pas souhaitable et pas d’actualité. En effet, ilne nous est pas possible de prédire clairement les différentes expressions des maladies ausein de la population. Un dépistage généralisé suivi d’une identification serait donc inutile,en plus d’être stigmatisant.

II. Lacunes du système françaisNous avons donc pu apprécier le système français d’encadrement normatif du diagnosticpréimplantatoire. Une mise en perspective pratique des attentes théoriques est nécessairepour apprécier l’efficacité des réponses apportées par le législateur. L’exposition de cesystème à la réalité des faits nous permet de dégager plusieurs types de limites : toutd’abord, on retrouve des problèmes pratiques comme le problème de fuite. Ce dernier n’estqu’une illustration de la perfectibilité du système législatif actuel. Nous pourrons ensuiteidentifier d’autres enjeux, d’ordre éthique et social. Nous retrouverons parmi eux la nécessitéd’une discussion sur la philosophie de la famille. Nous pourrons alors identifier les enjeuxd’une d’évolution de la société ceci nous permettant de dégager une nouvelle ontologiepassant par le dialogue et l’éducation.

1. Problèmes pratiques122 CCNE, avis n° 107, p. 21123 Pierre le Coz, « le diagnostic préimplantatoire va-t-il améliorer l’espèce humaine ? », op. cit., p. 56124 CCNE, avis 107, p. 2

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a. Le problème de fuite : un système d’encadrement poreuxNous avons pu comprendre que le système français est relativement restrictif en matièred’accès au diagnostic préimplantatoire. La procédure est contraignante et peut s’opposerà certains désirs individus voulant très rapidement un enfant né suite à un DPI, ou voulantd’autres critères de tri que ceux qui sont disponibles en France (choix du sexe par exemple).Or, la France n’est absolument pas le seul pays à pratiquer le diagnostic préimplantatoire :il est plus librement mis en place au Royaume Uni, en Espagne…

Comme qu’Ilana Löwy nous l’explique : « bien que les techniques d’assistance à laprocréation obéissent parfois à des règles assez strictes, la très grande variabilité de cesrègles et la flexibilité de leur application les rendent faciles à contourner, au moins pour lesutilisatrices dotées de moyens financiers et d’un capital social et culturel qui leur permettede chercher des solutions ailleurs (autre centre, autre région, autre pays) »125.

C’est en effet une des limites de l’efficacité du système français d’encadrement de lapratique du diagnostic préimplantatoire : il est poreux. Cette faiblesse n’est pas directementliée aux choix du législateur à proprement parler, mais plutôt à l’offre internationale, à ladiversité des législations nationales, et à la grande mobilité des français. Le CCNE est tout àfait conscient de ce problème, comme il le confesse dans son avis 107 : « une harmonisationdes législations internationales est un objectif aléatoire, du fait des spécificités culturelles,même si nous devons essayer de nous en rapprocher, dans un premier temps à l’échelleeuropéenne »126. Il n’existe pas de position européenne sur la question, qui reste à la libreappréciation des Etats.

Comme Dominique Mehl nous l’explique, on assiste à l’apparition de « migrants del’assistance médicale à la procréation »127. L’explosion des technologies de l’information etde la communication ainsi que l’ouverture des frontières à l’intérieur de l’Union Européenneont servi de catalyseur au développement d’un « tourisme procréatif ». Tout d’abord, lesindividus en France ont facilement accès aux informations concernant les centres pratiquantdes diagnostics préimplantatoire à l’étranger. Il suffit pour ceci de consulter les moteurs derecherche sur internet les plus communément utilisés, et en quelques clics une myriadede forums consacrés à la question sont présentés. Le plus souvent, les parents cherchentà choisir le sexe de leur enfant à venir, alors même que la France à interdit la pratiquedu « family balancing », l’équilibrage de la famille. On peut alors apprendre que des paystels que Chypre ou l’Espagne pratiquent de tels diagnostics, pour des sommes comprisesentre 5000 € et 8500 € selon le pays, les critères de sélection... La procédure d’accès à descentres prêts à répondre aux besoins des clients/patients est également bien moins lourdeet moins longue que la procédure régulière en France.

Bien malgré lui, le législateur français a donc mis sur pied un cadre qui ne peut tenirses promesses égalitaires. Ce dernier a été conçu selon le modèle d’un circuit « fermé », oùles gens ne pourraient pas avoir accès à une offre extérieure. Or, la situation internationaleactuelle est telle que le système d’accès au diagnostic préimplantatoire est ouvert, commel’est le marché de cette pratique. Les individus qui sont dotés d’un capital culturel maissurtout de ressources financières suffisantes pourront aller à l’étranger afin de mener leur

125 Löwy Ilana, « procréation assistée : contrôle ou désordre ? (commentaire) » , dans Sciences sociales et santé, volume23, n°3, 2005 p. 35

126 CCNE, avis 107, p. 25127 Dominique Mehl, « Les exclus de l’assistance médicale à la procréation », op. cit.

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projet à bien. Le législateur français n’est pas capable de répondre à un tel problème, dumoins pas seul. Une harmonisation des différentes législations des pays européens sembleêtre un premier pas vers une solution, même si une telle réalisation semble impossible.Mais même le cas échéant, cet accomplissement ne suffirait pas à restreindre l’offre deDPI à l’étranger. On retrouvera toujours des pays plus ou moins éloignés prêts à répondreaux demandes des parents souhaitant effectuer un diagnostic préimplantatoire pour desconvenances personnelles. La solution à ce problème ne semble donc pas pouvoir venir dulégislateur, et serait à rechercher ailleurs.

b. Imperfections du système législatif d’encadrement de la pratique du DPIen FranceL’encadrement normatif français de la pratique du diagnostic préimplantatoire est encorelargement perfectible. Nous avons déjà pu constater qu’une absence d’uniformisationnormative à l’échelle européenne est fortement dommageable. Mais notre propre systèmeest lui aussi loi d’être totalement satisfaisant. On peut en effet relever plusieurs faiblessesdans le système de production des normes, ainsi que dans l’approche du législateur àproprement parler.

Les lois de bioéthiques sont appelées à être révisées tous les cinq ans environ. Or,le processus législatif français est bien trop lent pour pouvoir suivre ce rythme, et-ce pourplusieurs raisons. Comme nous l’avons précisé en introduction, les lois de bioéthiques sonttransversales : elles mettent en jeu beaucoup de domaines d’expertise différents (le droit,l’éthique, la médecine…). Le CCNE tente alors d’aider le législateur dans son travail par lebiais des avis qu’il rend et des Etats Généraux de la Bioéthique qu’il organise. Or, ClaudeHurlet, auditionné à l’Assemblée Nationale dans le cadre de la Mission d'information surla révision des lois de bioéthique en 2008 a apporté un regard révélateur sur les enjeuxd’une telle spécificité. Il a ainsi déclaré : « le Comité est toujours en retard sur les avancéesde la science. Alors que le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, de par sacomposition, ses missions et les questions dont il est saisi, n’a certes pas la même approchemais est plus en prise avec la réalité et les évolutions, que de toute façon le législateur nepeut pas suivre »128.

Le CCNE est effectivement composé de beaucoup de personnes au parcours et auxcompétences très variés, cherchant à trouver un consensus sur des points qui peuvent faireémerger des dissensus au sein de la société. En revanche, l’Agence de la biomédecine estbien plus orientée sur la dimension médicale des problèmes qu’elle traite. Les missions et lescompétences de ces deux organismes ne sont pas comparables. Le Comité est chargé deproposer une ligne de conduite, une orientation éthique au législateur afin qu’il puisse définirun projet concret. L’Agence de la biomédecine est, elle, en charge de la mise en applicationdes lois. Certes, elle doit vérifier que le contenu éthique de la norme est respecté ; mais ellen’a pas du tout la dimension prospective que peut avoir le CCNE, qui a en outre un champd’investigation bien plus étendu que celui de l’Agence.

Certains viennent critiquer le fonctionnement de ces assemblées. Corine Pelluchonpar exemple dénonce « une politique de compromis »129 émanant de ces institutions. Ellereconnaît volontiers leurs capacités de discussion et de réflexion, mais selon elle les débatssont biaisés au sein du CCNE. Elle affirme que ce Comité est, comme les autres institutions,sujet aux pressions de groupes d’intérêts. Elle rejoint alors certains chercheurs en science

128 Claude Hurlet, lors des auditions à l’Assemblée Nationale du 15 octobre 2008129 Corine Pelluchon, L’autonomie brisée – bioéthique et philosophie, PUF, 2009,p. 98

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politique tels que Charles Lindblom ayant développé le concept de « bargaining », qui esttraduit par « négociation » en français. L’importance morale des sujets traités au sein deces institutions ne serait pas suffisante pour les extirper de l’habituel jeu d’influences quel’on observe traditionnellement. Le risque, selon C. Pelluchon, est de produire une éthiqueminimaliste, résultant des différents compromis et véhiculant un certain relativisme moral.Les solutions alors dégagées par le CCNE seraient nécessairement limitées à une positionmédiane.

Il est permis de remettre en question de telles déclarations. Nous pouvons constater,lors de la lecture des différents avis rendus par le CCNE, que ses positions ne varient pasréellement selon le temps : il essaie de suivre la même ligne de conduite (en tout cas ence qui concerne le DPI). On observe donc difficilement les différentes influences pouvantfaire varier sa position ; en outre lorsque les membres du CCNE n’arrivent pas à trouver unaccord sur un point, cette divergence est signalée dans son avis. Enfin, les personnes qui ysiègent ne sont pas les mêmes que dans les institutions politiques habituelles, à savoir desmembres du corps administratif ou des personnalités politiques. Sa composition le rendraitmoins perméable aux influences extérieures que les institutions habituelles (il est impossiblede le garder totalement du jeu de compromis politique).

Si la déclaration de Claude Hurlet concernant la lenteur de notre systèmed’encadrement normatif peut être remise en questions sur certains points, elle soulignenéanmoins un élément fondamental : le rythme législatif français est inadapté aux lois debioéthique. Si leur révision était prévue tous les cinq ans, il n’en a pas toujours été ainsi. Iln’y a par exemple pas eu de révision des lois de bioéthique en 1999, la réforme majeuresur le sujet est apparue en 2004. La dernière révision datant de 2011 prévoit un prochainréexamen de ces lois d’ici 2018, soit sept ans après le vote législatif. Ces délais peuventparaître incroyablement longs. La loi n’arrive apparemment pas à suivre la science quiprogresse sans cesse et la pratique qui s’étend. Si l’on dit bien que le fait ne dicte pas ledroit, le système législatif devrait tout de même suivre les évolutions pratiques en matière dediagnostic préimplantatoire. Le système que nous avons actuellement est assez « vague »,donc assez souple pour palier à ces difficultés. Le législateur s’est contenté de fixer uncadre général d’actions, que les CPDPN doivent suivre. Il s’agit donc d’un système à doubleéchelon : l’échelon national dirige, l’échelon local adapte les principes dégagés au niveaunational pour les mettre en pratique. Ce système n’est pas foncièrement mauvais : il permetà la fois de retrouver une certaine continuité dans les décisions encadrant le DPI, et enmême temps d’introduire une certaine flexibilité dans l’application des principes directeurs.Néanmoins, la dualité de ce système peut également être un élément de faiblesse : lesdécisions rendues sur un même sujet pourraient ainsi varier selon les CPDPN (nous verronsque c’est le cas) et donc les principes directeurs dégagés par le législateur seront brouillés.Notre système d’encadrement normatif souffre donc d’une faiblesse dans la pratique.

Mais il repose également en partie sur une conception théorique faussée de lamédecine préventive. En effet, ainsi que Didier Sicard (ancien Président du CCNE) nousle présente : « s’infiltre peu à peu l’idée d’un dépistage comme prévention. […] Lavraie médecine préventive, celle de la soustraction à l’exposition à des agents extérieurspathogènes ou celle de la modification des comportements reste étrangement discrète »130.Ainsi, l’approche que nous avons actuellement en France est biaisée : il s’agirait d’unemédecine préventive dans le sens littéral du terme, couplée à une approche prédictive. Cepoint de vue est relayé par l’avis 107 du CCNE publié en 2009, signe que le problème est

130 Didier Sicard, « Les perspectives de la médecine préventive et prédictive », Revue française d’administration publique,2005/1 n°113, p. 122

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toujours d’actualité : « le Comité estime précisément que la catégorie de « prévention estinappropriée lorsqu’elle vise à engager une personne testée à informer sa parentèle desrisques encourus par un enfant non encore né. Dans tous les cas de figure, selon le CCNEE,l’expression ‘’prévenir une naissance’’ (à laquelle l’actuel Code de la santé publique aboutitdonner crédit) semble excessivement paradoxale »131.

Cette affirmation prend tout son sens lorsque l’on apprend qu’en Grande Bretagne unenfant a été mis au monde suite à la mise en place d’un diagnostic préimplantatoire visant àdétecter une prédisposition à développer un cancer. Le système français pourrait égalementévoluer dans ce sens, comme on peut le retrouver dans le rapport de la mission d’informationà l’Assemblée Nationale sous la recommandation 27 : « Prévoir la possibilité pour lesCPDPN d’avoir recours à un médecin généticien ou à un oncologue prenant en charge lespersonnes atteintes de formes héréditaires de cancer (En modifiant l’article R. 2131-12 ducode de la santé publique) »132. Si la génétique peut parfois avoir un rôle majeur dans ledéveloppement des cancers, l’influence du mode de vie des individus est également unfacteur d’une grande importance. C’est l’intervention sur le mode de vie des personnes etune surveillance accrue qui constituerait une réelle prévention, pas un tri embryonnaire.Un diagnostic préimplantatoire, dans ces cas, relève de la médecine prédictive, qui peutvite devenir incontrôlable. Nous ne sommes actuellement pas en mesure de prédire aveccertitude beaucoup de phénomènes, car peu de marqueurs génétiques ont été identifiés àce jour, les expressions des maladies varient selon les individus, et un patrimoine génétiquen’influencera que modérément le phénotype de l’individu.

Il convient donc de recentrer l’approche que nous avons du diagnostic préimplantatoire.Son but est bel et bien de prévenir, d’éviter certaines souffrances à des enfants. Mais il doitêtre réservé à prévenir la transmission de maladies que nous avons déjà très clairement étéen mesure d’identifier, et dont nous pouvons prédire avec certitude la gravité, l’expression…Il s’agirait là d’un complément d’encadrement à mettre en place. Car une brèche seraouverte dès lors que les DPI seront largement mis en place en vue d’éviter la transmissiond’une prédisposition génétique à développer un cancer. Il s’agira alors de produire desnormes suffisantes pour limiter l’application de ces DPI à des cancers totalement connuset maîtrisés. Il convient également de clarifier notre approche théorique de ce genre dediagnostics : il ne s’agit pas de médecine préventive dans le sens traditionnel du terme. Afind’éviter toute confusion dans un domaine déjà assez complexe, nous devrions attribuer lequalificatif approprié à ce type de tests. Il s’agit d’une médecine de l’évitement plutôt qued’une médecine préventive.

c. Problèmes liés au fonctionnement des centres de DiagnosticPréimplantatoireEnfin, le fonctionnement même système menant à la réalisation d’un diagnosticpréimplantatoire en France pose encore problème. En effet, depuis le début des démarchesde renseignement jusqu’à l’implantation, la démarche est extrêmement longue et lourdepour les couples. Ces difficultés pèsent fortement dans le choix des couples, qui pourrontchoisir de s’orienter sur d’autres solutions que celle que le législateur français leur propose

131 CCNE, avis 107, p. 11132 Assemblée Nationale, rapport n°825 sur le projet tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique

en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, enregistré à la Présidencede l’Assemblée nationale le 20 mars 2013

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(telles qu’un DPI dans une clinique à l’étranger, ou le renoncement à leur projet d’avoir unautre enfant).

Tout d’abord, la durée de toutes les démarches puis l’attente entre la demanded’attestation de gravité et l’implantation est incroyablement longue. Ainsi que nous l’expliquele Professeur René Frydman, « nous ne sommes pas en mesure de répondre correctementaux demandes, en particulier en région parisienne. Un couple qui demande à bénéficierd’un DPI doit attendre de douze à dix-huit mois avant de pouvoir procéder à une premièretentative, qui n’a qu’une chance sur quatre de réussir, sans compter que plus le coupleavance en âge, plus les risques d’échec sont élevés »133. Le CCNE avait également soulevécette lacune dans son avis 107, en déclarant que « la création en France d’autres Centresautorisés à effectuer des DPI devrait être mise à l’étude »134. Si le pouvoir normatif ne peutmatériellement pas augmenter le taux de réussite des DPI (signe qu’il s’agit d’une techniqueque nous ne maîtrisons pas encore totalement), il serait néanmoins souhaitable de réduireles délais d’attente pour procéder au diagnostic. Il s’agit donc de pouvoir élargir l’offre,donc la quantité, sans toutefois que la qualité du service proposé ne baisse. Un quatrièmecentre de DPI a récemment ouvert ses portes, ce qui est un pas vers cette évolutionsouhaitée. L’Etat ne peut pas ouvrir une multitude de centres destinés à pratiquer cediagnostic, car il doit garder un contrôle sur eux par le biais de l’Agence de la Biomédecine.Une augmentation de l’offre en matière de DPI passerait donc obligatoirement par uneaugmentation des moyens (humains, matériels et économiques) mis à la disposition del’Agence.

Car le fait qu’il existe très peu de centres habilités à effectuer un diagnosticpréimplantatoire en France pose un autre problème. Géographiquement, ces centres sontplutôt mal répartis : il n’en existe que quatre en France dont trois dans la partie nord,la zone sud-ouest n’est pas couverte, tout comme le centre de la France. Les couplesayant eu recours au DPI regrettent souvent d’avoir à voyager pendant des heures pour unehospitalisation, qui est déjà d’une épreuve difficile en soi. En outre, le voyage peut fortementpeser dans le budget des couples les plus modestes.

2. Enjeux éthiques et sociaux

a. La familleDe nombreuses personnes ne peuvent actuellement pas bénéficier du diagnosticpréimplantatoire en France : les couples trop âgés ou ne correspondant pas aux critèresfixés par les CPDPN, les célibataires, les homosexuels… Le pouvoir de décision médicalprend une toute autre dimension avec le DPI, comme nous l’explique Pierre le Coz :« le pouvoir médical est donc l’enjeu de décisions qui ne sont pas uniquement d’ordremédical mais ressortent de sphères d’ordre divers, symbolique, moral et philosophique »135.Il convient donc selon l’auteur de développer une philosophie de la famille qui réponde àces nouveaux enjeux.

Grâce à une philosophie de la famille adaptée, les médecins seraient sûrs de donnerdes réponses en toute impartialité lorsqu’ils sont sollicités par les familles. Car sans ces

133 extrait de la déclaration de René Frydman devant la Mission d’information sur la révision des lois de Bioéthique, précité134 CCNE, avis 107, p. 9

135 Pierre le Coz, Quelle philosophie pour la famille de la reproduction, p. 29

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repères, selon Pierre le Coz les médecins seraient condamnés à donner une réponsebiaisée, allant de Charybde en Scylla. D’un coté, si ils souhaitent baser leur réflexionuniquement sur la base législative mise à leur disposition (seul matériel dont ils disposentconcrètement), ils ne feraient que rappeler l’état du droit à leur patient. Leur avis neserait alors pas demandé, et un juriste suffirait à effectuer cette tache. En revanche, si ilssouhaitent donner plus de corps à leur décision, en prenant en compte des considérationsplus philosophiques, ils n’auraient pas de base « normalisée » de réflexion. Ils ne pourraientdonc jamais être sur d’avoir donné une solution objective à leur patient, ne pouvant « sedépartir d’un sentiment d’arbitraire »136.

Une discussion engagée sur ce sujet permettrait de dégager certains principes pouvantservir de base pour une nouvelle philosophie de la famille. Pierre le Coz se propose departiciper à l’élaboration d’une telle pensée, en nous présentant son argumentation intitulée« pour une version réactualisée de la philosophie spiritualiste de la famille »137. Malgréles récentes évolutions en la matière, la structure familiale reste un sujet d’importance etrenferme des valeurs essentielles pour notre société contemporaine selon lui. Son étude,loin d’être accessoire, servirait à mieux comprendre notre société et à nous assurer d’unebase philosophique dans les décisions médicales. Il convient, selon lui, de dépasser lestraditionnelles conceptions familiales opposant le traditionalisme familial et l’individualismeradical, tous deux inadaptés à la réalité qui est la notre. La famille reste une structure « ou lesujet individuel trouve l’accomplissement de sa singularité dans une totalité familiale sanslaquelle il ne parviendrait pas à développer ses possibilités »138.

Pierre le Coz nous fait remarquer que le lien du mariage, ou de l’union de deux êtresen général n’est plus indissociable. Le mariage est de plus en plus précaire, représentépar un contrat entre deux individus qui peut être rompu selon la volonté d’un des deuxcocontractants. Or, parallèlement à la précarisation du mariage, l’intangibilité du lien defiliation est réaffirmée avec force. L’enfant trouve une place centrale dans les familles qu’iln’avait pas avant. On observe une re-pondération de l’équilibre familial à son avantage,les liens de filiation étant, eux, indissolubles. Les enfants ne sont pas les garants d’unefamille équilibrée : le divorce d’un couple est possible même en présence d’enfants. Nousne sommes donc pas, comme nous l’explique Pierre le Coz, entré dans l’ère de « l’enfantabsolu » contrairement à ce que certains peuvent affirmer. Il répond donc à certains auteursassurant que par le passé, les enfants turbulents étaient écartés du cercle familial, alorsqu’à notre époque ils bénéficieraient d’une certains « inconditionnalité » : « Il ne sert à rien,selon nous, d’agiter des spectres d’un passé lointain pour minimiser par contraste les effetsd’irresponsabilité éducative induits par l’individualisme narcissique contemporain »139.

Il convient donc de prendre en compte ce renouvellement de la place de l’enfant dansles familles modernes, qui ne correspondent plus à un seul modèle familial. Il en va de lacapacité de l’enfant à connaître ses origines et sa place pour pouvoir être lui même. Carl’assistance médicale à la procréation peut rendre encore plus trouble ce lien de filiation :nous devons ici rappeler que le régime de l’adoption et de l’assistance médicale à laprocréation sont différents en France. Un couple non marié ne peut pas adopter, alors qu’ilpeut avoir recours à la procréation médicalement assistée (sous réserve d’une vie communede deux ans). Selon Pierre le Coz, il n’y a rien de discriminant dans cette décision : dans le

136 ibid.137 ibid. p. 61138 ibid. p. 64139 ibid. p. 71

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cadre d’une adoption, l’enfant existe déjà précédemment au projet familial d’enfantement. Ila déjà souffert d’une séparation familiale, il s’agit donc de lui trouver une structure familialequi soit soudée par un lien fort, reposant selon l’auteur dans l’acte de mariage : « le mariagedemeure et doit demeurer la voie privilégiée de consécration de la relation conjugale »140.Le mariage est déjà une preuve d’engagement, qui témoigne d’une forte volonté de fonderune famille et d’une capacité d’engagement déjà éprouvée.

Suite aux récentes évolutions concernant le mariage en France, il semblerait que lefossé entre l’adoption et la procréation médicalement assistée soit encore plus creusé.Or, nous allons également assister à l’émergence d’une différence entre les coupleshomosexuels et les couples hétérosexuels en terme d’accès à l’assistance médicale àla procréation. Comme nous l’avons expliqué précédemment, la conception française decet acte médical ne justifie pas, pour le moment, le remboursement de ces pratiquespour certains couples. Mais nous pouvons penser que si le mariage entre personnes demême sexe est désormais reconnu par la République, nous nous dirigeons également versl’ouverture aux couples homosexuels de l’accès des techniques d’assistance médicale à laprocréation. Ce mouvement pourra être initié par l’État lui même, ou par l’Union Européenne,qui pourra dénoncer une rupture de l’égalité entre les citoyens. Une discussion sur laphilosophie de la famille actuelle semble donc toute indiquée, et nous aurions tout intérêt àce qu’elle soit amorcée rapidement par les pouvoirs publics.

b. Pour une nouvelle ontologie passant par la discussion et l'éducationLa philosophie de la famille n’est pas le seul enjeu nécessitant une discussion au niveaunational. Comme nous avons pu l’avancer tout au long de notre étude, l’assistance médicaleà la procréation (et plus encore le diagnostic préimplantatoire) remet en cause beaucoup deconcepts qui étaient jusqu’ici considérés comme acquis. Il en va ainsi de la notion de famille,mais également du statut de l’embryon, de la compréhension que l’homme a de lui-même…L’État seul ne pourrait légitimement imposer une vue unilatérale sur ce sujet. Pour légitimerson action, il s’appuie alors sur des comités composés d’experts dans le domaine médical,dans le domaine de la philosophie, de la psychologie… Mais si la discussion s’arrêtait là,nous serions face à ce que le Gouvernement appelle un « débat d’experts »141. Il s’agitalors d’intégrer la population dans son intégralité à ces débats. C’est dans cette perspectivequ’ont été organisés les États Généraux de la Bioéthique en 2009.

Il s’agit d’une consultation populaire à grande échelle, dans plusieurs grandes villesde France. Les citoyens étaient appelés à se prononcer sur des points prédéfinis, pouvantalors débattre et exprimer leurs opinions. Les échanges étaient encadrés par des expertschargés ensuite de faire remonter le produit de ces échanges au législateur. On retrouveainsi dans le rapport d’information de l’Assemblée Nationale sur la révision des lois debioéthique l’avis d’un citoyen du panel de Marseille (proposant qu’une seule maladie nepuisse être recherchée lors du DPI).

Cette idée d’États Généraux est bénéfique en théorie. En effet, les citoyens peuventainsi s’exprimer, et les normes qui seront créées seront plus adaptées aux besoins et auxaspirations de la population. En outre, il peut émerger de ces discussions certaines idéesqui auraient échappé aux experts concernés. Il convient néanmoins d’émettre une doubleréserve sur ce point. Tout d’abord, il est probable que l’État puisse trier les opinions qu’ilchoisira de suivre selon ses besoins ou l’orientation qu’il souhaite donner aux textes, sans

140 ibid. p. 79141 expression utilisée sur le site du gouvernement consacré aux Etats Généraux de la Bioéthique

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pour autant coller avec la majorité des avis exprimés. Il ne s’agit que d’une consultationcitoyenne qui n’a aucun pouvoir d’exécution : nous ne sommes donc pas sur que l’Étatsuivra les indications qui lui ont été fournies. Dès lors, l’importance des États Généraux dela Bioéthique est à relativiser.

Ensuite, on peut penser qu’une discussion sur ce sujet n’est pas suffisante. Ellepermet une prise de conscience, ce qui est primordial, mais n’implique qu’une partie de lapopulation. En outre, seul un avis « brut » est demandé aux citoyens : ils ne disposent pasnécessairement tous de connaissances (et de temps pour les acquérir).

Selon Corine Pelluchon, l’éducation des citoyens à cette question est primordiale :« Cette belle idée d’États généraux se doit d’être accompagnée, à plus long terme,d’une mission d’éducation »142. En effet, la sensibilisation et l’éducation de la populationpermettront d’avoir une approche informée et donc responsable vis à vis du diagnosticpréimplantatoire. Il ne s’agit pas d’imposer un dogme à la population, mais au contraire,de susciter dans un premier temps l’intérêt et la curiosité. A partir de ce point, unecommunication pourra être effectuée pour informer les citoyens de l’état actuel de la science,des perspectives à venir, et des enjeux actuels. Le CCNE résume alors une partie desenjeux de l’éducation de la population à ce sujet dans son avis 107 : « Il convient surtoutde miser sur l’appropriation par les couples du savoir génétique, la prise de conscience deslimites d’un tel savoir, des risques de surdiagnostic et – poussé à l’absurde – du risque dene jamais avoir d’enfant. Aucun être humain, en effet, ne peut naître génétiquement exemptde risque de développer une maladie grave au cours de son existence »143.

La sensibilisation de la société à cette question et son éducation permettrait doncune information suffisante pour pouvoir construire un dialogue constructif. De ce dialogueressortirait une auto-limitation de la population qui agirait de manière responsable (enconnaissance de cause). Cette responsabilité se traduirait par une conscience de soi et desa place en société organisée.

c. Une société désorientée nécessitant un renouvellement de ses valeursBeaucoup d’auteurs s’accordent sur la nécessité d’un renouvellement des valeurs quifondent notre société. Sans ces repères, les individus ont du mal à borner leursactions, comme nous l’explique Jürgen Habermas : « l’enjeu aujourd’hui n’est plusdans la surgénéralisation par un darwinisme social des idées de la biologie, mais dansl’amoindrissement pour des raisons en même temps médicales et économiques desobstacles « socio-moraux » susceptibles de freiner le progrès biotechnologique.

En effet, les récents progrès en terme de médecine reproductive ont grandement facilitéla mise en place de ces techniques. Ensuite, l’économie libéralisée appliquée à la médecinea favorisé la diffusion de ces technologies et ainsi encouragé leur popularisation. Mais cecin’explique que la diffusion et le développement des biotechnologies. Les problèmes liés àleur mise en place ne relèvent pas seulement de la facilité d’utilisation de ces technologies.C’est le passage à l’acte plus que la possibilité d’action qui importe vraiment ici.

Cette décision d’utiliser les biotechnologies dont nous disposons (encore plusparticulièrement les techniques d’assistance médicale à la procréation) relève de principesmoraux dirigeant l’action des individus. Le législateur peut encadrer la recherche sur

142 Corine Pelluchon, déclaration lors de son audition à l’Assemblée Nationale dans le cadre de la Mission d'information surla revision des lois bioethiques

143 CCNE, avis 107, p. 25

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l’embryon, la mise en place du diagnostic préimplantatoire, les critères de sélection desembryons… Il ne fera qu’une partie du travail d’encadrement de l’utilisation du DPI, il secontente d’orienter l’action de manière coercitive. Il s’agit en quelque sorte du nivellementpar le haut du comportement des individus. Mais une compréhension du système estessentielle. Nous avons précédemment démontré que la sensibilisation de la population etson éducation rendrait alors possible un comportement responsable. Ceci viendrait alorscompléter l’action du législateur, dans un nivellement par le bas du comportement desindividus.

Il convient donc de trouver une réponse, une solution à cette angoisse que nousavons pu identifier lors de notre introduction. Cette angoisse concerne notre devenir, maiségalement notre présent. Elle structure notre comportement et notre réflexion. Il s’agit doncde comprendre ses enjeux afin de la dépasser. Car l’angoisse ne peut décemment structurernotre être-au-monde. Nous devons être capables d’ancrer notre comportement sur d’autresvaleurs. Selon Corine Pelluchon, « il n’est pas sûr que l’angoisse révèle toute la vérité denotre rapport au monde. […] Nous ne sommes donc pas dans le souci. Mon identité ne tientpas en moi, mais dans une altérité en moi»144.

La relation avec l’autre est structurante et permet à l’homme de s’affirmer dans sonunicité, comme nous avons pu le présenter précédemment. Il n’est pas question ici decompétition ou de valeur intrinsèque de l’homme, seulement du rapport à l’autre. Ce derniera fortement changé parallèlement au développement d’un certain individualisme : il s’estdistendu. Or, ce rapport s’avère essentiel pour la cohésion à l’intérieur d’une société donnéeet pour la construction des individus autonomes. Il est d’autant plus important lorsqu’ilest question de personnes handicapées. Ces dernières ont particulièrement besoin dusupport de la société, et la société a besoin d’elles. Elles permettent de rappeler à tous lacontingence et la finitude de notre être. Corine Pelluchon, dans son ouvrage l’autonomiebrisée ainsi que lors de son audition à l’Assemblée Nationale, nous propose alors dedévelopper une éthique de la vulnérabilité.

Cette dernière est fondée sur « l’altérité, où la subjectivité serait basée sur lavulnérabilité »145. Notre rapport à l’autre, particulièrement au malade vulnérable, nouspermettrait d’être compris comme purement et simplement humain, dépourvu de touteautre caractéristique accessoire. C’est dans notre rapport à l’autre et particulièrement àl’être vulnérable que nous pourrions être le mieux perçu et ainsi se percevoir correctementsoi-même. Sans grande surprise, si nous voulons améliorer notre rapport aux personnesvulnérables, nous devrons améliorer leur intégration dans notre société et le regard quenous portons sur eux. Nous devons nous adresser aux personnes vulnérables en rejetanttoute considération de « performance » et de « norme ». Ces idées ne sont que l’expressiond’une société malade, apeurée et conflictuelle. L’idée de performance et de compétitionentre les individus au sein d’une même société ne peut avoir pour conséquence quel’apparition de frustration, de ressenti et donc de rejet de l’autre. Ce sont là des sentimentsqui ne peuvent qu’empêcher la pérennité d’une organisation dans laquelle chacun trouvesa place sans avoir à mener une lutte interminable et avilissante. Allant dans ce sens, C.Pelluchon déclara à l’Assemblée Nationale « Je pense que l’intérêt du questionnement surles tests prédictifs est ailleurs. Il souligne tout d’abord les efforts que nous devons fairepour améliorer l’accueil des personnes handicapées au nom de la solidarité envers les plus

144 C. Pelluchon, L’autonomie brisée, op. cit. p. 169145 issu de la déclaration de C. Pelluchon lors de son audition à l’Assemblée Nationale dans le cadre de la mission d’information

de révision des lois de Bioéthique, rapport précité

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vulnérables et au nom d'une conception de l’humanité qui ne subordonne pas la dignité àla possession de facultés cognitives ou à la compétitivité »146.

L’intégration des personnes handicapées à notre société est un défi de taille que nousnous devons de relever. La société française a un retard à combler dans ce domaine, et lelégislateur en est conscient : en témoigne la loi « pour l’égalité des droits et des chances,la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » du 11 février 2005. Maisune fois encore, ce n’est pas au législateur de faire tout le travail d’intégration nécessaire.Il en est tout simplement incapable : l’intégration des personnes passe essentiellement parl’action des citoyens et les interactions entre individus. C’est un domaine dans lequel lelégislateur aura le plus grand mal à s’introduire. L’éducation de notre société reste doncnécessaire sur ce point aussi. Un changement de notre approche vis à vis de l’autre, etparticulièrement lorsqu’il est vulnérable, nous permettra donc de renouveler notre regardsur nous même et de dépasser les angoisses qui nous caractérisent. Car si l’être humainaccepte sa condition et sa finitude, il ne pourra être que plus serein lorsqu’il posera unregard sur le futur. Ainsi que Corine Pelluchon l’a très justement remarqué, « La manièredont nous soignons les personnes atteinte de démence révèle notre capacité à assumerl’inconnaissable et l’inconnaissance, et souligne la force d’une civilisation, sa confiance enla vie et le degré d’ouverture dont elle est capable »147.

146 ibid.147 C. Pelluchon, L’autonomie brisée, op. cit., p. 180

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Conclusion

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Conclusion

Au cours de cette étude, nous nous sommes efforcés de déterminer l’efficacité de la réponsefrançaise face aux enjeux majeurs que représente l’utilisation et le développement dudiagnostic préimplantatoire. Afin de pouvoir effectuer un travail aussi complet que possible,nous avons cherché à analyser les différents aspects de la question, qui étaient d’uncoté pratique (relevant de la mise en place concrète de la technique), et d’un autre plusphilosophiques (concernant plus le processus d’encadrement, sa nécessaire mise en placeet ses enjeux). Nous nous sommes également attachés à comprendre le problème dans saglobalité, afin de pouvoir mieux comprendre la position française sur ce sujet.

Dans une première partie, nous avons donc dégagé les caractéristiques globales d’unencadrement législatif de la pratique du diagnostic préimplantatoire. Nous avons ainsipu comprendre que de manière générale, l’encadrement bioéthique doit être évolutif etempreint

de morale, et-ce quel que soit le système législatif choisi. Ensuite, nous nous sommespenché sur l’exploration des différents enjeux philosophiques concernant l’utilisation et ledéveloppement du diagnostic préimplantatoire. Partant du débat commun sur le statut del’embryon, nous avons pu comprendre que cette controverse n’était qu’un écran de fumée.Le vrai problème sous-jacent est en fait celui de la conception que l’homme a de lui-même.Et suivant cette conception, on pourra observer un risque eugénique relevant de l’utilisationdu diagnostic préimplantatoire. Nous avons pu étudier cette menace pour comprendrecomment s’en protéger.

Dans un second temps, nous avons pu prendre la mesure des décisions françaisesen matière d’encadrement normatif de l’utilisation du diagnostic préimplantatoire. Nousavons vu que cette législation est évolutive et porteuse de valeurs, ce qu’elle assume etrevendique. Elle a su, à sa manière, répondre a la menace eugénique émanant de lamise en place de cette pratique. En revanche, nous avons également présenté plusieursfaiblesses dans ce système, d’ordre pratiques et d’ordre plus éthiques. En effet, nous noussommes aperçu que notre société est désorientée, malgré les valeurs véhiculées par leslois de bioéthique. Ces dernières nous semblent inadaptées à la construction d’une sociétépérenne permettant à chacun de trouver sa place.

Nous avons alors présenté certaines pistes de réflexion afin d’orienter notre recherchede valeurs, de morale pour mieux vivre ensemble et donc mieux vivre avec soi-même. Ils’agira de redéfinir totalement notre approche de la vulnérabilité et du handicap.

Le contact avec des personnes handicapées nous force à prendre conscience de lafinitude et de la a précarité de notre situation d’être humain. Cette prise de consciencesuscite l’inquiétude, qui est parfois traduit en rejet. Or, nous devons dépasser cette peur,qui est encore la cause de nos maux. Si la société se base sur une « norme » (reposanttrès souvent sur l’apparence, capacités cognitives ou motrices…) pour appréhender lesindividus, c’est en réaction face à une « peur du vide ». Une norme permet en effet dejuger chacun de la même manière, c’est un repère, un fil d’Ariane. Sans cette norme deréférence nous serions obligés d’exprimer chacun notre propre système de rapport auxautres, en les comprenant selon nos idées personnelles. On comprend bien que l’abandondes normes que nous avons actuellement est on ne peut plus souhaitable. La société

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y gagnerait énormément si elle assumait et cultivait sa diversité. Ceci lui permettrait des’élever au dessus des conceptions de notre rapport à l’autre qui sont trop éphémèreset narcissiques. Ce dépassement se ferait par l’éducation des citoyens à ces questionsde maladie, de handicap, de vulnérabilité… Cette éducation pourrait être entreprise parl’Etat, mais de manière concrète, elle sera bien plus efficace si l’intégration des personneshandicapées au sein de la population. Cette intégration permettrait une sensibilisation, quiservira de terreau à toute action étatique. La société ne pourra que ressortir gagnante d’untel changement.

C’est également ce sentiment de peur qu’il faut dépasser en terme de bioéthique. Aprèsavoir pris conscience du potentiel destructeur de l’homme, en particulier lors du procèsde Nuremberg, l’homme a encore plus douté de lui. Nous devons garder à l’esprit cetteterrible capacité que nous avons, afin de toujours veiller à nous en écarter. Mais nous devonségalement accepter nos capacités telles qu’elles sont, et les développer de manière saineet éthique.

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Bibliographie

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Bibliographie

Ouvrages

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DWORKIN Roger B., Limits – the role of the Law in bioethical décision making, UnitedStates, Indiana University Press, 1996, 205 p.

HABERMAS Jürgen, L’avenir de la nature humaine : vers un eugénisme libéral ?,Gallimard (NRF Essais), 2002, 180 p.

Titre original : Die zunkuft der menschlichen natur. Auf dem weg zu einer liberaleneugenik, traduit de l’allemand par Christian Bouchindhomme

FUKUYAMA Francis, La fin de l’homme, Folio, 2004, 448 p.

Titre original : our posthuman future : consequences of the biotechnology revolution,traduit par Denis-Armand Canal

PELLUCHON Corine, L’autonomie brisée – bioéthique et philosophie, Paris, PressesUniversitaires de France - PUF, collection Léviathan, 2009, 328 p.

LE COZ Pierre, Quelle philosophie de la famille pour la médecine de la reproduction ?,Paris, L’Harmattan, 2006, 158 p.

SICARD Didier, L’éthique médicale et la bioéthique, 3ème édition, Paris, PressesUniversitaires de France, collection Que Sais-je, 2013, 128 p.

FELDMANN Gérard, La bioéthique, Paris, Armand Colin, octobre 2010, 160 p.

Articles issus de la presse et de revues

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SICARD Didier, « les perspectives de la médecine préventive et prédictive », Revuefrançaise d’administration publique, 2005, n°113, p. 121-125

AZRIA Elise, GRANGE Gilles, « Le diagnostic préimplantatoire », Laennec, 2007, tome55, p. 34-41

ROUSSEAU Vanessa, « Présentation – La parenté et la reproduction aujourd’hui : deuxfiliations remodelées », Cités, 2006, n° 28, p. 9-14

HERMITTE Marie-Angèle, « De l’avortement aux procréations artificielles, la toutepuissance du projet parental », Natures Sciences Sociétés, 2007, Vol. 15, p. 274-279

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Le diagnostic préimplantatoire : la réponse française

72 BERTRAND Max - 2013

GAILLE Marie, « ‘’perfection’’ et ‘’normalité’’, les enjeux d’une philosophie des normesde la procréation », Alliage, n° 67, Octobre 2010, p. 66-79

BINDE Jérôme, « ‘’Humain, encore humain !’’ », Diogène, 2004, n°206, p. 70-78

LOWY Ilana, « Procréation assistée : contrôle ou désordre ? (Commentaire) » ;Sciences Sociales et Santé, 2005, Volume 23, n°3, p. 31-36

BARJOT Philippe, « le diagnostic préimplantatoire : entre espoir thérapeutique etmenace éthique », Spirale, 2004, n°32, p. 54-4

DWORKIN Roger B., « Introduction : emerging paradigms in bioethics symposium »,Indiana Law Journal, Vol. 69, 1994, p. 945-954

LE COZ Pierre, « le diagnostic préimplantatoire va-t-il améliorer l’espèce humaine ? »Lapensée du midi, 2010, n°30, p. 51-57

Documents issus de sites Internet

BELLIVIER Florence, « bioéthique, bioéquité, libertés et Etat : à propos de l’éthiqueminimaliste de R. Ogien » [en ligne], 2010 [dernière consultation le 20.08.13] < http://www.juspoliticum.com/Bioethique-bioequite-libertes-et.html >

MEHL Dominique, « Les exclus de l’assistance médicale à la procréation » [en ligne],15 mai 2012, [dernière consultation le 20.08013], < http://www.raison-publique.fr/article527.html >

Assemblée Nationale, Rapport et auditions sur la Mission d’information sur larévision des lois de bioéthique [document en ligne], Paris, 22.01.10 [dernièreconsultation le 20.08.13], < http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/revision_lois_bioethiques.asp >

Assemblée Nationale, rapport n°825 sur le projet tendant à modifier la loi n° 2011-814du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditionsla recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires [document enligne], enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 mars 2013< http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r0825.asp >

Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé,Réflexions sur l’extension du diagnostic préimplantatoire – avis n°72 [pdf], 4 Juillet2002 [dernière consultation le 20.08.13] < http://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/avis072.pdf >

Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé, Avisn°107 : sur les problèmes éthiques liés aux diagnostics anténatals : le diagnosticprénatal (DPN) et le diagnostic préimplantatoire (DPI) [pdf], CCNE [dernièreconsultation le 20.08.13] http://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/avis_107.pdf

Etats Généraux de la Bioéthique [en ligne]. [page consultée le 20.08.13]< http://www.etatsgenerauxdelabioethique.fr/ >

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Bibliographie

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Boris Hauray, La construction des régulations de la recherche sur l'embryon en Europe,extrait de La Bioéthique en débat : angles vifs et points morts [document en ligne],Raison Publique, [page consultée le 22/07/2013]< http://www.raison-publique.fr/article526.html >

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Le diagnostic préimplantatoire : la réponse française

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Résumé

Ce mémoire est consacré à l’étude de l’encadrement de la pratique du diagnosticpréimplantatoire en France. Afin de pouvoir juger de l’efficacité du système français, nousavons dans un premier temps procédé à la présentation des enjeux globaux se rapportantau diagnostic préimplantatoire et à son utilisation. Nous avons alors été en mesure d’évaluerles accomplissements du système français en la matière. En effet, nous disposons d’unsystème législatif évolutif, relativement souple dans son application, et empreint de valeurs.En revanche, le fonctionnement concret de ce système est loin d’être parfait. Il est poreux,et souffre de la lenteur du système législatif français. De plus, les Centres pratiquant lediagnostic préimplantatoire ne fonctionnent pas de manière optimale. Mais au delà de ça,nous avons relevé des problèmes d’ordre social et éthique. La société a besoin d’unenouvelle philosophie de la famille, et d’un renouvellement des valeurs permettant à l’hommede comprendre son rapport avec autrui et avec lui même. Ce renouvellement doit passerpar la sensibilisation, l’éducation et le dialogue, afin de baser notre société sur de nouveauxfondements plus sains.