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LE JARDIN DE SANTÉ DE JEAN DE CUBA :

UNE ENCYCLOPÉDIE MÉDIÉVALE TARDIVE

ET SA RÉCEPTION1

Les lignes qui suivent ne sont que les réflexions prélimi-naires à une enquête destinée à se poursuivre dans les années àvenir. De fait, peu de choses ont été faites en France sur Jean deCuba et le Jardin de Santé, et mon intérêt pour cette œuvre a étésimplement éveillé par la présence de l'édition de Vérard parmi lesincunables de la Bibliothèque Municipale d'Alençon. Il s'agit d'unfort volume, imprimé en lettres gothiques à deux colonnes, oùchacun des chapitres est précédé d'une gravure sur bois, et quicontient, outre un plantaire assez complet, un bestiaire, unlapidaire, et un traité des urines.

1 Ces remarques s'appuient sur les travaux de deux de mes étudiants deRennes, David Robert Édition de la partie volucraire du Jardin de Santé, mémoire demaîtrise, Rennes, 1996, et Stéphanie Colnot. Édition du traité sur les plantes, duProhesme au chapitre de l'erbe appellee arthemisia de l'Ortus sanitatus translate de latin enfrançois; mémoire de maîtrise, Rennes, 1998. Qu'ils en soient remerciés.

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Ce livre est intéressant à plusieurs titres ; il est toutd'abord une des formes les plus tardives d'encyclopédies médiéva-les, et présente, pour une période qui m'intéresse particulièrement,un bon témoignage des connaissances et de leur diffusion. Ilprésente de plus, sur le plan lexical, la particularité de proposer unvaste vocabulaire portant sur les animaux et les plantes, pourlequel un rapide sondage m'avait montré que les premières attes-tations habituelles étaient beaucoup plus tardives. C'est donc, àmes yeux, le texte français proposé par Vérard qui est essentiel etqu'il importe d'étudier précisément.

J'ai formé le projet, à long terme, d'en proposer uneédition complète, en suggérant à quelques étudiants de commen-cer par en établir une translittération. Une fois de vastesfragments du texte en main – pour le moment le volucraire et unepetite partie du plantaire – les questions sérieuses ont commencé,et ce que je proposerai ici n'est que le fruit provisoire des interro-gations qui se sont posées au fur et à mesure que le texte s'établis-sait. Elles sont de plusieurs ordres, le premier évidemment étanttextuel : d'où sort le Jardin de Santé, qui l'a composé, quand,pourquoi et dans quelles situations ? On s'apercevra que l'œuvreest composite et qu'il faut s'interroger sur ce point ; mais lessimples questions sur l'origine et le statut du texte entraînentd'autres interrogations : quelle a pu être la stratégie éditoriale deVérard, qu'est-ce qui l'a poussé à publier un ouvrage qui a sesyeux devait avoir un réel succès, alors que la rareté des exemplai-res subsistant comme le fait qu'il n'en a été effectué qu'un seultirage au début du XVIE siècle montrent le relatif échec de sonentreprise. S'il est trop tôt pour clore l'enquête, si les remarquesqui suivent sont encore à modifier, à reprendre et compléter,certains acquis semblent apparaître, dont je vais ici esquisser leslinéaments.

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Le texte et son histoire

Le titre de l'édition Vérard porte Le Jardin de Santé, trans-laté du Latin en François, sans donner de nom d'auteur ni de traduc-teur. Une première enquête à partir de ce titre, au travers duManuel du Bibliographe de Brunet, m'a appris que l'œuvre était attri-buée à Jean de Cuba ; ce nom étant absent de tous les usuels de lalittérature française, une deuxième enquête dans la BiographieUniverselle de Michaud et Poujoulat m'a appris que Jean de Cubas'appelait de son vrai nom Johann von Kaub, médecin à Franc-fort, et qu'il avait composé en allemand un Gart der Gesuntheit,lequel avait été traduit en latin, puis en français. Voilà les basessur lesquelles j'ai commencé à travailler, confiant dans l'éruditiondes auteurs. En réalité, il fallait aller plus loin.

En consultant l'usuel An introduction to a history of woodcut2,j'ai découvert tout d'abord que Johann von Kaub s'appelait plusprécisément Johann Wonnecken von Cube ; que le titre de Gartder Gesuntheit ne se trouvait que dans la préface de l'auteur, et quele colophon indiquait pour lui Herbarius. Davantage, que laproduction d'herbiers, ou plus exactement de plantaires a été assezabondante en Allemagne, et cela très tôt, bien avant que les impri-meurs français ne prennent timidement le relais. Plusieurs œuvrespeuvent prétendre être une source possible du Jardin de Santé,puisque le titre même, incertain pour l'œuvre originelle, va êtrerepris, dans une suite de concaténations d'autant plus propres àbrouiller les pistes que les œuvres vont dans un premier tempsêtre imprimées par le même Schöffer.

Nous avons tout d'abord un Herbarius Latinus, datant de1484 ; ce livre décrit 150 plantes, avec comme dénomination, à lafin de la préface :

Ob id presens opusculum suam sumpsit denominationemAggregator practicus de simplicibus.3

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3 Cité dans J. F. Payne, « On the Herbarius an Hortus sanitatis », Transactions ofthe Bibliographical Society, vol. VI, part I, Londres, 1901, p. 72.

2 A. M. Hind, An introduction to a history of woodcut, Dover, 1989.

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On comprend par cet intitulé que le terme d'Herbariuscorrespond plus à une appellation générique qu'à un titre précis,et que ce livre des simples composé par un compilateur soit difficile àattribuer. Il serait souhaitable que le nom d'Aggregator soit utilisépour parler de ce premier volume, d'autant que le plan en estparticulier, comportant sept parties, consacrées �aux vertus des plantes�aux simples laxatives et lénifiantes�aux simples fortifiantes�à leurs fruits, graines et racines�à leurs résines et sèves�aux divers sels, minerais et pierres, �aux animaux et à ce qui provient d'eux.

Notons déjà, cependant, l'élargissement implicite de lanotion de simple. Il ne s'agit pas, comme nous pourrions le suppo-ser, d'un nom technique pour parler de plantes – par oppositionaux composées – mais bien d'un terme médical. L'Aggregator se situedans la tradition du Livre des simple médecines, et propose des objetssimples dont il met en évidence les vertus thérapeutiques naturelles.Cela entraîne, dans une approche médicale de la nature, l'associa-tion presque obligée des pierres et des animaux.

Un deuxième volume, en allemand et portant lui aussi lenom générique d'Herbarius, a été publié par Schöffer en 1485 ; letitre complet Herbarius zu Teutsch est utilisé, on l'a vu, dans lecolophon, mais le prologue propose un autre titre, en allemand,Gart der Gesuntheit. Il ne s'agit pas d'une traduction allemande dutexte précédent, mais d'une œuvre originale, plus complète, quidécrit 369 plantes, et plusieurs animaux (Arthur Hind n'est pastrès précis à ce sujet), et contient un traité des urines. C'est cetteœuvre que l'on attribue habituellement à Johann Wonnecken vonCube.

Un Hortus sanitatis est publié quelque temps après, en1491, par J. Meidenbach ; il est considéré comme une œuvreindépendante, même s'il est largement inspiré de l'œuvre précé-dente, et comporte sept livres, consacrés, après le Prohemium de

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l'auteur, aux plantes (530 chapitres), aux animaux terrestres (164chapitres), aux oiseaux (122 chapitres), aux animaux marins (106chapitres), aux minéraux (144 chapitres), et à un traité des urines,suivi de deux index.

C'est de cette version qu'est issu indiscutablement leJardin de Santé traduit par Vérard. Le texte latin est lui-même unouvrage composite, qui semble reprendre à divers auteurs, dontJean de Cuba, des parties de son texte. Telles que se présentent,provisoirement, mes recherches, seule la partie correspondant auplantaire serait de ce dernier, mais toutes les vérifications ne sontpas encore effectuées, les parties consacrées aux animaux – etpeut-être aux minéraux – étant reprises de textes antérieurs.

Le Proesme de l'auteur, tel qu'il se présente dans l'éditionVérard, semble reprendre4 approximativement celui qui estrésumé par J. F. Payne dans son analyse du Gart der Gesuntheit, ettraduire exactement celui de l'Hortus Sanitatis. On pourra compa-rer :

Ad idem aggrediendum non minus me movit, sed et maximepermaxime nobilis quidam dominus qui regna terrasque variasperagrando videlicet Alemaniam, Italiam, Hystriam, [...]de sepedictis herbis, animalibus, lapidibus ceterisque ad confectionemmedicinarum necessariis, et propter raritatem incognitis magnamaccepit experientiam...5

et le texte qui est cité plus loin : l'énumération des régionstraversées se trouvait déjà dans le texte du Gart der Gesuntheit, danscet ordre même, à cette nuance près que c'était JohannWonnecken von Cube qui prétendait avoir fait les voyages enquestion, accompagné d'un dessinateur6. On pourrait supposerdès lors que le traducteur latin, par cette citation indirecte, voulaitmarquer sa dette envers Johann von Cube.

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1776 Cf. Payne, op. cit., p. 94.

5 Cité in Payne, op. cit., p. 104.

4 Sous réserve de collation sur le texte allemand.

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On peut donc considérer comme acquise la filiation del'œuvre :

– tout d'abord, un Herbarius latin, composé par l'Aggregatoret ayant pour titre latin Liber de simplicibus. Il suscite la vogue desherbiers dans la tradition allemande à la fin du XVE siècle (1484) ;

– connu aussi sous le nom d'Herbarius zu Teutsch, le Gartder Gesuntheit, œuvre en grande partie originale et bien plus impor-tante composée par Johann Wonnecken von Cube (1485) ;

– sa traduction-adaptation latine, l'Hortus Sanitatis, publiéepar Meidenbach en 1491 ;

– puis enfin la traduction fidèle, du latin au français, quereprésente le Jardin de Santé. édité par Vérard.

Nous travaillerons dorénavant sur le texte français enconsidérant son origine comme établie et fiable, sous bénéfice desa collation précise avec le texte latin, qui reste à effectuer.

L'image du jardin

La métaphore horticole, constante depuis le titre de Gartder Gesuntheit, demande à être réfléchie. Il ne s'agit pas ici de sesituer simplement dans la tradition d'un herbier ; ceux-ci ontvolontiers, dans la tradition médiévale, d'autres titres, qu'il s'agissedu Livre des simples médecines évoqué plus haut ou du Tacuinumsanitatis « manuel de santé », alors que nous verrrons depuis l'Hor-tulus de Walafried Strabo7 jusqu'au Jardin spirituel 8 anonyme

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8 « Cy commence le jardin espirituel pour religieux et religieusez fort devot :

Rigabo ortum meum plantacionum [eccli., 24, 42], c'est la parole du saige enl'espitre d'aujourd'uy. Le saige suppose en ces paroles ycy que il a un jardin dedivers arbres portans pluseurs et divers fruis, et dit qu'il le veult arrouser.

Ce n'est pas de mervelle se Salomon qui estoit tant saiges et tant vertueux,qunt il dit ce, s'il avoit ung biau jardin esperituel en la terre de son ame » (ms.BnF. fr. 10032, f 123)

7 P. L. CXIV, col. 1119-1130.

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combien le jardin peut être, d'abord, métaphorique d'autresnotions.

Le jardin est le lieu naturel par excellence, mais en mêmetemps celui où l'homme domestique cette nature à des finspersonnelles ; il est le lieu le plus propice à évoquer la situationoriginelle, celle du temps où la nature bienveillante était consacréeà l'homme par un Dieu tout-puissant. Lorsqu'Herrade de Lands-berg compose son Hortus déliciarum, elle se situe dans une doubleperspective : d'une part, elle constitue, au travers d'excerpta etd'ajouts personnels, un anthologie de textes édifiants ; d'autrepart, elle constitue, par le nom même de son ouvrage, un échonostalgique du jardin d'Éden ; c'est par le biais de la res scripta quel'homme pourra espérer retrouver le bonheur originel. Il en est del'Hortus déliciarum comme du Liber floridus de Lambert de Saint-O-mer, et le savoir ainsi recueilli constitue à la fois l'écho d'unbonheur nostalgique que le seul savoir peut nous aider à rejoindre(et un savoir fondamentalement religieux) et une collection parprincipe désordonnée. On cueille un bouquet, on arrange lesconnaissances et les informations comme l'on arrange un vase.

Mais, paradoxalement, alors qu'un courant de la littéra-ture édifiante emploie l'image du jardin pour constituer un flori-lège, l'âge scolastique invitera à organiser ce jardin, à le structurerde façon rigoureuse. J'ai évoqué ailleurs le Jardin des Nobles dePierre des Gros, où toutes les vertus que l'on attend de lanoblesse seront figurées par des allées (les quatre voies du jardinsont les vertus théologales plus l'humilité), des treilles (au nombrede quatre, elles sont : Félicité en général, félicité de l'âme, ducorps glorieux, félicité accidentelle), des massifs de fleurs ayanteux-mêmes différentes significations selon qu'ils sont de rose oude violette, etc.9

L'autre facette enfin du jardin, celle qui justifie les titresd'œuvres moins ambitieuses que celles dont nous venons de

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9 Ms. BnF fr 193. Cf mon « Reliure, Clôture, Culture ; le contenu desjardins », Aix en Provence, Février 1990 Jardins et Vergers au Moyen Âge,Senefiance n° 28, p. 155-175.

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parler, c'est celle de l'abondance. le Jardin de Plaisance ou le Vergerd'Honneur ont cela de commun qu'ils constituent des anthologiespoétiques foisonnantes. Le passage de l'herbier au jardin est celuid'un inventaire des 150 plantes de l'Herbarius à un relevé de 369pour le Gart der Gesuntheit, 530 pour l'Hortus Sanitatis.

Cette composante est explicitée dans la prologue d'unautre jardin, l'Ortus vocabulorum :

propterea quod in eo fructuum copia reperiri posset, ortumvocabularum appellari decrevimus 10

De fait, la surabondance – copia – justifie à elle seule unordre alphabétique auquel tous les encyclopédistes ont fini par serésoudre, dès que le schéma hexahéméral ne peut plus gérer lafoisonnement de la matière.

Distinct en cela de toutes les œuvres morales que l'on arappelées, le Jardin de Santé présente une autre caractéristiqueessentielle : loin d'un Éden perdu, dont ne pourraient subsisterque les nostalgiques simulacra de la mémoire et de l'écriture, ilnous présente le monde comme un jardin, surabondant, organiséet malgré tout bienveillant :

Ces choses quant en moy mesmes taisiblement je revolvoye etpensoye, au contraire je remembroye la sapience du createur parlaquelle des le commencement, au genre humain par luyconstitué en tant de perilz a prouveu de remede opportun etconvenable, c'est assavoir : par les herbes, bestes, animaulx, etautres creatures, ausquelles il a donné telle vertus que lesmatieres dissoultes et hors de attrempance, elles reduyroient avraye attrempance, armonie et proporcion.11

Certes, depuis la faute, l'homme est soumis aux intempé-ries, aux hasards de la nature :

L'impureté de l'air ou l'inconvenient de l'air, la paine et le labourdesordonné, et moult plusieurs autres choses desvoyans l'omme

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18011 Jardin de Santé, f. II r, col. b

10 Édition de 1500, reprint Scolar press Ltd, 1968.

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de parfaicte santé, lesquelles si je vouloye toutes nombrer, il mefauldroit (si comme il me semble) rendre raison de l'araine de lamer pource certainement que plus de mille perilz environnentl'omme.12

La « paine et le labour » désordonnés sont bien ici deséchos de la malédiction d'Adam, et la faiblesse de la santéhumaine est une conséquence, somme toute, de la faute originelledont le scandale rejaillit sur toute la création. Quant aux grains desable, ils sont manifestement un écho de la promesse faite àAbraham :

je te bénirai et je multiplierai ta postérité, comme les étoiles duciel et comme le sable qui est sur le bord de la mer; et tapostérité possédera la porte de ses ennemis.13

Une sorte de discours parallèle se met ainsi en place. Quedes auteurs se soucient de l'âme et de l'édification, il n'est pasinutile de se soucier du corps. Le salut de l'âme est venu d'uneRévélation, la bonne connaissance du jardin du monde, qui conti-nue à nous entourer, peut nous apporter le salut du corps.

Et pource que en ceste mortelle et transitoire vie il n'est possiblea l'homme posseder plus chier ne plus desiderable tresor que lavraye santé du corps ainsi que dit le sage. Ecclesiastici, xxx. Lesalut de l'ame (dit il) est meilleur que tout or ne argent, et lecorps sain que le cens et rente mesuree. Il n'est cens ne tresorqui soit sus le cens et richesse de la santé du corps14. Il me a estéadvis estre chose tres grande et prouffitable composer et faireung livre contenant la multitude des figures sus certaines proprescouleurs semblables aux herbes, pierres, bestes et autrescreatures, et aussi leurs natures dessus escriptes.15

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18115 Ibid.

14 Salus animae in sanctitate justitiae et melior omni auro et argento, et corpusvalidum quam census inmlensus. Non est census super censum salutis corporis,et non est oblectatio super cordis gaudium. Sir 30, 15-16.

13 Gn. 22, 17.

12 Ibid.

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La référence à l'Ecclésiastique n'est pas innocente. Par cebiais, une œuvre qui ne sera que de « médecine naturelle », qui nes'occupera désormais plus de Dieu ou du salut, mais seulementdes plantes et de leur efficacité thérapeutique, une œuvre techni-que se situe en relation avec les choses de la foi ; l'inventaire de la« multitude » du monde – multitude positive en écho à celle des« perilz » qui menacent l'homme – a une autre fonction, puisqu'àexalter les merveilles de la Création, elle exalte aussi son Créateur.

Cette double articulation se retrouvera dans la doublemotivation avouée de l'auteur :

Certes de parfaire icelluy oeuvre premierement etprincipalement charité me contraignoit. Laquelle m'a fait avoircompassion et pitié de la povreté et souffrete de ceulx ausquelzla faculté temporelle ne peut administrer pour la necessité deavoir les medicins et apoticaires la pecune defaillant. Certesceulx cy aidez par la doctrine de cestuy livre, petis despens etmises faictes se pourront donner et conferer remedezpreservatifz et medicinemens parfaitz.16

C'est donc la charité chrétienne, tout d'abord, qui vajusqu'à contraindre l'auteur – mais je m'imagine mal des lecteurs,« la pecune defaillant » au point de ne pouvoir rétribuer unmédecin ou un apothicaire, capables d'acheter un ouvrage certai-nement très onéreux. On peut supposer que quelque clerc pouvaitl'avoir ou en faire la lecture à tout un village, comme on verraplus tard Jaume utiliser le Raspail pour la communauté17 ; maisl'argument reste sujet à caution. L'autre raison,plus importante

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17 Arbaud est allé chercher Jaume. Il est venu avec son livre, un Raspailcouverte papier de boucherie.

Ce livre est devenu quelque chose d'important à force d'entendre dire àJaume : « Je l'ai acheté l'année que je me suis marié ; j'en avais envie depuis troisans. » [...] « Un médecin, y t'en foutrait pour quinze francs de drogue et puis dela diète, en veux-tu en voilà. Ça, c'est le médecin des pauvres, et pouis c'est unrude, tu peux me croire. » (J. Giono,Colline, éd. de la Pléiade, 1973, p 172)

16 Ibid., f. II v, col. a.

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semble-t-il, et plus profane en apparence, c'est la présence d'uncorpus iconographique préexistant :

Et aussi non pas moins m'a esmeu a ceste chose aggreger maistres grandement aucun noble seigneur : lequel en allant pardivers royaulmes et diverses terres, c'est assavoir : Allemaigne,Ytalie, Hystrie, Salvonie, Croatie, Dalmacie, Grece, Corfonie,Moree, Candie, Rhodes, Cyprie, et la Terre saincte avec sa citéde Hierusalem ; et de la en allant en la Petite Arabie vers lamontaigne de Synay. Et de la montaigne de Sinay vers la merRouge, Alcayr et Babiloyne, par Alexandrie jusques en Egypte, aprinse grande experience des souvent dictes herbes, bestes,pierres, et autres choses a la confection des medicinesnecessaires et incongneues par leur rareté. En escrivant leursvertus et leurs semblances et similitudes soubz figuresconvenables et par certaines couleurs a procuré faire leursemblance. Toutes lesquelles et chascune d'icelles soubz forme,figure et couleur deuëz et par ordre exquis tu trouverasdespaintes en ceste presente euvre.

Le long d'un chemin qui est manifestement de pélerinage,un grand seigneur voyageur s'est intéressé aux plantes qu'ilpouvait rencontrer. Il les a fait dessiner et les a décrites, consti-tuant un répertoire exhaustif de la nature du monde. L'énuméra-tion des lieux visités annonce le vertige de l'inventaire qui suivra,dans le désir fou de prendre en possession le monde, par le nomet le dessin ; cette forme de démesure est, soyons-en conscient,plus proche de la frénésie de la Renaissance que d'une approchestrictement religieuse.

À cette première étape du propos s'ajoutera une autredémarche, qui elle aussi a sa signification propre ; il ne suffit pasd'inventorier le monde, il importe aussi d'en comprendre la signi-fication, de le plier aux besoins humains. La description desplantes et des animaux ne suffit pas, elle doit aussi mettre enévidence la fonction thérapeutique et médicale du monde, et àl'énumération exotique des pays parcourus va se superposer celle,érudite, des auteurs consultés :

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Par ces deux choses doncques esmeu a l'ayde de Dieu cestelouable oeuvre ay commencee et parfaicte, par les tresapprouvez maistres des medicins. C'est assavoir de Avicenne,Ypocras, Galien, Vincent, Serapion, Plateaire, Plinius,Dyascorides, Pandecta, Jehan Mesue, Paladie, Constantin,Almansore, et moult plusieurs autres non moins expers. Et m'apleu que il fust appellé le Jardin de Santé.

Deux savoirs sont ainsi superposés, savoir pratique etd'observation, savoir théorique issu de la connaissance médicale,comme deux finalités, l'une savante et l'autre charitable. Cettedouble justification soulève autant de difficultés qu'elle est censéeen résoudre : si la connaissance prime au point de faire un grosvolume, où est – comme on l'a déjà dit – le souci charitable derendre l'automédication accessible à tous ? Si les plantes dumonde entier sont convoquées pour permettre une médecineaboutie, qui pourra prétendre se soigner lui-même avec de lamyrrhe ou de l'aloès recueilli dans son jardin ?

En fait, la réalité peut concilier ce qui paraîtcontradictoire : tout d'abord, il est probable que de nombreusesplantes exotiques étaient accessibles à de simples clients, lors desfoires : comment expliquer, autrement, le Dit de l'Erberie, commentrendre compte des orviétans du Pont-Neuf, comment, enfin,expliquer les règlementations censées éviter la vente de denréesfrauduleuses, qu'il s'agisse de produits composés comme la théria-que ou de produits simples comme le baume ?

Par ailleurs, on le verra, les plantes qui sont présentées,comme ensuite les minéraux et les animaux, ne sont pas simple-ment des produits exotiques et mystérieux, mais ceux que l'onpeut rencontrer dans son jardin ou le bois près de chez soi. C'estpour mémoire que seront mentionnées griffons et autruches, etdans le volucraire, les chapitres les plus nombreux seront consa-crés à des animaux connus de nos contrées18.

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18 Qu'on en juge, par exemple, avec les oiseaux présentés à la lettre P :passerat, paon, palombe, pluvier, papillon, pélican perdrix, pie, pic, pirale (sortede mouche), perroquet, porphirio (poule sultane ?).

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questions textuelles

Revenons maintenant à l'organisation du recueil : si lafiliation du Proesme ou de la partie consacrée aux plantes estétablie, celle des autres parties reste incertaine. Les ajouts anima-liers et lapidaires à la trame du Gart der Gesuntheit sont consé-quents, et constituent non un simple appendice, mais un travailriche et complet : 122 chapitres par exemple sont consacrés auxoiseaux (pour indication, dans le De Proprietatibus rerum, Barthé-lemy l'Anglais leur consacre 38 chapitres), et l'on voit dans chaquechapitre de nombreuses références à une multitude d'autorités,Isidore, Jorath, Pline, qui fait en apparence la preuve du grandsavoir de l'auteur.

Notons toutefois la disparité des sources d'un livre àl'autre, perceptible par exemple dans la suite des autoritésinvoquées ; pour le premier chapitre du plantaire, consacré à laBarbe d'Aron : Pandecte, Galien, Paulus et Dioscoride ;pour lepremier chapitre du volucraire, consacré à l'Aigle, Isidore, Jorath,le livre De la Nature des choses, Pline, et « l'acteur ». Certes, on peutsupposer que la matière induisait un suite d'autorités différentes,mais il reste surprenant de constater une telle disparité : lecomplément au Gart der Gesuntheit n'est sans doute pas de J. vonCube.

Ceux qui ont travaillé sur les encyclopédies médiévalessavent combien, dès les successeurs d'Isidore, la rédaction d'unchapitre sur un sujet donné consiste, essentiellement, en unecompilation de toutes les auctoritates sur le sujet. Sur l'aigle, parexemple, Barthélemy cite entre autres Pline, Isidore, Ambroise,Grégoire et Aristote. Une multitude de références n'implique pasle recours direct aux sources, mais peut simplement signifier l'uti-lisation d'un recueil antérieur ; on peut donc constater la richessede ce que propose le volucraire du Jardin de Santé, et se demanderquels auteurs il a pu lire, ou plus exactement quelles compilations ila pu consulter.

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En fait, la recherche m'a été épargnée par Bruno Roy :lorsque je lui ai montré la partie volucraire du Jardin de Santé, il areconnu le texte du Speculum Naturale de Vincent de Beauvais, surlequel il avait longuement travaillé autrefois19 : les mêmesfragments des mêmes autorités pourraient, au pire, n'être que lefait d'une rencontre : qui ne cite, au Moyen Âge, Isidore ou saintAmbroise ? Mais le même ordre, et surtout la mention del'« auteur » comme une autorité à part entière dans le Jardin deSanté, exactement à l'endroit où Vincent de Beauvais prend l'initia-tive d'une remarque personnelle, prouve suffisamment que, par lebiais de l'Hortus Sanitatis, c'est essentiellement à une traduction enfrançais de l'œuvre de Vincent de Beauvais20 que s'est livré l'édi-teur parisien, sans forcément en être conscient. on pourra enproposer comme exemple Ainsi, le compilateur inconnu de l'Hor-tus Sanitatis a-t-il pu, sans difficultés, augmenter de façon radicalesa matière en quelques années, en s'appuyant sur un texte relative-ment accessible.

C'est le premier intérêt de cette traduction éditée parVérard : elle constitue, de fait, la seule traduction françaiseconnue, partielle certes, du Speculum Naturale de Vincent deBeauvais. On ne trouve aucune référence à Vincent dans le corpsdu Volucraire, alors qu'il est pourtant annoncé comme source dansla préface du Jardin :

C'est assavoir de Avicenne, Ypocras, Galien, Vincent, Serapion,Plateaire....21

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18621 Op. cit., f II r, col b.

20 L'enquête ne peut se limiter pour le moment qu'à une collation sur laclassique édition de Douai : il est évident qu'il faudrait fouiller davantage, ettenter de cerner la tradition manuscrite sur laquelle l'auteur de l'Hortus Sanitatiss'appuie ; elle serait alors susceptible de nous éclairer sur certaines divergencesavec la tradition Douai, et de nous indiquer si les modifications observées sontle fait du traducteur ou d'un copsiet antérieur.

19 B. Roy, « La trente-sixième main : Vincent de Beauvais et Thomas deCantimpré », in Vincent de Beauvais, intentions et réceptions d'une œuvre encyclopédique auMoyen Âge, éd. S. Lusignan, M. Paulmier-Foucart, A. Nadeau, Bellarmin-Vrin,1990, p. 241-252.

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C'est, en fait, lui qui fournira la quasi totalité de l'œuvre.Comparons, par exemple, le L. XVI, ch. CXXX de Vincent :

Perdicum carnes prae ceteris avibus sylvestribus sanissimae sunt.Hujus avis pectus cum cum superioribus sunt valde sapida,inferiora vero non ita. Perdrix, testante Plinio, non pinguescit.Fel ejus cum melle aequo pondere prodest ad oculorumclaritatem. Dioscorides. Fel perdicis ejusdem virtutis est cujus, &pavonis, unde valent ad effusionem oculorum, & ad caliginemaspredinemque palpebrarum. Hali Hepar quoque perdicissiccatum diligenter tritum ac bibitum epilepsiae prodest. Plinius,lib. 29. Oculis contusis valet perdicis fel cum aequo pondere mellis. Persequoque valet ad oculorum claritatem, quod in argentea pyxide servarijubent. Ova etiam perdicum in aereo vase decocta cum melle ulceribusoculorum & glaucomatibus medentur. Sanguis perdicis eximie prodest oculiscruore suffusis. Idem in lib. 30. Jus perdicum recreat stomachum.Morbo etiam regio resistit cerebrum perdicis in tribus vini cyathis.

avec le texte du Jardin de Santé :

Ysidore. Les chars des perdrix devant tous les autres oyseaulxsaulvages sont tres savoureuses a manger. La poictrine de cestoyseau avec le dessus est moult savoureuse a manger, mais lapartie d'en bas non pas tant. La perdrix tesmoing Plinius nes'engraisse point. Son fiel avec miel en poix egal prouffite a laclarté des yeulx. Dyascorides. Le fiel de la perdrix est de mesmes vertu que celluydu paon, pour quoy il vault a la suffusion des yeulx, a l'obscuretéet aspreté des palpebres. Haly\90vb\. Le foye de la perdrixdeseiché diligemment broyé et beu vault aux epilantiques.

Pline au livre XXX. Le jus de perdrix recree l'estomach et resistea la maladie realle.

Nous avons mis en italiques les parties qui ne sont pascommunes aux deux textes. La première conclusion est que toutest bien extrait ici de Vincent, et que le compilateur a travaillé endeux temps. Dans un premier temps, il a repris textuellement lespremières lignes de Vincent, qu'on peut lui attribuer en propre, eta commencé à reprendre à son compte la suite des auctoritates

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présentes dans le Speculum naturale. Il cesse lorsque Vincentdétaille en suivant Pline l'efficacité du fiel de perdrix, qu'il avaitdéjà mentionnée dans son ouverture. Il reprend lorsque, citant ànouveau Pline, Vincent donne une nouvelle information. Le butdu compilateur n'est pas d'accumuler les auctoritates et de consti-tuer un conservatoire organisé d'excerpta savants ; il est de mettreen place un savoir utile et utilisable, ayant sinon une finalité, dumoins un souci thérapeutique. Toutefois, on pourra noter que lacitation de Pline est tronquée22 : il est possible que le traducteurait buté sur les cyathes de vin, mot un peu rare peut-être,puisqu'on le voit incapable de traduire morbus regius – la jaunissed'après Gaffiot – autrement que littéralement.

Il est aussi, puisqu'il n'y a pas dans le Jardin d'équivalentdu livre XX du Speculum naturale consacré aux reptiles, vers etinsectes, de prendre en compte les volatiles qui ne se trouvent pasdans le livre XVI, comme la cicendule, sorte de ver luisant qu'il vatraiter en allant chercher la matière chez Vincent, et en l'abrégeantcomme on l'a vu le faire.

Sa démarche d'allègement du texte de Vincent se doubled'une autre volonté, celle d'être, si possible, plus complet que lui :on le voit ajouter un chapitre sur un oiseau étrange, le/lacorinthe ?

Chapitre.xxxviij. De corinta. Corinte.\73ra\Corinta. Pline. Corinte est ung grant oyseau qui es partiesd'Orient. Lequel a la moelle semblable a la vache, et est moultreplet et infuz de sang. Et pource il boyt moult plus que ne fontles autres oyseaulx.Albert au Livre des natures des bestes. Corinte est ung oyseau qui apou de plumes et pennes, et si sont petites.

mais aussi oublier, volontairement je pense, le ch. C de Vincent,De Kiki et koki, qui se conclut par :

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18822 Je n'ai pas pu vérifier si c'est le cas dans l'Hortus latin.

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Idem alibi de cornice dicitur, unde hanc autem existimocornicem esse23

Cependant, l'originalité de l'auteur subsiste. SuivantVincent y compris dans des doutes et des redites, comme parexemple dans le chapitre LXXXII, renvoyant à la Nicedule :

L'acteur Ce mesmes avons dit dessus de monedula, et sembleque ce soit tout ung, mais par advanture ceste diversité de nousvient par la faulte de l'escrivain.24

Il est capable parfois encore le compléter, en ajoutant par exempleau chapitre du Griffon non seulement une référence à Albert leGrand qui ne figure pas chez Vincent, mais aussi à Jean deMandeville :

Albert au Livre des natures des bestes. Grippes est semblable aulyon en la partie de derriere en la queue, et es cuisses de derriere.Et a aussi les ongles longs, desquelz on fait hanaps.

Jehan de Mandeville dit que le corps du grant grippe est plusgrant que huit lyons de ces pays et parties. Et que apres qu'il aoccis ung beuf, ung cheval, ou ung homme, voir armé, il ne lieveet l'emporte de plain vol. Ses ongles sont comme cornes de beuf,desquelz sont faitz hanaps a boire qui sont reputez moultprecieux. Et des plumes de ses esles ont fait arcs roiddes et forspour getter traictz et saiettes.25

On le voit aussi ajouter une référence à Petrus Comestorau chapitre du coturnix26, et citer exclusivement Barthélemyl'Anglais à propos du bourdon :

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26 « Le mangeur. Cest oyseau Cocurnix principalement est nourry es rivages etfins de Arabie, et est ung oyseau royal, lequel nous appellons vulgairementcurelle, dit de ce mot courir ». Op. cit., f LXI r. b.

25 Op. cit., f LXXVIII v. b. S'il n'y a qu'une référence à Jean de Mandeville,nombreuses sont celles à Albert, une vingtaine rien que pour le volucraire.

24 Comparer avec le texte latin : « item dictus est antea de monedula, undevidetur idem esse. Sed forte diversitas illa nominis provenit, ex vitio scriptoris. »(V. de Beauvais, Spec. Nat., lib. XVI, cap CX).

23 Op. cit., col. 1215.

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Fucus. Bartholomeus au livre des proprietes des choses dit quefucus est la plus grant mousche a miel. Et est dicte fucus pource qu'elle mangeue les labours estranges quasi comme fagus, a cemot "fagin" \76vb\qui est a dire "manger". Car il mangeue etpaist ce qu'il n'a pas labouré, car il ne fait point de miel, mais ilmangeue le miel des autres. Duquel dit Virgile: "Ignauum fucospecus". Ces mousches appellees fuces sont sans aguillon ainsicomme mousches imparfaictes, et sont servantes des vrayesmousches, et pour ce les vrayes mousches leur enjoignent etcommandent. Elles dechassent les premieres aux oeuvres, etcelles qui retardent elles les poignent et pugnissent sansclemence ne misericorde. Et non pas tant seulement en l'oeuvre aydent les vrayesmousches dictes apes, mais aussi en impregnation. Etcertainement de tant qu'il y aura plus grant multitude d'iceulx detant se sera plus grant abundance de esprouvemens et decongregacions. Et quant le miel commencera a maturer et estremeur elles les chacent, et toutes au miel assemblees les expellentet degettent, et ne sont point veues si non au prin temps. Cesmousches nommees fuces ediffient les mansions aux roys etimperateurs des vraies mousches apes, et les font amples,magnifiques et separees, et de couverture eminentes. Et sont faizsix angles en toutes les chambres d'une chascune. Et combienque ces mousches fuces ayent et soustiennent tant de labours,touteffois a paine leur est permis de manger du miel si non cequ'ilz prennent et desrobent ainsi que dit Pline.27

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27 Ibid., f LXXVI v a, b. Comparer avec le texte de Barthélemy : « Fucus, fuci,est ape major, minor scabrone. Dictus autem et fucus eo quod comedit laboresalienos, quais fagus a fa¨gein, quod est comedere. Depascitur enim quod / nonlaboravit, quia nec mellificat, sed aliorum mel manducat. De quo Virgilius : Ignavum fucos pecus a praesepibus arcet. Ut dicit Isidor. lib. 12. De his fucis dicit Plin. lib. 11. cap. 12. Cum largior, inquit,mellis proventus adducitur in aluearibus, ex contubernio fucorum depascitur.Sunt autem fuci sine aculeo, velut imperfecti apes, & sunt servitiale verarumapum, & ideo eis imperant verae apes, primosque expellunt ad opera, tardantesautem sine clementia pungunt et puniunt, neque in opere tantum, sed etiam infoety adjuvant apes. Certe enim quo major eorum fuerit multitudo, eo amjorfiet examinum proventus. Cum mella vero ceperint matura esse, abigunt eas amelle, quia singulas aggresse, eas trucidant atque fugant, nec videnter nisi invere. Imperatoribus apum fuci extruunt regias mansiones, amplas, magnificas,separatas, cooperculo eminentes, & fiunt sec angulae omnes cellae singulorum,

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Reste cependant, et la validité de ce qui précède est liée àla question, à déterminer la part d'autonomie du traducteur. Nousavons considéré, pour des raisons de facilités, que le texte surlequel nous avons travaillé est identique du latin au français, del'Hortus au Jardin.

Ce n'est pas absolument le cas. Il est évident, toutd'abord, que la démarche qui caractérise chaque ouverture dechapitre, donnant le nom français puis le nom latin, est propre autexte français. Certains mots médicaux de même, sont glosés. S.Colnot l'a mis en évidence :

...au chapitre de la plante acorus :decocta fuerit diuretica et util. etiam e pleureticis et toracis... Dans le Jardin de Santé, certains termes comme diuretica sonttraduits et également expliqués ; on adjoint, en effet, à ce mot, laprécision qui suit : « ...c'est a dire qu'elle destouppe les conduits de l'urine ».Toujours dans le même passage, le terme pleureticis, une foistraduit, reçoit lui aussi une explication :« pleuresie, qui est une douleur de costé avecques fievre ague », indication absente de l'Hortus Sanitatis28

Ce que l'on peut tirer d'une telle indication est cependantintéressant à plusieurs titres, dans la mesure où nous sommesinformés, implicitement, du public de l'Hortus Sanitatis, latinisteévidemment, et capable de comprendre quelques termes techni-ques ; selon toute probabilité un lectorat de médecins et d'apothi-caires, ou tout au moins de clercs curieux des choses du monde.La traduction n'a sans doute pas été faite par un apothicaire ou unmédecin, mais par un clerc lettré, un tâcheron sans réelle forma-tion médicale. À mes yeux, les explications ajoutées à tel ou telterme technique viennent d'abord de son interrogation, relayée parle souci d'offrir au lectorat de la traduction un texte intelligible

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19128 S. Colnot, op. cit, p. XIII.

& quamvis sustineant tot labores, comedere tamen de melle vix permittuntur,nisi quandum capiunt et furantur, ut dicit Plin. » (Bartholomaeus Anglicus Dererum proprietatibus, ed. W. Richter, Francfort 1601, reprint Minerva G.M.B.H.Francfort, 1964, lib. 18, cap. 53, p. 1073-74.

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le texte et l'image

Une édition scientifique aura pour fonction non seule-ment d'identifier le détail des sources de la version latine et de laversion française, mais aussi de relever ces variantes. Il m'estimpossible, actuellement, de déterminer si le renvoi à Jean deMandeville, que j'ai signalé plus haut, est le fait du compilateur oudu traducteur.

Quoi qu'il en soit, ces remarques, qui constituent plus unpréliminaire à l'édition de Jean de Cuba qu'une synthèse, montrentl'intérêt qu'il y aura à l'éditer, tant sur le plan lexical que sur celui,toujours plus complexe, de l'état des connaissances à la fin du XVe

siècle. Rappelons-le, l'Hortus Sanitatis a été publié en 1491 : il n'ya rien d'étonnant alors que la découverte du nouveau monde et deses nouvelles ressources ne soit pas mentionnée. Il faudra attendreThevet et ses successeurs pour que la flore américaine prenneplace dans nos herbiers.

Reste à s'interroger cependant sur le dessein de Vérard,lançant au tournant du siècle une entreprise lourde : la traductiond'un texte important, la multiplicité des planches, une par chapitre– même si parfois l'un ou l'autre d'entre elles est réutilisée, les boisse chiffrent par centaines – le prix de vente et la mise de fondsque représente l'impression d'un tel ouvrage font de ce Jardin desanté un investissement important. Il sera sans doute peu rentable,ou visera un public restreint : c'est seulement en 1539 quePhilippe le Noir imprimera à nouveau le Jardin de Santé, en deuxvolumes.

Il faut, en fait, s'interroger sur le public potentiel d'un telouvrage : il est peu probable que, malgré son caractère – parfoispeu apparent – de Matière médicale, l'œuvre ait été destinée à unpublic de médecins ou d'apothicaires, ces derniers pratiquant lelatin et n'ayant nul besoin d'un ouvrage en français. En fait, deuxmodèles culturels peuvent ici se rejoindre, et ils sont tous deux, àun titre ou à un autre, des modèles encyclopédiques.

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Le premier, justifiant la composition de l'Hortus Sanitatis,est celui de l'herbier comme livre d'art. Depuis l'Antiquité, ou toutau moins les premiers manuscrits médiévaux, il y a eu un goûtréel pour l'illustration : il n'est que de renvoyer au Dioscoride grecde la Bibliothèque Nationale, manuscrit du IXE siècle annoté enarabe, qui présente déjà de nombreuses illustrations en couleur29,pour constater que la tradition n'est pas neuve. Une page d'un msdu XIE siècle du Pseudo-Apulée30 présente déjà des parentés quel'on pourra analyser avec le projet du Jardin de Santé. La reproduc-tion que l'on en verra ci-après montre en effet que, dès qu'il estquestion de représenter les choses de la nature, il y a, même dansles manuscrits peu recherchés, un effort iconographique, le désirde montrer ce dont il est question. La page qui est reproduite estcependant révélatrice, dans la mesure où on retrouve une disposi-tion qui nous est familière : une illustration rustique surmonte lenuméro du chapitre, lequel est immédiatement suivi du nom de laplante, et d'un centon des autorités en matière médicale : malgré lafaible dimension de la reproduction, on reconnaît, en bas à droite,en dessous de la présentation du ch. XXXII, le nom d'Aesculapius.

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30 extraite de Pierre Lieutaghi, Jardin des savoirs, jardin d'histoire, les Alpes deLumière, n° 110-111, 1992, p. 18. La légende ne donne aucune précision, hélas,sur l'origine et la localisation de l'illustration.

29 Ms BnF Gr. 2179, Le f. 5 est reproduit dans M.-J. Imbault-Huard, L.Dubief, La Médecine au Moyen Âge à travers les manuscrits de la Bibliothèque Nationale,Paris, 1983, p. 133.

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Ce que l'on vient de voir, dans un manuscrit qui se veutscientifique – mais est-il nécessaire de dessiner un serpent pourexpliquer que la plante du ch. XXXI, l'aigremoine si j'ai bien lu,est souveraine ad morsum serpentis ? – annonce le protocolecomplexe, à la fois de l'herbier et de la matière médicale, qui se

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trouvera dans le Tacuinum Sanitatis31 aussi bien que plus tard dansles planches de Redouté. On pourrait même se demander si lesplantes anatomiques de Vésale, qui accompagnent les écorchésd'un fond de paysage, ne participent pas de cette attitude. Au delàd'une nécessité indiscutable à montrer ce dont il est question, lesimple fait du dessin transforme une partie des ouvragesmédicaux en ouvrages de bibliophiles. La plante est ainsi associéecomme automatiquement à l'image, et l'herbier au livre illustré,livre de luxe quel que soit le niveau de luxe que l'on se fixe, qu'ils'agisse du manuscrit richement enluminé, de l'imprimé à gravuresrehaussées de couleur, ou de la simple planche gravée.

Par sa surabondance d'illustrations, l'Hortus Sanitatis estpar ailleurs proche et tout à fait contemporain d'un des best-sel-lers du temps, lui aussi originellement en allemand, lui aussitraduit en latin puis en français, les Chroniques de Nuremberg.Somme historique d'une part, somme naturelle d'autre part, onpeut deviner la démarche d'un Vérard, attentif aux publications deses collègues ; il n'a pas pu ignorer les trois éditions complètes duSpeculum de Vincent de Beauvais, Strasbourg autour de 1475,Nuremberg autour de 1485, Venise en 1493, sans compter unenouvelle édition, partielle, du Speculum Naturale, à Strasbourg, vers148132. C'est dans l'équilibre des attentes du public entre un Specu-lum Historiale et un Speculum Naturale, dans la présence en Francede la traduction par J. du Vignay du Miroir Historial, maisl'absence, au contraire, d'une version française du Miroir naturel,que Vérard joue un coup de maître.

De fait, ce n'est pas tant son aspect médical que la valeurencyclopédique de l'ouvrage qui a dû attirer son éditeur, pensant,à juste titre, que la bourgeoisie et l'aristocratie, curieuses dumonde, ne pouvaient pas forcément avoir accès aux œuvreslatines. D'où l'oubli de la mention de Vincent de Beauvais, que le

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32 Cf. J. Schneider, « Vincent de Beauvais, orientation bibliographique » Spicae1, Cahiers de l'atelier Vincent de Beauvais, Éditions du C.N.R.S., 1978, p. 14-15.

31 Cf. D. Poirion, C. Thomasset, L'Art de vivre au Moyern Âge, éd. en fac-similédu ms ÖNB, Vindobonensis series nova 2644, Philippe Lebaud, 1995.

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lectorat visé ne connaissait pas forcément, mais la mise enévidence d'auctoritates plus antiques et renommées.

D'où, pareillement, une politique d'édition lucide et bienmenée. Si Vérard a publié de nombreux livres illustrés, il a su enrevanche réduire les coûts en reprenant, la plupart du temps, desbois gravés dans ses propres ateliers pour d'autres éditions, ou enfaisant graver des illustrations déjà dessinées pour d'autreséditeurs. Ce fait, connu, apparaît pleinement dans le Jardin deSanté : on pourra comparer la planche du vautour présente dansl'Hortus Sanitatis33 (à gauche) et celle de Vérard (à droite).

Si le détail nous montre qu'il y a eu indiscutablementdeux graveurs, l'impression d'ensemble est bien d'une parfaitesimilitude. À défaut de pouvoir reprendre les bois tels quels àl'imprimeur allemand, Vérard a fait l'économie du dessin et s'estcontenté de salarier un graveur pour refaire, quasiment à l'identi-que, des illustrations pour lesquelles, par ailleurs, la fidélité étaitune preuve de qualité : les dessins ne viennent-ils pas, en principe,

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33 Reproduit dans J. F. Payne, « On the “Herbarius” and “ Hortus sanitatis”,Transactions of the Bibliographical Society,, Londres, 1901, p. 63-126 ; p. 111.

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de dessins originaux effectués pour un grand seigneur amateur denature ?

Une autre preuve d'une bonne gestion se retrouvera dansla gravure relative à l'épervier (accipiter). Elle se retrouve, identiquecette fois, dans l'édition Trepperel, vers 1505, des Déduis de laChasse34 :

Ce point soulève par ailleurs diverses questions, qui nepourront être résolues qu'en comparant attentivement les éditionselles-mêmes et non pas les reproductions ; le Livre des Déduis de lachasse est daté de 1505, et semble présenter un bois moins usé quecelui qu'utilise Vérard. Il faudra regarder en détail si nous avonsaffaire à deux bois ou à un seul, et si celui de Vérard est repris del'Hortus Sanitatis. L'étude de ces gravures pourra préciser desdatations relatives de ces deux éditions, et éclairer les circuitsd'échanges des bois gravés.

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34 Reproduit dans Marie Berhail, Un Art naissantr, l'illustration du lire, les premiersgraveurs français, Catalogue de l'exposition du musée Dobrée, Muséesdépartementaux de Loire Atlantique, Nantes, 1986, p. 39.

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Deux derniers exemples de l'autre démarche se trouverontdans les planches d'ouverture. Celle qui suit immédiatement letitre montre la scène rituelle de l'offrande du livre à un grandseigneur. Il y a lieu de s'étonner toutefois de voir l'auteur assis, unclerc dans sa chaire, portant une auréole alors que le roi estdebout ! Nous sommes ici manifestement devant un bois réutilisé,et composé initialement pour un livre de théologie qu'il reste àidentifier. Il n'en est pas de même en revanche pour la gravure quiouvre le livre du volucraire : elle est reprise de la première page del'Art de Fauconnerie de Tardif, publié en 1492, et seule la légèreusure du bois nous fait deviner qu'il s'agit d'un réemploi.

Ainsi, l'éditeur a su, là encore, tirer le meilleur parti dumatériel dont il disposait déjà pour offrir, au meilleur prix, uneédition richement illustrée. Il faudra poursuivre l'enquête pourestimer le nombre d'exemplaires tirés, le prix de vente, et le succèsde l'œuvre, en termes strictement éditoriaux.

Par rapport à nos attentes, cependant, le Jardin de Santé peutapparaître comme une œuvre un peu ratée, qui n'a pas su accom-plir la synthèse que nous aurions attendue d'un savoir ancien etdes découvertes nouvelles, repenser l'illustration pour plus defidélité et de pertinence au texte. Il est frustrant en apparence devoir ce qui aurait pu constituer une Encyclopédie, au sens desLumières, synthèse hardie des interrogations du temps se canton-ner dans le conformisme d'un Dictionnaire de Trévoux approximatif.C'est oublier qu'en dehors de l'exemple magistral de Diderot,toute encyclopédie, toute somme est de fait la synthèse de ce quiprécède bien plus qu'une projection sur l'avenir.

Et à ce titre, les apports du Jardin de Santé sont essentiels :Vérard et les auteurs qui ont, de l'Aggregator au Jardin de Santé,contribué à le constituer, n'avaient pas conscience d'un mondenouveau et d'attentes nouvelles qui d'ailleurs n'existent probable-ment que dans l'esprit des historiens ; ils s'efforçaient à unesynthèse du savoir en matière d'histoire naturelle, et pensaient queles acquis des siècles passés constituaient ce savoir, qu'il n'étaitpas nécessaire de remettre en question. Ils nous montrent ensomme ce début de la Renaissance, non comme nous aimerions le

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voir, mais comme il était, de fait, pour le plus grand nombre.Apprenons à le lire, éditons-le, pour découvrir plus avant ce quesavaient, ce que pensaient les hommes de cette période, quin'étaient pas tous des Léonard ou des Magellan.

DENIS HÜE

UNIVERSITÉ DE RENNES 2

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