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Le Curieux 9 Numéro été 1/2 La mer « Tout l’intéresse, tout le passionne, rien ne l’ennuie »

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Le Curieux 9

Numéro été 1/2La mer

« Tout l’intéresse, tout le passionne, rien ne l’ennuie »

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Numéro spécial été !

Vacances à la montagne ou à la mer ? L’équipe vous entraine sur les plages de France et de Navarre. Nous allons vous parler de tout ce que la mer évoque pour nous. C’est elle que l’on craint et adore, que l’on trouve translucide et mystérieuse, calme et tourmentée... Mais ce n’est pas tout, elle est aussi et avant tout celle qui a vu naitre la vie, celle sans laquelle nous ne pourrions vivre. La mer est notre mère. Les sons, les mots ne laissent rien au hasard. Et en même temps, c’est l’été alors c’est aussi l’occasion de se changer les idées et découvrir des tas de nouvelles choses. Laissez nous vous embarquer sur notre navire, de pirates en astro-nautes, voguons sur les marées et découvrons ce milieu ensemble.

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Sommaire

la musique atonale

le Curieux Quizz

les marées

le droit maritime

La mer des Tranquillité

Les pirates

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Mr FeeX : 

« Ayant écouté du Pierre Boulez, je me suis dis deux choses, la pre-mière : j’aime pas ! Et la deuxième : non vraiment j’aime pas ! … et du coup je me suis posé une question : mais pourquoi, Pierre ? Mais vrai-ment, Pierre, POURQUOI ?!

C’est dissonant du début à fin, je n’ai donc pas trouvé ça beau … che-min faisant j’allais voir sur internet une conférence de Jérôme Ducros au collège de France qui traite de la musique atonale … ça m’a rassuré, il n’aime pas non plus.

Alors je premier soucis quand on parle des goûts et des couleurs, no-tamment en musique, c’est qu’il y a une forte dimension subjective. Je ne peux pas dire « je n’aime pas parce que c’est moche, donc c’est nul ! », alors qu’en fait, je n’aime pas parce que c’est moche et c’est nul !

Il y aurait une explication structurelle au fait ce que je n’aime pas … c’est fait pour.

En effet la particularité de la musique atonale est qu’elle supprime qua-siment tout repère tonal et que les règles de construction de ses phrases aboutissent à une dissonance constante sans « résolution ».

En musique tonale, le morceau indique de manière intuitive une note et un accord « repère ». Partant de là le compositeur va s’en éloigner plus ou moins, pour créer une « tension », et va y revenir plus ou moins pour « résoudre la tension » … c’est comme ça dans la littéra-ture, au cinéma, dans les scénarios etc …

De manière intuitive l’auditeur, même totalement profane en musique, va sentir la tension et en souffrir, sentir la résolution, et être soulagé.

C’est grâce à ce mécanisme que le compositeur peut construire du beau et du laid, mettre en exergue certains passages « épiques » ou passer vingt minutes à préparer l’auditeur à trente secondes d’apo-théose.

Le repère tonal permet également au compositeur de savoir comment l’auditeur va réagir car les effets des harmonies sont en général les mê-mes sur tous les êtres humains. C’est normal car l’harmonie telle qu’on la connait et qu’on l’apprend est le fruit d’un travail de traduction ma-thématique de phénomènes constatés. Ainsi la plupart des bases de l’harmonie telle qu’on la connait est issue du travail de Pythagore qui est un des pionniers dans la description des gammes.

Grace à cette liberté l’artiste sait qu’il sera compris par l’auditeur, à tel point que ce dernier pourra également entendre, de manière intuitive, les fausses notes des instrumentistes.

Dès lors on a les moyens de faire une musique dont le but est d’émou-voir : par le triste, le joyeux, l’ennuyeux, le laid, le beau … c’est donc une démarche humaine, voire humaniste.

Et là, Pierre arrive …

Pas de repère tonal, et une musique faite pour être constamment dés-agréable à l’oreille … impossible pour l’auditeur de savoir ou on en est, ou on va … du coup impossible d’être surpris, émerveillé, ou de sentir quoi que soit si ce n’est du désagrément … et il n’est pas nécessaire d’être un génie pour faire du « désagréable » … donnez une casserole et une cuillère en métal à un enfant, vous allez voir !! Ou alors lancez un chat (avec bienveillance, bien sûr) sur un piano … vous allez voir !! bizarrement personne ne dira qu’ils sont géniaux …

La musique atonale c'est pas banal, le deux-décaphonique c'est inique

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En l’occurrence on a l’impression que la musique atonale est née d’un besoin politique de déconstruire le beau pour se créer une niche et se faire une place … ce phénomène est génialement montré dans le film « les tontons flingueurs » au sein duquel le personnage de Claude RICHE est en train de chercher « l’anti-accord parfait » … le personnage de Lino VENTURA en a des migraines !!"

Olivier :

 « D’abord ce n’est pas parce qu’un mec va utiliser une institution ron-flante pour élever ses opinions à une hauteur professorale en les rationa-lisant qu’il sera légitime pour moi. Si ça a pu te rassurer sur une opinion que tu étais de toute façon en droit d’avoir, libre à toi de le citer, mais on doit toujours faire attention avec ses références...

J’ai fait quelques recherches, pour savoir qui était ce Jérôme Ducros. Je n’ai pas été déçu du voyage. Figure-toi que ce monsieur a non seule-ment joué des oeuvres de Pierre Boulez, mais qu’il a même eu un prix pour ça (1er prix au concours international Umberto Micheli à Milan, en 1994, au cours duquel il a joué Incises, de Boulez). Qu’est-il donc arrivé à ce musicien qui était donc suffisamment capable de trouver tous les repères qu’il lui fallait - et dont il fait mine de déplorer l’ab-sence - pour interpréter cette oeuvre de manière aussi remarquable ? Et si tu regardes sur internet l’exposé complet que fait Boulez de l’une de ses dernières oeuvres, “sur incises”, tu te rends vite compte qu’il a le souci constant de donner des repères à son auditeur.

L’abolition de la tonalité, ça ne date pas de Boulez. Le mouvement a commencé avec certains essais de Liszt, et le prélude de Tristan de Wagner, où tu as des changements tonaux inhabituels. Tu peux déjà y entendre les prémices de l’abandon de la tonalité, dans le sens où tu as des phrases musicales entières sans aucune de ces résolutions dont tu parles, et où ces résolutions ne sont même plus des articulations impor-tantes, elles ne semblent plus être que de simples transitions. C’etait tel-lement nouveau et caractéristique qu’on a appelé ça le chroma-tisme,wagnérien. Schoenberg a baigné dans cette musique dés le début de sa carrière. Il a d’abord été un continuateur parmi les plus talentueux de Wagner. Avant de pousser son langage plus loin dans le chroma-tisme, puis de finir par faire exploser totalement, lui, la tonalité.

C’est le premier en date. On a le droit de ne pas aimer, de trouver cette cassure absurde. Mais dans ce cas, tu penseras exactement la même chose du mouvement expressionniste en peinture, la simili-tude d’évolution des deux arts est frappante à cet égard.

Et maintenant, ta tonalité chérie, tu crois qu’il n’y a eu qu’un compositeur fou pour tenter de l’éliminer ? Que nenni cher ami ! Ecoute Debussy, qui a em-ployé les modes grégoriens, la gamme par tons. On trouve encore chez lui certaines résolutions que tu évoques, mais tout le reste du discours musical n’a plus beaucoup à voir avec un discours tonal, Il y a eu Stravinsky, qui a superposé les tonalités en simul-tané, détournant totalement le système tonal de sa fonction initiale. Bartok, qui a substitué à la tonalité des modes et des accords issus de folklores de diffé-rents pays. Et j’en passe encore … Tous ces musi-ciens ont exprimé avec leur propre langage des sen-

timents que la tonalité n’avait pas permis d’explorer. La folie, avec Scho-enberg, la sauvagerie avec Stravinsky.

Le système tonal a tendance à revenir maintenant. Ca ne m’ennuie pas et ne me réjouit pas non plus. Tant que les compositeurs seront capables de créer leur langage musical, ça m’importera peu qu’il soit tonal ou pas. Mais tu me concèderas que si la tonalité paraît naturelle à tout le monde, c’est qu’elle est présente dans toutes les musiques qu’on peut entendre depuis le plus jeune âge. L’atonalite demande un peu d’habi-tude pour être appréciée, une éducation de l’oreille en quelque sorte. Mais tiens, demande à un africain n’ayant jamais été en contact avec la civilisation occidentale si notre musique lui paraît naturelle ou non. Je ne suis pas sûr de sa réponse affirmative… »

Mr FeeX :  

« Ah mais ce n’est pas l’institution qui entérine mon ressenti, il le forma-lise techniquement, nul besoin n’en avais-je, par ailleurs.

Tu t’"auto-desserts" en m’expliquant que l’intervenant est un expert de Boulez … Qui de plus légitime qu’un expert pour critiquer ? Il a d’au-tant plus dénoncé l’entourloupe qui l’a comprise.

Et décidément tu aimes à donner le bâton pour te faire battre car tu m’expliques que Boulez avait un soucis constant de donner des repères à son auditeur. Comme c’est manifestement loupé, tu m’indiques qu’en plus d’être malhonnête dans sa démarche il était incompétent. Je n’en avais pas besoin mais, merci !

Ensuite tu m’expliques que l’atonalité ne date pas d’hier et que d’autres musiciens ont fait des expérimentations auparavant … certes ! Et les pre-miers musiciens à insérer plus que des intervalles justes pour enrichir la musique grégorienne ont dû passer un sale quart d’heure, les premiers à avoir utilisé le "diabolum in musica" également, de même que les musi-ciens de free jazz n’ont pas vendu beaucoup de discs. Mais tes exem-ples sont d’une extrême mauvaise foi qui les invalide. En effet, comme toi j’ai fais des recherches. Et figures-toi que la veille du jour ou Wagner a écrit le prélude de Tristan il avait une rage de dents, d’où la rage du chromatisme wagnérien.

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Quand à Schoenberg, il a voulu continuer l’oeuvre de Wagner car celui-ci ne répondait plus à ses textos. Debussy et Stravinsky, un matin, synchronicité historique intéressante, s’étaient trompés dans la couleur de leurs chaussettes, qui furent finalement dépareillées … quelqu’un le leur a fait remarqué et ils en furent très vexés …  d’ou leur mauvaise humeur et leur catharsis musicale. Quand à Bartok, le pauvre, mangeait trop d’huîtres, il en était malade … Par conséquent on n’est plus dans le génie mais dans la frustration des contrariétés de la vie quotidienne …

Enfin tu m’évoques une musique dont le ressenti « naturel » est dû à l’éducation. Mais si les musiques complexes et dissonantes peu-vent être intéressantes, elles ne sont pas agréables à l’écoute, juste-ment parce qu’elles sont plus tendues … la même tension qui existe pour tout le monde, mathématiquement. Et même si on peut s’y habituer et l’apprécier pour ce qu’elle est, elle n’est pas faite pour être belle … hypnotique, dérangeante, inhabituelle si tu veux, mais pas belle. Ce n’est pas tant une question d’éducation que de bons sens. C’est donc une musique naturelle non pas par l’éduca-tion, mais parce qu’on est fait comme ça.

Enfin tu me cites l'Afrique. Là aussi c’est loupé car on leur a piqué quasiment l’intégralité des rythmiques et harmonies qui en vien-nent. Qu’ils écoutent du blues, du jazz, du rock, et même du classi-que, ils ne seront pas perdus … sauf si tu leur fait écouter du Bou-lez, là, rien à faire, ça leur sera désagréable … Mais pourquoi, Oli-vier ? Olivier, Pourquoi ?"

Ligeti, Le Grand Macabre

Lorsque Ligeti compose Le Grand Macabre, il a pour but de créer un opéra résolument moderne, qui casserait tous les cades de l’opéra classique et dépasserait même l’anti-opéra. Il marie des styles qui nous paraissent aujourd’hui incompatibles comme du Bach, du Verdi et du burlesque. Il allie aux morceaux «nobles», des sons inhabituels avec des klaxons, des cris et toutes sortes de sirènes. Dès le prélude, le ton est donné. Les klaxons retentissent dans une sorte de cacophonie, faisant un écho lointain à la Tocca-ta de Verdi. Les personnages tous plus grotesques les uns que les autres se succèdent, rappelant ainsi le théâtre marionnettes classi-que. Ligeti ne respecte aucun code passé. De l’atonalité à la disso-nance, il cultive une esthétique différente, prouvant que la créa-tion artistique peut sans cesse se réinventer. À une époque où l’opéra est perçu comme guindé, conservateur et dépassé, Ligeti se moque autant de ses turiféraires que de ses détracteurs. L’ab-surde a ainsi conquis l’opéra. L’oeuvre convainc ou ne convainc pas, mais une chose est sure elle ne laisse personne indifférent et donne naissance à une réflexion intéressante sur le beau et la tradi-tion. Peut être que l’opéra, par le support visuel qu’il propose est le plus à même de nous conduire à l’atonalité. On finit par trouver un sens à l’absurde, à comprendre ce qu’une musique seule ne pourrait nous amener à entendre. Une oeuvre à voir et écouter.

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Le

Curieux Quizz

Déjà huit numéros parus, huit numéros pendant lesquels nous avons abordé des thèmes aussi divers que variés. Vous souvenez-vous du numéro sur les couleurs ? sur l’Europe ? Les curieux lecteurs que vous êtes ont-ils découverts et appris des choses ? Pour ce numéro d’été, nous vous proposons un petit quizz

1) L’étude des drapeaux s’appelle…

a) la vexillologie

b) la numismatique

c) la docimologie

d) l’odontologie

2) Sous le mandat de quel président français a-t’on construit la plupart des centrales nucléaires en France ?

a) De Gaulle

b) Pompidou

c) Giscard d’Estaing

d) Mitterrand

3) Äitisi nai poroja signifie…

a) maudit cerf

b) fils d’élan

c) tête de caribou

d) ta mère se tape un renne

4) Europe est un satellite de…

a) Saturne

b) Jupiter

c) Mars

d) Vénus

5) L’Eusko s’échange…

a) entre Basques

b) entre Normands

c) entre Bretons

d) entre Catalans

6) Holi est la fête…

a) des fétiches

b) des gourous

c) des animaux sacrés

d) des couleurs

7) Combien existe t’il de « couleurs » d’après Pastoureau ?

a) 4

b) 5

c) 6

d) 7

8) Quelle tomate n’existe pas ?

a) Prune noire

b) Green Roma

c) Anna Russe

d) Marx

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9) Qu’utilisaient les romains pour blanchir linge pendant l’Anti-quité ?

a) des vers

b) du miel

c) de l’urine

d) de la graisse de porc

10) Qu’est-ce qu’un synesthète ?

a) une personne qui déplace les objets par la pensée

b) une personne qui associe plusieurs sens

c) une personne qui sait lire les pensées des autres

d) une personne qui mémorise tout sans aucune limite

11) Dans l’Égypte ancienne on utilise le paprika pour…

a) saler

b) donner une apparence plus appétissante

c) conserver

d) sucrer

12) En Russe, rouge a la même racine que…

a) sang

b) beau

c) égalité

d) vérité

13) Carré blanc sur fond blanc est une oeuvre de...

a) Malévitch

b) Klein

c) Kandinski

d) Hopper

14) Oblomov est un homme qui

a) a le sens du sacrifice

b) mange sans cesse

c) n’a aucune peur

d) ne fait rien

15) Le zéro est inventé par...

a) les babyloniens

b) les indiens

c) les arabes

d) les romains

16) Un trou noir émet...

a) un rayonnement

b) de l’eau

c) de la chaleur

d) de la lumière

17) La majorité sexuelle au Japon est à...

a) 10 ans

b) 13 ans

c) 18 ans

d) 21 ans

18) Un lazaret est...

a) une salle de repos

b) un lupanar

c) une zone de quarantaine

d) une cuisine

19) Q désigne en arithmétique...

a) l’ensemble des naturels

b) l’ensemble des décimaux

c) l’ensemble des réels

d) l’ensemble des rationnels

20) Qui a écrit «France mère des armes, des arts et des lois» ?

a) d’Aubigné

b) Henri IV

c) Henri III

d) Du Bellay

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Réponse : 1a; 2b; 3d; 4b; 5c; 6d; 7c; 8d; 9c; 10b; 11b; 12b; 13a; 14d; 15a; 16a; 17b; 18c; 19d; 20d

Ran est la déesse des tempêtes et des naufra-gés. Ran attrape les marins malchanceux dans ses filets et les entraine contre les rochers. Lors-qu’ils sont échoués, elle les conduit dans son palais marin qui est éclairé par tous les bijoux et les pierres qu’elle a dérobé dans les épaves. Ainsi, quand les marins prennent la mer, ils em-portent toujours de l’or pour que Ran les épar-gne.

Ses 9 filles sont les vagues de la mer. Elle est l’épouse d’Aegir.

Aegir est le dieu de l’Océan dans la mytholo-gie nordique. Lorsque les Vikings aperçoivent de larges vagues, ils jettent les prisonniers par dessus bord, espérant gagner le droit de pas-sage mais la plupart du temps, Aegir fracasse leurs bateaux et pille les épaves. Il peut aussi être un hôte très sympathique et il semblerait que les fêtes qu’il organise soient les plus réus-sies. C’est sans doute parce qu’il brasse la meilleure bière des mondes terrestres et divins. Il faut dire, que lorsque tous les dieux étaient passés lui rendre visite et s’amuser, le malheu-reux n’avait même pas de brasserie pour bras-ser son houblon... Thor s’est dévoué et est parti la voler à un géant. Depuis, plus de pénurie de bière.

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La vie trouverait son origine dans la mer, il y a envi-ron 4,3 milliards d’année. Aujourd’hui encore, son rôle est essentiel : 71% de la surface de la Terre est recouverte d’eau, entre 50 et 80% du biotope terres-tre se trouve dans les océans, plus de 60% des servi-ces d’écosystèmes qui nous permettent de vivre sont générés par l’Océan mondial, entre autres choses la régulation du climat terrestre à hauteur de 80%, et la génération de la majeure partie de l’oxygène que nous respirons.

Et pourtant, malgré cette importance cruciale, la mer est bien maltraitée  : il est estimé que 40% de l’océan mondial serait fortement perturbé par l’acti-vité humaine, et seulement 4% relativement épar-gné ! Sans même parler des perturbations d’écosystè-mes par introductions d’espèces exotiques dans un milieu qui n’est pas le leur, l’Homme ne manque pas de moyens de perturber le fragile système ma-rin  : marées noirs, dégazages sauvages, chalutage, immersions d’explosifs ou de déchets radioactifs, déchets… mais également et surtout (à hauteur de 80%) d’origine terrestre, par les rejets d’eaux usées, les infiltrations de polluants d’origine industrielle ou agricole, ou même simplement les quantités anorma-lement élevées d’éléments non polluants qui produi-sent un déséquilibre. On constate de plus en plus de zones hypoxiques, ou zones mortes : il s’agit de zones dans lesquelles l’oxygène dissout dans l’eau est trop faible. Or, l’un des premiers effets de l’hypo-xie (manque d’oxygène inspiré) est de rendre stupide et incapable d’agir pour assurer sa propre survie (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est indiqué dans les avions d’enfiler son masque à oxy-gène avant d’aider les autres en cas de décompres-

sion – si on ne le fait pas, en quelques secondes, on ne pourra plus ni le faire, ni aider les autres). Résul-tat, de nombreuses espèces animales meurent dans ces zones, réduisant encore le brassage d’oxygène, on est dans un cercle vicieux.

Depuis maintenant plusieurs années, on entend par-ler de plus en plus d’un « 7ème continent de plasti-que » grand comme 6 fois la France, qu’on imagine comme une immense plaque de déchets agglutinés. Cette vision, si elle permet d’éveiller les conscien-ces, ne correspond pas à la réalité. Il s’agit en fait de principalement de fragments inférieurs à 5mm épar-pillés entre la surface et 30m de profondeur, diffici-les à repérer, et répartis principalement au sein de 5 zones ou les grands courants marins circulaires les concentrent. Sur une même surface d’eau, la masse de plastique est 6 fois plus importante que celle du plancton. Et ces fragments de plastiques vont mettre des centaines d’années à se dégrader, devenant en-tre temps des billes de plus en plus petites qui vont être absorbées par les poissons et les oiseaux, les blessants et les intoxiquant… et cela peut remonter la chaîne alimentaire jusqu’à l’Homme !

Toutefois, un éveil des consciences se fait, 76% des Français jugent que les océans sont en mauvaise santé et plus encore approuvent le développement d’activités plus respectueuses pour protéger no-tre « mer » nourricière.

Ainsi, le Néerlandais  Boyan  Slat, alors  âgé  de 19 ans, a fondé en 2013 la fondation « The Ocean Clea-nup » dont l’objectif est de collecter cette pollution de plastiques à l’aide de filets dérivants. 

SCIENCES

TECHNIQUES

La mer sous l’influence des marées

par Guillaume Pointel

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A l’heure actuelle le système est en phase d’essais en mer du Nord. Bien sûr, cela ne solutionnera pas tout, et les plus fines particules ne seront pas attrapées, mais il s’agit déjà d’un début, auquel viendra peut-être s’ajouter d’autres initiatives.

De plus en plus d’initiatives se tournent également vers la mer pour fournir de l’énergie non polluante. On peut ainsi citer :

– Les usines marémotrices, dont la première et la plus puissante en-core à ce jour est celle de l’estuaire de La Rance, construite en 1966. Ressemblant à des barrages, elles sont équipées de turbines pouvant fonctionner dans les deux sens : à marée haute, la mer est plus haute que le fleuve sur lequel est placée l’usine, l’eau s’écoule vers le fleuve. A marée basse, c’est l’inverse. Dans les deux cas, les turbines sont entrainées et fournissent de l’énergie. La centrale de la Rance répond à 3,5% des besoins d’électricité de la Bretagne. Il s’agit d’une source d’énergie régulière et prévisible, avec un très faible coût d’en-tretien et d’exploitation, mais qui demande un important investisse-ment de départ, et d’avoir un site approprié.

–  Les hydroliennes sont de grandes hélices sous-marines, entrainées par les courants, comme les éoliennes sont entrainées par le vent. Les courants marins sont forts et réguliers dans certaines régions, ce qui permet d’avoir une fourniture constante et stable, à la différence des éoliennes. De plus, à dimension égale, l’énergie produite est bien plus importante. Par contre, il faut  limiter leur vitesse de rotation pour ne pas risquer de blesser la faune environnante, et les implanter assez profondément pour éviter les risques qu’un bateau les percute. Ce qui rend le coût d’entretien plus élevé, puisqu’il faut régulièrement s’assu-rer que le sable ou les a lgues ne per turbent pas le mouvement. Toutefois, cette technologie pourrait trouver son intérêt intégrée dans les projets d’habitats flottants qui sont actuellement envi-sagés.

–  L’énergie thermique maritime est une idée consistant à utiliser la différence de température entre l’eau de surface chauffée par le soleil

à 25°C, et l’eau de profondeur (-1000m environ) qui elle reste froide à 2°C, pour alimenter une machine à chaleur. Jules Vernes en avait déjà imaginé le principe dans « 20.000 lieues sous les mers ». Cette techno-logie demandant un écart de température suffisant pour fonctionner, elle n’est vraiment utilisable que dans les zones intertropicales, son potentiel est donc limité.

– Les centrales houlomotrices profitent de l’oscillation de la surface de l’eau pour déplacer des flotteurs, qui entrainent l’arbre de génératri-ces déportées. La densité d’énergie produite est énorme et le potentiel de production pourrait rivaliser avec la production nucléaire mon-diale. A l’heure actuelle, plusieurs expérimentations sont en cours de par le monde pour mettre au point un système économique et fiable sur ce principe.

Il existe sûrement encore de nombreuses possibilités de vivre en bonne intelligence avec la mer, de continuer à bénéficier de ses ap-ports tout en s’abstenant de lui nuire, puisqu’au final c’est l’humanité qui a le plus à perdre. En effet, les grandes extinctions ont montrées que la nature et la vie trouvent toujours une solution pour perdurer. Les espèces, par contre, pas forcément.

Alors que pourrions-nous trouver, nous, enfants terribles mais inven-tifs, pour soulager les maux que nous avons pu infliger à notre « mer » ?

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Le Droit est il l’affaire des personnes privées ou de la puissance publique ? Voilà une question qui a divisé les hommes depuis la nuit des temps. Quoi de mieux que le Droit maritime pour réconcilier tout cela ? Un accident entre un bateau de croisière et un bateau de pêche en pleine mer, un navire de guerre se rapprochant de manière un peu mena-çante des rives d’un autre pays… « La mer est un espace de liberté et de rigueur » écrivait Hugo et il semblerait qu’il n’avait pas tort.

Mais avant tout, qu’est ce que la mer ? Le Droit in-ternational la définit comme les «  étendues d’eau salée en communication libre et naturelle  ». Eh non, pour un juriste, la mer Caspienne n’est pas une mer… Le Droit international réconcilie peut être les juristes mais pas les géographes…

La France détient le deuxième espace maritime au monde avec 10 millions Km2, juste derrière les États-Unis. C’est un espace essentiel d’un point de vue économique et diplomatique.

La naissance d’un Droit

Bach est à la musique ce que Justinien est au Droit. Lorsque ce dernier décida au Vie siècle après J-C de codifier toutes les relations humaines, il a bien du se pencher sur la mer. Que faire de cet espace que l’on ne savait pas encore vraiment aménager, où les gens ne font que passer mais qui restent au moins militairement au coeur des enjeux du pays. Justine décide d’en faire un «  res communis  », un bien commun dont on ne peut être propriétaire. C’est un

peu comme l’air. Toute le monde en profite, on ne peut pas vraiment baliser la mer et déclarer que ce mètre carré d’eau nous appartient. Pourtant, il ne veut pas renoncer à garder quelques prérogatives sur ce morceau de territoire et propose à la puis-sance publique locale, au prêteur, de déroger au principe du bien commun pour en céder parfois une partie à une pêcherie, cliente du dirigeant de la région ou bien en récompense pour service rendu. Cela permet aux locaux de développer le littoral et bâtir des ports et des commerces.

Bon, pour qu’il y ait des règles, même libérales, il faut qu’il y ait quelqu’un pour les faire respecter alors lorsque les portugais décident d’installer des péages et des zones maritimes exclusives autour de leurs colonies, il est difficile de se plaindre. Leur flotte était suffisamment puissante pour intimider les éventuels navires marchands de s’y aventurer sans autorisation préalable. C’était sans compter Hugo Grotius, le papa du Droit International. Celui qui était un jeune employé de la Compagnie des Indes Orientales voyait d’un mauvais oeil le monopole portugais sur les mers est-indiennes. Il écrit donc un formidable traité «  Mare liberum  » en 1609 pour défendre son point de vue. Nul besoin d’être lati-niste pour comprendre qu’il définit la mer comme un espace de liberté qu’aucune nation ne peut re-vendiquer. C’est son point de vue qui domina pen-dant plus de quatre siècles. Cependant, en dehors de son traité qui est plus une réflexion générale qu’autre chose, il n’y avait aucune règle écrite. Le Droit International restait le Droit du plus fort.

La mer des droits

parYvonne Riechtofen

DROIT

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Progressivement un droit coutumier s’installait. Malheureusement, les enjeux climatiques, environnementaux et énergétiques se sont rappe-lés aux grandes Nations de ce monde. On ne pouvait plus continuer à pécher la baleine ou chasser les orques comme on le faisait. On avait besoin de codifier toutes ces règles pour les uniformiser et les fixer. L’ONU organisa donc la Conférence de Genève en 1957. On com-mença par définir quatre zones. La mer territoriale, la zone contigüe, la haute mer et le plateau continental. L’Assemblée générale des Na-tions Unies adopte la qualification de « Patrimoine Mondial » le fond des mers et des océans situés au delà des limites des juridictions natio-nales (un peu comme la Lune et l’Antarctique. Personne n’en est pro-priétaire).

C’est pourtant la Conférence de Montego Bay qui restera dans l’Histoire. Elle ajoute trois nouvelles zones : les eaux archipélagiques, la Zone économique exclusive, les détroits navigables et le fond des mers. On considère qu’elle est le fondement du Droit Maritime parce qu’elle instituait aussi un tribunal international du Droit de la Mer qu’elle établit à Hambourg. Toute violation de la Convention peut donc être sanctionnée.

Au coeur de multiples enjeux

Auparavant, les eaux territoriales s’étendaient jusqu’à 3 miles marins, autrement dit la portée du boulet de canon tiré depuis la côte. Sur cette zone l’État est souverain; c’est à dire qu’il a les mêmes prérogati-ves que sur son territoire continental. À présent, cette zone est éten-due à 12 miles marins. Mais comment faire quand les eaux continen-tales se chevauchent ? « Moi je prends les eaux du haut, toi celles du bas ? » Non, pas vraiment, en général, un accord est signé et on res-pecte la règle de l’équidistance. En principe, on ne peut pas refuser la circulation dans ces eaux aux navires marchands si ceux-ci respectent les lois du pays en question (a priori la France peut refuser à un navire chargé de Cannabis ou d’esclaves de passer dans ses eaux territoria-les). Pour les navires de guerre, c’est plus compliqué. Peu importe où ils sont, ils respectent les lois du pays dont ils battent pavillon, il peut donc arriver qu’on leur refuse le droit de circuler… Les Japonais n’ai-ment pas tellement voir les destroyers nord-coréens circuler à proximi-té de leurs côtes, donc généralement ils leur demandent de reculer.

Ensuite, on a la zone contigüe qui s’étend jusqu’à 24 miles. L’État y fait respecter certains droits, comme ses droits douaniers, fiscaux et sanitaires ou bien liés à certains trafics comme les migrations illéga-les, les stupéfiants… Ces deux zones sont donc des espaces politiques. On imagine bien que le fait d’avoir des mers territoriales importantes permet d’imposer son Droit et donc ses valeurs un peu partout. Ainsi, si des essais nucléaires ont lieu en plein Océan Pacifi-que, le France pourra aller demander des comptes. C’est aussi une manière de se rapprocher d’États a priori lointains ou de prendre part à des négociations ou des échanges avec des États d’une même zone. On peut également installer des bases militaires et défendre la paix et la démocratie sur tous les océans de la planète.

Finalement, il existe un dernier espace aux enjeux plus économiques et environnementaux. Il s’agit de la zone économique exclusive. Dans cette zone, l’État côtier a «des droits souverains aux fins d’ex-ploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des eaux surjacentes aux fonds ma-rins, des fonds marins et de leur sous-sol, ainsi qu’en ce qui concerne d’autres activités tendant à l’exploration et à l’exploitation de la zone

à des fins économiques telles que la production d’énergie à partir de l’eau, des courants et des vents.  » Cela n’est pas sans poser de problèmes. En effet, avec l’exploitation des gisements pétroliers off-shore d’abord puis avec l’extraction du gaz de schiste, les fonds de nombreux pays sont endommagés, pollués par l’activité d’un ou deux États.

J’aimerais conclure sur une note positive, cependant… il faut rappeler que tout n’est pas encore parfait. Les pécheurs européens ne sont tou-jours pas d’accord avec les quotas qu’on leur imposent, les groupes écologistes non plus… alors imaginez à l’échelle de la planète. Les accords de Montego Bay ont été signés par 162 pays à l’exception notable des États-Unis. Alors, oui globalement les États ont compris qu’il fallait protéger les mers. La catastrophe d’Erika nous rappelle encore des souvenirs, ces oiseaux plongés dans le mazout, les plages souillées… Bref, ce qui se passe même en haute mer, nous concerne tous. Heureusement, les États de Droit ont réagi. Régulièrement des marins d’eau douce sont trainés devant les tribunaux du pays dont ils battent pavillon pour rendre compte des dommages qu’ils ont causé à l’environnement.

Une seule nuance doit être apportée à ce principe. Les pirates ne sont pas jugés par les tribunaux de leurs pays d’origine. Les prisons soma-liennes et érythréennes seraient pleines, ces États ne sont pas en capa-cité de lutter efficacement contre la piraterie dont sont victimes essen-tiellement les occidentaux. Ils sont donc arrêtés par nos armées et ju-gés (voire exécutés sur place en fonction de la nationalité du navire de guerre en présence) puis condamnés dans nos prisons. Ce qui est souvent bien plus confortable qu’une vie en Somalie où violences, famines, maladies sont le quotidien des populations locales.

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Visite pas si tranquille de la mer des tranquilités

Le 21 juillet 1969, le monde entier assistait à un évène-ment historique : pour la première fois, un homme posait le pied sur un autre astre que  la Terre. Cette formidable aventure est le point d’orgue d’une entreprise colossale, et la réalisation d’un vieux rêve de l’Homme.

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Les rêveurs et le voyage imaginaire

Si la Lune a toujours fait partie des mythologies, le rêve de lui rendre visite a aussi rapidement inspiré l’Homme. Ainsi, au IIè siècle, le récit « Une histoire vraie » de Lucien de Samosate dé-crit le voyage dans une panse de baleine d’Hercule jusqu’à la Lune.

En 1649, Savinien de Cyrano de Bergerac explore plusieurs méthodes pour rejoindre la Lune et le Soleil. L’une d’elles est de superposer des fusées à poudre allumées successivement à mesure que l’engin s’élève dans le ciel. Nous verrons à quel point il était proche de la technique con-temporaine.

En 1865, Jules Verne, avec une approche plus scientifique,imagine une capsule envoyée à l’aide d’un canon géant. Cette idée,  reprise par Georges Méliès, donne  à la postérité l’image bien connue de l’obus dans l’œil de la Lune. Aujourd’hui, il existe des projets de « sarbacanes géan-tes » destinées à envoyer en orbite terrestre des satellites*, preuve de la justesse d’anticipation de l’auteur.

En 1901, H.G. Wells imagine la cavorite, matière éliminant les effets de la pesanteur. Ce rêve de maîtrise de la gravité se retrouve dans de nombreuses œuvres de science-fiction, notamment les sagas Star Wars et Star Trek.   Si une telle technologie existait, elle bouleverserait à coup sûr no-tre accès à l’espace…

Séléné

Dans la mythologie grecque, Séléné est la déesse de la Lune. Elle est souvent associée à Artémis et Hécate puisque ces trois entités sont les «dées-ses lunaires», cependant Séléné est la seule à être vue comme une personnification de la Lune.

Elle est la fille des titans Hypérion et Théia et elle est la soeur du dieu-soleil Helios et de Eos, la déesse de l’aube. Elle pilote son char sur l’espace céleste. On lui prête plusieurs amants : Zeus, Pan mais surtout Endymion. C’est ce mythe qui sem-ble aujourd’hui le plus connu. Endymion était un homme très beau, si beau que Séléné demanda à Zeus de le faire dormir pour toujours, préservant ainsi sa beauté. Jamais il ne se réveilla et pourtant chaque nuit, Séléné couvrit son corps de baisers et on pouvait entendre ses soupirs passionnés. Ils eurent une cinquantaine d’enfants dont Narcisse.

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Un long chemin technologique

Les prémices de l’exploration spatiale remontent au XIIIème siècle en Chine, a-vec l’invention de la poudre explosive. Rapidement, deux usages vont se distin-guer : une combustion rapide provoquant une détonation – dynamite et poudre à canon – et une combustion lente, guidée dans un tube en papier ou en carton, produisant une force de propulsion*. Les feux d’artifices, combinant le pouvoir propulsif pour amener en hauteur et le pouvoir explosif, sont utilisés par les Chi-nois à des fins récréatives, mais aussi militaires. Ils  les utilisent pour transmettre des ordres ou enflammer à grande distance. L’efficacité reste toutefois limitée, du fait des dangers de l’usage de la poudre.

Une autre application militaire se retrouve en Corée au XIVè siècle avec des cha-riots porteurs de tubes, dans lesquels se lancent des flèches à l’aide d’un moteur à poudre, appelés « hwacha ». Le lance-roquettes est né.

En Chine, la première tentative d’atteindre la Lune est, d’après la légende, le fait du  fonctionnaire Wan Hu, au  XVIè  siècle. Il fixe  47  fusées d’artifice à une chaise. Inutile de préciser que ce n’est pas le succès escompté…

Les visionnaires du XXè siècle

Au début du XXè siècle, les connaissances scientifiques permet-tent de calculer  les conditions de mise en orbite autour de la Terre*. Le russe Constantin Tsiolkovski étudie la possibilité d’un engin pouvant  l’atteindre. Les moyens technologiques ne sont alors pas suffisants, mais il propose de façon théorique des fusées à étages*, le remplacement de la poudre par un mélange de liquides comburants et carburants pouvant  brûler hors de l’atmosphère, et le concept de station spatiale.

L’américain Robert Goddard étudie les fusées étagées à propul-sion liquide* dès 1909, et dépose de nombreux brevets. Durant la première guerre mondiale, l’armée américaine finance ses recherches. En 1926, la première fusée à propulsion liquide de Goddard monte à 13 mètres d’altitude.

En Allemagne, Hermann Oberth révèle son moteur  fusée à car-burant liquide le 7 mai 1931. Il fait partie de l’association « So-ciété pour la navigation dans l’espace » crée en 1927 en Polo-gne, dans laquelle se trouve également  Wernher Von Braun, a-lors étudiant. Cette association teste des fusées jusqu’à une alti-tude de 1000m, et l’armée allemande se propose de la financer. Méfiants, les membres refusent, et le parti nazi interdit, en ré-ponse, les essais civils de fusées. Certains, dont Von Braun, rejoi-gnent alors l’armée allemande pour poursuivre leurs recher-ches.

En Russie, en 1931, se crée le « Groupe d’étude du mouvement à réaction  » dont fait partie  Sergueï Korolev, qui fait voler en 1933 une fusée utilisant un mélange alcool/oxygène à une alti-tude de 80 mètres. D’autres groupes d’études se créent égale-ment aux USA, en Grande Bretagne et en France.

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La Seconde Guerre Mondiale

Il est malheureux de voir que le plus grand moteur d’innovation réside dans la domination militaire. La Seconde Guerre Mondiale en est un exemple frappant. Le passage du balbutiement du mo-teur de fusée d’avant-guerre à une technologie maîtrisée est direc-tement issu de l’intérêt que montre l’armée allemande pour le dé-veloppement  du V2, fusée à trajectoire balistique suborbita-le*  destinée à envoyer des bombes sur Londres, puis sur New York…

La quatrième génération de fusée expérimentale A4 conçue par Von Braun parcourt  192km le 3 octobre 1942. Rebaptisée V2, son développement donnera une fusée capable d’emmener 750kg d’explosifs à une vitesse d’environ 5000km/h à une trajec-toire montant à 100km de haut, la limite de l’atmosphère terres-tre. L’espace n’a jamais été aussi proche.

Ce n’est donc pas une surprise qu’à la fin de la guerre, Améri-cains, Soviétiques,  Anglais et  Français tentent de récupérer un maximum de scientifiques allemands, quitte à fermer les yeux sur leurs exactions passées. C’est ainsi,notamment, que Werner Von Braun se retrouve à la NASA.

La Guerre Froide et la course à l’espace

La Seconde Guerre Mondiale à peine terminée, en démarre une autre plus insidieuse : la Guerre Froide, opposant USA et URSS dans un affronte-ment d’idéologie et d’influenceinternationale. Dès lors, tout est bon pour surpasserl’adversaire. L’espace devient alors un enjeu majeur et l’objet d’une course technologique sans précédent.

Dès  1944, l’URSS rappelle  Sergueï  Korolev  depuis le Goulag pour améliorer la technologie du V2, et développer des lanceurs plus puissants. Korolev prend la direction du bureau d’étude OKB-1 et travaille sur le missile R7 autour d’un moteur à 4 tuyères* pour le corps princi-pal, et 4 propulseurs ayant chacun un moteur à 4 tuyères. Ce missile est primordial pour le programme spatial soviétique.

Aux USA, les travaux sur les fusées à partir des V2 prennent réellement leur essor en 1946, même si freinés par la méfiance du gouvernement américain et du FBI envers les scientifiques allemands. Chaque branche de l’armée américaine développe ses projets de missiles balistiques. En particulier, l’US Army, avec le Jet Propulsion Laboratory du Caltech, monte une équipe dont fait partie Werner Von Braun.

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Le premier satellite artificiel

Le 29 juillet 1955, les USA annoncent leur intention d’envoyer un satel-lite artificiel* dans l’espace, en utilisant le missile Redstone développé par l’US Army. Le lendemain, l’URSS en fait autant. Korolev pense que sa fusée R7, plus puissante que les concurrentes américaines, est capa-ble d’envoyer  un  satellite en cours de développement, l’Objet D. Celui-ci se révèle pourtant trop lourd et complexe, et un satellite plus petit et plus simple, de 83kg, est finalement choisi : Spoutnik 1.

Les 5 premiers essais de la fusée R7 sont des échecs, à cause d’une fragi-lité des étages supérieurs. Pourtant, le 4 octobre 1957, la fusée R7 embar-quant Spoutnik 1 est lancée avec succès. L’URSS vient de montrer son avance dans la conquête spatiale. Un mois plus tard, le 3 novembre 1957,  Korolevrécidive  en mettant en orbite Spoutnik 2, emportant  la chienne Laïka dans l’espace.

Du côté américain, le programme Vanguard TV3 de la Navyessuie un échec cuisant le 6 décembre 1957 lorsque la fusée explose à 1,3m du sol devant les journalistes du monde entier.  Le satellite embarqué ne pèse alors que 1,8kg. Finalement, l’Agence des Missiles Balistiques de l’Armée (ABMA) créée en 1956 par l’équipe menée par Wernher Von Braun envoie  le 31 janvier 1958 le satellite Explorer 1, suivi par le Van-guard-1 le 17 mars 1958. Néanmoins, le satellite le plus lourd envoyé par les USA ne pèse toujours que 22,5kg. Fin 1958, une nouvelle agence est créée, l’Agence Nationale de l’Aéronautique et de l’Espace, la NASA. L’équipe de Von Braun la rejoint en 1960.

Le 7 octobre 1959, l’URSS envoie la sonde Luna-3 autour de la Lune, et ramène les premières photos de sa face cachée. En 1966, Luna-9 vient se poser sur la Lune.

Le premier homme dans l’espace

Dès 1957, l’URSS, galvanisée par les succès de Spoutnik 1 et 2, lance le programme Vostok pour envoyer un homme dans l’espace. La capsule prévue pèse 5,5 tonnes, et un troisième étage est rajouté à la fusée R7. Une campagne d’essais de 7 tirs emmenant divers instruments, manne-quins et animaux est programmée, avec un premier en Mai 1960. Spout-nik 5, le 19 Aout 1960, emmène et récupère avec succès deux chiens, premiers êtres vivants à faire l’aller-retour dans l’espace.

Le 12 Avril 1961 à Tiouratam (Baïkonour), la capsule Vostok-1 prend son envol avec à son bord Youri Gagarine, pour une orbite autour de la Terre de 108 minutes. L’URSS enchaine avec 5 autres vols, dont celui de deux capsules Vostok 3 et 4« en formation » évoluant à moins de 7 kilomètres l’une de l’autre,  et le  16 juin 1963, Valentina Terechkova, première femme dans l’espace, à bord de Vostok-6.

Aux USA, le programme Mercury est la réponse  à  Vostok. Le 5 mai 1961, Alan  Shepard  réalise  un vol suborbital de 15 minutes  à 187km d’altitude  ; il est  le premier Américain dans l’espace. Puis, le 20  février 1962, John Glenn est le premier Américain à orbiter autour de la Terre. Anecdote intéressante  :à cette époque de ségrégation raciale encore  for-te  aux USA, l’astronaute  insiste pour  que Katherine Johnson, femme noire travaillant au département de navigation astronomique, vérifie les très complexes calculs de sa trajectoire. Ses travaux seront d’ailleurs éga-lement déterminants pour la trajectoire d’Apollo 11, et les procédures de secours de navigation d’ Apollo 13.

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La course à la Lune

Le 25 mai 1961, en réponse aux succès soviétiques, le président américain John F. Kennedy fixe dans un discours devant le Congrès l’objectif de poser un Américain sur la Lune avant 1970. L’annonce est accueillie avec enthousiasme, et le budget annuel de la NASA multiplié par 15. 

Plusieurs réflexions sont alors en cours à la NASA, concernant la méthode de voyage :

• La plus directe consiste à envoyer un unique engin se poser et revenir par ses propres moyens : approche « Direct Ascent »

• La méthode approchante mais  limitant  la puissance de lancement nécessaire consiste à assembler en orbite des modules envoyés depuis la Terre. Il faut donc effectuer des rendez-vous* en orbite terrestre « Earth-Orbit Rendez-vous ». Une fois le vaisseau assemblé, le reste de la mission est équivalente au « Direct Ascent »

• L’autre approche pour réduire la masse du vaisseau utilise deux modules, l’un chargé de descendre sur la Lune, puis remonter rejoindre un mo-dule resté en orbite lunaire. Ce dernier assure le retour des astronautes. Cette solution de rendez-vous en orbite lunaire « Lunar Orbital Rendez-vous » sera finalement retenue pour le programme Apollo.

De nombreux challenges sont alors à surmonter :

• Aucune fusée de l’époque ne dispose de la puissance nécessaire pour faire le voyage : la capsule Mercury pèse environ une tonne, et il faudrait pouvoir amener en orbite terrestre un engin de 120 tonnes.  

• Les technologies de rendez-vous spatial et de séjour long dans l’espace ne sont pas connues.

• Les problèmes rencontrés lors de tirs déjà effectués montrent que les technologies ne sont pas encore maîtrisées, et qu’il faut améliorer la fiabili-té du vol spatial.

La NASA établit alors un programme échelonné pour obtenir technologies et connaissances nécessaires : Gemini est lancé.

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Le premier rendez-vous spatial

Gemini, héritier du programme Mercury, a pour objectif de préparer la route à Apollo, en particulier sur 3 points :

• Etudier les vols de longue durée et les effets de l’apesanteur* sur le corps humain

• Développer les techniques et outils de travail dans l’espace hors des capsules, notamment les combinaisons pour les sorties extra véhiculaires

• Maîtriser les technologies de navigation pour permettre les rendez-vous spatiaux

La capsule devant  reprendre les principes de Mercury devient rapidement un nouvel engin de près de 3,5 tonnes, conçu pour 2 astronautes pour 2 semaines. Elle est équipée d’un radar et d’un ordinateur de navigation, et composée de deux modules  :le module de vie et de re-tour, et  le module de service,  largué avant la rentrée atmosphérique*, contenant  la plupart des équipements.

Après deux essais à vide en 1964 et 1965, Gemini 3 emmène 2 astronautes en orbite le 23 mars 1965. Du 3 au 7 juin, Gemini 4 reste 4 jours en orbite, et Edward White effectue la pre-mière sortie extra véhiculaire* américaine pendant 21 minutes, avec toutefois près de 2 mois de retard sur le soviétique Alexei Leonov le 18 mars.

Le 16 mars 1966, après des essais d’approche menés par les vaisseaux Gemini 6 et 7, la cap-sule Gemini 8 pilotée par Neil Armstrong s’amarre à un satellite cible Agena Target Vehicle. Il s’agit d’une véritable prouesse, la mécanique spatiale rendant la manœuvre très complexe : lorsqu’un objet en orbite accélère, son orbite s’agrandit, et l’altitude relative avec la cible augmente. Les deux objets évoluent à 7,5 kilomètres l’un de l’autre, et l’écart entre leurs vites-ses  d’approche  est de quelques centimètres par seconde  – sachant qu’il faut qu’ils soient exactement sur le même plan orbital*…

Le programme Apollo

Après 12 missions réussies, la grande aventure peut commencer. Pourtant, un tragique incident entache les débuts du programme Apollo : le 27 janvier 1967, lors d’une répéti-tion au sol en prévision du premier vol habité Apollo 1, les astronautes Virgil Grissom, Edward White et Roger Chaffee meurent asphyxiés suite à un incendie dans la capsule. Tout le programme est décalé pour apporter les corrections nécessaires à l’évitement d’un autre drame. 

En URSS, le programme lunaire rencontre aussi de catastrophiques échecs : le 24 avril 1967, la capsule habitée Soyouz 1 s’écrase sur Terre à la suite de plusieurs pannes, tuant le colonel Vladimir Mikhailovich Komarov.  Plusieurs explosions des lanceurs ralentis-sent aussi les efforts soviétiques.

Le 11 octobre 1968, Apollo 7 décolle pour une mission de 11 jours en orbite terrestre afin de tester équipements et manœuvres pour une mission lunaire – mais aussi les pre-mières transmissions télévisées en direct depuis l’espace.

Le 14 septembre 1968, puis le 17 novembre, la fusée soviétique Proton lance deux vais-seaux Soyouz inhabités, rebaptisés Zond-5 et 6, autour de la Lune. Ce sont les premiers objets à faire l’aller-retour, ce qui motive les Américains à accélérer leur programme. 

Le 21 décembre, la mission Apollo 8, prévue pour rester en orbite terrestre, part faire le tour de la Lune, faisant de William Anders, James Lovell et Frank Borman  les premiers hommes à voir directement la face cachée de la Lune, et à célébrer Noël dans l’espace. Dans les mois qui suivent, les missions Apollo 9 et 10 permettent à la NASA d’avoir une bonne confiance dans ses systèmes.

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Le 16 juillet 1969, près d’un million de personnes – et bien plus de-vant leurs téléviseurs –  surveillent le pas de tir 39 du Centre Spatial Kennedy à Cap Canaveral en Floride, sur lequel la fusée Saturn V de 3000 tonnes et 110 mètres de haut se dresse fièrement.

Le compte à rebours est  lancé. Les astronautes  Neil Armstrong, Mi-chael Collins et Buzz Aldrin sont sanglés dans leurs sièges dans la cap-sule Apollo 11. A 9h31 et 50 secondes heure locale, la voix de Jack K ing  du Con t rô le de Lancement  annonce  : «  10 , 9 , Ignit ion  sequence  start  (déclenchement de la séquence d’allumage) ». Le premier des 5 moteurs F-1, en position centrale, s’al-lume, suivi 300 millisecondes plus tard d’une paire des moteurs laté-raux, et les deux derniers 300ms encore après. En 2 secondes, chaque moteur atteint sa puissance maximale et fournit une poussée de 690 tonnes  –  ils restent à ce jour les moteurs  à chambre de combustion unique*  les plus puissants jamais construits. Dans les hauts parleurs, Jack King poursuit «  6, 5, 4, 3, 2, 1, 0, all  engines  are running,  lif-toff ! We have a liftoff (Tous les moteurs fonc-tionnent, décollage ! Nous avons un décolla-ge) ».

Avec un vacarme assourdissant, la fusée s’élè-ve doucement et arrache les fixations qui la retiennent à la tour. 12 secondes après la mise à feu, Saturn V se retrouve au-dessus de la tour et pivote pour poursuivre sa montée. Consommant 13 tonnes de carburant par seconde, la fusée accélère et atteint une alti-tude de 67 km e t une v i te s se de 2,3 km/s. Ayant épuisé ses 2.170 tonnes de carburant, le premier étage  se sépare du reste de la fusée.

2 minutes 46 secondes après le décollage, les 5 moteurs du deuxième étage de la fusée s’allument et propulsent la capsule Apollo dans les hautes couches de l’atmosphère. Les astronautes subissent alors une accélération à 4G*. En moins de 6 minutes, les calculateurs de bord amènent  le lanceur  àune altitude de 185 km, et  une  vites-se  de  6,3 km/s, ce qui est presque la vitesse de satellisation (7 km/s) *. Le deuxième étage quitte alors le reste de la fusée.

Le moteur unique du troisième étage s’allume pendant 150 s, amenant Apollo 11 sur une orbite d’apogée* de 180 km et 165 km au périgée. L’écart par rapport à ce qui était prévu est seulement de 185 m d’alti-tude, et 18 cm/s de vitesse. Les astronautes effectuent un tour et demi en orbite autour de la Terre, mettant à profit les 2h38 de ce vol pour vérifier l’ensemble des systèmes. Lorsque la fusée est correctement pla-cée, le 3è étage se rallume pendant 6 minutes pour s’arracher à l’attrac-tion terrestre et prendre la trajectoire d’injection lunaire* qui l’amènera à proximité de l’astre, à une vitesse de 10,8 km/s.

Environ 30 minutes après cette manœuvre, le Module de Commande et de Service, qui abrite les astronautes, se détache de la fusée, pivote de 180° et vient s’arrimer au Module Lunaire stocké dans le corps de la fusée. Cette disposition avait été choisie pour que la capsule embar-quant les astronautes soit au sommet de la fusée, afin de l’évacuer faci-lement en cas de problème.

Une fois les deux modules arrimés, des ressorts libèrent le Module Lu-naire du troisième étage de Saturn V. La capsule est mise en rotation lente autour de son axe, afin de ne présenter un même coté au soleil que sur une durée limitée – cette manœuvre est surnommée le « roulis barbecue ». Ceci permet de réguler passivement la température à l’inté-rieur.

La trajectoire est presque parfaite, et seule une petite correction de 3 secondes est nécessaire à mi-chemin. Presque 3 jours après le départ, le 19 juillet à 17h27 GMT, Appollo 11 arrive à 160,5 km au-dessus de

la Lune, à plus de 350.000 km de son point de départ. Le moteur du Module de Com-mande et de Service s’allume pendant 357,53 secondes pour insérer le vaisseau sur une o rb i t e l una i r e de 314 à 111 km. A  19h52, au cours de la deuxième or-bite, retransmette en télévision couleur des images de la surface lunaire et du site d’atter-rissage numéro 2.

Une seconde manœuvre est effectuée pen-dant 17 secondes pour circulariser l’orbite*, entre 100 et 122 km d’altitude. Les astronau-tes vérifient que tous les systèmes sont opéra-tionnels dans le Module Lunaire.

Le 20 juillet à 17h44 GMT, le Module Lu-naire, surnommé « Eagle » et emmenant Neil Armstrong et Buzz Aldrin, se sépare du Mo-

dule de Commande dans lequel est resté Michael Collins, et entame sa descente vers la Lune. A 19h08 GMT, le moteur de descente s’al-lume pendant 30 secondes, amenant le Module Lunaire sur une orbite l’amenant au périgée à 14km de la surface de la Lune.

A 20h10, l’ordinateur déclenche une première alarme due à une satu-ration de données. Il est important de noter que la puissance de cet ordinateur de 32 kg, qui fut le premier à utiliser des circuits intégrés, est inférieure  à celle de  la  plus simple  calculatrice  de nos jours. Il est pourtant capable de gérer jusqu’à 6 taches en parallèle, et le logi-ciel développé par l’équipe de Margaret Hamilton est conçu pour don-ner la priorité aux taches critiques, en particulier celles  del’atterris-sage. La décision est prise de poursuivre la mission. 4 autres alarmes se déclenchent dans les 4 minutes suivantes, à peine  72 secondes avant de se poser.

Apollo 11

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Durant l’approche, le commandant Armstrong remarque que la zone d’atterrissage est très accidentée, et décide donc de reprendre le con-trôle manuel pour se poser plus loin.

A 20h17 et 39 secondes GMT, après plus de 102h45 de vol, le Module Lunaire touche le sol dans la Mer de la Tranquillité. Il ne reste alors de carburant que pour 45 secondes de plus.

A la radio, Neil Armstrong annonce « The Eagle has landed ». Au cen-tre de contrôle à Houston, l’émotion et le soulagement sont à leur com-ble.

Après avoir vérifié l’ensemble des systèmes, pris un repas et enfilé leurs scaphandres, Armstrong et Aldrin ouvrent l’écoutille et déploient la caméra TV qui doit diffuser en direct aux 500 à 600 millions de télé-spectateurs du monde entier ces images historiques. Le commandant passe en premier et, depuis l’échelle, décrit la surface lunaire.

Et le 21 juillet 1969 à 2h56 et 48 secondes GMT, Neil Armstrong pose le pied gauche sur la Lune, en déclarant « That’s one small step  for a man; one  giant  leap  for  mankind.  » (C’est un petit pas pour un homme, un bond de géant pour l’humanité). 19 minutes plus tard, il est rejoint par Buzz Aldrin. Armstrong dévoile également une plaque sur laquelle est inscrite «  Here  men  from  the  planet  Earth  first set foot  upon  the Moon, July 1969 AD. The  statement,  We  came in peace for all mankind. » (Ici des hommes de la planète Terre ont pris pied pour la première fois sur la Lune, juillet 1969 ap  JC. Nous som-mes venus dans un esprit pacifique au nom de toute l’humanité.)

Pendant cette sortie qui dure 2h32, les deux hommes prennent un nombre important de photos, plantent un drapeau américain, décou-vrent que le plus efficace  déplacement  est de courir en faisant des bonds, répondent à un appel du président américain Richard Nixon, effectuent plusieurs expériences – la mise en place d’un capteur sismi-que, d’un réflecteur laser et d’un capteur de particules de vent solai-re – et collectent 21,7 kg d’échantillons du sol lunaire.

Puis  ils  réintègrent la fusée. A 17h54 GMT la capsule d’ascension décolle, laissant derrière elle le module d’atter-rissage désormais inutile. 

Après une impulsion* de 7 minutes et 15 secondes, le reste du module lu-naire est sur la trajectoire de rendez-vous orbital avec le module de Com-mande dans lequel est resté Michael Collins.  Une fois les deux vaisseaux arrimés, le matériel, les échantillons et les astronautes sont transférés dans le module de commande, et le module lunaire est largué en orbite lunaire.

Le 22 juillet à 4h55 GMT, après avoir passé 59 heures et 30 minutes autour de la Lune, Apollo 11 allume son mo-teur pour la manœuvre l’amenant vers la Terre. Comme à l’aller, seule une petite correction est nécessaire à mi-parcours.

Le module de service est abandonné peu avant la rentrée atmosphéri-que, qui a lieu le 24 juillet à 16h35 GMT. La large base du module in-corpore le bouclier thermique  protégeant la structure de l’échauffe-ment produit – jusqu’à 2800°C – lorsque la pression de l’air assure le freinage de la capsule. Ce freinage provoque une décélération d’envi-ron 5 à 6 G, plus qu’au décollage. 

L’échauffement ionise l’air autour de la capsule et génère un plasma qui bloque les communications. 4 minutes après la rentrée, un avion de surveillance repère visuellement le module Apollo, et une minute après, le porte-avion USS Hornet chargé de la récupération peut la sui-vre au radar. 6 minutes plus tard, les communications radio sont réta-blies.

En 8 minutes, la capsule est passée d’une altitude de 120 km à 10 km, et sa vitesse de 11.000 m/s à 360 m/s, mach 1.1. Deux parachutes supersoniques se déploient pour réduire encore la vitesse pendant 10 secondes. Arrivé à 3.000 mètres de la surface de l’océan, les trois para-chutes principaux sont déployés à leur tour, et assurent un amerrissage en douceur près des Iles Marshall dans l’océan Pacifique, à 3 km de la cible prévue, et 24 km de l’USS Hornet.

La capsule bascule initialement pour avoir la pointe dans l’eau, et les ballons du système de retournement la redressent. Les hélicoptères de récupération arrivent et lâchent leurs plongeurs, qui apportent aux as-tronautes leurs vêtements d’isolation biologique, avant de les ramener à bord du porte-avions. Le module de commande de 4.930 kg est récu-péré deux heures plus tard. Il aura parcouru 1.534.709 km.

Les astronautes et les échantillons ramenés restent en quarantaine pen-dant 21 jours.

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Suite et fin du programme Apollo et ses successeurs

La NASA accomplit  d’autres missions dans le cadre du programme Apollo.

Le 14 novembre 1969 est lancé Apollo 12, qui accomplit sa mission avec succès.

Le 11 avril 1970, part la mission Apollo 13 avec James Lovell, Jack Swi-gert et Fred Haise, dans l’indifférence générale, le voyage sur la désor-mais considéré comme banal. Mais l’explosion d’un réservoir d’oxy-gène pendant le trajet vers la Lune le 14 Avril, annoncée par Jack Swi-gert  avec un calme olympien « Houston, we’ve had  a problem  » (« Houston, on a eu un problème »), ramène la couverture médiatique sur le programme. Les 3 hommes reviendront sains et saufs grâce à leur sang-froid et l’ingéniosité des équipes de la NASA.

Parti le 31 janvier 1971 à bord d’Apollo 14, Alan Sheppard, le premier astronaute américain et 5è homme à marcher sur la Lune, y joue au golf.

Le 26 juillet 1971 est lancé Apollo 15, une évolution dans le pro-gramme grâce aux améliorations apportées à la fusée  Saturn  V, qui peut emporter plus de masse.  Un rover lunaire est donc du voyage et permet aux astronautes d’explorer une plus grande surface de la Lune.

Apollo 17, parti le 7 décembre 1972, est la der-nière mission du programme Apollo,  les  réduc-tions budgétaires amenant à l’annulation des 3 autres prévues. Le coût total représente  135 milliards de dollars actuels.

Les retombées technologiques  sont loin d’être négligeables  : au-delà des découver-tes sur la nature lunaire, le programme spatial a amené l’industrie métallurgique à développer de nouvelles techniques de soudures,  d’alliages et des maté r iaux compos i te s au jourd ’hu i omniprésents.  Les exigences de précision et de fiabilité des instruments de mesure ont poussé à leur amélioration considérable, au bénéfice des laboratoires scientifiques, de la médecine, de l’automo-bile et de l’électronique domestique. La nécessité de contrôler l’état de santé des astronautes a entrainé la création de l’industrie biomédica-le  ? De même, les besoins d’ordinateurs de bord ont provoqué une révolution dans l’électronique et l’informatique.

De nombreuses méthodes de gestion de projet, d’analyse de qualité et de planification ont été mises au point par la NASA. Elles sont tou-jours aujourd’hui des références dans le monde de l’entreprise.

Les photos de la Terre isolée dans le vide spatial, ramenées par les as-tronautes,  ont contribué à un éveil des consciences écologiques,  et à la montée de cette pensée dans les années 1970.

Enfin, le programme en lui-même a été générateur d’emplois en mas-se,  jusqu’aux coupes  budgétaires qui  les  ont rendus  en partie  super-flus.

Cette chute des financements entraine l’abandon du programme d’ex-ploration humaine de Mars. En contrepartie, la NASA obtient l’accord

pour la création d’une navette spatiale réutilisable,  qui œuvrera de 1981 à 2011, malgré un coût nettement plus important qu’anticipé, et la perte tragique au décollage de la navette Challenger et ses 7 astro-nautes le 28 janvier 1986, et de 7 autres lors de l’explosion de la na-vette Columbia durant sa rentrée atmosphérique le 1er février 2003.

Coté soviétique, les échecs répétés dans le programme lunaire entraî-nent une nouvelle orientation du programme spatial vers les stations orbitales et les séjours de longue durée avec les stations Almaz, Saliout et Mir. Les activités protégées par le secret d’Etat demeurent cachées au reste du monde jusque dans les années 1980, ce qui poussent cer-tains à penser que l’argent dépensé dans le programme Apollo l’a été inutilement. Pourquoi ?

L’Europe a également des ambitions spatiales, avec le projet français puis européen d’avion spatial Hermès, abandonné en 1992. Faute de moyen d’envoyer des hommes dans l’espace, l’Agence Spatiale Euro-péenne ESA s’associe à la NASA pour un projet de station spatiale in-ternationale.

Aujourd’hui

Depuis Apollo 17 en 1972, plus aucune mission vers la Lune n’a été tentée, tout comme aucune tentative de vol habité à plus de quel-

ques centai- nes de kilomètres de la Terre.

Depuis la destruction de la station Russe Mir en 2001, et jusqu’au lancement de la sta-

tion  chinoise  Tiangong  1 en 2011, remplacée par Tiangong 2 en 2016, seule la Station Spatiale Internationale ISS, résultat de la coopération de 15 pays (États-Unis, Canada, Japon, Russie, Belgi-que, Danemark, France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Norvège, Espagne, Suède et Suisse) a  mon-

tré  la présence humaine dans l’espace. Orbitant entre 330 et 420 km d’altitude, elle  devrait  durer

jusqu’en 2024.

Et demain ?

Hormis le maintien des programmes de stations spatiales, il existe en-core quelques initiatives :

–  La Chine a pour ambition de lancer des missions habitées sur la Lune vers 2025-2030, avec à terme la création d’une base lunaire per-manente.

– Les compagnies privées Virgin Galactic et Blue Originprévoient de proposer des vols touristiques suborbitaux, montant à des altitudes de 100 à 110 km, à base d’éléments réutilisables  (pour faire baisser les coûts).

–  SpaceX, qui fournit déjà un service de ravitaillement pour  l’ISS,  a développé la capsule Dragon 2,  qui devrait  devenir un  véhicule de transfert habité vers l’ISS à partir de 2018. Cette même capsule permet-trait d’envoyer deux passagers payants contourner la  Lune et revenir pour fin 2018. La société annonce également son intention d’envoyer des humains sur Mars sous 10 à 20 ans, une aventure encore plus com-plexe et ambitieuse que les premiers pas humains dans la Mer de  la Tranquillité… Peut-être vers l’une des « mers » de Mars ?

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Force de propulsion : l’éjection de matière dans une direc-tion avec une certaine force provoque une force égale sur l’objet éjecteur, dirigée en sens inverse : c’est le principe physique d’ac-tion/réaction. Dans le cas de moteurs de fusées, les gaz produits par la combustion dans le moteur s’échappent par la tuyère, ce qui pousse la fusée dans l’autre sens. Plus ces gaz sont expulsés vite et en quantité importante, plus l’accélération fournie à la fu-sée est importante.

Etagement : Une mise en orbite se compose de deux phases : arriver à l’altitude de satellisation, puis accélérer à la vitesse de satellisation. Sans rentrer dans les calculs, on montre que pour mettre en orbite 1kg, on a besoin de 10kW/h d’énergie – Soit envi-ron 1,5€ ! Mais il faut emmener le moteur et le carburant qui doi-vent fournir la vitesse de satellisation à cette altitude. La charge à emmener étant plus lourde, il faut plus d’énergie, ce qui ajoute à nouveau de la masse à emmener, demandant plus d’énergie en-core… C’est un cercle vicieux ! De plus, il faut lutter contre les frottements de l’air et la gravité pendant la phase ascensionnelle. Avec les meilleurs technologies actuelles, une fusée d’un seul te-nant devrait avoir une quantité de carburant représentant proche de 99% de sa masse totale, le restant étant les moteurs, la struc-ture et la charge utile – une telle approche n’est pas rentable. Par contre, en découpant la fusée en plusieurs sections, généralement 2 ou 3 – les étages – on peut se séparer de toute la structure deve-nue inutile lorsque le carburant de cet étage est épuisé. De plus, on peut ainsi optimiser les moteurs pour chaque altitude à laquelle ils interviennent. On ajoute de la complexité et des moteurs, donc de la masse de structure, mais au final on y gagne, puisque la quantité de carburant ne représente plus que 75 à 90% de la masse totale pour une mise en orbite.

Orbite : une orbite est la trajectoire elliptique décrite dans l’es-pace par un objet autour d’un autre objet exerçant sur lui une force gravitationnelle. 

Propulsion liquide : la propulsion liquide, par opposition à la propulsion solide – qui utilise de la poudre ou un composé chimique similaire – est assurée par la combustion d’un mélange de comburant et de carburant stockés sous forme liquide, et mélan-gés dans les chambres de combustion à l’aide de pompes. Ce sont des moteurs beaucoup plus complexes à mettre au point que leurs équivalents solides, mais de meilleures performances (environ 80 à 110% d’efficacité en plus). La poussée de ces moteurs peut être modulée en direct, ils peuvent être éteints et rallumés. 

Trajectoire balistique : c’est la trajectoire d’un objet en vol sans propulsion, soumis uniquement à la gravité et aux frotte-ments de l’air – boulet de canon ou balle de tennis parexemple. 

Trajectoire suborbitale : c’est une trajectoire ne permettantpas la mise en orbite : l’objet va retomber sur l’astre dont il est parti si on ne l’accélère pas.

Satellite : il s’agit d’un objet en orbite autour d’un autre. Il peut être naturel ou artificiel.

Rendez-vous spatial : c’est l’opération consistant à faire se rejoindre dans l’espace deux objets – généralement pour les accro-cher l’un à l’autre. Les objets doivent alors suivre des trajectoires proches à des vitesses très proches également.

Apesanteur : il s’agit de l’état dans lequel on ne peut pas mesu-rer d’accélération exercée sur l’objet. Ainsi, un objet en chute libre dans le vide, une personne dans un avion « zéro G » ou un objet non propulsé dans l’espace sont en apesanteur.

Rentrée atmosphérique : c’est la manœuvre permettant à un objet spatial de rejoindre une planète dotée d’une atmosphère. Cette dernière exerce en effet une force sur l’objet en question, qui peut le repousser ou le détruire. L’angle avec lequel l’objet spatial doit entrer dans l’atmosphère est précis et dépend de sa vitesse et de la densité de l’air.

Sortie extravéhiculaire : il s’agit de se rendre à l’extérieur d’un véhicule spatial pour un astronaute en combinaison –  dans l’espace comme à la surface d’un astre, comme la Lune.

Plan orbital : il s’agit d’un plan passant par le centre de gravité de l’objet principal et dans lequel se décrit l’orbite de l’ob-jet lui tournant autour.

G (accélération gravitationnelle) : il s’agit de l’accélération appliquée à un objet ou un corps soumis à la force gravitation-nelle d’un autre objet. Par exemple, nous subissons 1G en perma-nence par la gravité terrestre, un pilote peut atteindre dans son avion jusqu’à 9G.

Vitesse de satellisation : il s’agit de la vitesse à donner à un objet pour atteindre une orbite autour d’un autre objet. Cette vi-tesse pour la Terre est comprise entre 7,9 et 11,2 km/s. Aune vi-tesse plus faible que 7,9 km/s l’objet va retomber sur la Terre, tan-dis qu’à une vitesse plus élevée que 11,2 km/s, il va s’arracher à l’attraction terrestre et s’en éloigner définitivement. 

Apogée/Périgée : il s’agit respectivement du point le plus haut et le plus bas de l’orbite d’un objet. Pour augmenter l’altitude d’un de ces points, le plus efficace est d’effectuer une impulsion d’accélération au point opposé. Pour la diminuer, il faut ralentir au point opposé.

Trajectoire d’injection : c’est la trajectoire suivie par un objet pour atteindre la destination voulue.

Circulariser l’orbite : l’opération consistant à arrondir une orbite, de sorte que son apogée et son périgée soient de valeurs proches, la trajectoire elliptique s’approchant alors d’un cercle.

Impulsion : cette force est appliquée sur un engin spa-tial pour faire varier sa vitesse et sa trajectoire. Typiquement el-le est exercée par l’allumage d’un moteur-fusée, mais d’autres sys-tèmes sont possibles (voile solaire, par exemple)

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Il est des contes qui nous hantent longtemps même si leur sujet paraît à première vue anecdoti-q u e .Le vieil homme et la mer en est un. Ecrit en 1951, ilraconte l’acharnement d’un vieux pêcheur, pauvre et n’ayant jamais eu de chance dans son métier, tentant une dernière traversée pour rame-ner le poisson qui ferait sa fortune. L’homme s’embarque seul sur une frêle embarcation, à la con-quête de sa pêche miraculeuse.

Mais la malchance, comme  toujours depuis le début de sa vie, s’embarque avec lui.  Et après avoir rencontré des obstacles  toujours renouvelés, des contrariétés s’enchaînant les unes les au-tres, le pauvre hère pourra – enfin ! – mettre le grappin sur son butin rêvé. Hélas, ce poisson gi-gantesque, trop grand pour son bateau, y sera accroché, et dévoré peu à peu par tous les préda-teurs s’en approchant. Le marin reviendra bredouille, comme à son habitude.

Ce conte, tellement humain, est celui de  l’obstination, de la quête, à l’instar de Moby Dick  ;  il est d’ailleurs amusant de constater que la mer est le théâtre idéal pour le huis-clos d’un homme face à une obsession.  Eliminant tout environnement superflu, l’océan devient métaphysique, pla-çant  l’Homme face à sa petitesse,  et à sa fin. Le vieil homme d’Ernest Hemingway, en même temps qu’il s’enfonce dans sa malédiction – une pêche toujours mauvaise, et la solitude absolue – s’approche de  sa mort,  de son  dernier abandon. Rentré au port,  il  ne regagnera jamais la mer. Ce dernier voyage est un adieu.

Entre Ernest Hemingway et la mer, c’est aussi une histoire d’amour. Elément d’aventure, de pêche ou de farniente, la mer est le synonyme du lointain, de l’embarquement, et de sa vie d’aventurier. Elle a une place de choix dans ses ouvrages, au milieu des beuveries, de la boxe et de la vie oisive. 

La condition du vieil homme face à la mer n’est-elle pas aussi celle de l’auteur, face à sa solitu-de, ses doutes existentiels, et son désir de vivre encore, jusqu’à la dernière possibilité ?…

Célia Guimon

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Laissez-moi vous parler de ce professeur, M. Cook, qui nous donnait à chaque cours des dé-fis à relever : avec lui le savoir était un vaste et joyeux terrain de jeu. Il s’investissait entièrement dans son rôle de professeur. Nous avions le droit de lui poser toutes les questions qui nous ve-naient en tête sur le sujet du jour, rien n’était interdit. Ceux qui connaissaient la réponse avaient le droit de la donner, et quand personne ne savait le professeur nous aidait ou cherchait avec nous. La triche n’existait pas et la coopéra-tion était toujours récompensée. Je me rappelle d’un jour particulier où il était arrivé en classe avec une fausse jambe de bois, un bandeau sur l’œil et un perroquet rouge et jaune en peluche sur l’épaule en criant :

« – Ahoy moussaillons ! Grimpez à bord ! Venez rejoindre les mathurins du Jolly Roger et vous saurez tout ce qu’il faut savoir sur les aventuriers des mers et leurs butins. Aujourd’hui vous serez mon équipage, ensemble nous défierons les lois et amasserons une tonne de trésors ! dit-il en désignant un gros sac rempli de bonbons et de chocolats.

–        Monsieur, pourquoi vous êtes déguisé en pirate ? Dirent plusieurs élèves.

–        Parce qu’aujourd’hui on va parler des pira-tes et ce sera moi votre capitaine ! Allez hop, sur la moquette !»

M. Cook nous fit asseoir par terre dans l’espace moelleux habituellement dédié à la lecture. Il attendit que nous soyons assis en cercle autour

de lui puis commença à nous expliquer les se-crets de la piraterie d’une voix rauque et théâ-trale :

«-      Nous sommes au 17ème siècle, c’est un âge d’or de la piraterie qui commence avec les premiers flibustiers ou faiseurs de butin ; ils sont français, hollandais ou anglais et ont fui leur pays.

–      Pourquoi ? s’étonna Thomas, qui parlait tou-jours en premier.

–      Parce qu’à cette époque en Europe il y a ce que l’on appellera plus tard la guerre de Trente Ans. Entre 1618 et 1648 pour être précis, il y a une succession de plusieurs guerres dont les combats religieux se portent en France, aux Pays Bas, en Italie et en Catalogne. Ce sont des con-flits qui se terminent en bras de fer entre la France et la maison d’Autriche. Les populations fuient ces conflits et viennent se réfugier dans les îles.

Denys le Phocéen est le plus ancien pirate que l’on connaisse

Les chevaliers de l’amère thune

par Coraline le Du

HISTOIRE

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–      Mais les pirates, ce sont des bandits, non ? demanda Marie, la pre-m i è r e d e l a c l a s s e –      N’importe quoi, les pirates ils sont gentils, répliqua Mathieu, qui dessinait un pirate balafré tenant un sabre en écoutant le cours.–   C’est vrai et faux en même temps, car en réalité beaucoup de sortes de “pirates” différents voguent sur les mers. Par exemple ceux que l’on appelle corsaires sont autorisés par une lettre de marque, à attaquer en temps de guerre, tout navire battant pavillon d’États ennemis, dit M. C o o k e n s o u r i a n t .–    Ça veut dire quoi « battant pavillon d’États ennemis » ? demanda M a t h i e u –    Cela signifie que les navires portent le drapeau d’un pays avec le-q u e l l e g o u v e r n e m e n t e s t e n g u e r r e . –   Et quand il y a une bataille entre des bateaux, tout le monde meurt ? d i t J u l i e d ’ u n e p e t i t e v o i x t r i s t e . –    Pas toujours, les corsaires et flibustiers essayent surtout de voler les cargaisons des navires espagnols dans les mers antillaises. Leur but est avant tout d’acquérir des marchandises et non de tuer, et surtout, si jamais ils sont capturés, les corsaires ont droit au statut de prisonniers de guerre. C’est ainsi que des bandits deviennent des héros et ne sont pas punis, tout ça grâce aux lettres de marque de leur gouvernement… Il y a aussi les flibustiers, ils ont , eux, un statut ambigu entre les pirates e t l e s c o r s a i r e s .

–       C’est qui les flibu…Je sais pas quoi ? Interrogea Justine –      Les flibustiers, Justine, sont une sorte de pirates dont beaucoup vi-vent sur l’île de la Tortue qui se situe dans la mer des caraïbes. Aujour-d’hui c’est un des départements d’Haïti. –      Et vous savez pourquoi on l ’ a p p e l l e l ’ î l e d e l a To r t u e ? –      Parce qu’il y a des tortues dessus ? Répondit Justine du tac au tac–      En fait c’est simplement parce que l’île a la forme d’une tortue. Et retenez bien son nom car elle est au centre d’une lutte sans merci entre différentes nations, et cette lutte reproduit en fait plus ou moins les guer-res qui se passent en Europe à la même époque. En 1627 les espagnols se font chasser de cette île par les français, et c’est donc un certain Pierre Belain D’esnambuc qui en devient gouverneur. Plus tard les espa-gnols reprennent l’île par la force, ensuite viennent les anglais qui se battent pour obtenir l’île, et enfin en 1640 un gentilhomme français, François Levasseur, réussit à obtenir le titre de gouverneur de l’île.

C’est lui qui donne naissance aux premiers flibust iers . – Comment il a fait ? Il a tué tous les anglais ? Demanda Florian en fron-ç a n t l e s s o u r c i l s – Mais non pas du tout, Levasseur est capitaine de la marine royale fran-çaise. Il va voir le gouverneur de l’île de Saint Christophe qui lui remet une « commission », c’est-à-dire une lettre de marque qui lui donne autorité sur l’île. Il a même le droit de couler les navires anglais alors que la France et l’Angleterre sont en paix ! Nommé gouverneur de l’île, Levasseur accorde alors des autorisations aux aventuriers des mers ou aux corsaires, pour qu’ils puissent librement piller les navires Espagnols. Néanmoins le gouvernement du royaume n’est pas toujours informé des missions de pillage exécutées en son nom…Les premiers flibustiers sont rapidement rejoint par les hollandais qui se sont fait expulser de l’île de Sainte-Croix par les anglais, puis quelques mois plus tard en 1650 par une centaine d’anglais chassés de cette même île par les espagnols.– Mais monsieur vous parlez des flibustiers et des corsaires, et les pira-t e s a l o r s ? d i t M a r g a u x .– Les pirates, ce sont plus dangereux, ils attaquent les navires quels qu’ils soient et ne s’en tiennent pas aux cargaisons et aux bâtiments. Ils n’hésitent ni à tuer les hommes qui se mettent en travers de leur che-min, ni à attaquer les villes côtières avec l’aide des boucaniers.– C’est quoi un boucanier ? demandai-je.

Il l’a dit..."Nous, Anglais, nous nous battons pour l'hon-neur, et vous les Français, vous vous battez pour l'argent !"

"Peut être. Mais chacun se bat pour acquérir ce qui lui manque."

Robert Surcouf répondant à un officier anglais

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– On appelle boucanier un renégat qui vit de la chasse du bœuf et du cochon sauvage, dont il fume la viande et vend les peaux. Les bouca-niers vivent toujours en communauté, et sont souvent installés à Saint-Domingue ou dans les îles environnantes. Par la suite on appelle bou-canier un écumeur de mer, un pirate quoi, après que les boucaniers se sont associés aux flibustiers. Ils sont à la solde des pirates et vivent es-sentiellement du produit de leur chasse et des produits contrebande.Ils aident parfois les pirates en embarquant sur leurs bateaux pour atta-quer, depuis la mer, les villes côtières.

– Heu, monsieur ? Un renégat ça veut dire quoi ?

– C’est une personne qui renie ses opinions, sa religion, ou bien sa patrie. Par exemple quelqu’un qui va changer de nationalité, à l’épo-que, est considéré comme un traître ou un renégat.

– Et pourquoi dans les films les pirates sont habillés comme vous ?

– Ha ha ! J’adore ta question, Arnaud, alors en fait on appelle ça un stéréotype. On a tous vu cette image du pirate cruel à la jambe de bois et au bandeau sur l’œil. Ou bien celle du pirate qui boit du rhum, a un sabre dans une main, et un crochet à la place de l’autre, avec parfois en plus un perroquet sur l’épaule, non ?

– Siiii !! Comme le capitaine Crochet, crièrent à l’unisson Stéphanie, Laura et Martin.

– Cette image apparaît d’abord dans la littérature du 19ème siècle, par exemple dans le livre l’île au trésor de Robert Louis Stevenson. Les pira-tes y sont décrits comme brutaux et sans pitié, et certains d’entre eux sont des mutins qui servaient au départ sur un bateaux royal ou dans la marine marchande, et se sont retournés contre leur capitaine en le je-tant par-dessus bord !

– Ben pourquoi ils ont fait ça ? Demanda Mathilde.

– En fait la vie à bord d’un bateau marchand ou d’un bateau de la marine royale est difficile et très réglementée. La hiérarchie est forte et toute personne qui refuse d’obéir aux ordres se retrouve dans la cale avec les prisonniers et les esclaves.Elle peut aussi être tuée sans autre forme de procès. La vie à bord du bateau pirate est plus aisée : elle est régie par un “code d’honneur” démocratique, l’équipage est nom-breux et les contraintes sont beaucoup moins fortes.

– Et le capitaine Crochet il a vraiment existé alors ?! S’écria Martine.

– Non, mais par contre il y a des pirates célèbres qui ont inspiré les réalisateurs de films et les écrivains. Il y a Barbe noire, le très cruel commandant du navire le “Pearl”, celui de Pirates des caraïbes. Et il y a aussi William Kidd dont on dit qu’il avait caché son butin dans l’île de Clarke aux Etats-Unis.

– Et ils avaient des vrais trésors, ces pirates ? questionna Xavier

– Bien sûr, certains étaient très riches comme Black Sam, le plus géné-reux des pirates. On dit qu’il avait une flotte de 53 navires. Le dernier navire qu’il capture en 1717 se nomme le Whydah Gally. A peine 2 mois après sa capture, ce navire coule avec 150 membres d’équipage.

– Mais il a coulé où ? dit Xavier, visiblement très intéressé par le trésor.

– Au large de la ville de Cape Cod. On dit que deux des pirates du Whydah Gally survécurent et propagèrent une rumeur qui s’attacha pour toujours à l’épave : le navire aurait coulé avec près de 5 tonnes d’or, d’argent et de bijoux répartis dans 200 sacs ! Il y aurait même une carte au trésor !!

– Non j’y crois pas, c’est même pas vrai ! C’est que dans les films ! s’énerva Arnaud, Les cartes comme ça ça n’existe pas !

– Et bien si, Arnaud, c’était vrai, dit M. Cook, la carte a été créée par Cyprien Southack, un navigateur et cartographe britannique, chargé par la couronne de récupérer le butin de Black Sam.

L’été n’est pas fini...

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– Alors le trésor a été retrouvé par un Cyprien ? dit Cyprien tout con-t e n t .– Et bien non, malheureusement l’épave du navire est disloquée,et répartie sur plusieurs centaines de mètres. Elle se trouve dans une zone très périlleuse où de forts courants circulent entre les bancs de sables. Southack qui n’arrive pas à récupérer la cargaison, finit donc par abandonner le trésor. Mais il laisse à la postérité une carte de la région, qui mentionne d’une croix l’endroit exact où se trouve l’épave d u n a v i r e . – Il y a une vraie carte ? Je la veux !! cria Arnaud. – M o i a u s s i ! h u r l a C y p r i e n .– Ouh là, doucement, on se calme vous deux. La carte est tombée aux mains d’un certain Barry Clifford. En 2013 il a envoyé des plongeurs faire des recherches non loin de l’endroit indiqué sur la carte. Les plon-geurs y ont trouvé de la vaisselle, des instruments de navigation, des v ê t e m e n t s e t p l u s d e 1 2 0 0 0 p i è c e s d ’ o r !– Waaaah ça c’est du trésor ! S’exclamèrent tous les élèves en chœur.– Mais comment on pouvait savoir que c’était bien un bateau pirate ? D e m a n d a D o r o t h é e q u i n ’ é c o u t a i t q u ’ à m o i t i é . – Grâce au pavillon (ou drapeau) du bateau ; on appelle ce pavillon le Jolly Roger. Ce nom viendrait de “joli rouge” en français. C’est un dra-peau noir ou rouge orné en général d’une tête de mort surmontant deux tibias entrecroisés. Parfois le drapeau est décoré de dessins de squelettes, d’armes, de sabliers ou du capitaine lui-même. De plus les bateaux pirates ont toujours une figure de proue, c’est-à-dire une s c u l p t u r e à l ’ a v a n t d u n a v i r e .– E t ç a s e r v a i t à q u o i ? D e m a n d a T h o m a s .– Elles étaient là car les marins étaient superstitieux, surtout les pirates. Il est dit qu’elles remplacent symboliquement les offrandes destinées à

apaiser les dieux de la mer. Les figures de proue représentent souvent des femmes ou des sirènes. Certaines sources disent qu’elles portaient malheur et étaient au contraire destinées à effrayer les mauvais esprits d e l a m e r . – Et il y avait pas de femmes sur les bateaux alors ? Demandai-je – Si, si , bien sûr qu’il pouvait y avoir des femmes ! – C h o u e t t e j e v e u x ê t r e fli b u s t i è r e a l o r s ! – Mais monsieur il n’y avait pas de femmes pirates, dit Benoît ? Les f e m m e s ç a s a i t p a s s e b a t t r e . – Et bien détrompe-toi Benoît, il y a eu des femmes pirates célèbres comme Anne Bonny et son amie Mary Read. Et il y a eu aussi Cheng I, une chinoise qui reprendra le flambeau de son défunt époux. Elle réus-sira même à former et à diriger une coalition de plus de 70 000 pira-t e s , u n r e c o r d ! »A ce moment-là, la sonnerie retentit, c’était la fin de la matinée, le p r o f e s s e u r n o u s d i t : «- Allez ! Venez tous prendre vos bonbons dans le sac à trésors vous avez été sages alors vous l’avez bien mérité ! Demain Nous parlerons des femmes pirates pour la peine !»

Ce cours sur les pirates m’a incroyablement marqué, et je m’en sou-viens comme si c’était hier, car c’était la première fois (et une des der-nières) que j’entendais un professeur parler de femmes célèbres. En effet l’histoire telle qu’elle est racontée aujourd’hui mentionne essen-tiellement les faits et gestes des grands hommes, et ne laisse que peu de place aux femmes qui pourtant en ont fait tout autant. Alors, voilà, aujourd’hui j’ai envie de dire merci M. Cook pour vos histoires, vos explications et votre patience, et surtout merci d’avoir ouvert à toutes les élèves de votre classe un monde de possibles.

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« Dehors il faisait jour, éternellement jour.Mais c’était une lumière pâle, pâle, qui ne ressemblait à rien ; elle traînait sur les choses comme des reflets de soleil mort. Autour d’eux, tout de suite commençait un vide immense qui n’était d’aucune couleur, et en dehors des planches de leur navire, tout semblait diaphane, impalpable, chimérique.L’œil saisissait à peine ce qui devait être la mer : d’abord cela prenait l’aspect d’une sorte de miroir tremblant qui n’aurait aucune image à refléter  ; en se prolongeant, cela paraissait devenir une plaine de vapeur, — et puis, plus rien ; cela n’avait ni horizon ni contours.La fraîcheur humide de l’air était plus intense, plus pénétrante que du vrai froid, et, en respirant, on sentait très fort le goût de sel. Tout était calme et il ne pleuvait plus ; en haut, des nuages informes et incolores semblaient contenir cette lumière latente qui ne s’expliquait pas  ; on voyait clair, en ayant cependant conscience de la nuit, et toutes ces pâleurs des choses n’étaient d’aucune nuance pouvant être nommée.Ces trois hommes qui se tenaient là vivaient depuis leur enfance sur ces mers froides, au milieu de leurs fantas-magories qui sont vagues et troubles comme des visions. Tout cet infini changeant, ils avaient coutume de le voir jouer autour de leur étroite maison de planches, et leurs yeux y étaient habitués autant que ceux des grands oiseaux du large.Le navire se balançait lentement sur place, en rendant toujours sa même plainte, monotone comme une chan-son de Bretagne répétée en rêve par un homme endormi. Yann et Sylvestre avaient préparé très vite leurs hame-çons et leurs lignes, tandis que l’autre ouvrait un baril de sel et, aiguisant son grand couteau, s’asseyait derrière eux pour attendre.Ce ne fut pas long. À peine avaient-ils jeté leurs lignes dans cette eau tranquille et froide, ils le relevèrent avec des poissons lourds, d’un gris luisant d’acier.Et toujours, et toujours, les morues vives se faisaient prendre  ; c’était rapide et incessant, cette pêche silen-cieuse. L’autre éventrait, avec son grand couteau, aplatissait, salait, comptait, et la saumure qui devait faire leur fortune au retour s’empilait derrière eux, toute ruisselante et fraîche.Les heures passaient monotones, et, dans les grandes régions vides du dehors, lentement la lumière changeait ; elle semblait maintenant plus réelle. Ce qui avait été un crépuscule blême, une espèce de soir d’été hyperbo-rée, devenait à présent, sans intermède de nuit, quelque chose comme une aurore, que tous les miroirs de la mer reflétaient en vagues traînées roses…— C’est sûr que tu devrais te marier, Yann, dit tout à coup Sylvestre, avec beaucoup de sérieux cette fois, en re-gardant dans l’eau. (Il avait l’air de bien en connaître quelqu’une en Bretagne qui s’était laissé prendre aux yeux bruns de son grand frère, mais il se sentait timide en touchant à ce sujet grave.)— Moi !… Un de ces jours, oui, je ferai mes noces — et il souriait, ce Yann, toujours dédaigneux, roulant ses yeux vifs — mais avec aucune des filles du pays ; non, moi, ce sera avec la mer, et je vous invite tous, ici tant que vous êtes, au bal que je donnerai…Ils continuèrent de pêcher, car il ne fallait pas perdre son temps en causeries  : on était au milieu d’une im-mense peuplade de poissons, d’un banc voyageur, qui, depuis deux jours, ne finissait pas de passer.Ils avaient tous veillé la nuit d’avant et attrapé, en trente heures, plus de mille morues très grosses ; aussi leurs bras forts étaient las, et ils s’endormaient. Leur corps veillait seul, et continuait de lui-même sa manœuvre de pêche, tandis que, par instants, leur esprit flottait en plein sommeil. Mais cet air du large qu’ils respiraient était vierge comme aux premiers jours du monde, et si vivifiant que, malgré leur fatigue, ils se sentaient la poitrine dilatée et les joues fraîches.La lumière matinale, la lumière vraie, avait fini par venir  ; comme au temps de la Genèse elle s’était séparée d’avec les ténèbres qui semblaient s’être tassées sur l’horizon, et restaient là en masses très lourdes  ; en y voyant si clair, on s’apercevait bien à présent qu’on sortait de la nuit, — que cette lueur d’avant avait été vague et étrange comme celle des rêves.»

Pêcheur d’Islande de Pierre Loti