Le Contrat de Protection Audiovisuelle

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LE CONTRAT DE PRODUCTION AUDIOVISUELLE Exposé présenté par : Aline Dosdat, Alexia Leveille-Nizerolle et Aurélie Toubert Dans le cadre du séminaire Propriété intellectuelle et Contrats Année universitaire 2003/2004

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LE CONTRAT DE PRODUCTION AUDIOVISUELLE

Exposé présenté par : Aline Dosdat, Alexia Leveille-Nizerolle et Aurélie ToubertDans le cadre du séminaire Propriété intellectuelle et Contrats

Année universitaire 2003/2004

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I- La primauté des intérêts du producteur dans un secteur tourné versl’économie

A- La reconnaissance d’une présomption légale de cession

1) Une conception théoriquement large de la présomption de cessiona- l’étendue de la présomption de cession au sens de l’article

L.132-24 CPI b- les limites légales apportées à la présomption de cession

2) L’intérêt relatif de cette présomption de cession au vu de la pratiquea- les possibles aménagements contractuels b- la concurrence des sociétés de gestion collective

B- La soumission des coauteurs au producteur de l’œuvre dans le contrat deproduction audiovisuelle

1) Les garanties du droit commun des obligations dues au producteurpar les coauteurs

a- la garantie d’éviction b- l’obligation de délivrance conforme

2) L’atténuation du droit moral des coauteurs a- les atteintes au droit moral des coauteurs avant l’achèvement de

l’œuvre b- les atteintes au droit moral des coauteurs à l’achèvement de

l’œuvre

II- La timide sauvegarde des intérêts des coauteurs

A- Des dispositions spéciales en matière de rémunération

1) La conciliation du droit commun des contrats et de l’article L.132-252) La conciliation du droit commun des contrats d’auteur et de l’article

L.132-25 CPI

B- Des obligations du producteur relatives à l’égard des coauteurs

1) Les obligations issues du droit commun des contrats a- payer le prixb- réceptionner l’œuvre

2) Les obligations spécifiques à la production audiovisuellea- un respect du droit moral minimumb- des obligations propres au contrat de production audiovisuellepeu contraignantes

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INTRODUCTION

La fin du 20è siècle a dû faire face à une recrudescence de procédés techniques nouveaux enmatière audiovisuelle. Depuis longtemps le public comme les créateurs ne se contentent plusde l’image offerte par les salles obscures de cinéma. La boulimie des images emporte uneboulimie de créations audiovisuelles. Ces nouveaux procédés, du point de vue des créateurs,doivent prendre en compte la balance des intérêts de ce qui est devenu plus qu’un 7è art, uneréelle industrie où les capitaux font la loi. Le conflit avec la vision personnaliste traditionnelledu droit d’auteur est dès lors d’autant plus important que le système du copyright cherche às’imposer.

La conjugaison de l’atomisation des apports et de la concurrence internationale a très viteposé le problème d’une clarification de la norme française en la matière, ce qui a été fait en1985, avec la création du contrat de production audiovisuelle.

En effet jusqu’à cette date, ce type de contrat, même si l’on en décelait l’embryon, n’avait pasde régime propre. Lors de la naissance du cinéma, la question s’est tout d’abord posée del’application des règles du droit d’auteur à cet art nouveau. Ce fut chose faite grâce à la Courd’appel de Pau, en 1904, qui décida, par assimilation à la photographie, que l’industriecinématographique n’était pas exclue de tels droits. Pourtant ce n’est pas en faveur du créateurlui-même que s’est d’abord tournée la jurisprudence d’avant-guerre. En 1935, le tribunal de laSeine a même considéré que le réalisateur n’était pas l’auteur de l’œuvre cinématographique :il était, selon les juges, tellement accessoire qu’il pouvait facilement être remplacé. Lajurisprudence ultérieure considérait quant à elle que c’était plutôt au producteur que revenaitla qualité d’auteur. La chambre civile a même dans l’affaire « Mascarade », jugée le 10novembre 1947, utilisé la notion d’œuvre collective pour faire du producteur l’unique titulairede droits d’auteur sur l’œuvre cinématographique.

Cette décision se rapprochait de la conception américaine du droit d’auteur selon laquelle lescréateurs d’une œuvre cinématographique, ou, aujourd’hui plus largement, audiovisuelle, sontdes salariés du producteur. Ce dernier devient dès la création de l’œuvre l’auteur de celle-ciselon la théorie des « Works made for hire ».Le législateur français était lui-même réticent à l’idée de faire naître les droits d’exploitationde l’œuvre sur la tête des auteurs malgré l’importance que leur conféraient les autres règles dela propriété littéraire et artistique. La loi du 11 mars 1957 a donc institué une présomption decession des droits d’exploitation des auteurs au producteur mais uniquement dans le cas d’uneexploitation en salles de l’œuvre cinématographique. La conception américaine consistant àattribuer à titre originaire les droits d’auteur au producteur étant contraire à la logiquepersonnaliste du droit français, il est en effet apparu nécessaire de prévoir un système dedévolution des droits au producteur par le biais d’une présomption de cession afin que celui-cipuisse disposer de tous les outils nécessaires à l’exploitation de l’œuvre. La solutionaméricaine, qui aurait conduit à qualifier l’œuvre cinématographique d’œuvre collective, adonc été écartée par le législateur français.

Mais au vu du bouleversement technologique qui allait se produire, les règles sur laproduction cinématographique ne suffirent plus à englober ce que nous appelons aujourd’huil’œuvre audiovisuelle. La Loi Lang du 3 juillet 1985, ayant fait une grande place auxnouveaux médias électroniques, a ainsi attribué un véritable régime au contrat de productionaudiovisuelle (aujourd’hui les articles L.132-23 à L.132-30 du CPI).

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Cependant, aucune définition légale n’a été donnée du contrat de production audiovisuelle,contrairement à ce qui a été fait par exemple pour le contrat d’édition. Il semble pourtant qu’ilpuisse être défini à partir de ses parties et de son objet. En effet, le contrat de productionaudiovisuelle est une convention entre les coauteurs d’une œuvre audiovisuelle et un ouplusieurs producteurs en vue de son financement, de son exploitation, de sa distribution.

Les parties au contrat sont donc tout d’abord les coauteurs. Ceux-ci sont expressément visés àl’article L.113-7 du CPI. Il s’agit de « la ou les personnes physiques qui réalisent la créationintellectuelle de l’œuvre ». L’idée de création intellectuelle fait preuve d’un retour à la visionpersonnaliste du droit d’auteur. L’article institue une présomption de qualité d’auteur à uneliste ouverte de contributeurs : l’auteur du scénario, de l’adaptation, du texte parlé, descompositions musicales et enfin le réalisateur. On remarque que l’auteur de l’adaptationaudiovisuelle est considéré comme auteur, mais nous n’en parlerons pas car le contratd’adaptation audiovisuelle est régi par des textes spécifiques.

Quant au producteur, il s’agit, selon l’article L.132-23 CPI, de « la personne physique oumorale qui prend l’initiative et la responsabilité de la réalisation de l’œuvre ». Cet article estintéressant car il utilise les termes « initiative » et « responsabilité », qui ne sont pas sansévoquer quelques éléments de la définition de l’œuvre collective, telle qu’elle se retrouvedans l’article L.113-2 CPI, régime qui ne peut pourtant pas s’appliquer en matièreaudiovisuelle comme le précise le code lui-même. C’est sur le rôle primordial du producteurdans le processus de création de l’œuvre audiovisuelle qu’insiste l’article L.132-23 CPI. Maisil n’existe souvent pas qu’un seul et unique producteur. Une interprétation prétorienne a étédéveloppée. Ainsi les coproducteurs associés, s’ils sont à l’origine d’une impulsion, de ladirection et de la coordination de la production, autrement dit si leur contribution n’est passeulement financière, peuvent-ils être considérés par la jurisprudence comme producteur del’œuvre.

En raison des parties en présence, le contrat de production audiovisuelle est mixte : c’est unacte commercial pour le producteur et civil pour les coauteurs. Cela a une incidence enmatière de preuve puisque celle-ci sera logiquement plus aisée à rapporter pour l’auteurpuisqu’en vertu de l’article L.110-3 du Code de commerce, il pourra prouver la convention« par tous moyens ».

Quant à l’objet du contrat, il s’agit de la production d’une œuvre audiovisuelle.C’est l’article L.112-2 6° CPI qui nous renseigne sur ce qu’il faut entendre par œuvreaudiovisuelle : « œuvres cinématographiques et autres œuvres consistant dans des séquencesanimées d’images, sonorisées ou non, (…) ». La question s’est longtemps posée de savoir siles œuvres multimédia en faisaient partie mais un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour deCassation du 28 janvier 2003 a écarté cette supposition du fait de leur interactivité. Lescontrats de production de ces œuvres sont donc exclus de la catégorie que nous traitons. Ilfaut maintenant s’arrêter sur la notion de production. Le contrat de production audiovisuellene s’entend en effet que des contrats portant sur une œuvre audiovisuelle mais il ne vise paspour autant tout contrat entre auteur et producteur portant sur une telle œuvre. Il se limite auxcontrats relatifs à la production de cette œuvre. Les contrats portant sur des cessions de droitsspécifiques faisant suite à la production, les contrats portant sur des opérations spécifiques, lescontrats annexes ou encore les contrats préliminaires ne sont donc pas concernés, de mêmeque les contrats portant sur la production d’une œuvre audiovisuelle destinée à être intégréedans une œuvre de nature différente pour n’en constituer qu’une partie accessoire. C’est le casdes clips vidéo intégrés dans une œuvre multimédia.

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L’objectif affiché par le législateur de 1985 a été d’instaurer un équilibre entre les différentsintérêts des parties au contrat. Pour se faire, il a institué une présomption de cession des droitsd’exploitation au profit du producteur en contrepartie de laquelle les coauteurs doiventrecevoir une rémunération. Mais il faudrait peut-être remettre en cause cette idée decontrepartie et voir si les enjeux du débat ne sont pas ailleurs. En effet, il est permis des’interroger sur l’adéquation de la conception personnaliste du droit d’auteur à la française etla réalité du marché dans la mesure où la production audiovisuelle fait désormais l’objetd’investissements colossaux.

Conscient de ces enjeux, l’équilibre affiché par le législateur n’est-il pas alors une fictionjuridique visant à faire primer les intérêts économiques du producteur sur la conceptionpersonnaliste du droit d’auteur ?

Pour en revenir à des préoccupations purement juridiques, il sera aussi opportun des’interroger sur la place du contrat de production audiovisuelle par rapport au droit commundes contrats, au droit commun des contrats d’auteur et même aux contrats d’auteur spéciauxsachant que nous répondrons à cela de manière sous-jacente tout au long de nosdéveloppements.

Ainsi s’agira-t-il de démontrer que la primauté des intérêts du producteur était nécessaire dansun secteur tourné vers l’économie (I). Cependant, force est de constater qu’il était inéluctablede sauvegarder les intérêts des coauteurs dans un pays de tradition personnaliste, même s’ilfaut bien admettre que cela a été fait à reculons (II).

I- La primauté des intérêts du producteur dans un secteur tourné versl’économie

Il s’agira de démontrer que l’équilibre recherché par le législateur de 1985 dans le contrat deproduction audiovisuelle n’a pas été atteint en ce sens qu’une présomption de cession desdroits d’exploitation de l’œuvre a été mise en place au profit du producteur (A), et que lescoauteurs de l’œuvre lui apparaissent indéniablement soumis (B).

A-La reconnaissance d’une présomption légale de cession

Si une présomption de cession des droits d’exploitation a été instaurée au profit duproducteur, il apparaît que son intérêt n’est que théorique (1), puisque même en l’absence dece mécanisme, le producteur aurait été la partie dominante du contrat (2).

1) Une conception théoriquement large de la présomption de cession :

La présomption de cession des droits d’exploitation du contrat de production audiovisuelle aun champ d’application très étendue, mais connaît un certain nombre de limites légales (b),lesquelles ne la remettent pas en cause en théorie (a).

a. L’étendue de la présomption de cession au sens de l’article L.132-24 CPI :

Le législateur a entendu conférer au contrat de production audiovisuelle un effet translatif depropriété par présomption. En effet, l’article L.132-24 CPI énonce que « le contrat qui lie le

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producteur aux auteurs d’une oeuvre audiovisuelle (…) emporte (…) cession au profit duproducteur des droits exclusifs d’exploitation de l’œuvre audiovisuelle ».

Le champ d’application de la présomption de cession des droits d’exploitation au profit duproducteur a été étendu par la Loi du 3 juillet 1985, et en fait un opérateur pour ainsi dire« privilégié ».

La présomption de cession a été étendue par rapport à ce que prévoyait la Loi du 11 mars1957 en ce sens qu’elle y était doublement limitée. En effet, la cession ne s’appliquait qu’auxœuvres cinématographiques, et au sein de celles-ci, ne concernait que les exploitationscinématographiques. Cela revenait à exclure de la présomption les droits d’exploitationtélévisuelle et vidéographique (en ce sens : Civ.1ère, 30 février 1974, Bull.civ. I, n° 33), et à nepermettre concrètement que l’exploitation en salle.

Désormais, le producteur d’une œuvre audiovisuelle, et non plus seulementcinématographique, dispose, à titre exclusif, de tous les droits d’exploitation de l’œuvre :droits de reproduction et de représentation. Or, selon le rapporteur de la Loi de 1985,Monsieur Jolibois, cela concerne « la diffusion sous toutes les formes possibles » de l’œuvre(Rapport Jolibois, n° 212, tome 2, p.59). Ne sont plus seulement concernées les diffusions ensalle, mais toutes les formes de diffusion : télévisuelle, vidéographique…

Outre ce qui précède, la présomption de cession est d’autant plus large qu’elle ne connaît pasde limites dans le temps et dans l’espace. En effet, la jurisprudence a affirmé à plusieursreprises, et notamment sous la Loi de 1957, que la cession joue pour la durée des droits eux-mêmes (notamment : Civ.1ère, 5 novembre 1991, JCP G 1992, IV, 107). Elle ne semble pasnon plus limitée dans l’espace en ce sens que le ministre de la Culture a affirmé en 1988 quela cession est consentie « pour tous les modes d’exploitation, pour toute la durée du droit etpour le monde entier » (Rép.quest.écrite, n° 332, JO Sénat, 8 sept. 1988, p. 988).

Dans un secteur tourné vers l’économie, cette présomption était en théorie nécessaire pour aumoins deux raisons qui sont liées. D’une part, cette présomption constitue la contrepartie desrisques financiers pris par le producteur (dont on sait qu’ils sont de grande ampleur dans untel secteur). D’autre part, il fallait mettre le producteur à même d’exploiter l’œuvre, la cessionprésumée des droits d’exploitation étant apparue comme la plus à même de lutter contre leséventuels blocages des coauteurs de l’œuvre.

Si cette présomption est large au vu de ce qui précède, il n’en reste pas moins qu’elle n’estpas absolue.

b. Les limites légales apportées à la présomption de cession :

Le législateur a d’abord exclu de la présomption de cession « les droits graphiques etthéâtraux sur l’œuvre » (article L.132-24 alinéa 2), ainsi que « l’auteur de la compositionmusicale avec ou sans paroles » (article L.132-24 alinéa 1er).

La première de ces exclusions est logique. En effet, en quoi l’adaptation théâtrale de l’œuvre,ou l’édition de livre, de bandes dessinées… pourrait intéresser en quelque mesure que ce soitl’exploitation audiovisuelle de l’œuvre. D’autant que si ces droits étaient cédés à titre exclusifau producteur, il y aurait un risque pour les auteurs de voir ces droits laissés de côté par ce

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professionnel de l’audiovisuel. Mieux vaut donc céder ces droits par un contrat d’édition oude représentation, comme le législateur l’a sous-entendu.

L’exclusion de l’auteur de la composition musicale est plus surprenante a priori, mais tout àfait justifiée. On la justifie par une raison historique : « depuis l’époque du film muet, lescompositeurs de musique ont toujours, par l’intermédiaire de leurs sociétés professionnelles,perçu directement leurs droits sur les recettes des salles de spectacles cinématographiques »(Rapport Jolibois préc.). En d’autres termes, la SACEM, à laquelle les compositeurs demusique cèdent leurs droits, offre des garanties juridiques suffisantes.

Une autre limite à la présomption de cession tient à ce que l’article L.132-29 CPI dispose que« sauf convention contraire, chacun des coauteurs de l’œuvre audiovisuelle peut disposerlibrement de sa contribution personnelle en vue de son exploitation dans un genre différent etdans les limites fixées par l’article L.113-3 » c’est-à-dire sans porter préjudice à l’ensemblede l’œuvre. Cette disposition présente un intérêt en particulier pour les œuvres préexistantes àl’œuvre audiovisuelle. Ainsi par exemple, l’auteur du scénario pourra toujours exploiter cedernier par le biais d’un contrat d’édition, ou sous forme théâtrale dès lors qu’il ne porte pasatteinte à l’ensemble de l’œuvre audiovisuelle. En ce sens, la Cour d’appel de Nîmes avaitjugé que les héritiers de Prévert pouvaient autoriser l’adaptation théâtrale des textes d’un filmécrit par lui (CA Nîmes, 1ère Ch., 30 juillet 1993, Juris-Data n° 1993-030539).

L’article L.132-24 CPI énonce que la cession s’effectue « sans préjudice des droits reconnusà l’auteur par les dispositions des articles L.111-3, L.121-4, L.121-5, L.122-1 à L.122-7,L.123-7, L.131-2 à L.131-7, L.132-4 et L.132-7 » qui fixe le droit commun de l’exploitationdes droits patrimoniaux.Un vif débat entoure encore aujourd’hui cette disposition. Comment interpréter la formule« sans préjudice » quand on sait que selon l’interprétation que l’on s’en fait, la présomptionde cession peut n’avoir plus aucun intérêt.

Si l’on considère qu’elle signifie « nonobstant », comme le préconise M. Edelman ou M.Jolibois, il n’y a pas de problème particulier puisque cela signifie que le droit commun descontrats d’auteur ne doit pas entraver le droit spécial prévu pour le contrat de productionaudiovisuelle.

En revanche, si l’on considère que cette formule signifie que le droit commun des contratsd’auteur et ce droit spécial doivent coexister, alors les contradictions apparaissent, et laprésomption de cession n’a plus vocation à exister. C’est ce que prône notamment M.Parisot.Pour illustrer ce propos, voici quelques exemples :

L’article L.122-7 CPI du droit commun des contrats d’auteur dispose que la cession totale del’un des droits d’exploitation est limitée aux modes d’exploitation prévus au contrat. Or,comme nous l’avons déjà vu, l’article L.132-24 CPI s’étend à tous les modes d’exploitationsans que ceux-ci aient à être énumérés au contrat. En d’autres termes, faire coexister ces deuxdroits reviendrait à mettre à mal la présomption de cession. Mais dans une telle hypothèse, lalogique veut que l’on applique l’adage selon lequel la loi spéciale déroge à la loi générale. Lacontradiction des textes ne peut donc fonder l’argument selon lequel la présomption decession n’existerait qu’en théorie, dans la mesure où il n’y a pas de réelle contradiction.

De même, l’article L.131-3 alinéa 1er CPI impose que le domaine d’exploitation des droits soitdélimité quant à son lieu et sa durée. Or on sait qu’en matière audiovisuelle, rien n’est précisé

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sur ce point. En l’absence de précision, la logique veut que l’on en revienne au droit commundes contrats d’auteur. Cependant, la jurisprudence n’est pas allée en ce sens puisque, commenous l’avons déjà précisé, elle considère que la cession en matière de production audiovisuelle« ne comporte pas d’autres limitations de durée que celle des droits eux-mêmes ».

Au vu des exceptions apportées par le législateur à la présomption de cession, et à l’argumentselon lequel ce contrat spécial serait en contradiction avec le droit commun des contratsd’auteur, nous nous refusons à soutenir que cette présomption serait dénuée de sens.

En revanche, il ressort d’une analyse de la pratique contractuelle encadrant ce contrat que laprésomption n’est en réalité qu’une fiction juridique.

2) L’intérêt relatif de cette présomption de cession au vu de la pratique :

La possibilité de prévoir des clauses d’aménagement de la présomption au contrat (a), ainsique la concurrence des sociétés de gestion collective (b) font de cette présomption de cessionune véritable fiction juridique, et confirme l’idée selon laquelle le producteur est l’opérateurprivilégié dans le secteur de l’audiovisuel.

a. Les possibles aménagements contractuels :

L’article L.132-24 CPI prévoit que le contrat de production audiovisuelle emporte cessiondes droits d’exploitation « sauf clause contraire ». Le législateur a donc prévu la possibilitéd’aménager la présomption dans le contrat. Il en résulte qu’il ne s’agit en aucun cas d’unecession forcée, mais bien d’une présomption simple de cession, contrairement à la cession desdroits de reproduction et de représentation de la prestation de l’artiste-interprète au producteurdans le cadre d’un contrat conclu entre eux pour la réalisation d’une œuvre audiovisuelle quiest irréfragable (article L.212-4 CPI). Dans le cas du contrat conclu entre les coauteurs del’œuvre et le producteur, les parties peuvent alors, en théorie, décider d’exclure laprésomption, la limiter à certains modes d’exploitation, fixer des limites dans le temps oudans l’espace…

Cependant, on imagine bien qu’en pratique il n’en est rien dans la mesure où les auteurs quiauront la chance de voir leur projet financé par un producteur n’auront certainement pasl’audace de prétendre à une quelconque négociation, à moins de disposer d’une notoriété bienassise, chose rare au vu du nombre de projets rejetés chaque année par les sociétés deproduction audiovisuelle.

Dans cette hypothèse, on comprend bien que certains voient dans la présomption de cessionune simple fiction juridique en ce sens que les producteurs pourraient de toute évidenceimposer la cession des droits d’exploitation en l’absence même de présomption. Et si l’onconsidère que les coauteurs ont suffisamment de poids pour évincer la présomption au moyende clauses contraires, alors pourquoi l’avoir mise en place ?

En outre, en pratique, les producteurs font abstraction de la présomption et insèrent dans dessortes de contrat-type l’étendue de la cession quant aux modes d’exploitation envisagés, à ladurée de la cession…

Au vu de ce qui précède, on peut donc se demander si cette présomption de cession a unquelconque intérêt, sinon celui de fixer un cadre juridique, lequel est toujours aménagé en

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pratique. Cette idée est d’autant plus forte avec l’apparition d’une concurrence des sociétés degestion collective.

b. La concurrence des sociétés de gestion collective :

Partant du postulat que la présomption de cession n’est qu’une fiction juridique, il faut sedemander quel sera son sort dans l’hypothèse où certains coauteurs de l’œuvre auront cédéleurs droits d’exploitation à des sociétés de gestion collective avant la conclusion du contratde production audiovisuelle. A l’heurs actuelle, deux importantes sociétés interviennent dansle secteur de l’audiovisuel : la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD), etla Société Civile des Auteurs Multimédias (SCAM). Les auteurs qui y adhèrent leur cèdent lesdroits d’exploitation attachés à leurs œuvres présentes et futures.

En théorie, on aurait pu penser que la conclusion postérieure d’un contrat de productionaudiovisuelle faisait obstacle à ce que ces sociétés gardent les droits d’exploitation du fait dela présomption. C’est ce que certains auteurs tentent de soutenir. Cependant, en pratique iln’en est rien. Les producteurs et ces sociétés négocient entre eux la répartition del’exploitation des droits (Voir par exemple les contrats-types de la SACM, in Biolay, p.231)

Dans cette perspective, la présomption de cession ne semble plus avoir aucune utilité, au vuen particulier de l’importance grandissante de ces sociétés de gestion collective.

Force est de constater que le secteur audiovisuel constitue aujourd’hui une véritable industriedans laquelle les intérêts économiques supplantent ceux des créateurs en faveur desinvestisseurs. Sans ces derniers, la création n’étant plus possible, il est évident que mêmes lesaménagements juridiques qui vont dans leur sens ne sont d’aucune utilité : ils détiennent lesrênes du secteur audiovisuel qu’il n’est possible d’intégrer qu’en se soumettant à leursexigences.

Il en résulte que dans ce secteur éminemment économique, les auteurs se trouventnécessairement soumis aux investisseurs.

B- La soumission des coauteurs au producteur de l’œuvre dans le contrat deproduction audiovisuelle

Dans le cadre du contrat de production audiovisuelle, les coauteurs de l’œuvre sont soumis àcertaines garanties résultant du droit commun des obligations (1), et voient leur droit moralamoindri (2).

1) Les garanties issues du droit commun des obligations dues auproducteur par les coauteurs :

Il existe deux obligations à charge des coauteurs d’œuvres audiovisuelles : la garantied’éviction, et l’obligation de délivrance conforme.

a. La garantie d’éviction :

L’article L.132-26 CPI énonce que « L’auteur garantit au producteur l’exercice paisible desdroits cédés ». Cette disposition a été calquée sur l’article 1625 du Code civil relatif au droit

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commun de la vente qui énonce que la première garantie due par le vendeur à l’acquéreur estla possession paisible de la chose vendue.

Il en résulte que deux types de garantie d’éviction sont dus au producteur par les coauteurs del’œuvre : l’une du fait personnel, et l’autre du fait des tiers.

La garantie du fait personnel oblige chacun des coauteurs de l’œuvre à s’abstenir du troublejuridique ou matériel aux droits du producteur. A titre d’exemple, l’auteur d’une pièce dethéâtre qui avait cédé les droits d’adaptation cinématographique à un producteur en seréservant le droit d’en tirer une comédie musicale a été déclaré responsable sur le fondementde la garantie d’éviction pour avoir autorisé un autre producteur à tirer de cette comédiemusicale un second film (Civ.1ère, 27 mai 1986, D. 1987. 209).

La garantie du fait des tiers les oblige à garantir les troubles de droit causés par les tiers,lesquels prennent la forme de contrefaçon. Dans la pratique, les producteurs prennent laprécaution d’insérer dans le contrat des clauses, bien qu’en théorie cela ne soit pas nécessaire.En règle générale ces clauses prennent la forme suivante : « l’auteur garantit que les droitscédés n’ont fait l’objet d’aucun contrat ou ne sont l’objet d’aucune sûreté ni d’aucunprivilège, d’aucun litige ni d’aucune procédure… ».

Certains auteurs, comme M. Edelman (Droits d’auteur et droits voisins : Dalloz 1996, 2ème

éd., n°178), affirment qu’à partir du moment où le producteur a donné son accord sur laversion définitive de l’œuvre, s’il s’avère par la suite qu’un tiers disposait de droits sur celle-ci, il ne peut plus se fonder sur la garantie d’éviction. Mais en réalité, il vaut mieux considérerque cette garantie ne tombe que dans l’hypothèse où le producteur connaissait le viceaffectant l’œuvre. La notion de bonne foi est donc à prendre en considération comme pourtout contrat.

A côté de cette garantie d’éviction, les auteurs ont une obligation de délivrance conforme.

b. L’obligation de délivrance conforme :

Dans la majorité des cas, le contrat de production audiovisuelle s’accompagne d’un contrat decommande. Lorsque les coauteurs considèrent que l’œuvre est terminée, il faut que celle-cicorresponde à ce qui avait été stipulé au contrat, c’est-à-dire aux exigences du producteur.C’est en cela qu’ils sont soumis à une obligation de délivrance conforme.

Cependant, s’il est possible de définir les caractéristiques techniques que doit recouvrirl’œuvre pour être conforme (des longueurs sont imposées aux auteurs de documentaires pourleur diffusion à la télévision), les caractéristiques artistiques sont plus difficiles à préciser.

Pour être valable, les clauses définissant les caractéristiques artistiques des œuvres doiventcomporter les critères permettant de juger la conformité de l’œuvre. Mais bien souvent, cescritères étant discrétionnaires, le juge annule ces clauses. C’est pourquoi les producteursinsèrent le plus souvent des clauses de modification. Elles permettent de réceptionner l’œuvretout en émettant des réserves sous forme de demandes de modifications.

Cette dernière observation nous permet d’introduire une réflexion sur l’atténuation faite audroit moral des coauteurs de l’œuvre audiovisuelle.

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2) L’atténuation du droit moral des coauteurs :

a. Les atteintes au droit moral des auteurs avant l’achèvement de l’œuvre :

- Les atteintes au droit au respect :

Les indications relatives aux caractéristiques artistiques et techniques contenues dans lecontrat de commande, ainsi que les demandes de modifications constituent autant derestrictions à la liberté de création des coauteurs de l’œuvre audiovisuelle.

Mais peut-on considérer que cela constitue une atteinte à leur droit moral ?

Pour démontrer que cela constitue bien une atteinte à leur droit moral, encore faut-ilcomprendre ce qui fonde la possibilité pour le producteur de s’immiscer dans la création del’œuvre, et partant de réduire la liberté des coauteurs.

On sait que l’article L.111-2 CPI énonce que l’œuvre est réputée créée du seul fait de laréalisation de la conception de son auteur, et ceci peu importe qu’elle ne soit pas encoreachevée. En d’autres termes, l’auteur d’une œuvre jouit sur celle-ci des droits d’auteur dèsqu’elle commence à prendre forme dans le monde des sens.

En matière audiovisuelle, la situation est tout à fait différente. En effet, l’alinéa 1er de l’articleL.121-5 CPI énonce que « l’œuvre audiovisuelle est réputée achevée, lorsque la versiondéfinitive a été établie d’un commun accord entre d’une part, le réalisateur ou,éventuellement, les coauteurs et, d’autre part, le producteur » et l’alinéa 5 de ce même articleprécise que les coauteurs ne jouissent de leurs droits propres qu’une fois l’œuvre achevée(alinéa 5 de l’article L.121-5 CPI). Ainsi le droit moral ne peut être exercé tant que l’œuvreaudiovisuelle n’est pas achevée.

C’est pour cette raison que le producteur est habilité à s’immiscer dans le processus créatif,sans que les coauteurs ne puissent lui opposer leur droit moral, puisqu’ils ne peuvent pasencore l’exercer. Dans l’affaire « Etat Gabonais c/ Antenne 2 », la Cour de cassation avaitestimé que l’auteur pouvait consentir une réduction de sa liberté de création dans le contrat decommande publicitaire (Civ.1ère, 7 avril 1987, D.1988, 97). Or à notre avis, cettejurisprudence est transposable au contrat de production audiovisuelle.

Dans cette perspective, en aucune mesure les coauteurs ne pourront invoquer leur droit moralpour lutter contre les entraves du producteur dans le processus créatif. Cela constitue selonnous une réduction légale de leur droit moral, justifiée par la particularité du secteuraudiovisuel : les investissements financiers sont tels que l’on préfère « dépersonnaliser » ledroit d’auteur au profit du producteur.

Il est enfin important de souligner qu’au vu de l’alinéa 1er de l’article L.121-5 CPI, ce ne sontpas nécessairement les coauteurs qui décident avec le producteur du moment où ladite œuvreest achevée, cette décision pouvant résulter d’un commun accord entre le producteur et leréalisateur. La possibilité d’exercer leur droit moral une fois l’œuvre achevée pourra donc nepas dépendre de leur propre volonté.

- Les atteintes au droit de repentir :

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L’article L.122-6 CPI dispose que si un auteur refuse d’achever sa contribution ou est dansl’impossibilité de le faire, il ne peut pas s’opposer à l’utilisation de sa contribution. Autrementdit, on lui retire son droit de repentir. L’on pourrait considérer qu’il s’agit d’une obligation dedonner. Mais en contrepartie, le législateur a prévu qu’il reste auteur de sa contribution etjouit des droits y afférents.

b. Les atteintes au droit moral à l’achèvement de l’œuvre :

- L’atteinte au droit de divulgation :

L’article L.121-2 CPI dispose que l’auteur détermine le procédé de divulgation et fixe lesconditions de celle-ci « sous réserve des dispositions de l’article L.132-24 ». Cela ne signifiepas que le droit de divulgation des coauteurs est cédé par présomption, mais plutôt qu’il estatténué en ce sens que les coauteurs ne peuvent plus déterminer les conditions de ladivulgation de leur œuvre ni ses modalités une fois qu’ils ont décidé de la divulguer.

Cette atteinte au droit moral des coauteurs est sans doute justifiée par les enjeux économiquesqu’implique la production d’une œuvre audiovisuelle. En effet, si le producteur ne disposaitpas d’une certaine maîtrise sur la divulgation de l’œuvre, on ne voit pas bien comment ilpourrait disposer des droits qui lui sont cédés par présomption, et cette dernière ne serait plusd’aucune utilité.

Quoique l’on en dise, si cette réserve n’avait pas été posée à l’article L.121-2 CPI, elle auraitexisté en pratique. En effet, dans un secteur comme celui de l’audiovisuel, si les auteursveulent voir leur œuvre communiquée au public, ils ont tout intérêt à accepter tous les modesde diffusion qu’entend utiliser le producteur. D’autant que plus le nombre de modes dediffusion est grand, plus la rémunération des auteurs sera importante.

- Le droit moral une fois l’œuvre achevée :

Le droit moral des auteurs retrouve toute sa force une fois l’œuvre achevée et agréée par leproducteur. Mais il faut faire une nuance.

Pour toutes les modifications de l’œuvre imposées par le producteur avant que les parties nese soient accordées sur la version finale, les auteurs ne peuvent pas user de leur droit moralpour les contester après l’achèvement (Affaire Léo Ferré, CA PARIS, 4ème Ch., 22 avril 1982,JCP G 1983, II, 19 948).

Une certaine altération du droit moral peut encore se retrouver lorsque le producteur décide defaire diffuser l’œuvre à la télévision. Bien souvent en effet, il y aura des altérations del’œuvre.

Les chaînes de télévision sont parfois « obligées » de modifier l’œuvre audiovisuelle pour desmotifs techniques. Il s’agit tout d’abord du télécitron qui consiste en la suppression d’imagespar seconde pour se conformer aux durées qu’exigent les grilles horaires. Ensuite, la diffusionde certaines œuvres audiovisuelles nécessite de les retoucher pour les mêmes motifs. Il s’agitlà de deux limites au droit au respect de l’œuvre auxquelles les auteurs peuvent certess’opposer au nom de leur droit moral, mais au risque de ne pas voir leur œuvre diffusée. Enpratique, il est évident qu’ils se soumettront aux exigences des diffuseurs.

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Quant aux coupures publicitaires lors de la diffusion de l’œuvre, les auteurs peuvent s’yopposer au nom du droit au respect, mais force est de constater qu’user de cette prérogativeimpliquera nécessairement que la chaîne de télévision ne diffusera pas l’œuvre faute demoyens financiers. Il s’agit donc d’une véritable limite économique au droit au respect del’œuvre.

Au vu de ce qui précède, le producteur apparaît comme l’opérateur privilégié dans le contratde production audiovisuelle. Cependant, un certain nombre de mécanismes a été mis en placeen faveur des coauteurs en vue de contrebalancer les intérêts des parties en présence, maisforce est de constater que l’équilibre n’a pourtant pas été atteint.

II – La timide sauvegarde des intérêts des coauteurs

Les dispositions présentées comme étant favorables aux coauteurs sont celles relatives à leurrémunération et aux obligations à la charge du producteur. Nous allons donc étudiersuccessivement ces diverses dispositions, bien qu’il faille reconnaître que les premières sontspéciales (A) et les secondes bien relatives (B).

A- Des dispositions spéciales en matière de rémunération

La réglementation spécifique du contrat de production audiovisuelle précise le régimeapplicable au prix de la cession à l’article L.132-25 CPI. Cet article dispose dans un premieralinéa que « la rémunération des auteurs est due pour chaque mode d’exploitation » et dansun second que « sous réserve des dispositions de l’article L.131-4 CPI, lorsque le public paieun prix pour recevoir communication d’une œuvre audiovisuelle déterminée etindividualisable, la rémunération est proportionnelle à ce prix, compte tenu des tarifsdégressifs éventuels accordés par le distributeur à l’exploitant ; elle est versée aux auteurspar le producteur ».Cette disposition se voit appliquer dans une certaine mesure le droit commun des contrats (1).Elle emprunte également au régime commun des contrats d’auteur mais le précise oul’infléchit sur certains points (2).

1) Conciliation du droit commun des contrats et de l’article L.132-25 CPI

a. Vices du consentement :

Les articles 1109 et suivants du Code civil relatifs au dol, à l’erreur et à la violence trouvent às’appliquer dans notre domaine. Ainsi peut-on imaginer l’annulation d’un contrat deproduction audiovisuelle pour erreur sur la définition des recettes, voire pour dol. En outre, lavoie de la nullité pour non respect des dispositions relatives à l’assiette de la rémunérationproportionnelle pourrait être ouverte à l’auteur dans les cas les plus graves.

b. Objet et cause du contrat :

Plusieurs séries de règles du droit commun des contrats sont ici applicables, qui revêtenttoutes une importance fondamentale, dans la mesure où elles touchent à la rémunération del’auteur et où leur non respect est en principe sanctionné par la nullité du contrat.

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Il s’agit des articles 1126 et suivants du Code civil (portant sur l’objet des contrats) et desrègles spécifiques au contrat de vente (articles 1582 et suivants dudit code), applicables auxcessions de droits d’auteur.Le TGI de Paris dans un jugement du 9 mai 1990 a ainsi décidé qu’un contrat de productionaudiovisuelle prévoyant une cession de droits sans contrepartie est contraire, non seulementaux principes de la loi de 1957 tels que codifiés, mais également aux principes généraux poséspar les articles 1108 à 1131 (portant sur les conditions essentielles pour la validité desconventions) et l’article 1583 (portant sur la nécessité de convenir de la chose et du prix pourque la vente soit parfaite) du Code civil.

c. Sanction du non-respect de la règle relative à la rémunération des coauteurs :

La Cour d’appel de Paris dans un arrêt rendu le 13 octobre 1998 (L. Mouzas et autres c/ StéCatalogue et Sté Europe images) a estimé que « la clause du contrat de productionaudiovisuelle relative à la rémunération étant une clause essentielle du contrat de cession desdroits, la nullité de cette clause entraîne l’annulation du contrat dans son ensemble » (Voirégalement en ce sens un arrêt précédent de la Cour du 9 octobre 1995). Toutefois, selon lescirconstances, les juges peuvent ne retenir que l’annulation de la clause litigieuse et non ducontrat dans son ensemble. Ce sera le cas lorsque les dispositions intéressant la rémunérationde l’auteur n’auront pas un caractère déterminant, à savoir lorsque l’illicéité ne concerneraque les droits annexes et dérivés ou encore l’application de la TVA.Il faut par ailleurs noter le fait que les dispositions du CPI relatives à la rémunération del’auteur ne fixent pas le taux ou le pourcentage de la rémunération qui lui est due. Parconséquent, les parties au contrat de production audiovisuelle sont libres de le déterminermais ça n’est pas toujours favorable à l’auteur et il y a alors place pour les abus.L’action en révision ouverte à l’auteur en cas de rémunération forfaitaire (article L.131-5 CPI)n’étant pas étendue à la rémunération proportionnelle lorsque celle-ci est insuffisante et a léséles intérêts de l’auteur, seul le droit commun des contrats pourra alors s’appliquer. Les jugesse réfèreront ainsi à la notion de cause ou à l’exigence d’un prix déterminé sur la base del’article 1591 du Code civil afin de juger un taux de rémunération illicite et faire annuler laclause litigieuse. La rémunération doit ainsi être réelle et sérieuse. (Le TGI de Paris dans unjugement du 16 mai 1969 avait estimé que la rémunération prévue dans le contrat ne pouvaitapparaître sérieuse et s’apparentait nécessairement à une fraude à la loi afin d’annuler laclause relative au taux de rémunération de l’auteur). Les usages de la profession serontsouvent déterminants dans l’analyse du caractère dérisoire du taux de rémunération retenudans le cas d’espèce.

2) Conciliation du droit commun des contrats d’auteur et de l’articleL.132-25 CPI

Revenons sur les dispositions de l’article L.132-25 CPI :Cet article pose deux principes : celui d’une rémunération pour chaque mode d’exploitationd’une part (alinéa 1er), et celui d’une rémunération proportionnelle spécifique pour certainsmodes d’exploitation d’autre part (alinéa 2).

Il faut déduire de ce premier principe que toute exploitation doit être rémunérée et qu’unerémunération distincte doit être prévue pour chaque mode d’exploitation. Il est à noter quecette règle n’a pas d’équivalent sous une forme aussi précise dans les autres domaines du droitd’auteur. L’on retrouve en revanche une disposition similaire en matière de droits voisins des

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artistes-interprètes à l’article L.212-4 alinéa 2 CPI qui dispose que le contrat conclu entre unartiste-interprète et un producteur pour la réalisation d’une œuvre audiovisuelle « fixe unerémunération distincte pour chaque mode d’exploitation ». La Loi de 1985 a même mis enplace pour les artistes-interprètes un système de fixation légale de redevances minimumsdestinées à compenser l’absence de détermination contractuelle pour un ou plusieurs modesd’exploitation. (Cf. article L.212-5 CPI).La finalité du principe posé au premier alinéa de l’article L.132-25 CPI est de permettre àl’auteur d’identifier et de négocier les rémunérations relatives aux différents modesd’exploitation et d’aboutir ainsi à une rémunération globale plus équitable mais quelledéfinition faut-il donner à la notion de mode d’exploitation ?Pour M. Edelman, il y a mode d’exploitation différent chaque fois qu’un nouveau public esttouché : il y a par exemple deux modes d’exploitation différents dans la vente de disques et ladiffusion de ceux-ci par radiodiffusion dans la mesure où le public n’est pas le même. Il fautnéanmoins reconnaître que la notion de nouveau public peut être difficile à déterminer. Pourle Professeur Lucas, mieux vaut assimiler les notions de mode et de procédé d’exploitation etconsidérer que « le mode d’exploitation s’entend du procédé utilisé pour communiquerl’œuvre au public, ce qui renvoie sous réserve des précisions contractuelles supplémentaires àl’énumération contenue dans les articles L.122-2 et L.122-3 du CPI relatifs au droit dereprésentation et au droit de reproduction ». Cette thèse présente l’avantage de rendre lanotion de mode d’exploitation plus lisible, ce qui est facteur de prévisibilité pour les parties etpar conséquent de sécurité juridique.

Le deuxième principe est posé à l’alinéa 2 de l’article L.132-25 CPI, lequel commence par laformule « sous réserve des dispositions de l’article L.131-4 CPI ». Ce dernier article disposequ’en principe la rémunération des coauteurs doit être proportionnelle avant de prévoir defaçon limitative les cas dans lesquels la rémunération forfaitaire est envisageable.Ainsi le principe de rémunération proportionnelle résulte d’abord de l’article L.131-4 CPI,applicable à l’ensemble des contrats d’auteur.L’article L.132-25 CPI n’a donc pas vocation à rétablir un équilibre entre producteur etcoauteurs : la rémunération proportionnelle telle que prévue à son alinéa 2 n’est pas une sortede faveur accordée aux coauteurs en contrepartie de la cession présumée de leurs droits auproducteur dans la mesure où le principe de la rémunération proportionnelle présente uncaractère impératif. Il aurait fallu, pour parvenir à un tel résultat, que le législateur reconnaisseaux coauteurs un droit plus fort que celui que les dispositions générales du CPI (i.e l’articleL.131-4 CPI) leur accordaient déjà.En outre, la rémunération proportionnelle n’est envisagée que dans les cas où le public paieun prix pour recevoir communication d’une œuvre audiovisuelle déterminée etindividualisable, ce qui ne représente pas tous les modes d’exploitation mais seulementl’exploitation cinématographique, l’exploitation sous forme de location ou vente devidéogrammes ou celle sous forme de vidéo à la demande (c’est le système du pay per viewpermettant sur demande une télédiffusion ou une diffusion par Internet de l’œuvre). Sont ainsiexclues les exploitations donnant lieu à paiement par le public pour communication d’unprogramme général contenant différentes œuvres en contrepartie d’un abonnement.Et puis en renvoyant à l’article L.131-4 CPI, c’est au principe de la rémunérationproportionnelle mais aussi aux différents cas où le forfait est envisageable que l’on faitallusion. Il est par conséquent logique de considérer que les exceptions à cette rémunérationproportionnelle prévues à l’article L.131-4 CPI sont également applicables à l’article L.132-25 CPI. Certaines pourraient ainsi trouver à s’appliquer dans le cadre d’un contrat deproduction audiovisuelle, ce qui a priori ne permet pas de voir dans l’alinéa 2 de l’articleL.132-25 CPI l’instauration d’une mesure particulièrement favorable aux coauteurs.

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Par ailleurs, pour certains modes d’exploitation, ce n’est pas en contrepartie de la présomptionde cession que les coauteurs bénéficient d’une rémunération proportionnelle puisque parhypothèse la présomption ne joue pas (quand ils cèdent leurs droits à une société de gestioncollective qui a conclu avec des organismes de télédiffusion des contrats généraux dereprésentation en vertu desquels les auteurs d’œuvres audiovisuelles sont rémunérés enpourcentage du chiffre d’affaires du télédiffuseur).En outre, le compositeur de la musique de l’œuvre audiovisuelle, bien que restant hors duchamp d’application de la présomption de cession, perçoit lui aussi une rémunérationproportionnelle.

Il nous paraît donc difficile de considérer que rémunération proportionnelle des coauteurs etprésomption de cession de leurs droits au profit du producteur sont les deux mesurespermettant de trouver un équilibre entre les différents intérêts en présence. Il ne nous sembledonc pas judicieux de voir dans l’article L.132-25 CPI une contrepartie à l’article L.132-24CPI.

Il faut enfin souligner que l’article L.132-25 CPI n’apparaît pas comme une transpositionexacte de l’article L.131-4 CPI en posant le principe de la rémunération proportionnelle pourcertains modes d’exploitation, la référence aux tarifs dégressifs étant une concession parrapport à ce dernier texte. L’article L.132-25 CPI dispose en effet que la rémunération estproportionnelle au prix payé par le public pour recevoir communication d’une œuvreaudiovisuelle déterminée et individualisable, « compte tenu des tarifs dégressifs éventuelsaccordés par le distributeur à l’exploitant ».Nous pouvons donc conclure à un aménagement du principe de la rémunérationproportionnelle par rapport au droit commun des contrats d’auteur, et ce dans le sens d’unecomplication de la règle dans la mesure où l’assiette de la rémunération retenue seradifférente selon que l’œuvre en question est communiquée au public par le biais d’uneexploitation en salles ou non. En effet, dans le premier cas, l’assiette de la rémunération serale prix payé par le public tout en tenant compte des tarifs dégressifs éventuels accordés par ledistributeur à l’exploitant de la salle alors que dans les autres cas, seul le prix payé par lepublic pour recevoir communication de l’œuvre sera pris en compte et aucune déduction nesera faite. La loi opère donc une différence de traitement pour ce qui est de la déterminationde l’assiette de la rémunération selon que le public paie pour regarder l’œuvre en salle oupour un autre mode de diffusion.

Il est ici utile de rappeler les trois solutions envisageables afin de déterminer l’assiette de larémunération : la rémunération des coauteurs pouvait être fonction des recettes du producteur(on parle aussi d’assiette producteur), des recettes du distributeur (on parle aussi d’assiettedistributeur) ou de celles de l’exploitant (on parle aussi d’assiette salle). Le ministre de laCulture et l’Assemblée nationale avaient une préférence pour l’assiette salle tandis que leSénat préférait l’assiette distributeur, l’assiette producteur ayant été écartée dans la mesure oùelle est difficilement contrôlable. La Commission mixte paritaire a finalement retenu leprincipe de calcul en fonction des recettes de l’exploitant mais en le tempérant par un correctifqui se rattache à l’assiette distributeur afin de prendre en considération les variations de tauxde location des films par le distributeur aux exploitants dans la mesure où ce taux est ajustéchaque semaine en fonction de la fréquentation obtenue par tel film dans telle salle (plus lefilm est maintenu en salles, plus le prix de location diminue).

Plusieurs remarques peuvent être formulées à ce sujet, le texte de l’alinéa 2 comportant unelacune et posant deux interrogations :

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En effet, pour M. Edelman, certes l’assiette de rémunération doit répercuter la diminution duprix de location mais « rien ne dit que l’assiette doit être diminuée dans la proportion mêmedu tarif dégressif du prix de location des films ».On peut par ailleurs se demander si la prise en compte du tarif du distributeur pour le calculde la rémunération proportionnelle n’aboutit pas à revenir au principe de l’assiette distributeurdans la mesure où la spécificité de l’assiette salle était son indépendance par rapport au prixde location des films, les coauteurs étant payés proportionnellement au prix du billet et non aunombre d’entrées, et où tenir compte du prix de location du film revient à indexer larémunération sur le succès du film. Mais de cette manière, le principe selon lequel l’auteurdoit être associé aux risques et profits de l’exploitation est respecté.Un autre point laisse perplexe : il avait été prévu dans le texte initial que le prix sur lequel doitêtre calculé la rémunération est un prix « net de taxes » mais cette dernière mention a disparudans le texte définitif tel qu’on le retrouve aujourd’hui à l’alinéa 2 de l’article L.132-25 CPI.On peut s’interroger sur la signification de ce défaut de précision mais il ne semble pasaudacieux d’en conclure que la base de rémunération est le prix, taxes comprises, payé par lepublic. La jurisprudence est pourtant contradictoire sur ce point : deux décisions du 19décembre 1991 de la Cour d’appel de Paris se sont prononcées en faveur du prix hors taxesmais trois autres arrêts plus récents du 13 octobre 1995, 29 avril 1997 et 27 mars 1998 ont enrevanche considéré que l’assiette de la rémunération de l’auteur devait être le prix toutes taxescomprises, « le public payant les taxes et la TVA ».

Pour conclure sur cet article L.132-25 CPI, nous ne pouvons que constater son manque declarté. La rémunération des coauteurs d’œuvres audiovisuelles suscite par conséquent unabondant contentieux. Il nous paraît donc difficile de conclure à une protection renforcée desintérêts des coauteurs face à ceux du producteur du fait de cette disposition. A cela s’ajoute lefait que les obligations du producteur à l’égard des coauteurs sont bien relatives.

A- Des obligations du producteur relatives à l’égard des coauteurs

Certaines sont issues du droit commun des contrats (1), d’autres sont établies dans le cadre del’exploitation de l’œuvre audiovisuelle (2).

1) Les obligations issues du droit commun des contrats

a. Payer le prix :

Parmi les obligations issues du droit commun des contrats et du contrat de vente en particulierfigure l’obligation de payer le prix convenu.D’après l’alinéa 1er de l’article L.132-25 CPI, une rémunération doit être versée pour chaquemode d’exploitation.Mais la première question qui se pose est de savoir si l’obligation de rémunération pèse entoutes circonstances sur le producteur. Cette hésitation naît de la rédaction définitive del’article L.132-25 CPI. En effet, à la lecture de cet article, il ressort que le débiteur de larémunération est le producteur mais cela n’est précisé qu’à l’alinéa 2, c’est-à-dire après avoirenvisagé le cas de la rémunération proportionnelle et non à l’alinéa 1er concernant larémunération des auteurs en général. L’on peut donc se demander si le producteur est débiteurde cette obligation seulement dans le cas où la rémunération proportionnelle est prévue. LaCommission mixte paritaire ayant opté pour insérer la mention du paiement par le producteurà l’alinéa 2 et non à la fin de l’alinéa 1er, c’est-à-dire tout de suite après l’affirmation selonlaquelle la rémunération des auteurs est due pour chaque mode d’exploitation comme le

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préconisait le Sénat qui souhaitait donner au paiement par le producteur une portée plusgénérale tout en réservant la possibilité d’une clause contraire, cela donne à penser que c’estseulement dans le cas d’une rémunération proportionnelle (i.e lorsque les conditions prévues àl’alinéa 2 sont remplies) que le paiement doit être fait par le producteur. La possibilité d’unestipulation contraire écartant en ce cas le paiement par le producteur ayant disparu, il sembleque la disposition adoptée définitivement soit d’ordre public et qu’en cas de rémunérationproportionnelle, telle que prévue à l’alinéa 2, celle-ci doive impérativement être versée par leproducteur.En revanche, pour les autres modes d’exploitation que ceux envisagés à l’alinéa 2, le débiteurn’étant pas indiqué, il peut être librement choisi par les parties (il pourra s’agir ducessionnaire final). Mais bien entendu, en l’absence de précision expresse, le débiteurprincipal demeure le producteur.A partir du moment où le producteur est le débiteur de la rémunération, il devra donc enprincipe une rémunération proportionnelle assortie d’un minimum garanti à valoir sur cetterémunération s’agissant des coauteurs non salariés (i.e les auteurs autres que le réalisateur).Les prestations du réalisateur font quant à elles l’objet d’un contrat de travail et sontrémunérées comme salaire. Le versement de ces sommes est soumis à TVA (à taux réduit) età cotisations sociales. Les cotisations sociales dues par l’auteur sont prélevées à la source parle producteur sur le montant brut des rémunérations qui lui sont versées.

b. Réceptionner l’œuvre :

Si l’on est en présence d’une commande, cela implique d’autres obligations pour leproducteur, la plus importante étant sans doute de réceptionner (agréer) l’œuvre, c’est-à-direvérifier si l’œuvre livrée correspond bien aux spécifications données. Il faut néanmoinsadmettre qu’en matière de production audiovisuelle, cette obligation donne lieu à desdifficultés particulières, liées à l’absence relative de spécifications et au caractère potestatifdes clauses d’agrément du travail de l’auteur. (Voir plus haut nos commentaires relatifs àl’obligation conforme de délivrance).

2) Les obligations spécifiques à la production audiovisuelle

a. Un respect du droit moral minimum :

Deux aspects du droit moral des auteurs entraînent des obligations à la charge du producteur :le droit au respect de l’œuvre et le droit au respect du nom des auteurs.Ces droits découlant de l’article L.121-1 CPI, leur respect s’impose en principe au producteurcomme à tout autre exploitant de l’œuvre, et plus généralement à toute personne,indépendamment de l’existence d’un contrat. Mais il faut bien admettre qu’en pratique le droitau respect de l’œuvre sera quelque peu bafoué, surtout par les chaînes de télévision diffusantl’œuvre audiovisuelle.Et puis si le respect du droit moral s’impose au producteur audiovisuel au vu du droitcommun d’auteur, l’exercice de ce droit de l’auteur en matière audiovisuelle fait néanmoinsl’objet de dispositions particulières introduites par la loi du 11 mars 1957 ayant pour but del’aménager.Nous ne reviendrons pas sur les dispositions du CPI venant limiter le droit moral descoauteurs mais présenterons ici celles venant restreindre la marge de manœuvre du producteuret donc d’une certaine manière garantir un droit moral minimum. Il s’agit des alinéas 3 et 4 del’article L.121-5 CPI :

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L’alinéa 3 de cet article dispose que toute modification de la version définitive de l’œuvreaudiovisuelle par addition, suppression ou changement d’un élément quelconque exigel’accord des personnes mentionnées au premier alinéa, à savoir le réalisateur ouéventuellement les coauteurs. Quant à l’alinéa 4, il prévoit que « tout transfert de l’œuvreaudiovisuelle sur un autre type de support en vue d’un autre mode d’exploitation doit êtreprécédé de la consultation du réalisateur ». La limitation du droit moral des coauteursrésultant des alinéas 1 et 5 de l’article L.121-5 et de l’article L.121-6 CPI semble ainsi trouverune contrepartie dans les alinéas 3 et 4 de l’article L.121-5 CPI venant assurer un droit moralminimum. Mais il faut relativiser l’intérêt de ces dispositions dans la mesure où l’alinéa 4prévoit que seul le réalisateur sera consulté, et non l’ensemble des coauteurs, et où l’alinéa 3,tel que rédigé, permet également de passer outre l’avis de l’ensemble des coauteurs en nedemandant que celui du réalisateur.

b. Des obligations propres au CPAV peu contraignantes :

- L’obligation d’exploiter l’œuvre (article L.132-27 CPI) :Ca n’est pas une obligation juridique véritablement contraignante à l’égard duproducteur puisqu’il s’agit d’une obligation de moyen contrairement à celle qui pèse surl’éditeur (obligation de résultat). Par ailleurs, si l’éditeur est tenu d’exploiter l’œuvre de façonpermanente et suivie, le producteur est exempté de cette contrainte. Cela se justifie par le faitque l’œuvre audiovisuelle ne se prête pas par nature à une exploitation permanente mais celaréduit tout de même la force de l’obligation pesant sur le producteur.Et puis contrairement à une idée largement diffusée, aucune obligation de produire (fabriquer)l’œuvre n’est par ailleurs à la charge du producteur mais seulement celle de l’exploiter unefois l’œuvre achevée. L’article L.132-27 CPI se contente en effet d’imposer des obligationsrelatives à l’exploitation de l’œuvre, une fois celle-ci produite. Le producteur n’a donc aucuneobligation légale de réaliser l’œuvre. Cette absence tient au fait que l’achèvement du film netient pas à la seule volonté du producteur, mais également à des financements extérieursdifficiles à réunir.Néanmoins l’absence d’obligation légale de produire ne permet pas au producteur des’abstenir de produire de son propre chef, sans raison légitime, et sans contrepartie pourl’auteur. On pourrait invoquer au soutien de cette règle l’obligation de bonne foi dansl’exécution des conventions et les suites naturelles à donner au contrat en application del’article 1135 du Code civil qui dispose que « les conventions obligent non seulement à ce quiest exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent àl’obligation d’après sa nature ». La Cour d’appel de Paris (4è ch. sect. B) dans un arrêt du 4mai 2001, Sarl Septième Production c/ M. R. Giordano s’est quant à elle fondée sur l’articleL.131-3 CPI pour décider qu’aux termes de cet article, le producteur doit rechercher uneexploitation du droit cédé conformément aux usages de la profession. Ainsi, même sil’éventualité de non-réalisation du film est expressément prévue dans le contrat, le producteurqui s’est fait céder les droits doit effectuer des diligences conformes aux usages pour parvenirà la réalisation du film.

- L’obligation de rendre compte (article L.132-28 CPI) :L’article opère une distinction entre ce qui doit être obligatoirement fourni aux auteurs (l’étatdes recettes pour chaque mode d’exploitation) et ce qui n’est contraignant pour le producteurque dans la mesure où les auteurs en font la demande (présentation des justificatifs propres àétablir l’exactitude des comptes). Cette seconde obligation est remarquable car, en droitcommun des cessions, le cessionnaire des droits n’a pas à rendre compte au cédant de l’usagequ’il va faire ensuite de ses droits. Elle permet aussi à l’auteur de contrôler l’étendue de

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l’exploitation de l’œuvre mais cette obligation est atténuée du fait qu’elle ne s’applique qu’àla demande de l’auteur et ne pèse pas automatiquement sur le producteur, ce que le législateuraurait pu prévoir puisqu’il l’a fait en matière d’édition : l’article L.132-14 CPI prévoit en effetque « l’éditeur est tenu de fournir à l’auteur toutes justifications propres à établir l’exactitudede ses comptes », et ce peu importe que l’auteur n’en aie pas fait la demande.

- L’obligation de conservation des éléments de l’œuvre audiovisuelle (alinéa 3 de l’article L.132-24 CPI) :Selon l’alinéa 3 de l’article L.132-24 CPI, « le contrat prévoit la liste des éléments ayant servià la réalisation de l’œuvre qui sont conservés ainsi que les modalités de cette fixation ». Ils’agit là d’obliger le producteur à assurer la conservation du patrimoine audiovisuel. Cetteobligation n’est donc pas propre aux relations coauteurs-producteur : elle ne cherche pas àtrouver un équilibre entre leurs différents intérêts, bien que l’on puisse considérer que c’estune manière indirecte d’assurer le respect des droits moraux de certains auteurs. Et puis cetteliste est établie d’un commun accord avec les parties afin de juger ce qu’il est essentiel deconserver. Tout ne sera donc pas conservé car il convient qu’il ne résulte pas de cetteobligation une surcharge matérielle pour le producteur.

Conclusion :

Il semble que l’équilibre entre les intérêts du producteur et ceux des coauteurs que la Loi de1985 a plus ou moins voulu instaurer soit en fait précaire, et ce d’autant plus que dans lapratique le producteur se trouve dans une position privilégiée.Il ne faut toutefois pas oublier que le cinéma est une industrie (il existe un Code de l’industriecinématographique) et que plus largement les œuvres audiovisuelles en sont une. Privilégierle producteur et lui donner les moyens d’exploiter l’œuvre dans ce contexte n’est donc pasillégitime. Et puis l’intérêt de l’auteur est aussi une exploitation optimale de l’œuvre, le toutétant qu’il perçoive une juste rémunération. Une évolution en ce sens est possible avec lerecours de plus en plus fréquent à la gestion collective des droits d’exploitation des auteurs.Les sociétés de gestion collective auront alors les moyens de s’opposer au producteur non paspour lui refuser d’exploiter l’œuvre mais pour négocier les modalités de la rémunération del’auteur.