Le Confluent - Septembre 2013

8
Bulletin d’information de la Société d’histoire de Sherbrooke no 74 Octobre 2013 Justice , grands procès et médias

Transcript of Le Confluent - Septembre 2013

Page 1: Le Confluent - Septembre 2013

Bulletin d’information de la Société d’histoire de Sherbrooke

no 74 Octobre 2013

Justice, grands procès et médias

Page 2: Le Confluent - Septembre 2013

Chers membres,

Pour la Société d’histoire de Sherbrooke, l’année 2013 se poursuit sous l’égide du sport, thème que nous avons décidé de nous approprier au passage des Jeux d’été du Canada dans notre ville au mois d’août. Vous aurez sûrement remarqué qu’à partir de janvier dernier et jusqu’au début des Jeux, en collaboration avec le quotidien La Tribune, la SHS a fait paraître sur une base hebdomadaire une série d’articles, agrémentés de photos d’archives, sur des moments souvent forts, sinon cocasses, de l’histoire du sport et de l’activité physique à Sherbrooke dans ses multiples facettes à travers les décennies. Pendant les deux semaines d’animation des Jeux, notre directeur général, Michel Harnois, y est allé d’une chronique radiophonique quotidienne portant sur l’histoire de différents sports exercés par les Sherbrookois à toutes les époques. À toute l’équipe des permanents de la SHS ainsi qu’aux étudiants embauchés pendant l’été et aux bénévoles qui se joints à eux, les membres du conseil d’administration de la SHS adressent leurs plus vifs remerciements. C’est grâce à vous que la visibilité et la présence de la SHS prend tout son sens au sein de la communauté sherbrookoise.

Conçue pour l’événement sportif qui fut une réussite, notre exposition temporaire « Du sport à loisir », offerte au public jusqu’au mois de novembre, continue elle aussi d’attirer les visiteurs à la SHS. L’exposition prendra fin lors de notre activité bénéfice annuelle, qui se tiendra le 7 novembre. Cette année, nous proposons un rendez-vous avec nul autre que Gérard « Young » Lebrun, boxeur émérite sherbrookois ayant fait sa marque dans les années 1920 et 1930. Nous espérons répéter avec ce personnage, qui a coloré l’histoire à sa manière, les succès que nous avons connus en 2011 et en 2012 avec les deux personnalités représentant respectivement Daniel McManamy, ancien maire de Sherbrooke, et Kathleen Shea, chanteuse d’opéra. Nous espérons bien sûr qu’en votre qualité de membre, vous serez des nôtres à cette activité de financement qui représente un complément aux efforts financiers de nos principaux partenaires que sont la Ville de Sherbrooke, le ministère de la Culture et des Communications du Québec ainsi que Bibliothèque et Archives nationales du Québec, que nous remercions ici encore une fois de tout cœur.

Jean Therriault, président

Aux membres,

L’équipe de la Société d’histoire se prépare à de grands changements dans son approche muséologique de gestion et de la diffusion du patrimoine historique. N’ayez crainte, nous continuerons à gérer la documentation archivistique selon les règles de l’art. Toutefois, nous serons de plus en plus présents sur le web. Vous avez peut-être déjà consulté le catalogue de la collection via le site internet. Sachez qu’il y a mainte-nant plus de 22 000 photographies qui sont numérisées et accessibles pour illustrer vos textes. Nous utilisons aussi la page Facebook de la Société pour diffuser des anecdotes historiques de toutes sortes. Je vous invite à y contribuer en commentant et partageant le contenu que nous diffusons.

Les expositions temporaires connaîtront aussi une évolution notable. Dorénavant et graduellement, elles laisseront une plus large part aux témoignages. Grâce à notre participation aux Jeux d’été du Canada, nous avons pu acquérir quatre projecteurs numériques, qui nous permet-tent de mettre en scène des témoins de l’époque, de l’événement ou de la thématique exposée. Nous abordons l’histoire orale avec grand enthousiasme. C’est une façon de faire qui est riche et stimulante. Beaucoup d’écueils restent à franchir et à perfectionner, mais c’est un défi que toute l’équipe veut relever. Vous vivrez réellement cette nouvelle approche avec l’exposition dédiée à la photographie dès l’été 2014.

Enfin, Le Confluent qui a connu une amélioration dans sa forme, en connaîtra une dans le fond et dans la fréquence. Dans les prochains numéros, nous publierons des articles qui présenteront une analyse un peu plus approfondie et documentée des thèmes abordés. Étant donné que ce type de rédaction demande plus de recherche, nous diminuerons la fréquence de publication. Il y aura un numéro au solstice d’hiver et un autre à celui de l’été. Il y aura toujours place pour de l’information factuelle sur les projets à venir et autres activités, mais nous vous inviterons de plus en plus à consulter le site web et la page Facebook pour être au courant de ce qui se passe à la SHS. Vous verrez les premiers résultats de cette orientation dès le numéro de décembre 2013.

Bonne lecture

Michel Harnois, directeur général

La Société d’histoire de Sherbrooke275, rue Dufferin

Sherbrooke (Québec) J1H 4M5Téléphone : 819 821-5406Télécopieur : 819 821-5417www.histoiresherbrooke.org [email protected]

ÉditeurLa Société d’histoire de Sherbrooke

Direction Michel Harnois

Réalisation Karine Savary

Recherche et rédaction Estelle Bourbeau

Chloé Ouellet-RiendeauKarine Savary

RéviseureLynda Giroux

GraphismeMangodesign

Conseil d’administrationJean Therriault, président

Harold Bérubé, 1er vice-président / secrétaireSerge Nault, 2e vice-président

Richard Fabi, trésorierFrancine Dufresne, administratrice

Benoît Charland, administrateurMichael P. Tinker, administrateur

Gaétane Plamondon, administratriceChristine Labrie, administratrice

Membres du Cercle du président Denis P. Croteau Bertrand La Palme Philip Webster Micheline Dumont Nil Allaire Jean-Marie Dubois Jean Bélanger Marcel Drolet Jean-Pierre Kesteman Jacques Darche Robert Morier Louisette Pothier Madeleine Darche Steve L. Elkas Carole Therrien-Croteau André Lachance Andrée Désilets Louise Brunelle-Lavoie Peter Southam Antoine Sirois Dean Echenberg

BénévolesRobert Dodier, indexation

Jocelyne Fournier, bibliothèqueThérèse Lupien, traitement iconographique

Danielle Lupien, réparation des livresLaurent Biron, comité d’acquisition

Laurent Boudreau, comité d’acquisitionMarcel Bureau, comité d’acquisition

Lise Côté, comité d’acquisitionYvon Côté, comité d’acquisition

Marjorie Goodfellow, comité d’acquisitionMonique Painchaud, comité d’acquisition

Benoît Charland, comité d’acquisition

Dépôt légal :Bibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale du Canada

Le Confluent est publié 2 fois par annéeAbonnement individuel : 30 $ / année

La Société d’histoire de Sherbrooke est logée auCentre d’interprétation de l’histoire de Sherbrooke

et reçoit une contribution financière de :

En page couverture

Inauguration du palais de justice de Sherbrooke le 11 septembre 1906.Collection de la Société d’histoire de Sherbrooke.

MOT DU PRÉSIDENT

MOT DE LA DIRECTION

2

Page 3: Le Confluent - Septembre 2013

3

Tout au cours de l’été, l’équipe a mis les mains à la pâte pour être la plus active et dynamique possible. Ainsi, vous avez pu nous voir dans les différents quotidiens (La Tribune et The Record). Nous avons également été présents durant la période des Jeux du Canada à la radio de Radio-Canada, où nous avions une chronique sportive à tous les jours, mais également à la télévision de Radio-Canada, où nous présentions de courtes histoires des sports. Vous pouvez d’ailleurs les voir ou les revoir sur notre page Facebook. À cet effet, nous remercions l’enthousiasme que plusieurs ont démontré devant ces chroniques.

À l’occasion de la semaine québécoise des marchés publics, nous avons organisé l’événement L’histoire fait son marché, au marché de la gare. L’idée étant de faire revivre le marché de Sherbrooke au début du 20e siècle, avec un journal du marché, des comédiens, et des produits au prix de 1900. Quoique modeste pour une première édition, nous souhaitons vivement que l’activité se renouvelle l’année prochaine et cette fois nous vous réservons de multiples surprises!

Cet été, nous avons eu plusieurs étudiants qui ont considérablement contribué à nos projets. D’ailleurs, vous pouvez déjà voir le résultat dans Le Confluent. De plus, dans le cadre du Programme soutien au traitement des archives soutenu par BAnQ, nous avons pu faire transférer et traiter les bobines 16 mm contenues dans les fonds de CHLT-TV, de l’Ingersoll-Rand et de Thompson & Alix. Ces films contiennent, entre autres, les chutes de la populaire émission Soirée canadienne que nous verserons en partie dans le Répertoire du patrimoine culturel du Québec.

Plusieurs belles acquisitions depuis le printemps ont foulé notre porte. Tout particulièrement, un don important de la firme d’architectes Jubin-ville et associés. En effet, Michel Jubinville a fait don à la Société d’histoire d’une multitude de plans de résidences, d’édifices commer-ciaux et d’édifices publics de Sherbrooke.

Nous souhaitons remercier nos précieux donateurs : le Chœur sympho-nique de Sherbrooke, Normand Gaumond, Gunther Thomsen, le Regroupement du Bois Beckett, Richard Dubé, Jean-Marie Dubois, Carole Jean, Ivan Boisvert, Laurent Biron, Marcelle-Talbot Bolduc, Monique Painchaud, Denis Morin, Rachel Bigonnesse, Ivan Beaulieu, Barbara Echenberg, Dean Echenberg, Pierre Bergeron, André Ouellette, l’American Biltrite et Claude Pilon.

Des nouvelles de la Société d’histoire

Acquisitions

Suivez-nous sur Facebook pour les dernières nouvelles, des chroniques sur l’histoire de Sherbrooke, et découvrir nos photographies.

Pour découvrir nos archives.....Pour consulter des photographies ou découvrir ce que nos fonds d’archives recèlent comme trésors, rendez-vous à l’adresse suivante : www.histoiresherbrooke.ca.

Le marché Lansdowne lors de l’exposition agricole de Sherbrooke en septembre 1910. Collection de la Société d’histoire de Sherbrooke.

Page 4: Le Confluent - Septembre 2013

4

L’histoire judiciaire est une affaire complexe en raison de la multitude de change-ments en ce qui a trait, entre autres, à la cour, au tribunal et à la loi. Cependant, il est possible d’en dresser les grandes lignes dans le district judiciaire de Saint-François, et ainsi déterminer les spécificités de la justice dans les Cantons-de-l’Est, plus spécifiquement à Sherbrooke. Le district judiciaire de Saint-François voit le jour grâce à une ordonnance du roi George IV. Son organisa-tion judiciaire est une histoire riche en événements, puisque le district hérite d’une double tradition, soit le Common Law anglais et le droit civil français et ce, malgré qu’il soit créé bien après la conquête de la colonie par la couronne britannique.

Les débuts de la justice au Canada

La Nouvelle-France est la première région du Canada à adopter un système judiciaire fondé sur le droit européen. En effet, en 1664, le roi Louis XIV ordonne aux autorités coloniales d’appliquer le droit français de la région de Paris au sein de la colonie1. À ce système sont ajoutées des lois émises par les autorités coloniales en réponse à la réalité de la colonie française.

En 1763, la souveraineté de la Nouvelle-France est transférée de la couronne française à la couronne britannique. L’Acte judiciaire de 1793 réorganise la division judiciaire du Bas-Canada en trois districts : Montréal, Québec et Trois-Rivières2. C’est aussi l’apparition des premiers palais de justice.

La justice dans les Cantons-de-l’Est : le district « inférieur » de Saint-François

Sous le Régime anglais, l’augmentation de la population canadienne-française et l’immigration favorisent l’ouverture de nouvelles régions de colonisation. La Révolution américaine pousse un grand nombre de loyalistes à s’installer dans les Cantons-de-l'Est3. Sans compter que l’immigration britannique du début du 19e siècle participe à l’essor considérable de la population et, de facto, au développement de la région4. De 1825 à 1860, le territoire connaît deux phases de croissance rapide, soit de 1825 à 1831 et de 1844 à 18605. À l’origine, les Cantons-de-l’Est sont sous la juridiction de Trois-Rivières. Par contre, en raison de l’étendue des districts de Montréal et de Trois-Rivières et de l’augmentation de la population, l’administration de la colonie n’a d’autre choix que de créer un nouveau district judiciaire.

C’est ainsi qu’en 1823, le district judiciaire « inférieur » de Saint-François voit le jour et dessert environ 13 500 habitants. Ce dernier, qui s’étend sur 80 km d’est en ouest et sur 160 km du nord au sud, regroupe près de 40 cantons6. Sherbrooke est désignée comme chef-lieu et accueille ainsi le premier palais de justice et la première prison de la région.

Le district est dit « inférieur » puisqu’il ne possède pas de Cour du Banc du Roi, aujourd’hui Cour d’appel du Québec, qui entend les causes civiles et criminelles. Il détient plutôt une Cour provinciale locale qui se charge des «petites créances», comme les conflits familiaux ou encore le non-respect d’un règlement local.

Ainsi, avant 1828, aucune procédure légale n’a lieu au palais de justice de Sherbrooke. Les causes importantes sont réglées à Trois-Rivières, occasion-nant des coûts élevés à quiconque se prévaut de ses droits. De ce fait, plusieurs décident tout simplement de ne pas s’en remettre à la justice7. Par exemple, une action de 10 shillings (environ 2,50 $) intentée contre un défenseur de Compton a coûté 14,00 $ de frais de signification8. Une affaire non rentable!

L’organisation de la justice dans le district de Saint-François

1 G. L. Gall, «The Canadian Legal System» (4e édition, 1995), L’encyclopédie canadienne [site Web], consulté le 29 août 2013, http://www.thecanadianencyclopedia.com/articles/fr/droit.2 André Giroux, «Au Québec», dans Les premiers palais de justice au Canada, Ottawa, Direction des lieux et des parcs historiques nationaux, Parcs Canada, 1983, p. 81.

3 Société d’histoire de Sherbrooke, Fonds Ignace-J. Deslauriers, Le 150ieme anniversaire du district de St-François, P5, 1973.4 s.a., Les palais de justice au Canada avant 1930, vol. 2, [s.n., s.l.], 1977, p. 405.5 Jean-Pierre Kesteman, Une bourgeoisie et son espace: industrialisation et développement du capitalisme dans le district de Saint-François (Québec), 1823-1879, thèse de doctorat, Montréal, Université du Québec à Montréal, 1987, p. 120. 6 Gérard Bessette, Histoire judiciaire du district de Saint-François, Sherbrooke, 1987, p. 29.7 G. Bessette, Histoire judiciaire…, p. 29.8 G. Bessette, Histoire judiciaire …, p. 29.

Le barreau du district judicaire de Saint-François en 1857. Collection de la Société d’histoire de Sherbrooke.

Le palais de justice de Sherbrooke vers 1975. Collection de la Société d’histoire de Sherbrooke.

Page 5: Le Confluent - Septembre 2013

Une promotion : le district judiciaire de Saint-François

En 1833, le district de Saint-François est élevé au même titre que les districts de Montréal, Québec et Trois-Rivières. Le terme « inférieur » est alors retiré de son nom. La Cour provinciale locale passe au rang de Cour du Banc du Roi, c’est-à-dire au rang de Cour supérieure. Le district comprend alors les comtés de Stanstead, Compton, Wolfe, Richmond et Sherbrooke9.

Le premier juge résident du district de Saint-François est le célèbre John Fletcher. Ce dernier est favorisé par le gouvernement en raison de ses origines britanniques. Il occupe plusieurs charges politiques, dont coroner et juge de la Cour des sessions de la paix dans le district de Québec, avant d’être nommé, le 30 janvier 1823, juge de la Cour provinciale pour le district de Saint-François10. Personnage controversé, il est reconnu pour son peu d’estime envers les Canadiens français et sa légendaire partialité.

En 1843, les cours de circuits sont créées dans le but d’entendre les causes civiles des comtés. Trois de ces cours voient le jour dans le district de Saint-François, soit dans les comtés de Richmond, Eaton Corner et Stanstead Plain11. À cette époque, la Cour supérieure est présidée par deux ou trois juges, avec un quorum de deux, impliquant la possibilité de division du verdict et la nécessité de plaider de nouveau la cause12. Heureusement, en 1857, cette situation problématique est réglée par la grande réorganisation du système judiciaire canadien. Pour la première fois, le tribunal est présidé par un seul juge.

La même année, Sir Georges-Étienne Cartier, homme d’État canadien-français, réformateur de l’éducation et de la justice et un des pères de la Confédération, fait adopter une loi qui précise le droit à appliquer dans les Cantons-de-l’Est. Par le fait même, il étend à la région les lois françaises en vigueur dans le reste de la province pour satisfaire la population canadienne-française13.

À partir de 1867, le mot d’ordre est la décentralisation de l’appareil judiciaire. Le Canada adopte une loi instituant la rédaction du premier Code civil ainsi qu’un Code de procédure civile qui constituent des compilations importantes du droit privé québécois. Aujourd’hui, le système juridique québécois est mixte, c’est-à-dire qu’il est géré à la fois par le Code civil et le Code de procédure civile en plus de contenir certains éléments du droit anglais et du droit français14.

En 1898, un deuxième juge, de langue française, est nommé pour le district de Saint-François afin de répondre à la population canadienne-française en augmen-tation dans la région. L’honorable François-Xavier Lemieux est le premier à occuper ce poste15. Éventuellement, six juges sont nommés et se séparent la tâche de présider la Cour supérieure de Sherbrooke.

L’organisation du district judiciaire de Saint-François est le reflet du dévelop-pement démographique des Cantons-de-l’Est. En effet, les diverses cours, tribunaux et lois ont été adaptés au besoin grandissant de la population de se prévaloir d’un système judiciaire complet. Ainsi, depuis la création d’un district judiciaire dans la région, les gens de cette dernière peuvent obtenir justice.

Chloé Ouellet-RiendeauÉtudiante au baccalauréat en histoire de l’Université de Sherbrooke

59 Pierre Boily et Annie Tremblay-Gagnon (24 mai 2013), Barreau de Saint-François [site Web], consulté le 29 août 2013, http://www.barreaustfrancois.ca/barreau/historique/.10 G. Bessette, Histoire judiciaire…, p.40. 11 Société d’histoire de Sherbrooke, Fonds Carrier Fortin, Historique du district de Saint-François, P.124.1/2, 1973.12 SHS, Fonds Carrier Fortin…, P.124.1/2, 1973.13 G. Bessette, Histoire judiciaire…, p. 21.14 G.L. Gall, «The Canadian Legal System»…15 G. Bessette, Histoire judiciaire…, p. 60.

Le juge François-Xavier Lemieux dans les années 1920. Fonds Andrée Désilets. La Société d’histoire de Sherbrooke.

Audience à la cour du palais de justice de Sherbrooke vers 1935. Fonds Andrée Désilets. La Société d’histoire de Sherbrooke.

Page 6: Le Confluent - Septembre 2013

6

-

L’affaire Harry K. Thaw : Un criminel à Coaticook

Meurtrier à New York, martyr à Coaticook : tel est l’étrange destin de Harry Kendall Thaw. Au centre d’un procès pour meurtre si médiatisé qu’on le qualifie de «procès du siècle», ce criminel chamboule en effet le quotidien des habitants des Cantons-de-l’Est au début du siècle dernier1. L’affaire débute lorsque Harry K. Thaw, multimillionnaire2, épouse Evelyn Nesbit, une jeune choriste de vaudeville qui a auparavant fréquenté l’architecte Stanford White3. Le 25 juin 1906, quand les deux hommes se croisent au Madison Square Garden à New York, Thaw, paranoïaque et jaloux, assassine White de trois coups de pistolet à la tête4. Deux procès s’ensuivent alors que l’affaire fait scandale par la quantité de détails sordides qui sont révélés (ou inventés) au sujet des deux protagonistes5. En effet, si on se fie à la presse de l’époque, Thaw est affligé de bien des vices. Il aurait consommé de la morphine et de l’héroïne à répétition durant ses études, il serait alcoolique, amateur de combats de coqs et sadomas-ochiste. White, quant à lui, serait un incorrigible homme à femmes et aurait même été jusqu’à menacer et agresser certaines de ses conquêtes pour arriver à ses fins. Face à un tel embrouillamini où rumeurs et vérité s’entrecroisent, le procès se termine sans qu’un verdict puisse être rendu, le jury étant incapable de prendre une décision unanime6. À la suite d’un deuxième procès, où il plaide l’aliénation mentale, Thaw obtient finalement gain de cause et il est interné au Matteawan State Hospital for the Criminally Insane7.

En 1913, l’histoire connaît un revirement inopiné lorsque Thaw s’enfuit. Le journa-liste Roger Thompson et un autre accompagnateur anonyme8 le conduisent au Canada. Après un long voyage en automobile, les complices s’installent pour la nuit à l’auberge de Saint-Herménégilde. Toutefois, par un coup du sort, le propriétaire, Ben Cadieux, reconnaît Thaw : il avait lu le jour même un article de presse qui comprenait une photo du criminel. Le chef de police, Johnny Boudreau,

aussitôt alerté, décide d’arrêter le fugitif après avoir consulté l’avocat Hector Verret. Pendant que Boudreau procède à l’arrestation, une foule de villageois armés encercle l’auberge pour prévenir toute tentative de fuite de la part des suspects9.

Durant les semaines qui suivent, la localité de Coaticook monopolise la une de tous les journaux nord-américains. Thaw est en effet incarcéré depuis son arrestation dans une cellule au sous-sol de l’hôtel de ville de la petite localité des Cantons-de-l’Est10. Bien que Thaw ne puisse être jugé au Canada pour son évasion du Matteawan State Hospital, un délit commis à l’étranger, un procès est entamé pour décider s’il faut extrader le fuyard en vertu de la loi canadienne sur l’immigration11. Appelant sa mère à la rescousse, laquelle séjournera durant le déroulement de l’affaire au Coaticook House, Thaw parvient à embaucher un avocat, William Lewis Shurtleff. Celui-ci, conscient qu’il s’agit d’un problème extrêmement délicat en raison du passé trouble de Thaw, réclame la coquette somme de 1 000 $ pour la prise en charge du cas. Les fonds sont transférés de Philadelphie par Mme Thaw, qui souhaite à tout prix voir son fils libéré12. L’annonce de la tenue du procès attire des nuées de journalistes et d’avocats de renom dans les Cantons-de-l’Est, dont le procureur de l’État de New York, William Travers Jerome13. Thaw, qui parle parfaitement français, profite de l’attention médiatique qui entoure son cas pour raconter aux journalistes québécois sa version héroïque des faits : Stanford White était dangereux, et c’est unique-ment pour protéger sa bien-aimée qu’il l’a tué14. La population des Cantons-de-l’Est est massivement émue par ce récit et en vient à considérer Thaw comme un héros injustement persécuté, méritant de vivre heureux au Canada15. Les habitants de la région appuient l’accusé par leur affection et leurs faveurs. Les femmes agrémentent de leurs meilleurs plats l’ordinaire de la prison et la fanfare de la ville distrait Thaw devant le soupirail de sa cellule trois fois par semaine16.

1 Gérard Bessette, L’histoire judiciaire du district St-François: Sherbrooke, 1987, p. 189.2 G. Bessette, L’histoire judiciaire…, p. 189.3 G. Bessette, L’histoire judiciaire…, p. 191.4 G. Bessette, L’histoire judiciaire…, p. 189.5 Graindorge, « L’affaire Thaw – la psychologie de la foule », La Tribune, 9 septembre 1913, p. 4.6 G. Bessette, L’histoire judiciaire…, p. 189.7 G. Bessette, L’histoire judiciaire…, p. 190. 8 s.a., « Thompson case again adjourned », Sherbrooke Daily Record, 3 septembre 1913, p. 1.

9 G. Bessette, L’histoire judiciaire…, p. 190.

10 s.a., « Harry K. Thaw refuses to tell story of escape from asylum », Sherbrooke Daily Record, 20 août 1913, p. 8.11 s.a., « Thaw will be deported – Immigration authorities confident they can send him back », Sherbrooke Daily Record, 20 août 1913, p. 1.12 s.a., « Thaw will be…», p. 1.13 s.a., « Harry K. Thaw refuses…», p.8.14 s.a., « Harry K. Thaw refuses…», p. 8.15 Charles Willis Thompson, « Why does Canada make an idol of a man like Thaw? », The New York Times, 7 septembre 1913, p. 15.16 Roch Dandenault, « Assassin à New York, héros à Coaticook », La Tribune, 8 janvier 1977, p. 34.

Caricature publiée dans le Sherbrooke Daily Record le 13 septembre 1913 p.1.

Page 7: Le Confluent - Septembre 2013

7

Joueurs du club le Notre-Dame de Sherbrooke, 1930. Fonds Gérard Auray. La Société d’histoire de Sherbrooke.

Pour faire cesser ces perturbations, Thaw est transféré à la prison de la rue Winter à Sherbrooke, mais ces marques d’attention perdurent malgré tout : un groupe de partisans tente même de saboter le procès en accusant frauduleusement le procureur Jerome de jeu illégal17. Ce dernier est emprisonné, mais il est aussitôt libéré après une courte audience où il apparaît clairement que les délits dont il est accusé ont été inventés par les témoins18. Malgré tout, lorsque le verdict du procès de Thaw est rendu plusieurs mois plus tard, celui-ci sera reconduit de l’autre côté de la frontière canadienne19. Le chef de police, Johnny Boudreau, est du voyage; des témoins affirmant que celui-ci s’est pris d’amitié pour Thaw racontent avoir vu l’officier pleurer lors de leur séparation20.

De retour aux États-Unis, Thaw tente une ultime fois de fuir la justice de son pays, mais après quelques jours de cavale, il est capturé à Colebrook, au New Hamp-shire. Craignant pour l’intégrité physique de leur nouveau héros, 20 hommes des Cantons-de-l’Est décident alors de faire le voyage jusqu’à la petite ville de Colebrook pour protéger Thaw de nouvelles injustices21.

Certains d’entre eux avaient pris part au complot visant à mettre hors circuit le procureur Jerome22. Thaw comparaît toutefois en justice malgré cette intervention et il est gardé dans une maison de santé23. Déclaré sain d’esprit en 1915, il recouvre brièvement la liberté avant d’être encore interné en 1917, après une tentative de suicide24 causée par des accusations de séquestration et de voies de fait sur un jeune garçon25. Il est définitivement relâché en 1935 et il décède quelques années plus tard.

Une fois la poussière retombée, nombreux sont ceux, dans les Cantons-de-l’Est, qui s’aperçoivent de toute l’absurdité de l’affaire : comment avaient-ils pu laisser un meurtrier de New York devenir un véritable héros à Coaticook? Il est possible de déceler dans cette attitude un relent d’antiaméricanisme. En effet, pour certains, Thaw n’était qu’une victime innocente du système juridique américain, et il revenait au droit britannique de le protéger et de lui rendre sa liberté26. Mais, comme l’exprime si bien en 1913 le chroniqueur Graindorge, « la foule, hélas! n’a pas le discernement de ses sympathies : elle fait des héros comme elle ressent, spontanément »27.

Estelle BourbeauEstelle BourbeauÉtudiante à la maîtrise en histoire de l’Université de Sherbrooke

17 s.a., « Jerome set free by judge Mulvena; stormy scenes at Coaticook hearing », Sherbrooke Daily Record, 20 août 1913, p. 1.18 s.a., « Jerome set free…», p. 1.19 s.a., « Thaw sous la garde de vingt hommes à Colebrook », La Tribune, 12 septembre 1913, p. 1.20 Roch Dandenault, « Assassin à New York…», p. 34.21 s.a., « Thaw sous la garde…», p. 1. 22 s.a., « Thaw sous la garde…», p. 1.23 Roch Dandenault, « Assassin à New York…», p. 34.24 s.a., « Thaw cuts throat but will recover », The New York Times, 12 janvier 1917.25 s.a., « Whipping of boy starts hunt for Harry K. Thaw », The New York Times, 10 janvier 1917. 26 s.a., « Whipping of boy… ».27 Graindorge, « L’affaire Thaw – la psychologie… », p. 4.

Rue principale de Coaticook vers 1910. Fonds Louise Poiré. La Société d’histoire de Sherbrooke.

Selon les témoignages parus dans le Sherbrooke Daily Record et dans La Tribune, Harry Kendall Thaw a un charisme naturel qui lui attire la sympathie partout où il passe. Sherbrooke Daily Record du 5 septembre 1913 p. 1.

Page 8: Le Confluent - Septembre 2013

8

Si vous avez manquez l’année dernière notre toute nouvelle exposition Petit papa Noël s’en vient, reprenez-vous cette année! En effet, à compter du 27 novembre 2013, vous pourrez visiter ou revisiter notre exposition de Noël. Vous remémorez de beaux souvenirs avec les différents jouets, en apprendre d’avantage sur le sapin de Noël et d’où viennent les différents personnages emblématiques des fêtes! L’inauguration aura lieu le 12 décembre 2013 à 17h, l’invitation suivra au mois de novembre.

Le 8 décembre de 10 à 15h aura lieu la journée des enfants. À cette occasion, nous vous offrirons des activités pour toute la famille sous le thème de la fête de Noël et des traditions qui s’y rattachent. Venez célébrez les fêtes avec nous!

Gérard Young Lebrun vers 1925. Collection de la Société d’histoire de Sherbrooke.

Le 7 novembre aura lieu notre activité bénéfice annuelle. Cette année, c’est le boxeur Gérard Young Lebrun qui vous accueillera dans nos locaux. Boxeur sherbrookois, Young Lebrun a fait rayonner sa ville natale partout au Canada, mais aussi aux États-Unis. Tout au long de sa carrière, qui dura près de 20 ans, le boxeur remporta 43 victoires à la première ronde. En plus de mettre K. O. 78 adversaires! Figure dominante de la boxe entre 1925 et 1935, il a rencontré les meilleurs boxeurs canadiens de son temps, Jos Villeneuve, Arthur Giroux, Jos Gagné, Benny Brostoff, Kid Durant, etc. Une activité non seulement très agréable, mais qui contribuera également à développer nos projets futurs. Vous souhaitez participer à ce grand événe-ment? Remplissez le coupon inséré dans Le Confluent et retournez-le à:

Société d’histoire de Sherbrooke275, rue DufferinSherbrooke (Québec) J1H 4M5

À ne pas manquer

Clara Perez-Maurice lors de la journée des enfants 2012.