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CourtneyMilan

LeComplotdelacomtesse

LesFrèresténébreux–3

Traduitdel’anglais(États-Unis)parWandaMorella

MiladyRomance

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PourRosalindFranklin,dontnousconnaissonslenom.PourAnnaClausen,quej’aidécouverte

tandisquej’écrivaiscelivre.Pourtouteslesfemmesdontlenomadisparu

sanslamoindrereconnaissance.Cetouvrageestpourvous.

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Chapitrepremier

Cambridge,mai1867

VioletWaterfield,comtessedeCambury,étaittoujoursextrêmementàl’aisedansuneassemblée.D’autresfemmesdesonrangauraientprobablementrépugnéàseretrouverassisesdansunesalle

deconférenceaucoudeàcoudeavecn’importequi, sansqu’aucunsigne lesdistinguedecevieuxcompagnon installé à leurgauche, ni de cet hommegrabataire à leurdroite, subsistant assurémentgrâce à une maigre pension. D’autres auraient chuchoté entre elles au sujet des odeurs quedégageaientceshumainsentassésdansunetellepromiscuité.

Maisdansunefoule,Violetpouvaitdisparaître.Leseffluvesâcresdepipesetdechairscrasseusesconfirmaientquepersonneneluiprêtaitattention.Personneneluijetaitlemoindrecoupd’œildansl’attentedesonapprobationoudesonopinionsurquelqueidiotiedontellesemoquait.Danslafoule,Violet disposait de tous les prétextes pour s’adonner à sa seule passion défendue : Mr SebastianMalheur.

Ou,plusprécisément,letravaildecethomme–sonplusvieilami.Cejour-là,ilétaitceluiquis’adressaitàl’auditoire.Ilavaitunevoixgraveetunrictusmalicieux,

dont il usait avec succès pour rendre tout lieu commun scientifique intéressant, voire diabolique.Quant à ses autresqualités, ses cheveux foncés et brillants, ce sourire flamboyant et espièglequ’ilarboraitenpermanence,elleleslaissaitauxmondainesrougissantesquiespéraientfaireplusampleconnaissanceaveclui.

Violetn’avaitquefairedesonphysiqueagréable,desonfutilebadinage.Sontravail,parcontre…— Jusqu’ici, disait-il, mes recherches se sont concentrées sur de simples caractéristiques : la

couleurdesfleurs,laformedesfeuilles.J’aidétaillédiversmécanismesd’hérédité.Aujourd’hui,jenevousprésenteraipasuneexplicationpluspoussée,maisunesériedequestionsdéroutantes.

Elle avait déjà entendu ces propos plus d’une fois. Ils les avaient tous deux échangés lematinmême,etétaientparvenusàlespeaufinerjusqu’àlaperfection.

Ilbalayalepublicdesyeux,etbienqu’iln’aitpasregardéverselle,Violetluisourit.Ilarrivaitàlameilleurepartie.

—Laconfusionprouvequ’ilrestequelquechoseàdécouvrir,déclara-t-il.Permettez-moidoncdevousexposercequenousignorons.

Danslesreplisbrumeuxdesaconscience,Violets’aperçutqu’ellen’étaitpaslaseuleàsepencherenavantd’impatience.Sebastianétaitunaimant.Lesgensvenaientàluisansmêmequ’illecherche.

Parmi l’assistance se trouvaient de jeunes scientifiques suspendus aux lèvres du gentleman etrêvantdemarchersursespas.D’autresétaientdesdisciplesdeDarwin,commeHuxley,quiobservaitlesfestivitésdepuisl’angleensourcillant.Nombredeladiesétaientégalementprésentes;Sebastianlesavaittoujoursattirées.

MaisilyavaitaussidesindividuscommeceuxassisjustederrièreViolet.Ellenepouvaitlesvoir,mais sentait leur présence,malgré ses soigneux efforts pour les oublier.Ceux-là étaient de la pireespèce:lesinterrupteurs.

—Honteux,marmonnal’und’euxdanssondos,assezfortpourécornerlaréjouissancepourtant

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résistantedeViolet.Parfaitementhonteux.LenombrequeSebastiandésignaitdudoigtnel’étaitguère,saufsil’onnourrissaituneaversion

irrationnellepourlesgraphiquesàbarres.Celui-cinecomportaitquedeschiffres,collectésavecunsouci accru du détail, si Violet pouvait se permettre cette réflexion sans être accusée d’orgueildémesuré.

Elles’inclinalégèrementets’efforçadefixertoutesonattentionsurSebastian.—Unedisgrâceabsolue,répliquaunefemmederrièreelle.Voilàcequec’est.Mêmedanscemurmure,savoixportait,perçantecommeuneroulettedetrépanation.—Il étale ses tendances impies.C’estundépravédesplus immoraux.Parler ainsi enpublicde

reproductionetdecopulation!—Allons,allons, la réprimandasoncompagnonenchuchotant.Bouche-toi lesoreilles,et je te

préviendraiquandtupourrasdenouveauécoutersanscrainte.Comment était-il possible d’aborder l’hérédité des caractéristiques sans évoquer l’acte de

procréation ? Était-on censé garder le silence sur des faits purement biologiques au nom de laconvenance ? Et sachant que Sebastian Malheur allait disserter sur des sujets qui les révulsaient,pourquoicecoupleétait-ilvenu?

—Ildoitsongeràcegenredechosesenpermanence!poursuivitlavoixhautperchée.Lasaleté,ladépravationd’unesprittelquelesien!

Violetfitdesonmieuxpournepastenircompted’eux,refusantdelaissermêmeundemi-sourirealtérersonexpression.Maisintérieurement,ellebouillait.PasseulementparcequeSebastianétaitsonamilepluscher.Cesparolesl’atteignaientdepleinfouet,commesielleslaconcernaientdirectement.

D’unecertainefaçon,c’étaitlecas.—Ilyauneraison,rétorqualemari,pourquetouscesprétendusphilosophesdelanaturesoient

deshommes.Lebeausexeesttrophonorablepourrecélerdespenséesaussirépugnantes.La coupe était pleine. Violet se retourna. Elle vit furtivement une femme stupéfaite, vêtue de

mousselineàmotifsroses,installéeauprèsd’unhommeàlamoustachelustrée.Elleleuradressasonplussinistreregard.

—Chut,leurintima-t-elle.Lafemmeesquissaun«O»desurpriseavecsabouche.Violethochalatêtepuisseretourna.Sebastianavaitcommencéàaborderlapremièreénigme.Ah, oui. L’une de ses préférées. Elle se détendit peu à peu, se replongeant dans le discours de

Sebastian,danslesfluxetrefluxdesonargumentation.Uneconférencebienstructuréeressemblaitauronronnementd’unchat:difficileàobtenir,etenmêmetempssisatisfaisantelorsquefinalement…

—Jecrois,repritmadameHaut-Perchée,visiblementrésolueàsemontrerimportune,qu’iladûsignerunpacteaveclediable.Commentunhommepourrait-ilavoirunetelleprestance,sicen’étaitpourtrompersonmonde?

Laconcentrationdelacomtessevoladenouveauenéclats.Ellesongeaavecregretàl’adorableombrellepourpreàl’extrémitépointuequ’elleavaitlaisséeauvestiaire;pratiqueàenfoncerdanslescôtesdesmalotrus,ettrèsàlamode,parailleurs,avecsesrubansdiscrets.Samèreauraitapprouvé.

—J’aientendu,poursuivitlafemme,qu’ilséduisaitunecréaturevertueusechaquesoir.Seigneur,queferais-jes’ilposaitlesyeuxsurmoi?

Violetlevalessiensauciel,etsepenchaenavant.Surl’estrade,Sebastiandésignaitunchevalet,etlejeunehommequil’accompagnaitremplaçala

carteparunepeinturesurlaquellefiguraitunchat.Sonamieconnaissaitassezbiencetteillustration.Elleétaitencoreplusfamilièredufélinenquestion.

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—Cemotif (ilmontra l’animal aux rayures blanches et rousses) est parfois obtenu lorsqu’untigrérouxs’accoupleavecunchatfoncé.

—GrandDieu.Ilavraimentdit«s’accoupler».Quelleindécence!William,tuesagentdepolice.Interviens.

Violet se vit en pensée faire brusquement volte-face. Cette Violet-là, celle qui se moquaitéperdumentdurestedumonde,affronteraitlaladyenquestion.

Sivousnetenezpasvotrelangue,s’imagina-t-elleluidire,jevousl’arracherai.Mais une dame ne déclenchait pas d’esclandre en public.Quand tu n’as rien de gentil à dire,

entendait-ellesamèredéclarer,gardecequetupensespourtoi.Etraconte-moi toutplustard.Celafaisait longtempsqu’ellesn’avaientpasdiscutéde sescontrariétés,maisceconseiln’en restaitpasmoinsavisé.Lesilencetaisaitlessecrets.

Elle resta doncmuette, et fit abstraction de tout ce qu’elle refusait d’entendre.Une part de sonespritétaitvaguementconscientequelaconversationducouplesepoursuivait.

—Allons,allons,ditl’époux,jedoismoi-mêmeobéirauxlois.Jen’aiaucunmandat,etjenesuispascertainqu’ilenexisteunquiconvienne,detoutefaçon.Soisunpeupatiente,machérie.

Ceconseilsemblaitraisonnable.Patience,seditViolet.Dansquelquesminutes,ilsserontpartis,ettoutiramieux.Enquelquesminutes,toutsedégrada.Àlafindelaconférence,ellesefrayaunchemindanslafoule,enrepoussantdoucementlesgens

du coude. Les auditoires devenaient toujours plus denses et indisciplinés à chaque nouvelleintervention.Lespremiersmoisde sa carrière,Sebastian avait constituéune curiosité ; unhommeauteurdetextessurl’héréditédescaractéristiquesetquidéfendaitàl’occasionlesthèsesdeCharlesDarwin sur l’évolution.Des spectateurs avaient émis quelques plaintes peu enflammées,mais riend’extravagant.

Puis il avait publié cet essai sur la phalène du bouleau, en prétendant démontrer la théorie deDarwinenpleineaction.

Sonamiesoupira.Ilétaitrespectéparlamoitiédumonde,etpurementmépriséparlereste.Aufildes années, les ignobles murmures bruissaient de plus en plus à ses conférences. À présent, ilsbourdonnaientfurieusementautourd’elle,commesielleavaitatterridansunessaimd’ignorance.

Elleparvintàprogresserjusqu’àl’estrade.OliverMarshall,assisàcôtéd’elleunpeuplustôt,yétait déjà. Sebastian était encerclé. Il avait toujours été entouré de larges groupes, dès qu’il étaitdevenuadulte.

La moitié de la foule autour de lui était de sexe féminin – assez singulier dans les réunionsscientifiques,maisguèreinhabituelencequileconcernait.Lacomtessesedemandaitsilesgenslaconsidéraient,elleaussi,commeunefemmequiavaittentéd’attirersonattentionpendantdeslustres,quiavaitattenduqu’ilposelesyeuxsurelle,l’aperçoive,etnevoiequ’elle.Sasœurlataquinaitassezsouventàcesujet.

Dansd’autrescirconstances,peut-êtreaurait-elleessayé.Maiselleétaitcequ’elleétait,etrienneservaitdepleurer surdes rivièresdepuis longtempsasséchées.À laplace,elle s’était faufiléedanssonentourageproche.

De son siège presque aumilieu de la salle, les traits de Sebastian avaient constitué une imagefloue et réconfortante.À présent, elle distinguait son visage, et éprouvait une légère inquiétude. Iln’avait pas l’air bien. Ses joues étaient empourprées ; ses yeux, généralement sombres et brillantsd’humour,semblaientéteints.Sonrictusexpressifn’étaitplusquegravité.Onl’auraitcrugagnépar

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lafièvre.—Vous avez tort, affirma un homme corpulent qui le toisait, ses poings épais repliés sur ses

flancscommedeuxjarretsdeporc.Vousn’êtesqu’unballondebaudruchegonflédesuffisance.TouslesphilosophesdelanaturedepuisNewtonontétémaudits.Maudits,jevousassure.

Quelques années plus tôt, Sebastian aurait balayé d’un éclat de rire une assertion aussiscandaleuse.Pourl’heure,ilsecontentad’observersonattaquant.

—Merci,rétorqua-t-ilmachinalement,commepourdistrairel’individuafindes’échapper.Celametouchebeaucoup.

—Quoi,espècedebâtardinsolent!fulminal’hommeenfaisantunpasenavant.Violet souffla longuementet seglissadevant lui, enprenantSebastianpar lamanche.Regarde-

moi.Touts’arrangerasiaumoinstumeregardes.Ilsetournaverselleetlesdernièrestracesd’humournoirsedissipèrentalorssursafigure.Violetetluiétaientdesamisdelonguedate.Elleavaitpenséqu’ilévacuaitgaiementlatensionque

généraientlesincessantescritiquespubliques,queleschapeletsd’insultesetdemenacesn’avaientpasd’effetsurlui.Ilfallaitqu’elleensoitpersuadéepourlesoumettreàunetellepression.

Àcetinstant,ellevitcombienelles’étaittrompée.Ellebredouilla:—Sebastian.—Quoi?grogna-t-il.—Tuasétébrillant,assura-t-elleenplongeantsonregarddanslesien,regrettantdenepouvoir

toutarranger.Toutàfaitbrill…LesyeuxdeSebastians’embrasèrentd’unelueursombreetrageuse.Elle n’avait pas prononcé les bonsmots. Elle l’avait su dès qu’ils étaient sortis de sa bouche.

Commentluiavaient-ilsparu?Affreux.Boursouflésd’autosatisfaction.Les deux amis étaient encerclés par une foule. Il leva le nez, les bras le long du corps, les

jointuresblanches.—Jet’emmerde,Violet,cracha-t-ildansungrondementsourdetsauvage.Je.T’emmerde.Ilssetrouvaientimpliquésdanscecomplotdepuissilongtempsqu’elleoubliaitparfoislavérité.

Elleluirevenaitàprésent,résonnantjusqu’autréfondsdesonêtre.Cette impressiond’invisibilité s’évanouit. Il lui arrivait depenserquedans la société, elle était

telleunebûchetombéeaumilieud’uneforêt:ellen’étaitpeut-êtrepaspittoresque,maisaumoins,onconsidérait qu’elle faisait partie du décor. Tant qu’elle se tiendrait tranquille, personne nedécouvriraitrien.

Maintenant,Sebastianladévisageaitd’unœilmauvais,complètementlivide,commesurlepointd’abattreunehachettesurcettebûche.Ainsifendueensoncœurpourrissant,elleexhiberaitl’infectenoirceurqu’ellerecélait.S’ilprononçaitunmotdeplus,toutlemondesaurait.

Ellen’auraitjamaisimaginéqu’illatrahirait.Maiscetinconnuquilafusillaitduregardàtraverslesyeuxdesonami?Elleignoraitcequ’ilpourraitluifaire.Sesmainsseglacèrent.Elleparvenaitpresqueàvoircecauchemarsedéroulerdevanteux.Ilallaitvociférerlavéritédevanttoutlemonde.Les quotidiens la claironneraient dans la journée ; elle serait ruinée d’ici au lendemain midi,complètement bannie.Levaste auditoire lui paraissait n’être qu’unemassed’ombres autour d’elle.Ellepouvaitàpeinerespirer.«Dégoûtant»,entendait-ellelesgensmurmurer.«Dépravé».Sacolèreenfla.Elleperdraitsonhonneur,entachantainsiceluidesamère,desasœur,desesniècesetdesesneveux.

Les narines de Sebastian palpitèrent, et il se détourna d’elle pour parler à un autre homme,étouffantdanssonmutismetoutcequ’ilauraitpurévéler.

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Violetneparvintpasàréprimerunsoupirdesoulagement.Elleétaithorsdedanger,etleresteraittantquel’onneperceraitpasleursecret.

Lesoleildumatinbrillaitintensément,transperçantlesyeuxdeSebastiantandisqu’ilcontemplait

lejardin,illuminantlatonnellederosesetlesparterresdefleursqu’ilfaisaitscintiller.C’étaitbeauàen tomber. Il aurait même apprécié, sans ces martèlements lancinants dans son crâne, qui luidonnaientl’impressiond’avoirabusédel’alcool.Saufqu’iln’avaitrienabsorbédeplusfortqueduthédurant lesquarante-huitdernièresheures.Non,autrechose le tourmentait, et contrairementauxséquellesdequelquesbouteillesdevin,cenepouvaitêtreapaiséparl’efficacitéd’unepotion.Aucunpharmacienaumondenepouvaitguérirdelaréalité.

Ilsavaitdepuisledébutoùsespaslemèneraient.Violetétaitdanssaserre;lorsqu’ilcontournalemassif,illavitassisesuruntabouret,observantunerangéedepetitspotsenterre.Mêmedelàoùilsetrouvait,ill’entendaitchantonnergaiement.

Il avait la nausée. Ce n’était pas une raison pour mépriser les procédures de mise. La porteextérieuredonnaitsuruneentréevitrée.Ilretiraseschaussuresetremplaçasavesteparuneblousedejardinage.Ilvérifiaminutieusementsonapparence,ainsiquel’air;pasd’abeillesenvue.

Ellenelevapaslatêtelorsqu’ilouvritlasecondeporte,nilorsqu’iltraversalescouchesdegazequiempêchaient les insectesd’entrer.Ellegarda lesyeuxbaissés lorsqu’il la rejoignit.Elleétait siconcentréesurcespotsdevantelle,loupeàlamain,qu’ellenel’avaitmêmepasentenduarriver.

Seigneur.Malgrécequ’il luiavaitdit laveille,et la façondont il s’étaitenfuien la laissantenplan,elleaffichaitunairréjoui.Ilallaittoutgâcher.

Ilavaitconsentiàcettecomédiedesannéesplustôt,quandiln’avaitpassaisicequiseproduirait.Quandcelas’étaitrésuméàapposersasignatureetàécoutersonamieparler,deuxactesquin’avaientpassemblédemanderlemoindreeffort.

—Violet,murmura-t-il.Pasderéponse.—Violet,répéta-t-ilunpeuplusfort.Illavitreveniràelleenbattantdespaupières,posantlentementsoninstrumentavantdesetourner

verslui.—Sebastian!s’exclama-t-elleravie.Elleluiavaitdoncpardonnésesparoles.Maislesourirequ’elleluiadressaitsedissipalorsqu’elle

vitsonexpression.—Sebastian?Toutvabien?—Jetedoisdesexcuses,lâcha-t-il.Dieusaitàquelpoint.Jen’avaispasledroitdeteparlerde

cettemanière,surtoutpasenpublic.Ellebalayal’incidentd’ungestedelamain.—Jen’aipasététrèsfine.J’auraisdûpenseràlapressionquetusubis.Vraiment,aprèstoutce

quenousavonsfaitl’unpourl’autre,quelquesmotsdursontpeud’importance.Bon,j’avaisquelquechoseàtedire.(Ellesourcillaensetapotantleslèvres.)Voyons…

—Violet,soisattentive.Écoute-moi.Elleseretournaverslui.Personne ne la trouvait jolie. Il ne l’avait jamais compris. Certes, son nez était trop gros, sa

bouche trop large.Elleavait lesyeuxunpeu tropespacésselon lescritèresdebeautéclassiques. Ilétait conscient de ces détails, mais, d’une certaine façon, les avait toujours trouvés insignifiants.VioletétaitlapersonnelaplusprochedeluisurcetteTerre,cequilarendaitprécieuse.Elleétaitson

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amielapluschère,etilallaitlaréduireenmiettes.—Quelquechosenevapas?demanda-t-elleavecprécaution.Ouplutôt…(elleseraclalagorge)

jesaisqueçanevapas.Commentpouvons-nousarrangerça?Illevalesmains,commes’ilserendaitaumondeentier.—Violet,jenepeuxpluslefaire.J’enaiassezdecettevied’imposteur.Elledevintlittéralementlivide.Elletenditlebras,agrippasaloupeetlaserracontresapoitrine.

Sebastianétaitabattu.—Violet.Ellearboraitdésormaisunteintgrisâtre.Ellerestaitassiseàleregarder,impassible.Ill’avaitdéjà

vueunefoisainsi,etn’auraitjamaisimaginéqu’ilseraitceluiquilaplongeraitdenouveaudanscetétat.

—Violet,tusaisquejeferaisn’importequoipourtoi.Elleémituncurieuxbruitentrelesanglotetlasuffocation.—Nefaispasça.Sebastian,nouspouvonsréfléchiràunmoyende…—J’aiessayé,dit-ilcalmement.Jesuisdésolé,maisc’estterminé.Illadétruisait,maisilenétaitarrivéaupointdenepluspouvoirjouerlacomédie.Ilsouritavec

tristesse,etbalayalaserreduregard;toutescestablettes,débordantdepetitspots,chacunétiqueté;ces plantes à différents stades de croissance, desminuscules touffes jusqu’aux feuillages d’un vertéclatant;cesvingtvolumesdenotesreliésdecuir,poséssurl’étagèreducoin.Ilexaminaittouteslespreuves qu’il attendait que tout le monde découvre. Il regarda enfin Violet, cette femme qu’ilconnaissaitdepuistoujours,etqu’ilavaitaiméelamoitiédesavie.

—Jeseraitonami.Tonconfident.Jet’aideraiquandtuenaurasbesoin.Tupourrasmedemanderce que tu voudras,mais il y a une chose que je ne ferai plus jamais, précisa-t-il avant d’inspirerprofondément.Jeneprésenteraiplusjamaistontravailcommeétantlemien.

Laloupeglissadesdoigtsdelajeunefemmeetatterritsurlesolenpierresoussachaise.Maiselleétaitaussirésistantequesapropriétaire,etnesebrisapas.

Illaramassa.—Tiens,dit-ilenlaluirendant.Elleteserautile.

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Chapitre2

Troisheuresplustard,VioletfaisaitlescentpasdevantlamaisondeSebastian.Durantleursannéesdecollaboration,ilsavaienttrouvémillefaçonsdeserencontrersanssusciter

lemoindre commentaire.Quand ils étaient àCambridge, se rejoindre était relativement facile ; ilsvivaient à unmile à peine l’un de l’autre, ce qui représentait unemarche de vingtminutes sur uncheminboisé.Desarbresdensesprotégeaientleurpassagedescommérages.UnhautmassifabritaitlaserredeVioletdesregardsindiscretsdesdomestiques,tandisquelesentiermenantaubureaudesonamiétaitplongédansl’obscuritéparundédaledegrandsbuisquipermettaitàlajeunefemmed’alleretvenirsansfrapperàlaporte.

C’estdanscelabyrinthequ’elleattendaitàprésent,maîtrisantsarespirationetsesnerfs.Ilfallaitqu’elle s’y prenne correctement, et fasse en sorte que rien ne cesse. Mais elle se souvenait del’expressionqu’ilavaitaffichée,decettetristedétermination,etignoraitcommentladissiper.

Elles’assitsurunbancenpierreetfitvolerd’uncoupdepiedcontrariélapoussièreblancheduchemin.Sielleremettaittoutenordre,ilyauraitforcémentunesolution,décenteetraisonnable.

Legraviercraqua;ellelevadesyeuxconsternés.Sebastian. Ilneportaitpasdeveste,maismêmeenbrasdechemise,sagravité luidonnait l’air

cérémonieux.Ilavaitunemaindanslapochedesongilet,etlaregardait,levisageimpénétrable.Ellesongeaàselever,puiss’aperçutquelemomentétaitpassé.Elleparaîtraitidioteenbondissant

sursespiedsmaintenant,trentesecondesaprèsl’arrivéedesonami.Ellesecontentad’inclinerlatêtedanssadirection.

—Sebastian.—Violet, retourna-t-il sans s’approcher. Jepensais tevoir arriver ilyapresquequarante-cinq

minutes.Jesuischoquéqu’ilt’aitfalluautantdetempspourvenirdiscuteravecmoi.Lesdoigtsdesacompagnetremblotèrent.Ellepensacontesterparprincipe,maisc’étaiteneffetle

butdesavisite.— Je m’efforçais de chercher mes meilleurs arguments. J’ai fait une liste de tout ce que je

pourraisdire.Ilarquaunsourcil.—Une«liste»?Ilfautquejevoieça.Tul’asrédigée,n’est-cepas?Ellehésitaànier,maisillaconnaissaittropbien.Ellesortitlepapierdelapochedesajupeetle

luitendit.Illedépliaetl’aplatitentresespaumes.—L’argent,lut-il.Lesterres.L’influencedetamère.(Illevalesyeux.)Jenevoisaucunargument,

Violet.Cesontdesappâts.Sauf,bienentendu,laligneconcernanttamère.Elle,c’estunemenace.—Oui.Bon.Ellenepouvaitluimontrersonembarras.Elleleregardadanslesyeux,puisreprit:—Jetedonneraicinqmillelivres,si…— Je n’ai pas besoin de cette somme, l’interrompit-il, et cela représenterait une maigre

compensationdetoutefaçon.Laisse-moit’expliquercequejeveux:neplusjamaismentirauxgensquimesontchers.(Illevalafeuille.)Celanefigurepassurtaliste.

Ellelaluiarrachadesmains.

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—Commejeteledisais,j’enétaisencoreaustadedelaréflexion.Elle froissa le papier impitoyablement entre ses doigts ; elle l’écrasa pour former une boule

denseetferme.—Ilyaforcémentquelquechose.Unoiseauchantait,et lecielbleubaignait lebuissondelumière.Letempsneseprêtaitpasàla

capitulation,etVioletn’avaitaucuneintentiond’ycéder.Maisvul’expressiondeSebastian,iln’allaitpasserendrefacilementnonplus.

—Monfrèreestmourant,annonça-t-il,etlorsqu’ilm’aracontécequ’ilcomptaitfaireavecsonfils… (Il se détourna.) Il m’a dit qu’il enverrait Harry chez sa grand-mère parce que j’étais tropoccupépourm’encharger.Jenepouvaisluiavouerquecen’étaitpasmoiquifaisaistoutletravail.Jesuisjusterestéclouélà,muet,enmedemandantcommentrépondresansdévoilertousnossecrets.

Violetenfonçasesdoigtsdanslabouledepapier.—Mes amis s’inquiètent pourmoi, poursuivit-il. Ce devrait être l’inverse. C’estmoi qui suis

censéprendresoind’eux.Maisjenepeuxmêmepasleurexpliquerquej’aitrente-deuxansetquejedépéris,couvertd’élogespouruntravailquin’estpaslemien,etinjuriépourdesidéesquejen’aijamaiseues.

Ellesentitsagorgepiquer.Elleignoraitquoidire,oucommentarrangertoutcela.—Ethiersoir,reprit-il,tum’ascomplimenté,toi,surmondiscours;noussavonstouslesdeux

quetuenesl’auteure.Ellebaissalatête.—J’aicommisuneerreur.J’ensuisconsciente.C’étaitseulement…—Sinouscommençonstouslesdeuxàoublierqu’ilnes’agitqued’uncomplot,ilesttempsd’y

mettreunterme.Jenepeuxplusrévélerlavéritéàpersonne,etchaquepetitmensonges’ajouteauxautres. Jeme sens irritable, et je pensais vraiment ceque je disais : j’arrête dementir pour toi. Jen’aimepasl’individuquejedeviens.

S’ilseretiraitmaintenant,illaisseraituntroubéantdanslaviedeViolet.Maisquelleimportance,comparéauxrécriminationsdeSebastian?Ellefourralabouledepapierdanssapoche.

Ilfitunpasenavantpourseplanterdevantelle.—Çam’énervecontretoi,dit-ild’unevoixplusdouce.Etc’estladernièrechosequejedésire.Tu

eslaseuledemesamisquicomprennetout.Jeneveuxpast’envouloir,niteperdre.Elleavaitpresquemaldevantceregard,safaçond’avancerverselle.Ellesentaitcetteattraction

verslui,telleunelunevouéeàêtrecapturée,condamnéeàgraviterautourdeluiàjamais.Elledétournalesyeuxensemordantlalèvreinférieure.Ilfaisaitprobablementlemêmeeffetà

touteslesfemmessansmêmelechercher.—Maisnoussommesamis,déclara-t-il.Au-delàdetontravail.N’est-cepas?Ilfitunnouveaupasenavant,quilerapprochaittropdangereusementd’elle.Assezpourtendrele

bras,latoucher.Cettepossibilitédecontactattisaitledésirardentqu’elleétouffait,etluidonnaitenviequ’ill’attire

dansuneétreinte.MaisVioletétaitintouchable;dureetinébranlable.Elle s’obligea à soutenir son regard, à retrouver un rythme cardiaque régulier, sans se laisser

perturberpar l’éclatsinistredesesyeux.Iln’avaitaucunimpactsurelle.Ilétait legenred’hommecapable d’arracher une réponse à un rocher. Mais Violet était plus glaciale que la pierre. Elle ledevait.

Ilfitunautrepas,puissepenchaau-dessusd’elle.Ilpouvaitposerlesmainssursesépaules, la

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riveraubanc…Elleinspiraintensémentetselevapourcreuserladistanceentreeux.—C’estdoncça,s’entendit-elledire.TuescontrariéquedetouteslesfemmessurcetteTerre,je

soislaseulequetuneparvienspasàmettreàtespieds.Ilseredressaensoupirant.—Parled’amitiéautantqu’ilteplaira,poursuivit-elle,maisàl’évidence,j’aiécartédemalistela

seulechosequiteconvaincrait.(Ellelevalementon.)Lesexe.C’esttamonnaied’échange,non?Elleentremblaitdesmainsrienqu’àl’envisager.Elleavaitvolontairementomiscetargument;

onnemarchandaitpasaveccequel’onnecomptaitpasabandonner.Ill’observaitàprésent,leregards’attardantsurseslèvres,puisdescendantlelongdesoncorps,

jusqu’auliseréendentelledesarobe,pourremontersurlesrubansencerclantsataille.Ellelesentaitcritiquerlamoindrefacettedesonphysique,sescoudesanguleux,lafadeurdesesyeux.

S’il ne voulait pas de cinquante hectares de terres agricoles, il ne verrait certainement aucuneutilitédansunspécimenaussimédiocrequ’elle.

—Jevois,dit-ild’untontraînant.Tunesaispasdutoutquijesuis.(Ilfitunemoue.)Durantcinqannéesdesuite,j’aienchaînélesconférencespourtoijusqu’àconnaîtretonespritmieuxqueceluidequiconque.Etpendanttoutcetemps,tunet’esjamaissouciéedem’accordercettefaveur.

—Sebastian.Illuiétaitpénibledeleregarder,maisellenepouvaitdétournerlesyeux.Ilaffichaitunesombre

expression.— Je te connais au point de savoir que si je viens aussi près de toi (il fit un pas en avant), tu

cherchesàfuir.Sij’effleureneserait-cequetesdoigts…Illevalamain;elles’empressadereculer.—Exactement,marmonna-t-il.Violet, toietmoi…nousnousmentonsautantquenousmentons

aurestedumonde.Ildisaitvrai.Ellesentitlapaniquebouillonnerdanssonestomac.Aucoursdeladernièreannée,

elle n’avait pu s’empêcher de ressentir de nouveau des émotions. Cette curiosité palpitante, cesmomentsdefaiblesse.MaisSebastiann’avaitpasconsciencedecequ’illuidemandait:lavéritéallaitemportertoutcequ’elleétait.

—Jenevoispasdequoituparles.Elle s’exprimait d’une voix parfaitement posée. Pourquoi attendre autre chose de ce bloc

inflexibleetsanscœurqu’elleétait?—Tusaisdéjàtoutdemoi,ajouta-t-elle.—Çaserésumeàtontravailcestemps-ci.Lajeunefemmerenifla,s’appliquantàresterfroidedevantlapeinequ’illaissaitparaître.—C’esttoutcequicomptepourmoi,rétorqua-t-elle.Illaregardaetsecoualentementlatête.—BonDieu,Violet.— Je suppose que ce serait différent, dit-elle, si j’étais l’une de tes conquêtes, sensible à ton

charme.Peut-êtrequejepourraisalors…Ils’écartad’ellesiprestementqu’elleenretintsonsouffle.—Nesoispasridicule,grommela-t-ild’unevoixrailleuse.Peuimportecequetupensesdemes

mœurs,maisj’aidescritères,figure-toi.Iltournalatêtepourladévisagerpar-dessussonépauled’unregardsombre,puisajouta:—Ettun’yrépondspas.Ellesentitsoncœursedéchirerendeux.Cesproposétaient tropvrais ;assezpour luirappeler

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pourquoiellel’avaitrepoussé.—Alors,bondébarras,dit-elleàsonmeilleurami.C’estaussibienquenousnetravaillionsplus

ensemble.Jedoutemêmederemarquertonabsence.Elle regrettait de ne pouvoir s’échapper sur-le-champ, mais il lui fallait récupérer ses gants

toujoursposéssurlebanc.—Jesuissûrducontraire,riposta-t-il.Tantmieuxsijenereviensplusici.Elle attrapa ses affaires et lui jeta un coupd’œil. Il avait les bras croisés, les yeuxbrillants de

peine.Ilétaitrarementencolère,oudemauvaisehumeur.S’ill’avaitmanifestéedeuxfoisenvingt-quatreheures,ildevaitêtrecontrariéau-delàdecequ’ellepouvaitcomprendre.

C’étaitdouloureuxdel’admettre,maisilavaitraison:illeurétaitimpossibledepoursuivreainsi.Ilavaittropàespérerdelavie,contrairementàelle.

Illaregarda,semblants’imaginerquemêmeàcemoment-là,elleprésenteraitdesexcuses.Oui,Sebastian.Jecesseraideterepousser.Jem’autoriseraiàtomberamoureusedupluscélèbredébauchédeLondres.

L’espace d’un instant, elle voulut lui prendre les mains et tout lui avouer. Mais elle s’aperçutqu’ellen’avaitrienàdire.Sontravaildevaitrestersaseulepréoccupation;aumoins,ellenementaitpassurcepoint.Toutlereste…sefossiliseraitbienasseztôt.

Ellesecontentad’enfilersesgantsets’éloigna.

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Chapitre3

LapropriétéoùSebastianavaitgrandi se situait àdixmilesà l’ouestdeLondres,uneagréablechevauchée d’une heure où les amas confus de bâtiments laissaient place aux petits hameaux decampagne.

SamachinationavecVioletavaitabsorbéunesigrandepartiedesavieadultequ’unvideabyssalassaillitlegentleman.Unevastedistances’étaitcreuséeentreluietlesgenslespluschersàsesyeux.Maiss’ilexistaitunendroitoùilpourraitréduirecettebrèche,c’étaitsurlesterresappartenantàsonfrère,l’écrindetoussessouvenirsd’enfance,brumeusesréminiscencesdesestendresannées.

Il se rappelait être tombé dans ce ruisseau, juste là, à six ans, en essayant d’imiter Violet quipassaitgracieusementsurunrondin.Illarevoyaitlireunehistoireàvoixhautealorsqu’ilapprenaitseulementl’alphabet.

Même en ces lieux, elle était étroitement liée à l’existence de Sebastian. Elle avait grandi à undemi-miledechezlui.Elleétaitdedeuxanssonaînée,etd’aussiloinqu’ilpouvaits’ensouvenir,ill’avaitsuiviepartout, laconsidérantcommeunemerveilleusecréature,plusbrillanteetcompétentequelui.C’étaitlapremièrefoisqu’illarepoussait.

Maiscedomaineabritaitd’autresimagesdupasséquinelaconcernaientpas,etc’étaitpourquoiilsetrouvaitlà.

Ilamenasonchevalauxécuries.Unhommeensortitetproposades’enoccuper ;Sebastian lecongédiad’ungestedelamain.

Letrajets’étaitrévélétranquilleetsajumentnoiren’avaitguèrebesoindeplusqued’unefrictionetd’unseaud’avoine.Ilprittoutefoissontempspourl’étriller,regardantlapeautressauterquandillui chatouillait le flanc. C’était l’une des plus vieilles astuces qu’il connaissait : s’il ne pouvait seconnecteraumonde,ilpouvaitaumoinss’yefforceravecsoncheval.

Lesportesdesécuriess’ouvrirent.Lalumières’ydéversa;unautrechevalsoufflaitvivementàl’entrée. Il leva les yeux. Le cavalier, une grande silhouette massive, glissa au sol. Il était horsd’haleine.Durantunlongmoment,ilrestalà,agrippéàsamonturecommesisesgenouxn’allaientplus le soutenir très longtemps. Sebastian était figé sur le tabouret à côté de son propre animal,craignantd’intervenir.

Peuàpeu,larespirationdel’individusestabilisa.Ilseredressa,etn’appelaaucundomestique.Malheurclignad’incrédulitélorsquesonfrères’agenouillalourdementauprèsdesonchevaleten

défitlui-mêmelasangle.AvantqueSebastianaitletempsdeluiproposersonaide,ilavaitretirédesonétalon leharnachementdecuir. Ilvacillasous lepoids,etparvintàse rattrapercontreunmur.Sarespirationsuperficiellerésonnaittropbruyammentdansl’obscurité.

Sebastiansemitdebout.—Benedict.Quediablecrois-tufaire?L’intéressé resta rivé sur place. L’espace d’un instant, les rôles semblèrent inversés, comme si

l’aînédevenaitlecadetsurprisenpleinméfait.Maislemomentneduraguère.—Sebastian,lâcha-t-ildansunderniersoupird’effortavantderangerbrusquementlaselle.Tues

finalementarrivé.— Pour te trouver en train de projeter des harnais dans tous les sens, et chevaucher assez

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sauvagementpourqueGuerrierécume…—Ças’appellelegalop,etjen’yrenonceraiqu’àmamort.Sebastianluilançaunregardnoir.C’étaittoutcequ’ilpouvaitfaire,àpartlemettreàterreetlui

donnerunecorrection,cedontilneseraitpasvraimentcapable,quandilysongeait.—Cen’estpasdrôle.—Biensûrquenon.Cen’étaitpasuneplaisanterie.Bien sûr que si. L’univers entier deSebastian était devenu une farce alambiquée. Il avait voulu

reprendrepossessiondesavie.Aulieudecela,ilperdaitViolet,sonfrère…Cederniersepenchacalmementpourramasserunseau.Sansleregarder, ilpassalesportesde

l’écurieàgrandesenjambées.Sebastianseprécipitaaprèslui.—Pourl’amourduciel,dit-ilenattrapantlerécipient.Jevaispomperl’eau,etjelaporterai.Iltirasurlapoignéemétallique,maisBenedictrefusadelalâcheretrépliqua:—Ungentlemans’occupetoujoursdesesbêtes.—Certes.(IlleluiavaitenseignédèsqueSebastianavaitapprisàmonteràcheval.)Maiscompte

tenudescirconstances…—Jem’encharge, tedis-je.Seigneur, jene t’aurais jamaisriendévoilési j’avaissuque tume

suivraiscommemonombre.Sebastian n’aurait-il pas fini de toute façon par deviner sa maladie en voyant sa poitrine se

souleverainsi?Maisiln’étaitpasvenupoursequerelleravecluiausujetd’unseaud’eau.Ilcroisalesbrasetregardasonfrèreactionnerlapompe;sesmouvementsétaientirréguliers,sa

respirationlaborieuse.Ils’interrompituninstant,tournalatête,toussaetcrachaparterre.Sebastianaperçutdestracesroses,etserralespoings.

—Attends,dit-il,laisse-moi…—Non. Je ne suis pas invalide, tu sais. J’ai l’intention de continuer à vivre comme avant.Un

gentlemanasadignité,toutdemême.—Oh,ladignité,raillasoncadetavecunefausselégèreté.Partouslesmoyens,etpar-dessustout.Benedict emporta le seau dans la cour latérale, où se trouvait un petit poêle adossé aumur. Il

alimenta le feu, versa de l’eau dans une bouilloire, et attendit. Sebastian suivait, en s’efforçant decachersacontrariété.Sonfrèrefinitparprendrelaparole:

—Simoncœur lâcheparceque jenepeuxpas souleverunechargeaussi insignifiantequ’uneselleouunseauplein,j’estimeraivolontiersquemonheureestvenue.

—Cen’esttoujourspasdrôle,grommelaSebastian.—Cen’esttoujourspasuneblague.Non. Il n’était pas homme à plaisanter. Toujours si sérieux, si direct. Il était l’aîné parfait :

travaillantdur,obtenantdebonnesnotesàl’écoleetrecevantunconcertd’élogespoursonhumeurtoujourségale.Tout lemonde le respectait–ycomprisSebastian. Ilétait tropbonpoursusciter lahaine.Peut-êtreétait-cepourquoilesortavaitdécidédeluijouerlepluscrueldestours.

—Jevaismourir,dit-ild’un tondétaché.Peut-êtredansunmois.Oudansunan. (Ilhaussa lesépaules.)Commetoi,celadit,etlerestedumonde.

Sebastian ouvrit la bouche pour contester, puis s’abstint. Convaincre son frère de prendre lesprécautionsnécessairesseraitlecombatd’unautrejour,éventuellementquandundocteurseraitlà,etenmesuredefourniruncontrepointsérieuxetrationnel.Àprésent,ilavaitunsujetplusimportantàaborder.

Benedict tapota la bouilloire, mesurant la température. Son cadet s’agenouilla à côté de lui etlança:

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—Écoute,jeveuxteparlerdecequ’ilvaadvenirdeHarry.— Je te l’ai déjà dit. Tu n’as pas à t’inquiéter de te retrouver coincé avec ce garçon. Je sais

combien tonemploidu tempsestchargé. Il irachezsagrand-mèredans leNorthumberland.Elleaacceptédeleprendre.

QuandilavaitfaitasseoirSebastianpourluiannoncercequiallaitseproduire,cedernieravaitététropchoquépourassimilerlanouvelle.Toutétaitarrivétropvite;laconfessionsurl’étatdesoncœur,lafaçonméthodiquedontilavaitentreprisdemettresesaffairesenordre.Sonpetitfrèreavaitétéincapabledeprononcerunmot,encoremoinsuneobjection.Aspiréparlegouffrequis’ouvraitentre eux, il n’avait même pas réussi à articuler : « Ne t’inquiète pas. C’est Violet qui accomplitpresquetoutletravail.»

—Harry a sept ans, répliqua calmementSebastian. Il avuMrsWhitelandune fois et elle s’estfâchéecontreluiduranttoutesavisite.Illaconnaîtàpeine,etellenel’aimepas.

—Peut-êtrepas,maisjesuiscertainqu’elleremplirasondevoir.—Jedevraisavoirlagardedemonneveu.—Tuesdébordé.Avec…Aveclesmensongesqu’ilavaitracontésaufildesannées.Sebastianpassaunemainsurl’épauledesonfrère.— Non, pas du tout. Après ce que tu m’as expliqué l’autre jour ? Je laisse tout tomber. J’ai

quelquesdétailsàrégler,mais…(ilfitungesteenl’air)ças’arrêtelà.Tunedevraisjamaispenserquejesuistropoccupépourtoi.OupourHarry.

Benedictlâchaunlongsoupir,maiscontinuadedétournerleregard.Ilsecontentadeprendrelabouilloire, de verser un peu d’eau dans le seau, puismélangea à lamain et vérifia la températurecomme si Sebastian n’avait rien dit.Mais celui-ci releva son expression figée, et craignit d’avoircommisuneffroyablefauxpas1.

— Harry a besoin d’un tuteur solide, finit par déclarer son aîné en s’adressant au récipient.Quelqu’underespectable.

Ilébauchaunsourire,maisévitaittoujourslesyeuxdesonfrère.— Tu es un parrain formidable, Sebastian, poursuivit-il. Mon fils n’aurait pu rêver meilleur

oncle.Tuluiachèterassonpremiercheval,ettul’emmènerasdanssonpremierclubpourgentlemen.Maiscelanefaitpasdetoiunparent.Ettu…

Ilécartalesbrascommepouresquisserlesdimensionsd’unfosséquisecreusait.—Oui?l’encourageasoncadet.Etjequoi?—Nem’obligepasàledire,déplora-t-il,leregardemplidepeine.—Allons, je ne suis pas simauvais. Jen’ai jamaisdépensé au-dessusdemesmoyens, ni bu à

l’excès–dumoins,pasdepuismesquinzeans,etc’étaità tesnoces.Jen’aiengendréaucunenfantillégitime.

—Etcen’estpasfauted’avoiressayé,marmonnaBenedict.Lemomentétaitmalchoisipourapprendreàsoncadetcommentévitercerisque-là.—Jeneconsommepasd’opium,poursuivitSebastian.Jenespoliepasmesdomestiquesnonplus.

Jen’ai jamais tuépersonne,nimêmegrièvementblesséquiquecesoit.Et j’aimeHarry, tu lesais.J’enveuxlagarde.

Sonfrèresecoualatêteetrétorqua:—Cetteconversationnenousferaaucunbien.Nenousobligepasàl’avoir.Ilseleva,ramassaleseau,etsedirigead’unpaslourdversl’écurie.Sebastianbonditsursespiedsetlesuivit.

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—J’aidesdéfauts,jesais…Benedictseretournaversluienseredressant.—Talisteétaitremarquable.Tuasraisonsurunpoint:detouslesvauriens,tun’espasleplus

abject.Mais t’es-tu aperçu que tu n’énumérais que des choses que tu n’avais pas faites ? Tu n’asjamaisbuàl’excès,tun’aspasdecréanciers…Dis-moi,qu’as-tudoncfait?

Sebastian le dévisagea. On ne lui avait pas tenu ce discours depuis des lustres. Les sermonsinfligésparsesprochespourqu’ils’efforcededevenirquelqu’unremontaientàsi loinqu’ilpensad’abordavoirmalcompris.

—Jetedemandepardon?s’étonna-t-il.Il se rappela alors que son plus grand succès était également un mensonge. Mais Benedict

l’ignorait.—Oh,oui,rétorquacedernierenpinçantleslèvres,tuassoutenucesétrangesthéories.Lestrois

quartsdel’Angleterrerespectabletedétestent.—Lamoitié,rectifiaSebastianensouriant.Àenjugerparmacorrespondance,çapourraitmême

se réduire à quarante-huit pour cent. Et parmi ces gens, très peu veulent s’en prendre à moiphysiquement.Leresteveutseulementmevoirbâillonnéoujetéenprison.

Benedictsourcilla,commes’illuiavaitéchappéquecesdernierscommentairesn’étaientqu’uneplaisanterie.

— Inutile de pinailler. Combien de personnes dans ce pays éprouvent ne serait-ce qu’un légerméprispourlagrand-mèredeHarry?

—Laplupartn’enontjamaisentenduparler.—Toninfamieneterecommandeguère.Ilyadesannées,jet’aiprévenuquecelatecauseraitdes

ennuis,maistunem’aspasécouté.Sebastianavaitprissesproposàlalégère.Quelleimportance,silesgensdontilnesesouciaitpas

uneseconden’avaientquefairedelui?Iln’avaitjamaisprisconsciencequesonfrèrecomptaitparmiceuxquinel’appréciaientpas.Benedictavaitlancéquelquesremarquesavecdésinvolture,maisquelgrand frèredignede cenom laisserait passer l’occasiondedéverser ses sarcasmes ?Toutefois, ilconnaissaitàpeinel’hommequesoncadetétaitdevenu.Était-cesisurprenantqu’ilaitcruaurôlequeSebastianjouaitpourlesautres?

—Ilenestpeut-êtreainsi,lâchacedernierenhochantlatête,maisj’aimeHarry.—Moiaussi,maisregarde leschosesenface.Tongrand-pèreétaitduc, tonpèreétaitunriche

industriel;tuashéritéd’unepartconsidérabledesafortuneàsamort.Tunet’espasengagédanslecommerce, le service gouvernemental ni l’armée. Tu es né avec tous les privilèges, et qu’as-tuaccompli?Tuasdécidédedevenirlapirecrapuledetoutel’Angleterre.

Sebastiansentitsonpoingseserrer,maisrefusademontrersacolèreettentaplutôtd’afficherunsouriredécontracté.

—Maisaumoins,j’aiexcelléenlamatière.Celavautquelquechose.Sonfrèregrimaçaetrépliquacalmement:—Oui,tut’eseffectivementsurpassé.Àcetinstantprécis,Sebastianmesural’ampleurduprixqu’ilavaitpayé.Benedictavaitlui-même

marchésurlestracesdeleurpère,reprenantlesrênesdesusinesetdetoutelamachinecommercialedontsoncadets’étaitdéfilé.Ilétaitposé,responsableetcompétent.Leursenfancesavaientétéaussidifférentesquepouvaientl’êtrecellesdedeuxfrères.Oh,ilsavaitquesonaînésedésespéraitàsonsujet,mais il avait toujours vu cela comme un découragement affectueux et fraternel, de ceux quisuscitentunetapesurl’épauleetun:«Tuesvraimentincorrigible.»

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Maiscettedésapprobationétaitincisive,unreprochemalveillantquilepriveraitdesonfrèreetdesonneveud’unseulcoup.

—Tutetrompes,riposta-t-ilàvoixbasse.—Hmm.—Jecomprendspourquoi,poursuivit-ilavantqueBenedictpuisseselancerdansunedeuxième

série de récriminations. Ces dernières années, je ne t’ai guère donné l’occasion de mieux meconnaître.

—Jesaistrèsbienquitues.—Jenesuispascommetoi,maisjecroisquenousavonsplusencommunquetunel’imagines.—Oh?s’étonnasonaînéenarquantunsourcil.—Avecleschoixquej’aifaits,tun’aspasput’enrendrecompte,ceseraitdoncàmoidecombler

lefossé.Tuveuxquej’accomplissequelquechosedansundomainequit’estfamilier?Soit,ceseradonclecommerce.

Sonfrèrerenâcla.—Sebastian,tunepeuxpassimplementannoncerquetutelancesdanslesaffaires.Celaprenddes

années.—Hmm.Il n’avait aucune intention d’y consacrer toute sa vie, mais une idée lui avait titillé l’esprit

récemment, alors qu’il lisait un article dans le journal. Elle était anecdotique, mais ils pourraientl’aborderensemble.Ilsauraientpeut-êtreuneconversationfondéesurautrechosequedesmensongesouladésapprobationdeBenedict.

—Ohnon,soufflacedernier.Jeconnaiscevisage.Tuesentraind’élaborerundetesplans.Jesaiscommenttuprocèdes.Tuvasvenirmevoiretmeclaironnerquetut’eslancédanslecommerce,alorsquenoussavonstouslesdeuxqueceneseraqu’ungenrederuse.

—Certainementpas, le contredit soncadet, déjàdéconcentrépar cequ’il aurait à faire.Pasdetricherie.

Benedictreniflaavecdédain.— Aucun de nous n’a de difficultés financières. Je ne veux pas que tu t’engages dans la

spéculation.Ladernièrechosedont j’aiebesoindem’inquiéterpar-dessus toutest la solvabilitédemoncadet.

—Ceserainutile,affirmaSebastianensouriant.Jeprometsdenepasrisquerplusdequatreoucinqmillelivres,quejepeuxtoutàfaitmepermettredeperdre.Maisj’étaissincère;montravailentant que scientifique est terminé. Et… (il leva les yeux et croisa ceux de son aîné) tu comptesbeaucouppourmoi.Tuasraison;iln’estpasquestiond’argent,maisdepartagerquelquechoseavectoi.

Sonfrèrefitunpasenarrière.— Mon Dieu, Sebastian. Je pourrais presque te prendre au sérieux. À quelle occasion cela

t’arrive-t-il?—Quandçateconcerne.Tueslaseulefamillequ’ilmereste.Harryest…presquecommemon

proprefils.—C’estduràcroire.Tuparlestoujoursdetoutavecdésinvolture.Benedictréfléchit,puis,éternellementsoucieuxdenepasverserdansl’exagération,rectifia:—SaufdeViolet.Violet.Seigneur,ysongerétaitcommesesouvenird’unmembreamputé.Lors de leur dernière entrevue, un autre homme aurait pu contempler son regard stoïque et

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estimerqu’ellen’avaitpasétéaffectée.Sebastianpensaàsesmains.Ellesavaient toujours trahisesémotions.Cette fois-là, elle avait serré lespoings, les tortillantdansune angoisse illisible sur sonvisage.Ileutlanauséeenserappelantcequ’illuiavaitdit.

«J’aidescritères,ettun’yrépondspas.»Unevérité, toutefoisdéforméepourblesser.Qu’elleprétende ne pas avoir de sentiments n’autorisait pas son compagnon à l’offenser quand bon luisemblait.

— Tu connais son intérêt pour la botanique, répliqua-t-il. Elle n’a jamais raté aucune demesconférences.C’estlaseulechosepourlaquelleellemerespecte.

Cequiétaitmalheureusementvrai,ilenavaitbienpeur.—J’airenoncéàcela,poursuivit-il,maistoi,jenet’abandonnepas.Sonfrèreleregardaetdit:—Jesuistrèstouché.C’étaitundébut.Aprèscinqansd’éloignementchronique,Sebastianavaitenfinunpointàpartir

duquels’améliorer.Benedictluisourit;lemomentdevintpresquegênant.Avantquelemalaisen’aitletempsdes’installer,laportedel’écuries’ouvritavecfracas.—OncleSebastian!Lasilhouettefloued’unenfantfitirruption.—OncleSebastian!Quem’avez-vousapporté?—Commentça? s’étonna l’intéressé,évitant soigneusementde tourner lesyeuxvers sonaîné.

Harry,pourquoiimaginerais-tuquej’aiquelquechosepourtoi?—Oh,allezmononcle,nemetaquinez…Legarçons’interrompitbrusquementenapercevantsonpèredansl’obscurité.—Oh,papa,lâcha-t-il,perdantsoudaindesonenthousiasme.Jenevousavaispasvu.—Alorscommeça,tugâtesmonfils,Sebastian?Tun’aspasjugéopportundelementionnertout

àl’heure,n’est-cepas?—Moi,oser«gâter»Harry?Ilétaitimportantdenepasparaîtretropinnocent,ousonfrèredevineraitqu’ilmentait.Àpeinese

félicitait-ild’avoiremployéletonapproprié,qu’illevitluitendrelamainendisant:—Donne-moilesbonbonsetaucunmalneserafait.Avecunegrimace,ilsortitunpaquetdesucreriesdesapochedemanteauetledonnaàBenedict

quiajouta:—Tuterappellescequenousavonsévoqué?Cettechosequetusouhaitais?Faispreuved’un

peudediscipline.C’estunenfant,pasunchiot,etjeneveuxpasqu’ilsoitpourri.— Oh, papa, déplora Harry en les regardant l’un après l’autre. Attendez, que voulait oncle

Sebastian?Jesuisconcerné?Va-t-ilm’emmeneràcettepartiedepêchedont ilparlait ladernièrefoisqu’ilestvenu?Oui?

—Tupourrasavoirunseulbonbonaprèsledîner,luiditsonpèreavecfermeté,enfaisantsauterdanssapaumelepaquetqu’ilavaitexigéderécupérer.Situasétésage.

—Oui,monsieur,acquiesçal’enfantensemordantlalèvreinférieure.Maisdequelleautrechosediscutiez-vous?

—Êtresageimpliquequetuneposespasdequestion.Cette règle paraissait effroyablement ennuyeuse pour Sebastian, mais il tint sa langue. S’il lui

fallaitrépondreauxincessantesinterrogationsdesonneveutoutelajournée,ilpenseraitsansdoutedifféremment.Iljetauncoupd’œilàHarry.

—Nesait-ilpas…

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Nesait-ilpasquetuesmourant?—Non, rétorqua son aîné avec naturel. Je ne crois pas qu’enseigner l’équitation à un garçon

avantqu’ilsoitcapabled’ensaisirlesdangerssoitunebonnechose.—Puis-jemontrerlenidduhibouàmononcle?— Vas-y, accepta Benedict avant de hocher la tête vers son frère. Mais souviens-toi de notre

conversation.Jeteverraiàlamaison.Sebastiansuivitsonneveuenpassantlesportesbattantesdel’écurie.Àprésent,iln’avaitplusqu’à

affronterlemaîtredeslieuxsursonpropreterrain,etluimontrerqu’ilétaitdavantagequecequ’ilavaitvu.Etunefoisqu’ilyseraitparvenu…

IlbaissalesyeuxsurHarry.Unefoisqu’ilyseraitparvenu,ilverraitcequisuivrait.—Ceshibouxsont-ilsféroces?demanda-t-ilàsonneveutandisqu’ilstraversaientlechampen

trottant. Aussi gros que des dragons, munis de griffes épaisses et de becs aussi coupants que desrasoirs?Lareinenousa-t-elleenvoyéstenirleprocèsdeleurscrimes?

—Oui ! convint joyeusementHarry.Ce sont… (Il s’interrompit.)Oh, non. Je ne peux pas.Ceserait…unjeuderôle,non?Papaaditquej’étaistropvieuxpourçamaintenant.

Quelquesheuresauparavant,Sebastianauraitbalayécetteidéed’unreversdelamain.Envérité,ilaurait annoncé qu’il avait un bonbon supplémentaire dans sa poche, et que seuls les meilleurschasseursd’oiseauxnocturnesduterritoirerecevaientleBâtonsucrédeMarrubecommerécompensequandilsvainquaientunniddehibouxvenimeuxàplumesgluantes.

MaisBenedictn’apprécieraitpas.—Oui,confirma-t-ild’untonmaussade,ceseraitfairesemblant.Etsitudisquetuestropvieux

pourça…Ilbaissa leregardsur l’épifoncéquiserebellaitetsedressaitsur la têtede l’enfant,quelsque

soient les efforts de celui-ci pour l’aplatir.Sebastian ébouriffa les cheveuxdeHarry sauvagement,jusqu’àcequesesmèchesbrunessehérissentpourformerunhalo.

—Allonsjeteruncoupd’œilàceshiboux.Violetn’avaitpasvuSebastiandepuisdeuxsemaines,aucoursdesquelleselleavaitespéréquela

douleur infligéeparsesproposs’atténuerait.D’unecertainefaçon,elleréussissaità feindred’allerbien, s’affairant à ses tâches quotidiennes en esquivant le trou béant qui s’était ouvert dans sa vie.Maislaroutinen’aidaitguère,luirappelantseulementtoutcequ’elleavaitperdu.

Preuvede son trouble : elle avait finalement renoncé à jouer la comédie pour venir dans cetteconfortabledemeuredeMayfair.Del’extérieur,lamaisonressemblaitàn’importequellerésidencedistinguée;peintureblanche,mouluresnoires,fleursdansdesjardinières.OnaccueillitVioletdanslatraditionnelleentréeenmarbre,avecl’incontournablebuffet.Maissurlesvastesmarchesmenantau premier étage, il y avait également une petite armée de soldats de plomb en campement,abandonnésparleursgénérauxenpleinepréparationdebataille.

Certains foyers estiment que les enfants devraient être vus et non entendus.Mais la sœur de lacomtesseenavaittroppourobservercetterègleàlalettre.Sonvestibulerésonnaitdehurlementsdepetitsgarçonsetfillesentraindejouer–entrèsgrandnombre.

Lilytrouvaittoujoursdutempspourlavoir,peuimportelafaçondontsaprogénitureenvahissaitsondomicile.Violetnesavaitpasvraimentsisasœur l’aimait ; leur famillen’étaitpasdugenreàaborder de tels sujets. Mais elle adorait Lily, et celle-ci ne pouvait se passer d’elle. Après dessemaines à essayer d’oublier les propos deSebastian, des journées entières les yeux rivés sur desplantesqu’elleavaitfaitgermeravecluiàsescôtés,elleavaitbesoinderéconforterquelqu’un.

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Penseraugentlemanluidonnaitencorel’impressiondes’ébouillanterlapoitrine.Quinzejours,etlesouvenirdesesparoleslabrûlaittoujours.«J’aidescritères.Ettun’yrépondspas.»

Elledétournalesyeuxenreniflant,attendantquelapeinesedissipe;envain.Elletenditdoncsesaffairesauvaletquiétaitvenuàsarencontre.

—Prévenezlamarquisequejesuislà,jevousprie.—Bienentendu,milady,répondit-ilenluiadressantunerévérence.Sivousvoulezbienmesuivre

au…—Attendez!L’appelvenaitdel’étage.Violet leva les yeux et aperçut l’aînée de ses nièces qui lui adressait des signes frénétiques.

Amanda dévala l’escalier, contournant en hâte les fortifications militaires avec une maladresseéchevelée qui la rendait encore plus jolie.Une jeune fille de dix-sept ans ne pouvait qu’être belle.Celle-ciétaitfraîcheetexubérante,enclineàcroirequelavieneluiapporteraitquelemeilleur.Violetespéraitqu’elleavaitraison.

—Matante!lâchal’adolescenteàboutdesouffleenluiprenantlebras.Dieumercitueslà.Jedoisteparler.

La comtesse observa les doigts de sa nièce recourbés sur sa manche. Elle savait qu’elleimpressionnait.Laplupartdesgens la craignaient. Ilsn’osaientpas la toucherni l’étreindre. Ilsnel’agrippaientcertainementpasenaffichantunetellefamiliarité.Seigneur,quelplaisirquequelqu’unlefasse.

Ellepassafurtivementlamainsurcelled’Amanda.—Àquelpropos?—Ilfautquenousdiscutions,insistalajeunefilleenjetantuncoupd’œilenhautdesmarches.Ellesemorditlalèvreinférieure,puisordonnaauvaletquiavaitouvertlaporte:—Billings,allezprévenirmamanque tanteVioletest là.Maiss’ilvousplaît, ajouta-t-elle sans

regardercelle-ci,rendez-moiservice,marcheztrèstrèslentement.Ledomestiquetournalestalonsetsemitenrouted’unpassolennel.—Encoremoinsvite.L’hommes’exécutaens’éloignantdansunmouvementfluide.—Viens,dit-elle.Mêmel’airrenfrognéetcrispédeVioletnel’avaitpasdécouragée.Ellepritsatanteparlebraset

l’emmenaausalon.Lapièce,commetoujours,étaitcosyetaccueillante.Onavaittirélesépaisrideauxsurlescôtés,

de telle sortequeseulsdespansde tissu finprotégeaient la fenêtre, laissantpénétrer la lumièredujour.Lemobilierétaitcrèmeetor,lescouleursd’unsoleilendébutdeprintemps.Lespeinturesauxmursévoquaientunenatureenéveil :des fleurs,des feuillesvertpommeetdeschampsd’herbeàhauteurdecheville.

Maisonarrivaitaumoisdejuin,etladécorationavaitbeaudonneruneimpressiondefraîcheur,l’endroitétaitencoretropétouffant.AmandadésignaunsiègeàViolet,ets’assitgracieusementsurunfauteuilenfaced’elle.Maisaulieudeprendrelaparole,ellefittournersespouces.Quoiqu’elleaitàl’esprit,satanteallaitdevoirentamercetteconversation.

—CommentsepassetaSaison?finit-ellepardemander.Ilétaitparfaitementridiculed’imaginerl’adolescenteassistantàcesévénements.MaisLilys’était

mariéeaumêmeâgeetavaitréussiàavoirsonpremierenfantdanslafoulée.Violets’étaitvupousserelleaussidanslebrouhahadesréunionsmondainesetdesbals.L’expériences’étaitrévéléeterrible,

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mais se déroulerait sûrement mieux pour sa nièce. D’abord, celle-ci n’était en rien aussi gauchequ’elle,etl’hommequ’ellefinirait,elle,parépouser,attendraitplusd’unechosedesapart.

Lacomtessecroisalesmainsenprenantplacesurlecanapébrodédupetitsalon,ets’appliquaànepass’agiterd’inconfort.Lescoussinsétaienttropmoelleux;redresserl’échineluidemandaituneffort.

—Allons,machère,dit-elleàAmandaquiexaminaitlesornementsdesesmanches.Assieds-toidroiteetraconte-moi.

Lajeunefillelevalatête.Elleavaitundouxsourireauxlèvres,etdegrandsyeuxinnocents.—MaSaison,commença-t-elled’unevoixsautillante,sedérouleprodigieusement.Bienentendu,siellesavaitàcepointmentir…—Oh?lâchaVioletensourcillant.—Oui.Mamanpensequ’uncomtevademandermamain.Peux-tulecroire?Moi,unecomtesse?N’importe qui d’autre aurait vu une petite idiote écervelée, découvrant sa première Saison des

étoiles plein les yeux, éblouie par une éventuelle proposition émanant de l’un des plus illustresaristocratesd’Angleterre.

Violetfrissonna,sefigurantsanièceencomtesse,commecellequ’elle-mêmeétaitdevenue.Aussifroidequelapierre,incapablededonnerdavantage.

—Iln’aquequelquesannéesdeplusquemoi,poursuivitAmanda,et ilestbeau.Et…(Savoixs’évanouit,tandisqu’elleregardaitdanslevide.)Et…

Etlalistedesesqualitéss’arrêtaitlà.Violetattendit,maisaucuneautrevertuneseprofilait.—Grand-mère ne t’a donc rien appris ? finit-elle par lui demander. Si tu veux qu’on te croie

intéresséeparuneéventuelleunion,tudoistrouverdemeilleureslouangespourtonprétendantque«pastropvieux»et«d’allurepassablementagréable».Jetesuggère«gentil»et«romantique».

Leslèvresdel’adolescentetressautèrent,maisellenesedépartitpasdesonfauxairinnocentetémerveillé.

—Bon.Jerecommence.Ilamonâge.Ilestbeau,gentil,etterriblementromantique.Tusaistouslesavantagesdontjevaisbénéficierunefoisquejeporteraicetitre.

Violeteutungoûtamerdanslabouche.—Certes.—Quandjel’auraiépousé,jefiniraiparl’aimer.Non?Violetdevinaitcequ’ellevoulaitl’entendredire.«Oui.Évidemment.»Peut-êtreaccepterait-elle

unplusprudent«c’estprobable».—C’estcequim’estarrivé,finit-elleparrépondre.Etmonépouxm’aimait.Tuesunepersonne

attentionnée,Amanda.Lespremiersmoisdemariage sont intimes. Ils rapprochent les gens,mêmes’ilsn’yétaientpasvraimentdisposésaudépart.

Saniècehochalentementlatêteenméditantsespropos.Cequicomptaitvraimentétaittoutcequisuivaitcespremiersmois.

—Jeconnaisdespersonnesquiontconvolésansamour,etl’ontcependanttrouvé,déclaraViolet.J’en ai vu d’autres se marier par amour, et se détester à la fin de l’année. Et j’ai une amie quin’éprouvaitrienpoursonfiancéaumomentdel’épouser,elles’estconvaincueducontraireaufildespremièressemaines,et…

—Etquoi?s’enquitAmanda.—Et alors elle s’est aperçue qu’elle se trompait, conclut sèchementViolet. Si tu possèdes une

onced’indépendance,unmariserévélerairritant.Ilt’imposeradesrègles,quetuserascenséesuivre.S’illesouhaite,ilpourracontrôlertesamitiés,tesenviesfutiles,tesloisirs.Certainsconjointsveulent

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temodelerenuneautrepersonne.Peu importesi tuesenmarbreetnonenargile, ilexerceraunepression incessante sur toi, et tant que tu ne te seras pas soumise à lui, il te donnera l’impressiond’êtrelacréaturelaplusméprisableetégoïsteaumonde.

Amandaportaunemainàseslèvres.—Est-cecelaquit’estarrivé?—C’estabsurde,rétorquabrusquementViolet.Jetel’aidéjàdit.Jeteparled’uneamie.L’adolescentedéglutit.—Maistunet’espasbrisée,matante.—Ilnes’agitpasdemoi,dit-elleenlevantlesyeux.—Oh,trèsbien.Ton«amie»n’apascédé,n’est-cepas?Violetseredressasoigneusementens’efforçantdesoutenirleregarddesanièce.—Ellen’étaitpasfaited’unematièresusceptibledecasser.Maismêmesil’onn’estpasdugenre

àsefendreendeux,souslapression,n’importequicommenceàcéder.Noussommestousfriables.Amandaassimilacesparolesensilence.—Jesuisfaited’unematièrequisebrise,dit-elleenfin.Jemefissuredéjà.Toutcequej’entends,

c’estmamanm’interrogeantsurcequimedéplaîtchezlui,etquandjesuisàcourtd’arguments,quejeluidisquec’estunhommetoutàfaitcharmantmaisquejenesouhaitepasl’épouser,alors…

Laportes’ouvrit,etLilyentraprestement.Quandellesétaientplusjeunes, lesgensdisaientqu’ellesseressemblaientcommedesjumelles,

malgré lesdeuxannéesqui les séparaient.Quels idiots.Lily était à l’évidencebeaucoupplus jolie.Elleavaitlescheveuxondulés,brunsetbrillants,etdesjouesrondesavecdesfossettes.Ellesouriaitenpermanence,unvéritableenchantement.

Ellerayonnaenapercevantsonaînée,traversalapièceet,avantquesasœurn’aitletempsdedirequoiquecesoit,ellelapritparlespoignetsenlahissantdebout.

—Machérie,s’exclama-t-elle,jesuissiheureusedetevoir.Quasiment personne sur cette Terre n’enlaçait la comtesse. Sauf Lily, qui la souleva dans une

féroceétreinte.Commec’étaitagréable.Etpourtant,quandellelevaunemainpourtapoterl’épauledesasœur,Violetsesentitsibêtequ’ellegardalesdoigtsenl’air,avantdeleslaissertoutdoucementretomber.

Sacadettereculaetdit:—Tum’astantmanqué.Tueslittéralementlaseuleaumondequipuissecomprendrecequise

passeencemomentmême.Ilmefauttonavisettonaide.—Jevois.Dieumerci.Elleavaittoujoursbesoind’elle,etVioletl’adoraitpourça.Elleavaittoutcequ’une

femme convenable devait désirer : un mari qui la chérissait, une vie remplie des choses qu’ellevoulait le plus, et des brassées d’enfants. Et pourtant, elle avait besoin de sa sœur. Ce qui donnaitpresqueàcelle-cil’impressionquel’onpouvaitl’aimer.

—Oui,repritLily,agitantsonindexd’unairtaquinverselle,tuvoisbien,depuistoujours.C’enesttroublant.(Violetnefitaucuncommentaire.)Alorsvoilà…

Elles’interrompitetseretournaens’exclamant:—AmandaLouiseEllisford,pourl’amourduciel,quefais-tudanslesalon?Lajeunefilleécarquillalesyeuxavecuneadorableetparfaiteinnocence.—Mais je tenais simplement compagnie àma tante jusqu’à ceque tu arrives, c’est tout. Jeme

contented’êtresociable.Sontondésinvoltenedupaitpasplussamèrequeleurinvitée.Lilyposaunemainsursahanche.

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—Pensais-tuqu’elleteberceraitdesympathieetautresmotsaimables?—TanteViolet?«Aimable»?Biensûrquenon,mais…—Tuesune fille fort stupide, répliqua samère,mais je suis certainequ’elle te ramènera à la

raison.Sesparolessonttoujourspleinesdebonsens.Maintenant,arrêtedetemorfondre,etsoisunpeufièredecequetuasaccompli.Tuvasdevenircomtesse.

—Oui,maman.—Etnemeparlepassurceton.Jedevinequ’intérieurement,tulèveslesyeuxauciel.—Oui,maman.Cetteréponsesortitd’unevoixfrôlantunpeuplusladocilité.—Bon.À présent, accorde-moi une chance dem’entretenir avec ta tante sans qu’aucun de tes

frères et sœurs vienne nous déranger, et quand nous aurons terminé, tu pourras aller te promeneravecelledansleparc.Jenevousaccompagneraimêmepas.Celateparaît-iléquitable?

Àcesmots,levisaged’Amandas’illumina.—Oui,maman,acquiesça-t-elle,etcetteréponsefutlaplusrespectueusedetoutes.Elleleuradressaunefurtiverévérenceetleslaissaseules.Lilylaregardas’éloignerensouriant.—Cettefille,souffla-t-elle,ensecouantlatête.Ellevam’achever.Maissonsourireétaitempreintdefierté,sesyeuxluisaientd’autosatisfaction.—Ellechangerad’avis,finit-ellepardéclarer,ensetournantensuiteversViolet.J’aibesoinde

tonaide,trèschère.Désespérément.Toutétaitdésespéréavecelle,depuistoujours.Violets’appliquaàafficherunairobligeant.Manifestement,cenefutguèreefficace,carsasœurlâchaunsoupirexaspéréendisant:—S’ilteplaît,écoute-moi,simplement.Cettefois,c’estsérieux.—Jesuistoutouïe.—Bon,rétorquaLilyenrejetantlatêteenarrière.C’estmaman.ElleessaiedefaireàAmandace

qu’ellenousafait.Violetclignadesyeux,dubitative.—Tusaiscommentc’était,poursuivit-elleenluitouchantlamanche.Ilm’afalludesannéesaprès

monmariagepourarriveràfairevraimentconfianceàThomascommeuneépouseledevrait.J’étaissioppresséeentrelesrèglesdenotremèreetlesrèglesfantômes,cequ’onpouvaitdire,oupas.Sanslapatienceetl’amourinaltérablesdemonmari…

Elledéviasonattentionversletapis,semblantyobserverlapromessed’unsinistreavenir.—Non, reprit-elleàvoixbasse.Jenesupporteraipasquemamansoitsur ledosd’Amandade

cettefaçon.Ellenousadéjàfaitassezdemalàtouteslesdeux,etc’estseulementgrâceàDieusinousnousensommesremises.

Parlepourtoi,voulutrétorquerViolet.Lesconsignesdelabaronnenel’avaientpasblessée.Ellesluiavaientétéindispensables.Maisalors,elleétaitendemandedeleçonspourapprendreàsecacherdesautres.ToutlemondeappréciaitdéjàLilyexactementcommeelleétait;inutilepourelledefairesemblant.

Violetlacontempla,avecsesgrandsyeux,sescheveuxchâtainsparfaitementcoiffés,sonvisageidentiqueausien,maisplusdélicat;lenezplusfin,leslèvrespluscharnues,leregardpluspétillant,moinsderidessurlefront.Toutcelalarendaitjolieetdouce;cequeVioletn’avaitjamaispuêtre.Elle-mêmeétaitanguleuse,contondante.

—Tusais,dit-elleavecprécaution,cen’estpascommesimamanavaitagisansraison.— Cette rumeur est morte et enterrée. Ces mensonges ne peuvent plus atteindre mes enfants

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désormais.Violetsedétourna.Iln’avaitpasétéquestiondecommérages,maisd’unscandale,quiauraitpu

touslesdétruire.—Des«mensonges»?répéta-t-elleàvoixbasse.Commentça?Lilyfitungesteimpatientdelamain.—Oui,oui,jesais.Nejamaistenircomptedecequipourraitblesser.Violet ne faisait pas allusion aux règles de leurmère.Mais sa sœur exprima bruyamment son

agacement.—Noussommesunefamille.Etjesaispertinemmentqueturessenslamêmechosequemoi.Ce

quemamannousafait–cequ’elleafaitdenous–étaitinsupportable;noussommesdevenuesdescréaturesduresetméfiantessansraison.

Seigneur, Lily croyait vraiment cela. N’avait-elle jamais vu combien les circonstances étaientdésespérées ?Quand les détails sordides de l’autopsie avaient surgi, avec cesmots codés demort«présuméeaccidentelle»,leschuchotementsavaientcommencé.Violetlesavaitentendusau-dessusducercueildesonpère.Elles’était tenue là,àquatorzeans,gaucheetdisgracieuse, lenezen l’airparcequ’elleignoraitcomments’yprendreautrementpournepaspleurer.Elleavaitprisfermementlamaingantéedenoirdesamère,quiavaitserrétropfortsespetitsdoigts.

Lelendemain,laveuveavaitprisplaceavecsesfillesaupetitdéjeuner.— J’écris un livre, avait-elle annoncé. Sur les bonnes manières, et vous allez en illustrer les

enseignements.LilyetVioletl’avaientdévisagéeavecconfusion,endeuilléesethagardes.— Il y aura un grand nombre de règles, les avait-elle informées. Celles que l’on applique en

public,quiapparaîtrontdansleguide,etcellesquel’onobserveenprivé,quevousdevezsuivredeplusprès.

Àl’époque,Violetn’avaitpascompris.Elleavaitentamécesleçonsavecperplexité.«Unedamenerelèvejamaisuneinsulte.»C’était larèglepublique,cellequiavaitfinidansLe

Guide des bonnesmanières pour dames.Mais le «Guide fantôme », surnom que les filles avaientdonnéauxrèglesprivéesimposéesparlabaronne,étaitplusexplicite.

«Unedamenerelèvejamaisuneinsulte,maisnel’oubliejamaisnonplus.Ellerendlapareille,quelquesoitletempsqueçaluiprend.»

«Unedamenementjamais,claironnaitLeGuide.L’authenticitédesesparolesestsonbienleplusprécieux.»

« Une dame ne se fait jamais surprendre en plein mensonge, ripostait sombrement le Guidefantôme,maisilexistesixpointssurlesquelslagentféminineneditjamaislavérité.»

«Unedamepartagesabonnefortune»,disaitLeGuide.Maissaversionfantômeprécisait:«Unedameprotègecequiluiappartient,etnelaissepersonned’autreenavoiruneportion.»

Aufildecetteannéededeuil,elleleuravaitmartelétouteslesrèglesdanslecrâne.Personnenedécouvritjamaisquelsmensongesellesavaientracontés,caronnelessurpritjamaisenpleindélit.

Et lorsqu’elles avaient fait leur entréedans lemonde, c’était le guide fraîchement parude leurmère qui avait dominé les conversations. Et non la question de savoir si leur père s’était suicidé.Intelligente,cetteveuve.Elleavaitfaitensortequetouslesyeuxseriventsursesfillespourguetterlesmauvaisindices,etleuravaitapprisàcachercequepersonnen’étaitautoriséàvoir.

Ellesavaientétéparfaites,desmenteusesabsolumentremarquables,fabulantdeleursplusbeauxsouriresetdeleurmaintienirréprochable.

Lilypensaitpeut-êtrequec’étaitaffreux,maisVioletparvenaitàvoircetapprentissagepource

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qu’ilavaitété:nécessaire.Lilyn’avaitjamaispardonnéàleurmère;Violetadmiraitcettefemme.Enfant,ellen’avaitjamaissongéauchagrinpersonneldeleurparente.Combienilpouvaitluiêtre

pénibledesourireensupportantd’entendrelespiresinsinuations.Ellelereconnaissaitàprésent:leurmèreavaitrelevélatêteettenubon,refusantdelaissersatristesseetl’«accidentprésumé»desonépouxnuireàl’avenirdesesfilles.

— C’est parfaitement inutile, affirmait Lily. Chaque fois qu’Amanda lui rend visite, mamancommenceàluiinculquersesrègles.Leguidecomplet.Elleapprendàmafillelessujetssurlesquelstouteslesdamesdoiventmentir.(Ellelevalesbrasenl’air.)Dupern’estenaucuncasacceptable!Ellemeditqu’onnesaitjamaisquandunscandalepeutéclater,etqu’ilvautmieuxyêtrepréparée.As-tudéjàentenduunargumentaussiinsensé?Àquelgenredetapages’attend-elle?

Violet s’efforça de paraître aussi perplexe qu’elle,mais son esprit avait déjà devancé sa sœurd’unelongueur.Elleavaitrédigédesdizainesdedocumentsportantsurl’hérédité,etparconséquentsur les relations sexuelles, dansdes termesclairs et sansdétour.Elle se rappela celuiqu’elle avaitpublié expliquant les habitudes reproductrices de la phalène du bouleau, l’incidence relative dediversesteintesdepapillonsdenuitdepuisledébutdelarévolutionindustrielle,etlerapportdetoutcelaaveclesthéoriesévolutionnistesdeDarwin.EllepensaauxgensquiassistaientauxconférencesdeSebastian,brandissantdespancartesencrianttoutessortesdequalificatifs,etlesimaginalasuivre.

«Dégoûtant»,avaitmurmurécettefemmederrièreelle.«Undépravédesplusimmoraux.»En principe, leur mère n’en savait rien. En pratique, Violet n’avait jamais la bêtise de parier

contreelle.Elledevraitabsolumentluiparler.Lilysecouaitlatête,nesedoutantguèredesréflexionsdesonaînée.— C’est ce que je pensais. Pas l’ombre d’un scandale. À moins que tu caches quelque chose

d’excitant.«Ilexistesixpointssurlesquelslagentféminineneditjamaislavérité.»Violetsouritàsasœur,avectoutelabienveillancequ’elleétaitenmesurederassembler.—Bontédivine,s’entendit-elledire,d’untonméticuleusementtravaillé.Depuisquandpuis-jete

cacherquoiquecesoit?—Ehbien,réponditLilyavecmalice.IlyaMrMalheur.Violetclignadesyeux,craignantdeprendrelaparole.— Sa réputation ? poursuivit la maîtresse des lieux, dans un coup de coude taquin. Avec les

femmes?Tuesconscientedeça,quandmême?Nedispasquetuasfinalementsuccombé.—Oh,réponditlacomtesseenreprenantsonsouffle,tuparlesdeça.Tusaisquenousnesommes

quedesamisd’enfance.Nousnesommesmêmepluscela.Lilysouritetposaunemainsurlepoignetdesasœur.— Je blague,ma chérie. Je sais évidemment que tu ne t’impliquerais jamais dans ce genre de

relationaveclui.(Elleluiadressaunclind’œil.)Ilestsiaffreux,avecsesterriblesconférences!Situavaisunjourl’égoïsmedeluicéder,jedevraist’ignorer.

Elleéclataderire.Violetl’observa,écoutacettehilaritéunpeutropgrinçantepourêtrejoviale,etsaisitqueLilyne

plaisantait pas. Il s’agissait d’un avertissement, pas d’unemoquerie affectueuse. Elle déglutit avecdifficulté. Voilà pourquoi sa cadette n’avait jamais compris leur mère. Celle-ci savait ce qu’étaitporterlescandaledanssoncœur,êtreconscientequelavéritévousferaitbannirpourtoujours.Lilyn’avaitjamaisassimilécela.

—Alorstuparlerasàmaman,dit-elle.Convaincs-lad’arrêterderemplirlecrânedemafillede

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tellesabsurdités.Ellenem’écoutejamais,maistoi…—C’estparcequejelacomprends,fitobserverViolet.—Oui,acquiesçasasœuravecdésinvolture,tuesaussidifficilequ’elle.Susceptible,compliquée.

(Elle lança cette remarque comme un simple constat, sur lequel tout le monde était d’accord.) Etpourrais-tudiscuteravecAmanda?Quelquechoselapréoccupe,unefutilité.Toi,ellet’écoute.

—Tuveuxplutôtquejeladupe,marmonnaViolet.Lilysoufflaetluitapotal’épaule.—Jet’enprie.Tuesmonseulespoir.Sonaînéereniflapoliment.MaisLilylaconnaissaittropbien.Ilétaitplaisantd’êtrecelledonton

avaitbesoin,neserait-cequepourcettevétille.—Jeleurparleraiàtouteslesdeux.Et si ces tâches ne chassaient pas de son esprit les propos lancinants de Sebastian – « j’ai des

critères.Ettun’yrépondspas»–,riennelepourrait.

1.Enfrançaisdansletexte.(NdT)

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Chapitre4

—Alors,raconte-moitoutsurceprétendantquetunesouhaitespasépouser,ditViolet.Ils’étaitécouléunedemi-heuredepuisqu’elleavaitquittésacadette.Ilfaisaitchauddansleparc,

etsonchapeauàlargesbordsprotégeaitàpeinesonvisagedusoleil.Toutefois,ellesn’avaientaucunautre endroit pour converser sans être interrompues. Amanda avait sept frères et trois sœurs ;l’intimitéétaitunedenréeraredanssonfoyer.

Lajeunefillerougit.—Jen’aijamaisdéclaréquejenevoulais…—Dieuxduciel.Sinousdevonsdiscuteràdemi-motdecettehistoire,celanenousmèneranulle

part.Netienspascomptedesconseilsdetagrand-mère,pourunefois.Baisselatêteetchuchote.Sanièce inclina lementon,mais restamuette.Elle jetauncoupd’œilàViolet,puisdétourna le

regard.—Oh,allons. Jevais t’aiderà te lancer.Celacommenceainsi :« Jene suispasamoureusede

lui.»—Pire.—Tuaimeslegarçond’écurie.Amandasouritmalgréelle.—Non.Iladouzeans.—Bien.Çanepeutpasêtreaussiterribleques’enticherd’unenfantauservicedetafamille.Alors

raconte-moi.L’adolescentegrimaça.— Je suis allée voir mon amie Sarah. Elle s’est mariée il y a deux mois, tu sais ? Elle m’a

expliquécequisepassaitquandondevenaituneépouse.—Oh?Le moral de Violet chuta. C’était une chose de rendre service à Lily. Mais elle refusait

catégoriquementd’avoir ladiscussionàbasede«lesmembresvirilsnesontpassinuisibles,etenfait,beaucoupdeconjointesfinissentparlesapprécier»avecsanièce,àHydeParkquiplusest.

—D’aprèscequejesais,poursuivitAmanda,tuprévoislesmenus,tugèreslesdomestiques,etturendsdesvisites.(Ellesouffla.)Voilààquoiserésumetavie,unefoisquetuesmariée.

MerciSeigneur.Cen’étaitpaslaconversationsurlavirilitédeshommes.—Celaparaîtsiennuyeux,gémit-elle,avantdetournerlesyeuxverssatante.Enfin…Jeneveux

pasdirequetuesennuyeuse.Nimamère.C’estjusteque…Violettapotasesdoigtslesunscontrelesautres.—Ilexistedesœuvresdebienfaisance,dit-elle.Tupourraisteportervolontaire.Lajeunefillesoupira.— C’est bien beau la charité, mais les organismes pour dames distinguées paraissent

particulièrement inutiles.Celan’aaucunsensdepasserquatreheurespar jourà retrouverd’autresfemmesdanslebutdetricoterdescollantspourlesnécessiteux,surtoutsitudoispayertroisshillingsà l’association pour le thé que tu bois là-bas. (Elle fit la moue.) Si l’on consacrait cet argent àembaucher des femmes qui travailleraient à la pièce, on pourrait à la fois fournir un emploi aux

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pauvres,etproduiredemeilleursvêtementsqueceuxqueproduisentnoshasardeusestentatives.Violetluijetauncoupd’œil.— Je vois pourquoi ta mère s’est débarrassée de toi dans mon giron, fit-elle sèchement

remarquer.Turaisonnesaveclogique.Deplus,sacadettesemblaitl’imaginerenfaveurdumariage.Cetteinstitutionnes’avéraitpassi

fâcheusepourdesgenscommeLily.Maisc’étaitparsafautequeVioletavaittrouvésibonparti.Ellequi était tellement banale et inintéressante n’aurait jamais attiré l’attention une seule seconde, si sasœur ne s’était pas révélée d’une ahurissante fertilité. Dans l’esprit d’un comte vieillissant, saféconditéprésuméel’avaitemportésurtoutlereste.

—Lemariagedanssonintégralitémeparaîtêtreunepertedetempscolossalepourmoi,déploraAmanda.Pourquoiunefemmeconsent-elleàça?

—Parcequ’ellen’apasmeilleureidéedecequ’elledoitfairedesavie?proposasatanteavecraideur.C’estpourçaquelaplupartdesgenslefont.

—Voilàunmotifabsolumentexaspérant.—C’esttoutlesystèmequil’est.Tudevrast’yhabituer.—Ha,lâchal’adolescente.Cequ’ilmefaut,c’estunmoyendedistrairemaman.Quelquechose

quil’occupejusqu’àcequej’aietrouvéunesolution.Unesonneried’alarmesemitàrésonnerdanslecrânedeViolet.Elledevinaitquelaconversation

neprenaitpasladirectionqueLilyauraitsouhaité.—Viendrais-tuavecmoienAmérique?demandagentimentAmanda.—Non.—EnFrance?—Peut-être,maispasassezlongtempspouréviterlaquestiondetonmariage.—TanteViolet,tuesmonseulespoir.ExactementcequeluiavaitditLily.—J’ysongerai,soupira-t-elle.Sasœurvoulaitqu’elleconvainqueAmandadesemarier.Saniècevoulaitqu’elle ladélivrede

cettesituation.Par-dessustoutcela,samèreavaitsansaucundouteélaboréunprogrammeauquelellenepréféraitpaspenser.

Ellenesevoyaitpasmentirà la jeunefille.Celle-cine le luipardonnerait jamais.Maisellenes’imaginait pas non plus lui dire la vérité : « Tu peux faire une affaire en or si tu acceptes cetteproposition.Assure-toiseulementquetagrand-mèrenégocieunexcellentaccord,priequetonépouxdécède,ettrouveensuitequelqu’und’autrepours’attribuerleméritedecequetuveuxaccomplir.»

Seigneur,queldésordre.Unhommesetenaitaumilieuduchemin;ellelevitàpeine,plongéedanssespensées,etfitun

pasdecôtéenentraînantAmandaavecelle.Cefutalorsqu’unevoixinterrompitlefildesesréflexions.—Ehbien,bonnejournéeàvousaussi.Cetteintonationluiétait–trop–familière.Violetrelevalatête,ettombasurdesyeuxfoncésquilaregardaientavecincrédulité.Jadis,une rencontre fortuiteavecSebastian l’aurait réjouie.Àprésent, levoir lablessait, et lui

rappelaitlesproposqu’ilavaittenusdeuxsemainesplustôt.Ellesecoualatêteetsedétourna.Cesouvenirétaitunpoignardquinecessaitdelalacérer.Il l’observait avec cet éternel petit rictus qui pouvait troubler un étranger ; mais Violet savait

parfaitement ceque signifiait cette expression.Sur le visaged’un autrehomme, il aurait pu s’agir

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d’unegrimace–commes’ilavaitsentiuneodeurpestilentielle,etnevoulaitpasgênerquiquecesoitenfaisantremarquerqu’onavaitlâchéunvent.

—Pardonnez-moi,dit-elleenlissantsesjupes.Ya-t-ilunproblème?—Allais-tuvraimentmepasserdevantsansmêmemesaluer?demanda-t-il.—Jenevousavaispasvu,monsieur.Ilgardalesourire,maissesyeuxbrillèrent.—Oh,tunem’aspasvu,vraiment?Est-cedonclafaçondontçavasepasser?—Non,jesuissincère.Jenevousavaispasvu.Maispourquoisesentait-elleaussicontrite,alorsqu’ilétaitceluiquiavaitditceshorreurs?—Jevousassure, reprit-elle, jepensaisàautrechose. Jecroisque jen’auraismêmepasvu la

reinevalseravecunzèbre.LabouchedeSebastiantressautad’unamusementréel,quoiquemalgrélui.—Parailleurs,poursuivit-elled’untonaussimesuréquepossible,jesuisiciavecmanièce.Elle

vitsapremièreSaison,etelleauneréputationàpréserver.Vousnedevriezpasvousrencontrer.Lajeunefillesetenaitàcôtéd’elle,l’attentionrivéesurluiavecunecuriositécirconspecte.—Exact,convint-il.Évitonslesprésentations.VousêtessûrementladyAmanda.Celle-ciesquissaitunerévérencelorsqueVioletluiattrapalebrasensecouantlatête.—Nousne sommespasofficiellementprésentés,dit-il.Vousnemeconnaissezpas.Ahau fait,

celuidontvousignoreztouts’appelleSebastianMalheur.UnpetitcriétouffééchappaàAmanda,etellereculad’unpas.—Matante,tuconnais…cetindividu?—Oui,soupira-t-elle.Tamèreetmoileconnaissonstrèsbien.Ilagrandidansunemaisonàun

demi-miledecelleoùtagrand-mèrenousaélevées.— Ne vous inquiétez pas, dit-il à l’adolescente. J’essaierai d’attendre un peu avant de vous

séduire.Violetsentitpoindreunemigraine.—Sebastian,tunepeuxparlerdeséductionavecmaniècequiestencoredemoiselle.Unautrehommeauraitrougiavantdeprésentersesexcuses.Maisilsecontentadeluiadresserun

sourireeffrontéetunclind’œil.—Jeneparlaispasdeséduction,maisdenon-séduction,cequi,commetul’assansaucundoute

deviné,estprécisémentlecontrairedelaséduction.—Voilàquiestfallacieux,riposta-t-elle.Sijetedemandaisdenepasévoquerleséléphantsetque

tudéambulaisenbeuglantsurlesnon-éléphants, tuparleraisd’éléphantstouteslesdixsecondes.Lacolonnedetouslesélémentsquinesontpasdeséléphantscomprendlesmarsupiaux,lescanidés…

—Etpaslesnon-éléphants?s’étonna-t-ilenexaminantinnocemmentsesongles.C’estparadoxal.—Lacolonnedessujetsdeconversationquineserapportentpasauxéléphants,soulignaViolet,

n’inclutpasundébatsurletrouenformed’éléphantdanslaconversation!Amandalesobservaitd’unairinterrogateur.—Dieuxduciel, s’exclama-t-elle, fascinée,ense tournantversSebastian.Vousêtesdoué.Vous

avezentraînétanteVioletdansunediscussionhorsdepropossansmêmeleverlepetitdoigt.L’intéressée renifla, se rappelant soudain qu’ils se tenaient dans le chemin au beau milieu de

HydePark.—Vousmefaites tropd’honneur,déclara-t-il. Ilse trouvesimplementquecetéchangeestparti

surlaformedeséléphants.Ilacommencéavecleséléphants,s’estpoursuivisurleséléphants…Ilestbaliséd’éléphants.

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—Delourdséléphants,précisaViolet.Sonanciencompliceacquiesçaavecunegravitéfeinte.—Tousmeséléphantssontlourds.—Sebastian,souffla-t-elle,àboutdenerfs.Tunepeuxpas…Nousnepouvonspas…Maiselle ignoraitcomment finircettephrase.Tunepeuxpasessayerdem’amadouerpourque

j’oublietesparoles.—Jevaisexploser,marmonna-t-elle.—Nefaispasçaenpublic,conseilla-t-ilavecunefausseinquiétude.Elleledévisagead’unœilnoir.Illefallait,pournepaséclaterderire.Elleseplaquaunemainsur

labouche.—Plusd’éléphants.— Si tu insistes. Voici un thème que je voulais aborder avec toi, et qui nous éloigne des

pachydermes:lesnavires…—Les«navires»?répéta-t-elle,complètementdésarçonnée.—Oui.Tu sais, lesbateaux.Ces choses flottantesqui sedéplacent sur l’eauet transportentdes

marchandises?Enutilisantlaméthodedesmoindrescarrés,j’aicommencéà…—Laquoi?(L’amusementqu’elleéprouvaitmalgréellesedissipa.)Jen’aiabsolumentaucune

idéedecequeturacontes.Elleauraitpuluidonneruncoupdepied.LacomtessedeCamburyn’étaitpascenséemaîtriser

lesmaths.—Peuimporte,soupira-t-il.Cesontjustedeschiffres.Tunecomprendraispas.—Eneffet.Gardezvoscalculsmaritimespourvosamis,MrMalheur.Jesuisoccupée.Ilfronçalessourcils,ouvritlabouche,puislareferma.Amandapritunairrenfrogné.—Jenesaispassivousvousdisputez,dit-elle,ousic’estvotremodedecommunicationhabituel.—C’estlemodehabituel,réponditViolet.MaisSebastianrépliquasimultanément:—Nousnousdisputons.Ilcroisasonregardaprèsuninstantembarrassant.—Cen’estpasunequerelle,s’obstina-t-elle.Nousavonsunepetitediscussiondiplomatiquesur…

lanomenclature.Ilretirasonchapeauetsepassaunemaindanslescheveux,lesébouriffantd’unemanièreaussi

agaçantequ’adorable.Ellerefusaitcatégoriquementdeletrouveradorable.—Écoute,Violet. Je saisqu’encemoment,nousavons…des raisonsd’êtregênésquandnous

nousvoyons.Maisnousdevonsnousefforcerderestercourtois.Oliversemariedansquelquesjours.Nousallonsforcémentnouscroiser.Onfaitunetrêve?

Lesnocesd’Oliver.Ilss’ycôtoieraientpendantdesheures.Ilauraittoutletempsdel’enjôlerpourlaconvaincredereprendrelefildeleuramitié.Ilsuffisaitdeconstatercequ’ilavaitréussiàfaireencinqminutesdeconversationsurlesnon-éléphants.Elledétournalesyeux.

—Celaneposeraaucunproblème,déclara-t-elled’untonneutre.Illaconnaissaitmieuxquepersonne.Àcesmots,ilretintsonsouffleetavançad’unpas.—Tun’envisagespasderesteràl’écart?s’enquit-ilavecunesoudainegravité.—Pourquoi?Lemarién’estpasmonamid’enfance, rétorqua-t-elle,unebouledans lagorge.

C’estletien,tuesdoncprioritaire.—Janeesttonamie,aucasoùtul’auraisoublié,quantàOliver…— Miss Jane Fairfield, l’interrompit-elle, pense seulement que je pourrais être une bonne

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compagneparcequ’elleestconnuepoursonmauvaisgoût.Àlasecondeoùelleeutprononcécesparoles,elles’aperçutcombienellesétaientterribles.Elle

déglutit,secouvritlaboucheetsoupira.Seigneur,elleétaitodieuse.Odieuse,horribleetégoïste.ElleappréciaitJane.Seulement…ellese

sentaitsiirritable.Quepouvait-onattendred’autre?Sonmondes’écroulait,etelledevaitagircommesicen’étaitmêmepaslesien.

—BonDieu,Violet,grondaSebastian.—Nejurepasdevantcetteenfant.—BonDieu,répéta-t-il.Tunousmanquerais.Tumemanqueras.Ellerelevalatêteàcespropos,lecœurserré.Elleremarquaalorscequiluiavaitéchappéjusque-

là : les cernes sombres qu’il arborait, son teint trop pâle. Elle était si absorbée par sa propresouffrancequ’ellen’avaitpasdécelécelledeSebastian.

—Vousvousdisputez,fitobserverAmandaàcôtéd’elle.Iln’étaitjamaisvenuàl’espritdeVioletqu’elleaussipouvaitluimanquer.Commesicethomme

avaitétésonamant,passeulementceluiavecquielleavaitcomplotédurantlescinqdernièresannées.Ilsnes’étaient jamais touchés,au-delàdufrôlementaccidentelde leurscoudes,qu’elles’appliquaitégalementàéviter.Maisàleurfaçon,ilsavaientétéplusprochesqu’uncouple,plusintimesquedesamis.Elle avaitmis tout cela à distance,mais ne pouvait admettre à voix haute qu’envérité, il luimanquaitaffreusement.

—Trèsbien,marmonna-t-elle.J’irai.Sebastiansouritavecsoulagement,etAmandapoussaunsoupiravantdelancer:—Fabuleux,maintenantréconciliez-vousenvousembrassant.Violetreculabrusquement.Lajeunefillen’avaitpasvoululediredecettemanière.Elleneparlait

pasd’unbaiserromantique.Toutefois,enentendantceterme,VioletpensaauxlèvresdeSebastian,àson parfum si indescriptible et réconfortant. Il existait des limites à ne pas dépasser, et songer àembrassersonmeilleuramienfaisaitpartie.

Sebastianhaussalesépaules.—Pasça,ditViolet.Ilparlaenmêmetempsqu’elle:—Pourquoinepasaumoinsseréconcilier?Puis, parce que leurs réponses se chevauchaient une fois encore, chacun lisant les pensées de

l’autre,elleréprimaunsourire.Elles’étaitmontréeignoble.Ilméritaitmieuxquesesbouderies.Ellene savait comment naviguer dans cette nouvelle phase de leur amitié… mais ne se pardonneraitjamaisdenepasessayer.Ellesoufflalonguement.

— Nous devons partir, annonça-t-elle en lui jetant un coup d’œil. Je n’ai plus de temps à teconsacrer.

—TanteViolet !protestasanièce, tandisqu’elle luiprenait lepoignetpour l’emmener.Quelleimpolitesse ! Que penserait-on de toi si l’on t’entendait parler ainsi ? Même si c’est en effet undébauché.

La comtesse se moquait de son opinion. Après tout, c’était grâce à sa phrase d’adieux queSebastianaffichaitcesourireéclatant.Lui,ilsavaitcequ’ellevoulaitdire.

Iln’yavaitaucunintérêtàutiliseruncodesitoutlemondelecomprenait.Violetétaitassisedanslevastesalondesamère,perchéesurleborddesonsiège,rêvantdese

trouvern’importeoùsauflà.

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ElleétaitvenuejusteaprèsavoirvuSebastianetrendusanièceàsasœur.Labaronnes’inquiétaitd’une sorte de scandale. Si elle savait ce que Violet avait fait les cinq dernières années, laconversationneseraitpasagréable.Sinon,autrechose la tourmentait.Quoiqu’ilensoit,elleavaitpromisàLilyd’effectuercettevisite,etn’avaitdoncaucuneraisondelareporter.

Lanobledameétaitassiseenfaced’elle.Sesaiguillescliquetaientàunrythmeeffréné;elleavaitlesyeuxrivéssurlalainebleucielquidéfilaitentresesdoigts.

—Maman,répétalacomtessepourlatroisièmefois.J’avaisespéréavoirune…—Pasmaintenant,Violet.LabaronnedouairièreRotherhamavaitunevoixgraveetgutturale,capabledelancerdesordres

quesesdomestiquescommesesfillessehâtaientd’exécuter.—Sijeperdslecompte,jedevrairefairetoutelarangée.—C’estimportant,maman.Samèrecontinuadetricoter,imperturbable.Violetsoupira.Évidemmentqu’elleétaitplusinsignifiantequelafindelarangée.Sa parente n’avait toujours pas relevé la tête. Les aiguilles s’entrechoquaient même plus

bruyamment.Maisaprèsencorequelquesinstantsdesilence,ellepritlaparole.—LeGuidedesbonnesmanièrespourdamesdit,etjecite:«Unedameneselaissealleràaucun

descomportementssuivants:soupirer,roulerlesyeux,claquerlesportes…»Lalisteestlongue,tut’ensouvienscertainement.Méprises-tulespréceptesdebienséancepourmefairerougir,ouest-cedelapuregrossièretédetapart?

Et elle n’avait toujours pas levé le nez de son ouvrage. Violet sentit le coin de sa bouchetressauter.

—Maman,vousavezrédigécelivre.Sa mère arqua un sourcil, acheva une dernière maille puis mit de côté son tricot, une courte

écharpebleue.—Jenevoisaucunmotifdemodifiermespropossimplementparcequejelesaifaitpublierpar

le passé. Bien au contraire. J’ai déjà longuement travaillé dessus. Pourquoi m’appliquerais-je àexprimerunsentimentidentiquedansdestermesmoinsadéquats?

SiLily s’était trouvée là, elle aurait à présent unemain sur la hanche, et taperait du pied. Ellecommenceraitàréprimanderleurmère,etensuite,lorsqu’elleauraitquittélapièceavecsasœur,elleaurait lâché une espèce de commentaire sur sa froideur, et son incapacité à recevoir ses propresenfantsavecdesamabilités.

MaisVioletcomprenaitmieuxlabaronne;celle-ciestimaitréellementquesonaccueilavaitétéchaleureux.Ellen’étaitpasdecesfemmesquiétreignentleursprochessansretenue.Quandelleétaitcontentedevoirunepersonne,ellelasermonnait.Ellefonctionnaitainsi.

—Tuasbienuneraisond’êtrevenuemevoir?—Jevousrendsvisite,réponditVioletd’untondoucereux.Dequelmotifunefillea-t-ellebesoin

pourcela?—Quelmotif,eneffet?(Ellesecoualatête.)Tuasreçuledondet’exprimer,fais-enusage.Lajeunefemmelissasesjupesetbaissalesyeux.Ellenesavaitpasvraimentcommentaborderle

sujet. La douairière, malgré ce qu’elle avait déclaré à l’instant, n’apprécierait pas que sa fille luiracontetoutelavéritédebutenblanc.

Alors,maman,Lilym’alaissépenserquevousaviezeuventd’unscandale.Est-ceque,parhasard,vousauriezapprisquej’étaislascientifiquelaplusvilipendéed’Angleterre?

Elles se trouvaient dans une impasse. Il existait six choses à propos desquelles une dame était

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censéementir.L’uned’ellesétaitsespropreserreurs,cequiimpliquaitqueVioletnepouvaitavouersesagissements.Lesdamesmentaientégalementsurleserreursdesautres–samèrenieraitdoncsonidentitécachée,mêmesielleétaitinformée.

Cesrègless’avéraientpleinesdebonsens,maisaussi,selonlescirconstances,extrêmementpeupratiques.

—Alors,maman, secontenta-t-ellededire,Lilym’aconfiéquevousenseigniezvotreguideàAmanda.Ainsiquesaversionfantôme.

Labaronnelevabrusquementlatêteenregardantautourd’elle.Lesrèglesprivéesn’étaientjamaisévoquéesensociété.Maisellessetrouvaientseulesdanslapièce.

— Ta sœur n’apprécie pas trop.Mais oui, c’est vrai. Amanda est presque une femme, et elleméritedesavoircommentavancerdanslavie.

— Lily pense que vous compliquez la situation. Je crois… (Elle s’humecta les lèvres et laregarda.)J’ail’impressionquevousnousimaginezsouslamenaced’unscandale.

—Un«scandale».Labaronnerepritsonécharpe,laretourna,etl’examinaensourcillant.—Jen’aipaslamoindreidéedecequeturacontes.Dequelgenredescandalepourrait-ils’agir,

d’aprèstoi?Une autre aurait prononcé ces paroles d’un ton interrogateur. Sa mère les teinta d’une légère

intonationsuggérantqu’elleaffirmaitunfait.Siellevoulaitjoueràcepetitjeu,safillelasuivrait.—Riennemevientàl’esprit.—Balivernes.Cegenrederéponsesignifieengénéral«riendontj’aieenviedeparler».Maisje

suistamère.Tavolontédegarderlesilencen’estguèrepertinente.Jesouhaitequetumedévoilescequetusais,ettut’exécuteras.

C’étaitainsiquelabaronnepouvaitintimidern’importequi.Violetréprimaunrire.Elleavaitvuça des centaines de fois. Au fil des dix dernières années, elle s’était regardée faire exactement lamême chose. Elle ressemblait de plus en plus à la douairière ; elle avait hâte d’acquérir sonindifférenceombrageuse,etquel’assurancestoïquequ’elleaffichaitdevienneréalité.

—Qu’ya-t-ildesidrôle?demandalanobledameensourcillant.Tutemoquesdemoi?Qu’as-tuentendu,Violet?

—Riendutout.Unelonguepauses’ensuivit.Lamaîtressedeslieuxselevaavecprécaution,allaàl’entréedela

pièce sur la pointe des pieds, et y demeura unmoment en silence. Puis elle ouvrit brusquement laporte.Personne.Ellepassalatêteàl’extérieur,regardadanslecouloirdesdeuxcôtés,puisrefermatoutdoucement.

—J’apprécietadiscrétion,murmura-t-elle.Etjeconçoisquecertainesaffaires…nepuissentêtreabordées à voix haute.Mais si nous avons à résoudre cettechose – et je préférerais ne pas y êtrecontrainte–,nousdevonsnousarranger.C’estaussibienqueLilynesoitpaslà;elleenragerait.(Ellelaregardaenface.)Tusaiscequ’ilnousresteàfaire.

C’étaitlapremièrerègle,etellesupplantaittouteslesautres.—Unedameprotègelessiens,ditViolet.Samèreacquiesça.—Mêmes’ilssemontrentidiotsetingrats…Enfin,jen’aiaucunregret.Allons,Violet.Assieds-

toi. Ne dis rien à voix haute ; je ne crois pas que quiconque écoute, mais je préférerais ne pasm’apercevoirque jemesuis trompéequand…(Elle soupira.) Je suis tropvieillepourcegenredefrayeurs.Cescandalequetuasentête,est-ilnouveauouancien?

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—C’estunevieillehistoire.Labaronnefitunegrimace.—Quelleannée?—Oh,s’exclamaVioletavecsurprise,avantdecompter.Elleremonteà…1862.—Ah,d’accord.Ladouairièrepinçaleslèvres,secoualatêteensilenceetpoursuivit:—Ça,donc.Après une longue pause, la jeune femme prit conscience qu’elle n’aurait droit à aucune autre

réaction.Peut-êtreavait-elleespérédavantage.Parfois,elleavaitvaguementcaressél’idéedel’informerde

sonsecret.Mamancomprendrait si elle savait, lui était-il arrivédepenser.Elle était samèreaprèstout,etLilyavaitbeaulatrouverfroideetinsensible,Violetétaitplusavisée.Oudumoinsl’avait-ellecru.

Labaronnesefrottalefront,trahissantunchagrinetunevulnérabilitésisurprenantsquesafillesongeaà tendre lamainvers elle, avantde se rappelerqu’ellen’apprécieraitguèred’être touchée.SurtoutpassiVioletétaitàl’originedesadétresse.

—D’accord, répéta la noble dame. J’avais espéré…Mais l’espoir n’a jamais rien réglé. (Ellesoupiraetlevalesyeux.)Àquienas-tuparlé,alors?Tasœur?Parcequedanscecas,elleleconfieraà sonmari, qui a les théories les plusmisérables sur ce qu’est son devoir, et apparemment, celan’impliquepasdegarderlessecretsdefamille.Ilsesentiraobligédefairedugrabuge;nousseronsalorstouspendus.

Violetgrimaça.Riendetelqu’unepetitehyperbolepourcalmertoutlemonde.—Jenesuispasstupide,rétorqua-t-elle.Lilynesaitrien.—Bon.Quelqu’und’autre?—Ehbien,SebastianMalheur,évidemment.Samèrerenâcla.—Ce garçon. J’ai gardé unœil sur lui dès qu’il a eu l’âge demarcher. J’étais certaine qu’il

causeraitdesennuis.Mais il s’estmontrédiscret, aumoins, et s’iln’aencore rien révélé, jedoutequ’illefasse.(Ellesoupira.)Malgrétout,plusilyadegensinformés,pirec’est,quellequesoitlaconfiancequetuleurportes.Cetteaffaireesthorrible,plusquedévastatrice.

Violets’efforçadenepasréagir,maissentitsonestomacsenouer.Unepartd’elleavaitespéréunepetite louangeglisséeàvoixbasse.Ne fût-ceque l’ébauched’unsourire.Mais le regarddesamèreétaitsombreetréprobateur.

—J’enaiencoredescauchemars,repritladouairière.Certainsjours,jeneparviensmêmepasàmepersuaderquec’estvrai.Celamedégoûte.

Sesmains tremblaient ;elleposason tricotsur la tableetse frotta lesdoigts.Oh,Violets’étaitbercée d’illusions. Sa mère, fière d’elle ? Aucune chance. Violet était « dégoûtante ». Elle avaittoujours été consciente d’être fondamentalement rebutante.D’être obligée de faire semblant si ellevoulait s’intégrer. Plus jeune, elle en avait éprouvé du chagrin, mais avait redressé l’échine, etpoursuivisonchemin.Unefemmerepoussanteétaitencoreplusabjectequandellegeignaitdenepasêtreaimée.

—Jecomprends,maman,réussit-elleàdiresanschevroter.Pourquoipensez-vousquejenevousenaijamaisparlé?

—Bravefille.Ehbien,ilnousfaudrasimplementlecacher.Aprèstout,cequej’aientendun’étaitqu’un chuchotement, une remarque qui a sournoisement échappé à quelqu’un. Je ne pense pas que

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ladyHaffingtoncherchaitàfaireautrechosequemetirerlalangue.Ellen’avaitpasidéecombiensonaccusationserapprochaitdelavérité,dit-elledansunsourirehésitant.Maistumepréviendrassitut’aperçoisque…toutcelarisqued’êtremisaujour,n’est-cepas?

—Biensûr,maman.Violets’assit,lesmainsjointes.—Sicelapeutaider,parvint-elleenfinàdire,blâmez-moi.Unpeu.Samèresecontentad’afficherunairperplexe.—Sijeledésirais,jen’auraisguèrebesoindetapermission.Suis-jecenséelevouloir?Violetsedétourna.—Lorsqu’ils’agitdecela, je…J’aiacceptécequidécoulaitde…cescandale lesbrasouverts.

Sans cela… je ne sais pas ce que j’aurais fait demon existence. C’est tout pourmoi. Jeme senscoupable,ettellementégoïste.

—VioletMarieWaterfield,netepermetspasdedirequetuéprouvesdelaculpabilité,rétorqualabaronned’unevoixlégèrementéraillée.Pasenmaprésence,paspourcemotif.Net’yhasardepas.

—Mais…L’espaced’uneseconde,touslesespoirsétouffésdelajeunefemmerefirentsurface.Samèreétait

réellementfière.Violetavaitbienaccompliquelquechosedestupéfiant.Ellerecevraitl’approbation,neserait-cequ’unpeu,decelledontl’opinioncomptaitleplus.

—Net’avisepasderessentiruneoncederemordsàcausedecetteaffaire.Jeneletoléreraipas.Lajeunefemmeinspira.Ellen’allaitnourriraucunespoir.—Nel’évoquejamais,ditladouairièreenlevantlamain.Carsiquiconquel’entend–ilsuffirait

d’unseuldomestique–,c’estlafinpournous.Pasdecontrition,Violet,çanesertàrien.Assure-toisimplement,quoiquetudisesoufasses,quepersonneneledécouvrira.

Non.L’espoirétaitvain.Ellen’auraitjamaisdûl’entretenir;ladéceptionneluipèseraitpasautantsurlesépaules.

—Nevousinquiétezpas,maman.Jesaiscequecelasignifierait,déclara-t-elled’unairdigne.Jenelaisserairienseproduire.Unedameprotègecequiestsien,aprèstout.

L’espace d’une seconde, elle crut voir le regard de samère s’embuer.Mais alors, la baronnerelevalementon,etVioletsutquecen’étaitfinalementqu’uneillusion.

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Chapitre5

Vers 16 heures, Sebastian arriva chez lui, la serviette remplie d’un paquet de paperasseriesagréablement volumineux. Il avait déjà rencontré Violet une fois cet après-midi à Hyde Park ; ilenvisageaitleurprochaineentrevueavecautantd’appréhensionqued’impatience.Maisilluifallaitsetenirprêtàbraverdeslions,ousonamie.Ceuxoucellequ’ilcroiseraitenpremier.Leslionsauraientétéplusfacilesàconvaincre,songea-t-ilavecregret,etmoinsdangereux.

Maisqu’ilaffronteunorgueilléoninouuneViolet,ildevraits’ypréparer.Ildonnacongéàsonvaletpour le restede la journée, régla lesdétailsdudîner avec la cuisinière, et se retiradans sonjardinarrière,enordonnantqu’onneledérangesousaucunprétexte.

Qu’ilaitunrepaire,etdecette taille,s’étaitavérédelaplusgrandenécessité.Ilavaiteubesoind’un endroit où il pouvait se réfugier et parler à une femme sans qu’un seul de ses employés ledevine. Ce jour-là, il emprunta le trou dans la haie qui entourait la terrasse extérieure en sifflantgaiement,passadevantl’abritransforméenbureau,etseglissaderrièredeuxbuissonsnichéscontrelemur.Àpartirdelà,ilfallaitouvrirlaportedérobéeetsefaufiler.Cetteouverturedonnaitsurunealléesombre.Ils’agissaitsurtoutd’unpassageétroitetpeupraticableentredeuxmurs.Auboutdecesvingt-quatreyards,laparoivoisinecomprenaituneautreporte,envahiedelierre.Sebastiansefrayaun chemin. La plante grimpante avait enroulé de petites vrilles autour des barreaux de fer ; il lescoupa,etpénétradansl’antredulion.Autrementdit,lejardinarrièredeViolet.

Jadis, ils avaient opté pour un code simple. Adieu signifiait : « Je ne suis pas disponibleaujourd’hui.»Àaprochainefoissignifiait:«Jeseraidansmonjardinjusqu’à15heures.»Ilexistaitcinquante-deux autres possibilités, et elles se rapportaient toutes à lamême chose. Je n’ai plus detempsàteconsacrervoulaitdirequeVioletsouhaitait levoirlesoirmême.Quepouvait-ildoncsepasser?Ilétaitincapabledeledeviner.

Lamaisondesonamieétaitcachéeparunrideaudehautstilleuls,quipréservaitleurintimité;laserre qu’elle avait là n’était pas aussi grande que celle de sa propriété à Cambridge, qui faisaitquelques centaines de mètres carrés. Un panneau sur la porte annonçait : « Ne PAS déranger lacomtesse,saufencasdemort,d’éviscération,d’Apocalypse,oudel’arrivéedesamère.»Ilnetintpascomptedusinistreavertissement,etpénétradansl’entréeexiguë.Ilenfilauneblouse,trouvaunepaire de gants, et vérifia qu’il n’y avait pas d’insectes sur lui. Lorsqu’il eut terminé, il franchit lasecondeporte.

Deux étagères à roulettes étaient installées de chaque côté, et surchargées de centaines de potsd’argileminiatures, à peine plus hauts que le pouce. Chacun d’eux était étiqueté ; sur ceux qui setrouvaient le plusprèsde lui, on lisait «CD101,CD102».Des tréteaux surélevaient des carrés deterrequis’étendaientjusqu’auboutdelaserre.

Violetétait toutau fond,devant l’undesparterres.Elleportaituneblousede jardinageblanchepar-dessus sa robe foncée, un bonnet assorti et des gants noirs.Elle ne leva pas les yeux quand ilentra.Iln’étaitmêmepascertainqu’elleaitremarquésaprésence,bienqu’iln’aitpasessayéd’êtrediscret.Ilsavaientprocédéainsidescentainesdefois–seretrouverlàpendantqueVioletplantaitoumarquaitdesbâtonsd’oranger,enluiexpliquantcequ’ellefaisaitetpourquelleraison.Pourprendrelaplacedelajeunefemme,ilavaitdûcomprendrechaqueétapequ’ellefranchissait.

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Ce jour-là, elle avait l’un de ses carnets de notes ouvert devant elle. Elle maniait une longueaiguilleenmétal,assezsemblableàcellesqu’elleavaitdanssonsacpour tricoter,et transféraitdupollend’unefleuràuneautre.Sesmouvementsétaientempreintsdelagrâcequedéploieunefemmes’adonnantàunetâchequ’elleaime.Sebastiansentitsagorgeseserrer.Ilavaitimaginécemomentdepuis qu’il l’avait vue au parc. Plusieurs semaines s’étaient écoulées depuis leur dispute àCambridge. Elle lui avait manqué, à tel point qu’il avait voulu aller lui présenter ses excuses,renvoyerainsicesémotionsgênanteslàd’oùellesvenaient,toutefoisconscientqu’ellesresurgiraienttôtoutard.Ils’étaitrésignéànourrirdavantagedesentimentsqueViolet.Peut-êtremêmeétait-ilenpaixàcesujet.Maisilnesavaitquefaired’unmondeoùellen’éprouvaitabsolumentrien.Elleluiavaitcruellementmanqué,etiln’étaitmêmepassûrqu’elleaitconstatésonabsence.Aprèstout,ellen’avait pas remarqué son arrivée. Sachant pertinemment qu’il ne devait pas l’interrompre en pleintravail,ils’approcha,maisdemeuraderrièreelleetl’observa.

Il aurait été étrange de dire que Violet était un mystère pour lui. Elle était la personne qu’ilconnaissaitlemieux.Quandellesouriait,ildevinaitgénéralementquelleplaisanterieavaitchatouillésonimagination.Siellesemordait la lèvreinférieure, ilsavaitcequ’elle taisait.Pourtant, il restaittantdechosesqu’ilneparvenaitpasàsaisir.

Elle prit à côté d’elle un petit sac en papier-parchemin, et le glissa sur la fleur. Elle maintintl’ensembleavecunfildesoie,attrapasaplume,etrédigeaunenotedanssoncarnet.

« AX212 : hybride de BD114 et TR718. » Elle en avait écrit dixmille de ce genre au fil desannées ; croisant les plantes, transférant le pollen à lamain, précisant les familles, recouvrant lesfleursfécondéesdecespetitssacspours’assurerderécupérertoutegraineproduite.

Elle croisa les bras et regarda au loin. Sebastian ignorait ce qu’elle voyait et pourquoi ellesourcillaitainsi.

—Masœurtrouvequejesuiscompliquée.Ilvintseposteràcôtéd’elle,enenfonçantsesmainsdanslaterre.—Elleditvrai,confirma-t-ilaprèsunepause.—C’estfaux.Jesuissimple.J’aimelesbonslivres,lesconversationspertinentes,etmeretrouver

seulelaplupartdutemps.Ellepritsonaiguilleetlaplaçadansunseauquiencontenaitunedizained’autresidentiques.Elle

débarrassalasuivantedesonemballagedegazeetsepenchasurunenouvelleplante.— En quoi cela me rend-il compliquée ? Je suis compréhensible. Je ne parle pas de mes

sentiments, bien entendu, mais je ne le souhaite pas. (Elle haussa les épaules.) Ça reste doncraisonnable.

Sebastianesquissaunsouriredontlui-mêmepercevaitl’amertume.—GrandDieu,non,répliqua-t-ilenlevantlesyeuxauplafond.Pasdesentiments.Quelescieuxte

préserventd’untelfléau.Elleavaitlevisageinclinéverslaplante,ledosimmobile.—Jen’ensuispasdépourvue,déclara-t-elleavecrigidité.Seulement,jenelesévoquepas.Quel

intérêt?Enparlern’ychangejamaisrien.Ilcomprenaittropclairementcesous-entendu.Nemedemandepascequejeveux.—Je retire tout ce que j’ai dit, répliqua-t-il. Tu n’es pas compliquée. (Elle souffla.) Certaines

personnes sont comme des casse-tête de forgeron. Tu peux t’amuser à chercher inlassablement lafaçon dont sont entrelacées ces boucles de fer ; si tu n’en connais pas le secret, tu ne parviendrasjamaisàlesséparer.Cesgenscomplexesdeviennentsimplesdèsquetuenaspercélesecret.

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Ellefitunegrimace,etsetournaverslafleursuivantepourenséparerdélicatementlespétales.Il se demanda brusquement si elle s’apercevait combien cette activité était érotique : fécondercalmementcesboutons,lesécarterpouryglisserl’aiguilleporteusedepollen.L’analogieétaitclaire.Alorsqu’ellesepenchait,seshanchesbougèrentsoussablouse.Ilpouvait lastabiliserd’unemain,poséejustelà,sursesreins…Ilnefitpasungeste.

—Jevois,ditViolet.Elle se redressa etmit son aiguille dans le seau à déchets avec les autres. Son intonation était

légèrementméprisante.—Tuconnaismon«secret»,poursuivit-elle.Est-cebiencequetuesentraindedire?—Non.Jenepensepasquetuenaiesun.Tuesplutôtlacréationd’unforgerondémoniaque.Tu

es une énigme sans solution. Il n’y a aucunmoyen de te démêler. Tout ce que je peux faire, c’estapprendreàéviterleslames.

Elleexpiralentementetpritsaplume.—Oui,marmonna-t-elle.C’esttoutmoi,bonneàrienàpartcouper.Fabriquéeparunfou.Pendantqu’ellerédigeaitsanote,ilpritlesacenpapier-parcheminetencoiffal’extrémitédela

fleur. Parfois, il la connaissait si bien. Les compliments la figeaient. Les contacts même les pluslégers et innocents la faisaient reculer. Mais il lui suffisait d’entendre ce genre de propos pourplongerdansunsilenceglacial.Pasdecheminsansdangeravecelle,seulementdeslionstoutlelong.

—Merci, Sebastian. Je ferai broder des avertissements sur tousmesmouchoirs. « Attention :rasoirs.Tenirsalangue.»

—Jen’avaispasl’intentiondet’insulter.Ellelevalesyeux.—Non?Alorstudevraispeut-êtreécoutercequetudis.«Oh,cetteViolet,ànejamaismontrer

aucun sentiment ! Comme si elle cachait sa véritable personnalité au monde entier. » Pourquoi,d’après toi ? (Elle posa unemain sur sa hanche.)Tu es celui qui devrait comprendre lemieux. Jedissimule tout, parce qu’on n’apprécie rien de ce que je suis vraiment. Je ne suis pas compliquée,Sebastian.Jesuislapersonnelaplussimplequetupuissestrouver,maisjen’aimaplacenullepart,etjepassemontempsàfeindrelecontraire.Parfois,j’ensuislasse,etcelamemetencolère.

Ellesoupira,posasaplume,et reportasonattentionsur ses fleurs.Elle tendit lamainversuneautreaiguilleemballéedegaze,puissecoualatêteetsetournaverssonvisiteur.

—C’estinjustepourmonentouragequandjeperdsmonsang-froid,admit-elleavantdeserrerlesmâchoires.Jedisdeshorreursquandj’enrage.Maisc’estégalementdurpourmoid’êtrenéeainsi.Tutrouvesmacompagniepénible?Imaginecequec’estd’êtreuncasse-têtedeforgeronfabriquéparunfou.Tuesincapabled’exécuterlesfonctionsdebasedetonexistence.Tun’apportesjamaisdejoieàpersonne. Tu apprends à ne pas espérer quand quelqu’un s’intéresse à toi. Parce que, quelles quesoientsesattentesaudépart,tuconnaisdéjàlafin:iltejetteradedégoût.

Ledégoût.Pensait-ellequ’ilavaitexprimécela?—Violet,dit-ilavecdouceur,jen’étais…Jenesuispasdégoûtéparcequetues.Paslemoinsdu

monde.Ellerivalesyeuxdroitdevantelle.—Çarevientaumême,peuimporteletermequetuemploies,répliqua-t-elled’untonaussiraide

quesesbraslelongdesoncorps.Net’inquiètepaspourtaconscience,Sebastian.Toutlemondefinitparsefatiguerdemoi.Laisse-moietpoursuistonchemin.

Ilémitunsoupircontrarié.—Tuesridicule.Tutecomportescommesitontravailétaittoutcequetuavais,etquetuarrêtais

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decompterpourmoiparcequenousnecollaboronsplus.Çanefonctionnepasdecettefaçon.LedésarroifittressauterleslèvresdeVioletàcesmots,précisémentsur«compterpourmoi».

Legentlemansoufflaensemassantlefront.—Tuasautrechosequetesrecherches.Elleseretourna.—Terappelles-tulapremièrefoisquetuasprésentél’undemesarticles?C’étaitavantlamortdesonmari.ElleavaitrédigésonpapieretdemandéconseilàSebastian–ce

qu’ilavaitd’abordétéincapablededonner,puisqu’iln’avaitjamaisludecompte-renduscientifiquenon plus. Ils en avaient étudié un grand nombre ensemble,Violet écrivant et réécrivant jusqu’à cequ’ilsensoienttousdeuxsatisfaits.

Lapremièrefoisqu’elleavaitsoumissontravailàunjournal,onle luiavait renvoyéavecunenote l’avisant qu’une revue de jardinage pour dames serait peut-être plus à même d’apprécier samodestecontribution.Lapublicationsuivanten’avaitpaspris lapeinede luipréciser lesmotifsdesonrefus,toutcommecellesquiavaientsuivi.

—Cesontdesconneries,avait-ilaffirmélorsquecettedernièreréponseétaitarrivéeaucourrier.Ilsnelelisentmêmepas.

Violetétaitmaladeà l’époque.Ellene luiavait jamaisditcequi l’affligeait. Il savait seulementqu’elle s’affaiblissait. Elle avait la peau cireuse, et une tendance à s’évanouir. Elle avait refusé deparlerdecela,également.Elle restait simplementassisedansson fauteuil,pasmêmeenmesuredetenirdebout,etévitaitsonregard.

— Ce ne doit pas être très bon, avait-elle déploré. On leur propose sûrement toutes sortesd’excellentsarticles,etcelui-cinefaisaitpaslepoidsencomparaison.

—Sic’étaitmoiquil’envoyais,unhommeavecunparcoursuniversitaire,ilslereliraientdeplusprès,avait-ilfulminé.Mêmeunetroisièmefois,jeparie.

ElleavaitdoncinscritlenomdeSebastiansurl’article.—Vas-y,essaie,luiavait-elledit.Il était allé àCambridge le lendemain et avait remis le document à un ancien professeur pour

avoir son avis.Cedernier avait lu dansun silence stupéfait, et l’avait ensuite regardé endéclarantd’unevoixétranglée:

—Malheur,cetravailestbrillant.Quelquesmoisplustard,onavaitacceptédelepublier,etprogrammélapremièreconférencede

Sebastian.Aucoursdecelle-ci,Violetavaitsouriavecravissement,cequineluiétaitpasarrivéenneufmois. Cette joie qui lui avaitmomentanément empourpré les joues était la seule raison pourlaquelleilavaitacceptédecontinuer.

Maisellenesouriaitplus.Elleobservaitd’unœilnoirlaterredevantelle,etsonamiregrettaitdenepouvoirarrangerlasituation.

— C’est aussi bien que Violet Waterfield n’ait jamais commencé à publier des articlesscientifiques,déclara-t-elle.Jeseraisméprisée,telleunemoins-que-rien,etmasœurmehaïrait.

Elles’emparad’uneautreaiguille,sanstoutefoiss’enservir.Àlaplace,ellelabrandittelleuneépée.

— Ma mère me déteste déjà, reprit-elle. Personne n’aurait prêté la moindre attention à mesrecherches. C’est donc aussi bien. De cette façon, au moins je suis quelqu’un, même si je resteanonyme.

—C’estàfendrelecœur,dit-il.Elleposasonregardsurlui,leslèvrespincées.

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—Lemienn’estpasfendu,répliqua-t-elleenplantantlatigedemétaldanslaterre.Jen’aijamaiseubesoinde reconnaissance.C’est ladernièrechoseque je souhaite.Seulement…aussi effroyablequecelapuisseme rendre, c’estmonactivité. Jeme réveille enypensant. J’en rêve lanuit.L’idéed’avoiraccomplitoutcelaetdelevoirs’évaporerm’estinsupportable.Jeveuxfairequelquechose,etqueçaseremarque.

Elletenditunemainpourtoucherlafeuilled’unegrainegermée,aveclaplusgrandedélicatesse.—Ceseramonexpériencelaplusprochedelamaternité.Ellen’avaitjamaisabordécesujetauparavant.Sonamisavaitsimplementqu’elleavaitétémariée

onzeanssansavoirportéd’enfant,etquesonépouxavaitdésespérémentsouhaitéunhéritier.Àtelpoint qu’à la fin, il avait suggéré à Sebastian de passer un nombre d’heures incalculable avec safemme,consentantimplicitementàêtrecocufié.

Ilnefallaitpasêtretrèsintelligentpourdevinerquequelquechoses’étaitmalpassé.Legentlemansedoutaqueceproblème,quelqu’ilsoit,avaitcorrompuplusqu’unmariage.

Ilsedemandasielleseremémoraitl’undecesévénements,quelaspectilrevêtaitdanssonesprit,teintédesesémotions.Maiselleavouaitrarementenéprouver.

—Tuesplusquecela,insista-t-il.Ellerelevalesyeuxversluietrétorqua:—Tudisçauniquementparcequetuignorescombienmonexistenceestvide.Ellel’énonçaavecuneinquiétudelégèreetfurtive,delafaçondontuneautreauraitdéploréque

sa tasse soit vide. Il commit alors une erreur : il lui toucha la main. Il l’avait fait sans intentionparticulière.Ill’auraitfaitavecn’importequelêtrecherquiviendraitdeprononcerdesparolesaussisombres,etquandcettepersonneétaitViolet…Iln’étaitpascapabled’entendrede telspropossansréagir,sansvouloiraméliorerleschosesparquelquemoyen.Maisellesecrispaetblêmit.Etavantqu’il puisse présenter ses excuses, elle retira violemment sa main, la nichant contre sa poitrinecommes’ill’avaitbrûlée.

Sebastianseconsidéraitcommeungenred’expertenréactionféminine.Souvent,unerespirationrapidelaissaitdevineruncœurquis’emballaitd’impatience.Maispasavecunetellebrusquerie;lasuffocation de Violet n’évoquait rien d’autre que la panique. Il savait pourtant qu’il ne fallait latoucher en aucuncas. Il fourra samain coupabledans sapoche et étouffaun juron, s’appliquant àparlerd’untondésinvolte.

—Violet,noussommesamis.Ellecommençaàouvrirlabouche,maisilluifitsignedesetaireetpoursuivit:—Tuvasm’assurerquetuignorescequeçaveutdire,maismoijelesais.Lesimplefaitqueje

nedonneplustesconférencesn’impliquepasque…Tunecompterasplus,allait-ilprononcer.Maisellenevoudraitpasentendrecesmots.—… jeneme soucierai plusde tonbonheur.Tout cela est importantpour toi.Les chosesont

changédepuisquetuasrédigétonpremierarticle.Jepeuxteprésenter,situveux.Tontravailseraitlu.Ont’écouteraitdésormais,sijeleurdisaisdelefaire.

Durantuninstant,ellechangeatotalementd’expression.Elleécarquillalesyeux,serralespoingsetentrouvritleslèvres.Ellesetournaverslui…etlasecondesuivante,toutcetespoirl’avaitdésertée.L’éclatdisparutdesestraits,nelaissantqu’unregardsombreetterne.

—Non, contesta-t-elle. Je ne compte pour presquepersonne à présent. Je détesterais perdre ce«presque».

—Alors…(ilmarquaunepause)jenesaispascommentprocéder,commenttrouverunnouveléquilibrequinousconviendraàtouslesdeux.Maisj’airéfléchidepuisquenousavonsdiscutéilya

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quelquessemaines.Cen’estpasaussicatégoriqueque«moiourien».J’aiuneautreidée.Ellel’observad’unairinterrogateur.— Permets-moi d’en parler à quelqu’un, poursuivit-il. De demander un petit conseil sur la

meilleurefaçondes’yprendre.Elleclignadesyeux,méditantsaproposition,puisdéclara:—Révélerdessecretsnefaitquesemerletrouble.(Ellesedétournadelui.)Quiavais-tuentête?— Simon Bollingall. Il a été mon mentor ces dernières années. Je me fie à lui plus qu’à

quiconque.Jeneluidévoileraispastonnom,etjeluiexpliqueraislescirconstancesdanslesgrandeslignes.Peut-êtresongerait-ilàunarrangementquinoussatisferaittouslesdeux.

—Penses-tuqu’ilpourraitaider?—Quisait?Ellegardalesilenceunlongmoment.—J’appréciesonépouse,finit-ellepardire.AliceBollingall.Nousnoussommesrencontréesà

tes conférences. Elle pratique la photographie en loisir. Elle prend des paysages. (Elle posa sonaiguille.)Ellem’aproposédefairemonportrait. Jecroisqu’elledéveloppe lesclichéselle-même.C’estunefemmetrèsbrillante,etsonmari…latraiteavecrespect.

—Puis-jeluiparler?—Mamèremetuerait,avoua-t-elleenpinçantleslèvres.Maisbon…Cen’estpascommesielle

voulaitêtremisedanslaconfidence.C’estaffreuxetégoïstemêmed’ypenser…Enavoirenvieensachantcequejerisque.

—C’estdoncun«oui».Elleseretournapourleregarder.Etpuisqu’iln’avaitrienàperdre,illuiadressaunclind’œil.—Seigneur,souffla-t-elle.Ellefitungestedésapprobateurdelamain,maisilaperçutl’ébauched’unsourireaucoindeses

lèvres.Tantqu’ilparvenaitàsuscitercelachezelle,iln’avaitpasencoreperdu.—Toialors,lança-t-elleensecouantlatête.SebastianmontadansuntrainpourCambridgelelendemainmatin.Letrajetfamilieravaitcalmé

les inquiétudes qui l’assaillaient. Il quitta la gare, longea les rives, puis remonta les rues pavées àtraverslemarché.Delà,ilpritladirectiondubureaudesonami,oùilfutaccueillidebonnegrâce.

Cinqansplus tôt,Sebastianétaitassissurcemêmesiège,danscettepositionexacte,àregarderSimonBollingall lireunarticlequ’iln’avaitpasrédigé.Àl’époque,cedernier luiavaitdonnédesconseils, l’accompagnant dans chaque étape de sa démarche.Depuis, le professeur était devenu unami.Àprésent,c’étaitluiquiécoutaitintensémentchaquemotquesonancienélèveprononçait.Etcejour-là,Sebastianlesollicitaitpourmettrefinàlacarrièrequ’ill’avaitaidéàdémarrer.

L’homme était installé dans son fauteuil, l’attention rivée sur son visiteur, un sourire tropenthousiaste aux lèvres. Toute cette ardeur n’était qu’une illusion. Malheur jeta un coup d’œilcirculairedanslapièce.

—Est-ceunephotodetafamille?demanda-t-ilendésignantuncadresurunepetitetable.Surl’imagefiguraientcinqpersonnes:unhomme,unefemme,ettroisenfantsàcestadegauche

etboutonneuxprécédantl’âgeadulte.Poserpourunephotographienelesavantageaitpasnonplus;lesadolescentsregardaientdroitdevanteux,levisageparfaitementinexpressif.

—Oui, dit Bollingall. C’est Alice qui l’a prise. Tu sais qu’elle a fait un passe-temps de cetteactivité.Elleestdevenueassezdouée.Celle-làestaussisonœuvre:unevuedelafaçadearrièredeTrinitycollege.

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Sebastianhochalatête,effleurantpolimentdesyeuxl’autrecadre.—Alors,Malheur,qu’as-tuàproposercettefois?—J’abandonne,répondit-ilensecalantdanssonfauteuil.LesourireenthousiastedeBollingallcédalaplaceàunairconfus.Ils’inclinaluiaussidansson

siège.—Tuabandonnesquoi?—Ladécouvertescientifique.Aulieudeparaîtresurpris,leprofesseuréclataderire.—Ah,tuesàcetteétapedetacarrière,n’est-cepas?Nouslatraversonstousdetempsentemps.

Quandçan’avancepasbien,qu’onsesentsubmergé.(Ilsepenchaenavant.)Tutravaillestrop,c’estça,tonproblème.Àquandremontenttesdernièresvacances?Vasurlacôte.Offre-toidesbainsdemer.Détends-toiunesemaineoudeux,ettuserasunautrehomme.

Sebastiansemorditlalèvreinférieure.—C’estunecharmanteidée,maismonproblème,c’estplutôtquejenetravaillepasassez.Bollingallacquiesçaaveccompassion.—Classique,aussi.Ilsetrouvetoujoursquelquechosed’autreàfaire,quelquethéorieàexplorer.

Tuneparvienspasàlâcher,tuypensestoutletempsettutesenscoupablechaqueminutequetun’yconsacrespas.Jerépéteraisimplementmesrecommandations:prendsunpeudetempspourtoi,ettutesentirasbientôtmieux.

Sebastianavaitcraintcettesituation. IlavaitentièreconfianceenBollingall,maiséprouvaitunelégèrenausée.Ilétaitsurlepointdedévoilerlui-mêmecesecretàunhommequiavaitmaintesfoismissapropreréputationenjeupourlui.

— Ce n’est pas non plus ce que je voulais dire, répliqua-t-il en inspirant profondément. Quedirais-tusituentendaisquejen’aipasaccomplimesrecherchestoutseul?

Bollingallnecillamêmepasetrépondit:—C’estlecaspourlaplupartd’entrenous.J’aiundomestiquequiprendlesmesurespourmoi.

La question n’est pas de savoir qui exécute réellement ces tâches manuelles. C’est la partieintellectuellequiimporte,aprèstout.

—Supposonsque je n’aiepas élaborémoi-même les théories exposéesdansmes conférences.Qu’ellessoientcellesdequelqu’und’autre.(Sonamisourcilla.)Admettonsqu’ellesaientétépenséesparunefemme.

Leprofesseursefigeal’espaced’uncourtinstant,justeletempsdeledévisagerd’unairsurpris.Puisilsoufflaetjetauncoupd’œilàlaporte.Elleétaitsoigneusementfermée,cedontsonvisiteurs’étaitassuréavantdeparler.MaismêmeleslivresalignéssurlesmursdubureausemblaientjugerSebastian, ces centaines de volumes rédigés par des individus qui n’étaient pas des imposteurs. Ilsentitsoncœurs’emballer,etsepréparaàaffronterladéceptiondesoncompagnon.Aulieudecela,l’universitaires’humectaleslèvresetsepenchaenavant.

—Ehbien,murmura-t-il,celaarrive,aussi.LabouchedeSebastiandevintsèche.—Enfait,poursuivitBollingallàvoixbasse,c’estplusbanalque tunepourrais l’imaginer.Si

courantmême,qu’enréalité,onnedevraitpaslefaireremarquer.Malheuresquissaunemoue.—Jenevoispascequetuveuxdire.Explique-moi.—Ils’agitd’uneassistante,n’est-cepas?(Ilhaussalesépaules.)Jeconnaisunhommequidicte

toussesarticlesàsonépouse.Ellelesprendennotes.

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—Jeneparlepasdesimpledictée.—Non,mais c’est tout ce qu’on a besoin de savoir.Quand tu es absorbé dans un sujet, il est

inévitablequetesprochessoientimpliquésaussi.Ets’ils’agitdetafemme…ehbien,aufond,c’estvous deux qui accomplissez l’ensemble. Vous ne formez qu’un dans le sens légal et spirituel.Pourquoipasdanslesensscientifique?

Sebastiantournabrusquementlatête.Ilpouvaitàpeinecroirecequ’ilentendait.—Maisnousnesommespasmariés.—Ilyenapasmal,parminous,quifonctionnentdecettefaçon,ditlentementBollingall.Nousne

demandonsjamaisdansquellesproportions,eteneffet,ungentlemannesoulèveraitpaslaquestion.Tuesplutôttranquille.(Ilsecoualatête,puisregardafurtivementsonancienélève.)Enfin,presque.Ilyaunechosequevousdevriezfaire,sivousvoulezréellementneformerqu’un.

Sebastiansentitundésirsombreetconfuss’emparerdelui.Ilavaitl’espritcotonneux.—Jenesuispasmarié,répéta-t-il.Leprofesseurroulaostensiblementdesyeux.—Exact.Changeça,ettun’aurasplusàt’enfaire.Une union avec Violet. Seigneur, quelle affreuse idée. Elle reculait quand il posait une main

amicalesurelle.Ellesefermaitquandilosaitdirequ’ellecomptaitpourlui.Ilnel’intéressaitpas,nipourquelquetemps,nipourlerestedeleursvies.Etl’épouserpourunetelleraison?Unepartdeluines’ensouciaitguère,ill’avaitvouluesilongtemps…Luirendresontravailseraitpeut-êtreleseulmoyen de la séduire. Durant un instant, il l’imagina dans son lit. Il apaiserait peut-être ses peurs,jusqu’àcequ’elleconsente,unjour…

IlchassadebrûlantesvisionsdeViolet,lescheveuxdéfaits,étaléssurlesoreillers.Peut-être, s’il semontrait très, trèsconvaincant, serait-il enmesurede l’amadouerpourqu’elle

cesseaumoinsdetressaillirquandilluiprenaitlamain.Ilsefrottalefront.—Mercipourtonconseil.—Jesaisquetuappréciestaliberté,ditBollingall.Tuesencorejeune.Maissonges-y.Tontravail

est important. (Il vit Sebastian secouer la tête.) Ne sois pas absurde. Tu fais un travail important.N’oublie jamaisça,etn’affirmejamais lecontraireàquiquecesoit.Tudoisseulement t’arrangerpourqu’ilsoitàtoi.

Danssonesprit,cespropossetravestirent.«Arrange-toipourqu’ellesoitàtoi.»Non,non.Quellehorribleetinsidieusepensée.Revigorante, délicieuse pensée. Il ne pouvait la refouler. Elle persista durant le reste de leur

conversation,chuchotadansuncoindesatêtependanttoutletrajetjusqu’àLondres.Ilsemoquaitdesrecherchesoudeshonneurs.Violetétaitcequicomptait.

«Arrange-toipourqu’ellesoitàtoi.»Àdirevrai, sacollaborationavecellen’étaitpas le seulpointqui le séparaitdesautres.Savie

entières’étaitéchafaudéeautourdedeuxmensonges:lesecretqu’ilpartageaitavecsonamie,etceluiqu’illuicachait.

Il avait toujourseuunmotifde se taire,voiremille.L’épouxdeViolet,d’abord.Puis, après ledécès de celui-ci, elle avait semblé si vulnérable qu’il n’avait osé la perturber. Il avait attendu,inlassablement. Il avait toujours eu le sentiment qu’elle s’était perdue, qu’après cette parodie demariage,ildevraitluilaisserletempsdereleverlesyeuxetdereprendreconsciencedumondequil’entourait.S’ilattendaitjusteassezlongtemps…

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«J’aidescritères,serappela-t-illuiavoirsèchementlancé.Ettun’yrépondspas.»Seigneur.Ilnevoyaitpasdequellemanièretoutcelapourraitconnaîtreunefinheureuse.Maisce

désirpersistait:écourterceslonguesannéesd’attenteincertaine.«Arrange-toipourqu’ellesoitàtoi.»

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Chapitre6

Violetétaitencoredanssaserreà19heures.ElleavaitrefusédeselaisserdistraireparlapenséeduvoyagedeSebastianetdelaconversationqu’ildevaitavoir.Soninquiétudes’était tapiedansuncoindesonesprit,telunpoidssombreetmenaçant.

Sileschosestournaientmal,ellepourraitêtreexposée.Toutlemondeconnaîtraitlavérité.Ellen’aurait jamais dû donner son consentement. Sa mère avait raison ; c’était une erreur de l’avoirautoriséàdévoilersonsecret,malgrélagrandeconfiancequ’ilportaitàsonami.

Elleentenditlaporteintérieures’ouvrir.LespasdeSebastianrésonnèrentsurlesdalles.—Violet.Elle avait peur de lever la tête.C’est pourquoi elle s’y efforça, le regardant en face comme si

feindreladésinvoltureallaiteffacerlescraintesquibouillonnaientenelle.—Ehbien?Ilavaitl’airfatigué.Dansunsoupir,ilpritunechaiseenbois,latiraàcôtédelajeunefemme,et

s’assit.Ilcroisalesbrasets’avachit,lesépaulesvoûtées.—Labonnenouvelle,annonça-t-il,c’estqu’iln’enparleraàpersonne.Elledéplaçaunpetitplateaudesemisquisetrouvaitsurunautresiègeetpritplaceauprèsdeson

ami.—Lamauvaise…,commença-t-ilavantdebaisserlespaupières.Lamauvaise,c’estqueselonlui,

notre arrangement ne se remarquepas, et que lameilleure solution serait de continuer exactementcommenouslefaisions,sauf…

Ils’interrompitetluilançauncoupd’œilméfiant.—Saufquoi?Sebastianhésitait rarementàparler.Mais ilserra lesmâchoires,et il lui fallutquelques instants

avantdereprendrelaparole:—Jeveuxtepréciserquecetteidéenevientpasdemoi.Jelarejetteentièrement.—Quelleest-elle?Àquelpointsonavispeut-ils’avérersifâcheux?—Iladitquenousdevrionsnousmarier,etpoursuivrenosactivitéscommeavant.L’espace d’une seconde, elle se raidit, puis s’enfonça dans son siège.Non. Non. Pas cela. Elle

sentit son cœur battre la chamade ; il avait l’air toutefois réticent et aussi susceptible de se voirpousser des antennes que de lui demander sa main. Elle souffla lentement et tenta d’afficher unsourire.

—Commec’estamusant,lâcha-t-elled’unevoixrauque.—Jerépèteseulementcequ’ilm’adit.—Conseilinutiles’ilenest.Ilpensequetudevraism’épouser?(Elleémitunriretropsonore.)

Visiblement,tun’aspasditqu’ils’agissaitdemoi,ouiln’auraitjamaissuggéréunetellepunition.—Violet,marmonnaSebastian.—Ilestcenséêtreintelligent,etc’esttoutcequ’iltrouve?—Oui. Je ne suis pas le bon prétendant, je crois que nous nous sommes assez attardés sur ce

point.Maintenant,pouvons-nousprendreunpeuderecul,etenvisager…—Oh,etpourquoicela?Suivonsdoncsonconseil.Marions-nous,aprèstout.

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Sielleréussissaitàledire,ellefaisaitdecetteidéeuneboutadeinoffensive;unsujetàdérision,etnonquelquechosequilaréduiraitenmiettes.

Sebastians’appliquaàsourire.—Ha.— Ce serait fabuleux. Tu pourrais faire semblant d’être toujours plus occupé, et je viendrais

donnerdesconférencesàtaplace.«D’aprèsMrMalheur»,dirais-je.Celatepermettraitdedevenirunparfaitreclus.

—Neserait-cepashilarant?riposta-t-ild’unevoixmorne.—Jevoisçad’ici:lesprospectusannonçantl’événement,avec«MrMalheur»engrosseslettres,

etendessous,«représentéparVioletMalheur,sonépouse».Ilrenâcla.— Je mettrais une note dans le document, poursuivit-elle. « Prière d’adresser toute

correspondancefielleuseconcernantlecontenuscientifiqueàVioletMalheur».C’estl’undesaspectsdetontravaildanslequelj’excellerais.Personnenem’apprécievraimentdetoutefaçon;onpourraitainsicontinueràmedétestersanshésitation.

—Violet.Ilarboraitcepetitrictuspatientqu’elleconnaissaittropbien;celuiqu’iloffraitauxgensquise

trompaientaffreusement,quand ilavaitdécidédenepas lesgênerenprenant laparole. Ilavait lespoingsserrés.

—Quoi?demanda-t-elled’untonautoritaire.Qu’ai-jedit?Jenefaisaisqueplaisanter.Ilnechangeapasd’expression,maisdétournaleregard.—C’estjusteque…Oh,bonsang.Ellesentitunfrissond’émotionlaparcourir.—Je souhaitais simplementdétendre l’atmosphère.Qu’ai-jedonc fait demal àprésent ? Jene

cherchaispasàêtredifficile.—Violet,dit-ilcalmement,s’ilteplaît,neblaguepassurlaperspectivedem’épouser.C’étaitsiinjustequ’elleneputmêmepassuffoquerd’indignation.Évidemmentqu’ellen’étaitpas

le genre de femme qui attirait l’attention de Sebastian. Il l’avait déclaré lui-même.Mais ils étaientamisde longuedate.Nepouvait-ilaumoinssimulerunrire?Était-ellesi ignoble,quel’envisagercommeconjointesurletondel’humourledégoûtât?

—Cen’estpascommesi tuavaisnourri lemoindreespoir.Jesaisque jenerépondspasà tescritères.

Ilpoussaunlentsoupir.—Jen’auraisjamaisdûdiredetelleschoses,admit-ilenseserrantlesmains.Jedétestememettre

encolère.—Pourquoi?Cen’étaitpasvrai?Ilpinçaleslèvres.—Peut-être…quej’auraisdûleformulerautrement.Mais…Illevalesyeuxenl’air,commeimplorantlescieuxdelafairetaire.Ellesentitsonestomacsenouer.Qu’importe,sadouleurétaithorsdepropos.Elleneseraitjamais

assezbêtepourdésirerSebastian.Iln’yavaitaucuneraisond’êtreblesséeparcequ’unhommequ’elles’interdisaitdevouloirlarejetaitaussi.

—Utiliselestermesquiteplaisent,riposta-t-elle.Lesentimentrestelemême.Ilsemitdeboutetcapturasonregard.Elleétaitréticenteàsoutenirlesien,maisnepouvaitfaire

autrement.Quelque chose de sauvage et sombre animait l’expression de son compagnon.Quelque

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chosequ’ellenecomprenaitpas.—Veux-tusavoirpourquoitunerépondspasàmescritères?Ellesecoualatête,mortifiée.—Trop tard, poursuivit-il. Une règle est primordiale pourmoi : ne jamais avoir de rapports

sexuelsquandl’undespartisestamoureuxdel’autre.Ouçafiniramal.Elleretintsonsouffle.Sonuniversplongeadanslesténèbres.—Espècedemuflearrogant!Jenesuispasamoureusedetoi.— Je sais, rétorqua-t-il sans se détourner.N’est-ce pas ce que j’ai dit ?Un seul de nous aime

l’autre,etcen’estpastoi.Elle le dévisagea. Ses oreilles semblaient bien fonctionner ; tout comme son cerveau. Elle

additionnadeuxplustroisavechésitation,etvérifiaquecelafaisaittoujourscinq.Oui.Ettroisplusdeux?Encorecinq.Laloicommutativedel’additionétaittoujoursenvigueur,

etsonmondevenaitpourtantd’êtremissensdessusdessous.Sebastianavaitinsinuéàl’instant…Oh, non. Elle devait seméprendre. Il était fortuné, beau et si charmant. Il nemanquait pas de

conquêtes.Ilpouvaitavoirtoutescellesqu’ildésirait–cellesquin’étaientpastropàchevalsurlesconvenances,bienentendu.EtVioletétait…Violet.Celan’avaitaucunsens.

Elles’humectaleslèvresetrépliqua:—Nesoispasridicule.Ill’observaitavecunpetitsourire,commes’iln’avaitabsolumentrienditdefâcheux.—Nesoispasridicule,répéta-t-elle,mêmesicelanesuffiraitpasàeffacercequ’ilvenaitdedire.

C’est…C’est…Elles’arrêta,prituneprofondeinspiration,maiscelan’aidaguère.Elleavaitlatêtequitournait

commeaprèss’êtrelevéetropvite.—Tun’asjamaisdonnélemoindresignede…Ilgrimaça.—Violet,j’aijouéunrôlepourtoipendantcinqans.J’aiachetéunemaisonprèsdelatienneà

Londresetinstallédesgrillesdemespropresmainspournouspermettredediscuterdetontravailensecret.Nemedispasquejenet’aijamaislaisséedevinermonamourpourtoi.(Ellesentitsagorgeseserrer.)Depuis cinq ans, je suis tonmeilleur ami, ton confident.Celui qui sait tout sur toi.Et oui,Violet.Jet’aime,déclara-t-ilsanss’approcherd’elle.

—Maistun’asjamaisriendit,s’étonna-t-elle,encorechancelante.—Peut-êtreaurais-jedû.Mais…tuétaismariée.Commentétais-jecenséaborderlesujet?Puis

tonépouxestmort,et tuétais…endeuil.Etaprèscela,ehbien…tusaiscommentçasepasse.J’aiessayédeteséduire;tun’asjamaisréagi.Tunerépondsjamaisauxsollicitationsdequiquecesoit,Violet.Alors,oui,j’aitenumalangue.Maissijemetaismaintenant,tuteméprendraspourtoujourssurtoutcequejedisoufais.

—Tuflirtesavectoutlemonde.(Ellefermalesyeux.)Je…Mais elle ne pouvait lui affirmer qu’elle n’y avait jamais porté aucun intérêt, car c’était faux.

Mêmesielleneparvenaitpasàexprimercequecelaavaitsignifiépourelle.— Sebastian, tu n’es pas le genre d’homme à tomber amoureux d’une femme et souffrir en

silence.Ilse tutunmoment,et la regarda.Pour lapremièrefoisdesavie,elle ignoraitcequ’ilavaità

l’esprit.Ils’enfonçadanssonsiège.—As-tudéjàgoûtéuntrèsboncurry?lança-t-il.—Quelestlerapport?

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—Situn’yespaspréparée,lesépicespeuventêtrepénibles.Ellest’assaillent,tebrûlentlalangueet tout le long de la gorge. J’imagine que certaines personnes en prennent une bouchée et sepromettentdeneplusjamaismangerunechosepareille.

—Jesensquetoncurryvatournerenuneaffreuseanalogie.—Jedissimplementqu’ilyadetrèsnombreusesfaçonsdesouffrir.Terappelles-tulejouroùtu

m’as demandé d’entrer dans ton jeu ? Après la sortie de ce premier article qui a aussitôt suscitél’intérêt?

Mêmeunedéclarationd’amournepouvaitcomplètementanéantirleuramitié.—Commentpourrais-jeoublier?dit-elleensouriant.— Je t’ai dit que c’était impossible. Que je n’avais pas les compétences requises, que pour

présenter ton travail comme étant le mien, j’aurais besoin de comprendre tout ce qui se cachaitderrière ; de connaître les détails occultes de la philosophie de la nature. Et que je n’y arriveraisjamais.

—N’importequoi,répliqua-t-elleenrenâclant.— C’est exactement ce que tu as répondu. Tu as émis ce petit reniflement incrédule, celui-là

même.Ettuasréagicommesij’avaistenulesproposlesplusridiculesdumonde.—Regardecequetuasréussiàaccomplir.J’avaisraison.—Oui.Maistusais,Violet,tuétaislaseuleàm’avoirjamaisditça.Tum’asobservéenrelevant

unsourcildubitatif,ettuasdéclaréquejedeviendraisl’undespluséminentsexpertsaumondesurunsujetquin’avaitpasencoreétédécouvert.Jusque-là,personnen’avaitjamaiscrucelademoi,avoua-t-ilensouriant.Benedictm’affirmeenpermanenceque jen’ai rienfaitdemavie.MêmeRobertetOlivermeconsidèrentcommeuneespècedepitre,etjelesconnaisdepuismatendreenfance.Àparttoi, ce sontmesmeilleurs amis.Voilà à quoi j’étais bon quand nous avons commencé à travaillerensemble:fairerire.Ilsnesetrompaientpasdebeaucoup.Jesuisplutôtridicule.Personned’autrenepeutvraiment croire ceque j’ai fait.Tues la seule àm’avoir regardé en songeant : «Cethommesauraitjouerlerôled’ungéniesansquequiconqueremettecestatutenquestion.»

Elleeneutunebouledanslagorge.—C’étaitévident,parvint-elleàdireavecraideur.—C’est,entreautres,pourçaquejet’aime,Violet.Turemarquesnombredechosessurprenantes,

tuespersuadéequ’ellessautentauxyeux,etl’opinionquetut’enfaisesttoujoursjuste.Il aurait fallu avoir un cœur de pierre pour résister à une telle déclaration, à des yeux comme

ceux-là,àlafoisténébreuxetlumineux.—Jesuistellementdésolée.Jenesuis…Jenepeux…Impossible.Ellenepouvaitl’aimer,mêmesiunegrandepartd’elleenavaitfollementenvie.—Non,jecomprends.Tusais,lesimplefaitquetum’enflammesnesignifiepasquejesouffre.

J’aitoujourssuque,mêmesitun’étaispasamoureusedemoi,tum’aimaisaussi.L’airqu’elleinspiraluiparuttropdense.Elleneparvenaitpasàpenser,niàleregarderdansles

yeux.Ilavaittellementraison.Ellen’avaitjamaisvoulul’admettre,mais…ildisaitvrai.Jamaisplus.Surtoutpasaveclui.—C’estcela,confirma-t-elled’untonpleind’espoir.Oui,nousnousaimons,maisçan’ariende

physique.Iln’yaaucundésir,c’estpurementplatonique.Elles’interrompitenvoyantleregarddeSebastian.—Purementplatonique,répéta-t-elled’untoninterrogateur.N’est-cepas?—Non,contesta-t-il.Seigneur,non.Ses yeux débordaient d’ardeur, sondant ceux deViolet.Durant un instant, elle sentit presque la

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chaleurdesalangue,imaginantqu’illuiléchaitlenombril,etdescendaitlentementplusbas.—Non,mon amour pour toi n’a rien de platonique. Je te désire, passionnément. Si tu voulais

coucheravecmoi,jeteprendraislà,toutdesuite.Ilhaussalesépaules,etcettevaguetorridesedissipa.—Maistuneveuxpas,ajouta-t-ilensouriant.Elleémitunsoufflesaccadé.Finalement,iln’avaitriencompris.—Sebastian…Maisilsepenchaverselle,réduisantladistanceentreeux,etposaledoigtsurseslèvres.—Chut,murmura-t-il.Inutiled’êtredésoléedenepaspartagermessentiments.Jecomprends.Ilneconsidéraitpascegestecommeuneliberté.Il latouchaitcommeilétaitnatureldelefaire

entreamisproches;pourleréconfort,lesoutien.Pourluimontrerqu’ilsavaitcequ’elleéprouvait.Ellenes’écartapasdelui,puisqu’ilnesedoutaitderien.

—Jenepeuxpas,s’entendit-elledire.Jenepeuxpasêtrecettepersonne-là,Sebastian.Jenepeuxvraimentpas.

Maisellesentaitcevieuxdésirinopportuns’éveillerenelle,luivrillerleventreteldupoison.Siellebaissaitsagardeetlelaissaits’installer,illasubmergeraitetelleperdraittout.

—Violet.Commentpouvais-je tedireque je t’aimaisetm’attendreàceque tu fassesunchoixcontretongré?Ladernièrechosequejevoudraisseraitquetunesoispastoi-même.(Illuiposaunemainsurl’épaule.)Tudevraislesavoir,venantdemoi.Jet’aime.

Ilnesavaitpascequ’ilétaitentraindedire.Ilnemesuraitpascombienellesouffraitderefoulerses besoins. Elle se raidit pour contrer l’assaut du gentleman. Elle ne désirait pas, n’avait aucunbesoinqu’onl’entraîneaulit.

—Toutvabien,chuchota-t-il.Durantcettefractiondeseconde,ellesouhaitavivementqu’onl’étreigne,aupointqu’elleenresta

immobile. Il lui suffisaitdemurmurerunmotpourqu’ilséchangentdevraiscontacts,peaucontrepeau.Ilsglisseraientdansledésir…etellesouffriraitlemartyreavecl’écœurantecertitudequecettefois,ellenesurvivraitpeut-êtrepas.SeulSebastianoseraitl’aimer,etilnesavaitpastout.

Ellefermalesyeuxetlaissalesdoigtsréconfortantsdesonamilafrôler.Ellesepasseraitdetoutlereste.

—Chut,c’estcommeça,dit-il.Riennedoitchangersitunelesouhaitespas.—Commentvontreprendrenosrelations?demanda-t-elleàvoixbasse.—Trèssimplement,au jour le jour.Nous ironsaumariaged’Oliver,nousplaisanterons.Nous

retomberonsdansnotrevieilleamitié.—Ettuchangerasd’avis,dit-elleavecunelueurd’espoir.C’étaitcela:unetocadedesapart.—Àquandremontetadernièreliaison?Tuaspassétellementdetempsavecmoi,tut’esleurré.Unlongsilences’installa.—C’estbiencela,non?insista-t-elle.—Non,répondit-ilensouriant.Non,vraimentpas.Maisregarde:rienn’abesoindechanger.Toutavaitchangé.Violetauraitvoulufairesemblant,maisellen’yparvenaitpas.Malgréseseffortspourfeindrela

désinvolture, elle était consciente de jouer un rôle. Sebastian l’accueillit avec un sourire quelquesjoursplus tard, lorsque sabonne et elle le retrouvèrent à la gare.Exactement lamêmeexpressionaffablequ’ilaffichadevantleursamis,RobertBlaisdell,leducdeClermont,etsafemme,Minerva,

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quandilsarrivèrentunpeuplustard.Maisellen’étaitpasidiote.Elleneputoubliersaprésencedurantl’interminabletrajetentrainqui

suivit.Depuissonsiègecôtéfenêtre,ellecontemplaitleschampsdecéréales,etessayadecompterlesvariétésd’orge.Plusfacilequed’observerSebastianetseremémorersesparoles.

Leurs regards secroisèrentun instant, et il lui adressaunclind’œilnonchalant.Elle retint sonsouffle,sedétournahâtivement,maislemalétaitfait.Nepastenircomptedesespropressentimentsétaitrelativementfacile;elles’yappliquaitdepuissilongtempsquec’étaitdevenuunesecondenaturechezelle.OublierceuxdeSebastian?Seigneur,c’étaitundébauché.Etilvoulait…Ilvoulait…

Non. Elle riva son attention droit devant elle, et entama une conversation exclusive avec laduchesse pour le reste de la journée.Minnie était timide quandon la rencontrait pour la premièrefois,cequiamenaitlesgensàlanégliger.Maiselleétaitégalementintelligente,etunefoisquevousl’aviezincitéeàparler,ellepouvaitsemontrerfortloquace.SuffisammentpourfournirunprétexteàVioletpournepasdiscuteravecsonami.

Cenefutqu’auboutdeleurvoyagequ’elles’aperçutcombienlesjoursquiseprofilaientallaientêtreinvivables.NewShaling,leminusculevillagedontétaitoriginaireOliver,etoùdevaitavoirlieusonmariage, ne comprenait qu’une auberge. Celle-ci n’avait qu’une salle àmanger privée que separtageaient tous les visiteurs.Violet ne serait pas enmesure d’éviter Sebastian,même si elle s’yéchinait. Elle procéda donc comme à son habitude : elle eut recours aux règles de samère. « Lesimplefaitqu’uneentreprisesoitimpossiblen’impliquepasquevousdeviezyrenoncer.»

Sebastianne la regardaitpasplusque lesautrespersonnesprésentes.Rien n’avait changé,maischaque coup d’œil qu’il lui lançait déclenchait en elle une vague de chaleur. Cette sensation necesserait pas de sitôt ; si elle avait eu le pouvoir de faire disparaître ses besoins inopportuns, ellel’auraitfaitdepuislongtemps.

Par conséquent, pendant queRobert plaisantait avec l’aubergiste sur la quantité de bœuf qu’ilsallaientprobablementconsommer,etqueSebastianfaisaitparlerMinnieenluiposantdesquestionssurlederniervoteduParlement,Violetmontafurtivementl’escalierets’enfermadanssachambre.

Cequinepouvaitêtrechangépouvaitêtrecontourné.

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Chapitre7

PersonneàpartSebastiannesemblaremarquerl’absencedeVioletaudéjeuner.Aucundesinvitésn’émitd’objectioncontreunepromenadedanslacampagnesanssavoircequ’iladvenaitd’elle.

Elle avait paru distraite tout le long du trajet, à peine concentrée sur les propos deMinnie, leregard constamment dans le vide. Sebastian savait trop bien ce qui la tourmentait. Il sentait cetteinquiétudepesersursespropresépaules.Jeneveuxpasteperdre.

Il allégua donc la fatigue quand Robert et son épouse partirent marcher avec Oliver et Jane.Tandisquesesautresamissortaient, ilcommandaunplateauencuisineetmontal’escalier.Elleneréponditpasàsonlégercoupsurlaporte.Aprèsavoirjetéuncoupd’œildanslecouloiretvérifiéquecelui-ciétaiteneffetdésert,ilmaintintsacollationenéquilibreetouvrit.

La chambre était confortable et propre, meublée avec simplicité. Une fenêtre donnait sur lepaysageidylliqued’uneprairieenfleurs,maisVioletnecontemplaitpaslespectacle.Elleétaitassiseàsonbureau,latêtepenchéesurquelquesfeuillesdepapieràlettres.Elleécrivaitàunrythmeeffréné.Ellenelevapaslesyeux,pasmêmequandSebastianlaissalaporteserefermerenclaquant.Ellenesedoutaitpasunesecondequ’ilétaitlà.Typiqued’elle,sedit-ilensouriant.Illarejoignit,selibéralesmainsetpritunsiège.

S’il avait eu quelque talent en dessin, il aurait pu reproduire cette scène demémoire ;Violet,inconsciente de son environnement. Elle pinçait les lèvres, concentrée sur son document avec lasingulièreintensitéd’unchatobservantunpapillon.Ill’avaitvueainsidescentaines,desmilliersdefois.Quandelleseplongeaitdansunprojet,elleperdaittoutenotiondel’espaceetdutemps.Ils’étaitsouvent demandé si elle trouvait déstabilisant de lever la tête et de découvrir que la moitié de lajournées’étaitécoulée.Unjour,lamaisonoùelletravailleraitprendraitfeu;elleseredresseraitdesheuresplustardenclignantdesyeux,étonnéededécouvrirlesmurscarbonisésetlescendresautourd’elle.

Il avait apprécié la comédie au début, en partie parce qu’il aimait la tâche en elle-même.Maisc’étaitplusquecela.Quand ilavaitprésenté les recherchesdeViolet,elle luiavaitparfoisaccordéson attention. Il s’était entraîné devant elle pour des conférences, devenant ainsi le centre de sonintérêtaiguisé.Ellel’avaitétudiécommesilerestedumondeavaitcesséd’exister.

Ilémitunlongsoupir.Laseulefaçonqu’ilavaitjamaiseuedesusciterlacuriositédesonamieétaitdeluiparlerdetoutsaufd’elle-même.Chaquefoisqu’ils’étaitmontréplussuggestif,elleavaitrefusé de rebondir sur le sujet, comme si Sebastian en tant qu’homme s’avérait aussi négligeableque… qu’un édifice en flammes s’écroulant autour d’elle pendant qu’elle pensait à autre chose. Ilaurait pu s’emporter contre ellepour ça. Il pouvait aussi bien reprocher àun chatond’avoirde lafourrure.

Elleécrivaittoujoursfurieusement,lesyeuxplissésdansunemouesévère.Peut-êtrerédigeait-elleune lettre sur la cruauté des pièges en acier utilisés pour attraper les insectes nuisibles, l’un desthèmes qui l’occupaient à l’occasion. Ou était-ce une réponse à un confrère scientifique ? CelafonctionnaitainsiavecViolet.Vousnesaviez jamaiscequiavaitsoudainassaillisonesprit,quecesoitfutileoudelaplusgrandeimportance.Voussaviezseulementqu’elleneremarqueraitrienautourd’elletantqu’ellen’enauraitpasfiniaveccepointprécis.

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Lessecondesd’attentesetransformèrentenminutes.Lejoursedéplaçalentementdanslapièce;l’ombreportéeparlefauteuildeSebastians’allongeapeuàpeu.

Lecourrouxdelajeunefemmesemblaitdécliner,cédantprogressivementlaplaceàunétatqueson amineparvenait pas vraiment à situer sur le spectre des émotions.La résignation, peut-être ?Commeils’enétaitdouté,ellefinitparposersaplumeetmettresafeuilledecôté.

L’observer tandis qu’elle revenait à la réalité confinait toujours à la joie. Elle fit battre sespaupières, comme si elle avait dû se réadapter à la lumière en sortant d’une grotte. Elle s’étira,déployantlesbras,écartantlesdoigtsavantdereplierlespoings.Elleinspiraetlevalatête.

SonregardseposasurSebastian.L’espacedequelquesinstants,elleledévisagea.—Oh,lâcha-t-elled’unairperplexe.Ilmesemblaitbienavoirentenduquelqu’unentrer.J’aurais

dûsavoirquec’étaittoienconstatantqu’onnemedérangeaitpas.—Jesaisbienquecen’estguèreconseillé.Ellel’étudiaavecméfiance,puisluioffritl’ébauched’unsourire.— Tu es l’une des rares personnes en présence desquelles je peux travailler. Avec toi, c’est

commesij’étaisseuledanslapièce.—Merci,répliqua-t-ilavecgravité,tentantdecachersonhilarité.Il n’y avait qu’elle pour tenir de tels propos en estimant faire un compliment. Elle cligna de

nouveaudesyeux.—Attendsuneminute.J’essayaisdet’éviter,annonça-t-ellesansambages.Pourl’amourduciel,

j’étaisentraindet’écrireunelettreenragée.—Oh,vraiment?Ellem’étaitdestinée?Ilcommençaàsepencherpourenlirelecontenu,maiselleretournalesdocuments.—Non,protesta-t-elle.Elleestbeaucouptropgrossièrepourquejetelaremette.Celanel’arrêtaitpasd’habitude.Ilsecontentadecroiserlesbrasetd’attendre.Ellerenifla.—Etégoïste.Parailleurs,jet’yaiaffublédenomsd’oiseaux.—Tuveuxdirequejesuisrestéuneheureàteregarderm’insulterdanstatête?L’idéeletitillaitdefaçoninexplicable.Icimême,ils’étaitimaginéqu’elleméditaitdefascinants

sujetsportantsurdeschatsoudespiègesenacier.Etellepensaitàlui.—C’estcharmant,Violet.Maistuasledroitdecriercontremoiendehorsdetoncrâne.Qu’ai-je

faitcettefois?Ellesoupiraetsedétourna.—C’est le problème. Tu n’as… rien fait. Je suis restée assise à rédiger toute une diatribe, en

prenantconscienceàmesurequej’écrivaisdecombienj’étaisignoble.J’étaisenpartiefâchéeparcequejesavaisàquelpointjememontraisaffreusementinsensée.

Ellejouaaveclaplumesursonbureau,lafaisantrouleravecgênesoussesdoigts.—Celaconcerne-t-ilmesaveuxdel’autrejour?s’enquit-il.Ellepinçaleslèvres,maisacquiesçafurtivement.—Et laisse-moi deviner tes griefs : « Tu esmonmeilleur ami. Comment oses-tu dire que je

comptepourtoi!»Unautrehochementdetête,maiscettefoisaveclerougeauxjoues.— Je suis un homme audacieux, déclara-t-il avec légèreté. Un explorateur intrépide. J’ai fait

beaucoupdechoses.—Oui,confirma-t-ellepresquesurlemêmeton.TuasbravéledésertdeVioletWaterfield,ses

eauxinfestéesderequins,etsescôteshautementpérilleuses.Ettuyassurvécu.Elleparlaitlesyeuxanimésd’unefroidelueur.

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Tun’espasundésert,voulait-ildire.Elleauraitfaitn’importequoipourlesgensqu’elleaimait,àpartaccepterleurscompliments.

Ilsecontentadoncdehausserlesépaules.—J’aiapportéduthépourtesterresarides,lança-t-il.—Pardon?Pourquoi?Tut’entraînespourdevenirvalet?—Non.Jem’entraîneàdevenirunnuisible.—Inutile.Tuesdéjàexpertenlamatière.Elles’empourpraetregardaailleurs,maisSebastiansesentitsubmergédeplaisir.Siellepouvait

letaquiner,ellerecommençaitdoncàsesentiràl’aise.—Laperfectionrequiertunepratiqueconstantedanstouslesdomaines,psalmodia-t-il.Deplus,

tun’aspasmangécematinnicemidi.Tuasfaim.—Jen’aipasmangé?(Ellesourcilla.)Etj’aifaim?Ilpatienta.—Oh,s’étonna-t-elleaprèsunepetitepause.C’estvrai.Iltraversalachambreetluimontralanourriturequ’ilavaitmontée.Ilconnaissaitsuffisamment

Violetpours’êtreassurédenecommanderquedesdenréesquisurvivraientuneheuresurunplateau:du fromage, des pommes, un grand choix de légumes d’été, et un assortiment de pains.Quelquesbiscuitssucrésetunpotdethéàprésenttièdecomplétaientlacollation.

—C’est dangereux pour ta santé de ne pas être en bons termes avecmoi, affirma-t-il. Tu nemangespasassez,etc’estl’undemestalents,dem’assurerquetutenourris.

—Sottises,riposta-t-elleentendantlebrasversunepomme.Il lui prit la main gauche. Elle se figea alors entièrement, levant vers lui des yeux fixes et

écarquillés.Elleparaissaits’attendreàcequ’ilfasseplusquelatoucher.—Ne t’inquiètepas,Violet, dit-il d’un tonplus sarcastiquequ’il ne l’avait souhaité. J’attendrai

demainpourteséduire.Jeveuxjusteprouverquelquechose.Illuiretournalepoignet,glissatroisdoigtsdanssamanchetteetlesfitpivoterendisant:— Tu vois ? Cette robe était parfaitement à ta taille. Regarde tout l’espace qu’il y a en trop,

maintenant.Tunemangespasassez.—Maissi,sedéfendit-elled’unairrenfrogné.J’ensuissûre.Jedîne,jeprendsunpetitdéjeuner.

(Samoues’accentua.)Laplupartdutemps.—Tunemanges pas assez, insista-t-il, et tu ne t’en rendsmêmepas compte.Dois-je dire à ta

bonnedetesurveiller?—Çanemarcherapas,marmonna-t-elle.Louisaesttroptimide.C’estpourcetteraisonquejel’ai

engagée. (Elle refusait de croiser son regard.) Bon sang, Sebastian. Pourquoi faut-il que tu soisaussi…aussi…sinécessaire?acheva-t-elle.

—Oh,Violet,répliqua-t-ilensouriant.Voilàquiétaitpresquecivil.Elleémitunpetitbruit.—Ilyaquelquessemaines,jet’aiditquejenem’enapercevraismêmepassitudisparaissais.En

vérité, je l’ai remarqué.Chaque fois que je relève le nez, je le remarque, admit-elle à voix basse.Chaquefoisquejeleremarque,jemesenshorriblementmal.Etchaquefoisquejemesensaussimal,jefermelesyeux.Tuesmon…

Ilsepenchaenavant.—Monmeilleurami,conclut-elle.Etjetedétestepourça.« Je tedéteste»ne faisaitpaspartiede leurcode,mais fonctionnaitde lamême façon ;Violet

prononçait cesmots parcequ’elle nepouvait se résoudre à exprimer ce qu’elle voulait réellement

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dire.Quandelleavaiteurecoursaulangagecryptépour«j’aibesoindetoi»et«viensmevoir»,ilétaitapparuàSebastianqu’elleavaitchoisidestermesfrisantl’impolitesse.

—C’estsigentil,rétorqua-t-ilavecgravité.Jetedétesteaussi,Violet.Ellebaissavivementlatête,assimilanttoutcequ’ilavaitdéclarédansdesparolesquepersonne

d’autrequ’euxnecomprendraitjamais.—Maintenant,mange.Elles’exécuta.—Jeregrettequemongénieneservepasàfabriquerdesautomates,déplora-t-il.J’encréeraisun

qui tesuivraitpartoutavecunplateau. Ilattendraitpatiemmentque tu relèves lenezde la tâchequit’occupe,etdèsquetuleferais,iltedirait:«LadyCambury,vousdevezvousnourrir.»

—Ceseraitextrêmementennuyeux.—Jeneconsidèrepascelacommeunpréjudice.—J’estimequeceseraitgâcherunbonautomate.Jemodifieraistoninvention,déclara-t-elleen

prenantdufromageaprèsavoiravalésabouchéedepomme.J’habilleraismaversiondelaplusbellesoiequej’ai,etl’enverraisrendredesvisitesdecourtoisie.Oh,jerépugnetellementàcela.Iln’auraitpasbesoind’unvocabulairetrèsétendu.«Oui,diraitmonautomate,cetempsestépouvantable,n’est-ce pas ? » En fait, je pense que je le programmerais ainsi. Quoi que dise l’autre personne, ilrépondrait:«Oui,trèscertainement,n’est-cepas?»Ilseraitirréprochablesurlesbonnesmanières.

—Oui,trèscertainement,n’est-cepas?—Jeseraisconnuepar-delàlesfrontièrespourmonamabilité.Cequim’atoujoursfaitdéfaut.—Non,certainementpas,si?Ellerelevalesyeuxversluienarquantlessourcils,maisn’émitaucuncommentaire.—Etj’useraisdemontempslibrepourréfléchiràtoutcequejeveux.Peut-êtrequecettefois,je

trouveraisundomainederecherchesquetuseraisdisposéàprésenter.— Non, répondit-il plus lentement. Il ne s’agit pas de la nature du travail, Violet, mais de la

personnequil’accomplit.Elleleregarda.—Vraiment?Rienquejepuissechoisir?Aucunsujet?Toi,songea-t-il.Toi.Toutcequiteconcerne.—Jet’enaidéjàparlé.J’envisagelanavigation.Ellegrimaça.—Bah,celameparaîtbienconfus.Unregroupementdeprincipesgénéraux,vraisseulementdans

l’ensemble,quen’importequipeutcontournerentouteimpunitésimplementparcequ’ilenaenvie.—Oui,répliqua-t-ild’untonmoqueur,c’esttrèscertainementaffreux,n’est-cepas?Ellerouladesyeux.—Seigneur, ce que c’est agaçant.Même si je déteste l’admettre, tu as raison. J’ai besoin d’un

automateplusintelligent.Celui-cimeferaitjeterhorsdesmaisonsoùjerendraisvisite.—Non.C’esttacréaturequ’ilschasseraientdechezeux,etpenseauxavantages.Illuiadressaunclind’œiletsepenchaenluifaisantsignedes’approcher.Elles’inclinaàsontour.—Tun’aurasplusàyretourner,murmura-t-il.Ellesourit.—Dieuxduciel,nemefaispasrire,Sebastian.—Pourquoipas?—Parceque…Tuvasmefaireoublier…Memettreàl’aise…

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Ilaffichaunairhilare.—C’esttoutelaquestion.Énerve-toiautantqu’ilteplaira.Maudis-moipendantdesheures.Sois

gênée.Àlafindelajournée,jeseraiencorelàpourt’apporterdespommesettefairerire.Ellereniflaavecméfiance.—Pourquoi?—Parceque…j’adoreêtrecapabledetefairerire,murmura-t-il.Elleledévisageaensourcillant,consternée.Puisellesedétournaetpritunbiscuitsurleplateau.—Neviseriendestupide.Quelqu’und’autre l’aurait trouvée impolie, l’aurait imaginée insensibleet revêche.Sebastian la

connaissaitmieuxquecela.—Nesoispasridicule,Violet,finit-ilpardire.Jesuistropintelligentpourça.

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Chapitre8

Quatresacsdebilles.Troisjeuxdecartes.Unebouteilledecognac,deuxdevindeBourgogne,desquantitésd’oranges.Sebastianpointacedernierélémentsursalisteetlevalesyeuxpourscruterlasalleàmanger.

Desbanderolesbleuesdécoraientlesmurs,etdesplateauxdenourriturefestifsrecouvraientlestables. Ilsdébordaientde raisin,de fromages,depetits sandwichs,degrosmorceauxdeviande,degâteaux, de tartes, de biscuits, de pâtisseries… Tout s’additionnait pour composer un véritablebanquet nuptial. Il ne manquait qu’une chose à la petite fête de Sebastian : des invités. Et d’aprèsl’horloge,ilsseraientlà…

Laportes’ouvrit.—Oh,bontédivine.Oliver,soncousin,s’arrêtadansl’encadrement.Ilpassaunemaindanssescheveuxroux,etajusta

seslunettessursonnezavecincrédulité.Oui,l’effetétaitplutôtimpressionnant,siSebastianpouvaitsepermettrecettevanité.Ilcroisalesbrasens’efforçantdenepassepavanertropostensiblement.

—S’imagine-t-onvraimentquenousallonsmangertoutcela?demandaOliveràvoixbasse.—Pasnous,répliquasoncompagnond’untonsolennel.Toi.—Ilyauncochonentiersurcettetable.Jedoistenirsurmespiedsdemainmatin,s’inquiétale

futurmarié en secouant la tête. Par ailleurs, je préférerais ne pas vomir durantma cérémonie demariage.Janerisqueraitdemall’interpréter.

—Robertetmoi t’aideronsà resterdebout.C’était samissiond’apporter le seaucesoir.Nousverronss’il…Oh,tevoilà,Robert.C’estgentildetejoindreànous.

—Sansseau,marmonnaOliver.—«Sansseau»?Dequoiêtes-vousentraindediscuter?—Oh,derien,réponditSebastianensouriant.Entredonc.Vienst’extasierdevantmonœuvrede

splendeur.Ilfitunpasdecôtépourlaissersesamispénétrerdanslapièce.Lefuturmariéregardatoutautour

delui,ébahi.Sebastian et Robert avaient confectionné la banderole qui pendait au-dessus de la table.

«Félicitations*,Oliver!»affichait-elleenlettresvivesetmulticolores.L’astérisquerenvoyaitàunenoteajoutéeplusbasentoutespetiteslettresnoires.

L’intéressés’approchapourétudierlemessage.—«Pourêtreparvenuàembobinerunejeunefemmeparailleursintelligenteetjoliejusqu’àce

qu’elleacceptedet’épouser,cequiconstituetrèsprobablementtaplusgranderéussiteàcejour»,lut-ilàvoixhaute,maisensouriant.Vousavezparfaitementraison.Jen’arrivetoujourspasàcroirelachancequej’ai.

— Tu aurais dû être là quand ils se sont rencontrés, dit Sebastian à Robert. C’était un sacréévénement.

—Tun’étaispaslànonplus,sourcillaOliver.Si?—Quand ils se sont vus la deuxième fois, rectifiaMalheur dans un geste désinvolte. Elle l’a

abreuvédeparoles,etensuite, ilapassésontempsàregarderpar-dessussonépauleenrefusantde

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parlerd’elle.C’était lecoupde foudreà ladeuxième rencontre.Uneévidencepour tout lemonde,sauflui;ilamisdesmoisàs’enrendrecompte.

Robertricana.—Seigneur,tuauraisdûaussilevoirselamenteràsonsujet.Unecatastrophe.Jepensaisqu’illui

étaitarrivéunetragédie,etiln’ajamaismêmeprononcésonprénom.—Jesuislà,rappelal’intéressé.Justedevantvous.D’unbrefcoupd’œildanslasalle,onnedevinaitpastoutdesuitequeleducetluiétaientparents.

Robertétaitblondauteintpâle,tandisqu’Oliveravaitlescheveuxpresqueorange,etquelquestachesderousseursur lenez.Maisau-delàdecesdétailssuperficiels, ilsseressemblaientbeaucoup,avecleursyeuxbleugivreetleurnezpointu.Ilsavaientencommunnombredemanies.Ilsétaientdevenuspratiquementinséparablesaprèsavoirdécouvertquelquesannéesplustôtqu’ilsétaientdemi-frères.

—Oh, c’est vrai, fitRobert en feignant d’être surpris. Tu es là, en effet. Je suppose que nousdevrons garder les commérages te concernant pour demain, quand tu seras autrement occupé. Àprésent, tucélèbres tadernièresoiréedecélibataire,d’unemanièredontseuls lesFrères ténébreuxpeuventtegratifier!

— Oui, confirma Sebastian. Nous n’avons ici que la plus ténébreuse des nourritures, ce quiimpliquequ’ondoit faireboireà touthomme laconsommantde lamaindroiteunverreentierdemonfameuxpunch.

Les trois hommes – etViolet – étaient surnommés lesFrères ténébreuxdepuis l’époque où ilsfréquentaientEton,surtoutparcequ’ilsétaientconstammentensemble,assezsecretsettousgauchers.

Olivergrimaça.—Oh,monDieu,non.Dis-moiquetunefaispastonpunchauvin.—J’aiunebouteilled’alcooldechardonprévueàceteffet.Lefuturmariésecoualatête;Robertparutvaguementnauséeux.LesouriredeSebastians’élargit.

Cespiritueuxvenaitdel’undesmétayersdesondomaine,ets’avéraitaussifâcheuxquecequel’onpouvaitimaginer:vert,amer,avecdesrésidusdeplantesflottantàlasurface.Ilvouspiquaitàvousrenverserlatêteenarrière.Sebastians’étaitentraînépendantdessemainesquandilavaitdix-neufans,afind’êtrecapabled’enboiresansgrimacer.C’étaitl’unedesesfarcespréféréesàl’université.

«Tiens,essaieça.»— Donc, dit Robert. Souvenez-vous, on ne peut utiliser que la main gauche – facile pour

Sebastian etmoi,mais les excentriques ambidextres (il fronça les sourcils en regardant sondemi-frère) devront faire l’effort de se rappeler le comportement de mise. Il est temps d’entamer lesfestivités!

—Attendez,lançaSebastianenlevantlamain.Nousnepouvonspascommencer.Violetn’estpasencorelà.

Leducsetournaverslui,puissoufflatrèslentemententresesdents.—Ah.—Oùest-elle?demandaMalheurenavançantverslui.—Euh…—A-t-ellerefusédevenir?Jesaisquenousavonseu,disons,quelqueslégersdifférends,maisje

nepensaispasqu’elleéviteraitmacompagnieenvotreprésence.Robertsemorditlalèvreinférieure.—Àproposdeça…—Tul’asconviée,n’est-cepas?Leducdétournalesyeux.

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—Jepensais…Elleestseulementmembrehonoraire…—«Membrehonoraire!»s’exclamaSebastianens’approchantdavantage.Tuneluiasmêmepas

proposé?Est-cebiencequetuinsinues?—Ellen’estpasl’undesfrères,glissaOliver,surladéfensive.Niungarçon.Ellen’étaitpasavec

nousàEton.Ellen’estmêmepasgauchère.Honnêtement,j’aitoujoursconsidérécetitredemembrehonorairecommeunesortedecadeau.Ellenerépondàaucuncritèrepourfairepartiedecegroupe,etc’estuniquementàlalumièredeses…

—Àlalumièredufaitquenousavonsgrandiavecelle,sifflaMalheur.Qu’elleatraverséavecnousnospiresépreuvessansjamaiss’épanchersursaproprevie.Àlalumièredufaitqu’elleaaidéJane lemois dernier face à sononcle, ce dont, je pense, tu devrais essayer de te souvenir,Oliver.(Celui-cieutlabonnegrâcedeparaîtrehonteux.)Etvousestimezquecelaneposeaucunproblèmedel’écarterauseulmotifqu’ellen’estpasgauchère?

Lefuturmariépinçaleslèvres.—Toutcelaestvrai,maispourêtretoutàfaithonnête,jenel’aipasrencontréeavantmesquinze

ans.Sebastiansefrappalapaumedupoing.—Horsdepropos.Robert,jet’aidemandédet’assurerquelesFrèresténébreuxseraientprésents.

C’étaittaseuletâcheàpartm’aiderpourlabanderole.Jemesuisoccupéducochon,despâtisseries,des gâteaux au sésame, du… (Il bredouillait d’indignation.) Et tu ne pouvais pas prendre troissecondespourdiscuteravecViolet?

— J’ai oublié ! Elle ne nous a pas accompagnés pour cette promenade, au cours de laquellej’avaisprévudeluiparler.Parailleurs,quandvousêtestouslesdeuxensemble,vousaccapareztout!

—Qu’ypouvons-noussinoussommeslespersonneslesplusintéressantesdanslapièce?Maiscette fois, ce sera différent.Nous ne sommes…pas très à l’aise l’un avec l’autre en cemoment ;pourquoicrois-tuquejet’aiedemandédel’inviteraulieudem’enchargermoi-même?

Oliversetournaverslui.—Encore?Cettequerelleremonteaumoisdemai.Sebastianhaussalesépaules.—Sil’onpeutdire.C’estcompliqué.—UnequerelleavecViolet?répétaRobert.Dieuxduciel,àquelsujetpourriez-vousbienvous

disputer?Parfois, Malheur se demandait si ses cousins le voyaient vraiment. Sa première conférence

remontaitàdesannées,maisaucund’euxn’étaitjamaisparvenuàadmettresacarrièredescientifique.Cequiserévélaitenleurfaveurlaplupartdutemps,puisquesonactivitésebasaitsurl’impostureetlatromperie.Cependant,ilsedemandaitparfoiss’illeurarrivaitdeleprendreausérieux.Ill’avaitenpartiechoisi.Aprèstout,ilétaitsirarementsérieux.

Ilsecontentadoncdehausserlesépaules.—Encemoment,leproblèmeestquej’aiétéamoureuxd’elledurantlamoitiédemavie.Celane

correspondpasàl’imagequ’elleademoi,parconséquentelleregrettequejeluienaieparlé.Oliverrouladesyeux.—Oh,ça,c’estvraisemblable.Sebastiansedétourna.— Ton opinion, fondée sur un manque d’information effroyable, est entendue, mais mise au

rebut.Robertlâchaunsoupir.

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—Nedispasdebêtises,voyons.Non.Évidemmentqu’ilsnelecroyaientpas.—Trèsbien.Accordez-moiuninstant.Il fit un tour sur lui-même en se plaquant les mains sur la figure. Il les garda ainsi quelques

secondesdefaçonthéâtrale,puisouvritbrusquementlesbras.—Regardez!VoicimaintenantSebastianleSérieux.SebastianleSérieuxnepeutdéclarerquedes

choses sérieuses. (Il leur adressa un regardmauvais.) À présent, Sebastian le Sérieux veut savoirpourquoivousn’êtespasamèrementhonteuxd’avoiroubliéViolet.

—D’accord,admitRobert.Cetteincarnationdel’hommesérieuxestconvaincante.Malheurpointaleducdudoigt.—SebastianleSérieuxn’estguèreamusépartatentativepourchangerdesujet.Ilinsistepourque

tucessesdedébattreavecluietquetuailleschercherVioletsur-le-champ.—Oh,allez,çapeutattendreuneminute.Jeviensdeservirduchampagne,etjepensaisquenous

pourrionstrinqueravant…QueRobertneprêtepasattentionàSebastian,soit.Celui-cis’efforçaitsciemmentdedédramatiser

leur discussion, après tout. Cette comédie était nécessaire quand ses cousins se montraient tropgraves.Mais qu’il dédaigneViolet ? La fragile, la brillanteViolet, celle qui avait favorisé dès ledépartlelienentreRobertetlui?

Cedernieravançad’unpas.—Tuveuxvoiràquoijeressemblequandjesuissérieux?Il regarda le duc d’un airmaussade. Il était plus petit que lui d’un pouce,mais quand il fit un

secondpasdanssadirection,soncousinclignadel’œiletrecula.—Voilà, poursuivit-il, je suis sérieux.Violet est là-haut, toute seuledansune chambre.Ellene

connaîtpersonned’autre ici,àpartJane,quiestoccupéeavecsasœurcesoir. (Ilenfonçaundoigtdans le torse de Robert.) C’est ton amie depuis que tu as quatre ans. Et peut-être que tu ne t’ensouvienspas,maismoi,si.Elleorganisaitdesjeuxpournousdurantnotrejeunesse.Elleaamenélamoitiéd’Etonà jouerauxcartesselonsesrègles,saufquepersonnen’a jamaissuqu’elle lesavaitétablies.

Leducsourcillaetadmitduboutdeslèvres:—Jesupposequecen’estpasrien.—Arrêtede supposer et sers-toide toncerveau.Elle estveuve.Ellen’apasd’enfant.Samère

n’est pas… des plus chaleureuses. Sa sœur est une vipère qui s’échine à la convaincre qu’elle estincompétente.

— Lily ? La petite Lily ? Est-ce que nous évoquons bien la même fille ? s’étonna Robert enplissantlesyeux.Elleestunpeufade,maisgentille.Dumoins,jelepensais.

—Tesjugementssurlanaturehumainesontconsternants,grommelaSebastian.NoussommeslesamisdeViolet.Regardecequ’elleafaitpourtoi.ElleaaidéMinniepartouslesmoyensàsurvivrecespremièresannéesquiontsuivivotremariage.QuantàJane,elles’estliéed’amitiéavecelledèsque nous avons pris conscience qu’Oliver tombait amoureux d’elle. Et tu as simplement oubliéqu’elleexistait.

—Je…,balbutia leducenregardantpar terre.Tuas raison.J’aimalagi.Dèsquenousauronstrinqué…

—Pasdeça.TuvaschercherVioletàcetinstantmême,rétorquasèchementSebastian,oujequittecettepièce.

—Biensûr.Maisd’abord…

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Et ce fut le mot de la fin. Malheur ne sut vraiment pas ce qui s’empara de lui, mais il levasimplementundoigt,interrompantainsisoncousin.

—Oh,regarde.L’instantestpassé.—Trèsdrôle.Uneplaisanterie.Ilsn’avaientjamaisprisSebastianausérieux,niappréciéViolet.Robert et Oliver s’étaient rencontrés à douze ans et s’étaient déclarés frères. Le troisième

Ténébreuxétaittoujoursrestéunpeuenmargedeleurrelation.Ilétaitceluiquienfilaitlemasquedecomique, qui les faisait rire. En général, il ne leur en voulait pas… beaucoup. Robert avait été siterriblementseul;Oliveravaitgrandiauseind’unefamillequi,malgrésesremarquablesqualités,nel’avaitpaspréparéàévoluerdansdessphèressocialesplusélevées.Sebastianavaitsonproprefrère;iln’avaitpaseubesoind’euxcommeilsavaienteubesoinl’undel’autre.

C’étaitunechosedelemettreàl’écart;ilyétaithabitué.Ils’yattendait,yprêtaitleflanc,même.Mais Violet ? Personne ne la voyait jamais. Elle était à l’origine de tout, et demeurait pourtantinvisible,mêmepourceuxqu’elleaimaitleplus.Elleavaitressentiaucentuplechaqueaffrontqu’ilavaitsubi.Ilétaitplusquefurieux.

—Bien,s’entendit-ildiredeloin.J’aiterminé.Ilseretourna.—Quoi?lançalavoixdeRobertderrièrelui.Dequoidiables’agissait-il?—Jepensequ’ilétaitvraimentsérieux,déploraOliver.Sebastiansortitavecrageenclaquantlaporte.OnfrappapolimentàlaportedelachambredeViolet.Elleclignadespaupièrespuislevalatête.Elleavaitmalauxyeux.Pourquoicela?Ah,parcequ’il

faisaitpresquenuitnoireetqu’elleavaitlusanslampe.Ellen’avaitmêmepasvulejourdécliner.Elleperçutunsecondcoupàsaporteetsecoualatête,délaissantsonproblèmedeluminositéetde

lecture.Elleeuttoutjustelaprésenced’espritdefermersonexemplairedeLaModeillustrée2.Elleneconsultaitpaslesgravuresdemode.Maislatailledupériodiqueétaitsiparfaitequ’elleen

emportaitsouventunexemplaire.Ellepouvaitdécouperdesarticlesdejournauxetlesinsérerentrelespages.Ainsi,personneneprêtaitjamaisattentionàcequ’ellelisait.

Elles’armadecourageavantdesetrouverfaceàSebastian,etlorsqu’elleaffichauneexpressionsuffisammentindifférente,ellelança:

—Entrez.Cen’étaitpaslui,maisRobert,avecOliveràsasuite.—Dieuxduciel,ditleduc.Pourquoies-tuassiseicitouteseuledanslapénombre?—Jelisais.—Sanslampe?—C’était…captivant.Elle croisa lesmains devant elle et releva lementon.Tant qu’elle se comportait comme si ses

petitesmarottesétaientnormales,laplupartdesgensneposaientpastropdequestions.Robertjetauncoupd’œilaumagazinesurlebureau,àpeinevisibledansl’obscuritégrandissante.—Je…vois,dit-ild’unairperplexe.Ehbien,Oliveretmoisommeslàparcequenousavonsune

petiteréunionentreFrèresténébreuxcesoir.Noussouhaitionsquetuviennes.Ellel’observaensourcillant.—Jesuisseulementmembrehonoraire…Ils échangèrent des regards plus insistants, puis le duc fit de son mieux pour lui adresser un

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sourireengageant.—Jeneveuxpasentendreque tuportesce titre.Enfin…Jepense…ouplutôt,nouspensons…

(Il prit une profonde inspiration.) Nous nous sommes aperçus que te qualifier ainsi était d’unecertainefaçoninsultant.JeneconnaispresquepersonnesurcetteTerredepuisaussi longtempsquetoi.Tum’assauvédemultiplesfaçons,et…bon…j’aiétéunimbécile.Jesuisdésolé.

Il lui offrit sa main gauche. Lentement, Violet tendit le bras et la lui serra. Elle ignoraitcomplètementpourquoiilprésentaitdesexcuses.

—J’aiétéunabruti,insista-t-il.Jesuisvraimentdésolé.Jedétesteêtretenuàl’écart,etdesongerquejet’aiinfligéça…(Ilsecoualatête.)Seigneur,jesuissincèrementconfus,Violet.

—Ne t’inquiète pas tant pour ça, assura-t-elle, déconcertée. En général, je nem’en rends pascompte.

—Tuvasdoncdescendretejoindreànous?Elleselevaetdéfroissasesjupons.—Bien sûr.Que fait-on à un rassemblement de Frères ténébreux la veille dumariage de l’un

d’eux?Celava-t-ilresterdansleslimitesdeladécence?—Oh,non,réponditjoyeusementOliver.Cesoir,noustenonstripot.Nousvoulonsjouercomme

desdiables.Ellearquaunsourcil.—Ahoui?Janeenest-elleinformée?Vas-tumiserdesonargent?—Euh…,lâchaOliverensouriantfurtivement.Ellenes’enformaliserapas.Violetaffichauneexpressionconfuse,puislessuivit.Ellen’avait jamaisjouéauxcartesavecOliver,maisavecRobert,quis’avérait toutsimplement

pitoyable.Ilavaitlepotentielpourêtretrèsbon,tenantlecomptedujeuetmaîtrisantparfaitementlastratégie,maisselaissaitdistraireparcequirisquaitdesepasser,aulieudeseconcentrersurcequiavait degrandes chancesde seproduire. Il avait tendance à sepersuaderqu’il avait unemainplusheureusequ’ellenel’était,qued’unefaçonoud’uneautre, ilnepouvaitpasperdremêmeavecdescartespassables,parcequel’histoireseraitplussavoureuses’ilgagnait.Iljouaitsansretenue,et,Dieul’engarde,jamaispourl’argent.

Oliver,parcontre…Ellel’étudiafurtivement,devinantqu’ilseraitl’opposédesondemi-frère.Ilsemontrerait trop prudent. Il réserverait sesmeilleures cartes jusqu’à ce qu’il soit trop tard pourqu’ellesluiservent.

—Oh,bon,ditVioletensefrottantlesmains.Jen’aipasbesoinderemplirdavantagemabourse,maiscelanepeutpasfairedemal,si?

Lesdeuxhommeséchangèrentdesregardsamusés.—C’estunpeuprésomptueux,tunecroispas?déclaralefuturmarié.— Ce n’est pas de la présomption, rétorqua-t-elle, mais un constat, fondé sur des preuves

empiriquesdelonguedate.Leducrenâcla.—Jemesuisvraimentaméliorédepuisnotredernièrepartie.Signequecen’étaitpaslecas.S’ils’étaiteffectivementperfectionné,ilauraiteul’espritderetenir

cetteinformation.Ils lamenèrent dans la salle àmanger au rez-de-chaussée.Olivermit unpoint d’honneur à lui

ouvrir la porte et à lui présenter sa chaise tandis qu’elle s’asseyait.Robert lui demanda ce qu’ellevoulaitboire. Ilsdébordaientde sollicitude, c’est alorsqu’elledevintméfiante, et riva sur eux sonplusredoutableregard.

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—Jecroyaisqu’ils’agissaitd’uneréuniondeFrèresténébreux.—C’estbiença!s’exclamaleducd’untonunpeutropjovial.—AlorsoùestSebastian?Sescompagnonss’observèrent.—Pas…ici,finitpardireOliver.Ilvarevenir…Jepense.Ellecroisalesbrassursapoitrine.—Oh,vousavezrecommencé,n’est-cepas?—Quoidonc?— Cette manie que vous avez ; vous êtes si étroitement liés tous les deux, parfois vous ne

remarquezpasquevousoubliezSebastian…—L’oublier!Commesic’étaitpossible!Nel’aurais-tujamaisvu?—… puis vous feignez l’ignorance après l’avoir complètement abandonné. C’est affreux de

votrepart.Jesuispeut-être…gênéeensaprésencecestemps-ci,maiscelanesignifiepasquenouspouvonscommencersanslui.

Lesdeuxhommeséchangèrentunlongregardéloquent.—Dis-moi,demandaOliver,àquelsujetêtes-vousenfroid?—Essayais-tud’êtrecirconspect?Parceque,franchement,c’étaitnavrant.Çam’affligequ’unde

mes amis ait atteint l’âge avancé de trente-deux ans sans savoir mentir correctement. Commentcomptes-tuunjourréussirquoiquecesoitenpolitique?

Lefuturmariés’empourpra.—Jesuisplusdouéaveclesgensquejeneconnaispas.Bien. Elle était parvenue à détourner son attention. Elle souffla avec incrédulité, puis scruta la

pièce.—Sebastianvarevenir,affirmaRobert.Ilétaitlàtoutàl’heure.—Ah, lâcha-t-elle en contemplant la quantité exubérante de nourriture. Oui, en effet, je m’en

aperçoismaintenant.—Qu’est-cequitefaitdireça?s’étonna-t-il.—Ilenatropfait,déclaraViolet.Ilyauncochonentieretdeuxpouletsgrillés;parailleurs,je

vois des gâteaux myrtille-sésame. J’imagine qu’aucun de vous ne se rappelle que ce sont mespréférés.

Leducrougit.—Pasd’inquiétude,jenevousentienspasrigueur.Ilnepeutexisterqu’unseulSebastian.—Bravo,ditOliver.—Àprésent,vousparliezdejouercommedesdiables,poursuivit-elle.Quellessontlesmises?Robertfouillasurlatable.—Voyons…Ah,voilà.Nousavonsdesjetons.Il sortit de petits sacs remplis de billes en verre, chacun d’une couleur différente. Il prit les

rouges,sondemi-frèrelesvertes.Aprèsunelégèrehésitation,Violets’attribualesbleues.Leducfronçalessourcils.—Tuneprendspaslesviolettes?—Pourquoiledevrais-je?Est-cequemonprénomm’yoblige?—Çam’a traversé l’esprit,oui.Deplus, tuportesbeaucoupcettecouleur,et j’avaiscruque tu

l’affectionnais.—C’est vrai.Mais j’ai alors songéque si je prenais celles-ci, Sebastian serait coincé avec les

violettes.Ilm’aparuprimordialdecontrersessouhaitsplutôtqueflattermesgoûts.Etj’aimelebleu,

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aussi.Olivers’esclaffa.—Maistun’aspasvraimentréponduàmaquestion,insista-t-elle.Quereprésententcesbilles?—Laseulechosequelquepeuimportante,déclaraRobert.Lagloire,lavictoire;l’honneur.—Balivernes, répliqua-t-elle.Personneneveutde tonhonneur,moncher.C’est assommant. Je

suggèrequ’ellessymbolisentdesfaveurs.—Pardon?—Tuasbiencompris,répondit-elleavecdétermination.Siquelqu’ungagnelatienne,ilpeutte

demanderunefaveur,et tudois t’yplier.Tuaurais lapossibilitédemefairesautersurplacevingtfoissituledésirais,oudem’obligeràavoirunelongueconversationavectamère.

S’ilgagnait.Cequin’arriveraitpas.Robertregardasondemi-frèred’unairgêné.—Mais… nous devrions fixer des limites, tu ne crois pas ? Tu pourrais réclamer un vote au

Parlement,ou…Lajeunefemmeesquissaungestedelamain.—C’estcequirendlejeuamusant:seulementlalimitequ’imposel’amitié,d’accord?—Mais…—Àmoinsquetuneteméfiesdemoi?—Jenevoudraispast’offenser,Violet,maisquandtumeregardescommeça,oui.Vraiment.Laportes’ouvrit,etSebastianentraàgrandesenjambées.Ils’arrêtaenapercevantsonamie.Puisilaffichaunsourireincendiaire,débordantdesoulagementetdejoie.L’espaced’uninstant,

ellesesentitprêteàs’enflammeraveclui.Ellearboraunemineradieuseavantmêmedepouvoirs’enempêcher,maissedétournaviteavantquecetélannelaconsume.Ellepinçaleslèvres,comprimantson expression dans une parfaite impénétrabilité. L’hilarité du gentleman céda la place à unhochementdetêtecontrit.

—Nefaitespasattentionàmoi,dit-il.Jesuislà,àprésent.RobertetOliverbaissèrentlesyeux,remuantnerveusementlespieds,etViolets’interrogeasurce

quiavaiteulieuavantsonarrivée.MaisMalheursecontentades’éclaircirlavoix.—SebastianleSérieuxestrevenu,psalmodia-t-il.Quelafêtecommence!

2.Enfrançaisdansletexte.(NdT)

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Chapitre9

Ilétait4heuresdumatinquandVioletretournad’unpasvacillantverssachambre.Pourquelqueraison,ellenecessaitdeseheurterauxmurs,quineluisemblaientplusdisposésenlignedroite.

—PauvreRobert,dit-elle.—Attentionàtatête.Sebastianl’agrippa,l’attirantenarrièrepourqu’ellegardel’équilibre.—Est-cequetuasvusafigurequandj’aiofferttoutessesbillesàOliverenguisedecadeaude

mariage?Jenel’avaisjamaisvuaussipâle.Elleentenditcequiressemblaitcurieusementàungloussement.Celanepouvaitvenird’elle;elle

negloussaitjamais.Maisalors,sonespritlarattrapa;c’étaitbiensaproprevoix.Ah…Elleétaitivre.—Mauditlardon…Non,cen’étaitpastoutàfaitça.—Charbon…Çanonplus.—Chardon…Alcooldechardon,parvint-elleenfinàprononcer.Cen’estpasjuste.J’aieutrois

foisplusdegagesquevousautres.Jesuisdroitière,cen’estpaséquitable.—Ettuaspourtantgagnéauxcartes,répliquaSebastianensouriant.Voilàtaporte.Tabonnesera

bientôtdescendue.Ellesourcilla.—Biensûrquej’aigagné,rétorqua-t-elle,plutôtoutragée.L’ébriétémerendmeilleureenmaths.—Tuesbienlaseule,dit-ild’unairnarquois.Illuiouvritsaporteetl’aidaàs’asseoirdansunfauteuil.Elles’yaffaissavolontiers.— Je vais donner les billes d’Oliver à Jane. Elle en fera bon usage. Une chose m’inquiète,

toutefois…Non,ellen’allaitpasl’exprimeràvoixhaute.Maiselleauraitaussibienpu.—Ceci?Ilsortitunebilledesapoche.Dansl’obscurité,ellen’endistinguaitpas lacouleur,maiselle la

connaissait de toute façon. Elle l’avait attentivement observée toute la soirée : celle qu’elle avaitperdue.Maisilavaitrefusédelamiseraprèsl’avoirremportée,ettoutelanuit,cettesphèrebleueetirrégulièreàcôtédeluiavaitscintillésouslesyeuxdeViolet.Elleluisaitdepromesse.Avecelle,quisait…

Elleavaitassezbupouréventuellementoubliertouteraisond’êtreprudente.L’espaced’uninstant,lavisions’imposaàelle,mêlantchaleuretalcool,ducorpsdeSebastianserrécontrelesien,deseslèvress’entrouvrantpourrecevoirunbaiser,dudélicedelanudité.

Cela arriverait à une autre qu’elle. Une autre Violet l’inviterait dans sa chambre, subirait lesconséquences…

Mais il s’agissait bien d’elle. Elle n’avait pas assez bu pour penser le contraire. Elle prit uneinspirationprofondeethésitante.Les limitesde l’amitié?Commentavait-ellepuêtreassezstupidepouraccorderunchampd’actionsilarge?MaisSebastiann’étaitpaslàquandelleavaitétablicetterègle,et,pourquelquemotif,ellen’avaitpasimaginéunesecondecommentunhommeadmettantla

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désirerlemoinsplatoniquementdumondepourraitprofiterd’unefaveursanslimites.—Violet,murmura-t-il.(Illuitouchalecoude,etelles’écartabrusquementdelui.)Tutrembles.—Non,affirma-t-elle.J’aiseulementfroid.Illuipritlamain,etylâchalabilleencoreenveloppéedesachaleur.—Tiens,dit-il.Jesollicitemongage.Elleneputempêchercedouloureuxfrissondelaparcourirunefoisencoredelatêteauxpieds.Il

luirefermalesdoigtssurlejeton.—Faisçapourmoi,Violet,insista-t-ilenavançantd’unpas.Elle sentait son odeur. Sur lui, l’amertume de l’alcool de chardon devenait savoureuse et

séduisante.—Queveux-tu?demanda-t-elle.— Que tu arrêtes d’avoir peur. Tu me connais mieux que ça. Je ne te demanderai jamais de

consentiràquelquechosequetunesouhaitespas.Pasavecunebille,niquoiquecesoitd’autre.Ellesecaladanssonsiègeavecsoulagement.Et…peut-êtreaussi,parcequ’elleétaittrèsproche

de l’ivresse, une pointe de regret. Elle chercha lamain brûlante de Sebastian.Comment pouvait-ilavoiraussichaud?Celaparaissaitinhumain–oupeut-être,pireencore,beaucouptrophumain.

—Jenecomprendspas,dit-elleenfermantlesyeux.Pourquoin’es-tupasencolèrecontremoi?Sijene…

Elles’interrompit, incapabledeverbalisersapensée.Maiscelle-cipoursuivitsoncoursdans lapénombre.IldésiraitViolet,lavoulaitdanssonlit,leursmembresenlacés,sasilhouettedégingandéefondantsurelle,larivantau…

Non.Ellenepouvaitsouhaitercela.—Est-cequetonépouxsefâchaitcontretoi?s’enquit-ilàvoixbasse.Lajeunefemmesentitsagorgesenouer.Elleserranerveusementlesdoigtsdesoncompagnon,

maisgardalesilence.—Parfois,celam’arrive,confia-t-il.Jesuisfrustré,parceque,bonsang,j’aitellementenviede

toi.Maisalors, jemerappellenotreamitié.Et l’amiquiestenmoivoudraitm’envoyersonpoingdanslafigure.Jen’aiaucundroitd’êtrefurieuxparcequetuaspiresàautrechose.

—Mais…Tudoisespérer…— Chaque jour qui passe, confirma-t-il, tandis qu’elle lui tenait encore la main. Mais je t’ai

observéeduranttonmariage,etsijepuismepermettre,jenepensepasquetuaiesbesoind’unnouvelhommequis’emportecontretoi.

Elle lâchaunsoupir,etsonuniversse remitenordre. Il s’agissaitdeSebastian,pasdequelquehorribledémon.Surcepoint,aumoins,ellen’avaitaucundoute.

—Tiens,dit-elleenluirendantlabille.Unefaveurneserapasnécessairepourça.Danssonesprittourbillonnaientdesimagesconfuses:leursbouchesserejoignant,leurscorpsse

rapprochantjusqu’à…Non.Ceschoses-làétaientpourd’autres,paspourVioletquandelleétaitivre,niquandelleétait

sobre.Jamais.Ellerefermalamaindesoncompagnonsurlabille.—J’aiconfianceentoi,Sebastian.Depuisledébut.Aveccejeton,iltenaitaucreuxdesapaumeunepromesse,l’infimepossibilitéqu’elleaitdroità

davantage.Quelquepart,unjour,uneautrequ’ellerecevraitpeut-êtreunbaiser.Ellenesavaitrêverdebonheurpourelle-même.MaisSebastiansouriaitcommesicetteViolet-là–irritable,compliquée,invivable–luisuffisait.

—Amis?

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Ilprononçalemotd’unevoixsibassequ’ellelesentitpresquevibrerdanssapoitrine.Elleretirasamain.—Amis.Peut-êtreétait-celemariage.Janerayonnaitdevantlapetitechapelle,couvertedebijouxcomme

NewShalingn’enavaitjamaisvu.Toutlemonde,enparticulierOliver,étaithypnotiséparlajeunefemme.Peut-êtreétait-celetrajetderetourversLondresquiavaitsuivi,avecRobertetMinnieassisl’unàcôtédel’autre,maindanslamain.

Peut-êtreétait-ce l’atmosphèreestivale,cardès lors,partoutoùViolet regardait,ellevoyaitdescouplesheureux ; dans leparc, échangeantde tendres regards, ou envoiture, espérantdesviragesserréspouravoirl’excusedesepencherl’unsurl’autre.

Lavisitequ’elle rendità sa sœurne fitqu’accentuercette sensation.On laguidaaupetit salon.Elle subissait le récit de sa cadette sur les événements de la veille, les détails sur Amanda et saconquêteassiduedelaSaison,quandlaportes’ouvrit,etquelemarideLilypénétradanslapièce.LemarquisdeTaltley lasaluapoliment,puissedirigeaderrièresonépouseetchuchotaà l’oreilledecelle-ci.

Leurinvitéetournalatêteautantqu’elleleput.Maismalgrécela,ellevitlegentlemanglissersesdoigtssurl’épauledesacompagne.Celle-ciluiclaqualamainpourplaisanter.

—Non,va-t’en,luidit-elleavecunsourireeffronté.Etcessedemeregarderainsi.J’aiaccouchéilyaseulementseptmois.

Violet esquissa un sourire, avec l’impression toutefois qu’il pourrait s’effriter au moindrecourant d’air. La marquise se leva, prit son mari par le bras et le conduisit à la porte. Sa sœurs’efforçadenepasremarquerlafaçondontils’inclinaitversellepourreprendresesmessesbasses.Elle se détourna du visage légèrement empourpré de Lily, de ce rouge aux joues qui ne semblaitguèredûàdel’embarras,maisplutôtàquelquechosed’autrementplusintimedontellenevoulaitpasêtretémoin.

—Allez, au travail, dit enfin sa cadette. N’as-tu pas de projets de loi à lire ? Des discours àrédiger?

—Jefaistoujoursmieuxavecunpeud’inspiration,répondit-ilensepenchantversseslèvres.Violetsetrituralesmains.Lilyfitsimplementunpasdecôté.—Dehors,répliqua-t-elle.Nousavonsàdiscuterentrefemmes.Elle ferma la porte sur lui, mais demeura appuyée contre le vantail un instant, lamain sur la

poignée,enoscillantlégèrement.Danscesmoments-là,lajeunefemmedétestaitlescouplesheureux.Elleressentaitlepoidsdecetterancœurindignequilatiraillait.Ellen’avaitjamaisjalouséLily,maiselleéprouvaitparfoisuncertainsentimentd’injustice.Sasœuravaittant,quantàelle…

Lamarquisesouritd’unairrêveurendéclarant:—Jesaiscequetuasàl’esprit.Lesrèglesdemaman:«Unedamenecontreditjamaissonmari,

etunefillenecontreditjamaissonpère.»Violetsoupiralentement.VoilàpourquoielleaimaitsiprofondémentLily:celle-cin’avaitjamais

su lire dans ses pensées. Elle transformait toutes les plus sombres ruminations de son aînée enréflexionspresquehumaines.

—Lapositionsocialed’unefemmedépenddesonépoux,poursuivit-elle.Ensapantsonmoral,elleperdsapropreplacedanslemonde.

—Cen’étaitpasleproposdecetteconsigne,rétorquaViolet.Elleneportaitpassurlasoumissionàtonmari,maissurl’opinionpublique…

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Elles’interrompit.Lilyrouladesyeux.—Publique,privée.Quelledifférence?Jemesensaffreusementmal.Jesuisobligéedeluidire

nondetempsentemps.Ilsuffitqu’iléternuedansmadirectionpourquejetombeenceinte.LesonglesdeViolet s’enfoncèrentdanssespaumes.Lilyécarquillabrusquement lesyeuxet se

tournaverselle.—Oh,monDieu,s’exclama-t-elleen tendant lebrasverssasœur. Jesuis tellementdésolée. Je

n’auraisjamaisdûdire…Jenepensaispas…Violetchoisitsoigneusementsesmots,s’imaginantlesempilerpourérigerunrempartcontreson

violentressentiment.—Nulbesoindet’excuser.Sinousnepouvionspasparlerd’enfantsensemble, ilnousresterait

bienpeudechosesànousraconter.(Ellerivasonregarddansceluidesasœur.)Etsitupensesquejenem’étaispasaperçuequetutombaisenceinteàlamoindreoccasion,tudoismeconsidérercommelapireobservatricequi soit.Après toncinquièmebébé, il était évidentpourquiconque,mêmepeuattentif,quetuétaisplutôtféconde.Puisquetuviensd’atteindrelenombredeonze…

Elleparvintàhausserlesépaules.—C’estvrai, lâchaLily,l’airnéanmoinsblessée.Cependant, jen’aipasàtelerappeler.Jesuis

désolée,etterriblementgênée.Jen’auraisjamaisdûouvrirlabouche.Siellesesentaitsimal,pourquoiétait-ceVioletquilaréconfortait?ParcequeLilyestcommeça.—Arrêtedet’inquiéter,ditlacomtesse.Situcroisquejesuisjalousedetafacultéàprocréer,tu

tetrompes,jetelepromets.—Mais…—Surlatombedenotrepère.T’ai-jedéjàmenti?Levisagedesacadettes’éclaircit.—Non.Violet demeura impassible. Techniquement, elle ne lui avait jamais raconté demensonge. Elle

l’avait simplement induite en erreur. Lily, si directe et confiante, n’avait jamais envisagé qu’ellepuisse…toutcacher.Etmaintenant,aprèsdesannéesàtairedesombressecrets,ilétaitimpossiblederectifierlasituation.

—Jenepleurepasdenepasavoird’enfants,affirma-t-elle,tentantd’adopteruntonplusprochedelagentillessefamiliale.J’aimelestiens,ilsmecomblent.

Lilysouritd’unairlégèrementchagriné.—Tunepleurespasdutout,Violet.—Pourquoiledevrais-je?Riennem’attriste.Lamarquisen’étaitqu’enthousiasme,franchiseetbienveillance;uneversionpluschaleureusede

Violet. Il aurait été idiot de dire que celle-ci la jalousait. Ce sentiment si évident et implacable nepouvait coexister avec l’amour sincère qu’elle lui portait. Observer la vie de sa sœur constituaitl’expérience la plus proche de la normalité : enfants, affection, confiance, famille, tendresse.Maisparfois,encompagniedeLily,elledétestaitlemonde.

—Donc,au sujetd’Amanda,poursuivit-elle. Je saisque tuveuxque je luiparle,mais…Tuesconscientequecequejeluidirairisquedenepasteplaire?

Sacadettes’esclaffa,commesitoutavaitreprissaplacedansl’univers.—Seigneur,celanefaitaucundoute.Tuvasluitenirundiscoursaustèreetlogique,luiprésenter

touteslesoptionsquis’offrentàelle.TutemontrerasrationnellecommeseulemaVioletpeutl’être.Sij’avaisenvied’avoircetteconversationavecmafille,jem’enseraischargéemoi-même.Pourquoicrois-tuquejetel’aidemandé?

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Lacomtesseretrouvasaniècepeuaprès,lorsqueLilyeutmisfinàladiscussion.Ellel’attiradans

une pièce annexe, fit sortir trois des plus jeunes frères de l’adolescente dans le couloir en leurpromettantdespastillesdementhe,etfermalaporte.

—J’aiuncadeaupourtoi,luiannonça-t-elle.—Oh?Elleextirpadesonsacuneécharpebleucielvaguementrouléeenboule.—Oh,commec’estcharmant,déclarapolimentAmanda.Est-cequetul’asfabriquée…?Maiselles’interrompitenprenantl’objet,sentantsoussesdoigtslesanglescachésdanslecoton.

Elleécarquillalesyeux.—Est-cequetul’asfabriquéetoi-même?—Biensûr,réponditViolet.Sanièceinclinaletricotetfitglisserlevolumereliédecuir.—OrgueiletPréjugés,dit-elled’unairinexpressif.Mais…tusaisquejel’aidéjàlu.—Pascetteversion,répliquasatantesansciller.—Hmm.—J’aivraimentfaitçamoi-même,insistaViolet.En effet ; elle était extrêmement douée pour dissimuler des lectures inappropriées dans des

emballages convenables. Elle avait découpé les pages du véritable ouvrage, et collé celles-ci à laplace. Elle n’avait jamais aimé cette version de toute façon ; il s’agissait d’une ignoble premièreédition,sansattributiondistincteà l’auteurdeRaisonetSentiments,cequi l’agaçait fortement.Ellepréféraitlescopiesplusrécentes,aveclenomdeJaneAustenbienenévidencesurlacouverture.

—Qu’est-cequecela?chuchotalajeunefilleaprèsavoirouvertlelivre.—Quelquechosequetudoistaireàtamère,réponditlacomtesseàvoixbasse.(Amandalevales

yeuxverselle.)Ellet’aaffirméquepersonnenepartageaittavisiondumariage,n’est-cepas?Quesituexprimestonavisenpublic,onsemoqueradetoi?

Sanièceacquiesça.—Ehbien,ellea tort.Tun’espas laseuleàpenserainsi.Et tuas l’âgede leconstaterpar toi-

même.Amandasoupira.—Oh,tanteViolet.Ilétaitpeut-êtrestupided’offriruntelcadeau,d’avoiragonisédesheuresdurant,àsepenchersur

lebonvolume,àretirerl’anciennereliureetàysubstituercelle-ci.Lilyn’approuveraitpas,quoiqu’elleaitpudéclarer.Elleattendaitdesonaînéequ’elledécourage

sa fille, lapersuadequ’ellen’avaitpas lechoix.Elle serait furieuse sielle l’apprenait.Etpourtant,quandVioletregardaitdanslesyeuxdel’adolescente,elles’yvoyait,maisdélestéedetoutfardeau.Ellenepouvaitgarderlesilence,nifairefidesinquiétudesdecetteenfant.

N’épousepasuncomte,Amanda.Neprendspaslerisquedetebriser.Nedevienspascommemoi.Celan’envautpaslapeine,quoiqu’ontedise.

—N’enparleàpersonne,répéta-t-elle.Tamèremetuerasielleledécouvre.

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Chapitre10

Sebastiansifflaitenpartantchezsonfrère.Lesoleilbrillait,lesoiseauxgazouillaient,Violetluiparlaitdenouveau,etsapetiteidéeavaitportésesfruits.

Ilsouritenlaissantsonchevalauxécuries,etadressaunjoyeuxsignedetêteaumajordomeetàlabonneenlescroisantdanslescouloirs.

—Bienlebonjour,Benedict!chantonna-t-iltandisqu’onl’escortaitjusqu’aubureaudesonaîné.Celui-cirelevalesyeux.—Sebastian.C’estunplaisirdetevoir,dit-ilpourtantsanssourire.Malheur était venu voir son frère àmaintes reprises ces dernières semaines : une fois pour le

supplierdel’aideràcomprendrelesregistresd’expéditionqu’ils’étaitprocurés,uneautrepourluiposer quelques questions sur divers produits manufacturés. Ces après-midi s’étaient révélésagréables;pasbesoind’aborderl’avenir,nides’inquiétersurcequ’iladviendrait.Justel’occasiondeparlerd’hommeàhomme.

—As-tuautrechoseàmedemander?—Pas aujourd’hui, répondit Sebastian en s’efforçant d’adopter un ton sobre. Je t’ai dit que je

voulaistemontrercedontj’étaiscapable.Ehbien,voiciunpetitexemple.D’unœilméfiant,Benedictleregardas’approcheretposersursonbureauunporte-documents.—Tiens.Lemaîtredeslieuxtenditlebras,aperçutlesceau,etretirasamain.—WallisfordetWallisford,s’étonna-t-ilenrelevantlatête,perplexe.Ya-t-iluneraisonpourque

tumesoumettesdespapiersprovenantdesnotairesdelafamille?—J’auraispusimplementtel’annoncer,maisdecettemanière,c’estunpeuplusofficiel.—Pardon?Cetteentrevueest«officielle»?—Peut-être,réponditsonvisiteurens’empêchantdeparaîtretropexcité.Benedicthaussalesépaulesettournalapremièrepage.Ilvitlàunsecondcachet.—«Nouscertifionsparlaprésentequececiestunecopieconforme»,etc.,etc.,marmonna-t-il

pourlui-même.Iltournalasuivante:ledoubled’unepagedelivredecomptes.Sebastians’appliquaànepaslaisserparaîtresafierté.Ilsemordit la lèvreinférieure,maisson

sourirepointaitmalgréseseffortspourleréprimer.Enfacedelui,sonfrèreémitunsonétouffé.Iln’allait pas tarder à lui demander comment il avait fait. Ils discuteraient, pendant des heures, et autermedecetéchange,ilprendraitconsciencequesoncadetn’étaitpluscejeunefoudontilavait lesouvenir.Iltournalespagesl’uneaprèsl’autre,lefrontplissé.

—Ilnepeuts’agird’unvraidocument,dit-ilenfin.—C’enestun.—Maisilattestequ’aucoursdecesdix-septderniersjours,tuasgagnévingt-deuxmillelivres.—Oui.C’estprécisémentcequ’ildit!—C’est ridicule.Personnenegénèreautantd’argent si rapidement.Pasavecun investissement

initialde…(ilconsultalepapier)troismilledeuxcentslivres?Ilsemblaitlittéralementoutré.

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—Moi, si, rétorqua Sebastian en tournant lui-même la feuille suivante. Je t’avais confié quej’envisageais le commerce. Je sais que cen’est pasgrand-chose comparé à ceque tu as accompli.Maisjetrouvaisquec’étaituncasse-têteintéressant.Jesongeaisàlanavigation…

—Jesais,l’interrompitsonfrère.Maisilfautdesmoisavantqueçarapporte.Desannées,même!— Pas avec ma méthode. J’estimais qu’il serait tentant de l’essayer. J’imaginais que si je le

faisais…Savoixs’évanouit.Sonfrèren’avaitpasl’aircontent,nipresséd’ensavoirplus.Aulieudecela,

ilsecoualatête,l’expressionassombrieparunfroncementdesourcils.—Qu’as-tudoncfait?—Ah.Laisse-moit’expliquer.DèsqueBenedictauraitcompris,touts’arrangerait.Sebastians’installadansunfauteuil.—J’aieucetteidée.Quandunbateaunavigue,tupeuxacheterunepartdelatraversée.Silacote

de l’indigo s’avère élevée quand il arrive à destination, tu récolteras une coquette somme. Si ellechute,tupeuxperdretoncapital.Etsilenaviredisparaîtenmer…(ilhochalatête)ehbien,tamises’évapore.

—Tut’eslancédanslaspéculation,lâchasonaînéenfaisantunegrimacecommes’ilavaitsentiuneodeurpestilentielle.

— Seulement jusqu’à un certain point. Vois-tu, il y a un moment, quand les bateaux rentrentparticulièrement en retard, où les gens commencent à paniquer et liquident leurs actions, de peurqu’ellesnevaillentplusrien.

— Encore pire, déplora Benedict en se frottant les sourcils. Tu t’es impliqué dans de laspéculationmalsaine.

—Lesnaviresn’arriventpasà l’heurepour toutessortesdemotifs :mauvais temps,capitainesincompétents,circonstancesétrangesouinexplicables.Tournelapage.(Sonfrères’exécutaetpritunairrenfrognédevantlamaréedenombresquisuivait.)Tuconnaislesméthodesnumériquesqu’onacommencé à utiliser dans la recherche scientifique ? Je suis allé à l’Amirauté, et j’y ai trouvéquelques informations. Environ trois cents pages étaient consacrées à la ponctualité de certainscapitaines,auxportsplusoumoinsfréquentés,etàlafaçondonttoutcelainfluaitsurleshoraires.Enm’appuyant sur les méthodes mentionnées plus tôt et sur le travail d’âmes charitables que j’aiengagées–cesfraisapparaissentpagesept–, j’aipudéterminerdesvariablesparticipantauretarddesbateaux.J’aiestimécommentellesdevraientêtreprisesencomptepagequatre.Ilestalorsdevenufaciled’identifierlesactionssous-évaluées,c’est-à-dire…

—Jenecomprendspasunmotdecequeturacontes,l’interrompitBenedict,l’œilvide.—Oui,bon.Jepeuxrevenirsurlesmathsendétailuneautrefois,situveux.J’aiencorequelques

centainesdepartsencirculation;selonlesstatistiques,certainsnaviresnerentrerontjamais,ouplustard.Quoiqu’ilensoit,jevoulaistentermachancedanslecommerce,tedonneruneidéedecedontjesuiscapable,dequijesuis.

—Mais…Mais…Sonfrèresecoualatête.— En fait, ça aurait pu grimper jusqu’à soixante-dixmille, poursuivit Sebastian, car Blotts et

Snoffling,lesassureurs,ontdevinéquej’avaisuneruse,etm’ontdoncproposécinquantemillelivrespourquejeladivulgue.Maisje…

—OhmonDieu,cinquantemille?C’estridicule!—Exactementcequej’airépondu!Cinquantemille,alorsquej’aipresqueramassélamoitiéde

çaenunepoignéedesemaines?Est-cequ’ilsmecroientstupide?

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Benedictsepassaunemaindanslescheveux.—Cen’estpas…vraimentcequejevoulaisdire.—Entoutcas,cepetitstratagèmerapporteseulementmaintenantparcequejeprofitedel’écart

entrelesrenseignementsquej’aietceuxdontdisposentlesinvestisseurs.Lesgensfinirontparsaisirce que je fais, et il n’y aura plus rien à gagner. Je vais donc devoirmemontrer plus ingénieux àl’avenir.

Benedictplissalesyeuxetsecognatrèsprécautionneusementlefrontavecsonpoing.—Seigneur,marmonna-t-il.Sebastiansentitsonsourirecéderlaplaceàunrictusfroidetmécanique.Ils’humectaleslèvres.—Quelquechosenevapas?—C’estuncoupdechance.Unmaudithasard,enutilisantlesméthodesd’investissementlesplus

dangereusesquisoient.—Non,non!Regarde,j’aileschiffresici.Çan’arienderisqué,pasdelamanièredontj’aiétalé

mescapitauxsurdiversnavires.C’estl’unedeschoseslesmoinspérilleusesquej’auraispufaire!Jeme suis servi d’informations que nul autre ne s’était procurées, d’une façon que personne n’acomprise, c’est ce qui m’a permis de réussir. Dès que j’aurai publié mes découvertes, toutes lesbanquesdelavillechercherontunanalystefinancier.

—Coup de chance ou…quoi que cela puisse être, rétorquaBenedict en secouant la tête, c’esttellement…tellementtoi,Sebastian.Tun’espasdanslebesoin.Jevoulais tevoir t’engagerdanslecommerceparcequejepensaisquecelatestabiliserait,t’apprendraitàêtreprudent,ànepasprendred’épouvantables risquesen tebasant surunenouvellemodedemanipulationdesnombres.Pourcequenousensavons,cesabsurditésnumériquesmodernespourraientcomplètementsetromper.

— Les mathématiques n’ont jamais tort ! répliqua son cadet, atterré. Elles sont juste malappliquées!

Benedictbalayacetteremarqued’ungestedelamain.—Jevoulaisquetuacquièreslesensdesresponsabilités;quetuapprennesàt’organiser,quetu

sachescommentlaviefonctionne,pasquetutraiteslesaffairescommeunjeuqueturemporteraisenengrangeantunmaximumdepointsdansunminimumdetemps.C’estexactementl’inversedecequejecherchais.

IlsemblaitréprimanderSebastiancommeunenfantquiauraitfaitunebêtise.Maisilétaitadulte,etnevoyaitpascequ’ilavaitcommisdefâcheux.Leprincipeluiavaitparupertinentsurlemoment:créerunintérêtcommuntoutens’amusantunpeu.

—Jevois,dit-ilfroidement.Donc…Il était arrivé avec la certitude de pouvoir soumettre ses résultats à Benedict, que celui-ci y

prêteraitattention,qu’ilcommenceraitàéprouver,peut-être,uneoncedefierté.Undébutd’affinités,unpontentrelesannéesquilesséparaient.

— Je ne suis pas en colère contre toi, Sebastian.Mais j’ai parfois l’impressionque nous noussituonsauxantipodesl’undel’autre,quenousneparlonspaslamêmelangue.C’estcommeavoirunchien.Tu luiordonnes«onnechassepas les lapins»,et toutcequ’ilentend,c’est« lapins» !Lasecondesuivante,unegrossebêtebaveusebalanceunlièvreàtespiedsd’unairidiot.

Soncadetsedétourna.—Jenedispasquetuesunchien,s’empressa-t-ild’ajouter.Niquetubavesd’unairidiot.C’est

justeque…Tuesloyalàl’excès,enthousiaste,etmalgrétout,tuparvienstoujoursàfaireprécisémentcequ’ilnefautpas.Laspéculationestuneformedepariaussipernicieusequecellepratiquéeaveclescartesetlesdés.

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—D’accord,ripostaSebastianenbondissantsurcetargument.Maisparlonsdesjeuxdehasardentantqu’activitécommerciale.

—Jouern’enajamaisétéune.— Pas pour le parieur.Mais c’est très lucratif pour un tripot. Il ne gagne pas toujours, mais

ramasse plus qu’il ne perd. Tant qu’il a les moyens de suivre, il sort vainqueur. Mon affairefonctionnedelamêmefaçon.C’esteneffetunpari–maisjesuislamaison,pasleclient,etmescoûtsopérationnelssontmoindres.J’avaisunebonneidéedurendementespéré…

Sonaînéleregardaensecouantlatêteetdit:—Tuesleseulàestimerque«monaffairefonctionnecommeuntripot»suffitàtedisculper.Ce

n’estpaslecas.Sebastians’empourpra. Il réussissait toujoursà faireprécisémentcequ’ilne fallaitpasdèsque

Benedictl’observaitpar-dessussonépaule.C’étaitcommeçadepuisledébutentreeux.Ilavaitessayédes’attirerleslouangesdesonaînélorsqu’ilétaitjeune.Unjour,ilavaitsautéd’unarbreàquinzepiedsdehautdansunlacpourcapturersonattention,maiscelui-cil’avaitgrondéetprivédenatation.Prouversonenduranceencourantnudansunetempêtedeneigeluiavaitvaluunsermon,etgagnerlesprixhonorifiquesàl’écoleluiavaitrapportéuneréprimande,caràlafindesesrévisions,ilavaitessayéderesteréveillétoutelanuitpourapprendresesconjugaisonsdelatin.Soit,c’étaitsafautes’ilavaitrenverséunebougie,maisiln’avaitbrûléqu’untapis.Lestracesroussiess’étaientàpeinevuessurlesol.

Ilavaitpersévéré,aufildesannées,parcequ’iln’étaitpasdugenreàrenoncer.Etmaintenantqueson frère paraissait plus loin de lui que jamais… Peut-être avaient-ils en effet du mal à secomprendre,maisSebastiann’allaitpasabandonnerauseulmotifqu’ilavaitrencontréunobstacle.

—Regarde-moi,disaitBenedict,etsongeàcequej’aiaccompli.Jesuisrespecté,certes,maisjenesuispasalléjouerenespérantvoirapparaîtremesnumérossurlesdés.J’aitravaillépourça.

Ilseleva.L’espaced’uneseconde,sonprofilsedécoupaàcontre-joursurlafenêtre,semblableàl’unedecessilhouettespatriciennessurlesvieillespiècesdemonnaieromaines.

—Je suis capitainede comté à laSociétépour le respectducommerce.L’organisation laplushonoréedetoutlepaysdanssacatégorie.Elleapresquedeuxcentsans,etseconsacreàl’idéequelescommerçantspeuventetdevraientjouird’untraitementrespectueux.Notrepèreenétaitmembreavantmoi.Ai-jeatteintmapositionensautantdanstouslessensetensemantmonargentcommeuncrétin?Biensûrquenon.Jemesuismontréfiableetresponsable.Desannéesdelabeur,etàprésent,regarde-moi.

À présent, il était mourant. Son cadet ne put détourner les yeux, par crainte de ce qu’il allaitmanquer.

—J’aigagnélaconsidérationdemespairs,reprit-il.Jesuisl’undespluséminentsgentlemendemarégionpourça.J’airéellementréussi.

Sebastiansemitdebout.— Les gens me respectent aussi, rétorqua-t-il sans hausser le ton. J’ai accompli beaucoup de

choses.Sonfrèredédaignacetteaffirmationensoupirantd’unairdétaché.—Jenerenoncepas,Benedict.(Ilsepencha.)Jet’aidéjàexpliquéque…—Etjet’aiditquejerefusaisdetevoirtoutrisquerdanscettespéculationinsensée.J’aimapart

d’inquiétudespourlessemainesqu’ilmereste.Arrêted’essayerdemeprouverquoiquecesoit.Teschancesdesuccèssontfaibles,etnevalentpasledangerencouru.

Sebastianeutl’impressionderecevoiruncoupdepoingdanslesreins.Sonaînéluitapal’épaule

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avec une affection fraternelle, comme si ce geste pouvait effacer aussi facilement la dureté de cespropos.

—Bon,lança-t-il,quedirais-tud’allerchercherHarrypourunepromenade?—Toutàfaitridicule,déclaraViolet.Mêmes’ilnefautsûrementpasenattendredavantaged’un

joueurdecroquetaussimauvaisqueBenedict.—Eneffet,concédaSebastian.Jemesuisméprissurlasituation.Dequelquemanière,lajeunefemmeavaitaisémentreprislefildeleuramitié;ilsseretrouvaient

le soir dans sa serre à Londres et se racontaient leur journée sans être interrompus par lesdomestiques.

Ilsetenaitàcôtéd’elleàprésent,luipassantsesoutilstandisqu’elletravaillait,enracontantdesanecdotes censées l’amuser. Presque comme s’ils collaboraient encore et qu’il ne lui avait jamaissoufflémotdesondésirpourelle.

—Danstouslescas,ditSebastian,j’aitentédeluiexpliqueraumieux,maistumeconnais.(Sonsourires’évanouitlégèrement.)J’aifiniparannoncer:«C’estcommeteniruntripot.»Tuauraisdûvoirsatête.

—Jerépète:ridicule.—Jesais,convint-ild’unairhilare.Puisjemesuisrenducomptedecequej’avaisdit,et…—Jeneparlaispasdetoi.Elles’étiraetarrachad’unharicotunefeuillequicommençaitàjaunir.—Jefaisaisallusionàtonfrère,précisa-t-elle.Il ne changea pas d’expression, appuyé contre un poteau métallique, rictus aux lèvres et bras

croisés.—Benedict?Cethommen’estabsolumentjamaisridicule.Toutlemondelesait.Ellereposasescisaillesetsetournaverslui.—Jem’aperçoisquemonopinionn’aquepeudevaleursurcepoint.Maiscrois-moi,j’airaison.

Personneàpartluisurcetteplanèten’affirmeraitquetun’asrienaccompli.Ilsepenchaenavantetbaissalavoix.—Çane suffirapas,Violet.Tuconnais lavérité surmoi.Nouspouvonsduper tous lesautres,

maisnoussavonstoietmoicequejesuisvraiment.—Certes, tun’espaslecapitainedecomtédequelqueorganisationdont jen’ai jamaisentendu

parler.Maistuesl’undesplusgrandsexpertsenhéréditédescaractéristiques.Lesouriredugentlemandisparut.—Voyons,sanstoi,jen’auraisétépersonne.C’esttoilaspécialiste.Moi…(ilhaussalesépaules)

jenesuismêmeplustonporte-parole.Notrecollaborationm’abeaucoupappris.Laplupartdutempsj’aiappréciécetteactivité,etjet’accordequej’ail’intelligencesuffisantepourl’exercer.Maisjenesuis pas un garçon sérieux, et Benedict en est conscient. Je n’ai pas entrepris de carrière dans lecommerce.Jevoulaisjusteessayerunpetitstratagème.

— Oh, au diable ton frère pour t’avoir persuadé de tout cela, lâcha-t-elle spontanément. Turacontesdesblagues,etalors?Celan’aaucunrapportaveccequetuasréussi.Jen’aijamaisaffirméquetuétaisleseulspécialistesurl’héréditédescaractéristiques.Justel’undesplusillustres.

—Mais…— Tu n’es pas un perroquet. Les gens doivent être en mesure de te poser des questions et

d’engager une conversation avec toi. Tu ne peux pas falsifier tes connaissances, simplement leursource.Àpartmoi,nulnecomprendsurcetteTerrecequetufais.

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—Maisuniquementparcequetu…—Non.Parcequetut’esatteléàlatâche,tut’esinterrogé,tuasréfléchietessayé,poursuivit-elle

obstinément. Tu as travaillé avec moi pendant des années. Quand il nous a fallu apprendre lesmathématiques pour avancer, nous nous sommes battus ensemble. Si nous étions tous deux deshommes,nousaurionspartagéleshonneursdecesdécouvertes.Nouspourrionsergotersurl’ordredanslequelnosnomsseraientapparus,maisletienasaplaceàcôtédumien.Tum’asaccompagnéeinlassablement,jouretnuit.Unindividustupide,indignedeconfianceetdéloyaln’auraitpaspufairetoutça.Etc’estcomplètementidiotdelapartdeBenedictdeclaironnerquetun’asjamaisrienmenéàbien.C’estuneinsulteaunomdel’accomplissement.

—Mais…—Non!s’exclama-t-elle.Jeneveuxenaucuncast’écouterl’excuser.Tuassibiencomprisnotre

travailquetuasappliquéàlanavigationlesprincipesmathématiquesdontnousnousservions,cequit’a permis de gagner vingt-deux mille livres. Tu n’es pas un pauvre abruti, Sebastian, quoi qu’ilprétende.Tuesunhommetrèsbrillantavecunsacrésensdel’humour.

Ilrestasilencieuxuninstant,etsecontentadelaregarder.Maisuserdutermeregarderrevenaitàappeler«collation»unfestindedix-huitplats.L’espace

quilesséparaitsemblaitsichargéd’électricitéqu’ellesentaitpresquesescheveuxsehérisser.EtlesyeuxdeSebastianluidonnaientenviedes’approcheretdeluiprendrelesmains.Aulieude

cela,ellerangealessiennesderrièresondos.—Violet,dit-ild’unevoixlégèrementrauque.Elleinspiraprofondément.—Vraiment,Benedictmecontrariedetenirdetelspropos.Etdel’obligeràsetrahir,d’amenersonamiàl’observeravecunetelleintensité.—Jesuistrèsencolèrecontrelui,ajouta-t-elle.Il détourna les yeux et soupira en se frottant les lèvres. Elle n’allait certainement pas penser

àl’embrasser.—Tudoisadmettre,répliqua-t-ilcommesiderienn’était,quesonargumentestrecevable.Quoi

quej’aieréussi,jen’aipasététrèsrespectable.C’était ce manque d’honorabilité qui rendait sa déclaration à Violet si incompréhensible. Il

prétendait l’aimer ? C’était un débauché ; il n’était pas question d’amour dans ses relations. Iln’évoquaitjamaisavecpersonneses…escapades.Cetteincroyablediscrétionétaitl’unedesraisonspour lesquelles, supposa-t-elle, il s’avérait si populaire. Pour ce qu’elle en savait, il avait unemaîtressequil’attendaitcesoir-là–outrois.Ilétaitplussensédesupposerqu’illavoyaitcommeuneéventuelle…candidate.Ilavaitparléd’amourausensphysique.Iléprouvaitdudésirpourelle,niplusnimoinsquepourquiconqueluiavaitplu.

Ellesedétourna.—Benedictnepeutmesurerl’étenduedetarespectabilité,fit-elleremarquer.Moi-même,j’ensuis

incapable.Illuijetauncoupd’œil.—Lesouhaites-tu?Voulait-elleentendreparlerdesesconquêtes?Absolumentpas.S’ilseconfiaitàsonamie,elle

auraitpeut-êtreuneréactiongênante,commes’imagineràlaplaced’uneautre.—En tout cas, reprit-il après une courte pause, tu n’as pas tort,mais tu te laisses un peu trop

emporter.Jemesuisvaguementessayéàlarecherchescientifique.Jenetel’aijamaisavoué,parcequemonmanque de progrèsmemettaitmal à l’aise. Je présenterai peut-être un jourmon travail

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commepreuvedemonéchec,dit-ilenhaussantlesépaules.Ça,aumoins,j’enseraisl’auteur.—Ridicule.—Non,jepourraistemontrer.— Parfaitement ridicule. Un projet raté ne ruine pas une carrière. Il en tombe à l’eau

régulièrement,pourtoutessortesdemotifs,tulesais.Denouveau,ilsegardaderépondre.Maisilluiadressaceregard,sombreetpénétrant,qu’ilne

cherchaitplusàdissimuler.—Chaquefoisquejedoute,dit-ilàvoixbasse,quejemedemandesijevauxmoinsquejenele

croyais…Violet.Il n’ajouta rien de plus,mais c’était inutile. Elle tourna la tête. Elle ne voulait simplement pas

penser à lui sous cet angle. L’ignorance ne faisait peut-être pas le bonheur, mais au moins, ellen’exposaitàaucundanger.

—Benedict,marmonna-t-elle.C’estentièrementsafaute.Ils’acharneànierlareconnaissancequetumérites,c’esttout.

—Cen’estpasçaquimemanque,seulementmonfrère,déplora-t-ilenfermantlesyeux.Tuasraison,ilpeutsemontrerentêtéquandils’estfaituneopinion.Ilestcertesunpeuassommant;aucundoutequecettehistoiredemathématiquesl’adépassé.Maisilestjuste.Ilchangerad’avis,dèsqu’ilseseraaperçuque…

—Sebastian,articula-t-elle,qu’as-tuprévu?—Ehbien,dit-ilenhaussantlesépaules.Jen’aipasvraimentbesoindecettesomme,maisonétait

disposé à payer cinquante mille livres pour mon idée. Il pense qu’elle ne vaut rien. Et si je luimontraisqu’ilatort?

Elleledévisagea.Ilsouritavantdelancer:—Voilà,c’estça:etsijeconfiaismadécouverteàsaprécieuseSociété?

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Chapitre11

L’airnocturnedeLondresétaitfrais,àdéfautd’êtrepur.Sebastianétaitparvenuàpasserlasoiréesanssecouvrirdehonte.Maisils’enétaitfalludetrèspeu.Ilavaitréussiàprendrecongédelajeunefemme,àtraverserlamoitiédupassageentrelesmursdeleursjardins,avantdedevoirs’arrêteretdes’appuyercontrelabriquedansuneagoniequiluivrillaitlittéralementlesentrailles.Lapleinelunediffusait sur son visage un étroit faisceau de lumière, si éclatant dans l’obscurité qu’il en avaitpresquemalauxyeux.

IlavaitdéjàvuVioletconcentréesurunsujet,s’enflammerpouruneconférencequ’ils’apprêtaitàdonner,pourunarticlequ’ilsécrivaient,pouruneexpériencequ’elles’efforçaitdedéchiffreretdecomprendre.Elleétaitalorsviveetpassionnée.Cesoir-là,cependant,c’étaitlapremièrefoisqu’illavoyaitreportertoutesonattentionnonpassursespropresmotsqu’ildéversait,maisdirectementsurlui.

«Tu n’es pas un pauvre abruti, Sebastian. Tu es un homme très brillant avec un sacré sens del’humour.»

Ilsavaientesquisséunplansuccinct.Àlafin,elleavaithochélatête.«IlnepeutpasêtreseulementquestiondeprouverquelquechoseàBenedict,luiavait-elledit.Il

s’agit de déterminer si ton frère est ridicule. Si ceci se déroule comme nous l’espérons, et qu’iln’arrivepasàl’accepter,tusaurasquelafautenevientpasdetoi.»

Et d’une façon ou d’une autre, ces paroles avaient redressé l’univers de Sebastian. Il était plusseulement un bouffon capable de divertir les autres. Il aspirait à plus que cela. Et Seigneur, ilsouhaitaitreprésenterdavantagepourelle.Illadésiraitdésespérément,voulaitl’embrasser,laserrerdanssesbras;l’enlaceretlaplaquercontrelepoteaudelaserre,etl’étoufferdebaisersjusqu’àcequ’elle ne tienne plus debout. Il avait envie de l’emmener chez lui, dans son lit, de la prendre là,perlée de sueur, excitée et prête à l’accueillir. Il voulait dormir à ses côtés après leurs ébats et seréveillerauprèsd’ellelelendemainmatin;sedisputeravecelle,lafairerire,laregardertravailler,larejoindre après une longue journée à examiner les registres d’expédition. Il désirait la moindremauditeparcelledecettefemme.Sielleluiétaitrestéetotalementindifférente,ils’enseraitvublessé,maisilauraitpurenoncer.Lefaitqu’elletienneautantàlui–quoiquepasassez–rendaitlasituationàlafoissupportableetimpossible.

Appuyécontrelemur, il larevoyait,furieuseàentrembler,parcequ’elleestimaitqueBenedictavaiteuuncomportementinjustevis-à-visdelui.Dieuxduciel,sileschosesétaientdifférentesentreeux.Siseulement…Ilfutassailliparuneconfusiond’imagesetdebesoin,undésircharnelformantunebouledanssonabdomen.Ilnevoulaitpasrentrerchezlui,danssademeureglacialeetdéserte,oùilne retrouveraitquesacuisinièreet sonvalet. Ilavaitenviede retournerauprèsd’elle,etde…laprendre.Debalayerlesplantesdecettetabledanslaserre,pourl’yallongeretseglisserenelle.Elleenrouleraitsesjambesautourdelui,etémettraitunpetitsonguttural.

Il faisait sombre, il était seul, et enmanque. Facile d’ouvrir son pantalon, de se saisir de sonmembredanslanuitfroide,desefigurerlapénétrerenluidisantqu’ill’aimait.Peudepréliminairesétaientrequis;quelqueslégèrescaressespourquesonardeurhésitantesetransformeendouloureuseérection.Ilpassalamainsursonsexedansdesgestesfluides,enbalançantlebassin.Levisageincliné

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vers leclairde lune, ilatteignit lestadeoùsonenviephysiqueétaitassezviolentepoursubmergerpresque tout ce qu’il pouvait ressentir d’autre. Jusqu’à ce que, le souffle saccadé, il répande sasemencedansl’humus,laissantsonorgasmeemportersesdésirsloindelui.Puisils’affaissacontrelemur.

Cefutalorsqu’ilentenditlesfeuillescraquer.Ilseretourna,maissavaitdéjàdequoi,ouplutôtdequiils’agissait.Seulesdeuxpersonnesavaientaccèsàcetendroit.Ilnefaisaitpasencoretoutàfaitnoir.Sebastianfermalesyeuxetremontasonpantalon.Violet–carc’étaitbienelle,àmoinsdetroismètresdelui–neprononçapasunmotpendantunebonneminute.

Il n’allait pas lui présenter d’excuses, il n’éprouvait aucune honte. Il souhaitait juste corps etâme…quelquechosed’indicible.Maisilsavaitqu’ilnel’obtiendraitjamais.

—Jeveuxtoutsavoirsurlesautresfemmes,murmura-t-elleenfin.Ils’appuyadenouveaucontrelesbriquesetlevalatête.—Queveux-tusavoir?Ellemarquaunelonguepause.—As-tuunemaîtresseencemoment?—Non,pasdepuisdesmois.Elleassimilasaréponse,réfléchissantquelquesinstantsavantdereprendrelaparole.—Combienenas-tuconnues?—Departenaires?Il aurait pu rétorquer directement : « des dizaines. Trente-sept, pour être précis. » Mais il se

contentade:—Trop…Ettroppeu.Ellesetenaitdanslapénombre.Ilnevoyaitpass’illadégoûtait,ousielleavaitposélaquestion

parpurecuriosité.Elleexpira.—Àpartirdecombienserais-tusatisfait?Ilsourittristement.—Unedeplus,Violet.Illaregarda:elleavaitsesbrasenroulésautourd’elle,levisagedétournédelui,commesicela

pouvaitledistrairedesonviolentdésir.—Jen’enaitoujoursvouluqu’unedeplus,ajouta-t-il.—Jesuistellementdésolée,chuchota-t-elleenresserrantsonétreinte.Nepaslatoucher,nilatenircontrelui.Surtoutpasmaintenant.—Inutiledet’excuser.Notreamitiéteconvienttellequ’elleest.Ils’attendaitàcequ’elleconfirmequecetterelationluisuffisaitetqu’elleseraitcontrariéedela

voirévoluer.Maisellesedétournadenouveau.—Non.Ilavaitbienentendu.Ildevinaquelestroismètreslesséparantétaientindispensablespourqu’elle

neprennepaslafuite.Ilauraitpuluidemanderuneexplication,s’avancerverselleetdécouvrirsicequi luimanquaitdans leursrapportsétaitcedont ilmouraitd’envie.Maiselleavaitbesoindecettedistance.Sielleavaitvouludévelopper,ellel’auraitfait,plutôtqueresterplantéedanscepassageensetriturantlesmainsavecuneobscuredétresse.Aprèsunelonguepause,ilsecoualatête.

—Alors,moiaussijesuisdésolé,machérie,déplora-t-ild’unevoixrauque.Moiaussi.D’un accord tacite, ils évitèrent d’aborder les sentiments de Sebastian lorsqu’ils se revirent.

Aucuneallusionnefut faiteàcettesoirée,niàcequeVioletavaitpuapercevoirdans leurpassage

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secret.Ilsdiscutèrentdenavigation,delaSociétépourlerespectducommerce,deleursniècesetneveux,

deleursamiscommuns.Detoutsaufd’eux-mêmes.Ilneluidemandapaslesraisonsdesafrustration,etellenelesdévoilapasspontanément.Leursviespoursuivirentleurcourscommesiderienn’était:ilfituneprésentationauxmembreslondoniensdelaSociétéquireçutunaccueilfavorable;OliveretJanerevinrentdeleurvoyagedenocesetorganisèrentundîner.Lesjourss’écoulèrentlentement,lesvéritésdemeurèrentinexprimées.

Maispeut-êtreVioletsentait-ellelaconversationsetarir,carunsoir,aprèsqu’ilsavaientépuisétouslessujetshabituels,elleregardalegentlemand’unaircirconspect.

—Est-cequetuterappellesmonpremierpapier?C’étaitlemoisdejuin.Lesgrillonschantaientdanslecrépuscule,etlesdeuxamisétaientinstallés

àl’arrièredelapropriétédeSebastian,danslacabanedejardinierqu’ilavaittransforméeenbureaudesannéesauparavantpourparleràl’abridesregardsindiscrets.Lapièceétaitjusteassezlargepourcontenirunsecrétaireetuncanapé;confortablepourunepersonne,douillettepourdeux.

Lajeunefemmeétaitlovéesurlesiège,etMalheursetenaitàsonpostedetravailenparvenantànepaslacontemplertropavidement.

—Commentpourrais-jeoublierlesgueules-de-loup?Ellesetournaens’accoudantsurlebrasducanapé.—T’ai-jedéjàracontécommentj’ensuisvenueàtraiterdecesujet?Il avait toujours supposé qu’elle aimait ces plantes, comme beaucoup d’autres qu’elle avait

obstinémentobservéesavantmêmederédigerdesarticlesscientifiques.—Non.— Mon père était un passionné de végétaux. Il a donné des noms de fleurs à ses filles. Il

m’emmenaitdanssesjardins.Ellesetutunpetitmoment,commepourrassemblersesidées.—Ildisaitquej’étaissonporte-bonheur,reprit-elle.Qu’enmaprésence, ilnepouvaitpasrater

sesobjectifs.Etilvoulaitunechosepar-dessustout:créerunelignéepuredegueules-de-louproses.Ilavaitcommencéàytravaillerbienavantmanaissance.(Ellesecoualatête.)L’undemespremierssouvenirsaétédeleregarderplanterdesgraines.Jelerevoism’affirmantqu’ilavaitbesoindemoisur place, que je les ferais toutes éclore de la couleur souhaitée. J’ai parcouru ses parterres auprintemps, soufflant sur chaque feuille qui apparaissait. Je croyais vraiment que je changerais leschoses. Je voulais lui porter chance, de toutesmes forces.Lily était jolie et douée. Je voulais êtrecapablederéaliserça.Cetteannée-là,soncarrédefleursexpérimentalesapousséentièrementrose.Nousnoussommesréjouis.Iladitquec’étaittotalementgrâceàmoi;j’étaisfolled’excitation.

Bien qu’il n’ait jamais entendu cette histoire, Sebastian savait comment elle devait se terminer.Il avait trop souvent présenté les recherches de son amie sur les gueules-de-loup pour ne pasconnaître le fin mot. Mais même s’il souffrait pour elle, il la laissa poursuivre le récit de sadéception.

—Ilasoigneusementrecueillicesgraines,enmeprécisantcombienelless’avéraientvitales,quepersonned’autrequeluin’étaitparvenuàça.Ilaappelélespetitsgermesquisesontformésl’annéesuivante les«premièresvéritablesgueules-de-loup roses».Toute lamaisonétait eneffervescencequandlesboutonssontapparus.J’aifaitdemonmieuxpourluiporterbonheur,passanttoutletempsquejepouvaisdehors,àencouragerlesplantes.Nousavonsattenduenretenantnotresoufflequelesfleurs s’ouvrent et nous montrent leur couleur. Et quand cela s’est produit… leur teinte était unmélangederose,deblancetdecramoisi.

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Ellecroisalesbras.Illutlesouvenirdecettecontrariétésursonvisage.— Clairement, déclara-t-elle, les graines nécessitaient d’être perfectionnées. Papa a croisé les

fleurs roses entre elles et, le printemps suivant, il a réitéré ses cultures. Je pensais avoir peut-êtrecommisuneerreurl’annéeprécédente,j’yaidoncmisencoreplusdecœurcettefois-là.J’aiinclussesgueules-de-loupàmesprières tous les soirs, j’ypensaisdèsque jeme réveillais. J’ai souhaitécommejamaisquechacuned’ellessoitrose.

Elles’interrompit.—Ellesontpoussédeplusieurscouleurs,intervintSebastian.—Oui,dit-elleensedétournant.Monpèreacessédemesurnommersonporte-bonheur.L’année

d’après, quand les boutons ont éclos une fois de plus dans cette teintemixte, ilm’a dit de ne plusvenir. (Ellehaussa lesépaules,commepour sedélesterd’un fardeau.)C’estàcetteépoquequemamèrem’aapprisàtricoter.

Cesmots,ceregardetcesouriretristeétaientlourdsdesens.IlvoyaitunepetiteVioletvoulantdésespérémentporterchanceàsonpère. Il imaginaitsamère luienseignant,au-delàdumaniementdesaiguilles,lamaîtrisedustoïcisme,unemailleaprèsl’autre.

—Lorsqu’il est devenu évident que je nem’accomplirais pas comme le font normalement lesfemmes,j’aicommencéàcultiverlesgueules-de-loup.Jepensequejevoulaismeprouverque…ehbien,quecen’étaitpasmafautesitoutavaitéchoué.Quejen’avaispasruinéleseffortsdemonpèrede quelque façon. J’ignore à quel moment j’ai pris conscience que les gueules-de-loup rosesn’existaient pas. Il y en a simplement qui sont àmoitié blanches et àmoitié rouges, et quoi qu’ontente,ilenseratoujoursainsi.Ilnepeutyavoirdelignéepure,carlacouleurdecetteespècen’estduequ’àuneillusiond’optique;seulesdesannéesd’expériencepeuventmettreaujourlavérité.

Elleavaitparléd’unevoixtrèsmonocorde,semblantréciteruneleçonplutôtquenarrerlafaçondontsonpèreluiavaitreprochéleseffetsd’uneloiimmuabledelanature.Sebastianavaitenviedelaprendredanssesbrasetdel’étreindrejusqu’àluicouperlesouffle.

— Tu m’observes, dit-elle, et ton œil te renvoie l’image d’une gueule-de-loup rose. C’est unleurre. Je n’ai aucune douceur à offrir, ni à toi, ni à personne d’autre. Quoi que tu fasses, tu netrouverasjamaisenmoiunechaleurquejen’aipas.Àl’occasion,jedisdeschosesvraiesquisontparfoisréconfortantes.Maisnetebrisepaslecœuràchercherquelquechosequin’existepas.

Il sentit poindre un manque, une douleur douce-amère. Il avait pensé qu’elle avait besoin detemps ; que s’il attendait, les choses évolueraient entre eux. Mais la patience et les années n’ychangeaientrien,pasplusquesondésirpourelle.

—Ilya longtempsdecela, j’aiprisconscienceque t’avoircommeamien’étaitpasunprixdeconsolation,maisungrandhonneur,déclara-t-il.(Ellerelevalatêted’unairméfiant.)Tonrefusnemebrisepaslecœur.

—Nedispasça.J’aivulafaçondonttum’observaisàl’instant.Nouspouvonspinaillersurlestermesexactsàemployer,maisneprétendspasquejenet’aipasblessé.

—Cequim’afflige,insista-t-il,c’estdeconstaterquetutecroisdure;tuespersuadéequecequejevoisentoiestuneillusion,etcen’estpaslecas.

Elle le dévisagea en écarquillant les yeux, posa les pieds fermement par terre et se redressacommepoursesauver.Maisils’interditd’avancerverselle.Ellecroisalesbrassursapoitrine.

—Jenesuispaslegenredecréaturedontleshommestombentamoureux,affirma-t-elled’untoncatégorique. Je suis revêche et froide. Je nem’intéresse pas au sexe.Un homme pourrait en effetperdre l’esprit et penser qu’il éprouve une forme d’amour pourmoi,mais j’ai toutes les raisonsd’estimer que ce ne serait qu’une entorse passagère à la réalité.Même le plus imaginatif, le plus

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sincèredesindividusfiniraitparserendrecomptedesaméprise.Faisunelistedesqualitésféminines,Sebastian,tuverrasquejen’enpossèdeaucune.

Il avait l’impression de revenir dans un endroit qui lui était cher, et de découvrir que les boisavaientbrûléetquelamaisonétaitenruine.Illadévisagea,atterré.Ellerivasurluiuneexpressionimpassible.

—Jesaisdesourcesûrequejenevauxrienentantquefemme,affirma-t-elle.Ellesemitalorsdebout,fitvolte-face,etouvritlaporteavecdifficulté.Lanuitétaittombée.—Attends.Illasuivit,tenditlamainverslasienne,puisseretint,conscientquecelaneferaitqu’aggraverla

situation.—Attends,répéta-t-il.Écoute-moi.Tonmariétaituncrétin.Elles’arrêtanet,sansseretourner.— Je le pense sincèrement, poursuivit-il. J’ignore ce qu’il t’infligeait, mais je t’ai observée à

l’époqueoù cela se produisait.Quand tu as écrit ton article sur les gueules-de-loup, celui que j’aienvoyépourtoi,j’aieupeurquetunepassespasl’année.

Ellerelevalementon.—Jenevoispascequetuinsinues.—Ne raconte pas de bêtises. Tu as étémalade pendant des semaines.Est-ce qu’il te frappait ?

Cachais-tudesbleus?Tedisait-ilquetunevalaisrien?Elleinspiraprofondément.—Jeneveuxpasparlerdelui.—Mêmequand tu as eu la force de quitter ton lit, tu ne pouvais presque pasmarcher dans le

jardinavecmoi.Nousdevionsfairedeshaltespournousasseoirtouslesdixmètres.J’espéraisquetuteremettraisdecemalmystérieux.Maisdeuxmoisplustard,tuétaistropsouffrantepourmerevoir.Jecroyaisquetuétaismourante,Violet.

Ellesecoualatête.—Commetupeuxleconstater,tutetrompais.—Exact.Sixmoisaprèsquenousavonsrédigécetarticle,tonépouxesttombédansl’escalieren

étatd’ivresse, et s’est rompu le cou.Et soudain, après t’avoir si longtemps regardée lutterpour tasanté,jet’aivueallermieux;pasderechutes,pasd’affectionsbrutales.Alors,nemerépètepaslesparolesdetonmari,Violet.Jepeuxdevinerlavérité.

—J’endoute,rétorqua-t-elled’unevoixétranglée.Tun’enaspaslamoindreidée,Sebastian.—Quoiqu’ilaitputedireoutefaire,ilavaitaffreusementtort.—Tuteracontesdesmensonges.Tuimaginesqu’ilestàblâmer,qu’ilm’aôtétoutechaleur.Tute

méprends,c’étaitl’inverse.Ilm’aditquejenevalaisrienparcequ’iladécouvertquej’étaisfroideàl’intérieur. Ilm’a traitée d’égoïste, et je crois qu’il avait raison. Car à samort, je n’aimême pasréussiàéprouverduchagrin.

—Violet,tuasrecueilliethébergéunbébéhibouavecuneailecasséependanttroismois,enlelaissantdéchiquetertesmeublesanciens.Etquandtesbonnesontététropdégoûtéespourcapturerdessouris,c’esttoiquit’eneschargée.

—Purecuriosité,dit-elle,l’œilbrillant.—Jet’aisurpriseluiroucoulantdesgentillesses.Etallons-nousparlerdeHerman,lechatquetu

astrouvéprisdansunpièged’acier?Ellefeignitdenepasentendre.—Monépouxnem’ajamaisbattue.Etsitupensesqu’ilétaitleseulàm’avoirprécisécombienje

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comptaispeu…(Elleinspira.)J’étaisleporte-bonheurdemonpère.Lilydisaitquepapanousaimaittroppoursesuicider.Maisj’aitoujourssucequ’ilenétaitvraiment.Jen’aijamaissuffi.

Ellerivasonregarddansl’obscuritédesjardins,puisreprit:— Alors, oublie-moi. Arrête de chercher à savoir. Tous ceux qui me comprennent finissent

écœurésparcellequejesuis.—Pasmoi.Elleluijetauncoupd’œilfurtif.—Tunesaispastout.Lasituationsedégradait.Quand Sebastian était là, Violet avait les idées les plus étranges : le toucher, l’embrasser,

simplementletenircontreelleets’imprégnerdesachaleurréconfortante.Ensonabsence,ellesentaitson souvenir flotter, attendant de la prendre audépourvu.Ces réflexions inopportunes lui venaientauxmoments lesplus singuliers.Ellepassaitungant etvoyait leursdoigts s’entrelacer, ce sourireilluminersonvisage,rienquepourelle,avantqu’ill’attireverslui,et…

Ellehochalatête,chassantl’imageavantqu’ellenesusciteuneréelleenvie.Maisledésirtrouvaittoujoursunautremoyendes’immiscer.

Tun’aspasledroitd’êtrecettepersonne,serappela-t-elle.L’envieestundangerpourtoi.Lafindesoiréeétaitlepire.Quandlanuittombait,quemêmeallumerleslampesaumaximumne

faisaitqu’épaissirlesténèbres,elleserappelaitsespropos.«Monamourpourtoin’ariendeplatonique.Jetedésire,passionnément.Si tuvoulaiscoucher

avecmoi,jeteprendraislà,toutdesuite.»Aumilieude lanuit, il étaitdifficiledegarderenmémoirequ’ellen’étaitqu’unblocdeglace.

Elle se remémorait ce qu’était le contact, la sensation d’une peau glissant contre la sienne, leschaleurs se mêlant, la délicieuse friction des doigts sur ses hanches l’attirant plus près… Cetteréminiscenceétaitplus luxueusequelessoies lesplusdouces.Ellen’avaitpasoubliécequec’étaitque se noyer dans un baiser, ni ce qu’avait été une relation sexuelle, avant que les chosess’enveniment.

Maisellegardaitaussientêtecequec’étaitdevenu:unepénétrationdansunvideglacial,chaquemouvement de reins essayant de la faire disparaître de l’univers. Elle se souvenait de tout cela, ledésirait, le craignait. Elle fit donc comme d’habitude : elle trouva un substitut pour combler sonbesoin.Elledécoupadesrevuesscientifiques,mêmesisesdécouvertesretomberaientdanslesilence.Elleglissaentre lespagesdesesmagazinesdespapiers traitantdesujetsdiversallantde l’héréditésexuelle aux dernières expériences de méthodes photographiques pour améliorer les résultatsmicroscopiques. Elle feuilleta La Mode illustrée et étudia des croquis de cellules en feignant des’intéresserplutôtàdesgravuresdedessusdejupesentarlatanerose.

Ellelutsansrelâche,jusqu’àcequ’ilneresteplusdeplacepourlemanque,qu’ellesesoitréduiteàdelapenséeetdutravailpursetsimples,àunêtredépourvud’émotions,desensations,dedésirs.Riendetoutcelaneluiavaitjamaisservidetoutefaçon.

Maislaréflexionétaitinsidieuse,etsilarecherchescientifiqueluiavaitapprisunechose,c’étaitquepresquetouslesorganismes,quellequesoitleurtaille,aspiraientàsereproduire.Cettevolontése nichait dans chaque cellule, etViolet ne pouvait la chasser, si nuisible qu’elle soit.Elle pouvaitseulementgardersapropreenvieàdistance.

Parfois, la nuit, elle échouait.Ce soir-là, elle revit sonmari au-dessus d’elle, s’introduisant enelle,sepenchantversellecommepouréchangerunbaiser.Lespremièresannées, ilavaitchuchoté

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desmotsd’encouragementetd’affection.«Chérie,douce,agréable.»Puis ilavait finiparse taire.Verslafin,toutefois…

« À quoi diable sers-tu ? lui avait-il murmuré à l’oreille en la prenant. Espèce de chienneégoïste.»

Cestermesponctuaientsescoupsdereins.Etàchaquecyclequipassait,elleluidonnaitraison.Égoïste.Inutile.Chienne.«Combiend’autresmaîtressestefaudrait-ilpourêtresatisfait?»«Seulementunedeplus.»MaisVioletnepourrait jamaisêtrecelle-là.Elleétaituncasse-têtedeforgeronfabriquéparun

démon.Ellesavaitjusterendrelesgensfous.Ellesoupiradans l’obscurité.Elle rendraitvisiteàLily le lendemain,etsasœurcompteraitsur

elle.Oh,commeelleavaitbesoind’êtrenécessaire;àcemoment,plusquetoutaumonde.

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Chapitre12

Le soleil était haut et Sebastian avait passé un agréable trajet en rentrant de la capitale. Il étaitparvenuàenfouirtouteslesrévélationsdeVioletauplusprofonddesoncœur.

Ils’étaitécouléunesemainedepuissaprécédenteentrevueavecsonfrère,etàpeineautantdepuissapremièrerencontreaveclesdirigeants londoniensde laSociétépour lerespectducommerce.Iln’auraitpuespérerdemeilleureréponsedeleurpart.Sonaîné,toutefois…

Iltraversalademeuredecelui-ci,escortéparlesdomestiques,puisentradanssonbureau.Illuitenditsansunmotlacirculairequ’ilavaitapportée.L’horlogeégrenaitlessecondes.Iln’osapaslescompter,refusantdesavoircombiendetempsBenedictmettraitàassimilercequ’illisait.

Cedernierlissalafeuilleposéedevantluietsecoualatête.Sesmouvementsparaissaientsilents.Il sourcilla de nouveau et entama une troisième lecture. Ses lèvres tressautèrent dans un rictusréprobateur ; il tapadesdoigtssur la table,commes’ilpouvaitchanger lecontenudupapieren lefaisantsuffisammentremuer.Ilallajusqu’auboutdudocument,puisgardalesyeuxrivésdessus.

Sebastianavaitlesoufflecoupé.Unepartdelui-mêmeavaitl’impressiond’êtretoujoursuncadetsautillantautourdesongrandfrère,etmettantenavantquelquetalentquesonaînéavaitmaîtrisédesannéesplustôt.Regarde,voulait-ildire.Regardecequej’aifait.Maisc’étaitplusquecela.

Regardequijesuis.Pendanttoutcetemps,ilavaitlaisséBenedictluiaffirmerqu’iln’étaitrien,quelasommetotale

de ses réussites se résumait à ses plaisanteries, aux foudres qu’il s’était attirées auprès de gensrespectablesoutrésparsespropos.Maissonfrèreavaittort.Ilfinitparfermerlesyeuxetrepousserlacirculaire.

—Sebastian,dit-ildansunsoupirattristé.Commentdiablees-tuparvenuàcela?—Suis-jecenséavoirhonte?JeleurairenduvisiteàLondres,etj’aidiscutéaveclesdirigeants

là-bas. Ils étaient intéressés parmon travail sur la navigation, et plus encore par l’application desméthodesnumériquesaucommerce.

Benedictgrimaça.—Évidemment.Mais…L’horlogefaisaittoujoursretentirlessecondes,quisemblaientcettefoiss’écoulerdeplusenplus

vite.—Pas besoin de «mais ».Tu peux t’arrêter à : «Bravo, Sebastian, j’ai hâte d’assister à cette

réunion.»—«Yassister»?répétal’aînéenfaisantunegrimace.Tucroisvraimentquejeserailà?Jet’ai

clairement expliqué que la Société était une organisation respectable. Et tu penses sincèrementprouver quelque chose en aveuglant leurs plus éminents esprits avec tes tours de passe-passemathématiques?

—Seigneur,Benedict.Ça…… fait mal, aurait-il pu dire. Mais ces simples mots n’exprimaient pas assez la douleur qu’il

éprouvait.Ilavaitespérépouvoircomblerlefosséentreeux.—C’estinjuste,poursuivit-ilenregardantailleurs.Jenepensepasêtreenmesuredetedémontrer

quoi que ce soit.Tu as été très clair à ce sujet.Mais je croyais que tume laisserais aumoins une

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chance.—«Unechance»?Defairequoi?Sebastianrelevalementon.—Deprouverquejesuistonégal.Quemalgrétousmesfauxpas,nouspouvonsavoirunpoint

commun.—Mais tu désires plus que cela, répliquaBenedict, lesmâchoires serrées. Je sais comment tu

fonctionnes.Bien sûr que tu souhaitesmon approbation.Tu réussis en éblouissant les autres, et çat’agacedenepasparveniràmeduper.Tujettesdelapoudreauxyeuxpourcachertoninconsistance.Regardecetteannonce,c’esttoutàfaitridicule.«Enl’honneurdugalacélébrantnotredeuxcentièmeanniversaire, nous sommes heureux de vous présenter une série de conférences sur l’avenir ducommerce,donnéesparlepenseurdecesiècle.»Puisilstenomment.(Ilémitunfrancgloussement.)Dis-moi,commentnepasprendreçapourunefarce?

LecœurdeSebastianseserra.—«Penseurdecesiècle»estunpeuexagéré,convint-ilavecraideur,maissilesgenslesplus

importantsetintelligentsdetasociétéestimentquej’aiquelquechosedevalableàdire,nepourrais-tupasenvisagercettepossibilité?

Benedictseleva.—Tuoubliesqu’ilsn’ontpasgrandiavectoi.Chaquepersonnequitecroiseaujourd’huirepart

avecdesétoilesdanslesyeux,complètementaveuglée.Maisjet’aivutoutemavie,ettunepeuxpastecacherdemoi.Derrièretesblagues,tesproposplaisantsettessourireséclatants,tun’esrien.

Soncadeteutl’impressionqu’ilvenaitdeluitranspercerleventreavecuneépée.— Le reste du monde te gratifiera de toutes les accolades possibles. Mais quelqu’un doit te

rappelerlavéritésurtoi-même,etc’estmoi.(Ilrepoussalacirculaireverslui.)Tuveuxsavoircequejepensedecela?Jepensequemasociétéafaituneerreureffroyable,etquandtuaurasfinidecausertesravageshabituels,c’estmoiquipasseraiderrièretoipourramasserlespotscassés.

Sebastianétait sansvoix.Malgrésesefforts, ilneputarticulerquoiquecesoit. Ilcommençaàavoirlesmainsfroides.

—Laprochainefoisquetuauraslaricheidéedemerendrefier,précisasonaîné,n’entachepaslenomd’uneorganisationquej’aime.

Ils’exprimaitcommes’illuidonnaitunconseilaffectueuxetbienveillant.—Accomplisquelquechosedeconcret,poursuivit-ilenselevant,etjetereconnaîtraiàtajuste

valeur.Maisça…La réalité aurait dû sauter aux yeux de Sebastian depuis longtemps, mais il avait refusé de

l’admettre. Benedict se tenait devant lui, le visage sombre, les bras croisés sur sa poitrine. Laperfectionincarnée,songea-t-il.Jamaisunpasdetravers.Ils’étaitimposéuntelniveaud’excellence,quesonpetitfrèrenepourraitjamaisl’atteindre.BenedictleParfaitétaitunmenteur.

—Jevois,lançaSebastian.Jepensaisquec’étaitmoi,leresponsabledecefosséentrenous.Maisjesuisloind’êtreleseul.Riendecequejepourraifairenetedonneraunebonneopiniondemoi.TuenvoiesHarrychezsagrand-mèreparcequetupensesquejen’aipasassezbienréussipourélevertonfils?Quellesommea-t-elleamasséedanslesaffaires?

Benedictsourcilla.—Làn’estpaslaquestion.—Vraiment?Tuveuxque tongarçonaitunexempledecomportementdistingué.Combiende

conférencesa-t-elledonnéespourtafoutuesociété?—Tudépasseslesbornes.Nejurepas.

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—Nemedis pas ce que je dois faire ou pas ! s’exclamaSebastian en lui adressant un regardmauvais.Quanda-t-elle intégré laRoyalSociety?Àquelâge?Quelsarticlesa-t-ellepubliés? (Ils’avançad’unpas.)Ilnes’agitpasdecequejefaisounon.C’estlamêmechose,bonDieu,depuistoujours.Jesuisquelqu’un…quelqu’und’intelligentetdecompétent,ettoi,tun’asjamaisrienvudebienchezmoi.Qu’ilensoitainsi,j’arrête;jen’essaieraiplusdeteprouverquejeméritetonrespect.Tunemel’accorderaisjamais,quoiquejefasse.

Sonfrèreeutunmouvementdereculets’empourpra.—Cequetudisestterrible.—Oh,certes.Maisimaginedevoirl’endureretgrandirensachantquel’uniquepersonnedonttu

souhaitesgagnerl’approbationt’adéjàjugébonàrien.Depuistoujours,jet’aiautoriséàclaironnerquej’étaisfrivole,undébauchésansintérêt,ridicule,stupide,quin’apportaitrienaumonde.Maistusaisquoi?J’aibeaucoupderaisonsd’êtrefier.Vas-y,Benedict.Cite-moiunbonpointmeconcernant.

L’aînéserralesmâchoires,lesnarinespalpitantes,puisfinitparsedétourner.—Bon.Tues sympathique, je te le concède.C’est cequi a causé taperte.Tuas toutobtenu si

facilement;lesamis,lesfemmes.(Ilsecoualatête.)L’argent.Leprestige.Lavieestunjeupourtoi.Nousautreslatraversonspéniblement,ennousefforçantdelaisserd’infimestracesderrièrenous.Ettoi,onteserttoutsansquetuaiesàleverlepetitdoigt.Parcequetuessympathique.

Seigneur. Benedict ne parvenait même pas à lui faire un compliment sans le transformer eninsulte.

—Jen’ypeuxriensi lesgensm’apprécient, rétorquaSebastianencroisant lesbras.Et l’onnem’apasapportétoutcequejedésiraissurunplateau.

—Nomme-moiunechose,uneseule,quetuaiesvouluesansjamaisl’obtenir.—Tonapprobation.—Oh,unobstacle!Trèsbien.Aprèsplusdetroisdécenniesdenavigationaugréduvent,tuas

découvertunechosequel’onneseprocurepasauprixd’uneblagueetd’unsourire.—Non, riposta son cadet en posant sesmains sur le bureau. Ton estime était tout ce que j’ai

toujourssouhaitéétantenfant.J’avaisenviequetusoisfierdemoi.Quetumeregardesdanslesyeuxendisant:«Bontravail,Sebastian.Jesavaisquetuenseraiscapable.»Maisriendecequej’aifaitn’ajamaisétéassezbienpourtoi.Jemesuisappliqué,acharné,etquoiquej’accomplisse,quoiquejedéposeàtespieds,j’aitoujoursobtenulamêmeréponse.Cequejefaisaisn’avaitaucunevaleur.(Ilsepenchaenavant.)C’estn’importequoi.

Benedictsecoualatête.—Oh,necherchepasàsuscitermapitié.Situavaisréussiquoiquecesoitdignede…—Sais-tupourquoijeveuxmechargerdetonfils?l’interrompitSebastian.Oui,c’estparceque

jel’aime,quec’estunenfantmerveilleuxetquejem’estimeraishonorédel’élever.Maisc’estaussiparcequejetevoisluiinfligerlamêmechosequ’àmoi.Riendecequ’ilfaitn’estassezbienpourtoi.Ilnereçoitquedesréprimandes.«Cessecesjeuxderôle»,«tuestropjeunepourunvraitravail»,et pourtant « tu es trop vieux pour jouer ». Je veuxm’occuper de lui pour qu’il sache qu’il vautquelquechose.Parcequejesuislaseulepersonneaumondeàpenserçadelui,etbonsang,jerefusequ’ilgrandissecommemoi.

LesyeuxdeBenedicts’assombrirent.—Remettrais-tuenquestionmesaptitudesentantqueparent?— Oui, en effet. Tu as tout gâché avec moi, et tu fais la même chose avec Harry. Je t’en

empêcherai.Sonfrèresemassalefrontensoupirant.

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—Tucroisquej’aiététropduravectoi?demanda-t-ilenavançantd’unpas.Tupensesavoirfaitde tonmieux, et que j’aurais dû récompenser tesmédiocres, tes stupides petits efforts parce que,autrement,j’allaisblessertessentiments?(Ilétaitécarlate.)Tuauraispuavoirmonrespect,ilnet’ajamaisétérefusé.Tuavaissimplementàlegagner.

—Cite-moiunechosequej’auraispufaire!Essaie,Benedict,demenommeruneseulechosequejedevaisaccomplirpourquetumedises:«Ehbien,Sebastian,tuméritessincèrementmonrespect.»

Labouchedesonaînésecrispa.—Arrêtedoncde…deparesser,et…—Jenesuispasparesseux!Regardeattentivementquijesuisetcequej’aifait.Toutcedontjete

parle,cenesontpasdesaccidents.Çareprésentecequejesuis.Cen’estpasmafautesi tunevoischezmoiqu’unfainéant.

—Jeperçoistrèsbiencequetues:unimposteur.UnfrissonglacialparcourutSebastian.—Non.Mais l’accusation de son frère était suffisamment vraie pour que sa protestation sorte dans un

murmure.—Tujouesàêtreunhomme,repritBenedict.Maistun’esqu’unhorribleimp…Il s’interrompit, le souffle saccadé. Son visage se marbra de rouge. Il ravala le reste de ses

propos.Etàcemomentprécis,Sebastiansutque,mêmesansconnaîtretousleséléments,sonfrèreavaitraison:ilétaitunaffreuximposteur.Ilavaiteupeurdeperdresonaîné,etpourtant,voilàqu’ilcreusaitl’écartentreeux.Ilsavaitquecethommeavaitdesproblèmescardiaques,etavaitmalgrétoutprovoqué sa colère.Seigneur, il avait plusdebon sensque cela. Il avait juste…oublié. Il détestaitperdresonsang-froid;ilneserappelaitpluscequiétaitimportantdanscescas-là.

Ilétaitplusqu’unvulgairebouffonbonàdivertir lesautres.MaisBenedictdisaitvrai ;dans lefond, iln’avait jamaisvouluêtredavantagequecet individucapabledesusciter le sourire.Chaquefoisqu’ilperdaitceladevue,ceuxqui l’aimaientenpayaient leprix. Il avait sansaucundoutedesréussitesàsonactif,maisilétaitaussiceluiquiavaitpassétroisansàcroiserdesfleursenespérantfaireuneimportantedécouverte,pourfinalementnerécolterqueledésordre.

Sonaînéportalamainàsonabdomen,levisagecrispédedouleur.C’estcequiseproduitquandonestsérieux.Tulesaisbien.Sebastians’approcha.—Arrête,murmura-t-il.Tuasraison,jesuisdésolé.Illuieffleural’épauleetajouta:—Netefâchepas.Jeneveuxpasquetut’énerves.Benedictserralepoing.—Mauditcœur.Sijenepeuxpashurlercontremonpetitfrère…jenevoispasl’intérêtdevivre.Sebastiansecoualatête.—Là,assieds-toi,maintenant.Jevaischercherledocteur.—Cen’estrien,marmonnalemaîtredeslieux.Ils’affaissatoutefoispéniblementdanssonfauteuil,etpoursuivit:—Justeunelégèreindigestion,çavapasser.Quantà…Ilbaissalentementlespaupières.—Non,cen’estpaslemomentdediscuter,murmuraSebastian.Maisilsavaitenledisantqu’iln’yauraitjamaisdemomentopportunpourdiscuter.Lefosséentre

euxneseraitjamaiscomblé;Benedictnelerespecteraitjamais.

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Cen’était pas grave. Il avait de l’estime pour lui-même, à tel point qu’il n’avait pas besoin del’approbation de son frère pour continuer sa route. Peu importait si ce dernier n’accordait aucunevaleuràcetalent;tantqueSebastianferaitsouriresonaîné,ilconsidéreraitavoirréussi.

—OncleSebastian,ditunepetitevoixdepuis la caged’escalier tandisqueMalheurdescendait.

Qu’arrive-t-ilàmonpère?Le gentleman regarda en bas : Harry était assis sur un large fauteuil dans l’entrée. Ses pieds

touchaientàpeine le sol. Il avait lesbrascroisés,attendantavecunepatiencequeSebastiann’avaitjamaiseueàsonâge.Sescheveuxfoncésétaientcomplètementébouriffés,etsafigureaffichaituneinquiétudeenfantine.

—Pourquoivousêtes-vousfâchéssifortavecpapa?s’enquit-ild’unaireffrayé.—Parcequenousn’étionspasd’accord.Parfois,lesgensneparviennentpasàl’être.Harry se laissaglisser de son siège, un cheval debois à lamain. Ilmonta lentement l’escalier

jusqu’àcequ’ilaitrejointsononcleàmi-chemin.—Allez-vouspartird’icipourtoujours?—Non.—Est-cequepapavamourir?—Maisenfin…,bredouillaSebastian.Pourquoiunetellequestion?—Parcequeledocteurvientsisouvent.C’étaitpareilavecmamanl’annéedernière.Cen’étaitpassonrôlederévélerlamaladiedeBenedictàsonneveu.Maisilnepouvaitpasnon

plusserésoudreàluimentir.—Interrogeplutôttonpère,dit-ilaprèsunmomentd’hésitation.Harryfitunemoue.—Çaveutdire«oui».—Chut,soufflaSebastianens’asseyantsurlesmarchesàcôtédel’enfant.Touts’arrangerad’une

façonoud’uneautre.(Ilsoupira.)J’aimismonfrèreencolèrecesdernièressemaines,etcen’estpasbonpourlui.

Ilrelevalesyeux.IlnesavaitplusquoifaireavecBenedict,niquelcomportementadopter,àpartnepascrier,carcelanechangeraitrien.

—Jenerecommenceraiplus,promit-il.Çanepourraqu’aider.Nepleurepas.—Jenepleurepas.C’étaitvrai.Sesépaulestressautaientconvulsivement,maisiln’émitpasmêmeunsanglot.—Papaditqueleshommesnelefontpas,alorslà,jenepleurepas.Nesoispasridicule,voulutrépliquersononcle.Ou:Tuasledroitdepleurerquandtuestriste.Mais Benedict n’apprécierait pas que son cadet intervienne dans l’éducation de ce garçon qui,

aprèstout,étaitsonfils.Ils’agissaitdesadécision,quoiqu’enpenseSebastian.—Bon,lançacedernierenglissantsonbrasautourdesonneveu.C’estbien,tunepleurespas.Je

suislà,ànepaspleureravectoi.—Violet,ditLilyenprenantlesmainsdesasœur.Commentsavais-tuquej’avaistantbesoinde

toi?Ellesse trouvaientdanssonbureauprivé, laporteverrouillée.Elleavaitmenacésesenfantsdu

goudron et des plumes s’ils osaient l’interrompre durant l’heure à venir, ce qui signifiait qu’ellesdisposaientauplusdequinzeminutes.Lamarquiseétaitinstalléeàsonsecrétaire,lesyeuxécarquillésetimplorants.

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—Aide-moi,supplia-t-elle.Çadépassecequ’unemèrepeutsupporter.—Quelestleproblème?Si l’un de ses enfants avait été souffrant au point de susciter l’inquiétude, elle aurait déjà fait

manderViolet,assurément.—Regardecequej’aitrouvédanslesaffairesd’Amanda.Elleprituneclédutrousseaudanssapocheetouvritletiroirdesonbureau,lesdoigtstremblants.

Soudain,sonaînéeeutunmauvaispressentimentsurcequ’elleallaitluimontrer.—Ceci,ditLilyensortantunvolume.Regarde.Elle avait la voix chevrotante. Ce fut au prix d’un effort considérable que la comtesse resta

impassible.—OrgueiletPréjugés, dit-ellecalmement.Etunepremièreédition, enplus.Dieuxduciel.Ces

copiesontunecertainevaleur,àprésent.Est-cequ’unprétendantleluiadonné?Tuasraison.Ellen’auraitjamaisdûaccepteruntelcadeaud’unhomme,aussigentilquecelapuisseêtre.Elledevralerendre.

Pasdemensonges.Paslavériténonplus,maisriendetotalementfaux.—Ouvre-le,luidemandaLilyensedétournant.Violetyprocéda,mêmesiellesavaitdéjàcequ’elleverrait.Cen’étaitpaslefrontispiced’Orgueil

etPréjugés,maisL’Éducationsupérieuredesfemmes,parEmilyDavies.Elleregardasasœurdanslesyeux.

—EmilyDavies,dit-ellesisereinementqu’elle-mêmen’auraitjamaisdevinécombiensoncœurbattait la chamade si elle ne l’avait sentimarteler contre sa poitrine. Je n’ai jamais entendu parlerd’uneromancièreportantcenom.(Égalementvrai ; l’EmilyDaviesqu’elleconnaissaitécrivaitdesessais.)Est-ellel’auteuredefictionsindécentes?

— Non, elle est l’une de ces… ignobles créatures, cracha sa sœur. Elle traite des droits desfemmes.

—Oh,monDieu.— Je savais que tu comprendrais. Ma propre fille lit en cachette ce genre de littérature

subversive!Ellerefusedemerévélerlaquelledesesamiesluiadonnéça.J’ignorequitentedeladévoyer.Commes’ilne suffisaitpasqu’ellenourrissedespenséesaussi abjectes, ça l’a égalementamenéeàmementir.

—Vraiment?Ellenet’aquandmêmepasracontéderéelsmensonges.—Pratiquement,assuraLilyd’untondédaigneux.Lesvéritésdestinéesà induireenerreursont

toutaussiméprisables.Violets’humectaleslèvresavantdedire:—Ellet’aime,tusais.Ellen’estpassournoisedenature.Peut-êtrea-t-ellesentiquetuneserais

pasdisposéeàavoirunetellediscussion.—Évidemment,car jenelesuispas!Quiyconsentirait?Personneissudebonnefamille.Ces

histoires d’enseignement supérieur sont peut-être une malheureuse nécessité pour celles qui nepeuvents’attirerlamoindrepropositionrespectable,maisAmandan’estpasdanscettesituation.Noussavonstoietmoiquelagentfémininen’estpasnégligeableausimplemotifqu’elleestreléguéeausexefaible.Nousnesommespeut-êtrepasaussifortesqueleshommes,niaussibrillantes,maisnousavonsnotreraisond’être.Qu’Amandasedérobeàcette…

—«Raisond’être»,répétasonaînéed’unaircontrit.Puisaprèsunepause,elleajouta:—Rappelle-moicequec’est,déjà?

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Lilyl’observa,semblantalorsserappelerqueVioletn’avaitnimarinienfants,etsedemandersiellepourraitsoutenirsonregardaprèsavoirouvertementdéclaréqu’elleneservaitàrien.

—C’estpourçaquejet’adore,répondit-elle,gênée.Parcequequellesquesoientnosdifférencesapparentes,tumecomprendsmalgrétout.Tusaiscequej’aidanslecœur,commejesaiscequ’ilyadansletien.

La comtesse demeura dans un silence figé, à peine capable d’acquiescer.Elle avait toujours sudevoirtrompersasœurpourqu’ellel’aime.Pasuniquementausujetdesesactivitésnidesafaçondepenser;elleétaitobligéedeluimentirsurtout.Ilneluiétaitjamaisvenuàl’espritquesadouceetfrancheLily la dupait aussi, que c’était ce queViolet souhaitait ; un amour illusoire était toujoursmieuxquerien.

—Quandj’auraitrouvéledémonquiadonnécesépouvantableslecturesàmafille,jele–oula–mèneraiàsaperte.Cetteespècedelâchesournois,hypocriteetégoïste.

Ellementaitàsasœur,àSebastian,àtousceuxquicomptaientpourelle.Ellen’avaitpaslamoindreidéedecequ’elleavaitditpourmettreuntermeàcetteentrevue,nide

lamanièredontelless’étaientquittées.Ilcommençaàbruinersurlecheminduretour.Onl’accueillitchezelleavecunparapluiepourlaconduiredanslachaleurdesademeure,maisellenes’ysentaitpasàsaplacenonplus.Elledéambulad’unepièceàl’autre,sesyeuxdérivantdesfauxexemplairesdeLaModeillustréequ’elleutilisaitpourcachersesinclinationsdesregardsindiscretsauxaiguillesquiluiservaientàsedonnerunairinoffensif.Letricotaussiétaitunefaçade,unepaisibleactivitéluipermettantdedissimulerletroublequil’habitait.Toutchezellen’étaitquetromperie.Etpourcause;savéritéétaitsilaidequ’elle-mêmel’évitait.

Ellepassaune robeplus simpleet se renditdiscrètementdans sa serre. Ilpleuvaitdescordesàprésent, mais elle ne se protégea guère. Cette pluie battante et froide ne lui semblait qu’un justechâtiment.Même son travail était uneduperie.Faire tremper des graines, les cajoler pour qu’ellesgerment ? Cette illusion de fertilité était le plus grosmensonge de tous. Elle était un inextricablecasse-tête.Onneleremarquaitjamaisenlarencontrant,seulementàlafin,quandellerepoussaitceuxquiavaientlabêtisedeteniràelle.

Elleseplaqualesmainssurlesoreilles,maisneputétouffercemurmure.Cen’étaitpasunevoix,maissapropremémoire,rudeeteffroyable.Peut-êtrelemomentétait-ilvenudedémontrercombienelleavaitraison.Ensonforintérieur,elleavaittoujourssuquesiellerévélaitsonsecret…Elleeutcruellement envie d’être étreinte jusqu’à en avoir mal, qu’on lui dise qu’elle avait tort, qu’ellecomptait.Ellevoulaitarrêterdementir.

Letonnerregrondait.ElledoutaitqueSebastiansoitdehors,passouscedéluge.Lâche.Menteuse.Ellenepouvaitplusattendre.Unechoseaussiinsignifiantequ’uneaversen’allaitpasl’empêcherderaconterlavéritéetdeperdretoutcequ’elleavait,unebonnefoispourtoutes.

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Chapitre13

Sebastianétaitdans sa serre, essayantde remettre ses sentimentsenordre, lorsquede furieusestrombesd’eau commencèrent à s’abattre violemment.Elles plongèrent sonmassif d’arbustes à dixmètres de là dans l’obscurité. Le monde entier se voila de noir. L’air se rafraîchit et les vitress’embuèrentpeuàpeu.

Il cherchait leparapluiequ’il était presquecertaind’avoir rangéparmi lespatères et lesvestesdansl’entrée,quandlaportes’ouvrit.Ilseretourna,s’attendantàvoirl’undesesdomestiques,maisils’agissaitdeViolet.Ilaperçutd’abordsapeau.Elleétaitvêtued’unesimplerobeenmousselinegrise,du genre qu’elle portait pour ses travaux botaniques. Le terme « robe » était plus que généreux.C’était àprésentunboutde tissumouillé et dégoulinant, laissant apparaître les formesde la jeunefemmed’unefaçonqu’ellen’apprécieraitpas,supposa-t-il.

Ellerejetadanssondosunenattegorgéed’eauetfermabruyammentderrièreelle.Lacharpentevibra,secouéepar levent. Ilneparvenaitpasàdéchiffrer l’expressiondesonamie.De la tristessepeut-être;dudéfi.Unegoutteglissaauboutdesonnez.

—Violet?Quesepasse-t-ildonc?Ellerelevalementon,puisavançaversluid’unpasrésoluethumide,lesbraslelongducorps,

comme en direction d’une force ennemie à encercler. Elle mesurait une tête demoins que lui, etpourtant,lalueurmartialequ’elleavaitdanslesyeuxdonnaenvieàSebastiandereculer.Elles’arrêtaàquelquescentimètresdelui.

—Violet,souffla-t-il.—Jetecachelavérité,annonça-t-elled’unevoixglaciale.Elleserralepoing,puislerelâcha.—Tuesconvaincuquejen’éprouveaucundésirpourtoi,reprit-elle.Elle le dévisagea avec une vive provocation. Il ne savait que penser ; il avait l’impression de

prendrefeu,dansl’attentefébrilequ’elleailleauboutdesaréflexion.—Tucroisquejeneveuxpasdetoi.(Elleessuyalapluiesursafigure.)Tuastort.Jenecessede

penseràcequeceseraitde…(elledéglutit)de te tenir,de te toucher…Tuvoiscommetuasputetromper?J’aienviedetoi.

Enfin,chantonnaitunepartdelui-même.Enfin,enfin,enfin.Maistoutétaitsiaffreusementincongru;cetteposture,commesielledevaitseprotégerdelui,ce

regardnoir,cettefaçondeprononcer«désir»commes’ils’étaitagid’uncouteauqu’ellecomptaitutiliserpourl’éviscérer.

—Jenecomprendspas,déclara-t-ilenreculantd’unpas.Quelquechosesonnefaux.—Tais-toi,dit-elle,lesyeuxbrillants.Avantqu’ilaitletempsdesavoircequ’ellefaisait,ellesejetalittéralementsurlui.Uneseconde

plus tôt,ellese tenaitdevant lui, ruisselanteethérisséedefureur ; l’instantd’après,elle l’agrippaitparlesépaulesetseslèvresréclamaientlessiennes.

Ils’étaittantimaginél’embrasserqu’audépart,iln’opposaaucunerésistance.Elleavaitlabouchefroideetlesmainstremblantes,maisilvoyaitquecen’étaitdûqu’àlapluie,etquecelasedissiperaitquandillaréchaufferait.Ilnevoulaitpasluidemandercequiavaitchangé.Ilsemoquaitdesraisons

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decebaiser.Ill’aimaitdepuisdesannées,etelleétaitlà.Ill’attiracontrelui,etellenesedérobapas.Ellel’embrassaitférocement,sanstendresse.SalangueassaillaitcelledeSebastianavantmêmequeleurscorpspuissents’habituer l’unà l’autre.Et tandisqu’ilessayaitdelaserrer,ellefaisaitglissersesmainssurlui.

Seigneur,elleétaitentraindeluidéfairesonpantalon.—N’attendspas,Sebastian.J’aienviedetoitoutdesuite.Inutile d’encourager le gentleman pour qu’il s’embrase de tout son être. Il avait rêvé de ce

moment.Àprésent,elleétaitdanssesbras.Letissumouilléétaitsuspenduàsescourbes,sesformessi harmonieuses etmenues qu’il brûlait d’explorer depuis si longtemps. Sonmembre s’anima dèsqu’elledéboutonnasabraguette.

—J’aitellementenviedetoi,répéta-t-elle.Ilavaitsouhaitéqu’elleluiôtebrutalementsessous-vêtements,qued’unemainelleremontesans

pudeur le long de sa verge ; l’image le hantait depuis si longtemps qu’il n’avait pas envie des’interrogerplusavantsursachance.

Elleavaitlesdoigtsfroids,maissonexplorationn’enétaitpasmoinsimpatientenihardie.Ilnevoulaitriendemander,pasmaintenantque,surprisetravis,ilsentaitsonmembresedresser.Maiscesfoutuesquestionsrefusaientdelelaisserenpaix.Ils’écartad’elle.

—Violet,qu’est-cequetufais?Ellelevalesyeuxverslui.—Pourquoit’arrêtes-tu?Tuasdit…quec’était…Elledéglutit,marquaunepluslonguepause.—Tuasditquecen’étaitpasplatonique.Oh,Seigneur,cessilences.Ellenes’interrompaitpaspourcherchersesmots;elleétaitàpeine

lucide.—Qu’est-cequetuattends?lança-t-elledansunpiteuxélandedéfi.Tuesundébauchéettume

désires.Tul’asdittoi-même.—D’abord, commença-t-il en tentant de rassembler ses idées, je suis de ceux qui utilisent des

protections,etjen’enaipasdansmaserre.Ensuite…—Tun’enaspasbesoin.—Biensûrquesi,bonsang.D’unepart,cen’estpasseulementpouréviterlesgrossesses,etde

l’autre,tunesaispassituesstérile.Leproblèmevenaitpeut-êtredetonépoux.Elleenroulasesbrasautourd’elle.— Une dernière chose, ajouta-t-il. J’ai dit que je t’aimais. Qu’est-ce qui te fait penser que je

pourraisassouvirmespulsionssexuellesavectoi,enrestantparfaitementindifférentà…—Àquoi?grommela-t-elle.—Àceslarmesqueturetiens.— Tu te trompes, protesta-t-elle en se retournant, les épaules agitées de tressautements. Je ne

pleurejamais.Lepireétaitqu’elledisaitvrai.Ilnel’avaitjamaisvuesangloterauparavant.Niauxfunéraillesde

sonpère,niladernièreannéedesonmariage;elleétaitpâle,apathique,etsegardaitdeprononcerunmotsurcequiluiarrivait,maisriendeplus.Ilremontasonpantalonetremitsesboutons.

—Violet,machérie.Pourl’amourduciel,quesepasse-t-il?Elles’effondraausoletenfouitsonvisagedanssesmains.Elletremblait,maisneversaitpasune

larme. Le tonnerre roula autour d’eux. Sebastian ne pouvait entendre son amie par-dessus cesgrondements.Ildevinaitsondésarroiauseultressautementdesesépaulestrempées.Ilpritplaceàses

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côtésetglissaunbrasautourd’elle.Ellenel’auraitjamaislaisséfairesielleavaiteutoussesesprits.Ill’attiraauprèsdelui,tentantd’insufflerunpeudechaleurdanslegivredesachair.

—Çava,dit-il.Toutirabien.Ellesuffoquacontrelui.—Jesuisdésolé,poursuivit-il.Jevaisarrangerleschoses,quellesqu’ellessoient.Ellerelevaversluidesyeuxsombres.—Jenesuispasstérile,chuchota-t-elle.Ilfallutunmomentaugentlemanpourcomprendrecespropos,prononcéssidoucementdansle

fracasdel’orage.Lorsqu’ilyparvint,iln’ensaisitpaslesens.—Tudisaisquej’ignoraissi je l’étais,poursuivit-elle.Maisjesuiscertainedenepasl’être.Je

suis déjà tombée enceinte. Dès ma nuit de noces, je crois. J’étais si heureuse et excitée quand ledocteurmel’aannoncé.

Ilécarquillalesyeux.—Jen’ensavaisrien.—C’était si récent, nous ne voulions en parler à personne. (Elle renifla.) J’ai fait une fausse

coucheaprèsseptsemaines.Iln’avaitrienàrépondre,etsecontentadoncdelaserrerplusprès.—Oh,Violet.Jesuistellementnavré.—Ladeuxième s’est produite peude temps après cela. Je n’étais pasprête,mais lemédecin a

expliquéquec’étaitfréquentchezlesjeunesmariées;monépouxaditqu’aprèsunechutedecheval,ilfallaitremonterdirectementenselle.Cequej’aifait.Engendrerunenfantétaitsifacile,Sebastian.Lilym’aditunjourqu’il luisuffisaitquesonmariéternueverselle,et jenesuisguèredifférente,révéla-t-elle en lui enfonçant ses ongles dans les bras. Je n’ai simplement jamais réussi à resterenceinte.Huit,dixsemaines.Voilàcommentças’estpassépourmoi,aufildesannées.

—«Aufildesannées»?répéta-t-il,hébété.—Jemesuisobstinéeàremontersurcecheval.Dix-neuffois…Elleprituneinspirationentremblant.Seigneur,ilétaitpénibled’entendrecequ’elleavaitenduré.

Illasavaitirritable,etsedoutaitqu’ilyavaitunmotif.Maiscelui-ci?—Aprèsunelonguepériodeainsi,ledocteuraditquenousdevionscesserd’essayer,quecelame

consumaittrop.Ques’ilnes’arrêtaitpas, j’allaismourir.Maismonépouxnevoulaitpasrenoncer,dit-elled’unevoixchevrotante.Jeluiaiditnon,tucomprends.Ilnem’ajamaisrienimposé,maisildéclarait que je ne pensais qu’à moi en l’éconduisant, que le comté avait besoin d’un héritier. Ilsuffisait d’un oui de ma part pour qu’il se retrouve sur moi et me donne l’impression que monexistence,moncorpsnevalaient riendeplusque lapossibilitédeme faireunenfant.Et jen’étaisqu’unechienneintriganteetégoïstepourvouloirquoiquecesoitd’autre.

Sebastiansesentitnauséeux.—Ilavaittort,dit-il.Mais lacolèrequimontaenluiàcesproposétaitsuscitéeparundéfunt,etn’avaitpassaplace

danscetteconversation.—Tellementtort,insista-t-ilenresserrantsonétreinte.—Jeme suis efforcéede lepenser.Maisquand il estmort…C’était unhorrible accident. J’ai

écouté les gens présenter leurs condoléances les uns après les autres. Et je ne parvenais pas àéprouveruneoncedechagrin.J’étais…(elleretintsonsouffle)siheureusepourmoi-mêmequ’ilnesoitplusdecemonde.Non,iln’avaitpastort.Mavienesignifiaitrienpourlui,maispasplusquelasiennepourmoi.

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—Chut,murmura-t-il.—Etregardecequejet’inflige.Àtementir,teblesser,parcequejenepuisimaginercequece

seraitdedevoirmerefuserainsiàtoi.Çaaruinémonmariage,Sebastian.Çanousdétruiraitaussi.Jenepourraispaslesupporter.(Elleluiagrippalebras.)Aumoins,matechniqueétaitsansdanger.Jesuisunetellementeuse,unemauditecouarde,etjet’ailaissécroirequejenevoulaispasdetoi.

Sarespirations’apaisait.—Ettuesdoncvenuemetrouver,déduisit-ildoucement.Elleflancha.—Parfois,jetedésiretantquejepourraishurler.Maisje…jen’osepasenavoirenvie.Sa voix s’évanouit. La jeune femme se recroquevilla sur elle-même.Après ce qu’elle lui avait

révélé,iln’avaitaucundoutesursesraisons.—Jenepeuxpasêtrequelqu’und’autre,chuchota-t-elle.Jesuisuncasse-têtedeforgeron,froidet

coupant.Sijetelaisset’enchevêtreravecmoi,jevaisnousréduiretouslesdeuxenlambeaux…Jetedoisdesexcuses,Sebastian.Detoutesleshorreursquejet’aiinfligées,jecroisquecelle-ciestlapire.Jesuisvenueiciparcequejevoulaisdisparaître.J’avaishontedemoi-même,etjepensaisquesijet’avouaiscequej’éprouvais,sijetedévoilaissimplementlavérité,tuaideraisàm’anéantir,aussi.

Ilsongeaàlamanièredontelles’étaitflétrie,etappuyatrèslentementsatêtecontrecelledesonamie.

—Non,tunepensaispascela.—Si,souffla-t-elle.—Non,contesta-t-ilaucreuxdesonoreille.Tuesvenuemevoirparcequejesuisceluiqui te

connaîtlemieux,etquetuavaisbesoind’entendrequetucomptais.(Elleretintsarespiration.)Parcequemêmesituétaisinvisiblepourlerestedumonde,jet’aitoujoursvue.

Ellelâchaunlongsoupir.Ill’attiraàlui,toutedégoulinantequ’elleétait,endescendantlesmainssursesépaules.Ellerelevalatête.

Peut-êtreallait-il l’embrasser, ilenavaitassezrêvé.Soncorpsétaitencoreanimédedésirpourelle.Ils’agiraitd’unvraibaiser,pasd’unfurieuxassautcommeceluidontellel’avaitaccabléunpeuplus tôt. Il serait tendreet affectueux,aussinaturelquede respirer.Ce serait… ladernièrechoseàfaire,alorsqu’elleétaittoujourssiprèsdepleurer.Aulieudecela,ilretirasacravateets’enservitpouressuyerlesgouttesdepluiesursonvisage.

—RavissanteViolet,dit-il.BrillanteViolet.BelleViolet.Ellesoupiraetsepenchacontrelui.—Tuesvenueàmoi,poursuivit-il,parcequetusaisquejeneteferaisjamaisdemal.Elleécarquillalesyeuxetdesserralentementlespoings,lesouffleplusrégulier.—Ettuvois?lança-t-ilensouriant.C’estlecas.Detouslesréveilsqu’elles’était imaginésaprèssonaveuàSebastianqu’elleledésirait,ouvrir

l’œilsanspersonnedanssonlitétaitl’optionqu’ellen’avaitjamaisenvisagée.Elle se redressa, les tempes palpitantes, comme après une nuit de fol abandon.Mais Sebastian

l’avait seulement tenue dans ses bras en susurrant, lui avait raconté des plaisanteries pendant troisquarts d’heure, jusqu’à ce qu’elle-même ne puisse plus se retenir de rire, ivre de chagrin et deconfusion. Et quand la pluie s’était réduite à un crépitement, le gentleman avait fouillé dans sesaffaires, prêté son parapluie àViolet, et l’avait renvoyée chez elle. Seule. Elle lui avait défait sonpantalon, lui avait clairement déclaré qu’elle rêvait de son contact, et il ne l’avait même pasembrasséepourluisouhaiterbonnenuit.C’étaitconfondant.

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Lamatinéeenrevêtituneétrangenormalité,commesil’oragedelaveillen’avaitpasvraimenteulieu, et qu’ellepouvait reléguer le souvenir de ces émotionsgênantes et chaotiquesdansun abri àl’extérieur, où ils seraient indéfiniment remisés avec les autres rebuts. Elle s’habilla commed’habitude,etpritsonpetitdéjeunerclassique,composédepaingrilléetdeharengfumé.Puiselleserenditdanssaserre,etn’ytrouvariendedifférent,àpartunelégèrecouchedebuéesurlesfenêtresquisedissipaenquelquesminutes.

Ilsemblaitridiculed’agircommesilaroutinepouvaitreprendresoncours,maispersonnenevintl’interrompre,ellecommençadoncàplanter lesgrainesbiengonfléesqu’elleavait fait tremper laveille.Ellelesramassauneparune,pourlesglisserdansdeminusculespots.Latâcheétaitfamilièreetréconfortante,laterred’uneagréablefraîcheursoussesdoigts.Violetseperditpeuàpeudanssonactivité.

Elleignoraitàquelpointelles’yétaitplongée,jusqu’àcequ’elles’aperçoivesoudainqu’ellenes’étaitpasretournéedepuisunmoment.Elleclignadesyeux,revenantlentementàelle-même,etlevalatête.Malheursetenaitjusteàcôtéd’elle,etluitendaitunpetitpotqu’ilavaitdéjàrempli.

Toutcedésordreémotionneldanslequelelleétaitemmêléerefitsurfaceetassaillitsesentrailles.—Sebastian,dit-ellebêtement.Quandes-tuarrivé?—Ilyaquinzeminutes.Ellegrimaça.—Est-cequejet’auraissalué,parhasard?—Non.Cen’estpaslapremièrefoisquetufaisça,etceneseracertainementpasladernière.Maisilparlaitd’untonbienveillantquilaramenaàlaréalité.Ilétaitsiprèsd’ellequ’ellesentait

la chaleur de son corps.Elle récupéra le pot qu’il lui présentait de nouveau.Maintenant qu’elle levoyait,elledevenaitconscientedetoutlereste,ducontactdesapaumelorsqu’ellel’effleuraduboutdesdoigts.

Rienn’avait changéentreeux, àpartunpetitdétail : àprésent, il savaitqu’elle ledésirait.Elleregrettaitdenepouvoirenfouircettevéritédanslaterrecommeellelefaisaitavecsesgraines.Elleauraitpréféréquecetterévélationnegénèrequedesracines,cachéesdusoleil,etnondesfeuillesquis’obstinaientàsedéployerdanssonesprit.

Ellerelevanerveusementlesyeuxverslui.Ilsavaitqu’ellen’étaitpasaussiindifférentequ’ellelefeignait.Elleconstataavecuncertaineffroiqu’ellenepouvaits’empêcherdes’humecterleslèvres.Àquelques centimètres d’elle… il avait la main libre ; libre de l’attirer vers lui, et alors… Elleconnaissait peu lesméthodes des débauchés, mais elle était certaine d’une chose : Sebastian allaitl’embrasser, et elle ignorait comment elle réagirait.Elle se sentait telleune souris attendantque lechatbondisse.

Maiscefélinrestatranquille,àluipasserlespots.Tandisqu’elles’affairaitàlamiseenterre,ilallachercherdesbâtonsd’oranger.Ilétiquetalesplantespourelle,connaissantdéjàsonsystème,ets’assuraquechacuneétaitconvenablementinscritedanslesregistres.Ilavaitl’impressiond’êtrelespropresmainsdeViolet,enexécutantcequ’elleauraitfaitelle-même,commebalayerlesdébrisdecequ’elle lâchait, rédiger lesannotationsnécessaires, rangercequidevait l’être, régler tous lespetitsdétailsauxquelsellepouvaitpenser.Tous,saufcelui-ci:unbaiser.Elleauraitpresquepupenserquelesévénementsdelaveillen’avaientpaseulieu,s’ilneluiavaitadressédetempsàautreceregard,aveccettelueur…

Lorsqu’ilsachevèrentladernièrecorvée,ilsedirigeaversl’entréedelaserre.Ilretirasablousepour enfiler sa veste etmettre son chapeau, dont il effleura le bord pour la saluer. Tandis qu’ellel’observait,effarée,ilpritcongé.Sansl’embrasser.Ellegardalesyeuxrivéssurlasilhouettequise

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retirait,envaséedansunmélangedeconfusion,de terreuretdepeine. Impossible.Il l’avaitquittéesansunbaiser.

Violet releva lementon etmarcha d’un pas résolu pour le rattraper. Il passait déjà son portaillorsqu’elle se faufila entre les murs. Elle maudit ce chemin étroit et ses jupes, qui rendaient sesmouvementssigauches.Sonliseréendentellesepritdanslesmauvaisesherbesetlesbrindilles;ellesesentaittelleunecréaturemassivetraversantcoûtequecoûteunespaceminuscule.Ilétaitàlamoitiédel’alléequimenaitàsademeure,lorsqu’ellesurgitdesbuissons.

—Sebastian!cria-t-elle.Ilseretourna,l’aperçutetrevintlentementsursespas.—Qu’ya-t-il?Elleauraitpudireunmilliondechoses.Mercipourtonaide.Jesuisdésoléepourhiersoir.Mais

ellerépondit:—Qu’es-tudoncentraindefaire?Ilclignadesyeuxuninstant,perplexe,puiscroisalesbrassursapoitrine.—Es-tuencolèrecontremoi?s’enquit-il.Seigneur,ilétaitsiparfait.Peut-êtreavait-elleimaginécefameuxregardaujourd’hui.C’étaitdéjà

ridiculedesongeràcequ’illuiavaitdéclaré.«Jesuisamoureuxdetoi,Violet.»Ilnepouvaitl’être.Peut-êtrenel’était-ilplus.

Àlasecondeoùelleadmitcetteéventualité,ellepritconsciencequec’étaitsûrementlecas.Elleavaitavouénepas luiêtre indifférente.Ellen’avaitétéqu’uneénigmepour lui,etmaintenantqu’ill’avaitrésolue,elleneprésentaitplusd’intérêt.Dieuxduciel,cettepenséeauraitdûlasoulager.Ellen’auraitpusupporterl’attentiondeSebastian.Alorspourquoivoulait-elledonclesecouer?

—Pourquoinem’as-tupasembrassée?Ilsefrottalesyeux.—DouxJésus,marmonna-t-il.Nemedispasquetuenasenvie.Ellelesouhaitaitpresqueautantqu’elleleredoutait.Ilétaitidiotdesesentirrejetéeauseulmotif

qu’iln’avaitpasfaitcequ’ellenevoulaitpas,etelledétestaitsesentirstupide.—C’esttrèssimple,dit-elle,s’efforçantdeparlercalmement.Tuesundébauché.Tuasadmisque

tu freinais tes tentatives pourme séduire parce que tume croyais insensible à ta personne. Je t’aiavouénepasl’être.Loindelà.(Ellelevalementon.)Alorspourquoinem’as-tupasembrassée?

—Tuattendsquejetesautedessus?demanda-t-ilsèchement.Cela paraissait tellement bête présenté de cette façon.Non, évidemment qu’il ne la désirait pas

commeça.Peut-êtreéprouvait-ildel’affectionpourelle,maisellen’étaitpasdecellesquiinspiraientlapassiondurable.Justeassezpour…Ellehochalatête.Cettefameusenuit,quelquessemainesplustôt,voilàseulementàquoielleétaitbonne.Unepetiteculbuteenhâtecontrelemur,unedistractionpassagère,viteoubliée.

C’étaitaussibien,aprèstout.Ladernièrechosequ’ellevoulait–etdontelleavaitbesoin–,étaitdesusciterl’ardeurd’unhomme,carcelamenaitausexe,quimenaitauxfaussescouches.Auboutd’uncertainnombre,celles-cipourraientlatuer.L’universtoutentieravaitdémontrésanséquivoquequecesrelationstorridesn’étaientpaspourlesfemmescommeelle.Pourquoiaurait-elledûs’offusquerquelavoixdeSebastiansejoigneàcechœuraccablant?

—As-tuentenducequetum’asdit?reprit-il.Quelorsquetonépouxteprenait, il tedonnait lasensationden’êtrerien.Commesitamortconstituaitunrisquequ’ilétaitdisposéàprendre.

Ellenepouvaitsoutenirsonregard.—Celanesignifiepasquemoncorpssoitentièrementmuetsurlesujet.

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Ildescenditl’alléepourseposterdevantelle.—Violet,chuchota-t-il.À tonavis,dansquelmondeserais-jecapablede t’affirmerque tun’es

rienpourmoi?Ellerelevalesyeuxverslui.Ilspiquaient;elleparvenaitàpeineàrespirer.—Je…Jepensaisjuste…Jecroyaisquepeut-êtretunevoulaispas…—T’embrasser?dit-ilenarquantunsourcil.Enfin,tuesplusfutéequeça.Elledéglutit.—Jerefusedetedonnerl’impressiond’êtresansvaleur,poursuivit-il,etquemondésirimporte

plusquetout.Iltenditlebrasetluiposatrèslentementlamainsurlajoue.—Quandjet’aidéclaréquejet’aimais,Violet,quepensais-tudoncquecelasignifiait?Ellefut incapablederépondre.Elleavait lagorgetropserrée,etparailleurs,ellen’étaitmême

passûredepouvoirseconvaincredelavérité.Ellel’avaitfuiedepuistroplongtempspourl’accepter.—Jevoulaisdirequetum’esprécieuse,murmura-t-il.Elleenroulasesbrasautourd’elle.—Jesuisunepersonneinjuste,lâcha-t-elled’unevoixétranglée.Jeveuxtoutetsoncontraire.Je

ne suis faite que d’angles acérés, Sebastian. De débris et de bouts de verre cassé. Tu n’as aucunechancedegagnerdanscetteaffaire.

Ilnelacontreditpas,secontentantdeluicaresserlamâchoireduboutdesonpouce,uncontacthypnotiquequidonnaitenvieàlajeunefemmedefermerlesyeuxetdefondredanssonétreinte.

— Je n’ai qu’une certitude, finit-elle par dire avant de le regarder en face. Toi aussi, tum’esprécieux.

Ilbaissalespaupièresetexpira.—Tudevraisêtrefurieuxcontremoi,déplora-t-elle.Jesuis…parfaitementimpossible.Maisaulieudecela,ilsourit.—Non,tuescompliquée.Maiss’ilexistequelqu’unenmesurederésoudreunproblèmeépineux,

c’estbientoi.Jetefaisconfiance.Dieuqu’ilétaitstupide.Croirequ’ilyavaitunesolutionàtoutcela?Ellesentitsagorgeseserrer.

Ellevoulaithurleràcetidiotdesesauver,desemettreàl’abri;detomberamoureuxd’uneautre,quinevivaitpasl’amourcommeunerangéed’échardestranchantesplantéesdanslecœur.Ellebrûlaitdefairetoutcelaetpourtant,ellen’avaitpasenviequ’ilparte.

—Tuastort,rétorqua-t-elle.Moi-mêmejenem’yrisquepas.Maisilnebattitpasenretraite.—Jesais.C’estpourquoijesuisconfiantpourdeux.Incapablederépondre,elletenditlamain.Ils’ensaisit,l’enveloppadesesdoigts,etilsrestèrent

ainsi,paumecontrepaume.LepoulsdeVioletbattaitd’uneexcitationconfuseetnerveuse.—Jen’avais jamais imaginéque leschosessedérouleraientdecette façon,déclara-t-il.Quand

nousavonsfiniparenparler,j’aipensé…—Quoidonc?—Honnêtement ?dit-il en esquissant unpetit sourire. Il y aquelques années, j’ai commencé à

faire des recherches scientifiques de mon côté. Je me suis dit qu’une fois ce travail achevé etminutieusement élaboré, je pourrais te le montrer. Quelque part, j’ai toujours cru que cetteprésentationt’ouvriraitenfinlesyeuxsurcequejeressentais.

Ellerelevalatêteversluid’unairinterrogateur.—Quellesrecherchesscientifiquesdémontrent…?

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Ellenepouvaitserésoudreàprononcerlemotaimer.—…quetutiensàunefemme?poursuivit-elle.—Oh,justequelquescroisementsaveccertainesfleurs,répondit-ilavecungestedelamain.Ça

n’ajamaisvraimentaboutiàquoiquecesoit.C’estplutôt…embarrassant.Unjour,peut-être,j’aurailasolution.Decettemanière-ci…c’estmieux.

—Peut-être,convint-elleàvoixbasse.Maisjesuiscurieuse.—Quoi,tuveuxuneconférence?(Ilsourit.)Allons,Violet.Jenesuispasassezstupidepourte

courtiseravecdesdonnéesconfuses.—À l’évidence, tu neme connais pas aussi bien que tu le penses. Je suis experte en données

confuses.Elle inspira. Il serait plus simple d’essayer d’accepter ce qu’il lui avait dit s’il s’agissait d’un

ensembled’élémentsformantunproblèmeàrésoudre.—Celan’ariendecomparableàtestravaux,c’estloind’êtreaussibrillant,mais…Il secoua la tête. Il paraissait nerveux, curieusement.Après tout ce qu’ils avaient fait ensemble,

toutcequ’ilss’étaientdit.—Oh,allons,Sebastian.Tupourraisprésenterunpetitrapportprovisoireàl’undesséminaires

hebdomadaires. Tout le monde adorerait. Je sais, tu ne veux plus donner de conférence sur mesrecherches,maislà,ils’agitdestiennes.

Ilgardalesilence.—JesuisretournéeàCambridgeilyaunesemaine,poursuivit-elle.Lesjardiniersveillentàce

quemesplantesnemeurentpas,maisjesuisencoreresponsabledetouslescroisements.Necrois-tupasquetupourrais…?

Ellevoulaitqueceladevienneuneénigmeàéluciderentièrementavecsonintelligenceplutôtquesoncœur.

—Oh,trèsbien,lâcha-t-il.Mais…Violet,nedispasquejenet’aipasprévenue.Elleleregardadanslesyeux.—C’estdoncsiexplicite?Ilsecoualatête.— Non, répondit-il avec un sourire triste. La seule personne qui pourrait être quelque peu

choquée,c’esttoi.

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Chapitre14

—Sais-tucequisepasse?Violetremuasursonfauteuilauxpremiersrangs,enserapprochantdesonamie.JaneMarshallportaitunetenuequi,pourelle,étaitpresquesage;unerobebleufoncé,avecjuste

un léger excès de dentelles. À deux places d’elle était assise sa belle-sœur, Frederica Marshall,surnommée Free dans la famille, qui l’avait suppliée de l’emmener à une véritable conférence deCambridge. C’était loin d’en être une, songea Violet, cependant, la jeune femme regardait autourd’elleavecunintérêtavide.Ellesemblaitabsorbertouslesdétailslesplusordinaires:lespanneauxdeboissurlesmurs,lessièges,usésetéraflésaprèsdesannéesdeservice,etalignéspourfairefaceaudevantdelapièce.

— Oliver m’a dit que Sebastian s’était montré très étrange concernant cette présentation,poursuivitJaneenchuchotant.Nerveuxetsecret.Commevousêtesamisdelonguedatetouslesdeux,jepensais…

Elleécartalesmains.Sesgants,aumoins,étaientextravagants,pailletésdepetitesperlesdeverrecousuesàmêmelecuirsouple,enformedeplumesdepaon.

— Il m’en a dit très peu, répondit Violet. C’est seulement un rapport provisoire soumis àdiscussion,portantsurdesrecherchesqu’iln’apasterminées.

—«Provisoire»?demandasacompagned’unairamusé.N’importequelautredébatdecegenreattireraitquoi,neuf,dixpersonnes?

L’auditoireprésentcomptaitpresquedixfoisplusdemonde.—Queveux-tu,c’estSebastian.Troisrangsderrièreellessetrouvaitcecouplepéniblequiavaitperturbésadernièreintervention.

Violetfronçalessourcilsetregrettaqueceux-là,parcontre,nesesoientpasabstenusdevenir.—Et ilne t’enapas touchéunmot? s’étonnaJaneensourcillant.Commec’est curieux. Il est

passédemanderàOliverd’yassisterilyatroisjours.Soncomportementlaissaitpenserquec’étaitimportant.Maiscetévénementesttrèspeuannoncé,etquandmonmariluiaposédesquestions,ilaréponduqu’ilprésentaituntravaild’unevaleurscientifiquenégligeable.Nousnecomprenonsnil’unnil’autre.

— Eh bien, pourquoi s’en ouvrirait-il à moi ? l’interrogea Violet du ton le plus raisonnablepossible.

—C’estjuste…Toutefois,jenepeuxm’empêcherdemedemanders’ilaprévudesortirdesonchapeauquelqueépouvantablesurprise.

Sonamieavaitlamêmeappréhension.Ilavaitparusiangoissédeluienparler.Unprojetsecret,qu’illuiavaitcachédepuisdesannées?Quiluiauraitrévélésessentiments?Celan’avaitabsolumentaucunsens.Àtroissiègesd’elle,ladameàlavoixhautperchéeremuad’inconfort.

—Çavaêtreaffreux,prédit-elle.N’est-cepas,William?Violetrefusaitquecettecréatureimposel’ambiancedelajournée.Elleregardadroitdevantelle.

Parchance,laréponsefutprononcéetropbaspourluiparvenir.—Commentpuis-jelesupporter?poursuivitcettefemme.Nousdevonsmettrefinàtoutceci.LacomtessereniflaetsetournaversJane.Maisellesn’eurentpasletempsdediscuterdavantage.

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La porte qui donnait sur le côté de la pièce s’ouvrit ; Oliver et Robert la passèrent ensemble etallèrentprendreplace,lepremieràladroitedesonépouse,lesecondàlagauchedelacomtesse.

—Avez-vousapprisquoiquecesoit?entendit-elleJanechuchoter.—Rien,maisjenel’aijamaisvudanscetétat,luisoufflasonmari.Laporte s’ouvrit une fois deplus, et lesmurmures s’évanouirent.Sebastian et un individu aux

cheveuxblancsfirentleurentrée.Malheurneparaissaitpasnerveux,maiscelaneluiarrivaitjamaisensociété.Ilavait l’airparfaitementà l’aise,souriantcommesi l’assembléeétaitcomposéed’amischers.

—Bienvenue,ditceluiquil’accompagnait.Bienvenueànotrepetit–ha!–séminairebotaniquehebdomadaire.

Lesneufpersonnesdel’auditoirequiassistaientd’habitudeàlaversionmoinspopulairedecetteprésentationgloussèrent.

—Aujourd’hui,MrSebastianMalheurnousfaitl’honneurdenousexposerunrapportprovisoiredesestoutdernierstravaux.Ils’estmontréplutôtmodestedanssadescription.Maisjesuispersuadéqu’aucund’entrevousnesouhaitem’écouterdiscourir,jevouslaissedoncaveclui.

Desapplaudissementspolisretentirent,etSebastians’avança.Ilnelaregardaitjamaisdurantsesconférences;illuiavaitdéclaréunjourquec’étaitparcraintequ’ellenelefasserireaumilieudesaphrase.Maiscettefois-làétaitdifférente.D’habitude,elleconnaissaitdéjàlemoindremotquisortiraitde sabouche.Aprèsune centainedeprésentations, celle-ci était lapremièreoùellen’avait aucuneidéedecequ’ildirait.Ilparcourutlasalledesyeux,ets’arrêtasurlessiens.Elleretintsonsouffle.Seigneur,illadévisageaitdecettemanièredevanttoutel’assemblée.

—Voiciunsujetcheràmoncœur,etquimetouchedeprès.Unthèmequej’aiétudiépendantdesannéesenespérantquej’enrésoudraislessecrets.

Iln’avaitpasdétournéleregard.Lespaumesdesonamierefroidirent.—Jevoulais tout comprendre,poursuivit-il.Maiscertaineschosesdépassent l’entendement,du

moins le mien. Cet exposé aborde donc également l’échec. (Il riva alors son attention ailleurs.)L’orgueil démesuré, aussi. Et la façon dont un homme croyait pouvoir s’attaquer à quelque chosequ’ilsavaitplusfortquelui.

Ilmarquaunepause,commepourfairedel’effet,puisplantadenouveaudesyeuxperçantsdansceuxdeViolet.

—Ceci,annonça-t-ilcalmement,estuneconférencesurcellequel’onanommée«violette».Ellesentitsesentraillesseglacer,parvenantàpeineàresterdroite.Elleavaitlatêtequitournait.

Il… avait prononcé son prénom devant le public. Il s’apprêtait à leur dévoiler… Tout le mondesaurait…Ohseigneur,samèreallaitlatuer.Lilyneluiparleraitplusjamais.Ilssauraienttousque…C’étaitundésastre.C’était…

Maispersonnenes’étaitretournéverselle.—LegenreViola,précisa-t-il.Elledesserralespoingsetlissasesjupes.Elleavaitjustemalentendu.Ilavaitditqu’ilparlerait

desviolettes,pasdeViolet.Elleprituneprofondeinspirationetessayadesedétendre.Sebastiansetournaverslechevaletàl’avantdelasalleetretirad’uncoupsecledrapquilerecouvrait.

—Voiciunspécimentypique,déclara-t-ilenrepliantletissu.Lafleurquiajoutedelacouleuràtousles jardinsd’Angleterre.Ceci,dit-ilenmontrant lepremierdessincoloré,est laViola tricolorviolacea,laviolettedenosespacesverts,reconnaissableàseslargespétalestricoloresetauxstipulespalméesdesesfeuilles.

Ellepouvaitàpeineréfléchir,submergéedesoulagement.Elleallaitl’étriperpourluiavoirfait

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de telles frayeurs. La laisser croire qu’il parlait d’elle devant tout le monde, alors qu’il traitaitsimplementdebotanique.

—Beaucoup, dit-il, estiment que la violette est une fleur commune.C’est une erreur commiseuniquementparceuxquinesesontjamaispenchésdeprèssurlesujet.Enréalité,c’estl’unedesplussurprenantes.Onpeutlatrouverdanslesbois,dansleshaies,dansleszonesdésertesdesmontagnes,etdanslesjardinscultivés.Sesteintesvontdel’orcriarddelaViolatricolorluteaaublancéclatantdelaViolaalpestris.CertainesespècesdeVioladonnentdesfleursdelatailledemonpoing;d’autresproduisentdeminusculesboutons,àpeinevisibles.

Ilesquissaunsourire;ellesentitqu’elleleluirendait.—Lesgenspensentcettevariétésicommunequ’ilsnejugentpasintéressantdel’étudier.Denos

jours,lorsquevousenapercevez,vouspassezsansvousarrêter;votreœilcherchequelquechosedeplusvoyant.Mais,commejevaisvousledémontrer,laviolettes’avèresanscomparaisonpossible.

C’estalorsqu’ellecomprit;ilnediscouraitpassurlesfleurs,malgrécequelesautrespensaientdanslasalle.Ilparlaitd’elle.

Il commençaàdécrire les croisementsqu’il avait faits entre les sous-espècesdeViola tricolor.Maisellenepouvaitquerelever le langagequ’ilemployait. Ilavaitunecertaineélégancepoursesprésentations, contournant les grandsmots et les phrases sèches en faveur d’un style plus libre etabordable. Cette fois, ses propos donnaient la sensation d’une caresse.Au lieu d’évoquer laViolatricoloralba,ill’appelaitla«belleviolette».LaViolaalpestrisdevenaitla«violetterésistante»,laViolaodorata, la«douceviolette». Ilannonçait,à tousceuxprésents,cequ’iléprouvaitpourelle.Elle était tellement stupide ; il l’avait pourtant prévenue que cette intervention révélerait ce qu’ilressentait. Ce n’était pas une conférence, mais une… un… Elle l’ignorait. Les mots les plusappropriésquiluivinrentàl’espritfurenttentativedeséduction.

Chaquecomplimentl’enveloppaittelleuneétreintequ’ellen’osaitaccepter.Ellerestaassisebienraide sur son siège, craignant que, si elle remuait d’un pouce ou respirait trop fort, les gens nedécouvrenttoussessecretsexposéssurleschevaletsdeSebastian.

Mais aucun d’eux ne devinait quoi que ce soit. À leurs yeux, elle était insignifiante. S’ilsconnaissaientsonexistence,ilslavoyaientcommelacomtessedeCambury.JaneglissasamaindanscelledeViolet.

—Respire,luimurmurasonamie.Ilfautqueturespires.Ou…Peut-êtrequecertainsremarquaient.Malheur poursuivit, évoquant les croisements qu’il avait effectués entre espèces. Comment

l’alpestris donnait unmagnifique hybride avec la tricolor violacea,mais refusait totalement de secombiner avec la calcarata. Il passa en revue les différentes expériences : celles qui avaient raté,aboutisurunegerminationmédiocre,ousurdesplantesrabougriesdontlesboutonsnevoulaientpass’ouvrir.Ilterminaavecungraphiquedesestentativesdemélange,unetoiled’araignéecomposéedesignesdéroutantsqu’ilprésentaavecunhumourmodeste.

— Je suis sûr qu’il y a un principe vital, dit-il, qui expliquerait pourquoi certaines espèces secroisentetd’autrespas.Maisquelest-il? je l’ignore.Ona lesentimentqu’ilsuffiraitdemettreunseulfaitminime,unseulélémentnégligéenlumière,pourquenouspuissionstoutcomprendre.Maisd’icilà,jecontinueraidechercher.Carjepréfèreéchoueraveclesviolettes,queréussirdansquelqueautredomaine.

Lesapplaudissementsfurentlégers,commelesquestionsquisuivirent.Seigneur,ellenesavaitpascequ’il voulait d’elle.Ni cequ’elle était censée faire.Commentpouvait-elle le regarder ?À troissiègesd’elle,lafemmeàlavoixhautperchéecroisalesbras.

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—Iln’yavaitriendechoquantdanscespropos,seplaignit-elle.Absolumentriendesuggestif.Ilenétaitainsi.Certainespersonnesnecomprenaientjamaisriendecequ’ellesentendaient.Sebastiann’avaitpaseu l’occasionde s’entretenir avecVioletdepuis saprésentation. Ils étaient

retournésdanssamaisondeCambridgeavecleursamis,dansdeuxfiacresséparés,seretrouvantlà-baspourunecollation.Ensuite,ilss’étaienttousassispourdiscuter.

Il se sentait étrangementàplat, épuiséetpourtanteuphorique.Comme il l’avait espéré,Robert,Oliver,leursépousesetFreedominèrentlaconversation,cequidonnaletempsàVioletdeméditeretcomprendretoutcequ’ilavaitdit.Elleneluiavaitpasadresséunseulmotdepuissaconférence.

Jane,béniesoit-elle,lafaisaitrire.Silacomtesseparvenaitàselaisserdistraire,peut-êtren’était-ellepasfurieusecontrelui.

—Qu’est-ildoncarrivéàtarobe?demanda-t-elleàsonamie.Elleestpresquechic.L’intéresséefitunemoue.—Unhorribleaccident.Jen’avaisabsolumentaucuneintentiondeporterquoiquecesoitd’aussi

respectable.Elleétaitdansmonarmoiredepuisdesmois,etOliverm’aalorsparlédecetévénement,expliqua-t-elle en haussant les épaules. J’ai pensé que pour une fois, ce serait agréable de ne pasattirertouslesregards.

Elles’habillaitengénéraldansdescouleursvives:desorange,desrosesetdesvertssiéclatantsqu’ilssemblaientavoirleurplacedansuneserretropicaledesjardinsbotaniquesdeCambridgeplutôtque dans un salon anglais. Elle les portait aussi naturellement qu’une autre aurait revêtu des soiesmarron,aucunementgênéedesupporterl’attentiondetoutlemonde.

—Jevaisdevoirmerattraper,avecunecréationvéritablementscandaleuse.Unehorreuràcouperlesouffle.Hélas,j’ailesentimentd’avoiratteintunpalierau-delàduqueljedoisredoublerd’effortspourchoquerdavantage.Desidées?

Elles’adressaitaugroupe.Minnieregardadanslevided’unairpensif;Oliversegrattalatête.—As-tuenvisagédesarticlesquinesoientpasentissu?demandaViolet.Enbois?Enmétal?—Enplumes,ajoutasonépoux,mêmesihonnêtement,j’aiuncertainpenchantpourça.Ellesouritgentiment.—Del’argile.(LasuggestionvenaitdeFree,sabelle-sœur.)Ceseraitlourd,cependant.Etplutôt

fragile.—Pouvez-vousimaginer?lançaJane.Entrerdansunesalledebalhabilléed’unerobeenargile,

obligéedeveilleràn’effleurerpersonne,depeurquevosjupesnesebrisentenmorceaux.—Enlaissantunepetitetraînéederrièretoisurlesol,commedesmiettesdepain,repritRobert.

Quiconquevoudraittetrouvern’auraitqu’àlasuivre.—Cequenousaurionstousàfaire,intervintSebastian,puisquetutecacherais,àcausedetatenue

miseenpiècesparlafoule.Ils se turent tous, souriant en se figurant la scène. Tous y compris Violet. Seigneur, tant qu’il

pouvaitencorelafairesourire…—Àcepropos,lançaMinnie.IlyavaitunerobedansLaModeillustréel’autrejourquim’afait

penseràtoi.C’était…Oh,monDieu,jenem’ensouviensplus.Jecomptaistelamontrer.Lacomtessesourcilla.—S’agissait-il de celle avec les demi-capes ? Parce que je pensais lamême chose,mais cette

illustrationn’encomportaitquetrois.N’est-cepastoujoursmieuxd’enrajouter?Etsituenavais…disons,dix-huit?

—Celareviendraitàneufcapesentières,réponditJane,amusée.Jenecroispasquejepourrais

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tenirdebout.—Cen’étaitpasça,ditMinnie.Oh…sapristi.Pourquoinepuis-jemelerappeler?J’avaisune

bonnemémoire,avant.Etpuisj’aieuunenfant.Ellesecoualatêteavecregret.—J’enaiprisplusieursexemplairesavecmoi,annonçaViolet.Laissez-moienvoyerquelqu’un

leschercher.Ellese levaetsonnaunecloche ; lorsqu’undomestiquearriva,elle luichuchotadesconsignes.

Quelques minutes plus tard, on lui apportait le sac volumineux qu’elle transportait souvent. Laconversations’étaitpoursuivie; lasuggestionqueJaneenvisageunerobeenpainavaitrapidementdérivéverslapâtisserie.Sebastianétait–àpeuprès–certainquel’ensembledugroupeavaitcesséd’êtresérieuxdepuisunbonmoment.

Il s’enfonça dans son siège et écouta d’une oreille distraite, observant Violet tandis qu’ellefouillaitdanssesaffaires,lesyeuxmi-clos.Apparemment,lesautrespouvaientl’oublier,maismêmeuneactionaussiprosaïquequecelle-cilefaisaitsourire.

—J’aiunfaiblepourlacrèmeaubeurre,avouaRobert.— Tu ne goûteras pas à la robe de ma femme, contra Oliver. J’ai le sentiment que ce serait

inconvenant.Violet commença à vider son sac. Du fil. Des aiguilles. Encore du fil. Une écharpe à moitié

commencée.Personnenelaregardaitàcetinstant,saufMalheur.Nulnerelevasonhilaritétriomphante,nila

façondontellesortitmajestueusementlemagazine.Cegrandgestefutuneerreur,cardesfeuillesglissèrentalorsdespagesencascadantausol.Elle

pâlit.Sebastianneparvenaitpasàlired’oùilétait,maisilreconnaissaitleformatdupapier,mêmeàcette distance. Deux colonnes, l’en-tête guindé, des croquis qu’il identifiait comme étant ceuxd’organismesunicellulaires…Elleinséraitdesdocumentsscientifiquesdanssonmagazinedemode.Ilsétaienttouséparpillésparterre.Quiconquelesvoyantdevineraitsonsecret.Ileutenviedepouffer,maisilattireraitalorsl’attentionsurlajeunefemme.Etpourlemeilleuretpourlepire,cetteaffaireneconcernaitqu’elleetlui.Ellecachaunefeuillesoussajupeaveclepied.

—Jane,lançajoyeusementSebastian,ensepenchantenavantpourquetoutlemondeseconcentresurlui.Ilyaunechosequejenecomprendspas.Commentcommande-t-onunetenueparaccident?

Sastratégiefonctionna;touslesregardsconvergèrentdanssadirection.—Oh,répondit-elleensourcillant.Alorsvoilà:j’aideuxrobesmagnifiques,dansdescouleurs

trèsvives.Mapréféréeestteintéeenfuchsine,cerosed’unéclatindécent,quetudoisabsolumentvoirpourycroire.

Àcôtéd’elle,Oliveresquissaunsourire.SebastianobservadiscrètementVioletetlavits’inclineravec grande précaution pour rassembler les papiers. L’un d’eux se froissa. Elle grimaça, maispersonneneseretourna.

—Lateintureenelle-même,poursuivitJane,estundérivéd’aniline,uneinventionrécente.Elleexistait aussi dans un vert que j’adorais, mais la robe que j’avais dans cette couleur a étémalheureusementabîméeparunorage.

—Jeconfirme, intervintOliveravecunsourireencoin.Jegardede tendressouvenirsdecettetenue.

Violetattrapalesfeuilleslesunesaprèslesautres,etfinitpartouteslesramasser.Illuirestaitàlesfourrerdanssonsac.Sebastiansoupira.Elleseredressa,s’apprêtantàlesenfouir.

—J’aialorspensé,ditJane,qu’ilmefallaitétoffermagarde-robe.Lafuchsineestlittéralement

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choquantelapremièrefoisquevousenvoyez.Cependant,dèsquevousenavezportécinqousixfoisenpublic,lesgenscommencentàs’yhabituer.

Lacomtesses’arrêta.Aubeaumilieudelapièce,elles’attardasurl’articlequ’elleavaitenmain.Àlagrandehorreurdesoncomplice,elleplissalefrontet…Oh,Seigneur,pasça.Ellesemitàlelire.Ilvoulaitlasecouer,l’empoigneretluifairereprendresesesprits.Pasmaintenant,Violet.Netelaissepasdistrairemaintenant.Maisiln’osapasattirerl’attentionsurelle.

Quandilavaitdouzeans, ilavaitpariéàLucasJimmesonquesonchienétait leplusrapidedesenvirons.Ilsavaientorganiséunconcours,consistantàenvoyerunbâtonpourvoir lequelde leursanimaux respectifs parviendrait à le rapporter enpremier.Lebout debois avait volé, le décompteavaitretenti.Àtrois,Malheuravaitlâchésabête.Celle-ciavaitimmédiatementbondientête,courantavecuneferveurquifaisaithonteàsonadversaire.Puis,moinsd’unmètreavantquesesmâchoiresaientpuserefermersurletrophée,ils’étaitarrêté,retourné…etlancéàlapoursuited’unécureuil.

Sebastiansesentaitcommecejour-là.Violetn’avaitriend’unchien,maisiléprouvaitcettemêmefrustrationamusée.Tunecourspasaprèslebonprix,Violet.

— J’ai donc commandé une certaine quantité de teinture, pleine d’espoir, racontait Jane à sesamis.Maisregardez.Jesuistellementdéçue.C’estsimplementbleu.Mauditbleud’aniline.

Minnie leva alors les yeux et aperçut leur amie au milieu de la pièce, concentrée sur sesdocuments.

—As-tutrouvécettefameusepublication?luidemanda-t-elle.Pasderéponse.—Violet?Onallaits’enrendrecompteàtoutinstant.Leurimposturevoleraitenéclats.Àunmomentouà

unautre,quelqu’unposeraitlaquestion…—Qu’est-cequetulis?Celle-làmême.Sebastianseleva.—Oh,serait-cel’undemesarticlesscientifiques?s’enquit-iljovialement.J’aidûlelaissersurla

table.Allez,donne-moidonccespages.Ilfitunpasverselle,maiselleneréagitpas.—Confie-les-moi,Violet.Il n’osait même pas lui adresser un regard appuyé, de peur que leurs compagnons ne

s’interrogent.—Violet,lança-t-ilunpeuplusfort.Laisse-moiteprendrecesfeuilles.Varejoindrelesautres.Dire qu’elle restait immobile était inexact. Elle vacillait très légèrement, comme si un vent

soufflaitdans le salonetqu’elleseule leperçoive.Sesyeuxseplantèrentenbasde lapage,et sonvisage s’illumina. À cette seconde, Sebastian comprit la gravité de la situation. Elle n’était passeulementdistraite.Elleétaitpartieenchassedanslesbois,clabaudantpouruneidéequinepouvaittraverseraucunautreespritquelesien.

—Violet.Illuibloqualavueenposantsamainsurletexte,etbaissalavoix.—Arrête,dit-il.Tuneveuxpasfaireçamaintenant.Pasici.Ilfutuninstantpersuadéqu’ellel’avaitentendu.Elleclignadesyeuxetleslevaverslui.Puiselle

secoualatête.—Non,Sebastian,tuavaistort,déclara-t-elle.Tutetrompaiscomplètement.—Jesuisàpeuprèscertain…Ellerelevalementon,affichantunincroyableenthousiasme.

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—C’est l’histoiredesgueules-de-loupqui recommence,dit-elle,cequin’avaitaucunsens.Tesviolettes, elles ne se croisent pas ; bien entendu, c’est le cas pour de nombreuses espèces,malgréleurssimilarités.Maisj’aiuneidée.

—Dequoiparles-tu?—J’aiuneidée,répéta-t-elle.(Ellefitvolte-face.)Jane,j’aibesoindetouttonbleud’aniline.—Quoi?MaisMalheurauraitpuluidirequeleuramien’écoutaitpasvraiment.Elleétaitquelquepartdans

sespensées,auxprisesavecunconceptquil’animaitdelatêteauxpieds.—Ilmefaudraitaussiunmicroscope.Toutdesuite.Les choses empiraient. Elle devait arrêter ou elle révélerait tout, si ce n’était pas déjà fait. Et

pourtant,elleavait lavoixempreinted’urgenceetd’excitation,d’uneénergiequifaisaitfrémirsoncomplice.

—Toutdesuite?—Oui.Etj’aibesoindetesViola.—Pardon?Maispourquoi?Ellesecoualespapiersqu’elletenait.— Tout est là. Je pense savoir pour quelle raison certains croisements échouent, et d’autres

donnentdesrésultatsmédiocres.Tout lemonde la dévisageait. Impossible dedissimuler ce qu’elle dévoilait. Il ne resterait qu’à

décidercommentgérerlesretombées.— Ça ne peut pas attendre. (Elle brandit son article versMalheur.) Et j’aurai aussi besoin de

Bollingall.Il baissa les yeux. Le document était intitulé : Étude sur la division des cellules dans les

organismesunicellulaires.ÉcritparSimonT.Bollingall.— Il n’est pas en ville, dit-il. Il m’a envoyé un message pour excuser son absence à ma

conférence,donc…—Pas Simon, l’interrompit-elle. Ne vois-tu pas ?Nous n’avons pas fait attention. C’est Alice

Bollingalldontnousavonsbesoin.

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Chapitre15

—LadyCambury.MrsAliceBollingallaccueillitVioletdansunsalonpeuéclairé.Elleluidésignaunfauteuilàcôté

d’unetable.—C’estun telhonneurde recevoirunevisitedevotrepart,dit-elle. Jedoisadmettreque jene

m’attendaispasàvousvoir.Tandisqu’elless’asseyaient,ellejetauncoupd’œildiscretversl’horloge.Celle-ciétaitpresque

cachéeparunpoissonenporcelainequiondulait.Enréalité,toutelapiècesemblaitrempliedepetitspoissonscommecelui-là,deplusgrandsenmétal,oudetruitessculptéesdansdumarbre,bondissantd’uneeaudepierre.Quelqu’undanscefoyeraimaitpassionnémentcesanimaux.

À cette heure-là, les gens distingués prenaient leur repas du soir. Violet sentait les odeurs depouletgrillé,percevait le tintementdescouvertsque l’on installait,maisellenepouvait songeraudîner.Nimême trouverquelquemotcourtoisàdire.Sonespritétait littéralementsaturé,etécartaittoutespoirdeconversationmondaine.

—Enquoipuis-jevousêtreutile?demandaMrsBollingall.Elle était de celles que l’on croise dans la rue sans lui accorder un second regard ; ordinaire,

courtaude,levisageplaisant.Elleavaitremontésescheveuxpoivreetseldansunchignonausommetdesoncrâne.Elleétaitparfaitementbanaleenapparence.ElleavaitbiendupéViolet,finalement.

— Désolée d’être aussi directe, s’excusa cette dernière, mais il ne s’agit pas d’une visite debienséance.

Sonhôtesseluiréponditparunsourireamical,quiplissaitlescommissuresdeseslèvres.—Jem’endoutais,comptetenudel’heure.Quelquechosenevapas?— Écoutez, je ne vais pas y arriver sans me montrer horriblement grossière ; vous êtes

photographe,n’est-cepas?Laconfusiondesacompagnes’accentua.—Commec’estaimableàvousdevousrappelerundétailaussinégligeable,aprèstoutcetemps.

Avez-vousbesoinquejeprenneunephotopourvous?—Oui,eneffet.—Est-ceà titrepersonnel?Ceseraitunhonneur,milady,quevousposiezpourmoi.Peut-être

demain?—Pasdemoi,pasdemain.MrsBollingallparutencoreplusperplexe.—Dequelqu’und’autre?—Pasd’unepersonne.D’unechose.—Unpaysage,ditlentementsacompagne.Unélémentarchitectural.Unerobe.Violetsecoualatêteàchaquesuggestion.L’autredameesquissaunsouriregêné.—Dequoi,alors?Iln’existaitaucune façonde l’énoncersansdévoiler leurssecrets respectifs.Lacomtessevivait

avec le siendepuis si longtemps.PersonnehormisSebastiann’enétait informé ; jusqu’àcequesamèredécouvrelavérité.

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—Jevaisvousraconterunehistoire,qui,jecrois,vousserafamilière.Alicesecontentad’opiner.—Ilyadesannéesdecela,commençaViolet,lesgensquiobservaientaumicroscopedepetits

organismescroyaientquelenoyaud’unecelluleétaitvide,parcequ’ilsnevoyaientrien.C’étaitunsujet à grand débat : quel était l’intérêt du noyau, après tout ? Servait-il d’entrepôt à la cellule ?Contenait-ilunfluidenucléaireinvisibledequelqueutilitéqu’onignorait?

Sonhôtesses’humectaleslèvres.—Toutcetemps,poursuivitViolet,onapenséqu’iln’yavaitriendanslenoyauparcequ’onne

pouvaitpasdistinguercequipouvaits’ytrouver.—Quellehistoirefascinante.MrsBollingallsecalalentementdanssonfauteuil.—Maiscelaachangé.Ilyaplusieursannées,quelqu’unestarrivéavecuneteinture,unproduit

différentdecequ’ilyavaitjusque-làsurlemarché.Voyez-vous,lenoyaun’estpasvide.Dèsqu’ilssesontmisàcolorer lescellulesavecdubleud’aniline, les scientifiquesont finiparydiscernerdesstructures qui s’avéraient invisibles auparavant, mais apparaissaient désormais de manièrechromatique.

—Jevois,fitsacompagne,dontlarespirationétaitdevenuesuperficielle.Monépoux…C’estceenquoiconsistesonactivité.Vousavezraison,cettehistoirenem’estpasétrangère.

—Ilyaunmois,votremariaditàSebastianMalheurqu’iln’yavaitriend’exceptionnelàcequelesépousessoientintimementimpliquéesdansletravaildeleurconjoint.Jenesaispaspourquoijen’aipastoutdesuitecompriscequ’ilinsinuait.Parégoïsme,jesuppose.J’avaisd’autressoucis.(Ellehaussalesépaules.)Ilnem’estpasvenuàl’espritdeméditercequ’ilvoulaitdirejusqu’àaujourd’hui.

Levisagedesacompagnesefigea.—Monmarinedéclareraitjamaisriend’aussi…aussi…Indiscretétaitsûrementletermequ’ellecherchait,supposaViolet.—Maisenfind’après-midi,j’écoutaisuneamieparlerdubleud’anilineutilisépourteindreune

robe.Etj’aijetéuncoupd’œilàvotrearticle.—Paslemien.Vousnevouliezcertainementpasdiremonarticle.Violetavaitl’impressiond’avoirétéinvisibletoutesavie.Commesielles’apprêtaitàsecolorer

d’aniline,exposantainsisoncentrelepluscaché.Laseulechosequil’empêchaitdepaniquerétaitdesavoirqu’ellenesetrouvaitplusseule.

—Votrepapier,insista-t-elle.C’estbienlevôtre,dumoinsenpartie,n’est-cepas?Iltraitedeladivision cellulaire, des petits éléments observables par le biais de techniques photographiquesmodernes.Vous avez fait ces photographies. J’espère ne pasme tromper, car j’ai besoin quevouspreniezunclichédedivisioncellulaire.

Lafigured’Alicesecrispa.Elleplaquasesmainssurlatable,lesouffledeplusenpluscourt.—Oh,certainementpas.Non,non.—Si.Vousêtesl’auteuredecesimages.Lamaîtressedeslieuxn’avaitcessédesuffoquer.Elleétaitblême.—Jenesaisquoirépondre.Violetsepenchaenavantetluipritlesmains.—S’ilvousplaît.Voyez-vous,sij’airaison,nousdistingueronscequej’aicherchéduranttoutce

temps.J’aibesoinquevousm’aidiezàtestermathéorie.MrsBollingallfermalesyeuxetprituneinspiration,puisuneautre.Lorsqu’ellelesrouvrit,elle

regardasoninvitée.

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—Vous?s’étonna-t-elled’unepetitevoix.Vousavezfaitdesrecherches?Quelqu’un d’autre voyaitViolet, et ainsi son secret. Elle discernait cette panique qu’elle-même

éprouvait.Ellesentaitlapeurpapillonnerenelle.N’enparleàpersonne.Quiconqueledécouvriratedétestera. Elle n’avait pas de place pour son angoisse. Cela viendrait plus tard. Pour l’instant,toutefois…

—MrsBollingall, pourquoi croyez-vous que votre époux discutait avec SebastianMalheur dutravailqu’accomplissentlesfemmes?

Pendantunlongmoment,sacompagneladévisagea.Puiselleseleva.—Appelez-moidoncAlice.Jevaischerchermonmanteau.—Quesepasse-t-il?demandaOliveràSebastian.Il était presque21heures, et durant les troisdernières, la salle àmangerdeSebastianavait été

totalementréorganisée.Sesprojetsdesoiréecalmeetjoyeuseavecsesamiss’étaientvuchambouler.Ilposaunemainsursahanche.

—Jecroisbienqueleschosesparlentd’elles-mêmes.Oliverregardaautourdeluid’unairdubitatif.Surla table, l’argenteriedel’officeétaitalignée

d’un côté de façon chaotique – cette pièce ayant été vidée pour servir de chambre noire –, et unimposantmicroscopetrônaitàl’extrémité.Leschaisesétaientparseméesdeviolettesenpots,etuneodeurd’acideacétiqueetdechloroformeimprégnaitlamaison.

—Non,ditlentementOliver.Jeregardeautourdemoi,etriennemeparaîtévident.Sebastianréfléchitavantdeluipréciser:—Ils’agitdechromatine.Vois-tu,ilyaencorequelquesannéesdecela…—Jeneveuxpasdesdétailstechniques,rétorquasonamiavecexaspération.Jecomprendraisà

peine,detoutefaçon.—Ehbien,alors.Toutlerestesepassed’explication,non?Marshallleregarda,puissedétourna.VioletetMrsBollingallétaientenferméesdansl’office,à

développer une série de négatifs. Des plaques d’échantillons en verre, étiquetées et teintes, étaientempiléesàcôtédumicroscope.

—Sebastian,quandjet’airenduvisiteilyaquelquesmois,tum’asparlédequelquechosequetunefaisaispas,etdontpersonnenes’étaitaperçu.

Malheuracquiesça.—J’ai cherchécequecelapouvait signifier jusqu’àendevenir fou.Est-ceque tunemangeais

pas?Tunedormaispas?Est-cequetuavaisrenoncéauxfemmes?(L’intéressérestamuet.)C’étaitlascience.Tun’étaispasscientifique.

Ilavait imaginécemomentdepuisdesannées,cetteminuteoùquelqu’undécouvrirait lavérité.Parfois,ils’étaitvutoutrévéleràsescompagnons.Àd’autresoccasions,ilavaitrêvédedévoilersonsecret sur son lit de mort à sa famille rassemblée et confuse, qui aurait immédiatement déduit àl’unanimitéqu’ilavaitperdul’esprit.

—Exactement.Bienquecelan’aitjamaisétéaussisimple.—Oh,monDieu,déploraOliverensecouantlatête.Noussommestesmeilleursamis.Comment

as-tupunouslecacher?—ParcequeVioletnevoulaitpasquevouslesachiez.Marshall assimila cesparoles en silence. Il examina laporte ferméequidonnait sur l’office. Il

balaya lapiècedu regard, et finitparprendre laViolaodorata, qui se trouvait au plus près d’eux,tournantlepotpourexaminerlarosettepourpredelafleur.

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—Violet,dit-illentement.Etc’étaituneraisonsuffisantepourneriennousrévéler?—J’enaiavouéunepartie,répliquaSebastianensouriant.Laveilledetonmariage.—Tunousasditque…(ils’interrompitetbaissalespaupières)quetuavaisétéamoureuxd’elle

lamoitiédetavie.Enfin,monvieux,tuessérieux?—Poseunpeulesyeuxsurelle.Vraiment,observe-labienunjour.Sonamieffleuralafleurdudoigt,etsecouadenouveaulatête.—Regarde-moi,poursuivitMalheur.J’aipassédesannéesàcroiserdesviolettes,etellen’aeu

qu’àjeteruncoupd’œilàmontravail,àl’associeraudocumentqu’ellevenaitdelire,et…(Ilécartalesmains.)Elleapriscequiauraitdûaboutirsurunécheccompletdemapart,etvoiscequ’elleenafait.

—Sachanttoutça…,soupiraOliver.Jem’inquiète.Tuestellement…toi,etellepeutsemontrersi…épineuse.

—Lesfleurslesontuniquementpourpouvoirsurvivre,déclaraSebastianensouriant.Regardecequ’ellearéussi,endevantdissimulerquielleest.Nouspouvonsendébattreaussilongtempsquenouslesouhaitons.Maisauboutducompte,épinesoupas,Violetestcequ’elleest.

—Sebastian!lança-t-ondepuisl’office.Nousavonsbesoindetoi.—Ettoi,quies-tu?demandaOliver.—Jesuisceluidontelleabesoin.

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Chapitre16

Violet repoussa une mèche de cheveux derrière son oreille et examina la photographie. Elleparvintnonsansmalàréprimersontroublegrandissant,etlalassitudequis’emparaitd’elleaufildutemps.

— Il nous faut un meilleur nom pour ceux-ci. (Elle étouffa un bâillement.) « Élémentschromatiquesindividuels»estmaladroit.Chromatinenepeutêtreprisenconsidération.Mauditesoitlapersonnequil’aainsibaptisée.

Àcôtéd’elle,affaléedansunfauteuil,Alicesemassaitlestempes.—Machins-trucs. (Elle avait la voix chargée de joyeuse fatigue.) C’est comme ça que je les

appelledepuisdesmois,maintenant.Jesaisqu’ilnes’agitpasdelanomenclaturescientifiqueadmise.JedemanderaiàSimonquandilrentrera.Quelestlemotsavantpourmachin-truc?

—Amibe,jecrois.Celan’avaitprobablementriendedrôle,maislafatiguelesfittoutesdeuxcéderàdegrandséclats

derire.—Etqu’enest-ilduchromosome?demandaunevoixdel’autrecôtédelatable.—«Chromosome»,répétaAlice,avantqu’ellesneglissentdenouveaudansl’hilarité.Oh,c’est

amusant.Vousavezremarqué,ilalemêmenombredepiedsqueFigaro.— Chromosome, chantonna Violet, rejointe par sa compagne après la première itération.

Chromosome,chromosomechromosomechromosome!—Jeprendsdescoursdegrec.Cetermesignifie«corpscoloré».Lajeunefemmeméditacesparolesensourcillant.Sonmalaisereparut;cettefois,mêmesiellele

repoussait vigoureusement, il refusa de battre en retraite. Lentement, elle releva le nez de laphotographiequ’ellecontemplait.C’était…lematin.Commentétait-cearrivé?Ellenese rappelaitpasavoirdormi.Ellenesesouvenaitqued’unetacheflouedenégatifsetdeplaquesdeverre.Elleavaitlesdoigtsteintésd’unbleuprofond;lesoleilmatinalseréfléchissaitsurdespilesdecuillèresenfaced’elle.Justederrièrel’argenterie,leregardsérieux,étaitassiseFredericaMarshall.Elleétaitcellequivenaitdeparler.

L’espaced’uninstant,Violetfuttotalementperdue.Oh,Seigneur,qu’avait-ellefait?—Quefabriques-tu?s’enquitunevoixdanssondos.Ellefitvolte-facesursonsiège.RobertetOliverse tenaientdans l’encadrementde laporte.Le

premier avait encore les cheveux humides ; il avait en main une tasse fumante, qui fit gronderl’estomacdelajeunefemme.

—Oooh,lâchaAlice,ensemettantdeboutd’unpasvacillant.Dieuxduciel,regardezl’heure.Jesuistropvieillepourlesnuitsblanches.Jen’avaispasvécuçadepuismesvingt-deuxans.

—Violet?insistaRobert.Elleclignadesyeux.Ellen’avaitplusqu’àmisersurleculot.—L’ignoriez-vous?lança-t-ellejovialement.L’unedesquestionsnonrésoluesenbiologieporte

surlatransmissiondescaractéristiquesdeparentàenfant.Lesthéoriessesontsuccédé.Leducsecoualatêted’unairconfus.— À présent, Alice, Sebastian et moi avons notre propre hypothèse, annonça-t-elle d’un air

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concentré.Enfin…leprofesseurBollingalletSebastian.Jenesaisplusdequijeparle.Quoiqu’ilensoit, nous croyonsque les traits de caractère passent des parents à leur progéniture par ceci. (Elletapotadudoigtl’imagesurlatable.)Leschromosomes.Nousavonsmisencorrélationletableaudestentativesdecroisementdeviolettesqu’adresséSebastianaveclenombredemachins-trucsobservésdanslescellulesdecesespèces…

—Oui, ce sera suffisant commeexplications sur ce plan, ditRobert enprenant unegorgéedecafé. Mais je suis encore assiégé d’interrogations. Telles que celle-ci : pourquoi fais-tu celamaintenant?

—J’auraisdifficilementpum’yprendreavant,réponditVioletd’unairrenfrogné.L’idéenem’aeffleurée qu’hier soir, quand Jane a commencé à parler du bleu d’aniline au moment précis oùj’étudiaislesphotosd’Alicesurladivisioncellulaire.Etalors…

—Non,non, l’interrompitOliverenvenants’asseoiràcôtéd’elle.Violet,Seigneur. Ilneparlepasdeça.Nousvoulonssimplementsavoir.(Ildéglutit.)Pourquoinenousas-tujamaisconfiéquetuétaisl’unedesplusgrandesscientifiquesdumonde?

Ellesentitsonuniverssefiger.Cequ’ellen’avaitpassouhaitéconsidérersefrayaitdenouveauunchemin dans sa conscience. Des années à avancer dans l’ombre, et elle avait ruiné toute cetteconfidentialité durement acquise d’un seul coup égoïste. Tous ceux présents devaient désormais lesavoir.

—Je…,hésita-t-elle.C’estque…Si la vérité éclatait, elle ne serait plus la bienvenue dans la bonne société. Lily la bannirait

définitivementdesonentourage.Samère…Elleneparvenaitmêmepasàimaginercequesamèreferait.Etpourtant, ellen’avaitpaspeur.Peut-êtreétait-elle trop fatiguéepourcela,ou tropexcitée.Elle aurait dû trembler. En général, un récital des horreurs à venir était assez pour l’effrayer, luirappelerqu’elledevaitgarderlesilenceetlatêtebaissée.Maiscejour-là…

Janeavaitrejointsonépouxdanslapièce.ElledévisageaitelleaussiViolet.Touscesyeux,rivéssurelle.Pourquoin’avait-ellepaspeur?

— Dieux du ciel, s’entendit-elle rétorquer avec dédain. Pourquoi l’un de vous voudrait-il lesavoir?

Elle ne pouvait attendre la réponse, ni regarder ses amis reculer devant elle,maintenant qu’ilsconnaissaientlasituation.Ellesesentaitvisible,révéléeencouleursvives,alorsqu’elleavaittoujoursdésirésecacher.Elleseleva.

—Maintenant,sivouspermettez,jedois…jedois…Seigneur,qu’avait-elleàfaire?—Dormir,reprit-elle.Mechanger.Meterrer.Elletouchal’épauled’Alice.—Jepasseraivousvoirquandnousauronstouteslesdeuxréussiànousreposer.Lenezenl’air.Neregardepersonne.Neleurmontrepascombiencelat’importe.Cesrèglesétaientcellesdesamère,etmêmesicettedernièreauraitdétestéqu’onlesutilisedans

cescirconstances,Violetseréjouissaitdelesavoir.Lanobledameluiavaitapprisàagircommesiriennecomptait,mêmesouslaréprobation.L’attitudeluivenaitsinaturellement,depassertoutprèsdeRobertetOliverd’unairhautain.MaisJaneavançaalorsd’unpas.

—Violet,murmura-t-elle.Nousvoulonsêtreinformésparcequenoust’aimons.Lacomtessedévisageauninstantsonamie,lesyeuxécarquillésdeconfusion.Cettephrasen’avait

aucunsens.L’époused’Olivern’avait-ellepasassimilécequesacompagnevenaitdedivulguer?Cequ’elleavaitfait?Quielleétait?

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Jane luiposaunemainamicale sur lebras.Violetnecomprenaitpasdu tout cette compassion.Ellesesentaitcreuseàl’intérieur,etcomplètementfriable.

—J’yvais,lâcha-t-elle.Ellefitvolte-faceets’enfuit.—Non,entendit-elledireSebastian.Laissez-lapartir. Il lui fautunpeude tempspour saisir ce

qu’elleéprouve.Maisilavaittort.Ellesavaitdéjàquelsentimentl’habitait:levide.C’est ainsi qu’elle s’échappa dans le bureau de Sebastian ; complètement dénuée d’émotions

appropriées.C’était agréable de se trouver dans un endroit familier, à ce secrétaire, où ils avaient passé en

revue tant de documents ensemble. L’horloge égrenait des sons réconfortants et réguliers quiapaisaient son cœur. Les livres dégageaient l’odeur de Sebastian. Elle s’assit dans son fauteuilhabituelets’accouda.

Seigneur,queldésordre.Deuxpersonnespouvaientgarderunsecret.Mêmel’implicationd’Aliceauraitpuêtredissimulée ; sonmari et elleavaientclairement leurpropre lotdecachotteries, et seseraientrévélésmotivéspourparticiperàlacomédie.

MaisViolet avait foncé têtebaisséeaveccette idéequi avaitgermédans sonesprit, sansprêterattentionaufaitqu’Oliver,Robert,Jane,MinnieetFree–pourl’amourdeDieu,FredericaMarshall,qu’elleconnaissaitàpeine–étaienttousprésents.Àquoiavait-ellesongé?

—Jen’aipasréfléchi,dit-ellesèchementàvoixhaute.C’estça,leproblème.Maisdèsqu’elleprononçacesmots,ellesutcombienilsétaientmensongers.Durantunefraction

deseconde,quandelleavaitjetéuncoupd’œilauxcroquissurledocument,etquecetteamorcedethéorie lui était venue, elle avait bel et bien réfléchi. Tu ne peux pas faire ça. Tu ferais mieuxd’attendre.Elles’yétaitrefusée.Elleavaitégoïstementrejetétouteslesconsidérationssursonavenir,sa réputation, sa famille, prise dans le feu d’une fulgurante pensée, craignant que celle-ci nes’évanouissesiellelamettaitdecôté.

Même à cet instant, elle n’avait pas peur comme elle l’aurait dû. Elle s’enveloppa de ses bras.Commentavait-ellepucréeruntelchaos?

Elle s’était réfugiée dans le bureau de Sebastian pour se retrouver seule, afin de laisser sesréflexions se dissiper jusqu’au point où elle pourrait peut-être dormir. Elle savait qu’elle étaitexténuée.Dans le bureau orné d’un papier peint bleu et argent, des bibliothèques recouvraient lesmurs,etcontreunmurétaitinstalléeunepetitetabled’écriture.Caléeàcôté,unepsychérenvoyaitàVioletl’imagedesvolumesalignés.Elleselevaettournalemiroirverselle.Elleycroisasesyeux,sombresetsérieux.Elleavaitpeud’allure.Ellepouvaitaspirerautermede«coquette»quandelleprenait soin de son apparence, mais si elle était restée debout toute la nuit à regarder dans unmicroscope,elleétaitd’uneinaltérablebanalité.

Elle avait des cernes, un teint cireux ; ses cheveux auraient pu passer pour un nid de sombresserpents sifflant autour de ses épaules. Avec quelques verrues en plus, on aurait pu l’envoyer aubûcher,songea-t-elle.Pasjolie,etégoïsted’éprouvertantdefiertépourcequ’elleavaitaccompli.Devouloir…

Elles’observadanslaglaceeninclinantlatête.Çanefonctionnaitpas.Engénéral,quandellesetraitaitd’égoïste,ellesetortillaitetenfouissaitleschosesqu’elledésirait.Maiscejour-là,rienneseproduisait.Peut-êtreétait-elletropfatiguée.

Elle s’infligea de nouveau la réprimande à haute voix, mais, dénués de la honte qui les

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accompagnait d’habitude, les mots sonnaient faux. Ils avaient perdu leur place dans son cœur. Cejour-là, elle avait un autre refrain en tête, qui passait si doucement qu’elle ne l’avait pas encoreentendujusqu’àcetinstantprécis.Brillante,résistante,douceViolet.Cesouvenirsusurréavaitchasséégoïste.

Ellecontemplalemiroir.Quandsonépouxluiavaitreprochédel’êtreparcequ’elleserefusaitàluiaulit,qu’avait-ildoncvouludire?«Jeméritedavantagemachanced’avoirunhéritierquetoidevivre. » Quand Lily avait déclaré qu’il serait égoïste de la part de sa sœur de se rapprocher deSebastian,qu’avait-elleinsinué?«Maprésenceàdesbalsestplusimportantequetonbonheur.»

—Foncièrement impossible à aimer, lança-t-elle d’une voix forte en posant ses doigts sur lemiroir.

C’estcequ’elles’étaittoujoursdit,ceàquoielles’étaitrésignée.Unetellepersonneneméritait…rien;nibonheur,nireconnaissance,nipeut-êtremêmesaproprevie.Ellel’avaitcrusifortqu’ellen’avaitpasétéenmesuredecomprendreSebastianquandilluiavaitavouél’aimer.LorsqueJaneluiavaitdit«noust’aimons»,elleavaitsecouélatête,incapabled’assimilercetteréalité:lesgensnelaméprisaientpasenapprenantsonsecret.

Sonimagedanslapsychésemblaitsubtilementdifférentedecellequ’elleavaitobservéeaufildesannées.Aucunebeautén’adoucissaitl’intensitédesonregard,aucunsubterfugenedissimulaitquielleétait.

Elle se cachait depuis si longtemps qu’elle ne s’était même pas vue. On pouvait l’aimer. Ellen’était pas égoïste. Admettre qu’elle voulait quelque chose, qu’elle méritait de l’obtenir ? Penserqu’elle prendrait peut-être une décision en fonction de ses propres désirs, et non de ses craintesconcernantceuxquil’entouraient?Detellesréflexionsparaissaientpresqueobscènes.

Onfrappaàlaporte.ElleseretournaàpeinequandSebastianouvritbrusquementetpénétradanslapièce.Iljetauncoupd’œilfurtifàsonvisageempourpréetàsescheveuxébouriffés.Ilesquissaunsourireamusé,sanstoutefoissemoquer.

—Violet,jesaisqueBollingallconviendraitpournotreaffaire,maisl’essentieldesontravailestfaitaumicroscope.Tuvoudrasquelqu’und’autrepourtepermettredecontinuertesrecherches.J’aicommencéàdresseruneliste.

Elleleregardaaussitôt.—Pardon?—Tuaurasbesoind’unepersonnecapabledet’assister,decomprendreassezbienlasciencepour

faireuneprésentationcrédible.Quelqu’unquiterespectera.—J’aidéjàtrouvé,s’entendit-elledéclarer.Ilinclinalatête.—Vraiment?TuvasdonclaisserBollingalls’attribuertouslesmérites?—Non,répondit-elle,lecœurluimartelantlapoitrine.Ellesavaitqu’elle faisaitpeuràvoir.Cependant, il lacontemplaitcommeunebeauté.Sebastian

était séduisant et riche.Ellen’avait jamaispucroirequ’il l’aimait.Elle s’étaitpersuadéequ’il étaitsimplementquestiond’amitié.Maisiln’avaitcessédefairevolerenéclatslesconvictionsdelajeunefemme;ilnel’avaitpasmisedanssonlit,nel’avaitpasblessée.Ilyveillaittantqu’ilnes’étaitmêmepaspermisde l’embrasser.Et saconférencesur lesviolettes…Elleavait tentéd’encomprendre lesens,maisn’avait réussiqu’à l’interprétercommeune tentativedeséduction. Ils’agissaitenréalitéd’une lettred’amour,qu’ellen’avaitpudéchiffrer jusqu’àcet instant,oùelleprenaitconsciencedesondroitàêtreaimée.Toutétaitclairdésormais.Ellesesentaitincandescente.Sonapparenceetsescheveuxhirsutesn’importaientguère.

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—Cettepersonne,dit-elled’unevoixlégèrementétranglée,estparfaite.Elleconnaîtlamoindredemespensées.Ellepeutexpliquermesdécouvertesd’unemanièreabordablepour tout lemonde.(Elleluifitsigned’undoigtrecourbé.)Laisse-moitemontrer.

Illaregardaavecméfiance,maisendépitdesaréticence,illarejoignitlentement.Ilavaitdormiaussipeuqu’elle.Toutefois,ilétaitdécoifféavecunedésinvoltureimpeccable.Sa

barbenaissanteluidonnaitunairdecrapulequiluiallaitbien.Parquelqueétrangealchimie,ilsentaitencorebon,c’enétaitmêmeinjuste.Ilallaseposteràcôtéd’elle.

— Violet, murmura-t-il. Je sais ce que tu vas dire. Tu veux que je m’en charge. Mais… (Ils’interrompit.) Rien n’a changé. Je suis conscient de l’ampleur de cette découverte, mais cesmensongesgâchentnotrerelation.

Elleluipritlamainetl’incitaàsetournerverslemiroir.—Jesaisquivaretirerleshonneursdecesrecherches,chuchota-t-elle.Puis elle leva sa main libre et pointa du doigt son propre reflet, si effroyable et à la fois si

pertinent.—C’estelle,annonça-t-elle.Ilsouffladanslesilencequis’ensuivit.Leursregardssecroisèrentdanslaglace.Elles’aperçut

qu’ellenel’avaitpaslâché,nifuilecontactaveclui;qu’ilavaitlesdoigtschauds,lecorpssiprèsdusien.Cemomentétaitétrangement,intensémentintime.

—Violet,souffla-t-il.Elle était devenue folle, et se préparait à entendre les mille raisons pour lesquelles son

comportement était stupide. On ne t’autorisera jamais à donner cette conférence. Personnen’écoutera. Songe à ce que cela signifiera pour ta famille. La conclusion était toujours lamême :Égoïste.Tuneméritespaslareconnaissance.Niquoiquecesoitd’autre.

Mais c’était Sebastian, et il ne dit rien de tout cela. Il se contenta de se tourner vers elle. Ellerefusaitdesoutenirsonregard.Ilposalamainsursonépaulepourl’obligeràseconcentrersurlui.Tout doucement, elle releva la tête. Oh, c’était une erreur. Elle s’embrasait de tout son être…Sebastian souriait toujours – c’était l’une de ses marques de fabrique. Mais pas cette fois. Il lacontemplait,s’imprégnaitd’elle.Etellenereculaitpas.Seigneur,quelleterribleimprudence.Ellenedevaitpasfaireça.Maisdesapaumeilluifrôlalajoue,etellenesedéfilapas.Elleauraitmêmepus’inclinercontrelui.

Cela s’annonçait difficile. Impossible, à vrai dire. Elle ignorait complètement la démarche àsuivre à partir de là. Sa sœur allait la détester. Sa mère était… Quel terme avait-elle employé ?«dégoûtée».Lemondeentierlamépriserait.MaispasSebastian.Ilappuyasimplementlefrontdesacompagnecontrelesien.

—Bravo, Violet, murmura-t-il. Cette fois, je peux faire en sorte qu’ils te prêtent attention. Etcrois-moi,j’yparviendrai.

Illevasonautremain,etluicaressalajoueduboutdupouce.Cegesteeutl’effetd’uneétincellechez la jeune femme. Il avait envied’elle, et…Oh,elle ledésirait tant. Il sepenchait àprésent, luieffleurantlevisagedesonhaleine,leursbouchessiprèsl’unedel’autre.C’estalorsquelapaniquelatransperça.Ilallaitl’embrasser!Elles’écartadelui.

—Jesuisdésolée…,bredouilla-t-elle.Jedoispartir…Elledésignalaporte.—Jesuisconfuse.Ilfautquej’ailleréfléchir,ajouta-t-elleenreculantverslasortie.Surce,elledisparut.

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Chapitre17

Violetmédita.EllepensaitàembrasserSebastianenremontantdanslachambrequ’onluiavaitréservée.Elley

songeait encorequand sabonne luidéfit sesboutons.Cemurqu’elle avait érigé,qui laprotégeaitdepuissilongtemps,comprenaitdésormaisunebrèche.Ellen’étaitplusensécurité.

Ellecommandaunbain,etlorsqu’ilarriva,ellerenvoyasadomestique.Elle futpoursuiviepar l’idéedes lèvresdeMalheur sur les siennes jusquedans lagrandecuve

remplied’eaufumante.Ellevoyaitdériversursescuisseslesmainsdesonami.Etellepensaàl’expressiondeSebastianquandilnesouriaitpas,cetairsombreetintenserivésur

elle,commesiriend’autrequ’ellen’avaitd’importance.Elleremua,etlorsqu’ellepassasespaumessavonneusessursesjambes,cefutlapeaudesoncompagnonqu’elles’imaginatoucher.

Elleétaitenveloppéeparlachaleurdecetteeau,presquebouillante,commeellel’aimait.Ellefitsa toilette dans une frénésie de mousse, puis s’immergea en se bouchant le nez. Ce ne fut guèreefficace.Leliquidebrûlantluifaisaitl’impressiond’uneétreinte,larendaitconscientedesoncorps,deSebastian. Ilnese trouvaitprobablementplusoùelle l’avait laissé. Ilavaitdûpartir sechanger.Peut-êtreprenait-illuiaussiunbain.Mauvaiseidéedeselefigurersansvêtements.Trèsmauvaise.

—Idiot,s’exclama-t-elle,sermonnantsoncorps.Tuneveuxpasdeça.Tupourraisysuccomber.Elleselavalescheveuxets’imposadespenséesfroidesetrationnelles.Elleseremémoratousles

chatsqu’elleavaitpossédés.Ellesefrictionnaentrelesorteilsetsongeaauprocédédefabricationdusavon pressé à froid. Et lorsque tout cela s’avéra inefficace, elle sortit de l’eau, et debout dans lafraîcheur ambiante, se rappela une série de gravures d’autopsies reproduites dans l’undes articlesqu’elleavaitlus.Lecœurhumain,seréprimanda-t-elle,étaitunorganedégoûtant,toutenventricules,cavitésetorifices,unegrossebouleaffreuse.Cemorceaudeviandeétaitl’undesplusécœurantsducorps. Même les intestins avaient plus de charme. Elle n’allait pas laisser quelque chose d’aussiridiculeprendredesdécisionsàsaplace.

Ellehochalatête,reprenantenfinlecontrôledesapersonne,etfitvenirsabonne.AumomentoùLouisalarhabilla,dansunerobeviolineàcolhaut,mancheslonguesetgantsassortis,Violetn’avaitplus de pensées vagabondes. Elle allait beaucoup mieux. Elle parlerait à Sebastian. Elle luiprésenteraitsesexcuses;aprèstout,ellen’auraitpasdûluiprendrelamain,setournerverslui,nisemontrerdisposéeàl’embrasser.Poursûr,ellen’auraitpasdûavoirdetellesidéesàcetinstant-là.Elleallaitfaireamendehonorable,etilsredeviendraientamis.Toutescesstupidesvalvespouvaientbattreautantqu’ellesvoulaient.Soncœurétaitunmusclecommelesautresdanssoncorps.

Elleétaitmanucuréeetcoiffée.Sabonnebrossaunedernièrefoissarobe,puisapportalemiroir.Violetpouvaitdenouveauêtrequalifiéede«vaguementcoquette».Elleneviseraitjamaisplushaut.Elledévisageasonreflet,dontlesyeuxluiadressèrentunregardétincelant.Cen’estpaségoïstedevouloirêtreenlacée.

—Tais-toi,s’ordonna-t-elle.—Pardon?Jen’airiendit,milady.Samaîtresseluifitungestedelamainenguised’excuse.—C’estàellequejeparlais,dit-elleenpointantundoigtverslaglace.

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—Oh,trèsbien,répliquaLouisaendodelinantlatête.Puis-jeencorevousêtreutile?Violetlacongédiaetpartitàlarecherchedesonmeilleurami.Elleauraitàs’entreteniraveclui.

Leproblèmeétaitqu’illaconnaissaittropbien.Aucundesesmensongesn’auraitd’effetsurlui.Je t’aipeut-êtredonnéune fausse impression,mais en réalité, jen’aipas enviede t’embrasser.

C’est justeunmalencontreux ticmusculaire,un tressaillement involontaireducœur.Oui, bon, tu terappellesquelsamisnoussommes?Quellepairedecamaradesnousformons!Quelplaisird’avoirunboncopain,quelqu’unqu’onneveutpasembrasser!

Pasterrible.Ilsedouteraitqu’ellementait.Jevoudraisvraimentt’embrasser,maisceseraituneidéeeffroyable.Jevoudraisvraimentt’embrasser,maisj’aipeur.Si elle lui livrait la vérité, il rétorquerait des propos rationnels, comme « c’est seulement un

baiser»,et«tun’asrienàfairequientraîneraituneautrefaussecouche».Exact.Maisunbaiserlaterrifiait, car c’était un début et non une fin. Cela revenait à ouvrir une porte sur des terressuperbement baignées de soleil et dire : «Ne t’inquiète pas ; tu n’es pas obligée de t’aventurer àl’extérieur.»Violetseconnaissaittropbien.Unefoissurleseuil,ellemettraitunpieddehors.

EnarrivantdevantlachambredeSebastian,ellen’avaitpasencoredécidédecequ’elleallaitdire.Ellerestadonclà,lesyeuxrivéssurlevantail.Lapoignéeétaitunepiècedeferronnerieingénieuse,imitantune fleurenpleineéclosion.Elleauraitpu l’examinerdesheuresdurant, surtoutsicela luidonnaituneraisondetemporiser.

— Imbécile de cœur,marmonna-t-elle en suivant du doigt le contour d’un pétale. Pourquoi nepouvais-tupastefixersurça?

Quelque chose d’inanimé et froid, qui ne lui ferait jamais de mal. Elle leva la main pourfrapper…

—Idiot, s’irrita-t-elledenouveau. Jene le toléreraipas.Personned’autrequemoinecontrôlemesmuscles.Oui,jefrapperai,maisseulementquandj’yseraidisposéeetque…

Laportes’ouvrit,etSebastianapparut.Ilécarquillalesyeux,maisnefitaucuncommentaire.Etôcommeelles’étaittrompée.Soncœurn’étaitpasqu’unmuscle;ildrainaitlesangàtraverstoutsoncorps.Elles’efforçadeleréduirementalementaumouvementrythmiquedesventriculesetcavités,maisavecsonamienfaced’elle,c’étaitplusquecela;unepetiteboufféedechaleur,unlégervertigetandisquesonsangfournissaitàsestissusplusd’oxygènequenécessaire.LefonctionnementdetoutsonêtreétaitliéausouriredeSebastian,etlorsqu’illeluiadressa,tousseseffortspourétouffersesdésirséchouèrent.

Elle avança d’un pas. Il ne recula guère.Cela parut alors inévitable. Elle aurait voulu pouvoiraffirmerqu’ellenemaîtrisaitplussesmuscles,maiscen’étaitpaslecas.Cefutbienellequitenditlebraspour lui toucher les cheveux. Ils étaient encoreunpeuhumides ; il avait bienpris unbain. Ilbaissalatête,laissantlesdoigtsdeVioletsillonnersesmèchesetattirersonvisageverselle.

—Sebastian,murmura-t-elle.—Àtonservice.Etellel’embrassa.Ellel’avaitdéjàfait,mueparlafureuretl’angoisse,maislà,c’étaitdifférent.

Ses ventricules, ses valves, les quatre cavités de son cœur s’activaient pour lui. Et bon sang,heureusementqu’ilignoraitcequ’ellepensait,ouilseseraitaperçuqu’elleétaitdevenuefolle.

Non. Il la connaissait trop bien. Il rirait probablement de concert avec elle, mais elle voulaitsurtoutqu’illuirendesonbaiser.Cequ’ilfit.Ileffleuraunefoisseslèvres,puisdenouveau,avecuneplusgrandetendresse.Ilglissaensuitesonbrasautourd’elleetl’attiradanssachambre.Elleentenditàpeine laporteserefermer,maissentit levantailcontresondos, les jambesdeSebastianpressées

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contrelessiennes.Illuipritlevisageencoupe,etentrouvritlabouche.Elleauraitcruquesalanguesuivrait,maisaulieudecela,ilsemblasecontenterd’échangerdel’airavecelle.

—Violet.MamerveilleuseViolet,souffla-t-ilenluifrôlantleslèvres.Brillante,belleViolet.Cecontactlasubjugua.Elleavaittoujoursimaginéqu’ausommetdelapassion,elles’arrêterait

depenser.Maisc’était faux.Elleétait conscientede tout, jusqu’àcequeSebastian se redresseet lacontemple.Ilavaitencorelamainsursonépaule,etluicaressaitlaclavicule.

—Qu’était-cedonc?demanda-t-il.—Unbaiser,répliqua-t-elleenrelevantlementon.Situn’avaispasdeviné…—Non,jeveuxdire,qu’est-cequis’estpassé?J’aipensétoutàl’heurequetuvoulaisplus,mais

tut’esalorsenfuie,etj’enaidéduitquejem’étaismépris.Quedevait-elle répondre ?Que son cerveau s’était battu avec son cœur, et que le second avait

triomphé?—Nesoispasridicule,dit-elle.Jedevaisprendreunbain,c’esttout.Ilsourit,commes’ilpouvaitlireenelle.—Violet.(Ilsepencha.)Pourmémoire,jememoqueéperdumentdetonodeur.—Ehbien,moinon, rétorqua-t-elle en croisant lesbras, lesyeuxbraquésdansun anglede la

pièce.Etpourmémoire,moncœurestunâne.Illadévisagea.—Jevois.Ilportedelourdsfardeauxsurdelonguesdistances.Ilsepenchapourl’embrasserdenouveau.—Cen’estpascequejevoulaisdire,protesta-t-elle.Çanemarcherajamais.Réfléchis,Sebastian.

Jenepeuxpasavoirderapportssexuels,ettuadoresça.Ilgardalesilenceunmoment.Ilsecontentaitdeluitenirlamain,luicaressantlepouce,commesi

par ce geste délicat, il avait été en mesure de chasser toutes ses craintes. Et peut-être en était-ilcapable,cartandisqu’illatouchait,ellelessentitsedissiper.

—Jepourraisendébattreavectoi,finit-ilpardire.Maisjevaism’enabstenir.Regarde,Violet,tout simplement, et tu verras ce qu’il nous est possible de faire. Ce sera plus facile que tu nel’imagines.

Finalement,ilavaitraison.Ilfutaisépourlajeunefemmederetournerdanslapièceprincipale;deraconteràsesamisce

qu’elleavaitaccomplijusque-là,cequ’elledésirait;delaisserMinnieprendrelecontrôledecequidevrait se produire, avecdes airs degénéral se chargeant d’unplandebataille. Il ne lui fut guèrecompliquédedresseruneliste,delaremplirdepointstelsque«organiseruneconférence»,et«enparleràmamère»,defeindrequecepapier inventoriaitdesélémentsàacheter.Ellen’avaitaucunmalàêtreelle-même,àrire,àarrêterdementir.

Etc’étaitcequilarendaitnerveuse.Carellesavaitquecelanedemeureraitpasaussisimple.

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Chapitre18

—Oh,Dieumerci,s’exclamaLilyenapparaissantdanslapièceoùétaitassisesasœur.J’ignorecommenttufaispourtoujoursdevinerquandj’aibesoindetoi.

Violetclignadesyeux.Sacadetteseglissasurlecanapétoutprèsd’elle,etluipritlamain.—Ma chérie, je suis dans une situation des plus désespérées. Tu sais qu’Amanda nem’écoute

plus.Nousavonspassélesderniersjoursàhurlerl’unecontrel’autre.Àhurler,tedis-je!Cetteenfantsetenaitsibienjusqu’àl’annéedernière.J’ignorecequis’estpassé.Promets-moideluiparler.

Lilyparaissaitsiinnocente,sidouce.Violetavaitpresqueenvied’abonderdanssonsens,d’éviterlaraisonpourlaquelleelleétaitvenueenpremierlieu.Mais…bon…

—C’estcethorriblelivre,poursuivitlamarquise.Jeneleluiaipasconfisquéasseztôt.Elleneveut pas seulement éconduire le comte qui envisage de la demander en mariage ; elle refuse deconvoleravecquiquecesoit.

—Jenesuispasicipourdiscuterd’Amanda.—Bien,fitLilyenpinçantleslèvres,l’airdécontenancée.Peut-êtrepas,maisjesuiscertaineque

cequit’amèneattendraunmoment,letempsqueje…—Non,l’interrompit-elle.Jem’apprêteàplongerlafamilledansleplusretentissantscandaleque

tupuissesimaginer.Sasœurpâlitets’inclinaenarrière.—Malheur,souffla-t-elleensetriturantlesmains.Oh,Seigneur,jesavaisquecelaseproduirait.

J’auraisdûmemontrerplusdirecte. (Elle la lâcha.) Il t’aséduite.Vousavezétésurprisen flagrantdélit.

Violetdéglutit.—Ceseraitd’unebanalité…C’estpire.Soncœurcommençaitàs’emballer.Lilyécarquillalesyeux.—Commentserait-cepossible?s’étonna-t-elle.—Tuconnaissontravailsurl’héréditédescaractéristiques?—J’essaiedenerienentendresurlesujet,réponditsacadetteavecunemoue.Quelrapportavec

toutcela?—Cen’estpaslesien.Lamarquiseremuasursonsiègeensourcillant.— Ce n’est pas son travail, répéta Violet. C’est principalement le mien… et j’ai décidé de

l’assumerpubliquement.Elleretintsonsouffleaprèsavoirprononcécesparoles.Peut-êtreavait-elleespéréqueleregard

desasœurs’adoucirait.Ouqu’iléchapperaitàcelle-ciunpetitcridejoie.Qu’ellelaprendraitdanssesbrasendisant :«Oh,machérie,commec’est intelligent.»Ellenes’étaitpasaperçuecombienelle avait profondément envie que Lily la serre contre elle, jusqu’à ce moment, où la déceptionrefermait ses griffes glaciales autour de son cœur. Car sa cadette ne fit rien de tout cela. Elle ladévisagea comme si elle venait d’annoncer qu’elle publiait un livre sur lesmille et une façons defairecuireunbébé.

—Ha ha, finit-elle par s’esclaffer sans hilarité. Quelle bonne blague, mon ange. J’ai failli te

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croire.Violetsesentittrèsloindecetteétrangèreassiseàcôtéd’elle.—Jeneplaisantepas,répliqua-t-elle.Sa réponse futaccueillieparunsilence.Lilysedétournad’elle, se leva,puis sedirigeavers la

fenêtre.—Tun’espassérieuse,insista-t-elled’untonpluscatégorique.Jememoquedecequetupensesà

cetinstant;tumefaisforcémentunefarce.Songeàcequecelasignifiepourmoi,pourmesenfants.Nousneseronspratiquementplusreçusnullepart.Amandaauradéjàl’épouvantableréputationd’unefillequiromptsesengagements;maisenfin,nousseronslariséedelavilleaveccetteaffaire.Jeteconnais,Violet.Tunetepermettraisjamaisquelquechosed’aussiégoïste.

—«Égoïste»?—Oui,parfaitement.Tunepensestoujoursqu’àtoi,àcequit’apporterasatisfaction,àcequite

procureraunmomentdeplaisir.Tuneréfléchisjamaisàlamanièredontcequetufaisvam’affecter.—Écoute-toi,rétorquaViolet.Metraiterd’égoïstecommesijeméritaisdenejamaisrienavoir

pourmoi.(Elleseleva.)Maisjenelefaispasquepourmoi.C’estaussipourchaquefemmequis’esteffacéederrièresonépoux.PourAmanda,quineveutpassemarier,etàquionn’ajamaisexpliquécequ’ellepouvaitaccomplird’autre.

Lilyécarquillalesyeuxetavançad’unpas.—C’esttoiquiluiasdonnécelivre.—Tum’asdemandédeluiparler.Jel’aifait.—Tu luiasmiscette idéedans lecrâne,qu’ellepouvait sedéroberàunmariageparfaitement

convenable.C’esttoilaresponsable.—Elleyapenséd’elle-même, j’enaipeur, répliquasonaînéeenhaussant lesépaules.Sicette

unionétaitsibonnepourelle,pourquoidésirerait-ellelafuir?—Mais elle n’aura pas le choix ! Ellem’a dit vouloir une éducation, voyez-vous ça. Elle ne

l’obtiendrapasdenous,c’estsûr.Pastantqu’ellevivrasousmontoit,pasavecmonargent.Alors,qu’endis-tu,Violet?As-tul’impressiond’agirpoursonbien,àprésent?

—Si tu ne veux plus d’elle, elle peut venir chezmoi, je prendrai le coût de son tutorat àmacharge. Je ne vais pas l’encourager à devenir transparente parce que la possibilité que ta filles’émancipeterendhystérique.

—Siturefusesdepenseràmoi,penseàmesenfants.Bannis,ostracisés,moqués!Mêmetoi,tun’auraispaslecœurassezdurpourleursouhaiteruntelsort.

L’égoïsme,toujours.— Si tu ne pouvais pas être reçue en haute société sans te couper le pied, combien de temps

mettrais-tu à te le trancher ?Me traiterais-tud’égoïste si je tenaisAmanda à l’abri d’un acte aussibarbare?

—C’estdifférent,assuraLilyaprèsavoirsourcillé.—Oui, très. Si ce que jem’apprête à annoncer a un effet de courte durée, tout lemonde aura

oublié dans un an.Et si ce n’est pas le cas…alorsmes neveux et nièces auront une tante célèbre.Ignore-moietefforce-toiderentrerdans lesbonnesgrâcesdugratinmondain.Tesenfantssaurontprendreleurspropresdécisions.

Peut-êtreespérait-ellequemêmeàcemoment-là,sasœurprotesterait,luidiraitqu’ellel’aimait,qu’ellenerompraitjamaislesliensavecelle.Aulieudecela,lamarquisesecoualatête.

—S’ildoitenêtreainsi.Pas unmot de soutien, ni d’amour.Pasmêmeunepointe de regret ; pas lemoindre signeque

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Violetcomptaitpourelle.—Lily, essaya-t-elle une dernière fois. Songe à ce que cela représente pourmoi.Depuis près

d’unedécennie,j’étouffelavérité.Jecachecequejepeuxaccomplir,cequejepense,cequejesuis:l’unedesplusgrandesexpertessurlasciencedel’hérédité.N’éprouves-tumêmepasunpeude…?

Savoixs’évanouit.Fierté?—Dégoût?repritsacadetteenrejetantlatêteenarrière.J’éviteautantquepossibledesongerà

cequetuasdûfaire,auxréflexionsquit’onttraversél’esprit,àtoutcetempsquetuaspasséàmementir.Maisoui,jeressensdudégoût.

Salistedetâchesdiminuaitpeuàpeu,maislemalaisedeVioletnes’atténuaitpaspourautant.—J’oseàpeineimaginercequivaseproduirequandjevaisl’annonceràmamère,déplora-t-

ellecesoir-là.IlsétaientàLondres,danslacabanedejardinierdontSebastianseservaitcommebureau.Ill’avait

accueillieavecuneétreinteetunbaiser,sanstoutefoistenterdel’inciteràallerplusloin,mêmes’ilsétaientseuls.Déroutant.Ilsecomportaitnaturellement,commes’ilsn’étaientencorequedesamis–quis’embrassaient.

—J’ai toujourseuLily,poursuivit-elle.Chaque foisque jemesentaismisérable, jepouvais latrouveretellemedonnaitquelquechoseàfaire.J’aidumalàimaginerunmondesanselle.

—Peut-êtrequ’ellechangerad’avis.Elle secoua la tête.Cene serait pluspareil,même si sa cadette se ravisait.Elle s’était toujours

demandésiLilysesouciaitd’elleau-delàdesespropresintérêts.Elleavaitdésormaislaréponse.Elleétait assise sur le canapé, trop consciente qu’il y avait de la place pour deux sur ces coussinsmoelleux,etqueladifférenceavecunlitétaitmince.Ilvints’installeràcôtéd’elle,puis,lorsqu’ellese pencha précautionneusement vers lui, il l’enveloppa de ses bras chaleureux.Leurs corps étaientlovés l’un contre l’autre, dans cette petite pièce. Quelle étrange sensation ; ils ne s’étaient pasretrouvéstouslesdeuxdepuislaveille,etàprésent…Elleeneutlachairdepouleetleventrenouédefrayeur.Certes,ellesouhaitaitqu’ilsoità l’aise,maisnepouvaits’empêcherdesedemandercequiallaitarriver.

—Tucroisvraimentquetamèreserapire?Ellefrissonnaetrépondit:—Lily pleure et gémit,mais ce ne sont que desmots.Maman ?Eh bien, elle hochera la tête,

sourira,puistrouveraunmoyendesabotertoutel’affaire.Elleneparlepas,elleagit.Jesaisdéjàcequ’ellepensedemoi.

Ilsepenchajusqu’àcequ’ellelesenterespirerdanssoncou.—Oui,concéda-t-il,maislaréactionsingulièredeLily…C’esttoutelle.Violetcommençaàsetournerverslui.—Etnon,poursuivit-il,jenedirairiendepluscarc’esttasœuretjenesuispasidiot.Mais…(Il

marquaunepause.)Non.Çanonplus.Toujourspasidiot.Ellesouritmachinalement.—C’estdurpourelle.Elleaonzeenfants,elledoitd’abordpenseràeux.—Hmm.—Ellenes’enestjamaistrèsbiensortieaveclessombressecrets.Quandnotrepèreestdécédé,

ellearéussiàseconvaincrequelescirconstancesétaientassezéloignéesdecequiaréellementeulieu.

—Hmm.

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— C’est lui imposer beaucoup. Après tout ce qu’elle a traversé avec papa, lui demanderd’accepterça?

Ill’incitaàluifaireface,etluieffleuralenezaveclesien.—Violet,murmura-t-il, il existe unedifférencemassive entre unhommequi se suicide et une

femmequidécouvrelesecretdetouteviebiologique.Lesdeuxentraînentunbouleversement,maislepremiercauselechagrin;lesecond,laréjouissance.

—Mais…j’enfreinstoujoursuneloisocialeinviolée.—Laquelle?s’enquit-ilavecintérêt.—Cellequiprétendquelesdamesnedevraientpasréfléchiràcertaineschoses,niendébattreen

public.—Ah,cellequiditqu’ellesn’ontpasledroitd’êtreintelligentes.(Illuidéposaunfurtifbaisersur

lefront.)Mets-ylefeu,Violet,dansesurlescendres,etmaudisceuxquitedirontquec’estungesteégoïste.

Elleneputs’empêcherdeluisourire.Ilglissalesmainssursesépaules,etelleeneutdesfrissons.—Brûletout,monange,ajouta-t-il.Elleselaissaitséduire,ardemment.Il lapritparlataillepourlarapprocherdelui.Elleavait le

cœurquimartelait,etdesfourmillementsdanslesdoigts.—Etqu’enpenses-tu?murmura-t-elle.—Jetremperaisletoutdansdel’huiledeparaffine.Jetediraisdeprendreuneallumette,bienque

tuaiestoujourseutapropreétincelle.Ellesentittoutsonêtres’embraser,cettefièvrequicommençaitàmontertandisqu’illuicaressait

leflanc.Maiselleserappelaittropbiencesétapes.Ellesavaitcequesignifiaitd’êtredorlotée.Ellenepouvaitrefrénercettepeurquilaparcourutsoudain,lesouvenirimpriméjusquedanssachairdecequisuivaitlapassion.Ellelâchaunsoupirsaccadéetluipritlamainentrelessiennes.

—Sebastian.(Ellesouffla.)Jenepeuxpasfaireça.Ilsefigea.—Fairequoi?—Melaisser…charmer,répondit-elleenreprenantsarespiration.Surtoutparundébauchéaussi

douéquetoi.—Un«débauché».Ils’inclinaenarrièreensepassantunemaindanslescheveux.—Tuemploiescetermecommes’ils’agissaitd’uneespèceidentifiable.—J’enreconnaisunquandilm’embrasse,rétorqua-t-ellesombrement.Illuitouchadélibérémentlahanche,réchauffantsapeausoussarobe.—Cen’estpassisimple,déclara-t-ilenlacaressantdupouce,dansunpetitmouvementcirculaire

quiladéconcentra.Tudoisprendreenconsidérationlaphylogéniedesdébauchés.—Pardon?s’étonna-t-elleenplissant lesyeux.Jevoisceque tufais.Tutentesdemedistraire

avecunsujetscientifique.—Bienentendu,répliqua-t-ilavecunclind’œil.Etçavamarcher.—Avecdelasciencefalsifiée,même,l’accusa-t-elle.Ladébaucheestuntraitdecomportement

quis’acquiert,pasunedésignationd’espèce.—Maintenant,écoute-moi.Leproblème,c’estquetumeconfondsavecleDebaucusindifferentus,

dontlebutestdeposséderautantdefemmesquepossible,indifférentàtoutsaufaufaitqueletrouqu’il utilise soit serré et humide. Ce genre-là ne se soucie guère des risques. La grossesse nel’effleure pas ; les sentiments, la réputation – voire le consentement – de sa compagne ne le

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concernentpas.S’ilpeutsefrayeruncheminentresesjambes,illefera.—Jenotetouteslesanomaliesqueprésentetaclassificationd’espèce.Ilécarquillalesyeuxenfeignantl’innocence.—Parfait,net’arrêtepas;jevaissimplementcontinuerd’enénumérer.Violetremua;ilsouritetpassaunemainautourd’ellepourl’attirerplusprès.—LeDebaucusindifferentus,hélaspourlui,maisheureusementpourlerested’entrenous,aune

espérancedevietrèsbrève.S’iln’estpastuéparlesfemmesqu’ilconvoiteouparleshommesquitiennent à celles-ci, il est souvent emporté par la chaude-pisse. Sa sous-catégorie y estparticulièrementvulnérable.

Violetneputréprimersonhilarité.—Etpuis,ilyaleDebaucusprecauticous,poursuivit-il.—Celaneparaîtpastrèsofficielcommenomenclature,dit-elled’unairdubitatif.—Nem’interrompspas ; tupourrasposer tesquestionsà la fin.Cedébauché-làcomprend les

règlesdu jeu. Ilseborneauxdamesquisontd’accord. Ilutiliseéventuellementdesprotections,oupaiedesdocteurspourexaminersespartenairespotentiellesafindepréserverses…atouts,expliqua-t-ilenhaussant lesépaules.Engénéral,soitprecauticoussepassionnepour lachoseaupointdesemétamorphoserenindifferentus…

—Alorscenepeutêtreunevéritableidentificationd’espèce.Ilnetintpascomptedecetteremarque.—Soitilestsilasdeprendredesprécautionsqu’ilselimiteàune,ouparfoisquelquesfemmes

durantdelonguespériodes.Elleleregardaenfronçantdessourcils.—Ettuseraisdoncunprecauticousauborddelamutation,c’estbiença?Illapoussaàboutdebras.—Enaucuncas,milady,dit-ild’untondignecomplètementdémentiparl’étincellequianimases

yeux.Cesdeuxespècessontpitoyables.— Oh, s’étonna-t-elle en inclinant la tête vers lui. À laquelle appartiens-tu, alors ?Debaucus

giganticus?Ilsouritd’unairsatisfait.—Non,maisc’estbientrouvé.Ilfaudraquejem’ensouviennepourunesous-catégorie.—Debaucusindecentus?— Je suis blessé et offensé. (Il semblait plutôt réjoui.) Tu as certainement entendu parler de

l’humble,dubrillant,dutrèsdemandéDebaucusperfectus?Ilhaussaunsourcil.Ellesepliaendeuxderire.—Jet’enprie,reprit-il, larévérencen’estpasrequiseenmaprésence.Unesimplegénuflexion

suffira.Elleseredressaetseplaquaunemainsurlecœur.— Ne me dis pas que c’est vrai. Serais-je réellement en présence d’un Debaucus perfectus

giganticus?Laisse-moiattrapermonscalpeletprocéderàunedissectionsur-le-champ.—Encoreunefois,cen’estpas lapeine, l’étudeestdéjàachevée.(Ilsefrotta lesonglessursa

veste.)Leperfectusestformé,tuvois,lorsqu’un…Enfin,j’appelleraisçaunhommeordinaire,maisbon…(Ilsourit.)Mêmemoi,jenesaispasfairepreuved’unemodestieaussidélirante.Disonsqueleperfectusseformequandunhommeextraordinairetombeéperdumentamoureuxd’unefemmequ’ilnepeutavoir.

Ellesentitsonhilaritélaquitter.Ilhaussalesépaules.

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—Peut-êtrequ’elleestmariéeàunautre,ouqu’ellenepartagepassessentiments.Ouc’estunveuf,quiaperdul’amourdesavie.

—Tadémonstrationprenduntournantbiensombre,déclara-t-elle.—Debaucus perfectus sait qu’il ne s’éprendra de personne d’autre, pas tant qu’il aura cette

créature-làà l’esprit.Mais iln’appréciepasl’idéedefairedumalàquiquecesoitparailleurs.(Ilbaissalavoix.)Pastantquecettefameusefemmelehante.Sesrendez-vousgalantspourronts’avérermoinsnombreux,maisilagiraensesouciantautantdubien-êtredesespartenairesquedusien.Parceque, bon…, hésita-t-il en détournant les yeux. Peut-être parce qu’il imagine qu’un jour, quelqu’unaura une liaison avec celle qu’il aime. Si c’est le cas, il espère que ce prétendant la traitera de lamanièredontlui-même…

Ilneterminapassaphrase.Violetleregarda.—Sebastian.Tuasétéundébauchétoutetavied’adulte.Ilinspiraprofondément.— Te souviens-tu, le soir de tes noces, quand tu étais nerveuse, et que je t’ai conseillé pour

plaisanterdelarguertonmarietdet’enfuiravecmoi?—J’avaisdix-huitans,dit-elleenluijetantuncoupd’œil,ettoiseize.Tuétaisencoreàl’école.—Oui,bon,répliqua-t-ilendéglutissant.Entoutcas,jeneblaguaispas.Ellenesutquoirépondre.—Sebastian,tunepeuxpasêtresérieux.C’étaitilyaplusdequinzeans.Tuétaisunjeunegarçon.—C’estprécisémentoùjeveuxenvenir.Audépart,j’aipenséqueçamepasseraitengrandissant.

Etàdirevrai,c’estcequis’estproduit.Pendantunepériode.Mais…çam’arepris,avoua-t-ilavecungesterésigné.

Ellesecoualatête.— Au fil des années, poursuivit-il, cela a évolué. Et durant tout ce temps, je n’ai jamais fait

l’amouravectoi.(IlrefermalamainsurlepoignetdeViolet.)Jesaisquecetteseulepenséeteplongedansunepaniquedéchirante.

Elleexpiralentement.Ellesentaitsonpoulsmartelercontrelesdoigtsdesoncompagnon.—Jeteconnais,Sebastian.Tuaimeslesexe,etpourmoi,c’estunpurdésastre.Ilsecontentadeleverunsourcil.—Laisse-moit’endireplussurleDebaucusperfectus.Leprincipedeladébaucheestdeveillerà

cequetoutlemondesoitsatisfaitsanssemettreendanger.Ilyaeuunenuitoùlafemmeavecquijeme trouvais a changé d’avis après êtremontée dans la chambre d’hôtel que j’avais prise pour lasoirée.Nousavonsjouéauvingt-et-un3jusqu’aupetitmatin.

—Tuneluienaspasvoulu?—Aurais-jedû?Auboutducompte,j’aigagnétroisshillings.Noussommesencoreamis,elleet

moi.—Tuplaisantes.—Engénéral,oui.Maisdanscedomaine?LeDebaucusperfectus passebeaucoupde tempsà

apprendre comment trouver satisfaction sans risquer la maladie ou la grossesse. Ça contribue àrendrelaviebienplusheureuse.

—Maisjouerauvingt-et-un?Vraiment?— J’aime que les gens m’apprécient. Quand une dame éclate en sanglots dans la chambre en

prenantconsciencequ’elleneveutplusconclure,onfaitsonbonheurensortantunpaquetdecartes.Ellelevoyaittrèsbiensecomporterainsi.—Enl’occurrence,poursuivit-il,elleraconteraaussiàsesamiesquelamantextraordinairement

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prévenanttues,ellesenparlerontautourd’elles,etavantquetuaiesletempsdet’enapercevoir…Vud’un angle purement égoïste, j’ai remarqué que veiller à ce quemes partenaires repartent avec lesourireauxlèvres–quellequesoitlafaçondontj’ysuisparvenu–esttoujourslebonchoix.

—Mais…Illuiadressaunrictusétincelantenajoutant:—Ilsetrouvequej’aimeaussiénormémentlesexe.Elleexpira,piquéed’unesoudainepointedechaleur.—Mais j’apprécieaussi lesbaisers,déclara-t-ilen l’embrassantauxcreuxdesdeuxseins.Et le

contact. Entre jouer au vingt-et-un et m’échiner à te mettre enceinte, il existe d’innombrablespossibilités.Etjesuistrès,trèscurieuxdedécouvrircellesquiteplaisent.

Elleneparvenaitpasàréfléchir,paspendantqu’illuichatouillaitlapoitrineavecsonsouffleetqu’illatenaitsiprèsdelui.

—Attends, dit-elle. Je n’ai pas encore eu l’occasion de te donnermon avis sur tes prétenduesclassifications.

—Oh?Illuidéposaunautrebaiser.—Cesontdesfoutaises,déclara-t-elle.—Exact,confirma-t-ilavecunclind’œil.Maistusourisàprésent.Toutcelafaitpartiedemon

plandiabolique.—Parcequetuenasun?—Évidemment.Avant la fin de la soirée, je compte t’entraîner dans une partie de vingt-et-un.

Justetoietmoi.Elles’efforçadecachersonhilarité,envain.—Nous allons procéder par étapes, annonça-t-il d’un airmalicieux.Un débauché digne de ce

nomnedégainepassescartesaupremiersignedeconsentement.Àprésent,jevaism’occuperdetondos.

Elle déglutit, songeant simplement à ce que cela induirait.Lesmains deSebastian la caressant,pétrissantsachair,l’enjôlantjusqu’àcequ’ellesedétende.

—Etquesepassera-t-ilquandtuaurasterminé?Ilsepenchaverselle.—Alorsj’arrêteraidetetoucher.Surl’honneurd’undébauché.Elle émit un soupir saccadé. Mais elle savait pouvoir lui faire confiance ; s’il disait qu’il y

mettraitfin,iltiendraitparole.Ilsemitdeboutetluifitsignedes’allongersurleventre.Elleprituneprofonde inspiration et se retourna. Elle était si angoissée par ce premier contact que, lorsque lapaumedeSebastianluieffleuralesreins,ellemanquadebondir.Maisilnedescenditpasplusbas.Ilneluiécartapaslesjambescommeellel’avaitcraint.Ilappuyasimplementsamainsansladéplacer,jusqu’àcequeVioletsedétendepeuàpeu.PuisellesentitlesdoigtsdeSebastianremonterlelongdesacolonnevertébralepouratteindresesépaules.

—Tesmusclessontsiraides.—Jesuisdésolée.—Tun’asaucuneraisondel’être.Çairamieuxsitutedécrispes.Commeça.Il s’agissait d’unmassage très doux, pas de la friction irritée et intéressée qu’un époux aurait

administréeàsafemme–unprêtépourunrenduquihurlaitouvertement:«Regardecequejefaispourtoi;maintenantjeteconseilledem’ouvrirtescuisses,oulaprochainefois,tun’aurasrien.»

—Tupassestouttontempspenchéeau-dessusdecesparterresdanstaserre.Tuasunnœud,juste

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là.Etlàaussi…Enfin,tuvoiscequejeveuxdire.Tutraînestouteslestâchesdelajournéedanstachair.Voyonssinouspouvonst’aideràt’endélesterquelquesinstants.

Elle aurait pu penser qu’il cherchait uniquement à apaiser ces points endoloris. Il avait millepossibilités d’ajouter une touche de sensualité à ses massages.Mais il lui avait promis de ne pasl’importuner, et il s’y plia. Son contact se fit plus chaud, puis plus relâché, et elle dérivaprogressivementdanslebien-être.

Aprèsunmoment,ils’écartad’elle.—Voilà,j’enétaissûr.Tusouris.Ellesetournasurleflancetils’assitàcôtéd’elle.—Mais tuveuxplus,déclara-t-elleenapercevant lecontourdesonérectionsoussonpantalon

pourtantample.Et…Ellecraignaitd’enavouerautant,maisrefusaitdeleluicacher.—…Ettumedonnesenvied’enavoirplus.Cequisignifiedonc…—Celaveutdirecequebonnoussemble,conclut-ilenhaussantlesépaules.Ledésirn’estpasune

fatalité.Noussommesadultes.Cedevraitêtreamusantd’avoirenvie.—Maisquelestlebut?Àquoiconsacrons-nousnosefforts?—Àtonabandontotal,psalmodia-t-il.Elleretintsonsouffle.—Jeneseraipasvraimentvivant,poursuivit-ild’unairespiègle,tantquejen’auraipasfestoyé

detachairvertueuseetsucélamoelledetesos.Elleluidonnaunpetitcoupdanslescôtes.—Trèsdrôle.—Tuvois?C’esttoiquidoutesdemonardeur.Certes,ilprétendaitpourl’instantquec’étaitdrôlededésirer,etqu’ilsecontenteraitdequelques

attouchements,mais après deux semaines, il commencerait à perdre sa bonne humeur. C’est alorsqu’apparaîtraientlesremarquesméprisantessursafrigidité,etsonégoïsmedeserefuseràlui.Illuirappelleraitàquandremontaitsondernierorgasme.Leshommesn’étaientpasfaitspourlecélibat,etSebastianencoremoinsquelesautres.

Elle s’apprêta à répondre, puis se ravisa. « Ce devrait être amusant d’avoir envie », avait-ildéclaré,maiscelafaisaituneéternitéqu’ellen’affrontaitl’idéedelapassionqu’avecfrayeur.C’étaitunoutilretournécontreelle.Pluselles’enéloignait…

—Sebastian,nousnepouvonspascontinuercommeça.—Pourquoipas?Silasituationdevientcritiqueparici,j’aiunemaingaucheenétatdemarche.

(Illuilançauncoupd’œil.)Toiaussi.Ellesecoualatête.—Ahnon?s’étonna-t-ild’unairinnocent.Ehbien,soit.Jepeuxt’aideraveclamienne.Elle expira brusquement à l’idée des doigts experts de Sebastian se glissant entre ses jambes,

jusqu’ensonantrefiévreux,maisilsepenchasimplementpourl’embrasser.

3.Enfrançaisdansletexte.(NdT)

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Chapitre19

C’était le lendemainmatin, et endépit de la convocation fourréedans sapoche– il nepouvaitappelerautrementcettenotelaconique–,Sebastiansesentaitsingulièrementjovial.Ilsouriaittandisqu’onleconduisaitaubureaudesonfrère;mêmel’indifférenceappliquéedeBenedict,lerefusdecelui-cideleverlesyeuxquandilentra,nepouvaitminersabonnehumeur.

Ilavaitprissadécisionlorsdeladernièreentrevueavecsonaîné.Iln’étaitguèrebénéfiquedesequerelleraveclui.Ilavaitfaittoutsonpossible;aucunintérêtdecontrariersonfrère.Lemaîtredeslieuxneluiprêtaaucuneattentiondurantlescinqminutesquisuivirent,etSebastianfinitpars’asseoirenfacedeluietcommençaàsiffler.Cepetitnumérodecadetn’étaitpastrèsreluisant,maiss’avéraefficace.Aprèsqu’ileutreprispourlatroisièmefoisunGodSavetheQueencousudefaussesnotes,l’irritationdeBenedicteutraisondesacapacitéàignorerlaprésencedesonvisiteur.

—Peux-tuarrêterça?demanda-t-ild’untonautoritaireenrelevantenfinlenez.—Quoidonc?Qu’est-cequej’aifait?—Cetaffreuxgazouillis.—Oh,désolé,s’excusaSebastian,avecjustecequ’ilfallaitd’excès.Jen’avaispasprisconscience

quetun’aimaispaslareineVictoria.J’auraisdûchoisirunautreair.—J’apprécielareine…Ils’interrompit,ensouriantmalgrélui.—Non,moncher,tunem’entraîneraspassurcechemin.Soncadetcessadefeindrelanaïveté,etsepenchaenavant.—Pourmémoire,tum’asdemandédeveniricipouruneaffaireurgente;quandj’arrive,tufais

commesijen’étaispaslà.Situn’aspasenviequejejoueaupetitfrèrepénible,lâchetonrôled’aînétropimportant.

Benedictcroisasonregardetsoupira.—À l’occasion,marmonna-t-il, tu as des arguments valables. J’ai songé à ce que tum’as dit

l’autre jour. Sur le fait que, peut-être, je te juge sévèrement. Je me suis demandé s’il se trouvaitquelquebien-fondédanstesremarques.

Sebastianretintsonsouffle.—Oh,alorsjesuissincèrementdésolépourlesifflement.Sonhôtenecillapas.—J’yairéfléchipendantdessemaines,jusqu’àcequejetombesuruneannoncedanslejournal,

ausujetd’uneconférencequetudonnaisàCambridge.Undébatscientifique.Sebastiandéglutit.—Oui,bon.—Tum’avaisditenavoirterminéaveccesactivités.—Oui…Eneffet.Enquelquesorte.C’étaitdavantageune…conclusion,tuvois,enprésentantun

ultimetravail.— C’est ce que je me suis dit. Mais maintenant, je me rends compte que je te cherchais des

excuses.Qu’est-cequec’estqueça,bonsang?Ilbranditsonjournaletluidésignaunavis.

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Remarquesfondatricessurl’héréditédélivréesparMalheurdansdeuxjours.Proposexplosifsetcontroversésassurés.

—Ah,ditSebastian.Bien.Ça.Jevoiscequeçapeutlaissercroire.—«Bien»?répétaBenedictavecincrédulité.«Ça»?—C’est…(Ilsepencha.)Peux-tugarderunsecret?demanda-t-il,emplid’espoir.—Unsecretpotentiellementexplosifetcontroversé?ripostasèchementsonaîné.Çadépend.De

quelgenre?Violetenavaitparléàsasœur.Toutlemondel’auraitapprisd’icideuxsoirs.Etsonfrèreméritait

del’entendredesaproprebouche.Sebastiansouffla.—Montravailsurl’hérédité.Tuavaisraison:jesuisunimposteur.Benedictsedétendit.—Quoi?Quediablemeracontes-tu?—Tesouviens-tudeVioletRotherham?DésormaisVioletWaterfield,comtessedeCambury?—Commentpourrais-jel’oublier,étantdonnéqu’ellevivaitàundemi-miledecheznousquand

nousétionsjeunes?Maisjenevoispasquelrapportelleaaveccetteaffaire.— Ces recherches ne sont pas les miennes, mais les siennes. Et dans quelques jours, nous

l’annonçons.Alors,vois-tu,cetteprésentationneserapasfaiteparmoi,maisparelle.Benedicts’enfonçadanssonfauteuiletsoupira.—Jenecomprendspas.—Touteslesconférencesquej’aidonnéesreposaientintégralementsurlesidéesdeViolet.J’yai

unpeucontribué.Nousavonscollaborésurunepartiedutravail,maisc’estellelegéniescientifique,pasmoi.

Sonfrèresefrottalefrontd’unairdésapprobateur.—Touttetombetoujoursvraimententrelesmains.—Non, pas du tout.À vrai dire, c’était beaucoup de travail. J’ai dû apprendre tout ce qu’elle

savait,et…ah…—Touttetombeentrelesmains,répétaBenedict.MonDieu,tunetedonnesmêmepaslapeine

d’essayer une seule seconde. Comme si des anges descendaient pour te doter de connaissancesscientifiques,saufquecemiracleestaccompliparViolet.

—Oui.Elleesttrèsintelligente,tusais.—Non,jel’ignorais.Commetoutlemondeàparttoi.(Ilseleva.)Honnêtement,commentfais-

tu ? Je me doutais que tu n’étais rien qu’un imposteur, mais pour moi, cette histoire dépassel’entendement.Commesil’universtoutentierconspiraitpourtelaissertricherdanslavie.

— Il se trouve simplement que j’ai toujours apprécié Violet. Et contrairement aux autres, j’airemarquécombienelleétaitmerveilleuse.

Sonaînénerelevapas.—OndiraitqueDieuenpersonnetefourredesaspleinlesmanches,dit-il.Commentfais-tupour

qu’unechosepareilletombeducielrienquepourtoi?—Jenesaispas!Peut-êtreest-ceseulementparcequelesgensm’aimentbien.Benedictcroisalesbrassursapoitrineenledévisageantd’unairfurieux.—Oh, tu veuxme balancer ça à la figure, n’est-ce pas ? Permets-moi de te dire qu’un grand

nombredegensm’apprécient,moiaussi.J’aiénormémentd’amis.—J’ensuiscertain,réponditsoncadet,perplexe.

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—J’aidesrelations,etpourtant,moi,jen’aijamaisbénéficiédumoindrecréditpourl’unedesplusgrandesavancéesscientifiquesdenotreépoque.

Sebastianrivalesyeuxsurlui.Ils’étaitjurédenepasprovoquerdedispute,maisc’enétaittrop.—Quand tu pensais que ces recherches étaient lesmiennes, tu les estimais négligeables.Mais

maintenant que je n’en suis plus à l’origine, elles deviennent « l’une des plus grandes avancéesscientifiquesdenotreépoque»?

Benedictluiadressaunregardimpitoyablequiluidonnaenviedesedétourner.Puisilfrappadupoingsurlatableens’exclamant:

—Merde.Ilsecaladanssonfauteuild’unairaffligé.— Les grossièretés, à présent. Rien de ce que j’ai pu dire jusque-là ne t’a jamais inspiré de

langageordurier,maisça,apparemment,c’estlagouttequifaitdéborderlevasepourtoi.—Non,ripostasonfrère,lesdentsserrées.Écoute-moi.J’aibesoinquetumerendesunservice.Ilavaitlesoufflesaccadé.—Quoi?demandasèchementSebastian.—Tu te rappelles,quand j’aiprétenduquesi jenepouvaisplushurlercontremoncadet, jene

voyaisplusaucunintérêtàvivre?Unelégèrecouchedesueurperlasursonvisage;sonteintsefitcireuxetpâle,sarespirationplus

courteetsuperficielle.Sebastianfutassailliparunfrissonglacial.—Ehbien,poursuivitBenedictd’unairgrave,j’avaistort.Jepréféreraisvivre.Ill’observapuisajouta:—Vacherchercedocteur,s’ilteplaît.Des heures durant, Sebastian attendit, arpentant le couloir jusqu’à connaître par cœur le

grincementdechaquelattedeplancher.Ilavaitlesmainsfroides,etlecœurgros.Lorsquelemédecinsortitenfindelapièce,legentlemanl’accosta.

—Commentva-t-il?—Ilestvivant,etconscient.—Dieumerci,soupira-t-il.—Ilveutvoirsonfils.—Biensûr,biensûr.Jevaisveilleràcequ’onfassemonterHarryimmédiatement.Ledocteurluijetauncoupd’œil.—Vousêtessonfrère,SebastianMalheur?—C’estàquelsujet?—Neprenezpasçapourvous,maisjeluiaiprescritdureposdurantunpetitmoment,etsuggéré

d’évitertoutcequipourraitlecontrarier.—Oh,parfait.Va-t-ilfinalementsuivrevotreconseil?Lemédecinleregardafurtivement.—Oui.Ilpinçaleslèvres,commesurlepointdecommuniquerunenouvelledésagréable,puisreprit:—Ilm’achargédevousdiredegardervosdistancesquelquesjours,jusqu’àcequ’ilsoitsûrque

vousnel’importunerezpas.

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Chapitre20

—Enrésumé,ditSebastian,jecroisqu’aujourd’hui,nousavonsréussiàoffenseroutuertoutesnosplusprochesrelations.

Ilsetenaitdel’autrecôtédesonabritransforméenbureau.Violetsourit,parcequec’étaitcequ’ilsouhaitait;elledevinaitàsonregard,sidistrait,àlabonnehumeurfragilequ’exprimaientsestraits,qu’ils’inquiétaitpoursonfrère.Carlesplaisanteries,mêmelesplusnavrantes,contribuaientàrendrel’horreursupportable.

—Tescousinsnet’ontpastournéledos,fit-elleremarquer.Etjen’aipasencoreparléàmaman,nousauronsdoncunecatastrophetoutefraîchedemain.

—Ah,oui,RobertetOliver.Nouspourrionsbraquertamèredansleurdirection.Siquelqu’unestcapabledelesfairefuir,c’estbienelle.C’estdéjàunmiraclequenousayonsdesamis.

—Toiseulpeuxblagueràunmomentpareil.—Deuxjoursavantquelaterreentièrenedécouvrelavérité?Ilesquissaunlargesourire,commes’iln’yavaitqu’elleaumonde,quetoutcequicomptaitétait

laparoleetlesinquiétudesdeViolet,etquelessiennesétaientinexistantes.—Jefaisaisréférenceàlamaladiedetonfrère.Ilremplitunverredebrandyetleluiapporta.—Profitedelavie,caraprès-demain,nousseronsdespestiférés.Elle luiadressaunautre regardencoin,maisnefitaucuncommentaire.S’ilvoulaitprendre la

situationàlalégère,quiétait-ellepourl’enempêcher?—Parle pour toi, dit-elle, d’un tonnéanmoinsdésinvolte.Demain, je l’annonce àmamère. Je

crainsçaplusquetout.Aprèsl’avoirvue,affronterleresteressembleraàunebaladeauparc.—D’autantplusd’excusespourboire.Ilpoussadenouveauledigestifverselle,etcettefois,elleleprit.—Tuessaiesdemegriser,dit-elle.—Pourarriveràmesfinsavectoi.Elle sentit son cœur marteler à ces propos qui ne semblaient pourtant pas sérieux. Mais ses

angoissescommençaientàs’estomper.Sebastianavaitpassélesderniersjoursàlatenirdanssesbras,sans aucune exigence, comme s’il savait que cette panique se dissiperait dès qu’elle se seraitréaccoutuméeaudésirmutuel.

—Unjour,j’aibuunedemi-bouteilledeliqueurdechardon,lança-t-elle.Situcroisqu’unpoucedebrandyvam’achever,tutemetsledoigtdansl’œil.

Elleinclinaleverreenarrière.Leliquideambréluibrûladélicieusementlalangue.Sebastiannebuvait rien. C’était ce genre de petit signe qu’il fallait relever pour le comprendre. Il souriait etplaisantaitaussiassidûmentqued’autresauraientportédescravates:telunaccessoireànepasôter,saufencompagniedesesintimes,etencore,s’ilyétaitcontraintetforcé.Ilavaitracontél’histoiresursonfrèreavecdésinvolture,évoquantsuccinctementlaquerelleetlesparoleséchangéesavecunsimple« ilétait furieux,etavait toutes les raisonsde l’être»,etexpliquantqu’ilavaitmis finàsavisite en allant chercher le docteur. Il n’avait fait aucun commentaire sur ses sentiments, commeréticentàpartagersoninquiétude.

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—Tun’aspasdeverre,déclara-t-elle.—Non.—Viensdonctejoindreàmoi.Ilallas’asseoiràcôtéd’elle.Violetpritunelonguegorgéedesondigestif,puisleposa.Avantde

perdresoncourage,ellel’embrassa.Leurslanguesserejoignirentdansunmélangeentêtantdefièvreetd’alcool.Ill’attiracontrelui.Elleauraitpuseperdredanssongoût,sachaleur.Maiscettefois,ellevoulait que ce soit lui qui s’abandonne. Elle laissa évoluer ce contact doux et rassurant, puis luicaressaletorse;uneivresseplusentêtantequelebrandys’emparad’eux.Lebaiserdurajusqu’àcequ’elle se sente presque grise. Lorsque la saveur du spiritueux s’atténua, elle s’écarta de soncompagnon.

—Tuvois?dit-il.Un tourpendable, c’est ceque tu risquesenembrassantundébauchédemastature;jen’aipresquerienàfaire,ettuteséduistoi-même.

Ellesepenchaenavant.—Oh,jenediraispasça.J’étaisdéjàconquise.Elleétaitassezprèsdeluipourvoirsespupillessedilater,etentendresonsouffle.Toutefois,cette

réactionfutrapidementmasquéeparunlargesourire.—Etilsuffisaitdedeuxgorgéesdebrandy?J’auraisdûessayerçailyadesannées.En temps normal, elle aurait paniqué de songer à ce qu’elle allait faire. Mais qu’elle en soit

l’instigatrice changeait tout. Elle posa les mains sur les épaules de Sebastian, et les fit descendrelentementsursapoitrine.Ilexpira.

—Etpourtant,jesuislà,dit-elle.Jetelaissemetenir,jefrissonnedèsquetumetouches.Quandjetrembleàl’idéedeparleràmamère,tuesceluiquimefaitrire.Quandjesuisamusée,jemetournevers toi enpremier, parceque je sais que tu comprendras la blague.Alors, oui,Sebastian, j’ai étéséduite.

Ilinspiraprofondément.—Duranttoutescesannées,poursuivit-elle,jen’aijamaiscompriscombienc’étaitimportantque

tumefassessourire.Maisàprésent,c’estàmontour.Tuméritesd’êtrecharmé,affirma-t-elled’untonplusfiévreux.

—Çanetecoûterapasbeaucoupd’efforts,jepeuxtel’assurer,déclara-t-ilendéglutissant.MaisViolet,es-tusûreque…

—Dececi,oui.Elle se mit à genoux devant lui, et chercha à tâtons sa braguette. Elle était consciente en la

déboutonnantqu’ellen’étaitpasaussiexpérimentéequelui,quesesgestesserévéleraientmaladroitsetqu’ildevrait laguider.Maisàlafaçondont ilretintsonsouffle,celanesemblaitguèrecompter.L’essentielrésidaitlà:cethommeluiavaittantdonnétoutescesannées,dusoutien,del’amour,qu’ilméritaitluiaussidetellesémotions.Lorsqu’elleeutenfinbaissélepantalondeSebastian,elleputseconcentrersurletrophée:leDebaucuserectus. Ilavait lepénisduret large,quisaillaitdebiais. Ilrespiraitparsaccadestandisqu’ellelecaressait.Elleexploralégèrementlasurface,douceaupremierabord,maisétonnammentfermelorsqu’elleapprofondissaitlecontact.

—Violet,sembla-t-ilobligédedire.Tun’aspasàfaireça.—Jesaisbien,répliqua-t-elled’untonunpeurude,maisj’enaienvie.Il lâchaunsoupir.Puis,avantdeperdresoncourage,elle lepritdanssabouche.Seigneur.Elle

n’enavait jamaissaisi leprincipeauparavant.D’aprèscequ’elleavaitentendumurmurerparmilesfemmes mariées, cette pratique se résumait à une pâle imitation de relation sexuelle. Mais d’unecertaine façon, cela s’avéraitmêmeplus intime que les rapports.Elle pouvait parcourir les veines

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avecsalangue,apprécierladouceurdugland,presserlavergeetécouterSebastianhaleter.Illuitouchalatêteetenfouitlesdoigtsdanssescheveux.—Dis-moi,chuchota-t-elle,àquoipenserais-tusituteservaisdetafidèlemaingauche?—Àtoi,toutletemps,répondit-ild’unevoixrauque.Tun’aspasidéedunombredefoisoùj’ai

rêvédetoi,combienjet’aidésiréeaufildesannées.(Ilmarquaunepause.)MonDieu.Voilà,continuecommeça.

Elle fit de nouveau tourner sa langue sur l’extrémité du sexe, et sentit Sebastian se raidir, lesmainsagrippéesàsesépaules.

—Parfois,jem’imaginaisdébarrasserl’unedetestablesdetravaildetoussespots,pourteposersurlebord,retroussertesjuponsetteprendre.

Elles’interrompitetrelevalatête.—Attends,tuvoulaisfairequoiavecmesplantes?—C’estunesimpledivagation!Sinousdevonsvraimentergotersurlesujet,jedoutequetrois

planchesdeboisposéessurdestréteauxpuissentrésisterànosébats.—Bon,admettons.Maischoisisunautreexemple,jevaismedéconcentrerenpensantauxdétails.Ilémitunpetitrire.—Tesouviens-tudenotretrajetentrainpourallerassisteraumariaged’OliveràNewShaling?

(Elleacquiesça.)Tum’ignorais,ettut’esappliquéeàneparlerqu’àMinnie,saufquandtut’eslevéepourallerdixminutesdanslecouloir.Tuasprétenduvouloirtedégourdirlesjambes,ilmesemble.Je t’observaispendantque tu faisais lescentpas,et j’ai songéà te rejoindre,expliqua-t-ild’un toninquiétant.Jemesuisimaginéplaquermamainsurtabouche;tuauraisalorssucequejevoulais.

Elleenfutexcitéerienqu’àypenser.Ellesepenchaetlerepritdanssabouche.Ilétaitencoreplusduretturgescent.

—Je t’aurais retournée contre lemur, à cet endroitmêmeoù aucun autre passager nepouvaitt’apercevoir.

Ill’agrippaparlesépaules,secouépardesmouvementsdebassinpresqueinvolontaires.—Jevoulaisteprendrecommeça,toutsimplement,chuchota-t-il.Avecunemainencoupesous

tesseins,etl’autreplusbas.Ilavaitcommencéàalleretvenirdanssabouche,lesouffledeplusenplussaccadé.— Et Seigneur, poursuivit-il d’une voix caverneuse, c’était si bon d’être en toi dans ce rêve.

Commemaintenant.Violetn’avaitjamaiséprouvéuntelsentimentdepuissance.—Je te faisais jouir trois fois,aupointqu’à la fin tumemordais lepoignetpour te retenirde

crier.C’estalorsqu’ilseretira.Ilsecaressabrièvementpuissortitunmouchoir,etl’enroulaautourde

songlandjusteavantdegémir,levisagecontractésousl’effetd’unviolentorgasme.—Dieuxduciel,Violet.Ilinspiraprofondémentàdeuxreprises,incitasacompagneàsereleverpours’asseoiràcôtéde

lui,etpassasonbrasautourd’elle.Ill’embrassaavecunefouguequilafitfrémir.Àcetinstant,ellepritconsciencedetoutcequ’ilavaitretenu,decedésirbrutqu’ilavaitaccumulé.

—Aieconfianceenmoi,luimurmura-t-ilàl’oreille.Jeneteferaipasdemal.Ilétaitfaciled’acquiescerenétantaussiconsuméed’envie.Ilsemitàgenouxparterredevantelle,

etluiappuyafortementsurleventre.Elleleregarda,enproieàunesoudaineincertitude.Soncœurs’emballa,mais sapassionne s’étaitpasdissipée.Elle releva lesyeuxversSebastian, incapabledeparler ou d’agir, oscillant entre la peur et l’impatience.Mais il ne la maintenait pas en place, ne

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déployaitaucuneviolence.Ilremontadoucementsesjupes,laissantl’airfraiscaressersesjambes.Ils’assit sur ses talons et, avec une infinie lenteur, lui écarta les cuisses. Elle se sentait exposée,vulnérable.Elleentendaitrésonnerlavoixdesonmari.«Tueségoïste.»Aucontraire,elleméritaitcela.

—Belle,douce,brillanteViolet.Mabien-aimée,àquoipenses-tu?—Àtoi,etàmoi.—As-tudesdésirsparticuliersàconfesser?Elles’étaitefforcéedesannéesdurantderéprimersur-le-champlamoindrerêveriequiosaitlui

traverserl’esprit.Ellesoupira.—Ouallons-nousenexaucerundonttutesouviendras?—Unseul,chuchota-t-elle.Celuiquejen’aijamaisréussiàeffacer.Pendantqu’elleparlait, il luiécartaunpeupluslescuisses,etsepenchaenavant.Ellesentait le

souffledeSebastiansursapeauetserralespoingsavecfébrilité.—Dis-m’enplus,murmura-t-il.—Maistues…—Ah,raconte-moi.—Ilmeparaîtsipuéril,comparéauxtiens.Ilposaleslèvressursonsexe.—Sebastian…Oh,Seigneur,jenesuispassûre…—J’arrêteraisitumeledemandes.Etnet’inquiètepas,iln’yariendepuérilàça.Jet’écoute.Elle ne parvenait pas à saisir ce qu’il faisait avec sa langue,mais sentit des ondes de chaleur

irradierdesonclitoris.—Oh…,suffoqua-t-elle.—Poursuis,dit-il,etjeferaipareil.—Ilnes’agitpasde…sexe.Chaquefoisque jepensaisà lapénétration, jem’efforçaisdevite

chassercetteidée.Ilexerçaitunelégèrepressiondupouce,l’incitaitàs’ouvriràlui.—Rienàvoirnonplusaveclemoindrecontactphysique.Ill’agrippaitdésormaisàdeuxmains,sedélectantd’elleavecavidité.—Etças’estréellementproduit,expliqua-t-elle.C’estdoncunsouvenirplutôtqu’uneenvie.Il allait la trouver si faible et insipide.Mais… oh. Il glissa un doigt en elle. Elle s’interdisait

depuis si longtemps de songer à cela. Elle s’aperçut qu’elle se figeait, que toutes ses craintes etangoissesremontaientensurface.Ilavaittoujourslabouchesurelle,maismurmura:

—Net’arrêtepas.—C’étaitquelquesannéesaprèsledécèsdemonmari.Avantcela…jenepensepasquej’aurais

été capabled’éprouverdudésir,mêmeassaillie par unehordededébauchés résolus àme séduire.Nousavionseuunediscussion,toietmoi.Et…Jenemerappelleplusàquelsujet…Entoutcas,j’aiditquej’étaisunmonstre,ettuasrépondu…

—«Non,Violet,sesouvint-il,tuesbrillante.Etj’aimeraisquetoutlemondelesache.»Illaléchaitinlassablement.Leplaisirlasubmergea,difficileàréprimer.—Voilà, confirma-t-elle, c’est ce quim’enfièvre ; l’idée deme confesser à quelqu’un sans le

fairefuir.J’aimisdesannéesavantdemerendrecomptequejem’étaisouverteàunepersonne,etqu’ellen’avaitcessédemerépéterque…

Ellesesentitalorsvolerenéclats,fermalesyeuxetlaissal’orgasmedéferlerdansunevaguequiemportaittoutsursonpassage.Puiselles’allongeasurledos,frissonnante,enattendantqu’ilprofite

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decemomentoùellen’auraitpaslaforcedeserefuseràlui.Mais,bienentendu,ilnebougeapas.Ils’agissait de Sebastian, il ne lui ferait jamais de mal. Elle le savait depuis tout ce temps, et lecomprenaitclairementàcetinstantprécis.

—Merci,dit-ild’untongrave.Ellepritlamainqu’illuitendait,puisilsehissapourallerseloveràcôtéd’elle.Ilglissasonbras

autourd’elleavecuneaffectionnaturelle,etluicaressalecouduboutdesonnez.—J’avaisbesoindeça,souffla-t-il.Ilneprononçapasunmotsursonfrère.Ellen’évoquapassamère.—Demain…, poursuivit-il. J’ignore ce que les gens penseront ou diront,mais nous pourrons

arrangerleschoses;tantquenoussommesensemble,çanepeutpasêtresidramatique.Ill’enlaçaetajouta:—Jet’aime.Il semblait anormal à Violet d’accepter cette déclaration, de le laisser l’aimer alors que tout

pouvaitencoretournersimal.Ellefrissonna,maisillaserracontrelui.

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Chapitre21

Même le souvenir de cette soirée ne parvenait pas à réchauffer Violet le lendemainmatin. Lamaison de sa mère avait toujours eu l’air plongée dans l’obscurité. Ce jour-là, elle était toutbonnementsinistre.Onavaittirélesrideauxàmoitiépourseprotégerdusoleilestival.Lemobiliersombreabsorbaitlepeudelumièreautoriséeàfiltrer.Letoutconféraitàlademeureunaspectfroidethumide,telleuneforêtdanslebrouillard.

Violetavaituneidéeassezprécisedelatornadequ’elleallaitdéclencher.Ilétaitcertaineschosesqueladouairièrenepardonneraitjamais.Cettefemmesipragmatique,quis’étaitoccupéed’elleetluiavaitapprisàtricoterquandsonpèrel’avaitrenvoyéedesaserre,allaitdétestercequ’elles’apprêtaitàluiavouer.Malgrésesinquiétudes,lacomtesseredressalesépaulesàl’entréedusalon.Elleadressaunsignedetêteauvalet,commesiderienn’était,etentraprestementdanslapièce.

—Mère,dit-elled’untonrespectueux.Labaronnelisaitunpapier,assiseàunetable.Elleportaitd’épaisseslunettes,ettenaitpourtantle

documentàunedizainedecentimètresdesonvisageenyportantleplusgrandintérêt.Violetrefusadeselaisserdistraireparlavuedéclinantedelanobledame.Elleétaitlàpourannoncerunenouvelle.Ellepritplacedevantlebureausansattendred’yêtreinvitée.Samèrenebougeapas,semblantdéjàconnaîtrel’objetdesavisite.Aprèsquelquesminutes,elleposalentementlesfeuilles.

—Violet,prononça-t-elleavecunemoue,commesiceprénométaitdésagréableenbouche.Quefais-tuici?Pourquoimeregardes-tuainsi?

Ilétaitàprésentinutiledementiroudemystifier,commelesrèglesl’exigeaient.—Parcequevousallezêtrefurieusecontremoi.Lamaîtressedemaisonarquasessourcilsblancs.—Oh,vraiment?s’étonna-t-elleenrepliantlepapierdansungestethéâtral.Ehbien,nerestepas

assiselàcommeunenigaude.Raconte-moicequidevraitmemettretellementencolère.—C’est…,hésitasafilleeninspirantprofondément.C’estausujetdecevieuxscandaledontnous

avonsparlél’autrefois.—Cettebagatelle?(Elleparlaitd’untondésinvolte,maissamaintressautait,agitant le journal

commeunéventail.)Dieuxduciel,nousn’avonspasbesoind’évoquercedétail.Jecroyaisquenousétionsd’accordsurcepoint.

—Malheureusement,maman…Ellen’arrivaitpasàlaregarderdanslesyeux.—…c’estnécessaire,reprit-elle.Voyez-vous,cetteaffairevadevenirtrèspubliquesouspeu.—Pasdutout,rétorquasamèred’untoncurieusementcatégorique.Donne-moijustelenomde

celuiquicomptelarévéler,etj’emploieraitoutmonpouvoiràledétruire.Violetavaitlagorgesèche.Elleavaittoujoursétél’enfantdécevante.Lilyavaituneprogéniture,

unbeaumariage.Elleétaitjolie,chaleureuseetfranche.Ellen’avaitjamaisàsimuler.Àprésent,sonaînéeallaitserendreencoreplusdétestable.

—C’estmoi,parvint-elleenfinàavouerd’unevoixrauque.Labaronneécarquillalesyeuxetlâchaunsoupirsaccadé.—Toi?demanda-t-elled’untonchevrotantquitrahitsoudainsonâge.Tuvasenparleràtoutle

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monde?Mais…Violet…Pourquoi?—Parcequej’enaiassezdevivreunmensonge.—Cen’estpasuneraison.Es-tuaussilassed’exister?Contrairementàtasœur,jepensaisquetoi,

tucomprendrais.—«Lassed’exister»?répétaVioletensecouantlatête.Jesaisquetoutecetteaffaireasuscitédes

menaces, mais je ne les estime pas sérieuses. J’ignore si Lily me pardonnera, et je vais devoirprocéderàquelqueschangementsdansmavie,mais…

—Oh,sansaucundoute,sifflaladouairière.Etc’estpourLilyquetut’inquiètes?J’aiduchagrinpourelle,maiscen’estpasvousquirisqueriezlapendaisonpourmeurtre.

Lajeunefemmesefigea.Elleposalesmainsàplatsurlatable,abasourdie.—Sérieusement,maman,parvint-elleàarticuler.Memenacez-vousdemortparcequevousjugez

utiledebrandirunehyperboleàuntelmoment?Samèren’explosapasderagecommeelles’yétaitattendue.Aulieudecela,ellesourcillad’un

airméditatif,enl’observantcommesiellelavoyaitpourlapremièrefois.Ellerenifla,lenezenl’air,etinclinalatête.Aprèsdelonguesminutes,ellesepenchaenavant.

—Violet,murmura-t-elle,es-tuentraindemedirequetuneparlaispasde…hum,tusais.Cettechosedontnousavonsdiscutél’autrejour?Enfin,cetévénementteconcernant,quis’estdérouléen1862?

—Si,évidemment.Bienqueleterme«événement»soitunpeu…Jeconçoisquecelapuisseêtredéroutantsivousn’yavezpasassistédèsledépart.Toutacommencécetteannée-là,maisçanes’estjamaisarrêté.

—OhmonDieu,lâchaladouairière.Ellesecaladanssonfauteuil.Étrangement,elleparaissaitsoulagée.—Alors…Peuimporte,poursuivit-elleaprèsavoirsoupiré.Oubliecequejeviensdedire.Peut-

êtreveux-tumeparlerdesautresaspectsdece…ah,cettechosedontjen’aipasététémoindepuisledébut.Çapourraitmefairechangerd’avis.

Violetrivasurellesonregardleplussévère.—Mère.—Oui,machère?—Vousn’avezaucuneidéedecequej’évoque,n’est-cepas?Dois-jecomprendrequedepuistout

cetempsnousfaisonsallusionàdeuxscandalesdifférents?— Je sais très bien de quoi tu parles, répliqua la baronne avecmépris. Et dès que tum’auras

confié tous lesdétails, jeseraid’autantmieuxinformée.(Ellereleva lesyeuxverssafille.)C’estàproposde…Enfin,bon,c’estévident.

Dieuxduciel.Ellen’étaitfinalementpasomnisciente.Violetignoraitsielledevaitrireoupleurer.Ellequipensaitpouvoirfaireunesimpleannonceetprendrecongésouslesvitupérationsdesamère.Impossibledepréserversadignité,désormais.

—Peut-être,dit lanobledamed’unair songeur,que tupourraismedonnerquelquesélémentssupplémentaires,justepourquenoussoyonssûresquenousparlonsbiendelamêmechose.

—Ehbien,interrompez-moidèsquej’abordeunterrainquivousparaîtfamilier.Ladouairièresouritd’unairchagriné.Ilsepourraitqu’ellenetehaïssepas,songeasoudainla

comtesse.Puiselleréprimavertementcesvieillesespérances.Ellenesupporteraitpasunenouvelledéception.Elleinspiraprofondément.

—C’estausujetdeSebastianMalheur.—Aurais-tuuneliaisonaveclui?Parcequecen’estpassigrave.Enfait,jelesoupçonnemême

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d’êtreassezdouédanscequ’ilfait.LevisagedeViolets’embrasa.— Quoique…, reprit la baronne. Si cela dure depuis 1862… Depuis… avant la mort de ton

époux?Vraiment?Celaneteressemblepas.—«Unedamement toujoursausujetdesavieamoureuse»,citaplacidement la jeunefemme,

malgré ses joues empourprées. « Si ses relations sont douteuses, se confier l’exposera auxcommérages.Siellessontappréciables,leclaironnernesusciteraquedelajalousie.»

Lamaîtressedeslieuxrenifladiscrètement.— Quoi qu’il en soit, poursuivit-elle, il ne s’agit pas de cela. Connaissez-vous le travail que

Sebastianaprésenté?—Pasbien,maisd’aprèslepeuquej’enaientendu,c’estplutôtintelligent,réponditsamèreen

haussantlesépaules.Celaindignebeaucoupdemonde,maiscommenombred’autresvérités.Violets’armadecourageavantd’annoncer:—Cenesontpassesrecherches,maislesmiennes.Unsilencedeplombs’ensuivit.— J’ai écritmon tout premier papier sur les gueules-de-loup en 1862. Sur leur couleur, et la

raisonpourlaquelleilnepouvaitexisterunelignéepuredegueules-de-louproses.J’aiessayédelefaire publier sousmon propre nom,mais il n’étaitmême pas lu.Nous avons décidé queMalheurl’enverrait,etavantdenousenrendrecompte…(ellefitungesteévocateurdelamain)nousétionsimpliquésjusqu’aucoudansunecollaborationsecrète.J’accomplissaisletravail,etilleprésentait.

Samèreladévisageait,impassible.—J’auraisdûprêterplusd’attentionàsesrecherches,déclara-t-ellelentement.Jenem’étaispas

aperçuequ’il…enfin,quetuavaisécritsurcesfleurs-là,figure-toi.Sijel’avaissu,j’auraiscomprisplustôt.

—Maisilenaassez,iln’aimepasvivredanslemensonge,etpourtoutdire,moinonplus.J’aipenséuntempsquejepourraisabandonner,maisjeviensdedécouvrirquelquechosedenouveauetde si important que je brûle de le révéler au monde entier. J’y tiens. (Elle en avait les mainstremblantes.)Jesaisquelorsquelavéritééclatera,quandlesgenssaurontquejesuisderrièretoutça,ma réputation sera anéantie. J’ai écrit des articles qui traitent des rapports sexuels et des organesgénitauxchezlesanimauxetlesplantes.Çavadéclencherletollégénéral.Jesuisconscientedememontrer terriblement égoïste, demettre en péril la dignité de notre famille, et… (ellemarqua unepause pour reprendre sa respiration) peut-être que vous ne m’adresserez plus jamais la parole,maman,maiscesrecherchessontlesmiennes,etjeveuxêtreentendue.Jememoquedecequevousendirez,oudesmenacesquevousproférerez.Jeveuxquemontravailmesoitrendu.

Jusqu’àcequ’ellel’énoncehautetfort,elleignoraitàquelpointellelesouhaitaitetcombiencelacomptaitpourelle.

—Jeveuxmonnomsurcesthéories,qu’onsachequej’ensuisàl’origine.J’aidisparupeuàpeu,mavoixs’estévanouieaufildesannées.J’exigederécupérercela.

Sa mère se couvrit la bouche, les yeux écarquillés. Violet ne l’avait jamais vue ainsi à courtd’arguments.Illuifaudraitquelquesinstantspourassimilertoutecettehistoire,maisdèsqueceseraitlecas…

Lajeunefemmesubissaitsesréprimandesdepuislongtempsdéjà.Ellesavaitdoncexactementcequelabaronnes’apprêtaitàdire.Unconflitallaitnaîtreentreelles.

—Violet,jen’enavaispaslamoindreidée.Lacomtessebaissalatête,incapabledesoutenirsonregardunesecondedeplus.

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—Jesuisdésolée,dit-elle.J’auraisdûvousenparleravant.—Certes,etsansattendre,rétorqualadouairièreentapotantlatableduboutdesdoigts.Situme

l’avaisavouésur-le-champ,nousaurionsfaitquelquechosepourcepremierpapier.Safillerelevalementon.— C’est pourquoi je ne vous ai rien dit, je refusais que vous interveniez. Je voulais que

l’informationéclateaugrandjour,etsivousl’étouffiez…—Dieuxduciel,l’interrompitsamère,médusée,pourquelleraisonagirais-jeainsi?—Je…Jenesaispas.—Non,àl’évidence.Monenfantvientdem’avouerqu’elleestlaplusgrandeexperteenhérédité

detoutl’Empirebritannique.Crois-tuvraimentquej’aienviedegarderçasecret?Oh,Seigneur, c’était trop.Tout ce queViolet ne s’était jamais permis d’espérer, etmaintenant,

plusencore.Ellesentitsesyeuxpiquer.— Je veux en informer tout le monde dans les moindres détails ; toutes ces femmes qui

compatissaientàmonégardparcequejen’avaispaseudefils,aucunprochesusceptiblederéussirquoi que ce soit. Je veux qu’elles apprennent que ma fille est plus intelligente que toutes leursprogénituresréunies.

Violetétaitauborddeslarmes.Elleémittoutefoisungloussementdepursoulagement.—Nousprotégeonscequiestnôtre,ajoutaférocementsamère.Etcetravailestletien.Tuvasle

reprendre.—Oui,maman.— Nous allons trouver la meilleure façon de procéder. J’ai des idées, déclara la baronne en

fronçant les sourcils. Je l’admets, cela n’aura aucun effet bénéfique sur ta réputation sociale,maisbon,quisesouciedecegenredeproblème?Lily,jesuppose.

—Elleadesexcuses,voussavez.Samèrebalayacetteremarqued’ungeste.—Ellen’aaucunsensdespriorités.Quelintérêtd’avoiruneimageimmaculéesicelaimpliquede

nepouvoirrevendiquerdesdécouvertescommelestiennes?Ceseraunevéritablemiseenscène,etnousauronsbesoind’autrespersonnespourfairelameilleureannoncepossible.TuesamieavecladuchessedeClermont.Ellesembletrèsaimable.Tesoutiendra-t-elle?

—Oui, réponditViolet,presqueprisedevertige.Elleestdéjàdans laconfidence.Enfait,nousavonsunplan.

—Quandauralieutaconférence?—Demainsoir.Lanobledameouvritdegrandsyeux,maisnelasermonnaguère.—VousallezdonctousmonteràCambridge?Safilleacquiesça,craignantquesavoixnechevrote.—Nous n’avons donc pas de temps à gaspiller dans des conversations inutiles. Allons, dit la

baronneenselevant.Violet eut l’impression d’avoir ouvert un placard où elle s’attendait à des étagères vides, pour

finalementlesdécouvrirgarniesdetoutesanourriturepréférée.Maisundernierdétaillatracassait.Elletenditlebraspourattraperlamanchedesamère.

—Attendezuninstant.—Nousn’avonspasuneminuteàperdre,nousdevons…Lajeunefemmetirasurlevêtement,etladouairièresetut.—Ilyaunautrescandale,ditViolet.

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—J’ignoretotalementàquoitufaisallusion.—Ils’agitdequelquechosequim’estarrivéen1862.Labaronneaffichaaussitôtuneexpressionimpassible.—Jenevoisvraimentpasdequoituparles.Maissoudain,Violetcomprit.«Cen’estpasvousquirisqueriezlapendaisonpourmeurtre,avait

déclarélavieilledame.Çamedégoûte.J’enaidescauchemars.»—Mère,quandmonépouxestmort…—C’étaitunaccident.Nousdevonsnousmettreenroute.—Oui,biensûr,ditlajeunefemmeenrassemblantsesesprits.Mais…voyez-vous,j’aigardéun

lourdsecretàcetteépoque:j’avaissubiunnombreincalculabledefaussescouches.Lanobledamepinçaleslèvres.—Tumediscelacommesijel’ignorais.Jesaisàquoiressemblel’unedemesfillesquandelle

estenceinte,etjesuiscapablededéduirequesiaucunbébén’apparaît,c’estqu’ellel’aperdu.— Je vois, ditViolet, hésitant sur lamanière de poursuivre.Vous saviez, je suppose, quemon

docteuravaitfiniparprévenirmonmariquenousdevionsrenonceràessayerd’avoirunenfant,carcelaauraitpumecoûterlavie.

—Sijelesavais?C’estmoiquiaisuggéréqu’ilenparle.Cetidiotdemédecinallaitsetaireettelaisser ce problème sur les bras. Je lui ai dit que tu étais en danger, n’importe qui aurait pu s’enapercevoir.Tut’affaiblissaispetitàpetit.

—Ah…Etvousavezremarqué,j’imagine,que…monmarinevoulaitpass’arrêter.(Unelueuranimalesyeuxdesamère.)Aprèscetavertissement,j’aifaitdeuxautresfaussescouches.S’iln’étaitpasdécédé,j’enauraissubidenouvelles.

— Oui, j’en étais consciente. Après la dernière, tu es restée alitée trois semaines. J’ai cru teperdre,Violet.

Cettedernièrehochalatête,incapabledeprendrelaparole.Labaronnesedétourna.—C’estunenferd’êtremère,desesentirdémuniepoursauverceuxqu’onaimeplusquetoutau

monde.Unedameestcenséeprotégerlessiens,maiscomment?Lajeunefemmes’efforçaderépondre:—J’aivéculamortdemonépouxcommeuncadeauinattendu.Jemetrouvaisignobleetégoïste

d’éprouveruntelsentiment,commesijeneméritaispasderécupérermavie.Jenesavaispas…Etdirequ’elleavaitprislesallusionsdesamèreàlapendaisonpourunehyperbole.—Allons,Violet.(Elleluitapotalamain.)Lachutedetonépouxdansl’escalieraétéuneterrible

tragédie. Nousmanquerions affreusement de tact en qualifiant cet événement de providentiel. Unedameévitetoujourslavérité,quandcelle-cis’avèremaladroite.

—Maman,je…jenesaispasquoidire,déclaralajeunefemme.Ladouairièresecontentadehausserlesépaules.— C’est la première règle : je protège ce qui est mien. Et toi, murmura-t-elle en lui posant

gentimentlamainsurlebras,tufaispartiedesmiens.

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Chapitre22

Retrouve-moiàCastein’sBooks,surEustonRoad.

Tontrèshumbleserviteur,Sebastian

LemessageavaitétédélivréenmainspropresàViolet,lelendemainmatinà7heures.Elledevait

donnersaconférencecesoir-là;elleavaitprévudes’entraîner,etdepartirensuitepourCambridgeàmidi avec sa mère et ses amis. Mais dès qu’elle lut ces mots, son cœur s’emballa d’effroi. Elledemanda sonmanteau et son fiacre, puis quitta immédiatement lamaison. Ce fut seulement àmi-cheminqu’illuivintàl’espritdeseméfier.Lilyn’essaieraitquandmêmepasdel’empêcherdefairesaprésentation?Maisnon,ils’agissaitdel’écrituredeMalheur,avecsasignaturebrouillonne.Parailleurs,«tontrèshumbleserviteur»faisaitpartiedeleurcode;danscecasprécis,celasignifiait«viensenurgence».LasœurdeVioletn’auraitjamaissudevoirutilisercetteformule.Sebastianvinteffectivementau-devantdesonfiacrechezCastein.

—Bien,dit-il.Nousn’avonspasunesecondeàperdre.Renvoietavoiture.Elles’exécuta.Ilplaçalamaindesacompagnesursonbras,etcommençaàmarcherdanslarue

animée.—Nousn’entronspaschezCastein?—Non,c’étaitunsubterfuge.Elles’affola.Ilsoupçonnaitdoncunpiège.—Pouréviterqui?Il ne semblait pas l’entendre, et se borna à la guider sur le trottoir, traversant avec agilité une

maréed’individusquidéferlaientdelastationdeKing’sCrossdevanteux,puisungrouped’hommesenchapeaumelonquiseruaientversleurlieudetravail.

—Sebastian,insista-t-elle,dequinousprotègecetteruse?—Pasletemps,luimurmura-t-ilàl’oreille.Jet’expliqueraiplustard.Ill’emmenaàl’intérieurdelagare.Ellefutassaillieparlesodeursdefuméeetd’huiledemoteur,

maisMalheurpoursuivitsonchemin.Ilscontournèrentlesvendeursdejournauxetdetourtes,puissedirigèrentversunquaioùdeswagonsseremplissaient lentement. Il lui lâcha lebras,puissortitsamontreàgoussetqu’ilconsultaavantdeplisserlesyeuxverslagrandehorloge.

—Sebastian,est-cequenousattendonsquelqu’un?—Oui.—Qui?(Elles’approchadelui.)Quesepasse-t-il?Dois-jem’inquiéter?—Non,non,répondit-ild’unairabsent.Pasencore.Voilàquin’auguraitriendebon.—Vas-tumeprésenteràquelqu’un?TonprofesseurBollingall,peut-être?Ou…OhmonDieu,

situasprévudemefairerencontrerCharlesDarwindansunegare,jevais…—Accorde-moiunpeudecrédit,parpitié,répliqua-t-ilensouriant.Tuneverraspascemonsieur

avantcesoir.

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Voilàquin’étaitpasdutoutréconfortant.Maisavantqu’elleaitl’occasiondepaniquercommeilsedevaitàcettenouvelle,leconducteursifflapuiscria:«Toutlemondeàbord!»Lemoteurleplusprès d’eux se mit à gronder. Et le temps que Violet comprenne ce qui se déroulait, Sebastian lasoulevaparlataille,etladéposadansletrain.

—Quoi?Pourl’amourduciel…Ilmontaetclaqualaportederrièreeux.—Maisqu’est-cequetufabriques?Ellelepoussa,maisilbloquaitl’uniquesortie.—Toutesmesexcuses,machère,dit-ildansunrictuséclatant.Cesubterfugetevisait.—Comment?—Surprise!s’exclama-t-il,rayonnant.Jet’emmèneauborddelamer.—Jeneveuxpasallersurlacôte!Jedonneuneconférencecesoir.Jedoism’entraîner!Unsifflementdevapeurretentit;letrains’ébranlaenavant.—Non.Jet’aidéjàentenduelaréciteràlaperfectionàquatrereprises.Quetularépètesnefera

riend’autrequeterendrehystérique.Un second sifflement ; le train prenait de la vitesse en se balançant de droite à gauche.Violet

croisalesbras.—Facileàdirepourtoi.Tut’esprêtéàcetexercicedescentainesdefois,pasmoi.—Bien sûr que si. Tu as assisté à toutesmes présentations, tum’as observé, et tu connaissais

chaquemotquiallaitsortirdemabouche.—Çacompteàpeine.Personnenemeregardait.Ildétournalesyeuxensemordantlalèvreinférieure.— Soit,mes raisons sont purement égoïstes. Jusqu’ici, j’étais le seul à savoir ce dont tu étais

capable. Après ce soir, tout lemonde en sera informé. Est-ce si détestable dema part de vouloirpassercesdernièresheuresavectoi?

—Oh.Elle marqua une pause. Il lui adressait une expression emplie d’espoir, si innocente, quoique

ardente,quemêmeellen’avaitpaslecœurassezdurpourrefuser.—Jesuppose…,commença-t-elleàdireavecréticence,avantd’apercevoirunelueurtriomphante

dansl’œildesoncompagnon.Non!Espècedegoujat!s’écria-t-elleenlebousculant,hilaremalgréelle. Je t’ai presque cru.Tu étais à deuxdoigts dem’avoir avec tonhabituel « oh, aie pitié de tonpauvreSebastian».Tunesongeaisàriend’aussisentimental.

—C’estvrai,admit-il.Jecherchaissimplementàtefairesourire.Tut’inquiètestrop.—Ettuesincorrigible.—Exact.Maistamèreestentraindecollectertespiècesàconvictionpendantquenousparlons.

Tun’asaucunsouciàtefaire,tuvasêtrebrillante.Elletentadeluiadresserunregardnoir.—Tut’esenfuiavecmoi,etnoussommesàbordd’untrainàdestinationde…Oùallons-nous,

d’ailleurs?— King’s Lynn. Nous prendrons celui qui part en début d’après-midi pour Cambridge, et

arriveronsavecquelquesheuresd’avance.— Je n’ai pas mes notes avec moi, hasarda-t-elle faiblement. Comment suis-je censée les

consulter?—Si tu y tiens vraiment, nous avons un changement àCambridge de toute façon. Tu pourras

toujoursdescendrelà-basetattendretamère,quidevraitarriverunedemi-heureplustard.Tupeux

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alleràlamaisonetangoisserjusqu’àlanausée.Ou…(Ilmarquaunelonguepauseetluifitunclind’œil.)Ou tu peux faire comme si je ne t’avais pas donné le choix, et te promener sur les quais,respirerl’airmarinetprendredubontemps,engrommelantdudébutàlafinquetoutestmafaute.

Ellel’examinad’unairposé.—Toutesttafaute,confirma-t-ellesévèrement.Sij’osemêmeesquisserlamoitiéd’unsourire,tu

enserasentièrementcoupable.L’expression réjouie qu’il affichait se flétrit brusquement. Il tapota les poches de sonmanteau

plusieursfois,puisinspectacelledesongilet,etenfinsonpantalon.Ilpritalorsunairinsondable.—Yaurait-ilunproblème?s’enquitViolet.—Jouonsunpeu,proposa-t-ild’untontropcalmeetmesuré.Voiciunedevinette:Sebastiana-t-il

penséàprendreavecluilesbilletsretour?L’espaced’uneseconde,ellefaillittomberdanssonpiège,calculantrapidementlecoûtdutrajetet

lamaigresommequ’elleavaitsurelle.Puiselleledévisagead’unœilmauvais.—Trèsdrôle.—Jenepeuxpasendireautantdetoi,déplora-t-ilensourcillant.Commentas-tucompris?Ellehaussalesépaules.— Tu feins seulement d’être distrait, mais c’est évident que tu as organisé tout ça dans les

moindresdétails.Tun’auraisjamaiscommisuneerreuraussistupide.Sebastian la fit rire quatre fois, soit une par heure ; quand ils étaient au sommet d’une tour et

contemplaient la mer, quand ils marchaient sur les quais et regardaient les mâts suivre lesmouvementsdelahoule.Chaqueminutedebonheurqu’elleéprouvaitétaitunevictoirepourlui.Etpuisqu’elle avait elle-même instauré la règle interdisant de parler science – celui qui s’y risquaitdevaitacheterdesglacespourlesdeux–,illasoupçonnades’êtreréellementamusée.Laconsignefutenfreintedélibérémentàdeuxreprises.

Sur le chemindu retour, la jovialité deViolet se dissipa, cédant la place à des froncements desourcilsetàuneconcentrationextrême.Sebastiann’osapasladéranger.IllaconduisitàsademeuredeCambridge,etseretiradanslasienne.Sonhumeurs’assombrit.Iln’avaitpasvoulupenseràcequipourrait se produire.Mais il ignorait comment les gens risquaient de réagir à cette révélation. Ilsouhaitaitquetoutsepasseaumieux,maiscraignaitlepire.Sil’assembléerecevaitlanouvelleavechostilité, à quoiViolet serait-elle exposée ? Il serait incapable de la protéger de cela, et unepetiteexcursionàlamernepanseraitpascegenredeblessure.

Cefutdanscettedispositionmorosequ’ilsemitenroute.C’étaitl’été,ilfaisaitdoncencorejourà presque 20 heures. Il arriva seul sur les lieux. La foule était rassemblée en force à l’extérieur.Depuis des années il donnait ses conférences dans des salles combles, et cette soirée ne ferait pasexception,comptetenudelafaçondontelleavaitétéannoncée.Ilyavaitdéjàplusd’unecentainedepersonnesdehorsmuniesdespanneaux.«ÀbasMalheur»;«OuiàDieu,nonàl’évolution».Ilavaitaussisesadmirateurs.«NoussommesavecMalheur»,disaitunegrandebanderolebrandieparungrouped’étudiantsdeCambridge.

Sebastiandescenditdesonfiacresouslesrugissementsdelafoule.—Merci,merci!Ilinclinalatête,etportalamainàsonchapeaudansungestethéâtral.—Scélérat!hurlaunefemme,enjetantunnavetdanssadirection.Le tubercule vola et rebondit sur les pavés pour aller taper contre le bout de sa chaussure.

Sebastianfitunsigneverssavoiture.Ils’étaitpréparéàcela.Unvaletapparutetinstallauntonneau

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parterre.—Jevoisquenombred’entrevoussontvenusarmésdelégumes,cria-t-il.Vousavezsûrement

entenduparlerdemoninitiative:sauvezvotreâme,sauvezlespauvres.Cespropossuscitèrentdesregardsinexpressifs.—Si vous avez la bonté de déposer votre nourriture dans cette barrique, nous veillerons à ce

qu’ellesoitdistribuéeauxnécessiteuxdelaparoisse.On le visa directement au crâne avec une pommede terre. Il l’intercepta juste avant qu’elle ne

l’atteigne.—Précisémentcommececi!(Illâchaleprojectiledansletonneau.)Mercipourvotregénéreuse

contribution.—Quoi?Qu’est-cequ’ildit?— Mais évidemment, ma gratitude vous est inutile. Vous agissez seulement comme tout bon

chrétien:vousnourrissezlesindigentsetlesaffamés.Ilbaissadenouveaulatêteet,avantqu’ilsnerecommencent,sedirigeaprestementverslasalle.

Violet entra quelques minutes plus tard, sans le regarder, en tenant sa mère par le bras. Il clignatoutefoisdel’œildanssadirection,etmarchaversl’avantdelapièce.

—Jameson,dit-ilaubotanisteàcheveuxblancsassisaupremierrang.Vousfaiteslaprésentationaujourd’hui,jeprésume?

—Oui,monsieur.Souhaiterez-vouslaformulationhabituelle?—Enfait,jepensaism’encharger.Ils’efforçadeluiadresserunsourireenjôleur.L’hommesourcilla.—Vousprésentervous-même?Cela…nesefaitpas,monsieur.—Trèsbien,réponditSebastianensoupirant.IlvitfurtivementRobertpénétrerdanslapièce.Ilétaitseul;Minnien’aimaitpaslafoule,ets’il

s’ensouvenaitbien,elleavaitvécuunefâcheuseexpérienceàl’unedesesconférences.OliveretJanesuivirent ; ilsavaientemmenéFree. IlsencadrèrentVioletetsamère, formant tousunpetitgroupedétenduetsouriant.

—Vouspourriezenvisagerdefairecourt,proposaSebastian.Toutlemondemeconnaîtdéjà.Uneoudeuxphrases,sivousn’yvoyezpasd’inconvénient.

—Trèsbien,monsieur.Aprèscela,ilnerestaitplusqu’àattendre,letempsquelessiègesseremplissent,jusqu’àceque

l’horlogeannonce20heuresetque les retardatairesaientprisplace. Jameson s’approchad’unpastraînant.

— La conférence de ce soir vous sera donnée par Mr Malheur. Inutile de vous le présenter,puisquesesdécouvertesscientifiquessur l’héréditésontconnuesde tous. Jevous laissedoncensacompagnie.

Sebastianselevaetcontemplalamultitudedevisages,dontcertainsluiétaientfamiliers.Ilavaittoujoursvusesdiscourscommeunesortedeblaguesecrète,queseulsVioletetluicomprenaient.Àcetinstant,iléprouvaitunsentimentdegravité,etsaviesemblaits’êtreresserréeautourd’unpointcentral.Chacunede sesplaisanteries l’avait amené surcetteestrade,où il s’apprêtait à annoncer lavéritéaumondeentier.Ilinspiraprofondément.Satâcheétaitfacile:ilsuffisaitdedésignerViolet,etdelaregarderbriller.

—MrJamesonn’yestpourrien,dit-ild’unevoixforte,maiscetteprésentationétaitlittéralementerronée.Cen’estpasmoiquiprendrailaparoleaujourd’hui.

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Unevaguedemurmuressurprisparcourutlepublic.— Je n’ai jamais rien découvert sur l’hérédité des caractéristiques, à part quelques éléments

insignifiantssurlaViola.Etjesuisicipouruneseuleraison:vousprésenterlapersonnequevousauriezdûconnaîtreavant.

Il ne pouvait la regarder en prononçant ces mots, toutefois conscient qu’elle se trouvait aupremier rang. Il ressentait vivement lemalaise et l’espoir qui habitaient sa compagne. Un silenceincrédulerégnaitdésormaisdansl’assemblée.

—Jusque-là,onm’aattribuélestravauxsurlesquelsportaientmesconférences,maisenréalité,j’ai eu davantage un rôle d’assistant. Permettez-moi doncde vous présenter l’auteure de toutes lesrecherchesquej’aipuvoussoumettre.Sesremarquablesthéoriessontàlabasedetoutcequej’aidit,à l’exception,biensûr,decequin’étaitpaspertinent.Cettepartie-là,précisa-t-ilavechumour, j’ensuisl’uniqueresponsable.

Il observa alors son amie. Elle écarquillait les yeux, bouche bée. Il ne put s’empêcher de luisourire,puisreportasonattentionverslepublic.

—JevouslaisseentrelesmainsdeVioletWaterfield,comtessedeCambury.Miladysera…Lafoulesemitàgronderdestupéfaction.—Est-ceuneplaisanterie?demanda-t-on.Ilss’apercevraientbienasseztôtqu’ilétaitsérieux.Dèsqu’elleprendrait laparole, ilsverraient

combienellemaîtrisaitsonsujet.—Milady, lançaMalheurdans levacarme,va faireuneconférencesur sadernièredécouverte,

quiest,vousleverrez,laplusexcitanteàcejour.L’espaced’uneseconde,ilcrutqu’elleallaitêtremalade.Rivéeàsonsiège,ellegardaitlesyeux

baissés,haletante.MaisJaneluiserrachaleureusementlamain.Samèreluitapotalegenou.Lajeunefemmeinspira,sonteintverdâtresedissipa,puisellesemitdebout.Elles’approchadel’estrade,seretourna,et…ellesourit,commeseulSebastianl’avaitvuesourireauparavant,avecuneférocitéetunepuissancequiemplissaientlasalle.

Ilnes’agitpasd’uneblague,semblaitexprimercerictus.Vousallezdevoirvousaccommoderdemoiselonmespropresconditions,àprésent.Soncomplicen’avait jamaisétéaussi fierd’elle. Il sefaufilaverslaplacequ’elleavaitlibérée,etseglissaentreJaneetlabaronne.

—Mesdamesetmessieurs,dit-elle,rayonnante.Aujourd’hui,jevousprésentelechromosome.Jusque-là,soncompagnonétaitleseulàavoircontemplécettefacettedeViolet,dénuéed’épines

etlittéralementexubérante.Audiableceuxquil’avaientjugéedisgracieuse.Cesoir,elleétaitbelle.—Vousnesavezpasencorecequec’est.Permettez-moidecommencerenévoquantletravailde

mescollègues.MrMalheurcompteparmieux,etilasous-estimésaparticipation.Jen’auraisjamaisaccompli tout ceci sans ses longues et exhaustives recherches sur les Violas, comme vous leconstaterez. Je rends le même hommage à Mr Bollingall, professeur ici à Cambridge, dont lacontributions’estavéréevitale.

Ellenenommapersonned’autre,etSebastiansupposaquec’étaitvolontaire.ElleavaitpassédesheuresàendébattreavecAlice.Puisellefut lancée,sanshésiternifaillir.Etmêmesi legentlemanentendait un couple murmurer, ou plutôt gémir derrière lui, parce que cette substitution deconférencierscontrariaitvisiblementleursplansgrotesques,iln’avaitd’yeuxquepourelle.Elleétaitlittéralementincandescente.

Un homme eut la grossièreté de quitter la salle au bout de vingtminutes,maisViolet n’en futguèredéstabilisée.Malheurétaitàpeuprèscertainqu’ellenel’avaitmêmepasremarqué.AumomentoùellemontralesagrandissementsdesphotosqueMrsBollingallavaitprises,leschuchotementsne

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portaientplussursonsexe,maissursontravail.Lorsqu’ellefutarrivéeàlaconclusiontriomphaledeson discours, Sebastian n’était pas le seul à l’acclamer debout. Il prit à peine conscience quel’individuquis’étaitretiréplustôtétaitvenuseposteràcôtédelui.Jamesonfinitparfairesigneaupublicdereprendreplaceensilence.Lesgenss’exécutèrentàcontrecœur.

—Voilà qui était fort éclairant, déclara-t-il. Et je suis persuadé que nous pourrions poser desquestions pendant des siècles. Mais l’emploi du temps ne nous accorde que vingt minutes. Alorsmessieurs,sivous…(Ilsecoualatête,confus.)Mesdamesetmessieurs,voulais-jedire…

LevoisindeSebastiannes’étaitpasrassis;ilavaitunemoustacheridiculeetunpapieràlamain.Ils’approchasoudaindel’estradeenannonçantd’unevoixtonitruante:

—Iln’yauraaucunequestion.—Quiêtes-vous?s’enquitJamesonenfronçantlessourcils.— JohnWilliams, officier de troisième classe pourCambridge, se présenta-t-il en brandissant

dansungrandgestesondocument.Auvudecequis’estdéroulécesoir, j’aiobtenuunmandatdujuge.

—Unmandat?s’étonnal’hôtedudébatenavançantd’unpas.Violetrecula.—Oui,unmandatd’arrêtconcernantunecertaineVioletWaterfield,pour incitationà l’émeute,

attentatàlapudeur,obscénitésettroubledel’ordrepublic.

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Chapitre23

L’assembléeabsorbaVioletetl’agentcommeuneamibedéployantsespseudopodesautourd’unmorceaudenourriture.Uneamibe,songea-t-elleavecfébrilité.Undecesmachins-trucsquil’avaientconduitesurcetteestradeallaitàprésentl’enéloigner.Elleavaitconsciencedeneplusêtretrèssained’esprit.

Ilsserendirenttousenmasse4autribunal,àquelquesruesdelà.Danslafoulequilasubmergeait,lajeunefemmenerepéraaucundesesproches.Ellen’avaitpasencoresaisicequis’étaitpassé.Ellereconnutl’officier.Ils’agissaitdeWilliam,l’hommeavecl’épousegeignardeàvoixhautperchée.Àn’enpasdouter,ilavaitdûattendreuneoccasiond’intervenirainsidepuisdessiècles.

—Jesuiscomtesse,luimurmura-t-elletandisqu’ilslamenaientàlacour.J’auraivotreinsignepourcela.

Illaregardad’unairdétendu.— J’ai dû m’absenter pour rectifier le mandat, finit-il par dire. J’avais prévu d’impliquer

Malheur, mais vous ferez l’affaire à sa place. J’en ai assez de ces perturbations. Si ce travaildiaboliqueestlevôtre,j’espèrequevousappréciezdevousvoirqualifiéedecriminelle.

Ilétaitmêmeparvenuàameutertroismagistrats;ilssedressaientfaceàelle,l’airsolenneldansleursrobessombresetleursperruquesblanches.

Avantquelaprocédurenedébute,lamèredeViolets’avança.—VosHonneurs,riennevousautoriseàretenirmafille.LemandatmentionneVioletWaterfield,

maisvotreofficieraoubliédevousinformerqu’elleétaitcomtessedeCambury.Entantquepairesse,ellenepeutêtrepoursuiviepouruncrimequ’àlaChambredeslords.

Leshommesdeloiéchangèrentsoudaindesregardsdubitatifs.—Seigneur,marmonnal’und’eux,queldésordre.—Est-cequesonmariestlà?demandaunautre.—Ilestdécédé.—C’estdoncunecomtessedouairière?—Non,répliqualabaronne.LenouveaucomtedeCamburyaonzeans.Unmagistratsourcilla,tandisquesonconfrèresemassaitlefront.—Lesprivilègesdepairiereviennent-ilsauxveuves?—Commentlesaurais-je?Nousn’avonsencorejamaispoursuividedameissuedelanoblesse.Ilsseconsultèrent,etlorsqueleurconciliabulepritfin,l’hommequisetrouvaitaucentreabattit

fermementsonmarteau.—Cette cour suspend la séance jusqu’à demainmatin, afin de déterminer qui doit juger cette

affaire.(IlsetournaversViolet.)Milady,jesupposequenouspouvonscomptersurvotreprésence?—Bienentendu,répondit-ellelatêtehaute.Jeserailà.—Nousaussi,danscecas.L’audienceestlevéejusqu’àdemain9heures.—Jenepeuxpaslaissercelat’arriver.Sebastianglissa lesmainsdanssespoches,etysentit lepoidsréconfortantde labilledeverre.

Violetsetenaitdanssaserre,queleclairdeluneinondaitdelumière.

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—Jenevoispasquelschoixs’offrentànous,déplora-t-elleencroisantlesbras,leregarddanslevague.RobertetOliverdiscutentdequestionslégales.Mamanaprisdesdispositionspouravoirunconseil juridique. Nous ignorons ce qui se passera demain. Comment pouvons-nous éviterl’inconnu?

Elleétaitextrêmementcalme,aussiimmobilequ’unchêne.Pasunefeuillequibruissait.Sebastiannecomprenaitpasqu’ellepuisseresteraussipaisibledanscettetempête.Ilnesavaitpasquoidire,nicommentlaréconforter.Maisildevaitàtoutprixarrangerlasituation.

Elleenroulasesbrasautourd’elle.Seigneur,ilauraitdûêtreceluiquilaprotégerait,quiluidiraitcequecela signifiaitdeprendre laparole.S’il avait fait laprésentation lui-même…Il était le seulresponsable, et allait empêcher cette condamnation. Elle se tourna vers lui, la figure lumineuse,dénuéedetouteaccusation.

—Jesaisquejedevraism’inquiéter,dit-elle,maismonDieu,Sebastian,est-cequetum’asvue?Elleémitunrireravi.—Oui,répondit-ilenlaprenantparlesépaulesd’unairattendri.Tuasétéépoustouflante.Il aurait été si facile de pencher la tête pour rencontrer ces lèvres qu’il ne méritait pas

d’embrasser.—Maisnousdevonspenseràdemain,ajouta-t-il.— Hmm, murmura-t-elle avec désinvolture. Je dois admettre que j’ai du mal à croire ce qui

pourraitarriver.J’ail’impressionquecettesoiréen’estquelerêveétrangedequelqu’und’autre.—C’est curieux, j’ai lamême sensation. (Il prit son visage en coupe.) Comme un cauchemar

qu’onsubitàmaplace.—Ça,c’estplutôtridicule.— Non, répliqua-t-il en inspirant profondément. Violet, écoute-moi. Tout est ma faute. J’ai

échauffé les espritsdemesdétracteurs.Est-ce si étonnantqu’ils aient finipar réagir ?C’est àmoiqu’ilsveulents’enprendre,pasàtoi.

Ellesedétournaensourcillant.—Mêmesic’estvrai,c’estseulementparcequ’ilspensentquetuesmoi.C’estuncerclevicieux,

Sebastian.—Sic’esttoiquiavaisdonnécesconférences,tuauraissutemontrerunpeuplusréfléchie.—Peut-être…Probablementpas.Tuastoujoursétédouépourbalayerlacritiqueavechumour.

J’aivu toncoupdu tonneau,aujourd’hui, c’étaitbrillant. Jenecroispasqu’unseuld’entreeuxaitcompristonpetitcommentaireacerbesurlefaitdenourrirlespauvrescommedebonschrétiens.

Ellericana.—Violet,prendsçaausérieux.Ilsvontt’envoyerenprisonpourte–pournous–bâillonner.Je

neleslaisseraipasfaire.Lesilences’abattitdansl’obscuritéquilesenveloppait,etsoudain,elleredevintcechênesombre

etimperturbable.—Ilyaquelquechosedontjeparlepeu,confia-t-il.Terappelles-tuquandmasœurCatherineest

morte?—Projetéedesoncheval,ditViolet.—Oui.Ehbien…j’aiétéledernieràlavoir.J’étaisenhautdugrenieràfoin,entraind’observer

uneportéedechatons,quandelleestentréedanslesécuries,enpleurspourjenesaisquelmotif.Jel’ai observéedepuis l’étage, et j’ai penséque si je luimontrais cesbestioles, ça lui redonnerait lesourire.

—Sebastian,tudevaisavoircinqansàl’époque.

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—J’aidécidédeneriendire,pourlaplusstupidedesraisons:j’étaistropaffairépourdescendre.Si je l’appelais, je risquaisd’effrayer lamèredespetits.Etcen’étaientquedes larmes, après tout.Alorsjemesuistu,etjel’airegardéepartir.

—Tunepeuxpast’envouloir.S’envouloir?C’eûtététropsimple.Ilsecoualatête.—Non,cen’estpasça.Maiselleétaitbouleversée,etneprêtaitpasattentionàcequ’ellefaisait…—Ils’agitd’unterribleaccident,ettun’avaisaucunmoyendedevinercequiarriverait.Mêmesi

tuavaisprononcéunmot,çaseseraitcertainementdéroulédecettemanière.—Peut-être,concéda-t-ilensedétournant.Maiscen’estpassûr.Toutcequim’estvenuàl’esprit

quand j’ai appris, c’est : «Laprochaine fois,montre-lui les chatons. » (Il inspirapéniblement.) Jesupposequec’estàcelaquejem’appliquedepuis.Sijepeuxtirerunsourireauxgens,jelefais.Jenemesensvraimentpasbienquandonmequittemécontent.

Ellemarmonna,maisilluiposadeuxdoigtssurleslèvres.—Çame dérange de voir un visage soucieux si je peux y changer quelque chose.Violet, que

crois-tuquej’éprouveraidemainsituesreconnuecoupable,etcondamnéeàunepeinedeprison?—Jedoutequ’onenarrive là.Lesavocatsdisentque lespairesses, tantqu’ellesnesesontpas

remariéesaprèsledécèsdeleursépoux,nepeuventêtrepoursuiviespouruncrimeendehorsdelaChambredeslords.

—Ilsontégalementprécisé,opposa-t-ild’unairgrave,quetupouvaisl’êtrepourdélitmineur,parcontre.

Ellegardalesilenceunlongmoment.—Ehbien,sic’estlecas,jenepeuxrienfaireàpartrépondreauxaccusations,n’est-cepas?Ilsoupira.—Etsitun’échappespasàtoutcelamalgrélecharabiajuridiquequ’Oliver,RobertetMinniete

concoctent, annonce-leur que ce n’était qu’uneplaisanterie dont je suis l’instigateur ; que tu as étéassezbêtepourmefaireconfiance,maisquejesuisl’uniquecoupable.

Elleneprononçaplusunmot,ets’écartadelui.Ellesetournaverssondomicile,oùunefenêtreétaitéclairée.Sabouchetressauta.

—Quoi?lança-t-elleavecunetouchededédain.Ettefairejeterenprisonàmaplace?Commesij’allaismepermettreunetellelâcheté.

Ilsavaitqu’elleregimberait.—Parailleurs,ajouta-t-elle,çaneferaitquenousmettretouslesdeuxencause.—Ilssauterontsurcetteoccasion.Jeproposeraideplaidercoupableàconditionqu’ontelaisse

enliberté.—Cequiimpliquequejedevraimentirpoursauvermapeau,déduisit-elleenretirantsesmains

dessiennes.Tumeconnaismieuxqueça.—D’abord,cen’estpasunmensonge,maislavérité,trèslégèrementmodulée.—Plutôtdéforméecommeuncaramelmou,lâcha-t-elle.—Deuxièmement,reprit-ilensortantdesapochecequ’ilavaitapporté.Pourcequeçavaut…Je

nem’attendaispasàcequetuapprouvesmonplan…Donc…Il exhiba la bille qu’il avait conservée dumariage d’Oliver. Elle la regarda scintiller dans sa

paumesouslalumièredelalune.—Mêmelesgagesontdeslimites,souffla-t-elle.— Les limites de l’amitié, poursuivit-il en la dévisageant. Quelle est la profondeur de notre

relation,Violet?

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Ellesedétournadelui,enseplaquantunemainsurlefront,troublée.—Nousnousconnaissonsdepuistoujours,dit-il.Jet’aimedepuistantd’annéesquejenesaurais

les compter. Je sais que tu as commencé à éprouver… (il déglutit) lesmêmes sentiments quemoirécemment,mais…

—Depuispluslongtempsquetunel’imagines,déclara-t-elled’unevoixrauque.— Si je compte un peu pour toi, laisse-moi me rendre utile. Ne m’oblige pas à les regarder

t’emmeneralorsquejepeuxchangerleschoses.Laisse-moifaireçapourtoi.Ellelevadesyeuxécarquillésverslui.—Maisjedoisdonctevoirpartir?—Neréfléchispasdecettefaçon.Ilsnepeuventpasmefairedemalsijetesaisensécurité.Tues

moncœur,Violet,cequej’aideplusimportantdansmavie.Qu’ilsmejettentenprison,etj’iraiavecunsourireetunbonmot.Jenesupporteraispasdetevoirsouffrir.

—Mais…Illuicalalabilledanslecreuxdelamain.—C’esttoiquiasétablilesrègles:avecça,jepeuxdemandercequejeveuxdansleslimitesde

l’amitié. Trahir cette parole ternirait le nom de tout ce qui existe entre nous. Prends-la, Violet, etlaisse-moifaireçapourtoi.

Elle observa la bille un instant comme si elle avait rivé les yeux dans ceux d’un serpent, puisrefermasesdoigtsdessusengrimaçant.

—Dieumerci,lâcha-t-il.Tuneveuxpassavoiràquoij’auraisétécontraintsituavaisrefusé.Elleneréponditrien,etsecontentadefourrerl’objetdanslapochedesajupe.—Bon.Jepensequenousdevrionsessayerdedormirunpeu.Elleluiposaunemainsurletorse.—Crois-tuvraimentqu’aprèsm’avoirditça,tuvaspouvoirt’échapperaussifacilement?Ilsentitsagorges’assécher.—Jenevoudraispasabuser.—Au contraire, répliqua-t-elle d’un air taquin. Tu affirmes que tum’aimes, que tu ferais tout

pourmeprotéger,ettuimaginesquejevaissagementregagnermonlittouteseule?Quelgenrededébauchées-tu?

—Debaucusamorosus.Elleneréagitpasàcettedéclaration,etétudiadenouveaulasphèredanssamain,enparaissantse

demanderqu’enfaire.—Sebastian,situdevaisavoirdesrapportssexuelsavecmoi,maisquetunetiennesabsolument

pasàmemettreenceinte,commentt’yprendrais-tu?Unaccèsdechaleurleparcourut.Ileutenviedel’attirercontrelui.Maisellesedétournaitencore.—J’utiliseraisuneprotection.Étantdonnéquecen’estpasinfaillible,jemeretireraisaussijuste

avantlemomentcrucial.Mêmecespratiquescomportentdesrisques,quisontminces,certes,mais…Violet,jeneveuxpas…

Biensûrqu’ildésiraitcelaplusquetoutaumonde.—Situnesouhaitaispas…,poursuivit-il.Tudisais…Àprésent,ellesoutenaitsonregard.Quepercevait-ildanssesyeux,delatristesse?Del’avidité?

Elleluiadressaunlentsourirehésitant.—J’ai eupeur,murmura-t-elle. J’ai craint que, parceque le sexeme faisait l’effet d’unegifle

avecmonmari,celanepuissepasêtreunacted’amouravectoi.Quecelanemeconcernejamais.—Violet.

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Ilbrûlaitdedésir,ilvoulaitl’embrasser,maisnesavaitpass’ilpourraits’arrêter.—Emmène-moidanstonlit,susurra-t-elle,etprouve-moiquejenedoisplusavoirpeur.

4.Enfrançaisdansletexte.(NdT)

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Chapitre24

— Je n’ai pas demandé à endosser la responsabilité en échange de ta reconnaissance, déclaraSebastiantandisqu’ilsretournaientdanssamaison.

Dansl’obscurité,depetitesroncesseprenaientdanslesjuponsdeViolet,commesilesbuissonsavaientvoululaprévenirquec’étaitunetrèsmauvaiseidée.

—Jel’aifaitparceque…Ellesetournaverslui.Ilsétaientarrivésàlarangéed’arbresquiséparaitleursdomaines.Ellelui

posaunemainsurleslèvres.—Sebastian.Ils’arrêta.—Violet,jeneveuxpastefairedemal.— Je ne peux pas mener une vie sans risques, répliqua-t-elle. J’ai essayé. Une telle existence

revientàmedirequejenevauxpaslapeinedetentermachance,nemeprometaucunespoirpourl’avenir.

Lelendemain, ilsesouviendraitqu’elleavaitprononcécesparoles,et lesconsidéreraitsousunautreangle.Maispourl’instant…

—Sileschosessedéroulentcommeprévu,poursuivit-ellesansdévoilerplusdedétails,jeneteverraipeut-êtrepaspendantuncertaintemps.

—Nedramatisonspas.Aupire,ilsmedemanderontdeprécisersijeplaidecoupable;leprocèsviendraunpeuplustard,etpendantcetemps-là…

—Mepréciserquenousavonsunenuitoutroisnechangerien.Cen’esttoujourspasassez,pourmoi.

Elle inspiraprofondément.Ellenes’étaitpassentieaussivulnérablesur l’estrade,alorsqu’elles’apprêtaitàchangerlemonde.

—Sebastian,jenesaispascequejeferaisanstoi.Illuiavaitdemandél’autorisationd’assumerlaresponsabilitéaunomdeleuramitié,etdetoutce

qu’ilspartageaient.Ellen’allaitpasluidéclarerqu’ellel’aimait,alorsqu’elleétaitsurlepointdeluirefuserlaseulechosequ’ilavaitimploréeauprèsd’elle.

—Demain…Ellel’empêchadepoursuivre.—N’enparlonspas.Jeneveuxpenserqu’àcesoir.Illâchaunsoupirardentetl’attiracontrelui.—Seigneur,Violet.Jenedevraispasaccepter.Jedevrais…—Memenerjusqu’àtonlit.Aulieudecela, il lapritpar lescoudes, l’attiracontre luiet l’embrassa.Ellesemblaità lafois

avideetimpossibleàsatisfaire.Elleétaittropconscientedesonfortgoûtdecafé,desesmainssurelle,laparcourantpourluiagripperlesfessesetlapressercontrelui.Soussarobe–Dieumerci,elleavaitpasséunetenueplusconfortablenenécessitantaucunecrinoline–,ellesentit leurshanchessetrouver.Ilbrûlaitdedésir,etl’idéequ’illaprenne…Unepointedefrayeurlatraversa;ellelachassarapidement.Sebastianavaittoujoursétédeceuxquidonnentsanslimites.Enfin,ilyavaitunechose

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qu’ellenelelaisseraitpasluioffrir.Elleprendraitsestendresbaisers,sescaresses,sachaleur.Maisellenel’autoriseraitjamaisàlaprotégerauxdépensdesonproprecœur.

—Violet,monmerveilleuxamour,murmura-t-il.—Sebastian.Non,ilneseraitpasleseulàoffrir.Elles’écarta,uniquementpourluisaisirlamainetl’emmener

chezlui.Ilspénétrèrentdanslademeurecommedescriminels,sefaufilantparlaportedesonbureau,puisempruntantl’escalierdesdomestiques,enévitantleslumièresdelabibliothèqueoùdiscutaientsûrementleursamismalgrél’heuretardive.Ilsseglissèrentdanssachambre.Dèsqu’ilseurentferméderrièreeux,ill’embrassadenouveau.

—Arrête-moi,dit-il,dèsquetulesouhaites…—Cen’estpaslecas.Illuidéboutonnasatenueetlafitglisseràsespieds.Ilséchangèrentunautrebaiser,etcettefois,

sesmainsremontèrentjusqu’àlapoitrinedeViolet,quieneutlachairdepoule.Ildélaçad’unemainexpertesoncorset,lalaissantuniquementvêtuedesonfourreau.Ilpritsesseinsencoupe,etdansunesériedepincementshabiles,déclenchachezelleunevaguedepurdésir.Puisilsepenchaetprituntétondanssaboucheàtraversletissu.Ellesentitsesgenouxsedérobersouselle.

—Sebastian,murmura-t-elleens’agrippantàlui.Oh,Seigneur,tunet’espasdéshabillé.—Ehbien,c’esttamission,non?Elleessayaàmaintesreprises,maiscepantalonnecessaitdelacontrarierdanslapénombre.Elle

avaiteuàpeineunechancedes’atteleràlatâchelorsqu’illuibaissasonjupon.L’airfraisluicaressalesjambes,etavantqu’elleparvienneàdéfairelepremierbouton,Sebastians’écarta.

—Jecroisquetutriches,dit-elle.Illasaisitparleschevillesavecunsourireprésomptueux.—Jesais.Ilfit remontersesmainssouslefourreaujusqu’àlaculotte,qu’ilparvintàdélacerd’unemain,

danslenoir.Louéssoientlesdébauchés.—Dois-jecontinueràtricher?Sansattendrede réponse, il l’embrassaauniveaudunombrilpar-dessus le tissu.Quand il l’eut

débarrasséedesonvêtement,illuieffleuraleventreduboutdeslèvres,endescendanttoujoursplusbas.

—Oh,jet’ensupplie,suffoqua-t-elle,tricheencore.Il inséra la langue entre ses cuisses, et cette fois, ses genoux cédèrent réellement. Il la rattrapa

avecdélicatesse,l’allongeasurlelit,etsepenchasurelle.Dieuquec’étaitbondes’abandonneràlamagiedesoncontact,delaisserlemondetournersanselle,etdeneplusavoirpeurderien.Elleétaitsiprèsdecemoment…Ilrelevalatête.

—Oh,Sebastian,net’arrêtepas.—Maisj’aigagné,annonça-t-il.—Comment…?Soncorps,siprochedelajouissance,vibraitpresquededésir.—Ehoui.(Ilbranditlefourreau.)Jet’aidéshabilléelepremier.Elleauraitcertainementprotesté,eût-elledisposéd’uneautrenuitaveclui.Elleseredressasurun

coude.—Quelesttontrophée?Quelquechosed’indécent?—Plutôtmerveilleux,dit-ilavecsolennité.Oui,ellepouvaitluidonnerça.Quelquechosedeparfait,rienquepourcettenuit-là,unsouvenir

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d’elle.Ilretirasonmanteauetsongilet,défitsaceintureenluiadressantunclind’œil,etbaissasonpantalon ainsi que ses sous-vêtements. À la vue de ces cuisses puissantes recouvertes de poilssombresetdecesépaismolletsmusclés,ellesentitsabouches’assécher.Ilpassasachemisefroisséepar-dessussatête,révélantsontorseferme,etl’ardenteérectiondirigéeversViolet.Ilseretournauninstantpuisrepritplace.

—Tiens,dit-ilenluiglissantunobjetdanslamain.Ceciestuneprotection.Ilétaitfaitd’unematièreflexible,etnondeboyauanimal,commeelles’yétaitattendue.—Caoutchoucvulcanisé,luiprécisa-t-ilcommes’ilavaitsuivil’enchaînementdesespensées,et

situmequestionnessurleprocédédefabricationmaintenant,tumedevrasdeuxglaces.Elleneputs’empêcherdesouriredanslapénombre.—Voicimarécompense,déclara-t-il.Jeveuxquetum’aidesàl’enfiler.Çasedéroule.Elles’emparadesonsexe,etSebastianposasesmainssurlessiennes,ajustantlaprotectionsurle

glandgonflé;elleletouchaavechésitation,puisplusfermementlorsqu’elleentenditsonpartenairehaleter.

—Seigneur,Violet.Ilsemblaitpresqueindécentderecouvrirunetellebeauté,maiselles’exécuta.Arrivéeauboutde

laprotection,elles’aperçutqu’ilnerestaitplusrienàfaire.Sauf…Ill’embrassaaveclégèreté;elleenoubliapresquequ’ilss’apprêtaientàavoirunrapportsexuel,

et eut l’impression qu’ils avaient tout le temps devant eux. Pure illusion. Elle laissa toutefois cesbaisersluisusurrerdedouxmensonges,etsepermitmêmed’ycroire,rêvantqu’ellepourraitgoûteràcesdélicesdefaçonrégulière.Pastouslesjours;celacomportaittropderisques.Maispeut-êtreàchaque premier croissant de lune ; assez souvent pour éclairer les replis les plus sombres de samémoire,etbalayersespeurs.Aumomentoù il s’introduisitenelle, toutparut inévitable ;qu’elleéprouveaussitôtduplaisir,queleursmainss’enlacent,queleurshanchessereconnaissent.

—Jet’aime,luimurmura-t-il.«Jet’aime»,exprima-t-elledanssescaresses,danssafaçondeselovercontrelui.Elleespérait

qu’il entendait combien elle l’aimait, qu’il s’en souviendrait toutes ces nuits solitaires qui allaientsuivre.Elles’embrasasouslui,maisilrestadélicatdanssesélans,poursuivitsansaccélérer,faisantjaillir d’elle la moindre once de plaisir jusqu’à l’éreinter. Lorsqu’elle fut repue, il la pritvigoureusement,luimaintenantlataille,sespénétrationsplusrapidesetfougueuses,sarespirationdeplusenplussaccadée…Ilseretiraetgémit,lebassintoujoursenmouvement.

Elleparvenaitàpeineàréfléchir,etilavaittenuparole:ils’étaitprotégéetavaitinterrompulecoïtavantlemomentcrucial.Pasdemiseendangerinutile.Ellesavaitqu’iln’auraitjamaismentisuruntelsujet.Ellenepouvaitluirendrelafaveur.Uneseulevérité,c’étaittoutcequ’elleétaitenmesuredeluidonner,mêmes’ildouteraitdesasincéritélelendemainmatin:

—Jet’aime,dit-elle.Illuirenditsonbaiser.—Jesais.SebastianestimatoutàfaitnaturelqueVioletsoitunpeunerveusecematin-là.LetribunaldeCambridgetraitaitdecasdépassantrarementlesblaguesdepotachecommisessous

les auspices d’un vin bon marché, ou les larcins dont étaient victimes les ivrognes précités. Cesmagistratsavaientsanscontesteeuleurcomptedequerellesavecl’aristocratie,maiscetteaffaire-là,des charges retenues contre une comtesse, et pour de tels motifs, constituait une première. Et lesnouveautés attiraient les foules. Les bancs en bois débordaient de gens bavards et si entassés que

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l’atmosphèren’étaitpasseulementd’unedésagréablemoiteurestivale,maisd’unechaleurinfernale.VioletévitaàtoutprixleregarddeSebastian.Elleétaitassiseàquelquescentimètresdelui,mais

sesentaitdésespérémentloin.Lamatinéedébutaprécisémentcommeill’avaitprédit.Lesjugesfirentleurentrée,l’assembléeseleva.Lacourfutappeléeàsiéger,etleplusvieuxdestroishommesrestadebout.

—S’il est exact que la comtesse deCambury, pairesse du royaume, n’est pas soumise à notrejuridiction concernant les poursuites pour crime, les privilèges de la pairie ne s’étendent pas auxdélitsmineurs.Suraccordduprocureur,l’accusationaétéamendéepourporteruniquementsurleschargeslesmoinsgraves.

L’auditoires’agita.Undocumentfuttransmisàl’avocat;Violetl’examinapar-dessusl’épauledecelui-ci.Sebastiansecrispa.C’étaitprécisémentcequ’ilsavaientleplusredouté,aprèstout:quel’oncherche à la juger pour des faits bénins plutôt que la laisser leur glisser entre les doigts.Malheurs’aperçutalorsquequelquechosen’allaitpas.Ilsavaitquesonamieétaitmalàl’aise,àsafaçondesetenirtropdroiteetdepincerleslèvres.Ils’étaitattenduàcequ’ellesoitencoreplusperturbéeparcedéveloppement.Maisàcetteannonce,elleaffichaun large sourire.Compte tenudescirconstances,c’étaitparfaitementdéroutant.Cetteissueétaitlapireimaginable.Pourquoiunetellehilarité?

—Queplaidel’accusée?demandal’hommedeloi.L’avocatàcôtédeVioletsouffla.Elleseleva.— Puisque l’acte d’accusation a été modifié, déclara-t-elle, j’aimerais être certaine de

comprendrelescharges.Ilsn’étaientpasconvenusqu’ellediraitcela.Elleétaitcenséeluifaireendosserlaresponsabilité,

et s’en remettre à leur bon vouloir. Ça n’avait aucun sens. Elle s’exprimait d’une voix claire etpuissantequi rappelaitàSebastian l’assuranceet la forcequ’elleavaitdéployéessur l’estrade.Elleparaissaitcalme,gardaitlatêtehauteetlesmainstranquillementsurlescôtés.Elleétaitmagnifique,maisilsentitsonestomacsenouer.Quelquechosen’allaitvraimentpas.

—Vouspouvezposerdesquestions,déclaralemagistrat.—Jenevois à présent quedeux inculpations, dit-elle.D’abord, pourobscénités au coursd’un

rassemblementpublichiersoir.—Oui.— Dois-je donc en déduire que je ne suis plus poursuivie pour la conférence donnée ici en

octobre1862?—Oui,milady,réponditlejugeavecunetouchededéférence.—Commec’estétrange,rétorqua-t-elleenrelevantlementon.J’enétaiségalementresponsable.Soncomplicesentitsoncœurseserrer.Ellen’avaitpaspudireça.Quecroyait-elledoncfaire?—Enréalité,entre1862et1867,Malheurenaprésentéquatre-vingt-dix-sept.Onnem’enaccuse

pasnonplus.C’estbiencela?Lejuges’enfonçadanssonfauteuil,l’airlégèrementcontrarié.—Eneffet,milady.—Curieux.Parcequelesthéoriesqu’ilexposaitétaientlesmiennes.—Tentez-vous d’ajouter des poursuites à cet acte d’accusation ? s’étonna l’un desmagistrats,

confus.—J’essaieseulementdecomprendrecequel’onmereproche,afindeplaidercorrectement.Sebastianavaituntrèsmauvaispressentimentsurcequiétaitsur lepointdeseproduire.Violet

jetauncoupd’œilaupapierdevantelle.— Quant au trouble de l’ordre public, je sais que la présentation de mon travail devant une

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assemblée à Leicester en 1864 a presque déclenché une émeute dans laquelle était impliqué untroupeaudechèvres.Cetincidentapparaît-ilsurvotredocument?

— Non, répondit l’homme de loi. Je pense que vous avez bien compris quelles étaient lespoursuitesengagéescontrevous,milady.Queplaidez-vous?

Ellerelevalementond’unairdedéfi.— Me demandez-vous si j’ai annoncé hier soir avoir découvert le mécanisme par lequel la

reproduction sexuelle transmet les traits hérités ? Si j’ai soumis au public le croquis d’unspermatozoïdeagrandimillefoispourmontrerlasubstancequerenfermelenoyau?

—Non,répliqua-t-ild’untonimpatient.Jevousdemandedenousdirecequevousplaidez,etdemettre fin à l’énumération de ces éléments. Si vous persistez, je vous condamne pour outrage àmagistrat.

—Maisunplaidoyerm’imposedesavoirs’ilyavaitdescirconstancesatténuantes,sij’étaissousunemauvaiseinfluence,sij’étaisl’instigatricedecesévénementsouunesimpleexécutante.

Aucomblede l’angoisse,Sebastianretintsonsouffle.Elledevaitdirecequ’ilsavaientpassé lanuitàélaborer.Ilavaitobtenusonaccordaveccettebille,pourl’amourdeDieu.

—Unplaidoyervousimposededéclarersivousêtescoupableounon,ripostasèchementlejuge.—Laréponseestnon,affirma-t-elle.Oh,merciSeigneur,ellen’avaitpascomplètementperdulatête.—Non,reprit-elle,jen’avaisaucunecirconstanceatténuante.L’espace d’un instant, l’assemblée fut aussi ébahie que Malheur, si silencieuse qu’il pouvait

entendresaproprerespirationteintéed’angoisse.— Non, je suis la seule à l’origine de ces recherches. On m’a assistée, et je saurai rendre

hommageàquidedroitentempsvoulu,maisc’étaitmonchoixdeparlerdelasciencedel’héréditéhiersoir.Cesmots,cestravauxétaientlesmiens,etplutôtbrûlerenenferquelaisserquiquecesoits’enattribuerlemérite.

Sebastianlâchaunsoupirsaccadé.—Outrage,mugitlemagistrat.Maintenant,voudrez-vousbienannoncercequevousplaidez?—N’est-cepasévident?ripostaViolet,l’échinedroiteetleregardbrillant.Jesuiscoupablesur

lesdeuxchefsd’accusation,VotreHonneur.Coupable,etfièredel’être.Sebastiann’arrivaitpasàréfléchir.Iln’avaitpaslamoindreidéedecequ’ildevaitdire.—Êtes-vousbiencertainedevouloirplaidercoupabledevotrepleingré?demandal’hommeen

sourcillant, interloqué. Vous êtes consciente que ces délits vous coûteront une peined’emprisonnement?

—Bienentendu,rétorqua-t-elleavecmépris.Maisonveutmefreiner,meréduireausilence,ainsiquetousceuxquiontunlienavecmontravail.Sijedonnel’impressionquej’aipeur,çanes’arrêterajamais. Je serai toujours obligée de me défendre d’attaques insensées. (Elle afficha un airprovocateur.)Ondoit savoir que rien nem’effraie,même si on braque toutes les lois contremoi.Alorsoui,VosHonneurs.J’aidécouvertlavérité,etjel’airévéléeaumonde.

Elleseredressaetajoutaenlesdévisageantd’unœilnoir:—Jesuiscoupable.Pendantque les troismagistrats seconcertaientàvoixbasse,Sebastianétait figé sur sonsiège,

incapabledesaisircequ’ilvenaitd’entendre.Leconciliabulepritfin.—Milady,avez-vousquelquechoseàdéclarerpourvotredéfense?—Simplementqueletempsmedonneraraison.—Nous vous condamnons donc à quatre semaines de prison pour les charges retenues contre

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vous, et deux jours supplémentaires pour outrage àmagistrat. (Lemarteau retentit.) La séance estlev…

Le reste de sa phrase fut absorbé par les rugissements que poussèrent en chœur les personnesprésentes.Malheurseleva.

—Violet!cria-t-il.Sonappel futcouvertpar levacarme. Il tentades’approcherd’elle,mais la fouleétaitsidense

qu’ilparvintseulementàluiagripperlepoignet.—Violet.Ellesetournaverslui,levisageradieux.—Qu’as-tufait?demanda-t-ild’untondésespéré.Ellepritlamainqu’ilavaitposéesurelleetlapivota,paumeverslehaut.Ellearticuladespropos

qu’ilnecompritpas,puis,avecunsourireencoin,plaçaunebillebleueaucentre.« Désolée. » Il savait précisément ce qu’elle avait voulu dire. Ses doigts engourdis laissèrent

glisserlasphèredeverre.Violetluisourittristement,puisseretourna,disposéeàsefaireemmenerenprison.

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Chapitre25

Lacomtesseneseberçaitpasd’illusions:sonséjourenprisons’avéraitconsidérablementplusagréablequepourlaplupartdesdétenues.D’abord,elleétaitissuedelanoblesse;elleconnaissaitparailleurs beaucoup de personnes d’influence. Et par-dessus tout, les motifs de son incarcérationferaient d’elle un objet de curiosité. Elle en avait été consciente en plaidant ainsi ; elle pouvaitcompter sur un traitement de faveur, ce qui lui avait donné l’obligation de refuser de céder à latentatived’intimidationàlaquelleonl’avaitsoumise.

Elleétaitseuledansunecellulequel’onavaitnettoyéepoursavenue.Lematelasdepailleétaitneuf,etlesdrapsqu’onluiavaitdonnésétaientimpeccables.Quelquesannéesplustôt,Oliveravaitétéjetéenprisonsurdefaussesaccusations;ilparlaitencoreavecéloquencedespucesetautrespoux.MaislapièceoùsetrouvaitVioletsentaitfortl’huiledeparaffine;toutinsectenuisibleenavaitétésoigneusement éradiqué. On lui apportait de l’eau pour sa toilette tous les matins. La femme dugardien lui prêtait des livres et en discutait avec elle, visiblement admirative, lorsqu’elle les avaitterminés.Elleavaitdroitàdesvisiteslejeudi,cequis’avéraitsuffisant,mêmesicelan’incluaitquelafamille.Elleétaitautoriséeàuneheuredepromenadequotidiennedanslacour,tantqu’ellen’essayaitpas de parler aux autres détenues qui marchaient en même temps qu’elle, tels des fantômes, têtebaissée pour éviter une réprimande des surveillants.On lui servait du pain relativement frais, deslégumesetde laviandeàchaquedîner.Elleavait ludans les journaux la façoneffroyabledontonnourrissait les prisonniers ; elle savait que des progrès avaient été faits depuis la parution de cesarticles,maispasàcepoint.Aprèsledeuxièmejour,ellesoupçonnalesurveillantdeluifaireprofiterdesapropretable.Ilcraignaitprobablementlesconséquencespoursapositionsijamaisellefaisaitun rapport déplorable des conditions de détention dans son établissement. Elle passa un momentrelativementsereinavecsamère;celle-cineluitransmitaucunmessagedeSebastian,niaucuneautreinformationdumondeextérieurau-delàde:«Tuasprovoquéunsacrétumulte.»

Violetn’étaitpassûred’avoirattendudesnouvellesdeMalheur,maisellefutsoulagéedenepasenrecevoir.Elleessayaitdenepaspenserà lui.Sielleseremémoraitsonvisage lividequandelles’étaitdétournéedelui,sesdoigtsrefusantdeserefermersurcettebille,elleperdraitsûrementsoncalme.Lesang-froidétaitlaseulechosequ’elleavaitapportéedanscettecellule;ellenepouvaitsepermettrede leperdre.Elle savait simplementqu’elleaimaitSebastian ; impossiblede regrettercequ’elleavaitfait,mêmesiellel’avaitblessé.Lorsdesondouzièmejourdeprison,legardienvintlavoir.

—Milady,dit-ilendéverrouillantlaportedesageôle,sivousvoulezavoirlagentillessedemesuivre.

Elleavaitentendu l’impolitesseavec laquelleons’adressaitauxautresdétenues,en lesappelantgrossièrement par leurmatricule plutôt que par leur titre. Elle se leva et défroissa l’inconfortabletissudesatenuecarcérale.

—Oùm’emmenez-vous?—Vousêteslibérée…(Ilmarquaunepause,malàl’aise.)Jesaisquec’étaitunvéritablesupplice,

vousvousenêtesbiensortie.Elle l’observa et songea aux femmes qu’elle avait vues de loin. Elle se demanda ce qu’elles

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mangeaient,quelsinsecteselleshébergeaientdansleursmatelas.Àlalumièredetoutcela,ilsemblaitidiotdequalifierd’épreuvecequ’elleavaitvécu.Elleétaitconsciented’avoireulaviefaciledurantcettepeinequ’ellen’avaitmêmepaspurgéedanssatotalité.Ellesesentitvaguementnauséeusequ’onlafélicited’enavoirsimplementréchappé.Ellesecoualatête.

—J’imaginequeletempsécouléadonnéàtoutlemondel’occasiondesecalmer.(Ellehaussalesépaules.)Maintenant,jevaisaumoinspouvoirrentrerchezmoienpaix.

Lesurveillantlaregardad’unairperplexe.—Necomptezpastroplà-dessus.Laprisonsecomposaitdesixbâtimentssombresenbriqueencrassésdesuie,entourésd’unmur

lui-mêmeencercléparuneplushauteenceinte.Violetfutmenéedansunepièceoùonluirenditsesaffaires, avant de la guider vers la sortie. Ce fut alors qu’elle commença à entendre unbourdonnement en provenance de la grille intérieure ; le temps de traverser les trente mètres depelousequiséparaientlesdeuxmurs,lebruitsourds’étaittransforméengrondement.

—Dequois’agit-il?s’enquit-elle.—Ça,réponditlegardiend’untonamer,cesontvospartisans.Ellesourcilla.—Pardon?Mais,jen’aipasde…Laporteenboiss’ouvritbrusquementsurunétroitchemindeterrecoupantàtraverslalande,et

littéralement rempli de charrettes et de fiacres garés n’importe comment. Là, devant la prison, setrouvaient plus de gens que la jeune femme n’en avait vu de toute sa vie. Elle ne reconnaissaitpersonne.L’espaced’uninstant,ellesesentitprisedepaniquedevantcettemaréedevisagesinconnus.Maissesyeuxseposèrentalorssursamère.Étrangement,elletenaitAmandaparlamain,etVioletn’avait pas la moindre idée de ce que cela signifiait. Aux côtés de la baronne, elle aperçut lesBollingall, Oliver, Jane et Free. Cette dernière tenait l’extrémité d’une banderole proclamant :«Libérezlacomtesse!»

Lorsqu’elles’engageasurlaroute,uneclameurs’éleva;pasuncridehainenidecolère,maisdevibrante jubilation. Elle fit halte et examina la foule. Elle s’attendait à ce que ses détracteurs lapoursuivent,commeavecSebastian.Ilsleferaientplustard,sansdoute.Maislà,surcesplainesquasidésertes,ceuxquis’étaientdéplacésneluivoulaientquedubien.L’Angleterrecomptaitdesdizainesdemillions de personnes. Parmi celles-ci, une bonne portion avait entendu parler de l’histoire deViolet. Elle s’en était doutée, sans toutefois s’attendre à ce que desmilliers de gens lui portent del’intérêtautrementqueparpurecuriosité.Maisilsétaientbienlà,parmilliers,àhurlerenchœur.

—Dieuxduciel,souffla-t-elle.J’aidespartisans.Quelqu’unn’étaitpaslà.Cetteabsencedevintflagranteaumomentoùladouairièrerepoussales

adorateursdesafilleenleurexpliquantquelacomtesseavaitbesoindesereposer.SiSebastianavaitétéprésent,ilauraitréussiàsefrayeruncheminauprèsd’elle.

—Merciàtous,ditViolet,décontenancée.Vousn’imaginezpascombiençametouche.Onnepouvaitpasl’entendredanslegrondementdelafoule.C’étaitaussibien.Ilsn’auraientpas

eu lamoindre idée de ce que cela signifiait pour elle ; elle l’ignorait elle-même.Elle comprenaitvaguementquecetteassembléeavaitdûjouerunrôledanssalibération,riendeplus.

—Jevousenseraiéternellementreconnaissante,ajouta-t-elle.Sa mère la prit gentiment par le coude et la mena jusqu’à son fiacre portant les armoiries

familiales.Ellemontaàbordainsique labaronne,Amanda,Oliver,Jane,etFree.Cettedernière laregardad’unairradieuxaprèsavoirfermélaportière.

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—Milady!s’exclama-t-ellejoyeusement.Nousysommesarrivés!—Oui,lâchaViolet,sanstropcomprendre.Noussommesarrivés…àquoi,exactement?Ellen’avaitpasvraimentsouhaitéderéponse,mais la jeunefillebrûlaitdeluiraconter.Ellene

parvenait guère à assimiler tout ce qui s’était produit pendant son absence, les articles dans lesjournaux,letollégénéral.

— Vous emprisonner était la décision la plus stupide qu’ils pouvaient prendre. C’est ce qu’adéclaré laduchessedeClermont,enriant,d’ailleurs.Aufait,ellevouspried’excusersonabsence,maisellesavaitqu’ilyauraitunefouleplutôtagitée.

—Biensûr,dit-ellebêtement.—Vousêtesdevenue l’héroïnedumoment.Vousauriezdûvoir lesgros titres :«Lacomtesse

deCamburyannonceunedécouverteextraordinaire;condamnéeàunmoisdetravauxforcés.»—Jen’aipaslevélepetitdoigtlà-bas,rectifia-t-elle.Lesurveillants’estmontréplutôtaimable,

saufenm’interdisantmontricot.(Ellehaussalesépaules.)Lesaiguilles,voussavez.Freeclignadesyeuxetpoursuivit:—AliceBollingallarédigéunbilletpourleTimesdeLondresoùelleadécritsacollaboration

avecsonépoux,lafaçondontilssepartageaientlestâches.Elleapréciséendétailcommentletravails’étaitrépartipourvosrecherchesentreSebastian,elleetvous.

Violets’humectaleslèvres.—Etqu’est-ceque…Avant qu’elle ait le temps de demander ce que Malheur avait à dire de tout cela, Frederica

poursuivit.— Il y avait des caricatures où vous figuriez enchaînée, criant « Eurêka ! » pendant que des

hommesautourdevousexigeaientquel’onvousbâillonne.—Jen’étaispasattachée.Envérité,c’étaitassezpaisible,unpeucommedesvacances.Dansun lieunauséabondoùelleneparlaitàpersonneetnechoisissaitpascommentpasserses

journées.—Hmm,lâchaFree.Peut-êtren’avez-vouspasbesoindelepréciserenpublic?Maisjenevous

ai pas encore tout raconté.Robert s’est démenépourobtenir un entretien avec la reine il y a troisjours.Sebastianetluisontalléslavoir.Ilsluiontexposétousleséléments,etelleaordonnéquevoussoyezacquittée.

—Oh.Soncompagnonétaitdonc impliqué.Maisquepensait-il?Àquelpoint l’avait-elleblessé?Lui

ferait-ildenouveauconfiance?Quedirait-illaprochainefoisqu’ilsseverraient?—Enparlantde…,commença-t-elle.—Oui,lareine!s’exclamaFree.Elleveutvousrencontrer.Ellevousaentièrementgraciée,sauf

pourl’outrageàmagistrat.Apparemment,elleadéclaréquevousméritiezcescharges.Violetsetassadanssonsiège.Fredericaétaituneforcedelanature;tenterdel’arrêterrevenaità

essayerderepousseruncyclone.—Etmaintenant,vousêtescélèbre,poursuivit-elle,toutlemondesouhaitevousparler,Janeadû

engagerdesgardespourvotredemeure londonienne. J’espèrequecelanevousdérangepas,maisvousenaurezbesoinlesprochainsmois.Necroulez-vouspassouslebonheur?

—Si,réponditViolet,avantdefondreenlarmes,àsonplusgrandétonnement.Ellen’avait jamaispleuréauparavant,pasdepuissonenfance.Elleignorait totalementpourquoi

celaarrivaitàcemoment-là.Ellen’étaitmêmepastriste.MaisJanechangeadeplacepourvenirluiglisserunbrassurlesépaules,etFreeluipritlamain.

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—Cen’estrien,leurdit-elleentredeuxsanglots.Riendutout.Elle savait comment s’armerde courage contre l’échec et la déception, comment sourire alors

qu’onécrasaitlentementsesespoirs.Toutcetemps,auplusprofonddesoncœur,elleavaitcruquesilavéritééclatait,elleseraitmépriséedetous,persuadéed’êtrefoncièrementsombreetdésespérée,etquesesamislasupportaientseulementdansunexcèsdebonté.Maisellen’étaitpasunmonstre.Lavictoireavaitungoûtâcre ;elleétaitdévastatrice, incompréhensible,et laréduisaitenmiettes.Ellecontinuades’épanchercommeunebouteilled’encrefendue.

—C’est juste que… Ils ont nettoyéma cellule avec un produit chimique, expliqua-t-elle. Pouréliminerlespoux.Etquil’eûtcru?Jecroisquemesyeuxsesontaccommodésauxémanations.

Janeluitenditunmouchoirvertpomme,etpersonneneréfutacetteaffirmationincontestablementabsurde. Ses compagnes restèrent auprès d’elle jusqu’à ce qu’elle cesse de se donner ainsi enspectacle.

—Amanda,finit-ellepardire.Commentsefait-ilquetu…soisvenue…Elleneparvenaitpasàacheversaphrase,àdemandersiLilyavaitchangéd’avis.—Grand-mèrem’aemmenée.Mamanadit…(ellemarquaunelonguepause)det’informerque

sijeledésire…Mais la jeune filleneput, ellenonplus, aller auboutde sespropos.Elle se tut etdétourna les

yeux.Touteslesvictoiresserévèlent-ellesaussidouces-amères?s’interrogeaViolet.Elleavaitgagné,maisauprixdeceuxqu’elleaimait.Lily,Sebastian…Soncœurseserra.

—Alorstuvivrasavecmoi,dit-ellecalmement.—Pendantquelquesannées,ajoutasaniècesans la regarder.Mamanveutque tusachesqu’elle

doitpenserauxautresenfants.Pourleurbien,ellenepeutplus…nousrecevoir.Maisquandelleenaural’occasion,elle…

Violetravalalaboulequ’elleavaitdanslagorge.—Biensûr.Puislesujetfutclos.Unefouledegenslesattendaitàlagare;ilsétaientencoreplusnombreuxà

lesaccueilliràLondrestroisheuresplustard.Quelqu’unavaitdûtélégraphierlanouvelleavantleurarrivée.Avecl’aidedesamère,elletraversatoutcetumulte,puisl’attroupementdevantsaporte,etattenditqu’ellessoientchezelle,enferméesdansunepiècedontonavaittirélesrideaux,pourposerlaquestionquilarongeait:

—Maman,chuchota-t-elle,oùestSebastian?Labaronneluijetauncoupd’œil.—Ilattenddevoirsituacceptesdeluiparler.Ellegrimaça.—Pourquoisedemanderait-ilunechosepareille?Serait-ilstupide?—Probablement,réponditladouairière.Dois-jeenvoyerlechercher?—Oui.Non.Ilfautquejeprenneunbainavant.Samèrel’observaattentivement.—Violet,jepensequ’ilsemoqueradetonodeur.Lajeunefemmebaissalatêteetsehuma.Rien.C’étaitmauvaissigne;elleauraitremarquésielle

avaitsentilepropre.—Moi,çam’importe.Il se passa donc presque une heure avant qu’elle ne se dirige vers sa bibliothèque au rez-de-

chaussée,etytrouveSebastianfaisant lescentpasà l’autreboutdelapièce.Ilssefigèrent touslesdeuxlorsqu’elleentra.Ilsetournaverselleenesquissantunsourire,l’œilbrillant.Et…Oh,elleavait

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été incapable de songer à lui ces derniers jours. Il lui aurait tant manqué. Il s’était ébouriffé lescheveuxenl’attendant;ilavaitlestraitstirés.Maiscettehilaritéqu’elleconnaissaitsibienilluminasonvisage,etsafatiguesemblasedissiperinstantanément.

—Violet,souffla-t-il.—Sebastian.Elleavaitenviedecourirverslui,maisignoraitencorecequ’iléprouvait.Àquelpointl’avait-

elleblessé,ens’éloignantainsialorsqu’il l’avaitsuppliéedenepaslefaire?Il l’étudiaencoreunmoment,commes’ils’efforçaitdedéciderparoùcommencer.

—Jeviens…avecdescadeaux.—Des«cadeaux»?—Delapaperasse,àvraidire.J’aiététonassistantenrelationspubliquescesonzederniersjours.—Oh,lâcha-t-elle,commeprised’unlégervertige.Ai-jeétéinvitéeàbeaucoupdebals?— Non, curieusement, répondit-il avec enthousiasme, pas un seul. Mais le King’s College de

Londrest’annonce,entreautres,quel’ontefaitgrâcedesconditionsd’usagepourl’obtentiond’undoctorat, même s’il te faudra soutenir une thèse. Des versions modifiées de tes anciens travauxsuffiront.

Elleclignadesyeux,confuse.Detoutcequ’elleavaitpuimaginer,cettenouvelleétaitcellequidépassaitleplussonentendement.

—Pourquoimeferait-onunetellefaveur?—Pourteproposerunposte.—Pardon?Quelgenred’imbécilesm’offriraitça?—Lesimbécilesquiessaientdefonderunefacultéderenomméemondiale,expliqua-t-ild’unair

malicieux. Tu as aussi reçu des avances deCambridge,mais ils ont quelques questions internes àrégler avantdepouvoir fairequoiquece soit avecune femme. Ilsmettrontdesannéesà résoudreleursproblèmes.Mais tuasd’autreschoix.LeprofesseurBenoit,que tuconnais,de l’universitédeParis,aprislebateauàvapeurjusqu’icitroisjoursaprèsquel’informationestparue.Ilaapportétoutun dossier, ainsi qu’une lettre extrêmement sympathique de l’ambassadeur français affirmant quechezeux,aupaysdelaliberté,tuneseraisjamaissauvagementjetéeenprisonpourtongénie.

Elles’assitlourdement.—Iln’apaspudireça.Sebastiansedirigead’unpasrésoluversunetablepourfouillerdansunpaquetdefeuilles.Ilen

sortitunedulotetlaluimontra.—Regarde : « sauvagement » ; « génie ». Je n’ai pas besoin d’exagérer. Si tu n’aimes pas la

France,Harvard,enAmérique,aenvoyéuntélégramme,et…— Je sais où c’est, l’interrompit-elle, étourdie. Arrête, je ne comprends rien à tout ça. J’étais

encoreenprisoncematinmême.(Ellelevalesyeuxauplafond.)C’étaitsipaisible.—Tuveuxyretourner?—C’étaittranquille.Personnenevoulaitriendemoi.Passerdeçaà…(Elleécartalesmains.)Je

nesaispasquoifaire.Ilprituntonplusposé.—Ehbien,situveux,jepeuxtecachersousmescombles.Jeteglisseraiunboldegruauparune

fentetouslesmatins,etnousjoueronsaugeôlieretàladétenue.Elleréprimaunrire.—Voilà,dit-il,n’est-cepasmieux?—Lesuccèsestdéconcertant,soupira-t-elle.Ettoi,Sebastian…

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Ildétourna le regardd’unairgênéqui lachagrina ;biensûrqu’ilcomptait toujoursparmisesamis…Mais au-delà de ça, un homme ne faisait pas une requête comme la sienne pour ensuitepardonnerquandsabien-aiméelaluirenvoyaitenpleinefigure.Toutefois,ilrépondit:

— Je suis désolé de n’avoir pu venir à ta sortie. J’en avais l’intention,mais j’étais occupé, etBenedict…

Évidemment.Elleluiavaitdonnébeaucoupdetravailenplus,etsonfrèreétaitmalade.—A-t-ildoncchangéd’avis?s’enquit-elleavecprécaution.—Nousdiscutons,jelefaisrire,etcen’estpasbonpourluiquejeletourmenteausujetdeHarry

oudequoiquecesoitd’autre,alorsj’aipensé…Violetseleva.—Cemonde…estcomplètementfou…etstupide.Iltourneàl’envers.Illadévisageaitavecuneétrangeexpression.—Violet?Quelquechosenevapas?—Rienneva.Est-cequejedélire?J’enailedroit,déclara-t-elleenpointantl’indexverslui.Et

toi,tuasledroitdet’asseoirlà.Ilparutencoreplusperplexe.—Tupars?demanda-t-il,incrédule.—Temporairement.Attendssimplementici.

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Chapitre26

LademeuredeVioletétaitencerclée ;uncoupd’œilpar la fenêtresuffisaitpourvoirqu’iln’yaurait aucunmoyen d’esquiver l’attroupement. Dumoins… pas par-devant. Elle prit son sac et sefaufiladanslejardinenempruntantl’escalierdeservice.Elleseglissadanslepassageentrelesdeuxmurs,etlegrondementdelafoules’évanouitàmesurequ’elleavançait.AumomentoùelleatteignitledomiciledeSebastian,ellen’entendaitplusqu’unbourdonnementsourd.Lesgensnesavaientdoncpasquelespropriétéscommuniquaient.Parfait.Ellen’avaitplusqu’àmisersurl’impudence.ElleserenditdanslacourlatéraleoùMalheuravaitsesécuries.Lecocherdugentlemanparlaitavecunvaletprèsd’uneporteenfumant.Ilslevèrentlesyeuxlorsqu’elleapparut.Ledeuxièmehommelâchasoncigarilloquandelles’approcha.

—Milady!s’exclamaleconducteurenseredressant.Hum…Qu’est-cequivousamèneici?Ilsavaientsansaucundouteentendulesordiderécitdesonemprisonnement;sic’étaitlecas,ils

connaissaientl’implicationdeleuremployeurdanscetteaffaire,etn’auraientpaslabêtisedeposerdesquestionsindélicates.

—C’estMrMalheurquim’envoie,mentit-elledefaçonéhontée.J’aiunecourseàfaire,etmarueestunpeuaniméepourl’instant.

—Ahoui,assurément.—Ilm’aproposévosservices,sicelanevousdérangepas?—Biensûr,milady.Quelledestination?ElleavaitditàSebastiand’attendredanslabibliothèque.Àl’évidence,ellen’avaitpasréfléchiàla

suite.L’après-midiétaitdéjàbienavancé,etellevoulaitserendreàdixmilesdelà.Ilallaitattendretrèslongtemps.Ellen’avaitpasd’autresolution.

—AudomiciledeMrBenedictMalheur,évidemment.Sans protestation ni interrogation, ils attelèrent les chevaux, aidèrent la jeune femme àmonter

danslavoiture,etsemirentenroute.Violetsortitsontricotdesonsac,uneécharpeàrayuresvertesetgrises,etrivalesyeuxsurcetentrelacsdefilsauquelellen’avaitpastouchédepuisdessemaines.Ellecomptalesmaillespourserepérer,puisrepritsonouvrage.

—Monsieurnereçoitpasdevisiteurs,l’informalemajordome.Elle se tenait sur les larges marches du perron, avec le fiacre de Sebastian derrière elle, et

observait l’hommeà l’entrée.Elle était enprison lematinmême.Elle avait parcourupresque centmiles,entendudesmilliersdevoixhurlersonnom.Ellenepouvaitpasfairedemi-tourmaintenant,etneselaisseraitpaséconduireparundomestiquepourunequestiond’étiquette.

Cependant,ellen’avaitaucuneraisond’êtremalpolie.Pourl’instant.—Naturellement,convint-elle.Maisjenesuispasunsimplevisiteur.Ill’examinaenplissantlesyeux.—J’aigrandipresqueàcôté,expliqua-t-elleaussiaimablementqu’elle lepouvait, compte tenu

des circonstances. Quand j’avais cinq ans, votremaîtrem’a sauvée d’une invasion de grenouillescauséeparlesJimmesonàhuitcentsmètresd’ici.J’aiaccourudèsquej’aiapprisqu’ilétaitsouffrant.Jenesuisdoncpaslàpourdesmotifsmondains.

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Illaregardaensourcillant.—Tenez,ajouta-t-elleenluitendantsacarte.Apportez-luiça,etlaissez-ledécider.Il l’accepta et la lut d’un air impassible. Peut-être ne savait-il pas qui elle était, même si cela

s’avérait peu probable.Ou il savait que son nom était lié à celui de Sebastian, et avait compris lerapport.Danslesdeuxcas,ilnepouvaitlaisserlacomtessedeCamburyattendreàlaporte,etlafitdoncentrer.

—Sivousvoulezbienpatienteraupetitsalon.Jevaisvoirsimonsieurestréveilléetenmesuredeparler.

Ellevit làunemanièrecourtoisedeluidire:«Jevaisfairesemblantdeluidemanderavantdevouscongédier.»Ellehochanéanmoinslatêteavecamabilité.

—Merci.Elle s’installa dans un fauteuil confortable. Pour mettre le serviteur à l’aise, elle sortit ses

aiguillesetentamalerangsuivant.«Letricotdonnel’airinnocentmêmeàl’espritleplussournois.»Samère voyait juste. Pour une raison ou une autre, lesmajordomes imaginaient rarement qu’unefemme poserait son ouvrage pour aller fureter dans une maison dès qu’ils se seraient éloignés.C’étaitidiotdeleurpart;ilnes’agissaitquedefilsdelaine,pasdemenottes.Faussementconcentréesursonécharpe,elleregardadiscrètementl’hommemonterl’escalier.Iltournaàunangleetdisparutdesavue.Elleremisasesaiguillesdanssonsac,etsefaufilasubrepticementderrièrelui.Lamaisonétait silencieuse, comme si ses habitants se taisaient dans l’espoir que cela contribuerait aurétablissementdeleuremployeur.Sespasluiparurentbruyants,etleboisd’unemarchecraquasousson poids. Mais il était trop tard pour renoncer. Il lui restait à souhaiter que personne ne laremarquerait.Ellearrivaenhautdel’escalierjusteàtempspourapercevoirlemajordomepénétrerdansunepièce.Pasletempsdetergiverseretrisquerdesefaireattraper.Elles’engagearésolumentdanslecouloiretouvritbrusquementlaporte.

Lachambreétait faiblement éclairée, les rideauxétaient tirés.BenedictMalheur était assisdanssonlit–unbonsigne,espéra-t-elle–,tandisquesondomestiqueluitendaitlacartedeViolet.Ilssetournèrentverselle.Levaletfronçalessourcils;lemaladeparutsimplementrésigné.

—Désolée,mentit-elle.Maisjemesuisaperçuequej’avaiscomplètementoubliédevousdonnerlemotifdemavisite.J’espèrequevousnem’envoulezpasdevousinterrompre.

Leserviteur fitunpasverselle.MaisVioletcomptait surBenedict, sesbonnesmanièreset sonaffabilitépourarrangerlasituation.

—Biensûrquevousnem’importunezpas,déclara-t-il.Iln’yariendeplusennuyeuxqu’unlitdemalade.Jemeréjouiraisd’unpeudecompagnie.

Lemajordomerenifla.—Tantqu’ilnes’énervepas…—Nevousinquiétezpas,lerassura-t-elled’untonjovial.Monvœupremiern’estpasdelevoir

mourir.L’intéresséesquissaunsourirequicontrariapresqueViolet,tantilluifaisaitpenseràSebastian.— Apportez une chaise pour la comtesse de Cambury, dit-il d’un air bienveillant, et ensuite,

Smith,vouspourrezvousretirerjusqu’àcequejevoussonne.—Trèsbien,monsieur,ditlevaletenaffichantunelégèredésapprobation.Il choisit un siège contre lemur, lemoins rembourré, remarquaViolet, et le plaça à quelques

piedsdulit,àunangleinconfortable.Lajeunefemmes’assit,Benedictadressaunautresignedetêteautoritaireàsonemployé,etcelui-cidisparut.

— Eh bien, milady, je suis ravi de vous voir, même si j’aurais préféré que ce soit dans des

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circonstancesplusfavorables.Àl’évidence,toutcelamemontrequejen’auraispasdûattendrequemasantédéclinepourpasserdutempsavecmesvieuxamis.

Aucuncommentairesurlesévénementsrécents.Ellenes’étaitjamaisfiéeàsessouriresniàsonattitudeplaisante.Ellerivalesyeuxsurlui.

—Suis-jecenséevousappelerMrMalheur?C’estdifficile,Benedict,d’êtreformellealorsque…Vousêtesalité,levisagecreuséparlamaladie.—…vousêtesunjoueurdecroquetdéplorable.Jemesouviensdevousavoirbattuquandvous

aviezquatorzeansetmoiseulementsept,finit-elle.—Oui,c’esttoutàfaitexact.Letonqu’ilemployanecorrespondaitpasàsespropos.Ellel’étudiaenplissantlesyeux.—Oh,jenevousaipasbattu,c’estça?s’enquit-elle.—Ah…Sonhésitationétaitpalpable.Ilhaussalesépaulesenajoutant:—Biensûrquesi.—Vousm’avezlaisséegagner.J’aipenséduranttoutescesannées…(Ellesecoualatête.)Voilà

qui change tout. Je refuse que vous m’appeliez milady alors que jadis, vous m’avez faussementproclamée championne de croquet. Si vous êtes autorisé à me mentir, vous devez utiliser monprénom.

Ilsouritdenouveau.—C’estagréabledevousrevoir,Violet.Jenepuisvousdirecombienj’apprécievotrevisite.—Vousaveztoujoursététropaimableàmongoût.—Jesais,répondit-ilvaillamment.C’estl’unedesraisonspourlesquellesjen’aijamaisessayéde

vousséduire.Leslèvresdelajeunefemmetressautèrent.—Parailleurs,vousétiezmariéàl’époqueoùj’aifaitmonentréedanslemonde.— C’est vrai, convint-il. Et mon frère était amoureux de vous. Vous êtes la seule chose que

Sebastian ait toujours voulue sans jamais l’obtenir. Vous n’avez pas idée de combien je vous aiappréciéepourça.

Àcesujet…Elledéglutit.Ellen’étaitpasdouéepourenjôlerlesautresoulespersuaderdepensercomme elle. Elle savait mieux les intimider, mais Benedict n’avait jamais été impressionnable. Etmêmeelleauraithésitéàréprimanderunhommeavecuncœurdéfaillant.

—Plusjeune, j’ai toujoursespéréquevouscachiezuneffroyablesecret.Vousétieztropgentil.Vousn’imaginezpascommec’estassommantdedécouvrirqu’ils’agitdetroublescardiaques,etnon,parexemple,d’undoublemeurtrecommisunsoirdepleinelune.

—Horrible,commenta-t-il.Jesuisdésolédevousdécevoir.—Jesais,c’étaitunepenséestupide.Vousaviezl’habitudedefaireundétourpourallercasserles

piègesdugarde-chassedèsquevousenaperceviezun.Vousnesupportiezmêmepasdesongeràunlapinensouffrance.C’estpourquoij’aidumalàsaisirvosagissementsaujourd’hui.

Ils’esclaffa.—J’agis trèspeucesderniers temps.Sivousn’avezpas remarqué, je suisclouéau lit jusqu’à

nouvelordre,etc’estincroyablementennuyeux.—Jeveuxdire,cequevousfaitesàSebastian.Il plissa les yeux, sans chercher à feindre l’incompréhension. Au lieu de cela, il détourna le

regardensoupirant.—Ah.J’auraisdûmedouterquemoncadetdemanderaitdel’aide.(Illuiadressaungestedela

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main.)Dites-luiquejenelelaisseraipasgagnerentrichant.—Cen’estpasluiquim’envoie.Enréalité,jel’aiabandonnésurplacesansaucuneexplication.Je

voulaissimplementvousparlerdelui,carjenesuispascertainequevousleconnaissiez.Danslecouloir,unemarchecraquabruyamment.Benedictémitungrognement.—Jeconnaismonfrère,trèsbien,même.Ilesttrèsdouépourinciterlesautresàluiobéir.Ilest

charmeuretpersuasif, etn’aqu’àclaquerdesdoigtspourque lemondeexauceses souhaits.C’estquelqu’undetapageur.Toutluitombedanslamain,vousl’ignoriez?Parconséquent,ildérive,d’unepersonneàlasuivante,papillonned’unechoseàl’autre.

Maisilserralesmâchoires,commes’ilessayaitdeseconvaincreplutôtqueViolet.—Vousleconnaissezmieuxqueça.Àunepériodedemavie,j’aiétéplusmaladequevousence

moment. Je pouvais à peine lever la tête. Mon mari était absent pour ses affaires, et j’étaisemprisonnéedanssondomaine,loindemafamilleetdemesamis.LeseulquivivaittoutprèsétaitSebastian,expliqua-t-elleendétournantlesyeux.Ilm’arenduvisitetouslesjours.Etvoussavezcequ’ilafait?

—Non,maisjedevineprécisémentpourquoi,riposta-t-ilsèchement.Et,pardonnez-moi,milady,maisvousavezétémariée.Cequ’ilvoulaitestévident.

—Ilcherchaitàmefairerire,dit-elleenletransperçantduregard.C’étaitlaseulechosequejepouvais me permettre d’attendre, alitée et incapable de tenir un verre d’eau. Je dormais, je meréveillais,etj’examinaisl’horlogeenmedemandantàquelleheureilarriverait.

—Oui,convint-ilavecembarras,jesuppose…—Sivouspensezqu’ilcherchaitàmeséduirealorsque lamaladieme terrassait,vousêtesun

odieuxpersonnage.—Jesuppose…,soupira-t-il.Non…Jesais.—Vous avez eu l’occasiondevoirqui étaientRobert etOliver.Mais jene croispasquevous

sachiezcequ’ilsseraientsanslui.Ilssonttouslesdeuxsisérieux.(Elleesquissaunemoue.)Toutestquestiondevieetdemortpoureux.VousdevriezvoircequiseproduitquandSebastianapparaît.Jelesaivusdébattresurlemêmesujettroisheuresdurant.Àl’instantoùvotrefrèreentredanslapièce,ilsemoqued’eux,lanceuneblagueàsesdépens,etlaminutequisuit,leurdésaccordestdissipé.

—Oui,concédaBenedictd’un toncettefoisplussec.Jesuisconscientquemoncadetseprendpourunpetitplaisantin.

—Un « plaisantin » ? Non, il est celui qui cimente tout. Lorsqu’il entre quelque part, tout lemonde le regarde. Certains le détestent ; d’autres l’adorent, mais personne ne reste indifférent.Lorsquejeperdslefildemesréflexions,quejesuisbloquéesurunproblèmeépineux,ilpassemevoiretd’unefaçonoud’uneautre,lamoindredifficultés’estompe.

Benedictsoufflalonguement.—Je…Ilfermalesyeux.Savoixseréduisitàunmurmure.—Je…sais.— Et je ne suis pas la seule concernée. Il fait sourire les gens. Chacun d’entre eux. Vous le

qualifiezde tapageur,maisson talentne l’estpas. Ilne luivaudra jamaisd’avoir sonnomsuruneaffiche,contrairementà sesautresactivités.Maissonhumourdonnede lavaleurà l’univers,etdel’importanceàtousceuxquil’entourent.

Sonhôtesoupira.—Ehbien,déplora-t-ild’unairmorose,ilvousaeue,vousaussi.(Ilsecoualatête.)J’auraisdû

m’endouter.

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—Dites-moi,ilyaquelquessemainesdecela,vousluiavezaffirméquevousneluiconfieriezjamaisvotrefils.(Ils’appliquaànepascroisersonregard.)Depuisquevousêtesclouéaulit,etquevousl’avezautoriséàvousrendredenouveauvisite,combiendefoisest-ilvenu?

—Touslesjours,dit-ildansunmurmure.—Etdurantcettepériode,combiendefoiss’est-ildisputéavecvous?Qu’a-t-ilexigédevous?Ilhochalatête.—C’estbiencequejepensais,poursuivit-elle.Combiendefoisvousa-t-ilfaitrire?Ilsemorditlalèvreinférieure,commençaàfairelecalcul,puisyrenonça.—Untropgrandnombre.—Pendant toutce temps, il était trèsoccupé ;àémettreune requêteenma faveurauprèsde la

reine,àgérerlestélégrammesdeHarvardetlesoffresenprovenancedeParis.Etpourtant,quandilsetrouvaitauprèsdevous,ilvousdonnaitl’impressionquevousétiezlaseulepersonneaumonde.

—Je…Ehbien…—Etvousestimeznepaspouvoirluiconfiervotregarçon?Jenevousavaisjamaisconsidéré

commeunimbécilejusque-là.Ilsoufflalonguement.—Violet,écoutez,murmura-t-il.Ilyaquelquechose…Maisiln’achevapassaphrase.—Voilàlasituation,répliqua-t-elleàvoixbasse.Jeneveuxplusjamaisvousentendreaffirmer

quevotrefrèren’estbonàrien.Ilest…précieux.Benedict se tournaverselle. Ilavait lesyeuxsombres,mais lesécarquilla légèrement.Elleprit

alorsconsciencequ’ilregardaitderrièreelle.EllepivotaetaperçutSebastiandansl’encadrementdelaporte.Illacontemplait,commesielleavaitétélecentredel’univers.

—Violet,dit-ild’unevoixrauque.— Je suis désolée. (Elle se leva.)Quand je t’ai vu tout à l’heure, je ne pensais qu’à ce que je

t’avais infligé, enm’éloignant ainsi, alors que tum’avais suppliée de te laisser tout arranger. J’aijuste…Jesouhaitaissimplementterendrelapareille,d’unecertainemanière.Jen’aipaslesidéestrèsclairespourl’instant,et…

—Dis-leencore.(Ilfitunpasverselle.)Cequetuasdéclaréàl’instant.Elledéglutit.—Tuesprécieux.Ilfallaitquejefassequelquechosepourtoi,aprèstoutcequej’ai…Illapritparlesépaulesetl’attiracontrelui.—Non,ma chérie. Je n’avais aucun droit d’attendre de toi ce que je t’ai demandé.Durant ton

absence,j’airepenséàcequetuavaisdéclaréautribunal:quec’étaittontravail,quepersonneneteleprendrait. (Il l’enlaça.) C’est ce que j’ai entrepris de faire. Je n’ai pas seulement voulu prendre taplaceenprison,j’aiessayéderevendiquercequetuavaisaccompli.Tuasétééblouissante,etjemesuisrenducomptequejeneteméritaispas;quetunepourraisjamaismepardonner.

—N’importequoi,rétorqua-t-elle,lagorgeserrée.Puresfoutaises.Depuistoutcetempsquejeteconnais, tu penses qu’une seule petitemanœuvre pourm’empêcher de souffrirm’éloignera de toipour toujours ?Ne sois pas ridicule, Sebastian. Je t’aime, depuis des années. C’était déjà le cas àl’époqueoùjem’interdisaisd’éprouverquoiquecesoit.

Illuidéposaalorslebaiserqu’elleattendaitinconsciemment.—Etjet’adore,murmura-t-il.Je…Quelqu’uns’éclaircitbruyammentlavoixderrièreeux.Sebastianseredressabrusquement.Violet

clignadesyeuxetserappelasoudainqueBenedictétaitnonseulementprésent,maisaussiclouéaulit

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etparconséquentincapabledesortirentoutediscrétion.—Toutcelaestsincèrementtouchant,dit-il.Maispeut-êtrepourriez-vousfinirsanspublicretenu

enotage?Lajeunefemmes’empourpra.— Violet, ajouta-t-il, la championne de croquet, si vous voulez bien me faire une faveur,

j’aimeraism’entreteniruninstantavecmonfrère.

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Chapitre27

—Alors, lançaBenedictdèsque laportesereferma.LapetiteViolet.Terappelles-tuqu’àcinqans,tum’asannoncéquetul’épouserais?

—C’étaitunpeuprématurédemapart.Garde-lepourtoi,s’ilteplaît.Jeneluiaiencoreriendit.Unsourirefugacetraversalevisagedesonaîné.—Écoute,jevoulaisteparler.Jemesuisentretenuavecmondocteurhier.Sebastianseredressaetseglissadanslefauteuilàcôtéduchevetdesonfrère.— Ilm’a fait écoutermon cœur, ça va plutôt bien.Dès que j’aurai repris un peu de force, je

devraisêtredenouveausurpied,tantquejeresteprudent.(Ilbaissalesyeux.)Ilyatoujoursunpetitsifflement,unearythmiequej’entends,expliqua-t-ilenesquissantungestedudoigt.Unsipetitbruit,etc’estcequivametuer.

Incapablededissimulersoneffroi,Sebastianluisaisitlamainpourlaserrer.—D’unecertainefaçon,réussit-ilàarticuler,c’estassezréconfortant.Lemaladelevalesyeux,étonné.—Tuastoujoursprétenduquejecauseraistamort,poursuivit-il.C’estunsoulagementdesavoir

quetupeuxtetrompersurunpoint.Ilyaundébutàtout.L’hilaritéanimafurtivementl’expressiondeBenedict.—C’estaffreux,dit-il.—Ohoui.Et j’enaiencoresous lecoudedanslemêmegenre.Jememoquedutempsqu’il te

reste. J’aiprismadécision,et tunepourraspasmecontredire.Tuas raison ; jenesuispasbonàgrand-chose,mais je suisdouépour amuser lesgens.Si tudoismourir, autantquece soit avec lesourire.

Sonfrèresoupira.—J’aiuneconfessionàtefaire.Sebastianhochalatêteetdit:—J’aimeça.Nemedissurtoutpasquetuasfaitquelquechosedemal,jenetecroiraipas.—Tumecompliques la tâche,répliquaBenedictendéglutissant.Si jemesuismontréduravec

toi,c’estparcequetudonnestoujoursl’impressionquetoutestsifacile.Celan’avaitaucunsens.Sebastians’enfonçadanssonsiègeetobservasonfrère.—Pardon?—J’aidûm’acharnerpourtout.Mefairedesamis…Ilm’afalluplanifiercequejedevaisdire,

quandlefaire.Puistuesné,ettun’asmêmepaseuàfournirlepluspetiteffort.Àpartirdumomentoù tu as marché, les autres enfants t’ont suivi partout, désireux de te plaire de n’importe quellemanière.J’aiétudiépendantdesheurestouslesjours,etj’aiàpeinedécrochéleshonneurs.Tun’asabsolument rienfait,et tucomprenaispourtant toutmieuxquemoi.J’imaginaisqu’unefoisadulte,j’accomplirais de grandes choses, que les gens écouteraient la moindre de mes paroles, quej’occuperaisuneplace importantedanscemonde. (Il secoua la tête, avecun sourire encoin.)Puismon cadet est arrivé, et il a mis l’univers sens dessus dessous. Tu es célèbre, Sebastian, et passeulementgrâceàViolet.Tuesunepersonnediablementbrillanteàpartentière.

L’intéressés’appliquaàdemeurerimpassible.

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—Ah,bon.Quantàce…—Non,tais-toi,jeparle.(Ilagrippalesdraps.)Jet’aisermonnéausujetdecequej’avaisréussi

pour tedonnerune leçond’humilité.Etqu’as-tu fait?Tuesallégagnervingt-deuxmille livresenquelquessemaines.

Sebastiansegardadeluiavouerquelasommes’élevaitdésormaisàvingt-septmille.—J’aipassédixansàatteindreunepositionmédiocreauseinde laSociétépour le respectdu

commerce,etavantquejecomprennecequisepasse, tumetendsdesdocumentsannonçantquetum’asdevancéunefoisdeplus.Tuasuneviebéniedesdieux.

—Peut-êtreparcequejesuisdivin.—Oui, sans aucun doute.Mon propre fils a le visage qui s’illumine quand tu apparais. Il n’a

jamaisréagicommeçaavecmoi.Àcôtédetoi,jesuissimplementl’indigesteetvieuxBenedict.Soncadetclignadel’œil.—C’estcomplètementinsensé,protesta-t-il.TuesBenedictleParfait.Celuiquinefaitjamaisde

mal,quel’onacceptepartout.Siseulementjepouvaisapprendreàmecomportercommelui.Tueslaversiondemoitoujoursrespectable,toujours…

— Non, rétorqua le maître des lieux. Je suis l’aîné si impossible à aimer que même le pluscharmant,leplusaimantdespetitsfrèresarenoncéàmoi.Tuveuxsavoirlavérité,Sebastian?Jesuisjaloux.(Savoixsefitplusposée.)Detoutcequetues.J’aipassédesannéesàmedemanderpourquoic’était toiquiavaiscesbrillantes théoriesscientifiques.Pourquoipasmoi?Toi, tuavaisdéjà tout,soupira-t-il.Mais j’ai lu tes articles. Je n’en comprends pas un seul. Je peuxm’interroger sur lesmotifsqu’aeusVioletdes’adresseràtoiplutôtqu’àmoi,maisjelesconnaisdéjà.Nonseulementjene lui inspirais pas confiance, elle devinait que je ne pourrais lui apporter l’aide dont elle avaitbesoin,maisjesuisparailleursàpeuprèscertainqu’ellemesoupçonnaitdenepasenêtrecapable.

—Ehbien,jel’ignore,déclarasonfrèreendétournantlesyeux.—Pasmoi,répliquaBenedictenluiprenant lamain.Il fautqueje te ledise : jesuisdésolé.Je

t’aimeet…jen’auraisjamaisdûlaissermastupidejalousiepesersurcequiétaitbonpourmonfils.Sebastian,quiavaitretenuinconsciemmentsonsouffle,expiradoucement.—Bon,repritsonfrèreensouriant,nousrégleronslesdétailsdesagardedèsquel’occasionse

présentera.Maispourl’heure,jecroisqu’unefemmes’impatientedetevoirenbas.Ellel’attendaitdansl’entrée,lesyeuxardents,etrayonnaenlevoyantapparaître.— Ma chère. As-tu réfléchi aux propositions que tu avais reçues ? Cambridge ? Harvard ?

King’sCollege?—Ilfautquej’ensachedavantagesurlesconditions.Jevaisdevoirmepenchersurtoutcela.Ildescenditlentementl’escalier,ensedirigeantd’unpasrésoluverslafemmequ’ilaimait.—Personnellement,j’aiunfaiblepourParis.Etj’aitoujoursvouluêtreunépouxd’universitaire.

Jepensequejem’enaccommoderaistrèsbien.—Parisesttentant,mais…(Elles’interrompitetrelevalatêteverslui.)Unquoi?—Unépouxd’universitaire. Jepourrais recevoir toutes lesconjointesde tescollèguespour le

thé,dit-ilensouriant.Jem’ensortiraistrèsbien.—Sebastian,est-ceunedemandeenmariage?—Oh,non,répondit-ilenl’enlaçantpourl’attireràlui.Jefaisjusteallusionaufaitquetudevrais

meleproposer.Elleéclataderire.—Très bien, convint-elle enposant la tête sur son épaule.Mardi prochain ?Ça alimentera les

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commérages.—Parfait,dit-il,radieux.C’étaittrèsintelligentdetapartdemevolermonfiacrepourterendre

ici.Avecceque j’avaisen tête, ilauraitétéextrêmement inconfortablede repartiràdosdecheval.Devinecequejevaisfairedetoisurletrajetduretour?

Ellerelevadesyeuxsombresverslui.—Dois-jetrouverlaréponse,oumedonnes-tulechoix?—Lesdeux.Çafait…longtemps.—Eneffet,dit-elled’unaircomplice.Lesrécentsévénementsm’ontépuisée.Illuipritlementonetl’embrassa.—Bon,nousdevronsdoncveilleràcequetudormestrèsprofondémentcesoir.

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Épilogue

Deuxansplustard

Retrouve-moiàCastein’sBooks.Tonhumbleservante,

VioletMalheurSebastiansouritenrepliantenquatrelemessageainsidélivréavantdeleglisserdanssapochede

poitrine.—Messieurs,dit-ilenselevant.Dans la lumière tamisée du club, ses trois compagnons clignèrent des yeux dans sa direction.

Ilcommençaàrassemblerlespapierséparpilléssurlasurfaceenacajou.— Malheur, se plaignit l’un d’eux. J’y étais presque ; encore quelques minutes, et j’aurais

certainementcompriscequevousdisiez.Reprenezjusteunefoislepassageaveclescorrectionsdusecondordrequevousavezapportéesauxtauxd’assurance,etalors…

—Celaneprésageriendebon,déclaraBenedictens’inclinantdanssonfauteuild’unairhilare.Ilacettelueurdansleregard,etjesaisquesafemmeétaitendéplacement;jepensequenouspouvonsdoncdevinerquiaenvoyécettenote.

—Eneffet.Lesépouses…,grommelal’autrehomme.C’estbienbeau,mais…ah…Ils’interrompit,observafurtivementSebastian,commes’ilserappelaitsoudainquipartageaitla

viedecelui-ci.—EllerevientdeVienne,expliqual’heureuxmari,oùellefaisaituneprésentation.Jenel’aipas

vuedepuissixjours.—Mais…—Maisrien.Nousreprendronscetteséancedemainà10heures.Ilsprirentsondépartdebonnegrâce,avec leconcoursdeBenedict.Sebastians’engouffradans

lesentraillesdumétro,quiserévéleraitplusrapidequen’importequelfiacre.MaisilnepritpasladirectiondeCastein’sBooks,ferméneufmoisplustôt.Quelintérêtd’avoiruncode,aprèstout,sitoutlemondelecomprenait?Celui-cisignifiait:«Audiablenosresponsabilités.Viensmeretrouverdèsquetupeux.»Ilsemitenroutepoursondomicile,tolérantàpeinelecoude-à-coudedanslarame.Lacirculationluisemblaitaffreusementlentecejour-là;ilnecessadeconsultersamontre.Ilnepritpasla peine d’emprunter l’entrée principale, et se faufila par un portillon pour aller directement aurepairedeViolet.«Tum’asmanqué»,disaitsonmessage.Ilenétaitdemêmepourlui.

Ellemenait laplupartde ses expériences àKing’sCollegedésormais, dansune immense serredontelleétaitàlatête.Cellequ’elleavaitderrièrechezeuxn’abritaitquequelquescuriositésquiladivertissaientpendantsontempslibre,ainsiqu’unefouledesouvenirs.Occupéeàmesurerunefeuilled’orchidée,ellenebougeapasd’uncillorsqueSebastianarrivaderrièreelle.Maisquandilglissalebras autourde sa taille, elle ferma lesyeuxet s’adossa contre lui en lâchant son instrument sur latable.

—Tum’asmanqué,susurra-t-elleenentrelaçantsesdoigtsaveclessiens.

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—Toiaussi.(Illuiembrassal’oreille.)Laprochainefois,jet’accompagne.Ellesoupiralorsqu’ilmordillalapeaudesoncou,sidouceetdélicate.— La prochaine fois, précisa-t-elle, ils voudront te parler aussi. Après tout, tu es le… (il lui

déposaunbaisersurl’épaule)lecoauteurde…Hmm…—MaravissanteViolet.Quand jeviendraiavec toiàVienne, tunemeverrascertainementpas

commetoncollaborateur,maiscommeceluiqui t’aura tropfaitcrierpourque tupuissesparler lelendemainmatin.

— Oh. (Elle tourna la tête en souriant.) Pourquoi ne pas nous entraîner dès maintenant pourvérifiersic’estpossible?

—Lapratiqueimpliquequ’ilrestedesimperfections.Ettoi,murmura-t-ilenl’embrassant,tuesdéjàparfaite.

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Notedel’auteure

Lapremièrechosequej’aisuesurcettesérie,c’estqueVioletWaterfield,veuvediscrète,etsonmeilleur ami, débauché extraverti, seraient impliqués dans une collaboration scientifique où elleeffectueraitdesrecherchesdontil tirerait toutlemérite.Dèsledébut, jemesuisefforcéedansmesnotesdenepasmentionnercestravauxcommeétantceuxdeSebastian.Àprésent,jepeuxenfinparlersérieusementdel’œuvredeViolet.

Danslemonderéel,lesétudessurlagénétiqueontcommencéen1865,quandGregorMendelaeffectuésesexpériencesdésormaiscélèbressurdesplantsdepetitspois.Bienentendu,j’imaginequecelles-ciauraientquandmêmepuavoirlieudansmonunivers;jenechangepasl’histoireantérieureàma fiction, j’y fais seulement des ajouts, qui, dans ce cas précis, auraient modifié le cours desévénements à suivre.LadécouvertedeViolet sur ladominance incomplètedesgueules-de-loupen1862, inscrite dans un monde où ces avancées étaient réalisées par une personne à proximitéimmédiatedeCharlesDarwin,auraitaccélérélapercéescientifique.

Les découvertes de Mendel ont été oubliées durant quelques décennies, avant que l’on s’yintéressedenouveauà la toute finduXIXe siècle.Ellesontconstituéunevéritablepierreangulaire,l’unedecesénigmesscientifiquesqui,unefoisrésolues,ontpermisd’éluciderunemultituded’autresinterrogations.Dèsquenousavonssuquelestraitsétaientunhéritage,nousavonsvouluenconnaîtrelemécanisme.PeuaprèsleretourdestravauxdeMendelparmilesincontournablesdelascience,lathéoriechromosomiqueaétépromulguéepourlapremièrefois.

Celaauraitpuseproduirebienavant.Autourde1865,leschercheursontcommencéàvoircequise trouvait au centre du noyau. C’est à partir de là que le bleu d’aniline (précurseur du bleu deméthylène utilisé aujourd’hui) a été employé dans des contextes biologiques.Mais on ignorait cequ’onétudiait.Lespremiersarticlessurlenoyaudébordentdepurejoieetdeconfusiontotale.(J’enai lu un qui me paraissait si incohérent que je l’appelle le « double arc-en-ciel » de 1864.) Lesscientifiquessavaientsipeucequ’ilsobservaientque,en1867,ilsappelaientencorelamasseaucœurdunoyaulachromatine,cequisignifie«substancecolorée».Letermechromosomeamisdesannéesàapparaître,quandlesgensontdevinéquelaquantitédecetélémentdansunecellulepouvaitavoirsonimportance.

Il est presque impossible de retrouver la trace des contributions féminines dans le domainescientifiqueentrecettepériodeet ledébutduXXesiècle,principalementparcequebeaucoupd’entreellesn’ontpasétéconsignées.Maisjelesaitrouvéessansleschercher.Dansl’articledeClausensurlagénétiquedesviolettesmelanium,ilyauneparenthèseéminemmentintéressante.

L’auteurremerciesafemmedanscetteremarqued’uneextrêmedésinvolture:«Jen’auraisjamaisréussi sans la perspicacité et l’aimable assistance de mon épouse, Fru Anna Clausen. Elle s’estchargée presque exclusivement des pollinisations artificielles, des rétrocroisements, des fixations,desensachagesetdesrécoltes,etm’aégalementaidédansledénombrementdestypességrégués.»Sansenavoirl’air,toutcelaconstituelaquasi-totalitédestravauxdonttraitel’article.Denosjours,ces tâches auraient été accomplies par un étudiant dont on aurait largementmis le nom en avant.Clausenestleseulauteurofficieldecedocument.Jenevaispaslecritiquer,maislesmotssontlà.«Mafemmeapresquetoutfait;j’entirelemérite,etpersonneencesièclenetrouveçaétrange.»

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Etmaintenant,nousarrivonsautoutdébutdecelivre:ladédicace.RosalindFranklinétaituneexpertede lacristallographieauxrayonsX,dont les imagesontété

essentiellespourdécouvrirlastructureendoublehélicedel’ADN,comprendrecequesontlesgènesetcommentilssonttransmis.Maismalgrélerôleclédesontravail,sonnomnefiguraitpassurlefameux article annonçant cette avancée scientifique. Dans le récit qu’a publié Watson sur sesrecherches,iltraitecettedamedenomspeuflatteursque,àmonavis,onn’auraitjamaisproférésàl’encontred’unhomme.Ilyavouequesoncollègueetluisesontservisdesdonnéesdelabiologistesans sapermission.Ellemourutd’uncancerdesovaires avantque leprixNobelne soit attribuéàWatson et Crick pour leur découverte, nous ne saurons donc jamais si elle aurait eu le droit departagerleshonneurs.

Ellen’étaitpaslaseulefemmeàdevenirscientifique–loindelà–,nilapremièredontunhommeexploitaitletravailsansluirendrehommage.Maiselleestsouventmentionnéecarellecompteparmicelles dont on a admis qu’elles avaient subi une injustice. Je voulais que Violet finisse àKing’s College, car c’est là que Rosalind Franklin a effectué ses travaux fondateurs. J’aimeraispenser que cela aurait changé quelque chose, dans un autre monde, pour une autre éminentechercheuse.Sivousvousdemandiezcequesignifiaitladédicaceaudébutdecelivre,j’espèrequ’elleestàprésentpluscompréhensible.

PourRosalindFranklin,dontnousconnaissonslenom.PourAnnaClausen,quej’aidécouvertetandisquej’écrivaiscelivre.Pourtouteslesfemmesdontlenomadisparusanslamoindrereconnaissance.Cetouvrageestpourvous.

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Merci!Mercid’avoirluLeComplotdelacomtesse.J’espèrequeçavousaplu!Si vous voulez savoir quandmon prochain livre en français sera disponible, inscrivez-vous àmanewslettersurhttp://www.courtneymilan.fr.VouspouvezaussimesuivresurTwitter:@courtneymilan,oulikermapagefacebookfrançaisevialesitehttp://facebook.com/courtneymilanauthor.Qu’elles soient positives ou négatives, j’apprécie toutes les critiques : ce sont elles qui aident leslecteursàfaireleurchoix.VousvenezdelireletroisièmetomedelasérieLesFrèresténébreux.LesautreslivresquicomposentlasériesontLaGouvernante insoumise, unenovellapréquelle consacréeauxparentsd’Oliver ;LeSecretde laduchesse (tome1) ;LeCouragede l’héritière (tome2) ;LeScandalede la suffragette(tome4).

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REMERCIEMENTS

Ce livre n’aurait pas pu voir le jour sans les commentaires, la relecture et les corrections despersonnes suivantes : Robin Harders, Keira Soleore, Kate Cousino, Rawles Lumumba,Brenna Aubrey, Leigh LaValle, Carey Baldwin, Martin O’Hearn, et Robin Schneider. Commetoujours,jevoueuneéternellegratitudeàTessaDare,CareyBaldwin,etLeighLaVallepourm’avoiraidée à rester saine d’esprit, aux Peeners pour tout le reste, à Melissa Jolly pour avoir pris lescommandes quand c’était nécessaire, et à Rawles pour s’être occupée de tout ce dont je me suisdéchargéeafindemetaireetdetravailler.Unremerciementparticulieràmonchienpourm’avoirfaitprendrel’air,àMrMilanpourm’avoiraccompagnéedanscesmoments-là,etàmonchat,sansraisonprécise.MareconnaissancevaégalementàDNMNC,sansquijen’auraisjamaisécritcelivre.Etunefoisencore,merciàvousdeconsacrervotreprécieuxtempsàcettehistoire.

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Diplômée en chimie physique et en droit,CourtneyMilan a publié son premier roman en 2010.Depuislors,seslivresontreçudescritiquesélogieusesdelapartdePublishersWeeklyetdeBooklist.Sesromansontfigurédanslalistedesbest-sellersduNewYorkTimesetdeUSAToday,etelleaétéfinalisteduRITA®.CourtneyvitauxÉtats-UnisdanslesmontagnesRocheuses,encompagniedesonmari, d’un chien assez mal dressé et d’un chat d’attaque. Si vous voulez savoir quand sortira leprochainlivredeCourtneyMilanenfrançais,n’hésitezpasàvousinscriresursanewsletterenvousrendantsurl’adressesuivante:http://www.courtneymilan.fr/

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Dumêmeauteur,disponibleennumérique:

LaGouvernanteinsoumise

ChezMilady,enpoche:

LesFrèresténébreux:1.LeSecretdeladuchesse2.LeCouragedel’héritière3.LeComplotdelacomtesse

www.milady.fr

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MiladyestunlabeldeséditionsBragelonne

Titreoriginal:TheCountessConspiracyCopyright©2013parCourtneyMilan

Tousdroitsréservés.

Ceciestuneœuvredefiction.Lesnoms,personnages,lieuxetévénementsrelatéssontleproduitde

l’imaginationdel’auteureousontutilisésdemanièrefictive.Touteressemblanceavecdesévénements,lieuxoupersonnes,existantouayantexisténeseraitquepurecoïncidence.

©Bragelonne2016,pourlaprésentetraduction

Couverture:©PeriodImages/©Shutterstock

L’œuvreprésentesurlefichierquevousvenezd’acquérirestprotégéeparledroitd’auteur.Toutecopieouutilisationautrequepersonnelleconstitueraunecontrefaçonetserasusceptibled’entraîner

despoursuitescivilesetpénales.

ISBN:978-2-8205-2528-4

Bragelonne–Milady60-62,rued’Hauteville–75010Paris

E-mail:[email protected]

SiteInternet:www.milady.fr