Conférence Théories du complot © LNicolas
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Les théories du complot :
les comprendre pour y
répondre
Loïc NICOLAS, PhD
Université libre de Bruxelles
LaDisco, GRAL
© Loïc Nicolas
Croyants, non-croyants
« Les croyants sont généralement plus
motivés que les non-croyants pour défendre
leur point de vue et y consacrer du temps. »
Gérald BRONNER, La Démocratie des crédules, Paris, PUF, 2013, p. 76.
© Loïc Nicolas
Inutile d’espérer
Bien sûr, on aimerait disposer d’un arsenal
d’arguments ou de répliques imparables pour
réduire au silence des mots les « théoriciens »
du complot, et les renvoyer, une fois pour toutes,
à la légèreté ou l’absurdité de leurs théories
agaçantes… Reconnaissons pourtant qu’il s’agit
là d’un arsenal introuvable.
© Loïc Nicolas
Idées sottes et langues folles
« C’est le droit, dans une société libre et démocratique, des
individus de s’associer pour défendre parfois les idées les plus
folles, ou pour utiliser le langage de façon désinvolte ou
sophistiquement manipulée. Personne ne voudrait d’une police
de la pensée qui aurait pour tâche de censurer le langage
distordu et corrompu, cette “monnaie usée” dont parlait
Mallarmé. »
Guy HAARSCHER, « Diffamation collective : une notion irrémédiablement
confuse ? », Revue de droit de l’Université Libre de Bruxelles, vol. 35, 2007, p.
51-73, ici p. 67.
© Loïc Nicolas
Le travail des rhétoriciens
« La pensée conspiratoire [doit retenir] l’attention des
rhétoriciens dans la mesure où elle est particulièrement
argumentative et ratiocinante. Dans ce cas encore, nous
avons affaire à une logique récurrente et métamorphique,
revenant à travers la modernité sous des oripeaux
idéologiques successifs ».
Marc ANGENOT, Dialogues de sourds. Traité de rhétorique antilogique,
Paris, Mille et Une Nuits, coll. « Essai », 2008, p. 336.
© Loïc Nicolas
Pas facile de l’admettre
Un échec scolaire ou professionnel ; une rupture
familiale ou amoureuse ; un conflit de voisinage, et
nous commençons à échafauder des scénarios
possibles, complexes voire tordus pour expliquer
cet état de fait. Scénarios qui, bien souvent, nous
aident à garder la face, à conserver une certaine
estime de soi, à restaurer notre fierté blessée, en
faisant reposer sur l’autre, les autres, l’institution, le
système… la responsabilité de la situation pénible.
© Loïc Nicolas
Une dichotomie qui ne marche pas
Nous ne saurions opérer, bien que l’envi ne
manque pas, une dichotomie trop rigide entre
d’un côté les hommes doués de raison, les
savants, les lucides, et, de l’autre, les crédules,
les naïfs, les imbéciles, les fantaisistes de tout
poil : ceux pour qui ces « théories » font sens
d’une manière ou d’une autre.
© Loïc Nicolas
Théorique ?
L’explication par le complot n’est « théorique »
que pour ceux qui n’y « croient » pas. Les
autres y voient, au contraire, une description
objective de la réalité dans ses moindres détails,
un témoignage de leur esprit critique ; de leur
honnêteté ; de leur clairvoyance.
© Loïc Nicolas
Complot, conspiration
Complot : (1) « Dessein secret, concerté entre plusieurs personnes,
avec l’intention de nuire à l’autorité d’un personnage public ou
d’une institution, éventuellement d’attenter à sa vie ou à sa
sûreté. » (2) « Projet quelconque concerté secrètement entre deux
ou plusieurs personnes ».
Conspiration : (1) « Accord secret entre plusieurs personnes en
vue de renverser le pouvoir établi ou ses représentants. »
(2) « Entente secrète entre plusieurs personnes ou choses
personnifiées, en vue de renverser un ordre (qu’il soit représenté
par une personne ou un savoir, une valeur). » (3) « Série d’actions
secrètes entreprises au profit de quelqu’un ou quelque chose. »
© Loïc Nicolas
Pour résumer
Dans les deux cas, l’action est (a) concertée entre
« plusieurs personnes », (b) préparée en secret, donc
soustraite au regard du public, et (c) néfaste pour tous ceux
qui ne conspirent pas, à savoir, bien souvent, le plus grand
nombre. Lequel (d) se trouve alors visé, soit directement,
soit à travers ses représentants. De fait, les manœuvres en
cause (e) entendent déstabiliser un certain « ordre » des
choses réputé harmonieux. Elles visent à créer du désordre
ou une rupture dans la continuité ; elles mettent en péril
ce qui est réputé bien établi, sûr et stable.
© Loïc Nicolas
L’explication par le complot
…s’attache (1) à recueillir et à combiner des événements épars élevés au statut de faits bruts, pour les faire tenir ensemble au sein d’une trame narrative déterministe, et ceci dans l’intention (2) d’apporter la preuve que ces faits sont forcément liés entre eux, (3) en ce qu’ils résultent d’une cause unique, c’est-à-dire (4) d’un complot dont ils témoignent, et (5) au sein duquel les participants répondent à une nature profonde, un agenda caché, des obligations ou des pulsions mauvaises qui les déterminent.
© Loïc Nicolas
Des signes qui ne trompent pas « …et, on m’enlèvera pas l’idée que c’est [plus qu’]une simple coïncidence cette attaque
américaine deux jours avant les élections à la FIFA, et ensuite la réaction de l’UEFA ou de
Monsieur Platini. […] Mais enfin, ça sent pas bien. […] Et puis, en même temps, on a essayé non
seulement… de me dénigrer mais, justement, de me dire part maintenant […] c’est le moment de
partir, alors qu’on est à deux jours du Congrès. […] Il y a, comment dirais-je, des signes qui ne
trompent pas : les Américains étaient candidats à la Coupe du monde de 2022, ils ont perdu. Les
Anglais étaient candidats à la Coupe du monde de 2018, ils ont perdu. Alors c’est justement avec
les médias anglais et le mouvement américain qui est venu maintenant s’implanter à la FIFA…
Écoutez, […] les Américains s’ils ont des délits d’argent ou même des délits de droit commun
[…] qui concernent des citoyens américains en Amérique du Nord ou en Amérique du Sud, eh
bien, qu’ils les arrêtent, là, et non pas qu’ils les arrêtent à Zurich au moment où on a un Congrès.
[…] Il y a quelque chose qui va pas. […] Il ne faut pas oublier que les États-Unis sont le sponsor
numéro un du Royaume hachémite, donc… de mon adversaire. »
Entretient réalisé le 29 mai 2015 et disponible sur le site de la Radio Télévision Suisse :
http://www.rts.ch/play/tv/videos-en-bref/video/sepp-blatter-lentretien-
integral?id=6824365#t=0.
© Loïc Nicolas
Argumentation et évidence
« Mais je peux comprendre que pour certaines personnes qui sont
éduqués dans le mensonge depuis leur naissance que c’est difficile à
croire les théories du complot, moi aussi au début je n’y croyais pas il
m’a fallut du temps pour me mettre en tête que le monde n’est qu'un
ramassé de mensonge. C’est sur qu’ouvrir son esprit c’est vivre dans un
autre monde, certains préfèrent se dirent que c’est faux par peur
d’entendre la vérité, parce que la vérité elle est dur à entendre c’est dur
de se mettre en tête que le monde est contrôlé par une poignées de
personnes, que nos aliments sont empoisonnés, que les médias font de
la désinformations etc. Ils font bien leur travail les élites. »
Message de « Goldin » posté le 20 août 2010 : http://kirintor-rp.forumsrpg.net/t3461-
illuminatis-franc-macon-et-le-complot-mondial
© Loïc Nicolas
L’évidence d’Aristote à Perelman
« Il ne faut pas, du reste, examiner
toute thèse, ni tout problème : c’est
seulement au cas où la difficulté est
proposée par des gens en quête
d’arguments, et non pas quand c’est un
châtiment qu’elle requiert, ou quand il
suffit d'ouvrir les yeux. Ceux qui, par
exemple, se posent la question de
savoir s’il faut honorer ou non les dieux
et aimer ses parents, n’ont besoin que
d’une bonne correction, et ceux qui se
demandent si la neige est blanche ou
non n'ont qu’à regarder. » (ARISTOTE,
Topiques, Livre I, chap. 11, 105a)
« Quand la thèse à faire admettre est
évidente, et que cette évidence
s’impose à tout esprit attentif, il n’y a
pas lieu d’argumenter : dès que la
vérité s’impose d’une manière
contraignante, quand l’évidence ne
laisse aucune liberté de choix à la
volonté, toute rhétorique est
superflue. » (Chaïm PERELMAN,
« Droit et rhétorique », dans Alain
Lempereur, L’homme et la
rhétorique, Paris, Méridiens
Klincksieck, 1990, p. 207-212, ici p.
207)
© Loïc Nicolas
Critique, doute et raison moderne
Admettre que quelque chose ne va pas dans la thèse officielle, comprendre « la façon dont évidemment elle a été fabriquée, […] c’est un travail sur [soi] que beaucoup de gens ne sont pas capables de faire, que la majorité n’est pas capable de faire. […] La négation de la réalité c’est la négation de la science. […] Vous avez le droit de vous poser des questions. […] Si vous avez des doutes, vous avez le droit de les émettre. […] Nous sommes des millions à avoir des doutes, il y a des milliers de spécialistes qui se sont regroupés main dans la main pour comprendre ce qui s’est passé. Et ils ont trouvé, ils savent. Écoutons-les.
M. Kassovitz, vidéo mise en ligne le 11 septembre 2011. Consultée sur : http://www.agoravox.tv/tribune-libre/article/mathieu-kassovitz-parle-du-11-31679
© Loïc Nicolas
La critique contre la critique
« Les “théories du complot” sont devenues un moyen d’exercer sa liberté de critiquer, tout en la détournant de sa fonction initiale et de son esprit. Elles manifestent donc un angle mort de la modernité, à savoir l’absolutisation de cette liberté même, en ce qu’elles cherchent à se soustraire au regard de la critique ou à en réviser les contraintes à leur profit. […] Cette tyrannie par laquelle la critique force l’adhésion à ses thèses en surexploitant l’effet d’évidence caractérise une habitude intellectuelle qui, dans la recherche de l’efficacité à tout prix, a fini par distendre son rapport à la réalité et entretenir une ambivalence à son égard. Une telle propension au déni où le monde se trouve dilué dans son explication, où la cohérence superficielle du sens annule la charge de la preuve, dispose à convertir sa résistance à la doxa en illusion collective et son doute perpétuel en certitude conquérante. »
E. Danblon et L. Nicolas, « Modernité et “théories du complot” : un défi épistémologique », dans E. Danblon et L. Nicolas (dir.), Les rhétoriques de la conspiration, Paris, CNRS Éditions, 2010, p. 12.
© Loïc Nicolas
Hasard et transparence absolue
Le hasard est un « hôte indésirable »
Les coïncidences n’existent pas
La transparence est un droit
Il y a quelqu’un qui tire les ficelles
« On nous cache tout ! On ne nous dit rien ! »
Soif d’immédiateté et d’immédiation
© Loïc Nicolas
La puissance de l’imprévisible
Jusqu’en 1697, il est
impossible, pour un
Européen, d’imaginer que
certains cygnes puissent
être noirs…
© Loïc Nicolas
Mythe et statut du récit
« [L]a conscience mythique opère la réunion en donnant à
la réalité un sens humain. Les mythes dessinent une image
du monde en réciprocité avec une mesure première de
l’homme. Mesure et non pas démesure. […] En fait, le
mythe a pour fonction de rendre la vie possible. Il donne
aux sociétés humaines leur assiette et leur permet de
durer. »
Georges GUSDORF, Mythe et métaphysique. Introduction à la philosophie,
Paris, CNRS Éditions, coll. « Biblis », 2012 [1953].
© Loïc Nicolas
En faire un instrument… ou pas
Pour Nassim Nicholas Taleb la narration à laquelle
on donne une valeur « épistémologique » s’oppose
à la narration à laquelle on donne une valeur
« instrumentale ». La première piège ceux qui y
croient ; elle oblige à en savoir toujours plus ; elle
asservit. La seconde libère et aide à devenir
antifragile. La première tient du dogme, la
deuxième du « bricolage », lequel est reconnu et
assumé comme tel.
© Loïc Nicolas
Conclusions
Éviter la confrontation aux faits eux-mêmes :
régression à l’infini, temps perdu, piège…
La seule réponse possible est :
Apprendre à mettre à l’épreuve ses propres
croyances et à mettre en péril ses arguments en
maniant avec précaution l’effet d’évidence ;
Pratiquer la critique de façon authentique sans
chercher à s’immuniser contre elle ;
Apprendre la frustration interprétative.
© Loïc Nicolas