Le Compagnonnage- Rites Et Histoire

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E. MARTIN SAINT-LÉON LE COMPAGNONNAGE Son histoire Ses coutumes Ses règlements et ses rites PARIS LIBRAIRIE ARMAND COLIN 5, RUE DE MÉZIÈRES, 5 1901 Tous droits réservés.

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  • E. MARTIN SAINT-LON

    LE

    COMPAGNONNAGESon histoire

    Ses coutumes Ses rglements

    et ses rites

    PARISLIBRAIRIE ARMAND COLIN

    5, RUE DE MZIRES, 51901

    Tous droits rservs.

  • INTRODUCTION

    Le compagnonnage est aujourd'hui presque ignor dupublic, et son nom mme s'efacc peu peu du souvenirdu peuple. Sauf dans trois ou quatre corporations o,sous l'influence de causes diverses, il a pu se perptuerjusqu' nos jours et conserver quelques vestiges de sonancienne influence, le compagnonnage est mort ou semeurt. Il ne groupe plus qu'un nombre presque insigni-fiant d'adhrents. Les sources de son recrutement sonttaries. Ses coutumes, jadis si invariablement gardes, sesrglements, vritable code de la vie professionnelle d'au-trefois, ses rites qui furent entours d'un si religieux res-pect, tout cela se dissout peu peu, se fond lentement ets'vanouit di'j plus qu' demi dans la nuit du pass. C'est peine si quelques rameaux verdoient encore au sommetde l'arbre antique dont la sve se retire et dont le tronccreux et dessch ne rsistera plus longtemps aux orages.Et cependant le compagnonnage a t, pendant plus de

    cinq sicles, et jusqu' une poque relativement rcente,l'une des institutions les plus puissantes de notre pays.Contre la corporation de mtier devenue, ds le xv, maissurtout au xvir et au xviii" sicle, au lieu de la libre etfraternelle association du temps de saint Louis, l'instru-ment d'une oligarchie marchande goste et jalouse, aulieu d'une coopration, un monopole, au lieu d'un vastedifice largement ouvert tous les travailleurs, une petite

    LE COMPAGNONNAGE.

  • VI INTRODUCTION

    chapelle sombre et ferme, le compagnonnage a (li''fenduavec un zle infatigable et souvent avec succs, la causedes artisans. C'tait son cole que l'ouvrier s'instruisaitdans la pratique de son art et qu'il acqurait ces connais-sances et cette habilet de main attestes par tant dechefs-d'uvre. C'tait encore le compagnonnage qui diri-geait ses pas travers ce Toin' de France dont il devait,pour achever son ducation professionnelle, parcourir leslongues tapes; qui lui assurait en tous lieux du pain, ungte et du travail; qui le protgeait, s'il le fallait, contrela rapacit du matre, au besoin par la menace d'unegrve, et contre l'inscurit des routes, en lui donnant,dans tout compagnon de son rite, un dfenseur et un ami;qui le secourait en cas de maladie; qui, enfin, l'assistait son heure dei'nire et l'accompagnait jusqu'au champ del'epos. Toutes ces attributions, chues de nos jours enpartage de multiples institutions (syndicats, socits desecours mutuels ou d'enseignement, bureaux de place-ment, etc.), taient alors dvolues en [ail ce compagnon-nage, socit secrte dont, en dpit des prohibitions, desdits et des perscutions policires, l'action s'tendait surtoute la classe ouvrire.

    Cette mission sociale du compagnonnage ne devait pas, ausurplus, prendre fin la Rvolution. La loi du 2 mars 1791qui supprima la corporation officielle et celle du 14 juin 1791qui interdit tous citoyens de mme tat ou profession,aux ouvriers et compagnons d'un art quelconque, de formerdes rglements sur leurs prtendus intrts communs ,furent impuissantes dissoudre cette trange et si vivaceassociation. Sous l'Empire, sous la Jlestauration et mmesous la monarchie de Juillet, l'initiative et la direction delpresque totalit des mouvements ouvriers ont encore appar-tenu au compagnonnage, demeur jusqu'en 1848 le prin-cipal, sinon l'unique champion de la cause et des reven-dications du travail.

    Cette institution si forte et si originale fixait aussi l'at-tention de nos pres par ses coutumes, ses crmonies etses rites extrieurs qui constituaient un des aspects lesplus curieux de la vie publique d'autrefois. Il suffit encoreaujourd'hui d'interroger les vieillards, ceux d'entre euxtout au moins qui ont dpass l'ge de soixante-dix ans,pour veiller dans leur esprit des impressions et des

  • IXTRODUCTION VII

    souvenirs o revit rima;e d'un compagnonnage ignorde la gnration nouvelle. Il faut les avoir entendusdcrire les processions tout enrubannes de ces compa-gnons qui promenaient leurs chefs-d'uvre par les villes,ces conduites passant les barrires et s'arrtant en pleinschamps pour accomplir des rites compliqus et bizarres,ces parades d'enterrement, ces topages; il faut avoirprt l'oreille au rcit de ces batailles piques o lesang coulait flots ; il faut avoir cout ces refrains deguerre o s'avivait le fanatisme des compagnons rivaux,ou ces chansons de rconciliation, filles des rves huma-nitaires de 1848; il faut avoir recueilli tous ces tmoi-gnages et s'tre imprgn de toutes ces visions pourse rendre un compte exact de l'ascendant qu'exeraitjadis cette association sur la classe ouvrire, pour com-prendre quel point ses usages et ses traditions iaientlis aux murs et aux habitudes de vie de l'ancienneFinance.

    Le but c[ue nous nous sommes propos dans eut ouvrageest de retracer l'histoire du compagnonnage et de fixerles traits gnraux de cette association dont la formeparat si archaque alors que le but, l'ide dont elle s'ins-pirait, apparat, au contraire, comme si moderne. Il nousa sembl que l'heure tait particulirement favorable une telle tentative. D'une part, en effet, si dchu qu'il soitde son ancienne splendeur, le compagnonnage n'a pasencore dfinitivement disparu. Non seulement on ren-contre encore des hommes qui l'ont connu au temps desa prosprit, avant 1848, et il est possible d'enregistrerainsi de prcieuses dpositions, mais il existe encore plu-sieurs associations de compagnons dont le fonctionne-ment peut tre tudi, dont les rglements et les ritesouvrent toujours un champ l'investigation. Il est doncencore temps de procder une enqute dont chaqueanne qui s'coule augmentera les difficults et qui, dansun quart de sicle, sinon plus tt, sera devenue impos-sible.

    Il n'y a peut-tre pas lieu, d'autre part, de regretterqu'une pareille tude n'ait pas t plus tt entreprise. Il ya soixante ans, lorsqu'Agricol Perdiguier publia la pre-mire dition de son Livre du Compa'jnonnage , si substan-tiel et si color, les socits de compagnons taient encore

  • VIII INTRODUCTION'

    trop intimement engages dans la lutte des classes pourqu'il ft ais d'apprcier leur rle en toute impartialit.Le seul nom de compagnon veillait alors dans l'espritdes chefs d'industrie et de toute une fraction de la bour-geoisie les mmes dfiances instinctives qu'inspire encore beaucoup de gens le seul mot de syndicat ouvrier. Uneautre partie du public, moins directement intresse la solution des conflits industriels, plus accessible auxinfluences littraires, plus aisment sduite par le dcorpotique du compagonnage, s'prenait, au contraire, pourcette association mise la mode par un roman de GeorgeSand, d'un engouement trop peu rflchi pour tre durable.Le Compagnon du Tour de Finance n'tait-il pas alors le typesuprieur de l'ouvrier, et l'ouvrier n'tait-il pas, h la findu rgne de Louis-Philippe, comme au xviii^ sicle,l'homme de la nature, le bon sauvage, le personnagesympathique par excellence, le hros lev sur un pavoispar la littrature contemporaine? Dfiance et parti prisd'un ct, enthousiasme sentimental de l'autre : l'imageque le public se formait du compagnonnage tait, dans lesdeux cas, fort diffrente de la ralit.Malgr la chaleur de ses convictions, malgr son dvoue-

    ment d'aptre, malgr la clairvoyance de la plupart de sesvues, Agricol Perdiguier lui-mme tait trop compagnon,et mme trop gavot, pour qu'il lui ft possible d'crire unehistoire vraiment complte et impartiale de l'association laquelle il avait vou sa vie. Compagnon, il ne pouvait,sans manquer des serm.ents sacrs, divulguer ses lec-teurs les mystres de l'association dont il tait membre,initier des profanes son enseignement secret, sesrites, ses symboles. Gavot, il ne connaissait qu'imparfai-tement comme le prouvent les nombreuses erreursreleves dans son livre par Moreau et Ciiovin (de Die) les rglements et l'organisation des socits du Devoir.Quant la partie historique de son ouvrage, sa valeur estpresque nulle. Le lecteur s'aperoit trop vile que l'auteur,si digne d'attention lorsqu'il relate des faits dont il a tle tmoin, avait t insuffisamment pipar par une ins-truction primaire entreprendre une lude aussi dlicateque celle des origines du compagnonnage. De tous lescrivains compagnons aucun ne peut cependant tre com-par Perdiguier au point de vue du style et de l'intrt

  • INTRODUCTION IX

    du rcit. Si ses ouvrages, et surtout son Licre du Com-pagno)tnagc et ses Mmoires d'un Compagnon, prsententd'assez nombreuses lacunes et certaines inexactitudes, ilsn'en constituent pas moins des documents d'une hautevaleur : ct de ses rcits si anims et si attachants, lesuvres de polmique ou les narrations de ses contradic-teurs ou de ses disciples semblent bien ples. Perdiguiern'est comme eux, vrai dire, qu'un tmoin dans l'en-qute ouverte sur le compagnonnage et sur sa missiondans le pass. Mais l'intrt se concentre presque unique-ment sur sa dposition. S'il ne dit pas tout, il en dit assezpour nous permettre de nous former une ide prcisedes tres et des choses au milieu desquels il a vcu.II nous trace du compagnonnage sous la monarchie deJuillet, sinon un portrait achev, du moins une esquissequi demeure, dans ses grandes lignes, une saisissantevocation.Mais plus de soixante ans se sont couls depuis la

    publication (1840) de ce Livre du Compagnonnage, dontdeux ditions nouvelles (1841-1857) n'ont gure dveloppque la partie anecdotique et liltiairc. Or, depuis soixanteans, une volution continue a profondment modifi lergime conomique et social de notre pays : le machi-nisme, encore ses dbuts en 1840, a poursuivi victorieu-sement ses conqutes. La construction des chemins de fera bris le vieux cadre des murs et des habitudes localesen concentrant dans les grandes villes des industries aupa-ravant dissmines sur toute l'tendue du territoire, enrduisant des contres entires un vritable vasselageconomique. Un changement non moins radical s'estopr dans les sentiments, les opinions et les croyancesde la classe ouvrire. Quel abme entre l'ouvrier de 1840ou de 1848, spiritualiste autant que dmocrate, amoureuxdes symboles, passionn pour la libert et la gloire mili-taire, plus prompt s'enflammer pour des ides que pourdes intrts, et l'ouvrier de 1901, anim, lui aussi, dansl'intimit de sa conscience et par un incoercible instinctde race, de sentiments nobles et gnreux, mais scepti-que, railleur, pessimiste, se dfendant de l'motion commed'un ridicule, confondant trop aisment le respect avec laservilit, trop enclin surtout se laisser sduire par desthories dont les prdicateurs s'efforcent d'veiller en lui

  • X l.NnODUCTION

    des convoitises au lieu de parler sa raison et soncur.

    Le compagnonnage lui-mme, qui constituait encoreen 1840 une force sociale de premier ordre, n'est plusaujourd'hui qu'une institution dcrrpite dont la fin paratinvitable et prochaine. Le tableau qu'Agricol Perdiguiernous a laiss de cette association, tel qu'il avait pu l'ob-server en 18i0, ne ressemble donc pas plus au compagnon-nage actuel que le portrait d'un homme de trente ans nel'eprsente fidlement la physionomie de ce mme hommedevenu octognaire.

    Si, laissant quant prsent de ct les livres des cri-vains compagnons dont aucun, sauf Perdiguier, n'a tentde tracer un tableau d'ensemble de notre institution, nousnous demandons quels ouvrages ont t publis depuissoi.\ante ans sur ce sujet, nous n'en pouvons dcouvrirqu'un nombre trs restreint.

    Il est peine besoin de rappeler la remarquable tudesur le Charpentier de Paris, Compagnon du Devoir, publieen IS'O par MM. Le Play et Focillon {Ouvriers des deuxMondes, t. I", no i). Cette enqute a t reprise, remiseau courant et complte en ISyi par M. du Maroussem dansson livre : La Question ouvrire, tome I", Charpentiers deParis, Compagnons et Indpendants (Paris, Rousseau, in-8).Mais il ne s'agit l que de monographies ayant trait uneseule corporation : celle des charpentiers, et nullementd'tudes gnrales sur l'institution du compagnonnage.Deux auteurs seulement ont entrepris, depuis Perdi-

    guier, de composer une histoire gnrale du compagnon-nage. Le premier en date, M. SiMOx(de Nantes), (( membrede la Socit acadmique de cette ville, associ correspon-dant de la Socit industrielle de Muliiouse , a publi,en 1853 (Paris, Capelle, in-8), une tude historique etmorale sur le compagnonnage, qui n'ajoute, pour ainsi dire,aucun dtail nouveau aux rvlations de Perdiguier. Lesecond, M. Alfred KiRCii, a fait paratre, tout rcemment,sous ce titre : Le Compagnonnage en France (thse pour ledoctorat en droit; Paris, Pedone, 1901), un travail dont ladocumentation, entirement de seconde main, est surtoutpuise dans le livre de M. Simon quelque peu rajeuni pardes emprunts aux ouvrages de M. du Maroussem et deVOfficc du travail. Il est trop manifeste que l'auteur a

  • INTRODUCTION XI

    recul devant les difriculti's et les lenteurs forces d'uneenqute personnelle.

    VOffice du travail a consacr au compagnonnage tout unchapitre du tome F'' de son enqute sur les Associattoyisprofessionnelles ouvrires Paris (Imprimerie Nationale,1899, in-4). Comme toutes les publications de VOffice dutravail, cette uvre a un caractre purement documentaire.C'est presque uniquement un recueil de textes et un exposde faits sans commentaires ni conclusion. L'intrt desdocuments mis en lumire est fort ingal. Les Rgles duDevoir des C enfants de Matre Jacques (p. 96 113) etles extraits du rituel cits p. 118 et 119, pices d'archivesqui datent de 1814 et 1842, sont des textes d'une hautevaleur dont l'authenticit nous parat indiscutable, bienque l'on omette de nous indiquer c quelle corporation ilsse rapportent. Par contre, la dernire partie du chapitre(p. 148 187) n'est gure qu'une reproduction de docu-ments dj publis dans des brochures imprimes et tires nombre d'exemplaires : Les ComjJtes rendus des Congrs deVTJnion compagnonnique et la Notice historique sur la fonda-tion de la Socit de l'Union des travailleurs du Tour de France,Tours, Bousrez (1882-1889). D'autre part, les rdacteurs dece travail ne donnent, pour ainsi dire, aucun renseigne-ment sur l'organisation et la rglementation actuelles dessocits professionnelles de compagnons dits rests fidlesau Devoir, socits qui constituent encore, cependant, laprincipale force du compagnonnage actuel. On se borne,dans cet ordre d'ides, analyser trs brivement lesstatuts d'une socit de retraites : le Ralliement, qui serecrute parmi ces compagnons, et mentionner en quelqueslignes, dans les autres chapitres du tome I*^"" et du tome IIde l'ouvrage, l'existence de telle ou telle socit profession-nelle de compagnons, sans entreprendre d'tudier sonfonctionnement et son uvre. C'est l une grave lacunedans une enqute d'autres gards trs substantielle.Deux autres publications de ['Office du travail renfer-

    ment certains documents ou renseignements concernantle compagnonnage (voir les enqutes intitules : Le Pla-cement des employs, ouvriers et domestiques en France,Paris, 1893, p. 12 29, et les Associations ouvrires de pro-duction, p. 173 191).Aucun des ouvrages prcdents ne prsentait donc, quel

  • XII INTRODUCTION

    que ft le mrrite de certains d'entre eux, le cnraclred'une t'tude conipir-te sur le compaynonnaye, son histoire,ses coutumes, ses rylemcnts et ses rites. Tel est par suite lesujet que nous avons entrepris de traiter.

    Le choix d'une mthode de travail tait, ici, particuli-rement dlicat; il s'agissait, en effet, d'tudier des associa-tions encore trs imparfaitement connues et dont la con-stitution est trs complexe. Il nous a paru, aprs mrerflexion, que la mthode synthtique tait la plus propre assurer le succs de notre tentative. Si irrmdiable quesoit sa dcadence, le compagnonnage compte encore desfidles; il existe encore, comme il a t dit, des tmoinsqui l'ont connu au temps de sa prosprit et de sa puis-sance. Avant de demander son secret au pass, avant defouiller dans les archives, avant d'interroger les recueilsjudiciaires et les annalistes, nous avons donc jug nces-saire d'ouvrir une vaste enqute, de relever toutes les tracesencore visibles du compagnonnage pour remonter ensuite travers les ges en suivant la voie que cette socit aparcourue jusqu' ce que tout s'effat dans le lointain dessicles. Nos recherches historiques seraient ainsi, en casde russite

    ,

    grandement facilites . Tel document duxviu'^ sicle, crit dans un langage conventionnel et deprime abord inintelligible, s'expliquerait peut-tre ais-ment si nous retrouvions chez les compagnons de 1901 laclef qui a pu leur servir depuis des sicles chiflrer leurcorrespondance. Le sens vritable de telle coutume, de telsymbole longtemps impntrable serait peut-tre fix parun simple compagnon dpositaire de la tradition.Nous touchons ici la partie la plus dlicate de cet

    expos. Il est vident que l'tude approfondie du compa-gnonnage impliquait non seulement l'examen de la viepublique des compagnons, mais encore la connaissancede leurs rites cachs, de leurs crmonies mystiques, detout ce qui constitue les arcanes de leur association. Sansdoute ces secrets n'taient dj plus tout fait intacts.Ds 185S, la brochure intitule : Le Secret des CompiKjnonsC'i'donniers dvoil (Paris, Payrard) avait dvoil le rituelde cette socit. En 1891, M. du Maroussem a jjubli lacurieuse relation d'un transfuge dcrivant la rception descompagnons charj)enliers du Devoir. Lnlin VOffkc du tra-vail a reproduit, comme il a t dit, un rituel et un rgle-

  • INTRODUCTION XIII

    ment fort inliessants bien qu'anonymes. Mais ces rvla-lions taient loin d'puiser un si vaste sujet. 11 nous a tdonn, notre tour, de recueillir nombre de documentsindits qui compltent, bien des gards, les donnesantrieurement acquises. Nous citerons notamment : lerituel de rception de l'Union compagnonnique, la recon-naissance des compagnons vitriers, le rglement intrieurdes compagnons boulangers, l'Instruction compagnonniqueo se trouve formul l'enseignement secret donn auxnouveaux initis, etc. On comprendra aisment que nousne puissions indiquer la voie par laquelle nous sont par-venus ces renseignements. Il n'et pas suffi au surplusd'tre instruit des rites et des formules du compagnonnagepour se rendre vritablement matre du sujet. Le compa-gnonnage n'est pas seulement une socit secrte, une sortede religion, dont les symboles, le crmonial, la liturgiepeuvent juste titre veiller l'intrt du lecteur ou toutau moins exciter sa curiosit; c'est encore une socitouvrire dont le rle social a t jadis fort important etdont l'inlluence a survcu dans quelques corporations,alors que dans quelques autres elle groupe encore unpetit nombre d'adhrents. Ces socits ont leurs statutsparticuliers, leurs usages propres, leur hirarchie. Ellesont organis et elles grent des institutions de mutualit,de prvoyance ou d'enseignement. Elles s'occupent aveczle du placement de leurs membres. Une enqute s'impo-sait l'etet d'tudier, tous ces points de vue, l'organisa-tion et le fonctionnement des compagnonnages encoreexistants. Nous avons donc adress toutes les socits decompagnons une lettre exposant le but que nous poursui-vions et sollicitant un rendez-vous. Il nous faut rendrecompte, brivement, de ces dmarches et citer les nomsde nos tmoins.UUnion compagnonnique nous a rserv le plus aimable

    accueil et nous a libralement communiqu les renseigne-ments les plus complets sur son histoire, ses rglements,ses coutumes ( l'exception, bien entendu, des rites rser-vs qui nous ont t divulgus d'autre part). Nous remer-cions ici tout spcialement M. Lucien Blanc, chevalier dela Lgion d'honneur, maire de Grzieu-la-Varenne (Rhne),ancien compagnon bourrelier et prsident de l'Union com-pagnonnique; M. Pichard (Parisien la Bonne Conduite),

  • XIV INTRODUCTION

    secrtaire de l'Union compagnonnique de Paris (10, citRiverin); MM. Proudhom et Pradelle (de Toulouse), M. Gabo-riau (de Surgres), prsident de la Caisse de retraites.Merci galement l'un des doyens du compagnonnage,au bon chansonnier octognaire Escolle (Joli Cur deSalernes), qui a bien voulu, notre prire, laisser parlerses souvenirs de jeunesse et nous retracer ses impressionsde compagnon du Tour de France.

    M. Rouleaud, premier en ville des compagnons charpen-tiers du Devoir de libert (sige social : 10, rue Mabillon,Paris), nous a trs obligeamment remis un exemplaire desstatuts de cette socit et nous a fourni maints dtailsintressants.Quelques-unes des socits du Devoir n'ont pas cru

    devoir rpondre favorablement notre appel; beaucoupplus nombreuses sont celles qui se sont appliques faci-liter notre tche. Il nous a t possible, au surplus, derunir indirectement sur les premires de ces socits desinformations tout aussi sres et dtailles que celles dontles secondes nous avaient spontanment accord le bn-iice. Nous adressons l'expression de notre reconnaissanceaux personnes suivantes qui nous ont fourni des rensei-gnements trs prcieux : M. Favaron, ancien compagnoncharpentier, bon drille, directeur de la socit les Char-pentiers de Paris, officier de la Lgion d'honneur, membredu Conseil suprieur du travail;M. Lamy, compagnon marchal ferrant; M. Moreau,

    compagnon passant serrurier. MM. Lamy et Moreau nousont rendu les plus grands services : le premier, en s'em-ployant avec un zle infatigable nous concilier des cor-porations mal disposes ou hsitantes; le second, en nousprtant les collections compltes des deux journauxorganes des compagnons du Devoir : le Ralliement (deTours), et VOfficiel du Ralliement (de Nantes);

    M. Bardon, secrtaire de la socit des compagnons bou-langers de Paris (sige social : 4, rue de la Rale); M. Bou-din, compagnon, tisseur ferrandinier, directeur du Rallie-ment de Tours; M. Bonvoust, compagnon couvreur, auteurd'une brochure intitule : i^tiide sociale sur les corporationscompagnonniques de Maitre Jacques et du Pre Soubise. Anrjoulhne, Boitaud, 190 1.

    M. liis, premier en ville des compagnons forgerons

  • INTRODUCTION XV

    de Paris (sige social : 29, rue de la Forge-Royale);MM. Flouret, pi'sident de la socit de secours mutuels

    des compagnons charrons, et Bachelier, premier en villedes compagnons charrons de Paris (sige social : 52, ruede Bretagne).Nous arrtons ici cette liste dj longue, mais forcment

    incomplte. Tous ceux : premiers en ville, pres ou mres,anciens compagnons ou compagnons en activit qui pen-dant les trois annes au cours desquelles s'est poursuivienotre enqute, nous ont donn, sans compter, leur con-cours, voudront bien trouver ici l'assurance de notre gra-titude '.Aprs avoir clos notre enqute sur le compagnonnage

    contemporain, nous avons abord l'tude des destines del'institution au xix" sicle. Nous avons alors lu ou relu lesouvrages de Perdiguier : Livre du compagnonnage (1840 et1837); les Mmoires d'un compagnon, Genve, Duchamp(1854-53); VHistoire d'une scissio7i dans le compagnonnage(1846) ; La Question vitale sur le compagnonnage , Paris, Dentu(18G3), in-16; Aj)pel aux compagnons (1873), etc.Nous avons li connaissance avec la pliade des cri-

    vains compagnons : Moreau, Un mot sur le compagnonnage,Auxerre (1841); De la rforme des abus du compagnonnage,in-lG (1843); Capus : Conseils d'un vieux compagnon. Tours,(1844j; SciANOno : Le compagnonnage. Ce qu'il a t. Ce quilest. Ce qu'il devrait tre, Marseille (1850); Guillaumou. Con-fessions d'un compagnon (1858); Chvin (de Die), Le Con-seiller des comjmgnons, Paris, Dutertre (18(30), in-12.Nous avons encore consult nombre d'autres documents :

    Les Chansonniers du Tour de France de Perdiguier (1857, in-10) et de Vendme la Clef des Curs (1846); la collectionde la Gazette des Tribunaux depuis sa fondation jusqu'en1850 (nombreux rcits de rixes et de batailles entre com-pagnons); La Grve des charpentiers, par Blaxg (1845) ; l'his-torique qui prcde le Rglement intrieur des compagnons

    1. Diverses personnes trangres au compagnonnage ont bienvoulu galement nous seconder. Nous citerons, en les remer-ciant : M. Blanchet, prsident de la socit libre : VUnion destravailleurs du Tour de France, M. Pillet (de Tours), M. l'abbRabicr (de Blois), notre collgue et ami, M. Lon de Seilhac,dlgu au service industriel et ouvrier du Muse social.

  • XVI INTRODUCTION

    boulanr/ers; VAlmanach du Tour de France, pour 1887, publipar la Fdration compagnonnique, 13, rue des Archers, Lyon; la Notice historique sur la fondation de la socitr Union des Travailleurs du Tour de France, Tours, Bousrez(1S89). Nous avons galement trouv des indications trsutiles sur les progrs du machinisme et de la concentrationindustrielle cause principale de la dcadence du com-pagnonnage dans les rapports des Expositions natio-nales de Tsig, 1823, 1827, 1839, 1844, 1849 et des Exposi-tions internationales de 185d et 1807.Nous avons eu recours, pour l'tude de l'histoire du

    compagnonnage sous la Rvolution et l'Empire, diversdocuments conservs aux Archives nationales ou laBiljliothque nationale (Mss) ainsi qu' la collection duMoniteur; mais la source de renseignements de beaucoupla plus abondante laquelle il nous ait t donn depuiser est une liasse trs volumineuse de pices et de rap-ports de police entirement indits, du temps du Consulatet de l'Empire, qui tous ont trait au compagnonnage etrenferment les renseignements les plus prcieux sur sonrle et ses coutumes cette poque [ArcJves nationales,F'', 4236). Nous sommes redevables de l'indication decette importante collection M. Tuetey, chef de sectionaux Archives nationales et auteur du Rpertoire gnraldes sources manuscrites de l'histoire de Paris j^'^^^dunt lalii'volulion.

    Il nous restait, aprs avoir tudi la priode de l'histoiredu compagnonnage qui s'tend de la Rvolution jusqu'nos jours, poursuivre la mme tude sous l'ancienrgime. Cette partie de notre tche et t, sans conteste,la plus difficile si des travaux antrieurs qui avaient i>ourobjet la prparation d'une Histoire des corporations demtiers (Paris, Guillaumin, 1897, in-8"), ne nous avaientpermis de circonscrire le champ de nos recherches. Nousavions acquis, en effet, la certitude que si, selon toutevraisemblance, les premiers compagnonnages se sont con-stitus ds le xii

  • INTRODUCTION XVII

    au xvm" sicle que nous possdons des donnes un peuprcises et dtailles sur les socits de compagnons.Dans ces conditions, nous ne pouvions que nous borner,

    pour la priode antrieure au xvi" sicle, reproduire leslgendes ayant cours parmi les compagnons relativementaux origines de leurs socits, rapporter les diverseshypothses mises ce propos par les historiens et indi-quer celle qui nous semblait la plus vraisemblable. Nousavons galement pass en revue les diverses ordonnancesdu xvi^ sicle prohibitives des confrries et notammentcelle d'aot 1539, qui vise les compagnons imprimeurs deParis. Nous avons mis profit dans ce chapitre l'tudepublie par M. Ilauser dans son livi'e Ouvriers du tempspass (Paris, Alcan, 1899), sous ce titre : Histoire cVune grveau XVl" sicle (chap. X).Au XYii" sicle, la sentence de la Sorbonne de 16od qui

    condamne les pratiques des divers Devoirs met en videncela puissance occulte de ces socits. Nous avons suivi dansles recueils de statuts des corporations parisiennes post-rieurs cette sentence la trace des ordonnances et desrglements de police qui attestent la rsistance des com-pagnonnages aux injonctions de l'autorit et leur surpre-nante vitalit. Mais, c'est surtout partir du second quartdu xviu'' sicle que se multiplient les textes relatifs aucompagnonnage. Un grand nombre de ces documents sontdisperss dans les dpts d'archives de province, d'o ilnous et t fort difficile de les extraire sans le prcieuxconcours d'un ami, M. Germain Martin, archiviste-palo-graphe, docteur en droit, auteur de divers travaux histo-riques estims. M. Germain Martin, qui poursuivait lui-mme une enqute documentaire sur un sujet analogueen vue de son livre Les Associations ouvrircsau XVIW sicle(Paris, Rousseau, 1901), a bien voulu, avant mme la publi-cation de cet ouvrage, nous faire part de ses dcouverteset nous mettre mme de tirer parti des nombreux docu-ments par lui recueillis, dont la plupart ont t analyssdans son livre, dont quelques autres sont demeurs jus-qu'ici indits. Nous renouvelons M. Germain Martinl'expression de notre cordiale gratitude. Enfin, M. Levas-seur, qui a signal le premier dans son Histoire des classesouvrires (1" dition, Guillaumin, 1857, p. 49b S04)l'importance du rle dvolu sous l'ancien rgime au com-

  • XVIII INTRODUCTION

    pagnonnage, nous a obligeamment communiqu le rap-port par lui adress en 1899 l'Acadmie des Sciencesmorales et politiques, et dans leijuel il a reproduit un trscurieux l'glement des compagnons menuisiers de Mcon.Nous lui adressons galement nos sincres remeixiements.

    L'ordre d'exposition de cet ouvi"age devait tout naturel-lement tre inverse de celui que nous avions suivi pour sacomposition. Une premire partie a pour titre : Histoire ducompa'jnonnage depuis ses origines jusqu' la Rvolution. Ellerenferme une tude sur les origines de l'institution; unerevue des vnements auxquels le compagnonnage a prispart et des dits ou ordonnances promulgus contre luipendant cette priode; enfin un tableau de l'institutiontelle qu'elle apparat au .xviu'^ sicle.La deuxime partie du livre a pour titre : Histoire du

    compagnonnaf/e depuis la Rvolution jusqu' nos jours. Sousl'Empire et la Restauration, le compagnonnage est parvenu son apoge. Sous la monarchie de Juillet, sa dcadencecommence sous Tinfluence des divisions qui le minent, dumachinisme qui supprime sa raison d'tre : l'ducationprofessionnelle de l'ouvrier; de la construction des cheminsde fer qui entrane la disparition des vieilles coutumes duTour de France. Cette dcadence s'accentue encore sousla Rpublique de 1848 et sous le second Empire. A partirde 1870, le compagnonnage n'est plus qu'une ombie et sonexistence est une lente agonie.La troisime partie est un tableau des Murs, Coutumes

    et Rites du compagnonnage. On y peut suivre le compa-gnon travers toutes les phases de sa vie errante ousdentaire, depuis son initiation jusqu' sa retraite [remer-ciement). On y voit comment les compagnons se gouvernent,s'entr'aident, se surveillent; comment ils secourent lesmalades; comment ils punissent les flons. On y trouveenlin, en mme temps qu'une notice sur les chansons decompagnons, la description de ces coutumes originales outouchantes : la conduite, le topage, la guilbrette.La quatrime partie intitule : Le compagnonnage en

    i90l est divise en trois chapitres. Le premier chapitretraite de l'organisation et de la rglementation des socitsde comiuignons encore existantes; le second, du compa-gnonnage considr aux points de vue religieux, moral etsocial. Nous avons consign dans ces pages, en les rsu-

  • INTRODUCTION XIX

    niant, toutes les donnes essentielles recueillies au coursde notre enqute.Le dernier chapitre du livre est intitul : Les associatioiis

    professionnelles ouvrires au dbut du XX'' sicle. La Corpora-tion de l'avenir. Aprs avoir constat que la vie abandonnaitpeu peu ce grand corps du compagnonnage, nous avonstent de montrer sous quelles formes nouvelles Timmortelleide de l'association ouvrire s'tait incarne de nos jours.Nous avons pass en revue les socits coopratives deproduction et de consommation, les syndicats profession-nels, les socits de secours mutuels. Ces diverses associa-tions nous sont apparues comme autant de cellules isolesjusqu'ici, mais qui doivent un jour se rapprocher, sesouder les unes aux autres, se grouper autour d'un noyaucentral : le syndicat, pour former dsormais un organismecohrent et viable. C'est de cette fusion d'institutions d'ori-gines et de types divers, mais dont le but commun estl'amlioration du sort des travailleurs, que la socit fran-aise peut et doit, notre avis, attendre le salut. Puisse lesyndicat professionnel comprendre la grandeur de la mis-sion organisatrice qui lui est chue et s'orienter enfin versun idal digne de lui! Il se sera ainsi montr le vritablehritier de ce compagnonnage qui va bientt disparatre,mais qui laissera du moins aprs lui dans l'histoire le sil-lage d'une glorieuse destine.

  • TABLE ANALYTIQUE DES MATIRES

    LIVRE I

    Histoire du compagnonnage depuis ses originesjusqu' la Rvolution (1789).

    Chapitre I. Origines du compagnonnage l 10I. La lgende. Les trois rites et leurs fondateurs, p. 2.

    Lgendes de Salomon, p. 3, de Matre Jacques et duPre Soubise, p. 9.

    Chapitre IL Origines du compagnonnage {suite). 11 31

    IL L'histoire. Olscurit des origines du compagnon-nage. Il n'apparat dans des textes authentiques qu'aucommencement du xvic sicle, bien qu'il semble avoir ttrs antrieur celte poque, p. 11. Il procde vraisem-blablement des confrries formes du xi" au xm" siclepar les ouvriers constructeurs d'glises, p. 13. Renais-sance arlisSique et industrielle du xii^ sicle, p. 15. Affranchissement des communes, p. 16. lan des popula-tions et concours enthousiaste donn par elles aux travauxd'dification des monuments religieux, p. 21. Les corpo-rations de mtiers, p. 23. Les Frres Pontifes, p. 25.

    Les Templiers ont-ils t les initiateurs des compagnons?p. 26. La franc-maonnerie Strasbourg au xv" sicle;ses affinits avec le compagnonnage, p. 27. volution durgime corporatif au xv" sicle, p. 29.

    Chapitre III. Le compagnonnage jusqu' sa condamna-tion en Sorbonne (16o5) 32 42Premiers textes concernant l'institution du compagnon-

    nage. Sentence du Chtelet du 10 mars 1506, p. 33.

    LE COMPAGNONNAGE.

  • XXII TABLE DES MATIERES

    Ordonnance de Villers-Cotterets (1539), p. 34. Grves descompagnons imprimeurs lyonnais et parisiens (1539-1541),p. 35. Ordonnances d'Orlans (loi>0), de Moulins (1566),de Blois (1579); dissolution, puis roconslitulion des confr-ries, p. 38. Interdiction du compagnonnage des cordon-niers (ICOl), p. 39. Condamnation gnrale prononcepar la Sorbonne contre le compagnonnage (l(i55); descri-ption des rites usits pour la rception chez les compa-gnons selliers, cordonniers, couteliers, etc., p. 40.

    Chapitre IV. Le compagnonnage Paris et dans quel-ques grandes villes depuis sa condamnation en Sorbonne(1655) jusqu' la Rvolution (1789) 43 48I. Le compagnonnage Paris (1655-1789). Les associa-

    tions clissoutes en 1655 se reforment. Lutte du pouvoirjudiciaire et de la police contre les confrries des com-pagnons chapeliers, selliers, charrons, ferrailleurs, cloutiorset pingliers, menuisiers, couvreurs, etc., p. 43.

    11. Le compagnonnage dans les grandes villes de pro-vince : Lyon, Toulouse, etc. p. 45.

    Chapitre V. Organisation du compagnonnage sous l'an-cien rgime 49 68I. Comment on devenait compagnon (rception, parrai-

    nage, etc.). La hirarchie : aspirants, compagnons, capi-taines, p. 49. Les Pres et les Mres; surveillance exercesur eux par la police, p. 50. Archives du compagnon-nage, p. ol. Bourse commune, p. 52.

    II. Le Tour de France, p. 52. Arrive d'un compa-gnon. Salut de boutique, p. 53. Placement par le rouleur;vains efforts des matres et des autorits pour interdire cemode de placement, p. 54. Levage d^acquit. Secours.Dettes des compagnons brleurs, p. 57. La conduite. Laconduite de Grenoble, p. 58. Les amendes, p. 59. Lescroyances religieuses des compagnons, p. 60.m. Correspondance entre les Cayennes, p. 61.

    Rivalits entre les diverses socits. Rixes et batailles,p. 02. Rle du compagnonnage dans les conflits entrematres et ouvriers. Grves, coalitions, mises en interdit,atteintes la libert de travail; violences contre les com-pagnons indpendants, p. 63.

  • TARLE DES MATIERES XXII

    LIVRE II

    Histoire dii coiiipa^iioiiiia;;e depnis la RcvoliitioiijnNqii' nos jours.

    Cfiapitre I. La Rvolution ( 1789-1798) 09 78I. Cahiers des l'Uats gnraux de 1789, p. 09. Aboli-

    tion des corporations d'arts et mtiers (2 mars 1791), p. 72. Grve des charpentiers; craintes de troubles Paris, l'occasion de la suppression des octrois (avril 1791), p. 72. Ptitions des maitres contre les compagnons; rpliquesde ces derniers, p. 74. Loi du l'y juin 1791, p. 7o. Le compagnonnage sous la Terreur; dfiances des Jaco-bins l'gard des socits ouvrires, p. 70.

    Chapitre IL Le Consulat et l'Empire (1798-1815). . 79 98

    I. Le Consulat (1798-1804). Loi du 22 germinal an XIsur les coalitions ouvrires, p. 79. Rtablissement dulivret (loi de germinal an XI; arrts des 9 frimaire et10 ventse an XII), p. 80. Le placement et le compa-gnonnage. Arrts prfectoraux contre celte institution,p. 81.

    II. U'Empire (1804-1815). Rixes entre compagnons.Arrts des autorits prfectorales et municipales contrele compagnonnage, p. 83. Meurtre d'un charpentier Bordeaux (10 octobre 1809); perquisitions et saisies, p. 84. l']tude d'une lgislation rpressive; correspondanceadministrative ce sujet et chec du projet (1809-1810). Lesassociations, les coalitions et le Code pnal de 1810, p. 86. Opinion de Real sur le compagnonnage, p. 87.

    III. Revue des socits de compagnons en activitsous l'Empire. Leur organisation; leur hirarchie, p. 88.

    Chapitre III. La Restauration (1815-1830) 99 103

    Puissance du compagnonnage sous la Restauration ; il estla seule organisation ouvrire existante p. 99. Rivalitsentre le; Devoirs. Rixes et batailles, p. 102. Cordon-niers et menuisiers indpendants, p. 102.

    CiiAPiTi'.E IV. La monarchie de Juillet (1830-1848). . 104 150I. De 1830 1839. Premiers symptmes de dcadence

    dans le compagnonnage, p. 104. Les divisions s'accen-tuent. Formation de la socit VUnion : ses origines, sesrglements, ses progrs; autres socits dissidentes, p. 107. La situation politique, conomique et sociale en 1830.Les socits secrtes ouvrires, p. 111. Coalitions et

  • XXIV TABLE DES MATIERES

    grves p. 112. Loi du 10 avril 1834 contre les associa-tions, p. 114. Rixes et batailles, p. 115.

    II. De 1839 1848, p. 116. Le Livre du compagnoii-nage d'AgricoI Perdiguicr. Succs de cet ouvrage; soninfluence, p. 119. George Sand et son Compagnon duTour de France. Le compagnonnage un instant la modep. 123. La dcadence s'accentue. Nouvelles scissionsp. 126. Progrs de l'Union, p. 127. Pierre MoreauSes crits. Ses polmiques avec Perdiguier, p. 121. Coalitions, p. 134. Grve dos charpentiers (1839-18i5), p. 135m. Causes conomiques de la dcadence du compa

    gnonnage, p. 139. Le machinisme. Ses progrs rapidesdans certaines industries sont moins sensiljles dans lescorps d'tat affdis au compagnonnage, p. 139. Revuedes diverses industries, p. 141. Les chemins de fer,p. 148.

    Chapitre V. Seconde Rpublique (1848-1832) 151 158L'uvre sociale du gouvernement provisoire, p. 150.

    Rconciliation piimrc des compagnons, p. 154. Rcep-tion dfinitive des cordonniers. S'ouvelles discordes. Lelivre de Sciandro : Le compagnonnage. Ce qu'il a t. Ce qu'ilest. Ce qu'il pourrail tre (1850), p. 156.

    Chapitre VI. Le Second Empire (1852-1870) 159 178

    I. Dernire phase de la dcadence du compagnonnage;influence persistante des mmes causes : 1 Divisions intes-tines. Schismes nouveaux, p. 160; 2" Progrs de la con-centration industrielle et de la division du travail. L'ducation technique, but essentiel du compagnonnage,de moins en moins utile. Le travail de la machinese substitue de plus en plus au travail humain, p. 102; 3 Les chemins de fer; achvement des grandes lignes,p. 168. volution dans les croyances et les murs de laclasse ouvrire; alTaiblisscment du sentiment religieux,p. 169,

    II. Efforts lentes pour relever l'institution. Nouveauxcrits de Perdiguier. Le Conseiller des compagnons deChovin (1860), p. 171. Fondation des Devoirs runis(1864), p. 174. Reconnaissance de socits, p. 175.

    III. Loi du 25 mai 1804 sur les coalitions, p. 177. Le syndicat ouvrier hritier futur du compagnonnage, p. 177.

    Chapitre VIL Troisime Rpublique (1870-1901). LaFdration et l'Union compagnonnique 179 194

    I. La Fdration compagno7inique (1874-1889), p. 179. Constitution del Fdration au Congres de Nantes (1874);

  • TABLE DES MATIERES XXV

    elle se compose de socits d'anciens compagnons, p. 180. 2" Congrs (Lyon, 1879). Les socits actives sont rattaches la Fdration : cration d'une caisse de retraites, p. 182. Scission des compagnons de Tours (1883), p. 183. 3 Congrs (Bordeaux 1884). Un projet de fusion de tousles corps et rites est rejet. Le principe d'une caissegnrale de la mutualit est vot, p. 184.

    II. L'Union compagnonnigiie (1889-1901), p. 186. 4 Congrs (Paris, 1889). L'Union compagnonnique estvote, p. 186. Polmiques entre les journaux des deuxfdrations rivales : l'Union compagnonnique et le Rallie-ment de Tours, p. 187. o' Congrs (Nantes, 1894); revi-sion des statuts; cration d'un orphelinat; dmls nou-veaux avec les compagnons fidles au Devoir, p. 188. 6' Congrs (Toulouse, 1899), p. 192.

    Chapitre VIII. Les compagnons rests fidles au Devoiret le Ralliement 19o 206

    I. Le Ralliement, p. 193. Fondation des socits deretraites : le Ralliement de Nantes (1881) et le Ralliementde Tours (1883), p. 196. Congrs de Nantes (1883 et 1887);fusion des Caisses de Nantes et de Tours (janvier 1886),p. 197. 3 Congrs, septembre 1891; divisions entre com-pagnons, p. 199. Au 4 Congrs (Nantes, 1897) on discutela fondation d'un nouveau journal : VOfficiel du Ralliement,p. 201. Rupture dfinitive entre les compagnons deTours et de Nantes, p. 202.

    II. Les socits corporatives du Devoir non adhrentes l'Union, p. 203.

    LIVRE III

    Rites, murs et continues da compagnonnage.

    Chapitre I. L'Initiation 207 223

    I. Rituels de la rception des compagnons du Devoir,et de l'Union compagnonnique, p. 207.

    II. Le Catchisme et l'Instruction compagnonniques. Leurs analogies avec le Catchisme et le Rituel maon-niques, p. 218.

    Chapitre II. Le Tour de France 224 238

    I. Dfinition du Tour de France. Ses limites gogra-phiques, p. 224. L'arrive dans une ville. L'A/faire ou

  • XXVI TABLE DES MATIERES

    passe-port compai^nonnique, p. 226. La Reconnaissancechez la Mre. p. 228. VEnlre de chambre. Rituel del'entre de chambre chez les cordonniers et les boulangers,p. 229.

    II. Crdit ouvert chez la Mre, p. 231. La socitgarantit la Mre jusqu' concurrence d'une certainesomme le paiement des dpenses de l'arrivant, p. 233. Lesbrleurs (mauvais payeurs); mesures prises contre eu.x,p. 234. Surveillance rciproque; mise en tutelle des pro-digues, p. 236.

    Chapitre III. Le Tour de France {suite) 239 2o2

    L Le placejnent. Le roideur. Ses fonctions, p. 239.IL Enseujnemcnl professionnel. Les coles de trait

    p. 243. La vie en commun chez la Mre. Le compagnon envoyage y retrouve un intrieur; distractions, p. 245.

    III. Fraternit et nintualil entre compagnons.

    A. Assistance donne aux compagnons poursuivis pourdlits n'entachant pas l'honneur, p. 2iG. Par contre lescompagnons sont impitoyables pour celui d'entre eux quicommet un acte infamant tel qu'un vol. Conduite de Gre-noble, p. 247. B. Secours aux malades. On les visite tour de rle. Gratuit des soins mdicaux et des mdi-caments; allocation pcuniaire, p. 248. G. Enterrementd'un compagnon. Guilbrette. Hurlements, p. 20.

    CiiAPiTHE IV. Fin du Tour de France 2.53 258

    Dpart d'une ville. Levage d'acquit, p. 253. Certi-ficat, p. 254. La conduite. Conduite gnrale battantaux champs, p. 255. Le topage; la reconnaissance,p. 257. Dmission ou retraite d'un compagnon. Remer-ciement, p. 258.

    CiiAPiTKE V. Les insignes et les emblmes du compa-gnonnage 259 202

    /nsiV/nes : cannes, couleurs, boucles d'oreilles, p. 259.

    Emblmes publics : querre et compas, p. 200. Emblmesmgsli(/ues : toile, livre, maillet, etc. Signification sym-bolique de ces attributs, p. 201.

    Chapitre VI. Ftes. Plerinages. La Mre 203 209

    FTES PATRONALES : bal, liauquct, messe, p. 203. Pleri-nages, p. 205. Le l're et la Mre. Comuient ils sontchoisis; conventions conclues avec eux, p. 200.

  • TABLE DES MATIERES XXVIl

    CiiAPiTRK VII. Rivalits entre compagnons des diversessocits 27U 210

    Batailles et rixes, p. 270. Concours el tirages au sortde villes. Les chefs-d'uvre, p. 273.

    Chapitre VIII. Les chansons de compagnons 276 281

    Chansons de guerre, p. 277; de rgnration, p. 278. Chansons la gloire des fondateurs et du Tour deFrance, p. 279.

    LIVRE IV

    Le compagnonnage en 1901. Conclusion.

    Chapitre I. Organisation et rglementation des socitsde compagnons encore existantes 283 324

    A. Le Devoir de Libert (Enfants de Salomon), p. 28o.B. Le Devoir (Enfants de Matre Jacques et de Soubise),

    p. 288.

    C. L'Union conipagnonnique, p. 311.Statistique des socits de compagnons, p. 321. Coup

    d'il sur la socit l'Union des Travailleurs du Tour deFrance, p. 322.

    CiiAPiTUE 11. Le compagnonnage aux points de vue reli-gieux, moral et social. Rapports du conipagiionnageavecla franc-ma

  • XXVIII TABLE DES MATIERES

    Uavenir du syndicat, p. 367. Fusion ou alliance dusyndicat et de la socit de secours mutuels, p. 369. Ncessit de transformer les syndicats particularistes enassociations corporatives groupant tous les travailleursde la profession. Organisation du travail et de l'assu-rance sociale par la corporation, p. 371. Conclusion,p. 372-74.

  • LE COMPAGNONNAGE

    LIVRE I

    HISTOIRE DU COMPAGNONNAGEDEPUIS SES ORIGINES

    JUSQU'A LA RVOLUTION (1789)

    CHAPITRE I

    ORIGINES DU COMPAGNONNAGE

    La lf/ende. Les trois rites el leurs fondateurs. Lgendesde Salomon, de Matre Jacques, du Pre Soubise.

    L'tude des origines d'une institution a pour prliminaireessentiel le dpart entre la lgende et la vrit historique,entre les rcits abondants et varis qu'enfante l'imagina-tion populaire et les donnes authentiques dont il est pos-sible de dduire soit une certitude, soit, tout au moins,une conjecture raisonnable. Cette dlimitation des domai-nes respectifs de la fable et de la ralit s'impose toutparticulirement en ce qui concerne le compagnonnage,dont le pass est demeur si obscur et si imparfaitementconnu. Assurment, si l'on consent ajouter foi descontes dont l'antiquit n'est pas douteuse, le problmesera vite rsolu. Il suffira d'interroger un compagnon, deprfrence un ancien, un de ceux qui ont conserv intactela foi des anciens ges, et d'couter. Il dira les priptiesde la vie de matre Jacques, ses dmls avec Soubise, son

    LE COMPAGNONNAGE. 1

  • 2 LE COMPAGNONNAGE

    assassinat; il citera dt's noms, des faits, des dates; aucune

    question ne l'embarrassera, car la relation traditionnelle,

    dont il ne sera que l'interprte, est des plus i)r('cises. Il

    est superflu d'ajouter que ses dires, dont la sincrit'; nepourra tre suspecte, ne seront appuys d'aucune preuve,qu'ils pcheront gravement contre la vraisemblance etque, loin d'tre termine par cette audition, la tche del'historien commencera seulement avec elle. Il convient

    cependant de ne pas trop ddaigner ces nafs rcits. Touteconviction sincre a droit au respect, et d'ailleurs, ainsi

    qu'on l'a dit fort justement, la lgende n'est dans bien descas qu'une dformation de la vrit. Les croyances n'ont-ellespas au surplus une valeur et une porte indpendantes del'authenticit mme des faits dont elles perptuent le sou-venir ou rillusion"? Ne crent-elles pas cette tradition sans

    laquelle aucun groupe humain famille, tribu ou nation

    ne peut tre considr comme vraiment fort"? ne donnent-elles pas naissance aux sentiments, aux aspirations, aux

    ides dont s'imprgne le plus profondment l'me popu-laire? La ralit n'est ainsi bien souvent qu'une tentative

    pour vivre un rve et l'explication suprieure de l'histoire

    se trouve peut-tre sa source mme, dans la lgende.Nous aborderons donc plus tard l'tude particulirement

    dlicate et complexe des origines historiques du compa-gnonnage. Il nous faut tout d'abord entendre ces contes

    merveilleux qui se sont perptus d'ge en ge, crant

    autour du berceau de celte association comme un nuageflottant de mystre et de lointaine posie; il nous faut,puisque nous venons de l'voquer, laisser parler la lgende.

    Lc(jcndcs de Salomon, de Matre Jacques et du pre Houbisc. On compte trois rites de compagnons :

    1 Les Enfants de Salomon (compagnons du Devoir deLibert).

    2" Les Enfantai de Matre Jacques (compagnons du Devoirou Dvorants).

    3 Les Enfants du Pre Soubise qui sont, comme les prc-dents, compagnons du Devoir, mais qui s'en distinguentpar leurs traditions et leurs rites.

  • SES ORIGINES 3

    Chacune de C(>s fcklrations possrde s;i h'gonde |iio|roet prtend se mttacher l'un de ces trois fondateurs :Salomon, matre Jacques ou Soubise.Lgende de Salomon. La li'gende de Salomon, ou [ilutt

    d'Iiiram, a pour point de dpart un passage de la Bible.(Les Rois, livre 3, ch. D, J.^ 13 18.) Le roi Salomon, ditle texte sacr, choisit des ouvriers dans tout Isral etcommanda pour cet ouvrage trente mille hommes. Il lesenvoyait au Liban tour tour, dix mille chaque mois, desorte qu'ils demeuraient deux mois dans leurs maisonset Adoniram avait l'intendance sur tous ces gens. Salomonavait soixante-dix mille manuvres qui portaient les far-deaux et quatre-vingt mille qui taillaient les pierres surles montagnes, sans compter ceux qui avaient l'inten-dance sur chaque ouvrage, lesquels taient au nombre detrois mille trois cents et donnaient des ordres au peupleet ceux qui travaillaient. Le roi leur commanda ausside prendre de grandes pierres, des pierres d'un grandprix pour les murs et mme pour les fondements dutemple et de les prparer pour cet e(Tet. Et les maonsde Salomon et ceux d'Hiram eurent soin de les tailler, etceux de Giblos apprtrent le bois et les pierres pourbtir la maison du Seigneur. * On le voit, rien dans cetexte ne permet de conclure l'existence d'une associa-tion telle que le compagnonnage au temps de Salomon.Mais la lgende se substitue ici au rcit biblique qu'ellecontinue. Nous la rsumerons, en suivant la version laplus accrdite parmi les compagnons, version dont Agri-col Perdiguier n'a donn qu'un aperu trs sommairedans son Livre du Compagnonnage -. Les diverses relationsqui se sont conserves chez les compagnons dbutent uni-formment par une description technique du temple deSalomon dont on indique toutes les dimensions, le nombredes colonnes, leur hauteur, largeur, paisseur, etc. Ces

    1. Traduction Je Le Maistre de Sacy, revue par l'ablj Jacquet.2. Nous avons ou en otibt la boauo fortune d'oljtenir communication des

    documents secrets dont lecture est donndo aux nouveaux compagnons envue do leur rvler les orieines traditionnelles de leurs socits.

  • 4 LE COMPAGNONNAGE

    travaux, est-il dit, taient excuts sous la direction d'unmatre habile nomm Hiram. Hiram travaillait en bronzeet il tait rempli de sagesse, d'intelligence, de science. Ilfit deux colonnes en bronze pour la porte du vestibuledu Temple, dont chacune avait 18 coudes de hauteur.Il fit deux chapiteaux en bronze qu'il jeta en fonte pourmettre sur les hauts de chaque colonne; chaque chapi-teau avait 5 coudes de long, etc. La prsence Jrusalem d'une si grande multitude d'ou-

    vriers n'tait pas ce[)endant sans causer Salomon et Hiram de srieux embarras. Le paiement des ouvriers notam-ment ne s'effectuait pas sans diflicuU; des intrus et desoisifs se prsentaient parfois et, pi^ofitant de la confusionqui rgnait dans cette foule, recevaient un salaire commeles travailleurs. Pour remdier cet inconvnient, Salomon(d'autres disent Hiram) donna chaque ouvrier une assi-gnation pour se faire payer et un mot de passe pour sefaire reconnatre; de la sorte chacun tait pay selon sonmrite. En outre, quand un ouvrier tait devenu bon arti-san, on le signalait Hiram qui le faisait avancer devantson conseil. 11 l'interrogeait, et s'il lui reconnaissait lacapacit requise, il lui disait de persvrer et qu'il seraitrcompens. Quelques jours aprs cet entretien, un descontre-matres rencontrait comme par hasard le nouveaurcipiendaire et le conduisait dans un souterrain duTemple. L, au milieu des compagnons (h; travail du nou-veau venu, il procdait l'initiation et lui donnait lenouveau mol de passe qui devait le faire reconnatre. Lesmots de passe taient : pour les apprentis le mot Jakhin(prparation); pour les matres : Jehova Auxilia K D'autresmots avaient t adopts pour la reconnaissance entreinitis : Sabaiiot, Salomonet, etc. Le compagnonnage deLibert tait fond.Une deuxime lgende se superpose la premire. Trois

    apprentis : Holem (ou Iloben), Slerkin (ou Skelem) et Holer-

    1. Cet assoinljlago d'un mut licljrcu et d'un mot latin peut semblertrange. Mais telle est bien la l'orniulo sacramentelle du mot do passe desmalrcsi

  • SES ORIGINES B

    fut, jaloux d'Hiram et furieux de s'tre vu refuser par luila matrise, rsolurent de l'obliger leur rvler le motde passe de ce grade nu l'assassiner. Ils le guettrent la sortie du Temple o il travaillait jusqu'au soir. Holem,arm d'un maillet, s'embusqua prs de la porte du Midi

    ;

    Sterkin, une rgle la main, se caclia prs de la porteoccidentale et Hoterfut, porteur d'un levier, attendit lematre la p

  • 6 LE COMPAGNONNAGE

    les trois lettres S... U... G... Sagesse, Union et Goms (pre-mire parole que Thommc ait prononce). Enfin sur lebord du tombeau on lisait ces mots : Noria, Sterkin, Hiram etcet autre mot : Mac Benac. Ce lieu fut nomm Champ desGros ou champ des Larmes.

    11 restait h. dcouvrir et punir les assassins quis'taient dnoncs par leur fuite. Leur tLe fut mise prix. Hoben le premier fut livr par un nomm Prignanchez qui il s'tait rfugi. Il fut dcapit et son cadavreembaum fut expos en public. Six mois aprs, Bengabel,intendant de Salomon, apprit que les deux assassins survi-vants s'taient rfugis chez le roi des Gepts, Maaco. Onenvoya quinze compagnons pour les arrter, mais ils sesauvrent. On les retrouva dans une carrire appele Ben-dicar. On les saisit, on les enchana, on les ramena Jrusalem o ils furent attachs deux poteaux par lepied et le cou, les mains lies derrire le dos. Alors on leurouvrit le corps et, avec un raffinement de cruaut qui seretrouve de nos jours chez les Chinois, on les laissa pen-dant huit heures exposs aux rayons brlants du soleil. Les mouches et autres insectes, dit notre manuscrit,s'abreuvrent de leur sang. >> Le soir venu, Salomon les fitenfin dcapiter et leur tte fut mise au pilori ct decelle d'Hoben. Leurs restes furent jets aux btes fauves,moins cruelles, assurment, que les auteurs d'un tel sup-plice, si vraiment il et t ordonn et souffert.Lgende de Matre Jacques. Sa vie et sa mort. Tandis que

    le compagnonnage du Devoir de Libert se glorifie d'avoireu pour fondateurs Salomon et Hiram, le compagnonnagedu Devoir (ou du Saint Devoir de Dieu comme on le nommeparfois) prtend avoir t cr par un personnage fabu-leux nomm Matre Jacques. Mais ici la lgende bifurqueet nous avons le choix entre doux versions diffrentes quenous retracerons tour tour.

    D'aprs la premire version, admise par Perdiguier etprsente par lui dans son Livre du CompaijnonnarjC {p di-tion, tome I, p. 3"j et suivantes), Matre Jacques, l'un despremiers matres artisans de Salomon et collgue d'Iliram,

  • SES ORIGINES 7

    serait n Carie (qui serait aujourd'hui Saint-Roniili, loca-lit impossible identilierj et aurait appris ds son enfance tailler la pierre. Il aurait voyag ds l'Age de quinze ans,visitant successivement la Grce, l'Egypte, la Palestine,puis serait arriv Jrusalem l'ge de trente-six ansaprs avoir voyag vingt et un ans de sa vie. Il y travailla,dit-on, la construction du Temple et btit deux colonnesdodcagones : la colonne Vedrera et la colonne Macaloe.Sur ces colonnes taient sculptes diverses scnes del'Ancien Testament : la chute d'Adam et Eve, le songe deDavid ainsi que des pisodes de la vie de Matre Jacqueslui-mme. Il fut nomm matre des tailleurs de pierre, desmaons et des menuisiers.Le Temple achev, Jacques quitta la Jude en compagnie

    d'un autre matre, Soubise, avec lequel il se brouilla bienttet dont il se spara. Le navire qui portait Soubise aborda Bordeaux. Jacques dbarqua Marseille ' avec ses treizecompagnons et ses quarante disciples. Il voyagea encoretrois annes pendant lesquelles il eut se dfendre contreles embches des disciples de Soubise qui un jour l'assail-lirent et le jetrent dans un marais; il parvint se cacherderrire des joncs. Ses disciples arrivrent et le secou-rurent.

    Enfin Jacques se retira en Provence dans l'ermitage dela Sainte-Baume. L'histoire de sa fin parat avoir tcalque sur le rcit de la Passion du Christ. Un de ses dis-ciples, l'infme Jron (que d'autres nomment Jamais), letrahit. Un malin, alors qu'il tait en prires dans un lieucart (tel Jsus Gethsmani), Jron vint le trouver et luidonna le baiser de paix. C'tait le signal convenu. Cinqassassins se jetrent sur Matre Jacques et le percrent decinq coups de poignard -. Il vcut cependant encore quel-ques heures et put, avant d'expirer, faire ses adieux aux

    1. Perdiguier lui-mme reconnat qu'il y a ici un anachronisme vident.Marseille n'a t fonde que 600 ans et Bordeaux 300 ans avant J.-C.c'est--dire bien postrieurement au sicle de Salomon.

    2. Matre Jacques tait alors, d'aprs la tradition, dans la 47'' anne dosa vie.

  • 8 LE COMPAGNONNAGE

    compagnons tardivement accourus. Je meurs, dit-il, BieuFa voulu. Je pardonne mes ennemis, je vous dfends deles poursuivre; ils sont assez malheureux. Je donne monme Dieu mon crateur, et vous, mes amis, je ne puisrien donner, mais recevez mon baiser de paix. Lorsquej'aurai rejoint l'tre suprme, je veillerai sur vous. Je veuxque le baiser que je vous donne, vous le donniez toujoursaux compagnons que vous ferez, comme venant de votrepre; ils le transmettront de mme ceux qu'ils feront.Je veillerai sur eux comme sur vous tous, pourvu qu'ilssoient fidles Dieu et leur Devoir et qu'ils ne m'oublientjamais.

    Lorsque Jacques fut mort, ses disciples lui lrent sarobe et trouvrent un petit jonc qu'il portait toujours ensouvenir des joncs qui l'avaient sauv alors qu'il taittomb dans le marais. Les compagnons placrent lecorps sur un lit qui fut transport dans une grotte. Il yresta expos pendant deux jours tandis qu'un feu alimentpar de l'esprit de vin et de la rsine brlait autour dusarcophage improvis. La dpouille mortelle de MatreJacques fut ensuite porte processionnellement par lescompagnons jusqu' un lieu proche de Saint-Maximin oiiil fut enseveli aprs l'accomplissement de tous les ritesconsacrs KLa garde-robe de Jacques fut partage. On donna son

    chapeau aux chapeliers, sa tunique aux tailleurs de pierre,ses sandales aux serruriers, son manteau aux menuisiers,sa ceinture aux charpentiers et son bourdon aux charrons.

    Le tratre Jron eut la mme fin que Judas. Dvor deremords et dsesprant de la misricorde divine, il alla sejeter dans un puits qui fut combl. Soubise fut accusd'avoir t l'instigateur du meurtre de Jacques. Mais cetteaccusation, qui entretint longtemps la dsunion entre lescompagnons des deux rites, fut juge injuste par nombred'enfants de Matre Jacques eux-mmes. Soubise, d'aprs

    1. Pour plus do dtails sur cette lgende, voir PEnnicuiER, LiiTC duCompai/noniHu/e, 3' dition, t. I, p. 30 et suiv.

  • SES ORIGINES 9

    cet antre rcit, versa des larmes a mres sur la tombe deson ancien ami et fltrit nergiqueraent son assassinat.Une seconde version veut que Matre Jacques, loin

    d'avoir t un simple artisan contemporain de Salomon,soit tout uniment le mme personnage que Jacques deMolay, le dernier grand-maitre des Templiers, brl parordre de Philippe le Bel. Les Templiers, fait-on observer,

    taient de grands constructeurs d'glises; ils avaient tinitis en Orient maintes pratiques secrtes qui furentrvles au cours de leur procs. Jacques de Molay a doncpu donner une rgle aux ouvriers maons, tailleurs depierre, charpentiers, etc., qui travaillaient pour le Temple,et les grouper en socits de compagnons. Cette version, premire vue moins invraisemblable que la prcdente, nerepose, ainsi que nous le verrons, sur aucun fondementsrieux; l'existence de relations entre les Templiers et lesconfrries ouvrires d'o est sorti le compagnonnage, n'estpas, en soi, impossible, mais demeure purement conjectu-rale, aucun fait, aucun indice mme ne permettant d'ap-porter aucune affirmation cet gard '.Lgende de Soubise. La lgende de Soubise est impli-

    1. Dans un ouvrage, au surplus dpourvu de toute valeur, et qui n'estle plus souvent qu'un assez plat dmarquage des rcits autrement pitto-resques et colors d'Agricol Pcrdiguier, M. Simon (auteur d'une Etudehistorique et morale sur le Compagnonnage, Paris, Capclle, 1853) a adoptcette version et pense la justifier en dmontrant que les principales cir-constances numres dans la lgende classique de Matre Jacques,architecte du temple do Salomon, s'appliquent merveille Jacques deMolay. M. Simon tablit, en effet, le rapprochement suivant : 1" MatreJacques (d'aprs la lgende), serait n dans la Gaule mridionale ;Jacques de Molay tait n en Bourgogne (nous nous demandons vraimenten quoi ce fait peut bien fortifier la thse admise par M. Simon, moinsque cet auteur, peu vers en gographie, ait confondu la Bourgogne, pro-vince du Centre, avec la Gascogne, province du Midi); 2" Matre Jacquesrevient dans son paj's aprs avoir sjourn Jrusalem; Jacques deMolay revient, lui aussi, de Palestine, pour prendre le gouvernement deson ordre; 3 c'est en embrassant Matre Jacques que Jron donne lesignal de son assassinat. De mme, l'ennemi du grand-matre, Philippele Bel, avant de le faire arrter, l'appelle Paris, le fatte, l'endort decaresses {sic); 4 Matre Jacques fut, un jour, prcipit dans un marais,et aprs sa mort, ses disciples jetrent dans les flammes d'un bcher cequi avait servi ses funrailles. Jacques de Molay prit sur un bcherdans une petite le de la Seine, etc. Toute l'argumentation de M. Simonest de cette force !

  • 10 LE COMPAGNONNAGE

    citeraent contenue clans celle de Matre Jacques ci-dessusraconte. Soubise aurait donc t, lui aussi, l'un des archi-tectes du Temple de Salomon ; tout d'abord ami de Jacques,il se serait, comme il a t dit, spar de lui par la suite,et mme, d'aprs certains mais le fait est contest aurait t l'instigateur de son assassinat.

    D'aprs un autre rcit, Soubise aurait t un moinebndictin, et aurait vcu la fin du xiir sicle. C'est, eneffet, sous le costume des religieux de Saint-Benot que cefondateur est ordinairement reprsent sur les imagesaftlclies dans les cayennes (loges de compagnons). Soubiseaurait particip en mme temps que Jacques de Molay l'uvre de la construction de la cathdrale d'Orlans(glise Sainte-Croix). Le compagnonnage aurait t fond cette poque. Soubise aurait survcu quelques annes augrand-matre des Templiers.

  • CHAPITRE II

    ORIGINES DU COMPAGNONNAGE (siite)

    Vhisloire. Obscurit des origines du compagnonnage. Iln'apparat dans des textes authentiques qu'au commencementdu xvi" sicle, bien qu'il semble avoir t trs antrieur cette

    poque. Il procde vraisemblablement des confrries formesdu w" au xui" sicle par les ouvriers constructeurs d'glises.

    Renaissance artistique et industrielle du xii" sicle. Affran-chissement des communes. lan des populations et concoursenthousiaste donn par elles aux travaux d'dification des monu-ments religieux. Les corporations de mtiers. Les frres

    pontifes. Les Templiers ont-ils t les initiateurs des com-

    pagnons? La franc-maonnerie Strasl)ourg au xV sicle.

    Ses affinits avec le compagnonnage. volution du rgimecorporatif au xv" sicle.

    Nous en avons fini cavec la lgende et il est temps d'inter-

    roger l'histoire. Elle ne nous apportera pas, il est vrai, une

    solution claire et prcise du problme qui nous occupe : la

    dtermination des origines du compagnonnage. Elle ne

    dissipera pas compltement les tnbres qui enveloppentencore plus qu' demi le berceau de cette institution. Mais

    elle nous permettra de circonscrire le terrain sur lequel

    devront porter nos reclierclies et de nous former une

    opinion, puisqu'il n'est pas possible d'acqurir une certi-

    tude. Nous pourrons ainsi cheminer jusqu' des tempsplus proches (le xvi et le xvn sicle) o les socits de

  • 12 LE COMPAGNONNAGE

    compagnons sans doute dj plusieurs fois sculaires sedgagent peu peu des brumes du pass et apparaissentsous un demi-jour faible encore, assez lumineux cependantpour qu'il soit donn Thistorien de distinguer leurs con-tours et de se rendre compte de leur structure gnrale.

    II serait superflu d'examiner ici les rcits ( peine moinsfabuleux que les lgendes de Salomon, de Jacques et deSoubise), d'aprs lesquels le compagnonnage, de mmeque la franc-maonnerie, aurait t fond une poquetrs antrieure l're chrtienne. Malgr sa lucidit d'es-prit et son intelligence remarquable, Agricol Perdiguier, compagnon zl et fier de ce titre s'est laissentraner prtendre que le compagnonnage a exist dansl'antiquit et l'idenliler avec les sectes religieuses desThrapeutes, des Pharisiens, des Sadduccns, des Ess-niens : Quel que ft, dit-il, le nom dont se paraientces initis, ils constituaient le vrai compagnonnage K Perdiguier croit qu'il suffit d'tablir que les Juifs, lesGrecs ou les gyptiens ont eu leurs rites occultes et sacrs,leurs socits secrtes, pour qu'il soit avr en mme temjtsque le compagnonnage n'est pas moins ancien et qu'il per-ptue les mmes mystres. La faiblesse de ce raisonne-ment n'a pas besoin d'tre dmontre. Le mystre estaussi vieux que le monde. Dans la Bible, le Seigneur ne semanifeste pas tout le peuple hbreu, mais aux seuls pro-phtes. Toutes les religions antiques ont eu leurs arcanes,leurs crmonies interdites au vulgaire, leurs prtres etleurs initis, leurs sibylles ou leurs pylhonisses. Mais quellien historique, quel rapport de filiation peut-on tablirentre ces manifestations religieuses ou superstitieuses etles rites des socits de compagnons qui se sont conservsjusqu' nos jours? tout rapprochement ici est purementarbitraire, jusqu' preuve contraire, et cette preuve n'ajamais t fournie.

    L'opinion d'aprs laquelle il existerait un lien entre lescom|iagnonnages et h.'S collges d'artisans fonds par

    1. Livre du CoiDjMf/nonnayc, 3" dition, t. II, p. 238.

  • SES ORIGINES 13

    Numa est tout aussi fantaisiste.il n'y a aucune corrlation

    entre ces collges, associations publiques et plus lard trs

    strictement rglementes par les empereurs, composes

    du reste d'artisans travaillant pour leur compte, et les

    compagnonnages, socits clandestines, condamnes, per-

    scutes et traques pendant des sicles, se recrutant au'

    surplus parmi des ouvriers en lutte permanente avec la

    corporation patronale. L'organisation et la rglementation

    des collges romains d'artisans nous sont, du reste, par-

    faitement connues : on n'y peut dcouvrir aucune analogie

    avec les traditions, les coutumes, la hirarchie des com-

    pagnonnages.

    Il nous reste examiner le systme qui assigne pour

    origine aux compagnonnages ces confrries si souvent

    condamnes, surtout partir du ix sicle, par les conciles

    et par l'autorit civile. Mais ici il ne nous est plus possible

    d'opposer une fin de non recevoir absolue une thse qui

    s'appuie sur certains arguments et sur certains lments

    de preuve dignes d'attention ; au surplus cette thsenous

    parait contenir une part de vrit. Il nous semble en effet

    trs vraisemblable que les premiers compagnonnages ont

    eu le caractre de confrries, et il est possible qu' cetitre

    ils aient t viss par les dcrets des conciles et les sen-

    tences diverses qui prohibrent mainte reprise ces asso-

    ciations. Mais il importe de ne pas s'y tromper; le compa-

    gnonnage n'a t qu'une des formes, et sans doute la plus

    rcente, de la confrrie. Sous peine de commettre l'erreur

    que nous dnoncions plus haut et qui consiste confondre

    des institutions diffrentes d'esprit et de but, parce qu'elles

    portent la mme dnomination, il est donc impossilde deconsidrer comme applicables j^riori aux socits de

    compagnons tous les textes et il en est de fort anciens

    o les confrries sont nommes et prohibes. Disons plus :

    les confrries vises par des capitulaires et des dcrets de

    conciles antrieurs au xu^ sicle ne sont certainement pas

    des compagnonnages, et si, partir du xiii sicle, il devient

    raisonnable de penser que les confrries de compagnons

    sont comprises dans les interdictions prononces contre

  • 14 LE COMPAGNONNAGE

    les convries en gnral, une telle opinion demeure cepen-dant hypothtique.Ds le IX'' sicle, divers capitulairos de Charlemagne et

    un capitulaire d'Hincniar, voque do Roinis en 852 [LabbaciConcilia, cd. Goleli, 1728, l. X, cap. 10), interdisent les con-

    frries, mais ces condamnations visent sans aucun doutenon des associations ouvrires, mais bien ces guildes dedfense et d'assistance mutuelle, comme il s'en i^encontrads une poque trs recule chez les peuples germani-ques 1. De mme les Conciles de Rouen (1189), de Mont-pellier (1215), de Toulouse (1219), de Bordeaux (1255),d'Avignon (1201), ne condamnent que des confrries ousuildes formes entre nobles ou commerants dans un butdfensif ou offensif ^.

    Il serait peut-tre possible de considrer comme renfer-mant une allusion aux confrries de compagnons, en mmetemps qu'aux confrries d'une autre nature, un dcretrendu en 1368 parle Concile de Lavaur et ainsi conu :

    " Item qiii ex pravo usa in quibusdam provinciarum nos-trarum iiiolevitquod nobiles plerumque et interdiim alii... obli-gationes, societates et conjurationes faciunt et pacta juramcntovallala ineunt qiiod adverss quoscunqiie praeterquni dominossues ad Invicem adjuvcntet interdiim se omnes veste consimiliinduentes unnm majorem inter se eUgant cui jurant in omnibusobedire.

    Ces vtements uniformes, ces signes et ces caractresemblmatiques peuvent dsigner ici les rubans et cou-leurs, les cannes, les insignes dont le port fut usit detout temps chez les compagnons. Mais cette opinion estpurement conjecturale.

    1. Voir, sur ces guildcs, notre Ilisloirc des corporations de mtiers, p. 30 15. Voir aussi, pour les guildes saxonnes, Lujo Brentano, Essaij on Ihehislonj and development of r/ilds, Londres, 1870, et Gross : Thegild mcrchmit ;a contribution to en(/lish municipal liistorij, Oxford, 1890.

    '2. Citons, titro d'exemple, le texte du dcret du concile provincial tenu Rouen en 1180 : Sunt quidam tam clerici quam laci hujusmodi socic-tatem incuntes ut de cotoro in quibuslibct causis vel negotiis mutuum sibiprjBstcnt auxilium, certam in eos pnam statucntes qui contra hujusmodiveniunt constitutionem. Et quoniani luijusmodi societates scu l'raterias...detcstatur Ecclcsia, no amodo fiant sub intcrniinationc anathematis inter-dicimus.

  • SES ORIGINES 15

    Nous sommes amens en dlinilive cette conclusion.On ne possde aucune donne certaine sur l'organisationet mmo sur l'existence du compagnonnage aux xn", xiii",xiV et mme xv sicles. Il ne nous parat pas toutefoisque cotte lude sur les origines de notre institution puisse

    se clore ainsi par un simple procs-verbal de carence.

    Entre le domaine de la science (jui affirme, textes en mains,

    et celui de l'ignorance absolue qui n'entrevoit aucune

    clart, si faible soit-elle, il y a place pour l'hypothse tou-

    jours rccevable pourvu qu'elle se renferme dans son rleet qu'elle ne se transforme pas en dogmatisme. Nous

    demanderons, nous aussi, la permission d'mettre une

    opinion personnelle et d'indiquer dans quelle direction se

    trouve, notre avis, la vrit historique relativement aux

    origines du compagnonnage.Nous pensons que les premiers compagnonnages ont t

    forms, du commencement du xne la tin du xiii^ sicle,

    entre les artisans accourus en foule dans les villes o se

    construisaient les grands difices religieux par lesquels

    s'panouissait l'art gothique encore dans sa fleur. Pour

    bien comprendre les raisons qui militent en faveur de

    cette opinion, il faut se reporter par la pense, et aussi,

    osons le dire, par l'imagination, en ces temps lointains o

    la socit fodale se dgageait enfin de la confusion et de

    la barbarie de la priode carolingienne, o un tardif prin-

    temps succdait enfin un hiver de six sicles, o le

    peuple des cits clbrait par un hymne de reconnaissanceenvers Dieu le retour l'esprance, la libert municipale

    restaure, ou, tout au moins, les conditions d'existence

    amliores, l'vanouissement de tous ces hideux fantmes :

    les guerres prives, la tyrannie des seigneurs ou des pr-

    vts, le servage.

    Cette renaissance universelle du xu sicle a pour point

    de dpart le grand fait historique connu sous le nom de

    l'affranchissement des communes. Les beaux travaux d'Au-

    gustin et d'Amde Thierry, de Guizot ont mis depuislongtemps en vidence la haute porte de cette rvolu-

    tion communale qui a ouvert dans notre histoire une re

  • 16 LE COMPAGNONNAGE

    nouvelle. Sans doute l'rudition contemporaine a revisquelques-uns des jugements trop absolus et corrig quel-ques assertions un peu tmraires de ces matres. C'taitune opinion reue, il y a cinquante ans, que le mouvementcommunal avait affect le caractre d'une insurrectionpolitique clatant brusquement, renversant dans unepousse irrsistible un pouvoir despotique pour lui subs-tituer un rgime municipal vraiment dmocratique fondsur la justice et sur l'galit. Il semblait, comme l'a ditplaisamment M. Luchaire *,que du xw au xix'' sicle lesefforts populaires visassent le mme but et que la chartede commune ne ft que le prototype de la charte lib-rale de 1830 . C'tait l une exagration et une mcon-naissance vidente des causes qui ont prpar et dterminl'tablissement des communes ainsi que des consquencesde cet vnement. D'une part en effet il a t dmontrpar de rcents travaux que, dans nombre de cits, la con-cession d'une charte municipale obtenue de bon gr duseigneur ou impose par une rvolte des bourgeois avaitt en quelque sorte prcde et prpare par la formationde socits diverses (guildes marchandes, guildes de dfenseet d'assistance mutuelle, confrries), crant entre les habi-tants d'un mme lieu une solidarit d'intrts, facilitantl'change des vues et l'action en commun -. Souvent mmela Commune n'a t que l'panouissement et la conscrationdfinitive d'une organisation plus modeste, fdrationmunicipale pourvue dj d'une sorte de personnalitcivile que l'on peut dsigner sous le nom de Communaut

    .

    M. Giry a ainsi prouv, par le texte mme de la charteaccorde le 14 avril 1127 la ville de Saint-Omer, qu'un

    1. Luchaire, Les Cumniancs franaises l'poque des Cajiliens ilirects(prface).

    2. La commune, crit M. Luchaire (ibiil., p. 30), ne fut, sur beaucoupde points, que le rsultat do l'extension d'une association partielle djconstitue, organise et vivante . On peut citer comme exemple : la Charitd'Arras, VAmiti do Lille, la Fraternit d'Aire.Les corporations ou guildes de marchands de Saint-Omcr taient gale-

    ment antrieures la charte communale qui leur accorde pour l'avenircertains privilges tels que l'exemption de la tonlieu Gravclines Giry,Histoire de la ville de Saint-Omer, Paris, 1817, p. 55.

  • SES ORIGINES 17

    sicle au moins avant cette date, la Communaut des habi-tants tait dj considre comme apte possder desbiens en commun '.

    D'autre part, il est constant que le rgime municipal formes trs variables tabli au xu^ sicle - dans un si grandnombre de villes du nord, de l'est, de l'ouest et du centrede la France ne peut aucunement tre considr, au sensmoderne du mot, comme un gouvernement dmocratique.Dans la plupart des villes, le pouvoir tait rellementexerc par les mtiers o prdominait l'influence de labourgeoisie marchande ^. Les magistratures urbaines,souvent aussi le monopole du trafic par eau ou du com-merce avec certaines contres, taient rservs la classela plus fortune, l'aristocratie des bourgeois hanses : unsystme d'lections municipales deux ou trois degrsservait en mme temps filtrer les choix populaires etpermettait aux familles notables d'carter les candidatssuspects. Nous estimons toutefois que M. Luchaire, dont lahaute autorit scientifique ne saurait, d'ailleurs, tre con-teste, s'est laiss entraner un peu loin par son dsir deragir contre la conception d'Augustin Thierry lorsqu'il aainsi dfini le caractre et le rsultat du mouvementcommunal. Cette bourgeoisie communaliste si ardentecontre le seigneur, dans laquelle on saluait jadis lechampion rsolu du droit populaire, apparat maintenant

    1. GiRY, Histoire de la ville le Saiiit-Omer, p. 18. M. Maurice Prou asignal une autre erreur que n'avaient pas su viter les historiens dumilieu du sicle dernier. Il a dmontr, dans son livre : Les Coutumes deLorris et leur propagation (Paris, 1884), que les villes n'avaient pas tseules obtenir la concession du droit do bourgeoisie et que certainescommunes rurales avaient joui de la mme faveur. Les chartes commu-nales avaient t octroyes soit par le roi, soit par les seigneurs, afin doremdier au dpeuplement de leurs domaines, consquences des guerresprives et des exactions des prvts.

    2. GiRY, op. cit., p. 55 et 56.3. A Abbeville, Amiens, dans les jriucipales villes Je Picardie, les

    municipalits sont lues par les maeurs des bannires ou mtiers. AMontpellier, Marseille, Arles, les corporations nommaient galement lecorps de ville. Toutefois, l'influence des mtiers n'tait pas toujours miseau service de la bourgeoisie. A Metz, les mtiers taient en lutte conti-nuelle avec l'aristocratie de la ville dite des paraiges. (Voir notre Histoiredes corporations de mtiers, p. 259 294.)

    LE CO.Ml'.VGNONNAGE. ^

  • 18 LE COMPAGNONNAGE

    comme une caste aristocratique, jalouse l'excs de ses pri-vilges, impitoyable pour le menu peuple qu'elle exclut descharges municipales tout en Vcrasant d'impts.

    Il semble, lire ce jugement svre, que le menu peuplen'ait rien gagn l'avnement des Communes, qu'il n'aitfait que changer de matre, qu'il ait continu souffrir lesmmes misres, gmir dans la mme servitude. A cecompte, la riche bourgeoisie seule et tir avantage dunouveau rgime. Il n'est pas douteux, cependant, etM. Luchaire le constate lui-mme {op. cit., p. 39 et sui-vantes) que le sort du menu peuple ait t notablementamlior par l'tablissement des Communes. Le servagedisparut, sinon immdiatement et sur tous les points, dumoins assez rapidement; la mainmorte fut abolie, et l'an-cien serf put devenir propritaire et disposer de son bien ;les tailles arbitraires furent supprimes; le droit de parti-ciper, par son vote, sinon l'lection directe du Corps deville, du moins au choix de dlgus chargs de le nommerdfinitivement, fut reconnu, peu prs partout, aux pluspauvres artisans. D'autres privilges fiscaux ou militaires

    furent octroys plus ou moins libralement la collectivit.Sans aucun doute, la constitution des Communes duxii sicle fut loin d'tre galitaire; mais elle fut, engnral, assez humaine et ralisa, pour les moins favo-riss, un progrs considrable sur l'tat social antrieur'.

    Il n'est pas douteux, non plus, que ce dplacement dela puissance publique qui substitua, dans tant de villes, l'autorit absolue des seigneurs, l'autonomie de la Com-mune, ait eu pour rsultat de resserrer les liens qui unis-

    saient dj les bourgeois, habitants d'une mme cit,d'veiller en eux, ou plutt d'claircir la conscience,

    auparavant latente, des intrts, des sympathies et des

    1. A Lorris, o la bourgeoisie s'acqurait par une rsidence d'un an etun jour, la corve tait supprime, sauf pour le transport du vin du roi ;les bourgeois devaient bieu encore au roi, leur soigneur direct, le ser-vice d'ost ou chevauche. Mais ils ne pouvaient tre obligs de passer lanuit hors de leur foyer; ce service ne durait donc, chaque fois, que quel-ques heures. Voir, sur ces exemptions, Prou, Les Coutumes de Lorris etleur propagation.

  • SES ORIGINES 19

    haines qui formaient leur commun patrimoine. Un espritmunicipal se cre; la Commune devient le centre de touteune organisation politique, conomique et industrielle. Onla voit conclure des traits de commerce et de navigation \parfois, mme, des traits d'alliance avec des villes ou desseigneurs voisins, se gouverner et s'administrer librementen s'aiTranchissant peu peu des dernires entraves quiperptuaient le souvenir de la domination du seigneur'^.Elle inspire des dvouements tels que celui des bourgeoisde Calais; elle est devenue une petite patrie.En n^me temps que le mouvement municipal, dont les

    premires manifestations remontent la fin du xi*^ sicle,mais qui a atteint son apoge au xii^ sicle, restituait auxpopulations des villes de France tout ou partie de leursliberts civiles, un lan universel de foi et de reconnais-sance les entranait vers les autels. Au moyen ge, on nesaurait trop le redire, la vie civile tait intimement lie lavie morale, ou plutt religieuse. La doctrine que toute unecole s'est efforce de faire triompher en France, depuisun sicle, et qui consiste soustraire l'individu touteinfluence philosophique ou religieuse, l'amener agir envertu de considrations purement utilitaires, le matria-lisme, pour l'appeler par son nom, tait alors inconnu.L'humanit n'avait pas encore appris sparer l'action dela pense qui la dtermine, le comment et le pourquoi, lecorps et l'me des choses. La destine humaine apparais-sait comme une chelle de Jacob dont les premiers degrsreposaient sur la terre, mais dont le sommet se perdaitdans le ciel. La maison de Dieu tait aussi, tait surtout,la maison du peuple, l'asile des faibles, des perscuts,de tous les fugitifs, innocents ou coupables.

    C'tait l'glise, devant l'autel d'un saint, que se con-

    1. Il suffira de citer ici l'exemiilo do la clbre Hanse do Londres laquelle taient agrges les iiriucipales villes du nord et de l'est de laFrance.

    2. Ainsi, en 1215, la nomination des chevins de Saint-Quentin, dont lajuridiction tait, dans cette ville, distincte de la municipalit, fut retireau comte et attribue au maire. Giry, Etude sur les orii/iiies de la Communede Saint-Quenlin, p. 63.

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    cluaieul les transactions les plus importantes (ventes,changes ou donations). La superstition y amenait aussiparfois sa clientle; on y interrogeait l'avenir en consul-

    tant les sorts ou l'on s'y justifiait d'une accusation cri-

    minelle en se soumettant l'oixlalie. Mais surtout la foule

    y aflluait les dimanches et les jours de ftes, alors si nom-breux, pour y entendre la parole sacre, pour y communierdans un sentiment de foi et de recueillement avec ce mondeidal de la Bible et de la Lgende dore qui lui semblait semouvoir autour d'elle, invisible tmoin de sa vie, censeurincorruptible de ses faiblesses, confident de ses joies etde ses douleurs.Le xi^ sicle avait vu construire un grand nombre

    d'glises, difies aux frais de seigneurs ou de riches bour-

    geois, sous l'influence d'une pit stimule par la crainte

    de la fin du monde alors universellement considrecomme imminente. Le terme fatal, l'an mil, est cependantdpass, et l'humanit n'a pas pri; bien mieux, sousl'gide puissante des Captiens, la paix vient de renatre et

    avec elle le peuple des communes voit reparatre aprs

    six sicles la libert, non pas assurment la libert poli-tique, la souverainet collective et intgrale telle que laconnaissent et la possdent les socits modernes, maisune libert municipale faite de franchises particulires,d'exemptions d'impts, de garanties accordes contre leretour des abus et des exactions du pass, de tout unensemble de concessions et de privilges dont se conten-tent les communiers. L'allgresse populaire clate alorsen un hymne triomphal. Un lan artistique et religieuxentrane les foules; elles obissent un instinct incoer-

    cible, un irrsistible appel de tout leur tre, en clbrant

    leurs liberts reconquises, la raison de vivre retrouve, en

    saluant l're nouvelle qui vient de s'ouvrir. De ce mouve-

    ment sont sorties les cathdrales.Cet enthousiasme sacr qui transporte des populations

    entires, qui conduit tiavers les camiuigues de longuesthories de plerins constructeurs et les plie pendant dixans, vingt ans, toute leur vie, leur rude tche de char-

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    penliers, de maons, de tailleurs de pierre, tche peinermunre, cet enlhousiasme nous est attest par l'his-toire. Suger nous montre ainsi tout un peuple de travail-leurs volontaires occup extraire d'une carrire siseprs de Pontoise des blocs de pierre destins la construc-tion du sanctuaire de Saint-Denis. Des magistrats de toutrang cooprent c l'uvre commune ct de pauvres arti-sans; ils oiVent leurs peines comme un hommage Dieuet aux saints martyrs ^ L'abb d'Andres entreprend-il debtir une infirmerie sur les terres de son monastre; sesvassaux s'empressent et lui offrent un concours dvou etdsintress. Peu de temps aprs avoir t commenc,nous dit un chroniqueur, l'diice s'lve dj dans les airs{surgit in altum)... Nous avons vu travailler cette construc-tion nombre d'ouvriers qui n'avaient pas t attirs parl'appt du gain, mais qui se tenaient pour contents derecevoir du pain et de la petite bire, pour joyeux si (ce maigre festin) on ajoutait un peu de viande bouillie ^. C'tait un spectacle admirable, dit un chroniqueur de lamme poque ^, de voir cette longue multitude d'hommestraner, sur des chars et des chai'iots, nuit et jour, sansdiscontinuer et sans demander aucun salaire, les pierres,la chaux, le sable, tous les matriaux ncessaires leurentreprise. Tmoins ces blocs de pierres sches pesants etnormes, qui servirent de fondements l'diflce et qu'ilfallut apporter de contres lointaines, car on n'en puttrouve f dans toute l'Hasbanie *. Des colonnes amenespar eau de Worms Cologne taient transportes de l surles chantiers par des chariots auxquels s'attelait tout unpeuple. Ces travailleurs volontaires s'encourageaient

    1. SuGER, Libellus de eonsecralione eeclesise et tramlatione corjtoris Sancti/lioxijsii... [Recueil des historiens de la France^ XIV, 313).

    2. Nara niultos hic oporari vidimus non nummis conductos, sed solo panoot touui cervisia contentes et pro adjectionc alicujus pulmenti satis exlii-laratos . Wilhelmi, Ckronicon Andrensis Monusterii. Monumcnta Germa-ni;e historica, H. S. XXIV, 7^21.

    3. Gesta ahbalum Tridonensiwn. Mon. Gennanix liistorica, S.S. 'K,\[h. I,231. Ce monastre ctn.it celui de Saiiit-Trond (Limbourg belgo).

    1. Aujourd'hui la llesljaye, rgion do l'ancionno principaut de Ligocomprise entre le Ilainaut, le Brabant, la Campine ot la Mouse.

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    leur tche en chantant une sorte d'hymne dont ki cadenceleur permettait d'assurer la simultanit de leurs efforts.

    Cet lan ne devait plus s'arrter que le jour oh le solde la France fut couvert de ces admirahles monumentsauxquels le style ogival prte sa grce et sa majest. Laplus ancienne cathdrale gothique parat avoir t cellede Noyon, dont la nef tait dj construite en 1190. Lestravaux de construction de Notre-Dame de Paris commen-crent en UGO. En 1196, le chur tait achev jusqu'autransept; la nef s'levait quelques mtres au-dessus dusol. Notre-Dame de Chartres, dont la premire pierre futpose en 1145, dut tre reconstruite nouveau la suitede l'incendie de 1194. En 1223, la mort de PhilippeAuguste, les principales villes du Nord, de l'Est, de l'Ouestet du Centre possdaient dj des cathdrales acheves ouen cours d'achvement. Citons notamment : Paris, Chartres,Bourges, Noyon, Laon, Soissons, Meaux, Amiens, Arras,Cambrai, Rouen, vreux, Sez, Bagneux, Coutances, leMans, Angers, Poitiers *.

    Le peuple tout entier avait coopr la construction desglises nouvelles. Les matres es uvres sur les plans des-

    quels ces difices furent btis, les Robert de Luzarches,les Hugues Liberge, les Erwin de Steinbach paraissentavoir t tous, ou presque tous, des laques. Une questionse prsente ici tout naturellement l'esprit : n'existait-ilentre ces pieux et habiles artisans d'autres liens que ceuxde la prire et du travail en commun? Ne se forma-t-ilpas entre eux des associations, des confrries ouvriresauxquelles on pourrait rattacher les origines du compa-gnonnage ?Tout d'abord, un fait parait aciiuis l'histoire. Le grand

    mouvement d'affranchissement des Communes et de cons-truction des cathdrales est contemporain de l'apparitiondes premires corporations de mtiers. La guilde mar-chande, association de riches bourgeois qui entreprennent

    1. Voir, pour plus do dtails, Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'arcltitecturc,art. Cathdrale.

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    le ngoce et le trafic avec d'autres villes ou provinces, estassurment beaucoup plus ancienne. La charte de Saint-Omer concde en H27 fait mention de guildes dj tabliesdans cette ville depuis de longues annes. Mais la co