Magie, rites et mystères d'Asie

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MAURICE PERCHERON

A la fo i s b i o l o g i s t e e t i n g é n i e u r , p r é s i d e n t d u G r o u p e d ' E t u d e s C. G. J u n g d e P a r i s , le D r M a u r i c e FERCHERON a s u j o i n d r e u n e é r u d i - t i o n j a m a i s e n d é f a u t à l ' o b s e r - v a t i o n p a s s i o n n é e d e l a vie . G r a n d v o y a g e u r , il t o t a l i s e p r e s q u e v i n g t a n s d e s é j o u r e n E x t r ê m e - O r i e n t . E n C h i n e c o m m e e n I n d o n é s i e , e n T h a ï l a n d e c o m m e e n I n d o c h i n e , e n M o n g o l i e , a u x P h i l i p p i n e s , c ' e s t à l ' e x i s t e n c e q u o t i d i e n n e d a n s les c h a m p s , l a r u e , l es m o n a s t è r e s q u e , d e p u i s t r e n t e - s e p t a n s , il s ' e s t m ê l é p o u r l a m i e u x c o n f r o n t e r a v e c les é t u d e s d e s s p é c i a l i s t e s u n i v e r s i - t a i r e s .

S o n œ u v r e e s t c o n s i d é r a b l e e t e l le e s t l a v ie m ê m e . Les t r o i s t o m e s d e s o n I n v i s i b l e As ie c o n s t i t u e n t l a f r e s q u e l a p l u s n e t t e q u i a i t j a m a i s é t é t r a c é e d e l ' I n d e , d u N i p p o n e t d e l ' I n d o n é s i e . Ses é t u d e s s u r l e B o u d d h a e t le b o u d d h i s m e f o n t a u t o r i t é . H i s t o r i e n d e s g r a n d s c o n q u é r a n t s d e l 'As ie , il a é g a l e - m e n t d o n n é d e s a i s i s s a n t s p o r t r a i t s d e G e n g i s K h a n e t d ' A t t i l a e t il p r é p a r e u n T a m e r l a n .

N u l n ' a a u s s i b i e n q u e M a u r i c e PERCHERON p o u r s u i v i l ' â m e a s i e n n e d a n s s e s p l u s s e c r e t s m é a n d r e s , d a n s ses p l u s p r o f o n d e s m é t a m o r - p h o s e s . D a n s M a g i e , r i t e s e t m y s - t è r e s d ' A s i e , le g r a n d h u m a n i s t e é v o q u e u n e f o i s d e p l u s , a v e c u n r a r e b o n h e u r , ce m o n d e o r i e n t a l o ù l a r a i s o n n ' e s t p a s f o r c é m e n t le m e i l l e u r m o y e n d e s a i s i r l a r é a l i t é e t o ù l a r é a l i t é n ' e s t p a s t o u j o u r s ce q u ' a p p r é h e n d e n t n o s s e n s .

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DERNIERS OUVRAGES DE L'AUTEUR

Aux Editions Mondiales del Duca

Les Grands Conquérants d'Asie : I. SUR LES PAS DE GENGIS KHAN

II. SUR LES PAS D'ATTILA

LA VIE MERVEILLEUSE DU BOUDDHA

L'INVISIBLE ASIE : I. Temples, hommes et dieux de l'Inde

II. Temples, fleurs et héros du Nippon III. Temples, volcans et esprits d'Indonésie

LA BELLE-DE-MAI, roman

En préparation L'INVISIBLE ASIE :

IV. Robes rouges et robes jaunes

Les Grands Conquérants d'Asie : III. SUR LES PAS DE TAMERLAN

Parus chez d'autres éditeurs

DIEUX ET DÉMONS, LAMAS ET SORCIERS DE MONGOLIE (Denoël)

MON FILS, MA FILLE ET MOI (Hachette) PSYCHOLOGIE DE L'ENFANT (Payot) LE BOUDDHA ET LE BOUDDHISME (Ed. du Seuil) LA VIE LÉGENDAIRE DU BOUDDHA (illustrations de

Mme Ad. Verneuil de Marval) Ed. Ides et Calendes, Neuchâtel

LÉGENDES ÉPIQUES DE L'INDE (Livre de Prix)

Sous presse

GENGIS KHAN ET LES NOMADES DE LA STEPPE (Ed. du Seuil, Le temps qui court).

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Maurice PERCHERON

Magie, rites et mystères

del DUCA

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© 1962, EDITIONS MONDIALES, PARIS

Imprimé en France

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A PAUL MUS,

isvaraprabodhita

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Il n'y a rien de barbare ni de sauvage en cette nation, à ce qu'on m'en a rap- porté. Sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage.

M O N T A I G N E .

Lorsqu'au cours d'une soirée on met la conver- sation sur le terrain si mouvant des mystères et de la magie en Asie, jamais ne manquent d'intervenir deux types d'interlocuteurs :

D'abord ceux qui profitent immédiatement du sujet offert à la discussion pour évoquer d'inattendues histoires de transmission de pensée, d'étonnantes prophéties, des visions de mystiques si ce n'est des rêves prémonitoires — plus ou moins personnels — étayés par des affirmations qui, si indiscutables puissent-elles se montrer, n'en sont pas moins com- plètement hors de la question.

Vous vous heurtez aussi aux esprits forts qui ne s'en laissent point conter. Ceux-là vous opposent tous les truquages que des observateurs avertis ont pu dénoncer. Et le mieux que vous obtiendrez d'eux

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sera la condescendante supposition que quelque sug- gestion ait obnubilé votre critique et votre jugement.

Suggestion ? Peut-être... Encore que cela ne soit déjà pas mal qu'elle vous soit imposée, comme subi- tement enchâssée dans votre vie courante, parfois en plein jour, sans préparation, et au milieu d'un public qui, lui aussi, se plierait docilement à une illusion semblable à la vôtre.

Suggestion à part, là commence à se poser la question de preuve. Tout s'évanouit-il dès que l'on entreprend de se pencher sur des faits qui plaisent à notre appétit du merveilleux ? N'y a-t-il en tout cela que fables pleines d'attraits, qu'on dit entretenus, que prestidigitation et passe-passe ?

D'irréfutables témoignages existent, touchant certains faits assez peu courants sous nos cieux. On ne pense guère à en faire état, peut-être parce que, en général, on les ignore ou qu'une certaine réserve fait taire ceux qui pourraient les rapporter. L'honnêteté de ceux qui les ont constatés, un doute de premier accueil teinté de scepticisme, la répugnance à paraître avoir été abusé ne peuvent aboutir qu'à un examen très sévère, à une élimination de tout ce qui ne peut recevoir une explication satisfaisante.

Toutefois, il reste à la fin, un noyau absolument irréductible qui défie notre fragile savoir : il semble relever de forces qu'actuellement nous ne sommes

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pas en mesure d'analyser ni de contrôler. Admettons — avec humilité — qu'il existe des choses cachées au commun, des choses ignorées de nos instruments imparfaits. Si la balance, l'éprouvette, les micro- scopes électronique et neutronique, la chambre de Wilsan, la lumière de Wood, reculent chaque jour les limites de notre connaissance, ils ne nous révèlent pas tout. Ou, plus exactement : pas encore tout. Même lorsque nous parlons de radiations ou d'ondes, d'électrons en situation hypothétique, de mésons ou d'antimatière, nos assises sur les limites reculées de la physique moderne ne nous permettent ni de les définir ni de les concevoir autrement qu'à travers la mathématique.

On sait pourtant qu'un chat voit des choses non perçues par nos yeux et qu'un chien entend les ultra-sons. On a découvert que la chauve-souris évite les obstacles grâce à un radar mais on ignore le fonctionnement de celui-ci. Les abeilles font de la goniométrie sans nous en livrer le secret. Les dau- phins parlent entre eux, et à des kilomètres de dis- tance les mouches vertes apprennent l'existence d'une charogne, tandis que les vautours planent déjà autour d'un moribond, percevant sa mort proche.

Ce que, tout juste, il est permis de dire, c'est que rien n'autorise à user du mot surnaturel — tout au moins dans le sens extravagant qu'on est porté à lui donner. Des phénomènes absolument naturels entrent en jeu, cela entendu dans une conception cosmique telle que s'y rallient les néo-phy- siciens ou, sur un tout autre plan, telle que l'aperçoit

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Teilhard de Chardin au-delà de la noosphère. Rele- vant non moins d'un caractère essentiellement natu- rel sont aussi des faits dûment constatés pour les- quels on se réfère au psychisme du sujet et de l'observateur ou à un psychisme collectif. Ces mani- festations, aujourd'hui indiscutables, sont, là encore, un produit de l'humain — et de l'humain seul.

Allant plus loin, peut-on imaginer que des enti- tés appartenant à un monde invisible mais organisé et volontaire se manifestent parfois, soit aux sens de l'homme, soit en agissant sur sa pensée ou dans les profondeurs de l'inconscient? Autrement dit, des faits échappant à toute explication relèvent-ils d'an- ges, de démons, d'élémentades ou tous autres? Après avoir posé la question, ce n'est pas l'éluder que lais- ser provisoirement, faute de bases incontestables, le point d'interrogation en suspens.

La ceinture intertropicale, si elle défavorise l'énergie des humains, semble aiguiser certaines per- ceptions. Il est vain de nier que des individus qui y sont nés ou s'y rattachent possèdent naturellement une disposition à des facultés particulières. De part et d'autre de l'Equateur, on parle beaucoup « d'ini- tiés » et l'on a tendance à appliquer ce qualificatif à un certain nombre de gens que nous, Occidentaux, sommes enclins à estimer comme étant hors de nos normes, si ce n'est pas un peu fous, parce que paraissant agir, parler et penser en rupture avec ce que nous appelons raison.

Initiés, soit. Mais à quoi? L'initiation, spontanée

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ou acquise par un certain travail, implique l'atteinte d'une connaissance très élargie où ne se confirme ni ne s'infirme l'existence d'un monde terrestre para- humain. Le reste est du domaine d'occultistes qu'il m'est apparu imprudent d'approcher sans boussole.

Je vais donc me borner à rapporter quelques faits pour le moins déconcertants dont j'ai pu être le témoin durant de nombreux séjours, en Asie. Il semble que le continent sino-indien avec ses annexes insulaires constitue une terre d'élection pour en offrir une variété surprenante. Peut-être pas plus qu'ailleurs, après tout — en Afrique noire, par exemple — mais certainement plus immédiatement, sans une mise en scène particulière : on dirait que « l'extraordinaire » est si intimement lié à l'ordi- naire quotidien qu'il en devient courant et qu'en sorte il ne réclame pas une ombre propice.

Ces faits, je crois les avoir examinés avec un œil de scientifique, essayant de ne pas me laisser abuser et me plaçant parfois aux limites de la mal- veillance dans l'examen. Je ferai le moins possible état de ceux où je fus seul présent car on doit se méfier de sa vision, de son jugement ou de son équilibre mental.

Naturellement, m'engageant dans cette voie, j'ai été amené à éliminer bien des phénomènes auxquels il était plausible de donner une ou plusieurs expli- cations. Je ne parle pas d'innombrables supercheries,

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de petits coups de pouce pour rendre sensationnel quelque fait assez mystérieux au départ, de la presti- digitation des faiseurs de tours professionnels : l'adresse avec laquelle un Indien, partant d'une man- gue cachée sous un chiffon qu'il agite, arrive à vous présenter un petit manguier portant son fruit, est prodigieuse mais cependant uniquement amusante.

J'ai surtout cherché à en comprendre le sens, à aller un peu plus loin que ce que mes yeux ont vu, ce que mes oreilles ont entendu. Toutefois, pour laisser libre l'esprit critique du lecteur, j'éviterai de divaguer dans des interprétations personnelles et me bornerai à de simples relations.

De même, autant que faire se peut, je ne m'aventurerai qu'au strict minimum dans la socio- logie, l'ethnographie, la psychologie des profondeurs. Et si le narrateur de bonne foi que je veux seulement être dans ces pages s'y réfère parfois, ce ne sera jamais que pour mieux situer cadre et mentalité.

Aux mots magie et mystères qui figurent dans le titre de ce livre, j 'ai jugé indispensable d'ajouter celui de rites. C'est qu'en Asie la vie individuelle comme la vie sociale sont à chaque instant peu ou prou soumises à des rites. Ceux-là se sont transmis depuis des époques qu'il est impossible de préciser. La plupart ont perdu leur sens originel au point qu'à une tentative d'investigation sur la signification qui y est aujourd'hui attachée l'intéressé répond

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qu'il ne fai t que se conformer à ce que ses parents et ancêtres ont toujours pratiqué.

N'oublions pas cependant qu'à l'origine les rites ont été des opérations magiques de protection, de défense ou de conciliation à l 'égard d'un monde invi- sible dont l'existence n'était pas mise en doute. Ils sont apparus en même temps que les humains de la préhistoire personnalisaient les phénomènes naturels qu'ils redoutaient ou dont ils bénéficiaient. Ils sont arrivés à exprimer le sacré et, par extension, la désacralisation.

N'est-on plus aujourd'hui que devant des gestes qui, de la magie pure, ont viré au symbolisme et même ont abandonné ce symbolisme initial pour en adopter un ou des autres? Ce serait oublier tout ce que l'inconscient de l'humanité a accumulé en son plus secret.

Un Vietnamien, un Afghan, un Iranien formés à nos disciplines intellectuelles peuvent affecter de se moquer de tels gestes qu'en leur pays ils préten- dent n'exécuter que par pur conformisme. E n eux agissent des forces restées bien actives depuis des millénaires, qui font f i de ces « secondes motiva- tions » et les plient à leur insu. C'est dans des phases critiques qu'apparaît leur sincère réalité.

Là, peut-être, réside un grand drame pour l'âme asienne, celui du tiraillement entre, d'un côté, une tendance native à confondre réalité et rêve, à écouter les voix du passé, à compenser une existence axée sur les besoins essentiels du jour par sentiments et sensations tournés vers l'extra-naturel, à conclure

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tout un système d'alliances avec un monde non per- ceptible, et, d'autre part, la mentalité occidentale que nous leur avons apportée, notre rationalisme qui préfère tout nier pour ne pas être gêné par un inextinguible petit point de braise restant au profond de nous-même, et qui, au terme de mythes fondament- taux, a accolé le synonyme de superstition, de mer- veilleux chaotique et absurde, parfois de sordide. Oui, un vrai drame dans lequel, entre autres âmes d'Asie, vacille celle du Nippon.

Pour nous, Occidentaux, une telle exubérance et les contradictions des attitudes intérieures de

l'Asien, les explications trop floues qu'on peut obte- nir des intéressés, les modifications d'essence origi- nelle amenées par le déroulement du temps peuvent finalement représenter une véritable jungle épineuse bravant toute pénétration.

En fait, la seule vraie difficulté que j 'aurai rencontrée en traçant ces lignes aura été de classi- fier ces souvenirs. Pa r pays, par genres de faits, par degré d'évolution sociale ou intellectuelle ?... Tout est tellement disparate, en quelque sorte isolé, que finalement j 'ai renoncé à une belle architecture de présentation. Tout simplement je retourne le sac où pendant des années j 'ai entassé en vrac les acquis que ma mémoire conservait.

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I

C H E Z L E S I N V I S I B L E S

L'humanité tout entière, alors qu'elle s'est for- mée sporadiquement dans ces grands berceaux de pullulement qu'ont été aux temps préhistoriques la Malaisie, l'Insulinde, le bassin du fleuve Jaune, a connu la Loi de la Terre au moment même de son

éveil. Devant la pluie, les orages, les tourments des volcans et jusqu'à l'humeur des bêtes, les hommes ont ressenti partout les mêmes peurs, les mêmes joies, les mêmes émois.

Par de mystérieux chemins des évolutions iné- gales eurent lieu : des peuples se dégagèrent plus rapidement que d'autres de l'animalité, des rites s'établirent pour perpétuer le souvenir et l'enseigne- ment des craintes d'autrefois. A la longue il ne devait plus en rester qu'une survivance sans signi- fication majeure : les hommes d'aujourd'hui ignorent la frontière qui sépare des paroles et des gestes liturgiques de la simple tradition, ils répètent ce qui

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s'est transmis mais qui ne leur parle plus directe- ment ou, plus exactement, reste si profondément enfoui en leur inconscient qu'il affleure à peine. Des idées se sont décantées, des morales se sont créées, des symboles se sont fossilisés ou ont acquis des sens nouveaux avec d'autant plus de force que l'homme devenait plus maître de la nature en per- çant quelques secrets, que les échanges de connais- sances se multipliaient de peuple à peuple.

C'est ainsi que les civilisés ont perdu la clé de leurs gestes et de leurs croyances. Alors qu'autrefois s'était élaborée puis imposée à eux l'idée de puissances qui les aidaient ou les meurtrissaient, puissances atmosphériques, terrestres, célestes, ani- males, puis d'une Puissance supérieure, ils ont de siècle en siècle déformé les origines de leurs joies, de leurs craintes et de leurs cultes jusqu'à les rendre méconnaissables. Bien qu'en Asie ils admettent sans étonnement un monde fabuleux d'Invisibles auxquels ils vouent actions, paroles et pensées les plus cou- rantes, ils n'entendent plus qu'une des harmoniques et non pas le son fondamental dans sa plénitude.

Partout, cependant, où la Nature se laisse diffi- cilement entamer par l'homme, où le Tropique, ce seigneur impérieux, asservit une humanité qu'il maintient débile, partout où forêts, montagnes et steppes herbeuses ont déterminé une existence en vase à peu près clos, l'enfance préhistorique s'est plus ou moins perpétuée.

Ce pur émoi des premiers âges, on se retrouve quotidiennement face à face avec lui dans la forêt,

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la steppe, la montagne. Là, les impressions, les croyances, les gestes sont âgés de millénaires. La forêt qui attend la venue de la nuit — cette impla- cable Reine de l'Ombre — pour connaître avec inten- sité une vie secrète, la bête qui chasse et celle qui fuit des griffes, des dents et des becs impitoyables, la terre qui expire de chaleur ou se noie d'humidité, les arbres qui luttent sourdement pendant des années, tronc à tronc, pour gagner la lumière, les typhons qui soulèvent des montagnes d'océan, le vent qui fait gémir les pierres des hautes vallées tibétaines, le soleil qui mène sa course et disparaît, la lune qui est mangée chaque mois, les innombrables yeux scintillants qui, au plus haut du ciel nocturne, sur- veillent les gestes des humains ont, par leur spectacle de chaque matin ou de chaque saison, perpétué à peu près intactes la plupart des croyances originelles.

Chez les hommes qu'on dit s'être maintenus dans la primitivité on retrouve ces émois, ces croyances, logés aux niveaux les plus inaccessibles, mais bien vivants et dominateurs. Chez eux, j 'ai été mis en présence de réactions directement issues de la nature, de la terre exubérante, des brûlants déserts stériles comme des altitudes inhumainement glacées, des eaux et des roches, des arbres et des bêtes, des savanes et des fourrés obscurs — des choses aussi

émouvantes en vérité que les peuples en qui palpite tout le passé de l'humain.

Lorsqu'on veut connaître l'âme secrète de l'Asie ce n'est pas plus dans les temples que dans l'arrière-