Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui :...

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Martin Coralie Université Lumière Lyon 2 - Année universitaire 2006-2007 Institut d’Etudes Politiques de Lyon Section « Politique et Communication » Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité et adaptation des lieux de diffusion Mémoire de fin d’études Directeur de recherche : Max Sanier Soutenance le 14 Juin 2007 Membres du jury : M. SANIER Max, enseignant chercheur à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon. M. RAMPON Jean-Michel, enseignant chercheur à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon.

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Martin CoralieUniversité Lumière Lyon 2 - Année universitaire 2006-2007

Institut d’Etudes Politiques de LyonSection « Politique et Communication »

Le cinéma d’Art et Essai en Franceaujourd’hui : évolutions et spécificités d’ungenre, diversité et adaptation des lieux dediffusion

Mémoire de fin d’étudesDirecteur de recherche : Max Sanier

Soutenance le 14 Juin 2007

Membres du jury : M. SANIER Max, enseignant chercheur à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon. M.RAMPON Jean-Michel, enseignant chercheur à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon.

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Table des matièresRemerciements . . 4Introduction . . 8I) Réinterroger la notion d’Art et d’Essai . . 10

A) La longue marche vers l’Art et Essai . . 10

1) Les pionniers des années vingt2 . . 102) L’institutionnalisation d’un secteur Art et Essai . . 113) Croissance du parc et mutations du marché . . 14

B) Art et Essai : deux mots, une multitude de définitions et de visions . . 161) Considérations sémantiques . . 172) Etudes des textes juridiques . . 203) Définition des professionnels et du public . . 23

II) La diversité des lieux de diffusion . . 26A) Des diversités économiques et géographiques . . 28

1) Le système de classement des salles . . 282) Salles de centre ville et salles de périphérie : l’exemple lyonnais . . 30

B) Diversités de positionnement et de politique . . 341) Les salles « Recherche » : un positionnement pointu . . 342) Les salles « généralistes » : vers une mixité des genres et des publics . . 37

III) Une logique commune de différenciation face à une situation de forte concurrence . . 41A) Concurrence « externe » et stratégie de résistance . . 41

1) La concurrence des quatre écrans . . 412) Les stratégies de résistance . . 46

B) Concurrence interne et différenciation . . 501) Le poids des multiplexes et la course aux copies . . 502) Salles Art et Essai et stratégies de différenciation . . 55

Conclusion générale . . 60Bibliographie . . 63

Ouvrages : . . 63Sites Internet : . . 63Revues : . . 63Presse : . . 64Rapports, enquêtes, décrets : . . 64

Annexes . . 66Grille d’entretien exploratoire . . 66Questionnaire à destination des directeurs de cinéma d’Art et Essai (exemple pour leComoedia) . . 66Questionnaire Art et Essai 2007 . . 76

« L’Art et Essai au rapport », par Marc Weitzman, 21 février 1990 . . 76Le Bulletin de l’AFCAE, 29 juin 2001, « Réforme de l’Art et Essai » . . 77

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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RemerciementsJe tiens particulièrement à remercier,

Roger Sicaud,

Marc Bonny,

Marc Van Maele,

Marc Artigau,

pour leur disponibilité et leurs analyses lors des entretiens,

Max Sanier,

pour son soutien et ses précieux conseils,

Jean-Michel Rampon,

pour sa participation au jury,

Présentation de l’objet d’étude

Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversitéet adaptation des lieux de diffusion

Le sujet

L’Association Française des Cinémas d’Art et d’Essai (AFCAE) a fêté en 2005 ses cinquanteans d’existence.

C’est l’occasion de s’interroger sur le concept d’Art et d’Essai aujourd’hui en France. En effet,les termes Art et Essai pour désigner un film sont passés dans le langage commun, à tel point quele public ne réinterroge, ni ne questionne plus cette notion pourtant ambiguë.

Cependant de nombreux débats au sein de la profession au sujet de la redéfinition des termes,de la recommandation des films et de la classification des salles, traduisent un profond malaiseet la nécessité de recadrer le domaine. La dernière réflexion menée pour tenter de trouver denouvelles solutions s’est tenue en octobre 2006 à Paris. Elle regroupait les membres du collègede recommandation des films Art et Essai. Ce séminaire avait pour objectif de permettre auprofessionnels de se « rencontrer et de dialoguer », « de mener une réflexion plus approfondie surles critères de recommandation des films Art et Essai », « d’évoquer des pistes de réflexion surune évolution du dispositif de subvention aux salles Art et Essai 1 ». Ce sont en effet les principauxdébats qui secouent actuellement la profession.

Le genre Art et Essai voit le jour dans les années vingt, mais il faut attendre les annéescinquante pour que la notion s’institutionnalise réellement. Depuis cette date beaucoup de chosesont évolué, tant au sein du genre Art et Essai, qu’au niveau des lieux de diffusion de ces films.

L’objectif de ce mémoire sera donc de réinterroger la notion pour en révéler les origines afinde questionner le concept après plus de cinquante ans d’utilisation.

1 Extrait de la synthèse des travaux du séminaire du collège de recommandation des films Art et Essai effectué par le Centre

National de la Cinématographie

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Remerciements

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Pour cela, il s’agit de se tourner tout d’abord du côté des textes juridiques, de les étudier afinde cerner ce qu’ils attribuent à la notion d’Art et d’Essai, mais aussi pour comprendre les systèmesplutôt complexe de recommandation des films et de classement des salles Art et Essai.

Il faut également se pencher sur la conception et le sentiment du public sur ce type de cinémaet sur ce que signifient les termes eux-mêmes. Enfin, l’avis des professionnels, et plus précisémentdes directeurs de salles, vient compléter l’analyse et nous fournir des informations pratiques etconcrètes sur les lieux de diffusion des films Art et Essai.

La problématique

Je suis partie du constat suivant : en étudiant les textes juridiques concernant la notion d’Artet d’Essai depuis cinquante ans, c’est-à-dire, depuis les tous premiers décrets, jusqu’à la dernièreréforme de 2002, j’ai constaté qu’aucune modification réelle dans la définition des termes Art etEssai n’avait été envisagée. En effet un film Art et Essai est défini ainsi depuis cinquante ans :

Mr Roger SicaudProfession Conseiller pour le cinéma et l’audiovisuel à la DRAC Rhône AlpesAge Entre 50 et 60 ansDate de l’entretien 9 février 2007Durée de l’entretien 1 heureRemarques Cet entretien était au départ mon entretien exploratoire. Comme

il s’est avéré très intéressant et a confirmé mes hypothèses, c’estpourquoi j’ai choisi de le considérer au même titre que les autresentretiens. Mr Sicaud, de par son poste de « généraliste » ausein du cinéma, m’a apporté des réponses plus globales sur lesquestions de définition de l’Art et Essai, de l’évolution du genre etsur la diversité des salles.

Mr Marc BonnyProfession Directeur du cinéma Le Comoedia de Lyon, établissement classé

Art et EssaiAge Environ 40 ansDate de l’entretien 15 février 2007Durée de l’entretien 45 minutesRemarques Cet entretien a été très enrichissant. Mr Bonny possède la

particularité d’être à la fois directeur de cinéma mais aussidirecteur de la société de distribution Gbecafilm, spécialiséedans les films pour enfants. Ainsi il possède à la fois l’étiquetteexploitant mais aussi celle de distributeur.

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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Mr Marc ArtigauProfession Directeur des établissements « Cinéma National Populaire » de

Lyon, classés Art et d’EssaiAge Environ 40 ansDate de l’entretien 8 mars 2007Durée de l’entretien 2 heures Remarques J’ai rencontré des difficultés pour cet entretien. En effet, Mr Artigau

était très loquace mais avait du mal à rester centré sur mesquestions. J’étais constamment obligée de le réorienter. Souventil ne répondait pas à mes interrogations et déviait vers un autreproblème. Je n’ai pu exploiter que 50 % de cet entretien. C’estpourquoi j’ai choisi de ne pas le retranscrire en annexes.

Mr Marc Van MaeleProfession Animateur culturel au cinéma Les Alizés de Lyon, établissement

classé Art et EssaiAge Environ 35 ansDate de l’entretien 22 mars 2007Durée de l’entretien 45 minutesRemarques Cet entretien était un peu différent dans la mesure où Mr Van

Maele, à la différence des deux précédents interlocuteurs, estanimateur culturel et non pas directeur de salle. Je n’ai jamaisréussi à contacter Mr Collette Périnet qui occupe cette place.Finalement j’ai pensé que Marc Van Maele était mieux placé pourrépondre à mes questions. Ce fut le cas puisque cet entretien aété l’un des plus enrichissants. Marc Van Maele s’est montré trèsclair et pragmatique. Il est important je crois de noter que MarcVan Maele travaille depuis novembre 2003 aux Alizés. Avant celail travaillait dans la banque. Il s’est réorienté et a suivi un DESS dedirection de projets culturels. A la fin de cette année d’étude, il atrouvé ce poste aux Alizés.

La grille d’entretien a été la même pour chaque interlocuteur.

J’ai réalisé, pour chaque cas, un entretien semi-directif durant lequel j’orientais l’interviewé enfonction de mes interrogations, tout en le laissant parler librement afin de savoir si mes hypothèsesétaient valides et pour ne pas le diriger vers une réponse pré-établie.

Au bout de quatre entretiens, il s’est avéré que les réponses obtenues s’orientaient toutes versles mêmes conclusions. Je disposais de suffisamment de matière, j’ai donc décidé de m’en tenir àquatre entretiens afin de ne pas me disperser et tirer le maximum de conclusions des informationsdont je disposais.

Globalement, les entretiens se sont tous révélés très enrichissants et formateurs. J’ai eu de trèsbons contacts avec les interlocuteurs qui m’ont accordé du temps et se sont sentis concernés parmes recherches.

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Remerciements

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Le cinéma d’Art et d’Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre,diversité et adaptation des lieux de diffusion

SOMMAIRE

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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Introduction

L’un des premiers souvenirs qui me reste en mémoire sur ma rencontre avec le cinéma, avecles tickets d’entrée, avec l’ouvreuse, le contact des sièges rouges en velours et le grandécran blanc, l’immense écran blanc qui se dresse devant nous, se situe en primaire. Nouspartions avec notre enseignante, en rang, deux par deux, pour rejoindre l’unique salle decinéma de notre banlieue parisienne d’Essonne. Nous emportions avec nous une brochuredescriptive du film que nous allions voir. La première découverte fut Ballroom Dancing de Baz Luhrman. Durant la séance, la plupart de mes camarades s’étaient assoupis.A la fin du film, beaucoup manifestaient qu’ils n’avaient pas aimé les images que nousvenions de voir…Moi je n’osais rien dire ayant été envoûtée par la magie des couleursflamboyantes, par les robes des actrices et leur grâce lors des concours de danse, par leurjeu impressionnant, par les décors stupéfiants, par l’ambiance de ce film hors du communqui m’avait ému, transporté, fait rêver.

Quelques semaines après nous allions voir La Strada de Frederico Fellini. Je mesouviens de ce film si différent de ce que j’avais l’habitude de voir à la télévision. Le noiret blanc avait quelque chose de séduisant, les personnages possédaient ce côté intrigant,l’ambiance de La Strada reste gravée en moi depuis ce jour.

Ces deux expériences, qui sont restées enfouies dans mes souvenirs et dans moncœur, ont été le déclenchement d’une curiosité effrénée et passionnée pour le septième art.

J’ai le souvenir aussi du soir de Noël que nous passions souvent avec mes parents etmes sœurs dans une salle de cinéma. C’était plutôt inhabituel comme réveillon, mais il meplaisait car il sortait de l’ordinaire. Souvent nous allions voir le dernier Walt Disney et celacollait à l’ambiance féerique du moment.

J’aimais conserver précieusement les tickets de cinéma car au dos était imprimée uneimage en noir et blanc de figures marquantes du septième art : Laurel et Hardy, CharlieChaplin ou encore Fred Astaire. A mon jeune âge, ces noms et ces visages ne m’évoquaientpas grand-chose, mais j’aimais les collecter, les observer, ils provoquaient chez moi uneirrésistible attraction.

Quelques années plus tard, quelle ne fut pas ma déception de découvrir au dos destickets de cinéma de Pathé et de UGC, que des réductions pour des confiseries ou pour dessandwichs chez Mac Donald’s avait remplacé les petites effigies qui me faisaient rêver…Un temps était révolu et je jetais ces morceaux de papiers dès la séance finie, regrettantles carrés de papiers noir et blanc qui avaient tant de valeur à mes yeux.

Tels furent mes premières relations avec le septième art.Puis s’ajoutèrent d’autres souvenirs de salles, La Salamandre à Morlaix en Bretagne

chez mes grands parents, où nous nous rendions pendant les vacances, celle de Tours, LesStudios, que j’ai découvert lorsque j’ai déménagé, et puis à présent les nombreuses salleslyonnaises toutes différentes les unes des autres.

Ma fréquentation des salles de cinéma s’est accrue avec le temps, les films que je vaisvoir se sont diversifiés, mais l’attraction pour les salles obscures aux sièges de velours, le

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Introduction

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pincement au cœur lorsque le film débute et l’excitation de se rendre au cinéma, tout ceciest resté intact.

Ces expériences sont celles qui m’ont amenées, je crois, jusqu’au choix de ce sujetde mémoire.

Pourquoi le cinéma d’Art et Essai ? Parce que j’en suis spectatrice et que je suisconvaincue que l’avenir du cinéma s’inscrit dans ces lieux.

Quel est l’objectif poursuivi à travers cet écrit ?Je crois que ma volonté la plus profonde est de montrer en quoi le cinéma d’Art et

essai, tant par la diversité des films mais aussi par celle des lieux, est la forme qui défendle mieux le cinéma aujourd’hui en France, tout le cinéma, c’est-à-dire qui permet autantl’accès à des films de divertissement dits « commerciaux », que le contact et la découvertede cinématographies nouvelles, hors des sentiers battus.

Le cinéma possède une place importante dans ma vie, m’apporte un enrichissementimmense, c’est pourquoi j’ai voulu tenter de comprendre ce qui au sein des cinémas d’Artet Essai provoquait chez moi, comme chez tant d’autres, cette attraction et cette passiondu septième art.

Comme le disait le cinéaste iranien Abbas Kiarostami, « assis dans une salle de cinéma,nous sommes livrés au seul endroit où nous sommes à ce point liés et séparés l’un del’autre. C’est le miracle du rendez-vous cinématographique ».

Cherchons à savoir ce qui provoque ce miracle…Art et Essai…deux mots…une expression, finalement une notion souvent usitée mais

que l’on peine à définir. « L’Art et Essai, c’est l’Art et Essai, des films d’intellectuels, où l’onne comprend rien… », quelques fois, pas uniquement et surtout pas seulement.

Derrière cette dénomination se cache une histoire, une réflexion, des textes juridiques,un mouvement tout entier qui défend des visions particulières du cinéma.

C’est ce travail de définition tant historique, que sémantique et juridique que nous allonsmener pour débuter ce mémoire.

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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I) Réinterroger la notion d’Art et d’Essai

La notion d’Art et Essai possède un ancrage historique fort, marqué par des personnalitéset des lieux fondateurs. Ce sont les débuts du mouvement, mais aussi son évolution et sasituation actuelle que nous allons étudier à présent.

A) La longue marche vers l’Art et Essai

1) Les pionniers des années vingt2

L’avènement de la notion d’Art et Essai appliquée au cinéma est issu d’un long processusde différenciation et d’envie de renouveau dans le domaine cinématographique. Il débuteà la veille de la première guerre mondiale.

C’est au départ un engagement, un ensemble de pratiques qui existaient avant que lanotion ne s’institutionnalise.

Les années 1920 sont l’occasion des premiers débats et critiques sur l’artcinématographique.

C’est également à cette époque que naissent les ciné-clubs. L’expression est fondéeen 1920 par Louis Delluc qui crée un journal du même nom. En 1921, il réunit un groupede spectateurs sous cette appellation afin de « projeter des films rejetés par la boutique ouinterdits par la censure ».3

En 1928, c’est Germaine Dulac qui fédère ces ciné-clubs.Ce mouvement de diffusion culturelle des films est porté notamment par des journalistes

et critiques de cinéma et se matérialise par des expériences dispersées de programmationessentiellement à Paris. Il s’agit à la fois de promouvoir le meilleur du cinéma, mais ausside hiérarchiser les œuvres du passé. La dynamique qui conduira au mouvement Art etEssai s’est construite à la fois par la défense d’un art du vivant mais aussi dans le souci depréserver le patrimoine cinématographique et de constituer un répertoire.

Ce foisonnement d’idées et d’initiatives n’est pas au départ entendu par les autorités. Ilest le résultat de l’action de passionnés du cinéma. Ainsi, en 1928, le critique, réalisateur defilm, et rédacteur en chef de la revue Cinéa-Ciné pour tous, Jean Tedesco, prend la tête duVieux Colombier, établissement alors destiné au théâtre et fonde le premier cinéma « d’Artet Essai4 ».

2 Cet historique est inspiré des ouvrages suivants : LEGLISE, Paul. Le cinéma d’Art et d’Essai, La documentation

Française, 1980. SAUVAGET, Daniel. Une Longue marche, Sur l’histoire du mouvement Art & Essai, article paru dans la

brochure éditée par l’AFCAE à l’occasion du 50ème anniversaire des cinémas d’Art et d’Essai, mai 2006.3 LEGLISE, Paul, op. cit.4 Cette dénomination n’existait cependant pas encore

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I) Réinterroger la notion d’Art et d’Essai

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En 1926, le Studio des Ursulines, autre cinéma d’avant-garde voit le jour sous ladirection de l’acteur Armant Tallier.

La création d’autres établissements succède à ces premiers cinémas d’Art et Essai :en 1928, Le studio 28 de Jean-Placide Mauclaire, jeune étudiant de vingt-trois ans, LePanthéon en 1930 sous la direction de Marc Allégret, ou encore Les Agriculteurs, L’œil deParis, Les Miracles.

Suite à ce foisonnement de lieux d’expression et de diffusion d’un nouveau cinéma, unetentative de fédération a lieu en 1930. Elle échoue sous le poids trop important des intérêtsparticuliers de chaque directeur.

La programmation de ces salles dites « d’avant-garde » ne se limite pas à la projectionde films expérimentaux, elle laisse place également aux reprises de films sortis quatre oucinq années auparavant, met l’accent sur une étroite collaboration entre créateurs françaiset étrangers, tout en se fixant comme objectif de présenter le « meilleur de la productioncontemporaine »5.

Les années trente sont marquées par la crise boursière, provoquant celle de l’activitécinématographique. Le cinéma prend alors une nouvelle orientation, celle de sauverl’industrie cinématographique avant de promouvoir de nouvelles formes. Les problèmesinstitutionnels et économiques sont à cette période plus importants que la recherche decréation. Cependant, la crise déclenche à partir de 1935 une série d’enquêtes et de rapportsofficiels, d’initiative parlementaire ou gouvernementale. Le contexte politique, celui du FrontPopulaire, permet toutefois une prise en compte du fait culturel dans le sens d’une défensedu patrimoine économique et culturel national. On voit naître des projets mêlant économie,réglementation et reconnaissance culturelle, comme la création d’école et de musée ducinéma.

La seconde guerre mondiale et l’occupation du pays sont un nouveau frein àl’innovation, alors que parallèlement, la censure met à mal l’évolution du cinéma.

Il faut attendre la fin de la guerre et la Libération pour voir apparaître une multitude deciné-clubs qui vont définitivement impulser le mouvement Art et Essai. Ils préparent le publicà affronter des films nécessitant un effort de pensée et de réflexion. Emerge alors peu à peul’idée de favoriser des salles présentant des programmes de qualité.

2) L’institutionnalisation d’un secteur Art et EssaiComme nous l’avons souligné précédemment, la fin de la guerre est marquée par unrenouveau cinématographique, par une période d’enthousiasme et de bouillonnementculturel.

Le secteur cinématographique va bientôt être reconnu institutionnellement et bénéficierd’un soutien de l’Etat.

Le plan Monnet de modernisation et de rééquipement de l’industrie nationale,lancé après la guerre, profite également au secteur du cinéma. Une aide globale à lareconstruction des quatre cents cinémas détruits durant le conflit est accordée par l’Etat.

C’est aussi le moment de la naissance de la seule entreprise publique d’exploitationcinématographique, l’Union Générale Cinématographique (UGC), qui fournit un espoir dedéveloppement du cinéma de qualité et de défense de la production française. C’est

5 SAUVAGET, Daniel, Op. Cit.

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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malheureusement un échec qui se solde en 1971 par une cession à un consortiumd’exploitation privé que l’on connaît aujourd’hui encore sous le nom d’UGC, et qui est sujetde toutes les critiques chez les défenseurs de l’Art et Essai6.

1947 est l’année record de fréquentation des salles. Le cinéma est alors le loisirdominant en France.

En 1952, Jacques Flaud à la tête du Centre National de la Cinématographie (CNC) créeen 1946, introduit des prix à la qualité pour les courts-métrages. Des festivals internationauxfleurissent un peu partout, mais les films meurent après leur diffusion.

Cependant une transformation progressive de la perception du cinéma s’opère dansles années cinquante. La légitimation culturelle du cinéma voit peu à peu le jour grâce unemultitude de facteurs. Le travail de découverte de cinématographies nouvelles et d’auteursde film effectué par une minorité active d’exploitants et de distributeurs, l’importancequantitative et qualitative des ciné-clubs, le travail de la Cinémathèque Française7,l’évolution des milieux enseignants face aux films, la place conquise par les critiques decinéma dans la presse généraliste et l’influence des revues de cinéma spécialisées, sontautant de facteurs qui concourent à cette institutionnalisation du cinéma en France.

1959 est une année phare pour le cinéma comme pour beaucoup de politiquesculturelles en France. A cette date, le secteur cinématographique, qui dépendait duMinistère de l’Economie, est intégré au Ministère des Affaires Culturelles dont le premiertitulaire est André Malraux. C’est un grand pas pour le cinéma qui n’est plus considérédésormais comme une simple branche de l’économie, mais dont la valeur artistique etl’importance culturelle sont enfin reconnues.

De nouvelles salles s’affirment peu à peu à Paris par leur programmation innovante,comme Le Studio Parnasse ou La Pagode.

En 1950, l’association des critiques de cinéma lance à Paris (en 1951 à Lyon) le Cinémad’Essai dont la programmation est composée pour un tiers de films inédits qui bénéficientd’une dérogation.

La volonté d’union commence à se faire sentir. Chez les critiques et exploitants germel’idée d’un regroupement de salles. Dès octobre 1954 se tient une réunion aux Agriculteursavec Jeander, Tallier et des exploitants comme Line Peillon (Ursulines et Agriculteurs),ou encore Simone Lancelot (Studio de l’Etoile). Le groupement est invité au congrès del’association allemande de cinéma d’art, La Guilde, créée depuis peu. A la suite de cetterencontre est décidée en janvier 1955 la création de la Confédération Internationale desCinémas d’Art et d’Essai (CICAE).

A cette occasion voici les mots prononcés par Armand Tallier8, lors du discoursd’ouverture de la deuxième assemblée générale à Cannes le 6 mai 1957 : « Si nos goûtset nos préférences nous portent vers des œuvres originales et hardies, notre groupementne s’embarrasse d’aucune esthétique préconçue, ne prône aucune formule, ne s’inféodeà aucune chapelle, n’est titulaire d’aucune école, d’aucun parti politique. Il n’est désireuxque de servir la qualité du spectacle cinématographique. Nous ne voulons pas travailleruniquement pour une soi-disant élite, nous ne dédaignons pas d’atteindre le grand public,ce serait renoncer à l’élever, ce serait le contraindre à retourner à des distractions dont nous

6 Nous verrons pourquoi dans notre troisième partie7 Créée en 1936 sous l’impulsion d’Henri Langlois8 Premier Président de la CICAE

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I) Réinterroger la notion d’Art et d’Essai

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serions bien mal venus de lui faire grief ensuite. Nous réprouvons au contraire ce traversdans lequel tombent parfois d’excellents esprits, qui consiste à prendre le contre-pied dugoût du public en toute circonstance, à ne reconnaître de valeur qu’à l’exceptionnel, aurare et à l’inhabituel, fussent-ils médiocres. Nous ne méconnaissons pas la nécessité d’uncinéma commercial, d’un cinéma payant et, si nous voulons être l’aile marchande, l’avant-garde de nos confrères, nous ne voulons en aucun cas perdre le contact avec eux »9. Cediscours illustre clairement les buts poursuivis par cette association qui regroupe aujourd’hui3000 écrans au travers de sept structures nationales (1000 en France, 400 en Italie, 300en Allemagne, 90 en Suisse, 40 en Hongrie, 15 en Belgique, et 10 au Mexique), auxquelless’ajoutent quelques salles individuelles dans une quinzaine de pays (Autriche, Chypre,Danemark, Espagne, Pologne, Portugal, Maroc, Japon, etc.). La CICAE précise d’embléeque son but est de faire sortir le cinéma de qualité de la marge, de le rendre accessible àun plus large public.

Le même objectif sera poursuivi par l’Association Française des Cinémas d’Art etd’Essai (AFCAE), qui voit le jour le 8 octobre 1955, sous la présidence de Roger Clément.Elle réunit alors cinq salles parisiennes.

L’idée de cette association est de contribuer à l’émergence d’un cinéma différent, dequalité, de recherche et d’auteur. Germaine Dulac, à propos de l’avant-garde, disait « qu’ellea affiné l’œil du public, la sensibilité des créateurs, et défriché tout en élargissant la penséecinématographique dans sa vaste étendue »10. Le but de l’AFCAE est donc de mettre à ladisposition du plus grand nombre possible de spectateurs les œuvres les plus importantesde l’art cinématographique. On perçoit bien ici la nécessité de former le public mais aussil’importance d’un marché.

Le 17 septembre 1957 est crée au CNC une commission d’étude, chargée de définir lanotion d’Art et Essai et de déterminer les privilèges dont bénéficieront les salles classéesArt et Essai. C’est là le premier document juridique publié au Journal Officiel, instaurant lanotion d’Art et Essai.

Selon Jean Lescure, qui fut président de l’AFCAE de 1966 à 1992, « il s’agit de mettreen place un outil de diffusion du cinéma international de qualité, capable de susciter les filmsd’auteur et les créations de prestige de l’art cinématographique français, en leur donnant unerentabilité certaine et en leur ouvrant une large audience tant en France qu’à l’étranger »11.

Le concept d’Art et Essai est né et avec lui l’AFCAE qui sera reconnue officiellementen 1959, par André Malraux, alors Ministre de la Culture.

A cette époque se pose à la question de la place de l’Etat au sein du secteur Art etEssai. Doit-il relever d’une initiative publique ou privée ?

Dans l’ouvrage cité, Paul Leglise souligne que « élan artistique ne peut pas être instituépar l’Etat », cependant l’Etat ne doit pas y être indifférent. Malraux déclarait à l’époque« l’Etat n’est pas fait pour diriger l’art mais pour le servir ». Tel sera le principe d’une politiquepour l’Art et Essai. Les individus conservent donc l’initiative de la création artistique et de

9 www.art-et-essai.org/cicae10 LEGLISE, Paul, op. cit11 LEGLISE, Paul, op. cit.

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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l’action culturelle, mais l’Etat leur offre un support et un appui financier indispensable. L’Etatest donc conçu comme une institution au service de la création12.

3) Croissance du parc et mutations du marchéDans les années soixante, le réseau s’étend en France. Les distributeurs investissent peuà peu le marché.

En 1967, le parc des salles classées représente 3,75 % du total des salles françaises.En 1978, il est de 7,5 %, soit 328 écrans. La période correspond à une mutation dela branche d’exploitation. C’est l’avènement des complexes multisalles et le temps dela concentration issue de la modernisation du secteur. Ce mouvement prend différentesformes :

concentration technique avec l’apparition des complexes de cinémasconcentration géographique (au profit des sites les plus performants commercialement)concentration économique (au profit de grands groupes)concentration de la programmation (surtout en ce qui concerne la captation des copies

de films)Malgré ce mouvement mettant en cause le pluralisme, la diversité et le renouvellement,

la période 1970-1985 est toutefois marquée par une diversification de la programmation.Celle-ci résulte de l’ouverture permanente du mouvement Art et Essai vers de nouvellescinématographies. Ce travail de recherche réalisé par les cinémas d’Art et Essai peutcependant se retourner contre le mouvement. En effet, en effectuant ces actions efficacespour dénicher de nouveaux films, de nouveaux auteurs, qui deviennent par la suitecommercialement rentables, le mouvement Art et Essai s’attire les convoitises des grandscircuits qui vont chercher à profiter eux aussi des marges commerciales de ces nouveauxfilms. « Lieu du risque endossé par les plus faibles, le secteur Art et Essai peut dégager desplus-values commerciales aisément confiscables », affirme René Bonnell, dans son premierlivre13. Le marché de l’Art et Essai commence donc à susciter la convoitise des entreprisesdominantes du secteur cinématographique. La lutte pour l’accès aux copies, au profit desgrands circuits, ne fait que commencer si bien qu’en 1976, ils programment déjà un tiersdes salles classées.

Cependant, la croissance du parc de salles classées ne cesse d’augmenter. Dans lesannées quatre-vingt, 700 écrans français répondent aux critères Art et Essai sur une totalitéde 5000, soit 15 % du parc. A la fin des années quatre-vingt, ce pourcentage est déjà passéà 20 %.

En 2001, dernière année de classement par écran14, 956 écrans sont classés Art etEssai, sur un total de 5236 en France, ce qui correspond à 18 % du parc.

Plusieurs évolutions sont à noter depuis le début des années quatre-vingt dix.

12 Nous verrons quelles sont en la matière des incitations notamment économiques dont bénéficient les cinémas d’Art et Essaidans notre seconde partie.

13 BONNELL, René, Le cinéma exploité, Ed du Seuil, 1978, 382 p.14 La réforme de 2002 porte classement non plus des écrans mais des établissements. Nous développerons ce point dans

notre seconde partie.

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I) Réinterroger la notion d’Art et d’Essai

MARTIN Coralie_2007 15

On voit par exemple apparaître de nouveaux intervenants déterminants hors desgrands centres. C’est le cas des communes, qui étendent leurs activités culturelles aucinéma. Elles s’investissent dans le secteur, soit en soutenant des salles défaillantes, soit entravaillant avec les cinémas sur une nouvelle politique d’animation. Ainsi, le nombre d’écransrelevant des collectivités, géré par des associations ou des personnes privées, augmenteconsidérablement. En 2003, ces salles représentent plus de la moitié des établissementsclassés.

Un autre phénomène attire l’attention des professionnels du secteur, celui del’augmentation des films recommandés Art et Essai15. La frontière entre film d’auteur et filmdit « commercial » tend actuellement à devenir de plus en plus floue, générant un risque debanalisation de la programmation des cinémas d’Art et Essai.

Le Centre National de la Cinématographie a publié en 2006 une étude sur l’exploitationdes films recommandés Art et Essai. L’étude de ce rapport met en évidence les grandestendances à l’œuvre aujourd’hui concernant ces films. En voici les principales conclusions :

Près de 70 % des films exploités en salles sont recommandés Art et EssaiCes films réalisent 34,3 % des entrées et 32,7 % des recettes salles en 2005.La grande majorité des films recommandés Art et Essai sont exposés dans des salles

Art et Essai (94,2 % en 2005).Les films français sont prépondérants au sein de l’offre totale de films Art et Essai en

salles.L’offre de films recommandés Art et Essai en salles, se compose d’œuvres de tout

âges : en 2005, 29,7 % d’entre elles ont au moins trente ans, et 51,1 % au moins dix ans. Lesfilms récents (moins de cinq ans) représentent 34,7 % des films Art et Essai programmésen 2005. En revanche, ils occupent la très grande majorité des séances Art et Essai (96%) en 2005.

Films Art et Essai inédits 16 : moins de copies mais plus de séances par copies

Plus de la moitié des films inédits sont recommandés Art et Essai (60 % en 2005).Un film recommandé Art et Essai bénéficie d’une combinaison de sortie 3,7 fois plus

modeste qu’un film non recommandé. En moyenne, en 2005, un film Art et Essai est tiréà 65 copies, contre 241 pour un film non recommandé. Ainsi les films recommandés Art etEssai sont bien moins exposés que les autres films.

A cela s’ajoute que les films recommandés Art et Essai sont moins performants queles autres films.

Films inédits en salles en 2005 17

Films Copies Séances Entrées en millionsFilms recommandés Art et Essai 330 21 289 2 094 602 54, 587Films non recommandés 220 52 944 3 713 974 112, 474TOTAL 550 74 233 5 808 576 167, 061

15 Ce point fera l’objet d’une étude plus approfondie dans le B) de cette partie.16 Les films inédits sont les nouveaux titres qui sortent chaque année17 Hors films « IMAX »

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

16 MARTIN Coralie_2007

Une majorité de films français au sein des films Art et Essai inéditsEn moyenne la moitié des films recommandés Art et Essai inédits en salles sont français

(47,6 % en 2005).Depuis 1999, les films américains constituent entre 9 et 15 % de l’offre de films

nouveaux recommandés Art et Essai, alors que 23,6 % sont européens et 14,5 % ne sontni européens et ni américains.

Plus de 91 % des documentaires inédits sont recommandés Art et EssaiEn 2005, l’offre de nouveaux films recommandés Art et Essai se compose de 30,6 %

de comédies dramatiques, et de 27 % de drames. Le documentaire et la comédie sont lesdeux autres genres qui représentent une part importante de films recommandés inédits.

L’Art et Essai correspond à des genres particuliers. En effet, 91,2% des nouveauxdocumentaires sont recommandés, ainsi que 87,3 % des drames et 82,8 % des comédiesdramatiques.

Une durée de vie en salle plus longue pour les films Art et EssaiAprès cinq semaines d’exploitation en salles, les films sortis entre 2000 et 2005

ont enregistré, en moyenne, 85,9% de leurs entrées totales. Cette part est sensiblementinférieure pour les films Art et Essai (76,5%).C’est pourquoi la durée de vie moyenne desfilms Art et Essai est plus longue que celle des autres films. Elle dépend à la fois de lanationalité et du son genre du film. Ainsi les films Art et Essai américains ont une durée devie plus courte que celle des français. Les films d’animation constituent le genre pour lequell’étalement des entrées dans le temps apparaît comme le plus étendu. Pour les films defiction en revanche, les résultats d’entrées sont plus concentrés dans le temps.

Le débat sur la définition des termes Art et Essai et sur les recommandations qu’ilsenclenchent est au cœur des problématiques au sein du secteur cinématographique. Dansson numéro d’avril 2007, Les Cahiers du Cinéma, profitant de l’effervescence due à la futureélection présidentielle, ont publié douze obejctifs pour le cinéma en France. La sixième deces propositions est ainsi formulée : « Réformer la définition de l’Art et Essai : Le réseauArt et Essai est une chance historique pour le cinéma en France (et pas seulement pour lecinéma français). Mais son essor même a conduit à une dérive, qui réunit désormais sousle même label des salles et des approches du cinéma très différentes, sinon contradictoires.Cette dérive a été rendue possible par le laxisme quant à la définition des films labellisés Artet Essai. Il importe de remettre l’œuvre, l’exigence envers l’œuvre (du côté de la recherchecontemporaine, comme du côté du patrimoine), au principe du label Art et Essai ».18

L’enjeu est de taille, mais, nous allons tenter de redéfinir la notion d’Art et Essai, toutd’abord d’un point de vue purement sémantique, puis en s’appuyant sur les textes juridiques,enfin en analysant la perception du public et puis celle des professionnels.

B) Art et Essai : deux mots, une multitude dedéfinitions et de visions

18 Les Cahiers du Cinémas, Avril 2007, n°622, p 10-13

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I) Réinterroger la notion d’Art et d’Essai

MARTIN Coralie_2007 17

1) Considérations sémantiquesLes termes Art et Essai semblent intégrer au discours commun, pourtant lorsqu’on sepenche de plus près sur la signification même des mots, celle-ci pose problème. En effetaujourd’hui le concept d’Art et Essai est utilisé sans que l’on s’interroge sur la définition deces termes qui peuvent paraître ambigus. Il convient donc de tenter de revenir à la sourcede cette expression afin d’en cerner les contours et d’en dégager une signification purementsémantique, indépendante de toute considération pratique.

Finalement pourquoi avoir choisi les termes Art et Essai ?Considérer le cinéma comme un Art semble obtenir l’unanimité. Issu du latin ars, le

mot art désigne le moyen, la méthode, la connaissance technique. Par extension, l’art est« l’expression par les œuvres de l’homme d’un idéal esthétique » ou encore « chacun desmodes d’expression de la beauté 19 ». Le cinéma est bel et bien reconnu comme le SeptièmeArt, on ne voit donc pas d’opposition à parler d’un cinéma « d’Art », comprenant bien lesvaleurs esthétiques qui se cachent derrière ce terme.

Mais, accolé à cette dénomination, on trouve le mot Essai… C’est ce second terme quimérite une attention plus particulière.

En effet pourquoi parler de cinéma d’Essai ou de Film-Essai ? Que se cache-t-il derrièrece terme ?

Un colloque sur l’essai cinématographique a eu lieu en 2004 sous la direction deSuzanne Liandrat-Guigues et Murielle Gagnebin.20 L’analyse qui suit est en partie tirée del’ouvrage publié à la suite de ce colloque. Les auteurs cherchent à définir la notion d’Essaidans le champ cinématographique, pour lui donner une consistance propre. Une quinzained’intervenants a participé à ce groupe de travail. Ils nous livrent leur analyse.

La première constatation qui s’impose est celle de la naissance du mot essai, au sein

duchamp littéraire au XVIème siècle avec Les Essais de Montaigne. On peut donc sedemander pourquoi le cinéma est venu emprunter à la littérature ce terme afin de définir

un nouveau genre 21 ?

Suzanne Liandrat-Guigues22 rappelle que la notion a évolué au cours des siècles. Au

XXème siècle elle renvoie davantage à des ouvrages d’analyses, on parle alors « d’essaiscritiques ».

En philosophie, le terme essai est utilisé pour désigner une recherche correspondantà une thèse (ex : Essai sur les données immédiates de la conscience de Bergson).

A toutes ces définitions s’ajoute une multitude d’autres usages dans les scienceshumaines qui font que la notion devient finalement très utilisée, in fine vide de sens.

Si l’on observe l’utilisation du mot dans le registre des sciences dites « dures » (commeles mathématiques), on s’aperçoit que le terme essai n’est compris que dans le sensd’expérimentation. Face à ce foisonnement de définitions, se rapportant à des domaines

19 Le Petit Robert, 199220 LIANDRAT-GUIGUES, Suzanne et GAGNEBIN, Murielle, L’essai et le cinéma, Ed Champ Vallon, 2004, 253 p.21 Nous verrons par la suite qu’il est difficile de parler de genre à propos du cinéma d’Art et Essai22 Suzanne Liandrat-Guigues est professeur à l’Université de Lille-III et auteur d’ouvrage sur le genre western, ainsi que sur

divers réalisateurs.

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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très divers, il convient de pencher sur le sens que prend le mot essai au sein du champcinématographique.

Suzanne Liandrat-Guigues s’interroge : « en quoi consiste l’essai au cinéma ? ».Si l’on se penche sur les racines du mot essai, on remarque qu’il est issu du latin

exagium, qui signifie « pesée ». Le terme renvoie donc à l’idée de balance, d’un entre deux,d’un équilibre entre une prise de risque et une expérimentation.

On voit ici d’emblée le caractère équivoque que la notion porte en elle dès son origine.

José Moure23, lors de ce colloque, souligne que le terme « s’est imposé dans le champcinématographique comme une nécessité pour désigner des œuvres inclassables ». L’essaise définirait ainsi par soustraction des autres genres : ni fiction, ni documentaire, ni cinémaexpérimental. Finalement, ce que l’essai n’est pas c’est bel et bien un genre dont on peutdessiner les limites concrètes.

Cyril Neyrat24 explique que selon lui « l’essai est un genre bien déterminé en littératureavec Montaigne, et en philosophie avec Descartes, mais au cinéma il serait davantage ducôté du terrain vague », d’où la difficulté d’en cerner les contours.

Les professeurs et universitaires qui ont participé au colloque sur l’essai au cinéma,nous livrent chacun leur vision du « genre ». Il ressort dans chaque article des pointscommuns à ce que la plupart nomme le film-essai.

- La caractéristique récurrente que l’on retrouve dans chaque analyse est celle d’uncaractère expérimental et de nouveauté au sein du cinéma d’Essai.

Il serait, selon les mots de Suzanne Liandrat-Guigues, « un outil pour faire naître dunouveau, du jamais vu ».

Murielle Gagnebin25 met en avant « l’idée d’affronter quelque chose pour la premièrefois ». Ainsi, en donnant vie à quelque chose de nouveau, d’expérimental, le cinéma d’Essaiconstitue une prise de risque pour l’auteur qui confronte les spectateurs à de l’inconnu.

« Essayer, c’est s’engager dans l’inconnu et non prendre place dans une énonciationde discours majoritaire », écrit Jean-Louis Leutrat26 dans son article intitulé Un essaitransformé.

Le caractère premier et fondamental sur lequel la plupart des professionnelss’entendent est donc l’énergie nouvelle qu’apporte le film-essai au genrecinématographique, ce qui rejoint l’idée d’expérimentation avec l’innovation pour résultat,de test, d’aventure dans un domaine inexploré.

- Le spectateur possède alors au sein du cinéma-essai une place particulière.Le genre implique un rôle et un apport inéluctable du spectateur puisqu’il l’oblige à

renouveler sa manière de penser. C’est le défi que l’auteur du film-essai doit relever : réussirà porter son film hors du commun jusqu’à un public, en éveillant sa curiosité.

23 José Moure est maître de conférence à l’Université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, où il enseigne l’esthétique du cinéma.24 Cyril Neyrat est enseignant à l’Université de Paris-VII25 Murielle Gagnebin est professeur à l’Université de Paris-III-Sorbonne, et auteur de plusieurs ouvrages d’esthétique de l’image

et de psychanalyse de l’art. Elle dirige depuis 1994 le Centre de Recherche sur les Images et leur Relations (CRIR).26 Jean-Louis Leutrat est professeur à l’Université de Paris-III dont il a été le Président de 1996 à 2001. Il a publié des ouvrages

sur Gracq, Diderot, Renoir, Resnais…

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I) Réinterroger la notion d’Art et d’Essai

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« C’est du point de vue du spectateur que la forme fait sens car il y a une nécessité decompréhension », souligne Alain Ménil27. En effet, le film-essai ne pourrait pas exister sansun public curieux de découvrir une nouvelle forme de cinéma, un public prêt à se confronterà de nouvelles règles (s’il y en a), prêt à s’ouvrir à un cinéma qui demande plus de réflexionqu’il n’incite au divertissement. Ainsi, l’essai permet selon Guy Fihman28 de traiter de« thèmes difficiles dans une forme compréhensive ». L’auteur de l’essai cinématographiqueest donc dépendant d’un spectateur qui se doit d’être critique.

- L’œuvre doit offrir une sorte de « paysage intérieur de l’auteur », souligne en 1949Alexandre Astruc, l’auteur de la caméra stylo. Cela suppose la trace d’un « Je », c’est-à-dire d’une vision du monde.

C’est là un autre critère qui tend à définir le film-essai. Nous verrons que c’est égalementla définition qui est le plus souvent retenue par les membres de la profession pour définirun film d’Art et Essai.

Le film-essai serait donc une œuvre très personnelle à travers laquelle l’univers, leton, la marque d’un auteur seraient très présents. Un film-essai serait le film d’un auteursingulier ; un film d’auteur.

Pour Jean Starobinski, l’essai est caractérisé par son aspect « risqué, insubordonné,imprévisible et de dangereusement personnel »29

- « L’essai ne se soumet à aucune règle »30

Finalement, au regard de toutes ces caractéristiques plus ou moins définies, du moinsjamais figées, peut-on parler du cinéma d’Art et Essai comme genre à part entière ?

« Le langage n’est ni celui de la fiction, ni celui du reportage mais celui de l’essai »affirme Alexandre Astruc. Entre documentaire et fiction, l’essai serait un entre-deux, ungenre impalpable.

Puisqu’un genre se définit par des règles propres et strictement fixées au préalable,on peut douter que le cinéma d’Art et Essai en soit un. « Avec l’essai, la règle devienttemporaire, fragmentaire », affirme Alain Ménil.

Par ses limites indéterminées et indéterminables, le cinéma d’Art et Essai est à la foisun type de cinéma aux contours indéterminés, hors des sentiers battus, qui refuse toutelinéarité, mais qui possède tout de même une réalité, notamment dans les textes juridiquesqui tentent de définir la notion.

José Moure dans son article met cependant en lumière quelques traits communs auxfilms-essais. Selon lui, même si la forme de l’essai échappe à toute définition, elle possèdecinq caractéristiques :

Le film-essai serait la mise en relation de matériaux souvent à référence culturelle.Il mettrait en place un nouveau rapport entre les matériaux, allant de la superposition,

à l’entrecroisement, en passant par des recoupements et des déplacements.Il aurait recours à une écriture réflexive, c’est-à-dire à un discours et simultanément à

une réflexion sur ce discours, finalement ce que l’on peut appeler un retour sur soi.27 Alain Ménil est professeur de philosophie et de théâtre en classes préparatoires, au lycée Claude Monet à Paris.28 Guy Fihman est professeur en cinéma à l’Université Paris-VIII-Vincennes-Saint-Denis.29 STAROBINSKI, Jean, Peut-on définir l’essai ? , Cahier pour un temps, Paris, 1985.30 STAROBINSKI, Jean, op. cit.

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Il se caractériserait par le fait que l’essayiste se met lui-même en scène, intégrant saprésence dans le film, s’adressant à des spectateurs imaginaires ou à lui-même.

Enfin, le film-essai ferait appel à un mode de communication dialogique dans lequelune place de choix est laissée au spectateur qu’il inscrit dans une relation d’interlocution.

« Le terme essai devient l’unique possibilité de désigner le cinéma qui résiste face auxproductions commerciales », nous livre Suzanne Liandrat-Guigues.

Et José Moure de conclure, « c’est une façon de rendre hommage au Septième art etde parier sur ses pouvoirs à venir ».

Face à cet objet révolutionnaire et hybride qu’est l’Essai, on perçoit la difficulté de cernerla notion de cinéma d’Art et Essai On peut alors se demander comment la profession a-t-elle résolu le problème en instituant dans les textes une définition préétablie ?

2) Etudes des textes juridiquesLe 17 septembre 1957, nous l’avons vu, est crée au CNC une commission d’étude, chargéede définir la notion d’Art et d’Essai et de déterminer les privilèges dont bénéficieront lessalles classées Art et Essai. C’est là le premier document juridique publié au Journal Officielqui instaure la notion d’Art et Essai.

C’est l’Association Française des Cinémas d’Art et d’Essai (AFCAE) qui établit la listedes films recommandés. Les modalités de recommandation font l’objet d’une conventionentre le Centre National de la Cinématographie (CNC) et l’AFCAE, selon les principessuivants31 :

« Constitution d’un collège représentatif des différentes branches professionnelles, desdiverses tendances de la création, et capable de tenir compte de l’évolution des sensibilitésdu public (réalisateurs, producteurs, distributeurs, exploitants indépendants, personnalitésdu monde culturel, représentants du jeune public). Ce collège comprend 100 personnes.

Recommandation fondée essentiellement sur une appréciation de la qualité des filmsPublicité de la recommandation Art et Essai auprès de l’ensemble des professionnelsLes films recommandés font l’objet d’une décision de la Direction Générale du CNC.Un sous-groupe du collège détermine les films Recherche et DécouverteLa liste des films recommandés Art et Essai est disponible sur le site art.et.essai.org.La recommandation Art et Essai des Films peut être accompagnée d’un ou de plusieurs

labels parmi les trois suivants :Recherche et DécouverteJeune PublicPatrimoine et Répertoire »C’est donc ce collège de cents professionnels issus d’univers divers qui visionnent les

films et décident collégialement si un film peut obtenir la recommandation ou non.Cependant, il faut à présent s’interroger sur les critères qui permettent de recommander

ces films. En la matière, la profession semble en constante remise en question comme leprouve le séminaire qui s’est tenu en octobre 2006 et qui évoque de nouveau le problème

31 Principes issus d’une notice écrite en 2006 et disponible sur le site du CNC

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I) Réinterroger la notion d’Art et d’Essai

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des critères de recommandation. Si l’on se penche donc sur les textes juridiques qui tententde cerner la notion, on remarque que les critères qui enclenchent la recommandation desfilms n’ont pas évolué depuis l’avènement des termes Art et Essai.

Le dernier texte portant définition de la recommandation Art et Essai est issu du Décret202 568 du 22 Avril 2002. Si l’on compare ce texte avec les premiers documents juridiquesà ce sujet, c’est-à-dire ceux de 1957 ou encore de 1979, on ne constate finalement aucuneévolution dans la définition des termes.

La définition et le classement d’un film dans la catégorie Art et Essai répondent certesà des critères préalablement définis, mais dont le caractère subjectif laisse finalement unemarge de manœuvre assez large à la commission délibérative.

Ainsi, le texte de 1979 et le décret rendu par le CNC le 22 avril 2002 contiennent lesmêmes termes de définition d’un film d’Art et d’Essai :

Sur ce point, Roger Sicaud32 nous éclaire particulièrement : « Personne, fortheureusement, n’a jamais prétendu classer un film Art et Essai […]. Tous les films sont uneœuvre, mais qui a autorité pour dire si c’est un chef-d’œuvre ou si ça ne l’est pas, si c’est uneœuvre d’Art et d’Essai ou non, c’est assez compliqué. Personne n’a cette prétention là, entous cas surtout pas l’Etat. D’où un texte suffisamment large qui précise les types d’œuvresqui peuvent rentrer dans cette catégorie ». Il apparaît évident qu’il serait dangereux pour lecinéma de définir des critères strictes et figés pour désigner un film Art et Essai.

M. Sicaud ajoute : « On dit simplement, ces films là sont recommandés pour entrer dansla programmation des salles, qui elles, veulent être classées, sachant qu’une salle classéepeut passer des films recommandés ou non. La seule chose qui fait l’objet d’une décisionest le classement des salles. Les films ne sont jamais classés ils sont recommandés ».

M. Sicaud insiste ici sur l’importance des termes. En effet, le terme de« recommandation » porte en lui la marge d’appréciation en germe dans le système derecommandation. Il ne s’agit finalement que d’un avis qui permet par la suite le classementdes salles et donc leur accès aux subventions, voilà pourquoi la recommandation estsi importante et suscite des controverses. Car effectivement, comme nous l’avons vuprécédemment, environ 60 % des films qui sortent chaque année en France sontrecommandés Art et Essai. On peut alors s’interroger sur la pertinence de cetterecommandation. Si tout devient Art et Essai, que devient l’Art et Essai ?

N’est-ce pas une dénaturation de l’Art et Essai ?Sur cette question, les professionnels ne se montrent pas inquiets.« Les 60 %, tiennent aussi au fait qu’en France on a une grande diversité de diffusion.

Il y a beaucoup de films qui viennent de pays à la cinématographie non dominante, sachantque la cinématographie dominante ce sont les films français et hollywoodiens. Mais enFrance on diffuse justement beaucoup de films d’autres nationalités, de jeunes auteurs, desdocumentaires…Il y a à peu près 550 à 600 films qui sortent chaque année et là dedans, lesfilm dominants, grand public, commerciaux, ne sont pas si nombreux. Il y en a une centainequi font le maximum d’entrées et le reste c’est justement ce qui fait de la diversité. Le faitqu’il y en ai 60 % ça montre la richesse de la diffusion et ça ne nuit pas à quoi que ce soit »,affirme M. Sicaud.

32 M. Roger Sicaud est conseiller pour le cinéma et l’audiovisuel à la DRAC Rhône-Alpes. Il a répondu à mes questions lorsd’un entretien qui a eu lieu le 9 février 2007.

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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Pour Marc Bonny33, directeur du Comoedia de Lyon, « C’est l’éternelle question…Lecollège de recommandation c’est 100 personnes à peu près qui voient les films, qui ne lesvoient pas…Parmi les débats qu’il y a eu au CNC il n’y a pas longtemps, il y avait des gensqui disaient que ça leur arrivait de recommander un film alors qu’ils ne l’avaient pas vu, ce quien scandalisait d’autres qui se demandaient comment c’était possible […]. Sur la questiondu type de film et des recommandations, il y a plusieurs tendances au sein de l’Art et Essai,il y a notamment le Groupement National des Cinémas de Recherche qui milite pour queles critères de sélection des films soient beaucoup plus strictes et puis il y a aussi tout lecôté aides publiques en direction des salles car il ne faut pas oublier que tout ce mécanismelà a comme finalité de donner des subventions aux salles. A l’opposé, il y a l’essentiel desadhérents de l’AFCAE qui eux sont plus pour un éventail assez large, c’est-à-dire sont plussur le raisonnement de dire qu’il faut des films Art et Essai « porteurs » et des films non-porteurs, les films Art et Essai porteurs étant des films qui font beaucoup d’entrées, commeWoody Allen, Clint Eastwood, etc. Maintenant est-ce qu’un film de Clint Eastwood ou deWoody Allen, parce qu’il fait beaucoup d’entrées perd son statut de films d’auteurs alorsque le même univers il y a trente ans du même réalisateur ne faisait pas d’entrée parce quel’auteur était balbutiant et pas encore connu… ? Un « Clint Eastwood » c’est évidemmentun film d’auteur, un film Art et Essai même s’il fait des entrées. Ce débat là n’est pas évident,mais à la base l’AFCAE est intéressée pour avoir beaucoup d’adhérents, beaucoup de sallesclassées parce que plus de représentativité auprès des pouvoirs public ».

On prend conscience que la question de la recommandation des films Art et Essai poseproblème au sein de la profession. Alors que certains trouvent valorisant que de plus enplus de films soient recommandés, d’autres s’inquiètent de l’avenir du mouvement Art etEssai. Ce n’est pas le cas de Marc Van Maële34, qui semble plutôt serein sur cette question.« Moi il ne me semble pas du tout que ce soit une dénaturation du genre. Après là-dessousil y a beaucoup de choses notamment des enjeux économiques.

Mais est-ce que parce qu’on devient populaire on perd sa qualité d’Art et Essai ? KenLoach, Almodovar connaissent un grand succès, cela reste pourtant des films Art et Essai.Ce sont des auteurs qui ont explosé, mais qui restent de l’Art et Essai, ils viennent aussigrossir la masse de ces 60%. Il n’y a pas que des auteurs inconnus, il y a aussi des gensconfirmés. Moi ça ne me choque pas du tout ».

On voit bien que l’enjeu se situe au niveau des auteurs Art et Essai peu connus il ya quelques années et qui aujourd’hui ont trouvé un public nombreux. Il semble que celan’entache pas la valeur de leur film, au contraire. Si le destin de l’Art et Essai était de resteraccessible à une minorité de cinéphile avertis, alors le mouvement Art et Essai aurait échouédans sa volonté première de mettre à la disposition du public des œuvres de qualité. Al’inverse, le succès des Almodovar, Woody Allen et autre Ken Loach marque une victoire del’Art et Essai qui est parvenu à conquérir un public, en l’amenant vers des films différents,plus exigeants.

C’est plus au niveau du marché que les choses ont changé. Avant les cinémas d’Artet Essai et les cinémas « commerciaux » étaient clairement identifiés, beaucoup plusqu’aujourd’hui. Aujourd’hui, La vie des autres , qui est un film recommandé Art et Essai,

33 Marc Bonny est directeur du cinéma d’Art et d’Essai le Comoedia à Lyon. Le cinéma avait fermé ses portes en Décembre2003. Grâce à l’énergie et à la passion de professionnels, notamment de Marc Bonny, il a réouvert en Novembre 2006. Marc Bonnyest également directeur de la société de distribution Gbecafilm. Je l’ai rencontré pour un entretien le 15 février 2007.

34 Marc Van Maële est animateur culturel au cinéma d’Art et d’Essai Les Alizés à Lyon. Il a répondu à mes quesrtions lorsd’un entretien le 22 Mars 2007.

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I) Réinterroger la notion d’Art et d’Essai

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donc qui contribue au classement des salles, sort au CNP, au Comoedia, au Pathé, enVersion Originale alors qu’ils ne font jamais de VO, mais ils ne le gardent pas longtemps àl’affiche et puis il sort à Ciné Cité ».

A la suite de ces témoignages, il apparaît que l’inertie des textes concernant la définitiondes films Art et Essai, ne soit pas un obstacle réel. Les professionnels s’occupent peu decette définition, puisqu’ils sont ancrés dans le marché lui-même. Selon eux, le fait que ladéfinition n’ait pas évolué ne veut pas dire que le marché, lui, soit resté identique.

Finalement, on prend conscience que cette définition sert avant tout à enclencher lesystème de classement des salles. Elle n’est que peu emprunte d’une forte idéologie, d’uneforte conception de ce qu’est réellement l’Art et Essai. Cette vision des films Art et Essai,il faut la chercher chez les professionnels, directeurs de cinémas, mais également chez lepublic qui possède lui aussi sa conception de l’Art et Essai.

3) Définition des professionnels et du publicIl convient dans un premier temps de définir brièvement le profil des spectateurs des filmsArt et Essai35.

L’étude réalisée par le CNC nous livre les conclusions suivantes36.Le public qui fréquente les cinémas d’Art et Essai est majoritairement un public féminin

(56,5 %).Il est globalement plus âgé que le public du cinéma en général. On y trouve 50,5 %

de plus de 35 ans, sachant que la tranche d’âge la plus représentée est celle qui se situeentre 35 et 49 ans.

Le public des cinémas d’Art et Essai est essentiellement un public urbain, puisquel’on constate que 80,5 % d’entre eux vivent dans des agglomérations de plus de 100 000habitants, y compris Paris.

C’est un public socialement favorisé. En effet, l’étude révèle que 32,7 % d’entre euxexercent une profession de catégorie supérieure, contre 21,5 % pour le public du cinémaen général.

Même si ces conclusions peuvent paraître hâtives, elles nous permettent d’avoir uncadre général définissant le public des cinémas d’Art et Essai.

On peut à présent s’intéresser à la perception de ce public quant à la notion d’Art etEssai37.

35 Cette analyse est tirée d’une étude menée en octobre 2006 par le CNC, disponible sur le site www.cnc.fr . Le CNC asouhaité réalisé une étude sur le public des établissements Art et Essai, afin d’actualiser l’étude publiée en 1999. « Cette étudeanalyse non seulement le profil socio-démographique des spectateurs des établissements Art et Essai, mais aussi leurs pratiquescinématographique au travers de leurs habitudes de fréquentation, de location et d’achats de DVD. 5012 individus âgés de 15 anset plus ont été interrogés, dans 30 établissements Art et Essai, représentatifs sur le plan national du parc des salles classées. Cesondage a été réalisé par Médiamétrie du 23 novembre au 13 décembre 2005, par questionnaire auto-administré distribué à l’entréedes salles et recueilli après séance. L’enquête a été effectuée sur différentes séances, et différents jours afin de couvrir l’ensemblede la programmation des établissements Art et Essai ».

36 Il s’agit ici de faire un bref résumé des conclusions de l’étude qui sont en réalités plus exhaustives.37 Nous nous appuyons là encore sur une étude réalisée par le CNC en octobre 2006, qui a voulu à travers elle « mener une

étude qualitative sur le public des salles Art et Essai, afin de d’appréhender la diversité de la perception des spectateurs vis-à-vis desétablissements cinématographiques classés Art et Essai. Cette étude a été réalisée par l’institut QualiQuanti. L’étude s’appuie sur trois

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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Concernant la définition de la notion d’Art et Essai pour les spectateurs, l’étude du CNCpermet de mettre en évidence une vision plus manichéenne des spectateurs, vision quiintervient en opposition avec le cinéma « commercial ». En effet, les spectateurs opposentle film vu comme un produit et le film Art et Essai. Pour les personnes interrogées, le cinémad’Art et Essai est un cinéma « artistique », qui présente une « vision », le « point de vued’un auteur ». C’est un cinéma qui permet de « faire avancer l’art cinématographique ».C’est également un cinéma qui suscite « l’émotion » et incite à la « réflexion ». Lesaspects esthétiques y sont importants. De plus, il est souvent considéré comme un cinéma« indépendant », à « petit budget ». Finalement, il ressort l’idée d’un cinéma « exigeant »,présentant des « cinématographies du monde ». Les interrogés notent tout de même qu’ils’agit d’un cinéma ouvert qui présente une grande variété de films. On remarque cependantdeux tendances prégnantes au sein du parc de cinémas d’Art et Essai. Un pôle « puriste »qui se situe davantage du côté intellectuel, élitiste et très exigeant. Et un pôle « plus ouvert »dans lequel l’aspect divertissement n’est pas exclu.

Si l’on s’intéresse à présent à l’expression Art et Essai et à la perception qu’en ale public, on remarque qu’elle n’est pas utilisée spontanément. En effet, le public a dumal à s’identifier en tant que « public Art et Essai ». Il ne se reconnaît globalement pasdans cette terminologie, la trouvant désuète, rétrograde et élitiste quand elle est appliquéeaux films. Désignant les salles, elle est synonyme d’équipement « vieillot, peu confortable,poussiéreux et confiné ».

Le public interrogé pour l’étude, propose alors trois alternatives à cette notion,alternatives qui ne sont pas non plus complètement acceptables. Il pense à l’expression« cinéma d’auteur », mais là encore la connotation trop élitiste du terme resurgit. Il pencheensuite pour le terme « cinéma indépendant », mais celui-ci est trop lié à un modèleéconomique. Vient alors la dénomination « cinéma culturel », elle aussi trop élitiste etexcluant la notion de divertissement.

Finalement, le cinéma d’Art et Essai possède une vision ambivalente au sein du public.A la fois porteur de valeurs positives de la culture, comme l’ouverture sur le monde, il renvoieencore aujourd’hui à une vision élitiste du cinéma, difficile d’accès, voire « austère ».

Cependant des signes d’évolution de cette image de l’Art et Essai semblent apparaître,et ceci du fait de la modernisation des salles, du développement de l’offre de films et de lamultiplication des événements, type festival, qui favorisent l’accès au grand public.

Si l’on se tourne à présent du côté des professionnels, on retrouve chez eux plusieursidées communes avec celles des spectateurs.

Tout d’abord, la définition qui revient à chaque fois pour désigner un film Art et Essai estla notion « d’auteur ». Si les interviewés s’accordent sur le fait que la notion d’Art et Essain’évoque pas grand-chose en soi, ils penchent cependant tous vers l’idée d’une vision dumonde, d’un point de vue d’auteur qui impose son style.

« Ce n’est pas simple. Il me semble que ces termes sont entrés dans le langagecommun et que du coup on s’interroge moins sur la définition même. Je pense qu’à la base

réunions de groupes, qui se sont tenues au cours du mois d’octobre 2005. Le premier groupe réuni à Paris a rassemblé 7 femmeset 3 hommes de 24 à 54 ans pour une discussion de 4h. Le deuxième groupe, organisé à Lille, réunissait 5 femmes et 3 hommesâgés de 23 à 57 ans. La discussion a duré 3h45. Enfin, le dernier groupe, réuni à Nantes pendant 3h45 également, rassemblait 6femmes et 3 hommes âgés de 30 à 56 ans. Au cours de ces réunions, ces spectateurs, sous l’égide d’un animateur, se sont expriméssur leurs expériences et leurs attentes vis-à-vis du cinéma d’Art et Essai. Cette phase de réunion a été complétée par une enquêted’approfondissement administrée par l’Internet auprès de 228 spectateurs Art et Essai »

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I) Réinterroger la notion d’Art et d’Essai

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c’est découvrir des cinématographies différentes. Je vais essayer de faire simple, je vaisévacuer l’Art et Essai en général et dire ce que moi j’en pense.

Ce sont donc des cinématographies différentes ce qui veut dire françaises mais ausside tous les pays du monde. C’est un peu la politique des auteurs, c’est-à-dire des auteursqui, à mon sens, vont essayer de créer des œuvres, qui vont avoir un style.

Ce sont des gens qui ont envie de transmettre, qui ont une volonté artistique, doncquelque chose qui dépasse l’œuvre elle-même. Et puis Art et Essai c’est un peu pour moiessayer de défricher des terres inconnues, donc c’est aussi la place à la recherche. Essai,ça renvoie aussi pour moi au cinéma comme économie de prototype. On ne sait jamaisavant qu’un film sorte s’il va marcher ou pas. C’est toujours un peu un OVNI. ». Ici Marc VanMaële évacue dès le départ la notion d’Art et Essai pour exprimer son sentiment en tant quespectateur mais aussi en tant que professionnel du secteur Art et Essai. On retrouve donccette notion « d’auteur », qui se situe au cœur de la définition. Le terme « prototype » attireégalement notre attention. Il renvoie à la notion d’expérimentation.

Marc Bonny, directeur du Comoedia de Lyon, rejoint son collègue sur la définition etdans cette difficulté à cerner les termes. « Ce sont des appellations qui sont délicates àmanier. Je pense que le terme Art et Essai ne veut pas dire grand-chose, enfin pour lecommun des mortels ça ne veut pas dire grand-chose. Pour moi ce sont des films où il y ale regard de quelqu’un, où il y a le point de vue de quelqu’un, d’un réalisateur, sur le monde,sur la société, sur un imaginaire. Pour moi c’est la différence entre un film qui va être du purdivertissement, ou un film commercial et un film qui ne cherche pas forcément à faire desentrées et des recettes. C’est plus un point de vue, c’est comme ça que je le définirai […].Un film Art et Essai ça ne veut pas dire « petit film qui ne marche pas ».

On peut noter ici cette opposition récurrente qui est faite vis-à-vis du cinéma dit« commercial », où l’aspect « profit » est prépondérant.

On retrouve cette référence à deux systèmes économiques radicalement différentschez Marc Artigau38. « Tout ça vient du début du siècle, du théâtre, de ce qu’on appelaità Paris le « théâtre d’essai ». On essayait des choses, on n’était pas là pour faire dupatrimoine, on faisait le théâtre qui naissait. L’Art et Essai ça sera ça. Ca sera surtout lemasquage, la mise entre parenthèse de l’économie. Notre économie est une économieautre, on présente des films qui peuvent être de l’art, mais qui surtout sont des essais, dontpersonne ne parle jamais.

38 Marc Artigau est directeur des Cinémas CNP de Lyon. Je l’ai rencontré pour un entretien le 8 Mars 2007.

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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II) La diversité des lieux de diffusion

Le dernier rapport du CNC sur le parc français de salles de cinéma dénombre 1065établissements classés Art et Essai en 2006. Ce chiffre cache en réalité des disparités trèsimportantes parmi les cinémas d’Art et Essai. Selon que l’on se situe dans une grandeagglomération, dans une unité urbaine plus modeste, ou dans une petite commune, lescinémas d’Art et Essai ne possèdent pas les mêmes caractéristiques et ne sont pas soumisaux mêmes obligations économiques et géographiques. Leur orientation varie égalementselon les choix de programmation et le public auquel ils souhaitent s’adresser. Ces disparitésmettent en évidence des positionnements variés au sein de la profession.

La diversité des lieux de diffusion du cinéma d’Art et Essai est une dimensionprimordiale de ce secteur, aspect que nous allons à présent examiner.

Avant d’entrer dans l’étude précise des disparités au sein des cinémas d’Art et Essai,il convient de faire une brève synthèse de la situation des salles Art et Essai en 2006 enFrance.

En octobre 2006, le Centre National de la Cinématographie a mené une étude surles salles classées Art et Essai, afin de faire un bilan de la situation et de l’évolution duparc, après cinq années de classement des lieux de projection cinématographique selon lesmodalités en vigueur depuis la réforme de 2002. Cette étude met en évidence les évolutionssuivantes39 :

Près de la moitié des établissements français sont classés Art et Essai48,7 % des établissements français actifs en 2005 sont classés Art et Essai, soit

1046 sites, ce qui correspond à 2098 écrans pour plus de 391 000 fauteuils. Le nombred’établissements classés Art et Essai n’a cessé d’augmenter depuis la réforme de 2002.

Nombre % du parc Nombre % du parc Nombre % du parc2001 972 44,3 362 612 33,8 1910 36,42002 971 45,1 358 283 33,4 1873 35,62003 1026 48 376 161 34,9 1965 37,12004 1055 48,6 385 259 35,6 2040 38,12005 1046 48,7 391 133 36,1 2098 39

En moyenne les établissements Art et Essai comptent moins d’écrans que les autres.95,7 % des cinémas classés en 2005 comptent moins de 6 écrans, contre 83,2 % des

cinémas non classés.De plus, on trouve davantage de cinémas classés dans les petites unités urbaines.

En 2005, 963 communes sont équipées de salles Art et Essai en France, soit 56,3 % del’ensemble des communes dotées d’établissements cinématographiques.

Une offre de film plus large

39 Etude menée par le CNC depuis la réforme de classement de 2002. Elle est disponible sur le site www.cnc.fr.

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II) La diversité des lieux de diffusion

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Les cinémas classés Art et Essai proposent un nombre de longs métrages beaucoupplus important que les autres cinémas. Ainsi en 2005, 87,2 % de l’ensemble des filmsprojetés en salles sont programmés dans les établissements Art et Essai. De plus, onobserve que 46,7 % de l’offre totale de 2005 n’est programmée que dans les salles Art etEssai.

Parmi les films proposés par les cinémas, figurent chaque année des films inédits,c’est-à-dire sortant en salles pour la première fois. En moyenne un établissementcinématographique programme 100 films inédits en 2005. Pour un cinéma Art et Essai, cenombre s’élève à 116, soit 40 % de plus que pour un établissement non classé (83).

En moyenne, la programmation inédite d’un cinéma Art et Essai est composée à 53,4% de films recommandés Art et Essai en 2005 (62 films), contre 32,5 % pour un cinémanon classé (27 films).

Une programmation particulièrement diversifiéeLes salles classées Art et Essai favorisent la programmation de films non américains.

Ainsi les films français composent 45,4 % des séances des cinémas classés en 2005, contre40,3 % de celles des cinémas non classés. La même tendance s’observe pour les filmseuropéens et les autres.

Par essence les salles Art et Essai privilégient la programmation de films recommandésArt et Essai, qui compose 53,9 % de leurs séances en 2005, contre 29 % de celles descinémas non classés.

On peut également remarquer que les films de plus de dix ans sont davantageprogrammés dans les salles Art et Essai.

En moyenne, un film inédit fait l’objet de 28 séances dans un établissementcinématographique en 2005. Cette moyenne est nettement inférieure pour les cinémas d’Artet Essai, dans lesquels un film est programmé pour 14 séances (48 séances en moyennepour un cinéma non classé). Cette différence s’explique par deux facteurs. Tout d’abord, ilfaut noter que les établissements Art et Essai disposent d’un nombre d’écrans plus restreintque les autres cinémas (en moyenne 2 écrans pour les cinémas classés, et 3 pour lesautres). D’autre part, les cinémas classés programment en moyenne plus de films, la rotationdes films étant de ce fait plus rapide.

28, 4 % des entrées dans les salles classéesEn 2005, les salles Art et Essai réalisent 49,67 millions d’entrées, soit 28,4 % de la

fréquentation totale.Entre 2004 et 2005 les entrées dans les établissements classés Art et Essai baissent

de 10,1 %, soit une diminution légèrement inférieure à celle des autres cinémas (-10,6).Entrées des établissements Art et Essai

Millions % du total2001 49, 994 26,72002 48,141 26,12003 46,724 26,92004 55,255 28,32005 49,673 28,4

Une recette moyenne par entrée moins élevée

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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En 2005, les salles Art et Essai réalisent 254,4 millions d’euros de recettes, soit 24,7% de la recette totale. La recette moyenne par entrée dans ces cinémas est de 5,12 eurosen 2005, contre 6,17 euros dans les salles non classées. Chaque année, l’évolution du prixmoyen des places de cinéma est moins forte dans les salles Art et Essai que dans les autressalles.

Cette synthèse nous a permis de resituer la situation économique générale des sallesArt et Essai en France et leurs caractéristiques globales. A présent, il convient de s’attarderplus longuement sur ces lieux pour informer sur les disparités que ne mettent pas enévidence les chiffres précédents.

A) Des diversités économiques et géographiques

1) Le système de classement des sallesDepuis avril 2002, une réforme concernant le classement des salles Art et Essai est entréeen vigueur. Elle répond à une nécessité de mieux identifier les établissements Art et Essai.

David Kessler, directeur général du CNC au moment de la réforme, explique les raisons

de ces modifications : « Je sais que la précédente réforme 40 avait suscité des critiques.

C’est pourquoi nous l’a faisons évoluer en pleine concertation avec vous 41 […].

Aujourd’hui, nous tenons à votre disposition, un aperçu des principales dispositions,que je vais vous expliquer maintenant.

Les deux procédures Art et Essai et PEA (Prime d’Encouragement à l’Animation) sontregroupées.

Ce n’est plus la taille de la commune d’implantation du cinéma qui est prise en compte,mais la taille de l’unité urbaine ou agglomération. Cela évitera de traiter selon les mêmescritères une commune de 5000 habitants en périphérie de Paris ou Lyon et une communede 5000 habitants en zone rurale.

Le classement se fera par établissement et non plus par écran. Pourquoi ? Cela répondà deux principes. D’abord, prendre en compte tous les films passant dans un établissementsans les cantonner à la plus petite salle d’un complexe. Ensuite, bien identifier, dans lesgrandes villes, les établissements Art et Essai »

Voici les principales mesures qui entrent en vigueur en 2002.Si la définition portant recommandation des films Art et Essai n’a pas évolué en

cinquante ans, en revanche le système de classement des salles s’est lui affiné.

Actuellement, le classement Art et Essai repose42 :« Sur un indice automatique indiquant la proportion de séances réalisées avec des films

recommandés Art et Essai par rapport aux séances totales offertes.40 Décret n°91 1131 du 25 octobre 1991, portant définition et classement des salles de spectacles cinématographiques d’Art

et d’Essai41 Discours paru dans Le Bulletin de l’AFCAE du 29 juin 200142 Extrait du Décret n° 2002-568 du 22 avril 2002

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II) La diversité des lieux de diffusion

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Sur une pondération de cette indice automatique parUn coefficient majorateur qui apprécie, le nombre de films proposés, la politique

d’animation (en tenant compte des moyens dont la salle dispose), l’environnementsociologique, cinématographique…

Un coefficient minorateur qui prend en compte : l’état de la salle, la diversité des films Artet Essai proposés, l’insuffisance du fonctionnement (nombre de semaines et de séances)

Trois labels peuvent être attribués aux salles selon leurs spécificités :Recherche et DécouverteJeune PublicPatrimoine et RépertoireLa référence est l’unité urbaine, appelée également agglomération (définie par l’INSEE)

dans laquelle est située l’établissement.Le classement se fait par établissements selon deux modes de calculs différents :

Le 1er groupe comprend deux catégories A et BCatégorie A : les établissements situés dans les communes centres des unités urbaines

de plus de 200 000 habitants (la commune centre devant compter plus de 100 000 habitants)Catégorie B : les établissements situés dans les communes centres des unités urbaines

de plus de 200 000 habitants quand cette commune centre compte entre 50 000 et 100 000habitants, ainsi que les établissements situés dans des communes centres des unitésurbaines comprises entre 100 000 et 200 000 habitants.

Le classement est ensuite établi à partir du pourcentage du nombre de séances totalesArt et Essai par rapport au nombre total de séances de l’établissement.

Un pourcentage minimum de séances est requis pour rendre l’établissement éligible.Il est de 65 % pour ce premier groupe.

Le 2ème groupe comprend trois catégories : C, D et ECatégorie C : les établissements situés dans des unités urbaines de plus de 100 000

habitants, non visés par le 1er groupeCatégorie D : les établissements situés dans des unités urbaines comprises en 20 000

et 100 000 habitantsCatégorie E : les établissements situés dans des unités urbaines de moins de 20 000

habitants et dans les communes ruralesLe classement est établi à partir du rapport entre le nombre total de séances Art et

Essai et la moyenne de séances organisées par écran.Le minimum de séances requises pour le classement de l’établissement varie selon la

catégorie. Il est de 20 % pour la catégorie E ».On perçoit clairement à travers cette réforme la volonté de mieux appréhender le parc

de salles classées Art et Essai du territoire français, en fournissant des critères plus préciset plus sélectifs.

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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La grande nouveauté de cette réforme reste l’introduction de coefficients majorateurset minorateurs. Ils reposent sur un questionnaire unique établi par le CNC43. Il permet deprendre en compte les particularités des salles, c’est-à-dire le travail d’animation, les filmsdiffusés en version originale, la diffusion de courts-métrages, les politiques destinées à despublics spécifiques, le travail en réseau, la politique d’information, le nombre de semainesde fonctionnement ou encore le mauvais état des salles.

Le classement est ensuite effectué par la Direction Générale du CNC, après avis de lacommission du cinéma d’Art et Essai qui examine les dossiers de demande de classementdes établissements au début de chaque année.

Ce classement enclenche, par la suite, le versement de subventions qui dépendent dunombre de points obtenus par l’établissement.

Ce système de classement met en évidence des disparités géographiques quiengendrent des diversités économiques, situations que nous allons à présent étudier.

2) Salles de centre ville et salles de périphérie : l’exemple lyonnaisLe département du Rhône possède un parc de salles Art et Essai qui s’élève à 29établissements44. Vous trouverez ci-dessous un schéma simplifié localisant les principauxétablissements, selon le découpage géographique suivant :

Presqu’îleLyonAgglomération lyonnaiseCe découpage se justifie par la diversité géographique et d’équipement des

établissements.J’ai réalisé une première étude sur les salles du Cinéma National Populaire (CNP) de

Lyon, auprès de son directeur et programmateur Marc Artigau. Les salles CNP constituentun réseau de trois établissements : le CNP Terreaux, le CNP Bellecour et le CNP Odéon.Ses trois cinémas totalisent 8 salles (4 salles pour le CNP Terreaux, 3 salles pour leCNP Bellecour et 1 salle pour le CNP Odéon). Leur situation géographique est privilégiéepuisqu’ils sont situés en plein centre ville et jalonnent la rue de la République de bout enbout. Le seul réel concurrent pour les CNP est le Pathé, mais qui ne cible pas le mêmepublic. Je pense qu’il est nécessaire de relier le positionnement géographique des cinémasavec leur histoire. Concernant le CNP, on comprend mieux son implantation et donc sasituation économique si l’on se penche sur son passé45.

En 1950, neuf jeunes acteurs dont Roger Planchon et Robert Gilbert créent une troupepermanente, Le Théâtre de la Comédie. La jeune compagnie s’installe en 1952 dans un

local rue des Marronniers dans le 2ème arrondissement de Lyon. Cinq ans plus tard, laville de Villeurbanne confie à la troupe la gestion de son théâtre municipal, qui devient LeThéâtre de la Cité, alors que la compagnie est elle rebaptisée Compagnie du Théâtre dela Cité. En 1963, la compagnie est promue Centre Dramatique National (CDN) et reçoitune subvention de l’Etat. C’est en 1968 que le Cinéma National Populaire voit le jour à

43 Ce document se trouve en annexe44 Classement 2007

45 Historique inspiré du site internet des Amis du CNP : www.amiscnp.com

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II) La diversité des lieux de diffusion

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Villeurbanne, à la suite de la reprise et de la rénovation du cinéma L’Ecran par la Compagniedu Théâtre de la Cité. Devant le succès du CNP de Villeurbanne, la compagnie décide derenouveler l’expérience avec Le Normandy, rue Joseph Serlin, en plein centre de Lyon.C’est la naissance du CNP Opéra. Un CNP à Caluire et à Vénissieux seront également misen place mais de façon éphémère.

En 1972, le Théâtre de Chaillot se démet de son titre de Théâtre National Populaire auprofit du Théâtre de la Cité qui devient le TNP de Villeurbanne.

En 1976 la Compagnie du Théâtre de la Cité ferme le CNP rue Serlin et ouvre uncomplexe de 4 salles (futur CNP Terreaux) rue Edouard Herriot. La même année, elle prenden gérance un autre cinéma de la presqu’île, ce sera le CNP Grôlée.

En 1983, le CNP Bellecour et ses trois salles, voit le jour rue de la Barre.En 1988, le CNP Grôlée est rénové et devient le CNP Odéon, alors que l’année suivante

le CNP Villeurbanne ferme définitivement ses portes.En 1996, Roger Planchon décide de séparer les activités théâtre et cinéma, le TNP

étant déficitaire de plusieurs millions de francs.C’est en 1998, que Roger Planchon vend les salles CNP à Galeshka Moravioff pour

un montant de 7 500 000 francs.Depuis Marc Artigau est directeur-programmateur des salles CNP.Que nous révèle l’histoire des salles CNP ?Issu, donc, du théâtre, le CNP est, nous l’avons vu, tout d’abord crée à Villeurbanne.

Très vite il se développe sur la presqu’île et ne la quittera plus. Fort de son passé, le CNP apu se forger une identité, un public, une assise sur la scène cinématographique lyonnaise.Son complexe de 8 salles lui assure un incontestable rayonnement et une place de choix surla presqu’île mais également sur toute la ville de Lyon. En tant que cinéma de centre ville,il touche un public urbain, et de par sa programmation, un public déjà habitué à fréquenterdes salles de cinéma régulièrement. De plus, le réseau que constituent les trois sallesCNP permet une programmation plus large et éclectique, mais également une plus grandevisibilité dans la ville. Les salles CNP sont donc incontestablement ancrées sur le territoirelyonnais tant par leur histoire que par leur positionnement géographique.

Si l’on s’intéresse au cinéma Le Comoedia, on note une situation géographique et

économique assez différente de celle du CNP. Situé dans le 7ème arrondissement de Lyon,Le Comoedia possède aujourd’hui six salles, ce qui correspond à une capacité de 1000fauteuils.

Le Comoedia est né au début de la première guerre mondiale, à l’emplacement d’unancien jeu de boules. Son fondateur, Jules Melchior Pinard, forain de profession, pose en1914 son projecteur rue Berthlor à Lyon. Son succès l’encourage à ouvrir trois salles : LeSaxe (à l’emplacement du Théâtre de la Tête d’Or), Le Lafayette (actuel Fourmi), et leBerthelot, futur Comoedia, qui à l’époque, figure parmi les plus grandes salles de Lyon avecses 561 sièges. Malgré sa taille, le cinéma doit faire face à la concurrence des cinémas dela presqu’île et à celle des 7 Cinémas (Guillotière) et des Variétés (situé au 36 de l’avenueBerthelot).

En 1924 Le Berthelot est racheté par un commerçant du cours Lafayette, Emile Peyre,qui le rebaptise Comoedia et décide de l’agrandir. Lorsqu’il rouvre en 1925 la nouvelle sallecompte plus de 900 places, mais le Comoedia a toujours autant de mal à obtenir les grandsfilms.

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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La Seconde Guerre Mondiale est une période noire pour le cinéma. Se trouvant devantle siège de la Gestapo, il est tout d’abord réquisitionné par les autorités allemandes, etfinalement détruit par un bombardement allié le 26 Mai 1944.

Après la guerre, le cinéma est reconstruit, et ouvre ses portes au public en 1949. C’estalors le cinéma le plus moderne de Lyon. Les années 60 sont très fleurissantes pour leComoedia qui connaît son âge d’or. En 1974, deux salles viennent compléter la première eten 1987 trois nouvelles salles viennent porter la capacité du cinéma à six écrans.

En 1993, le cinéma est vendu à UGC qui l’exploite pendant dix ans. Malgré le succèsapparent du Comoedia, UGC décide de fermer le cinéma en décembre 2003, reportant sonoffre sur les autres cinémas UGC lyonnais, l’Astoria et Ciné-Cité.

Le Comoedia dont la fermeture définitive était annoncée est finalement racheté parMarc Guidoni et Marc Bonny qui le remettent sur pied et permettent sa réouverture le 15décembre 2006.

Comme le CNP, le Comoedia possède une histoire forte qui lui a permis de se maintenirsur la scène cinématographique lyonnaise. Il fait partie intégrante du passé de l’avenueBerthelot et est en cela ancré dans les mémoires des habitants du quartier, mais aussi sur le

territoire du 7ème arrondissement. Cependant, sa situation géographique, plus excentréeque celle des CNP l’a rendu, nous l’avons vu, plus vulnérable dans le passé. Aujourd’hui, leComoedia est parvenu à renaître de ses cendres et ceci grâce à la volonté de passionnés.

Avec ses six salles et ses 1000 fauteuils, il appartient à ce que l’on pourrait appeler la« nouvelle génération » des cinémas d’Art et Essai, moderne, ouvert et visible.

Enfin, le cinéma Les Alizés, possède lui encore une situation géographique différentede celle des deux précédents cinémas, avec un historique tout aussi fort.

Marc Van Maele, animateur culturel aux Alizés nous remémore ce passé : « Avant LesAlizés, il y avait un cinéma qui s’appelait Le Select, il y a une bonne vingtaine d’années deça. Il risquait d’être fermé pour des raisons diverses, mais un groupe de cinéphiles a crééune association pour le sauver. Après le cinéma a déménagé, s’est appelé Les Alizés. Etpuis il est revenu ensuite ici et il y a quatre ans il a été rénové. Donc déjà il a un historiquefort et c’est aussi le contexte de l’association. Le cinéma est dirigé à la fois par l’associationet par des professionnels. Ce sont des gens qui aiment vraiment le cinéma.

Le lieu est un cinéma totalement inscrit sur le territoire, qui a de fortes relations avec laMairie. On se veut à la fois un vrai cinéma de proximité. On cherche à ce que les Brondillanset les gens des communes environnantes soient satisfaits du service qu’on leur rend ».

Les Alizés est donc également un cinéma d’Art et Essai qui possède un passéimportant ce qui explique certainement la qualité du lieu aujourd’hui. Rénové, possédantdeux salles modernes de 215 et 130 places, Les Alizés appartient lui aussi à cette « nouvellegénération » des cinémas d’Art et Essai tournée vers le futur, ouverte et à l’écoute de sonpublic.

Cependant sa situation géographique en fait un cinéma différent des CNP et duComoedia.

En effet, Les Alizés est un cinéma situé aux portes de Lyon. Il appartient à la communede Bron et est donc considéré comme un cinéma de périphérie. Son public est plushétérogène que celui des CNP par exemple.

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II) La diversité des lieux de diffusion

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« Il y a un fort public de Bron ça c’est évident et normal, mais après il y a toutesles communes environnantes que ce soit Vénissieux, Décines, Saint-Priest, et puis les

arrondissements lyonnais qui sont limitrophes, le 8 ème , le 3 ème , et même le 7 ème

, on le voit parce qu’on envoie un programme mensuel.On a aussi beaucoup de lyonnais, car on est, par rapport au multiplexes dans des états

d’esprits différents. L’accueil n’est pas le même, les prxs ne sont pas du tout les mêmes…»,explique Marc Van Maele.

Les Alizés est d’autre part un cinéma qui possède moins de salles, donc une capacitémoindre d’accueil du public.

Il est situé en revanche, sur la même ligne de tramway que le Comoedia de nouveauen fonctionnement depuis décembre 2006. Mais Marc Van Maele ne semble pas inquiet dela concurrence de ce nouveau cinéma : « On n’est pas en opposition avec eux, on continueà faire ce qu’on sait faire, une programmation hyper attractive pour que les gens se sententbien. On a fidélisé un public depuis un paquet d’années donc les gens continuent à venirchez nous ».

A la suite de cette étude de la scène lyonnaise, il apparaît que des diversités au seindes cinémas d’Art et Essai sont bien présentes. Cependant, il convient de préciser quenous nous situons ici dans une grande ville, dans laquelle le réseau de cinémas est biendéveloppé, qu’il s’agisse de cinémas d’Art et Essai ou non. En revanche, le décalage estencore plus flagrant si l’on compare la situation des cinémas Art et Essai de Lyon avecceux des petites agglomérations. Roger Sicaud, conseiller pour l’audiovisuel et le cinémaà la DRAC Rhône-Alpes nous explique le phénomène : « Vous avez deux cas différents.Lorsque vous êtes dans une ville comme Vienne, enfin une ville de 30 000 habitants, vousavez forcément le James Bond , Harry Potter et Les Bronzés 3 et comme il n’y a qu’uncinéma de 4 ou 5 salles, et bien c’est dans ce même cinéma que vous avez aussi La vie desautres, Le Grand silence , ou Bamako . Les conditions actuelles d’exploitation font quedans des villes de cette taille là, il est très difficile d’avoir deux exploitants en concurrence,donc ça oblige l’unique exploitant à passer des films Art et Essai mais en même temps àpasser les autres car ils ont aussi leur public. C’est parce qu’il est tout seul, qu’il a cetteresponsabilité de passer le plus de films possible et de ne pas s’en tenir qu’à des filmscommerciaux. Le fait de lui donner la possibilité d’accéder à des subventions s’il élargit saprogrammation, c’est la seule chance pour le public de voir des films Art et Essai. Dans cecas-là on incite l’exploitant à ajouter à sa programmation des films qui ne lui paraîtrait pasd’emblée assez commerciaux.

En revanche quand on est dans des grandes villes universitaires, là on a un peu uncloisonnement. On a un ou plusieurs cinémas généralistes et puis on a un ou plusieurscinémas qui se spécialisent dans l’Art et Essai. Mais comme ils sont deux, tant mieux qu’ilsse spécialisent chacun car ce que ne fait pas le généraliste c’est l’Art et Essai qui le fait ».

On voit bien à travers ce témoignage, qu’il serait nécessaire de faire également uneétude comparative entre les cinémas d’Art et Essai des grandes villes et ceux des pluspetites tant leur modes de fonctionnement est différent, cependant nous n’en n’auronspas l’occasion ici. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on trouve dans les modalités declassement des salles Art et Essai, des critères de taille afin de différencier les unitésurbaines et de mieux les identifier.

Si nous avons vu qu’au sein des cinémas d’Art et Essai, de grandes disparitésgéographiques et économiques existent, nous allons à présent voir que le positionnement

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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de chacun, la politique poursuivie et le public visé, diffèrent autant d’un établissement à unautre.

B) Diversités de positionnement et de politique« I l y a plusieurs tendances au sein de l’art et essai, il y a notamment le Groupement Nationaldes Cinémas de Recherche qui eux militent pour que les critères de sélection des filmssoient beaucoup plus strictes […]. A l’opposé il y a l’essentiel des adhérents de l’AFCAEqui eux sont plus pour un éventail assez large, c’est-à-dire sont plus sur le raisonnement dedire qu’il faut des films Art et Essai « porteurs » et des films non-porteurs ». Cet extrait del’interview réalisé avec Marc Bonny46 permet de cerner les deux pôles qui existent au seindu mouvement Art et Essai. Nous allons étudier leurs revendications, leurs politiques et lesspécificités de chacun dans le développement qui va suivre.

Sur les 1065 établissements classés Art et Essai en 2006, 280 ont reçu le label « JeunePublic », 120 le label « Recherche et Découverte » et 53 salles ont obtenu celui de« Patrimoine et Répertoire ».

1) Les salles « Recherche » : un positionnement pointuLe Groupe National des Cinémas de Recherche (GNCR), est né en 1991, « du désir dedifférents lieux cinématographiques de se regrouper pour soutenir les films novateurs et

singuliers 47 ».

Le GNCR regroupe aujourd’hui deux cent cinquante établissements, et huitassociations régionales.

« Le Groupement National des Cinémas de Recherche et ses adhérents affirmentquotidiennement leur engagement :

Par le soutien aux œuvres singulières et novatrices, aux cinématographies peudiffusées, aux documentaires, aux courts et moyens métrages.

Par leur intérêt pour toutes les nouvelles formes de création au carrefour du cinéma,de la vidéo, du numérique et des arts plastiques.

Par leur souci de s’adapter aux nouveaux modes de diffusionPar un accompagnement des œuvres les plus fragiles au sein des salles

indépendantes, aux lignes éditoriales fortes et constantes.Pour bâtir une réflexion collective avec l’ensemble des acteurs du cinéma

indépendant »On perçoit à travers ce bref cadrage, que le GNCR se situe à un degré encore supérieur

au sein du mouvement Art et Essai. C’est un groupe qui défend l’Art et Essai pur, dans cequ’il a de plus original et peut-être d’inaccessible.

46 Marc Bonny est directeur du cinémas d’Art et Essai Le Comoedia de Lyon47 Extrait du site Internet du GNCR, www.cinemas-de-recherche.com

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II) La diversité des lieux de diffusion

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Dans un texte faisant suite à la réforme de l’Art et Essai de 200248, le GNCR émetplusieurs remarques concernant le système de recommandation des films et de classementdes salles.

En ce qui concerne les films recommandés, le GNCR met en garde contre la trop grandediversité qui existe entre des films comme Fahrenheit 9/11 de Michael Moore, ou Commeune image d’Agnès Jaoui et des films comme Visite au Louvre de Starub/Huillet ou encoreGood Bye Dragon Inn de Tsaï Min Liang. Pour le GNCR, « il ne s’agit pas de la mêmedémarche de programmation, ni d’une prise de risque de même niveau ».

Le GNCR réclame à cette occasion que ces différences soient prises en compte dansles calculs du CNC.

Concernant le classement des salles, le GNCR met en avant deux types de sallesdifférents au sein du label Recherche et Découverte. D’un côté on trouve les salles Aqui réalisent un excellent travail de recherche, qui organisent des rencontres avec lesréalisateurs peu connus, éditent des programmes et se démarquent par leur engagementau sein du label.

D’un autre côté, les salles B se contentent de programmer le quota de 20 filmsRecherche et Découverte, permettant d’accéder au label. Selon le GNCR cet écart doitêtre pris en compte également car les deux types d’établissements n’effectuent pas lemême travail. Le GNCR met en garde contre les « dilutions des objectifs de programmationde certaines salles », et se prononce clairement pour l’instauration d’une prime de risquedestinée aux établissements réellement investis dans un travail de recherche.

Le GNCR affirme ici sa volonté de recentrer l’Art et Essai vers un pôle puriste et plusexigeant vis-à-vis des films, mais aussi des salles.

A Lyon, parmi les cinémas Art et Essai, le CNP, qui compte huit salles sur trois sites,possède en moyenne cinq écrans classés « Recherche et Découverte ». Seul le CNP Odéonne l’a jamais été puisque comme nous le précise Marc Artigau, cette salle est plutôt dédiéeà l’Art et Essai « porteur ». Au CNP Terreaux, trois ou deux salles sur quatre sont classées« Recherche et Découverte », et deux sur trois au CNP Bellecour, ce qui prouve l’ancragede ces salles au sein du label « Recherche et Découverte ». « Le GNCR assure la pointela plus avancée de l’Art et Essai aujourd’hui », précise Marc Artigau.

Cependant, les salles CNP se trouvent en position médiane puisqu’elles se consacrentaussi à des films Art et Essai plus porteurs comme nous l’avons vu.

Nous allons procéder à une étude sur trois semaines de la programmation des sallesCNP de Lyon. La couleur rouge indique les films recommandés Art et Essai.

Les étoiles indiquent les nouveautés de la semaine.

48 Propositions du GNCR au comité de pilotage de la réforme Art et Essai, Octobre 2005. Texte disponible sur le site du GNCR,www.cinemas-de-recherche.com

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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Semaines CNP BellecourDu 9/05 au16/05/07

C’est Gravida qui vous appelle, de Alain Robbe Grillet (Fce)Je suisl’autre, de Margarethe Von Trotta (All)Loin d’elle, de Sarah Polley(Canada) Morituri , de Okacha Touita (Fce-Algérie) Une jeunessechinoise, de Lou Ye (Chine) Le vieux jardin , de Im Sang-Soo (Coréedu Sud) La vie des autres , de Florian Henckel (All) By the ways , deVincent Gérard Les contes de Terremer , de Goro Miyazaki (Japon) J’attends quelqu’un , de Jérôme Bonnel (Fce) Ne touchez pas à lahache , de Jacques Rivette (Fce) Lady Chatterley , de Pascale Ferran(Fce)

Du 2/05 au9/05/07 Sortie deSpider Man 3

Loin d’elle, de Sarah Polley (Canada) Morituri , de Okacha Touita (Fce-Algérie) Une jeunesse chinoise, de Lou Ye (Chine) Le vieux jardin , deIm Sang-Soo (Corée du Sud) La vie des autres , de Florian Henckel(All) By the ways , de Vincent Gérard Les contes de Terremer , deGoro Miyazaki (Japon) J’attends quelqu’un , de Jérôme Bonnel (Fce) La consultation , de Hélène de Crécy (Fce)* Le candidat, de NeilsArestrup (Fce)*

Du 25/04 au02/05/07

Morituri , de Okacha Touita (Fce-Algérie) Une jeunesse chinoise, deLou Ye (Chine) Le vieux jardin , de Im Sang-Soo (Corée du Sud) By theways , de Vincent Gérard Les contes de Terremer , de Goro Miyazaki(Japon) J’attends quelqu’un , de Jérôme Bonnel (Fce) Volem rienfoutre al pais , de Pierre Carles (Fce)* La consultation , de Hélènede Crécy (Fce) Les Témoins, de André Téchiné (Fce)*El Custodio, deRodrigo Moreno (Fce, Argentine, All)*

semaines CNP TerreauxDu 9/05 au16/05/07

Irina Palm, de Sam Garbarski (Ang, All, Bel, Fce)La liste de Carla,de Marcel Schüpbach (Suisse)Pee Wee’s big adventure, Tim Burton(US-1987)L’ami de la famille, de Paolo Sorrentino (Italie)Amer béton,de Michael Arias (Japon) Très bien merci , de Emmanuelle Cuau(Fce)Nocturnes, de Henri Colomer (Fce) Anna M , de Michel Spinoza(Fce) Belle toujours , de Manoel de Oliveira (Fr, Port) Le Labyrinthe depan , de Guillermo del Toro (US, Mex, Esp)

Du 2/05 au 9/05/07 L’ami de la famille, de Paolo Sorrentino (Italie)Amer béton, de MichaelArias (Japon) Très bien merci , de Emmanuelle Cuau (Fce)Nocturnes,de Henri Colomer (Fce) Anna M , de Michel Spinoza (Fce) Belletoujours , de Manoel de Oliveira (Fr, Port) Lady Chatterley, de PascaleFerran (Fce) Le Labyrinthe de pan , de Guillermo del Toro (US, Mex,Esp) Ne touchez pas à la hache , de Jacques Rivette (Fce) JesusCamp, de Heidi Ewing et Rachel Gradi (US)*

Du 25/04 au2/05/07

Nocturnes, de Henri Colomer (Fce) Anna M , de Michel Spinoza (Fce)Le candidat, de Neils Arestrup (Fce) Belle toujours , de Manoel deOliveira (Fr, Port) La vie des autres , de Florian Henckel (All) LadyChatterley , de Pascale Ferran (Fce) Le Labyrinthe de pan , deGuillermo del Toro (US, Mex, Esp) Le dernier roi d’Ecosse, de KevinMcDonald (Ang)* Ne touchez pas à la hache , de Jacques Rivette (Fce)Scandaleusement célèbre, de Douglas McGrath (US)*Jesus Camp, deHeidi Ewing et Rachel Gradi (US)

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II) La diversité des lieux de diffusion

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Semaines CNP OdéonDu 9/05 au16/05/07

- Still Life, de Jia Zhang (Chine)

Du 2/05 au 9/05/07 - Still Life, de Jia Zhang (Chine)Du 25/04 au2/05/07

- Très bien merci , de Emmanuelle Cuau (Fce)

Plusieurs observations s’imposent à la suite de cette étude :Tout d’abord, il faut noter une différence de programmation entre le CNP Bellecour et

le CNP Terreaux. Au regard du nombre de films recommandés Art et Essai, il semble quele CNP Bellecour programme davantage de films recommandés.

Ensuite, notons que la politique des CNP concernant la durée de vie des films est ici trèsclaire puisque les films restent plus de trois semaines à l’affiche, la programmation jouantsur une alternance entre les trois établissements.

Contrairement au Comoedia et aux Alizés qui programment des grosses productionscomme Spider-Man 3, le CNP reste sur une programmation presque exclusivement Art etEssai

2) Les salles « généralistes » : vers une mixité des genres et despublics

« Moi ma grande comparaison, nous livre Marc Van Maele49 lors d’un entretien, c’est le vin.Un petit rosé bien frais en été c’est super bon et un bon cru Bordeaux avec un super repasc’est super bon aussi ! Et on n’a pas tous les jours envie de boire un petit rosé, on n’a pastous les jours non plus envie de boire un grand Bordeaux. Pour moi ce n’est pas exclusif.Moi je suis venu au cinéma au départ avec mes parents, une fois pas an pour voir LesCharlot en vadrouille , c’était le degré zéro. Et puis tout doucement je suis venu au reste. Jepeux aller voir une semaine un bon film d’action et la suivante un film du Kasakhstan sous-titré en tchétchène quoi ! Au contraire, les chapelles ça me gènent toujours ».

Pour analyser les spécificités des salles dites plus « généralistes » (même sicette dénomination n’est que peu appréciée dans la profession), il faut s’intéressersuccessivement à deux points essentiels : le positionnement de ces salles et leur politiquede programmation

Un positionnement clair et assuméPour être visible dans le paysage cinématographique d’une ville, un cinéma d’Art et

Essai doit pouvoir mettre en avant une sorte de « ligne éditoriale », c’est-à-dire une identité,une orientation dans la programmation qui permet de le différencier des autres cinémasArt et Essai, mais aussi des multiplexes. Le positionnement des salles que nous allonsétudier, à savoir Le Comoedia et Les Alizés, se situe dans une volonté de concilier à la foisl’exigence et la nouveauté de l’Art et Essai, mais aussi la présence de films grands publics,plus commerciaux.

C’est ce que nous explique Marc Bonny, directeur du Comoedia de Lyon : « Le problèmeest celui du positionnement, je pense que c’est très important. Concernant Le Comoedia,il y a à la fois ce dont j’ai envie depuis le début et puis il y a aussi un peu de tâtonnementsur les premiers mois. Mais l’idée du positionnement du Comoedia c’est de ne pas être

49 Marc Van Maele est animateur culturel au cinéma d’Art et Essai Les Alizés à Bron

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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positionné tout à fait comme le CNP, qui est plus un cinéma Art et Essai Recherche, c’est-à-dire qu’il couvre l’Art et Essai grand public mais il va jusqu’aux films de Recherche assezpointus et historiquement c’est là le positionnement du CNP. Pour nous l’idée c’est de nepas se positionner tout à fait pareil. On est un poil moins film Recherche mais du coup unpoil plus sur des films grand public, tout se joue dans la nuance. En plus, historiquement, lepublic du Comoedia est un peu plus âgé. C’est un public qui a connu Le Comoedia quandil était jeune, qui a plaisir à venir, qui est aussi un public qui n’a pas envie d’aller dans unmultiplexe et ce public là est un public nombreux qui a du temps, un pouvoir d’achat et c’estplus ce type de public qu’on vise avec un film comme Molière. Ca nous intéresse d’avoir cepublic là qui c’est vrai ne va pas venir sur le Lynch ».

Le positionnement est donc un entre deux, qui tout en conservant la qualité de l’Art etEssai, ne refuse pas à son public des films plus divertissants et qui ne sont pas considéréspour autant comme sans intérêt.

« Moi j’ai un peu l’idée et l’envie d’aller vers un public plus large qu’au CNP, où il y aun côté un peu communautariste, que je ne critique pas, mais je pense que nous on peutarriver à être un peu plus large, un peu plus ouvert au niveau du spectre du public. L’idéepour moi c’est de toucher un public cinéphile mais aussi réussir à faire découvrir des filmsà un public qui ne serait pas venu spontanément ou qui n’irait pas au CNP. Le CNP toucheun public plus cinéphile, plus pointu, nous on est un peu à côté, mais en même temps pourune part on est sur les même films. Il me semble qu’on peut avoir un public un peu différent,en partie le même mais en partie différent, et ça ça se joue sur le type de lieux. Nous onvoulait faire du Comoedia, un lieu où on peut venir pour lire des revues de cinéma, où l’onpeut se documenter sur les films…Une personne qui est un tout petit peu curieuse, on peutpeut-être l’aider à aller vers des films qu’elle ne serait pas forcément aller voir d’elle-même.Mais c’est un travail qui se fait dans la durée, dans le détail et à condition que tous les outilsde communication aillent dans ce sens là », poursuit Marc Bonny.

En effet, si l’on analyse les outils de communication du Comoedia et des Alizés, on notequ’ils utilisent des moyens des communications récents, attractifs et visibles.

Ainsi Les Alizés, comme Le Comoedia possèdent un site Internet complet50, où l’ontrouve la programmation détaillée de chaque semaine, la présentation du lieux, de sonéquipe, des informations sur les événements à venir, des infos pratiques (prix, lieu…), etmême un abonnement à la Newsletter du cinéma. Le CNP ne dispose pas lui de cet outilde communication qu’est le site Internet, et je crois que c’est là l’un des signes qui prouventqu’il ne cible pas le même public.

A cela s’ajoute, en ce qui concerne Les Alizés, tout un panel de publicationsinformatives51 sur les différentes activités et événements créés par le cinéma : une brochureprésentant le programme du cycle « Ciné-Collection », une autre sur le festival « Drôled’endroits pour des rencontres », et également un programme commun à l’ensemble descinémas de l’Est Lyonnais52.

Cet effort de visibilité à travers ces outils de communication nombreux, clairs, colorés,confirme, l’idée de positionnement de ces deux cinémas qui se veulent des cinémas de laCité, où chacun peut trouver un film, un événement, un auteur qui correspond à ses attenteset qui est le résultat d’un choix de programmation précis, réfléchi, motivé et cohérent.

50 www.cinema-comoedia.com et www.cinemalesalizes.com51 Vous trouverez en annexe tous les publications édités par les cinémas52 Les Alizés à Bron, Ciné Toboggan à Décines, Ciné 89 à Saint-Priest et le cinéma Gérard Philipe de Vénissieux

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II) La diversité des lieux de diffusion

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Une programmation à l’écoute du publicMarc Van Maele nous explique comment se construit la programmation des Alizés : « Je

pense que c’est d’une part le choix d’une véritable mixité avec une palette très très large defilms. On va avoir aussi bien des films commerciaux, populaires que des films Art et Essaiplus pointus. On va prendre l’exemple de cette semaine, on a à la fois Ensemble c’est tout, tiré du bouquin de Gavalda, film populaire basique, que Azul , un film espagnol qui joueplus dans la catégorie Art et Essai, qu’un film japonais. Donc voilà on essaie vraiment debalayer la palette. La semaine où on avait fait le plus fort, ça doit remonter à un an et demi.On avait à l’affiche Brice de Nice , on peut difficilement faire plus populaire, et juste àcôté Sarabande de Bergman, où là on est à l’inverse dans le cinéma plus pointu. Doncvoilà c’est aucun mépris. Moi j’aime autant Speeder-Man 3 , que Téchiné, j’ai pas deproblème là-dessus.

Ensuite, le deuxième choix de programmation c’est que chaque catégorie trouve soncompte. On aime qu’il y ait un film pour les lycéens, pour les gens qui aiment le cinémapopulaire, pour ceux qui aime l’Art et Essai, un film pour le jeune public.

On est aussi un cinéma de proximité donc, on essaie de faire en sorte que quel que soitl’habitant de Bron, il puisse se dire « tiens, j’ai un film à aller voir au cinéma cette semaine ».C’est un peu la politique de la maison, et puis il ne faut pas se leurrer non plus, ce sontles films populaires qui fonctionnent et qui font des entrées qui nous permettent aussi depasser des films plus pointus ».

Le Comoedia comme Les Alizés sont des lieux qui veulent avant tout mettre LE cinémaà l’honneur, dans ce qu’il a de diversifié. C’est un positionnement qui aime le cinéma en tantqu’art, mais aussi en tant que divertissement, l’un pouvant très bien aller avec l’autre.

Ce sont des lieux qui cherchent aussi à combler un public large et qui donnent lapossibilité aux publics d’accéder à des films plus exigeants si la curiosité les y pousse. Onressent vraiment à l’écoute de ses propos, la volonté de laisser le public piocher au gré deses envies le film qui correspond à son humeur du jour.

Cette approche correspond, il me semble, à celle du sociologue Bernard Lahire53.En effet, dans son ouvrage La culture des Individus, paru en 2004, le sociologue met enévidence la présence de pratiques culturelles « dissonantes » chez un même individu,qui peut ainsi alterner consommations culturelles dites « légitimes » (opéra, théâtre, livresphilosophiques…) et « moins légitimes » (émissions de divertissement à la télévision, lecturede magazine « people »…)

« Je constate, que quelle que soit sa classe sociale d’appartenance, un même individuse caractérisera plus fréquemment par une co-existence ou une alternance de pratiques,de préférences ou de consommations culturelles appartenant à des registres culturels très

légitimes ou peu légitimes 54 ». Ces variations « infra-individuelles » s’expliquent selon

Bernard Lahire d’une part par la pluralité de l’offre culturelle, et par la pluralité des contexteset des temps de la pratique culturelle. D’autre part, le sociologue souligne deux phénomènesqui jouent un rôle considérable dans l’augmentation de ces dissonances culturelles. Il s’agittout d’abord de l’apparition d’une consommation « privée » de la culture qui fait disparaîtrela « honte culturelle » face à une pratique illégitime. Il s’agit ensuite du rôle joué parla consommation gratuite qui rend les individus moins regardant sur la qualité de leurs

53 LAHIRE Bernard, La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte, 2004, 777 p.54 Propos recueillis par Olivia Ferrand lors d’un entretien avec Bernard Lahire sur la sociologie des pratiques culturelles,

retranscris sur le site de sociologie de l’ENS-LSH (http://ses.ens-lsh.fr)

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pratiques (ex : un individu n’ira pas acheter un CD de rap, mais il en écoute volontiers àla radio).

Ainsi un individu peut à la fois aller voir le film Brice de Nice un soir, et le lendemain serendre au théâtre pour voir une pièce de Marivaux.

Bernard Lahire précise tout de même qu’il existe une plus grande probabilité d’avoirun profil dissonant « par le bas », c’est-à-dire d’aller vers des pratiques culturelles moinslégitimes, qu’un profil dissonant « vers le haut », c’est-à-dire de se tourner vers desconsommations culturelles à forte légitimité. De cette analyse découle le constat que lescatégories socialement favorisées ont plus tendance à avoir un profil dissonant et doncune capacité à varier le niveau de légitimité de leurs pratiques culturelles, que les classessocialement défavorisées, qui ont plus de mal à accéder à des consommations culturelleslégitimes.

L’analyse de Bernard Lahire peut expliquer la démarche des cinémas d’Art etEssai comme le Comoedia ou Les Alizés, qui s’orientent vers une programmationgénéraliste afin de satisfaire un public large et hétérogène et qui peut avoir des pratiquescinématographiques « dissonantes ».

On comprend mieux à présent l’intérêt de proposer aux spectateurs, à la fois Spider-Man 3 et la Vie des Autres.

Il me semble que des cinémas tels que Les Alizés ou Le Comoedia s’inscrivent dans lamodernité en s’adaptant à un public volatile, qui ne perd pas pour autant sa curiosité et qui,grâce à ce type de lieu de diffusion, a accès à un large choix de films plus ou moins exigeantslui permettant d’avoir une vision complète et diversifiée de l’offre cinématographique de sonépoque.

Cependant, si les cinémas d’Art et Essai s’orientent vers un élargissement de leurprogrammation, c’est aussi pour répondre à la très forte concurrence de la société desloisirs, mais aussi à la concurrence qui est engagée au sein du secteur cinématographiqueentre les cinémas d’Art et Essai et les grands complexes cinématographiques qui semultiplient à la périphérie des villes.

C’est sur ce point que nous allons nous attarder à présent.

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III) Une logique commune de différenciation face à une situation de forte concurrence

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III) Une logique commune dedifférenciation face à une situation deforte concurrence

A) Concurrence « externe » et stratégie de résistance

1) La concurrence des quatre écrans« A TAWAD, AnyTime, AniWhere, Any Device…Quand je veux, où je veux, surtout support... La veille prophétie du divertissement toujours à portée d’yeux,popularisée par ce malin de Bill Gates, quitte peu à peu les rives du fantasme.Quand ? Maintenant, là, tout de suite. Où ? A la maison, en train, chez la cousinede Bretagne, ou au fin fond du désert de Gobi. Quels supports ? Tous sansexception, mon ordinateur (wifi), ma télé (plasma), ma console de jeu (nomade),mon téléphone (mobile) ou mon lecteur vidéo (épais comme une carte bleue) »,

voici le commentaire du journaliste Bruno Icher, sur le site Libération.fr55, qui cerne bien lasituation dans laquelle nous évoluons aujourd’hui et à la concurrence à laquelle le cinémadoit faire face.

Bien que l’on observe un regain de fréquentation du cinéma depuis quelques années,les chiffres sont assez fluctuants et marquent une relative fragilité du secteur qui doitfaire face à de nouveaux concurrents issus de la société des loisirs. Le nombre desentrées au cinéma en 2002 s’élevait à 184,5 millions. Ce chiffre est descendu à 175,34millions d’entrées en 2005 pour remonter en 2006 de 7,5 %, soit un total de 188,45millions d’entrées56. L’industrie cinématographique connaît aujourd’hui une situation de forteconcurrence de la société des loisirs. Comme le souligne Jean-François LePetit, producteur,PDG de Flach Films et Président de la chambre syndicale des producteurs de films57,

« Nous vivons dans un contexte de très forte mutation technologique (câble,satellite, diffusion numérique, haut débit sur Internet, explosion du DVD…), quitend à démultiplier les modes de consommation de l’image. La banalisation del’image, donc du film, a pour conséquence de développer, voire d’encouragerla piraterie. Ce risque, nouveau par son ampleur, implicitement encouragé parles fabricants d’enregistreurs de DVD, les opérateurs de télécommunication etles fournisseurs d’accès à l’Internet, peut s’avérer rapidement mortel si nous neréagissons pas vigoureusement ».

Ainsi, l’industrie cinématographique souffre de la concurrence de nouveaux écranspermettant la diffusion de nombreux films et rendant leur accès plus facile. Il s’agit d’une

55 Le cinéma, produit d’appel des nouvelles technologies, par Bruno Icher Libération.fr du 16 mai 200756 Lettre du CNC n° 43, Avril 200757 Article paru dans la Lettre de l’Académie des Beaux-Arts, n°38, dossier : Quel Avenir pour le cinéma au XXIème ?

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part du petit écran, la télévision, qui tend à devenir un grand écran avec le développementdes écrans plasma et des Home Vidéo, mais qui permet aussi, grâce à la multiplication deschaînes et à l’explosion du DVD, un accès plus direct et moins coûteux aux films.

Il s’agit ensuite de l’ordinateur avec notamment le phénomène de piratage de films parl’intermédiaire des réseaux de Peer-to-Peer.

Enfin, petit dernier, qui lui aussi porte atteinte à la vigueur du secteurcinématographique, il s’agit de l’écran de baladeur vidéo. Peu encombrant, faciled’utilisation, il se transporte partout et tend à sacraliser la transformation du film en produitde consommation jetable.

Le petit écran devient grandLa télévision est devenue l’un des produits de consommation majeurs au sein

des ménages. On observe actuellement un accroissement constant des dépensesd’équipements audiovisuels domestiques. Le dernier en date et qui fait fureur dans les foyersest bien entendu l’incontournable écran plasma dont le prix a considérablement diminué cesdernières années (environ 1500 euros pour un écran de 42 pouces). Le citoyen lambda peutainsi, pour un prix certes encore élevé, reproduire dans son salon, des conditions sonoreset audiovisuelles proches de celles d’une salle de cinéma. Ce phénomène peut même allerjusqu’à l’installation d’un véritable Home Cinéma pour les spectateurs les plus assidus et quipossèdent malgré tout une bourse bien garnie (entre 20 000 et 30 000 euros pour une telleinstallation, la séance de cinéma revient tout de même cher…). Le public reproduit ainsi unespace privé de projection de films, espace qui comporte moins de risques (pas de risqued’être déçu du film puisqu’on peut zapper, pas de risque de sonneries de téléphone portableà part le sien…), un coût moindre (au coût de la place de cinéma s’ajoute celui du parking,de l’essence…) et un gain de temps (plus besoin de se déplacer !).

A cela s’ajoute le développement des lecteurs DVD. Selon le syndicat de l’édition vidéo,75% des français en possédent un en 2005.

De plus la multiplication des chaînes de télévisions câblées et par satellite qui sespécialisent dans la programmation de longs métrages n’arrange rien à l’avenir du cinéma.

Désormais, pourquoi se déplacer, payer une place de cinéma, si tout peut vous êtrelivré chez vous à moindre coût et pour une qualité qui s’améliore de jour en jour ?

« Après sa sortie en salle, où il reste de moins en moins longtemps, plusieurs viesattendent un film. Six mois plus tard, il revient en DVD dans le commerce en même tempsque dans les vidéoclubs. Quelques semaines après, il débarque en vidéo à la demande(VoD), à des tarifs plutôt doux (entre 4 et 5 euros). Au bout d’un an, Canal + a le droit dele diffuser, puis c’est au tour de la deuxième fenêtre de s’en emparer avec les chaînes ducâble et du satellite, ainsi que plus tard, les hertziennes », explique Bruno Icher. Ainsi, lesfilms sont entraînés dans un circuit très rapide, qui consiste à les consommer et à les jeterimmédiatement. On comprend pourquoi cela constitue une menace de désertion pour lessalles de cinéma, puisque la vitesse de circulation des films tend à inciter le public à attendrela sortie DVD, ou la programmation à la télévision.

Il faut cependant relativiser cette analyse car si l’on se penche de plus près sur leschiffres, on constate que seulement 15% des ménages français possèdent une installationHome Cinéma.

L’écran d’ordinateur : interface du Peer-to-Peer (P2P)

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III) Une logique commune de différenciation face à une situation de forte concurrence

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Le second concurrent majeur du cinéma est bien évidemment l’Internet. Après lesnombreuses polémiques sur le téléchargement illégal de musique que l’industrie du disquecombat, c’est au tour du secteur cinématographique de craindre ce terrain. En effet,aujourd’hui n’importe quel internaute peut se procurer un film avant même sa sortieen salles. Même si le téléchargement de films n’a pas encore atteint le niveau dutéléchargement musical (pour des raisons techniques notamment : fichiers plus lourdsdonc plus lents à télécharger et nécessité d’une connexion haut débit), le secteurcinématographique s’en inquiète.

Une étude réalisée en 2004 par l’Association de Lutte contre la Piraterie Audiovisuelle(ALPA) en collaboration avec le CNC, révèle que 36 % des films sortis en salles sont piratéssur l’Internet, avec une grande proportion de films américains (84,8%). Plus d’un tiers desfilms piratés sont disponibles avant leur sortie en salles, alors que 91% des films piratéssont disponibles avant leur sortie en DVD.

Reste à savoir comment dénicher les pirates P2P ?Les débats actuels consistent à trancher entre des sanctions pour les pirates ou la mise

en place de procédures de téléchargements légaux sur Internet.Deux conceptions s’opposent sur cette question. On trouve d’un côté les partisans de

la légalisation du téléchargement, au nom d’une nouvelle liberté d’information et d’accès àla culture, de l’autre les défenseurs des droits d’auteurs inquiets pour la rémunération dela création et des créateurs.

On estime à huit millions en France le nombre d’utilisateurs occasionnels de logicielsPeer-to-Peer et à sept cent cinquante mille le nombre d’utilisateurs réguliers58. « Endroit le téléchargement de fichiers audio ou vidéo conduit à une nouvelle exploitationde l’œuvre, sans autorisation des ayants droits (auteurs, interprètes, maison de disques,réalisateurs…) », explique Thibault Verbiest. Les copies privées sont la seule utilisationautorisée. Cette disposition permet la copie des œuvres sonores ou audiovisuelles,obtenues de façon licite, dans le seul cadre de l’usage privé. En réalité dans les réseaux dePeer-to-Peer, les œuvres copiées remplissent rarement cette condition. « Par conséquent,en théorie, toute personne qui utilise des programmes de partage de fichiers pourtélécharger des fichiers musicaux ou audiovisuels, protégés par le droit d’auteur - sansl’autorisation des titulaire de droits - est coupable de contrefaçon et s’expose à des sanctionspénales », poursuit l’avocat Mr Verbiest.

Depuis la loi Perben du 9 mars 2004, les sanctions contre les pirates ont été renforcées.L’article L335-2 du code de la propriété intellectuelle sanctionne désormais la contrefaçond’une peine de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende.

Des sanctions ont déjà été appliquées comme celle du 29 Avril 2004. Letribunal correctionnel de Vannes a condamné six internautes français à des peinesd’emprisonnement avec sursis et à des amendes de plusieurs milliers d’euros, pour avoirtéléchargé des films sur Internet. « Cette affaire s’inscrit dans une véritable croisadejudiciaire engagée par l’industrie du disque, qui commence déjà à porter ses fruits »,commente Thibault Verbiest.

Le problème principal que soulève ce phénomène est celui de la légalité ou non deces logiciels Peer-to-Peer. En effet, condamner les pirates est une chose, mais qu’en est-il des auteurs de ces logiciels ? « L’incertitude quant au statut légal des logiciels est liée à

58 Sources : Peer-to-Peer, ce qui est légal et ce qui ne l’est pas, par Thibault Verbiest, avocat aux barreaux de Paris et deBruxelles et chargé d’enseignement à l’université Paris-I, sur www.lejournaldunet.com

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leur objectif : l’échange d’information n’est certainement pas interdit dans tous les cas et lescréateurs de ces logiciels invoquent dès lors le fait qu’ils ne peuvent être tenus responsablespour l’utilisation ou l’abus que les personnes font de leurs logiciels », explique l’avocat.

Actuellement des solutions non judiciaires commencent à se mettre en place commedes mesures techniques de protection des œuvres. L’ADAMI (Association de gestioncollective des Droits de propriété intellectuelle des Artistes-Interprètes) propose de fairepayer une redevance aux fournisseurs d’accès internet, qui serait ensuite redistribuée auxayants droit. Les fournisseurs contestent bien évidemment cette mesure. Le débat resteouvert…

Toutefois, il faut relativiser ce phénomène et noter que ce sont surtout les sériestélévisées qui sont victimes de ces téléchargements intensifs.

Le cinéma format pocheDernier gadget à la mode, le baladeur multimédia permet de visionner des films du

grand écran sur petit écran. « Ces boîtiers offrent une nouvelle manière de consommer lesimages », explique Didier Sanz dans un article du Figaro59. Le principe de ces nouveauxsupports est d’allier faible encombrement, confort d’utilisation et performance.

Ces appareils se heurtent à la concurrence des lecteurs de DVD portable quiconnaissent eux aussi un grand succès.

Ainsi le mode de diffusion des films, mais aussi la relation du public avec l’œuvreaudiovisuelle devenue un produit de consommation courant, évolue considérablement,inquiétant les professionnels de l’industrie cinématographique. L’avènement de la « sociétédes loisirs » démultiplie considérablement les choix de consommation, qui tendentdésormais à se caractériser par une consommation plus individuelle des formatsaudiovisuels. La relation au film évolue elle aussi de façon inquiétante pour le cinéma.En effet, la facilité de téléchargement de films sur l’Internet dévalorise considérablementl’œuvre en elle-même qui devient un bien de consommation comme les autres, dont lavaleur importe peu et dont la durée de vie décroît sans cesse.

Dans un article paru dans Libération le 16 mai dernier, Emmanuel Ethis, sociologuespécialiste des publics de festivals et professeur en sciences de l’information et de lacommunication à Avignon60, se montre cependant positif quant à la capacité de résistancedu cinéma face à ces révolutions technologiques qui finalement permettent au spectateurde devenir un expert plus avertis.

« Parler de la pratique d’un spectateur qui fréquente le cinéma ne suffit pas. Il faut aussique le cinéma représente quelque chose qui compte pour lui. Une pratique c’est à la foisune fréquentation et une représentation. Quand on décrit un public comme occasionnel,régulier ou assidu, on dépeint une relation particulière, qui nous laisse entrevoir commentest structuré notre désir et notre manque de cinéma, la manière dont il compte dans notre vieet ce que l'on est prêt à faire pour lui. Cette pratique a beaucoup à voir avec la fréquentationamoureuse. Elle suppose un rendez-vous. On se «retrouve» pour aller au cinéma. La salleest devenue le rendez-vous des logiques culturelles, économiques, urbaines et sociales ».

Ainsi, rien ne pourra remplacer l’acte de se rendre au cinéma qui correspond malgrétout à un geste engagé et motivé de la part des spectateurs, d’où l’optimisme du sociologuequi poursuit :

59 Le cinéma en format poche, par Didier Sanz, Le Figaro, 21 février 200760 Le spectateur devenu expert, par Emmanuel Ethis, Libération du mercredi 16 mai 2007

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III) Une logique commune de différenciation face à une situation de forte concurrence

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« On peut dire et concevoir que, pour perdurer, tout nouveau mode de pratique ducinéma doit continuer à se penser comme un art du rendez-vous. Les possibilités offertespar les nouvelles technologies permettent à tous de s'approprier aisément les moyens defilmer, monter et diffuser des images. Si cela ne transforme pas les pratiques en elles-mêmes, cela façonne le regard des spectateurs, qui deviennent des spectateurs-acteurs.Ces phénomènes feront des publics de demain non pas des réalisateurs, mais des expertsattentifs et avertis. La nouvelle expertise spectatorielle permet d'exacerber, de potentialiserl'autonomie du jugement, du regard des publics et surtout des échanges qu'ils engendrent,que ce soit autour de la qualité technique, de l'originalité d'une oeuvre, de la force des récitsqu'elle porte, de ce que ces récits nous apprennent de nous-même ou de l'émotion qu'ilssont en mesure de susciter ». Emmanuel Ethis est donc convaincu que ces nouveaux modesd’accès à l’image n’ont pas que des retombées négatives sur le cinéma et sur le public.

Le geste qui consiste à se rendre au cinéma reste très différent de celui de se saisirde sa télécommande, le défi pour les cinémas restant de maintenir l’intérêt du public pourles salles obscures.

Dès lors comment le cinéma en général et plus particulièrement les cinémas d’Art etEssai parviennent-ils à surmonter cette situation de concurrence et à alimenter l’envie et legoût du public pour le cinéma ?

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2) Les stratégies de résistance

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III) Une logique commune de différenciation face à une situation de forte concurrence

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Le secteur cinématographique subit cette concurrence « externe » depuis déjà plusieursannées et a appris à s’adapter. Les cinémas doivent se battre pour séduire et conquérirun public différemment et préserver ainsi le « loisir cinéma » en tant qu’activité culturellesingulière.

Au regard de l’étude réalisée sur la scène cinématographique lyonnaise, on peutobserver plusieurs actions destinées à relancer le goût du public pour le cinéma et à l’inciterà préférer les sièges rouges en velours des salles obscures, plutôt que son canapé et sestélécommandes.

On ressent une forte volonté des cinémas d’Art et Essai de s’adapter à leur temps età leur public.

Une politique tarifaire attractiveL’une des mesures phares qu’il faut mettre en évidence pour montrer cette volonté des

cinémas d’Art et Essai de contrer la concurrence d’une société des loisirs qui offre unegamme de plus en plus large de choix de consommation, est la politique tarifaire de cescinémas. Afin de rendre le cinéma plus attractif, moins coûteux et pour redonner au publicl’envie de rejoindre les salles, les cinémas d’Art et Essai mettent souvent l’accent sur lesprix qui se veulent à porter de tous et donc intéressants.

Marc Bonny nous précise : « Nous on est sur une carte d’abonnement, comme UGC,mais pas illimitée, donc un abonnement « normal » qui peut parer à ces concurrentsau niveau du prix mais surtout au niveau de la commodité, car souvent les cartes sontnominatives, ne sont pas valables le week-end, etc. Le système que nous avons mis enplace est un système de carte beaucoup plus souple où les gens peuvent venir à plusieurs,qui est valable longtemps dans le temps. C’est une offre alternative et qui joue un côtépotentiellement plus convivial et collectif ».

Ainsi, Le Comoedia a mis en place tout un système d’échelonnement des prix quivarient de trois à sept euros cinquante. En utilisant la carte d’abonnement, le spectateurbénéficie d’une place à cinq euros, et à trois euros lors de l’activation de la carte. Cettecarte est donc valable un an à toutes les séances. L’abonnement n’est pas nominatif et peutêtre utilisé par plusieurs spectateurs pour la même séance. C’est en cela que ce mode depaiement est souple et incitatif. Ainsi le prix de la place de cinéma revient bien moins cherque le prix moyen d’une place en France qui est de cinq euros quatre-vingt huit61.

Les enfants de moins de douze ans paient eux quatre euros cinquante. Pour lesétudiants, demandeurs d’emploi, seniors et familles nombreuses, le tarif est de six euros.Chaque spectateur, en fonction de sa situation, de ses envies, peut ainsi adapter son modede paiement et choisir son tarif.

La modernisation des équipements et l’adaptation des moyens de communicationLa seconde mesure permettant de relancer l’attractivité pour les cinémas d’Art et Essai

est celle qui consiste à rénover en profondeur les salles vétustes, et les lieux dans leurensemble, afin de proposer au public un cadre neuf, agréable et où il se sente bien.

Depuis vingt ans, un milliard sept cent mile euros ont été investis par les exploitantsdans la création et la modernisation du parc de salles62. Cette modernisation des lieuxvise également à redonner une image positive aux cinémas d’Art et Essai. En effet, dans

61 Source : Fédération nationale des Cinémas Français, www.fncf.org62 Idem

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l’étude réalisée par le CNC63 en octobre 2006, il ressort que le public considère, lessalles Art et Essai comme des salles vétustes, « peu confortables, voire rudimentaires etpoussiéreuses, de petites capacités, et confinées ». C’est pour lutter contre cet à priorinégatif sur les équipements des salles Art et Essai que celles-ci s’engagent dans destravaux de rénovations afin d’accueillir le public dans un environnement agréable avec deséquipements neufs, confortables et performants.

Parallèlement à cela, on peut également remarquer les efforts réalisés en terme decommunication. En effet, si l’on prend l’exemple lyonnais, Les Alizés, comme Le Comoediapossèdent, comme nous l’avons déjà précisé, un site Internet très fonctionnel, où lespectateur et l’internaute trouvent tous les renseignements nécessaires. Il est égalementpossible de s’abonner à la Newsletter du cinéma qui informe ses adhérents sur lesévénements à venir. Il semble que la présence d’outils de communication tels que l’Internettraduit chez ces cinémas, une volonté de s’adapter à un public de plus en plus connecté auweb et qui glane la grande majorité des informations qu’il désire obtenir sur la toile. Le CNPen revanche ne possède pas de site Internet, ce qui traduit un positionnement différent etle rend moins visible dans l’espace public.

Le travail sur l’interaction du public avec sa salle de cinémaJ’ai pu constater au travers de mes différents entretiens, toutes les politiques

d’animation qui sont mises en place au sein des cinémas d’Art et Essai. Nous étudierons cepoint plus précisément dans la partie à suivre, puisque ces actions répondent à une volontéde différenciation par rapport aux multiplexes. En revanche, puisque notre propos est desavoir comment les cinémas d’Art et Essai parviennent à résister à la concurrence crééepar la profusion de choix de consommation qui s’offre au public, il est primordial de mettreen avant le rapport d’échange et d’interaction qui se met en place au sein des cinémas d’Artet Essai entre le public et sa salle de proximité.

Face à sa télévision, à son écran plasma, à son ordinateur ou encore face à sa consolede jeu ou son écran de lecteur vidéo portable, le spectateur est seul, enfermé dans unerelation artificielle presque mécanique et surtout univoque avec l’engin électronique qui nerépond pas (enfin pas encore ou pas à ma connaissance…) aux éventuelles stimulations ouréactions émises ou éprouvées par le spectateur. C’est sur cette dimension que les cinémasd’Art et Essai peuvent jouer et gagner la bataille contre la société des loisirs « faciles » et« fainéants » qui rendent le spectateur passif. En effet, toutes les actions menées par lescinémas d’Art et Essai que j’ai observé, ont pour objectif de créer une relation différente etde qualité avec ses spectateurs, une relation de confiance, durable et qui inclut une situationd’échange et d’interaction entre le public, sa salle, les professionnels qui y travaillent etentre les spectateurs eux-mêmes. Il ne s’agit pas uniquement de permettre l’accès à uneséance de cinéma, mais d’enrichir le spectateur tant humainement que socialement et ainsilui donner envie d’être de nouveau au contact d’une salle de cinéma pour en apprécier lesbienfaits.

Marc Van Maele explique clairement cette démarche : « On se veut un vrai cinéma deproximité, c’est-à-dire que les Brondillans et les gens des communes environnantes soientsatisfaits du service qu’on leur rend […]. Le spectateur fait l’effort de sortir de chez lui, il doittrouver quelque chose de différent de son quotidien, avoir un vrai retour […]. Tout bêtement,il m’arrive souvent de traîner dans le hall et de discuter cinéma avec les gens ».

63 Perception du public des cinémas d’Art et Essai, analyse qualitative réalisée par le CNC en octobre 2006

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C’est cette démarche qui, j’en suis convaincue, peut faire la différence et inciter lescitoyens à fréquenter un cinéma plutôt que de rester devant leur poste de télévision. Ilsviendront chercher un contact différent dans un lieu de sociabilité durable.

Malgré toutes les actions menées par les cinémas pour redynamiser leur offre et serendre plus attractif, il ne faut pas oublier que des aides et des subventions sont là pourcompléter le travail d’animation des salles.

Le rôle indispensable des pouvoirs publicsL’Etat est en effet présent dans le secteur cinématographique comme dans de

nombreuses branches du secteur culturel. Pour des raisons à la fois économiques demaintien du jeu concurrentiel, mais aussi pour des raisons culturelles, les pouvoirs publicsinterviennent dans le domaine cinématographique par l’intermédiaire de subventions maisaussi à travers une gamme de réglementation.

Le système français d’aides publiques au cinéma possède la particularité d’être financéen interne. En effet, « les interventions directes sur le budget de l’Etat sont pratiquement

inexistantes et les interventions des régions marginales 64 ». Le soutien financier est donc

assuré par les contributions obligatoires des entreprises concernées par les exploitationsdes films : salles de cinémas, chaînes de télévision, éditeurs vidéos.

En ce qui concerne l’exploitation, c’est le compte de soutien du CNC qui finance lesaides.

« Institué par la loi du 25 octobre 1946 et organisé par un décret du 28 décembre1946 sous la tutelle du Ministère de l'industrie et du commerce, le Centre National de laCinématographie est à l'origine chargé notamment de contrôler les recettes et de garantirleur répartition auprès des ayants droit. La loi du 23 septembre 1948 instaure un mécanismede taxation des sorties qui permet l'attribution d'un soutien automatique à la production et àl'exploitation. En 1959, le Centre National de la Cinématographie est rattaché au nouveauMinistère des affaires culturelles et le Compte de soutien à l'industrie cinématographique,

alimenté par la taxe spéciale additionnelle (TSA) est créé 65 »

Il existe ainsi deux types d’aides concernant l’exploitation :Les aides automatiques aux exploitants de salle.Les recettes perçues dans les salles génèrent un soutien financier au bénéfice des

exploitants. Ce soutien est proportionnel au montant de la taxe encaissée sur le billet. Ilest destiné à financer les travaux d’équipement et de modernisation, ainsi que les créationsde salles.

Les aides sélectives à l’exploitation en salle.Il en existe trois catégories :L’aide sélective à la création et à la modernisation des salles pour soutenir les

exploitants indépendantsL’aide aux salles classées Art et EssaiUne aide spécifique pour les salles indépendantes des communes de plus de 200 000

habitants, notamment à Paris, qui offrent une diversité de programmation

64 Source : Les aides publiques au cinéma en France, www.senat.fr65 Idem

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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En 2005, les mille établissements classés Art et Essai se sont partagés onze millionssix cent mille euros, ce qui signifie que la majorité des exploitants a touché entre cinq milleet vingt mille euros, les quatre-vingt cinémas les plus pointus captant 30 % de l’enveloppe66.

A ces aides du CNC s’ajoutent celles des collectivités territoriales qui peuvent apporterune aide directe ou indirecte. Ainsi la loi Sueur de 2002 autorise les collectivités locales àcontribuer au fonctionnement ou aux investissements des salles de cinéma. Par ailleurs,les collectivités locales peuvent accorder une aide indirecte aux salles en les exonérantpartiellement ou en totalité du paiement de la taxe professionnelle.

Ainsi, on constate l’action primordiale jouée par les pouvoirs publics en matièred’exploitation et qui permet aux salles Art et Essai notamment un rééquilibrage de leurbudget.

Si l’on observe la situation par exemple du cinéma Les Alizés, on constate que lessubventions perçues représentent 23% du budget global du cinéma, soit un montant deenviron cent soixante mille euros. La principale subvention touchée par Les Alizés est cellede la ville de Bron qui s’élève à cent dix mille euros. C’est une subvention de fonctionnement.Parallèlement, une subvention liée au classement Art et Essai, d’un montant de vingt milleeuros, est versée par le CNC et Canal +. Les autres aides proviennent de la DirectionRégionale de l’Action Culturelle, de la Région, et du Conseil Général.

Marc Van Maele rappelle deux choses importantes, d’une part le fort tauxd’autofinancement du cinéma puisque près de 70 % des recettes proviennent des entréespropres du cinéma, d’autre part l’aide primordiale de la Mairie qui soutien le cinéma deproximité. « C’est un bon équilibre », conclut Marc Van Maele.

En ce qui concerne les salles CNP, Marc Artigau met en avant le fait que les subventionsperçues par le cinéma sont essentiellement des subventions d’encouragement puisqu’ellesne représentent que 10 % du budget global, les salles CNP étant financées à 90 % par lesentrées qu’elles réalisent. Sur ces 10 % de subvention, 6 % sont versées en rapport avec leclassement Art et Essai du cinéma, le reste provenant de subventions européennes et d’uneredevance de Canal +. On mesure bien ainsi que même si les subventions publiques sontprésentes, elles n’installent pas les cinémas d’Art et Essai dans une relation de dépendancefinancière.

La concurrence « externe » est selon les professionnels la plus dangereuse pour lescinémas d’Art et Essai, mais à celle-ci s’ajoute celle des multiplexes, principaux concurrentsau sein du secteur.

B) Concurrence interne et différenciation

1) Le poids des multiplexes et la course aux copiesQu’est-ce qu’un multiplexe ?

66 Source : La survie précaire des salles d’Art et d’Essai, Nathalie Silbert, www.lesechos.fr

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III) Une logique commune de différenciation face à une situation de forte concurrence

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Lorsque l’on se penche sur la question, on se trouve curieusement face à une difficultéde définition, du moins au niveau juridique. C’est ce que révèle le rapport Delon de 200067

sur l’état des lieux des multiplexes aujourd’hui dans le monde.« Les textes législatifs et réglementaires en vigueur en France ne donnent pas de

définition juridique du " multiplexe ". Ils s'abstiennent même d'utiliser le terme. La loi du5 juillet 1996 qui a introduit dans notre droit un dispositif d'autorisation d'ouverture pource type d'équipement se borne ainsi à indiquer que le dispositif s'applique lorsque l'onest en présence d'un ensemble de salles d'une certaine taille, définie par le nombre totaldes places : fixé à mille cinq cents par cette première loi, le nombre de places à partirduquel la création ne peut se faire sans autorisation a été abaissé par la suite à millepar la loi du 2 juillet 1998. Dans la pratique, il est désormais cependant communémentadmis qu'un multiplexe est un complexe cinématographique d'au moins dix salles disposantd'une capacité d'accueil d'au moins mille cinq cents fauteuils. Encore faut-il noter que lescomplexes d'au moins huit salles, dont la capacité dépasse mille places, sont désormaiségalement classés dans la catégorie des multiplexes par les statistiques du Centre Nationalde la Cinématographie (CNC) depuis l'abaissement du seuil opéré par la loi de 1998 ».

La définition française d’un multiplexe serait donc question de taille.Les auteurs du rapport ajoutent : « quelle que soit sa taille, le multiplexe se caractérise

en France par de vastes espaces d'accueil et par des salles gradinées, climatisées,confortables et de dimension importante, dotées d'écrans de grande taille (plus de dixmètres de base en général) et offrant au spectateur une très grande qualité de projection.Il est doté, en outre, de facilités d'accès et de stationnement -tout au moins lorsqu'il estimplanté en périphérie-, de services complémentaires de confiseries, voire de restauration etd'espaces de jeux vidéo dans son enceinte ou à proximité immédiate. Certains équipementsproposent même des services de garde d'enfants ».

La définition semble plus claire et l’on cerne à présent ce qui renvoie à l’expression« multiplexe », ces grands ensembles cinématographiques où l’on trouve tous les servicesimaginables à proximité.

Le terme de « multiplexe » est apparu aux Etats-Unis dans les années soixante et aété inventé par la société AMC. C’est en effet à cette époque que de grands complexes ontété construits en banlieues, à l’intérieur ou à proximité des centres commerciaux. « Puisla société AMC, suivie par d'autres, est passée à une seconde génération d'équipements,de taille encore plus grande, qu'elle appellera " mégaplexes ". Elle ouvrira les premiers àHouston et à Nashville en 1987. Depuis lors, le nombre de ces établissements n'a cesséde croître aux Etats-Unis : il est passé de soixante-douze en 1995 à deux cent quarantedeux en 1998 et soxante-six nouvelles ouvertures étaient programmées en 1999 », précisele rapport Delon.

Le développement des multiplexes en FranceLe phénomène est accueilli avec un certain scepticisme en France, le parc de salles

y étant déjà ample et bien réparti sur le territoire, de nouveaux investissements nes’imposaient pas à priori. Cependant devant la relance importante de la fréquentation danscertains pays européens qui s’étaient tournés vers ce nouveau type de cinémas, notammentle Royaume Uni et la Belgique, la France se lance elle aussi dans l’aventure. Ainsi lespremiers multiplexes implantés par Pathé, voient le jour en 1993 à La Garde, près deToulon (douze salles, deux mille six cent quarant- trois places) et à Thiais dans le Val-

67 Rapport de Francis Delon, conseillers d’Etat, avec le concours de Jean René Marchand, conseiller auprès de la directiongénérale du CNC et Joël Thibout, étudiant en troisième cycle à l’université Paris-I, janvier 2000

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de-Marne (douze salles, deux mille six cent dix-sept places). Depuis, le phénomène n’acessé de croître et à la fin de l’année 1999, le rapport Delon en recensait soixante-cinq :trente-quatre en périphérie d’agglomération, dix-huit en centre ville et treize en « situationurbaine excentrée ». Ce sont les trois grands circuits d’exploitation Pathé (douze), UGC(douze) et Gaumont (treize) qui en détiennent plus de la moitié. Le poids des multiplexesdans l’exploitation est croissant, comme le montre les chiffres. En effet, les cinquante-trois

établissements implantés avant le 1er juillet 1999 ont réalisé 27,3 % des entrées et 28,9% des recettes.

Il est important de resituer cette situation au sein de celle de l’exploitationcinématographique globale de la France. En voici les chiffres clés68 (données 2006) :

premier parc européenquatrième parc mondial derrière la Chine, les Etats-Unis et l’Inde5373 écrans2149 établissements dont 1065 cinémas classés Art et Essai1692 communes équipées1 084 637 fauteuils161 nouvelles salles crées au cours de l’année 20051000 nouvelles salles au total en dix ans189 millions d’entrées594 nouveaux films sortis en 2006

146 multiplexes au 1er Mars 20071,7 milliard d’euros investis par les exploitants depuis 20 ans dans la création et la

modernisation du parc de sallesOn observe que le nombre de multiplexes s’est encore considérablement accru depuis

le rapport Delon qui dénombrait à la fin de l’année 1999, soixante-cinq établissements. Ilssont aujourd’hui cent quarante six.

Qu’en est-il de la situation en région Rhône-Alpes, puisque c’est là notre terraind’étude ?

Le poids des multiplexes en région Rhône-AlpesLa région Rhône-Alpes est la deuxième région française en matière d’exploitation

cinématographique, avec six cent trente-cinq écrans, trois cent un établissements dontcent vingt-huit classés Art et Essai, et treize multiplexes, deux cent vingt-trois communeséquipées, cent vingt-et-un mille fauteuils, et en 2004, six cent quatorze mille séances pourvingt millions six cent cinquante-quatre mille entrées69. C’est donc l’une des régions les plusdynamiques de France en matière d’exploitation.

Trois projets de construction de multiplexes sont en cours actuellement. Il s’agit d’unepart de l’implantation d’un complexe Pathé au Carré de Soie, prévu pour la fin 2008. C’est unprojet de vingt millions d’euros. Le multiplexe devrait regrouper quinze salles pour trois mille

68 Sources : Fédération nationale des Cinémas Français, www.fncf.org69 Source : La belle bobine du cinéma lyonnais, www.pointsdactu.org

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III) Une logique commune de différenciation face à une situation de forte concurrence

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huit cents fauteuils70. Le second projet « Lyon Confluence », intègre lui aussi la constructiond’un multiplexe UGC. Enfin le troisième projet est celui d’un multiplexe de quatorze sallespour deux mille huit cents fauteuils à Vaise (Pathé).

On distingue deux centres identifiables à Lyon. Le premier correspond à la presqu’îlesituée entre le Rhône et le Saône. C’est le centre historique de la ville, avec ses grandesavenues et ses immeubles haussmanniens.

Le second centre date des années soixante-dix et est marqué par la personnalitéde Louis Pradel, Maire de Lyon de 1957 à 1976. Son goût pour les grands travaux et lebéton, l’engage à moderniser la ville et à y faciliter la circulation automobile. Ce périmètrecorrespond davantage à la ceinture qui entoure la presqu’île.

Dans le centre historique, c’est Pathé qui s’implante en premier, UGC investissant poursa part le centre moderne, notamment la Part Dieu. En 1997, UGC installe Ciné Cité aunord-est du centre ville. Possédant un vaste parking inexistant en ville, il possède une forteattractivité.

Voici un schéma simplifié du réseau actuel et à venir de multiplexes à Lyon :Après cette analyse géographique de l’implantation des multiplexes sur la ville

de Lyon, vient la question des conséquences de l’arrivée de ces grands complexescinématographiques sur la fréquentation des cinémas d’Art et Essai de Lyon.

J’avais, avant de me pencher sur cette question du rapport entre cinémas d’Art etEssai et multiplexes, une vision plutôt négative des ces derniers, voire une tentation dediabolisation. En réalité, même s’ils représentent des concurrents féroces pour les cinémad’Art et Essai, il s’est avéré que les professionnels interrogés ne se montraient pas aussiinquiets que j’aurais pu l’imaginer.

Il faut toutefois mettre en avant plusieurs difficultés liées à l’implantation de cesmultiplexes, difficultés auxquelles les cinémas d’Art et Essai doivent faire face, ou du moinsavec lesquelles ils doivent composer.

Le poids prépondérants des multiplexes dans les recettes d’exploitationCe poids financier s’explique tout d’abord par la spécificité même de ces

établissements. Bien souvent issus d’investissement colossaux, comme nous avons pu levoir avec les futurs établissements UGC et Pathé qui ont prévu de s’installer en régionlyonnaise (vingt millions d’euros), les multiplexes sont ancrés dans une logique de profit quiles oblige à viser un taux minimum de rentabilité atteint par une fréquentation annuelle decent mille entrées par million investi71. A cela s’ajoute des capacité d’accueil et de diffusionbien plus grande que celles des cinémas d’Art et Essai. Un établissement possédantquatorze salles, programme en moyenne mille neuf cents quatre-vingt huit séances en un ancontre trois cent soixante-douze lorsque la salle est unique72. Souvent, un film a succès estprogrammé dans trois salles en même temps, ce qui permet d’élargir au maximum le public.

Ainsi sur le marché lyonnais, on note qu’avec ses trois cent mille spectateurs par an, lessalles CNP représentent 5 % du marché lyonnais, alors que Pathé réunit à lui seul 21 %73.

70 Sources : Les Petites Affiches Lyonnaise, n°807, Août 200671 Source : Multiplexes et art et essai, un face à face d’avenir ? Chantal Gérard, CNRS-UMR 5600 « environnement, ville

et société »72 Source : chiffres-clés du CNC, données 200173 Les Petites Affiches Lyonnais, n° 807, Août 2006

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Une augmentation constante du nombre de films, phénomène qui s’adapte mieux auxgrands complexes

On observe depuis plusieurs années, une forte augmentation de films distribués enFrance. Trois cent cinquante longs métrages sortaient en 1995, aujourd’hui on atteint lessix cents par an, soit jusqu’à seize films par semaines, situation évidemment mieux adaptéeaux multiplexes qui possèdent un nombre de salles très important.

« Les multiplexes ont une stratégie globale, nationale et tous les moyens trèscommerciaux pour capter le marché des salles indépendantes. La carte UGC illimitée çavise ce but là aussi parce que c’est ce public là qui est le plus motivé, régulier, assidu. Doncc’est un ensemble de la part de ces groupes là. Le but est d’avoir l’offre la plus complètepossible pour que les gens qui ont une carte trouvent beaucoup de choix et en mêmetemps d’essayer de couper l’herbe sous le pied des salles indépendantes qui elles n’ontpas forcément la possibilité de mettre en place des outils commerciaux de la même natureparce qu’elles ont moins de salles, moins d’offre », commente Marc Bonny.

Le problème de l’accès aux copiesJ’ai pu noter à travers les entretiens réalisés, que le sujet de l’accès aux copies

constituait le point le plus handicapant pour les cinémas d’Art et Essai.Marc Bonny nous explique le système qui lui permet de choisir sa programmation et

ses blocages : « C’est un compromis entre ce qu’on aimerait avoir et ce qu’on arrive à avoirparce que la concurrence est sévère. Il y a deux gros circuits Europa et UGC et puis il y a uncinéma qui est très implanté sur ce secteur là qui est le CNP. Donc à la fois les distributeursont des habitudes avec le CNP mais en même temps sont contents que des salles commeLe Comoedia arrivent car c’est pour eux une possibilité commerciale de plus. Après lescircuits font pression sur certains films donc c’est pour ça que je dis que c’est un compromis[…]. Il y a toujours moins de copies qu’il n’y a de salles. Après il y a un médiateur du cinémaqui est là pour réguler le marché et pour éviter qu’il y ait des abus de position dominante. Etdonc moi je peux faire appel à ce médiateur si un distributeur me refuse systématiquementles films. Après, soit il y a un accord à l’amiable, soit je peux demander au médiateur uneinjonction et dans ce cas le médiateur a le pouvoir d’obliger le distributeur à donner unecopie à une salle. C’est un système très important et s’il n’existait pas, je pense qu’il n’yaurait plus de salles indépendantes dans les grandes villes. Le rapport de force est tel enfaveur des circuits tel que Europa et UGC, que le distributeur n’est pas en mesure de luttercontre ça. Il y a une mainmise des grands circuits sur la mise en place des films ».

De son côté, Marc Van Maele confirme. Si concurrence il y a entre multiplexes et sallesArt et Essai, elle se situe du côté des copies : « La concurrence elle peut être sur l’accèsaux copies. C’est-à-dire qu’il y a un certain nombre de copies pour un certain nombred’exploitants. Plus on a la copie en sortie nationale plus on bénéficie de toute la presse, dela promotion lors de la sortie et on fait des entrées. Et là si un multiplexe dit je prends troiscopies de ce film alors qu’il y a en a 10 au niveau lyonnais, qui a les autres ? La concurrenceelle peut vraiment être là ».

On comprend mieux à travers ces témoignages, les difficultés auxquelles sontconfrontées les salles indépendantes en ce qui concerne l’accès aux copies de films.

Enfin, il ne faut pas oublier de parler des emprunts de plus en plus fréquents desmultiplexes à l’approche et aux films Art et Essai.

Les multiplexes sur le terrain de l’Art et Essai

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Ces emprunts des multiplexes à l’univers Art et Essai s’observent dans diversdomaines.

Il s’agit d’une part de l’orientation tarifaire prise depuis quelques années par les grandscircuits. Dès les années quatre-vingt, les salles indépendantes s’étaient orientées versune politique tarifaire offensive et adaptée à chaque groupe de spectateurs : jeune public,étudiants, famille, seniors… Ce sont les salles indépendantes qui ont initié les formulesd’abonnements. Aujourd’hui ces formules sont reprises par les grands groupes. C’est lacarte UGC illimitée et son prix de référence qui font le plus débat dans la profession. Encommercialisant en 1998 cet abonnement à un prix défiant toute concurrence, UGC aprovoqué de vives réactions de la part des autres exploitants qui dénoncent le non respectde la concurrence. En effet avec cet abonnement à bas prix, UGC se place en situationde monopole, puisque la carte est amortie dès la deuxième ou troisième entrée mensuelle,au-delà le prix des séances supplémentaires tend vers zéro. Si les sociétés appartenantà des groupes de dimension nationale et les multiplexes sont en mesure de répliquer pardes offres tout aussi attractives, en revanche les exploitants indépendants ne pourront passuivre.

« Lles grands opérateurs ont tendance à dominer le marché, à vouloir être seuls. Onvoit en ce moment dans la presse, UGC et ses cartes illimitées qui veut décider seul de larémunération des distributeurs », s’inquiète Roger Sicaud à la DRAC. « Un gros opérateurfait la loi, c’est inquiétant car après les structures plus fragiles dépendent des décisions d’unou deux grands groupes ».

A cela s’ajoute un phénomène récent et tout aussi inquiétant pour les cinémas d’Artet Essai. Il s’agit cette fois-ci d’un élargissement progressif de la programmation desmultiplexes vers les films Art et Essai sur lesquels les salles indépendantes possédaientl’exclusivité il y a encore quelques années. Du fait du nombre important de leurs salles, lesmultiplexes peuvent se permettre de programmer parallèlement aux grosses productionscommerciales, des films Art et Essai moins porteurs et ainsi attirer le public Art et Essai dansleurs salles. Il s’agit surtout de films Art et Essai dits « porteurs », tels que les Almodovar,Woody Allen et autres Ken Loach. Ces films « porteurs » sont indispensables à la surviedes salles Art et Essai. Finalement, la carte UGC illimité permettra à un spectateur attirépar l’Art et Essai d’accéder aux films à des conditions financières sans comparaison aveccelles des salles indépendantes. Une fois en possession de la carte, ce type de spectateursera dissuadé de fréquenter des salles Art et Essai, puisque grâce à son abonnement, ilpourra pour un coût faible, à la fois satisfaire son envie de voir de l’Art et Essai, mais auraégalement la possibilité de nourrir sa soif de films commerciaux. Le danger pour les sallesArt et Essai se situe à ce niveau.

Cependant, il est indéniable que la démarche des salles Art et Essai est en totaleopposition avec celle des multiplexes. C’est sur cet atout de différenciation par rapport auxgrands circuits que les salles d’Art et Essai parviennent à mobiliser et fidéliser un publicattaché à sa salle de proximité.

2) Salles Art et Essai et stratégies de différenciationDans une ville comme Lyon, cinémas d’Art et Essai et multiplexes se côtoient, dans uneambiance plus ou moins sereine. Comme je l’ai déjà précisé, j’avais le sentiment au départque les relations entre ces deux types de cinémas étaient très tendues. Les professionnels

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de l’Art et Essai m’ont démontré le contraire. Pour Marc Artigau des CNP, par exemple, cetteconcurrence n’est pas un obstacle.

« Je suis en concurrence mais ça ne me gène pas, je ne peux pas avoir l’exclusivitésur tout. On est une salle que tout le monde regarde. UGC veut connaître nos entrées, nosentrées sont communiquées à Paris […]. Je suis sur le terrain qui est le mien, c’est monterritoire. Qu’ils soient là c’est très bien. Quand ils font bien leur boulot je suis ravi. J’ai de trèsbons rapports avec Pathé. Nous sommes une salle autonome dans notre programmation,c’est-à-dire que je prends toutes les décisions de refus ou non, de perdre de l’argent ounon ».

Cette relative autonomie et marge de manoeuvre des cinémas d’Art et Essai vient dufait qu’ils se situent davantage dans une logique de complémentarité et de différenciationque dans celle d’une concurrence acharnée. Parce qu’ils ne ciblent pas le même public,parce qu’ils ne défendent pas la même idée et la même image du cinéma, parce qu’ilsne s’inscrivent pas dans la même logique commerciale, les cinémas d’Art et Essai et lesmultiplexes possèdent chacun leur rayonnement et leurs modes de fonctionnements.

C’est ce que nous explique Marc Van Maele : On n’est pas dans la même logique, onn’est pas un centre de profit. Le multiplexe est vraiment là pour gagner du fric, y compris avecle développement de la confiserie qui est une partie non négligeable de leur chiffre d’affaire[…].On n’est pas dans une logique de profit. La rentabilité est une donnée incontournable denotre boulot, mais il n’y a pas que ça. A mon sens c’est ce qui fait toute la différence […].Onn’est plus dans une logique d’être contre ou de résister à, on est dans une logique positive,qui on est et comment on avance ? Je n’ai pas envie de me positionner par rapport auxmultiplexes, ils font leur truc et nous on fait le nôtre. Ca me semblerait presque réducteuren fait ».

Chacun de son côté, mais en gardant tout de même un œil sur l’autre et en sepositionnant malgré tout par rapport à l’autre.

C’est le cas par exemple, comme nous l’avons déjà exposé, de la politique tarifaire quiest un point important de différenciation pour les salles Art et Essai.

Mais ce qui permet aux cinémas d’Art et Essai de se différencier, d’attirer et de fidéliserun public assidu et passionné, se trouve du côté de la politique d’animation du lieu.

Politique d’animation et action culturelleLe Ministère des Affaires Culturelles est né en France avec la cinquième République.

André Malraux désirait créer un nouveau ministère pour l’Art et la Culture, qui voit le jour le3 Février 1959. La politique du nouveau ministère s’oriente vers une démocratisation de laculture. Le décret du 24 juillet 1959 désigne au ministère la « mission de rendre accessibleles œuvres capitales de l’humanité et d’abord de la France, au plus grand nombre possiblede Français ». Il s’agit en réalité de permettre à tous ceux qui désirent accéder à la culturede pouvoir le faire, plus que d’amener tous les citoyens à la culture. Malraux se distingue parson refus des dispositifs pédagogiques, l’action culturelle devant être fondée sur le « chocartistique » que l’œuvre procure au public par ses qualités intrinsèques.

La notion « d’action culturelle » renvoie à deux conceptions. La première se réfère àl’idée de démocratisation culturelle à travers l’apprentissage et l’éducation à des pratiquesculturelles. La seconde période est donc représentée par André Malraux qui défend l’idéede l’animation socio-culturelle à travers la créativité individuelle des citoyens.

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Dans le cas des cinémas d’Art et Essai, cette notion d’action culturelle renvoie, à unevolonté de militants et de passionnés de rendre la culture accessible à tous, toute la culturecinématographique.

Cette orientation est fondée sur une politique d’animation active et engagée qui est lerésultat d’une volonté de différenciation des cinémas d’Art et Essai, de la défense d’uneconception singulière du cinéma. C’est une « certaine façon de présenter le cinéma »,affirme Marc Bonny.

Cette politique d’animation s’appuie sur plusieurs piliers.Le travail en direction des enfants et des jeunes« Il y a tout le travail en direction des enfants, que ce soit le travail scolaire ou hors

scolaire. Au niveau scolaire on a créé tous les dispositifs qui sont « Ecole au cinéma »pour les primaires, « Collège au cinéma », et « Lycéens au cinéma », on a pratiquementdes séances tous les matins dans ce cadre là. Tout ce travail avec le milieu enseignantpour faire découvrir le cinéma donc ça c’est une chose, après il y a toute la programmationenfant hors scolaire, mercredi, samedi et dimanche sur des films pas forcément connus, desprogrammes de courts-métrages, des reprises. Tout ce travail en direction du jeune publicest un de nos axes », explique Marc Bonny.

C’est donc, dans un premier temps, tout le travail d’éducation à l’image des enfantsqui constitue un axe essentiel de la politique d’animation des cinémas d’Art et Essai. Enfamiliarisant les plus jeunes très tôt avec le cinéma, les professionnels de l’Art et Essai ontpour objectif de sensibiliser le jeune public à un cinéma différent à des cinématographiessingulières, ce qui poussera très certainement ces jeunes spectateurs à poursuivre leurcontact avec le cinéma d’Art et Essai en grandissant.

Le travail en direction de cinématographies différentesD’autre part, et afin d’élargir le spectre de films disponibles, mais aussi pour ouvrir le

public à des cinématographies inconnues ou peu développées, les cinémas d’Art et Essaiorientent leur programmation dans un esprit de découverte et de nouveauté. Reprise defilms de répertoire, projection de courts-métrages, de documentaires, de films d’origineétrangères, organisation de festivals, sont autant de choix fort de programmation quicontribuent à consolider l’identité, le positionnement, et l’orientation des salles Art et Essaivers l’expérimentation. Aux Alizés par exemple, les spectateurs peuvent assister au ciné-club chinois ou au ciné-collection.

Marc Bonny de son côté espère développer le court-métrage. « C’est aussi une formede cinéma à promouvoir et à faire connaître. On a aussi tout l’aspect « festival », bon…,pour l’instant on est plus sur l’accueil de festivals existants comme « Docs en court » ou lefestival Télérama… mais sans doute qu’on va essayer rapidement d’initier dans l’année unou deux événements de type festival. Le festival est aussi intéressant pour attirer l’attentionsur des films pas du tout connus. Dans un environnement de festival, il y a une espèce defrénésie de venir voir des films, une espèce de dynamique liée à ça, donc c’est une bonneoccasion pour faire connaître des films moins faciles ».

L’organisation d’événements particuliersC’est une autre dimension importante dans le vie des cinémas d’Art et Essai, dans

laquelle l’accent est mis sur l’échange, le partage, la discussion entre réalisateurs, public,professionnels, sur des thèmes de société ou sur des films.

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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« La différence peut se faire sur la venue de réalisateurs, sur des événementsparticuliers », précise Marc Bonny. « Les auteurs et les réalisateurs qui viennent ici ont unevraie opportunité de discussion avec le public, avec la presse. Si c’est juste pour faire venirquelqu’un qui va dire deux minutes avant le début du film, « voilà vous allez voir mon film,j’espère que ça vous plaira… », et s’en aller après pour aller faire la même chose dansune autre salle, ça ne nous intéresse pas. Ca participe à une certaine façon de présenterle cinéma ».

Enfin, la différenciation qui s’opère au sein des cinémas d’Art et Essai se situe dansla conception même du lieu.

Des salles de proximité ancrées sur un territoireOn peut définir une salle de proximité comme un lieu possédant deux caractéristiques

majeures. D’une part la volonté d’apporter et de transmettre du loisir et de la culture. D’autrepart, une salle de proximité est un élément structurant de la ville dans laquelle elle évolue.

Une salle d’Art et Essai comme Le Comoedia ou Les Alizés, possède une identité,une conception du cinéma et de son lieu d’expression, de diffusion et d’exploitation. Cetl’assemblage de détails, d’arrangement singuliers et minutieux différencie ce type de lieudes multiplexes où l’on a le sentiment d’un lieu gigantesque, sans âme, où tout est faitgrossièrement sans délicatesse ni attention particulière adressée aux spectateurs.

« Il y a des tas de petites choses, sur la conception même du lieu, est-ce que ce sontdes lieux principalement axés sur le cinéma ou est-ce que le cinéma est un prétexte pourfaire valoir des grands comptoirs de confiseries, il y a une façon de voir les choses. Parexemple pour la publicité, nous on a choisi un parti pris assez radical qui est assez rare denos jours (Le Comoedia ne diffuse pas de publicité). Ce sont des choix de base, ça dit auspectateur très clairement, « ici c’est un lieu où on vient avant tout pour voir un film ». Lagestion des comptoirs de confiserie, pop-corn, tout ça, enfin c’est de l’ordre du symbole maisce n’est pas que du symbole c’est aussi la volonté d’être un lieu d’exposition d’un certainnombre de films ou d’être dans un lieu beaucoup plus commercial. C’est pareil, on s’efforcede faire revenir les gens à la sortie du film par le hall et de ne pas les balancer par desissues de secours souvent pas terribles. Ce sont plein de petits détails mais qui mis bout àbout font que le spectateur n’a pas la même impression lorsqu’il est ici et lorsqu’il va dansd’autres lieux, même si un certain nombre de films se retrouvent ailleurs, alors qu’avant laséparation était beaucoup plus sur les films mêmes ». Ces mots de Marc Bonny décriventbien, je trouve, l’ambiance que l’on peut trouver au Comoedia, un lieu convivial, de vie, desociabilité, où l’on échange, où l’on se rencontre, où l’on se divertit, où l’on s’instruit dansle respect de l’autre et du cinéma.

Marc van Maele insiste de son côté sur l’aspect « proximité » à la fois avec le public,mais aussi avec le territoire. « Le cinéma est un lieu totalement inscrit sur le territoire, qui ade fortes relations avec la mairie. On se veut un vrai cinéma de proximité, c’est-à-dire queles Brondillans et les gens des communes environnantes soient satisfaits du service qu’onleur rend. Le lieu est, inscrit dans la commune et avec un rayonnement sur l’agglomérationet un peu au-delà […. Il y toujours l’idée que les gens s’approprient totalement le lieu, donc ily a une vraie convivialité au sein du cinéma, avec un arrêt de tramway aussi qui s’appelle lesAlizés, ce qui n’est pas neutre […]. On essaie vraiment que l’accueil soit différent, on n’estpas des vigils, on est des contrôleurs, des gens plutôt sympas qui accueillent. C’est unelogique d’animation du territoire […]. On ne fait pas du cinéma pour les mêmes raisons ! Toutbêtement, ça m’arrive souvent de traîner dans le hall et de discuter cinéma avec les gens ».

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III) Une logique commune de différenciation face à une situation de forte concurrence

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De ces entretiens, on retient plusieurs éléments. Tout d’abord une conceptiondu lieu beaucoup plus personnelle et à taille humaine par rapport aux multiplexes.Ensuite, l’importance de la proximité avec le public, à travers des échanges directs, parl’intermédiaire d’événements qui l’incluent totalement et le fait participer à la vie du cinéma,mais aussi une proximité avec le territoire, ce qui signifie des relations étroites avec laMairie et la ville dans son ensemble. Le cinéma d’Art et Essai se veut une partie intégrantede l’environnement urbain et social sur lequel il rayonne. Convivialité, accueil, écoute,divertissement, croisement des générations, ouverture d’esprit semblent être les maîtresmots de ces lieux qui constituent à mes yeux l’avenir fleurissant du cinéma, dans ce qu’il a depopulaire et d’instructif, de divertissant et d’enrichissant, dans sa dimension fondamentalede créateur de lien social fort et durable.

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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Conclusion générale

René Bonnel dans son livre, Le cinéma exploité 74 , constate l’échec du cinéma d’Art et

Essai dans son objectif de diffusion au plus grand nombre de films de qualité. Je penseque les recherches effectuées pour ce mémoire démontrent que le cinéma d’Art et Essaiest tout sauf en échec.

Ma question de départ était de savoir s’il existe toujours aujourd’hui en France uncinéma d’Art et Essai, sous quelles formes s’exprime-t-il et quelles évolutions a-t-il connu ?

Je possédais la conviction en débutant ce mémoire que le cinéma d’Art et Essai,malgré les difficultés qu’il peut rencontrer, constitue l’aile fleurissante de l’expression et dela diffusion du cinéma aujourd’hui. Cette conviction reste intact au sortir de ce travail et setrouve même confirmée à la suite des entretiens réalisés avec les directeurs de cinémas,ces passionnés qui se battent pour faire vivre un cinéma libre, innovant, enrichissant etdivertissant.

Certaines des hypothèses posées au départ afin de construire l’objet de mon étude ontété validées, d’autres au contraire se sont révélées inexactes, du moins sûrement moinstranchées et évidentes que je ne les avais imaginées.

La première de mes hypothèses concernait l’inertie des textes relatifs à la définitiondes films d’Art et Essai, mais aussi le laxisme de recommandation de ces mêmes films. Leconcept d’Art et Essai n’est-il pas devenu une coquille vide ?

Au regard des entretiens réalisés et des recherches menées, il s’est avéré que cesdeux obstacles qui me paraissaient plutôt handicapants, surtout dévalorisants pour les filmsd’Art et Essai, ne sont absolument pas perçus comme tels dans la profession.

J’ai pu constater, d’une part, que les textes juridiques étaient avant tout destinés à fixeret à répartir les subventions du CNC et que les professionnels n’avaient que faire de ladéfinition des films Art et Essai, que bien souvent ils ne connaissent pas ou qui n’évoquentni ne représentent quelque chose de significatif pour eux. Ancrés dans la pratique de leurprofession, ils possèdent leur propre définition des films Art et Essai.

Il ressort des entretiens une représentation commune des professionnels sur lesfrontières de ce type de films : œuvres d’un auteur, véhiculant une vision du monde, de lasociété, un point de vue, possédant un style identifié. Un film Art et Essai est aussi considérécomme une œuvre qui réinterroge les limites du genre cinématographique en poussant lespectateur dans ses retranchements, en l’incitant à mener une réflexion sur les images qu’ilperçoit.

Aujourd’hui la dénomination Art et Essai appliquée à un film regroupe des genres, desorientations et des parcours très différents selon les œuvres. Certains films ont une vielongue et fleurissante, d’autres peinent à rencontrer un public. Certains auteurs connaissentune reconnaissance mondiale, d’autres restent dans l’ombre toute leur vie. Cette diversitéau sein de l’Art et Essai constitue sa richesse et non pas une menace pour le « genre ».

74 BONNELL René, Le cinéma exploité, Ed Ramsay, 1986, 382 p.

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Conclusion générale

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Ce n’est pas parce qu’un film devient connu, rencontre un public nombreux et connaît lesuccès, qu’il perd sa qualité intrinsèque.

Cependant, de nombreux débats secouent encore actuellement la profession sur lesystème de recommandation des films. Faut-il ou non considérer Shrek, comme un filmd’Art et Essai. On ne peut pas lui nier ses prouesses techniques, mais on ne peut pas nonplus oublier l’argent qui se cache derrière cette production. Le débat reste ouvert…

Dans tous les cas, le fait que 60 % des films qui sortent chaque année soientrecommandés Art et Essai ne semble pas choquer les professionnels qui mettent aucontraire en avant la diversité de diffusion des films aujourd’hui en France. Les cinémasd’Art et Essai sont ensuite libres de choisir les films qu’ils désirent proposer au public, enfonction de l’orientation de leur programmation et de leur positionnement.

Ma seconde hypothèse concernait les cinémas d’Art et Essai en tant que lieux dediffusion des films Art et Essai. J’avais pour objectif de démontrer la diversité de ces lieuxselon leur situation géographique, économique, selon leur orientation au sein du mouvementArt et Essai et selon leur politique et leur positionnement sur une scène cinématographiquelocale.

Là encore j’ai pu mettre en évidence que les différences de points de vues au sein de laprofession sont une richesse pour l’Art et Essai. Il est indispensable de parler DES cinémasd’Art et Essai tant cette dénomination inclut des situations diverses selon les établissements.En fonction de l’histoire du lieu, de la taille de l’agglomération dans laquelle il s’inscrit, enfonction de sa situation économique et de ses équipements techniques, mais aussi selonl’orientation du lieu vers de l’Art et Essai pur et dur, davantage ancré au sein du label« Recherche et Découverte », ou au contraire poursuivant une politique plus « généraliste »,destinée à un public plus large, toutes ces orientations et ces différences révèlent la pluralitéet la diversité des lieux de diffusion de l’Art et Essai. Chacun possède son identité et défendune conception du cinéma et de l’Art et Essai. Ces lieux représentent pour moi ce qui sefait de mieux aujourd’hui en terme d’exploitation cinématographique et je suis convaincuequ’ils assurent un avenir ensoleillé au cinéma, à tout le cinéma, du plus exigeant au plusdivertissant, car selon moi chaque film peut apporter quelque chose au spectateur selonses envies, ses perceptions de la vie.

Cependant, mon optimisme quant à l’avenir de l’Art et Essai ne doit pas occulter lesdifficultés auxquelles ses lieux doivent faire face. C’est là le sujet de ma troisième hypothèse.

Cette dernière hypothèse développait l’idée d’une stratégie défensive et de résistancedes cinémas d’Art et Essai afin de faire face à la concurrence des multiplexes, ces grandsensembles cinématographiques qui investissent les périphéries des villes et qui ne cessentde croître.

J’ai en réalité constaté deux aspects importants concernant cette question. D’une partles cinémas d’Art et Essai ne perçoivent pas la concurrence des multiplexes comme undanger majeur, dans la mesure où ils ne visent pas le même public et qu’ils ne défendent pasla même conception du cinéma. Les cinémas d’Art et Essai se situent davantage du côté dela différenciation par rapport à ces multiplexes, plus que dans une attitude de résistance. Ilscherchent à développer des outils et des services qui ne sont pas offerts dans les grandscomplexes cinématographiques, afin de proposer un cinéma différent.

D’autre part, il s’est avéré que les cinémas d’Art et Essai, mais aussi le cinéma engénéral, devaient faire face à une autre concurrence, plus féroce encore que la précédente,celle de la société des loisirs. Le spectateur dispose aujourd’hui de plus en plus de choix deconsommation individuelle du cinéma, à travers une télévision de plus en plus performante,

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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et des ordinateurs de plus en plus présents dans sa vie notamment avec l’utilisation del’Internet et les problèmes que cela pose.

Face à ces deux concurrents, les cinémas d’Art et Essai sont constamment amenés àse remettre en cause, à se renouveler, à innover dans leur choix de programmation et dansleur orientation au sein du mouvement Art et Essai. Cela amène certains lieux notamment àélargir leur programmation en direction de films plus commerciaux, comme Speeder- Man3 ou encore Pirates des Caraïbes. Je ne pense pas que cette nouvelle orientation dénaturele genre Art et Essai. Elle répond simplement à une nécessité pour ces lieux de s’adapter àun marché dans lequel la concurrence est sévère, mais aussi à une volonté d’évoluer avecson époque et son public.

Mixité des genres et des publics, telles semblent être les deux nouvelles orientationspoursuivies par les cinémas d’Art et Essai aujourd’hui en France.

« Le boulot d’exploitant c’est aussi celui de passeur », conclut Marc Van Maele, passeurd’idées, de nouveautés, d’un nouveau regard sur le monde et sur la société qui nousentoure. C’est un objectif à la fois humble mais utile et nécessaire.

Reste à savoir si le cinéma d’Art et Essai parviendra à conserver un public nombreux,curieux et passionnés ?

En ces temps de clôture de Festival de Cannes, on peut se montrer optimisme. Unepalme d’or pour un film roumain (4 mois, 3 semaines et 2 jours, de Cristian Mungiu), un grandprix décerné à un film japonais (Mogari no mori, de Naomi Kawase), le prix du scénario pourun allemand (Auf der anderen Seite, de Fatih Akin), un prix d’interprétation féminine pourJeon Do-Yeon dans Secret Sunshine de Lee Chang-dong (Corée du Sud), et masculinepour Konstantin Lavronenko dans Izgnanie d’Andreï Zviaguintsev (Russie), ou encore laCaméra d’or pour Les Méduses d’Edgar Keret (Israël), la diversité fut récompensée cetteannée à Cannes, laissant de côté les Tarantino, Wong Kar Wai, Kusturica et autre Fincherqui avait fait couler tant d’encre et s’agiter tant de paillettes sur le beau tapis rouge…

La culture tout entière est à présent entre les mains d’une Christine Albanel, fraîchementdésignée Ministre de la Culture et de la Communication, espérons qu’elle n’oubliera pas lecinéma ! Affaire à suivre…

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Bibliographie

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Bibliographie

Ouvrages :

BONNELL, René, Le cinéma exploité, Ed du Seuil, 1978, 382 p.

- LAHIRE Bernard, La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction desoi, Paris, La Découverte, 2004, 777 p.

- LEGLISE, Paul. Le cinéma d’Art et d’Essai, La documentation Française, 1980, 118 p.

- LIANDRAT-GUIGUES, Suzanne et GAGNEBIN, Murielle, L’essai et le cinéma, EdChamp Vallon, 2004, 253 p.

- PREDAL René, Le cinéma d’auteur, une vieille lune ? coll. 7ème art, 2001, 144 p.

- SAUVAGET, Daniel. Une Longue marche, Sur l’histoire du mouvement Art & Essai,

article paru dans la brochure éditée par l’AFCAE à l’occasion du 50ème anniversairedes cinémas d’Art et d’Essai, mai 2006.

Sites Internet :

- Confédération Internationale des Cinémas d’Art et d’Essai : www.art-et-essai.org/cicae

- Centre National de la Cinématographie : www.cnc.fr

- Les Amis du CNP : www.amiscnp.com

- Groupe National des Cinémas de Recherche : www.cinemas-de-recherche.com

- Le Comoedia : www.cinema-comoedia.com

- Les Alizés : www.cinemalesalizes.com

- Le Journal du Net : www.lejournaldunet.com

- La belle bobine du cinéma lyonnais, www.pointsdactu.org

- Le Sénat : www.senat.fr

- Fédération Nationale des Cinémas Français : www.fncf.org

Revues :

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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- Le Bulletin de l’Association Française des Cinémas d’Art et Essai, 29 juin 2001

- Les Cahiers du Cinémas, Avril 2007, n°622, p 10-13

- Cahier pour un temps, Peut-on définir l’essai ? STAROBINSKI, Jean, Paris, 1985.

- Courrier de l’Association Française des Cinémas d’Art et d’Essai, n° 146, 2005

- Le film Français, n° 3133, 6 janvier 2006, L’art et Essai de l’utopie à la réalité.

- Lettre de l’Académie des Beaux-Arts, n°38, dossier : Quel Avenir pour le cinéma au

XXI ème ?

- Lettre du CNC n° 43, Avril 2007

- Les Petites Affiches Lyonnaise, n°807, Août 2006

Presse :

- BAUDIN Brigitte, entretien avec Patrick Brouiller, Président de l’AFCAE, Le Figaro, 20octobre 2005

- ETHIS Emmanuel, Le spectateur devenu expert, Libération, mercredi 16 mai 2007

- FRODON Jean-Michel, Le CNC annonce une politique de précision pour l’Art et Essai,Le Monde, 11 mai 2001

- ICHER Bruno, Le cinéma, produit d’appel des nouvelles technologies, Libération, 16mai 2007

- LAFOSSE Philippe, La résistance des salles d’art et d’essai, Le Monde diplomatique,n°576, mars 2002

- PERON Didier, A la rescousse de l’Art et Essai français, Libération, mercredi 14septembre 2005

- SANZ Didier, Le cinéma en format poche, Le Figaro, 21 février 2007

- SILBERT Nathalie, La survie précaire des salles d’Art et d’Essai, Les Echos, 19octobre 2006

Rapports, enquêtes, décrets :

- Décret n°91 1131 du 25 octobre 1991, portant définition et classement des salles despectacles cinématographiques d’Art et d’Essai

- Décret n° 2002-568 du 22 avril 2002, portant définition et classement des salles despectacles cinématographiques d’Art et d’Essai

- DELON Francis, conseiller d’Etat, avec le concours de Jean René Marchand,conseiller auprès de la direction générale du CNC et Joël Thibout, étudiant entroisième cycle à l’université Paris-I, janvier 2000

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Bibliographie

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- Etudes réalisées par le CNC, octobre 2006 :Perception du public des cinémas d’Art etEssai, L’exploitation des films recommandés Art et Essai,Les salles Art et Essai,Lepublic du cinéma Art et Essai.

- GERARD Chantal, Multiplexes et Art et Essai, un face à face d’avenir ? CNRS-UMR5600 « Environnement, Ville et Société »

- TOUBIANA Serge, Mission de réflexion sur l’Art et Essai, nouveaux horizons, Rapportprésenté à Messieurs Jack Lang, Ministre de la Culture, de la Communication, desGrands Travaux et du Bicentenaire et Dominique Wallon, Directeur Général du CNC,janvier 1990.

- VAN MAELE Marc, Cinéma : quel avenir pour les salles de proximité ? Mémoire deDESS Développement culturel et Direction de projets, Lyon, ARSEC/UniversitéLumière Lyon 2, 2003, 60 p.

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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Annexes

Grille d’entretien exploratoire

Interlocuteur : Roger Sicaud, conseiller régional chargé de l’audiovisuel et du cinémaen région Rhône-Alpes

Je travaille sur le cinéma d’art et d’essai. Que pouvez-vous nous dire sur cette notionaujourd’hui ?

Comment expliquez-vous que la définition n’ait pas évolué en 50 ans ?Quelles évolutions ont connu la notion et le genre en cinquante ans ? Comment le

caractériser aujourd’hui ?Comment se porte l’Art et l’Essai aujourd’hui ?Y-a-il un ou plusieurs cinéma d’Art et d’Essai ?Pourquoi cette double classification des films puis des salles ?Le public du cinéma d’Art et d’Essai a-t-il évolué ?Le cinéma d’Art et d’Essai est souvent accusé d’élitisme ? Quel est votre sentiment à

ce sujet ?Quel avenir pour le cinéma d’Art et d’Essai ?

Questionnaire à destination des directeurs de cinémad’Art et Essai (exemple pour le Comoedia)

Vous vous réclamez de la mouvance art et essai, que cela représente-t-il pour vous,qu’entendez-vous par art et essai ?

Art et essai et cinéma d’auteur sont-ils synonymes pour vous ?Le cinéma d’Art et d’Essai est-il un cinéma d’avant-garde ? Est-ce une catégorie

prestigieuse de films ?Quelles sont les caractéristiques d’un film d’Art et Essai aujourd’hui pur vous ?Le genre Art et Essai a-t-il connu une évolution depuis sa création ? Comment la

qualifieriez-vous ?Quels sont vos objectifs en tant que directeur d’un cinéma d’Art et Essai ? Quelle va

être l’orientation du Comoedia dans ce domaine, comment le cinéma va-t-il s’inscrire et seforger cette identité Art et Essai ?

Bonnel dans son livre, le cinéma exploité, constate l’échec du cinéma d’Art et Essaidans son objectif de diffusion au plus grand nombre de films de qualité, qu’en pensez-vous ?Pourquoi cet échec ?

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Annexes

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Que pensez-vous du système de recommandation des films d’Art et Essai ?Que pensez-vous du classement des salles Art et Essai ?Etes-vous pour le classement des films ou des salles en priorité ?Quelles relations entretenez-vous avec les grands complexes cinématographiques type

UGC, CGR, Pathé… ?Craignez-vous leur concurrence ?Comment parvenez-vous à la surmonter ?Ne croyez-vous pas qu’il y a actuellement une instrumentalisation de la notion d’Art et

Essai afin de bénéficier de son image « intellectuelle » et des subventions découlant duclassement ?

Y a-t-il actuellement pour vous une dénaturation de la notion d’Art et Essai ?Croyez-vous à un cinéma d’Art et Essai rentable financièrement ?Etes-vous pour une libéralisation de la notion d’Art et Essai ou pour une redéfinition

plus stricte de son cadre ?Durée de l’entretien : environ 45 minutesVous vous réclamez de la mouvance Art et Essai, que cela représente-t-il pour

vous, qu’entendez-vous par Art et Essai ?Ce sont des appellations qui sont délicates à manier. Je pense que le terme Art et Essai

ne veut pas dire grand-chose, enfin pour le commun des mortels ça ne veut pas dire grand-chose. Pour moi ce sont des films où il y a le regard de quelqu’un, où il y a le point de vue dequelqu’un, d’un réalisateur, sur le monde, sur la société, sur un imaginaire. Pour moi c’estla différence entre un film qui va être du pur divertissement, ou un film commercial et unfilm qui ne cherche pas forcément à faire des entrées et des recettes. C’est plus un point devue, c’est comme ça que je le définirai. Après il y a des films Art et Essai qui font beaucoupd’entrées, d’autres qui n’en font pas beaucoup, un film Art et Essai ça ne veut pas dire « petitfilm qui ne marche pas ». Moi je sépare un peu ça comme ça…un auteur qui a quelquechose à dire et qui se sert du cinéma pour dire quelque chose, pour moi c’est un peu ça unfilm Art et Essai à la base. Après, dans ce registre là il y a des films réussis et des films ratés.

Si l’on étudie les textes concernant les critères de recommandation des filmsArt et Essai, on remarque que cette définition n’a pas énormément évolué en 50 ans,pourquoi selon vous ? Le cinéma d’Art et Essai correspond toujours à ces critères là ?

Ca fait l’objet de grands débats dans la profession, récemment le CNC a organiséun séminaire sur ces questions, pas mal de monde était présent, et pendant la réunion,personne n’a trouvé mieux que ça. Il ne s’est pas dégagé un consensus qui permette defaire évoluer ça radicalement. Ce qui a changé c’est le marché, c’est la façon dont les filmssont diffusés, distribués, mais la distinction de base en gros entre films d’auteur et pas filmsd’auteur n’a pas forcément beaucoup évolué.

Qu’est-ce cela vous inspire ?C’est plus au niveau du marché que les choses ont changé, avant les cinémas d’Art

et Essai et les cinémas « commerciaux » étaient clairement identifiés, beaucoup plusqu’aujourd’hui. Aujourd’hui, La vie des autres, qui sera un film recommandé Art et Essai,donc qui contribuera au classement des salles, il sort au CNP, au Comoedia, au Pathé, enVO alors qu’il ne fait jamais de VO, mais il ne le garde pas longtemps à l’affiche et puis il sort à

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Le cinéma d’Art et Essai en France aujourd’hui : évolutions et spécificités d’un genre, diversité etadaptation des lieux de diffusion

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Ciné Cité donc…On a des lieux de grande consommation des films qui sont les multiplexes,notamment les salles UGC qui sont très souvent sur des films d’auteurs. Donc la distinctionqu’il y avait à une époque et qui était très tranchée, elle l’est moins aujourd’hui, mais quandmême…, parce que des lieux comme Ciné Cité passent des films d’auteurs, mais ils passentaussi des films commerciaux. Eux ils ont une volonté de tout montrer, d’essayer d’avoir àl’affiche tout le spectre du cinéma. Mais il y a encore un certain nombre de lieux comme leCNP ou nous depuis notre ouverture, qui ne veulent être présent que sur un type de film etde films bien sûr Art et Essai donc il y a quand même encore une différence entre des lieuxqui ne passent que de l’Art et Essai et des lieux qui passent de l’Art et Essai, sans douteplus qu’il y a trente ans mais qui en même temps sont très généralistes.

N’est-ce pas une dénaturation que ces films d’auteur là soient présents au seinde la programmation des grands multiplexes ?

C’est une concurrence, surtout UGC qui a une politique qui vise à capter ce marchélà qui avant était le marché des salles indépendantes. C’est clair que c’est une stratégieglobale, nationale et tous les moyens très commerciaux qui vont avec poursuivent le mêmebut. La carte UGC illimitée ça vise ce but là aussi parce que c’est ce public là qui est leplus motivé, régulier, assidu. Donc c’est un ensemble de la part de cesgroupes là. Le butest d’avoir l’offre la plus complète possible pour que les gens qui ont une carte trouventbeaucoup de choix et en même temps d’essayer de couper l’herbe sous le pied des sallesindépendantes qui elles n’ont pas forcément la possibilité de mettre en place des outilscommerciaux de la même nature parce qu’elles ont moins de salles, moins d’offre…

Comment essayer vous de faire face à cette concurrence là ?Nous on est sur une carte d’abonnement aussi mais pas illimitée, donc un abonnement

« normal » qui peut parer à ces concurrents au niveau du prix mais surtout au niveau de lacommodité, car souvent les cartes sont nominatives, ne sont pas valables le week-end, etc.Le système que nous avons mis en place est un système de carte beaucoup plus soupleoù les gens peuvent venir à plusieurs, qui est valable longtemps dans le temps. C’est uneoffre alternative et qui joue un côté potentiellement plus convivial et collectif. Et puis aprèsc’est beaucoup sur le travail d’animation, sur le réalisateur, sur les événements, c’est là-dessus où la différence peut se faire. Les auteurs et les réalisateurs qui viennent ici ont unevraie opportunité de discussion avec le public, avec la presse. Si c’est juste pour faire venirquelqu’un qui va dire deux minutes avant le début du film, « voilà vous allez voir mon film,j’espère que ça vous plaira… », et après s’en aller faire la même chose dans une autre salle,ça ne nous intéresse pas. Ca participe à une certaine façon de présenter le cinéma. Alorsaprès il y a des tas de petites choses, sur la conception même du lieu. Est-ce que ce sontdes lieux principalement axés sur le cinéma ou est-ce que le cinéma à un moment donnéest un prétexte pour faire valoir des grands comptoirs de confiseries, après il y a une façonde voir les choses. Par exemple pour la publicité, nous on a choisi un parti pris assez radicalpar rapport à la publicité dans les salles qui est assez rare de nos jours (Le Comoedia nediffuse pas de publicité). Ce sont des choix de base, ça dit au spectateur très clairement,« ici c’est un lieu où on vient avant tout pour voir un film ». La gestion des comptoirs deconfiserie, pop-corn, tout ça, enfin c’est de l’ordre du symbole mais ce n’est pas que dusymbole c’est aussi à un moment donné la volonté d’être dans un lieu d’exposition d’uncertain nombre de films ou d’être dans un lieu beaucoup plus commercial. C’est pareil, ons’efforce de faire revenir les gens à la sortie du film par le hall et de ne pas les balancer pardes issues de secours souvent pas terribles. Ce sont plein de petits détails mais qui mis boutà bout font que le spectateur n’a pas la même impression lorsqu’il est ici et lorsqu’il va dans

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Annexes

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d’autres lieux, même si un certain nombre de films se retrouvent ailleurs, alors qu’avant laséparation était beaucoup plus sur les films même.

En 2004, 62% des films sortis ont été recommandés Art et Essai…Shrek parexemple a été recommandé… n’est-ce pas un danger pour le mouvement Art et Essaiqu’autant de films soient recommandés ? N’y a-t-il pas un travail à faire là-dessus ?La recommandation n’est-elle pas trop souple ?

C’est l’éternelle question…Le collège de recommandation c’est cents personnes à peuprès qui voient les films, qui les voient pas…Parmi les débats qu’il y a eu au CNC il n’y apas longtemps, il y avait des gens qui disaient que ça leur arrivait de recommander un filmalors qu’ils ne l’avaient pas vu, ce qui en scandalisait d’autres qui se demandaient commentc’est possible…Mais bon ça c’est tempéré par le fait qu’il y ait cents personnes. Bon aprèsque fait Shrek à Cannes ? C’est ma première surprise… Je trouve que c’est limite de chezlimite quoi… De la même façon que dans l’Art et Essai il peut y avoir une dérive sur desfilms pas assez exigeants, il y a des festivals comme Cannes où c’est pareil, il y a un côtéspectacle, pub…

Sur la question du type de film et des recommandations, il y a plusieurs tendances ausein de l’Art et Essai, il y a notamment le Groupement National des Cinémas de Recherchequi eux militent pour que les critères de sélection des films soient beaucoup plus strictes etpuis il y a aussi tout le côté aides publiques en direction des salles car il ne faut oublier quetout ce mécanisme là a comme finalité de donner des subventions aux salles. A l’opposéil y a l’essentiel des adhérents de l’AFCAE qui eux sont plus pour un éventail assez large,c’est-à-dire sont plus sur le raisonnement de dire qu’il faut des films Art et Essai « porteurs »et des films non-porteurs, les films Art et Essai porteurs étant des films qui font beaucoupd’entrées, comme shrek !!! ou comme Woody Allen, Clint Eastwood, etc…Maintenant est-ce qu’un film de Clint Eastwood ou de Woody Allen, parce qu’il fait beaucoup d’entrées perdson statut de film d’auteur alors que le même univers il y a trente ans du même réalisateurne faisait pas d’entrée parce que l’auteur était balbutiant et pas encore connu… ? ClintEastwood c’est évidemment un film d’auteur, un film Art et Essai même s’il fait des entrées.Ce débat là n’est pas évident, mais à la base l’AFCAE est intéressée pour avoir beaucoupd’adhérents, beaucoup de salles classées parce que plus de représentativité auprès despouvoirs publics…c’est aussi un problème d’organisation et puis l’autre problème est quele film d’auteur « difficile », plus exigent a de plus en plus de mal à trouver un public. Il y abeaucoup de films de qualité mais qui ont du mal à accéder au marché, pour des raisonsà la fois médiatique, d’habitude de consommation des spectateurs, peut-être plus qu’il y avingt ou trente ans. C’est le problème de la curiosité du public, mais c’est aussi là le rôledes salles Art et Essai.

Nous nous sommes encore dans la phase de démarrage mais c’est une desinterrogations et une des choses qu’il va falloir qu’on travaille, c’est comment aider à ce quedes films peu médiatisés marchent mieux que ce qu’ils marcheraient d’eux-mêmes. Et là cesont les moyens de communication et d’information qui sont en cause, c’est la cohérence dela programmation à la base, c’est-à-dire que si le public qui vient ici d’une façon régulière estsatisfait et trouve son intérêt dans les films, on peut se dire qu’il viendra voir un film dont ila moins entendu parlé, sur une relation de confiance. Après il y a les moyens d’information,car le gros problème de ces films est qu’ils arrivent sur le marché avec très très peu demoyens de se faire connaître auprès des spectateurs, parce qu’ils ont très peu de moyenspublicitaires donc il n’y a pas d’affichage, il n’y a pas grand-chose, la presse s’y intéressepeu. La presse cinéphile elle-même est beaucoup plus confidentielle qu’avant. Des revuescomme Studios, Première, font aussi faire leur couverture sur La môme, sur Shreck, qui

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leur permettent de vendre leur titres et ils vont réservés de tout petits espaces à des filmsplus difficiles.

Par exemple, attirer du public sur Molière, ce sont les médias nationaux qui font letravail, c’est la publicité du producteur qui font que les gens ont envie ou pas de venir. Aprèspour La vie des autres, c’est déjà un peu différent, c’est un autre type de films. Nous on afait une avant-première ciblée sur les professeurs d’allemand.

Il y a tout un travail en amont qui permet de toucher un premier public à partit duquelle bouche-à-oreille va se développer. Le bouche-à-oreille, c’est l’autre possibilité de fairemarcher un film. Un film comme Little Miss Sunshine, montre bien comme le bouche-à-oreille peu être vecteur de succès énorme parce que c’est un film qui est sortit avec peude moyens et qui arrive à plus d’un million d’entrées. Après on cherche à trouver d’autresmoyens d’information comme le site internet, et puis il y a toujours la question sous-jacented’éléments papier. Moi j’étais partis sur un journal trimestriel que j’ai arrêté là pour l’instantparce que à la fois c’est difficile d’avoir une information pertinente dedans car c’est tropétalé dans le temps et puis ça s’est avéré être une arme redoutable, un boomerang terriblepuisque certains de mes concurrents se font efforcés de faire pression sur les distributeurspour que je n’ai pas certains des films qui étaient annoncés ! Donc le support n’était paspertinent…

Comment choisissez-vous votre programmation ?C’est un compromis entre ce qu’on aimerait avoir et ce qu’on arrive à avoir parce que

la concurrence est sévère. Il y a deux gros circuits Europa et UGC et puis il y a cinémaqui est très implanté sur ce secteur là qui est le CNP. Donc à la fois les distributeurs ontdes habitudes avec le CNP mais en même temps sont contents que des salles comme leComoedia arrivent car c’est pour eux une possibilité commerciale de plus. Après les circuitsfont pression sur certains films donc c’est pour ça que je dis que c’est un compromis. Cac’est surtout au début, c’est la poule et l’œuf, vous n’avez pas de films vous ne pouvez pasfaire d’entrées, vous ne faites pas d’entrées et donc vous n’avez pas les films…Mais cettechose là elle est déjà un peu derrière nous, après trois mois, globalement ça marche pasmal et donc on arrive à accéder à La vie des autres, au Lynch, au Clint Eastwood. On apassé la phase difficile du début et on va réussir à avoir à peu près les films qu’on veut. Ilpeut toujours arriver qu’il y ait un film qu’on veuille que le distributeur ne veuille pas nousaccorder car il veut le sortir autrement, c’est la liberté du distributeur. Il y a toujours moinsde copies qu’il n’y a de salles. Après il y a un médiateur du cinéma qui est là pour régulerle marché et pour éviter qu’il y ait des abus de position dominante. Et donc moi je peuxfaire appel à ce médiateur si un distributeur me refuse systématiquement les films. Aprèssoit il y a un accord à l’amiable, soit je peux demander au médiateur une injonction et dansce cas le médiateur a le pouvoir d’obliger le distributeur à donner une copie à une salle.C’est un système très important et s’il n’existait pas, je pense qu’il n’y aurait plus de sallesindépendantes dans les grandes villes. Le rapport de force est tel en faveur des circuits telque Europa et UGC, que le distributeur n’est pas en mesure de lutter contre ça. Il y a unemainmise des grands circuits de salles sur la mise en place des films.

Donc la programmation tient compte de tout ça.Êtes-vous parfois obligé d’être moins exigeant dans le choix de votre

programmation pour attirer un public un peu différent ? Je pense notamment à unfilm comme Molière…

Le problème est celui du positionnement, je pense que c’est très important. ConcernantLe Comoedia, il y a à la fois ce dont j’ai envie depuis le début et puis il y a aussi un peu

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de tâtonnement sur les premiers mois. Mais l’idée du positionnement du Comoedia c’estde ne pas être positionné tout à fait comme le CNP, qui est plus un cinéma d’Art et EssaiRecherche, c’est-à-dire qu’il couvre l’Art et Essai grand public mais il va jusqu’au film derecherche assez pointu et historiquement c’est là le positionnement du CNP. Donc nousl’idée c’est de ne pas se positionner tout à fait pareil. On est un poil moins films recherchemais du coup un poil plus sur des films grand public, tout se joue dans la nuance. En plus,historiquement, le public du Comoedia est un peu plus âgé qui est le public qui a connu leComoedia quand il était jeune, qui est un public qui a plaisir à venir, qui est aussi un publicqui n’a pas envie d’aller dans un multiplexe et ce public là est un public nombreux qui adu temps, qui a un pouvoir d’achat et c’est plus ce type de public qu’on vise avec un filmcomme Molière. Ca nous intéresse d’avoir ce public là qui c’est vrai ne va pas venir sur leLynch. Donc nous on part du principe que ce type film peut convenir à un public plus familial,plus âgé. En même temps, après il faut savoir vers quelle limite on va…On aurait pu sortirLa Môme… c’est vrai qu’on aurait pu…

Pourquoi ne pas l’avoir fait alors…C’est pour des raisons un peu compliquées… A la fois dans cette période de

démarrage, moi je n’ai pas forcément envie d’aller vers les films les plus médiatisés, lesplus évidents sur le plan commercial, c’est une façon aussi de positionner le lieu. Et puis làaussi c’est un peu compliqué avec le distributeur…Au début de notre ouverture, il nous avaitdonné son accord sur une copie des Infiltrés en VO et puis il est revenu sur son accord, j’aiconvoqué le médiateur, je l’ai obligé à nous fournir une copie des Infiltrés, donc les relationssont un peu délicates, donc ça aussi ça joue…Je pense que même sans ça je ne serais pasaller chercher ce film. Il y a aussi une question d’opportunité de dates, là évidemment en cemoment il y a le Lynch, La vie des autres… il y a plein de films, on ne manque pas de films.Ca aurait été au mois de juin, il n’y avait aucun film qui correspondait à notre programmationet il y avait La môme à ce moment là, je dis pas que je ne serais pas aller demander Lamôme. Les choix sont aussi relatifs à une période, à une offre possible, à des outils commeici, six salles, mille fauteuils, ça ne peut pas tourner avec que des films confidentiels quepersonne ne vient voir…Donc il faut trouver le bon équilibre économique, et ça ça ne sejoue pas film par film, mais ça se joue dans la durée, il y a au fur et à mesure une ligneéditoriale qui se dégage après coup. A posteriori se dégage une couleur, une tendance, leCNP en a une, l’Astoria en a une autre qui est beaucoup moins lisible parce qu’il passeà la fois des films en VO et aussi les Bronzés 3. Ils sont un peu un complexe fourre-tout,en fonction des opportunités, de leurs retards d’entrées, etc. Ciné Cité a un spectre trèstrès large, bien que depuis environ un an il s’est beaucoup recentré sur la VO, du coup ildésoriente son public. L’année dernière il a perdu cents mille entrées ce qui est énorme àcause de son repositionnement sur une programmation plus VO. Mais ça c’est la stratégieglobale d’UGC qui est une stratégie d’anticipation par rapport au multiplexe qui va être créeau carré de soie, par rapport à celui qui va être crée à Vaise. Au niveau national, UGC faitle choix d’être sur une programmation Art et Essai , plutôt en VO, mais tout en ne se privantpas des films les plus commerciaux. Ils sont sur une programmation généraliste très large,beaucoup plus que Pathé.

Dans quelles mesures le Comoedia s’inscrit-il dans le mouvement art et essai ?Dans un premier temps il y a les films, les venues d’équipes, après il y a tout le travail

en direction des enfants, que ce soit le travail scolaire ou hors scolaire. Au niveau scolaireon a créé tous les dispositifs qui sont « Ecole au cinéma » pour les primaires, « Collège aucinéma », et « Lycéens au cinéma », on a pratiquement des séances tous les matins dansce cadre là. Tout ce travail avec le milieu enseignant pour faire découvrir le cinéma donc ça

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c’est une chose, après il y a toute la programmation enfant hors scolaire, mercredi, samediet dimanche sur des films pas forcément connus, des programmes de courts-métrages, desreprises. Tout ce travail en direction du jeune public est un de nos axes.

Après il y a le travail par rapport au court-métrage, ça c’est quelque chose qu’il va falloirqu’on développe car c’est aussi une forme de cinéma à promouvoir et à faire connaître.On a aussi tout l’aspect « festival », bon pour l’instant on est plus sur l’accueil de festivalsexistants comme « Docs en court » ou le festival Télérama… mais sans doute qu’on vaessayer rapidement d’initier dans l’année un ou deux événements de type festival. Le festivalest aussi intéressant pour attirer l’attention sur des films pas du tout connus. Dans unenvironnement de festival, il y a une espèce de frénésie de venir voir des films, une espècede dynamique liée à ça, donc c’est la bonne occasion pour faire connaître des films moinsfaciles.

René Bonnel dans son livre, le cinéma exploité, constate l’échec du cinéma d’Artet Essai dans son objectif de diffusion au plus grand nombre de films de qualité, qu’enpensez-vous ? Pourquoi cet échec ?

Ca aussi ça recoupe l’idée de positionnement dont je parlais tout à l’heure. Moi j’ail’idée et l’envie d’aller vers un public plus large qu’au CNP, où il y a un côté un peucommunautariste, que je ne critique pas, mais je pense que nous on peut arriver à êtreun peu plus large, un peu plus ouvert au niveau du spectre du public et notamment, parceque c’est l’idée pour moi, de toucher un public cinéphile mais aussi réussir à faire découvrirdes films à un public qui ne serait pas venu spontanément ou qui n’irait pas au CNP. LeCNP touche un public plus cinéphile, plus pointu, nous on est un peu à côté, mais en mêmetemps pour une part on est sur les mêmes films. Il me semble qu’on peut avoir un publicun peu différent, en partie le même mais en partie différent, et ça ça se joue sur le type delieux. Nous on voudrait faire du Comoedia, un lieu où on peut venir pour lire des revuesde cinéma, on peut se documenter sur les films…Une personne qui est un tout petit peucurieuse, on peut peut-être l’aider à aller vers des films qu’elle ne serait pas forcément allervoir d’elle-même. Mais c’est un travail qui se fait dans la durée, dans le détail et à conditionque tous les outils de communication aillent dans ce sens là.

Peut-on, selon vous, concilier art et industrie ?Je pense que oui. De tout temps le cinéma l’a montré. Il y a des films qui sont produits

avec énormément de budget et de moyens et qui sont de très bons films, y compris desfilms Art et Essai. De toute façon ça coûte cher de faire un film.

Êtes-vous optimiste quant à l’avenir du cinéma d’art et d’essai ?Oui sinon je ne me serais pas lancé dans ce truc là, c’est un gros risque, de gros

emprunts, de gros risques financiers…Pour moi c’était un projet global de créer un lieuà la fois d’exploitation et de distribution (Marc Bonny est aussi directeur de la société dedistribution Gbecafilm, spécialisée dans les films pour enfants). Il y a aussi tout le côtérestaurant qui participe à la convivialité du lieu. Le fait de pouvoir boire un coup, de pouvoirmanger un bout, je trouve que ça va assez bien avec la démarche du cinéma d’Art et Essai,d’aller voir un film, souvent à plusieurs, d’en discuter après autour d’un verre…

22 Mars 2007Durée de l’entretien : 45 minutesVous êtes animateur aux Alizés depuis combien de temps ?

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Depuis trois bonnes années, depuis novembre 2003. Je m’occupe essentiellement detout ce qui est événementiel, bien sur de « Drôle d’endroit pour des rencontres », mais ausside toutes les animations que l’on fait mensuellement, le cinéma en plein air, et puis biensur au fil des semaines et des mois je m’occupe du site internet, des relations avec tous lescentres sociaux, de plus en plus avec les scolaires.

Je fais un mémoire sur le cinéma d’Art et Essai. Je travaille sur la définition mêmedu terme Art et Essai, mais aussi sur le lieu même en essayant d’effectuer une étudede la scène lyonnaise.

Il y a quelque chose qui m’a interpellé lorsque j’ai commencé à faire mesrecherches. Je me suis intéressée tout d’abord aux textes, et j’ai remarqué que ladéfinition de l’Art et Essai n’avait pas beaucoup évolué en cinquante ans, je medemandais pourquoi et surtout est-ce que les termes Art et Essai veulent encore direquelque chose aujourd’hui ? Je voulais avoir votre avis là-dessus, que mettez-vousderrière ces termes ?

Ce n’est pas simple. Il me semble que ces termes sont entrés dans le langage communet que du coup on s’interroge moins sur la définition même. Je pense qu’à la base c’estdécouvrir des cinématographies différentes. Je vais essayer de faire simple, je vais évacuerl’Art et Essai en général et dire ce que moi j’en pense.

Ce sont donc des cinématographies différentes ce qui veut dire françaises mais ausside tous les pays du monde. C’est un peu la politique des auteurs, c’est-à-dire des auteursqui, à mon sens, vont essayer de créer des œuvres, qui vont avoir un style.

Ce sont des gens qui ont envie de transmettre, qui ont une volonté artistique, doncquelque chose qui dépasse l’œuvre elle-même. Et puis Art et Essai c’est un peu pour moiessayer de défricher des terres inconnues, donc c’est aussi la place à la recherche. Essai,ça renvoie aussi au cinéma comme économie de prototype. On ne sait jamais avant qu’unfilm sorte s’il va marcher ou pas. C’est toujours un peu un OVNI.

Ce sont des questions qui restent en suspens et qui interrogent beaucoup lesprofessionnels. On parle aussi beaucoup du nombre de films recommandés Artet Essai. Près de 60% des films qui sortent chaque année sont recommandés ArtetEessai, que cela vous inspire-t-il ? N’est-ce pas une dénaturation du genre ?

Moi il ne me semble pas du tout que ce soit une dénaturation du genre après là-dessusil y a beaucoup de choses notamment des enjeux économiques.

Mais est-ce que parce qu’on devient populaire on perd sa qualité d’Art et Essai ? KenLoach, Almodovar connaissent un grand succès, cela reste pourtant des films Art et Essai.Ce sont des auteurs qui ont explosé qui restent de l’Art et Essai, ils viennent aussi grossir lamasse de ces 60%, il n’y a pas que des auteurs inconnus, il y a aussi des gens confirmés.Moi ça ne me choque pas du tout.

Comment effectuez-vous votre programmation aux Alizés ?La programmation est effectuée par Colette Périnet la directrice. Je pense que c’est

d’une part le choix d’une véritable mixité avec une palette très très large de films. On va avoiraussi bien des films commerciaux, populaires que des films Art et Essai plus pointus. On vaprendre l’exemple de cette semaine, on a à la fois Ensemble c’est tout, tiré du bouquin deGavalda, film populaire basique, que Azul, un film espagnol qui joue plus dans la catégorieArt et Essai, qu’un film japonais. Donc voilà, on essaie vraiment de balayer la palette. Lasemaine où on a fait le plus fort, ça doit remonter à un an et demi. On avait à l’affiche Bricede Nice, on peut difficilement faire plus populaire, et juste à côté Sarabande de Bergman, où

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là on est à l’inverse de la palette dans le cinéma plus pointu. Donc voilà c’est aucun mépris.Moi j’aime autant Speede-Man 3, que Téchiné, j’ai pas de problème là-dessus.

Ensuite, le deuxième choix de programmation c’est que chaque catégorie trouve soncompte. On aime qu’il y ait un film pour les lycéens, pour les gens qui aiment le cinémapopulaire, pour ceux qui aiment l’Art et Essai, un film pour le jeune public.

On est aussi un cinéma de proximité donc, on essaie de faire en sorte de quel que soitl’habitant de Bron, il puisse se dire « tient j’ai un film à aller voir au cinéma cette semaine ».C’est un peu la politique de la maison, et puis il ne faut pas se leurrer non plus, ce sontles films populaires qui fonctionnent et qui font des entrées qui nous permettent aussi depasser des films plus pointus.

Concernant le lieu en lui-même, comment Les Alizés s’inscrivent-ils dans lemouvement Art et Essai, quelle est sa politique, l’orientation globale du lieu, saposition sur la scène lyonnaise ?

Le lieu déjà a un historique fort. Avant Les Alizés, il y avait un cinéma qui s’appelaitLe Select, donc il y a une bonne vingtaine d’années de ça. Il risquait d’être fermé pour desraisons diverses, mais un groupe de cinéphiles ont créé une association pour le sauver.Après le cinéma a déménagé, s’est appelé Les Alizés. Et puis il est revenu ensuite ici et puisil y a quatre ans il a été rénové. Donc déjà il y a un historique fort et c’est aussi le contextede l’association. Le cinéma est dirigé à la fois par l’association et par des professionnels,ce sont des gens qui aiment vraiment le cinéma.

Le lieu donc c’est un cinéma totalement inscrit sur le territoire, qui a de fortes relationsavec la mairie. On se veut à la fois un vrai cinéma de proximité, c’est-à-dire que lesBrondillans et les gens des communes environnantes soient satisfaits du service qu’on leurrend. Et puis sur des événements plus particuliers, sur des programmations plus pointuescomme le Ciné-collection où une fois par mois on passe un film de répertoire suivi d’uneintervention, on se rend compte qu’on a un public un peu différent, des gens qui viennent deLyon, des étudiants. Donc le lieu c’est ça, inscrit dans la commune et avec un rayonnementsur l’agglomération et un peu au-delà.

Après, le lieu proprement dit, c’est deux salles, l’une de deux cent quinze places, l’autrede cent trente. C’est un lieu qui a été rénové il y a quatre ans qui est super, très beau, quipossède de superbes conditions d’accueil, de projection, de son… Et puis toujours avecl’idée que les gens s’approprient totalement le lieu, donc il y a une vraie convivialité au seindu cinéma, avec un arrêt de tramway aussi qui s’appelle les Alizés, ce qui n’est pas neutre.

Comment vous situez-vous sur la scène lyonnaise ? Qui sont vos concurrentsdirects ? Comment vous différenciez-vous par rapport au Comoedia, au CNP ?

Par rapport au CNP, je crois qu’on n’est pas tout à fait sur le même registre.Ils ont beaucoup plus de salles que nous, qui sont moins jolies, mais ils en ont plus !

Ils sont plus sur de la recherche et de l’Art et Essai pur jus et beaucoup plus pointu. Ilsont je pense un éventail beaucoup moins large que nous. Pour moi c’est davantage unecomplémentarité qu’une concurrence. Je connais pas mal de nos spectateurs qui vont allervoir des films chez nous et qui pour d’autres films vont aller au CNP, ça n’est absolumentpas gênant.

Avec le Comoedia qui est beaucoup plus récent, qui est sur la même ligne detramway, on n’est pas en opposition avec eux, on continue à faire ce qu’on sait faire, uneprogrammation hyper attractive pour que les gens se sentent bien. On a fidélisé un publicdepuis un paquet d’années donc les gens continuent à venir chez nous. Après en terme de

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concurrence, il y a des choses sur lesquelles on sait pertinemment qu’on ne sera pas dansle coup, par exemple les avant-première et équipe du film, ça c’est systématiquement surun multiplexe parce que rayonnement économique et marketing. On est dans du businesson n’est plus du tout dans l’amour du cinéma.

Après et bien oui, il y a encore trois multiplexes qui vont s’installer dans les deuxprochaines années, Vaise, Confuence et le Carré de soie donc on verra il y aura forcémentune concurrence accrue. On essaie de bien faire ce qu’on sait faire et de se distinguercomme ça.

Votre public vient essentiellement de Bron ou s’est assez varié ?C’est vraiment un public mélangé. Il y a un fort public de Bron ça c’est évident et normal,

mais après il y a toutes les communes environnantes que ce soit Vénissieux, Décines, Saint-

Priest, et puis les arrondissements lyonnais qui sont limitrophes, le 8ème, le 3ème, et même

le 7ème, on le voie parce qu’on envoie un programme mensuel.On a aussi beaucoup de lyonnais, car on est aussi par rapport au multiplexes dans

des états d’esprits différents. L’accueil n’est pas le même, les prix ne sont pas du tous lesmêmes…

Concernant cette concurrence avec les multiplexes, comment vous la contrez ?Il y a beaucoup de choses. Il y a la politique tarifaire, on est beaucoup moins cher. On

essaie vraiment que l’accueil soit différent, on n’est pas des vigils, on est des contrôleurs,des gens plutôt sympas qui accueillent. Il y a tout ce qui concerne la politique d’animation. Onn’est pas dans la même logique, on n’est pas un centre de profit. Le multiplexe est vraimentlà pour gagner du fric, y compris avec le développement de la confiserie qui est une partienon négligeable de leur chiffre d’affaire. La politique d’animation qu’on met en place, aussibien le Ciné-club chinois, Ciné-colletion, des animations sur les questions de société… Onn’est pas dans une logique de profit. C’est aussi une logique d’animation du territoire. Toutce qui est dispositif scolaire : école au cinéma, collèges au cinéma, lycéens au cinéma, c’estdu billet à 2,30 euros, donc on gagne pas d’argent avec ça. Je pense que la différence elleest là, c’est vraiment un état d’esprit, on fait du cinéma pour les mêmes raisons !

Et puis aussi tout bêtement, ça m’arrive souvent de traîner dans le hall et de discutercinéma avec les gens. La rentabilité est une donnée incontournable de notre boulot, mais iln’y a pas que ça. A mon sens c’est ce qui fait toute la différence.

Donc vous ne craignez pas la concurrence des multiplexes ?Elle est là. Ce n’est même pas une histoire de crainte. On fait vraiment ce qu’on peut

avec ce qu’on a et après on regarde. Pour l’instant ça va plutôt bien même s’il y a despériodes de tensions plus difficiles. Je pense que sur le public aujourd’hui on arrive à fairedu bon boulot et à bien s’en sortir. La concurrence elle peut être sur l’accès aux copies.C’est-à-dire qu’il y a un certains nombres de copies pour un certains nombres d’exploitants.Plus on a la copie en sortie nationale plus on bénéficie de toute la presse, de la promotionlors de la sortie et on fait des entrées. Et là si un multiplexes dit je prends trois copies dece film alors qu’il y a en a dix au niveau lyonnais, qui a les autres ? La concurrence ellepeut vraiment être là.

On n’est plus dans une logique d’être contre ou de résister à, on est dans une logiquepositive, qui on est et comment on avance ? Je n’ai pas envie de me positionner par rapportaux multiplexes, ils font leur truc et nous on fait le nôtre. Ca me semblerait presque réducteuren fait.

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La tendance naturelle qui consiste à mettre en opposition les salles de proximités et lesmultiplexes ne doit pas cacher une concurrence plus rude avec les autres loisirs que sontla télévision, l’Internet, ou encore la location et l’achat de DVD.

Il me semble fondamental pour nos salles d’être dans une stratégie de différenciation.Le spectateur fait l’effort de sortir de chez lui, il doit trouver quelque chose de différent deson quotidien, avoir un vrai retour.

René Bonnel dans son livre, le cinéma exploité, constate l’échec du cinéma d’Artet Essai dans son objectif de diffusion au plus grand nombre de films de qualité, qu’enpensez-vous ? Pourquoi cet échec ?

La semaine dernière j’étais au Mac Mahon à Paris, Mac Mahon, les Mac Mahonien,courant de l’Art et Essai, c’est une salle qui a vu Godard, Truffaut, exaltés dans desdiscussions sans fin sur le cinéma. Aujourd’hui on n’est plus dans cette cinéphilie là.Pour autant il me semble que, tout à l’heure je citais Ken Loach, Almodovar, ils ont uneaudience relativement importante donc ça va pas mal. Le travail d’éducation à l’imagepermet quand même aux écoles, aux collégiens de venir voir des œuvres qu’ils ont pasforcément l’habitude de voir, après, l’utopie d’une grande démocratisation, où tout le mondeadorerait aller voir ce type de film, je pense que ça reste une utopie. Oui c’est un échecmais pas seulement au niveau du cinéma, au niveau de la culture en générale. Après cesont des questions encore plus larges. Faut-il que tout le monde aime Almodovar ? Je n’enai aucune idée.

Quand vous programmez des films commerciaux, vous ne considérez pas çacomme contradictoire avec le mouvement Art et Essai ?

Moi ma grande comparaison c’est le vin. Un petit rosé bien frais en été c’est super bonet un bon cru Bordeaux avec un super repas c’est super bon aussi ! Et on n’a pas tout lesjours envie de boire un petit rosé, on n’a pas tous les jours non plus envie de boire un grandBordeaux. Pour moi c’est pas exclusif. Moi je suis venu au cinéma au départ avec mesparents, une fois pas an et voir Les Charlot en vadrouille, c’était le degré zéro. Et puis toutdoucement je suis venu au reste. Je peux aller voir une semaine un bon film d’actions etla suivante un film du kazackstan sous-titré en tchétchène quoi ! Au contraire les chapellesça me gènent toujours.

On a l’impression que la tendance du cinéma d’Art et Essai c’est d’aller de plusen plus vers cette mixité des genres…

Et des publics aussi. Les publics différents se côtoient. Le fait d’avoir uneprogrammation ouverte comme ça, ça permettra peut-être qu’un jour le gamin qui va voirEnsemble c’est tout, il ira voir un film un peu plus pointu. On permet au moins les passerelles,après les gens les prennent ou pas. Moi je n’aime pas l’exclusif. Le boulot d’exploitant c’estaussi celui de passeur.

Questionnaire Art et Essai 2007

« L’Art et Essai au rapport », par Marc Weitzman, 21 février 1990A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institutd'Etudes Politiques de Lyon

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Annexes

MARTIN Coralie_2007 77

Le Bulletin de l’AFCAE, 29 juin 2001, « Réforme de l’Art et Essai »A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institutd'Etudes Politiques de Lyon