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LE CHÂTEAU DES CARPATHES

Cette histoire n’est pas fantastique, elle n’est queromanesque. Faut-il en conclure qu’elle ne soit pasvraie, étant donné son invraisemblance ? Ce seraitune erreur. Nous sommes d’un temps où tout arrive,– on a presque le droit de dire où tout est arrivé. Sinotre récit n’est point vraisemblable aujourd’hui,il peut l’être demain, grâce aux ressources scienti-fiques qui sont le lot de l’avenir, et personne ne s’avi -serait de le mettre au rang des légendes. D’ailleurs, ilne se crée plus de légendes au déclin de ce pratiqueet positif XIXe siècle, ni en Bretagne, la contrée desfarouches korrigans, ni en Ecosse, la terre des brow-

nies et des gnomes, ni en Norvège, la patrie des ases,des elfes, des sylphes et des Walkyries, ni même enTransylvanie, où le cadre des Carpathes se prête sinaturellement à toutes les évocations psychago-giques. Cependant il convient de noter que le paystransylvain est encore très attaché aux superstitionsdes premiers âges.

(Extrait)

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LE CHÂTEAU DES CARPATHES

Le titre l’indique dès l’abord : Le Château des Carpathes exploite“l’épouvante épidémique” attachée à cette région de la Transylvanie quel’imaginaire collectif peuple de vampires et de loups-garous.

Les habitants du village de Werst s’inquiètent d’apercevoir, au moyend’une lunette, une fumée au faîte du donjon du château que chacun saitabandonné depuis bien longtemps. Poussés par la curiosité et par le désirimpérieux d’éclaircir ce mystère, Nic Deck et le docteur Patak décident dese mettre en route pour le château. Aussitôt une “voix surnaturelle” retentit,les sommant de renoncer à leur entreprise, faute de quoi il leur arriveramalheur… Une fois passée l’épouvante, ils s’enfoncent dans la forêt etatteignent le plateau d’Orgall…

Deux voyageurs, le comte Franz de Télek et son soldat Rotzko, depassage à Werst, intrigués par le récit qu’on leur fait, reprennent lesinvestigations. Parvenu au pied du château, Franz est alors frappé de stu-peur : un spectre apparaît, celui de la Stilla, la cantatrice dont il étaitéperdument amoureux et qu’il avait vue tomber morte sur la scène duthéâtre San Carlo de Naples, cinq ans auparavant ! Persuadé que la Stillaest vivante et qu’elle est prisonnière au château des Carpathes, il pénètredans l’enceinte du burg et colle son oreille contre la porte de la cryptederrière laquelle retentit la voix de la Stilla !

Fidèle à son goût des découvertes scientifiques de son temps, JulesVerne sollicite ici les sortilèges qui les entourent et ne livre la clé dumystère que dans les dernières pages du roman…

JULES VERNE

Jules Verne est né à Nantes le 8 février 1828. A l’âge de onze ans, ilachète l’engagement d’un mousse et s’embarque sur un long-courrier enpartance pour les Indes. Son père le rattrape à Paimbœuf. Il entreprenddes études de droit, qu’il délaisse ensuite pour les lettres.

C’est avec Les Pailles rompues, une comédie, qu’il débute sa carrièrelittéraire. Il mène une vie de grand voyageur, de l’Angleterre à la Norvège.

En 1862 paraît son premier roman, Cinq Semaines en ballon, qui créeun genre nouveau où se mêlent l’imaginaire scientifique et les descriptionsgéographiques. Viendront ensuite Voyage au centre de la Terre, De la Terre

à la Lune, Le Tour du monde en quatre-vingts jours, Vingt Mille Lieues

sous les mers… Le Château des Carpathes sera publié en 1892.En 1872, il s’installe à Amiens où il sera élu au conseil municipal.

C’est là qu’il meurt le 24 mars 1905.

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ÉLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

Cinq Semaines en ballon

Voyage au centre de la Terre

De la Terre à la Lune

Le Docteur Ox

Les Enfants du capitaine Grant

Vingt Mille Lieues sous les mers

Le Tour du monde en quatre-vingts jours

L’Ile mystérieuse

Michel Strogoff

Les Indes noires

Un capitaine de quinze ans

Les Tribulations d’un Chinois en Chine

Les Cinq Cents Millions de la Bégum

Le Rayon vert

Voyage à travers l’impossible

Mathias Sandorf

Maître du monde

Le Sphinx des glaces

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LE CHÂTEAU DES CARPATHES

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Collection dirigée par Sabine Wespieser et Hubert Nyssen

© ACTES SUD, 1997pour la présente édition

ISBN 2-7427-1449-9

Illustration de couverture :Victor Hugo, Silhouette de château illuminé par un orage (détail), 1850

Legs de Victor Hugo à la Bibliothèque nationale

978-2-330-08266-6

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JULES VERNE

LE CHÂTEAUDES CARPATHES

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LES FANTASTIQUES

Guy de Maupassant, Les Horlas, n° 165.Bram Stoker, La Dame au linceul, n° 181.Sheridan Le Fanu, Carmilla, n° 206.Matthew G. Lewis, Le Moine, n° 214.Polidori, Le Vampire, n° 228.Théophile Gautier, Les Mortes amoureuses, n° 242.Robert Louis Stevenson, L’Etrange Affaire du Dr Jekyll

et de Mr Hyde, n° 263.Bram Stoker, Dracula, n° 268.

Série dirigée par Alain Chareyre-Méjanet Guillaume Pigeard de Gurbert

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I

Cette histoire n’est pas fantastique, elle n’est queromanesque. Faut-il en conclure qu’elle ne soit pasvraie, étant donné son invraisemblance ? Ce seraitune erreur. Nous sommes d’un temps où tout arrive,– on a presque le droit de dire où tout est arrivé. Sinotre récit n’est point vraisemblable aujourd’hui, ilpeut l’être demain, grâce aux ressources scienti-fiques qui sont le lot de l’avenir, et personne ne s’avi -serait de le mettre au rang des légendes. D’ailleurs,il ne se crée plus de légendes au déclin de ce pra-tique et positif XIXe siècle, ni en Bretagne, la contréedes farouches korrigans, ni en Ecosse, la terre desbrownies et des gnomes, ni en Norvège, la patrie desases, des elfes, des sylphes et des walkyries, ni mêmeen Transylvanie, où le cadre des Carpathes se prêtesi naturellement à toutes les évocations psychago-giques. Cependant il convient de noter que le paystransylvain est encore très attaché aux superstitionsdes premiers âges.

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Ces provinces de l’extrême Europe, M. de Gérandoles a décrites, Elisée Reclus les a visitées. Tous deuxn’ont rien dit de la curieuse histoire sur laquellerepose ce roman. En ont-ils eu connaissance ? peut-être, mais ils n’auront point voulu y ajouter foi.C’est regrettable, car ils l’eussent racontée, l’un avecla précision d’un annaliste, l’autre avec cette poésieinstinctive dont sont empreintes ses relations devoyage.

Puisque ni l’un ni l’autre ne l’ont fait, je vaisessayer de le faire pour eux.

Le 29 mai de cette année-là, un berger surveillaitson troupeau à la lisière d’un plateau verdoyant, aupied du Retyezat, qui domine une vallée fertile, boiséed’arbres à tiges droites, enrichie de belles cultures.Ce plateau élevé, découvert, sans abri, les galernes,qui sont les vents de nord-ouest, le rasent pendantl’hiver comme avec un rasoir de barbier. On ditalors, dans le pays, qu’il se fait la barbe – et parfoisde très près.

Ce berger n’avait rien d’arcadien dans son accou-trement, ni de bucolique dans son attitude. Ce n’étaitpas Daphnis, Amyntas, Tityre, Lycidas ou Mélibée.Le Lignon ne murmurait point à ses pieds ensabotésde gros socques de bois : c’était la Sil valaque, dontles eaux fraîches et pastorales eussent été dignes decouler à travers les méandres du roman de l’Astrée.

Frik, Frik du village de Werst ainsi se nommaitce rustique pâtour, aussi mal tenu de sa personneque ses bêtes, bon à loger dans cette sordide crapau-dière, bâtie à l’entrée du village, où ses moutons

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et ses porcs vivaient dans une révoltante pouacre -rie –, seul mot, emprunté de la vieille langue, quiconvienne aux pouilleuses bergeries du comitat.

L’immanum pecus paissait donc sous la conduitedudit Frik – immanior ipse. Couché sur un tertrematelassé d’herbe, il dormait d’un œil, veillant del’autre, sa grosse pipe à la bouche, parfois sifflantses chiens, lorsque quelque brebis s’éloignait dupâturage, ou donnant un coup de bouquin que réper-cutaient les échos multiples de la montagne.

Il était quatre heures après midi. Le soleil com-mençait à décliner. Quelques sommets, dont les basesse noyaient d’une brume flottante, s’éclairaient dansl’est. Vers le sud-ouest, deux brisures de la chaînelaissaient passer un oblique faisceau de rayons,comme un jet lumineux qui filtre par une porteentrouverte.

Ce système orographique appartenait à la por-tion la plus sauvage de la Transylvanie, comprisesous la dénomination de comitat de Klausenburgou Kolosvar.

Curieux fragment de l’empire d’Autriche, cetteTransylvanie, “l’Erdely” en magyar, c’est-à-dire “lepays des forêts”. Elle est limitée par la Hongrie aunord, la Valachie au sud, la Moldavie à l’ouest. Eten -due sur soixante mille kilomètres carrés, soit sixmillions d’hectares – à peu près le neuvième de laFrance –, c’est une sorte de Suisse, mais de moitiéplus vaste que le domaine helvétique, sans être pluspeuplée. Avec ses plateaux livrés à la culture, sesluxuriants pâturages, ses vallées capricieusement

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dessinées, ses cimes sourcilleuses, la Transylvanie,zébrée par les ramifications d’origine plutoniquedes Carpathes, est sillonnée de nombreux coursd’eau qui vont grossir le Theiss et ce superbeDanube, dont les Portes de Fer, à quelques milles ausud*, ferment le défilé de la chaîne des Balkans surla frontière de la Hongrie et de l’Empire ottoman.

Tel est cet ancien pays des Daces, conquis parTrajan au premier siècle de l’ère chrétienne. L’indé-pendance dont il jouissait sous Jean Zapoly et sessuccesseurs jusqu’en 1699 prit fin avec Léopold Ier,qui l’annexa à l’Autriche. Mais, quelle qu’ait été saconstitution politique, il est resté le commun habitatde diverses races qui s’y coudoient sans se fusion-ner, les Valaques ou Roumains, les Hongrois, lesTsiganes, les Szeklers d’origine moldave, et aussiles Saxons que le temps et les circonstances finirontpar “magyariser” au profit de l’unité transylvaine.

A quel type se raccordait le berger Frik ? Etait-ceun descendant dégénéré des anciens Daces ? Il eûtété malaisé de se prononcer, à voir sa chevelure endésordre, sa face mâchurée, sa barbe en broussailles,ses sourcils épais comme deux brosses à crins rou-geâtres, ses yeux pers, entre le vert et le bleu, et dontle larmier humide était circonscrit du cercle sénile.C’est qu’il est âgé de soixante-cinq ans – il y a lieude le croire du moins. Mais il est grand, sec, droitsous son sayon jaunâtre moins poilu que sa poitrine,et un peintre ne dédaignerait pas d’en saisir la

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* Le mille hongrois vaut environ 7 500 mètres.

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silhouette, lorsque, coiffé d’un chapeau de sparterie,vrai bouchon de paille, il s’accote sur son bâton àbec-de-corbin, aussi immobile qu’un roc.

Au moment où les rayons pénétraient à travers labrisure de l’ouest, Frik se retourna ; puis, de sa mainà demi fermée, il se fit un porte-vue – comme il eneût fait un porte-voix pour être entendu au loin –, etil regarda très attentivement.

Dans l’éclaircie de l’horizon, à un bon mille,mais très amoindri par l’éloignement, se profilaientles formes d’un burg. Cet antique château occupait,sur une croupe isolée du col de Vulkan, la partiesupérieure d’un plateau appelé le plateau d’Orgall.Sous le jeu d’une éclatante lumière, son relief sedétachait crûment, avec cette netteté que présententles vues stéréoscopiques. Néanmoins, il fallait quel’œil du pâtour fût doué d’une grande puissance devision pour distinguer quelque détail de cette masselointaine.

Soudain le voilà qui s’écrie en hochant la tête :“Vieux burg !… Vieux burg !… Tu as beau te

carrer sur ta base !… Encore trois ans, et tu aurascessé d’exister, puisque ton hêtre n’a plus que troisbranches !”

Ce hêtre, planté à l’extrémité de l’un des bastionsdu burg, s’appliquait en noir sur le fond du cielcomme une fine découpure de papier, et c’est à peines’il eût été visible pour tout autre que Frik à cettedistance. Quant à l’explication de ces paroles duberger, qui étaient provoquées par une légende rela-tive au château, elle sera donnée en son temps.

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“Oui ! répéta-t-il, trois branches… Il y en avaitquatre hier, mais la quatrième est tombée cette nuit…Il n’en reste que le moignon… Je n’en compte plusque trois à l’enfourchure… Plus que trois, vieuxburg… plus que trois !”

Lorsqu’on prend un berger par son côté idéal,l’imagination en fait volontiers un être rêveur etcontemplatif ; il s’entretient avec les planètes ; ilconfère avec les étoiles ; il lit dans le ciel. Au vrai,c’est généralement une brute ignorante et bouchée.Pourtant la crédulité publique lui attribue aisémentle don du surnaturel ; il possède des maléfices ; sui-vant son humeur, il conjure les sorts ou les jette auxgens et aux bêtes – ce qui est tout un dans ce cas ; ilvend des poudres sympathiques ; on lui achète desphiltres et des formules. Ne va-t-il pas jusqu’àrendre les sillons stériles, en y lançant des pierresenchantées, et les brebis infécondes rien qu’en lesregardant de l’œil gauche ? Ces superstitions sontde tous les temps et de tous les pays. Même aumilieu des campagnes plus civilisées, on ne passepas devant un berger sans lui adresser quelqueparole amicale, quelque bonjour significatif, en lesaluant du nom de “pasteur” auquel il tient. Un coupde chapeau, cela permet d’échapper aux malignesinfluences, et sur les chemins de la Transylvanie, onne s’y épargne pas plus qu’ailleurs.

Frik était regardé comme un sorcier, un évocateurd’apparitions fantastiques. A entendre celui-ci, lesvampires et les striges lui obéissaient ; à en croirecelui-là, on le rencontrait, au déclin de la lune, par les

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