Le Christianisme Et Le Problème Du Mal NRT 113-6 (1991) p.824-838 Michel Fédou

download Le Christianisme Et Le Problème Du Mal NRT 113-6 (1991) p.824-838 Michel Fédou

of 15

Transcript of Le Christianisme Et Le Problème Du Mal NRT 113-6 (1991) p.824-838 Michel Fédou

  • Le christianisme et le problme du mal

    Dans un roman fameux, Albert Camus voque le flau de lapeste qui s'abat tragiquement sur la ville d'Oran. Alors que la mala-die fait rage, un prtre monte en chaire pour clairer les fidlessur le sens de la catastrophe: Mes frres, vous tes dans le mal-heur, mes frres, vous l'avez mrit... Dieu qui pendant si long-temps a pench sur les hommes de cette ville son visage de piti,lass d'attendre, du dans son ternel espoir, vient de dtournerson regard. Privs de la lumire de Dieu, nous voici pour long-temps dans les tnbres de la peste! Plus tard, le prdicateur est son tour gagn par un mal mystrieux; son cas est peru commedouteux: C'tait la peste et ce n'tait pas elle1.

    Un tel doute n'avait-il pas valeur de symbole? En prsentantla peste comme le juste chtiment du pch, le prdicateur n'avaitpu pleinement rendre compte de la catastrophe en cause; ou s'ilavait prtendu expliquer ce drame, c'est peut-tre qu'il n'en avaitpas prouv toute l'horreur. Son attitude paraissait donc ambigu. est vrai qu'elle entendait rendre justice Dieu; mais tait-ce ren-dre justice Dieu que de lui imputer la responsabilit d'un chti-ment aussi redoutable?

    Le christianisme contemporain ne peut videmment se satisfairede la position que Camus attribuait au personnage de son roman.Cette position invite plutt percevoir, a contrario, la requte essen-tielle d'une rflexion thologique sur le problme du mal: commentaborder ce problme de faon crdible, c'est--dire d'une manirequi ne revienne pas nier ni mme relativiser les drames dumonde et les tragdies de l'histoire?

    La question est d'une extrme difficult. D'abord parce que leconcept de mal est utilis dans des situations trs diffrentes fautes individuelles, actes de guerre, maladies, tremblements de terre...Ensuite parce que le problme du mal est envisag, l'intrieurmme du christianisme, selon des voies assez diverses: il est au

    1. A. CAMUS, La. Peste, Paris, Gallimard, 1947, p. 111 s. et 256. Le prsentarticle est la reprise d'une confrence qui a t donne en janvier 1991 au centredes Fontaines (Chantilly, France), fors d'une session sur le mal et la fautedans les diffrentes cultures.

  • LE CHRISTIANISME ET LE PROBLME DU MAL 825

    moins courant de distinguer la tradition occidentale, marque parun sens aigu du pch, et la tradition orientale qui, sans ignorerle mal, le situe plutt par rapport la perspective centrale d'unedivinisation de l'homme. Mais la difficult tient surtout la chosemme dont il s'agit: qu'est-ce que le mal, et comment la thologiechrtienne peut-elle aujourd'hui en traiter?

    Le sujet exige pour une part que nous retrouvions les principalesinsistances de la tradition ancienne et que nous en percevions lesenjeux: ainsi tudierons-nous l'opposition du christianisme au gnos-ticisme et au manichisme (I), la dfinition du mal dans son lienavec la libert (n) et la conception augustinienne du pch originel(ffl). Mais nous devrons nous demander si les approches prcden-tes permettent d' expliquer toutes les formes de mal; qu'en est-il,en particulier, des catastrophes dites naturelles (IV)? Nous prci-serons enfin l'clairage spcifique que le mystre chrtien projettesur l'nigme du mal et qui, sans rsoudre cette nigme, rponddu moins aux exigences contemporaines d'une rflexion sur le tragi-que (V).

    I. L'opposition au gnosticisme et au manichisme

    On ne saurait trop souligner l'importance qu'a revtue, sur lesujet qui nous retient, le dbat de l'Eglise ancienne avec le gnosti-cisme et le manichisme.

    Ceux-ci se prsentaient en effet, fondamentalement, comme unetentative de rponse au problme du mal. Ainsi les gnostiquesconsidraient-ils que Dieu, en raison mme de sa perfection, n'avaitpu crer une matire selon eux mauvaise; ils attribuaient celle-ci l'intervention d'un dmiurge, infrieur au Dieu suprme, etexpliquaient de la sorte l'imperfection du monde et la ralit dumal. Certains d'entre eux en venaient une distinction trancheentre le monde des esprits et celui de la matire. Mais c'est lemanichisme qui, partir du IIIe sicle, allait pousser ce dualismejusqu' ses consquences les plus extrmes et en faire l'lment essentield'une nouvelle religion. Pour Mani, son fondateur, il existe de touteternit deux principes ou plutt deux royaumes radicalement op-poss: celui de la Lumire (o rgne le Dieu suprme) et celuides Tnbres (d'o est sorti Satan); le monde est compos d'unematire mixte, et l'humanit est en proie au conflit des deux princi-pes adverses.

  • 826 M. FDOU, S.J.

    Or c'est dans une large mesure par raction au gnosticisme etau manichisme que s'est dveloppe, aux premiers sicles, la rflexionchrtienne sur le problme du mal. Cette rflexion tient avant toutdans les deux propositions suivantes: d'une part, il n'y a pas unesubstance du mal qui s'opposerait la substance du bien; d'autrepart, l'existence du mal ne saurait tre attribue Dieu.

    La premire proposition s'claire d'abord par une rflexion philo-sophique sur l'tre de Dieu: dire qu'il existerait de toute ternitune substance du mal, ce serait mconnatre la vraie nature de Dieu.Une telle considration est elle-mme soutenue, chez les auteurschrtiens des premiers sicles, par l'enseignement biblique sur lacration. L'criture empche en effet de se reprsenter une matirequi prexisterait l'origine du monde, ou mme une matire quise constituerait paralllement cette cration. Au commencementDieu cra le ciel et la terre (Gn 1, l): il n'y a pas de matireantrieure au ciel et la terre que Dieu a crs, et l'on ne peutdonc a fortiori imaginer une ralit du mal qui serait ds l'origineconcurrente du Bien. Tel est le sens de la formule fameuse surla cration ex nihilo.

    Faut-il dire alors que l'existence du mal puisque malgr toutil existe doit tre attribue Dieu? C'est ici qu'intervient laseconde proposition, trs souvent formule par les Pres des pre-miers sicles: Dieu n'est pas l'auteur du mal. Ainsi Basile de Csa-re crit-il au IVe sicle: On ne saurait dire sans impit que lemal ait son origine en Dieu, parce que rien de contraire ne vientde son contraire. Ni la vie, en effet, n'engendre la mort; ni lestnbres ne sont une source de lumire; ni la maladie, une causede sant; mais, tandis que les dispositions changent en passant ducontraire son contraire, dans les gnrations chaque tre procdenon de son contraire, mais de son semblable2.

    On peroit sans peine le lien entre les deux thses qui sont ainsiopposes aux gnostiques et aux manichens. En effet, reruser lasubstantialit du mal, c'est reconnatre qu'il ne vient pas de Dieu(puisque toute substance n'est substance que par Dieu); inverse-ment, si l'on tient que Dieu n'est pas l'auteur du mal, on admetdu mme coup que le mal n'a pas de substance propre (car seulce qui vient de Dieu est dot d'une telle substance).

    2. Homlies sur l'hexamron, H, trad. S. GffiT, coll. SC 26, Paris, Cerf, 1949,p. 159.

  • LE CHRISTIANISME ET LE PROBLME DU MAL 827

    La confrontation du christianisme avec les gnoses dualistes et avecla doctrine manichenne lui a donc permis d'noncer trs tt desconvictions majeures. Ces convictions ne valaient pas seulementdans le contexte historique des premiers sicles; elles valaient aussiface aux rsurgences du dualisme des poques ultrieures (au MoyenAge, par exemple, sous la forme de la doctrine cathare). Le renou-veau mme des gnoses dualistes en notre temps devrait tre l'occa-sion de retrouver l'enjeu fondamental de l'argumentation contrele manichisme. Certes, le christianisme ne doit pas ignorer quetelle ou telle de ces gnoses, aujourd'hui comme hier, entend rpon-dre un problme minemment rel; mais pas plus qu'hier il nesaurait admettre une rponse qui consisterait riger le mal ensubstance concurrente du bien ou considrer qu'il a sa sourcedans la divinit mme.

    Il ne peut toutefois s'en tenir l. Car mme si l'on juge quele mal n'est pas une substance au mme titre que le bien, il resteque le mal existe dans le monde avec son visage d'nigme et detnbre. La critique du gnosticisme et du manichisme a montrque l'origine du mal ne devait pas tre mise du ct d'une matireternellement vicie, pas plus qu'elle ne devait tre attribue Dieu;d'o vient pourtant que ce mal se manifeste rellement dans lecosmos et dans l'histoire?

    La tradition chrtienne a fait face une telle question en souli-gnant le rapport du mal avec la libert.

    II. Le mal et la libert

    Ce rapport peut tre ainsi prcis. Si Dieu n'est pas l'auteur dumal et que le mal n'existe pas depuis toujours, on doit comprendreque le commencement de ce mal n'tait pas une fatalit (car s'iltait une fatalit, il aurait t impliqu par l'acte mme de la cra-tion, ce qui conduirait de nouveau l'imputer Dieu). Le malest donc apparu comme le fait d'une volont libre qui s'est dtour-ne du bien. Le raisonnement s'impose du point de vue philosophi-que, si du moins l'on admet au dpart que toutes choses ne subsis-tent que par Dieu et que Dieu, radicalement bon, n'a pu vouloirle mal. Il se fonde en outre sur une lecture des premiers chapitresde la Gense : la Bible ne commence pas avec le pch, mais avecla cration et la cration est bonne; c'est seulement dans undeuxime temps que le pch surgit, au moment o la femme et

  • 828 M. FDOU, S.J.

    l'homme abusent de leur libert en transgressant l'interdit initialet, par l, permettent au mal de s'introduire dans le monde deshumains.

    Cette perspective est inlassablement dveloppe par saint Augus-tin dans son ardent combat contre les manichens: le mal n'estpas substance, mais accident d'une substance; il est privation debien, dtournement de Dieu, et ce dtournement n'a d'autre origineque la volont libre pleinement libre, c'est--dire sans autre causequ'elle-mme3. A la source du mal il y a donc le pch, qui estperversion de la crature. On remarquera qu'une telle conceptionne s'oppose pas seulement la doctrine manichenne d'une matireternellement mauvaise, mais aussi toute tentation d'imputer Dieu l'origine du mal. Elle a donc par l mme valeur dethodice4: dire que le mal vient de la volont pcheresse, c'estreconnatre que Dieu, radicalement bon, ne saurait tre compromisdans la gense du mal. C'est lui rendre justice malgr l'existencedu mal, ou au-del du mal qui existe5. Il faut en outre reconnatrel'enjeu d'une telle approche pour l'existence humaine: en souli-gnant le rapport du mal la responsabilit, elle pose que les hom-mes ne sont pas soumis un destin inexorable; ceux-ci sont bienplutt exhorts faire tout ce qui est en leur pouvoir pour l'avne-ment du bien.

    Mais la question surgit: pour dfendre Dieu et lui rendre justicemalgr l'existence du mal, ne sera-t-on pas conduit faire pesersur l'homme une crasante responsabilit? La thodice n'aura-t-ellepas pour prix une tragique insistance sur la perversion de la volonthumaine? La tradition chrtienne fait droit cette question en tenantque l'homme, bien que responsable, est d'une certaine manire dpasspar les forces du mal. Elle invoque ici le rcit de Gn 3, qui neparle pas seulement d'Eve et d'Adam, mais fait aussi intervenir

    3. Cf. La Cit de Dieu, Xu, Vl-vm, coll. Bibliothque augustinienne, 35, Paris,DDE, 1959, p. 163-175.

    4. On sait que le mot thodice a t utilis pour la premire fois parLeibniz. En l'employant dans cet article, nous dsignerons toute tentative pourrendre justice a Dieu malgr l'existence du mal aussi bien dans le passqu' l'poque moderne.

    5. Prcisons ds maintenant que l'expression pch originel, dont il serabientt question, ne contredit pas une telle perspective. Cette expression, critP. BEAUCHAMP, a pu donner penser que le pch occupait la place de l'ori-gine, alors qu'en ralit l'homme est cre bon et juste. Mais elle sert exprimerque c'est exactement sur la relation de l'homme son origine qu'il prend place,d'o son caractre transmissible [L'un et l'autre Testament. 2. Accomplir les Ecri-tures, Paris, Seuil, 1990, p. 144, n. 24).

  • LE CHRISTIANISME ET LE PROBLME DU MAL 829

    la figure mystrieuse du serpent tentateur; elle rappelle que la Biblementionne le rle des dmons, parle de Lucifer ou Satan, dcritdans Y Apocalypse l'image terrifiante du dragon. Certes, trops'arrter sur cette diabolique srie on court le risque de se rappro-cher dangereusement des antithses manichennes entre le Bien etle Mal (au prix d'ailleurs d'un contresens, puisque, si puissant quesoit Lucifer ou Satan, il n'est jamais prsent dans la Bible commeun Dieu concurrent mais comme une crature dchue). L'vocationde cette srie est pourtant d'une grande porte, dans la perspectivemme d'une rflexion sur la responsabilit humaine. Car, sans niercette responsabilit, elle empche d'accabler l'homme seul du poidscrasant de l'origine du mal. La thodice n'a pas pour prix lapure et simple condamnation de l'homme, car l'homme lui-mmefait l'exprience d'tre tent par un autre que lui6. La rfrenceau diabolique attire au moins l'attention sur le caractre nigmati-que et mystrieux du mal. Elle ne contredit pas la doctrine d'unlien entre le mal et la libert, mais elle atteste plutt la profondeurde ce lien: si d'une part on entend lier le mal la responsabilit,si l'on peroit d'autre part que tout le mal existant dans le mondene peut tre simplement imput la volont pcheresse des treshumains, il faut bien penser une dimension suprahumaine de cettevolont pcheresse sauf retomber dans le mythe manichend'un principe du mal qui serait l'uvre de toute ternit.

    III. - Le pch originel

    reste que, selon la tradition chrtienne, l'homme est directe-ment impliqu dans l'existence du mal. C'est ici qu'intervient lafameuse doctrine du pch originel, sous la forme que lui a donnesaint Augustin. Celui-ci ne s'est pas seulement oppos aux mani-chens qui rigeaient le mal en principe substantiel, il s'est parla suite oppos Pelage qui, aux antipodes du manichisme, souli-gnait le pouvoir de la libert humaine selon lui capable d'chapperau pch. Le dbat portait notamment sur l'interprtation de Rm5, 12: de mme que par un seul homme le pch est entr dansle monde, et par le pch la mort, et qu'ainsi la mort a passen tous les hommes, du fait que tous ont pch... Cette phrase

    6. Aussi bien IRNE semblait-il attnuer, pour cette raison mme, la respon-sabilit et le chtiment d'Adam; cf. Contre les hrsies, III, 23, 3, coll. SC 211,Paris, Cerf, 1974, p. 451-455.

  • 830 M. TDOU, S.J.

    ne signifiait pas pour Pelage que tous les hommes pchaient enAdam, mais qu'ils pchaient comme Adam ou l'imitationd'Adam: en d'autres termes elle n'impliquait pas une participationuniverselle au pch d'Adam, et il fallait en ralit tenir que touttre humain avait le pouvoir de ne pas pcher. Or Augustin, ragis-sant contre les excs de Pelage, mais suivant aussi la ligne profondede sa pense et plus encore de son exprience7, dveloppe l'ided'une faute hrite, antrieure toute faute personnelle et remon-tant au premier homme, fl comprend que tous ont pch en Adam,que tous sont ds leur naissance marqus par la transgression origi-nelle. Dans sa doctrine se nouent, de plus en plus, la notion biologi-que d'une faute transmise par gnration et la notion juridiqued'une culpabilit qui mrite condamnation8.

    est devenu aujourd'hui courant de souligner les difficults d'unetelle approche. Elles ne portent pas seulement sur l'interprtationtextuelle de Rm 5, 129. Elles viennent plus radicalement de cequ'Augustin est conduit, par sa doctrine mme du pch originel, des reprsentations qui seront parfois lourdes de consquencespour l'histoire ultrieure du christianisme occidental voire del'Occident tout court. Certaines formules laissent craindre que lathodice n'ait pour corollaire l'inculpation en masse du genrehumain. En outre, l'ide d'une transmission biologique du pchoriginel risque d'induire un lien troit entre sexualit et souillure,et de favoriser les tourments lis la conscience malheureuse d'uneculpabilit hrite10.

    Mais il ne faudrait pas que ces objections occultent la vrit essen-tielle qui se dit dans la doctrine augustinienne du pch originel.De fait, le mal n'est jamais rductible aux actions mauvaises queje peux vouloir ou commettre ici et maintenant, non seulement

    7. Rappelons que le problme du mal occupe une place majeure dans l'itin-raire des Confessions.

    8. Cf. P. RICOEUR, Le 'pch originel': tude de signification, dans Le con-flit des interprtations. Essais d'hermneutique, Paris, Seuil, 1969, p. 274.

    9. L'expression grecque eph'h pontes hmarton tait traduite, dans le latin dela Vulgate, par les mots in quo omnes peccaverunt: (Adam) en qui tous leshommes ont pch. Or nous comprenons aujourd'hui: du fait que tous ontpch (Bible de Jrusalem), ou parce que tous ont pch (705). De plus,chez saint Paul dj, la formule un seul homme dsignait moins un individude l'histoire passe que l' anti-type du nouvel Adam. G. MARTELET a particu-lirement soulign le point de dpart christologique de la doctrine paulinienneen Rm 5; voir Libre rponse un scandale. La faute originelle, la souffrance etla mort, Paris, Cerf, 1986.

    10. Cf. P. RICOEUR, Le conflit..., cit n. 8, p. 276.

  • LE CHRISTIANISME ET LE PROBLME DU MAL 831

    parce que d'autres hommes accomplissent galement le mal, ni mmeseulement parce que ce mal en vient informer et dterminer desinstitutions ou des structures (on parle aujourd'hui de structuresde pch), mais parce qu'il atteint mystrieusement ma relationmme l'origine. Une fois dlivre de ses ambiguts et de sesdviations, la doctrine d'Augustin apparat comme parfaitement coh-rente avec le rcit de la chute au dbut de la Gense : elle revient dire, tout la fois, que le mal est imputable la volont etnon pas la nature, et que cette volont pcheresse n'est pas seule-ment la ntre mais celle de tous les hommes qui nous ont prcds,parce qu'elle affecte le rapport de tout homme son Crateur.Paul Ricur a remarquablement dcrit cette porte du mythe ada-mique, dont la doctrine du pch originel est pour ainsi dire latranscription conceptuelle: le mythe adamique rvle... cet aspectmystrieux du mal, savoir que si chacun de nous le commence,l'inaugure ce que Pelage a bien vu , chacun de nous aussi letrouve, le trouve dj l, en lui, hors de lui, avant lui; pour touteconscience qui s'veille la prise de responsabilit, le mal est djl; en reportant sur un anctre lointain l'origine du mal, le mythedcouvre la situation de tout homme: cela a dj eu lieu; je necommence pas le mal; je le continue; je suis impliqu dans le mal;le mal a un pass; il est son pass; il est sa propre tradition11.

    Mais une nouvelle question se pose alors: comment la doctrinechrtienne du pch rendrait-elle compte de toutes les formes dumal dans le monde? Comment expliquerait-elle des phnomnesphysiques tels que les tremblements de terre, ou le flau de la peste,ou simplement l'exprience de la mort naturelle?

    IV. - La question du mal naturel

    Sur ce point le christianisme a t et demeure marqu par deuxlignes d'interprtation, l'une plus pessimiste, l'autre plus optimiste.

    La premire tendance considre que toutes les formes du mal y compris celles qui prennent l'allure de phnomnes dits natu-rels s'expliquent en profondeur par les effets dvastateurs dupremier pch. Celui-ci aurait pour ainsi dire dtraqu la nature,et serait en tout cas responsable de la mort physique (qui ne seraitdonc jamais, en rigueur de termes, un vnement naturel). Cettereprsentation est en rapport avec un souci trs net de thodice:

    11. bid., p. 280.

  • 832 M. FDOU, S.J.

    Dieu ne peut tre tenu pour responsable des catastrophes qui sur-viennent dans le monde. A moins qu'on ne dise: Dieu a suscitde telles catastrophes, ou tout au moins les a permises, en raisondes pchs accomplis par les hommes ; mais il s'agit finalement d'uneautre version du mme thme, qui consiste maintenir une relation(directe ou indirecte) entre le mal physique et la volont pcheresse.Si l'on tente d'valuer cette premire tendance, on reconnatra sanspeine qu'elle peut conduire des affirmations difficiles entendre:mme si le mal subi est souvent l'effet d'un mal commis (par exem-ple dans le cas de la guerre), n'est-il pas excessif d'imaginer danstous les cas un rapport du mal physique avec le pch? L'explica-tion peut-elle lgitimement rendre compte de ce qu'on appelle lesflaux naturels? Indpendamment mme de ces flaux, la mon peut-elle tre simplement perue comme consquence du pch? Onvoit bien les difficults auxquelles se heurte cette premire tendance;on voit en mme temps le poids qu'elle fait porter la responsabi-lit de l'homme. Mais elle a pour elle un point d'appui majeur,le fameux verset de Rm 5, 12, o il est dit que le pch estentr dans le monde et par le pch la mort.

    La seconde interprtation est plus optimiste, au sens o elle n'expli-que pas toutes les formes du mal par la rfrence au pch. Ellesouligne davantage le caractre naturel de la mort, qui s'inscrit dansla loi de la vie et qui est un passage ncessaire. Elle laisse entendrequ'une telle exprience tait de toutes faons invitable, mme aucas o l'homme n'aurait pas pch. Certes, elle ne nie pas le drameque reprsentent des catastrophes naturelles, mais elle ne les imputepas plus l'homme qu' Dieu, et tend les considrer commeles invitables crises d'un monde en croissance. Elle se rclameraitplutt d'Irne que d'Augustin, et certains la diraient volontiersteilhardienne. Cette dernire formule appelle sans doute des rser-ves, non seulement parce que l'auteur du Phnomne humain at personnellement sensible au problme du mal, mais parce qu'ila clairement affirm que le mal inhrent l'volution ne pouvaittre simplement expliqu par les lois scientifiquement observables12.L'oeuvre de Teilhard tmoigne cependant de la seconde inter-

    12. Est-il bien sr que pour un regard averti et sensibilis par une autrelumire que celle de la pure science, la quantit et la malice du Mal hic etnunc rpandu de par le Monde ne trahisse pas un certain excs, inexplicablepour notre raison si, a l'effet normal d'volution, ne se sur-ajoute pas l'effet extraor-dinaire de quelque catastrophe ou dviation primordiale? (Le Phnomne humain,Paris, Seuil, 1955, p. 347).

  • LE CHRISTIANISME ET LE PROBLME DU MAL 833

    prtation ici voque. Le mrite d'une telle interprtation est defaire droit l'autonomie des phnomnes et des lois qui marquentl'volution du monde; il est plus encore d'viter la reprsentationtrop immdiate d'un lien de causalit entre pch et mort. Maissi cette seconde position est pousse jusqu' ses extrmes cons-quence, elle se heurte son tour des objections. D'une part,rend-elle suffisamment compte de ce qui, dans le mal subi, est res-senti comme injuste et scandaleux? Surtout, que fait-elle du liensi ferme que saint Paul tablit entre la mort et le pch?

    Nous n'avons pas trancher entre les deux interprtations ainsiprsentes. En effet, jusqu' un certain point, elle apportent cha-cune un clairage prcieux, et l'on peut penser que leur tensionmme est non seulement invitable mais stimulante et fconde. Maischacune d'elles manifeste aussi ses limites ds lors quelle prtend, partir de ses intuitions propres, donner une explication totalisantedu mal. Paul Ricur n'a pas hsit dire que le christianismeavait t tent, dans son opposition mme la gnose, de substituer celle-ci une sorte d'explication qui, par sa forme mme, risquaitd'aboutir elle aussi un systme englobant: Anti-gnostique sonorigine et par intention, puisque le mal reste intgralement humain,le concept de pch originel est devenu quasi gnostique mesurequ'il s'est rationalis... C'est en effet pour rationaliser la rproba-tion divine qui n'tait chez saint Paul que l'anti-type de l'lection que saint Augustin a construit ce que je me suis risqu appelerune quasi-gnose; et P. Ricur de comparer ensuite ce processusde pense celui des amis de Job, prtendant expliquer au justesouffrant la juste raison de ses souffrances13. Pareille tentation guettegalement toute approche qui, en inscrivant le mal physique etl'exprience de la mort dans l'ordre naturel de l'volution, enten-drait donner une explication systmatique de ces phnomnes.

    A ce stade, ce n'est plus seulement la question du mal naturelqui est en cause; ce sont plutt les manires mmes de parler dumal, de quelque mal qu'il s'agisse. Les deux tendances que nousdistinguions plus haut sont l'une et l'autre lgitimes, mais condi-tion qu'elles n'en viennent pas imposer une interprtation globale,qui reviendrait justifier les drames du cosmos et de l'histoire soit par leur manire de les rapporter immdiatement la volontpcheresse, soit par leur manire d'y voir les invitables crises

    13. Cf. P. RICOEUR, Le conflit..., cit n. 8, p. 276; cf. aussi ID., Le mal. Undfi. la philosophie et la thologie, Genve, Labor et Fides, 1986, p. 22 ss.

  • 834 M. FDOU, S.J.

    d'un univers en croissance. L est sans doute le point dcisif. Sila pense chrtienne s'est bon droit oppose au dualisme gnosti-que ou manichen, n'a-t-elle pas t tente d'expliquer son tourle mal, tout le mal, en oubliant par l mme un trait caractristiquedu mal qui est prcisment son visage radicalement nigmatiqueet nocturne? Le mal n'est pas substance, mais n'y a-t-il pas dansle mal un rsidu qui chappe toute tentative d'explication syst-matique y compris donc celles que l'apologtique a rgulire-ment fournies au long de l'histoire? La question, on le voit, vautpour toute forme de mal mal physique ou mal moral, mal com-mis ou mal subi. Aucune thodice ne pouvait venir bout del'effroi suscit au XVIIIe sicle par le tremblement de terre de Lis-bonne. Aucune thodice ne saurait rendre compte de l'horreurlie aux guerres mondiales, sauf ne pas entendre le cri de leursvictimes. Quelles voies s'ouvrent ds lors au christianisme, s'il doittenter non seulement de s'opposer aux manichismes de tout temps,mais de renoncer lui-mme une explication totalisante, qui nerespecterait pas l'nigme du mal?

    V. Le christianisme face l'nigme du mal

    Prcisons d'abord que les rflexions prcdentes n'invitent nulle-ment le christianisme une attitude de rsignation. D'une part,comme l'a montr Paul Ricur, l'chec des explications totalisantespeut tre le tremplin d'une nouvelle approche, qui prend en comptela symbolique du mal et qui rflchit partir de cette symboliquemme14. D'autre part, si le christianisme est conduit s'interrogersur l'origine du mal, on ne doit pas oublier qu'il exhorte aussi(et mme bien davantage) une lutte pratique contre toutes lesformes de mal qui peuvent tre l'objet d'une telle action maladie,injustice, misre, etc. Il y va d'une fidlit essentielle au tmoignagede Jsus, qui chassait les dmons, gurissait les malades, proclamaitla libration des captifs. Ajoutons que le christianisme, dfautmme d'une action sur le mal, peroit au moins celui-ci commeun appel la conversion non pas certes au sens d'une mauvaiseapologtique, qui justifierait le mal par la ncessit d'une telle con-version, mais au sens o l'preuve du mal devrait toujours raviver

    14. P. RICOEUR tudie en effet les symboles primaires de la souillure, dela culpabilit et du pch, puis les mythes du commencement et de la fin,avant de dvelopper la fameuse conclusion: Le symbole donne penser; voirFinitude et culpabilit, n. La symbolique du mal, Paris, Aubier, 1960.

  • LE CHRISTIANISME ET LE PROBLME DU MAL 835

    l'urgence d'une vie plus juste et plus sainte; ainsi Jsus disait-il propos des dix-huit personnes sur lesquelles tait tombe la tourde Silo: pensez-vous qu'elles taient plus coupables que tous lesautres habitants de Jrusalem? Non, je vous le dis, mais si vousne vous convertissez pas, vous prirez tous de la mme manire(Le 13, 4-5). Occasion de repentir, le mal peut tre encore perucomme purificateur condition l encore que cette perspectiven'implique pas une justification du mal lui-mme, mais qu'elle indi-que plutt la possibilit d'un progrs spirituel au cur de l'preuve.

    Des chemins demeurent donc ouverts, que ce soit dans l'ordrede la pense, de l'agir ou de l'exprience spirituelle. importecependant de faire un pas de plus et de dcouvrir comment, sanscder l'cueil d'un systme d'explication qui ne respecterait pasl'nigme du mal, le christianisme apporte sur ce mystre mmeun clairage inou.

    Repartons, pour en prendre conscience, du verset vanglique quenous citions plus haut : la parole de Jsus selon laquelle les victimesde la tour de Silo n'taient pas plus coupables que les autres habi-tants de Jrusalem. Cette parole s'inscrit en faux contre une logiquede rtribution, qui rattacherait immdiatement la quantit de malsubi la quantit de mal commis (ils n'ont que ce qu'ils mri-tent...). Elle invite par l mme retrouver, en amont du Nou-veau Testament, la grande figure de Job. Les interlocuteurs de celui-ci essayaient de le convaincre de sa faute: les malheurs qu'il subis-sait devaient tre le chtiment de son injustice. Mais Job, tout la fois, protestait de son innocence et demeurait fidle sa foi:la thodice ne servait pas ici justifier le mal, pas plus que lemal n'tait prtexte s'loigner de Dieu. Attitude qui respectaitvraiment le mystre du mal, puisque d'une part Job ne voyait pasce qui dans sa vie antrieure pouvait expliquer son malheur prsentet que, d'autre part, loin d'imputer Dieu l'origine de ce mal,il continuait de croire en lui et de s'adresser lui comme Celui-lseul qui tait mme de le dlivrer:

    peut me tuer: je n'ai d'autre espoirque de justifier devant lui ma conduite.Et cette audace annonce ma dlivrance,car un impie n'oserait comparatre en sa prsence ( f b 13, 15-16)15.

    15. Voir P. BEAUCHAMP, L'un et l'autre Testament..., cite n. 5. p. 109-110.

  • 836 M. FDOU, S.J.

    Le Livre de Job n'expliquait donc pas le mal, mais il en rvlaitle mystre. Plus encore, il signifiait que la foi en Dieu n'impliquaitpas l'crasement de l'homme; et il dnonait d'avance le lien quel'on tablirait parfois entre la thodice et la justification du tragi-que. Job croyait malgr le mal que Dieu est juste, et qu'un joursa parole se ferait entendre au-del de la nuit.

    Un doute pouvait nanmoins subsister. Job ne semblait pas res-ponsable du malheur qui s'tait abattu sur lui, mais n'tait-il pasmarqu comme chacun par une complicit avec la faute d'Adam?Cette question n'tait-elle pas lgitime, si du moins l'on admettaitla tradition biblique qui, depuis le livre de la Gense, avait soulignl'universalit de la faute?

    Mais le doute est dfinitivement lev le jour o un homme radica-lement innocent est son tour victime du mal le plus radical.Ce jour est celui de Jsus. Il s'agit bien d'une nouveaut par rapport l'exprience antrieure de l'humanit: le christianisme discernedans la Passion de Jsus l'accomplissement rel de ce que prfiguraitdj l'exprience de Job, ou de ce qu'annonait encore la prophtiedeutro-isaenne du Juste souffrant (Is 52, 13 - 53, 12). Un hommequi est parfaitement innocent puisqu'il vient de Dieu, puisqu'ilest le Fils bien-aim du Pre partage notre condition d'hommesjusqu' subir la plus violente Passion. La nouveaut ne tient passeulement ce que Jsus se rvle comme absolument juste; elleest dans le fait que Dieu mme, en son Fils, se manifeste commen'tant pas spectateur mais victime du mal. C'tait dj beaucoupque Dieu rpondt par sa parole la souffrance de Job; mais enJsus, Dieu va jusqu' prendre la place mme du juste souffrant.

    La Passion de Jsus, pas plus que celle de Job, ne donne l'explica-tion du mal. Mais elle est pour le christianisme ce foyer lumineuxqui, tout la fois, dvoile la profondeur de ce mal et, plus encore,le mystre abyssal du Dieu de Jsus-Christ. D'une part en effet,s'il est vrai que le mal n'est pas une substance concurrente dubien, il faut oser dire qu'il ne peut tre peru dans toute son hor-reur qu' la lumire du bien absolu; c'est prcisment la rvlationdu Christ en croix, comme manifestation suprme de l'amour deDieu pour l'humanit, qui projette sur l'nigme du mal une lumirejusque-l inconnue. D'autre part cependant, la perception que Dieua du mal n'est pas le savoir froid et distant d'un Etre suprmequi ne partagerait pas la souffrance des victimes ; la Passion de Jsusrvle au contraire la compassion de Dieu, qui non seulement mesurela radicalit du mal, mais qui accepte d'en tre lui-mme victime.

  • LE CHRISTIANISME ET LE PROBLME DU MAL 837

    Dieu connat le mal comme cela mme qu'il refuse de toute ter-nit; mais ce refus, loin de prendre la forme d'un retrait hors dumonde, s'exprime bien plutt comme un engagement dans le mondeaux cts des victimes.

    Ainsi le mystre du Juste souffrant, sans rsoudre le problmedu mal, rpond aux exigences contemporaines d'une rflexion surle tragique. Avec lui, l'affirmation de Dieu n'est pas manire decontourner l'preuve du mal (puisque le Fils de Dieu est lui-mmevictime de cette preuve), de mme qu'inversement l'exprience dumal ne constitue plus une objection contre l'affirmation de Dieu(puisque la Passion du Christ, dmentant jamais nos images d'unedivinit indiffrente ou lointaine, nous rvle le visage jusque-linconnu d'un Dieu crucifi).

    Il faudrait aussitt ajouter qu'une telle rvlation est insparable-ment le lieu de l'esprance: si Dieu s'est engag dans le mondejusqu' tre victime des hommes et des femmes tragiquement atteintspar les diverses formes du mal, c'est que le mal va irrmdiablement sa perte et que ses victimes se voient offrir un avenir en Dieu l'avenir mme qui, pour le chrtien, se trouve dj inaugurpar la Rsurrection de Jsus.

    Mais ne quittons pas trop vite la tnbre lumineuse de la Croix.C'est elle qui dvoile la contribution dcisive du christianisme auxincessantes recherches sur la question du mal. Elle indique en mmetemps ce que peut tre, sur cette mme question, le vritable terrainde rencontre entre la tradition chrtienne et les autres traditionsculturelles ou religieuses de l'humanit. Car si le christianisme con-temporain n'a rien renier de son opposition traditionnelle audualisme gnostique ou manichen, s'il reste fidle l'affirmationdu pch originel ( condition d'en bien comprendre la porte),s'il est par ces voies mmes conduit certaines divergences de fondavec des croyances ou doctrines dveloppes par d'autres traditions,il doit se montrer par contre attentif tout ce qui, dans l'expriencede l'humanit, renvoie de quelque manire la figure du Justesouffrant. La Passion du Christ est unique, mais il est des hommesqui avant le Christ ou aprs lui ont eu part l'preuve del'Agneau immol. Et cela en dehors mme du peuple lu: faut-ilrappeler que Job n'est pas prsent comme Isralite, mais commeun patriarche qui vivait jadis aux confins de l'Arabie et du paysd'Edom? Faut-il encore rappeler que, dans les sicles mmes ole Livre de Job tait crit, un paen nomm Socrate avait connu

  • 838 M. PDOU, S.J.

    l'exprience d'une mort injuste, et que peu aprs un texte fameuxde Platon avait dessin, en face de l'homme injuste, le portraitd'un homme juste que l'on dpouillerait de tout except de lajustice et qui resterait inbranlable jusqu' la mort16? Les chr-tiens peuvent penser que les figures de Job et de Socrate habitentencore l'exprience culturelle et religieuse de l'humanit. leurincombe sans doute de discerner ces figures et de percevoir en elles,sous le voile de l'obscurit et de l'horreur, les traces lumineusesde la Passion du Christ qui, sans expliquer le mal, a pour toujoursdvoil le visage inou de l'Amour crucifi.

    F-75015 Paris Michel FDOU, S.J.128, rue Blomet

    Sommaire. Le christianisme contemporain ne saurait renoncer satraditionnelle critique du manichisme, pas plus qu' une saine compr-hension du pch originel. Mais il ne peut prtendre des formes d'expli-cation qui, par leur caractre global et systmatique, ne rendraient pasvraiment compte des drames de l'existence. trouve plutt dans la Rvla-tion du Juste souffrant le chemin d'une pense qui respecte la foisl'nigme du mal et la justice de Dieu.

    16. Rpublique, H, 361 c-d, trad. E. CHAMBRY, coll. Les Belles Lettres, Paris,PUF, 1932, p. 54-55.