LE C A M B O D G E de Sihanouk

Espoir, Désillusions et Amertume « 1982-1993 »

© Sudestasie 1994

Du même auteur

Annales de politique étrangère de la Birmanie : 1949-1985 Coll. Documents, ILERI, Paris 1987.

Chine-Birmanie : Histoire d 'une guerre secrète 1949-1954 Editions Sudestasie, Paris 1990.

(Ouvrage couronné par le Prix Auguste Pavie 1992 de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer).

Communismes d'Asie, le Crépuscule de l'Espoir 1985-1992 Editions Sudestasie, Paris 1992.

Israel et les juifs en Asie Extrême Institut d'Etude des Relations Internationales, Paris 1992. (Distribué p a r Sudestasie-Librairie).

Maquette de couverture : POINT-IMAGE / Paris Photo : - 1ère couverture : Agence Sygma - Jacques Langevin

- 4è couverture : Dominique Collas

Richard SOLA

LE C A M B O D G E de

Sihanouk

Espoir, Désillusions et Amertume « 1982-1993 »

sudestasie

Présentation

L e Cambodge connaîtra-til un jour la Paix ? La question peut surprendre, a priori, si l'on pense que des Accords de Paix ont été signés il y a deux ans à Paris. Les multiples violations

de ces Accords et le refus des Khmers Rouges de se soumettre à tout contrôle de l'ONU augurent cependant mal de l'avenir, sans parler de la maladie du Prince Sihanouk.

Pourtant lorsque les troupes vietnamiennes renversèrent en dé- cembre 1978 le régime sanguinaire de Pol Pot, la communauté in- ternationale crut pouvoir pousser un soupir de soulagement, bien hypocrite au demeurant, ayant assisté à l'assassinat de plus d'un million d'innocents, sans réagir. A peine évincés, ces Khmers Rouges parvinrent --grâce à l'appui de leur allié traditionnel chinois-- à ré- organiser leur mouvement de guérilla. Guérilla reconnue diplomati- quement sous le nom de Gouvernement de Coalition du Kampuchéa Démocratique (GCKD), comme un quasi gouvernement en exil puis- que dirigé par le Prince Norodom Sihanouk.

Là réside probablement tout le dilemme du destin du Cambodge. Jamais homme politique n'aura autant pesé par sa présence, ou son absence, sur l'avenir de sa nation. Jamais homme n'aura autant vécu sur un quiproquo diront ses amis, une imposture, ajouteront ses ennemis. Car il serait vain de vouloir décrypter le Cambodge d'aujourd'hui sans se remémorer les genèses qui menèrent à plu- sieurs reprises Sihanouk sur son trône.

En 1941, il n'est en effet qu'un jeune Prince troubadour, désigné par le Délégué Général français qui voit en lui le meilleur garant des intérêts de l'Empire. Destitué en mars 1970, par l'Assemblée nationale de son pays, pour haute trahison, le Prince n'aura de cesse de ruminer sa vengeance contre ce peuple qui l'a trahi et qu'il veut châtier comme il le répétera. C'est à la tête d'une coalition rassemblant d'anciens supporters monarchistes et des Khmers rouges, voire de jeunes nationalistes un peu paumés, que le Prince organise la résistance contre le régime du Maréchal Lon Nol de 1970 à 1975.

L'arrivée au pouvoir, en 1975, de Pol Pot sonnera vite pourtant l'heure de la désillusion et de l'amertume. Semi-prisonnier de luxe, délivré in-extremis par ses amis chinois en janvier 1979, peu avant l'arrivée à Phnom-Penh des troupes vietnamiennes, le Prince va se

dépenser « sans compter » afin de mettre sur pieds une résistance « nationale », comprenant ses anciens geôliers khmers rouges, eux aussi désormais dans l'opposition, contre le régime qualifié de « fan- toche » établi à Phnom-Penh par le régime communiste de Hanoi.

Après avoir échoué dans toutes leurs tentatives de déstabilisation de ce régime, et faute d'y parvenir militairement après plus de cinq années de combats, Norodom Sihanouk ouvrait à Paris, en décem- bre 1987, des négociations avec le Premier ministre Hun Sen du régime honni de Phnom-Penh.

Quatre années de petits pas, de volte-face et de ruptures qui devaient aboutir aux Accords de Paris d'octobre 1991. Des Accords largement dénoncés par les juristes car en contravention avec plu- sieurs conventions internationales régissant les crimes de génocide. Malgré cela, les superpuissances s'entêteront voulant « se déba- rasser » au plus vite de la pétaudière cambodgienne, afin de pouvoir mieux se consacrer aux affaires européennes et moyen-orientales.

Le nouveau contexte des relations internationales (affaiblisse- ment des moyens de la Chine populaire et du Vietnam tout comme l'effondrement de l'URSS) a de son côté permis d'éviter que d'autres obstacles s'accumulent du fait des intérêts égoïstes des Etats. Le déploiement de novembre 1991 au mois de novembre 1993, de plus de 20 000 hommes des Nations-Unies, dans l'une des plus grandes opérations jamais menées par l'Organisation, aura créé un semblant de calme quelquefois fissuré par la violence politique. Des élections du mois de mai 1993 est issue une Assemblée Constituante qui rétablit la monarchie en septembre suivant. Le peuple Khmer a dé- sormais retrouvé un père; il ne lui reste plus qu'à refaire l'appren- tissage de l'âge adulte.

Pour cet ouvrage, comme pour celui que nous avions consacré aux régimes communistes d'Asie, nous avons repris une formule rédactionnelle à mi-chemin entre le récit journalistique direct et la synthèse de l'historien. Pour ce faire, nous avons rassemblé nos articles --la plupart issue du Journal de Genève-- allant de 1982 à 1993, ceux-ci ayant cependant été regroupés par thèmes en res- pectant néanmoins l'ordre chronologique général.

Deux raisons à une telle démarche : d'une part, une collection d'articles suivant de près l'actualité rend beaucoup mieux, recons- titue avec plus de justesse qu'un récit historique a posteriori l'atmos-

phère de ces instants --souvent décisifs-- avec tous leurs soubre- sauts, volte-face, dérision, moments pathétiques ou accélérations diplomatiques sur fond d'espoir. Rarement, par ailleurs, et le lecteur s'en rendra vite compte, question internationale n'aura mieux porté le nom d'imbroglio que la "Question cambodgienne". Une complexité telle que même les spécialistes s'y perdent, d'où notre souhait d'a- jouter pour ne pas dire agrémenter le texte de base d'un nombre de notes bibliographiques et de références qui permettent de mieux "baliser" l'histoire non seulement bouleversée mais trop souvent dra- matique du peuple cambodgien.

Nombre de ces notes et des Annexes font état de faits inédits ou méconnus. Elles devraient permettre de réajuster la vision très conformiste, voulue par certaines chancelleries, certains lobbies uni- versitaires, voire politiques. De par sa mission d'information, le jour- naliste (qui est confronté quotidiennement à la contradiction) se doit de rapporter sans apriori ce qui se passe ; encore --nous l'avouons-- est-il difficile de traiter les Khmers Rouges sur le même plan que Sihanouk ou même Lon Nol. Au-delà des injonctions de la déonto- logie professionnelle, il nous a toujours paru nécessaire pour ne pas perdre son âme, de se placer dans un cadre bien défini (celui de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme) de la Morale pour poursuivre notre tâche. En ce sens, nous sommes conscient que ce récit n'est qu'un éclairage particulier de l'histoire récente du Cam- bodge -- un regard peut être trop "occidental"-- mais il a surtout pour vocation, au-delà du témoignage, de susciter la réflexion et le débat.

Comme pour nos précédents ouvrages, nous tenons à remercier la direction du Journal de Genève pour la confiance qu'elle nous accorde dans notre mission depuis près de 12 ans maintenant et les facilités octroyées lors de nos déplacements à l'étranger. Il est en effet rare dans notre métier de pouvoir "couvrir" un sujet sur une longue période, condition sine qua non pour porter une réflexion sur le fond, à force d'entretiens avec les principaux protagonistes. Qu'elle trouve ici, à nouveau, l'expression de notre gratitude.

Paris, janvier 1994

Première Partie

Le Cambodge dans la guerre

Chapitre I

Poker menteur à 3 contre 1 (1979-1982)

SIHANOUK

Prince à épisodes et rebondissements

Les négociations sur le Cambodge de ces dernière semaines ont été riches en rebondissements. Preuve que l'ancien monarque Norodom Sihanouk est toujours aussi imprévisible et plein de res- sources pour parvenir à un accord de paix.

Désigné par les autorités coloniales françaises en avril 1941, alors qu'il avait à peine 18 ans, Sihanouk possédait peu l'étoffe d'un monarque. Le choix par Paris d'un successeur au Roi Monivong se porta sur Sihanouk pour des raisons de haute et basse politique car il paraissait le plus inoffensif. "Sous le régime de Pétain, avoue-t-il lui même, je me résignais au rôle de play-boy" (1).

Pourtant, aux plaisirs ludiques succéderont rapidement les plai- sirs plus orgueilleux de la chose publique. Nationaliste fervent dans l'après guerre, il profita de l'occupation japonaise pour s'octroyer le 12 mars 1945, les fonctions qui incombaient au Résident Supérieur de France. Puis, le 8 novembre 1949, il prononçait à nouveau l'in- dépendance-autonomie dans le cadre de l'Indochine française. Mal- heureusement, Norodom Sihanouk aura peu le loisir de gouverner en bon Prince débonnaire, un royaume dont le nom même "Kam- pu-chea" est traduit dans le langage populaire par l'expression : "la race si douce qui ne rencontre que des malheurs".

U n p r i n c e a u t o r i t a i r e

Le Cambodge tout juste indépendant en 1949 et souverain en 1953, est plongé dans la Guerre froide. D'un côté, le Vietminh (la ligue communiste de libération nationale) s'infiltrait dans les pro- vinces du Nord-Est ; d'un autre côté, les éléments ultra-nationalistes anti-communistes de Son Ngoc Thanh multipliaient les accrochages dans les régions frontières de l'Ouest. Trop imbu de son pouvoir immanent, le bon Prince ne peut comprendre les fondements du jeu démocratique d'une opposition qu'il pourchassera. Les Khmers Sereï (dits khmers libres) républicains, mais anti-communistes et pro-

Article publié dans le Journal de Genève du 5 Janvier 1988

américains, furent les premiers à en faire l'expérience, et ceux qui se firent prendre furent passés devant un peloton d'exécution.

Quant aux Khmers Rouges (nom inventé par le Prince pour ne pas gêner ses amis nord-vietnamiens) (2), nombre d'entre-eux furent éventrés, puis suspendus aux arbres, pourissant lentement comme autant de lugubres victimes du nouveau Minotaure du Palais Khe- marin. Le vide socio-politique résultant de l'autocratisme de Sihanouk radicalisa sur les deux extrêmes les quelques représentants de l'é- ventail des sensibilités sur l'échiquier politique (3).

N e u t r a l i s t e

Les réformes constitutionnelles de 1955, dans le cadre de la politique sociale du Sangkum, destinées à rendre la démocratie "compréhensible pour le peuple" aboutissaient cependant à renforcer les pouvoirs du Roi et à affaiblir encore l'influence des partis. Le discours officiel, dans son désir de "consensus", figea en fait les énergies politiques au lieu de les stimuler.

Sur le plan international, pour éviter d'être taxé de "laquais de l'Occident", Sihanouk tenta d'opter pour un non-alignement strict de type birman et noua des relations diplomatiques étroites en 1956 avec l'URSS, la Pologne et la Tchécoslovaquie. But de la manœu- vre : obliger les pays communistes à cesser leur aide aux éléments révolutionnaires communistes du Prachacheon (le PC cambodgien). Attitude identique vis-à-vis du Nord-Vietnam et du Pathet lao (le PC laotien). La reconnaissance du régime de Pékin en juillet 1958, la rupture des relations diplomatiques de novembre 1958 au début de 1959 avec la Thailande, d'août 1963 avec le Sud-Vietnam, et en mai 1965 avec les Etats-Unis firent craindre l'instauration d'un régime pro-communiste (4).

Mais ce neutralisme anti-occidental cessa vite lorsque la propa- gande communiste pro-chinoise et pro-vietnamienne s'imposé dès 1967 au Cambodge. Dans un nouveau revirement, Sihanouk se tour- na vers les Etats-Unis et le Sud-Vietnam. Moins innocent que naïf et ignorant les buts de la stratégie des Nord-Vietnamiens, le Prince ne se rendit pas compte que la réalité du pouvoir lui échappait. Signe du syndrome de l'effondrement du Cambodge monarchique, le 28ème Congrès national de décembre 1969 refusa d'approuver les grandes lignes de la politique de Sihanouk. Furieux de cet échec

et désormais inquiet de la quasi-annexion par les Vietnamiens des zones frontières de l'Est, il quitta précipitamment Phnom-Penh le 6 janvier 1970 pour suivre officiellement en France, une "cure de san- té". Si l'agiographie relative au règne du Prince ne cesse de distiller le mythe selon lequel il aurait été renversé par un putsch militaire pro-américain du général Lon Nol, la réalité est quelque peu diffé- rente.

Arrivé en France, Sihanouk rencontra Lon Nol qui lui-même sui- vait un traitement médical à l'hôpital américain de Neuilly, à la suite d'un accident de voiture. Il lui demanda de retourner au Cambodge, comme nous le confirma M. Sim Var, un ancien ministre, pour tenter de rallier la population mécontente des abus commis par les troupes nord-vietnamiennes présentes depuis 1963 au Cambodge avec l'au- torisation du Prince (5).

Puis, reniant ses accords précédents, Norodom Sihanouk voulut démontrer à l'opinion publique internationale que son peuple était excédé par les manigances d'Hanoi, sans pour autant recourir à l'ONU, et pour cause, puisqu'il avait renvoyé la Commission inter- nationale de contrôle qui devenait un témoin gênant de sa duplicité. Informé de la mise à sac à Phnom-Penh des ambassades du Nord- Vietnam et du Vietcong (GRP), Sihanouk envoya plusieurs télé- grammes pour condamner Lon Nol et l'Assemblée nationale. Plusieurs députés réagirent alors vivement en demandant la dépo- sition du Chef de l'Etat. Ce à quoi Lon Nol s'opposa jusqu'au 8 mars 1970, date à laquelle le Parlement destitua Norodom Sihanouk par 92 voix contre zéro (6).

Aigri, condamné à l'exil, déchu par son peuple, Samdech (Mon- seigneur) Norodom Sihanouk se réfugiait à Pékin d'où il prenait lan- gue avec les Khmers Rouges et les émissaires de Hanoï redevenus en quelques jours ses alliés (7).

C h u t e d e P h n o m - P e n h

La chute de Phnom-Penh en avril 1975 signifiait la victoire du Prince sur ceux qui l'avaient ignominieusement chassé. Certes, de- vait-il déclarer, "mon retour au Cambodge ne signifie pas que j'ap- prouve la politique cruelle des Khmers Rouges". Télégraphiant en février-mars 1975 aux députés démocrates américains, il les assura que le nouveau gouvernement n'avait aucune "intention de faire du

Cambodge une république socialiste ou populaire mais plutôt une sorte de royaume à la suédoise" (8).

Mais cette soif de gouverner et la volonté de revanche du Prince coutèrent cher à plusieurs membres de sa famille et de son entou- rage, qui furent massacrés par les hommes de Pol Pot, comme en témoigne son livre Prisonniers des Khmers Rouges (9). Le Prince débonnaire, exilé, déchu et désormais prisonnier, n'en modifia pas pour autant son comportement de monarque frivole alors que son peuple agonisait. Les Khmers Rouges, écrit-il "critiquent mon amour de la gastronomie française et les grosses dépenses que j'effectue pour faire venir de France du foie gras et d'autres produits alimen- taires".

Après l'invasion du Cambodge par les Vietnamiens, en décembre 1978, Sihanouk confiait pourtant à un journaliste de l'Express : "La Chine est actuellement la grande base arrière des criminels Khmers Rouges responsables des terribles malheurs sans fin de mon peu- ple".

NOTES

(1) Voir notre étude : "Le kaléidoscope cambodgien", Politique étrangère, n° 4/1985, pp 885-886.

(2) Bernard Hamel aura probablement été le premier historien à souligner ce point dans son ouvrage, Sihanouk et le drame cambodgien, Editions L'Harmattan, 1993, p. 86 : "Quant aux Khmers proprement dit, ceux qui avaient déjà gagné la forêt depuis le début de l'année (1967), leur nombre était faible quelque centaines tout au plus et rien ne permettait d'affirmer que ces rebelles étaient maoistes, car l'influence étrangère qui s'exerçait sur eux était plutôt nord-vietnamienne que chinoise, raison pour laquelle Sihanouk les désignait souvent comme étant des Khmers Vietminh".

(3) Voir la polémique entre Norodom Sihanouk et la journaliste-historienne Elizabeth Becker sur les exécutions politiques commises sur ordre du Prince. Sur ce sujet Bernard Hamel qui fut de 1964 à 1975 correspondant de l'agence de presse Reuter à Phnom- Penh a apporté des preuves irréfutables qui confirment les propos de Becker, preuves qui furent publiées par la Far Eastern Economie Review (FEER), et qui mirent un terme à la polémique.

Voici le texte de la lettre de Hamel parue le 21 mai 1987, texte accompagné de deux photos d'exécutions : "These were primarily public executions of Khmers Serei (or Free Khmers --the rightist opposition) up to 1967. How many ? About a dozen, to my own knowledge they included : Preap In, Chau Bory, his borther Mathura, So Ngoy, Chau Si and Nget Ngin. By order of the prince, these executions were given wide publicity throughout the kingdom".

"The two photographs show the double exection of Chau Si and Nget at Phnom Sam- beur (a district of Phnom Srouch), province of Kompong Speu, on 1st June 1964. I have in my possession about 20 other photos of different executions. Later, between 1969-1970, there were numerous executions of alleged Khmers Rouges. On 19 August 1968, during a speech in the province of Kompong Thorn, Sihanouk himself declared that he had cause the death of 1 000 people and that 'it had not prevented him from sleeping'. These Khmers Rouges seem to have been mostly discontented peasants, with no particular political opinion".

"After the fall of Sihanouk (18th March 1970), the Lon Nol government released all the political detainees. Their release took place in the presence of numerous witness on 2 April 1970. They numbered 486, all of mixed political tendencies. In thus appears indisputably that during the 1960's Sihanouk practised a policy of rigorous political repression of the opponents of his regime".

(4) Sur cet aspect de la politique dite de "neutralité" on lira la partie intitulée "Asie du Sud-Est : les contre-coups de la Deuxième Guerre mondiale", en particulier les chapitres "La difficile neutralité cambodgienne" du livre de François Joyaux, La nouvelle Ques- tion d'Extrême-Orient : l'ère du conflit sino-soviétique : 1955-1978, vol. Il, p. 146- 150.

On se reportera, en Annexe, au texte prémonitoire de la lettre que Son Ngoc Thanh adressa au Premier ministre U Nu de Birmanie pour lui demander d'intercéder auprès du Prince pour s'en tienne à une authentique politique de neutralité.

(5) La présence des troupes communistes nord-vietnamiennes (Vietminh) et sud-viet- namiennes (Vietcong) avaient été autorisées par le Prince Sihanouk lui-même comme nous le confirma le général Sosthène Fernandez qui fut son chef de la Sécurité et comme le montre sans ambage la lettre suivante du Prince Sisowath Sirik Matak écrite le 27 août 1973 à Phnom-Penh (le Prince fut tué par les Khmers Rouges en avril 1975 dans des conditions particulièrement atroces) mais dont nous ne donnons ici que l'extrait relatif à la politique étrangère de Norodom Sihanouk : " En janvier 1968, lors d'une conférence de presse, vous avez de nouveau dénoncé la subversion chinoise en ces termes : Les Khmers Rouges ont décidé de mettre fin à la paix dont le Cambodge jouissait depuis des années. Ils reçoivent à travers la frontière thailandaise armements, munitions, vêtements, médicaments et des brochures de pro- pagande en siamois, éditées en Chine et portant l'effigie du président Mao Tsétoung. Je pourrais ajouter encore d'autres citations, car de 1966 à 1969, vos déclarations écrites et verbales remplissent bien des volumes édités par votre Ministère de l'In- formation".

"Il est vrai que pour faire contre-poids, vos diatribes contre les puissances occiden- tales, notamment les Etats-Unis d'Amérique, alimentaient de propos sensationnels la presse du monde entier. En induisant ainsi l'opinion internationale en erreur, vous croyiez prouver que vous étiez le champion de la neutralité. Pourtant, agissant en sous-marin, vous n'avez jamais cessé d'entretenir de fraternelles relations avec le Nord-Vietnam et le Vietcong, relations qui allaient jusqu'à permettre à ceux-ci d'ins- taller sur notre territoire national de véritables sanctuaires, consistant en hôpitaux, cen- tres d'entrainement, bases logistiques et centres de reconditionnement à partir desquels étaient lancées des opérations offensives contre le Sud-Vietnam. Ces sanc- tuaires s'échelonnaient le long de nos frontières orientales depuis la province de Rat- tanakiri jusqu'à ia mer. Vous pouvez conclure vous-même qu'une telle politique a rayé d'un trait de plume et à jamais notre neutralité prescrite pourtant par la Constitution, pour nous précipiter dans la guerre actuelle, guerre que notre Nation a toujours cher- ché à éviter".

"Combattus par la population des régions qu'ils occupaient illégalement avec votre seule permission et dénoncés par le gouvernement khmer légal, les Nord-Vietnamiens et les Vietcong n'ont trouvé rien de mieux que de se lancer dans une agression ouverte, agression qu'ils voulaient rapide et décisive sur votre demande exprimée à Canton en avril 1970".

"Ainsi au moment de l'agression du Cambodge el 29 mars 1970, nous avions identifié les unités nord-vietnamiennes et vietcong en notre territoire et qui étaient réparties comme suit :

-1ère division : RCT-101-D avec 2 000 hommes stationnés à Angkor Borey dans la province de Takeo,

-5e division : RQTS-174-05 et 275 avec 5 000 hommes stationnés à Snoul dans la province de Kratié,

-7e division : RQTS-141-165 et 209 avec 6 200 hommes stationnés à Mémot dans la province de Kompong Cham,

-9e division : RQTS-95-C-271 et 272 avec 6 000 hommes stationnés à Chup dans la province de Kompong Cham,

-Front B-3 : RQTS-24-28-40-65-95-0 avec 10 800 hommes stationnés à Rattanakiri et Bokéo. Plus les PC et Etats-majors : 12 000 hommes et services des arrières (logis- tique) : 23 000 hommes, ce qui fait au total une force étrangère de 65 000 hommes qui s'installaient tout le long de la frontière".

L'intégralité de cette lettre a été publiée dans la revue Moulkhmer, n° 102 de décembre 1987, pp 6-10.

C'est pour cela qu'il est faux de parler d'une guerre civile au Cambodge ayant commencé en 1970 avec l'arrivée au pouvoir du Général Lon Nol. Depuis 1967, on assistait bel et bien à l'invasion méthodique du pays qui se poursuivit jusqu'en 1975, et ce surtout par Hanoi et non des Khmers Rouges dont l'armée ne fut créée que le 17 janvier 1968. Les communistes vietnamiens refusèrent, en effet, toujours de discuter du retrait de leur forces comme le montre le Compte-rendu confidentiel de la réunion qui se tint le 16 mars 1970 à dans la capitale khmère entre des délégués khmers et des représentants du Gouvernement révolutionnaire provisoire (GRP) de la République démocratique du Vietnam (RDVN). La délégation khmère était présidée par Sah Ky Soth, directeur des Affaires politiques du ministère cambodgien des Af- faires étrangères.

Document publié dans Moulkhmer n° 88 d'octobre 1986, pp 9-14 et n° 89, de novembre 1986, pp 12-15.

(6) Nous publions les textes officiels relatifs à la destitution du Prince Sihanouk :

" C o m m u n i q u é d u g o u v e r n e m e n t d e s a u v e t a g e .

"Suite à la crise politique provoquée par le Prince Norodom Sihanouk durant ces der- niers jours, l'Assemblée Nationale et le Conseil du Royaume, réunis en Congrès, confor- mément à la Constitution du Royaume, ont retiré, à l'unanimité de leurs 92 voix, leur confiance au Prince Norodom Sihanouk. A partir de ce jour, 18 mars 1970, à 13H00, le Prince Norodom Sihanouk cesse d'être Chef de l'Etat du Cambodge. Son Excellence Cheng Heng, Président de l'Assemblée Nationale, assumera les fonctions du Chef de

l'Etat, jusqu'à l'élection d'un nouveau Chef de l'Etat également suivant le texte de la Constitution du pays".

Phnom Penh, le 18 mars 1970 Le Président du Conseil des Ministres Lon Nol

"Motion à l ' A s s e m b l é e Na t iona le

"Les agissements passés et actuels de Norodom Sihanouk, ex-Chef de l'Etat du Cam- bodge, tels qu'il viennent d'être révélés devant l'opinion ont créé une vague d'indignation dans toutes les couches sociales de la Nation. Chacun de nos compatriotes voit clai- rement aujourd'hui le vrai visage et la vraie nature de celui qui conduisait notre pays à l'anéantissement. Les faits prouvés et vérifiés sont largement suffisants pour retenir contre Norodom Sihanouk les chefs d'accusation suivants :

1) Haute trahison pour avoir livré à l'occupation vietcong, préparant l'annexion par le Vietnam, des parties importantes du territoire national et pour avoir délibérément soumis des milliers de nos compatriotes aux exactions des occupants étrangers. En circonstance aggravante, on retiendra le fait que Norodom Sihanouk a permis à son épouse, Neang Monique, de se faire verser des sommes très importantes pour prix de cette occupation étrangère.

2) Violation constante de la Constitution et instauration d'un régime de pouvoir personnel despotique absolu. Norodom a foulé aux pieds les principes directeurs dont s'inspirait le Sangkum Reastr Niyum à sa création (en 1955), trahi le peuple qu'il prétendait servir, semé la division par ses accusations calomnieuses, attenté à la dignité des personnalités nationales, des représentants élus du peuple et d'innombrables ci- toyens en les injuriant bassement et publiquement, jugé et condamné sans appel ceux qui ne partageaient pas ses vues.

Au cours des demières années, Sihanouk a surbabondamment montré son mépris envers le peuple à qui il devait ses pouvoirs jusqu'au jour où ce peuple a redressé la tête.

3) Dilapidation des biens de l'Etat et de l'argent du peuple pour ses plaisirs personnels et sa mégalomanie ainsi que pour satisfaire la cupidité de sa belle-famille et de son clan. Parmi les multiples exemples, il convient de citer les ruineux tournages de films, les festivals de films organisés à grands frais, les luxueuses réceptions alors que le peuple connaissait la disette. Insensible aux difficultés de nos compatriotes et au combat de notre armée aux frontières, Norodom Sihanouk distribuait avec os- tentation de maigres secours, voire les uniformes de nos soldats comme des dons personnels et réservait des sommes considérables à ses menus plaisirs et à ceux de son clan.

4) Corruption qu'il a systématiquement encouragé et favorisé pour s'acquérir fidélité de sa famille et de son clan. Dans le monde entier, on sait et nous avons les preuves que Néang Monique et sa mère, Néang Pomme Peang, avaient la haute main sur tous les trafics intérieurs et extérieurs, sur la répartition des pots-de-vin, les nominations de fonctionnaires aux postes lucratifs à un tarif fixé, etc. Non seulement Norodom Sihanouk ne pouvait l'ignorer mais encore il donna sa caution personnelle à la création du Casino qui devait drainer l'argent du peuple dans les poches de son clan, ou encore à des scandales d'adjudication dont l'un des plus connus est celui de Phuong Margain.

5) Atteinte au prestige et à la dignité nationale par une politique fluctuante et contraire à la neutralité et des déclarations injurieuses à l'encontre des dirigeants et de tous les pays étrangers, y compris nos amis. Par ses retournemnts continuels, Norodom Sihanouk a ruiné notre crédit international, créé un climat de méfiance dans tous les pays et tous les milieux disposés nous accorder des aides inconditionnelles ou à investir leurs capitaux dans les secteurs où ils sont nécessaires. Enfin, ses der- nières déclarations à l'étranger constituent une tentative délibérée de nuire à notre paix intérieure, de saboter nos amités internationales, de plonger dans le malheur le peuple qui unanimement le condamne".

Pour les motifs ci-dessus énoncés les députés ont soumis à l'Assemblée Nationale une proposition demandant que Norodom Sihanouk, ex-Chef de l'Etat du Cambodge, et Monique, son épouse, soient traduits devant un Tribunal Militaire pour y répondre de leurs actes et de leurs crimes contre la Nation et le Peuple".

Textes extraits de l'ouvrage, Les Cabinets ministériels khmers du 18 mars 1945 au 18 mars 1970, Ministère de l'Information, Phnom-Penh, juin 1970.

Pour une analyse par des témoins de l'époque, se reporter à Hamel, Sihanouk et le drame cambodgien, op. cit. chapitre 22, "Le mois décisifs", ainsi que Charles Meyer, qui fut le Conseiller diplomatique du Prince, Derrière le sourire khmer, Editions Plon, 1971, chapitres XIV et XV ou encore le document du général Sak Sutsakhan, The Khmer Republic at War and the Final Collapse, US Army Center for Military Mistory, Washington, 1980 et bien sur à l'ouvrage de Ross Chantrabot, La République khmère, Editions L'Harmatan, 1993 ou encore de Jean-Claude Pomonti et Serge Thion, Des courtisans aux partisans, la crise cambodgienne, Editions Gallimard, 1971. Nous donnons aussi en référence, même si nous restons plus dubitatif quant à la qualité de ce témoignage, le livre de Jonathan Grant, Laurence Moss et Jonathan Unger, Cam- bodia : The Wideming War in Indochina, Editions Washington Square Press, New- York, 1971.

(7) Le Prince Sihanouk a publié plusieurs tomes de Mémoires depuis sa destitution en 1970 comme, La CIA contre le Cambodge, Editions Maspéro, 1973; L'Indochine vue de Pékin : entretiens avec Jean Lacouture, Coll. Histoire Immédiate, Editions Seuil, 1972; Chroniques de guerre et d'espoir, Editions Hachette-Stock, 1979, et surtout, Souvenirs doux et amers, Editions Hachette, 1981.

(8) Le Prince est un homme qui n'oublie rien et l'on se remémorera ces propos qu'il tenait à Alain Peyrefitte : "Phnom-Penh s'est vautrée dans la collaboration. C'est une plaie infectée sur le visage pur du Cambodge. La reine mère, qui m'a abandonné quand j'avais le dos tourné, je l'humilierai. Les bourgeois de Phnom- Penh, qui ont trahi leur chef et leur patrie, je les humilierai : pour les punir, je n'entrerai pas dans la capitale avec la troupe, je les ferai d'abord chasser" ; Paris Match, n° 198 1353, 3 mai 1975. La prophétie s'est exactement déroulée ainsi puisqu'en avril 1975, les Khmers Rouges qui avaient politiquement à leur tête le Prince Sihanouk, rentraient dans la capitale qu'ils allaient vidé de toute sa population, envoyée en déportation.

(9) Norodom Sihanouk, Prisonnier des Khmers Rouges, Editions Hachette, 1986. Dans une note liminaire, le Prince ose écrire : "Je vous raconterai ici ma vie et mon séjour de trois chez les Khmers Rouges, au Kampuchea Démocratique car j'ai eu le triste privilège d'être prisonnier de fait des Khmers Rouges et le douloureux honneur de prendre contact, de façon très fugitive, avec mes pauvres compatriotes réduits en esclavage". Voir aussi son interview dans Le Matin de Paris du 29 janvier 1979.

En fait à cette époque, c'est le Prince lui-même qui s'allie aux Khmers Rouges, dès après sa destitution en mars 1970, dans le cadre de la fameuse Conférence de Canton d'avril 1970, qui verra l'alliance des forces révolutionnaires chinoises, khmères rouges, vietminh et vietcong sous sa houlette !! D'ailleurs d'avril 1975 à 1976, le Prince est lui-même Président de l'Etat du Kampuchea Démocratique, puis à nouveau --comme on le verra plus loin-- de juin 1982 jusqu'à la création du CNS en août 1990, Président du Gouvernement de coalition du Kampuchea Démocratique, qui dans les deux cas comprend Pol Pot, Khieu Samphan, leng Sary etc. !!

On relira : "Un entretien avec le Prince Sihanouk : Les Khmers nationalistes doivent s'unir s'ils veulent être pris au sérieux", Le Monde, 27 novembre 1979 ; "La guerre éclair au Cambodge : Sihanouk : craché comme un noyau de cerise...", Le Matin, 8 janvier 1979.

"Mon Cambodge", Politique internationale, n°13. automne 1981, pp. 161-176, entre- tien avec Patrick Wajsman.

SON SANN

« Pourquoi j'ai accepté de faire front commun avec les Khmers Rouges »

Ancien Premier ministre du Prince Sihanouk et Gouverneur de la Banque Nationale, M. Son Sann s'est tenu à l'écart de la vie politique en vivant en exil en France de 1970 à 1975. C'est en 1975, qu'il a créé l'Association générale des Khmers à l'étranger (AGKE), une importante organisation caritative. C'est finalement en 1979, qu'il a pris la tête du Front national de libération du Peuple khmer. (1)

Depuis des années, les différents acteurs du camp kampuchéen démocratique insistent pour que nous prenions part à un front commun d'opposition, mais nous avons toujours refusé jusqu'ici parce que le peuple cambodgien ne nous autorisait pas à entrer dans ce front. Or, nous avons accepté maintenant pour trois raisons : premièrement, la situation est bloquée et il fallait créer les conditions d'une évolution. Or, c'est parce que nous avons accepté d'entrer dans cette coalition gouvernementale qu'elle a pu aussi se former. Sans nous, cela eut été impossible.

Deuxièmement, vous savez que le temps ne joue pas en notre faveur, bien au contraire. Enfin, si nous ne poursuivions notre lutte qu'en tant que front, nous ne pourrions pas nous fortifier et accroître notre action de guérilla. Pour ma part, comme je l'ai déclaré au mois de mars dernier ici même à Paris, nous avons toujours fait preuve de détermination. Ce gouvernement de coalition dont je suis le Premier ministre est la preuve de notre volonté de libérer notre pays et de sauver notre siège à l'ONU. C'est pour cela que lorsque Singapour a proposé l'année dernière la création d'une coalition "souple", j'ai tout de suite été d'accord (2). En outre, dans le pro- tocole d'accord gouvernemental, il y a un paragraphe qui nous per- met de garder notre identité politique, notre propre organisation et

Article publié dans le Journal de Genève du 5 Juillet 1982

notre liberté d'action ainsi que la possibilité de recevoir directement toute aide.

Khmers Rouges ?

De nombreux amis, surtout les pays de l'ASEAN, m'ont proposé d'être Premier ministre de ce gouvernement. Maintenant, je joue mon rôle. J'essayerai et le prendrai le plus de travail possible. Par- ticiper à une coalition nationale est très difficile, surtout lorsqu'on s'allie avec des communistes. M. Pahr, président du comité ad hoc de la Conférence de New-York sur le Cambodge, qui connait bien le problème pour l'avoir vécu lui-même, m'a dit : "Vous êtes le seul à être capable de contrebalancer le pouvoir des Khmers Rouges". C'est pour cette raison que je lui ai demandé de tout entreprendre pour nous aider. Mais croyez bien qu'entre-temps, nous ne dormons pas et nous engageons notre guérilla.

Nous avons toujours été les partisans d'une solution politique. Nous voulons un Cambodge neutre et strictement non-aligné. Nous ne pouvons pas prendre parti pour l'un ou l'autre : autrement nous disparaîtrions. Sinon, c'est tout le Cambodge qui fera les frais de l'opposition entre grandes puissances.

Je veux simplement vous dire que nous sommes avant tout fa- vorables aux résolutions de l'ONU de 1979, 1980 et 1981 comme à celles de la Communauté économique européenne, c'est-à-dire au retrait des troupes vietnamiennes du Cambodge, à la convocation d'une conférence internationale et pour l'organisation d'élections li- bres.

Gare à la déstabilisation en Indochine

A la suite de l'Assemblée générale de l'ONU, M. Son Sann, Premier ministre de la coalition gouvernementale du Kampuchea démocratique fait le bilan de cette cinquième année de résistance face à l'occupation du Cambodge par le Vietnam.

L'année 1983 a été pour nous une période de grande activité. Pour ma part, j'ai beaucoup travaillé, beaucoup voyagé pour faire mieux connaître la situation de notre mouvement et la situation sur le terrain. J'ai fait d'incessantes démarches dans les deux hémis- phères pour demander aux gouvernements de voter au lieu de s'abs- tenir lors du vote de l'ONU, sur la question cambodgienne. Dans ce sens, les pays de l'ASEAN, nous ont beaucoup aidé. Si le Viet- nam ne s'est pas opposé au maintien du siège du Kampuchea dé- mocratique, c'est que les dirigeants de Hanoi savent très bien qu'une opposition nette ou un amendement ne serait pas passé. Seule l'Union soviétique a soulevé une opposition de principe. Nous sommes très satisfaits des résultats de cette cinquième résolution de l'ONU, puisque nous maintenons notre siège avec, cette fois-ci, 105 voix.

Oui bien sûr. Nous demandons la reconstruction d'un Cambodge libre, indépendant, démocratique, strictement neutre, réellement non aligné, nationaliste et non communiste. Mon mouvement, le FLNPK, depuis son manifeste du 9 octobre 1979, maintient son appel pour un règlement pacifique de la question cambodgienne. Il est primor- dial que le peuple cambodgien puisse voter librement sous contrôle de l'ONU et manifester ainsi son droit à l'autodétermination. Il ne faut pas oublier que nous en sommes à la 5ème résolution des Na-

Article publié dans le Journal de Genève du 6 décembre 1983

tions-Unies. Il faudrait vraiment qu'après plusieurs votes positifs suc- cessifs, une résolution ait une force exécutoire. Car autrement, quel recours auront les petits pays ?

C h a n g e m e n t d e t a c t i q u e

Je ne crois pas. Face au soutien constant de l'opinion interna- tionale, les Vietnamiens ont essayé de nous balayer, c'est pourquoi nous avons changé de tactique. Nous avons opté pour une véritable guerre de guerilla. Nous ne sommes pas si faibles que cela et c'est pour cette raison que le 31 janvier, les Vietnamiens ont lancé une attaque massive sur le centre de Non Chan pour lequel nous nous sommes battus 51 jours avant de décrocher. La même chose s'est répétée à la fin du mois de mars dernier.

Il est positif, car nous comptons de plus en plus de gens qui veulent se battre dans nos rangs. Nous avons fait beaucoup de progrès. En plus de nos 11 000 soldats, nous en avons d'ores et déjà 6 000 qui ont reçu un entrainement et qui n'attendent que des armes. Elles nous font cruellement défaut.

A la suite d'un voyage en Australie, un journaliste a exprimé des critiques vives sur la position de Norodom Sihanouk. Et le Prince a cru que j'en étais l'auteur. C'était un malentendu que nous avons rapidement dissipé.

Il ne fait pas de doute que le peuple cambodgien ne peut plus supporter la présence vietnamienne, c'est-à-dire près de 180 000 hommes de troupe qui commettent trop d'atrocités. Le peuple nous aide beaucoup. Depuis le commencement de la saison des pluies, nous pénétrons au plus profond des zones où les Vietnamiens se

sont retirés pour se replier sur leurs places fortes. Nous avons main- tenant notre action sur une pression militaire en plus de la pression politique et économique internationale. Un des problèmes des diri- geants vietnamiens est que le moral de leurs troupes est très bas et qu'il y a de plus en plus de désertions. Les soldats vietnamiens, ne l'oublions pas, font la guerre depuis des dizaines d'années.

E n o r m e t r a n c h é e

Pacifique n'est peut-être pas le mot. Le nombre de leurs soldats est toujours le même, car ils n'ont pas retiré des bataillons mais ils ont simplement effectué des rotations. Actuellement, ils sont en train de percer une énorme tranchée de 6 mètres tout le long de la frontière avec la Thailande. Nous ne savons pas pourquoi. Face à la résistance "passive" de la population, ils ont destitué de nombreux chefs de district et torturé atrocement tout suspect comme par exem- ple en les plongeant dans un baril de fer qu'on chauffe C'est pour cela que des soldats gouvernementaux de Heng Samrin désertent pour nous rejoindre. Hanoi fait venir des milliers de colons (700 000) et des pêcheurs dans la région des grands lacs, dont la production est destinée en fait à la population du Vietnam. Peu à peu, les villageois sont obligés d'apprendre le vietnamien et de s'astreindre à des cours de marxisme-léninisme. Non seulement, ils détruisent notre corps, mais aussi notre esprit.

Il est vrai qu'à la longue, ce risque, pourrait exister mais certai- nement pas cette année, bien au contraire. Ce que l'Europe doit saisir, c'est que la déstabilisation du Sud-Est asiatique se poursuit dangereusement avec la pénétration soviétique. Si le Cambodge ne peut être libéré, la déstabilisation s'accentuera. J'en suis convaincu.

Son Sann : "Je suis au service de mon peuple"

La résistance cambodgienne est aujourd'hui affaiblie aussi bien sur le plan militaire qu'au niveau de ses dissensions internes. Le Premier ministre, Son Sann, président du FLNPK, une des trois composantes du GCKD, est contesté au sein de son organisation.

D'abord informer les gouvernements de la situation actuelle au Cambodge. Certains croient que nous n'avons plus de chance alors qu'en fait la situation a changé. Nous n'avons plus, il est vrai de camps visibles à l'intérieur du Cambodge mais seulement des groupes de guérilla implantés de plus en plus profondément pour harceler les Vietnamiens.

Je voudrais insister sur le fait que nous ne sommes pas dans une position de faiblesse comme il y a un ou deux ans. Nous avons proposé un plan de négociation en huits points pour lequel je cherche l'appui de tous les pays amis. Quarante pays ont déjà répondu favorablement dont 12 européens. C'est dans ce but que je suis allé à Strasbourg où siège le Conseil de l'Europe et la Communauté européenne. Nous faisons notre devoir sur le terrain mais nous manquons de moyens. Ce ne sont pas les nôtres (les troupes du FLNPK) qui sont autour de Phnom-Penh, mais il y a des commandos de la coalition tripartite. Ce n'est pas suffisant et c'est pour cela que nous demandons une pression économique sur le Vietnam et la poursuite du vote en notre faveur à l'ONU.

Article publié dans le Journal de Genève du 27 juin 1986