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André Jacob Le cadran solaire byzantin de Taurisano en Terre d'Otrante In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 97, N°1. 1985. pp. 7-22. Résumé André Jacob, Le cadran solaire «byzantin» de Taurisano en Terre d'Otrante, p. 7-22. D'inspiration occidentale, mais destiné à une église de rite byzantin, le cadran solaire de Santa Maria della Strada à Taurisano porte une inscription grecque primitive, qui peut être datée du XIVe siècle. Six lettres grecques, gravées dans un second temps aux extrémités des rayons, désignent les heures canoniales de l'Église latine et symbolisent sans doute le passage du sanctuaire au rite latin; elles sont caractéristiques d'une époque où les textes italiens du Salento étaient souvent transcrits au moyen de l'alphabet grec. Citer ce document / Cite this document : Jacob André. Le cadran solaire byzantin de Taurisano en Terre d'Otrante. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen- Age, Temps modernes T. 97, N°1. 1985. pp. 7-22. doi : 10.3406/mefr.1985.2796 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5110_1985_num_97_1_2796

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André Jacob

Le cadran solaire byzantin de Taurisano en Terre d'OtranteIn: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 97, N°1. 1985. pp. 7-22.

RésuméAndré Jacob, Le cadran solaire «byzantin» de Taurisano en Terre d'Otrante, p. 7-22.

D'inspiration occidentale, mais destiné à une église de rite byzantin, le cadran solaire de Santa Maria della Strada à Taurisanoporte une inscription grecque primitive, qui peut être datée du XIVe siècle. Six lettres grecques, gravées dans un second tempsaux extrémités des rayons, désignent les heures canoniales de l'Église latine et symbolisent sans doute le passage du sanctuaireau rite latin; elles sont caractéristiques d'une époque où les textes italiens du Salento étaient souvent transcrits au moyen del'alphabet grec.

Citer ce document / Cite this document :

Jacob André. Le cadran solaire byzantin de Taurisano en Terre d'Otrante. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 97, N°1. 1985. pp. 7-22.

doi : 10.3406/mefr.1985.2796

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5110_1985_num_97_1_2796

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ANDRÉ JACOB

LE CADRAN SOLAIRE «BYZANTIN»

DE TAURISANO EN TERRE DOTRANTE

Dans une publication récente consacrée à l'église de Santa Maria della Strada à Taurisano, localité sise dans le diocèse d'Ugento, A. Laporta a signalé la présence, sur le mur méridional du sanctuaire, d'un cadran solaire portant une inscription en caractères grecs1. Comme il s'agit sans doute du seul objet de ce genre conservé en Italie, où les exemplaires latins d'époque médiévale sont au demeurant assez rares, il ne nous a pas paru superflu de le décrire ici en détail et de rechercher les modèles dont il s'inspire.

L'église Santa Maria della Strada, construite en style roman tardif2, n'a jamais fait l'objet d'une étude approfondie. Bien que l'architecture religieuse du Salento soit assez riche en monuments similaires, il est malaisé, en l'absence de toute documentation historique contemporaine, de la dater avec précision à cause de la persistance exceptionnelle des formes romanes dans la région, où ce style était encore en vigueur à l'aube du Quattrocento. D'après une tradition locale rapportée par la Visite pastorale de 1711, l'église aurait été édifiée aux alentours de 1250, mais l'évêque d'Ugento De Rossi fait aussi remarquer que l'inscription du portail qui avait inspiré cette opinion n'était plus guère visible de son temps3. À vrai dire, on ne voit pas très bien à quel endroit du portail la dédicace en question aurait pu se trouver, puisque le linteau, où elle est gravée dans la plupart des cas, est constitué par une Annonciation sculptée4; quant au tympan, qui est aujourd'hui complètement dépouillé, il était probablement peint à l'origine, comme celui du portail central de Sainte-

1 A. Laporta, Storia ed arte, dans La chiesa di Maria Santissima della Strada in Taurisano. Storia, arte, interventi ed opere per il recupero, Galatina, 1984, p. 11.

2 Ibid., p. 8-11 et pi. [1] , p. 16, et [9]. 3«Supponitur ex traditione istam ecclesiam fuisse aedificatam de anno 1250

circiter ex antiqua inscriptione parum hodie apparenti in frontìspitio ecclesiae in quo adest imago Annunciationis B. V. litteris grecis expressa angelica salutatione » {ibid., p. 14, d'après une transcription de S. Palese).

4 Ibid., pi. [2]; ci-dessous, fig. 3.

MEFRM - 97 - 1985 - 1, p. 7-22.

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Fig. 1 - Taurisano, Santa Maria della Strada : Vue partielle du mur sud (Photographie L. D.-A.).

Catherine à Galatina5. Il y a donc beaucoup à parier que la prétendue date de 1250 provient d'une interprétation erronée de certaines lettres de l'inscription qui accompagne la scène de l'Annonciation. En attendant que les historiens de l'art examinent plus attentivement l'église de Taurisano, nous nous contenterons, pour notre part, d'enregistrer les avis exprimés jusqu'à présent sur la date de la construction, que les auteurs situent le plus souvent au XIVe siècle ou à la fin du siècle précédent6.

Le cadran solaire est encastré à une hauteur de 6,35 m environ dans le mur sud de l'édifice, non loin de son extrémité orientale7. Formé d'un

5 A. Putignani, // tempio di S. Caterina in Galatina, 2e éd., Galatina, 1968, p. 25. 6 Voir, par exemple, C. De Giorgi, La provincia di Lecce. Bozzetti di viaggio, II,

Lecce, 1888, p. 146; Laporta, Storia ed arte, op. cit., p. 9. Un avis discordant est celui de Lenormant, qui date la façade de l'église du XIe siècle: voir F. Lenormant, Notes archéologiques sur la Terre d'Otrante. Seconde partie, dans Gazette archéologique, 7, 1881-1882, p. 122; Idem, Archaeological Notes on the Terra d'Otranto, dans The Academy, 21, January- June 1882, p. 457.

7 Fig. 1. Vue d'ensemble de la paroi méridionale dans La chiesa di Maria Santissima della Strada, op. cit., pi. [9].

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LE CADRAN SOLAIRE « BYZANTIN » DE TAURISANO EN TERRE D'OTRANTE

Fig. 2 - Taurisano, Santa Maria della Strada : Cadran solaire (Photographie L. D.-A.).

Fig. 3 - Taurisano, Santa Maria della Strada : Bas-relief de l'Annonciation (Photographie L. D.-A.).

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unique bloc de pierre, il se présente sous la forme d'un cercle en saillie disposé dans un plan vertical8 et dont le diamètre mesure 59cm; il est muni d'un style métallique moderne9, perpendiculaire au disque. Il est assez endommagé, en particulier dans sa moitié supérieure, vraisemblablement pour avoir servi de cible à des projectiles divers au cours de son histoire. Le demi-cercle inférieur, qui reçoit l'ombre du style, est divisé en six parties égales ; le rayon vertical est prolongé vers le haut et se termine en croix.

Il saute aux yeux que les caractères gravés sur le cadran solaire de Santa Maria della Strada sont l'œuvre de deux lapicides différents. Les six lettres isolées placées à l'extrémité des rayons sont plus petites et tracées avec moins de soin que le reste de l'inscription et doivent être considérées comme des ajouts.

La première partie de l'inscription primitive est constituée par la formule bien connue Ί(ησου)ς Χ(ριστο)ς νίκα10, dont les quatre groupes de lettres, entourés de points, sont placés aux extrémités de la croix, de part et d'autre du montant :

• ÏC · · XC ·

• NI · · KA ·

On notera la forme du tilde, qui est très proche du tilde épigraphique latin à renflement central. La formule IC XC ΝΙΚΑ est connue de l'épi- graphie byzantine du Salento depuis le Xe siècle: elle est attestée, par exemple, dans les inscriptions Inv. 52 et 55 du Musée provincial de Lecce11 et, un peu plus tard (première moitié du XIe siècle?), à Santa Maria della Grotta, près de Presicce12. À la fin du XIIIe siècle, on la rencontre sur le plat antérieur de la reliure du Car olir uhensis Etonensis 613 et, plus

8 Fig. 2; La chiesa. . ., op. cit., pi. [3]. 9 On notera, à la base du gnomon, les traces d'une obturation récente en

ciment. 10 Sur cette formule, voir surtout A. Frolow, IC XC ΝΙΚΑ, dans Byzantinoslavi-

ca, 17, 1956, p. 98-113. 11 P. Rugo, Le iscrizioni dei sec. VI-VII-VHI esistenti in Italia, IV: / ducati di

Spoleto e Benevento, Cittadella, 1978, pi. 119 et 116, p. 167 et 166. 12 Cf. C. D. Fonseca, A. R. Bruno, V. Ingrosso et A. Marotta, Gli insediamenti

rupestri medioevali nel Basso Salento, Galatina, 1979 {Università di Lecce. Facoltà di lettere e filosofia. Istituto di storia medioevale e moderna. Saggi e ricerche, 5), p. 170.

13 K. Preisendanz, Die Handschriften des Klosters Ettenheim- Münster. Neudruck mit bibliographischen Nachträgen, Wiesbaden, 1973 {Die Handschriften der badischen Landesbibliothek in Karlsruhe, 9), p. 9.

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tard, sur le feuillet de parchemin qui a servi de reliure au Parisinus gr. 323, manuscrit bilingue de la Liturgie chrysostomienne exécuté pour Nicolas Orsini, comte de Noia (1331-1399), dans les années 1360-137014. Deux moules à pain eucharistique, conservés à Brindisi et à Ugento et datant à peu près de la même époque, la connaissent également15. Dans tous ces exemples, les deux syllabes du verbe ΝΙΚΑ sont dotées de tildes, comme à Taurisano.

La seconde ligne du registre supérieur contient l'inscription proprement dite, divisée en deux parties entourées de points. Elle se laisse reconstruire sans peine et n'est guère originale puisqu'il s'agit de la simple rubrique «Les heures du jour» :

• Ai ώρ[αι] · [· τή]ς ήμ[έρ]ας·

Est-il possible de dater, fût-ce de manière approximative, l'alphabet utilisé par le premier graveur? Des rares lettres disponibles pour l'analyse paléographique, quelques-unes paraissent assez typiques du XIVe siècle salentin : ce sont l'alpha, le kappa, le mu, le khi et l'oméga. Le kappa au trait inférieur droit brisé et le mu aux trois jambages d'égale hauteur16 se trouvent dans la dédicace gravée de la chapelle de la Théotokos à Cavallino (an. 1 309-1 3 10) 17; l'alpha «à potence» et le kappa sont présents dans les dédicaces peintes de Saint-Michel-Archange, près de Copertino (an. 1314/15)18, et de Saint- Jean-1'Évangéliste à San Cesario (an. 1329)19; le khi aux traits concaves est attesté dans la première partie de l'inscrip-

14 Paris, gr. 323, f . 2r (les tildes sont de forme latine). Sur ce ms., voir A. Jacob, La traduction de la Liturgie de saint Jean Chrysostome par Léon Toscan. Édition critique, dans Orientalia christiana periodica, 32, 1966, p. 120-121; le filigrane, formé de deux clés disposées parallèlement et surmontées d'une croix de Lorraine, est assez proche du n° 2698 (an. 1362, 1363-64) du répertoire de V. A. Mosin et S. M. Traljic, Filigranes des XIIIe et XIVe ss., Zagreb, 1957 (Académie yougoslave des sciences et des beaux-arts).

15 Voir R. Jurlaro, Tre stampi eucaristici inediti a Brindisi (Contributo per la storia della liturgia eucaristica e greca in Italia), dans Bollettino della Badia greca di Grottaf errata, N.S., 15 (1961), p. 80-82 et fig. 3; Idem, Nuovi stampi eucaristici dal Salento (Contributo per la storia della liturgia eucaristica e greca in Italia), ibid., N.S., 17 (1963), p. 155 et fig. 9.

16 II est uni ici à l'êta qui le précède. 17 A. Jacob, Inscriptions byzantines datées de la province de Lecce (Carpignano,

Cavallino, San Cesario), dans Rendiconti della Classe di scienze morali, storiche e filologiche dell'Accademia nazionale dei Lincei, Serie Vili, 37, 1982, p. 53 et pi. Ila.

18 A. Jacob, Une dédicace de sanctuaire inédite à la Masseria Li Monaci, près de Copertino en Terre d'Otrante, dans Mélanges de l'École française de Rome. Moyen Âge-Temps modernes, 94, 1982, p. 705, fig. 1.

19 Jacob, Inscriptions byzantines, op. cit., p. 56 et pi. IVa.

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Fig. 4 - Còpie de l'inscription du groupe de l'Annonciation (XIXe siècle).

tion gravée d'Andrano (an. 1 372/73) 20; quant à l'oméga, on le rencontre, moins bien tracé, dans la seconde partie de l'inscription d'Andrano21 et dans la dédicace gravée de la tour de Carpignano (an. 1 378/79) 22.

Le bas-relief de l'Annonciation qui orne le portail de l'église23 est indubitablement contemporain du cadran solaire. À la fin du siècle dernier, Lenormant en a presque entièrement déchiffré l'inscription24. Une

20 Rugo, Le iscrizioni, op. cit., pi. 125, p. 170; A. Jacob, Une fondation d'hôpital à Andrano en Terre d'Otrante (Inscription byzantine du Musée provincial de Lecce), dans Mélanges de l'École française de Rome. Moyen Âge-Temps modernes, 93, 1981, p. 685, fig. A.

21 Rugo, Le iscrizioni, op. cit., pi. 126, p. 171; Jacob, Une fondation, op. cit., p. 686, fig. B.

22 Rugo, Le iscrizioni, op. cit., pi. 121, p. 168; Jacob, Inscriptions byzantines, op. cit., p. 59 et pi. IV b.

23 Fig. 3. 24 Lenormant, Notes archéologiques. . . Seconde partie, op. cit., p. 122.

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curieuse copie exécutée pour l'érudit local S. Castromediano (181 1-1 895) 25 permet de confirmer et de compléter la lecture de Lenormant26. L'inscription s'est fort détériorée depuis. Aujourd'hui, la réponse de la Vierge - ιδού η δούλη Κ(υριο)υ γένοιτο μοι κατά το ρήμα σου (Le 1,38) - a disparu sans laisser de traces27. Le reste, que nous avons lu à grand-peine, comprend le titre de la scène (ο ευαγ<γ>ελισμος)28, le nom de l'ange (α<γγ>ελος Γαβριήλ)29 et la salutation angélique (χαίρε καιχαριτωμενη ο Κύριος μετά σου = Le 1,28) 30. Le texte n'est pas accentué, l'orthographe est peu correcte et le tracé des lettres moins soigné que sur le cadran solaire, mais l'alphabet est fort proche, encore que, par certains détails, il s'apparente peut-être plus à l'inscription d'Andrano de 1372/73 : son alpha ressemble beaucoup à celui du premier lapicide d'Andrano, son kappa à celui du second31.

En définitive, il ne nous semble pas trop hasardeux d'affirmer que l'inscription primitive du cadran solaire de Taurisano a peu de chances de remonter à la seconde moitié du XIIIe siècle. Il ne fait pas de doute, à notre avis, qu'elle soit du XIVe siècle, mais il est impossible, dans l'état actuel des connaissances, de préciser davantage. Personnellement, nous serions plutôt porté à exclure les deux ou trois premières décennies du siècle, ainsi que les deux dernières, et à restreindre ainsi la fourchette à une cinquantaine d'années. Ce n'est là, toutefois, qu'un sentiment subjectif, que l'historien de l'art pourra éventuellement confirmer ou infirmer.

Passons maintenant aux lettres ajoutées dans un second temps aux extrémités des rayons du demi-cercle inférieur. En partant de la gauche, nous rencontrons successivement les lettres suivantes :

25 Sur Castromediano, voir la notice de L. Agnello, dans Dizionario biografico degli Italiani, 22, Rome, 1979, p. 245-248. Nous sommes reconnaissant à M. A. Laporta, directeur de la Bibliothèque provinciale de Lecce, d'avoir mis à notre disposition une photocopie de cette pièce, qui est actuellement conservée dans les archives privées de la famille Gorgoni à Cavallino di Lecce.

26 Fig. 4. Le dessinateur anonyme, qui ignore tout du grec, a reproduit le texte tant bien que mal en partant de la gauche et sans se soucier le moins du monde de l'ordre logique.

27 Sa place était sans doute à droite du nimbe de la Vierge. 28 À la hauteur de la main gauche de l'ange. 29 Sur le chapiteau à gauche de l'ange. Les trois premières lettres ne sont plus

sûres; Lenormant a lu ici ο αγελος, avec l'alpha uni au gamma. 30 Entre les deux figures et sur le chapiteau à droite de la Vierge. Les mots ο

Κύριος (écrit en toutes lettres) μετά σου pourraient être d'une autre main. 31 Cf. Jacob, Une fondation, op. cit., p. 685-686, fig. A et Β.

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Les deux premières lettres sont quelque peu abîmées, mais ne posent aucun problème de lecture. On distingue encore parfaitement le contour du pi évidé par la chute d'un éclat de pierre, de même que la tige et la barre du tau, lettre dont la position est anormale si on la compare à celle de C, Ν et B.

De prime abord, ces lettres, qui ne peuvent être interprétées comme des chiffres, ont une apparence fort hermétique, et c'est en vain qu'on chercherait à Byzance la clé du mystère. Pour trouver la solution, il suffit, en revanche, de penser à la situation culturelle toute particulière du Salento méridional à la fin du moyen âge, quand la prédominance du grec y est de plus en plus menacée par l'italien, tandis que la liturgie byzantine subit l'influence sans cesse croissante du culte latin.

Le cadran solaire de Santa Maria della Strada illustre à merveille ces mutations du cadre linguistique et rituel de la région puisque les six lettres qui lui ont été adjointes ne sont rien d'autre que les initiales des heures canoniales latines transcrites en caractères grecs :

Π : Prima. Τ : Tertia. C : Sexta. Ν : Nona. Β : Vespera, Κ : Completo- rium.

Dater ces initiales est bien sûr tâche désespérée. Le seul indice, par ailleurs ténu, qui nous inviterait à ne pas les reporter trop loin de l'inscription originale est offert par le kappa, dont le dessin, malgré l'aspect plus trapu de la lettre, ne s'écarte pas beaucoup de celui du kappa de ΝΙΚΑ. Il est clair qu'elles remontent à l'époque où l'alphabet grec servait à la transcription des textes en volgare salentin, ce qui ne nous avance guère pour les dater, car les premiers documents de ce genre sont du milieu du Trecento et les derniers du début du XVIe siècle32. Le nom de Taurisano apparaît dans les Registres angevins à partir de 126933, mais on ignore tout de la consistance de sa communauté hellénophone et de sa romanisation progressive. Le seul témoin d'une présence grecque à Taurisano est l'église de Santa Maria della Strada, qui, de toute évidence, était destinée à la célébration du culte byzantin. L'insertion des heures canoniales de l'Église latine sur son cadran solaire trahit-elle le passage du sanctuaire au rite occidental ou ne reflète-t-elle qu'un stade avancé d'ita-

32 Pour un état de la question, voir M. T. Romanello, L'affermazione del volgare nel Salento, dans Archivio storico per le province napoletane, 96, 1978, p. 31-36.

33 R. Filangieri, / Registri della cancelleria angioina, IV (1266-1270), Naples, 1952, nos 383, 388 et 405, p. 60, 61 et 63.

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lianisation locale? Rien ne permet pour l'instant de trancher la question, sur laquelle nous reviendrons à la fin de cette note, après une brève enquête sur les modèles possibles du cadran de Taurisano.

Les cadrans solaires du moyen âge sont pratiquement tous du type qui vient d'être décrit34. Ils se présentent le plus souvent sous la forme d'un cercle ou d'un demi-cercle et sont en général fixés à la paroi méridionale de l'église; le style est perpendiculaire à la table du cadran et les heures que son ombre indique sont de durée inégale, non seulement dans le courant de l'année, mais même dans l'espace d'une journée. Foncièrement inexacts, ces cadrans servent surtout à signaler de manière rudi- mentaire les heures de l'office diurne et c'est la raison pour laquelle on les qualifie de canoniaux. En fin de compte, leur fonction, symbolique et réelle à la fois, est autant de rappeler à l'homme le devoir de la prière que de marquer le cours du temps.

On trouve des cadrans médiévaux dans toute l'Europe, dans le monde byzantin et jusqu'en Arménie35. Leur patrie d'élection est l'Angleterre, qui en a conservé une centaine d'exemplaires36. C'est de là, selon certains auteurs, qu'ils se seraient répandus sur le continent à la suite des mission-

34 Parmi l'abondante bibliographie des cadrans médiévaux, nous avons surtout mis à profit pour rédiger ces lignes les ouvrages suivants : E. Zinner, Die ältesten Räderuhren und modernen Sonnenuhren. Forschungen über den Ursprung der modernen Wissenschaft, Bamberg, 1939 (28. Bericht der naturforschenden Gesellschaft); Idem, Alte Sonnenuhren an europäischen Gebäuden, Wiesbaden, 1964 (Boe- thius. Texte und Abhandlungen zur Geschichte der exakten Wissenschaften, 3); R. J. J. Rohr, Les cadrans solaires anciens d'Alsace, Colmar, 1971 (Collection Richesses de l'Alsace); Idem, Die Sonnenuhr. Geschichte, Theorie, Funktion, Munich, 1982.

35 Voir les cadrans d'époque médiévale dans le catalogue dressé par Zinner, Alte Sonnenuhren, op. cit., p. 28-220, qui va du moyen âge à 1800.

36 Voir Zinner, Die ältesten Räderuhren, op. cit., p. 7-9; Idem, Alte Sonnenuhren, op. cit., p. 3-4. La bibliographie anglaise citée par Zinner ne nous a pas été accessible : D. H. Haigh, Yorkshire Dials, dans The Yorkshire Archaeological and Topographical Journal, 17-18, 1877, p. 134-222; Mrs. Alfred Gatty, The Book of Sun-Dials, 4e éd., Londres, 1900; E. Hörne, Primitive Sun Dials, or Scratch Dials. Containing a List of those in Somerset, Taunton, 1917; Idem, Schratch Dials : their description and history, Londres, 1929; A.R.Green, Sundials, Incised Dials or Mass-ClocL·, Londres, 1926.

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naires irlandais et anglo-saxons37. S'il est vrai qu'ils se font de plus en plus rares au fur et à mesure qu'on descend vers l'Europe du Sud et du Sud-Est38, on notera cependant que le cadran arménien de Zvartnots est contemporain des plus anciens cadrans anglais (VIIe siècle), ce qui exclut évidemment la possibilité d'une influence insulaire.

Aucune étude systématique n'a encore été consacrée aux cadrans solaires du bassin méditerranéen, dont seuls quelques exemplaires ont été signalés jusqu'ici au hasard des publications les plus disparates. C'est sur la base de cette documentation un peu mince qu'il nous faut essayer de déterminer si la tradition byzantine se distingue par l'un ou l'autre détail de la tradition occidentale - de l'italienne en particulier - et, en cas de réponse positive, de montrer auquel des deux groupes se rattache le cadran solaire de Taurisano.

Le plus ancien cadran byzantin datable est celui de l'église de la Dor- mition à Skripou, construite en 873/4 39. Il est formé d'un demi-cercle, qu'on a divisé en onze parties; une bande semi-circulaire entoure la partie courbe du cadran et renferme les chiffres des dix premières heures du jour, gravés dans le prolongement des rayons. De même forme que le précédent, l'exemplaire du Musée de Thèbes40, de date incertaine, comprend douze quartiers, à l'intérieur desquels sont notés les chiffres des douze heures. Le monastère de Saint-Georges, près d'Arvanitochôri en Bithynie (auj. Arnavutköy, au sud de Katirli) était pourvu d'un cadran solaire, que Gédéon assigne au XIIe siècle41 et qui est pour ainsi dire identique à celui de Thèbes42.

En Arménie, la division en douze heures est également la norme43. L'un des témoins les plus vénérables est sans conteste le cadran de Zvart-

37 Cf. Rohr, Les cadrans solaires, op. cit., p. 53. 38 Zinner, Die ältesten Räderuhren, op. cit., p. 14. 39 Fig. 5. Il est également reproduit dans J. Strzygowski, Inedita der Architektur

und Plastik aus der Zeit Basilios' I (867-886), dans Byzantinische Zeitschrift, 3, 1894, (p. 16), pl. III, 7 (dessin), et dans A. Grabar, Sculptures byzantines de Constantinople (IVe-Xe siècle), Paris, 1963, {Bibliothèque archéologique et historique de l'Institut français d'archéologie d'Istanbul, 17), pl. XXXIX, 1.

40 Dessin dans Strzygowski, Inedita, op. cit., pl. 111,8. 41 M. I. Gédéon, Έγγραφοι λίθοι και κεράμια, Constantinople, 1892, p. 29-30. 42 Fig. 6. 43 Nous nous contentons ici de quelques exemples facilement repérables et qui

suffisent à notre propos; Zinner, Alte Sonnenuhren, op. cit., p. 2, signale des cadrans à Thalin et à Geghard. Une recherche systématique ne manquerait certainement pas d'enrichir cette documentation.

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£0.

Fig. 5 - Skripou, église de la Dormition : Cadran solaire (Photographie M. C. F.)

Fig. 6 - Arvanitochôri : Cadran solaire du monastère de Saint-Georges (d'après Gédéon).

nots (VIIe siècle)44, cercle de pierre sur la moitié supérieure duquel est gravée l'inscription suivante45 :

44 Sur Zvartnots, voir C. H. Mnatsakanjan, Zvartnots. Pamjatnik armjanskogo zodcestva VI-VH vekov, Moscou, 1971; le cadran solaire y est reproduit à la p. 96, fig. 16.

45 Fig. 7.

MEFRM 1985, 1.

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Fig. 7 - Zvartnots : Cadran solaire (d'après Mnatsakanjan).

«Tout saint priera le Seigneur au moment convenable» (Ps 31,6). Par rapport à la superficie du demi-cercle inférieur, la table divisée

en onze par les rayons est plutôt exiguë; dans le prolongement des douze rayons - y compris les deux rayons horizontaux qui constituent le bord supérieur -, et en dehors du cadran proprement dit, les heures sont d'abord soulignées d'un motif ornemental fait d'un cercle à noyau central, puis marquées par les chiffres eux-mêmes. Le cadran en demi-cercle de l'antique basilique d'Ererouk46, qui n'est peut-être pas primitif, est gravé directement sur la paroi à l'instar des scratch dials et divisé en onze parties. Au monastère de Ketcharis, le cadran solaire du gawit' (XIIe/XIIIe

siècle) est du même type que ceux de Thèbes et d'Arvanitochôri47.

46 P. Paboudjian, A. Alpago-Novello et D. K. Kouymjian, Ererouk, Milan, 1977 (Documenti di architettura armena, 9), fig. 13, p. 37. Les rayons sont prolongés au- delà du demi-cercle; on ne distingue pas de chiffres sur la photographie.

47 M. Hasratian et A. Alpago-Novello, Ketcharis, Milan, 1982 (Documenti di architettura armena, 11), fig. 7, p. 18, et fig. 1, p. 7 (vue d'ensemble); Architettura medievale armena. Roma - Palazzo Venezia, 10-30 giugno 1968, fig. 189.

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Comme on le voit, s'il est permis de généraliser à partir de ces quelques exemples, les cadrans byzantins et arméniens, qui affectent la forme du demi-cercle, ont conservé la division romaine du jour en douze heures, dont ils notent généralement tous les chiffres. L'emplacement de ces chiffres sur le cadran permet de distinguer deux types. Les uns, en effet, les situent dans le prolongement exact des rayons et ne sont divisés dès lors qu'en onze parties, la moitié gauche du bord supérieur constituant le premier rayon48. Les autres - plus récents? - comportent douze parties, à l'intérieur desquelles sont gravés les douze chiffres.

Si les cadrans occidentaux ne se distinguent pas spécialement de ceux du monde byzantin par leur forme, qui est indifféremment circulaire ou semi-circulaire, ils offrent, en revanche, une grande variété de subdivisions de la table. La division en huit parties, typiquement nordique, se rencontre surtout en Angleterre - où on trouve aussi des cadrans à quatre, seize et dix intervalles - et quelquefois en Allemagne49. Quant aux cadrans de douze heures d'inspiration méditerranéenne, ils sont attestés dans toute l'Europe dès le VIIe siècle, de même que leur version simplifiée, qui ne comporte que six divisions50. C'est, à la fin du moyen âge, le type le plus répandu.

Le souci de faire ressortir les heures canoniales, en particulier tierce, sexte et none, apparaît dans les plus anciens cadrans occidentaux, comme celui de Bewcastle (vers 675), où les troisième, sixième et neuvième lignes sont renforcées par un petit trait transversal51. Plus tard, certaines d'entre elles sont parfois désignées par leurs initiales. C'est ainsi que les deux cadrans successifs de la collégiale de Hameln en Basse-Saxe, érigés après 1250, utilisent les lettres Ν et V pour souligner la place de none et vêpres52.

En Italie, les cadrans médiévaux signalés jusqu'ici ne dépassent guère la douzaine, à notre connaissance du moins, et sont souvent insuffisamment décrits. Ils se présentent aussi bien sous forme circulaire (cathédrales de Gênes et Cefalù, abbaye d'Acquafredda, sur les bords du lac de

48 Ce système, on l'avouera, est pour le moins curieux. À la difficulté pratique de diviser correctement un demi-cercle en onze parties égales, s'ajoute l'incohérence de considérer comme première heure ce qui constitue normalement l'heure zéro.

49 Zinner, Die ältesten Räderuhren, op. cit., p. 8-11. 50 Ibid., p. 7-8, 9-10, 11-12. 51 Ibid., p. 7 et pi. 20, fig. 39. 52 Ibid., p. 11 et pi. 20, fig. 37-38.

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Còme) que semi-circulaire (Aoste, Pomposa, Spolète, Santa Maria a Piè di Chienti, près de Macerata). Le cadran de Pomposa est divisé en quatre et constitue à ce titre une exception pour l'Italie53, tandis que les exemplaires d'Acquafredda, daté de 119354, et de Santa Maria a Piè di Chienti55 comportent douze parties. Le cadran conservé au musée de Spolète, compte six parties, comme celui de Taurisano, mais seule la ligne verticale de midi y est gravée56, de simples marques de plomb remplaçant les autres rayons. L'usage de noter les initiales des heures liturgiques est attesté à l'église monastique de Santa Maria a Piè di Chienti, dont le cadran, qui remonte au XIIe siècle, porte les lettres Τ (tierce), S (sexte) et Ν (none)57.

Deux cadrans solaires apuliens d'époque romane (XIIIe siècle) doivent être signalés pour finir. Il s'agit des cadrans des cathédrales de Mol- fetta (Duomo Vecchio) et Ruvo, qui sont formés d'un demi-cercle divisé en douze58. Celui de Molfetta est orné d'une tête d'homme en bas-relief, qui tient en bouche le gnomon59.

Au terme de ce rapide inventaire des types de cadran solaire au moyen âge, il ne fait pas de doute que la division en six parties du cadran de Santa Maria della Strada, jointe à sa forme de disque et à l'absence de chiffres, le rattache à la tradition occidentale. La croix formée dans le prolongement de la ligne verticale est sans doute aussi d'inspiration iden-

53 Zinner, Alte Sonnenuhren, op. cit., p. 158. 54 D. Sant'Ambrogio, Una meridiana del XII secolo, dans Archivio storico lom

bardo, Serie quarta, 3, 1905, p. 213-214; J. L. Benoit, Un cadran solaire monastique du XIIe siècle, dans Le cosmos. Revue des sciences et de leurs applications, 59, 1908, p. 435-437, 2 fig.

55 G. Avarucci, Epigrafi medievali nella chiesa di S. Maria a Pie' di Chienti, dans Annali della Facoltà di lettere e filosofia dell'Università di Macerata, 8, 1975, p. 104- 105 et pi. XI, 1 (nous remercions vivement M. le Prof. A. Campana, qui nous a aimablement signalé cette publication).

56 Zinner, Alte Sonnenuhren, op. cit., p. 186. 57 Avarucci, Epigrafi medievali, op. cit., pi. XI, 1. 58 F. Azzarita, Quadranti solari in Puglia, dans Miscellanea di studi pugliesi, 1,

Fasano, 1984, p. 64-65; Idem, Quadranti solari. Mostra fotografica documentaria dal 22 al 31 marzo 1985, Bari, p. 14 (notre gratitude va à l'auteur, qui nous a fait connaître l'existence de ces deux témoins médiévaux de la Terre de Bari).

59 Azzarita, Quadranti. . . in Puglia, pi. 5, et Quadranti. . . Mostra, pi. 18.

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tique. Bien qu'on n'en connaisse pas d'autres exemples en Italie, on notera que le même motif est déjà gravé sur le cadran de l'église Saint-Michel à Fulda, à la réalisation duquel Raban Maur n'est peut-être pas étranger60. C'est évidemment la présence de la croix qui a entraîné l'insertion sur le cadran de la formule typiquement byzantine IC XC ΝΙΚΑ.

Fig. 8 - Fulda, Saint-Michel : Cadran solaire (dessin d'après Zinner).

Les «heures du jour» dont parle le titre du cadran visent-elles les douze heures solaires ou les heures liturgiques? Dans l'Église byzantine, le mot «heures», à l'inverse de l'usage latin, ne désigne normalement que les petites heures de l'office61, ce qui, entre autres, exclut les vêpres ; par ailleurs, le cadran à six parties n'est pas des plus aptes à mettre en relief la place de deux des petites heures, tierce et none, qui n'y sont marquées par aucune ligne. À la lumière de ces observations, la première solution apparaît donc comme la plus vraisemblable.

Il faut cependant ajouter ici, pour terminer, que c'est probablement la relative ambiguïté du titre qui a provoqué plus tard, à l'époque de l'ita- lianisation du village, l'adjonction au cadran des initiales des heures canoniales latines. La place erronée de tierce, de none et surtout de sex- te62 montre que le second lapicide a recherché davantage la symétrie que

60 Zinner, Die ältesten Räderuhren, op. cit., p. 10-11 et pi. 9, fig. 14-15. 61 L. Clugnet, Dictionnaire grec-français des noms liturgiques en usage dans

l'Église grecque, Paris, 1895, p. 170, s. ν. ώρα. Pour l'usage occidental du mot, voir Ch. Du Cange, Glossarium mediae et infimae latinitatis, éd. L. Favre, IV, Niort, 1885, p. 232 («Horae canonicae»).

62 On notera cependant qu'à la fin du moyen âge none a été avancée jusqu'à prendre la place de sexte à midi : voir à ce propos, G. Bilfinger, Die mittelalterlichen Hören und die modernen Stunden. Ein Beitrag zur Kulturgeschichte, Stuttgart, 1892, p. 59-78.

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l'exactitude. Comme il n'existe aucun autre exemple de cadran doté des six lettres en question, on peut penser qu'elles ne sont dans le cas présent que l'interprétation latinisante du titre original. Si cette exégèse n'est pas trop tirée par les cheveux, on serait assez tenté de croire qu'elles symbolisent en quelque sorte le passage définitif de Santa Maria della Strada à la liturgie latine, qui a dû survenir bien avant le début du XVIe siècle puis- qu'à cette date l'église n'était certainement plus affectée au rite byzantin63.

Fonds national de la recherche scientifique André Jacob Louvain

63 Laporta, Storia ed arte, op. cit., p. 12. À cette époque, il y avait encore des groupes hellénophones dans les environs immédiats de Taurisano, ainsi qu'en témoigne le récit du géographe dominicain Léandre Alberti, dont le voyage en Terre d'Otrante date de 1525 : «Pigliando il uiaggio da Monte Sardo et caminando due miglia si scorge Gagliano et dopo sette per la uia che se passa ad Usento, si ueggio- no moite Ville, et Contrade habitate da Greci, chi osseruano i costumi et Cerimonie Greche, insieme co'l fauelare, et ne'l uestire, et ne gli uffici diuini, auenga che anche parlano Italiano. Mi ricordo che quindi passando de'l mese di Nouembre, intesi da loro, che celebrauano la festa di .s. Philippo Apostolo, la qual celebra la Chiesa Romana, il primo giorno di Maggio. Credo che detti Greci siano usciti da quelli Greci ch'erano quiui posti per guardia et presidio di questi paesi ne tempi che gli Imperadori di Constantinopoli teneuano la signoria di essi» (L. Alberti, De- scrittione di tutta Italia, Bologne, 1550, f. 213r)·