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LE BÉTON ASSEMBLÉ Formes et figures de la préfabrication en France, 1947-1952 Yvan Delemontey Société française d'histoire urbaine | « Histoire urbaine » 2007/3 n° 20 | pages 15 à 38 ISSN 1628-0482 ISBN 9782914350204 DOI 10.3917/rhu.020.0015 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2007-3-page-15.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Société française d'histoire urbaine. © Société française d'histoire urbaine. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Société française d'histoire urbaine | Téléchargé le 23/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167) © Société française d'histoire urbaine | Téléchargé le 23/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

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LE BÉTON ASSEMBLÉ

Formes et figures de la préfabrication en France, 1947-1952

Yvan Delemontey

Société française d'histoire urbaine | « Histoire urbaine »

2007/3 n° 20 | pages 15 à 38 ISSN 1628-0482ISBN 9782914350204DOI 10.3917/rhu.020.0015

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2007-3-page-15.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Yvan Delemontey

Le beton assembleFormes et figures de la prefabrication en France,1947-1952

A u lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le secteur du batimentconnaıt en France un bouleversement sans precedent. Les besoins

immenses de la Reconstruction, puis de la construction massive de grandsensembles de logements seront l’occasion de moderniser un secteur donttous les acteurs de l’epoque – architectes, ingenieurs, entrepreneurs, poli-tiques – s’accordent a denoncer l’archaısme. Cree en novembre 1944, leministere de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) va etre le moteurde cette modernisation 1 , dont les fondements techniques sont puises dansl’un des mythes fondateurs de la modernite architecturale du debut duxx

e siecle : l’industrialisation de la construction.De ce point de vue, la periode qui s’ouvre a la Liberation, pour s’achever

vers 1953 avec le lancement d’une politique de logements de masse, estabsolument capitale. On assiste durant une dizaine d’annees a un foison-nement de « procedes non traditionnels de construction », dont la mise enœuvre a travers de nombreuses operations experimentales, va etre a l’ori-gine de la majorite des systemes constructifs utilises plus tard pour realiserles grands ensembles. Parmi les differents aspects de cette industrialisa-tion, qui vont de la mecanisation a l’organisation rationnelle du chantier,la prefabrication focalise immediatement les debats. Ce nouveau mode deproduction, theorise des 1946 par l’architecte Pol Abraham dans son livreArchitecture prefabriquee 2, va etre a l’origine d’une multitude de nouvelles

H.U. no 20 - decembre 2007 - p. 15 a 38

1 . Sur les aspects de cette modernisation, voir Jacques Rosen, 1941-1951 , 10 annees d’expe-riences, Memoire de 3e cycle, Ecole d’architecture de Nancy, 1980 ; Bruno Vayssiere, Reconstruc-tion Deconstruction. Le hard french ou l’architecture des trente glorieuses, Paris, Picard, 1988 ;Daniele Voldman, La reconstruction des villes francaises de 1940 a 1954. Histoire d’une politique,Paris, L’Harmattan, 1997.

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techniques de construction. Si le neologisme revet une realite qui n’est pasneuve, plusieurs chantiers de prefabrication exemplaires ayant vu le jouren France dans l’entre-deux guerres, le changement majeur a partir de1945 est dans l’evolution rapide d’une prefabrication essentiellementmetallique vers une prefabrication en beton 3. Cette preponderance dunouveau materiau, dont les avantages technico-economiques (faible cout,facilite d’approvisionnement et de mise en œuvre, plasticite formelle, etc.)le font rapidement preferer a l’acier 4, correspond sur le plan constructif aupassage d’un beton traditionnellement « coule » sur le chantier a un beton« assemble » en atelier ou en usine. Ce changement de paradigme dans lafabrication des elements du batiment a pour consequence une reorgani-sation complete des modes de production de l’architecture et place aucentre la notion de processus. Des lors, les procedes de prefabrication nesont plus seulement des moyens de construire plus efficacement, maisdeviennent les nouveaux principes generateurs du projet d’architecture.

C’est a travers la diversite et l’evolution de ces procedes au cours del’immediat apres-guerre que nous allons tenter de definir et d’analyser lesdifferentes modalites qui se succedent en matiere de prefabrication enbeton, modalites qui aboutiront a la prefabrication lourde avec laquellesera realisee une grande partie de nos grands ensembles.

Les chantiers d’experience de 50 logements (1947-1948)

Prefabriquer dans la penurie

La situation d’extreme penurie que traverse la France depuis 1940 vaetre generatrice de nouvelles techniques de construction. En effet, la neces-site d’economiser la main d’œuvre dispersee par la guerre et les materiauxparticulierement consommateurs de charbon (acier, ciment, terre cuite,etc.), aggravee a partir de 1947 par l’augmentation forte de la demande

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2. Pol Abraham, Architecture prefabriquee, Paris, Dunod, 1946.

3. Le chantier de prefabrication le plus fameux de l’entre-deux guerre en France utilisant deselements moules en beton est sans doute celui de la Cite de la Muette a Drancy (1931-34) desarchitectes Eugene Beaudouin et Marcel Lods, associes a l’ingenieur Eugene Mopin. Voir lenumero monographique que lui consacre la revue Chantiers. Organe technique de l’Architectured’aujourd’hui, no 2, mars 1933.

4. A ces avantages, il faut ajouter la puissance des grandes entreprises francaises de beton armerestees actives durant le conflit mondial grace a la construction du Mur de l’Atlantique et lapreeminence des ingenieurs des Ponts et Chaussees, traditionnellement favorable au beton, dansles structures administratives et techniques depuis 1940. A contrario, le metal avait le desavantaged’etre rare et cher et de se heurter a l’hostilite des Francais quant a son utilisation au sein del’habitation.

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industrielle du plan Monnet, contraint le secteur du batiment a une rapideadaptation. Si l’on y ajoute la faiblesse en materiel qui rend difficile lasubstitution de l’homme par la machine, l’une des solutions pour yparvenir reside dans la sophistication technique de l’element de construc-tion que permet la prefabrication. En organisant un transfert de produc-tion du chantier a l’atelier ou a l’usine, elle garantit ainsi l’efficiencequalitative (qualites physiques et d’aspect) et economique (economie detemps, de main d’œuvre, de materiaux et d’energie) de l’objet prefabriquequi, bien que realise avec des moyens modestes, est generalement pluselabores et performants que la plupart des materiaux traditionnels commela pierre ou la brique. On assiste alors en l’espace de quelques annees al’invention par des constructeurs et quelques architectes d’une multitudede procedes de prefabrication qui tendent a rationaliser le gros œuvre, enparticulier les murs et les planchers 5 (figure 1 ).

Poursuivant la politique d’industrialisation du batiment engageependant la guerre par l’Etat francais, le MRU lance a partir de 1944 ses

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Figure 1 : Publicites pour les procedes Prefadur et Nault paruesdans les revues d’architecture.

5. Entre 1945 et le 1 er fevrier 1950, ce ne sont pas moins de 390 « materiaux nouveaux etprocedes non traditionnels de construction » qui sont examines par la Commission d’agrement.Celle-ci prononcera 325 agrements provisoires dont 91 planchers et plus de 100 procedes de mursdont certains sont mis au point dans l’entre-deux guerres. Voir Paulin Roger, « Remarques sur lesplanchers et les murs prefabriques », Le Moniteur des travaux publics et du batiment, numero horsserie, mars 1950, p. 64-70.

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programmes annuels dits des « chantiers d’experience » dont le premier estla realisation de plusieurs ılots du centre reconstruit d’Orleans dirigeepar Pol Abraham 6. D’autres operations pilotes suivent rapidement ettemoignent de l’inflation quantitative de leurs dimensions qui vise aadapter le nombre de logements aux imperatifs de la production indus-trielle 7. Parmi elles, une quarantaine d’operations d’environ 50 logementschacune est lancee sur le territoire francais entre 1947 et 1948. L’objectif estde comparer et de mettre en œuvre a une echelle « semi-industrielle » uncertain nombre de techniques nouvelles de construction n’ayant faitjusque-la l’objet que de prototype 8. On distingue quatre grands types deprocedes de gros œuvre qui sont particulierement representatifs de ladiversite de la prefabrication au lendemain de la guerre. La grandemajorite d’entre eux est composee de parpaings agglomeres de betonevides (procedes Alphilaire, Barbe, Besser, Coignet, Ottin, Prefadur,Rouzaud, etc.) possedant des proprietes physiques comparables aux mate-riaux traditionnels, mais dont l’isolation thermique est obtenue au moyend’alveoles judicieusement placees, de construction a double paroi ou par lanature meme du materiau (beton de pouzzolane ou de machefer). Legerset de faibles dimensions afin d’etre aisement manipulables par les ouvriers,leur mise en œuvre est simplifiee par des systemes d’assemblage ingenieuxet une finition impeccable qui evite les nombreuses retouches sur lechantier. On trouve ensuite des procedes alliant une ossature – enelements de beton moule ou en metal – montee tres rapidement et entrelaquelle est fixe un remplissage de dalles de parement en beton (procedesCimap-Schueller, Inotro, JEEP, Phenix, SIUBB, Stran-Steel). Certains deces procedes recevront des applications importantes en raison de leurgrande simplicite de conception. Afin d’eviter les nombreux reglages quenecessite parfois l’assemblage d’une ossature avec des elements de rem-plissage, d’autres procedes mettent en œuvre des dalles ou panneaux demoyennes dimensions d’environ 1 m2 qui participent directement a laresistance generale du batiment ou qui permettent de couler a l’interieur

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6. Sur cette operation pionniere en matiere de prefabrication, voir Pol Abraham, « Une expe-rience de prefabrication. Montage d’immeubles en maconnerie : les ılots 1 , 2, 4 et 5 d’Orleans »,Annales de l’Institut technique du batiment et des travaux publics, no 245, avril 1947, p. 1-24.

7. Parmi celles-ci on peut citer la Cite experimentale du Merlan a Noisy-le-Sec (1945-46), leconcours pour l’edification de maison nouvelles (1947), le concours des 200 logements de Ville-neuve-Saint-Georges, Chartres, Creil et Compiegne (1949), le concours des 800 logements deStrasbourg (1951 ), ou encore le lancement la meme annee du « Secteur industrialise » dont lesoperations depassent le millier de logements.

8. Au total, 1260 logements repartis sur 20 departements sont realises et 25 procedes nouveauxde prefabrication experimentes, voir Franck Boutte, Materiaux pour une reflexion critique surl’industrialisation de la construction des logements, PFE, filiere genie civil et batiment, Paris,ENPC, 1992.

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une ossature en beton arme (procedes Lemay, Schindler, Village francais,SEGFIC, SEHM). Enfin, on notera la presence de procedes de beton banchequi touchent a la prefabrication dans le sens ou les coffrages qui permet-tent de couler le beton sont constitues d’elements moules, jouant le role deparement definitif (procede SEPCA).

Concus et realises pour etre assembles avec un maximum de rendementsur le chantier par une main d’œuvre peu qualifiee et peu nombreuse, laplupart de ces procedes obeissent a des regles strictes de mise en œuvre.Leur archaısme apparent ne doit pas dissimuler un certain perfectionne-ment qui permet, chez nombre d’entre eux, de combiner en meme tempsplusieurs fonctions.

Le projet « A 47 » : un exemple de polyvalence fonctionnelle

Parmi ces operations, il en est une particulierement interessante etrepresentative de la prefabrication durant cette periode. Il s’agit duprojet « A 47 » des architectes Arthur-Georges Heaume et AlexandrePersitz qui, apres avoir ete laureat du « concours pour l’edification demaisons nouvelles » lance par le MRU en mars 1947, est mis en œuvrel’annee suivante lors de la realisation de 40 logements collectifs a Calaisdans le cadre des chantiers d’experience 9. Mis au point en collaborationavec l’ingenieur-conseil Marcel Reimbert et la Societe francaise de cons-truction et de travaux publics, le systeme constructif devait repondre a uncertain nombre de criteres fondamentaux comme l’economie, la simpliciteet la reproductibilite des elements, la rapidite d’execution, la compatibiliteavec les normes en vigueur, la durabilite et l’aspect esthetique.

Les facades sont ainsi realisees au moyen d’agglomeres composes dedeux elements identiques mis dos a dos et ligatures. L’element exterieuren beton arme vibre a parement fini assure la protection contre les intem-peries, tandis que celui interieur en beton de machefer a pour fonctionl’isolation thermique. Le vide d’air entre les deux elements, quand il ne sertpas a recevoir un bourrage de materiaux isolants, permet de couler direc-tement les poteaux de l’ossature en beton arme. Les elements complemen-taires comme les linteaux, cadres de baies, couronnements, claustras, dememe que les escaliers, sont prefabriques sur place de la meme maniere.

En jouant le role de coffrage perdu de la structure porteuse, les par-

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9. Pour une description detaillee du projet et de sa realisation, voir Arthur-Georges Heaume,Alexandre Persitz, « Projet d’immeuble collectif ‘‘A 47’’ », Cahiers du Centre scientifique ettechnique du batiment, volume 1 , cahier 9, juillet 1948, p. 6-17 et « Calais, chantier experimental,place Foch. A.G. Heaume et A. Persitz, architectes, Marcel Reimbert, ingenieur de beton arme »,L’Architecture d’aujourd’hui, no 32, octobre-novembre 1950, p. 19.

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Figure 2 : Procede « A 47 », details des elements et vues des parpaings de facade.L’Architecture d’aujourd’hui, no 18-19, juillet 1948, p. 120-121 .

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paings permettent de faire l’economie de coffrages en bois, tout en sim-plifiant a l’extreme sa mise en œuvre, diminuant par la la quantite de maind’œuvre qualifiee. D’autre part, leur moulage sur place au moyen d’unepresse mecanique confere a ces elements une precision telle, que la pose enest acceleree et que le parement exterieur obtenu ne necessite plus aucunereprise, faisant de ce fait une economie non negligeable d’echafaudage.A l’instar de nombreux procedes utilises sur les chantiers d’experience,cette polyvalence des fonctions au sein d’un meme element de constructionpermet de rationaliser l’ensemble du processus constructif dans le butde realiser de substantielles economies (figure 2). Il s’agit la d’un desaspects fondamentaux de la prefabrication dans l’immediat apres-guerrequi temoigne d’une pensee par synergie pouvant etre rapprochee de lapensee technique d’un constructeur comme Jean Prouve 10. Cette logiquesynergique caracterise egalement les planchers prefabriques du type « Bri-luxfer » utilises sur le chantier de Calais. Disposes au sol, les corps creux deterre cuite en forme de U qui les composent permettent de couler directe-ment les nervures en beton arme sans coffrage exterieur. Chaque elementest ensuite juxtapose a son emplacement definitif de maniere a former uneplate-forme sur laquelle il ne reste qu’a couler la chape de beton quiassurera le monolithisme du plancher.

Si l’utilisation massive de ces « parpaings manufactures » atteint sonapogee en 1948, lors du concours de prefabrication lance dans le cadrede la reconstruction de Saint-Malo 11 , ils vont etre rapidement supplantespar de nouveaux procedes de prefabrication, plus a meme de repondre al’accroissement des ambitions quantitatives du ministere.

Repetition et augmentation de la taille des elementsde construction

A partir de 1949, un certain nombre de facteurs vont amener a reconsi-derer les objectifs initiaux de la prefabrication. L’amelioration progressivedes conditions economiques, l’inflation de la taille des operations, maissurtout l’arrivee dans le batiment de grandes entreprises de travaux

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10. Pour une approche synergique de l’architecture dans l’œuvre de Jean Prouve, voir BrunoReichlin, « L’infortune critique du fonctionnalisme », dans Jean-Louis Cohen (sous la directionde), Les Annees 30. L’architecture et les arts de l’espace entre industrie et nostalgie, Paris, Editionsdu Patrimoine, 1997, p. 187-195 et « Pensee technique, techniques de pensee », dans CatherineDumont d’Ayot, Bruno Reichlin (sous la direction de), Jean Prouve, la poetique de l’objet tech-nique, Weil am Rhein, Vitra Design Museum, 2004, p. 28-47.

11 . Voir « Saint-Malo. Concours de prefabrication pour la reconstruction », Cahiers du CSTB,volume 2, cahier 14, octobre 1948, p. 1-36.

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publics et la mecanisation accrue des chantiers cessent de faire de laprefabrication une necessite conjoncturelle, celle-ci devenant le moyenprivilegie de produire en masse des logements. Cette nouvelle approchesigne definitivement l’obsolescence des petits elements prefabriques auprofit de nouveaux procedes fondes davantage sur l’augmentation de lataille des elements du gros œuvre et leur repetition sur le chantier.

La Cite des Champs-Barets (1949-51) :

du parpaing au panneau porteur

Suite au lancement en 1949 d’un concours par l’Office public departe-mental d’habitation a loyer modere de la Seine inferieure, les architectesHenri Loisel, Henri Vallin et Rene Audigier sont charges d’edifier la citeouvriere des Champs-Barets au Havre. La realisation des 356 logements,organisee en immeubles collectifs de quatre etages, est l’occasion d’inau-gurer un procede de prefabrication mis au point par l’entreprise havraisede construction Thireau-Morel, ici associee a deux grandes entreprisesparisiennes de construction, la Societe Renouf et la Societe des GrandsTravaux en Beton Arme 12 (figure 3).

Figure 3 : Cite des Champs-Barets, Le Havre, elements prefabriquesstockes au sol et immeubles en construction.

Le Moniteur des travaux publics et du batiment, numero Hors serie, mars 1950, p. 2.

12. Ce sont ces memes entreprises qui realisent depuis 1947 les premiers immeubles d’Etatencadrant la place de l’Hotel-de-Ville dans le centre reconstruit du Havre.

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Le procede ETM consiste a mettre en œuvre des panneaux porteurs qui,une fois assembles, forment l’enveloppe structurelle d’un batimentpouvant atteindre cinq etages 13. D’une grande diversite de formes et dedimensions, les elements – panneaux de facade, refends longitudinauxporteurs, alleges, corniches, linteaux, planchers, etc. – sont prefabriquessur le chantier dans des coffrages en bois ou en metal. Ils sont ensuite misen place au moyen d’une grue car leur poids varie selon les pieces entre350 et 1 200 kg. L’element courant de facade, de la hauteur d’un etage etd’une largeur de 0,40 a 0,90 m, est constitue d’un cadre en beton mouleenduit de ciment formant parement exterieur et rempli d’un beton demachefer qui assure l’isolation thermique. Chaque tranche lateralepresente une feuillure trapezoıdale qui, lorsque deux elements sont pre-sentes cote a cote, definissent une cavite dans laquelle des fers sont placeset qui, apres coulage, forment un potelet en beton arme constituant le jointvertical. On vient ensuite poser un linteau en forme de corniere qui sert decoffrage a un chaınage dans lequel viennent se rattacher a leur tour les fersen attente des planchers prealablement coules au sol (figure 4). Le procede

Figure 4 : Cite des Champs-Barets, Le Havre, plan d’organisation de chantier montrant laposition de coulage des elements et immeuble en construction. Cahiers du CSTB, volume 11 ,

cahier 106, 1951 , p. 15. Centre des archives contemporaines, 19771133, art. C3496.

13. Sur ce procede, voir J.-P. Rojot, « Trois procedes nouveaux de prefabrication au Havre »,Cahiers du CSTB, volume 11 , cahier 106, 1 er trimestre 1951 , p. 1-30.

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permet indifferemment la construction de batiments par tranche verticaleou horizontale selon les necessites. Quelle que soit la methode adoptee,elle necessite un plan d’organisation extremement rigoureux du chantierou chaque element possede un emplacement au sol bien defini en fonctionde l’ordre chronologique du montage, de la zone d’action de la grue et desa force portante. Ainsi les elements les plus lourds sont coules directe-ment au pied de l’engin et s’en eloignent au fur et a mesure que leur poidsdiminue.

Termine au debut de l’annee 1951 , le chantier n’aura finalement dureque 18 mois. Si la polyvalence des elements de construction reste un desprincipes essentiels du procede (la juxtaposition des panneaux de facadepermettant par exemple de realiser l’ossature portante de l’edifice), l’aug-mentation nouvelle de la taille des elements, permise par les progresrecents des engins de manutention, devient un facteur de rapidite d’exe-cution determinant. Cette efficacite nouvelle confere au procede ETM uncertain succes, puisqu’il permettra de realiser par la suite plusieursimmeubles d’habitation au sein du centre reconstruit du Havre 14.

Le chantier experimental du Pont de Sevres (1950-52) :

vers une specialisation des elements

Classe second a l’issue du concours du MRU de 1949 pour le site deVilleneuve-Saint-Georges, le projet des architectes Bernard Zehrfuss et JeanSebag est realise sur un autre site a Boulogne-Billancourt pres de Paris. Les200 logements du programme sont repartis en trois immeubles de10 etages rigoureusement identiques, orientes est-ouest et disposes lineai-rement de maniere a reduire autant que possible le deplacement des grues.

Mises au point par l’entreprise Balency & Schuhl, les techniques deconstruction utilisees allient a la fois un perfectionnement de l’outillagesur le chantier et la prefabrication de grands elements de facade nonporteur 15. Du fait de sa hauteur, chaque immeuble est constitue d’uneossature en beton arme dont les poteaux sont coules en place dans descoffrages metalliques reutilisables. On vient ensuite glisser entre cespoteaux et a l’aide d’une grue, un plateau de coffrage mobile aux dimen-sions de la travee d’ossature (3,8064,80 m) compose d’un platelage etd’un pietement rigide en bois. Le plancher y est coule de maniere tradi-

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14. Voir Rene Brocard, « La reconstruction de la ville du Havre », La Technique des travaux,no 1-2, janvier-fevrier 1955, p. 2-19.

15. Pour une description detaillee des procedes utilises, voir J. Debelvalet, « Un nouveauchantier experimental. Groupe du Pont de Sevres », Cahiers du CSTB, volume 14, cahier 136,1951 , p. 1-15.

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tionnelle apres avoir dispose soigneusement les corps creux en beton depouzzolane et les armatures necessaires. Le decoffrage a lieu apres seule-ment trois jours en faisant glisser le plateau en facade comme un tiroir,afin d’etre repris par la grue et reutilise plus loin. Les remplissages defacade sont alors prefabriques et inseres entre les elements de l’ossatureselon un procede inedit. Il s’agit de grands panneaux de deux tonnes etdemie qui ont la hauteur prevue sous les poutres de rive et la largeur totalede la baie entre les poteaux. Chaque element, compose de trumeaux defacade en corps creux a parement fini et de cadres de baie munis de leursmenuiseries, est prefabrique a chaque etage en position horizontale et enface de son emplacement definitif (figure 5). Il est ensuite releve et mis enplace par simple pivotement au moyen d’un treuil electrique place a l’etagesuperieur qui vient le faire buter en feuillure contre les poteaux d’ossatureen forme de T. Apres garnissage des joints horizontaux et verticaux, il nereste qu’a poser l’enduit interieur qui acheve la realisation de l’enveloppede facade 16.

Le beton assemble : formes et figures de la prefabrication en France / 25

Figure 5 : Chantier du Pont de Sevres, Boulogne-Billancourt, levage des panneaux de facadeentre les piliers d’ossature. L’Architecture d’aujourd’hui, no 45, novembre 1952, p. 2.

16. Le procede sera repris et ameliore par l’entreprise Ossude lors de la realisation du Front demer Sud au Havre a partir de 1953, voir Yvan Delemontey, « L’architecture de Perret a l’epreuve del’industrialisation. La reconstruction du Havre et ses techniques constructives (1945-1959) », LesCahiers de la recherche architecturale et urbaine, no 20-21 , mars 2007, p. 187-203.

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L’execution en 16 mois de cette importante operation demontrel’efficacite des choix constructifs qui rompent radicalement avec la pre-fabrication realisee jusque-la. Si auparavant, l’economie rechercheeresidait essentiellement dans l’extreme polyvalence des elements du grosœuvre, elle se fonde dorenavant sur leur caractere iteratif, c’est-a-direleur capacite a etre reproduits a l’identique un tres grand nombre defois sur le chantier. C’est la nature meme des procedes de constructionqui s’en trouve alors modifiee car les imperatifs de la serie entraınent deslogiques de production favorisant au contraire la specialisation deselements, comme en temoigne la dissociation complete des procedes deconstruction des parties porteuses (ossature et planchers coules dans descoffrages outils) et des parties portees (facades prefabriquees sur place) del’edifice.

Toutefois, ce type de prefabrication demeure encore largement une« prefabrication brute », que d’aucuns considerent comme le premierstade d’une industrialisation de la construction ne concernant finalementque le gros œuvre. On se met alors a rever d’un perfectionnement destechniques qui conduirait vers une « prefabrication finie » alliant intime-ment gros œuvre et second œuvre 17. C’est dans ce rapprochement ques’inscrit le celebre procede Camus qui ouvre la voie a la prefabricationlourde en France.

Camus, un procede de prefabrication lourde ouverta l’experimentation (1949-52)

Brevete en 1948 puis agree l’annee suivante par le Centre scientifiqueet technique du batiment (CSTB), le procede de construction invente etmis au point par l’ingenieur des Arts et Manufactures Raymond Camus vaconnaıtre un succes phenomenal. Symbole de la prefabrication a la fran-caise qui s’exportera dans le monde entier 18, il est aussi celui de la medio-crite architecturale et de l’inhumanite des grands ensembles de logementsconstruits au cours des annees cinquante et soixante. Paradigme achevede la prefabrication lourde, le procede Camus saura, avec l’appui despouvoirs publics, s’imposer sur des chantiers toujours plus nombreux etimportants, notamment grace a l’implantation en 1955 de l’usine de Mon-

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17. Voir Jean Barets, « La prefabrication lourde », Annales de l’ITBTP, no 96, decembre 1955, p. 1290.

18. Outre six usines en France, on trouve en 1960 trois usines Camus en Union sovietique, deuxen Algerie, deux en Allemagne de l’Ouest, deux en Autriche, trois en Grande-Bretagne, deux enItalie, une en Espagne et une au Japon. Au total, 22 usines sont en fonctionnement dans le mondeet deja plus de 150 000 logements ont ete construits a cette date.

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tesson dans la region parisienne. Mais avant de devenir ce puissant outilde production capable de fabriquer industriellement jusqu’a « huitlogements par jour » 19, le procede Camus va, au cours de ses premieresexperimentations entre 1949 et 1952, faire l’objet de recherches a la foisconstructives et plastiques de la part des architectes appeles a l’utiliser.

Le chantier inaugural de l’ılot N17 du Havre (1949-51)

La toute premiere operation utilisant le procede Camus a lieu entre 1949et 1951 au sein de l’architecture ordonnancee de la reconstruction duHavre. Il s’agit d’un petit immeuble d’habitation de douze appartementsrepartis sur trois etages et situe au sein de l’ılot N17 du quartier du Perrey.La realisation en est confiee aux architectes Henri Loisel, Henri Vallin etRene Audigier, associes a l’entreprise Camus. Cette derniere vient dedevelopper un procede qui inaugure en France une fabrication veritable-ment industrielle du batiment, dont les principes ne sont pas sans rappelerles experiences de prefabrication de l’architecte allemand Ernst May pourles ensembles d’habitation du Neue Frankfurt (1926-30), ou celles, plusrecentes, du systeme Tilt up construction developpe aux Etats-Unis a partirde 1945 20 (figure 6).

Le procede consiste a prefabriquer integralement en usine de grandspanneaux porteurs qui constituent chacune des faces d’une piece d’unlogement : enveloppe de facade, murs de refend, dalles de plancher et deplafond. Realises horizontalement dans des coffrages metalliques, leselements courants sont constitues d’un cadre en beton arme remplisd’un beton leger de pouzzolane et comportent une fois termines « [...] lesplatres, les enduits, les revetements de facade, les carrelages, les sols, leshuisseries et certains autres amenagements tels que les volets roulants » 21 .Apres seulement 48 heures de sechage, ils sont stockes verticalement avantd’etre transportes par camion sur le chantier ou ils sont assembles a l’aidede puissants engins de levage et de manutention, du fait de leurs grandesdimensions et de leur poids considerable 22. Une fois a leur emplacementdefinitif, les elements prealablement etayes menagent entre eux un vide

Le beton assemble : formes et figures de la prefabrication en France / 27

19. Raymond Camus, « Fabrication industrielle de huit logements par jour dans la regionparisienne », Annales de l’ITBTP, no 101 , mai 1956, p. 427-454.

20. Au sujet de ces deux references, voir respectivement Christian Borngraber, « Disputeattorno a un panello », Rassegna, no 24/4, decembre 1985, p. 67-75 et Marcel Cointe, « Aspectstechniques de l’industrialisation du batiment aux Etats-Unis », Cahiers du CSTB, volume 13,cahier 125, 1951 , p. 1-27.

21 . J.-P. Rojot, « Trois procedes nouveaux de prefabrication... », op. cit., p. 22.

22. Les elements les plus importants peuvent mesurer jusqu’a six metres de long pour2,85 metres de haut et atteindre les quatre tonnes.

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dans lequel les fers sont relies et qui, apres coulage, forment un jointvertical en beton arme. La pose des dalles de plafond et de plancheracheve alors de solidariser l’ensemble. Malgre la mise au point progressive,le manque de materiel et d’entraınement de la main d’œuvre, le montagedes quelques 700 pieces moulees qui constituent l’immeuble du Havresera relativement rapide. Commence le 3 mai 1950, le chantier s’acheveavec l’occupation des premiers appartements des la fin du moisde janvier 1951 , soit a peine neuf mois pour realiser cet ensemble d’habi-tation dont le procede constructif sera utilise par la suite pour tout l’ılot(figure 7).

Si le procede Camus partage les objectifs habituels de la prefabrication,deux aspects fondamentalement neufs marquent la rupture avec lesprocedes anterieurs. Le premier tient au caractere global de la prefabrica-tion. Jusque la, chaque partie de l’ouvrage, determinee par sa fonction,etait realisee au moyen d’un procede qui lui etait propre, une memeconstruction faisant habituellement appel a plusieurs procedes de prefa-brication. Pour la premiere fois, c’est l’ensemble de la construction (mursde facade, cloisons, planchers) qui est pense selon le meme procede, c’est-a-dire selon les memes techniques de production, de fabrication et d’as-semblage, ainsi que dans le meme materiau et les memes dimensions. Le

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Figure 6 : Ilot N17, Le Havre, vue du premier immeuble termine.Cahiers du CSTB, volume 11 , cahier 106, 1951 , p. 20.

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Figure 7 : Ilot N17, Le Havre, pose des panneaux de facade, de plafond et de plancher.Cahiers du CSTB, volume 11 , cahier 106, 1951 , p. 29.

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second aspect est celui de l’incorporation du second œuvre dans le grosœuvre qui annonce une veritable revolution dans le domaine de la cons-truction. En effet, jusque la, l’edification traditionnelle d’un batiment sederoulait selon un ordre immuable que les nombreux procedes de prefa-brication d’apres-guerre avaient rendu plus efficace, sans toutefois etreparvenus a le remettre en cause. Ainsi le gros œuvre, realise plus rapide-ment grace a sa prefabrication, precedait-il des travaux de finition qui, parleur caractere artisanal, demeuraient longs et couteux. C’est a cette orga-nisation traditionnelle du chantier avec ses interminables travaux d’ache-vement denonces maintes fois dans les ecrits de Pol Abraham, que leprocede Camus entend une fois pour toutes mettre fin. La solution passepar la production en usine dans des conditions optimales, de « grandselements complexes » 23, c’est-a-dire reunissant en amont du processusde fabrication l’ensemble des corps d’etat principaux et secondaires inter-venant habituellement sur le chantier, ce dernier se reduisant exclusive-ment a un lieu de montage. C’est cette incorporation fonctionnelle, senseecompenser les nombreuses sujetions de la prefabrication lourde (amortis-sement de l’usine, lieux de stockage importants, difficultes de transport etde manutention, taille et continuite des programmes), qui constitue lefondement economique du procede.

Le projet de l’equipe Le Cœur-Lopez au concours de

Strasbourg (1951) : proposition pour un systeme mixte

En decembre 1950, le MRU, dans le cadre de son programme annuel des« chantiers d’experience », lance un concours pour la realisation d’unensemble de 800 logements collectifs a Strasbourg. Pour la premiere foisen France est envisagee une operation dont la taille est compatible avecles objectifs de l’industrialisation de la construction. Parmi la trentained’equipes admises a concourir, se trouvent les meilleurs architectesfrancais (Eugene Beaudouin, Le Corbusier, Jean Dubuisson, JeanFayeton, Marcel Lods, Maurice Novarina, Pierre Vago, Bernard Zehrfuss,etc.), associes a de grandes entreprises de batiment et de travaux publics(Balency & Schuhl, Boussiron, Coignet, Monod, Schwartz-Haumont, OTH,etc.). L’une d’entre elles est dirigee par l’architecte Claude Le Cœur,associe a Raymond Lopez, ainsi qu’a leurs confreres Jean Sorg et CharlesStruys. Interesse a poursuivre l’experimentation inauguree au Havre, leministere, par l’intermediaire du CSTB, propose a Claude Le Cœur,

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23. Andre Marini, « Tendances recentes des techniques de construction en France », LeMoniteur des Travaux Publics et du Batiment, no 46, 17 novembre 1951 , p. 15.

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entrain de constituer son equipe, d’utiliser le procede Camus dontl’administration estime la presence « tres souhaitable » 24. Mais devantl’incapacite de l’ingenieur a repondre seul a l’ampleur de l’operationproposee, les pouvoirs publics adjoignent au groupe la puissance indus-trielle des Forges de Strasbourg qui joueront le role d’entreprise-pilote,allant jusqu’a anticiper le principe constructif decoulant de cette associa-tion inedite : « [...] il ne serait pas sans interet de combiner les grandspanneaux de remplissage Camus avec une ossature portante metal-lique » 25. Ainsi les Forges de Strasbourg dont l’experience en matiere deprefabrication etait deja ancienne 26, etaient chargees non seulementd’executer les panneaux Camus, mais aussi d’assurer le montage deselements sur l’ossature.

Ce principe etant pose, c’est Michel Holley, alors etudiant en architec-ture a l’Ecole des Beaux-Arts et introduit par Claude Le Cœur, qui prendla direction des etudes au sein d’une petite equipe de « gratteurs » 27.Apres avoir mis en place les bases du plan d’amenagement compose detrois immeubles hauts de 16 etages orientes est-ouest et de neuf immeu-bles bas nord-sud disposes au sein d’un vaste espace de verdure, il seconsacre avec une totale liberte au developpement du systeme constructifpropose. Tout est alors a inventer. En effet, le procede Camus n’avaitpermis de realiser jusque-la que des batiments de trois etages. La resis-tance des panneaux de facade et de refend porteur ne permettait guered’envisager de monter au-dela. Michel Holley met au point un immensemeccano constitue de profiles en H entre lesquels seraient « enfilescomme des cartes a jouer » 28 les dalles de planchers et les panneaux defacade en beton. Ce principe de structure mixte acier-beton, qui n’est pas

Le beton assemble : formes et figures de la prefabrication en France / 31

24. Lettre d’Andre Marini, directeur du CSTB a Claude Le Cœur, architecte en chef du MRU, le3 janvier 1951 , Fonds Claude Le Cœur, 204 Ifa 76, Institut francais d’architecture/Centre d’ar-chives d’architecture du xx

e siecle.

25. Ibidem.

26. Employant plus de 2000 ouvriers dans leurs usines de Port du Rhin et de Koenigshoffen, lesForges de Strasbourg sont alors specialisees dans la fabrication de mobilier et de cloisons metal-liques, ainsi que dans la construction de charpentes, de ponts, de maisons metalliques et depeniches.

27. Diplome de l’Ecole nationale superieure des Beaux-Arts en 1953, Michel Holley (ne en 1924)sera le principal collaborateur de Raymond Lopez entre 1951 et 1966. Il travaillera sur denombreux projets majeurs de cette periode comme la Caisse d’allocations familiales de Paris(1952-59), le plan d’urbanisme de Paris (1954), les etudes pour la Tour Montparnasse (1958) ouencore le plan d’ensemble du Front de Seine (1959). Comme on peut le constater lors de ceconcours, son role de projeteur au sein de l’agence Lopez sera primordial, voir a ce sujet GiuliaMarino, La Caisse d’Allocations Familiales du XVe arr. a Paris – Michel Holley, Raymond Lopez,Marcel Reby architectes, memoire de DEA, Institut d’architecture de l’Universite de Geneve,novembre 2006.

28. Entretien avec Michel Holley, le 25 janvier 2007.

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sans rappeler celui des tours de la Cite de la Muette realisee avant laguerre et qui anticipe deja le procede Estiot 29, transforme les panneauxCamus traditionnellement porteurs en de simples elements de remplis-sage. A l’instar de l’operation du Havre, l’ensemble du second œuvre(revetements interieurs et exterieurs, huisseries, tubes de canalisationselectriques, fourreaux des tuyaux de chauffage, etc.) est incorpore auxpanneaux. Afin de rompre la monotonie que produirait la repetitionen facade des panneaux Camus, Michel Holley tente de les individualiseren incrustant manuellement a la surface des panneaux, des « cailloux duRhin » ramasses le long des plages environnantes 30. Comme le montrentles esquisses, l’expression architecturale devient ici la resultante directedes procedes de construction. Elle exprime avec force a la fois le lyrismeet la rigueur de la structure metallique alliee a la materialite brutaliste desremplissages (figure 8).

Malheureusement, le rendu definitif du concours fin juin 1951 n’aurapas grand-chose a voir avec les seduisantes etudes initiales 31 . Les neces-sites de rendre un projet realisable en un temps tres court tout en respec-tant le prix-plafond impose par le concours lui auront fait perdre toutesses audaces et qualites plastiques, laissant place a une architecture rigide etaustere. Le projet n’obtiendra finalement aucun prix et malgre cet excestardif de realisme, il restera le plus cher parmi tous les concurrents 32. Ilaura au moins eu le merite d’ouvrir une voie originale au procede Camus,voie qui restera toutefois sans suite.

Le SHAPE Village a Saint-Germain-en-Laye (1951-52) :

detournement porteur

En juin 1951 , les architectes Jean Dubuisson et Felix Dumail sontmandates par le MRU pour construire le SHAPE Village. Il s’agit d’unensemble de logements destine a accueillir les 300 familles des officierset sous-officiers de l’etat-major du quartier general supreme des Forces

32 / Histoire urbaine - 20 / decembre 2007

29. Pour une description du procede Estiot, voir Etienne Rossetti, « Participation de l’acier a unprocede de prefabrication lourde », Bulletin technique de la Suisse romande, no 4, 13 fevrier 1960,p. 74-78.

30. Entretien avec Michel Holley, le 25 janvier 2007. Des essais similaires d’incrustation enfacade avaient ete tentes auparavant par les architectes Eugene Beaudouin et Marcel Lods a laCite de la Muette et a l’ecole de plein air de Suresnes (1931-35). Plus tard, Marcel Lods, associe aMaurice Cammas, reiterera cette experience sur des panneaux Camus lors de la realisation duSHAPE de Fontainebleau (1951-53).

31 . Pour le rendu du concours, voir « Concours du M.R.U. Groupe de 800 logements – Stras-bourg », L’Architecture francaise, no 117-118, 1951 , p. 38.

32. Voir « Classement des equipes d’apres le montant pondere des soumissions », tapuscrit,Fonds Perret Freres, 535 AP 566, Ifa/Centre d’archives d’architecture du xx

e siecle.

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Alliees en Europe (Suprem Headquarters Allied Powers in Europe) qui serasitue dans l’ancien domaine du chateau d’Hennemont a Saint-Germain-en-Laye. La necessite de concevoir et de realiser en moins d’un an les263 logements prevus confere immediatement a cette operation unedimension experimentale axee sur la vitesse d’execution qui sera suiviede pres au sein du ministere par le directeur de la Construction enpersonne 33. Tres rapidement, les architectes dessinent en amont duterrain en forte pente une composition articulee de huit batiments basde trois et quatre etages dont il assurera l’execution, et en aval un longbatiment courbe de deux etages prolonge d’un second plus petit dont Felix

Le beton assemble : formes et figures de la prefabrication en France / 33

Figure 8 : Esquisses de Michel Holley pour le concours de Strasbourg, details du portiqueau rez-de-chaussee et etudes d’assemblage des panneaux.

Archives personnelles de Michel Holley.

33. Sur cet aspect, voir Adrien Spinetta, « « S.H.A.P.E. Village ». Une experience francaise d’in-dustrialisation », Techniques & Architecture, serie 11 , no 11-12, 1952, p. 6-14 et Pascal Perris, « LeS.H.A.P.E. village (1951-1952) : chronologie comparee des projets Dumail et Dubuisson », dansGerard Monnier (sous la direction de), Le temps de l’œuvre. Approches chronologiques de l’edifi-cation des batiments, Paris, Editions de la Sorbonne, 2000, p. 61-71 .

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Dumail aura la responsabilite. Si ces derniers sont realises selon les tech-niques du « traditionnel evolue » defendues par l’architecte 34, le ministereavait par contre impose a Jean Dubuisson d’utiliser le procede de prefa-brication lourde de Raymond Camus, afin de l’eprouver sur une operationd’une certaine importance. Avant d’accepter la commande le jeune archi-tecte, qui va realiser ici sa premiere operation, s’etait rendu au Havre,tout comme l’avaient fait avant lui ses confreres Claude Le Cœur etRaymond Lopez, pour voir l’immeuble termine de l’ılot N17. Ce qu’ildecouvre ne peut manquer de le decevoir. En effet, alors qu’on luidemande de realiser des appartements modernes de standing qu’ilimagine volontiers largement ouverts sur l’exterieur, profonds et traver-sants, il se retrouve au contraire devant un batiment mince a facadesporteuses, perce de petites ouvertures et abritant les logements economi-ques. Se pose alors pour lui la question de l’adaptation d’un tel procedeafin de realiser l’architecture moderne qu’il souhaite. Apres plusieurs joursde reflexion, il semble avoir trouve la solution et ne tarde pas a convaincrel’ingenieur Raymond Camus lui-meme : il changera la direction despanneaux porteurs prefabriques pour les disposer perpendiculairementaux facades, dispositif ingenieux et inedit qui lui permet, en liberantl’enveloppe de toute fonction structurelle, non seulement d’assurer unegrande profondeur aux logements, mais de conserver une liberte totale depercement en facade 35 (figure 9).

La construction, dont a la charge un groupement d’entreprises constituedes societes Dumez et Froment-Clavier, se deroule en deux etapes. Lesoubassement formant rez-de-chaussee des immeubles est d’abord cons-truit de maniere traditionnelle, du fait de l’installation de l’usine de prefa-brication au moment ou le chantier commence. Il est constitue de troismurs porteurs en beton banche paralleles aux facades qui supportent degrosses poutres transversales en encorbellement coulees sur place et quiservent a leur tour d’appui a un plancher a poutrelles precontraintes etcorps creux. C’est sur ces poutres que reposent les etages superieurs dontles elements sont entierement prefabriques et montes sur le chantier des lemois de septembre. Ceux-ci se composent essentiellement de quatre typesd’elements : des refends porteurs perpendiculaires aux facades et disposesau droit des poutres, des portiques soutenant les balcons, des dalles deplancher nervure et enfin des alleges non porteuses sur lesquelles seront

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34. Voir « S.H.A.P.E. Village – St.-Germain-en-Laye. Considerations sur la construction rapidedu batiment des sous-officiers par Monsieur F. Dumail, Architecte D.P.L.G », 1 er juillet 1952,tapuscrit, Fonds Felix Dumail, 525 AP 3/12, Ifa/Centre d’archives d’architecture du xx

e siecle.

35. Entretien avec Jean Dubuisson, le 4 octobre 2005.

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scellees les menuiseries metalliques. L’incorporation du second œuvre, quin’a pu etre poussee au maximum a cause du manque de temps attribueaux etudes, se limite a quelques elements comme le carrelage, les taquetsde scellement et le passage pour les fluides.

Au final, si les premiers appartements sont livres en janvier 1952, lesderniers le seront des le mois de mai, soit 11 mois seulement apres le debutdes etudes. Sur le plan architectural, l’operation est une reussite dont leMRU se servira abondamment pour promouvoir l’industrialisation de laconstruction. Cette reussite, qui tranche avec tout ce qui avait ete realisejusque la dans le cadre des chantiers experimentaux, revient pleinement al’architecte qui, par le changement de direction des elements porteurs qu’ilopere, parvient a depasser magistralement le conflit entre technique etesthetique qui se posait a lui. De plus, cette geniale intuition lui permetd’anticiper l’evolution typologique du logement de la decennie suivantefavorisee par la generalisation du coffrage-tunnel et qui se caracterise par

Le beton assemble : formes et figures de la prefabrication en France / 35

Figure 9 : SHAPE Village, Saint-Germain-en-Laye, axonometrie constructivemontrant les differents elements prefabriques.

Techniques & Architecture, serie 11 , no 9-10, 1952, p. 48.

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la grande epaisseur des appartements, des refends porteurs transversauxaux facades, le groupement des pieces humides au centre de l’appartementet la bipolarisation des fonctions jour/nuit 36. Cela n’empechera pas l’ar-chitecte, finalement plus favorable a la prefabrication du second œuvrequ’a celle du gros œuvre 37, d’utiliser ici le procede Camus pour lapremiere... et derniere fois (figure 10).

36 / Histoire urbaine - 20 / decembre 2007

Figure 10 : SHAPE Village, Saint-Germain-en-Laye, immeubles en construction.Fonds Jean Dubuisson, 224 Ifa 1001 /9,

Ifa/Centre des archives d’architecture du xxe siecle.

36. Presque simultanement lors du concours de Strasbourg, les architectes Pierre Vago et AndreDunoyer de Segonzac anticipent eux aussi cette evolution en utilisant des refends porteurstransversalement a la facade.

37. Entretien avec Jean Dubuisson, le 4 octobre 2005.

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Vers des mutations professionnelles sans precedent

L’immediat apres-guerre aura ete une periode fructueuse sur le plan destechniques de construction, dont l’essentiel des recherches et des experi-mentations se sera focalises sur la prefabrication en beton. On a vu quecelle-ci revetait successivement differentes formes, s’adaptant ainsi auxnecessites materielles et aux progres technologiques de la societe. Ainsila premiere prefabrication, qui se developpe dans un contexte de penuriegenerale, vise d’abord une production en atelier de petits elements poly-valents qui sont agences et organises selon une pensee par synergie. Lechangement de conjoncture, en particulier l’evolution des moyens delevage et de manutention, rend cette conception caduque au profit d’unenouvelle fondee sur l’augmentation de la taille des pieces moulees et leurcapacite a etre repetees un tres grand nombre de fois sur le chantier. Maisle saut qualitatif determinant aura lieu avec le procede Camus. Alors quela prefabrication avait porte jusque-la essentiellement sur le gros œuvre,obeissant a la traditionnelle succession des taches sur le chantier, pour lapremiere fois c’est l’ensemble des corps d’etat primaires et secondaires quiest pense et produit simultanement. Cette concentration des operations enamont du processus de production, reduit le chantier a un lieu exclusive-ment de montage. Elle ouvre ainsi la voie a la prefabrication lourde dontl’operation des « 4000 logements de la Region parisienne » en 1953inaugure la generalisation a de grands ensembles de logements 38.

Mais les consequences ultimes de ces mutations techniques se manifes-tent de maniere particulierement aigue au sein de la profession. En effet, sila division habituelle du travail dans le batiment est bouleversee pourl’ouvrier sur le chantier (ou a l’usine), elle l’est tout autant pour lemaıtre d’œuvre lui-meme. Dans un contexte ou la dimension techniquedu projet prime sur les autres (notamment architecturale et urbanistique)et ou l’hegemonie des grandes entreprises de construction n’a d’egale quela montee en puissance des bureaux d’etudes techniques (BET), il estlogique de voir les architectes, depourvus de competence technique,marginalises au point de perdre progressivement le monopole de laconception. Ces derniers, beneficiant des facilites nouvelles que leur offrela technique et des fructueuses commandes publiques en matiere delogement, seront les complices de cette funeste evolution, dont les conse-quences perdurent encore aujourd’hui. En temoigne la reponse fataliste et

Le beton assemble : formes et figures de la prefabrication en France / 37

38. Sur cette operation utilisant a grande echelle le procede Camus, voir Jean-Claude Croize, « ATime when France Close to Use Prefabricated Panel Construction Systems : the « 4000 Logementsde la Region parisienne » Programme (1952-1958), Proceedings of the Second InternationalCongress on Construction History, Queen’s College, Cambridge, 29 mars-2 avril 2006, p. 877-886.

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empreinte de desillusion de Marcel Lods, alors qu’on l’interroge sur le rolede l’architecte face a l’industrialisation :

« Le point de vue des architectes consiste a dire qu’a partir du momentou le probleme de l’industrialisation est pose comme une necessite, lechoix ne nous appartient plus ; [...] Comme on sait tres bien que lebatiment perira ou ne fera plus face a la demande s’il ne s’industrialisepas, nous n’avons pas le choix : il faut tenir compte de cet imperatif oufaire un autre metier ! » 39

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39. Propos de Marcel Lods tenus au centre d’etudes superieures de l’ITBTP a la suite de l’exposede Raymond Camus le 24 janvier 1956 et publies dans Raymond Camus, « Fabrication indus-trielle... », op. cit., p. 452.

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