Le Bestiaire Du Chevalier Rose-Croix

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J. van Assche Le bestiaire du Chevalier Rose Croix 1 LE BESTIAIRE DU 18 ème La première caractéristique de la représentation animalière au cours de l’histoire de l’humanité est son ancienneté : on la retrouve déjà dans l’art préhistorique, par exemple sur les sites de Lascaux, des Eyzies, des Combarelles, d’Altamira , du Hoggar et du Fezzan, de Nubie, de Rhodésie et du Transvaal. Si le thème apparaît dans le vocabulaire décoratif de tous les arts, il convient de rappeler que les bestiaires fonctionnent comme un langage, tel qu’on le constate au Moyen Âge: toute espèce animale sans exception est susceptible de figurer, par l’une de ses propriétés, réelle ou merveilleuse, ou l’une de ses particularités biographiques, soit le Christ soit Satan, soit le Bien soit le Mal, soit le surhumain, le divin, soit l’inhumain, le démoniaque inverse du divin. Il semble que ce soit par une singulière restriction de cette portée symbolique que se dessine l’allégorie, qui substitue les animaux aux hommes ou à des entités morales. les deux traits essentiels du bestiaire médiéval La description d’Ezéchiel décrivant une vision mystique que reprends le chapitre IV de l’Apocalypse: «Et dans le centre de ce feu, je vis quatre êtres vivants, et voici que leur aspect figurait la ressemblance d’un homme. Chacun d’eux avait quatre faces et chacun d’eux quatre ailes [...] la ressemblance de leur face était une face d’homme par-devant, puis une face de taureau à la gauche des quatre, puis une face d’aigle par-derrièreLe « bestiaire maçonnique » est assez limité, néanmoins notre recherche initiatique nous montre que, par l'intermédiaire de ce bestiaire, on en découvre un premier élément dans le cabinet de réflexion avec le coq, qui annonce l'aube de l'homme nouveau, qui émerge après avoir laissé sa vieille défroque profane en mourant à lui-même et invite l'impétrant à une réflexion alchimique. Il faut attendre « les Grades capitulaires» pour découvrir une nouvelle riche et très complémentaire symbolique animalière, l’aigle et l’agneau au 17 ème D°, les oiseaux (le Pélican, le l’Aigle et le Phénix) et l’agneau au 18 ème degré du REAA 1. LES OISEAUX « Les ailes impalpables sont celles qui volent le plus loin. » (D'ANNUNZIO, La Ville morte, acte 1er, scène III.) Le vol de oiseaux est à l'origine même des mouvements cosmiques qui traversent le texte de Blake qui nous font comprendre « que pour l'imagination volante c'est le vol qui entraîne l'univers, qui mobilise le vent" qui donne son être dynamique à l'air…Et c'est parce que nous vivons par l'imagination un vol heureux, qui nous donne l'impression de jeunesse, un vol onirique est souvent

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J. van Assche Le bestiaire du Chevalier Rose Croix 1

LE BESTIAIRE DU 18 ème D°

La première caractéristique de la représentation animalière au cours de l’histoire de l’humanité

est son ancienneté : on la retrouve déjà dans l’art préhistorique, par exemple sur les sites de

Lascaux, des Eyzies, des Combarelles, d’Altamira , du Hoggar et du Fezzan, de Nubie, de

Rhodésie et du Transvaal. Si le thème apparaît dans le vocabulaire décoratif de tous les arts, il

convient de rappeler que les bestiaires fonctionnent comme un langage, tel qu’on le constate au

Moyen Âge: toute espèce animale sans exception est susceptible de figurer, par l’une de ses

propriétés, réelle ou merveilleuse, ou l’une de ses particularités biographiques, soit le Christ soit

Satan, soit le Bien soit le Mal, soit le surhumain, le divin, soit l’inhumain, le démoniaque inverse

du divin. Il semble que ce soit par une singulière restriction de cette portée symbolique que se

dessine l’allégorie, qui substitue les animaux aux hommes ou à des entités morales. les deux traits

essentiels du bestiaire médiéval

La description d’Ezéchiel décrivant une vision mystique que reprends le chapitre IV de

l’Apocalypse: «Et dans le centre de ce feu, je vis quatre êtres vivants, et voici que leur aspect

figurait la ressemblance d’un homme. Chacun d’eux avait quatre faces et chacun d’eux quatre

ailes [...] la ressemblance de leur face était une face d’homme par-devant, puis une face de

taureau à la gauche des quatre, puis une face d’aigle par-derrière.»

Le « bestiaire maçonnique » est assez limité, néanmoins notre recherche initiatique nous montre

que, par l'intermédiaire de ce bestiaire, on en découvre un premier élément dans le cabinet de

réflexion avec le coq, qui annonce l'aube de l'homme nouveau, qui émerge après avoir laissé sa

vieille défroque profane en mourant à lui-même et invite l'impétrant à une réflexion alchimique.

Il faut attendre « les Grades capitulaires» pour découvrir une nouvelle riche et très complémentaire

symbolique animalière, l’aigle et l’agneau au 17èmeD°, les oiseaux (le Pélican, le l’Aigle et le

Phénix) et l’agneau au 18ème degré du REAA

1. LES OISEAUX

« Les ailes impalpables sont celles qui volent le plus loin. » (D'ANNUNZIO, La Ville

morte, acte 1er, scène III.)

Le vol de oiseaux est à l'origine même des mouvements cosmiques qui traversent le texte de

Blake qui nous font comprendre « que pour l'imagination volante c'est le vol qui entraîne l'univers,

qui mobilise le vent" qui donne son être dynamique à l'air…Et c'est parce que nous vivons par

l'imagination un vol heureux, qui nous donne l'impression de jeunesse, un vol onirique est souvent

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- contre toutes les leçons de la psychanalyse classique - une volupté du pur que nous donnons tant

de qualités morales à l'oiseau. ( Bachelard, L’air et les songes, librairie José Corti, 1948).

L'éternelle jeunesse de l'oiseau nous fait oublier le temps, en nous arrachant aux voyages

linéaires de la terre pour nous entraîner, comme dit Jean Lescure, dans un voyage immobile où les

heures ne sonnent plus, où l'âge ne pèse plus. Voilà qui nous rappelle l’espace sacré et évoque la

Nouvelle Jérusalem où « il n’y a plus de temps »

L'oiseau est à la fois ornement et symbole ; il représente l'âme ou bien un signe ailé ayant pour

fonction de rappeler à l'homme sa vocation ascensionnelle. Sculpté dans les églises dans la pierre,

l'oiseau semble muet. Le silence possède son langage. Tout homme, capable de relier le visible à

l'invisible, doit entendre le message donné par les oiseaux. Et ses ailes chantent, apporteront le

miel: « Levez-vous, ailes étincelantes, et chantez votre joie enfantine! Levez-vous, buvez votre joie,

car tout ce qui vit est saint » (William Blake, Livres prophétiques). La force de l'aile, attribut

essentiel de la volatilité, est, par nature, de pouvoir élever et conduire ce qui est pesant vers les

hauteurs où habite la race des dieux. Phèdre (trad. Mario Meunier, p. 8), représente un idéal de

perfection dans presque tous les êtres. Notre âme, en s'échappant de l'enveloppe charnelle qui la

retient en cette vie inférieure, « s'incarne en un corps glorieux plus léger, plus rapide que celui de

l'oiseau. »

Trois thèmes essentiels les caractérisent : l’espace, la liberté, la lumière

1.1. L’espace

« Où nul chemin n'était tracé nous avons volé. » Rilke

Par sa nature, lorsqu'il vole, l'espace infini constitue la demeure de l'oiseau. Il se nourrit

symboliquement d'air et de lumière. L’espace, c’est l’absence de chemin, au-delà du monde des

formes auquel appartiennent les chemins. L'évasion de l' omnitude correspond à une condition

ailée qui permet de pénétrer dans le sans- forme à la façon de la lumière, de l'air et du vent.

Lorsque l'au-delà des formes devient un accomplissement, l'homme est intérieurement guidé à la

façon de l'oiseau… Le sans- forme n'accepte rien de palpable, de visible. En volant, l'oiseau ne se

retourne pas pour regarder le chemin parcouru. L’absence d'obstacle est une invite à la non-

souffrance qu'apporte la libération ; participant à la «docte ignorance», il ne se pose pas la question

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du savoir. Il ignore qu'il sait, mais il sait.

La symbolique de l'oiseau parcourant l'espace devient enseignement: «La vie aérienne est la vie

réelle; au contraire, la vie terrestre est une vie imaginaire, une vie fugitive et lointaine»

(G.Bachelard op.cit.)

Quant à l’air dans lequel se meut l’oiseau, il est le règne de l'imagination, il nous libère de notre

attachement aux matières : il est donc la matière de notre liberté ; et si l'enracinement correspond à

l'ignorance et la connaissance, le non- enracinement devient libérateur de tous les attachements

L’air n'apporte rien. Il ne donne rien. Il est l'immense gloire d'un Rien. Mais ne rien

donner n'est-il pas le plus grand des dons?» écrit Nietzsche. Et d'ajouter: « Le grand dona-

teur aux mains vides nous débarrasse des désirs de la main tendue. Il nous habitue à ne

rien recevoir, donc à tout prendre. » (G.Bachelard op.cit.)

1.2. La Lumière Dans l'espace, l'oiseau se nourrit d'air et de lumière, dans cette mer de clarté, il rame avec ses

ailes étendues en forme de croix ou plane… Le soleil revêt l'oiseau et avive la teinte de ses plumes.

Lorsqu'il vole dans le soleil, il apparaît semblable à une lampe allumée, à une étoile dansante

éperdue de joie et de liberté. Leur existence, sauf les espèces nocturnes, est suspendue à la lumière.

En sont-ils privés, les voici orphelins.

Fils de la lumière, l'oiseau est relié par une fraternelle tendresse aux hommes de lumière, il s'en

approche sans la moindre crainte. En effet il existe un lien subtil entre oiseau et homme : l’un et

l’autre n'attribuent pas à eux-mêmes la présence de la lumière, mais ils en sont le réceptacle.

L’oiseau s’envole, l'homme se déplace, mais il risque d'être attaché à la condition terrestre. Seul

l'individu amoureux de la lumière, en qui le soleil s'est levé, en devient le bénéficiaire ; ainsi, le

souhait exprimé par Paul aux Ephésiens (5,8) :« marchez comme des enfants de lumière», pourrait

s'adresser aux oiseaux: « Volez comme des enfants de lumière »

L'oiseau, possédant l'ivresse du vol, extériorise ce que tout homme intériorisé, croyant ou

incroyant, tente de vivre au-dedans.

Les oiseaux se cachent pour mourir, avons-nous entendu. L'oiseau possède le sens de la vie et

de la mort. Tout animal se dissimule lorsqu'il éprouve d'une façon certaine la proximité de son

décès. Pour lui, la mort doit se vivre dans la solitude. L'exposer au regard d'autrui serait une forme

d'impudeur. La mort affecte uniquement une forme passagère, un revêtement. Seul l'homme

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angoissé cherche du secours à l'extérieur. L'oiseau qui chante sur le bord de la fenêtre d'un

moribond l'aide dans l'accomplissement de son passage. Son chant lui procure la nostalgie du

céleste. Le voici déjà indigène dans l'éternité ; ainsi, accomplit-il une fonction angélique, celle

d'attendre le trépas pour entourer l'esprit et le guider vers sa nouvelle demeure.

Le vide conduit inexorablement vers la lumière. En effet, l'homme vidé de la pluralité de ses

moi devient apte à recevoir cette lumière à laquelle Rumsbroeck donne le nom de « simple

lumière», pure, transfigurante. Le détachement de soi-même permet de se perdre dans la lumière.

Ainsi, le propos vide infra d'Hadewijch convient à la fois aux oiseaux et aux hommes spirituels

devenus des êtres de1umière :

Si nous étions venus à cette clarté

Devant sa face, vacants et libres

De tout monde, de toutes choses

Nous verrions la lumière dans la lumière

1.3. La liberté «L'oiseau, créé pour vivre dans l'élément le plus subtil et le plus pur, est nécessairement de tous

les moules de la création dernière, le plus indépendant et le plus glorieux ». Il est l'air libre

personnifié. Rappelons-nous que la langue allemande restitue l'oiseau dans la maxime de la liberté

« libre comme l'oiseau dans l'air »

Il est intéressant de noter que, dans la Genèse, le verbe «créer» est employé à l'égard des

poissons, des oiseaux et de l'homme, c'est-à-dire à propos des créatures libres de se mouvoir dans

l'eau, dans l’air et sur la terre.

Durant son existence, l'oiseau apparaît guidé par son amour de la liberté, toujours en péril jusqu'à

son trépas. Grâce à ses ailes, l'oiseau prend son vol, se déplace à son gré, ne dépend d'aucune

autorité, d'aucun système : il est symbole essentiel de liberté. Son âme n’est pas orientée vers les

diverses formes d'esclavage. Aucune patrie ne le retient. L'oiseau exprime l'envol de l'âme, sa mobilité

aérienne, sa liberté. Il symbolise l'affranchissement de toute attache terrestre, dans un élan épris de

transcendance qui permet d'accéder aux états supérieurs de l'être ; et « celui qui apprendra à voler aux

hommes de l'avenir aura déplacé toutes les bornes; pour lui les bornes mêmes s'envoleront dans

l'air: il baptisera de nouveau la terre : « la légère », car les barrières sont pour ceux qui ne savent

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pas voler », dit George Meredith. Le vol devient une matière à transmuer, base fondamentale d'une

transmutation de toutes les valeurs. Notre être, de terrestre, doit devenir aérien. Alors, il rendra

toute terre légère. Notre propre terre, en nous, sera « la légère ». Pour Nietzsche se désignant lui-

même comme un aérien (Poésies) l’air, support de toute aile, est la substance même de notre

liberté, la substance d’une joie surhumaine surmontée:

Nuages d'orages - qu'importe de vous?

A nous autres esprits libres, esprits aériens, esprits joyeux.

Car si joie terrestre est richesse et pesanteur - la joie aquatique mollesse et repos, la joie ignée

est amour et désir - la joie aérienne est liberté. (Bachelard, op.cit.) Dans le règne de l'imagination,

l'air nous libère des rêveries substantielles, intimes... Il nous libère de notre attachement aux ma-

tières : il est donc la matière de notre liberté, il n'apporte rien, il ne donne rien dans l'immense

gloire d'un Rien. «N'est-ce pas au donateur, demande Nietzsche, de remercier celui qui a bien

voulu prendre? » Belle pensée pour une Cène !..

La liberté appartient à l'aile dont le pouvoir dynamique lui permet d’opter pour un mouvement

ascensionnel. Liberté et défi parviennent à l'unité et s'expriment dans le vol. L'état de liberté

absorbe à la fois tout ce qui le précède et lui permet de se manifester dans un amour unique.

Cette liberté, dont jouissent les êtres aériens, ne doit pas être confondue avec l'indépendance.

L'oiseau assume son autonomie, se prend en charge et présente de ce fait une totalité, une unité

parfaite servant ainsi de modèle à l'homme qui s’affranchit des divers esclavages. La liberté ac-

compagne la légèreté que la pesanteur récuse. L'oiseau imite le vent qui «souffle où il veut» (Jean

3,8). La liberté refusant l'horizontale permettra d’épouser les énergies verticalisantes: l'ascension.

Pour le CR+C, ces trois oiseaux symboliques sont en relation avec les quatre éléments,

correspondant à diverses étapes de la progression initiatique. L'aigle est le roi des airs, on prête au

phénix l'aptitude à renaître de ses cendres consumé d’un feu perpétuel. Le pélican lui, utilise autant

l'air que l'eau, pour ensuite, sur terre nourrir sa progéniture.

2. L’AIGLE OU LA FOI A l'origine, le Chevalier Rose croix était appelé Chevalier de l'Aigle et du Pélican, ce dont on

trouve la mention scripturaire dans les brefs (ou diplômes) du XVIIIe siècle. L’instruction pour le

18ème Degré rapporte que : « Le titre de Chevalier de l’Aigle, qui paraît être le plus ancien, a été

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attribué au Chevalier Rose+Croix du fait que l’Aigle symbolise la Puissance suprême ».

Les anciens croyaient que l'aigle renouvelait périodiquement son plumage et sa jeunesse, en

volant directement vers le soleil pour ensuite plonger dans l'eau. Comme l'aigle se renouvelle ta

jeunesse (Psaume 103,5). L'Antiquité confère à l'aigle accompagné de «la couronne de vie»

évoquant le disque solaire, une fonction importante. Il symbolise, par sa vue perçante 1'« œil qui

voit tout», c'est-à-dire le «dieu veillant ».

Oiseau de Zeus puis de Jupiter, patron de Rome, employé par les Barbares qui le considéraient

comme le symbole de l’Être Suprême, les empereurs et rois des Romains, eurent les armes à

l’aigle, ainsi que de Byzance genre féminin en héraldique Charlemagne de l’Allemagne, prit aussi

l’aigle, de l’Empire (l’aigle) et de France (les fleurs de lis), Napoléon 1er quand on créa les

armoiries impériales autour de l’idée de Charlemagne (1804). Distinctes des aigles de l’empereur

des Romains et d’Autriche, de l’empereur de Russie, du roi de Prusse et même des États-Unis

d’Amérique. Le terme de «grand aigle» servira, sous Napoléon 1er à désigner les plus importants

légionnaires (1805). Et puis n’oublions pas que le Grand Aigle est une planche à dessin…

L'aigle apparaît déjà dans l'Apocalypse :

8,13 Et je vis, et j'entendis un aigle volant au zénith dire d'une voix forte:

12,14 Et les deux ailes du grand Aigle furent données à la Femme pour s'envoler au désert en

son lieu »

Pourtant, animal céleste par excellence, l’aigle est le véhicule des âmes heureuses vers leur

source originelle, il peut être aussi symbole divin. «Pareil à l’aigle qui excite sa couvée et voltige

au-dessus de ses petits, ainsi Yahvé, le Seigneur, a déployé ses ailes» (Deutéronome, XXXII, 11).

L'air et la hauteur imaginaires se peuplent, nous le savons, d'un monde d'oiseaux, dont l'aigle

ravisseur: « Mon aigle est éveillé et, comme moi, il honore le soleil. Avec des griffes d'aigle il saisit

la nouvelle lumière»

L’aigle sert également d’image au Christ porteur de lumière: «Je suis la lumière du monde [...]

Je suis venu apporter le feu sur terre». La Résurrection se trouve intégrée à la signification

emblématique de l’aigle, par le biais d’une vieille légende orientale, «L’oiseau s’approchant si

près de l’astre divin, il arrivait en sa vieillesse que ses plumes se calcinaient, et que sa chair même

se desséchait quasi toute; mais qu’étant revenu sur terre, l’oiseau se plongeait trois fois dans l’eau

vive d’une fontaine et qu’il en sortait régénéré, avec toute la pleine jouvence de ses premières

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années».

Emblème du dieu, intermédiaire entre le dieu et son fidèle (légende de Ganymède dans la

mythologie grecque) l’aigle est également symbole du fidèle, comme l’atteste une stèle syrienne

préchrétienne, (l’aigle priant d’Alep, pourvu de moignons humains, levés en un geste invocateur et

adducteur) Enfin, emblème de Satan, il est le rapace destructeur, ravisseur des cimes, animal

impur.

L'Aigle, dernier animal nommé par יהוה ( Iod-Hé-Vav-Hé ) parmi les dix premiers seigneurs

de la Terre et de l'Air, dans l'expérience de Job, est le Gardien de la « Porte des dieux », il arrache

à la mort celui qui vient « d'intégrer le Noir ».Dieu n'a-t-il pas dit à Job: « Là où sont les cadavres,

l'Aigle se trouve» (Job, XXXIX, 30), paroles reprises par Christ pour dire de sa propre mort: « En

quelque lieu que soit le cadavre, là se rassembleront les aigles» (Matthieu, XXIV, 28), qui

identifie ici les aigles à ceux de ses disciples qui porteront son message à travers le monde et

arracheront à la mort l'Humanité déchue, esclave du Satan ou luttant contre lui dans un moralisme

pieux.

Son nom hébreu est Nesher est construit de telle sorte que les deux mains, les deux 5, image

des deux Hé du Tétragramme, sont la traduction arithmologique des deux ailes de l'Aigle et, par

leur complémentarité indiquent déjà l'unité reconquise (5 + 5 = 10). La main, en hébreu Yad, est

tout simplement la lettre Yod du Tétragramme; elle est liée à la connaissance: Yada - je« connais» -

veut aussi dire « j'aime »… Les deux mains réunies dans l'unité symbolisent par là même la « force

», en hébreu Koalz . L'Aigle symbolise donc Force et Connaissance. Nesher, contient la lettre trini-

taire par excellence, le Shin; elle est sertie dans le mot Ner qui signifie la « lampe », la lumière.

L'aigle se définit ainsi comme porteur de la Lumière trinitaire en son cœur. La lettre Shin qui réunit

les deux lettres Noun et Reish symbolise l'expansion cosmique à partir du cœur des fondations, et

réunit les pieds à la Tête . La racine Sar, que porte aussi le nom de l'Aigle, est celle du « Seigneur,

Prince ». Le Souffle, la Connaissance, la Force, la Puissance, la Seigneurie, la Lumière, réunissent

les qualités du Maître des Hauteurs, de Celui qui arrache l'Homme aux ténèbres pour l'introduire à

la lumière dont il est potentiellement tissé. Seule la Connaissance libère : « Quittez l'ignorance et

vous vivrez» (Proverbe, IX, 6).(Annick de Souzenelle, La symbolique du corps humain) Cette

connaissance est amour…

C'est lui qui tient dans ses serres puissantes les messagers envoyés des dieux aux hommes:

une oie blanche (Odyssée, XV, 160), une colombe (id. 525), un faon (Iliade, VIII), etc. Et c'est lui

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qui arrache de terre ce qui appartient aux dieux (mythes de Ganymède, de Prométhée). Mais

quand on aime l'abîme, il faut avoir des ailes... il ne faut pas se cramponner…

Dans l'imagination blakienne, la pensée est faite de l'être créé par son mouvement : n'est-elle

pas déjà cruelle la pensée du vol puissant de l'aigle crée d'elle-même l'aigle vorace ; et le coup

d'aile, en sa puissance, dévore l'agneau.

Jean , l’Aigle de Patmos

Symbole d’élévation spirituelle, l'aigle royal est par excellence l'apôtre Jean l'Évangéliste, « apôtre

au secret divin » l’Aigle de Patmos»; le symbole particulier de l'évangéliste vient d'un texte du

prophète Ézéchiel qui décrit sa vision : « Je discernai quelque chose qui ressemblait à quatre

animaux. . ., ils avaient une face d'homme…, et tous les quatre avaient une face d'aigle (Ézéchiel

1, 5-6.10). La tradition a vu dans ces animaux les symboles des évangélistes et a attribué l'aigle à

Jean…

Le pape Grégoire 1er commentera : « Jean a écrit la naissance éternelle du Verbe; comme l’aigle

il a pu regarder le soleil levant », ajoutant que « l’aigle peut aussi figurer le Sauveur lui-même ;

comme l’aigle, Il s’est élevé vers les cieux dans son ascension ».

Ainsi l’aigle est Symbole de vie nouvelle puisqu'il s'est élevé très haut dans la contemplation de la

nature divine du Verbe de Dieu. De plus, l'aigle est souvent interprété comme le symbole de la

Résurrection, et Jean est un témoin privilégié du grand événement pascal. Mais s’il est le symbole

du disciple bien-aimé, mais c'est aussi celui du Christ. On le disait capable s'élever jusqu'où on ne

le voit plus, et qu il avait la capacité de fixer le soleil en plein midi.

En outre, tous les disciples du Christ peuvent être identifiés aux aigles. Ils partagent la force

morale de l'aigle. Le livre d'Isaïe disait : Ceux qui espèrent dans le Seigneur renouvellent leur

force, ils déploient leurs ailes comme des aigles, ils courent sans s'épuiser, ils marchent sans se

fatiguer (Isaïe 40, 31). Dans le Baptême, plongés dans l'eau, ils ont puisé foi, courage et

contemplation. On disait que l'aigle, si grande fût sa faim, laissait toujours une moitié de ses proies

aux autres oiseaux. C'est l'exemple de la générosité ou de la charité qui anime le vrai disciple du

Christ.

Interchangeabilité de l'ange et de l'aigle

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Dans les visions de la béguine Hadewijch (XIIIe siècle), sans doute inspirée de l'Apocalypse

( Dom Jean Leclerc » Etudes sur le vocabulaire monastique du moyen Âge, dans Studia

anselmania 48, 1961 cité par Marie-Madeleine Davy), et qui présente l’originalité d’une

symbolique s'appliquant à des personnes, il s'agit presque toujours de paroles prononcées par un

ange, servant de guide à la visionnaire. Quant l'ange est absent, il est remplacé par l'aigle, conseillé

par un séraphin.

Dans la onzième Vision, un phénix dévore un jeune «aigle gris », désignant la visionnaire

puis un aigle ancien, «aux plumes blondes et neuves». La couleur blonde attribuée à l'aigle âgé et

attribué à saint Augustin, signifie «la jeunesse éternelle de l'amour qui ne cesse de croître dans le

ciel et sur la terre ».

Ainsi, l'aigle symbolise l'esprit aimant «qui regarde et fixe la clarté du soleil... reçoit la clarté

de Dieu, au-dessus de la raison et sans intermédiaire». Quant au phénix qui dévore les deux aigles,

il représente la Trinité en qui se perdent ceux qui aiment.

Dans son sermon Intravit Jesus in templum, Maître Eckhart fait allusion à l'âme humaine

dépassant le pouvoir de l'ange, qui ne peut aller au-delà d'un certain niveau qui lui est assigné. En

raison de la totale liberté dont elle jouit, l'âme peut s'élever au-dessus des manifestations

angéliques. N'étant soumise à aucune modalité, elle est libre de sa propre réalisation. Ainsi, l’aigle,

porteur d'ailes, devient pour l'homme le modèle d'un perpétuel mouvement s'exprimant dans une

liberté qu'aucune nécessité n'entrave. Seule l'âme unifiée dans l'amour peut conquérir une liberté

parfaite. Il s'agit bien là d'une perpétuelle ascension, comparable à un vol d’un oiseau. «La

contemplation... permet à l'homme de s'élever au-dessus de lui-même, en ce sens, elle est une

manière de s'envoler, d'imiter les oiseaux; ceux qui collent à la terre ne peuvent atteindre ces

hauteurs

Ainsi donc, l'aigle plane avec calme et sérénité tout en étant capable de foncer sur sa proie

et de vaincre l'obstacle qui lui résiste. Il incarne la confiance et la foi qui fournit le précieux levier

qui permet d'affronter avec courage toutes les épreuves et de vaincre les difficultés. L'aigle en

survolant les espaces ne connaît pas de frontières, ce qui permet de concilier oppositions et diver-

gences et d'inviter les uns et les autres à prendre conscience qu'ils sont solidaires dans la chaîne de

l'humanité et à se rapprocher par la pratique d'une authentique fraternité. L'aigle représente la

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recherche de la sagesse et le détachement des contingences immédiates par l'élévation, le recul, la

distanciation. Il correspond à l'éveil spirituel. Sa force et son endurance lui permettent de voler haut dans le

ciel et longtemps.

3. LE PELICAN OU LA CHARITÉ

Désigné par le Lévitique et le Deutéronome comme un animal impur, le pélican fait partie de la

pauvreté désertique, paysage mythique de désolation que l'on traverse sans s'y établir:

Je ressemble au pélican du désert;

Je suis semblable au hibou des ruines;

Je veille et je gémis solitaire» (Ps 101,7).

Le désert, célébré par les prophètes d'Israël et le Psalmiste, est le lieu du pélican.

Comment cet oiseau qui aime se tenir près des fleuves peut-il vivre dans un lieu aride? Lorsque les

Pères de l'Église et les écrivains chrétiens louent la solitude et chantent l'épreuve du passage par le

désert, ils prennent souvent comme modèle le pélican. L'oiseau nocturne, qui tente d'attaquer les

oisillons dans leur nid, n'est rien d'autre que le serpent démoniaque de la Genèse. Mais ce qui est

important relève de son double symbole: celui du sang répandu pour ressusciter ses enfants et aussi

son illustration de la solitude, de la pauvreté, du dénuement.

Les écrivains chrétiens commentateurs du psaume 101, faisant allusion au pélican, oiseau

du désert, vont louer non seulement la solitude, mais le désert lui-même appelé à se transformer en

jardin. D'où la symbolique des métamorphoses, des résurrections, du triomphe de la vie sur la

mort. Le temps s'efface toujours devant l'éternité et la tristesse se transforme en joie. Aussi le

pélican devient un signe d'espérance.

Dans l'Ancien Testament, il est un sacrifice notoire que beaucoup ont vu comme une

préfiguration du sacrifice christique: c'est celui d'Abraham soumis à l'épreuve de l'amour et du

renoncement absolu lorsque l'Éternel lui demande de lui sacrifier son premier né. L'amour paternel

poussé jusqu'au paroxysme lui fait répondre aux interrogations de son fils aîné quant à la victime

expiatoire que celui-ci ne voit pas: mon fils, Dieu aura soin de fournir lui-même la victime qui lui

doit être offerte en holocauste (Gen 22: de 1 à 8).

Le symbole du pélican fut très tôt appliqué au Christ rédempteur. Le Christ-pélican a pu

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vaincre le démon et le reléguer en enfer. En tant que rédempteur, il sauve les chrétiens en leur

apportant a vie éternelle. Le symbole du sang répandu est ici évoqué. Le sang qui s'apparente au

soleil est aussi le véhicule de l'âme, il donne la vie. La transsubstantiation eucharistique illustre

l'importance du sang avec son évocation corporelle, qu'il convient de dépasser car il ne s'agit pas

d'un corps physique, mais d'un corps de gloire. A un autre niveau pourrait se situer le souffle

correspondant non plus au corps mais à l'esprit.

Ainsi le pélican s'ouvrant la poitrine, afin que ses petits reçoivent des gouttes de son sang

et soient réanimés, est rapproché du Christ sur la croix et de sa blessure faite au côté gauche

laissant s'écouler du sang et de l'eau. D'où le propos d'Angelus Silesius: «Éveille-toi, chrétien mort,

vois notre Pélican t'arrose de son sang et de l'eau de son cœur. Si tu le reçois bien... tu seras à

l'instant vivant et bien le pélican, qui ressuscite, en versant sur eux son sang, ses petits tués dans un

mouvement de colère, représente le sacrifice du Christ pour la résurrection des hommes

Le pélican est à l'origine d'une importante iconographie, figure emblématique qui le

représente avec trois, cinq ou sept petits familière au Maître Maçon. En fait le nombre trois corres-

pondrait à la réalité naturelle, la femelle du pélican ne couvant jamais plus de trois œufs.

Néanmoins, un rapprochement intéressant peut être fait avec les trois vertus théologales Foi,

Espérance, Charité, qui conduisent à l'Amour, y compris jusqu'au sacrifice de soi.

Le pélican rappelle que le Bon, le Bien et le Positif sont en germes déposés dans le cœur

de tout homme conscient qu'il est à l'image de son frère humain, et qu'à ce titre, il répondra à tout

signe de détresse de son prochain, volant au secours de l'autre sans avoir peur du sacrifice…

Compte tenu de son genre masculin, le pélican serait davantage une représentation de

l'amour paternel suprême, plutôt que maternel, allant jusqu'au sacrifice pour assurer la survie de sa

progéniture. En alchimie, ce sacrifice supposé sert de comparaison à celui de la pierre philosophale

qui meurt afin de régénérer les métaux imparfaits Sur la figure III du Solidonius, le pélican et le

phénix sont associés dans la mort, l'un par son sang, l'autre par la crémation, pour renaître, comme

la Pierre Philosophale. Mort et résurrection marquent la continuation de l'œuvre, par la régé-

nération, jusqu'à l'état de perfection que symbolise la pierre philosophale.

Si la plupart des cahiers de Rose-Croix s'abstiennent de faire allusion à l'alchimie, pour

lesquels le pélican ne serait que Le symbole du rédempteur du monde et de la parfaite humanité.

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René Le Forestier (La franc-maçonnerie templière et occultiste au XVIIIe et au XIXe S., Éd.

Aubier Montaigne, 1970) rappelle que la pierre philosophale était fréquemment figurée dans les

traités d'alchimie par le pélican parce qu’elle s'épuisait en communiquant au métal vil la couleur

rouge qu'elle recelait, de même que le pélican, meurt de la perte du sang que boivent ses enfants...

4. LE PHÉNIX ou L’ESPÉRANCE

Chez les Egyptiens, nommé bennou, le phénix, du fait de ses brillantes couleurs évoquait la

splendeur, et symbolisait les résurrections d'Osiris. L’oiseau fabuleux, dont le prototype égyptien

sera considéré comme sacré à partir d’Origène, se trouve aussi perché sur une branche de l'arbre de

vie, correspondant à l'arbre du monde. Tel l'oiseau, l'arbre de vie est un signe ascensionnel,

équivalent à l'échelle ou à la montagne.

Pour les Grecs, le phénix jouissait d'une immense renommée grâce aux écrivains qui

propageaient de nombreuses légendes le concernant. Le mythe du phénix a une histoire précise: celui-

ci s’implante à Rome, où il devient le support de l’apothéose des empereurs, sous l’aspect de l’aigle

mythique, porteur d’androgynie et d’immortalité; lorsque le christianisme se répand à Rome, le phénix

accompagne les images du Christ. L’androgynie renvoie donc à l’immortalité et, en vertu d’une lecture

psychanalytique, à un refoulement de la procréation: l’androgyne s’engendre lui-même, puisqu’il possède

les deux caractères sexuels qui, hors de lui, demandent une rencontre pour produire un être nouveau.

Par l'intermédiaire des Grecs et des Romains, la symbolique du phénix fut adoptée par les

chrétiens en faveur du Christ mort et ressuscité. Célébré dans de nombreux bestiaires de l'époque

médiévale, il concerne aussi, après avoir évoqué le Christ, les chrétiens qui, après leur mort,

doivent ressusciter.

Cet oiseau qui ne cesse de mourir et de renaître est à la fois cendre et vie. Cendre et vie

possèdent leur parfum; mort et résurrection exaltent leur propre odeur. La mort arrache les

masques. Contrairement à l'odeur délétère qu'elle véhicule, la victoire triomphante sur la mort

comporte une aura parfumée Se référant aux études de J. Huleaux et M. Leroy, Bachelard dira que

«le phénix est l'oiseau des aromates, le feu odorant ». À ce propos, il évoque «les aigles des

légions romaines... couvertes d’onguent ».

Le phénix est cité dans le livre d'Hénoch : durant son ascension, Hénoch traverse le

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quatrième ciel. Il voit le char du soleil tiré par deux esprits volants, dotés chacun de douze ailes. Ils

présentent une apparence d'oiseaux, dont l'un est un phénix, Lorsque survient la huitième heure de

la nuit, les anges remettent au soleil sa couronne, les oiseaux battent des ailes et célèbrent la beauté

de la lumière par leurs chants.

«Le phénix, image conceptuelle de la vie et de la mort», écrira Bachelard. Le premier

chapitre des Fragments d'une poétique du feu aura pour titre: «Le phénix phénomène du langage ».

Cet oiseau légendaire «s'enflamme de ses propres feux; il renaît de ses propres cendres». Telle est

l'image essentielle que cet oiseau propose tout particulièrement aux poètes susceptibles d'en

commenter le sens. «Oiseau de feu», «flamme qui vole», «aile de l'éclair», sont les expressions

employées par Bachelard à propos du phénix; il ajoute ces mots suggestifs: «triomphe par la

mort». Voici le symbole le plus éclatant du phénix: mort engendrant la résurrection, nécessité de

mourir pour renaître.

Et comment oublier le nom donné au surgénérateur à neutrons rapides : Phénix, qui produit

plus de plutonium qu’il n’en consomme ( selon la légende !)…

Lorsque le Très Sage en dévoile la signification de INRI : « Igne Natura Renovatur Integra »,

la nature est renouvelée entièrement par le feu, c’est sous l'aile du phénix, emblème de la pensée

immortelle qui se consume elle-même et renaît de ses cendres sur le bûcher de l'immortalité, que

l'on retrouve la Parole : Perit ut vivat ! il meurt afin qu'il vive , suggérant fortement l'idée de

résurrection. L’instruction du grade nous précise également que le sacrifice de la Croix peut être

comparé à celui du pélican qui frappe son corps de son bec afin de nourrir ses petits avec son

sang et sa chair

Berthelon rappelle que l'ancienne Rose-Croix donnait un sens quelque peu différent à

l'hiéroglyphe sacré I.N.R.I. quand elle traduisait ces initiales par: Intra Nomen Regnum lehovah

soit « la Force est en ton Nom Seigneur ». De multiples explications parfois contradictoires ont été

données à propos de ce tétragramme et de son intégration dans le Rituel Écossais de Rose-Croix.

Toutefois, si le pélican reste le symbole de l'hermétisme, le Phénix dans le bestiaire christologique

est assimilé à l'hiéroglyphe I.N.R.I. qui, exactement comme le יהוה , serait la Parole Perdue sur

quoi s'alimente tout le processus initiatique proposé par la franc-maçonnerie; le Phénix

personnifiant le Feu-principe, source de Lumière et de Vie, il est donc le VERBE par excellence;

encore que le Phénix et INRI sont nettement rapprochés dans les doctrines alchimiques.

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Le rapprochement du pélican et du phénix est tout à fait intéressant, car il établit une

transition entre la Charité et l'Espérance. Le pélican et le phénix (à l'origine l'aigle) rappellent aussi

le signe et le contresigne.

Le phénix, c'est la transformation intégrale et l'émergence d'un être nouveau qui, en se

consumant par le feu, fait une perpétuelle métanoïa. Il subit la transformation nécessaire, il renaît

et s'entretient du feu de la Connaissance. Il est pour le Chevalier Rose-Croix un rappel constant des

différentes étapes initiatiques à franchir, par de nombreuses morts et renaissances à soi-même,

pour accéder à la plénitude de l'initiation

Le Chevalier unit le courage et l'élévation de l'aigle au dévouement sacrificiel du

pélican ainsi qu'à la renaissance du phénix, en d’autres termes la Foi est représentée par

l'Aigle, l'Espérance par le phénix et la Charité par le pélican.

5. AGNEAU-SACRIFICE, AGNEAU-PASCAL, AGNEAU-PASSAGE… Au centre du bijou du 17e D°, une médaille heptagonale, un agneau en argent est couché sur

le Livre des Sept Sceaux chacun des sceaux portant les lettres signifiant Beauté. Divinité, Sagesse,

Puissance, Honneur, Gloire, Force.

Dans l’Ancien Testament , l’agneau avait donc la double fonction d’être à la fois objet de

sacrifice propitiatoire, c’est-à-dire se gagner les faveurs du Dieu, et expiatoire pour réparation du

préjudice commis par son peuple élu en ne respectant pas sa Loi.

À la période du Temple de Jérusalem, le rite essentiel était le sacrifice de l’agneau pascal

(korban Pesah). La Pâque (en hébreu Pesah) porte deux noms: le premier (en Exode, XXXIV, 25)

est Pâque (hag ha Posah), parce que Dieu «passe au-dessus» de la maison des enfants d’Israël

lorsqu’il frappe les premiers-nés de l’Égypte (Ex., XII, 23); le second (Ex., XXIII, 15) est celui de

fête des pains non levés (hag ha massot) justifié par la consommation de cet aliment lors du départ

précipité des Hébreux (Ex., XII, 39).

Lorsque le sacrifice de l’Agneau est assorti de l’interdiction de manger du pain au levain,

nous voyons le sens ésotérique de l’injonction de Passage que le surveillant donne au compagnon

dans « le passe Shiboleth »…Cette injonction devient Raphodon, « liberté de passer » pour le

« Chevalier Libre Maçon » au 15ème degré. C’est ainsi que par le sacrifice de l’Agneau la

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communauté israélite se trouve sous la protection de Dieu tant qu’elle ne faillit pas à sa fidélité et

au pacte .

Dans l’Apocalypse de Jean, l’Agneau, est nommé vingt-huit fois (personnification du

Christ); le terme grec usité (arnion) désigne le petit agneau, le jeune bélier, et ne se retrouve qu'en

Jn 21,15; on emploie aussi un autre mot (amnos) pour Jésus « l'Agneau de Dieu» (In 1,29.36),

victime (cf Ac 8,32.35) ou agneau pascal (1 Pe 1,19). Jésus est comme fixé éternellement dans son

sacrifice dont persistent les plaies. Et je vis, au milieu du trône et des quatre Vivants, et au milieu

des Vieillards, un Agneau debout, comme égorgé. Il avait sept cornes et sept yeux, … Mais le

propos profond de l’Apocalypse est la destruction du temple terrestre et la descente de la Jérusalem

Céleste. Jésus né de יהוה devient le Messie et le culte de יהוה transformé naîtra du sacrifice de

l’agneau sur le calvaire.

L’Agneau, c’est le Verbe triomphant, le Fils de l’homme, le Grand Ange moissonneur… Sur

un polyptique de l'adoration réalisé par les frères van Eyck, l’Agneau Mystique se trouve debout

sur un coffre scellé l’arche d’alliance, qui renferme sans doute la Parole Perdue ; cela semble

vouloir signifier que le christ ressuscité est le passage obligé pour accéder au secret de l’Arche.

Passage encore du matériel au virtuel.

L’Agneau concentre en sa personne tous les courants variés par lesquels s’était exprimée

l’apocalypse juive et spécialement le Livre d’Hénoch. Il est incarné dans Jésus qui monte sur la

croix pour la rédemption des fautes de l’humanité. Il prend la place de l’agneau traditionnel qui

disparaît en même temps que Jérusalem et le temple matériel de la religion des hébreux.

La pâque christique est mutation de l’agneau de la pâque juive en agneau divin. Et chaque

fois qu’il y aura mutation ou passage de l’esprit, le phénix renaîtra de ses cendres et un nouvel

envol sera assuré. L’Agneau de Dieu devient pélican pour ses frères, le pain de la pâque juive se

fait partage d’amour et de fraternité universelle. Il participe de l’Agapè et sur le plan mystique,

l’agneau immolé sur le feu du sacrifice et que l’on partage au soir de la pâque juive devient

communion. Il ne reste qu’à lui donner le sens de nourriture spirituelle pour accéder sur le plan de

l’esprit à la communion sous les deux espèces. Et la fête Pascale du 18ème degré reprend toute

cette dimension mystique de l’agneau transmuté. Il y a donc une véritable transmutation de la

matière en esprit : le royaume de l’agneau n’est plus de ce monde et la Jérusalem céleste appartient

à l’esprit, et donc virtuelle au delà des dogmes, des superstitions et des institutions.

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L'agneau, représente le sang régénérateur, créature innocente sacrifiée, il rappelle et

correspond au sacrifice, à l'offrande par laquelle s'obtient la régénération de l'être sous une forme

d'échange. On le retrouve à maintes reprises dans l'iconographie chrétienne des premiers siècles de

notre ère, représentant l'agneau rédempteur, victime volontairement offerte pour le rachat de ce

monde.

6. CONCLUSION

L’accomplissement chevaleresque Purification, exaltation, régénération créatrice :

Trois illustrations symboliques, extraites du Bestiaire alchimique, figurent de façon

significative les étapes de la réintégration à la Nature et attestent d’une énergie de la

métamorphose pour une destinée qui permet de s’élever au dessus de la condition humaine :

- La sublimation des Aigles, obligeant l’Esprit à s’élever toujours plus haut.

- Le Pélican qui symbolise la circulation fermée unissant les deux corps dans l’Athanor.

- Le Phénix symbolisant la résurrection des corps et procédant de l’éternité.

Les fondements du 18° degré du Rite apparaissent comme une chaîne hermétique, tissée sur

une tradition judéo-chrétienne. Amorcée dès le Cabinet de réflexion avec le mot VITRIOL qui se

poursuit lors du troisième voyage de notre Initiation, ayant amené le Vénérable Maître à énoncer :

« Puisse ce Feu qui vous a enveloppé se transmuer dans votre coeur en un Amour ardent pour vos

semblables ; puisse la Charité inspirer désormais vos paroles et vos actions , véritable

prémonition du 18ème D°. I.N.R.I. se rapportant aux éléments: air - terre - eau - feu, fondements de

l'hermétisme : La nature est entièrement rénovée par le feu, car la matière purifiée se renouvelle,

ainsi le Chevalier Rose-Croix, tel le phénix se régénère par la puissance du feu qu'il porte en lui.

Ce cheminement initiatique semble déjà indiquer au Chevalier de Royale Arche, qui observe

les premières fissures sur les murs de la Neuvième voûte, que le temple, objet matériel du culte

extérieur, s’effondre, et il ne reste pour l’initié que le temple intérieur. D’ailleurs, l’esprit du

GEPSM ne se détache-t-il pas de la matière, pour se préparer à de plus sublimes connaissances, ou

plus exactement par un cheminement séfirotique vers la Connaissance, car à travers la verticalité

de la Lumière Divine, entre Tiphereth, la Beauté et Kether, la Couronne, apparaît Da’ath –

Connaissance, un nœud où règne la brillance de l’Esprit, une connaissance non manifestée qui

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vient directement de l’Infini, c'est-à-dire de l’autre côté du miroir de la manifestation de la

Resplendeur.

Le Sacrifice de l’Agneau figure les lieux alchimiques de l’accomplissement. « Le

dogmatisme est condamné dans son principe…L’amour et la liberté ne peuvent plus être méconnus

impunément… Le Chevalier Rose + Croix est bien ce patient inquisiteur des lois de la Nature.

Brûlant de son ardente obligation, il a conscience du Feu Divin qui le constitue, le fait vivre et le

conduit sur les chemins de la transmutation.

En raison de ses aptitudes de conversion et de transfiguration, le Chevalier agit avec un souci

extrême de se régénérer continuellement et intégralement, par le Feu et par l’Agneau. La marche

du Temps est suspendue et les vertus exaltées par la connaissance de l’Agneau. Le Chevalier Rose

+ Croix devient alors Force, Sagesse et Beauté à la fois, qui font incliner les choses inférieures à

aspirer aux supérieures.

« La Parole de Vie, la Parole de régénération est retrouvée…. Allez, Chevalier : Pensez,

Agissez en vertu de cette Parole. Tous les espoirs sont permis… »