L'économie locale de Korhogo et de son arrière pays. T1 : rapport...

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    REpUBLIQUE DE COTE-D'IvOIRE

    Union- Discipline- Travail

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    L'ECONOMIE.LOCALEDE:Kon.HO(;OET.DESoN::ARRIERE~PAYS.·:'. ,-',... ,",. .' .

    Volume 1 : Rapport général

    Février 1999

    Union Européenne

    OCDE- PDM« RELANCE DES ECONOMIES LOCALES EN AFRIQUE DE L'OUEST»

    Etude réalisée par:

    ECOLE NATIONALE SUPERIEURE DE STATISTIQUE ET D'ECONOMIE ApPLIQUEE

    (ENSEA)

    INSTITUT DE RECHERCHE POUR LE DEVELOPPEMENT

    (IRD - EX ORSTOM)

    Internationale de Conseil, d'Etudes et de Finances (ICEF)

  • TABLE DES MATIE RES

    Avant - propos

    Première partie:Présentation générale de Korhogo et de son arrière - pays

    Chap. 1 Histoire, peuplement, structure sociale de la région korhogolaiseL'importance des dynamismes de longue période

    1.1. Korhogo dans la longue période: des hiérarchies socialesfortes1. J. Le double fondell/ent historique de l'économie korhogolaise1.3. De la « politique d'abandon ii au Program/lle d'urgence1. -1. I"a crise éconolllique vue du Nord i1 Joirien1.5. f)e considérables enjeux dans la cO/llmllna/i.l'ntioll el la décel1lralisntioll'

    Chap.2 Dynamisme du peuplement de la commune ct du départementUne approche démographique

    J.I. Région des Savalles, dépnrtel1lents, zones urbaines7 7 /lpproche des sous-préfectures du département2.3. Sexe, âge, nationalité, ethnies, fécondité, II/ortalité

    Chap. 3 Vivre à KorhogoEmploi, niveau de vie, environnement

    3.1. L'emploi urbain. Précarité professionnel/e, déficit d'emplois salariés, autoemploi3.2. La consommation cles ménages: unfnible niveau II/oyen de dépenses3. 3. l3iens et services communs: UII cadre de vie à ollléliorer

    Chap.4 Approche de l'économie localeCe qu'apprend la Matrice de comptabilité sociale

    Deuxième partieDynamismes et perspectives des activités agro-pastorales

    Chap.5 Les cultures de rapportDiversifications et opportunités nouvelles dans la zone cotonnière

    5.1. 1" 'évolution de la production cotolll7lère du Nord f)u pari textile à la liiJéralisatiol15.2. Korho,l?o, un département - clé de la production cotol1nière5.3. Les enjeux présents et à \'enir de la/ilière cOlon5.-1. Trai1.ljiJrmotion locale et évacuation du coton. Le rlile des usines dans l 'activaè uriJaine

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    65

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    75768285

  • 5.5. Production et exportation cles manRues. Cne activité enforle expansion5. fi Le tabac clans le clépartement. ('ne e:ngence cie II/oclerl1lsation5 7. L 'anacarcle et le karité. Deux procluctions enFiche, cles enjeux cl 'm'el1lr5.8 Production et consommation de bois. Une demande forte sur la ressource

    Chap. 6 Les cultures vivrières dans le département de KorhogoEntre l'autoconsommation et le « vivrier marchand»

    6.1. Généralités sur la production vivrière de la région. Une obligation d'intensification6.l. La production rizicole du département6.3. L'igname de Korhogo. /, 'avenir incertain de la production et de la commercialisation6..J Les cultures maraîchères. Un avel1lr prometteur6.5. Les autres spéculations vivrières. Des retombées rurales, peu de transflmnation6.6. Approche spatiale de la production vivrière. De fimes polarisations par type de hiens

    Chap. 7 Elevage et pisciculture dans le département de KorhogoSituation actuelle et possibilités de développement

    7.1. Une politique de valorisation du cheptel depuis les années 707.2. /Jcteurs locaux, systèmes d'élevage dans la région Nord7.3. Estimation du cheptel départemental. Comptes principaux de lafilière7. .J. I.es perspectives d'intensificatIOn de lafilière7. 5. Production et importation cie poissons. Une dépendance extérieure à réduire

    Troisième partieKorhogo, interface entre le rural et l'extérieur

    Chap.8 L'économie populaire urbaine.Vn poids socio-économique considérable

    H.I. /, 'économie populaire dans la ville de Korhogo. Considérations méthodologiques8.2. Prépondérance des activités marchandes, rôle majeur des femmes8.3. Les comptes de l'économie populaireH..J. Les caractéristiques d'emploi dans l'économie populaire localeH.5. Les structures d'appui. Des initiatives à coordonner, des manques à comhler

    Chap.9 Grands commerçants et transporteursInterfaces pour l'économie locale et nœuds d'accumulation

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    201

    9.1.9.2.9.3.9..J.9.5.9.6.9.7.9.8

    Caractéristiques d 'ensemhle du grand commerce localLes structures d'encadrement et d 'orgal1lsation du commerceLe financement des investissements dans le secteur commerclOlLes comptes du grand coml1lerce localLe secteur du tramport. Des opérateurs orientés l'ers l 'import . exportLes structures d'encadrement du tramportLes comptes du secteur transportD 'importants facteurs de blocage à prendre en compte

    lOI20821!2/22/fjll7ll9)))

    Chap. 10 Le secteur du BTP dans le départementDynamismes et blocages dans la production d'habitats et d'infrastructures 225

    10 1.10.2.10.3.10. .J.10.5.10.6

    l,a demande potentielle d 'hahitations dans le départementLes autorités exerçant un contnite et un soutien au secteur de la constructionActeurs et organisation de la filière. /, 'importance du petit entrepreneuriatUne vision d 'ensemhle des comptes des opérateurs de la filièreI.e secteur des 'l'rm1aux puhlics clans la ville et le départementl,es retomhées locales cles 'l'ravaux puhlics sur l'ell/ploi, les revenus, l'actil'ité

    2

    225228230233]]62n

  • 10 7. Comptes du secteur BTP 2-15

    Chap. Il Tourisme et artisanat d'artUn secteur à revitaliser, une politique à imaginer 249

    1/.1.Il.2.113.1/. -1.

    Hotellerie et restauratwl1. Etat des lieuxRessources de l'artisanat d'art et sites touristiques de la villeInsuffisances et errements dans la I!alorlsation des sites comlllunaux et départementaux.-Ipproche des comptes de l'artisanat d'art. des performances Q/I/éliorahles

    2-19252255259

    Chap. 12 Le système financier moderne 261

    12.112. 2

    Présentation générale.-Inalvse des dépats et des crédits

    261262

    Quatrième partieEtat et municipalités face aux enjeux du développement local 265

    Chap. 13 Système éducatif du départementImpact, coûts et efficacité 267

    13. 1.13.2.13.3./J'+'13.5.

    l, 'enseignement dans le département. ,"'ous-.lcolarisallon, discriml/wtion scIon le genreI:'nselgnement puhlic et privé/'es étahlissements d'enseignement technique. L'ne opportul1lté pour le département/, 'cnsclgncmentun/lJersilaire ci l 'U!?/:',)' de f.:or!lOgo. {'lIe illitiatil'c ci cO/l,\'(iI/llcr,~:vstémes éducatifç et conJèssionnels non reconnus par l '/:'tat

    26R273277279280

    Chap. 14 Offre et demande de soins de santé dans le départementUne situation sanitaire précaire 283

    1-1.1.1-1.2.1-1.3.

    Les structures puhliques di,\ponihles localemel1l. l/n besoin de redéploiementLes établissements privés. Des mitiatives encore iiI/litées et à encourager[,a demande locale de soins et de produits pharmaceutiques. 13esoins mal et non cO/werts

    28-1291293

    Chap. 15 Finances municipales, finances d'Etat 297

    15.1.15.2.

    L'engagement de 1Etat à l'échelon localI,esfinances municipales dans le département

    297303

  • Avant - propos

    0.1. Le présent «Rapport général» expose les résultats détaillés de l'étude de l'économielocale de la commune de Korhogo et de son arrière-pays, effectuée de juin 1998 à janvier1999 dans le cadre du programme de Relance des économies locales en Afrique de l'Ouest(ECOLOC) engagé par le Club du Sahel (OCDE) et le Programme de développementmunicipal (PDM). Financée par l'Union Européenne, cette étude vise à analyser ledynamisme et les synergies de la capitale de la Région des Savanes, à mettre en évidence sonpotentiel de croissance, ses facteurs de blocage, ses perspectives à l' horizon 2 020. Elles'inscrit dans une série de travaux déjà réalisés ou en cours de réalisation en Côte-d'Ivoire(San-Pedro, Daloa), ainsi que dans d'autres pays de la sous-région (Sénégal, Mali, BurkinaFaso, etc.)

    0.2. La maîtrise d'œuvre de l'étude a été confiée au cabinet International de conseil, d'étudeset de finances (ICEF). La réalisation des enquêtes, des traitements statistiques et des analysesa été assurée par une équipe de chercheurs de l'Ecole nationale supérieure de statistique etd'économie appliquée (ENSEA), de l'Institut de recherche pour le développement (IRD - exOrstom). Les résultats des travaux sont consignés dans trois volumes:

    Volume 1 : Rapport généralVolume 2 : Rapport de synthèseVolume 3 : Comptes économiques

    0.3. Ce document « Rapport général» répond aux Termes de référence de l'étude ECOLOeen exposant de façon détaillée les principaux «complexes d'activité» - ou filières - del'économie locale korhogolaise. On s'est efforcé, pour chaque « complexe» étudié, d'enprésenter les acteurs, les comptes économiques, les dynamismes et les facteurs de blocage, lesrelations entretenues avec d'autres « complexes », les liens économiques à l'échelon local,régional, national et mondial. De façon délibérée, \' exposé des résultats répond moins à desexigences académiques qu'au souci de transmettre aux responsables et acteurs concernés (a)des données quantitatives et qualitatives utiles (b) des cadres d'analyse et de compréhensionde l'économie locale (c) une vision rétrospective et prospective de cette économie, afm qu'ilsaient la possibilité de forger des objectifs et de prendre des décisions.

    0.4. De cette option découlent deux implications. D'une part, après une courte présentationd'ensemble destinée à faire connaissance des grandes masses et des flux de l'économie locale,la Matrice de comptabilité sociale (MeS) - outil statistique central de ce travail - n'apparaîtraplus que sous l'angle de ses composantes par « complexe ». Le lecteur se reportera donc auVolume 3 du rapport, exposant les «Comptes économiques» locaux, pour entrer dans ledétail de la Mes. D'autre part, le « Rapport général» est agencé de telle sorte que le lecteurpuisse se reporter directement aux «complexes» qui l'intéressent pour y puiser l'informationdont il a besoin, ou choisir une lecture continue qui mettra les « complexes» en perspectiveles uns par rapport aux autres. On renvoie néanmoins au Volume 2 pour une « synthèse» desdifférents constats relatifs aux dynamismes, synergies, facteurs limitants et perspectives del'économie korhogolaise, tels qu'ils ont pu être tirés des chapitres du présent rapport.

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  • 0.5. Un préalable méthodologique doit être préciser d'emblée pour éviter toute méprise sur laprésentation et l'interprétation des résultats. Bon nombre des données chiffrées exposées au filde ce rapport s'entendent plus, en effet, comme des ordres de grandeur ou à tout le moins desapproximations, que comme des valeurs certaines. Il est apparu illusoire, et finalement peuutile, de chercher à reconstruire des agrégats économiques locaux extrêmement diversifiés etinterdépendants, sans accepter une marge minimale d'erreur propre à toutes les enquêtes deterrain à caractère extensif. En revanche, les ajustements statistiques auxquels il a été procédérestituent une image d'ensemble cohérente, la plus réaliste qu'il a été possible de dresser surl'économie de Korhogo et de son arrière-pays. De même que pour les comptes de la Nation,qui gagnent en vision globale ce qu'ils perdent en précision sur chaque donnée, les compteslocaux présentés ici fournissent des indications détaillées qui, prises isolément, ne sont sansdoute pas exemptes de critiques, mais qui ont l'avantage de la cohérence générale.

    0.6. Un autre préalable de méthode doit être souligné. L'économie locale korhogolaise peut,sous l'angle comptable, parfaitement être exposée en données chiffrées, démographiques oufinancières, en agrégats économiques et autres quantifications de flux et stocks. Toutefois, lacompréhension des dynamismes et perspectives de cette économie ne pouvait se passer d'uneapproche plus qualitative. L'histoire, les structures sociales, les singularités de la cultureprennent en effet une importance croissance à mesure qu'on cherche à rendre compte de l'étatet du fonctionnement de l'économie réelle. Aussi, la présentation des résultats chiffrés seraassorti à chaque fois que nécessaire d'un cadre compréhensif renvoyant à des observationsqualitatives collectées sur le terrain par les membres de l'équipe, ou tirées des nombreuxtravaux d'historiens, géographes, sociologues, anthropologues et socio-économistes consacrésà la Région des Savanes et à la ville de Korhogo.

    0.7. L'étude s'est efforcée de mettre en évidence les forces et faiblesses, les opportunités dedéveloppement, les perspectives de croissance envisageables pour chacun des « complexes»de l'économie locale. Elle espère ainsi contrihuer à la formulation d'un projet de relal/ce decelle économie slIr le court, moyen et long terme indispensable, pour faire face aux défis dufutur autant que pour l'anticiper. C'est toutefois aux autorités locales, en concertation avec lesdivers acteurs impliqués dans l'économie, qu'il reviendra de convertir en projet effectifs. enengagements. en recommandations et en décisions les enseignements contenus dans ce travail.

    0.8. Le Rapport général se compose de quatre parties. La première permettra de prendrecontact avec la zone d'étude en la situant aux plans de son histoire, de ses tendancesdémographiques, du cadre de vie et de l'environnement urbain actuel, et des principaux ordresde grandeur qui caractérisent l'économie communale et départementale. La deuxième expose

    . en détailles rouages de l'économie agro-pastorale locale, ses retombées sur l'économie de laville de Korhogo, ainsi que la destination finale des productions du département. La troisièmetraite du fonctionnement des grands « complexes» de l'économie urbaine korhogolaise et deleur contribution respective à la formation de la richesse économique, des revenus et del'emploi. Une quatrième partie est consacrée aux actions de la municipalité et de l'Etat enversl'économie locale. Elle traite, outre les implications financières de ces actions, des moyensdont disposent les responsables pour gérer le présent, pour améliorer les services collectifs debase tels que l'éducation et la santé, pour accompagner la croissance démographique etéconomique sur les vingt prochaines années.

    0.8. Le présent « Rapport général» s'inspire des rapports intermédiaires, monographiessectorielles, enquêtes et notes de terrain des consultants, assistants et associés de l'équipeECOLOC - Korhogo, soit:

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  • • Pascal Atsé. Doctcur \'etcnnairc et socio-économistc. rcsponsable du complcxe« Production et trans(àrmanon des ressources pastorales»

    • Julie Borderes. économistc, lEP Paris et ENSEA, rcsponsable des complexe « Education etsanté »

    • Yacouba Diallo, économiste, CED - Bordeaux IV, responsable du complexe (( Grandcommerce et transport »

    • Fidèle Kayibanda, Ingénieur des travaux statistiques, ENSEA, ayant assuré le traitementdes données d'enquête

    • Siaka Koné Koko, économistc, CED - Bordcaux IV, rcsponsablc du complexe« Production ettran.~rormationdes produits vivriers»

    • Pascal Labazée, socio-éeonomistc [RD, en postc à l'ENSEA, coordinatcur de l'étudeECOLOC - Korhogo, responsable des complexcs « Histoire et structures sociales»,« Tourisme et artisanat d'art ». « Secteur moderne »

    • Adalbert NshimyumuremyL statisticicn économistc. Dirccteur des études à l'ENSEA.responsablc et dc l'élaboration des comptcs de la « Matrice de comptahi/ite SOCiale ».rcsponsable du complcxc « Etat et municipa/ite », « ,~~vstème jinancier moderne»

    • Naïma Pages, économiste, Université Paris X - Nantcrrc ct associéc à liRD - GP 92,rcsponsablc du complcxe « I~conomie populaire urhaine » et du complcxc (( Bâtiment ettravaux puNics »

    • Mamane Sama, statisticien économistc à l'ENSEA, rcsponsable du complexe (( Productionet tramjc)rmation des cultures de rapport »

    • Benjamin Zanou, démographc, Profcsscur à l'ENSEA et rcsponsable du complexc« Démographie et peuplement »

    0.9. Le rapport a par ailleurs bénéficié du soutien et des compétences de terrain de MadameFanny Koné (Responsable Antenne ocrv - Korhogo), de Mademoiselle Djetenin Koyaté(Technicien supérieur du secteur Tourisme), de Monsieur Amadou Coulibaly (IDEFOR -Korhogo), de Monsieur Sopri Gohoun (Responsable Antenne fNS - Kàrhogo), de MessieursBozi Germain et Cissé qui ont assuré la supervision les enquêtes de terrain à Korhogo.

    0.10. Nous tenons à remercier tous ceux qui nous ont apporté leur concours pour mener à biencette étude. Ces remerciements vont en particulier à Monsieur N'Dabian Eby-Aman, Préfet deKorhogo et Préfet de la Région des Savanes, à Monsieur le Maire de Korhogo Adama N'ZiCoulibaly ainsi qu'à l'équipe municipale, qui tous ont œuvré pour faciliter les contacts avecles acteurs de l'économie locale et la population. Notre gratitude va aussi à l'ensemble desresponsables des services déconcentrés de l'Etat en poste à Korhogo, qui nous ont appuyé parleurs compétences et leur documentation. Enfin, nous remercions vivement tous les acteurs dela vie économique et sociale korhogolaise, responsables du secteur privé, d'associations et destructures professionnelles, d'organismes non gouvernementaux, qui ont toujours accepté dedistraire de leur temps pour répondre, avec tant de patience, à nos questions.

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  • Prenlière partie:

    Présentation générale de Korhogo et de son arrière-pays

  • Chapitre 1

    Histoire, peuplement, structure sociale de la région korhogolaiseL'importance des dynamismes de longue période

    1.1. L'objectif de ce chapitre est de replacer les spécificités contemporaines de la vieéconomique, sociale, culturelle et politique de la région de Korhogo - celles-ci apparaîtrontpeu à peu au fil du présent rapport -, dans l'épaisseur de l'histoire du Nord ivoirien. L'exercicen'est pas de pure forme. Il s'est imposé à l'analyse pour trois raisons:

    (a) la configuration présente de l'économie et de la société korhogolaise est le produit dela longue période - sans doute plus que d'autres régions du pays qui furent sommées des'adapter aux fortes ruptures provoquées par la colonisation, par la montée en puissanced'un « modèle ivoirien» fondé sur l'exploitation du café-cacao, et par une urbanisationrapide et faiblement maîtrisée. Ici, les hiérarchies locales, les courants d'échange àdistance, les relations entre ville et campagne, les régimes fonciers, les savoir-fairetechniques ainsi que les modalités de la croissance urbaine s'enracinent dans - et sontencadrés par - un riche passé dont l'identité régionale est l'un des résultats

    (b) une prospective locale à moyen et long terme aura d'autant plus de validité qu'elletiendra compte des capacités d'innovation, des tensions probables et d'éventuellesrésistances à des mutations programmées d'une société revendiquant, avec quelquelégitimité, les singularités de son histoire

    (c) enfin, l'histoire livre les clefs indispensables à une bonne compréhension des lienscomplexes, et souvent mal interprétés, unissant le Nord du pays au reste de la Côte-d'Ivoire, et les autorités locales au pouvoir central.

    1.2. Les données mobilisées pour ce chapitre sont issues de trois sources. En premier lieu, il aété procédé à une relecture des informations tirées des archives coloniales [ANCi, ANSOM etarchives AOF] et de monographies d'administrateurs ayant eu en charge le Cercle de Kong;ainsi qu'à une exploitation des traditions orales collectées localement par plusieurs chercheurs[Bernus E., Person Y] et plus récemment par l'Orstom entre 1989 et 1992. En second lieu, ons'est amplement référé aux historiens et sociologues dont les ouvrages sont disponibles àAbidjan; mentionnons aussi le considérable travail d'archivage documentaire accompli au fildes décennies, non loin de Korhogo, par le Père Boutin, et qui mériterait d'être soutenu etvalorisé par les autorités du Nord. En troisième lieu, et cette fois pour les évolutions apparuesau cours de la présente décennie, des entretiens avec diverses personnalités locales et unelecture annotée de la presse ivoirienne ont été effectués.

    Il

  • .... Korhogo dans la longue périodeDes hiérarchies sociales fortes, une capacité d'adaptation aux chocs externes

    1.1.1. Les origines de l'actuelle zone korhogolaise et de son peuplement font encore l'objet dedébats entre historiens, opposés - comme pour bien d'autres régions ivoiriennes - sur le degréd'autochtonie des occupants Sénoufo Les traditions orales divergent, et l'on se gardera ici detrancher entre deux hypothèses plausibles, l'une faisant état de la venue par vague, à partir duXIIe Siècle, d'un groupe de chasseurs Dyeli - « proto-mandé» alors non islamisés (Person,1966) originaires du Haut-Niger et dont les grandes familles Koné, Konaté, Kondé, Doumbia,Kuruma sont encore représentées, notamment au quartier Dielissokaha de Korhogo ; l'autreaffirmant l'antériorité du peuplement Sénoufo, que celui-ci tienne à une migration depuisl'actuel Mali (Roussel 1965) ou encore - variante moins probable cependant - que l'identité etla langue Sénoufo soient nées sur le terroir. On notera que l'importance locale de ce débat, quia longtemps alimenté des litiges d'autorité sur le sol et sur la légitimité historique deshiérarchies politiques - a décliné au cours des années 1980 au point que divers responsables dupays Kiembara admettent, au moins de façon implicite, l'enracinement préalable des Dyeli.

    1.1.2. Korhogo occupe actuellement une position centrale au sein de la savane ivoirienne.Capitale historique du pays Kiembara, l'un des sous-groupes Sénoufo de la région Nord, la citéa probablement été fondée au XVlIIe Siècle lors de la migration de captifs venus du puissantroyaume de Kong, emmenés par la figure légendaire de Nanguin Soro. Elle s'est alors inscritecomme une étape de la route colatière reliant, par une succession de villages Dioula, le nord dupays Gouro aux sites commerciaux de la boucle du Niger. La position marchande de Korhogofut de plus confortée par sa proximité envers les deux grandes routes caravanières pénétrant leWoorodougou, et l'axe de la Comoë. Dès cette période ont coexisté, dans la région, deuxstructures sociales spatialement séparées, organisées de façon extrêmement différente maisfonctionnant en complémentarité soit (a) un peuplement d'agriculteurs d'origine Sénoufo,dotés d'une forte assise lignagère que contrôlent néanmoins, chacune sur son terroir,différentes chefferies: Kiebabele, Kasembele, Gbatobele, Tangabele, Nafambele notamment. Ilne fait pas de doute que l'unité du peuplement Sénoufo a reposé sur la formidable vitalité deson idéologie et de ses hiérarchies, toutes entières préservées et transmises d'une génération àl'autre lors des cycles d'initiation du Poro (b) un peuplement de commerçants et artisansd'origine Mandé - le terme Dioula, par lequel il est ordinairement désigné, doit être employéavec beaucoup de réserve - regroupés dans quelques bourgs tels Boron, Kadioha, Kawara,Waraniene, ainsi que dans l'actuel quartier Koko de Korhogo. Le lien qui unit entre elles cesdifférentes communautés est, indissociablement, commercial et islamique; il a aussi assuré, aucours des décennies suivantes, leur mise en relation avec les grands centres religieux etmarchands de la sous-région.

    1.1.3. Au cours du XIXe Siècle, la pression expansionniste des Masa du Kenedougou (régionde Sikasso) puis celle des armées de Samori Touré ont profondément modifié la structuresociale et politique de la zone. Les différentes chefferies Sénoufo ont notamment étérassemblées autour de l'autorité diplomatique de Peleforo Gbon Soro, patriarche du paysKiembara, alors chargé de préserver les populations locales en contrepartie d'unapprovisionnement substantiel en céréales des forces militaires de l'Almami. Ainsi mise à l'abri- du moins en partie - des guerres et conquêtes de Samori, l'aire située entre le Bandama et leSolomougou fut un réceptacle de bien des réfugiés Sénoufo venus de l'Est et du Sud -

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  • rappelons la destruction de Guiembe en 1875 ou de Sinematiali en 1883, etc. - plaçantKorhogo au cœur d'une zone dite « dense» car peu menacée.

    1.1.4. Au début du siècle et à l'exception du canton Kiembara comptant en 1908 quelque22000 adultes soumis à l'impôt, le Cercle de Kong est faiblement peuplé. En 1913, la région aune densité de 4,3 hab/km2 - contre 9 dans les Cercles du Baoulé Nord et Sud, 8 à Bassam, 6et 5 respectivement dans les Cercles de Mankono et des Lagunes. Korhogo n'est donc pas,comme a pu le penser l'administration coloniale, « ce réservoir d'hommes dans lequel onpouvait puiser sans compter ». La destruction de Kong et les saignées supportées par le Nord àla fin du siècle passé font de Korhogo et de son pourtour rural, le seul espace politique etéconomique dense et homogène, environné d'une constellation de pouvoirs villageois au faiblerayonnement. Aussi le colonisateur s'est-il, dès 1898, attaché à soumettre le pouvoir localdétenu par le patriarche Gbon, s'appuyant ainsi sur la seule autorité susceptible de contrôler larégion Nord. En 1918, le rayonnement du chef du Kiembara est décrit comme suit par lecommandant de Cercle: « Il commande à 112 villages, jouit d'une grosse influence et d'unegrande réputation loin en dehors du Cercle. 11 vit de ses plantations, s'occupe de commerce,touche des remises importantes. Il a montré depuis le début de la guerre, qu'il s'agisse degrains pour la défense ou de recrutement des tirailleurs la meilleure bonne volonté».L'érection de Korhogo en centre administratif s'impose en 1903, dès qu'est constaté l'échecdu repeuplement de Kong.

    1.1.5. Bien que confirmée dans ses fonctions d'étape marchande et de centre administratif, laville de Korhogo connaîtra jusqu'à l'indépendance une croissance démographique modérée.Très tôt en effet, le Nord a contribué à alimenter en main d'œuvre les régions du Sud mises envaleur. La résistance du Cercle Baoulé pousse d'ailleurs l'administration à un transfert massifdes tâches vers les populations du Nord: une première compagnie de porteurs est levée en1902 « sans aucune difficulté dans le Cercle de Kong» bien que le salaire journalier soit de60 % inférieur à celui des ressortissants d'autres Cercles. Ultérieurement, des contingentsSénoufo et Dioula complèteront la main d'œuvre nécessaire à la construction de la voie ferrée,et à la valorisation de la zone forestière. Entre 1925 et 1930, le doublement des surfaces decafé et de cacao exploitées en concession accélère considérablement la demande de travailleursdu Nord. Dépeuplant une zone Nord déjà peu occupée, ces forts mouvements de migrationforcée seront institutionnalisés en 1933 lors d'une réorganisation de l'Office de main d'œuvrequi place les chefs Sénoufo en situation de recruteurs. Les ponctions de travailleurs touchent, àcompter de 1935, quelque 6 % de la population régionale; en 1938, les cercles de ~10yenneCôte-d' 1voire fournissent 38,7 % des manoeuvres des plantations de Basse-Côte. Cesponctions s'accélèrent brusquemen~ pendant la seconde guerre mondiale, près d' « un hommevalide sur quatre [étant alors] détourné du circuit économique local.

    1.1.6. A la différence d'autres formes de gestion régionale imposées par l'emprise française.l'administration coloniale a ici opté pour un renforcement des hiérarchies sociales locales saros« essayer de substituer notre plan de développement au cadre très solide dans lequel cespopulations ont commencé à évoluer». Ce constat est important, puisque bon nombre desrelations présentes entre les autorités locales et le pouvoir central - parfois mal comprises O~mal interprétées - s'appuient sur cette singulière jurisprudence politique forgee par l'hiswireToute la diplomatie du patriarche Gbon a en effet consisté à négocier. avec rautorité colonialecomme avec les différents pouvoirs extérieurs qui l'avaient précédée. (1:) la preser.auon del'identité et de l'intégrité régionale (b) et une reconnaissance explicite des smKwres ~-xi3.:·es eldes hiérarchies locales, ce en contrepartie de contributions. sou\erH :o·L:!e'Js.es. èe r e;:J~orr.:e

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  • du Nord aux visées colonisatrices. Ainsi, le passage du Cercle à l'administration civile en 1903,la réforme de la perception locale des impots, la réorganisation déjà entrevue de l'Office demain d'œuvre, furent autant de mesures renforçant les pouvoirs locaux, ainsi que l'autoritérégionale de Gbon Coulibaly, celui-ci étant devenu l'intermédiaire entre le pouvoir colonial etles villages sous sa tutelle.

    1.1.7. Il vient du point précédent que (a) les liens économiques, politiques et sociaux entre larégion korhogolaise et les pouvoirs centralisés ont toujours été intenses, et ce contrairement àl'image d'un Nord isolé ou déconnecté des transformations affectant les poles d'entraînementde la région des Savanes et de la zone cotière (b) le lourd tribut payé par le Nord aux pouvoirscentraux, en termes de travail et de produits livrés, a incontestablement pesé sur l'évolution del'économie locale au point qu'il faut y voir le vecteur de la « création d'une région sous-développée» (Aubertin, 1983) (c) la préservation de l'identité sociale, culturelle et politique duNord ainsi que la permanence, voire le renforcement, de ses hiérarchies locales, constituent lescontreparties de ce tribut (d) la négociation, les accommodements, la recherche d'un équilibre -qui n'exclut pas des phases de tension - entre les intérêts des pouvoirs centraux et régionauxont toujours été un fondement des rapports entre ceux-ci et ceux-là.

    1.1.8. On ne peut omettre le role central joué par les autorités politiques du Nord, notammentpar Gbon Coulibaly, dans la montée en puissance du Syndicat agricole africain (SAA) et de sonPrésident Félix Houphouët Boigny au milieu des années 1940, puisqu'il vérifie la permanencedes traits précédemment mentionnés, et qu'il a durablement imposé l'alliance - et la nature desrelations à venir - entre le pays Sénoufo et le tùtur Etat indépendant de Cote-d'Ivoire.

    1.1.9. En 1944 en effet, Félix Houphouët noua de solides relations avec les communautésDioula du Nord, et fit halte à Korhogo en fin d'année pour y prendre contact avec un membreinfluent de l'Islam local, l'Imam Fofana Siriki. L'alliance historique avec le patriarche GbonCoulibaly sera, elle, scellée l'année suivante, le Président du Syndicat agricole africain obtenantdu chef Kiembara l'organisation du recrutement de travailleurs volontaires indispensables à laformation d'une classe de planteurs dans le Sud-Est ivoirien. L'ouverture d'une telle brèchedans le dispositif de travail forcé mène, en avril 1946, à son abolition et à l'accélération desflux migratoires depuis la Haute et Moyenne Cote-d'Ivoire en direction du Sud de la colonie:en 1947, le gouverneur Latrille fait état de 47 000 manoeuvres venus librement travailler enBasse-Cote, contre 35 000 recrutements administratifs l'année précédente. Cette première etforte victoire du Syndicat agricole sur l'administration coloniale, simultanément économique etpolitique, est sans conteste au fondement de toute la puissance des liens de reconnaissance,mais aussi des ambiguités et des tensions entre le futur Président Félix Houphouët Boigny - onnotera au passage la métaphore parentale l'unissant, comme « premier fils», au patriarcheGbon et partant à ses descendants - et les lignages dominants de Korhogo

    1.1.10. Les années 1950-1975 reconduiront d'une part les fonctions de réserve de maind'œuvre dévolue au Nord, mais plus encore de fournisseur des centres urbains en vivriers àfaible coût. Au titre de la première, signalons (a) que les flux de migrants burkinabè et maliensont, à partir des années 1960, pondéré la pression directement exercée sur le Nord ivoirien desorte que la zone korhogolaise n'apparaît plus comme le bassin principal d'exportation detravailleurs (b) que la formation d'un marché libre du travail assorti, pendant les premièresannées, de la gratuité du transport vers les lieux d'embauche, a donné à bien des jeunesSénoufo l'occasion de mettre à distance - au moins en partie - les prestations tributaires dontils étaient redevables envers les hiérarchies vil1ageoises et les responsables des matrilignages.

    1.+

  • Au titre de la seconde, et malgré des niveaux de prix très bas, la production régionale de paddyoscille entre 25 000 et 34 000 tonnes de 1960 à 1973, dont le dixième environ est collecté parles réseaux de trois grands traitants occidentaux, le cinquième étant commercialisé via desréseaux Dioula. Ce sont au total de 7 000 à 10 000 tonnes de paddy qui partent de la zonepour alimenter les marchés de Bouaké et Abidjan.

    1.1.1 1. Au cours de la même période, Korhogo conserve une fonction marchande régionale,les échanges étant simultanément orientés vers les villes de Sikasso, Koutiala et de Bamako auMali, vers Bobo-Dioulasso en Haute-Volta (Labazée, 1996), et bien sûr en direction des pôlesivoiriens de croissance urbaine. Quelques fortunes commerciales locales s'en trouveront alorsrenforcées, qui s'appuient d'une part sur l'évacuation hors zone de céréales et de produits ducru, d'autre part sur l'importation de biens de consommation répondant à la forte croissanceurbaine - la ville passe en effet de 20 900 habitants en 1963 à 45 600 en 1971. Le dynamismemarchand tire aussi le secteur korhogolais du transport, puisque les capacités de fret de la villeaugmentent au rythme de 8 % l'an de 1962 à 1971, de 13 % de 1972 à 1977. Le paradoxe decette période, au cours de laquelle se creusent les inégalités économiques entre le Sud du pays,moteur de la croissance nationale et réceptacle des investissements publics, et un Nord livré àlui-même, tient au fait que la région korhogolaise a néanmoins pu trouver dans la vitalité de sesstructures rurales, grandes productrices de biens alimentaires, et dans un dynamisme marchandqui est au cœur de l'accumulation locale, les ressorts de la forte croissance urbaine.

    1.1.12. Les hiérarchies politiques locales ne sont pas restées en marge de ces évolutions. C'estpar exemple sous l'impulsion du deuxième tils du chef de canton Bêma - tils du patriarcheGbon - qu'est structuré en 1971 le secteur du transport autour de la Compagnie des transportsdu Nord (CTN) regroupant quelque 40 actionnaires de la ville, et du puissant Syndicat régionaldes transports qui verrouille et régule l'accès à la profession. Bien des lignages dominants fontà la même époque reconnaître, avant de valoriser sous forme de rente locative, les droitsd'usage et de propriété coutumière qu'ils détiennent sur le foncier urbain; et la rente ainsidégagée est en partie investie dans la riziculture, la mécanisation agricole, l'immobilier local ouabidjanais. En d'autres termes, la force des hiérarchies politiques locales se trouve redoubléepar des investissements multiples, qui les assurent d'une incontestable domination économique.

    1.1. 13. La première singularité de l'autorité locale tient, on l'a suggéré, à sa durée: les chocspolitiques et économiques externes n'ont pas affaibli, tout au contraire, le pouvoir détenu parGbon Coulibaly puis par ses descendants. Mais la seconde singularité vient aussi de la capacitédes familles dominantes à s'être adaptée à la diversification urbaine des lieux d'autorité. Il n'estnullement exagéré de dire que les divers pouvoirs présents dans la commune, et dans sa zoned'intluence, sont détenus ou contrôlés par des membres issus des familles déjà dominantes auXIXe Siècle. Qu'ils s'agisse (a) de la maîtrise des fonctions politiques locales - municipalité,canton et députation (b) de l'activité économique - commerce, transport, foncier et immobilier(c) des activités cultuelles et religieuses - hiérarchies islamiques régionales, et culte du Porotoujours puissant (d) de positions intellectuelles dominantes à l'échelon local ainsi qu'au plannational, il convient de relever que ces autorités ont, au fil des décennies, été conquises par ouconfiées aux descendants du patriarche, ou par un petit nombre de familles alliées.

    1.1.14. Il vient du point précédent, dont l'intérêt est majeur pour une bonne compréhensiondes dynamiques de la zone (a) qu'une telle centralisation de l'autorité régionale a largement étésoutenue par le pouvoir central, eu égard aux liens historiques déjà mentionnés et au souci depréserver l'unicité du pouvoir local (b) que les équilibres et les tensions entre décideurs locaux

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  • furent et restent, le plus souvent, le résultat d'alliances ou de litiges inscrits dans l'histoire (c)que les conflits récurrents entre les autorités (1), indissociablement politiques et familiaux, ontété autant de moments d'arbitrage par l'Etat ivoirien, perpétuant ainsi sa tutelle sur une régionstratégique dans le fonctionnement du « modèle ivoirien».

    1.2. Le double fondement historique de l'économie korhogolaiseL'interdépendance agricole et marchande, la formation de disparités régionales

    1.2.1. On a vu précédemment (cf. point 1.1.2.) que la formation historique de la zone a mené àune coexistence de deux structures sociales, culturelles, politiques et économiques que lesadministrateurs coloniaux, alors pressés par la « raison cartographique et ethnique », ont viterésumé dans l'opposition entre un monde Sénoufo, agriculteurs animistes organisés en lignageset puissamment encadrés par les cycles d'initiation, et le monde Dioula, colporteurs et artisansde souche Mandé pratiquant l'Islam. Cette description - dont la simplicité a assuré le succès, etqui alimente encore bien des visions hâtives sur le Nord - a ultérieurement été complétée pardes travaux d'anthropologues portant sur l'histoire économique régionale, et dont les deuxprincipaux résultats sont (a) que la densité des échanges économiques entre ces communautésest telle, du XYllle Siècle jusqu'à ce jour, que les synergies de l'économie locale viennent del'interrelation permanente entre les sphères agricoles et commerciales (b) que ces échanges neportent pas seulement sur des valeurs marchandes, mais aussi sur les principaux attributs del'identité des populations locales: la langue, la religion, la profession, le nom de famille sontautant d'objets de transfert d'un groupe à l'autre, suggérant ainsi l'unité sociale de la zone.

    1.2.2. La formation de Korhogo et du vaste réseau de marchés locaux qui l'enserre ad' embléestimulé les échanges entre Sénoufo et Dioula. Les descriptifs disponibles montrent que ceux-cicèdent le tabac (zara), les bandes de coton tissé (koroni kise), la cola (wooro) et les morceauxde sel (kogo fara) contre des céréales et des tubercules, des condiments et du coton brut. Al'origine insérés dans les grands circuits d'échange à distance, les marchands Dioula vendentaux ruraux les biens du commerce régional autant qu'ils commercialisent leurs productions,servant ainsi d'interfàce entre la zone et l'extérieur. A l'exception de la période de fermeturedu pays Baoulé au commerçants du Nord, de 1730 à 1750, le niveau des transactions locales etle nombre des marchés locaux ne cesseront de progresser, la zone devenant par ailleurs un lieud'accumulation de cheptel: en 1924, la subdivision concentre les 2/3 du capital bovin du Nordet produit 1 550 bœufs de boucherie la mème année. Il faut noter que dès cette période, lebétail a constitué un instrument d'épargne pour les grands lignages marchands, ainsi que pourles notables du Kiembara.

    (1) cr. les travaux de Ouattara T (1

  • La lente émergence des cultures de rapport

    1.2.3. L'histoire économique locale a été, on l'a déjà noté, profondément affectée par lesponctions en travail et en biens agricoles réalisées par les divers pouvoirs centraux ayantdominé la zone Nord. On n'y reviendra pas, si ce n'est pour souligner que l'image coloniale -qu'on extrait ici d'une Notice sur la Côte-d'Ivoire datant de 1908 - d'un Nord « laborieux,capable de supporter la plus grande partie des charges de toute nature », de fournir « desrecettes budgétaires, des soldats, des travailleurs, des porteurs et des vivres» - a contribué (a)à réduire les capacités d'accumulation régionale et de développement agricole, au rythmemême de la participation du Nord à la croissance de l'économie de plantation (b) à la mise enplace, des années 1960 à 1974, d'un développement ivoirien fondé sur la valorisation d'unezone côtière et forestière (Dubresson, 1992) captant les investissements publics et privés, etbénéficiant en outre d'une dégradation régulière du prix relatif des vivriers du Nord (Aubertin,1983 ; Harre, 1990).

    1.2.4. Ce n'est qu'après l'indépendance que les cultures de rapport occuperont une importancenotable pour les vil1ageois (Le Roy, 1983). Néanmoins, l'introduction de cultures à vocationcommerciale date, dans la région korhogolaise, du début de ce siècle. Les premières graines deliane à caoutchouc ont ainsi été plantées en [905 sur les terres du patriarche Gbon Coulibaly ;il sera dénombré, quatre ans plus tard. 67 plantations pour 8 000 plants. Les difficultés decommercialisation puis la chute des cours du latex ont toutefois conduit, en 1911, auremplacement du caoutchouc - dont les traces sont toujours visibles localement, bien qu'ellesne tàssent plus l'objet de valorisation - par l'exploitation du sisal et surtout de la noix de karitédevenue depuis lors une ressource locale majeure.

    1.2.5. Par ail1eurs, l'administration coloniale élabore en 1908 un premier projet cotonnier, vial'introduction de la variété cultivée à Bondoukou ; c'est une fois encore sous l'autorité du chefKiembara qu'une plantation de 10 hectares et que neuf autres, situées au Sud du district,commencent à employer des semences sélectionnées. Des égreneuses à main et des pressessont acheminées dans le Cercle, évitant ainsi le transport du coton brut sur Bouaké: en 1915,Korhogo dispose de près de la moitié du matériel cotonnier recensé sur la Colonie. Une étudede l'Association cotonnière coloniale, datée de 1913, analyse les conditions de production dansla zone korhogolaise, et conclut à l'intérêt d'une production « indigène» qui « économise lepaiement de la main d'œuvre ». En 1921, l'usine d'égrenage de Dimbokro est transférée àKorhogo, afin d'améliorer la qualité de la production exportable. Il faut pourtant attendre 1952pour que destin cotonnier de Korhogo soit fermement scellé, lorsqu'est décidé l'encadrementdes planteurs par la Compagnie française des textiles, et que celle-ci impose la variété Monoaisément associable à la riziculture; le lien riz-coton est ainsi établi qui semble indissolubledepuis lors, le riz constituant l'indispensable fonds alimentaire des planteurs. Ultérieurement,l'exécution du Plan coton (1963) dont la finalité est l'approvisionnement des « Mammouths»de l'industrie textile ivoirienne, assurera l'envolée de la production de coton-graine, qui passede 2 300 tonnes à 22 000 tonnes entre 1963 et 1973.

    1.2.6. La culture arachidière est testée à la veille de la première guerre mondiale. Les difficultésd'évacuation du produit par les circuits de commerce locaux ont cependant limité sa diftùsionAussi n'est-ce qu'à partir de 1928, lorsque le rail désenclavera le Cercle, que la productiondeviendra obligatoire. De même que pour le riz alors cultivé en bas-fond, les coercitionsadministratives à la production d'arachides seront mal supportées par les ruraux: la cultureexige en eftet un investissement en travail considérable, au moment même où la main d'œuvre

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  • mobilisable par les matrilignages est devenue rare. L'arachide acquiert toutefois une fonctiond'appoint dans les systèmes culturaux de la zone, alimentant les courants d'échange locaux. Aumoins jusqu'au relèvement des prix agricoles décidé en 1975, la production arachidièrekorhogolaise est restée marginale faute d'une politique commerciale incitative, et a peu profitéde l'essor des débouchés urbains nationaux, satisfaits par l'importation.

    Une adaptation continue des circuits de commerce

    1.2.7. On a jusqu'à présent exposé les fondements historiques de l'activité rurale korhogolaiseL'image d'une zone fortement productrice en vivriers et insérée, bien souvent sous contrainte,dans une division régionale du travail imposée par des pouvoirs centraux, doit maintenant êtrecomplétée par l'évocation des circuits marchands locaux dont le poids économique actuel estloin d'être négligeable - cf les comptes présentés dans l'étude.

    1.2.8. Héritage du négoce à distance pratiqué dans la région des savanes dès avant la périodecoloniale, les circuits marchands korhogolais se sont constitués au XIXe siècle sur la based'une organisation en « réseau» (Labazée, 1992) dominés par des patrons de commerce oudio((/a ha, chacun disposant d'un volant de dépendants sociaux ou hara kè den mobilisés pouraccomplir les tâches courantes - colportage, collecte de céréales, manutention, etc.. L'échangeà distance, notamment avec les sites septentrionaux tels Djenné, Mopti, Bamako, Sikasso pourl'actuel Mali, et avec Bobo-Dioulasso pour l'actuel Burkina Faso, s'est appuyé sur un systèmede logeurs et correspondants, appelés djatig((i, qui assuraient d'une ville à l'autre la circulationd'informations sur la demande et sur les prix. L'unité des réseaux - dont les fonctions sont defaciliter la circulation régionale des marchandises, mais aussi des crédits et de la main d'œuvre- est assurée par une commune appartenance à l'Islam, garant des transactions nouées et durespect des créances contractées. Notons d'emblée que cette organisation singulière, forgée àl'ère du grand commerce caravanier, reste à ce jour efficace pour assurer l'approvisionnementlocal en biens de consommation courante, et évacuer les produits du cru hors de la zone Nord.

    1.2.9. Il a déjà été insisté sur l'imprécision du terme « Dioula », ordinairement utilisé pourdéfinir les acteurs du commerce locaL Outre les grandes familles (kahila) issues des migrationsMandé des XVIe et XVIIe siècles, et celles de Malinké venues renforcer au siècle suivant lespistes Sud des grands centres d'échange, il faut noter que le monde marchand local s'est étoffé,au cours du XIXe siècle, par l'implantation de marabouts et de colporteurs venus de Dia, deNioro et plus généralement de l'aire Fulbé. Par ailleurs, à la même période, une fraction nonnégligeable les lignages dominants du pays Sénoufo s'est inséré dans les échanges à distance,adoptant pour ce faire les signes habituels de l'identité Dioula: langue, religion, usagesmarchands. L'insertion progressive de Sénoufo dans l'univers commercial s'est du restepoursuivie tout au long du XXe siècle, de sorte qu'est devenue inexacte l'assimilation del'activité commerciale avec une identité ethnique « Dioula », et plus encore l'assimilation - sifréquente - de cette identité avec l'image de l'allochtone ou de l'étranger.

    1.2.10. On distinguera différentes phases de l'activité marchande régionale, présentées ci-dessous, qui attestent d'une exceptionnelle capacité d'adaptation des communautés à leurenvironnement économique, soit:

    (a) une période, déjà aperçue, de transactions intensives entre marchands et agriculteurslocaux fondée sur l'échange de céréales contre du sel, de la cola, du tabac et des produÎts

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  • de l'artisanat - tissés de coton, fer, cuir. La réussite commerciale est alors dépendante dela capacité des chefs de kahila à capitaliser de la main d'œuvre captive - en 1904, unrapport fait état, pour le pays Kiembara, d'une moyenne de trois captifs pour un hommelibre, employés aux travaux agricoles, à l'artisanat, à la manutention ou au transport demarchandises; la quasi totalité des captifs du pays appartenant alors aux « Dioula ».

    (b) une seconde période, faisant suite à la libération des captifs - celle-ci est effective en1907 -, qui conduit à la paupérisation des petits commerçants, quelques marchands aisésparvenant à s'inscrire dans un nouveau cycle d'échange à distance portant sur le bétail etla cola: ces commerçants, stimulés par l'ouverture des routes pénétrant les zones deproduction colatière, vendent la cola sur les grands marchés du Nord avant d'y acheterdu bétail; accumulés vers Korhogo et Odienné, les troupeaux approvisionneront lecontingent basé à Bouaké, les prix de la viande triplant du reste entre 1913 et 1921.

    (c) une troisième période s'ouvre avec l'implantation, d'ailleurs tardive, de succursaleslocales des compagnies de commerce marseillaises et bordelaises. Jusqu'au milieu desannées 1920, les quelques traitants signalés à Korhogo relèvent moins d'un projet dedéveloppement des réseaux de comptoirs depuis la zone côtière, que de la petite annexecommerciale chargée de « répondre aux besoins immédiats des planteurs européens de laBasse-Côte qui doivent nourrir leurs manoeuvres» (Kipré, 1983) - : leur impact sur lesmilieux marchands locaux est alors dérisoire. Il faudra attendre l'entre deux guerres pourque se densifie le réseau de traite, et que s'implantent durablement quelques planteurseuropéens. L'achat des produits du cru s'organise autour de la Compagnie française deCôte-d'Ivoire (CFCI), qui préfinance les campagnes des grands réseaux marchands deKorhogo aptes à mobiliser un grand nombre de collecteurs de brousse. La CFCI rachèteaussi les grains directement collectés par les traitants européens Serville - ce dernierlaissera son nom à un site de Korhogo (Servilkaha) devenu depuis lors le quartierDelafosse -, Olivier, Trabuccato et Escarré. Encore doit-on remarquer que la dépendancedes marchands locaux envers les traitants n'a jamais été totale, les principaux réseauxayant entretenu jusqu'à la décolonisation des relations fortes avec leurs correspondantsde Bamako et de Bouaké.

    (d) à l'indépendance, et plus encore à partir de 1975, les négociants du Nord dominentsans partage l'ensemble de la collecte des produits du cru : ils constituent, suite au replides compagnies européennes de ces activités, l'indispensable intermédiation locale pourle riz, le maïs, l'anacarde, le karité, le bétail. Ils perdent en revanche leurs positions dansle négoce de la cola suite à l'effondrement de la demande malienne d'une part, et d'autrepart à l'affirmation de Bouaké comme centre d'arbitrage à l'exportation. La situation descommerçants locaux envers l'approvisionnement urbain korhogolais est plus complexe.Les sociétés européennes restent certes dominants sur ce segment, mais quatre grandsnégociants locaux, liés à des fournisseurs de Bamako, de Baouké et d'Abidjan, font peuà peu sauter les verrous qui assuraient ces compagnies du monopole de revente desproduits industriels ivoiriens, puis développent leur propre réseau de distributeurs. Dès1964, 69 % des boutiquiers et tabliers de la ville s'approvisionnent auprès des grossistesafricains de la place (Roussel, 1965). Notons enfin l'importance, pour les commerçantslocaux, du circuit du riz importé au cours des années 1980 : sur 45 grossistes locaux quile commercialisent en 1986, neuf assurent à eux seuls la moitié du marché et en tirentd'importants profits par le jeu du subventionnement de la filière. De même, les grandstransporteurs locaux bénéficient d'un avantage à la vente de riz cargo, puisque le niveau

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  • de remboursement du fret par la Caisse de péréquation assure d'emblée la rentabilité desopérations commerciales.

    (e) on n'oubliera pas de mentionner toute l'importance des échanges frontaliers pour lecommerce local: une partie non négligeable de son poids économique vient en effet de sacapacité à livrer des biens courants - alimentaires, textiles, cigarettes par exemple - à desprix compatibles avec le niveau de vie des urbains et des ruraux du département; etréciproquement à évacuer dans les meilleures conditions et au meilleur moment différentsproduits locaux - céréales par exemple - ou destinés à être consommés localement _intrants agricoles, riz « cargo» notamment. Conforté par son enracinement historique, lecommerce frontalier en direction des sites de Sikasso et de Bobo-Dioulasso adurablement joué, en dépit des réglementations douanières et des actions répressives, unrôle d'amortisseur au cours des récentes années de crise.

    1.3. De la « politique d'abandon» au Programme d'urgenceUne tentative historique de rééquilibrage régional favorable au Nord ivoirien

    1.3.1 Les indicateurs traduisant la « politique d'abandon» de la zone korhogolaise sont, à laveille de l'adoption d'un « programme d'urgence» élaboré dans la première moitié des années1970, multiples. Au début des années 1960, le PŒ par tête de la zone représente 20,3 % decelui de la Côte-d'Ivoire (SEDES, 1965). L'écart reste élevé en 1974: de l'ordre de 25 000francs par tête dans la région Nord contre 75 000 francs pour l'ensemble du pays (Ministère duPlan, 1974) A la même date, le revenu monétaire d'un agriculteur de la région est dix foisinférieur à celui des ruraux du Sud-Est. Par ailleurs, le Nord reçoit 7 % des investissementspublics sur cette période, contre 15 % et 63 % respectivement au Centre et au Sud. Toujoursen 1974, on dénombre une école pour 3 000 habitants - une pour 2 000 sur l'ensemble duterritoire, un médecin pour 75 000 habitants - un pour 50 000 dans le pays - un lit d'hôpital etde maternité pour 8 700 habitants - pour 4 500 en moyenne nationale. Le taux de scolarisationdu Nord atteint à peine 25 %, soit la moitié du taux moyen ivoirien.

    1.3.1. Au cours d'une tournée menée en 1974 dans les départements de la savane ivoirienne, lechef de l'Etat Félix Houphouët-Boigny esquisse le cadre général d'une aide économique auxdépartement du Nord. Celle-ci, ultérieurement chiffrée à 21 milliards FCFA, sera consignéedans un Programme d'urgence visant d'une part à réduire les considérables écarts régionaux endotation d'équipement, et d'autre part à relever le niveau de vie des populations locales: en1971 en effet, l'économie du Nord participe pour moins de 3,5 % à la formation du produitintérieur brut ivoirien (Datar 1974). Il vise enfin à associer les cadres originaires de la région,organisés en Comités de développement, aux projets retenus. Le « rêve de Sinematiali » - parlequel le Président dessine alors l'avenir économique et social du Nord - constitue uneincontestable rupture envers la « politique d'abandon» des régions de Savane (Aubertin,1983), trait caractéristique des quinze premières années du développement ivoirien.

    Un net dé\e1oppcmcnt des infrastructurcs

    1.3.2. Un Comité regroupant les départements de la savane du Nord composé de Korhogo,Ferkessedougou et Boundiali est constitué, gérant une enveloppe globale de 8,8 milliards dont74 % sont affectés aux opérations de développement de Korhogo.

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  • 1.3.3. L'impact du Programme d'urgence fut considérable dans l'émergence des infrastructuresurbaines et départementales, qui constituent encore à ce jour le gros du stock d'équipementslocaux. Ont été édifiés (a) quatre barrages importants dans le cadre d'une convention Soderiz(b) sept écoles primaires départementales, ainsi que l'extension de l'actuel lycée Houphouët-Boigny de Korhogo (c) quatre formations sanitaires complètes dans les grandes sous-préfectures, ainsi que l'actuel centre hospitalier régional (CHR) de Korhogo (d) les septbâtiments couverts du grand marché de Korhogo (e) les extensions de délégations régionalesministérielles (t) l'aménagement de routes bitumées et d'ouvrages dont 13,5 km à Korhogo, 15ponts départementaux, le tronçon Katiola - Niakaramandougou. Jusqu'en 1979, l'activitéurbaine sera tirée par les financements du Programme d'urgence: en cinq ans, les industries depremière transformation, les unités de commerce et les entreprises de construction doublent levolume des postes de travail, 42 % des emplois supplémentaires revenant au seul secteur dubâtiment et des Travaux publics.

    Le programme d'urgence en chiffres

    Korhogo 1 Boundiali 1 Ferke

    1 Tolal

    Ensemble 1

    Cl 52-l1__1_4{_17--l.I__X_7_X 1__X_X_O_'J 1

    Travaux publics J WO 250 2XO 4 1JOAgricullure 1 J50 WO ISO 2 100Education XXO 137 X2 1O'J'JPostes. télécommunications ] 15 122 120 557 1

    Sanlé 219 12X 186 5lJMarchés 100 100 200Extensions administratives 60 70 60 190

    SOllrce: DDR-Kl1Vl 1978

    1.3.4. L'un des effets de ce programme est, sans conteste, d'avoir accéléré les différenciationssociales et spatiales urbaines, visibles à la fin des années 1970 : l'augmentation du nombre descadres de la fonction publique et l'augmentation de leurs revenus d'une part, l'installation àKorhogo d'expatriés travaillant pour le secteur privé, J'enrichissement d'opérateurs locauxdans les secteur du commerce, du transport, des corps de métier du bâtiment est à l'origine dela densification du quartier Air France puis, à partir de 1977, du lotissement d'un vaste quartierappelé Résidentiel. Mais le gros de la pression foncière vient surtout des catégories urbainesintermédiaires, ouvriers et employés du bâtiment, du commerce et du transport, du secteurpublic aussi, qui conduit les autorités à lotir la périphérie urbaine - Kapele et Mont Korhogo dit« ordinaire» à l'Ouest, M'bengue au Nord, Petit Paris et Tchekelezo à l'Est - au momentmême où les terres sont soumises à d'autres sollicitations: celles des agriculteurs autochtones,des citadins comptant y installer des vergers, des sociétés de développement souhaitanteffectuer des aménagements.

    Un fort relèvement des prix agricoles

    1.3.5. Parallèlement au Programme d'urgence, un relèvement du prix d'achat des principauxproduits agricoles du Nord est décidé en 1974, qui a pour but explicite d'élever la production

    21

  • commercialisée par les ruraux, et partant leurs revenus monétaires. Les résultats sont sensibles,notamment sur la riziculture départementale, d'autant que la hausse des cours mondiaux descéréales contraint l'Etat ivoirien à majorer fortement les prix aux producteurs, en contrepartied'une coûteux subventionnement de la filière riz.

    13.6. Le département de Korhogo confirme sa position de premier producteur de riz ivoirien,mais surtout de fournisseur du circuit commercial puisqu'en 1986, 21,4 % de la productionlocale est destinée à l'autoconsommation, le reste étant mis en marché. Le triplement du prixd'achat de 1974 explique certes la double envolée de la production et de la commercialisation.Mais peu à peu, l'insuffisance des moyens de collecte et de stockage de la Soderiz, puisl'érosion du prix réel payé au producteur laissent penser que les évolutions ultérieures viennent(a) des ruraux eux-mêmes pour qui l'association coton-riz permet d'optimiser le revenudomestique (b) de la hausse des taux d'encadrement des producteurs, et de l'aménagement despérimètres rizicoles: pour la région de savane dont l'encadrement revient à la ClOT, lessurfaces de riz pluvial encadrées passent de 26 000 à 57 000 hectares entre 1982 et 1988 ~celles de riz irrigué passant de 6 600 à 14 700 hectares aux mêmes dates (c) d'un arbitrage desproducteurs entre autoconsommation et mise en marché, lié au prix d'achat du riz localrelativement à celui du riz importé.

    Part du département de Korhogo dans la production rizicole ivoirienne (197() - 1986)(1I/llIiers de (onnes)

    1 70 - 73 1 7-'+ - 7

  • secteur du bâtiment et des matériaux de construction, une partie des ressources cotonnièresétant employée à la construction de résidences en dur, en brousse comme en ville.

    1.3.8. L'ambition d'un « Nord ivoirien en mutation» ne se limite pas au relèvement substantieldes prix agricoles, mais vise à terme à une intégration spatiale et économique des activités detransformation situées sur l'axe Korhogo - Sinematiali - Ferkessedougou, par la création de« chaînes}) liées à de multiples plans de valorisation - coton, riz, sucre, bétail, maraîchers -,chacune encadrée par une Société d'Etat: ClOT, Soderiz, Sodesucre, Sodepra, Sodefel. Lagestion déficiente de la plupart des « Sode », la lourdeur des subventions et le retournement deconjoncture mettront un terme aux projets de conserverie, d'huilerie, de papeterie, etc., dont lafinalité était la transformation industrielle des produits locaux.

    1.3.9. Même s'ils n'ont pas été durables, les effets conjugués du Programme d'urgence et de lahausse des prix agricoles ont sans conteste contribué à l'enrichissement d'opérateurs privés duNord, et à l'affirmation d'une classe moyenne korhogolaise percevant des revenus monétaires« intermédiaires}) - en 1976, 65 % des employés du bâtiment, 70 % du personnel du secteurdes transports, 37 % du personnel administratif perçoivent entre 15 000 et 30 000 francs CFAmensuels (BNETD-SCET Ivoire, 1978). Ils ont aussi joué sur le renforcement des liens entre laville et son arrière-pays, les urbains aisés plaçant une partie de leur épargne en campagne.Ainsi, à la fin des années 1970, les deux-tiers des vergers de manguiers recensés dans la sous-préfecture de Korhogo appartiennent à des citadins - 32 % à des commerçants et des notables,30 % à des salariés et des artisans. De même, les citadins investissent dans la capitalisation debétail; aujourd'hui encore, les troupeaux de plus de 100 tètes sont presque exclusivement lapropriété de résidents urbains.

    1.4. La crise économique vue du Nord ivoirienUn glissement vers le bas du tissu économique, social et spatial

    1.4.1. La crise économique ivoirienne s'est traduite, à Korhogo, par un glissement de son tissuéconomique urbain, repérable dans la nature et la taille des activités. Une étude menée en 1991(Orstom 1992) auprès des 1 322 entreprises, hors secteur du transport, répertoriées au registredes patentes municipales ou s'acquittant de la contribution des patentes auprès de la Directiondes impôts, montre (a) que près de 2/3 des établissements réalisent un chiffre d'affairesinférieur à deux millions l'an, leur contribution aux recettes municipales passant de 2,3 % à7,7 % entre 1982 et 1988 (b) que le nombre et la part des établissements de commerce sont ennette progression: ils représentent alors 46 % des établissements de la ville, sans considérationde leur taille d'activité (c) que 54 % des entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse le seuildes 20 millions - parmi lesquelles on dénombre sept unités industrielles et 35 établissementscommerciaux - ont vu leur activité, leur niveau d'emploi et leur capital net immobilisé régresserdans les cinq dernières années. La contraction des revenus distribués en ville par les secteursprivés moderne et parapublic - dégraissage à la Soderiz et à la Sodepra, mise en veilleuse de laMotoragri et de la Sodefel, fermeture d' Anacarde Industrie, suppression des emplois dejournaliers dans la fonction publique entre autres - participe à la paupérisation des citadins et,partant, à la prolifération de micro unités de production et de distribution. Comme dans biend'autres villes ivoiriennes (Dubresson, Lootvoet 1988), l'accélération de la croissance urbaines'est accompagnée d'une nette involution des activités économiques.

    23

  • 1.4.2. Le retournement de conjoncture a par ailleurs porté un coup d'arrêt à la construction àbut locatif, et ce dans les quartiers résidentiel et semi-résidentiel. Ainsi, le tiers des parcellesattribuées entre 1983 et 1985 au quartier dit « Résidentiel 3 » ne dispose pas, en 1989, d'unbâti habitable. Il provoque aussi un sensible repli des populations à revenu intermédiaire versles quartiers périphériques, et ce malgré la baisse des loyers en centre ville. La crise du secteurlocatif est forte: entre 1986 et 1990. le montant du loyer exprimé en francs constants auraitbaissé de 18 % (lNS Korhogo, 1990) De plus, l'incorporation de la périphérie villageoise dansle tissu communal crée nombre de tensions foncières, menant souvent au grippage des projetsde lotissement imposés par la Préfecture. Ces terres sont soumises aux sollicitations des rurauxqui se reconnaissent un droit de propriété coutumière, des citadins ayant obtenu un titre deconcession ou un droit d'occupation à titre précaire, des nouveaux arrivants qui s'y implantentprovisoirement.

    1.4.3. L'adaptation des korhogolais à la crise des années 1980, telle qu'apparue au travers desrésultats d'une enquête menée en 1991 auprès de 200 ménages urbains (Labazée, 1994), mérited'être ici rappelée, tant les résultats du présent rapport en portent encore la trace. Elle serarapidement résumée dans les points suivants (a) les familles ont dû limiter les dépenses deconsommation courante, les postes budgétaires les plus souvent affectés étant ici le logementet les biens d'équipement du logement, l'habillement, les loisirs et les soins de santé (b) plus de56 % des ménages ont réduit le montant des transferts en nature ou en argent destinés auxruraux; ces « délestages» étant en revanche moins apparents en matière d'accueil à domicilede parents venus du village (c) la désépargne a affecté 67 % des ménages: ponctions sur lescomptes courants et d'épargne, cession de biens capitalisés antérieurement. L'endettement lorsde périodes ou d'événements clé de la vie sociale tels que maladie, rentrée scolaire, funéraillesest devenu courant pour 41 % des ménages interrogés (d) enfin, la reconstitution des activitésprofessionnelles des actifs appartenant aux ménages interrogés montre que 26 % d'entre euxexercent une activité secondaire non agricole - il s'agit, en majorité, de petits commerces -, que38 % des ménages exploitent au moins un champ ou un bas-fond, 22 % disposant par ailleursd'un petit élevage en ville ou dans les environs. En bref, la multiactivité est un trait majeur, ettoujours actuel, des urbains korhogolais, et qui contribue de façon importante à la formationdu revenu des ménages - et, doit-on ajouter, au glissement vers le bas de la taille moyenne despoints d'activité.

    1.4.4. Plus généralement, les données tirées des enquêtes de la Banque mondiale sur le niveaude vie des ménages ivoiriens indiquent (a) que la région de Savane est demeurée la plus pauvrede Côte-d'Ivoire sur la période 1985 - 1992, les dépenses réelles par tête chutant de 25 % aucours de la période (b) que ces dépenses par tête, inférieures de 56 % à la moyenne nationale àla veille de la crise, ont toutefois moins rapidement régressé que dans les zones de productiondu café-cacao (c) que l'appauvrissement des ruraux du département de Korhogo, à l'évidenceimportant, a pu cependant être pondéré sous le double effet de l'augmentation des surfacescotonnières, et de l'accroissement sensible du taux d'autoconsommation des vivriers cultivéslocalement. C'est à juste titre qu'un récent rapport de la Banque, privilégiant une approchequalitative de l'évolution du niveau de vie, mentionne que la pauvreté des ruraux dans le Nordest liée aux difficultés d'accès à la terre et à l'absence de moyens pour la mettre en valeur: lapression foncière, en particulier dans la « zone dense », est désormais telle qu'elle rend délicatel'installation des jeunes ruraux, l'absence de main d'œuvre familiale étant par ailleurs l'obstaclepremier à l'acquisition de revenus cotonniers. En d'autres termes, « les ménages vulnérablessont caractérisés par le fait qu'ils ne cultivent pas de champ de coton (.. ), qu'ils se focalisentsur la culture des bas-fonds et les produits vivriers en utilisant la daha sur de petits champs, et

    2-t

  • que leur production vivrière ne suffit pas à nourrir la famille, ce qui les oblige à travailler pourles autres» (Banque mondiale, 1995)

    IA.5. Il vient des points précédents que l'une des conséquences de la crise est d'avoir avivé lestensions foncières dans la commune et le département de Korhogo. Ne sont évoquées ici queles aspects les plus courants soit (a) bien que les transactions marchandes sur la terre restentencore rares dans la zone, respectant en cela l'usage issu des coutumes Sénoufo, la pression dela demande conduit à la généralisation de transactions fondées sur une cession provisoire desdroit d'usage en contrepartie de prestations en travail ou en nature qui, pour leur part, « nerelèvent pas des prestations coutumières habituelles» (Banque mondiale, 1996) (b) les litigesfonciers entre Peuls transhumants et agriculteurs Sénoufo sédentaires, certes anciens, ont prisde l'importance suite à l'accroissement simultané des surfaces de coton, des cultures destinéesà l'autoconsommation des ménages, et de la capitalisation de bétail; si la plupart des différendsse dénouent à l'amiable à l'échelon sous-préfectoral, certains dégénèrent en conflits opposantles communautés (c) on signalera enfin la formation de litiges autour des limites de terroir entrevillages appartenant à la « zone dense », ainsi qu'une tendance à ne reconnaître d'autorité et dedroit de gestion sur la terre que celle des chefs de terre Sénoufo ou tarf%, qui s'accompagned'une mise en cause des droits fonciers anciens acquis par des villages Dioula, ou encore pardes forgerons Sénoufo. La résolution des problèmes fonciers est probablement devenue l'undes enjeux majeurs de la gestion locale pour les vingt années à venir.

    1.5. Une passerelle entre l'histoire et l'avenirDe considérables enjeux dans la communalisation et la décentralisation

    1.5.1. On ne saurait terminer l'évocation de l'histoire locale sans traiter des enjeux présents dela communalisation, de la décentralisation et de la déconcentration des services d'Etat, tant cesquestions, et leur bonne résolution, conditionnent le devenir régional et, doit-on ajouter avecforce, les relations futures entre la région Nord et l'Etat ivoirien. La situation complexe - et,comme on a pu le voir, historiquement constituée -, de l'aire korhogolaise dans la vie politiquenationale vient (a) de l'importance de la capitale de la Savane ivoirienne dans la formation du« modèle ivoirien de développement» auquel elle a contribué en livrant de la main d'œuvre etdes vivres à des coûts décroissants, si bien qu'à l'exception de la période 1975-1980, le Nord aété défavorisé dans l'allocation d'équipements, d'investissements à caractère productif, demoyens de fonctionnement (b) du caractère politiquement sensible d'une région dont la viepolitique et les structures sociales sont à la fois denses et dotées d'une relative autonomie (c)d'une forte identité, distincte des cultures côtières et forestières - par les liens unissant l'aireSénoufo de part et d'autre des frontières malienne et burkinabè, par le taux d'islamisation, parle type d'activités agricoles entre autres - qui, vu cette fois du Sud, a parfois été interprétée àtort en exception régionale, voire régionaliste.

    1.5.2. Placé en janvier 1978 sous le régime communal de plein exercice, Korhogo n'a paséchappé dès l'élection municipale - dite « semi-compétitive » - de 1980 aux tensions issues dela confrontation entre les logiques politiques locales et centrales. Les premières favorisaient lacandidature du député Gbon Coulibaly, fils du responsable de la coordination des chefferies decanton; les secondes voyant dans la communalisation l'ouverture d'un nouvel espace politiqueque l'Etat entendait réserver à de hauts fonctionnaires en fin d'activité - et en l'occurrence auGénéral Coulibaly Ibrahima dont les fonctions à l'Etat-major des forces armées prenaient fin.

    25

  • L'évocation de cet épisode chaotique de la vie politique contemporaine a ici pour simpleobjectif (a) de rappeler tout l'intérèt que l'Etat a accordé, et accorde encore, à \' administrationdes affaires locales (b) de signaler l'apparition, à cette occasion, d'une fracture dans la gestionordinaire des rapports entre les autorités régionales et l'Etat, celui-ci intervenant directementdans les mécanismes d'accession aux fonctions hiérarchiques locales (c) de mentionner que laforce des liens personnels issus de l'histoire, précédemment signalés, qui unissait alors lesdescendants du patriarche Gbon Coulibaly au Président Félix Houphouët-Boigny, a néanmoinsété garante du fonctionnement, mème heurté, des institutions communales (d) que ladisparition de ces liens impose et rend désormais possible de nouvelles articulations, sans douteplus apaisées, entre les pouvoirs locaux et l'Etat.

    1.5.3. Dans un tel contexte, la réussite du processus de décentralisation est un enjeu vital, donton peut d'emblée suggérer trois conditions préalables. La première réside dans l'élaborationsimultanée d'un «nouveau Programme d'urgence» visant à redonner à la capitale de la Savaneles moyens immédiats d'une relance des activités, et d'un « Projet de développement à moyenet long terme» précisant pour les vingt ans à venir les fonctions locales, régionales, nationalesque Korhogo devra assumer C'est aux acteurs locaux, et à l'initiative des autorités et éliteslocales, qu'il revient d'élaborer les grands axes de ce que devra ètre Korhogo à l'horizon 2020,et de rétléchir aux moyens d'y parvenir. La seconde tient à une indispensable diversificationdes structures locales d'information, de concertation et de décision, supposant d'une part uneouverture plus grande aux compétences d'acteurs locaux n'appartenant pas aux lieuxd'autorité structurant la ville, et d'autre part une densification des liens entre lesadministrations déconcentrées et la municipalité. La troisième condition, sans doute la plusdélicate à remplir, impose aux élites locales d'œuvrer pour que les singularités du Nord soientmieux connues, et donc reconnues comme autant de composantes essentielles de la sociétéIVOlflenne

    2(,

  • Chapitre 2

    Dynamismes du peuplement de la commune et du départementUne approche démographique

    2.1. Région des Savanes, départements, zones urbainesUne aire sous-peuplée, mais une forte concentration korhogolaise

    La région

    2.1.1. Initialement constituée par décret du 16 janvier 1991 puis modifiée en janvier 1997, laRégion des Savanes C) rassemble quatre des départements occupant la partie septentrionale dela Côte-d'Ivoire soit (1) Korhogo, chef lieu de Région et capitale historique, commerciale etadministrative de la zone (2) Boundiali (3) Ferkessedougou (4) Tengrela. Lors du recensementde 1988, la population régionale a été estimée à 745 816 habitants, soit 6,9 % de la populationivoirienne. Elle est donc loin du peuplement des régions du Sud (35,5 %), du Centre-Ouest(14,3 %) ou même de Centre (8,5 %) : elle compte parmi les aires les moins peuplées du pays.

    Répartition dc la population de la région dcs Savanes(1975-1988)

    1 Départements

    1 Ensemble

    1975

    5007601

    1988 1 L'1/3n 75-88 1

    74581 6 1 3.1 %1

    Korhogo 276299 390 229 2,7 (Xl

    Boundiali 96884 127847 2.2 %Ferkessedougou 91516 172 893 5.0%Tengrcla 36061 54847 3.3 %

    Source: RGPH (/975), RGPff (/988)

    2.1.2. Le taux d'accroissement régional sur la période 1975-1988 a été de 3,1 %. L'estimationde l'Institut national de la statistique (fNS) pour l'année 1997, fondée sur la reconduction destaux de croissance de la période antérieure, permet d'évaluer le nombre de résidents actuels à1,02 millions, soit une densité régionale de 24,8 habitants au km2 . Toutefois, l'analyse rapidede la population par département montre:

    (a) le poids du département de Korhogo qui accueille sur quelque 13 400 km2 près de 53% des effectifs totaux de la région; son taux de croissance annuel de 2,7 % masque enfait une importante disparité entre le milieu rural (1,7 %), et le monde urbain dont laprogression est de l'ordre de 7 %. En revanche, les départements de Ferkessedougou,Boundiali et Tengrela ne comptent respectivement que pour 23 %, 17 % et 7 % de lapopulation régionale. Bien que relativement faible par rapport aux départements de lazone forestière, la population départementale korhogolaise resterait ainsi l'une des plus

    e) En 1991. la Côte-d'Ivoire a été divisée en dix régions. le nombre étant passée:l 16 en 1'.>% Toutefois. lesdonnées chifTrées de cc travail sont relatives au découpage de 19'.> 1.

    27

  • importante du Nord ivoirien: elle se répartirait, pour l'année 1997, dans 870 villages etune grande ville, Korhogo (\

    (b) le poids de la « zone dense» du département dans le peuplement total - le terme de« zone dense », apparu dès l'époque coloniale, traduit bien la charge démographiquesupportée par les sous-préfectures situées dans la partie orientale de ce département, lesraisons historiques de cette charge ayant été rappelées au chapitre précédent

    (c) le poids démographique de la commune de Korhogo : il faut en effet souligner que letaux de croissance urbaine a longtemps été l'un des plus élevés des villes secondaires dupays (Dureau 1987 ; Dubresson 1992) et, à la différence des villes situées au Centre etSud du pays, cette progression tient moins à la venue d'étrangers et d'allochtones qu'auxmigrations intra-départementales et régionales.

    2.1.3. Globalement, 25 % de la population régionale vivait en 1988 dans les agglomérationsconsidérées comme des villes au sens précédemment décrit. La région des Savanes reste ainsi àforte dominante rurale, le taux d'urbanisation s'établissant alors de 17 % à Boundiali, 20 % àFerkessedougou, 28 % à Korhogo et 40 % à Tengrela. Une rapide comparaison avec le tauxd'urbanisation moyen en Côte-d' 1voire, soit 39 % à la même date, montre que la composantecitadine de la région Nord est modeste, la situation tenant au fait que seuls les chefs-lieux dedépartement remplissent les critères de villes. Dans l'attente des résultats définitifs issus durecensement 1998, les premières indications tirées de quelques données brutes disponiblespermettent d'estimer à quelque l5 % la proportion des habitants du département vivant dansles chefs-lieux de sous-préfectures, hors celle de Korhogo.

    Répartition de la population régionale par département selon le milieu d'habitat(1988)

    I_D_é......p_art_c_m_c_n_t__,--_R_u_ri_ll_ Urbain 1 Enscmble 1 Tx. Urb. 1

    I_E_n_sc_m_b_Ie .l.....-_5_5_7_0_1~ 1 1xx xml 745 XI (, 1 25 'x, 1Korhogo 2XO 7X4 lOt) 445 390229 2X%Boundiali 105 X12 22 035 127 X47 17%Fcrkcsscdougou 137 752 35 I~ 1 172 X93 20'%Tcngrcla 32 (,(,(, 22 lXI 5~ X47 ~() %

    Source: HG!'!! (!988)

    2.1.4. Dans l'hypothèse d'une relance de l'économie locale et de ses retombées probables surl'urbanisation locale, la ville de Korhogo pourrait atteindre 460000 habitants en l'an 2020 soitprès de 50 % d'une population départementale estimée à 940 000 habitants (\ Plusieurscommunes, Dikodougou, Sinematiali, Napieoledougou, M'Bengue notamment, devraientconnaître une réelle urbanisation.

    () Rappclons quc lors du rcccnscmcnt dc 19XX, ont été définics comme « ville)} les agglomérations de plus dc10 000 habitants. ou celles comptant de ~ 000 Ù 10 000 habitants pourvu quc plus de 50 '10 des chefs de ménagepratiqucnt une activité non agricole.(}) Dans l'hypothèse d'unc tam dc croIssance de 5 (% pour Korhogo-ville. dc 1.7 lX, pour Je reste dudépartcment.

    2X

  • 2.1.5. Une autre caractéristique démographique de la région Nord est que l'aire Sénoufo, etplus particulièrement le département de Korhogo, constitue moins qu'au cours de la premièremoitié du siècle le réservoir majeur de main d'œuvre migrante et mobilisable par la mégapoleabidjanaise et les planteurs du Sud ivoirien. Déjà souligné au début des années 1990, puisrécemment confirmé par une enquête migration (REMUAO 1997), l'attachement des natifs duNord à leur terroir combinée à la venue massive de travailleurs des pays limitrophes ont réduitfortement les migrations de longue distance et conduit les autochtones à rechercher, au sein dela région, les ressources de leur survie. Il reste que la pression foncière pourrait expliquer letassement de croissance dans certaines sous-préfectures de la zone dense - Napie, Guiembe,Tioro notamment - qui se dessine à l'examen des résultats provisoires du recensement de1998. Ces résultats pourraient être le signe de mouvements intradépartementaux - migrationspassagères ou de longue durée dans le Sud du département, vers Ouattaradougou et Bada parexemple - et en direction de départements ou de régions immédiatement voisines - Mankono,Zuénoula, etc.

    2.1.6. La conjonction des caractéristiques exposées ci-dessus soit (a) peu d'allochtones venantrésider dans la région, à l'exception des fonctionnaires affectés et de commerçants maliens,burkinabè et sénégalais appartenant tous à des réseaux sous-régionaux d'échange, et (b) uneproportion restreinte d'autochtones migrant au Sud, suggère l'extrême endogénéité ethomogénéité du peuplement régional actuel: dans l'ensemble de la Région, 61 % de lapopulation revendique une identité Sénoufo et 24 % une identité Malinké, de sorte que lesétrangers et allogènes ne comptent que pour ] 5 % des résidents (4) De ce point de vue, lazone est incontestablement une exception dans l' histoire récente du peuplement ivoirien, quiconforte les mécanismes d'appartenance et d'identité territoriale, et explique que larégionalisation et la décentralisation sont des exigences fortes. De ce point de vue, le défi del'Etat est de réussir à livrer les outils d'une gestion locale et régionale en préservant les relaisgarants d'une unité nationale.

    Caractéristiques d'ensemble du département

    2.1.7. Le département de Korhogo est constitué de Il sous-préfectures dont les chefs-lieux ontdésormais tous rang de commune de plein exercice - six seulement en 1988. Celle de Korhogoest de loin la plus importante, avec une population estimée ici à 222 000 habitants en 1997,dont 67 % résideraient en ville. A l'autre extrême, les sous-préfectures de Komborodougou deGuiembe accueilleraient environ Il 000 et 13 000 habitants respectivement. On notera parailleurs qu'entre 1988 et 1997, la sous-préfecture de Korhogo aurait capté à elle seule 57 %des 86 000 résidents départementaux supplémentaires.

    2.1.8. Rappelons qu'en 1988 et pour l'ensemble de la Côte-d'Ivoire, la densité de populationétait de 34 hab/km2, une nette différence séparant la zone savanicole faiblement densifiée (19hab/km2) et celle de la forêt (54 hab/km\ La densité du département de Korhogo soit 31 hab/km2 était alors en deçà de la moyenne nationale, bien que dépassant de loin celle des autresdépartements de la région: Ferkessedougou comptait la hab/km2 , Boundiali 16 hab/km2 et

    ('1) Encore cette répartition, fixant dans des « ethnies» les appartenances identilaires, doit-clIc être nuancéepour diverses raisons dont (a) la principale communauté étrangère basée dans les départements de Korhogo ctde Tengrcla est malienne, mais appartient cl l'espace Sénoufo située dans la région de Sikasso ct cl l'Ouest deBobo-Dioulasso (b) sont souvent rangés dans la communauté Malinké des personnes revendiquant l'identité« dioula » dont il a été montré qu'elle est une déclinaison particulière - ct professionnelle - de l'identitéSenoufo (Launay 1989 : Labazée 1993)

    29

  • Département de KorhogoDensités de population en 1997

    MALI

    BOUNDIALI

    MANKONO

    o Préfectureo Chef lieu de sous-préfecture~ Densité sous-préfecture

    M'Dengue

    ~o FERKESSEDOUGOU

    KATI0 LA

    Limite du département

    Limite des sous-préfectures

    Aire de la « wne dense»

    Sources' Estimations ECOLOC - Korhogo

  • Tengrela 25 hab/km2. Les estimations ms suggèrent de plus que, sous l'effet de la croissancede la ville de Korhogo, le processus de densification est aujourd'hui plus prononcé dans cedépartement qui atteindrait actuellement 36 hab/km2, contre 13 pour Ferkessedougou, 22 pourBoundiali, 34 pour Tengrela. La charge démographique s'exercerait principalement sur lessous-préfectures de la « zone dense», soit Korhogo (177 hab/km2), Karakoro (62 hab/km2),Napieoledougou (60 hab/km2), Sinematiali (55 hab/km2), Komborodougou (53 hab/km2) etTioro (47 hab/km2).

    Répartition de la population du département par sous-préfecture(1988-1997)

    I-=S:..:o~u::::...s--=-P~ré:..:...fe=-=c-=-tu::....r-=-es=---- I Nb. villages 1 Superficie (km2 ) Pop. 1lJ88 Pop. 1lJlJ7 1 Densité 19lJ7 1

    Source: HùPll (1988), estimatIOns hCOLOC - Korho};o Cs)

    Dikodougou 35 2 100 30 550 36312 17Guiembe 22 1 ·no lJ 523 II 320 8Karakoro % 270 14476 16610 62Korhogo 175 1 258 173 3M 222543 177Komborodougou SlJ 250 11470 13 160 53M'Bengue 4lJ 2 (,(JO 28026 33 314 13Napieoledougou lJ7 (,00 31 335 35 lJ52 60Niofoin 35 2 100 18 ()26 22 13lJ IlSinematiali 221 680 328M 37707 55Sirasso 30 1700 25222 2lJ lJ80 ".' 18Tioroniaradougou 52 360 14773 16 lJ51 47Total 871 13 388 3lJO 229 475 lJ87 36. ,

    La ville de K()rho~o

    2.1.9. Bien que fragmentaires et difficiles à comparer, les recensements effectués pendant l'èrecoloniale montrent que la formation du centre urbain korhogolais n'a pas été linéaire. Au débutdu siècle en effet, Korhogo ne se distingue guère de la dizaine de gros villages comptant, dansle poste administratif, plus de 2 000 habitants. Toutefois, trois des 28 cantons de ce poste sedistinguent par leur forte densité démographique; il s'agit de Korhogo, Napieoledougou etSinematiali, qui concentrent 38 % des adultes recensés (Delafosse, 1908). Les évaluations depopulations font état, jusqu'en 1935, d'une croissance modeste, chaotique finalement rythméepar les prélèvements de main-d'œuvre pour la Basse-Côte. Il faut attendre la fin de la deuxièmeguerre mondiale pour que le taux des résidents urbains progresse à Korhogo, et ce au momentoù les villes marchandes de Bouna et Bondoukou, situées sur les axes orientaux et occidentauxdu grand commerce, marquent un temps d'arrêt (Duchemin 1969). Korhogo compterait prèsde 20 000 habitants à la veille de l'Indépendance, soit 10 % environ de la population de lasubdivision. Encore ce taux d'urbanisation est-il très inférieur à celui de la subdivision voisine

    (5) A l'examen des premières données brutes du recensement. l'étude a retenu un taux de croissance moyen de1.7 '}'o pour les sous préfectures hors Korhogo. résultant lui-même d'un taux de 1,6 'y.) pour celles de la zonedense et de 2.0 % pour les autres sous-préfectures. Ces taux prennent en compte de probables sous-estimationsdu recensement de la population départementale - au stade actuel d'exploitation des données - liées. entreautres. aux mouvements de population faisant suite à la fin de la campagne agricole.

    31

  • de Ferkessedougou, Quoi qu'il en soit, la coupure entre les rythmes de la croissanc