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L’avenir monétaire des Amériques

Résumés des communications

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Résumé de la conférence inaugurale

Bernard Landry, Vice premier ministre du Québec, Ministre d’État de l’Économie et des Finances du Québec

Les systèmes monétaires sont remis en cause aujourd’hui puisque les espaces nationaux qui recoupaient les espaces politiques nationaux se sont découplés. Il devient absurde de confier à un gouvernement national la gestion d’un instrument qui ne correspond plus à un périmètre délimité. Avec la disparition des barrières tarifaires entre les pays, les monnaies viennent remplacer les anciennes entraves au commerce. Les pays européen se sont engagés dans un processus d’intégration monétaire; il est évident que d’autres parties du monde devront envisager des processus similaires.

En Amérique du Nord, cette discussion s’impose puisque les États-Unis se verront possiblement défier par l’Euro. Lorsque l’on pense que les Américains ne sont pas intéressés par une union, il s’agit d’un examen rapide et circonstanciel. En Amérique latine, le développement économique et social est en cours. Tôt ou tard, les États-Unis ressentiront le besoin de regrouper les forces des deux Amériques pour servir de contrepoids à une Europe intégrée ou à des pays asiatiques qui tenteront des mises en commun de leurs marchés et de leurs monnaies.

Le statu quo n’est plus permis, ni en Amérique, ni ailleurs. Les changements ont commencé. De nombreuses sociétés au Canada et au Québec ont déjà une double comptabilité, en monnaie locale et américaine. La réalité a tendance à enjamber le droit et à aller au devant des mécanismes les plus efficaces.

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Amérique Latine : dollarisation ou monnaie commune ?

Rogelio Ramirez de la O, Directeur général, Ecanal SA, Mexico city

Les partisans de la dollarisation mettent l'accent sur les bénéfices financiers, sur la réduction des taux d'intérêt, et donc sur l'amélioration des prêts banquiers et de la croissance économique, mais ils ne tiennent pas compte des conséquences sur l'économie réelle des pays d'Amérique latine. En se penchant sur l'évolution des régimes de change au Mexique et de leurs conséquences sur l'emploi et les exportations dans le secteur manufacturier, on constate que le régime de change flexible est plus bénéfique qu’un régime de change fixe.

Au début des années 1990, dans un contexte de creusement du déficit de la balance des

comptes courants, le gouvernement de Carlos Salinas s'est orienté vers la fixation du taux de change dans l'optique d'attirer les investissements étrangers à court terme pour financer le déficit. En 1993, avec l'augmentation de la dette extérieure, les autorités ont adopté un système de bandes de fluctuation afin de rassurer les investisseurs de portefeuille quant au maintien du taux de change nominal. Le bilan était positif au niveau du secteur financier: augmentation des investissements de portefeuille et des prêts bancaires. Cependant, la situation du secteur réel de l'économie s'est détériorée, l'indicateur principal étant la diminution de la croissance du PIB. Lors de la signature de l'ALENA, la situation économique du Mexique était intenable et a nécessité le passage à un régime de change flottant supervisé par le F.M.I. et les États-Unis à la fin de 1994.

Le changement de régime a été suivi d'une croissance positive basée sur les secteurs

industriels et manufacturiers (croissance des exportations et de l'emploi). La dépendance aux mouvements de capitaux à court terme a été réduite et la capacité d'absorption des chocs externes s'est accrue. Le Mexique a été en mesure d'apporter les ajustements nécessaires lors des crises qui se sont succédées entre 1997 et 1999 (1997: crise asiatique, 1998: crise en Russie, 1998: baisse des prix du pétrole). Le taux de change peut se déprécier à court terme sans engendrer d’inflation. Les producteurs ont appris comment absorber l'augmentation des coûts induite par les taux de change sans les transmettre aux prix en jouant sur la productivité. Par conséquent, l'idée selon laquelle les pays doivent stabiliser leur taux de change pour stabiliser le niveau des prix n'est pas valable.

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Au niveau de la force du travail, des réformes structurelles sont nécessaires en vue

d'accroître la compétitivité de l'économie mexicaine. Dans un contexte où l'inflation n'est pas tout à fait contrôlée et où il existe un écart de compétitivité avec l'industrie américaine, le taux de change réel tend à s'apprécier sous l'impact de l'augmentation à court terme des salaires. La rigidité du marché du travail se traduit par le fait que les salaires réels ne sont pas compétitifs et dépendent des anticipations du taux de change. Une période de transition est nécessaire pour changer les mécanismes et les institutions du marché du travail et de l’industrie manufacturière. En ce sens, les propositions de dollarisation ignorent les développements structurels nécessaires au niveau du secteur manufacturier. Liliana Rojas Suarez, Directrice Amérique latine, Deutsche Bank , New York

La dollarisation ne peut résoudre les problèmes économiques et politiques actuels que vivent les pays d’Amérique latine. Les partisans de la dollarisation mettent l’accent sur les problèmes causés par la volatilité des taux de change, alors que les taux d’intérêt et la situation financière des pays de la région en général sont surtout déterminés par la perception qu’ont les investisseurs étrangers du niveau de risque d’un pays (country risk). Deuxièmement, les pays d’Amérique latine sont soumis à d’importantes fluctuations des termes de l’échange et aux variations imprévues des mouvements de capitaux qui nécessitent des ajustements dans les prix relatifs. Cet ajustement est plus coûteux si le système de taux de change est fixe. Troisièmement, les partisans de la dollarisation oublient qu’il y a un certain nombre de prérequis à la dollarisation et que ces prérequis sont absents dans les pays d’Amérique latine. La meilleure formule pour les pays d’Amérique latine est donc l’adoption d’un régime de change flexible avec des réserves suffisantes en devises étrangères.

Actuellement, une proportion importante du financement de la région provient des

investissements de portefeuille. La perception qu’ont les investisseurs des risques possibles dans un pays est déterminante. Chaque événement survenant dans un pays joue sur cette perception des risques, ce qui affecte les flux internationaux de capitaux et donc les taux d’intérêt. Lorsqu’il se produit une diminution des flux de capitaux, les pays doivent effectuer des transferts importants de ressources pour assurer le service de la dette alors que la diminution des réserves de devises internationales exerce des pressions à la hausse sur les taux d’intérêt. La dollarisation n’apporte pas de solution quant à la perception qu’ont les investisseurs étrangers des risques associés à un pays donné.

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Deuxièmement, les pays de la région sont sujets à diverses formes de chocs économiques, de chocs sur les termes de l’échange et à la volatilité des mouvements de capitaux contre lesquels les pays concernés ont peu de pouvoir. Dans de telles situations, les pays ont besoin d’apporter des ajustements au niveau des prix relatifs. Si le niveau des prix des produits exportés varie, il est nécessaire d’équilibrer le niveau des prix des produits qui ne sont pas destinés à l’exportation. L’ajustement nécessaire des prix relatifs peut être effectué de deux façons, soit par un ajustement dans le taux de change nominal, soit par une diminution des prix des produits non exportés. L’expérience a démontré qu’il est plus coûteux d’ajuster les prix que d’ajuster les taux de change. De plus, une longue récession exacerbe la perception de la capacité limitée d’un pays à remplir le service de sa dette.

Troisièmement, la principale condition pour la mise en place d’un régime de change fixe ou

d’une dollarisation est de ne pas avoir de problèmes de dette intérieure ou extérieure, ou de crise du système bancaire. Les pays qui ne remplissent pas cette condition ne devraient pas considérer la fixité des taux de change .

La meilleure option pour les pays de l’Amérique latine est donc l’adoption d’un régime de

change flexible avec de larges réserves en monnaies étrangères. Le marché des capitaux restera ouvert aux pays industrialisés, même en cas de crise financière, ce qui n’est pas le cas pour les pays d’Amérique latine. Ces pays ont une contrainte additionnelle et ont donc besoin à la fois d’un régime de taux de change flexible et de réserves suffisantes. Ces réserves servent, en temps de crise, à démontrer aux investisseurs la capacité d’un pays à assurer le service de sa dette. Walter Molano, Directeur de la recherche économique internationale, BCP, Securities, New York

Pour l’Amérique latine, la dollarisation est une solution à court terme qui ne peut résoudre les problèmes institutionnels à la base des déséquilibres économiques. Les tenants de la dollarisation démontrent comment la dollarisation permet de limiter le pouvoir politique en éliminant le prêteur en dernier ressort, en limitant la souveraineté monétaire, et en éliminant le droit de seigneuriage. La dollarisation permet également la stabilisation des prix nominaux et des taux d’intérêt. Cependant, ce processus doit être accompagné de réformes politiques durables, autrement il s’agit uniquement d’une façon de traiter les symptômes et non les causes des déséquilibres économiques, et c’est ce qui pose problème avec les projets de dollarisation en Amérique latine.

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Deux problèmes de base peuvent être identifiés, soit aux niveaux de la discipline budgétaire et des institutions politiques. En ce qui a trait à la discipline budgétaire, les problèmes se concentrent autour de la contrainte budgétaire rencontrée par les politiciens. Le dilemme se pose devant la nécessité de rembourser les déficits accumulés soit en coupant dans les dépenses gouvernementales, soit en augmentant les taxes. Les politiciens cherchent à contourner ces contraintes budgétaires, mais l'accumulation des déficits se manifeste tôt ou tard par des crises financières.

Le second problème rencontré par les pays d'Amérique latine se situe au niveau des

institutions. Le système politique est inadéquat et profite à certains groupes d'intérêts qui s'accaparent les ressources gouvernementales (rent-seeking groups). Ces mécanismes empêchent les pays de se soumettre à une discipline fiscale appropriée et la dollarisation n'apporte pas de solutions à ces problèmes institutionnels. Les partisans de la dollarisation croient qu’en fixant le taux de change sur le dollar américain, les pays n’auront pas d’autre choix que d’initier les changements nécessaires au niveau des structures politiques. Cependant, les changements dans le régime de taux de change ne changeront pas la logique des groupes privilégiés, qui n'accepteront pas de céder leurs privilèges parce que le pays adopte le dollar américain.

De plus, la dollarisation va de pair avec cinq problèmes majeurs pour les pays d’Amérique

latine. (1) La nécessité de se pencher sur les problèmes institutionnels devient plus pressante. (2) La dollarisation comporte des risques de récession puisqu’elle nécessite des ajustements budgétaires drastiques qui passent par des coupures dans les dépenses gouvernementales. (3) La dollarisation ne prend pas en considération les investisseurs étrangers. (4) Elle limite le processus de développement autonome de la société et est une preuve d’échec. (5) Il n’y a pas de sortie de secours à la dollarisation.

Les cas de l’Argentine et de l’Équateur démontrent que la dollarisation n’est envisagée que

comme solution à court terme pour résoudre des situations de crise. En Argentine, le programme de convertibilité basé sur un conseil monétaire a été envisagé en mars 1991 comme mesure de stabilisation économique et comme façon de nuire au pouvoir des groupes de pression. Dans les premières années, le programme a été suivi et il s’est accompagné de réels progrès économiques, mais une fois la confiance des investisseurs étrangers acquise, le niveau d’endettement a recommencé à croître. Actuellement, la dette extérieure représente 43 % du PIB en l’Argentine. Les déficits budgétaires se sont accumulés malgré la croissance économique. L'Argentine est actuellement dans une situation où elle cherche à se sortir de la récession et à résoudre ses problèmes de déficits budgétaires; certains envisagent maintenant un changement de régime de

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change. En ce sens, la dollarisation a été utilisée pour réaliser certains objectifs politiques, mais la volonté de soutenir le changement de régime par des mesures appropriées est absente. L'accent a été mis sur les mécanismes d'implantation et non sur les mesures de soutien qui nécessitent des réformes structurelles.

L'initiative de l'Équateur de « dollariser » son économie présente également des signes de faiblesse compte tenu de l'ampleur des problèmes politiques et économiques, notamment du niveau élevé de son déficit budgétaire. En somme, la dollarisation se présente surtout comme une stratégie à court terme, et non comme une stratégie de croissance durable. Octavio de Barros, Président et économiste en chef, Société Brésilienne des entreprises transnationales

À moyen et à court terme, ni dollarisation ni monnaie unique ne sont en vue pour le Brésil puisque le régime de taux de change flexible est une réussite. Le Brésil traverse actuellement une période de croissance économique qui s’avère durable. Il s’agit d’une croissance sans crainte d’inflation ou de déficits fiscaux ou commerciaux. Le degré d'exposition de l'économie brésilienne aux chocs externes est inférieur à celui qui prévalait sous le régime de taux de change quasi-fixe, et ceci, grâce aux réductions des déficits de la balance commerciale et des comptes publics.

L'industrie brésilienne a réagi positivement au changement de régime de change et la

production, notamment dans le domaine de biens de capitaux, est en croissance, ce qui permet de réduire la part des importations. Le niveau des exportations est également à la hausse, ce qui permet de croire en la possibilité de créer une culture d’exportation au Brésil. En ce qui concerne l'inflation, la Banque Centrale a introduit des objectifs d'inflation qui fonctionnent bien et la Banque peut opérer avec une indépendance et une crédibilité accrues.

Le changement de régime a également eu un impact positif sur les taux d'intérêt réels. Ces

derniers sont aujourd'hui à un niveau raisonnable par rapport à la décennie 1980, décennie pendant laquelle les taux d'intérêt réels moyens étaient de 22 %. Avec la dévaluation de la monnaie brésilienne et l'introduction du régime de taux de change flexible, la prime de risque de dévaluation disparaît, ce qui se traduit par une réduction importante des taux d'intérêt, qui pourraient passer à 10.5 % à la fin de l'année 2000. Le marché de l'argent bénéficie aussi de ce changement. Du point de vue de l'emploi, l'industrie de Sao Polo commence à créer de nouveaux

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emplois après une période d'ajustements importants, ce qui réduit l'impact social de la dévaluation du réal.

Le défi pour le Brésil est d'assurer un certain rythme de croissance des exportations pour

faire face à la croissance inéluctable des dépenses du compte de service de la balance des paiements. Le Brésil ayant l'économie la plus internationalisée des pays en développement au niveau de la production, le compte de service est coûteux et le niveau d'endettement élevé. Le déficit de la balance des comptes courants doit donc se stabiliser. Un deuxième objectif est la stabilisation et la réduction du passif extérieur brut du Brésil, qui est actuellement huit fois plus élevé que les exportations. Finalement, le plus grand mérite du régime de change flexible est d'offrir la possibilité de créer une culture de responsabilité fiscale au Brésil. Depuis 5 trimestres, les promesses en termes d'excédents budgétaires primaires ont été tenues. Ce processus a des répercussions positives au niveau institutionnel, la démocratie et la consolidation des institutions faisant partie du processus de construction d'une monnaie souveraine. De plus, l'économie brésilienne est aujourd’hui mieux préparée pour absorber les chocs externes.

Par conséquent, il n'est pas souhaitable de penser à un changement qui irait vers un régime

de change fixe au Brésil. Au contraire, le Brésil se dirige vers la convertibilité complète. Toutefois, on peut prévoir son effondrement du MERCOSUR compte tenu des divergences dans l’orientation des politiques monétaires : l'Argentine se dirigeant vers la dollarisation et le Brésil vers la pleine convertibilité de la monnaie

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Le système monétaire Européen : un modèle pour les Amériques ?

Edmond Alphandery, Président, CNP (Caisse Nationale de Prévoyance), ancien ministre français de l'économie et des finances

La question de l'intégration monétaire des Amériques peut être étudiée en référence à deux événements importants qui ont ébranlé la scène monétaire internationale, soit la crise des marchés asiatiques et la naissance de l'Euro. La crise des pays émergents a démontré la vulnérabilité d'économies qui fonctionnaient bien jusque là. Depuis l’effondrement du système de Bretton Woods, il s’est produit un changement du poids respectif des acteurs publics et privés sur les marchés financiers internationaux. Les mécanismes instantanés des marchés et les décisions privées sont devenus dominants, ce qui pose problème pour la gestion de la politique économique surtout en ce qui concerne les régimes de taux de change. La crise asiatique a démontré que les marchés financiers n’envoient pas toujours les bons signaux et qu'il est plus difficile de mesurer le niveau de risque compte tenu de l’importance des mouvements de capitaux à court terme. Par ailleurs, l’activisme des institutions a introduit l’idée selon laquelle les autorités publiques demeurent des acteurs importants en cas de crise. La leçon à retenir de la crise des pays émergents est qu'on ne peut maintenir à la fois une libéralisation des mouvements de capitaux, des politiques monétaires souveraines et conserver la parité des taux de change fixes.

L'évolution de la situation monétaire en l'Europe est un autre exemple de l'impossibilité de

faire subsister des parités fixes entre les monnaies dans un contexte de libéralisation complète des mouvements de capitaux. Avec la création du système monétaire européen, on croyait que le rattachement des monnaies au mark et la perte d’autonomie des politiques monétaires suffiraient à assurer la fixité des changes. Le système a fonctionné jusqu’au début des années 1990, avant que la libération des mouvements de capitaux soit achevée. Cependant, la spéculation sur les marchés de capitaux a rendu le système invivable à partir de 1992. Il est apparu clair que dans un régime de liberté des mouvements de capitaux, des pays qui avaient intérêt à maintenir leurs parités fixes devaient passer à la monnaie unique.

Cette leçon permet de redéfinir le concept de zone monétaire optimale tel que développé

par Robert Mundell dans les années 1960. Les mécanismes d'ajustement qui prévalaient à l'époque ont beaucoup évolué du fait de l'importance des mouvements de capitaux. On peut

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aujourd'hui assister à des situations durables de déficits ou d'excédents de la balance des comptes courants, qui sont compensées par les mouvements de capitaux, comme pour les cas des États-Unis ou de la zone Euro. En ce sens, les instruments analytiques développés dans les années 1960 (comme celui de l’insuffisante flexibilité des prix et des salaires nécessaire pour ajuster les déficits de la balance des comptes courants) sont inadaptés au monde actuel. D’autre part, il n’y a plus de lien entre l’évolution des balances des paiements et les monnaies à l’intérieur de la zone puisqu’il n'y a plus qu'une seule monnaie. Bien qu’il puisse exister des problèmes de disparité de situation ou de délocalisation, il n'existe plus de risques de déstabilisation monétaire à l’intérieur de la zone Euro.

Le principal danger pour l'Euro vient de l’extérieur, en particulier des conséquences d'un

éventuel affaiblissement du dollar. Dans ce contexte international nouveau, on peut définir un zone monétaire optimale comme un ensemble de pays qui, ayant tous accepté d’assumer l’ouverture complète de leurs marchés de capitaux, considèrent qu’il est préférable pour eux de vivre dans un système de taux de change fixe. Dans ces conditions, et si ces pays acceptent de partager entre eux leur souveraineté monétaire, alors le système qui s’impose est celui d'une monnaie unique. Le choix entre un régime de change fixe plutôt que flexible dépend de facteurs multiples, comme le besoin d’ancrer sa monnaie pour résister à l’inflation. La fixité des changes permet également d’éviter les fluctuations des prix relatifs et de fournir des marchés financiers plus intégrés et plus larges.

La vraie difficulté pour l'établissement d'une zone monétaire n’est pas d'ordre technique,

mais politique. En Europe, il existe des pays de tailles économiques différentes mais il n'existe pas d’asymétries comme c'est le cas entre le Mexique, les États-Unis et le Canada. D'autre part, l'institutionnalisation de l’Euro repose sur une longue période de maturation et sur un processus d’intégration économique et financière fort avancé. La parité fixe en Amérique du Nord est peu probable; celle d’un conseil monétaire également compte tenu des problèmes d’abandon de la souveraineté monétaire et des coûts que cela occasionnerait. Le projet d’union monétaire, qui pourrait prendre la forme d’une banque centrale panaméricaine n’est pas réaliste compte tenu de l’absence d’institutions politiques communes. Rien de semblable à l'intégration économique en Europe n'existe en Amérique du Nord. Cependant, si l’Euro s’avère un succès, on peut penser à une initiative d’ordre mondial du même type, ce qui permettrait de mettre fin au désordre monétaire international.

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Hervé Carré, Directeur, Zone Euro, Commission Européenne

Le projet d’intégration monétaire en Amérique, à l’image de celui qui a été mis en place en Europe, est difficilement envisageable puisqu’il s’agirait uniquement d’un projet économique. On peut se pencher sur les acquis, les défis et les leçons à retenir de l’introduction de l’Euro.

Le bilan : l’introduction de l’Euro est un succès au plan technique. Depuis 15 mois, le

marché interbancaire et les instruments développés par la Banque Centrale Européenne fonctionnent bien et les infrastructures de marché se sont ajustées. Cependant, l’Euro s’est déprécié, passant de 1,2 dollar américain à 0,90. Deux causes sont à l’origine de cette dépréciation. Premièrement, le niveau auquel l’Euro fut introduit était élevé. Compte tenu du déphasage des perspectives conjoncturelles ; l’économie américaine a continué de croître sur sa lancée, ce qui n’était pas prévu, alors que la croissance économique européenne reste pour le moment encore modeste. Deuxièmement, la perception qu’ont les marchés des rigidités de l’économie européenne pèse sur le cours de l’Euro. Un troisième élément du bilan est celui des perspectives économiques favorables au niveau mondial. La Banque Centrale Européenne prévoit une croissance pour la zone Euro et l’Union Européenne de 3.5 % pour l’année 2000 et une diminution du chômage. Le contexte inflationniste est également favorable. La zone Euro a réussi à créer une communauté de stabilité.

Des défis importants sont encore à relever. On peut en identifier six. Premièrement, la

nécessité de renforcer la coordination des politiques économiques, puisque les politiques économiques des différents pays membres influent sur la politique monétaire fédérale de l’UE et sur la stabilité de l’Euro. Les procédures en place actuellement sont encore en période expérimentale. Deuxièmement, la nécessité de maîtriser l’évolution des finances publiques. Des problèmes de déséquilibres fiscaux persistent, notamment en Belgique ou en Italie, deux pays qui sont aux prises avec un niveau élevé d'endettement public. Le troisième défi consiste à donner plus de flexibilité aux économies des pays européens. Certains dysfonctionnements empêchent les marchés de fonctionner comme le modèle américain, mais des progrès considérables ont été réalisés dans les dix dernières années au niveau des marchés du travail, des services et des biens publics. Le mouvement est engagé, mais il reste difficile pour les gouvernements de mettre en place de larges réformes structurelles dans une courte période. Le quatrième défi est celui de la mise en place d’un marché financier intégré. Le marché interbancaire est effectivement unifié, mais il subsiste encore des différences, notamment au niveau des régimes de retraite et des marchés des titres publics puisque les caractéristiques juridiques ne sont pas les mêmes partout.

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Un cinquième défi consiste à obtenir l’adhésion de la population. L’Euro existe, mais uniquement sous une forme scripturale, et demeure une affaire de banquiers et d’investisseurs. La monnaie doit donc être acceptée et désirée par la population, processus qui doit être accompli par les gouvernements. Finalement, un dernier défi serait celui de l’élargissement du marché unique. Cette question pose problème compte tenu des niveaux de développement différents des pays intéressés, notamment les anciens pays du bloc de l’Est.

En conclusion, l’Euro est un succès, mais ce n’est pas un modèle puisque le processus qui

l’accompagne est unique. La création de la zone Euro n’est pas seulement une entreprise économique, elle s’appuie sur une volonté politique et une vision commune d’un avenir partagé. L’Europe demeure une occasion de parvenir à des relations monétaires internationales plus stables. Un monde formé de grands blocs monétaires ne serait pas nécessairement plus instable qu’un monde dominé par une monnaie, soit le dollar américain comme c'est le cas depuis la fin de la deuxième guerre. On peut penser à la possibilité de discussion d’un bloc à l’autre pour mettre en place des politiques plus ordonnées et plus stables, surtout dans la mesure où il existe un consensus sur les objectifs des politiques macro-économiques au niveau mondial.

Jean-Pierre Béguelin, Économiste en chef, Banque Pictet, ancien chef de la direction des études économiques de la Banque Nationale Suisse

Dans un débat sur une éventuelle unification monétaire des Amériques, on peut se pencher sur les conditions dans lesquelles doit se trouver une économie ou un pays pour choisir le régime monétaire le mieux approprié à sa situation. En matière de politique monétaire, deux choix se posent, soit le choix entre un régime de change flottant ou fixe et le choix de l'abandon de la souveraineté monétaire au profit d'une autre ou de la création d’une monnaie unique.

Le choix entre un régime de change fixe ou flexible se fait en fonction de la volonté de

minimiser les coûts du changement de régime. Deux aspects principaux sont à considérer, soit l'effet de revenu et les caractéristiques des élasticités d’offre et de demande des échanges internationaux d'un pays. Une économie ouverte avec une spécialité de produit pour laquelle la demande est plus élastique a intérêt à choisir la fixité des changes puisque les variations des prix sont minimales. Troisièmement, le choix du régime de change est déterminé par la symétrie entre les pays. À titre d'exemple, si un petit pays décide d'avoir le même taux d'inflation qu'un grand pays, il a tout intérêt à choisir le change fixe, puisque à terme, une fois les équilibres macro-économiques réalisés, l'inflation du grand pays sera celle du petit.

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Au niveau de la souveraineté monétaire, deux options se posent, celle du conseil monétaire

ou celle de la monnaie unique. L'abandon d'une monnaie s’impose surtout lorsque la dévaluation devient inutile, et que la baisse du prix de la monnaie nationale ne sert plus à équilibrer le déficit de la balance des comptes courants parce que le pays est endetté en monnaie étrangère. Ensuite, ce qui dicte le choix des politiques monétaires n’est pas modifié fondamentalement par les mouvements de capitaux. Des difficultés similaires seront rencontrées dans un régime de change fixe ou flottant. Dans le cas d'un choc des mouvements de capitaux, l’ampleur du choc est principalement dictée par les caractéristiques de l'élasticité de l'offre et de la demande.

Appliquée aux Amériques, l’union monétaire n’est pas envisageable comme solution à

court terme compte tenu des disparités entre le camp formé par le Canada et les États-Unis et le camp inflationniste des pays d’Amérique latine. Il faut également tenir compte de ce qui caractérise les échanges, de la qualité des offres et demandes macro-économiques, et de la capacité d’exportation et d’importation des pays. Pour l’instant, des disparités persistent entre le Canada, le Mexique et les États-Unis au niveau de l’élasticité des offres et demandes. Le Canada et le Mexique ont une spécialisation dans les matières premières et ont donc intérêt à choisir un régime de change flexible en raison de l’inélasticité de l’offre et de la demande. Cependant, si le processus de libéralisation des échanges se poursuit, la spécialisation dans les matières premières tendra à être remplacée par des spécialisations industrielles, dont la demande est plus sensible aux variations des prix. On peut donc envisager une poussée vers les changes fixes à long terme.

La formule des conseils monétaires, qui permet d'éviter les variations des changes, semble

gagner en popularité dans plusieurs pays d’Amérique latine. Dans le cas où les conseils monétaires se multiplieraient dans cette région, les Américains devront se pencher sur les différentes options monétaires. Le projet de système monétaire, à l’image de l’Union européenne n’est cependant pas possible en Amérique compte tenu des écarts entre les pays. On peut toutefois concevoir la création d'un fonds monétaire interaméricain dans lequel les États-Unis pourraient créer un fonds particulier pour venir en aide aux pays latinos américains qui fixeront leur monnaie sur le dollar.

Au niveau mondial, si nous allons dans un monde formé de blocs monétaires, nous aurons

des changes volatiles, en raison de leur caractère fermé. Deux raisons peuvent expliquer cette affirmation. Premièrement, plus les économies sont fermées, plus les mouvements de capitaux l'emportent sur les mouvements réels et, par conséquent, plus une certaine flexibilité financière apparaît. Deuxièmement, les banques centrales ont tendance à adopter une politique de "benign

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neglect" dans la mesure où les échanges avec l’extérieur sont faibles par rapport aux échanges intra-blocs.

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Les options monétaires pour le Japon et l'Asie : impact sur les Amériques

Koichi Hamada, Professeur d'économie,Université de Yale

On peut procéder à une comparaison entre les avantages et les inconvénients des différents régimes de change, dont les deux extrêmes sont le régime de change flottant et le régime de change fixe. Entre ces deux extrêmes, il existe de nombreuses variantes et de nombreuses conditions permettant l'opérationalité des systèmes. On sait par ailleurs qu'il est impossible de conserver la fixité des changes, l'autonomie monétaire et la mobilité du capital. Au moins un de ces éléments doit être sacrifié et le coût des sacrifices varie selon la situation particulière de chaque pays. Le moment où les avantages d'un changement de régime sont perçus peut être éloigné. Les questions monétaires et le choix du régime de change demeurent surtout liés aux situations politiques.

La crise des marchés financiers asiatiques a démontré que le mauvais fonctionnement d'un

régime de change fixe peut provoquer un niveau élevé de volatilité des changes. Cependant, la crédibilité de la politique monétaire demeure plus élevée lorsque la monnaie locale est fixée sur une devise forte, le dollar par exemple. D'autre part, les régimes fixes que sont les options de conseil monétaire ou de monnaie unique, comportent certains avantages. Ces régimes permettent d'éliminer les coûts de transactions et ils impliquent une discipline monétaire rigoureuse. Les inconvénients sont la perte d’autonomie monétaire et une possibilité restreinte d'ajustement aux chocs externes.

En ce qui a trait à l'Asie, il est difficile d'envisager une forme d'intégration monétaire

régionale compte tenu de l'hétérogénéité des systèmes économiques et politiques. Plusieurs obstacles politiques se posent à une éventuelle yenisation, notamment du fait que certains pays, comme le Cambodge, le Vietnam et Hong Kong sont plus proches de la dollarisation. D'autre part, l'union monétaire en Europe a montré la nécessité d'un leadership politique pour tenir compte des différences économiques et politiques entre les pays membres et parer aux sacrifices qui s'imposent, ce leadership fait défaut en Asie. Un changement de régime comporterait donc plus de coûts que de bénéfices.

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À un autre niveau, l'impact d'une éventuelle intégration monétaire des Amériques sur l'Asie pourrait être positive puisque cela permettrait d'épargner sur les coûts de transactions. Une conséquence négative pourrait être la réduction des flux de capitaux vers l'Asie puisque ces derniers seraient plus concentrés dans la zone monétaire des Amériques. Un second problème pourrait se situer au niveau de la coordination des politiques dans le cas où le niveau d'inflation augmenterait de façon significative dans la zone monétaire des Amériques. Yukio Yoshimura, Directeur exécutif pour le Japon, FMI, Washington

L'économie des pays asiatiques est en voie de redressement et les effets du choc financier de 1997 s’estompent progresivement. Le contexte se prête donc à une réflexion sur les mécanismes favorables au renforcement de la coopération monétaire. Pour ce faire, trois questions méritent d'être abordées. Les pays asiatiques doivent premièrement se pencher sur le choix des mécanismes de change. Deuxièmement, il est nécessaire de travailler au renforcement des structures financières et corporatives qui ont été affectées par la crise. Troisièmement, les pays asiatiques doivent se pencher sur le choix des mesures à prendre pour favoriser la coopération économique dans la région.

Le régime de change fixe et celui de change flottant ne sont pas les solutions les plus

appropriées au contexte asiatique. Les mécanismes de change rigides, comme ceux qui prévalaient avant la crise des marchés financiers avec des monnaies fixées sur le dollar américain, ont montré leur vulnérabilité face à la volatilité des flux financiers. Plusieurs pays ont par la suite dû se résoudre à adopter un régime de change flexible, mais persistent à croire que la stabilité des changes est importante. D'autre part, la situation économique des pays d’Asie diffère de celle des pays de l'Amérique latine et ceux-ci ne semblent pas désirer suivre la voie de la dollarisation, la souveraineté monétaire étant cruciale. Cependant, en observant la réalisation de la zone Euro en Europe et les initiatives amorcées ou discutées en Amérique, l'intégration monétaire en Asie est envisageable comme option à long terme.

La déréglementation des marchés financiers japonais et les politiques gouvernementales en

faveur de l'internationalisation du yen annoncent un changement de statut pour cette monnaie, mais, à court terme, le yen n'est pas une devise d'ancrage envisageable pour les pays asiatiques. Des problèmes politiques s'y opposent. L’ancrage des monnaies sur le dollar américain n'est pas non plus une solution viable. Un régime où le change serait lié à un panier de devises-clés pourrait être une option réaliste et plus solide pour résister aux attaques spéculatives. Dans un tel

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régime, les devises locales seraient liées aux monnaies des principaux partenaires commerciaux des différents pays, comme le yen, l'Euro, le dollar et, éventuellement, la monnaie chinoise. Avec les progrès en matière de coopération économique, les pays asiatiques seront en mesure d’élargir le contenu de ce panier, voire, d’avoir un panier commun, ce qui pourrait être la base d’une union monétaire pour l'avenir.

Un autre élément important du processus de coopération économique entre les pays de

l'Asie de l'Est, est la nécessité d'entamer des réformes structurelles au niveau financier avec l’objectif de créer un marché commun des capitaux. Les pays asiatiques sont connus pour leur niveau élevé d'épargne, ce qui devrait jouer à leur avantage. Cependant, comme les opportunités d'investissements sont souvent limitées, les capitaux sont surtout investis dans les pays industrialisés. Ces capitaux constituent un facteur de risque dans la mesure où ils sont susceptibles de revenir sous la forme de mouvements volatiles. Il s'avère donc nécessaire de susciter des opportunités d'investissements au niveau régional et de se pencher sur des normes de contrôle. À un autre niveau, plusieurs pays asiatiques connaissent une croissance économique rapide, soutenue par les banques. La croissance des prêts bancaires alloués au secteur corporatif a fourni l’argent nécessaire à la croissance économique. Ce cercle vertueux a été rompu avec le ralentissement de celle-ci et les secteurs bancaires et industriels en ont souffert. Des fonds publics doivent être injectés dans ces deux secteurs et des réformes structurelles s’imposent pour développer le marché des obligations et réduire la dépendance vis-à-vis du secteur bancaire.

L’intégration des marchés financiers est un autre élément à considérer. On assiste déjà à un

approfondissement des liens entre les banques centrales et les autorités monétaires de la région. En ce sens, la création d’un panier commun de devises pourrait être une option envisageable pour l’avenir. Les échanges entre les pays asiatiques pourraient se faire directement en devises asiatiques plutôt qu’en dollars américains, ce qui réduirait les coûts de transactions et les risques financiers.

En troisième lieu, il est nécessaire de se pencher sur les mesures susceptibles de prévenir la

volatilité des mouvements de capitaux à court terme, notamment en ayant des réserves en devises suffisantes. Pendant la crise financière, le F.M.I. a joué un important rôle en remplissant la fonction de prêteur en dernier ressort, bien que certains pays aient considéré que les sommes d’argent prêtées étaient insuffisantes et ne venaient pas assez rapidement. L’idée d’un fonds monétaire asiatique a été élaborée et demeure populaire. Cependant, le projet d’avoir en Asie une institution financière indépendante a été perçu de façon négative par certains pays qui y voient un obstacle au multilatéralisme. L’établissement d’un tel fonds demeure un processus à long terme

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qui nécessite le soutien de la communauté internationale. À l'heure actuelle, le F.M.I. est le seul organisme qui soit en mesure d’appuyer la coopération en Asie et le seul qui puisse jouer le rôle du prêteur en dernier ressort, même si le système des quotas ne permet pas de représenter la force économique des pays de la région à sa juste valeur.

Masahiro Kawai, Économiste en chef pour l'Asie, Banque mondiale,Washington

Dans les dernières années, plusieurs pays en développement se sont dirigés vers la flexibilité des taux de change. On constate cependant que, même les pays qui ont un régime de change flexible ont tendance à lier leur monnaie à une devise ou à un panier de devises. Les économies des pays de l'Asie de l'Est se distinguent cependant des autres économies des pays en développement puisqu'elles arrivent à maintenir des taux d’inflation relativement faibles.

Lors de la crise des marchés financiers, la majorité des pays de l'Asie de l'Est ont opté en

faveur de mécanismes de change plus flexibles, mais on observe actuellement un retour aux régimes de changes liés au dollar américain qui prévalaient avant 1997. Si les pays de l'Asie de l'Est souhaitent maintenir des régimes de change viables tout en conservant leur compétitivité internationale, stabiliser les taux de change réels en référence à une seule monnaie, comme le yen japonais ou le dollar américain, n'est pas la meilleure option, compte tenu de la diversité d’origine et de destination des investissements directs ou des échanges commerciaux. Actuellement, la politique monétaire la plus appropriée à la situation des pays de l'Asie de l'Est est l'adoption formelle d'un régime de change flottant mais stabilisé en temps normal en sélectionnant un panier de devises.

Une fois considérées toutes les options monétaires possibles, on peut conclure qu’en Asie

de l’Est, les systèmes purs de flottement et de fixité des changes ne sont pas la meilleure option. Plusieurs pays ont exprimé leur préférence pour des taux de change stables, du moins en temps normal, mais la flexibilité demeure nécessaire en cas de chocs externes. Actuellement, les pays ayant opté pour la dollarisation sont des pays relativement pauvres, comme le Cambodge et le Vietnam. Un conseil monétaire est maintenu à Hong Kong, pour des raisons de stabilité politique et économique. La Malaisie et la Chine ont conservé un système de stabilisation centré sur une monnaie unique. Un panier de devises commun est une option qui requiert des actions collectives de la part des pays émergents. Tenter de stabiliser le cours des changes sur un panier de devises de leur choix ne demanderait sans doute pas d’action concertée, et permettrait de conserver une certaine marge de flexibilité en cas de chocs externes. Avec le développement de mécanismes

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régionaux de coopération, comme l'ASEAN, il y aurait plus d'espace pour des mesure proactives en matière de coopération monétaire. À ce moment, il serait plus aisé d'établir des mécanismes communs de gestion des changes, notamment en établissant un panier commun de devises. Les politiques monétaires concertées peuvent être envisagées à long terme, en fonction du développement des structures financières et bancaires dans chacun des pays. Adam Posen, Chercheur senior, Institute for International Economics, Washington

Il est fréquent d'avoir recours aux mécanismes monétaires pour pallier les problèmes économiques d'un pays donné. Le monétarisme est devenu populaire après la crise du pétrole, comme les conseils monétaires sont devenus populaires après la crise mexicaine de 1994. Cependant, le problème avec les solutions de nature monétaire est que les seuls pays capables d’en surmonter les coûts sont souvent ceux qui n'en ont pas besoin. On peut dollariser si la situation économique et financière est stable, mais dans ce cas, la nécessité d'abandonner la souveraineté monétaire est faible. En fait, les mécanismes de taux de changes jouent un rôle secondaire au niveau de la prévention des chocs externes. Le meilleur moyen d’éviter les crises financières est de ne pas accumuler de dettes extérieures insolvables. Dans ce cas, les mesures à prendre se situent principalement à l’intérieur des pays et les préoccupations concernant les taux de change sont secondaires.

En Asie, l'idée de lier les monnaies à un panier de devises comme l'ont proposé Yoshimura

et Kawai n'apparaît pas réaliste et désirable. De façon générale, la fixité des changes est envisagée, soit en vue de fournir plus de transparence et de crédibilité aux partenaires commerciaux, soit comme ancrage nominal. Ce dernier argument n'a pas été abordé lors des précédentes interventions alors que la raison principale pour choisir un régime de change fixe est de pouvoir diminuer l’inflation. Sur ce plan, le panier de devises ne fournit pas de solution puisqu’il ne contraint pas réellement les banques centrales ou les gouvernements. Ces derniers seront constamment occupés à renégocier et à réajuster le panier. Dans le cas où il n'y a pas d'ajustements fréquents, les pays sont dans l'obligation de stabiliser leur économie par rapport à une balance commerciale arbitraire. Cette formule est à éviter à long terme, surtout dans le cas des économies émergentes. La dollarisation pose également problème, compte tenu du fait que les États-Unis ne sont pas prêts à remplir des fonctions de soutien auprès d'un pays qui aurait choisi cette option. La seule proposition qui a été avancée jusqu’ici par les États-Unis est celle de compenser en partie la perte des droits de seigneuriage. En fait, dans toute forme de régime monétaire, il existe un degré d'adaptation aux conjonctures et il y a intervention lorsque

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nécessaire. Le principal est d’avoir une structure économique qui permette aux politiques monétaires d'opérer de façon transparente.

Pour certains, un monde composé de blocs monétaires est synonyme de stabilité et de

croissance économique ; la réalité est cependant différente. Les économies émergentes, comme plusieurs pays asiatiques, profitent des avantages du système multilatéral ainsi que de la possibilité d'exporter des biens n'importe où dans le monde. Ces pays retirent des avantages à pouvoir opérer dans un monde qui n'établit pas de discrimination en fonction des régions économiques. Un monde qui fonctionne sur la base de la loyauté régionale plutôt que mondiale n'est pas désirable. Il en va de même au niveau de la proposition de créer des substituts régionaux au F.M.I. Au niveau de l'Amérique, les États-Unis risquent, tôt ou tard, d'être confrontés à l'intégration monétaire de la zone Euro. La meilleure attitude à avoir est d'encourager le développement du système multilatéral, notamment en améliorant les structures financières internationales.

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Les perspectives monétaires nord américaines

William Gruben, Directeur, Center for Latin America Economics, Vice-Président, Federal Reserve Bank, Dallas

Certaines données permettent de se pencher sur la viabilité d'une éventuelle union monétaire nord américaine. La littérature consacrée aux questions monétaires montre qu'une partie du débat porte sur le lien entre une zone monétaire optimale et l'augmentation du commerce. Dans un article publié en 1998 par « The Economic Journal », Frankel et Ross tentent de démontrer le lien entre zone monétaire optimale et cycles commerciaux. Selon ces derniers, une zone monétaire optimale est possible lorsque les cycles commerciaux des pays intéressés sont similaires ou concordants.

Dans un article ultérieur, Ross fournit des données statistiques qui suggèrent que le

commerce augmente à l'intérieur d'une zone monétaire. Il existerait un cercle vertueux puisque, en augmentant les échanges, les pays tendent à se rapprocher de « l'optimalité », et inversement. Cependant, la thèse de Frankel et Ross s’applique à une zone monétaire élargie alors que, dans le cas de l'Amérique du Nord, seulement trois pays sont impliqués. Il reste à vérifier s'il existe des statistiques démontrant que cette thèse est pertinente à l’Amérique du Nord. On peut, pour ce faire, se pencher sur différents indicateurs de l'évolution du commerce entre le Mexique, les États-Unis et le Canada, depuis la signature de l'ALENA.

Selon les estimés de ce qu’aurait été la croissance du commerce sans l’accord de libre-

échange, on constate que l’ALENA a eu un impact positif. Il s’est produit une importante augmentation du commerce entre le Mexique et les États-Unis depuis la signature de l’ALENA. Celui-ci ne semble cependant pas avoir modifié de façon significative les échanges entre les États-Unis et le Canada. Il reste à savoir si les trois pays ont des cycles économiques convergents et si le niveau de convergence a été modifié avec l'ALENA, ce qui demeure difficile à établir compte tenu du fait que la signature de l'entente est récente. En observant l'évolution de la corrélation entre les fluctuations du PIB pour les trois pays par tranches de cinq ans, (1964-1968; 1969-1973; 1974-78; 1979-83; 1984-88; 1989-93; 1994-98), on constate que la relation entre les fluctuations des PIB du Canada et du Mexique est plutôt faible. À l'opposé, on observe, depuis la signature de l’ALENA, une augmentation de la corrélation entre les cycles des États-Unis et du

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Mexique. Entre les États-Unis et le Canada, la corrélation est élevée, mais a peu changé depuis la signature de l'ALENA. Des conclusions similaires peuvent être tirées de l'observation de l'évolution de la corrélation des cycles commerciaux selon d'autres indicateurs. Ces résultats peuvent servir d’arguments en faveur d’une zone monétaire nord américaine.

Ces données statistiques semblent avoir une signification réelle. Dans le cas de l'économie

du Texas, il s’est produit un changement radical depuis la signature de l'ALENA. La dépendance vis-à-vis des matières premières, (principalement du pétrole) a diminué et les cycles économiques du Texas se sont rapprochés de ceux de l'ensemble des États-Unis. Il se serait produit le même phénomène dans le cas du Mexique. La dépendance envers les matières premières a été réduite au profit d'une augmentation des exportations de produits manufacturés. On peut ainsi parler d'une réorganisation de la production industrielle au Texas et au Mexique, qui est désormais plus proche de celle des États-Unis. Bref, ces données suggèrent que la question de l’intégration monétaire mérite d'être considérée. Ron Mckinnon, Professeur d'économie, Stanford University

L'aspect principal des relations monétaires internationales est celui de l'asymétrie entre les monnaies, et de l'hégémonie du dollar américain. Les différents pays doivent tenir compte de l'existence de monnaies dominantes et ne peuvent laisser leur change flotter librement au risque de se retrouver avec un niveau élevé de risque premium au niveau des taux d'intérêt.

Depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, le dollar est devenu la monnaie dominante

au niveau mondial. Le dollar américain sert à la fois d'instrument privé pour les échanges interbancaires et demeure toujours, en dehors de la zone Euro, la monnaie d'intervention utilisée par les gouvernements, en plus de servir de monnaie de réserve. Une large partie du commerce mondial et des mouvements de capitaux est effectuée en dollars américains. Ces fonctions remplies par le dollar sont normales puisque l'existence d'une monnaie centrale est essentielle au niveau international.

Le problème avec l'asymétrie entre les monnaies, c'est que le dollar peut empiéter sur la

circulation de la monnaie nationale et donc jouer sur la fonction domestique de la monnaie. C'est ce qui se produit dans plusieurs pays d'Amérique Latine où le dollar circule en parallèle avec la monnaie nationale. En même temps, plusieurs de ces pays offrent des prêts bancaires ou des certificats de dépôt en dollars. Haussman a démontré que les pays d'Amérique latine qui opèrent avec des régimes de changes flottant, ont peu de marge de manoeuvre. En cas de dévaluation de

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la monnaie, les revendications salariales augmentent automatiquement puisque les salaires sont indexés au niveau général des prix. Si un pays réussit à stabiliser sa devise sur le dollar de façon crédible, les syndicats ne demandent pas l'indexation complète. Ainsi, les salaires réels sont plus flexibles sous les régimes de changes fixes que sous le flottement libre des monnaies lorsque la crédibilité des autorités monétaires est faible. Les pays d'Amérique latine sont également aux prises avec de graves problèmes de déficits budgétaires et d'endettement extérieur. Par conséquent, la stratégie idéale est celle d'une union monétaire avec les États-Unis. Cependant, la dollarisation unilatérale pose problème puisque les pays perdent leurs droits de seigneuriage et n'ont plus de prêteur en dernier ressort. L'autre option envisageable est celle d'un conseil monétaire, comme c’est le cas de Hong Kong ou de l'Argentine. Sans être la formule idéale, elle comporte l'avantage d'être plus flexible et permet aux gouvernements de conserver la majorité de leurs droits de seigneuriage.

La région de l'Asie de l'Est est également sous influence du dollar. Tous les échanges

bilatéraux qui se font avec les États-Unis sont effectués en dollars américains et les États-Unis sont le deuxième partenaire commercial de la région après le Japon. Les échanges commerciaux avec le Japon ainsi que les échanges entre les pays de la région se font principalement en dollars américains. Même si le dollar ne circule pas librement et n'empiète pas sur la monnaie locale, il demeure dominant. Par conséquent, les pays ont besoin d'un ancrage nominal pour les politiques monétaires. Il est également nécessaire de mettre en place des mesures de contrôle prudentiel pour les banques et les différentes institutions financières. Un régime de change fixe resserre les écarts entre les taux d'intérêt, mais nécessite une régulation rigide. En l'absence de cela, on peut recourir au contrôle des capitaux, comme le fait la Chine. Le retour à des régimes de changes fixes, liés au dollar américain est la meilleure option. Des bandes de fluctuation peuvent être définies autour du taux de change comme mesure préventive aux attaques des marchés financiers. La stabilisation des devises par rapport au dollar permet également de stabiliser les prix domestiques.

Au Canada, un régime de change flottant n'est plus souhaitable. Cependant, le Canada est

particulier, au sens où il s'agit d'un pays doté de structures financières développées, stables et solides. À court terme, le Canada doit continuer à orienter sa politique monétaire en fonction de celle de la FED et maintenir une bande de fluctuation de ses taux d’intérêt similaire à celle des États-Unis. La Banque du Canada doit admettre qu'elle ne peut agir de façon détachée des politiques américaines sans risquer de causer des fluctuations de changes et d'affecter les taux d'intérêt, comme ce fut le cas dans les années 1990. À long terme, le Canada doit se diriger vers une plus grande intégration monétaire avec les États-Unis et vers un régime de change fixe.

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Thomas Courchene, Professeur d'économie, Queen's University, Kingston

L’introduction de l’Euro en 1999 représente un événement marquant de l’histoire des relations monétaires internationales. Il annonce la dénationalisation des régimes monétaires et signale qu’à l’intérieur d’une économie globale intégrée, les arrangements monétaires émergent comme des biens publics supranationaux. La notion de souveraineté nationale correspond de moins en moins avec celle de système monétaire. Dans ce contexte, une union monétaire nord américaine devrait être envisagée.

Une union monétaire nord américaine permettrait d’éliminer le risque de change entre les

pays de la zone et les coûts de conversion des monnaies. La Banque du Canada serait conservée et une nouvelle banque centrale supranationale serait créée. Le Canada peut espérer exercer une influence sur la politique monétaire américaine en tant que 13ieme district de la FED. La monnaie existerait comme symbole national, le Canada conserverait ses droits de seigneuriage ainsi que le contrôle de la régulation financière. Nous aurions à baisser le niveau du ratio de la dette par rapport au PIB pour arriver à un équilibre avec les Américains.

Avec une dollarisation unilatérale, nous perdrions les droits de seigneuriage, le symbole de

la monnaie, la Banque du Canada et l’autonomie sur la régulation financière. Il reste à savoir pourquoi les Américains accepteraient de participer à une UMNA. Actuellement, ils n’accepteraient pas, mais l’Euro est bientôt appelé à avoir un impact sur le dollar américain en jouant un rôle majeur au niveau des investissements de portefeuille. Les Américains seront appelés à élargir la zone du dollar. Ensuite, si avec la multiplication des pays qui optent pour la dollarisation en Amérique latine, on assistera à un transfert du pouvoir de la FED vers les pays qui utilisent le dollar américain. Une union monétaire est donc possible comme projet à long terme. Pierre Fortin, Professeur d'économie, Université du Québec à Montréal

Selon le triangle classique des relations monétaires internationales, il est impossible de conserver la libre circulation des capitaux, l'indépendance des politiques monétaires et la fixité du taux de change. Actuellement, pour le Canada, il est impensable d'abandonner la libre circulation des capitaux. Le choix se situe donc entre deux options. La première est celle où l'on décide de conserver l'indépendance monétaire, le revers étant un taux de change relativement instable. La

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deuxième option est celle où l’on choisit d'avoir un taux de change stable avec une politique monétaire soumise aux États-Unis.

Le régime monétaire canadien actuel est soumis à des critiques croissantes puisque, d'une

part, les avantages de l'indépendance sont faibles et, d'autre part, l'instabilité du taux de change à un coût économique qui n'a jamais été aussi élevé. En effet, depuis les années 1990, la performance économique canadienne soutient difficilement la comparaison avec celle des États-Unis. De 1950 à 1990, les taux d'intérêt, d'inflation et de chômage sont demeurés plus bas aux États-Unis. Par ailleurs, avec la forte progression du commerce, l'instabilité du taux de change frappe une part croissante de l'économie. Les fluctuations du change ne poseraient pas de problèmes si celles-ci reflétaient de façon harmonieuse les raretés relatives des ressources à travers les marchés. Cependant, ce monde où les variations nominales du taux de change seraient en harmonie avec les variations désirables du taux de change réel, n'existe pas en pratique. Il existera toujours des bulles spéculatives ou des désalignements des devises. Actuellement, le dollar canadien serait sous-évalué de 0,12 cents selon l'OCDE et le FMI, qui évaluent sa valeur en parité de pouvoir d'achat à 0,80 cents.

L'argument classique selon lequel, le régime de change flottant permettrait à la banque

centrale de laisser fluctuer le dollar canadien en fonction des prix des matières n'est pas convainquant parce que, d'une part, les variations des prix relatifs des exportations canadiennes sont parmi les plus faibles de tous les pays industrialisés et, que, d’autre part, le poids de nos matières premières dans nos exportations totales diminue de plus en plus, passant de 60% il y a 25 ans à 35 % aujourd'hui.

Si l'on convient qu'il est souhaitable de fixer le taux de change canado-américain, alors

quelle est la meilleure option. La façon la plus simple de procéder, serait de faire disparaître le dollar canadien et d'engager le Canada dans une union monétaire avec les États-Unis. L'union monétaire peut prendre la forme d’une dollarisation unilatérale ou d’une union monétaire formelle. Dans les deux cas, la monnaie utilisée au Canada serait la même que celle utilisée aux États-Unis. Le taux de change serait fixe et l'élimination du dollar canadien permettrait de réaliser une économie de trois à cinq milliards par année en coûts de transactions et de conversion de monnaies. Avec une union monétaire formelle, les profits annuels de la banque centrale seraient partagés entre les signataires et les conditions qui amèneraient cette banque à effectuer des prêts en dernier ressort seraient définies par les représentants des pays membres. La dollarisation unilatérale, de son côté, ne comporterait aucun de ces avantages. Les Américains empocheraient tous les profits de l'émission de monnaie, les entreprises canadiennes se verraient refuser l’accès

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aux prêts en dernier ressort de la banque centrale et les politiques monétaires seraient déterminées par les autorités américaines.

Même si une forme d'union monétaire avec les États-Unis est économiquement souhaitable,

elle demeure impossible, du moins dans la situation actuelle, pour des raisons politiques. Les États-Unis n'ont aucun intérêt à remplacer leur monnaie par une monnaie continentale et à partager leur souveraineté avec le Canada ou le Mexique au sein d'une nouvelle union monétaire formelle. Le Canada, quant à lui, n'acceptera pas la dollarisation unilatérale puisque l'utilisation du dollar américain comme unité de compte constituerait une humiliation nationale. Même l'union monétaire, plus avantageuse, serait inacceptable aux yeux des Canadiens dans le contexte actuel. La nouvelle banque centrale serait dominée par la majorité américaine et ne pourrait être suffisamment imputable au Parlement canadien. Un tel transfert de souveraineté du Canada vers les États-Unis n'aurait donc aucune légitimité politique. D'autre part, le contexte politique de l'Amérique du Nord diffère de celui qui prévaut en Europe et qui a permis l'union monétaire.

L'option d'un régime de change fixe se présente comme une situation intermédiaire où le

dollar canadien serait conservé. La valeur du dollar canadien serait fixée de façon rigide par rapport à la valeur du dollar américain, en instituant par exemple un régime qui prendrait la forme d’un conseil monétaire et comprendrait comme élément majeur une entente entre le gouvernement canadien et la FED pour défendre la parité fixe choisie. Cependant, cette option pose aussi problème au niveau politique, l'opinion canadienne en faveur d'un taux de change fixe n'étant pas très solide. Deuxièmement, même les pays qui ont fixé leur taux de change sous l'empire d'un conseil monétaire ont été soumis à des attaques importantes. Dans le cas de l'Argentine, ces attaques ont forcé les autorités à augmenter de façon très sensible les taux d'intérêt et à créer du chômage pour soutenir la parité. Troisièmement, si on voulait avoir l'aide de la réserve fédérale américaine pour soutenir la parité, cela impliquerait sans doute des transferts de souveraineté en matière de législation et de règlementations, ce que le Parlement canadien ne semble pas prêt à accepter.

Pour conclure, la situation idéale pour l'avenir serait d'avoir une union monétaire des

Amériques. Ce n'est pas possible à l'heure actuelle. Il faut dans l'intervalle travailler à concevoir un système alternatif, par exemple du type d'un conseil monétaire ou encore aider la Banque du Canada à continuer d'opérer dans le système actuel tout en reconnaissant les limites de sa capacité à utiliser de façon indépendante la politique monétaire.

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Claude Blanchet, Président, Société Générale de financement

L'un des avantages de la flexibilité des changes est de pouvoir contrôler la politique monétaire de façon à diminuer l'effet des chocs asymétriques, sectoriels ou régionaux, alors qu'en régime de change fixe, on importe l'inflation du pays auquel notre monnaie est fixée. Au cours des années 1990, la Banque du Canada a décidé de cibler une zone d'inflation différente de celle des États-Unis. Ces derniers visaient un taux d'inflation de 3% par rapport à des objectifs de 2% au Canada. Cette divergence dans l'objectif de la politique monétaire a eu pour effets d'augmenter fortement l'écart entre nos taux d'intérêt à court terme et ceux des États-Unis, et a entraîné une surévaluation de la monnaie canadienne. Cette combinaison, taux d'intérêt élevés et de dollar surévalué a plongé le Canada et le Québec dans une grave période de récession au début des années 1990.

Pour les entreprises du Québec, le coût du dollar flottant est élevé. Un dollar faible, comme

c’est le cas aujourd’hui, entraîne une productivité plus basse, particulièrement en période de faible inflation. Un dollar sous-évalué est également susceptible d'entraîner un transfert des revenus des salaires vers les profits. Les salaires réels étant plus avantageux aux États-Unis qu'au Canada, les spécialistes partent vers les États-Unis. À l’inverse, un dollar surévalué oblige les entreprises à couper les coûts et à absorber les pertes à même les profits accumulés. Avec un dollar fortement surévalué, les entreprises réduisent leur taille, déménagent ou ferment. Les fluctuations du taux de change ont également une incidence sur le niveau de vie. Lorsque le dollar est sous-évalué, le niveau de vie des Canadiens en général se détériore par rapport à celui des Américains, ce qui entraîne une fuite des cerveaux et des capitaux.

Le problème de désalignement est encore plus important quand une économie, comme celle

du Québec, exporte massivement vers un pays dont la monnaie est forte et que celle-ci est basée, non plus sur les ressources naturelles, mais sur le capital humain et technologique. En 1988, les exportations de biens et services représentaient 44% du PIB, alors qu'en 1998, elles en représentent 55%. Cette augmentation résulte de l'accroissement du commerce international et non du commerce inter provincial, ce dernier ayant diminué en proportion du PIB au cours des dix dernières années. Par conséquent, il s’avère nécessaire d’avoir une monnaie stable pour effectuer les échanges commerciaux à l’international, qui représentent 37% de notre PIB, comme nous le faisons pour le commerce canadien, qui représente 20% du PIB.

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La part des exportations des industries de haute technologie dans les exportations totales du secteur manufacturier ont plus que doublé au Québec entre 1976 et 1998. Malgré une intégration accrue entre les économies canadienne et américaine, les tenants du taux de change flexible évoquent le fait que les chocs économiques se répercutent différemment sur nos deux pays, un exemple nous en est donné avec les mouvements des cours sur les marchés des produits de base. Pour le Québec, cet argument n'est plus valable puisque la part des exportations reliée aux ressources naturelles par rapport aux exportations totales n'a cessé de baisser, passant de 49% en 1988 à 33% en 1998. La part des exportations de produits manufacturés est, quant à elle, passée de 51% en 1988 à 67% en 1998. Au cours des années 1990, la chute des prix des produits de base s'est répercutée sur notre devise alors que les termes de l'échange n'ont pas bougé de façon significative. Certains économistes qualifient cette évolution du taux de change de déviation par rapport aux facteurs fondamentaux alors, que pour la Banque du Canada, le prix des matières premières représente toujours un facteur déterminant.

La fixité du taux de change comporte plusieurs avantages, notamment en offrant une plus

grande stabilité pour les partenaires commerciaux. La stabilité du taux de change augmenterait donc les chances du Québec d'attirer sa juste part d’investissements. Elle permettrait également au Québec de retenir des travailleurs spécialisés. Finalement, les coûts de transactions seraient éliminés, ce qui permettrait d'économiser de trois à cinq milliards de dollars. En août 1999, un sondage révélait que 77% des Canadiens pensaient qu'il y aurait une monnaie commune d'ici 20 ans. Les gens sont donc prêts à accepter un changement de régime. Parmi les options possibles, un système de monnaie unique serait préférable.

Plusieurs défis sont cependant à relever. Il faut s'entendre sur la création d'une Banque

centrale transnationale, sur le maintien de l'existence ou non du dollar américain, sur le rythme d'implantation de cette nouvelle monnaie, sur le taux de conversion, et sur la nécessité ou non d'une expérience intérimaire. Une éventuelle union monétaire est possible à condition de commencer maintenant à réformer les institutions monétaires tout en changeant graduellement les politiques macro-économiques et en continuant de se donner une marge de manœuvre pour l'assainissement de nos finances publiques. Les efforts visant à intégrer les économies du continent dans le cadre d'un accord de libre-échange ont débuté au sommet des Amériques en 1994 et se poursuivent. L'adoption de la monnaie unique est au centre des préoccupations de l'intégration économique continentale. D'autre part, les Américains auraient avantage à s'engager dans cette voie, l'Euro étant susceptible de devenir une monnaie concurrente au niveau mondial. De plus, la FED fait des interventions répétées pour soutenir les monnaies faibles, ce qui commence à être coûteux.

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En conclusion, le coût du statu quo pour les entreprises québécoises est trop élevé et

comme les agents économiques prennent eux mêmes l'initiative de la dollarisation, on assiste actuellement à une dollarisation de facto. Par conséquent, l'efficacité de la politique monétaire du Canada est réduite, puisque le dollar canadien a de moins en moins d' influence. Il faut donc garder les options ouvertes et ne pas se cantonner sur un statu quo aveugle. John Crow, ancien Gouverneur, Banque du Canada

L'option d'un régime de parité fixe mais ajustable, comme le système de Bretton Woods est actuellement dépassée par l'ampleur des mouvements de capitaux. Dans le contexte de la mondialisation, il est inévitable d'avoir des mécanismes de protection contre les mouvements financiers, surtout en temps de chocs externes. À ce niveau, un régime de change flexible offre de meilleures possibilités d’absorption. Trois alternatives sont envisageables : le régime de change flottant, l'établissement d'une caisse d'émission qui fixerait l'émission de la monnaie en fonction des variations des réserves et le régime de taux de change fixe, comme la dollarisation ou l'euroisation

Appliquée à la situation du Canada, disposer d’importantes réserves en devises pour

soutenir une monnaie flottante ne suffit pas compte tenu de la menace de chocs externes causés par des mouvements déraisonnables de capitaux. La dollarisation unilatérale est réalisable, il suffit de fixer la valeur du taux de change. Une union monétaire semblable à l'Union Européenne n'est pas possible compte tenu des effets de symétrie entre les pays. Ces deux dernières options soulèvent par ailleurs certains problèmes d'autonomie aux niveaux du contrôle des institutions et du prêteur en dernier ressort.

Dans l’hypothèse de l’indépendance du Québec, les souverainistes envisagent l'adoption

préalable du dollar américain ou d'une autre forme d'intégration monétaire pour prévenir une ruée sur le dollar canadien. Cependant, l'intérêt général des Canadiens sera mieux défendu avec le maintien du statu quo. Il est préférable de préserver un régime monétaire stable qui offre une protection contre les crises financières. Au Canada, les récentes crises n'ont pas eu d'effets sur les termes de l'échange puisque le régime actuel est en mesure d'absorber les chocs externes. De plus, il existe actuellement un régime monétaire stable et une confiance qui se traduit par de faibles taux d'intérêt. Un changement de régime n'est donc pas pertinent à l'heure actuelle.

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Marcel Côté, Associé Fondateur, SECOR

Le Canada a connu, au cours des cinquante dernières années différentes expériences en

matière de régime de taux de change. Un régime de taux de change flexible a existé entre 1951 et 1962 et entre 1970 et aujourd’hui. Ensuite, un régime de change avec mécanismes d'ajustements sur une monnaie étalon a été maintenu entre 1962 et 1970. Aujourd’hui, l’intégration de la monnaie canadienne à l’intérieur d’une zone monétaire américaine est une option qui est de plus en plus discutée. À ce niveau, quatre options sont possibles : le régime de taux de change fixe, un conseil monétaire, l’union monétaire Nord Américaine, et la dollarisation unilatérale.

Le régime de change flexible actuellement en place comporte l'avantage d'offrir une zone

tampon souple entre les États-Unis et le Canada et permet de conserver l'autonomie des politiques de la Banque centrale. Cependant, le statu quo demeure un échec. Le taux de change est dominé par les effets de portefeuille et il demeure une source de problèmes, notamment au niveau du chômage ou de la dette. L’inconvénient majeur de ce régime est qu’il donne trop de pouvoir à la Banque du Canada sans apporter une stabilité des prix. La flexibilité du taux de change introduit une volatilité structurelle sur les prix. La fluctuation de la valeur du dollar canadien se traduit par de l'incertitude et des coûts au niveau des échanges commerciaux et des investissements. De plus, le dollar canadien est actuellement sous-évalué par rapport à sa valeur en parité de pouvoir d'achat. Il faut également considérer qu’il existe actuellement une dollarisation informelle puisque le tiers de l'économie canadienne se fait en dollars américains.

Avec un régime de taux de change fixe, on bénéficierait du système américain qui est plus

performant et plus démocratique. On peut envisager une transition par étapes, à l’image du processus européen. Une première étape consisterait à augmenter la valeur du dollar canadien par rapport au dollar américain. Ensuite, une bande de fluctuations serait graduellement mise en place. Une fois le dollar stabilisé, on pourrait se pencher sur le choix entre un conseil monétaire, l'union monétaire ou l'adoption unilatérale du dollar américain. John McCallum, Premier vice-président et économiste en chef, Groupe financier Banque Royale

À l’heure actuelle, un changement de régime n’est pas désirable. On peut se demander quelle est la nécessité de perdre le degré de liberté actuel alors que la discipline monétaire et fiscale est achevée et réussie. Le statu quo monétaire comporte plusieurs avantages, le premier étant la stabilité. Nous bénéficions d’une politique monétaire stable qui se traduit par des taux

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d’intérêt et d’inflation relativement faibles. La politique monétaire est donc une réussite qui est en mesure de générer une croissance économique. Deuxièmement, la flexibilité constitue un avantage puisqu’un régime de taux de change flottant permet d’apporter les ajustements nécessaires en cas de chocs externes. Si on avait eu un conseil monétaire lors de la crise asiatique, il aurait été plus difficile d’éviter une récession puisqu’il aurait fallu augmenter les taux d'intérêt pour éviter une baisse des termes de l'échange. Le troisième avantage est celui de la souveraineté monétaire. L'enjeu d’un changement de régime est de céder notre pouvoir de décision aux Américains. D’autre part, un changement de régime comporte des problèmes au niveau de la transition. Les partisans d'une forme d'intégration monétaire supposent que le taux de change serait élevé, mais ne nous montrent pas comment arriver à faire augmenter la valeur du dollar.

On peut s’interroger également sur la pertinence de certains arguments avancés par les

partisans de la fixité du taux de change. Un premier argument utilisé est celui selon lequel la volatilité du taux de change décourage les échanges commerciaux. Cette volatilité est faible et l’argument n’est pas pertinent compte tenu de l'explosion actuelle des échanges commerciaux avec les États-Unis. Un deuxième argument est celui de la “ théorie de la paresse ”. La faiblesse du dollar se traduirait par une faible productivité. Cet argument est paradoxal puisqu’il s’agirait d’une paresse sélective compte tenu de la croissance de la productivité dans le secteur des nouvelles technologies. D’une façon ou d’une autre, il existe d'autres moyens de stimuler la productivité, notamment en diminuant les impôts. D’autre part, si la solution proposée est de fixer le dollar, on ne voit pas comment il serait possible d’en établir la valeur au taux élevé suggéré. Finalement, une longue période de taux de change fixe comporte des risques de crise économique puisque ce régime ne permet pas de s'adapter aux mouvements des capitaux. En résumé donc, compte tenu des avantages du régime actuel et des faiblesses des systèmes de change fixe, il est préférable de s’en tenir au statu quo.

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